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DEA Droit des Affaires Promotion 2003-2004 Droit des Entreprises en Difficulté M. FREUDL Laurent LES SURETES REELLES ET LES PRIVILEGES SPECIAUX DOIVENT-ILS ETRE CONSIDERES COMME UN OBSTACLE AU REDRESSEMENT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTE ? Mémoire rédigé sous la direction de M. Le professeur J.-L. Vallens

LES SURETES REELLES ET PRIVILEGES … · Les contre-performances économiques sont également de nature à remettre en cause la survie de l’entreprise: une baisse conjoncturelle

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DEA Droit des Affaires Promotion 2003-2004 Droit des Entreprises en Difficulté M. FREUDL Laurent

LES SURETES REELLES ET LES PRIVILEGES SPECIAUX DOIVENT-ILS ETRE CONSIDERES COMME UN OBSTACLE AU REDRESSEMENT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTE ?

Mémoire rédigé sous la direction de M. Le professeur J.-L. Vallens

REMERCIEMENTS

Remerciements à M. J.-L. Vallens pour sa disponibilité, son amabilité, ainsi que pour son aide indispensable dans l’ élaboration du présent mémoire.

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SOMMAIRE LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS…………………………………….............

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INTRODUCTION…………………………………………………………………………...

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CHAPITRE I – SURETES REELLES ET PRIVILEGES, UN OBSTACLE AU TRAITEMENT COLLECTIF DES DIFFICULTES DES ENTREPRISES…………………………………………………………………………………

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SECTION 1 – SOUMISSION DES CREANCIERS TITULAIRES DE SURETES A UNE DISCIPLINE COLLECTIVE………………………………………. p

1§1 - Le gel du passif…………………………………………………………………………………………..

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§2 - La pseudo disparition de la masse………………………………………………………………..

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SECTION II – LIMITATIONS DRACONIENNES AUX PREROGATIVES SPECIFIQUES RECONNUES A CERTAINS TITULAIRES DE SURETES……………………………………………………………………………………….. p

3§1 – Limitations aux fins de reconstitution de l’actif du débiteur…………………………… p

3§2 – Restrictions visant à faciliter l’exécution d’un plan…………………………………………

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CHAPITRE II – SURETES REELLES ET PRIVILEGES, UN OUTIL NECESSAIRE AU REDRESSEMENT DES ENTREPRISES…………………………….

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SECTION I – UNE REPONSE AU BESOIN PERMANENT DE CREDIT DES ENTREPRISES IN BONIS………………………………………………………………….. p

5§1 – La propriété-sûreté ou la soustraction des biens grevés au droit des procédures collectives…………………………………………………………………………………………................. p

5§2 – L’absence de concours résultant du jeu de la connexité…………………………………

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SECTION II – UNE REPONSE AU BESOIN DE CREDIT EXCEPTIONNEL DES ENTREPRISES EN DIFFICULTES……………………………………………….. p

7§1 – En période d’observation…………………………………………………………………………… p

7§2 – Dans le cadre de l'adoption ou de l'exécution d'un plan…………………………………

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CONCLUSION............................................................................................. p9

ANNEXE : Déclaration notariée d’insaisissabilité……………………………………………….. p

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BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………………………. p

9 TABLE DES MATIERES……………………………………………………………………………….. p

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PRINCIPALES ABREVIATIONS A.G.S. Association nationale pour la gestion du régime d’assurance des

créances des salariés A.L.D. Actualité Législative Dalloz anc. C. com. ancien Code de commerce (1807) Ann. Annales A.P.C. Actualité des Procédures Collectives arg. argument art. article ASSEDIC Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce Ass. Nat. Assemblée Nationale B.O.D.A.C.C. Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Ch. civ.) C. civ. Code civil C. com. Code de commerce (ord. 18 sept. 2000) C. conso. Code de la consommation CE Conseil d’Etat C.E.D.H. Cour européenne des Droits de l’Homme cep. cependant C. mon. fin. Code monétaire et financier (ord. 14 déc. 2000) crit. critiques D. Recueil Dalloz-Sirey ou, après un n° d’article, décret D.A. Dalloz Affaires DP Dalloz Périodique déb. Débats D.P.D.E. Dictionnaire permanent des Difficultés des entreprises Dr. et patrim. Droit et Patrimoine D. soc. Droit des sociétés Gaz. Pal. Gazette du Palais Interv. Intervention J.-Cl. Juris-classeur J.C.P. CI. Juris-classeur périodique, édition commerce et industrie

(correspond à l’appellation entreprise antérieure à 1983)

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J.C.P. E. Juris-classeur périodique, édition entreprise J.C.P. G. Juris-classeur périodique, édition générale J.C.P. N. Juris-classeur périodique, édition notariale JO journal officiel L. Loi L.O.C.E.D. Lettre de l’Observatoire consulaire des entreprises en difficulté L.R.A.R. Lettre recommandée avec demande d’avis de réception Mél. Mélanges n. note not. notamment NCPC Nouveau Code de procédure civile obs. observations O.P.C.V.M. Organisme de placement collectif en valeurs mobilières ord. Ordonnance Quot. Jur. Le Quotidien juridique R.C.S. Registre du commerce et des sociétés Rép. def. Répertoire du notariat Defrénois Rev. dr. banc. et bourse Revue de droit bancaire et de la bourse

(correspond à la Revue de droit bancaire et financier antérieure à 1998) Rev. dr. banc. fin. Revue de droit bancaire et financier Rev. dr. soc Revue de droit social Rev. Lamy dr. aff. Revue Lamy droit des affaires Rev. soc. Revue des sociétés réd. rédaction R.J.C. Revue de jurisprudence commerciale RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires R.P.C. Revue des procédures collectives R.T.D. Civ. Revue trimestrielle de droit civil R.T.D. Com. Revue trimestrielle de droit commercial SARL société à responsabilité limitée Sén. Sénat URSSAF Union pour le recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et

des allocations familiales

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INTRODUCTION

TATI, MOULINEX, LU, METALEUROP, ALSTOM, SWISSAIR, AIRLIB… autant de sociétés tombées cette dernière année, de façon aussi surprenante qu’inattendue, dans l’insuccès économique. Et l’envergure de certaines d’entre elles n’y aura rien changé : c’est dire que dans notre contexte économique contemporain, la taille d’une entreprise n’est plus comme jadis gage de sa solvabilité.

D’un point de vue qualitatif, ce phénomène de défaillance n’épargne aucune entreprise, quelle que soit sa taille, sa structure juridique ou encore le volume de son chiffre d’affaires. De multiples déterminants peuvent être identifiés en amont de cette situation. Nous en relèverons deux principaux.

Le premier pouvant être avancé est le poids des contraintes financières : bien sûr ces difficultés sont toujours à l’origine immédiate d’un dépôt de bilan puisque par hypothèse l’entreprise n’est plus en mesure de faire face à son passif exigible au moyen de son actif disponible. Néanmoins, ces difficultés de financement pourront s’insérer dans une causalité plus lointaine, par exemple en empêchant l’entreprise de réaliser des projets d’investissement rentables et nécessaires à sa croissance. Le plus souvent, cette contrainte financière prendra la forme d’un déficit en ressources propres : l’entreprise sera alors contrainte de s’endetter, ce qui réduit son autonomie et la rend plus sensible aux fluctuations de ses revenus, compte tenu du niveau élevé de ses frais financiers. Mérite encore d’être citée dans cet ordre d’idées la baisse des ressources nettes de crédit interentreprises souvent provoquée par des difficultés de recouvrement des créances clients.

Les contre-performances économiques sont également de nature à remettre en cause la survie de l’entreprise: une baisse conjoncturelle de la demande, le non renouvellement de contrats avec certains clients ou l’échec de projets importants jouent indiscutablement leur rôle dans la spirale de l’endettement. L’incapacité de l’entreprise à évaluer correctement le marché dans lequel elle évolue, s’illustrant notamment par une mauvaise anticipation des comportements des concurrents doit aussi être mentionnée.

Face à ces problèmes de coût, il convient de faire observer que contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’incompétence des dirigeants en place n’est que très rarement à l’origine de la défaillance, mais a pour effet de considérablement l’aggraver, faute de prendre des décisions rapides et opportunes.

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Quantitativement, en 2002, 53 000 entreprises se sont, ou ont été déclarées en état de cessation des paiements, ce qui a remis en cause l’avenir professionnel de plus de 140 000 salariés1, et s’est caractérisé par un passif déclaré au seul greffe du tribunal de commerce de Paris d’un montant de 1 670 millions d’euros2.

Ces chiffres mettent en exergue la spécificité de notre droit des entreprises en difficulté, confrontant des impératifs diversifiés, difficilement conciliables, et débordant notre classique distinction entre intérêt général et intérêts privés.

Notre droit des procédures collectives est un droit sensible, d’abord parce qu’il touche à l’ordre public économique dont l’Etat est traditionnellement le premier garant.

Dans son principe, la disparition des entreprises intéresse nécessairement la collectivité, dans la mesure où elle a d’abord pour effet d’augmenter le chômage, véritable fléau en France depuis la fin du vingtième siècle. Elle pourra ensuite être de nature à provoquer la dégradation de la situation économique de régions toutes entières, déjà peu dynamiques d’ordinaire. L’Etat se voit alors assigner une mission de solidarité, consistant à accompagner socialement les victimes du combat économique.

De plus, relevons que les entreprises performantes sont redevables de l’impôt, de cotisations sociales et d’autres taxes qui alimentent considérablement le budget étatique. L’ampleur de l’intérêt financier de l’Etat en la matière est ainsi tout à fait remarquable.

Dans son action ensuite, l’Etat se doit d’effectuer une utilisation réfléchie des crédits affectés au soutien des entreprises en difficulté. En effet, des aides publiques accordées de façon répétée et avec manque de discernement auront pour seul effet de maintenir artificiellement la viabilité financière d’une entreprise, tout en provoquant une rupture de l’égalité devant les charges publiques, ou d’importantes distorsions de concurrence tout à fait préjudiciables aux intérêts des entreprises rentables. La mise en procédure collective d’une entreprise pouvant parfois s’analyser en une simple technique de gestion de celle-ci, l’Etat se doit de jouer un rôle régulateur en la matière, en vue de réserver son attrait aux seules entreprises nécessiteuses.

Notre législation relative aux entreprises en difficulté présente par ailleurs une nature conflictuelle, mêlant diverses formes d’intérêts privés.

Il convient à ce titre de mettre en évidence dans certains secteurs d’activité donnés, les liens étroits de dépendance pouvant unir certaines entreprises en terme de chiffre d’affaires. Lorsque l’une d’entre elles connaîtra des difficultés financières avérées et fera en conséquence l’objet d’une procédure collective, une imposition autoritaire de délais de paiements ou indirectement de remises de dettes sera susceptible de provoquer la faillite des partenaires du débiteur eux-mêmes. Se produira alors un phénomène de faillites en cascade ou d’effet domino contre lequel le législateur se doit de lutter en amont.

L’intérêt privé des partenaires de l’entreprise ne consistera pas systématiquement en un paiement: ainsi, les clients de l’entreprise verront leur intérêt satisfait si malgré sa défaillance, l’entreprise pourra livrer les marchandises commandées ou simplement mener à bonne fin des travaux commencés. De même, les sous-traitants ou autres concessionnaires 1 Source : LExpansion.com 2 Y. Guyon, Droit des affaires, T. 2, Entreprises en difficulté, redressement judiciaire, faillite, Economica 9e éd. 2003, n° 1243.

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seront préoccupés par le maintien ou le renouvellement de certains contrats de longue durée conclus antérieurement avec le débiteur. Enfin, comme nous l’avons évoqué plus haut, les salariés de l’entreprise devront de toute évidence faire l’objet de licenciements pour motifs économiques.

Quoiqu’il en soit et sauf exception, les conflits opposant l’entreprise en difficulté à ses partenaires économiques sont toujours liés au recouvrement de sommes d’argent.

A ce titre, la pratique française présente l’originalité de permettre à la plupart des acheteurs in bonis de bénéficier des marchandises dès leur livraison en ne les payant que 30 à 60 jours plus tard: c’est ce que l’on appelle le crédit-fournisseur.

L’opération de crédit est définie par le Code monétaire et financier3 comme « l’acte

par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement ou une garantie »4.

Il résulte de cette définition que le crédit implique nécessairement chez le créancier qui le consent, une certaine croyance en un paiement ultérieur, tant quant à sa date qu’au regard de son montant. Le crédit repose donc sur une appréhension de l’avenir et sur la solvabilité au moins putative du débiteur.

De plus, le dirigisme auquel seront soumis la totalité des créanciers lorsque l’un de leurs partenaires fera l’objet d’une procédure collective met fin à tout espoir de paiement normal : au mieux, il sera simplement retardé, mais le plus souvent son montant fera l’objet d’une réduction considérable.

Une telle perspective conduit tout créancier à apprécier en amont le risque qu’il encourt et à se prémunir contre l’insolvabilité éventuelle de son débiteur.

Bien sûr, tout créancier est en droit de recourir à l’exécution forcée de sa créance sur l’ensemble du patrimoine de son débiteur5. Cette prérogative, qualifiée droit de gage général, est reconnue de plein droit à tous les créanciers, dénommés chirographaires, dès lors qu’ils ne sont en mesure de se prévaloir de garanties particulières.

La faiblesse de cette prérogative réside cependant dans le caractère relatif de la sécurité conférée : d’abord, le patrimoine du débiteur peut se révéler d’une consistance insuffisante pour honorer l’ensemble des engagements souscrits. Cette observation est appuyée par une jurisprudence constante6 qui se refuse de longue date à reconnaître un caractère d’ordre public aux dispositions des art. 2092 et 2093 C. civ. Dès lors, rien n’interdit aux parties de limiter conventionnellement l’assiette du droit de gage général, ce qui réduit d’autant les droits des créanciers non partie à un tel accord.

D’autre part, tout créancier chirographaire entrera dans une logique de concours avec ses homologues, ce qui conduira, en l’absence de cause de préférence, à un paiement au marc le franc des créanciers les plus diligents.

3 Art. L313-1 C. mon. fin. 4 Dictionnaire du vocabulaire juridique, sous la direction de Rémy Cabrillac. 5 Art. 2093 C. civ. : « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ». 6 1ère Civ. 15 févr. 1972, Bull. civ. I. n° 50.

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Le créancier, désireux d’une sécurité accrue dans le recouvrement de ses créances, cherchera dès lors à garantir son paiement en se faisant consentir une sûreté ; parfois, le législateur lui-même pourvoira à sa sécurité en lui conférant un privilège.

La sûreté se définit traditionnellement comme une « protection d’origine conventionnelle, légale, ou judiciaire, conférée au créancier pour garantir le paiement de sa créance et échapper au concours des autres créanciers »7.

Au regard de la doctrine, cette notion n’est pas homogène et deux courants viennent s’opposer. Selon une thèse classique, ou conceptuelle, les sûretés s’analysent en des procédés spécifiques de garantie du paiement des dettes. Ne peuvent dès lors recevoir la qualification de sûretés les seuls modes de garantie répondant à des critères techniques précis, et regroupés au sein d’une catégorie finie. Cette analyse conduit à distinguer les termes de sûreté et de garantie, la garantie s’analysant en un mécanisme remplissant la même fonction qu’une sûreté, sans pour autant répondre aux critères du concept de sûreté.

Selon une conception plus pragmatique à laquelle nous adhérons, sont considérés comme des sûretés tous les procédés ayant pour effet de garantir les obligations, y compris ceux pouvant avoir, dans d’autres circonstances, une finalité différente. Cette notion fonctionnelle du concept de sûreté sous-tendra l’intégralité de notre étude.

La garantie prise par un créancier en vue de faire face au risque d’insolvabilité de son débiteur pourra opérer de deux manières au moins : elle pourra en premier lieu avoir pour objet d’ouvrir la faculté au créancier impayé de poursuivre une pluralité de personnes engagées à titre individuel. La sûreté sera qualifiée de personnelle, par référence à la nature du droit conféré au créancier qui justifie sa poursuite.

L’engagement du tiers garant pourra alors être caractérisé par trois modalités distinctes. Le premier type de garantie personnelle s’illustre par son caractère accessoire et ne compte qu’un seul engagement : il s’agit du cautionnement, qui est la seule sûreté personnelle définie et organisée comme telle par le Code civil. Le cautionnement se définit comme le contrat par lequel la caution s’engage envers le créancier à satisfaire à l’obligation même du débiteur si celui-ci n’y satisfait pas8.

Le second type de sûretés personnelles s’identifie au travers de son caractère autonome, et comprend les garanties à première demande ainsi que le mécanisme de la délégation utilisé à titre de garantie : sans entrer dans les détails, ces deux mécanismes se caractérisent par une rigueur accrue imposée à l’engagement du garant, qui souscrit, à la différence du cautionnement, une obligation nouvelle et indépendante de celle du débiteur, qui lui interdit de soulever d’éventuelles exceptions tirées du contrat initial. Il convient ici de mentionner un engagement peu connu de la pratique, à mi-chemin entre un caractère accessoire et autonome : il s’agit du constitut, qui a pour objet une obligation nouvelle, mais dont le quantum est emprunté à celui de la dette du débiteur garanti.

Enfin, comme le plébiscite un éminent spécialiste de la matière9, il convient de reconnaître l’existence de garanties indemnitaires, l’obligation du garant ayant cette fois pour objet de réparer le préjudice éprouvé par le créancier du fait de l’inexécution par le débiteur garanti de ses obligations : entrent dans cette catégorie, les lettres de confort, qui expriment la volonté d’un tiers de faire en sorte que ce dernier soit en mesure de remplir ses engagements,

7 Dictionnaire du vocabulaire juridique, Sous la direction de Rémy Cabrillac. 8 Art. 2011 C. civ. : « Celui qui se rend caution d’une obligation, se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ». 9 Simler, Delebecque, Les sûretés, la publicité foncière, Précis Dalloz 2004, 4e éd.

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ainsi que la promesse de porte-fort exécution consistant en l’engagement d’une personne d’assurer, sauf indemnisation, l’exécution par un tiers de ses obligations10. Conformément à notre conception fonctionnelle des sûretés, faisons encore référence à d’autres mécanismes pouvant tenir lieu de sûreté personnelle, tels que l’action directe, l’assurance, la convention de ducroire ou autres garanties de passif…

Force est cependant de constater que nous évoluons actuellement dans un contexte11 d’affaiblissement significatif de ces sûretés personnelles, du cautionnement en particulier. Cette actuelle fragilité découle d’une certaine complexification de leur régime juridique, résultant d’une politique visant à protéger de façon exacerbée les garants, au détriment des intérêts des créanciers.

D’un point de vue strictement formel, en témoigne la nouvelle codification du droit commun du cautionnement au sein du Code de la consommation, et non dans le Code civil comme le voudrait la logique. Ce choix nous semble révélateur d’une certaine volonté de considérer juridiquement les cautions comme des parties faibles, nécessitant une protection accrue. De plus, notre droit du cautionnement émane aujourd’hui d’une superposition de strates législatives. Le législateur s’étant totalement désintéressé de l’homogénéité du système, de nombreuses dispositions se recoupent, se contredisent, lorsqu’elles ne font pas tout simplement double emploi. Le régime juridique du cautionnement se caractérise donc par son hétérogénéité ainsi que son manque de cohérence, ce qui est incontestablement de nature à nuire à la sécurité juridique des créanciers garantis.

Sur le fond, une atteinte drastique à l’efficacité du cautionnement résulte de trois types

de mesures : d’abord, la souscription d’un tel engagement fait toujours l’objet d’un formalisme contraignant visant à protéger la caution face à l’ampleur des engagements qu’elle souscrit. L’incohérence du législateur s’illustre à ce titre, en application de l’adage ubi lex non distinguit …, par l’admission tout à fait injustifiée des cautions dirigeantes au bénéfice de ce régime protecteur. Par ailleurs, les textes obligeant les parties à indiquer le montant et la durée de l’engagement, les cautionnements indéterminés semblent désormais prohibés dans leur principe, là encore au détriment de l’intérêt du crédit. Bien sûr certaines dispositions12 semblent l’autoriser a contrario, mais comme le législateur prohibe par ailleurs la souscription de cautionnements disproportionnés, il convient d’observer en toute logique que cette disproportion ne peut faire l’objet d’une appréciation que si le montant souscrit est connu. C’est dire que la jurisprudence est mise à même de faire œuvre créatrice et unificatrice en la matière.

Ensuite, il nous est possible de dénombrer pas moins de sept obligations d’information distinctes mises à la charge du créancier, tant au stade précontractuel qu’en cours d’exécution de la garantie13. Point n’est besoin ici de nous attarder sur les problèmes posés en matière de sécurité juridique lorsque l’on tente de coordonner cette multiplicité de textes, vu la singularité des champ d’application et régime juridique de chaque obligation.

10 Art. 1120 C. civ. : « Néanmoins, on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci ; sauf l’indemnité contre celui qui s’est porté fort ou qui a promis de faire ratifier, si le tiers refuse de tenir l’engagement ». 11 Il convient à ce titre de prendre en considération les solutions jurisprudentielles dégagées ces dernières années, ainsi que les modifications apportées au droit du cautionnement par la loi Dutreil du 1er août 2003. 12 Art. L341-5 et L341-6 C. conso. a contrario. 13 On pourra notamment citer les obligations découlant des lois du 29 juill. 1998 relative à la lutte contre les exclusions (L341-1 C. conso.), du 31 déc. 1989 relative au surendettement des particuliers et des familles (L313-9 C. conso.), du 11 févr. 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle, du 1er mars 1984 relative au règlement amiable (L313-22 C. mon. fin.), ou encore la loi Dutreil du 1er août 2003 relative à l’initiative économique (L341-6 C. conso.).

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Enfin, faisons observer que le principe de proportionnalité, protégeant la caution quant à la souscription d’un engagement qui s’avèrerait disproportionné au regard de son patrimoine et de ses ressources, a été légalement14 consacré comme un principe général de la matière. En dépit des difficultés de coordination des solutions prétoriennes et légales en la matière, la sanction de la disproportion fait l’objet d’une rigueur certaine, puisqu’elle consistera en une déchéance totale du cautionnement.

De ces quelques observations découle un constat : le cautionnement n’apparaît plus aujourd’hui comme un mode de garantie suffisamment sécurisé de nature à répondre aux impératifs de la vie des affaires. On peut dès lors penser que la pratique se tournera vers d’autres sûretés personnelles telles que les garanties à première demande, plus rigides mais mieux à même de répondre aux intérêts du crédit.

Mais là encore, la jurisprudence n’hésite pas à requalifier de telles garanties en cautionnement en vue de faire bénéficier au garant des avantages pouvant être tirés du caractère accessoire de celui-ci.

De notre point de vue, cette politique exagérément protectrice aura pour effet de provoquer un regain d’intérêt en faveur des garanties réelles dans le monde des affaires. Ainsi, notre étude se verra circonscrite aux seules sûretés réelles, et autres mécanismes de garantie assimilés, en accord avec notre conception fonctionnelle de la notion de sûreté.

Les sûretés réelles portent sur un ou plusieurs biens déterminés, meubles ou immeubles, appartenant au débiteur ou à un tiers, et confèrent au créancier sur ce ou ces biens un droit réel 15.

La multiplicité de ces sûretés réelles en droit positif est tout à fait remarquable. Certaines d’entre elles sont définies et strictement réglementées par le Code civil : il s’agit de l’hypothèque, du nantissement ou des privilèges spéciaux. Ces sûretés présentent le point commun d’avoir un caractère accessoire, et de reposer sur l’affectation au profit du créancier d’un droit sur un ou plusieurs biens. D’autres sont issues de la pratique, et ont parfois pu faire l’objet d’une consécration législative : c’est par exemple le cas de la réserve de propriété ou de la cession de créances à titre fiduciaire par bordereau Dailly.

Pour dresser, de manière rigoureuse, un panorama des garanties réelles composant notre droit des sûretés, nous nous livrerons à une distinction fondée sur le caractère mobilier ou immobilier de leur assiette.

Mais il convient à titre liminaire de préciser que certaines sûretés réelles peuvent être assises à la fois sur des meubles et des immeubles : c’est le cas des privilèges dits doublement généraux.

Attardons-nous un instant sur la notion de privilège : celui-ci se définit comme une sûreté légale sans dépossession, qui confère à son titulaire le droit d’être payé par préférence aux autres créanciers du même débiteur16.

Dans une conception pragmatique des sûretés, il ne fait aucun doute que ses critères de qualification sont remplis : on est bien en présence d’un bien ou d’un ensemble de biens affecté au créancier en garantie de ce qui lui est dû. Comme toute sûreté, le privilège est l’accessoire de la créance garantie. Ainsi, en cas d’extinction de celle-ci, il deviendra caduc ; 14 Art. L341-4 C. conso. 15 Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Sous la direction de G. Cornu, P.U.F. 4e éd., 1994. 16 Simler, Delebecque, Les sûretés, la publicité foncière, Précis Dalloz 2004, 4e éd.

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de même, en cas de cession de celle-ci, le privilège suivra le même sort et garantira le cessionnaire.

La singularité de la notion de privilège réside cependant dans sa justification. Aux termes de l’art. 2095 C. civ.17, son octroi est justifié par la qualité de la créance garantie, et il appartient au seul législateur de déterminer cette qualité. Le privilège s’analysant en une sûreté légale par essence, il convient de dénier cette qualification à l’expression privilège du robinet employée pour désigner le marchandage de certains fournisseurs qui, dans une procédure collective, menaçaient de cesser toute relation faute d’obtenir le règlement immédiat de leur arriérés18. Conséquence directe de cette origine légale, les privilèges ne peuvent exister qu’autant qu’ils ont été formellement prévus par un texte et les dispositions qui les organisent doivent être interprétées strictement.

Un mécanisme particulier, la compensation, place le créancier pouvant s’en prévaloir dans une situation équivalente à celle reconnue à tout créancier privilégié en lui permettant d’échapper à tout concours avec les autres créanciers de son débiteur. Si sa qualification en privilège est à écarter parce que la compensation ne répond pas aux critères de l’art. 2095 C. civ., elle joue incontestablement un rôle de garantie et sera de ce fait intégrée dans le champ de notre étude.

Les privilèges doublement généraux, dont l’assiette est à la fois mobilière et immobilière, portent sur l’intégralité du patrimoine saisissable du débiteur. Cependant, de tels privilèges ne sont pas à la fois mobiliers et immobiliers, mais d’abord mobiliers et subsidiairement immobiliers, ne pouvant jouer sur des immeubles que dans le cas où les biens meubles du débiteur seraient insuffisants pour désintéresser les créanciers19.

A titre d’exemple, entrent dans cette catégorie le privilège des frais de justice ou celui des salariés. Pour des raisons de pure commodité, ces privilèges doublement généraux seront exclus de notre analyse, à une exception près : le privilège de l’art. L621-32 C. com.

Si sa qualification est discutée, il est tout à fait inconcevable d’écarter son examen dans le cadre d’une étude consacrée au redressement des entreprises en difficulté. En effet, le redressement et la poursuite de l’activité qu’il postule ne peuvent être assurés que si les créances qui naissent à cette occasion bénéficient d’un traitement préférentiel. A défaut, aucun fournisseur, aucun banquier, aucune entreprise n’accepterait de participer à la poursuite de l’activité : c’est dire si ce dispositif constitue une pièce maîtresse de la politique de redressement menée.

Le droit de rétention peut aussi être exercé indistinctement sur un meuble ou un immeuble. Il se définit comme le droit d’une personne qui détient une chose appartenant à son débiteur de la conserver sous sa domination en attendant le règlement intégral de sa créance. Il s’analyse en un mode de justice privée qui place le rétenteur dans une situation très avantageuse, lui permettant d’opposer son droit à n’importe quel créancier, chirographaire, privilégié ou superprivilégié. Ce droit peut exister de façon isolée, à l’image de celui reconnu au banquier s’opposant au déblocage du solde créditeur d’un compte courant20, ou résulter

17 Art. 2095 C. civ. : « Le privilège est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires ». 18 Cette pratique est aujourd’hui condamnée par l’art. L621-28 al. 6 C. com. 19 Art. 2105 C. civ. : « Lorsqu’à défaut de mobilier les créanciers privilégiés énoncés en l’article précédent se présentent pour être payés sur le prix d’un immeuble en concurrence avec les autres créanciers privilégiés sur l’immeuble, ils priment ces derniers et exercent leurs droits dans l’ordre indiqué audit article ». 20 CA Dijon 3 sept. 1986, Banque 1987. 304, obs. Rives-Lange.

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d’une sûreté dûment répertoriée, comme le gage, l’antichrèse, ou le privilège du commissionnaire de transport comme nous le verrons.

Si certains auteurs, ainsi que la Cour de cassation21 ont pu rejeter la qualification de sûreté n’y voyant qu’un simple moyen de pression, certaines juridictions du fond n’ont pas hésité à retenir une telle qualification22. Il est vrai que lorsqu’il ne résulte pas d’un contrat exprès, ce droit purement défensif se démarque des sûretés réelles classiques en ne conférant ni droit de préférence, ni droit de suite23. Ayant précédemment fait le choix de ne pas prendre les effets classiques d’une sûreté comme critère, force est de constater que le droit de rétention joue indiscutablement un rôle de garantie réelle et intégrera de ce fait le champ de notre étude.

Attachons-nous maintenant à déterminer les sûretés réelles immobilières, au premier rang desquelles figurent les privilèges immobiliers : il sont toujours spéciaux, et soumis à l’exigence de publicité foncière, ce qui en fait de véritables hypothèques bénéficiant d’un classement plus favorable. Ils confèrent ainsi à leurs titulaires les mêmes prérogatives que les hypothèques, à savoir un droit de préférence et un droit de suite.

Le droit de préférence se définit comme le droit pour son titulaire d’être payé par priorité aux autres créanciers, sur la totalité de la valeur du bien grevé par la sûreté réelle.

Le droit de suite se définit quant à lui comme la prérogative conférée à son titulaire de suivre le bien grevé en quelque main qu’il se trouve, afin d’exercer son droit de préférence sur le prix résultant de la vente forcée.

En second lieu intervient l’hypothèque24, qui se définit comme la sûreté immobilière constituée sans dépossession du débiteur par une convention, un texte de loi, ou une décision de justice, et en vertu de laquelle le créancier qui a procédé à l’inscription hypothécaire a la faculté de se prévaloir d’un droit de suite et d’un droit de préférence.

L’hypothèque constitue un instrument de crédit très perfectionné, car elle permet au propriétaire de l’immeuble de se procurer des liquidités représentant tout ou partie de la valeur de l’immeuble, sans en perdre pour autant la jouissance ni la libre disposition. Elle confère au créancier toutes les prérogatives attachées à un droit réel sans obérer tout le crédit du débiteur. De son efficacité a pu découler sa réputation de reine des sûretés.

Enfin, l’antichrèse constitue la dernière sûreté réelle immobilière. C’est une forme de nantissement25 immobilier impliquant dépossession du débiteur. L’antichrèse se définit comme le contrat par lequel un débiteur confère à son créancier la possession d’un immeuble, avec le droit d’en percevoir les fruits, à charge de les imputer annuellement, tout d’abord sur les intérêts s’il en est dû, ensuite, sur le capital de la créance, jusqu’à parfait paiement26.

21 Com. 20 mai 1997, Bull. civ. IV, n° 141 ; D. 1998, somm. 115, obs. Libchaber ; RTD Com. 1998. 202, obs. Martin-Serf ; RTD Civ 1997. 707, obs. Crocq. 22 CA Toulouse 11 févr. 1977 D. 1978. 206, n. Mestre, qualifiant le droit de rétention de « sûreté de fait ». 23 Cf. infra. 24 Art. 2114 et suiv. C. civ. 25 Aux termes de l’art. 2071 C. civ., le nantissement se définit comme « le contrat par lequel un débiteur remet une chose à son créancier pour sûreté de la dette ». L’art. 2072 C. civ. précise quant à lui que « le nantissement d’une chose mobilière s’appelle gage. Celui d’une chose immobilière s’appelle antichrèse ». 26 Art. 2085 C. civ. : « L’antichrèse ne s’établit que par écrit. Le créancier n’acquiert par ce contrat que la faculté de percevoir les fruits de l’immeuble, à la charge de les imputer annuellement sur les intérêts, s’il lui en est dû, et ensuite sur le capital de sa créance ».

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Le genre des sûretés réelles mobilières cette fois comporte deux espèces principales : les privilèges mobiliers et le gage.

Les privilèges mobiliers peuvent être généraux ou spéciaux, en ce sens qu’ils sont susceptibles de grever la généralité des meubles du débiteur ou certains biens individualisés. Les privilèges mobiliers généraux tiennent leur source de l’art. 2101 C. civ., critiquable d’ailleurs en ce qu’il y mêle des privilèges doublement généraux, ainsi que de nombreuses lois spéciales intervenues en vue de garantir des créances dites d’intérêt général justifiées par des raisons d’ordre public27. Notre analyse étant consacrée aux seuls privilèges conférant un droit préférentiel sur des biens ou masses de biens individualisés, les privilèges généraux ne pourront en faire l’objet.

Les privilèges spéciaux mobiliers peuvent tirer leur origine dans trois justifications : d’abord, certains créanciers sont privilégiés parce qu’ils ont en gage, par l’effet de la loi, la chose qui leur sert de sûreté. Le débiteur est ainsi censé avoir affecté des objets en nantissement à son créancier. Entrent notamment dans cette catégorie le privilège du bailleur d’immeuble sur les meubles apportés par le preneur dans les lieux loués, ou encore celui du commissionnaire sur lesquels nous reviendrons en détail dans le corps de notre étude.

D’autres créanciers sont privilégiés parce qu’ils ont, par leur fait, mis une valeur dans le patrimoine de leur débiteur. Il est ainsi justifié en équité de reconnaître à ces créanciers le droit d’être préférés aux autres sur cette plus-value. Dans cette hypothèse, les privilèges du vendeur d’effets mobiliers et du vendeur de fonds de commerce feront l’objet d’une attention particulière.

L’octroi d’une troisième série de privilèges mobiliers spéciaux est justifié par la conservation des biens du débiteur assurée par un créancier qui de ce fait a contribué au maintien du gage commun de tous les autres.

Enfin, le gage apparaît comme la sûreté réelle mobilière par excellence. Il se définit traditionnellement comme le contrat par lequel un débiteur remet une chose mobilière à son créancier pour sûreté de sa dette28. Il confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose objet du gage, par préférence aux autres créanciers29. En la matière, le législateur a dû tenir compte du développement de la fortune mobilière et de la prolifération des biens incorporels, et a ainsi élaboré une multiplicité de droits spéciaux du gage : gages sur titres, gages sur créances…

Quoiqu’il en soit, le créancier gagiste tire ses droits à la fois de son contrat et de la possession qu’il a sur la chose30 : il bénéficie ainsi d’un droit réel lui conférant droit de préférence et droit de suite. De plus, de la possession du bien grevé découle son droit de rétention, expressément prévu par l’art. 2082 al. 1er C. civ.

La loi a par ailleurs spécialement organisé diverses procédures de paiement à son profit, lui évitant de ce fait de se lancer dans une procédure de saisie : il pourra ainsi s’adresser au tribunal en vue de procéder à la vente aux enchères de la chose, les frais engendrés étant mis à la charge du débiteur. En second lieu, le créancier gagiste pourra se

27 Sont à ce titre visés le privilège du Trésor et celui de la sécurité sociale. 28 Art. 2071 et 2072 C. civ. 29 Art. 2073 C. civ. : « Le gage confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose qui en est l’objet, par privilège et préférence aux autres créanciers ». 30 Cette affirmation doit cependant être nuancée, la pratique ayant imaginé de nombreuses variantes de gages sans dépossession.

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faire attribuer le bien en pleine propriété31. Un jugement sera nécessaire, mais cette prérogative lui permet d’obtenir un paiement prioritaire, au détriment de tous les autres créanciers chirographaires ou privilégiés. Cette situation est d’autant plus forte que la Cour de cassation n’écarte le jeu de l’art. 2078 C. civ. qu’en présence d’une disposition légale32.

Cette présentation des sûretés ne reflèterait pas la réalité si aucune référence n’était faite à l’essor connu ces dernière années par la propriété-sûreté. Nonobstant le silence du Code civil quant à l’utilisation du droit de propriété à titre de garantie, la relative perte d’efficacité des sûretés réelles traditionnelles a provoqué un important regain d’intérêt en sa faveur, au point que des interventions législatives se sont avérées nécessaires33.

Les mécanismes les plus usités en pratique sont la propriété réservée ainsi que l’aliénation fiduciaire.

Les clauses de réserve de propriété, qui subordonnent le transfert de propriété au paiement intégral du prix par le débiteur sont très répandues en pratique du fait de leur incomparable efficacité en terme de garantie. Si, d’un point de vue pragmatique, leur rôle de garantie ne fait aucun doute, leur qualification de sûreté stricto sensu a pu faire l’objet d’un vif débat : alors que certains se contentaient de constater que la clause remplissait le rôle d’une sûreté34, d’autres affirmaient qu’elle en a la nature juridique35. La jurisprudence se contentait quant à elle de la qualifier d’accessoire de la créance, ce qui suffisait à admettre sa transmissibilité en cas de transmission de la créance36. Aujourd’hui, la Cour de cassation a franchi un pas important en avant en qualifiant expressément la propriété réservée de sûreté réelle37. En matière de crédit-bail, le mécanisme garantissant le crédit-bailleur du paiement des loyers par le crédit-preneur est identiquement fondé sur la propriété réservée.

L’aliénation fiduciaire s’identifie quant à elle comme le mécanisme par lequel un débiteur transfère la propriété de certains de ses biens en garantie des avances ou des crédits qui lui sont consentis, le créancier prenant l’engagement de rétrocéder, une fois remboursé, l’objet de sa sûreté. Cette garantie tire ses origines de la pratique bancaire38, qui recherchait

31 Art. 2078 al. 1er C. civ. : « Le créancier ne peut, à défaut de payement, disposer du gage : sauf à lui à faire ordonner en justice que ce gage lui demeurera en payement et jusqu’à due concurrence, d’après une estimation faite par experts, ou qu’il sera vendu aux enchères ». 32 Ass. Plén. 26 oct. 1984, D. 1985. 33, n. Derrida. ; Com. 6 mars 1990, Bull. civ. IV, n° 67, D. 1990. 311, n. Derrida. 33 Loi n° 80-335 du 12 mai 1980 relative à la clause de réserve de propriété, Loi Dailly du 2 janvier 1981 notamment. 34 Cf. par ex. Ghestin, Réflexions d’un civiliste sur la clause de réserve de propriété, D. 1981, Chron. 1 et s., spéc. n° 36. 35 V. à ce sujet Cabrillac, Réserve de propriété, bordereau Dailly et créance du prix de revente, D. 1988, Chron. 225. 36 Cf. Com. 11 juill. 1988 (1ère et 2e espèce), Com. 15 mars 1988, J.C.P. E. 1989. II. 21348, n. Morançais Demeester, cité par Simler et Delebecque, Simler, Delebecque, Les sûretés, la publicité foncière, Précis Dalloz 2004, 4e éd. 37 Com. 23 janv. 2001, deux arrêts, D. 2001. 702, obs. Lienhard ; J.C.P. E. 2001. 755, n° 13., obs. Cabrillac ; Com. 9 mai 1995, R.T.D. Civ. 1996. 441, obs. Crocq ; R.P.C. 1995. 487, obs. Soinne ; Com. 15 mars 1988, D. 1988. 330, n. Pérochon. 38 L’aliénation fiduciaire puise ses sources dans les opérations de pension qui consistent pour une banque à la recherche d’avances à très court terme, à transférer en garantie la propriété de ses propres créances à un organisme mobilisateur. Ce transfert de créances, bien que réalisé le plus couramment au moyen d’effets de commerce, instruments de paiement réputés pour leur rigueur, reste, dans l’esprit des parties, temporaire et réalisé à titre de garantie. Cette analyse est confirmée par la loi du 31 déc. 1993 qui caractérise l’opération de pension par le fait que « le cédant et le cessionnaire s’engagent respectivement et irrévocablement, le premier à

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autrefois un moyen de remédier à la lourdeur et à la relative fiabilité du nantissement de créance classique.

L’aliénation fiduciaire d’origine légale la plus célèbre est indiscutablement celle prévue par la loi Dailly du 2 janvier 1981. On peut encore faire référence à la loi de modernisation des activités financières du 2 juillet 1996, qui a clairement autorisé la remise en propriété de valeurs, titres, effets ou sommes d’argent en garantie du solde des opérations sur instruments financiers à terme39.

Faisons encore référence, en dehors de toute classification, aux nombreuses garanties négatives désignant toute sorte d’engagements pris par le débiteur envers son créancier à ne pas prendre certaines initiatives de nature à compromettre sa solvabilité. A ce titre, le recours au mécanisme de l’inaliénabilité permet assurément de renforcer la sécurité du paiement du créancier et entrera dans le cercle de notre étude.

L’ensemble de ces modes de garantie converge vers une finalité fondamentale : pouvoir, lorsque la situation financière du débiteur ne lui permettra plus d’exécuter ses obligations à l’égard de l’ensemble de ses créanciers, bénéficier d’un paiement total, en passant avant les autres. Le créancier cherche donc à éviter, dans la mesure du possible, toute forme de partage, de concours avec ses homologues. Il a ainsi pour ambition de reporter l’insolvabilité du débiteur sur les autres en se prévalant de prérogatives consenties en sa faveur exclusive.

Force est à ce titre de constater que cette ambition semble tout à fait conciliable avec le droit des faillites tel qu’il était conçu avant 1967. En effet, depuis l’Ancien droit, cette branche du droit avait pour finalité première de punir le commerçant failli, présumé malhonnête. Le Code de commerce était encore empreint d’une grande rigueur à l’égard du débiteur, les procédures visant essentiellement à effectuer une saisie collective des biens du débiteur à l’initiative et au profit des créanciers. Dès lors, rien ne s’opposait à une satisfaction prioritaire des créanciers privilégiés.

Depuis 196740, on assiste à un bouleversement de notre conception du droit des faillites41 : est ainsi opérée la distinction fondamentale entre l’entreprise, l’outil économique, qui devient un sujet de droit à part entière, et l’homme, le commerçant, qui voit son sort dépendre de la gravité de ses fautes. Sont ainsi organisées des procédures distinctes, entre lesquelles le choix repose sur des critères économiques et non plus moraux. A cette attention nouvelle portée à l’entreprise correspond une diminution significative des droits des créanciers au sein de la procédure.

Ce constat est plus que jamais confirmé en droit positif : motivée par une explosion du chômage au début des années quatre-vingt en France, la loi de 198542 a substitué aux deux procédures antérieures une procédure unique de redressement « destinée à permettre la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’emploi et l’apurement du

reprendre les valeurs, titres ou effets, le second à les rétrocéder pour un prix et à une date convenus » (art. 12, 1). 39 Art. 52 al.4 L. 2 juill. 1996 de modernisation des activités financières. 40 Loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 relative au règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes (JO 14 juill. 1967, p. 7059) et ordonnance n° 67-820 du 23 septembre 1967. 41 J. Paillusseau, Du droit des faillites au droit des entreprises en difficulté, Mél. Houin, p. 109. 42 Loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, JO 26 janv. 1985, p. 1097.

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passif »43. C’est à cette procédure de redressement que sera exclusivement consacrée notre étude, le traitement extrajudiciaire44 des difficultés ainsi que la procédure de liquidation judiciaire en étant écartés.

A la lecture de ces objectifs hiérarchisés, l’on observe une prise en compte inédite des enjeux du redressement des entreprises, tenant tant de l’intérêt général que des intérêts privés, ainsi qu’une dégradation marquée du sort des créanciers, fussent-ils privilégiés, dont le paiement devient officiellement le cadet des soucis du législateur.

Se pose alors la question de savoir si les sûretés réelles et privilèges spéciaux doivent être considérés comme un obstacle posé au redressement des entreprises en difficulté.

L’affirmative vient immédiatement à l’esprit. Pour améliorer la situation financière du débiteur, il convient d’abord d’endiguer la spirale de l’endettement. Pour ce faire, la réglementation impérative des procédures collectives se substitue à l’application du droit commun de nombreuses branches du droit. Les créanciers, titulaires de sûretés réelles ou non, se voient ainsi placés sur un même plan : ils sont réunis au sein d’un groupement dans l’attente d’une solution réfléchie. Leur soumission au dirigisme de la procédure ne leur autorise aucune initiative individuelle en matière de voie d’exécution. Une telle initiative apparaît cependant comme de l’essence de la mise en œuvre d’une sûreté réelle.

En second lieu, pour restaurer la viabilité financière de l’entreprise, il convient sans aucun doute de « maximiser » les rentrées d’argent et de limiter autant que possible les sorties de fonds : or les sûretés réelles et autres privilèges spéciaux ont précisément pour objet de provoquer une telle sortie de fonds au profit exclusif de leurs titulaires. En résulterait un démantèlement irréversible des actifs de l’entreprise qui réduirait à néant toute possibilité de poursuivre l’activité, ne serait-ce qu’en période d’observation.

En ce sens, les sûretés réelles, considérées de manière générale, s’analysent indiscutablement en un obstacle au redressement des entreprises en difficulté (Chapitre I.).

Il faut cependant se garder d’une appréhension trop réductrice des sûretés en procédure de redressement judiciaire. En premier lieu, les sûretés font traditionnellement figure d’auxiliaires du crédit, et il paraît inconcevable d’améliorer la surface financière d’une entreprise sans y injecter de la new money. Il convient donc pour le législateur d’assurer subtilement une certaine effectivité aux prérogatives de certains créanciers réels, pour ne pas nuire à la politique du crédit toute entière. De plus, l’octroi de certaines sûretés réelles ou de privilèges spéciaux en cours de procédure peut permettre d’inciter certains créanciers à s’associer à l’impératif de poursuite de l’activité. L’accès au crédit du débiteur sera ainsi facilité, et les perspectives de redressement d’autant plus favorables.

En outre, nous démontrerons que le jeu de certaines sûretés réelles peut indirectement peser en faveur du redressement, par exemple en assurant son effectivité à long terme.

Ainsi, les prérogatives reconnues aux créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges spéciaux devront inévitablement faire l’objet d’une reconnaissance sélective en cours de procédure. C’est dire que sans elles, tout redressement serait manifestement voué à l’échec (Chapitre II.). 43 Art. L620-1 C. com. 44 Loi n° 84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, JO 2 mars 1984, p. 751.

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CHAPITRE I – SURETES REELLES ET PRIVILEGES, UN OBSTACLE AU TRAITEMENT COLLECTIF DES

DIFFICULTES DES ENTREPRISES

Le caractère collectif des procédures judiciaires de traitement des entreprises en difficulté s’analyse comme la pierre angulaire des dispositifs ayant successivement été mis en œuvre par le législateur. En effet, et à plus forte raison aujourd’hui, alors que l’on assiste à un fort mouvement de dissociation entre le sort de l’homme et celui de son outil économique45, il nous semble que la spécificité de ce droit pourrait se voir remise en cause si ce caractère collectif venait à être abandonné. Le droit du traitement des difficultés des entreprises peut se définir comme une procédure judiciaire réglementée, collective et égalitaire, regroupant tous les créanciers afin de les payer en proportion de leur créance.

Sa spécificité découle donc de l’inapplicabilité du droit commun des voies d’exécution permettant aux créanciers de poursuivre individuellement le recouvrement des sommes qui leurs sont dues. En témoigne l’un des piliers de la législation, le mécanisme de l’arrêt des poursuites individuelles. Ainsi, si les procédures cessaient d’être collectives, l’on ne pourrait plus parler d’un droit spécial et dérogatoire, le droit des faillites se réduisant au jeu classique des procédures civiles d’exécution. Celles-ci ayant pour seule finalité de satisfaire l’intérêt individuel des créanciers.

Ainsi, permettre l’application des causes de préférence qui sont habituellement consenties au profit des créanciers par l’entreprise au cours de sa vie économique aboutirait inévitablement à un démantèlement irréversible de ses actifs. La portée de ce constat doit aujourd’hui être accentuée, dans la mesure où l’on assiste depuis quelques années à un véritable bouleversement des modes de gestion patrimoniale des entreprises, se justifiant par une volonté de limiter leurs coûts d’exploitation.

Autrefois, l’entreprise, dans la grande majorité des cas industrielle et tournée vers le secteur secondaire, était elle-même propriétaire de son outil de production. Toute procédure judiciaire alors ouverte à son encontre46 pouvait alors être diligentée en s’appuyant sur ses actifs. Actuellement, du fait de l’essor des nouvelles technologies, les entreprises sont plus portées à exercer dans le secteur tertiaire, domaine qui, à la différence du précédent, n’impose pas à l’entrepreneur de disposer de la même masse d’actifs.

45 J. Paillusseau, Du droit des faillites au droit des entreprises en difficulté, Mél. Hoin, p. 109. 46 Pour ne pas dire à son profit, car la procédure de redressement n’était alors pas encore conçue comme un bénéfice.

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Quoiqu’il en soit, dans tous les domaines, la mise à profit de la liberté contractuelle a permis aux entreprises de limiter leurs frais quotidiens de fonctionnement, en limitant les acquisitions de biens tout en permettant leur utilisation et leur jouissance. Le recours aux contrats de louage au sens large permet de bénéficier de cette situation : ainsi, l’immeuble dans lequel l’activité est exercée fait souvent l’objet d’un bail, fut-il commercial. De plus, l’entreprise peut se voir confier l’exploitation d’un fonds de commerce en recourant au mécanisme de la location-gérance, qui là encore lui permet d’éviter un investissement lourd. Par ailleurs, l’emploi, massif ces dernières années, de la propriété réservée, permet à l’entreprise d’avoir la jouissance de certains outils de production tout en étalant l’investissement qui y est relatif. A titre d’exemple type, on peut faire référence au contrat de crédit-bail, qui peut porter sur un bien mobilier comme immobilier. De plus, les clauses de réserve de propriété peuvent quasiment être assimilées à des clauses de style dans les contrats de vente d’objets mobiliers. L’on voit bien que l’emploi de ce mécanisme peut s’analyser en un nouveau mode de financement des entreprises, dont la logique s’avère en totale contradiction avec la situation antérieure.

Partant de ce constat, le jeu des causes de préférence pouvant être reconnues aux créanciers en procédure collective aboutirait au sacrifice pur et simple de l’entreprise en difficulté. Le bailleur d’immeuble serait en mesure d’expulser le débiteur locataire pour défaut de paiement des loyers ; l’acquisition d’un fonds de commerce pourrait être mise en échec par le jeu de l’action résolutoire intentée par le vendeur. Les revendications pouvant être exercées par les créanciers restés propriétaires engendreraient la désactivation de nombreux biens, la plupart apparaissant pourtant nécessaires à la continuation de l’activité. Ce démantèlement se verrait encore accentué par les nombreuses réalisations de biens visant à satisfaire l’exercice de droits de préférence ou de suite consécutifs à la mise en œuvre des sûretés réelles. Le jeu de divers privilèges spéciaux sur ces actifs, déjà maigres, interdirait indiscutablement tout financement d’une période d’observation, faute de fonds suffisants.

Ainsi, toute satisfaction d’un intérêt particulier est de nature à nuire au redressement du débiteur.

De ce point de vue, l’impératif de redressement et celui de satisfaction des créanciers titulaires de sûretés réelles divergent. Une constatation en découle : en matière de procédures collectives, sûreté ne rime plus avec sécurité47. Sauvegarde de l’entreprise, maintien de l’emploi, autant d’objectifs économiques et sociaux qui ne peuvent, dans cet état d’esprit, que neutraliser notre droit des garanties.

La réglementation de 1985 établit bien un rapport d’égalité de tous les créanciers face aux malheurs de leur débiteur : si tous ne meurent pas, tous sont au moins frappés, les créanciers chirographaires comme les créanciers privilégiés. Car la garantie d’une créance par une sûreté n’oblige à apporter qu’une nuance très subtile à cette constatation.

Ainsi, à l’image des créanciers chirographaires, les créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges spéciaux apparaissent comme soumis à la procédure (Section 1). Dans cette hypothèse, un traitement spécifique de leurs droits leur est bien reconnu, mais dans le sens d’un affaiblissement (Section 2).

SECTION 1 – SOUMISSION DES CREANCIERS TITULAIRES DE SURETES A UNE DISCIPLINE COLLECTIVE

47 B. Monassier et F. Michel, Les sûretés ne sont plus sûres, Dr. et patrim. avril 2001, n°92, p. 52.

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La période d’observation peut s’analyser en une période d’attente, au cours de laquelle les montants respectifs de l’actif et du passif doivent être déterminés. Cette détermination est fondamentale car de ses résultats dépend l’avenir de l’entreprise. En effet, si, au regard des capacités financières du débiteur, le redressement s’avérait manifestement impossible, faute de fonds suffisants de nature à contribuer au financement d’une période d’observation, il n’y aurait aucun intérêt pour l’Etat à engager une procédure judiciaire coûteuse et inutile.

Quoiqu’il en soit, pour optimiser, dès l’ouverture de la procédure collective, les chances de redressement de l’entreprise, le législateur a entendu dans un premier temps faciliter la poursuite de l’activité en cours de période d’observation. Pour cela, la réglementation s’appuie sur le principe fondamental selon lequel il faut limiter au maximum les sorties de fonds tout en en favorisant les rentrées.

Pour satisfaire à cet impératif de conservation des actifs du débiteur et ainsi éviter que sa situation ne se dégrade durant les quelques mois consacrés à la recherche d’une solution favorable, le principe fondamental du gel du passif fera l’objet d’une application contraignante. Ce mécanisme est traditionnellement justifié par le principe d’égalité entre les créanciers qui impose au débiteur, dans la mesure de son impossibilité à payer l’ensemble de ses créanciers, de n’en payer aucun dans l’immédiat.

Sous la qualification de « gel du passif » entrent un certain nombre de mesures, telles que l’arrêt des poursuites individuelles avec son corollaire l’interdiction du paiement des créances antérieures, l’arrêt du cours des intérêts, des inscriptions de sûretés, ou dans une plus large mesure le régime de la continuation des contrats en cours48. Faisons observer que ce dispositif contraignant trouve à s’appliquer sans distinction à l’ensemble des créanciers, quelle que soit la cause de préférence ayant pu leur être accordée antérieurement (§1).

Cette restriction aux droits et actions dont sont individuellement titulaires les créanciers est facilitée par une autre, relative cette fois à la reconnaissance de leur qualité propre. Les créanciers sont en effet regroupés au sein d’un groupement unique, ce qui a pour effet d’occulter totalement chaque spécificité individuelle (§2).

§1 - Le gel du passif

Notre droit des entreprises en difficulté comprend un certain nombre de mesures contraignantes et caractéristiques visant à paralyser les rapports déficitaires entretenus par le débiteur avec ses partenaires économiques. Celui-ci étant désormais publiquement en état de cessation des paiements, il convient dans un premier temps de geler la plupart de ses engagements en vue de mettre fin à la spirale de l’endettement. Ainsi, la période d’observation peut être conçue comme un moratoire général imposé aux créanciers à la

48 Bien sûr, la faculté ouverte à l’administrateur par l’art. L621-28 C. com. lui permet de recourir la continuation de contrats nécessaires voire simplement utiles à la poursuite de l’activité de l’entreprise. A l’opposé, des contrats, essentiellement à exécution successive, susceptibles d’engendrer un passif inopportun ou inutile au regard du redressement, pourront ainsi être écartés, ce qui participe bien d’une forme de gel du passif au sens large.

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faveur du débiteur, le gel du passif opérant de façon dynamique sur leurs relations d’affaires en cours (A).

Du point de vue des créanciers antérieurs, déjà impayés, le législateur a pris le parti de les regrouper au sein d’un groupement unique, en vue de leur faire subir toutes les conséquences néfastes découlant de l’ouverture de la procédure collective. Il s’agit de reconnaître l’intervention de ces créanciers en tant que tels dans la procédure. Le gel du passif présente ici un aspect statique car la formalité de la déclaration de créance permet aussi de fixer précisément la consistance du passif (B).

A - Suspension de l'exécution des obligations contractées par le débiteur avec l’ensemble de ses partenaires

Notre législateur a entendu ralentir le cours de l'endettement du débiteur en élaborant une réglementation impérative qui trouve à s’appliquer de plein droit, dès lors que certains critères relatifs à la personne du débiteur ainsi qu’à sa situation financière sont remplis49. Cette législation est d’ordre public, justifiée par des impératifs spécifiques, et prime les autres branches du droit: sont ainsi mis entre parenthèses, le droit commun des contrats, des baux, des voies d'exécution, mais aussi et surtout le droit du crédit.

A ce titre, on peut effectuer une mise en parallèle d’une part des objectifs poursuivis par la réglementation de 1985 avec d’autre part les impératifs guidant le législateur de 1967. Un lien significatif se dégage entre l’objectif poursuivi et l’ampleur des restrictions apportées au droit des sûretés par la procédure collective.

Mais, il convient d’abord de bien resituer notre propos : il est indiscutable que la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 a pour la première fois dans l’histoire des procédures collectives, opéré la distinction fondamentale entre le sort de l’homme et celui de son entreprise. Bien sûr, cette attention nouvelle portée à l’outil économique s’est traduite par une certaine restriction aux droits des créanciers, par rapport à ceux qui leur étaient reconnus par les législations antérieures qui avaient pour seul objectif d’opérer une saisie collective des biens du débiteur à leur profit exclusif.

Quoiqu’il en soit, l’ampleur de la détérioration du sort des créanciers effectuée sous l’empire du dispositif de 1985 est sans commune mesure avec celle qui avait cours antérieurement. Ainsi, sous l’empire de la réglementation de 1967, certains créanciers titulaires de sûretés se voyaient octroyer l’immense faveur de participer à la procédure collective en restant exclus de la masse, ce qui les épargnait de toute restriction apportée aux droits des créanciers antérieurs. C’est dire que certaines sûretés avaient droit de cité, et le droit du crédit se voyait dans une certaine mesure épargné, nonobstant l’objectif de redressement. 49 Il convient cependant d’observer que la distinction traditionnelle entre traitement préventif et traitement judiciaire des difficultés, reposant sur la notion de cessation des paiements, est en passe d’être bouleversée par le projet de réforme actuellement en discussion au Parlement. Celui-ci prévoit en effet l’applicabilité d’une procédure judiciaire dite de « sauvegarde » en amont de la cessation des paiements, lorsque le débiteur « justifie de difficultés susceptibles de conduire à la cessation des paiements ». Certains auteurs ont ainsi pu parler de « redressement judiciaire préventif » : G. Teboul, Le projet de loi de sauvegarde des entreprises du 26 janvier 2004, P.A., 13 fév. 2004, n° 32.

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La situation est tout à fait différente en droit actuel : l’apurement du passif est aujourd’hui consacré comme un impératif résiduel face à celui de sauvegarder l’activité et l’emploi50. De ce point de vue, le fait d’accorder la moindre dérogation au principe du traitement collectif est immanquablement de nature à nuire au redressement de l’entreprise. Toute cause de préférence est ainsi occultée ; les créanciers titulaires de sûretés réelles voient leurs droit de suite et/ou de préférence paralysés, lorsqu’ils ne sont pas radicalement supprimés. De ce fait, les prévisions relatives à leurs échéances de remboursement plongent dans l’incertitude et les conditions d’octroi de crédit se durcissent durablement. Un éminent auteur a ainsi pu à juste titre intituler son commentaire du dispositif de 198551 : « Le crédit menacé ».

En premier lieu, il convient d’évoquer le régime applicable aux contrats en cours d’exécution au jour de l’ouverture de la procédure52, qui ouvre la faculté à l’administrateur d’opérer un tri relatif aux engagements contractés par le débiteur.

Les contrats apparaissant comme peu utiles à la poursuite de l’activité, qui imposent des charges excessives au regard des contre-prestations obtenues par le débiteur se verront ainsi résiliés ; les sûretés réelles étant pour la plupart accessoires à ceux-ci, elles seront éteintes avec ceux-ci. Lorsque l’exécution de certains contrats présente un intérêt certain pour le redressement de l’entreprise, le cocontractant ne pourra pas juridiquement se dégager d’une convention qui, en sa défaveur, a déjà fait l’objet d’inexécutions partielles ou totale, et dont l’avenir parait fortement compromis de son point de vue.

Que le cocontractant dispose d’une sûreté réelle ou d’un privilège spécial, la situation est rigoureusement identique à celle imposée aux créanciers contractants démunis de toute cause de préférence. En cas de continuation, aucun d’entre eux ne pourra faire valoir un droit préférentiel. Leur seul rôle consiste à poursuivre l’exécution d’un contrat sans même pouvoir se prévaloir de l’exception d’inexécution qui découle pourtant de l’interdépendance des obligations au sein de tout contrat synallagmatique.

En second lieu, la règle de l’arrêt des poursuites individuelles53 apparaît comme l’un des fondements même de la réglementation. En témoigne, son caractère d’ordre public tant en droit interne qu’en droit international54. La notion de procédure collective se définit notamment au travers de ses caractères collectif et égalitaire. Ceux-ci s’opposent radicalement à toute forme de traitement particulier qui permettrait à tout créancier d’agir individuellement en vue de mettre en oeuvre des modalités préférentielles de recouvrement de sa créance, tant quant à son délai qu’au regard de son montant. Le mécanisme de l’arrêt des poursuites

50 Art. L620-1 C. com. : « Il est institué une procédure de redressement judiciaire destinée à permettre la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’emploi et l’apurement du passif ». 51 M. Vasseur, Le crédit menacé, brèves réflexions sur la nouvelle législation relative aux entreprises en difficulté, J.C.P. G. 1985. I. 3201. 52 Art. L621-28 al. 1er C. com. : « L’administrateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. Le contrat est résilié de plein droit après une mise en demeure adressée à l’administrateur restée plus d’un mois sans réponse. Avant l’expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir à l’administrateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour prendre parti ». 53 Art. L621-40 al. 1er C. com. : « I. - Le jugement d’ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant: 1° A la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ; 2° A la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. II. - Il arrête ou interdit également toute voie d’exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles. III. – Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence suspendus ». 54 1ère civ., 8 mars 1988, D. 1989. 577, n. Robert ; 1ère civ., 5 fév. 1991, Bull. civ. I, n° 44, p. 28.

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individuelles peut donc être considéré comme consubstantiel à la notion de procédure collective.

Quoiqu’il en soit, l’application de cette règle est susceptible de présenter deux aspects regrettables : d’une part, les risques de faillites en chaîne se voient accrus, car ce sont parfois des créanciers en situation déjà obérée qui se verront imposer un report d’échéance, ce qui pourra avoir pour effet de les plonger dans l’état de cessation des paiements. D’autre part, l’effet anti-concurrentiel que peut revêtir ce mécanisme est indéniable. L’arrêt des poursuites individuelles est en effet susceptible de permettre à certaines entreprises de se maintenir sur le marché en imposant une concurrence féroce aux autres opérateurs, tout en s’affranchissant des obligations et des charges qui leurs incombent quotidiennement.

Trois effets positifs sont traditionnellement attachés à la règle. D’abord, elle garantit le respect du principe d’égalité des créanciers au sein de la procédure, principe qui impose, rappelons-le, un traitement similaire des seuls créanciers se trouvant dans une situation identique. Le jeu de cette règle permet de déroger au droit commun imposant que le paiement soit le prix de la course, pour élaborer des modalités de paiement analogues au profit de créanciers placés dans la même situation. Ensuite, la règle facilite l’organisation de la procédure, en concentrant entre les mains d’un mandataire de justice, le représentant des créanciers ou le liquidateur selon la procédure adoptée, l’ensemble des actions relevant de leur intérêt collectif. Enfin et surtout, le mécanisme permet l’élaboration réfléchie d’un plan de redressement, en évitant que les biens nécessaires à la poursuite de l’activité du débiteur ne soient vendus précipitamment dès le début de la période d’observation.

Sont notamment interrompues ou interdites, les actions tendant à l’exercice ou à la poursuite d’une voie d’exécution, dans la mesure où une saisie pourrait priver l’entreprise d’un bien nécessaire à la poursuite de son activité.

Favorable au redressement, cette mesure est tout à fait nuisible aux intérêts des créanciers privilégiés ou titulaires de sûretés réelles bénéficiant traditionnellement d’un droit de suite : comme nous l’avons évoqué en introduction, ce droit de suite leur permet en droit commun de saisir le bien objet de leur droit réel, quel qu’en soit le possesseur, en vue du recouvrement de leur créance. Du fait de l’arrêt des poursuites individuelles, ce droit est totalement paralysé pendant toute la durée de la période d’observation. De même, le créancier gagiste verra sa faculté d’attribution judiciaire suspendue du fait de l’ouverture de la procédure judiciaire de son débiteur.

La règle prévue par l’art. L621-40 C. com. a vocation à la généralité et s’impose à tous les créanciers, du moment que leur titre a pris naissance avant le jugement d’ouverture. Aucune exception n’a été prévue par le législateur en faveur des créanciers titulaires de sûretés réelles spéciales. Pourtant, ces créanciers bénéficient en principe d’un droit préférentiel sur la valeur économique d’un bien qui devrait leur permettre de se l’attribuer à leur profit exclusif. Il n’en est rien en procédure collective.

Autre mesure justifiée par le principe d’égalité des créanciers est l’interdiction des inscriptions de sûretés prévue par l’art. L621-50 C. com.55. Cette disposition a pour objet de compléter l’interdiction sans autorisation du juge-commissaire des constitutions de sûretés sur les biens du débiteur à compter du jugement d’ouverture. Ce dispositif, prévu par l’art. L621-

55 Art. L621-50 al. 1er C. com. : « Les hypothèques, nantissements et privilèges ne peuvent plus être inscrits postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire ».

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24 C. com.56, ne vise que les constitutions de sûretés postérieurement à l’ouverture de la procédure collective. Il n’aurait qu’une portée limitée et romprait l’égalité entre les créanciers, s’il était permis à certains d’entre eux, ayant pris une sûreté réelle avant le jugement d’ouverture, de la publier, et ainsi de la rendre opposable erga omnes postérieurement à celui-ci.

Ce dispositif, satisfaisant du point de vue du respect des caractères collectif et égalitaire de la procédure, peut cependant être analysé comme un facteur de complication de la procédure, en raison de ses difficultés d’application pratiques : la plupart du temps, en matière hypothécaire, le conservateur des hypothèques ignore l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du débiteur, faute de lire le B.O.D.A.C.C. quotidiennement. Il ne pourra donc refuser d’inscrire la sûreté au jour où celle-ci lui sera demandée, mais devra l’annuler postérieurement.

En vue de limiter l’insécurité juridique vécue par ces créanciers s’étant vus antérieurement consentir une sûreté et subissant le risque de ne pas pouvoir l’inscrire du fait de l’ouverture de la procédure, un auteur57 a pu proposer de leur accorder un bref délai en vue de satisfaire à cette exigence de publicité. Le législateur n’a pas prospéré dans cette voie, se concentrant exclusivement sur la préservation de l’intérêt de l’entreprise en difficulté.

Par ailleurs, cette regrettable insécurité juridique se ressent aussi au niveau de la pratique notariale. Ainsi, en cas de prêt garanti par une hypothèque, les notaires prennent la précaution de ne remettre les fonds à l’emprunteur qu’après l’inscription de l’hypothèque, et non pas dès le jour de signature du contrat de prêt, date à laquelle la sûreté est pourtant consentie.

Autre mesure permettant au débiteur de bénéficier du moratoire général lors de l’ouverture d’une procédure collective est l’arrêt du cours des intérêts58. Si certains ont pu justifier cette mesure par le respect du principe d’égalité, y voyant un moyen d’éviter qu’une éventuelle prolongation de procédure ne profite indûment à certains créanciers qui auront stipulé des taux plus élevés que d’autres dans leur contrat, il nous semble que cet argument ne puisse emporter l’adhésion : en effet, l’égalité des créanciers n’a par définition qu’un caractère relatif, et n’impose aucunement de traiter de façon identique des créanciers titulaires de droits différents.

Bien sûr, cette mesure constitue une mesure de simplification relative à la détermination du passif du débiteur. La dette d’intérêts intervenant dans le temps de façon successive, une évaluation précise du passif s’avèrerait irréalisable faute de connaître, lors de l’ouverture de la procédure, la date exacte de remboursement des créances déclarées et admises. Par ailleurs, cette mesure limite incontestablement le montant du passif procédural, et facilite de facto le redressement du débiteur. Là encore, le créancier privilégié ayant octroyé un prêt à court terme recevra un traitement identique à celui imposé aux créanciers chirographaires en la matière. 56 Art. L621-24 al. 2 C. com. : « Le juge-commissaire peut autoriser le chef d’entreprise ou l’administrateur à faire un acte de disposition étranger à la gestion courante de l’entreprise, à consentir une hypothèque ou un nantissement ou à compromettre à transiger ». 57 Y. Guyon, Droit des affaires, T. 2, Entreprises en difficulté, redressement judiciaire, faillite, Economica 9e éd. 2003, n° 1243. 58 Art. L621-48 al 1er C. com. : « Le jugement d’ouverture du redressement judiciaire arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu’il ne s’agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d’un paiement différé d’un an ou plus. Les cautions et coobligés ne peuvent se prévaloir des dispositions du présent alinéa ».

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Enfin, nous ne pouvons clore ce développement sans évoquer l’abrogation de la déchéance du terme effectuée par la loi de 198559. Auparavant, la déchéance du terme consenti en faveur du débiteur revêtait un certain caractère infâmant, car on considérait que du fait de son état de cessation des paiements, celui-ci ne méritait plus de bénéficier de l’application de dispositions contractuelles favorable à ses intérêts. Cette règle présentait cependant l’inconvénient majeur de grossir considérablement le volume du passif dès l’ouverture de la procédure. Son abrogation a donc présenté un intérêt significatif en matière de redressement, car il est toujours plus facile d’apurer un passif étalé dans le temps, plutôt qu’un volume écrasant dès l’ouverture de la procédure.

A cette identité de traitement des actes juridiques passés par le débiteur avec ses cocontractants privilégiés ou simplement chirographaires, correspond un regroupement de la collectivité des créanciers en tant que personnes juridiques prises en leur qualité, abstraction faite de toute cause de préférence pouvant être avancées (B).

B - Déclaration de créance : admission de tous les créanciers au sein d’un groupement unique

La déclaration de créance peut s’analyser comme la formalité permettant à tout créancier de s’insérer au sein du groupement. Cette « porte d’entrée » illustre bien le souci du législateur d’isoler l’ensemble des créanciers, fussent-ils privilégiés, au sein d’une collectivité unique, en vue de traiter leurs intérêts par contre-pied à celui de l’entreprise en difficulté. On peut penser à un jeu de vases communicants, toute mesure visant à faciliter la restauration de la viabilité financière du débiteur pouvant s’analyser en un nouveau sacrifice imposé au groupement. Inversement, toute mesure visant à satisfaire, ne serait-ce que de façon isolée, l’intérêt pécuniaire d’un créancier s’analyse en un obstacle de taille posé au redressement.

La nature juridique de la déclaration de créance apparaît comme ambiguë. Un éminent spécialiste lui assigne d’ailleurs une double nature60 : celui-ci met d’abord en exergue son aspect juridictionnel en présentant les nombreuses similitudes qu’elle présente avec une véritable demande en justice telle que réglementée par notre nouveau Code de procédure civile. Ce propos est ensuite nuancé par certains de ses aspects administratifs qui lui confèrent une originalité indiscutable. On a ainsi pu s’accorder à la considérer comme le préalable nécessaire à la véritable demande qui sera ensuite présentée par le représentant des créanciers61.

L’obligation de produire62 pèse de manière générale sur tous les créanciers antérieurs, à l’exception des salariés dont la créance de salaire, de nature alimentaire, suit un régime de faveur. Celle-ci manifeste l’intention de tout créancier de participer aux opérations

59 Art. L621-49 C. com. : « Le jugement d’ouverture du redressement judiciaire ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé. Toute clause contraire est réputée non écrite ». 60 B. Soinne, La double nature de la déclaration de créances, Banque, 1993. 94. 61 Y. Guyon, Droit des affaires, T. 2, Entreprises en difficulté, redressement judiciaire, faillite, Economica 9e éd. 2003. 62 Cette terminologie était employée sous l’empire de la législation de 1967.

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d’apurement du passif au sein de la procédure collective. Toutes les créances ayant un fait générateur antérieur à l’ouverture de la procédure doivent être déclarées, qu’elles soient indistinctement chirographaires ou privilégiées, établies par un titre ou non, à terme, certaines ou conditionnelles, litigieuses voire même éventuelles. L’objet de ce dispositif est clair, il s’agit de rassembler en un groupement unique, l’ensemble du passif né et à naître du débiteur en vue de l’évaluer. Aucun traitement dérogatoire n’est prévu au profit des créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges spéciaux en la matière.

Ce passif en cours d’évaluation ne peut être composé que de créances de somme d’argent63, ce qui inclut les sommes pouvant résulter de l’inexécution d’une obligation de faire ou de ne pas faire64.

Les modalités de la déclaration de créances font l’objet d’un contentieux inépuisable depuis l’entrée en vigueur du dispositif de 1985. Celle-ci pourra bien entendu être effectuée par le créancier lui-même dans le cas d’une entreprise individuelle ou d’une société en participation, ou alors par le représentant légal de la personne morale lorsque l’activité est exercée au travers d’une structure sociétaire.

Mais les nombreuses contestations qui ont eu, et ont encore aujourd’hui cours devant les tribunaux sont relatives au pouvoir dont doit disposer le déclarant à qui cette mission a été confiée : selon la jurisprudence actuelle, la déclaration pourra être effectuée par un préposé bénéficiant d’une délégation de pouvoirs régulière, antérieure à la déclaration65 et expresse66. D’autre part, la déclaration pourra être effectuée par un avocat, voire même un huissier de justice67 disposant d’un mandat ad litem qui devra alors être produit dans le délai de déclaration.

La sévérité entourant ces modalités de déclaration, à laquelle sont soumis, rappelons-le, tous les créanciers antérieurs, est aggravée par l’existence de délais préfix encadrant la déclaration. Les créanciers chirographaires ou titulaires de droits réels occultes sont en principe68 astreints à un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au B.O.D.A.C.C. 69.

Le législateur a cependant entendu assouplir cette condition de délai en faveur des créanciers titulaires de sûretés ou de contrats de crédit-bail publiés. Ce délai ne court, à leur égard, qu’à compter de la réception de l’avertissement du représentant des créanciers70. Il est en effet prévu que celui-ci les avertisse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception71.

63 Art. L621-44 C. com. : « La déclaration porte le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture avec indication des sommes à échoir et la date de leurs échéances. Elle précise la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie ». 64 En vertu de l’art. 1142 C. civ., même si elle n’est qu’éventuelle, leur inexécution se résout en dommages-intérêts. 65 Com. 22 oct. 1996, Bull. civ., IV, n° 248. 66 Com. 9 juin 1998, Bull. civ., IV, n° 183 ; P.A. 14 avril 1999, p. 10, n. Paulet. : L’octroi des « pouvoirs les plus étendus pour engager la banque » n’est pas suffisant si celui de déclarer n’est pas expressément spécifié. 67 Com. 13 nov. 2002, J.C.P. E. 2003. pan. 20. 68 Comme nous le savons, des dérogations peuvent être apportées à ce principe : c’est notamment le cas lorsque le contrat en cause, soumis au régime de la continuation des contrats en cours de l’art. L621-28 C. com. a ensuite fait l’objet d’une résiliation en cours de période d’observation. Des délais plus favorables ont aussi été prévus en faveur de l’A.G.S., subrogée dans les droits des salariés, ou encore des créanciers domiciliés hors de la France métropolitaine. 69 Art. 66 al. 1er D. 70 Art. L621-46 al. 2 C. com. : « La forclusion n’est pas opposable aux créanciers mentionnés dans la seconde phrase du premier alinéa de l’article L.621-43, dès lors qu’ils n’ont pas été avisés personnellement ». 71 Art. L621-43, L621-46 al. 2 C. com. et Art. 66 D.

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Toutefois, la jurisprudence a considérablement assoupli la portée de cette obligation d’information mise à la charge du représentant des créanciers, restreignant par là même les droits de ces créanciers titulaires de sûretés publiées ou de contrats de crédit-bail publiés : la jurisprudence ne le soumet pas à l’obligation, pourtant minimale au regard de l’esprit des textes, de consulter certains registres tels la conservation des hypothèques, le registre des inscriptions sur fonds de commerce, ou encore le registre des opérations de crédit-bail. Il doit seulement interroger l’administrateur et exploiter les informations obtenues72.

Par ailleurs, la preuve d’une déclaration écrite et régulière, dont la charge pèse sur le créancier73, est examinée par les juges avec une sévérité remarquable.

D’abord, un arrêt du 18 janvier 200074 illustre une certaine incohérence relative à l’intégration de certains créanciers au sein de la procédure collective : la lettre adressée par le représentant des créanciers aux créanciers en vue de recueillir leur accord sur la proposition de règlement des dettes ne vaut pas preuve de la déclaration de créance. Cette solution est tout à fait regrettable : comme nous l’avons vu plus haut, la formalité de déclaration de créance constitue une sorte de prise en compte par la procédure collective du créancier en sa qualité. Selon nous, le fait pour un mandataire de justice, en l’espèce le représentant des créanciers, de recueillir un accord de leur part en matière de reports d’échéance, consacre, voire confirme une telle reconnaissance. Le point de vue des magistrats saisis du litige est tout autre : la consultation des créanciers par le représentant ne constitue qu’une simple présomption.

La position de la jurisprudence en la matière est exagérément formaliste, et conduit à exiger de tout créancier, privilégié ou non, l’envoi des déclarations par lettre recommandée avec accusé de réception.

Cette solution, dégagée à la faveur exclusive du débiteur, peut s’avérer de nature à l’inciter à détourner la procédure de sa finalité. En écartant de ce fait certaines créances inquiétantes, le débiteur aurait ainsi l’opportunité de se retrouver immédiatement in bonis en n’ayant à supporter aucune contrepartie. Ce comportement pourrait selon nous accueillir la qualification de l’abus de droit. Cette notion évoque la situation dans laquelle le simple exercice d’un droit subjectif, dans des conditions tout à fait normales peut conférer un pouvoir de nuire à autrui et justifie ainsi son caractère fautif75. La procédure de redressement judiciaire étant aujourd’hui qualifiée par la jurisprudence de bénéfice pour le débiteur, l’observation méritait d’être avancée.

L’arrêt du 20 février 200176 est lui aussi révélateur de la volonté de limiter le passif procédural par une négation radicale des droits de certains créanciers titulaires de sûretés réelles.

Dans cette espèce, l’avocat de la banque créancière avait envoyé une lettre au représentant des créanciers, lettre contenant les précisions suivantes : « ma cliente, la banque… est créancière hypothécaire de la société… sur un bien… la créance vous a été déclarée le 30 mai 1994 et s’élève, sauf mémoire, à 17 191 424, 21 frcs… ». La banque avait sollicité un relevé de forclusion, accordé par le juge-commissaire, mais objet d’une procédure d’opposition, intentée à l’initiative du débiteur, lui-même intéressé à son rejet. Cette procédure sera accueillie par les juges du fond, confirmés au stade du pourvoi. Sans chercher à prendre en considération

72 Com. 23 mai 2000, Bull. civ., IV, n° 109 ; J.C.P. E. 2000. 1140, n. Le Corre ; Com. 20 juin 2000, Bull. civ., IV, n° 128. 73 Com. 7 juill. 1998, Soinnejuris 30626. 74 Com. 18 janv. 2000, Rev. dr. banc. fin. 2000, n° 21, p. 177. 75 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil, les obligations, Précis Dalloz 7e éd. 1999, n° 708. 76 Com. 20 fév. 2001, Soinnejuris 43314.

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certaines circonstances de fait de nature à justifier le retard de la production, la Cour de cassation se borne à relever que celle-ci résultait d’un manque de diligence de la part de la banque. Ensuite, la Cour fait observer que la lettre rédigée par le conseil de l’établissement de crédit n’a pas manifesté la volonté claire et expresse de déclarer sa créance et d’obtenir le paiement de celle-ci. Enfin, elle se voue à l’appréciation des juges du fond qui ont souverainement considéré, par décision motivée, qu’il n’était pas prouvé que la défaillance de la banque n’était pas due à son fait.

Ces solutions sont incontestablement de nature à faciliter les dérives, sans pour autant

assouplir le traitement radical réservé aux créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges au sein de la procédure.

Comme nous l’avons observé en introduction, le droit de rétention pris isolément ne remplit pas les critères de qualification d’une sûreté stricto sensu : en conséquence, il n’aura pas à être déclaré en tant que tel pour produire ses effets en cours de procédure.

Cependant, par un arrêt du 8 juin 199977, la haute Cour s’est prononcée en faveur d’une nouvelle limitation apportée à la sécurité juridique des titulaires de cette prérogative défensive, en jugeant que le droit de rétention devrait, nonobstant sa nature juridique, faire l’objet d’une déclaration lorsqu’il apparaît comme l’accessoire d’une sûreté. Ainsi, le créancier-gagiste78 devrait déclarer son droit de rétention à la procédure pour ne pas en perdre le bénéfice. Il en est de même pour le commissionnaire de transport79 qui perd son droit de rétention, conséquence de son privilège spécial mobilier, en cas de déclaration à titre chirographaire80.

Cette solution nous semble cependant devoir être circonscrite au seul cas du commissionnaire : l’arrêt ci-dessus rapporté a été rendu sous l’empire de la législation précédant la réforme de la matière opérée par une loi du 6 février 1998. La reconnaissance de ce privilège était alors consubstantielle à l’existence d’un droit de rétention, puisque le privilège ne pouvait jouer que dans la mesure où le commissionnaire était entré en possession des biens qui lui avaient été confiés81. Même si le nouveau texte confond encore sur certains points le droit de rétention avec le privilège, les conditions d’existence de ce dernier ont été considérablement assouplies, celle-ci se voyant désormais détachée de toute condition relative à la possession des marchandises.

Il conviendra donc de prêter une attention toute particulière à l’évolution de la jurisprudence relative à la déclaration de créances assorties d’un droit de rétention, car il n’est pas certain que la solution applicable au privilège du commissionnaire de transport en la matière soit transposable de manière générale à toute sûreté assortie d’un droit de rétention.

Enfin, l’exceptionnelle gravité de la sanction assortissant le défaut de déclaration de créance rend encore compte de cette volonté exacerbée de limiter le passif procédural. L’art.

77 Com. 8 juin 1999, J.C.P. G. 2000. I. 209, n° 18, obs. Delebecque ; R.T.D. Com. 1999. 968, obs. Martin-Serf. 78 Art. 2082 al. 1er C. civ. : « Le débiteur ne peut, à moins que le détenteur du gage n’en abuse, en réclamer la restitution qu’après avoir entièrement payé, tant en principal qu’ intérêts et frais, la dette pour sûreté de laquelle le gage a été donné ». 79 Art. L132-2 C. com. : « Le commissionnaire a privilège sur la valeur des marchandises faisant l’objet de son obligation et sur les documents qui s’y rapportent pour toutes ses créances de commission sur son commettant, même nées à l’occasion d’opérations antérieures. Dans la créance privilégiée du commissionnaire sont compris, avec le principal, les intérêts, commissions et frais accessoires ». 80 Com. 8 juin 1999, J.C.P. G. 2000. I. 209, n° 18, obs. Delebecque ; R.T.D. Com. 1999. 968, obs. Martin-Serf. 81 Com. 19 déc. 1995, Bull. civ. IV, n° 311.

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L621-46 al. 4 C. com.82 prévoit en effet l’extinction pure et simple de la créance non déclarée. Cette extinction est d’ordre public83, et concerne tant le principal de la créance que les intérêts et autres accessoires, y compris les sûretés dont elle peut être assortie. Cette sanction, s’analysant par ailleurs comme une exception inhérente à la dette84, pourra être avancée par la caution pour se voir définitivement libérée de son engagement. Ainsi, toute chance de recouvrement sera anéantie au détriment du créancier ne pouvant se prévaloir d’un relevé de forclusion85.

Précisons déjà que le relevé de forclusion ne permet au créancier de ne participer que pour l’avenir aux distributions auxquelles la procédure donnera lieu.

Par ailleurs, la jurisprudence ne facilite pas la tâche au créancier retardataire considéré comme fautif a priori, en effectuant une appréciation sévère des justifications proposées : ont par exemple été jugés inopérants le fait que le débiteur ait frauduleusement omis de mentionner le créancier dans la liste des créanciers, ou que le représentant des créanciers ait manqué à son obligation d’information86.

Il résulte de ces constatations qu’aucun traitement intermédiaire n’est réservé aux créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges spéciaux, ceux-ci se voyant dans le meilleur des cas accueillis au sein de la procédure collective, et par là même soumis à ses rigueurs, ou alors radicalement exclus, ne pouvant plus invoquer dans l’avenir un quelconque droit à l’encontre du débiteur. Ce traitement radical s’explique, comme nous l’avons vu, par une appréhension des créanciers, conçus comme un élément perturbateur du redressement.

Le projet de réforme tend à s’écarter de cette vision, recherchant une forme d’association de ceux-ci à l’objectif de redressement. En témoigne, la volonté des initiateurs du projet d’alléger les sanctions en matière de déclaration de créance, notamment en abrogeant les dispositions de l’art. L621-46 C. com. qui prévoit l’extinction de la créance en l’absence de relevé de forclusion. Par ailleurs, le dies a quo du délai de forclusion serait repoussé à la date de publication du jugement d’ouverture, et ne partirait plus du jour du jugement lui-même87. Il convient cependant de garder à l’esprit que nous sommes ici en pleine prospective juridique et que de nombreux arbitrages pourront substantiellement modifier le projet au cours de l’été.

La formalité de déclaration de créance permet l’admission, au sein de la procédure, des droits pécuniaires de tous les créanciers considérés en tant que tels. Cette reconnaissance formelle des intérêts des créanciers au sein d’un groupement unique (§2) a pu conduire certains auteurs, s’appuyant sur la théorie de la réalité de la personnalité morale, à contester la disparition de la masse des créanciers, figure emblématique de la législation de 1967. 82 Art. L621-46 al. 4 C. com. : « Les créances qui n’ont pas été déclarées et n’ont pas donné lieu à relevé de forclusion sont éteintes ». 83 Com. 23 nov. 1999, J.C.P. E. 2000. 752, n° 11, obs. Pétel ; R.T.D. Com. 2000. 719, obs. Martin-Serf ; P.A. 11 juill. 2000, n° 137, p. 27, n. Courtier ; R.P.C. 2002. 283, obs. Canet. 84 Com. 17 juill. 1990, Bull. civ., IV, n° 214 et 215 ; D. 1990. 494., n. Honorat. 85 Art. L621-46 al. 1er C. com. : « A défaut de déclaration dans les délais fixés par décret en Conseil d’Etat, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s’ils établissent que leur défaillance n’est pas due à leur fait. En ce cas, ils ne peuvent concourir que pour la distribution des répartitions postérieures à leur demande ». 86 Com. 7 déc. 1999, Bull. civ., IV, n° 222 ; J.C.P. E. 2000. 753, n° 13, obs. Cabrillac et Pétel ; R.T.D. Com. 2001. 226, obs. Martin-Serf. 87 G. Teboul, Le projet de loi de sauvegarde des entreprises du 26 janvier 2004, P.A., 13 fév. 2004, n° 32. ; J.-L. Vallens, Procédures collectives : commentaires de l’avant-projet de loi, Rev. Lamy Dr. aff. déc. 2003, n° 66, p.7.

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§2 - La pseudo disparition de la masse

Sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967, les créanciers antérieurs étaient regroupés de plein droit en une masse, institution dotée de la personnalité morale par la jurisprudence88, représentée par un syndic en vue de permettre l’exercice collectif de leurs droits. La loi de 1985, réformant en profondeur le dispositif, est restée silencieuse, tant au regard de son existence que des ses attributions. La portée de cette réforme fait encore aujourd’hui l’objet de querelles doctrinales.

Un premier courant s’accorde à ne reconnaître à celle-ci qu’un rôle relatif et purement technique. L’existence de la masse était justifiée dans le contexte de la loi de 1967 et des textes antérieurs qui permettaient à la collectivité des créanciers de décider des grandes orientations de la procédure dans son propre intérêt. Un auteur89 fait de plus remarquer que l’ordonnance de 1967 organisait déjà une procédure de redressement sans masse des créanciers. Son existence n’est cependant plus justifiée sous l‘empire de la loi de 1985, qui n’est orientée que subsidiairement vers la satisfaction de l’intérêt des créanciers, le tribunal, cette fois, procédant aux arbitrages dans l’intérêt exclusif du maintien de l’activité et des emplois. Ainsi, sa disparition ne devait pas provoquer de bouleversement fondamental.

D’autres auteurs estiment à juste titre que la masse constitue une notion consubstantielle au caractère collectif de toute procédure judiciaire. Cette doctrine s’appuie sur la théorie de la réalité de la personnalité morale dégagée par le célèbre arrêt de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation90 : ainsi, tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites dignes par suite d’être juridiquement protégés doit se voir reconnaître la personnalité morale. La collectivité des créanciers, qui a son organe, le représentant des créanciers, et de laquelle émane un intérêt collectif visé par de nombreux textes, doit dès lors bénéficier des attributs habituellement reconnus à toute personne morale. Ainsi, la loi de 1985 n’a pas pu supprimer une masse qui existe en dehors de toute intervention du législateur.

Comme le fait très justement remarquer un auteur91, il ne suffit pas de changer les étiquettes ou l’emballage pour modifier la nature des choses, ni de céder à la mode des expressions rassurantes et consensuelles pour transfigurer la réalité. Ainsi, la globalisation des intérêts des créanciers perdure dans notre législation comme une caractéristique substantielle de notre droit des entreprises en difficulté. Cependant, son expression et ses conséquences ont perdu leur fondement et leur cohérence avec la disparition de la masse.

Force est de constater aujourd’hui que de nombreuses solutions antérieures satisfaisantes ont été reconduites au travers de laborieux détours sémantiques, voire même d’acrobaties intellectuelles. Doivent à ce titre être mentionnées, une certaine forme de personnification de la procédure collective (A), ainsi qu’un fragile substitut à l’intérêt de la masse traduit par l’intérêt collectif des créanciers (B).

88 Com. 17 janv. 1956, D. 1956. 265, n. Houin. 89 Lemontey, La loi sur le redressement des entreprises, Banque, 1985. 666. 90 2e civ. 28 janv. 1954, J.C.P. G. 1954. II. 7958, concl. Lemoine. 91 A. Martin-Serf, L’intérêt collectif des créanciers ou l’impossible adieu à la masse, Mél. Honorat, p. 143.

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L’affectation particulière du produit de certaines actions en responsabilité visant à sanctionner certaines atteintes à l’égalité des créanciers confirme indiscutablement cette résurrection de la masse. Cependant, pour des raisons de commodité, elle ne sera pas développée à ce stade, dans la mesure où elle peut aussi être conçue comme une restriction drastique aux prérogatives des créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges spéciaux.

A – Les inopposabilités « à la procédure »

La sanction légale attachée au respect de certaines prescriptions contenues dans la loi de 1985 est originale, et difficile à justifier juridiquement. Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, sous l’empire de la législation de 1967, les créanciers étaient regroupés en une masse qui disposait de la personnalité morale. Bénéficiant ainsi de la personnalité juridique, la masse était juridiquement considérée comme un véritable sujet de droit, par hypothèse titulaire de droits et d’obligations lui permettant de ce fait de jouer un rôle dans l’activité juridique.

Ainsi les paiements qui étaient effectués par le débiteur en violation de l’égalité des créanciers étaient sanctionnés par l’inopposabilité à la masse des créanciers.

Par hypothèse, l’inopposabilité d’un acte peut se définir comme une sanction « relative », dans la mesure où sa validité entre les parties est indiscutable, alors que les tiers se voient dégagés de ses effets à leur égard. Le droit limite ainsi la portée de la sanction à ce qu’exige la sauvegarde du but poursuivi par la règle transgressée, en privant le contrat non pas de la totalité de ses effets, mais uniquement de ceux affectant les tiers. En d’autres termes, le rayonnement de l’acte en cause est limité aux seules personnes juridiques ayant été parties ou représentées quant à sa passation.

Aussi, la sanction de l’inopposabilité impose-t-elle nécessairement une référence à un sujet de droit ou à une catégorie de sujets de droit.

Supprimant la masse, le législateur a, sur certains points, tiré les conséquences de la disparition de sa personnalité juridique. En témoigne, la sanction attachée à un paiement effectué en violation de la réglementation relative aux actes passés en cours de période suspecte92 : abrogeant le régime des inopposabilités à la masse, le législateur a consacré la nullité de tels actes. On peut encore faire référence à la sanction attachée au paiement, après le jugement d’ouverture de la procédure, d’une dette antérieure à celui-ci. Là encore, un régime de nullité a été substitué à l’inopposabilité à la masse qui avait cours antérieurement.

Le régime des nullités se distingue de celui des inopposabilités par la sévérité le caractérisant. Nous évoquions plus haut les effets « relatifs » attachés à l’inopposabilité, l’acte conservant toute sa force contraignante à l’égard des parties contractantes. Au contraire, la

92 Art. L621-107 et L621-108 C. com.

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nullité a un caractère « absolu »93 qui entraîne l’anéantissement rétroactif de l’acte à l’égard de tous, c’est-à-dire tant entre les parties qu’à l’égard des tiers.

Cette sanction ne postule donc pas l’existence d’un sujet de droit à l’égard duquel les effets de l’acte pourraient varier. Ces observations nous conduisent à conclure que le choix opéré par le législateur, en faveur d’un régime de nullité visant à remplacer les inopposabilités antérieures est juridiquement justifié.

Cependant, le législateur de 1985 n’a pas pourvu à tout, restant notamment silencieux quant au sort des actes passés par le débiteur en liquidation judiciaire, en violation du dessaisissement de l’administration et de la disposition de ses biens qui le frappe. On a alors pu assister en la matière à une vive controverse doctrinale, s’apparentant en de nombreux aspects à la question de la sanction de la répartition des pouvoirs entre débiteur et l’administrateur en période d’observation. Certains auteurs94 plébiscitaient la nullité absolue, sanction classique de l’absence de pouvoir entachant la passation d’un acte. D’autres95, considérant que l’intérêt collectif des créanciers serait suffisamment protégé par un régime d’inopposabilité « à la procédure », se prononçaient en son sens.

La haute Cour, dans un arrêt de principe du 23 mai 199596, confirmé à plusieurs reprises depuis97, s’est prononcée en faveur de l’inopposabilité. Comme le fait très justement remarquer un éminent auteur98, on assiste ainsi à une personnification de la procédure collective. On attribue en effet la qualité de sujet de droit à une organisation qui n’est pourtant aucunement dotée de la personnalité juridique, dans le seul but d’assurer une certaine sanction à un acte. La « procédure collective », à laquelle il est fait référence dans l’expression « inopposabilité à la procédure » apparaît dès lors comme une forme de résurrection de la masse. L’inopposabilité doit donc ici s’entendre dans un sens spécifique, s’affranchissant de toute référence à la notion de sujet de droit, et donc fondamentalement distinct du droit commun régissant la formation des conventions.

Cette notion d’ « inopposabilité à la procédure » avait déjà été dégagée, d’une manière plus ou moins forcée, par les magistrats de la Cour de cassation, deux ans auparavant à propos du sort en procédure collective du preneur, d’un contrat de crédit-bail mobilier faisant l’objet d’une publicité irrégulière ou inexistante99. Il convenait en l’espèce de concilier le droit commun de la matière, régi par la loi du 2 juillet 1966 et le décret du 4 juillet 1972, avec la réglementation contraignante des entreprises en difficulté. Le droit commun sanctionne le défaut d’accomplissement des formalités de publicité dans les conditions formulées par le

93 Nous ne faisons ici nullement référence au caractère relatif ou absolu qui sous-tend traditionnellement notre droit des nullités. Par hypothèse, et c’est ce sur quoi porte exclusivement notre attention, la sanction attachée à une nullité, qu’elle soit indistinctement relative ou absolue, réside dans l’anéantissement rétroactif de l’acte. 94 Ripert et Roblot, t. 2, 14e éd. ; Y. Chartier, Droit des affaires, t. 3, Entreprises en difficulté, PUF, n° 282 ; M. Jeantin, Droit commercial, Précis Dalloz, 4e éd., n° 858 ; C. Saint Alary-Hoin, Droit des entreprises en difficulté, n° 1024, auteurs cités par F.D., n. sous Com. 23 mai 1995, D. 1995. 413. 95 Derrida, Godé, Sortais, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3e éd., n° 258 ; Chaput, Droit du redressement et de la liquidation judiciaires des entreprises, 2e éd. n° 270 ; Guyon, Droit des affaires, 4e éd., t. 2, n° 1306 ; Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, n° 328, auteurs cités par F.D., note sous Com. 23 mai 1995, D.1995.413. 96 Com. 23 mai 1995, D. 1995. 413., obs. F.D. ; J.C.P. G. 1996. I. 3896 ou J.C.P. E. 1995. I. 513, n° 7, obs. M.C. 97 Com. 12 juin 1997, R.P.C. 1997. 477, obs. Canet ; Com. 14 oct. 1997, D. 1998. Somm. 99, obs. Honorat. 98 M. Cabrillac, L’impertinente réapparition d’un condamné à mort ou la métempsychose de la masse des créanciers, Mél. Gavalda, p. 69. 99 Com. 16 mars 1993, D. 1993. 583, n. Derrida ; J.C.P. G. 1993. I. 3704 ou J.C.P. E. 1993. I. 277, n° 18, obs. M.C., cité par M. Cabrillac, L’impertinente réapparition d’un condamné à mort ou la métempsychose de la masse des créanciers, Mél. Gavalda, p. 69.

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décret par l’inopposabilité par le crédit-bailleur de son droit de propriété sur les biens en cause, sauf pour lui à établir que les intéressés avaient eu connaissance de ses droits.

Dans l’espèce en cause, le crédit-bailleur reprochait au mandataire de justice de ne pas lui avoir délivré la liste des créanciers au nom desquels il intentait une action en inopposabilité du contrat. Le crédit-bailleur aurait ainsi été mis à même, faute de faire face à un groupement autonome, de prouver la connaissance de son droit de propriété par certains des créanciers représentés par le liquidateur pour mettre partiellement en échec l’action en inopposabilité.

D’un point de vue juridique, cette argumentation, mettant à profit la disparition de la

personnalité juridique de la masse et le droit commun du crédit-bail, était irréprochable. Elle aurait cependant abouti à complexifier sans motif décisif le déroulement de la procédure en imposant de distinguer, au sein du groupement des créanciers, ceux à qui le contrat de crédit-bail aurait été opposable, des autres, en situation inverse. La Cour a donc, pour des raisons d’opportunité, ou plutôt d’inopportunité, consacré cette inopposabilité « à la procédure collective » en vue de mettre à la charge du crédit-bailleur cherchant à se prévaloir du contrat, la preuve de la connaissance de celui-ci par chacun des créanciers. Cette solution sera ultérieurement confirmée à de multiples reprises100.

Ainsi, dès lors qu’un seul d’entre eux est en mesure de se prévaloir de son ignorance pour mettre en échec la preuve de son droit par le crédit-bailleur, son droit de propriété sera déclaré inopposable à la collectivité toute entière, ainsi qu’au mandataire de justice chargé de la représentation de leur intérêt collectif (B).

B – La notion jurisprudentielle d’intérêt collectif des créanciers

Au lendemain de la réforme opérée par la loi de 1985, on pouvait légitimement se demander si la suppression de la masse, chargée traditionnellement de la représentation de l’intérêt collectif des créanciers, serait de nature à accroître leur pouvoir d’initiative individuel. Cette dérive n’aurait pas été souhaitable dans un objectif de redressement, objectif prioritaire poursuivi par la réforme.

Le législateur l’a bien compris, et a de ce fait ponctuellement inséré la notion d’intérêt des créanciers au sein de la législation101, ce qui permettra ensuite à la jurisprudence de s’appuyer sur cette notion pour reconduire un grand nombre de solutions antérieurement justifiées par les attributs de la masse.

C’est dans ce contexte que les magistrats de la Chambre commerciale ont pu délimiter les contours des prérogatives dévolues au représentant des créanciers pour la défense de leur intérêt collectif.

100 Com. 11 mai 1999, J.C.P. E. 1999. 1172., n. Crocq ; J.C.P. E. 1999. 1535, obs. Cabrillac, cités par F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ 5e éd. 2001, n° 288, n. 215. 101 Ainsi, l’art. L621-39 C. com. dispose que le représentant des créanciers a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt des créanciers. L’art. L622-10 C. com. subordonne le maintien de l’activité en liquidation judiciaire à l’intérêt des créanciers en alternative à l’intérêt public. L’art. L622-20 C. com. permet au liquidateur de compromettre et transiger avec l’autorisation du juge-commissaire sur toutes les contestations qui intéressent collectivement les créanciers. Enfin, l’art. L627-3 C. com. prévoit l’avance par le Trésor public des frais afférents aux actions intentées dans l’intérêt collectif des créanciers.

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C’est dans le célèbre arrêt Laroche102, rendu sous l’empire de la loi de 1967, que les

magistrats ont dégagé la notion de préjudice collectif de la masse, ancêtre de l’actuel préjudice collectif subi par les créanciers survivant à sa disparition. Cet arrêt de principe a mis fin aux hésitations antérieures103, en admettant la recevabilité de l’action en dommages-intérêts intentée par le syndic au nom de la masse contre toute personne, fut-elle créancière dans la masse, coupable d’avoir contribué par ses agissements fautifs à la diminution de l’actif ou à l’aggravation du passif.

Cette solution fut confirmée par l’arrêt Chaix104 dans lequel la Cour décida que le syndic avait seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt de tous les créanciers, sauf si l’un d’eux justifiait d’un préjudice spécial et d’un intérêt distinct de celui des autres.

La formule retenue dans l’arrêt Laroche sera reproduite à l’identique sous le régime de la loi de 1985 dans un arrêt du 16 novembre 1993105, substituant le représentant des créanciers au syndic.

La conservation de ces notions d’intérêt et de préjudice collectifs, critères de recevabilité et de monopole d’action du représentant des créanciers, en dépit de l’évolution des législations, témoigne d’un refus formel de reconnaître un pouvoir d’initiative individuelle accru au profit de certains créanciers. Leur collectivité est donc bien maintenue sur un même plan.

Cette persévérance à diluer la plupart des prérogatives individuelles reconnues aux créanciers dans la notion d’intérêt collectif se manifeste encore au regard du monopole absolu reconnu au mandataire en la matière106.

Bien sûr, restent recevables les actions relevant du droit commun de la responsabilité

civile délictuelle, ayant pour objet de réparer un préjudice distinct, purement personnel au créancier. Ce préjudice « ordinaire » peut consister dans le défaut de paiement de créances, ou encore dans le coût d’immobilisation de certaines d’entre elles.

A titre d’exemple, une Cour d’appel107 a ainsi accueilli la demande formulée par un établissement bancaire, se plaignant d’un préjudice personnel résultant du non respect par un tiers d’une promesse d’apporter les fonds nécessaires au redressement financier d’une entreprise, dès lors que cette promesse, faite personnellement à la banque, l’a conduite à accorder des crédits supplémentaires à l’entreprise mise par la suite en procédure collective.

Il convient de préciser que la notion d’intérêt collectif, c’est-à-dire l’intérêt de la

collectivité que constitue l’ensemble des créanciers, ne coïncide pas nécessairement avec la somme des intérêts particuliers de tous les créanciers108.

102 Com. 7 janv. 1976, D. 1976. 277, n. Derrida et Sortais ; J.C.P. G. 1976. II. 18327, n. Gavalda et Stoufflet ; Rev. soc. 1976. 126, n. Honorat. 103 Com. 2 mai 1972, D. 1972. 618, n. Pirovano ; J.C.P. G. 1972. II. 17170, n. J.-A., puis Com. 19 mars 1974, D. 1975. 124, n. Sortais et Com. 9 oct. 1974, Rev. soc. 1975. 245, n. Honorat. 104 Com. 31 mars 1978, D. 1978. 646, n. Derrida et Sortais. 105 Com. 16 nov. 1993, D. 1994. 57, n. Derrida et Sortais. 106 Art. L621-39 al. 1er C. com. : « Sans préjudice des droits reconnus aux contrôleurs, le représentant des créanciers désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt des créanciers ». 107 CA Versailles, 9 mai 1996, RJDA. 1996, n° 1392. 108 Com. 7 janv. 2003, D. 2003. 274, obs. Lienhard. L’arrêt précise que le mandataire ne peut agir dans l’intérêt personnel d’un créancier ou même d’un groupe de créanciers.

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La sévérité du monopole reconnu au mandataire en matière de sanction des atteintes portées à l’intérêt collectif des créanciers s’illustre encore à propos du rejet de l’action ut singuli intentée par un créancier109.

Traditionnellement, en droit des sociétés, l’action sociale ut singuli a pour objet de pallier à la carence du représentant d’une société, qui aurait dû intenter une action ut universi au nom de la personne morale en vue de réparer un préjudice subi par elle. L’espèce est quelque peu originale, il convient donc d’en rappeler les principaux traits.

Après avoir constaté la confusion des patrimoines de deux sociétés, un tribunal ouvrit le redressement judiciaire commun à ces sociétés en leur désignant un administrateur ainsi qu’un représentant des créanciers communs, ce dernier étant ensuite désigné en qualité de commissaire à l’exécution du plan, l’ancien administrateur étant désigné en qualité de liquidateur une fois la cession réalisée. Un associé et un créancier de l’une des deux sociétés demandèrent qu’une banque soit condamnée à réparer le préjudice causé aux créanciers en mettant des prêts importants à la disposition de cette société. Les mandataires de justice intervinrent volontairement à l’instance en s’associant aux demandes principales. En première instance, le tribunal déclara l’associé et le créancier irrecevables en leur action en réparation du préjudice collectif des créanciers ; il débouta aussi les mandataires de leur action en responsabilité à l’encontre de la banque. Ce jugement sera confirmé par la Cour d’appel de Nîmes, et le pourvoi ultérieur rejeté par la Cour de cassation.

La haute Cour, procédant par voie de substitution de motifs, ce qui ne laisse subsister

aucun doute sur la portée de principe de la décision, consacre donc l’irrecevabilité de l’action collective exercée ut singuli par un créancier. Cette solution se trouvait déjà en germe dans l’arrêt du 16 mars 1993110, développé plus haut, dans lequel il avait été jugé, pour des raisons de commodité technique, que seuls le représentant des créanciers, puis le liquidateur, ont qualité pour agir au nom et dans l’intérêt des créanciers, ce qui les dispense d’indiquer au nom de quels créanciers ils se présentent puisqu’ils agissent dans l’intérêt de tous.

L’arrêt du 3 juin 1997 restait cependant muet au sujet de la solution à adopter en cas de carence du mandataire dans la préservation de l’intérêt collectif des créanciers. De cette absence de motivation approfondie en la matière a résulté une dualité d’interprétations doctrinales : certains commentateurs ont en effet fait remarquer que le rejet de l’action menée par un associé et un créancier était justifié par le fait qu’en l’espèce, le représentant des créanciers s’était joint à l’action. Ainsi, en cas d’inaction de celui-ci, l’action ut singuli intentée à leur initiative devrait être accueillie111, comme c’était le cas sous l’empire de la loi de 1967. En sens contraire, d’autres auteurs112 sont convaincus de la généralité de l’exclusion de l’action ut singuli en raison de la disparition de la masse.

A ce propos, l’avant-projet de réforme rendu public par le ministère de la justice le 14

octobre 2003113 prévoyait que les créanciers désignés à leur demande comme contrôleurs se verraient reconnaître un droit d’agir, dans l’intérêt collectif des créanciers, aux lieu et place 109 Com. 3 juin 1997, D. 1997. 517, 1ère esp., n. Derrida ; J.C.P. E. 1997. II. 988, n. Behar-Touchais ; J.C.P. G. 1998. I. 111, n° 15, obs. Cabrillac ; Rev. dr. banc. et bourse 1997. 175., obs. Campana et Calendini ; R.P.C. 1998. 113, obs. Martin-Serf. 110 Com. 16 mars 1993, Bull. civ. IV, n° 106 ; D. 1993. 583, n. Derrida. 111 M. Behar-Touchais, n. sous Com. 3 juin 1997, J.C.P. E. 1997. II. 988 ; M.-J. Campana et J.-M. Calendini, obs. sur Com. 3 juin 1997, Rev. dr. banc. et bourse 1997. 175. 112 F. Derrida, n. sous Com. 3 juin 1997, D. 1997. 517, 1ère esp. ; M. Cabrillac, obs. sur Com. 3 juin 1997, J.C.P. G. 1998. I. 111, n° 15. 113 J.-L. Vallens, Procédures collectives : commentaire de l’avant-projet de loi, Rev. Lamy dr. aff. déc. 2003, n° 66.

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des mandataires judiciaires en cas de carence de ceux-ci. Cette orientation aurait permis de revaloriser l’institution des contrôleurs, et aurait ainsi préfiguré la création d’un véritable organe de surveillance, constitué sur le modèle que connaissent certaines législations étrangères. Il est cependant regrettable que cette intention n’ait pu surmonter les arbitrages menant au projet de loi de sauvegarde des entreprises du 26 janvier 2004114.

A l’évidence, ces solutions sont tout à fait inacceptables en ce qu’elles peuvent conduire à une absence de reconnaissance de la responsabilité de certains tiers. L’exagération du monopole des mandataires de justice ne permettrait, en cas de carence, que de substituer une hypothétique responsabilité personnelle du mandataire à celle du tiers dont la responsabilité ne serait ainsi pas poursuivie.

De plus, comme le remarque un éminent spécialiste115, même lorsque l’inertie du mandataire serait clairement fautive, la reconnaissance du monopole absolu du mandataire ferait obstacle à la mise en cause de sa responsabilité : par définition, le préjudice subi par les créanciers du fait de la défaillance du mandataire est commun à l’ensemble des créanciers. Ainsi, dans la logique de l’analyse de la Cour de cassation, l’action relèverait du monopole du mandataire. Une même personne aurait à la fois les qualités d’auteur et de victime du fait dommageable. Cette impasse pourrait être contournée en remplaçant le mandataire fautif par un nouveau mandataire, qui s’empresserait d’agir contre ce dernier en responsabilité dans l’intérêt collectif des créanciers116. Il faut cependant observer qu’un créancier n’a juridiquement aucun pouvoir d’imposer un changement de mandataire. Il ne peut que demander au juge-commissaire de saisir le tribunal en vue de remplacer le représentant des créanciers117 ou le liquidateur118.

Le raisonnement adopté par la jurisprudence à propos de l’irrecevabilité de l’action ut singuli, restreignant de façon significative et volontaire toute initiative individuelle des créanciers pour la défense de leurs droits au sein de la procédure, a été calqué en matière d’extension de procédure. Il a ainsi été jugé119 qu’à le supposer établi, le préjudice résultant d’un cas de fictivité ou de confusion des patrimoines, serait commun à l’ensemble des créanciers, et relèverait de ce fait du monopole du mandataire. La rigueur de cette solution est encore accrue par le rejet d’une telle action, dès lors que le préjudice est commun, nonobstant son exercice après la clôture de la liquidation, lorsque le mandataire n’est plus en fonction120.

114 G. Teboul, Le projet de loi de sauvegarde des entreprises du 26 janvier 2004, P.A. 13 fév. 2004, n° 32. 115 J.-L. Vallens, obs. R.T.D. Com. 2001. 243. 116 V. en ce sens, Com. 4 mars 2003, Bull. n° 37. 117 Art. L621-10 C. com. : « Le tribunal peut, soit d’office, soit sur proposition du juge-commissaire ou à la demande du procureur de la République, procéder au remplacement de l’administrateur, de l’expert ou du représentant des créanciers. Il peut adjoindre dans les mêmes conditions un ou plusieurs administrateurs ou représentants des créanciers à ceux déjà nommés. L’administrateur, le représentant des créanciers ou un contrôleur peut demander au juge-commissaire de saisir à cette fin le tribunal. Dans les mêmes conditions, le débiteur peut demander le remplacement de l’administrateur ou de l’expert. Les créanciers peuvent demander le remplacement de leur représentant. (…) ». 118 Art. L622-5 al. 1er C. com. : « Le liquidateur est remplacé suivant les règles prévues au deuxième alinéa de l’article L622-5. (…) ». Art. L622-5 al. 2 C. com. : « (…) [Le représentant des salariés] est remplacé dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article L621-10 ». Art. L621-10 C. com. : v. note n° 117. 119 Com. 15 mai 2001, Bull. civ., IV, n° 91 ; D. 2001. 1949, obs. Lienhard ; Com. 16 mars 1999, Bull. civ., IV, n° 67 ; D.A. 1999. 635, obs. A.L. ; J.C.P. E. 1999. 1529, obs. Cabrillac et Pétel ; D. 1999. Somm. 349, obs. Honorat. 120 Com. 28 mars 2000, R.P.C. 2002. 118, obs. Martin-Serf.

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Comme le fait justement remarquer un auteur121 en la matière, plus il y a de victimes, moins il y a de recours.

En dernier lieu, il convient de mettre en évidence le démantèlement du monopole reconnu au représentant des créanciers en faveur d’une cotitularité des actions d’intérêt collectif. On aurait en effet pu penser que dès lors qu’une action n’entrerait pas dans le champ de compétences reconnues au représentant des créanciers par le législateur, les créanciers pourraient bénéficier de façon résiduelle de l’ouverture de certaines actions à leur profit. Il n’en est rien : toutes les actions intentées dans l’intérêt collectif des créanciers engendrant un profit collectif sont à la disposition de tous les organes de la procédure.

Ainsi, le liquidateur, alter ego du représentant des créanciers, est en droit d’introduire toutes les actions qui relèvent de la compétence de ce dernier en vertu de l’art. L622-5 C. com.122 ; la situation du commissaire à l’exécution du plan est comparable à celle du liquidateur, l’art. L621-68 C. com.123 prévoyant que les actions introduites avant le jugement arrêtant le plan par le représentant des créanciers sont poursuivies par le commissaire à l’exécution du plan. En la matière, la jurisprudence est allée plus loin que le législateur en autorisant cet organe à engager ab initio des actions dans l’intérêt collectif des créanciers124. Par ailleurs, les actions en nullité de la période suspecte peuvent, selon l’art. L621-110 C. com.125, être indistinctement être exercées par le représentant des créanciers, le liquidateur, l’administrateur ou le commissaire à l’exécution du plan. Les actions patrimoniales exercées contre les dirigeants peuvent être exercées par le tribunal saisi d’office126 ou les quatre mandataires ci-dessus mentionnés. Enfin, en ce qui concerne l’action civile relative à la banqueroute et les autres infractions pénales prévues aux chapitres I et II du titre VII de la loi de 1985, l’art. L626-16 C. com.127 dispose que la juridiction répressive est saisie sur constitution de partie civile de l’administrateur, du représentant des créanciers, du représentant des salariés, du commissaire à l’exécution du plan ou du liquidateur.

A l’issue de ces développements, l’ensemble de notre dispositif de traitement des difficultés des entreprises a été conçu pour limiter autant que possible les impulsions pouvant 121 Pérochon, Bonhomme, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ 6e éd. 2003, n° 149-2. 122 Art. L622-5 al. 3 C. com. : « Le liquidateur procède aux opérations de liquidation en même temps qu’il achève éventuellement la vérification des créances et qu’il établit l’ordre des créanciers. Il poursuit les actions introduites avant le jugement de liquidation soit par l’administrateur, soit par le représentant des créanciers, et peut introduire les actions qui relèvent de la compétence du représentant des créanciers ». 123 Art. L621-68 al. 2 C. com. : « Les actions introduites avant le jugement qui arrête le plan, soit par l’administrateur, soit par le représentant des créanciers, sont poursuivies par le commissaire à l’exécution du plan ». 124 Com. 12 juill. 1994, Bull. civ. IV, n° 265 ; D. 1995, somm. 1, obs. Derrida : le commissaire à l’exécution du plan est compétent pour prendre l’initiative d’agir en responsabilité contre une banque qui avait fourni des crédits excessifs au débiteur. 125 Art. L621-110 C. com. : « L’action en nullité est exercée par l’administrateur, par le représentant des créanciers, par le liquidateur ou par le commissaire à l’exécution du plan. Elle a pour effet de reconstituer l’actif du débiteur ». 126 Art. L624-6 C. com. : « Dans les cas prévus aux articles L.624-3 à L.624-5, le tribunal se saisit d’office ou est saisi par l’administrateur, le représentant des créanciers, le commissaire à l’exécution du plan, le liquidateur, ou le procureur de la République ». 127 Art. L626-16 C. com. : « La juridiction répressive est saisie soit sur la poursuite du ministère public, soit sur constitution de partie civile de l’administrateur, du représentant des créanciers, du représentant des salariés, du commissaire à l’exécution du plan ou du liquidateur ».

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potentiellement émaner des créanciers. Ainsi, les créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges spéciaux apparaissent, autant que les autres, comme des créanciers soumis au dirigisme de la procédure. Les solutions précédemment évoquées reposent sur la nature même de la procédure de redressement judiciaire : celle-ci implique nécessairement un regroupement des créanciers qui engendre par lui-même un intérêt collectif devant faire l’objet d’une représentation.

Nos créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges spéciaux sont donc bien soumis au dirigisme de la procédure collective : nous avons vu dans un premier temps que cette soumission peut concerner sa discipline, examinons maintenant ses foudres (Section 2).

SECTION II – LIMITATIONS DRACONIENNES AUX PREROGATIVES SPECIFIQUES RECONNUES A CERTAINS TITULAIRES DE SURETES

La méthode employée en vue de redresser les entreprises en difficulté repose sur un postulat simple : limiter au maximum les sorties de fonds et en accroître les rentrées.

Observons à ce titre que fondamentalement, la mise en œuvre de tout droit réel conférant un droit de préférence, de suite voire même une simple priorité de paiement, impose la réalisation d’un actif du débiteur. Une telle réalisation entre dès lors en contradiction manifeste avec l’impératif de minimiser les sorties de fonds de l’entreprise et apparaît de nature à nuire au redressement. Nous avons ainsi pu observer dans la première section que paralyser les initiatives individuelles des créanciers privilégiés permet de lutter efficacement contre un démantèlement des actifs de l’entreprise.

Intéressons-nous maintenant au second pan de notre postulat pour montrer que paralyser le jeu des sûretés réelles permet de faciliter le redressement de deux autres points de vue : d’une part, en réintégrant des fonds au sein du patrimoine du débiteur (§1), d’autre part en allégeant les conditions financières présidant l’adoption d’un plan de redressement (§2).

§1 – Limitations aux fins de reconstitution de l’actif du débiteur

La reconstitution de l’actif du débiteur passe d’abord par une limitation apportée au principe fondamental de la liberté contractuelle du débiteur, au travers d’une remise en cause de certaines sûretés réelles consenties peu de temps avant le dépôt de bilan (A).

Par ailleurs, la loi de 1985 a ouvert la faculté aux mandataires de justice d’intenter de nombreuses actions dans l’intérêt collectif des créanciers, actions de nature à améliorer la situation financière de l’entreprise. Nous pourrons à ce titre faire observer qu’à l’affectation du produit de ces actions correspond une négation totale des droits privilégiés habituellement conférés aux créanciers titulaires de sûretés réelles et de privilèges spéciaux (B). Si une telle affectation n’est pas directement de nature à faciliter le redressement, elle témoigne indiscutablement d’une volonté de nier radicalement les droits de nos créanciers privilégiés.

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Le sort réservé au produit de la vente d’un actif en période d'observation illustre d’ailleurs la même motivation : le rendant insaisissable par l’imposition de sa consignation à la Caisse des Dépôts et Consignations, le législateur pose un obstacle aujourd’hui insurmontable à l’exercice de tout droit de suite ou de préférence.

A – Suspicion de fraude à l’égard de certaines inscriptions en amont de la procédure

Le fait, pour un créancier d’exiger plus sévèrement la constitution de sûretés de la part de son débiteur, constitue la manifestation d’une perte de confiance, d’une certaine méfiance à son égard. Cela lui permet en contrepartie de se prémunir contre le risque d’insolvabilité qui menace de façon grandissante son cocontractant.

La période précédent la déclaration de cessation des paiements est propice à la fraude. Le débiteur, qui n’a « plus rien à perdre », peut être tenté d’organiser son insolvabilité ou encore de succomber aux pressions exercées par certains créanciers en vue de recouvrer leurs créances. Ces manœuvres ont pour effet de violer le principe d’égalité en avantageant certains créanciers au détriment de leurs homologues.

Pour lutter contre ces agissements, le législateur a entendu ouvrir la faculté au tribunal de reporter la date de cessation des paiements antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la procédure, de manière à créer une période au cours de laquelle certains actes frauduleux pourront être attaqués.

Cet impératif de lutte contre les éventuelles fraudes doit cependant être concilié avec la sécurité juridique devant être attachée aux actes passés par le débiteur avec ses partenaires. C’est la raison pour laquelle l’établissement d’une période suspecte ne présente aucun caractère obligatoire, le législateur ayant prévu que si une nouvelle date de cessation des paiements n’a pas été fixée par le tribunal, elle est censée intervenue au jour du jugement d’ouverture. Pour la même raison, lorsqu’une telle période est instituée, ce qui est très souvent le cas en pratique, sa durée doit nécessairement être plafonnée à dix-huit mois précédent l’ouverture de la procédure128.

Les sûretés réelles peuvent constituer un moyen privilégié offert au débiteur pour organiser son insolvabilité. Elles n’échappent donc pas au dispositif contraignant régissant les actes passés en période suspecte. D’ailleurs, la méfiance témoignée par le législateur à leur 128 Art. L621-7 C. com. : « Le tribunal fixe, s’il y a lieu, la date de cessation des paiements. A défaut de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement qui la constate. Elle peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de dix-huit mois à la date du jugement d’ouverture. Il se prononce d’office ou à la demande de l’administrateur, du représentant des créanciers, du liquidateur ou du procureur de la République. La demande de modification de date doit être présentée au tribunal avant l’expiration du délai de quinze jours qui suit le dépôt du rapport prévu à l’article L.621-54 ou du projet de plan prévu à l’article L.621-141 ou du dépôt de l’état des créances si la liquidation est prononcée ».

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égard est telle que certaines d’entre elles sont visées par un cas de nullité dite de plein droit. La sanction revêt alors un caractère automatique, et résulte de la considération selon laquelle l’acte en cause est intrinsèquement anormal compte tenu de la situation de cessation des paiements de leur auteur. Les conditions de passation de l’acte sont examinées de façon tout à fait objective ; n’ayant aucun pouvoir d’appréciation relative à la bonne ou mauvaise foi des parties, le tribunal est en effet dans l’obligation d’annuler l’acte litigieux dès lors que les conditions en sont réunies.

Sont en particulier sanctionnées d’une nullité de droit, la plupart des hypothèques, ainsi que tout droit de nantissement constitués sur des biens du débiteur pour des dettes contractées antérieurement129.

Faisons immédiatement remarquer que le terme constitué suppose une intervention volontaire du débiteur, nécessaire à l’octroi de la sûreté. Doivent ainsi être exclues les sûretés réelles résultant de la seule volonté du législateur, et partant, l’ensemble des privilèges130. Par ailleurs, l’ensemble des sûretés personnelles doit être écarté du dispositif qui ne vise que les sûretés consenties sur les biens du débiteur.

Quant à la nature des sûretés réelles menacées de nullité, sont visés les nantissements

et la plupart des hypothèques. Une jurisprudence antérieure, justifiée par la volonté de déjouer autant que possible les fraudes, avait imposé une vision extensive de ce texte d’exception. Celle-ci, méconnaissant ainsi les principes d’interprétation les plus élémentaires de notre droit, sanctionnait l’ensemble des sûretés réelles conventionnelles, voire même d’autres mécanismes à effet de garantie.

Un retour à une certaine orthodoxie a semble-t-il été révélé en la matière par un arrêt de la Chambre commerciale en date du 28 mai 1996131. Cet arrêt, se livrant à une appréciation plus restrictive du texte, rejeta la nullité de cessions Dailly en garantie de dettes antérieures au motif que ces cessions de créances professionnelles ne peuvent être assimilées à la constitution d’un droit de nantissement sur un bien du débiteur.

Deux conditions principales gouvernent ce cas de nullité : l’une relative à l’antériorité de la dette par rapport à la constitution de la sûreté, la seconde concernant la date de son octroi.

La première exigence avait suscité certaines difficultés dans le cadre de sûretés consenties en vue de garantir le solde débiteur d’un compte courant en cours de fonctionnement entre les parties. Le principe d’indivisibilité, qui gouverne son fonctionnement, conduisait à considérer qu’avant la clôture définitive du compte, il n’existait entre le débiteur et l’établissement bancaire, ni créance, ni dette. De ce fait, la sûreté ne pouvait avoir été consentie qu’antérieurement à l’existence de la dette, ce qui la rendait inattaquable au regard des nullités de la période suspecte. Un arrêt remarqué de la Cour de cassation132, non contredit par la loi de 1991 restée muette sur ce point, est ensuite venu 129 Art L621-107 C. com. : « I. – Sont nuls, lorsqu’ils auront été faits par le débiteur depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants : (…) 6° Toute hypothèque conventionnelle, toute hypothèque judiciaire ainsi que l’hypothèque légale des époux et tout droit de nantissement constitués sur des biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées ; (…) ». 130 Aux termes de l’art. 2095 C. civ., le privilège n’est en effet rien d’autre qu’une sûreté d’origine légale sans dépossession qui confère à son titulaire, en raison de la qualité de sa créance, le droit d’être payé par préférence aux autres créanciers du même débiteur. 131 Com. 28 mai 1996, Bull. civ. IV, n° 151 ; R.T.D. Civ. 1996. 671, obs. Crocq. 132 Com. 13 nov. 1973, R.T.D. Com. 1974. 136, obs. Cabrillac et Rives-Lange.

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consacrer la saisissabilité du solde provisoire du compte courant du titulaire. Ainsi, le solde provisoire d’un compte courant matérialise bien une créance d’un contractant sur l’autre. La sûreté garantissant le solde débiteur d’un compte courant pourra donc être postérieure à ce solde et ainsi être remise en cause à hauteur du montant du solde provisoire existant au jour de son octroi.

Cette condition d’antériorité implique par ailleurs que ce cas de nullité de droit n’atteint ni les sûretés consenties en vue de garantir des dettes à venir, ni certaines substitutions de sûretés en période suspecte : c’est ce qu’a décidé la Cour de cassation133, à propos d’un acte de translation d’hypothèque sur un autre immeuble du débiteur, et alors que la valeur de la garantie n’avait pas augmenté entre la première hypothèque prise avant la période suspecte et la seconde prise en cours de période suspecte. Sur ce point, la jurisprudence est complexe dans la mesure où elle se refuse à reconnaître la même solution en cas de substitution de sûreté entraînant la création d’une sûreté nouvelle et l’annulation corrélative d’une sûreté ancienne134. Au vu de cette jurisprudence délicate, seul échappera à la nullité l’acte translatif d’une sûreté d’un bien sur un autre bien à condition de respecter une équivalence de valeur et d’assiette.

En second lieu, la sûreté ne sera nulle que si elle a été constituée à partir de la date de cessation des paiements déterminée par le tribunal. Il convient ici de ne prendre en compte que la date de constitution de la garantie, sa date de publication restant indifférente. L’arrêt du cours des inscriptions n’étant imposé qu’à compter du jugement d’ouverture de la procédure, aucun obstacle ne s’oppose à la validité de la publicité d’une sûreté réelle en période suspecte dès lors que sa constitution a régulièrement été effectuée antérieurement.

Il faut néanmoins faire remarquer que la simple promesse de sûreté n’est pas constitutive de sûreté. Ainsi, en matière hypothécaire, seul compte la date de rédaction de l’acte notarié imposé ad validitatem, l’antériorité de la promesse étant inopérante135.

La promesse de gage sur meuble incorporel est traitée de la même façon par la jurisprudence136 : en application de l’art. 2075 C. civ., la constitution du droit réel dépend de l’enregistrement et de la signification au débiteur de la mise en gage du bien, en l’espèce la valeur patrimoniale d’un transfert de ses joueurs par un club de football. L’acte sous seing privé ne constituait qu’une promesse de gage en l’absence d’accomplissement des formalités d’enregistrement et de publicité.

Il conviendra donc de se demander, au cas par cas selon la sûreté réelle en cause,

quelle est la formalité légale permettant de la considérer comme valablement constituée. La question est très embarrassante en matière de gage, tant civil137 que commercial138,

portant sur des biens corporels. La portée de l’obligation de remise de la chose est encore aujourd’hui sujette à controverses. Certains auteurs, s’appuyant sur les prescriptions de l’art.

133 Com. 20 janv. 1998, Bull. civ. n° 28 ; D. 1998, somm. p. 380, obs. Piedelièvre ; J.C.P. G. 1998. I. 141, n° 8, obs. Cabrillac ; R.T.D. Com. 1999, p. 194, obs. Martin-Serf. 134 Com. 3 janv. 1989, R.P.C. 1990, p. 162, obs. Guyon. 135 Com. 12 nov. 1997, Bull. civ. IV, n° 287 ; D. 1998, somm. p. 106, obs. Piedelièvre; D. 1998, somm. p. 325, obs. Honorat ; R.T.D. Com. 1999, p. 196, obs. Martin-Serf. 136 Com. 28 janv. 1997, Bull. civ. IV, n° 35 ; D. 1997, somm. p. 214, obs. Honorat; D. 1998, somm. p. 140, obs. Jobard-Bachellier ; R.P.C. 1998, p. 203, obs. Lemistre ; R.T.D. Com. 1997, p. 516, obs. Martin-Serf. 137 Art. 2071 et suiv. C. civ. 138 Art. L521-1 à -3 C. com.

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2076 C. civ.139 avaient pu ériger la dépossession du débiteur en condition de validité de la sûreté, son absence devant être sanctionnée par la nullité de celle-ci. Cette position était contestable, d’abord parce qu’elle était fondée sur un texte qui ne régissait que le privilège du créancier gagiste. Par ailleurs, dès lors que l’on a commencé à reconnaître l’existence de gages sans dépossession, il devenait difficile de faire de la remise de la chose un élément essentiel du gage. Enfin, rien ne s’oppose à ce que la dépossession soit conçue comme une simple mesure d’information des tiers, une mesure de publicité qui ne serait requise qu’à peine d’inopposabilité aux tiers.

La question reste toujours d’actualité, la Cour de cassation s’étant récemment prononcée favorablement à l’idée selon laquelle la dépossession serait de l’essence du gage. Elle a en effet récemment considéré qu’en l’absence de dépossession, la convention en cause ne pouvait constituer qu’une promesse de gage140. Il en résulte qu’en cas de procédure collective du débiteur, l’absence de remise matérielle du bien gagé en cours de période suspecte fera obstacle à l’action en nullité intentée sur le fondement de l’art. L621-107 6° C. com., faute d’être en présence d’une véritable sûreté.

L’arsenal anti-sûreté141 de cet art. L621-107 6° est complété par un autre cas de nullité142 visant à éviter qu’un créancier n’obtienne du juge, par la prise de certaines mesures conservatoires en violation du principe d’égalité, une garantie pour une créance antérieure, c’est-à-dire un résultat équivalent à celui qu’il n’a pu obtenir du débiteur.

Il convient encore de préciser qu’en tout état de cause, l’annulation de la sûreté peut, nonobstant l’inapplicabilité de l’art. L621-107 C. Com., résulter de l’art. L621-108 C. Com.143. Dans ce cas cependant, l’opportunité de la sanction sera abandonnée aux magistrats qui devront souverainement se livrer à une appréciation des circonstances de fait ayant entouré la passation de l’acte constitutif de la sûreté.

Les restrictions apportées aux droits des créanciers titulaires de sûretés réelles en période suspecte sont sélectives, l’impératif de sécurité juridique s’opposant à une remise en cause aveugle de l’ensemble des actes passés par le débiteur au cours de cette période. Force est cependant de reconnaître que les limitations draconiennes affectant leurs prérogatives en matière de distribution de sommes provenant d’actions exercées dans l’intérêt collectif des créanciers sont sans commune mesure avec celles développées jusqu’à présent (B).

B – Affectation aux besoins du redressement du produit de certaines actions en responsabilité

139 Art. 2076 C. civ. : « Dans tous les cas, le privilège ne subsiste sur le gage qu’autant que ce gage a été mis et est resté en la possession du créancier, ou d’un tiers convenu entre les parties ». 140 1ère Civ. 6 janv. 1994, Bull. civ. I, n° 4 ; J.C.P. G. 1994. I. 3765, n° 18. 141 F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 6e éd. 2003. 142 Art. L621-107 7° C. com. : « (…) 7° Toute mesure conservatoire, à moins que l’inscription ou l’acte de saisie ne soit antérieur à la date de cessation des paiements ». 143 Art. L621-108 C. com. : « Les paiements pour dettes échues effectués après la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis après cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements ».

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La Cour de cassation s’est livrée en la matière à une interprétation ultra legem des termes de l’art. L624-3 C. com.144 relatif à l’action en comblement d’insuffisance d’actif pouvant être intentée à l’encontre du ou des dirigeants fautifs. Cette disposition prévoit, en cas de cession ou de liquidation, une répartition au marc le franc des seules sommes provenant de l’exercice d’une action en comblement d’actif.

La haute Cour, dans un arrêt145 sur lequel nous reviendrons plus en détail dans un instant, a étendu cette modalité de répartition à l’ensemble des actions intentées par le représentant des créanciers dans l’intérêt collectif de ceux-ci. Les sommes provenant des ces actions exercées dans l’intérêt collectif des créanciers ne sont pourtant, au regard de l’art. L621-39 C. com.146, soumises à un partage particulier qu’en cas d’adoption d’un plan de continuation.

Ainsi, le régime de répartition des sommes au marc le franc est désormais appliqué aux actions en nullité de la période suspecte147, aux demandes de sanctions à l’encontre des dirigeants sociaux, ainsi qu’à l’ensemble des actions fondées sur l’intérêt collectif des créanciers, engendrant un préjudice collectif, commun à l’ensemble du groupement des créanciers148.

La répartition du produit de ces actions au marc le franc constitue un nouvel élément dévastateur des droits privilégiés reconnus à certains créanciers. Ce mécanisme, qui consiste à prendre la somme à partager, et à la répartir de façon proportionnelle en fonction du nombre de créanciers devant en bénéficier, efface purement et simplement toute cause de préférence ayant pu être reconnue antérieurement à certains d’entre eux. En d’autres termes, chaque individu est indemnisé en tant que tel, sans se soucier de l’applicabilité de certains privilèges particuliers. Ce mode de répartition des sommes ainsi recouvrées aboutit à traiter de la même manière des personnes titulaires de droits différents, les créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges spéciaux étant mis sur un pied d’égalité avec les créanciers chirographaires. Et la réduction drastique apportée aux prérogatives de nos créanciers privilégiés ne s’arrête pas là.

La solution selon laquelle les sommes versées par les dirigeants sociaux en exécution d’une action en comblement de passif doivent être réparties au marc le franc en cas de cession ou de liquidation, avait déjà été retenue sous l’empire du décret du 20 mars 1955. 144 Art. L624-3 C. com. : « Lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ou par certains d’entre eux. (…) Les sommes versées par les dirigeants en application de l’alinéa 1er entrent dans le patrimoine du débiteur et sont affectées en cas de continuation de l’entreprise selon les modalités prévues par le plan d’apurement du passif. En cas de cession ou de liquidation, ces sommes sont réparties entre tous les créanciers au marc le franc ». 145 Com. 28 mars 1995, D. 1995. 410, n. Derrida ; J.C.P. E. 1996. I. 525, obs. Gavalda et Stoufflet ; J.C.P. G. 1995. I. 3871, ou J.C.P. E. I. 487, n° 12, obs. M.C. et P.P. 146 Art. L621-39 al. 3 C. com. : « Les sommes recouvrées à la suite des actions du représentant des créanciers entrent dans le patrimoine du débiteur et sont affectées en cas de continuation de l’entreprise selon les modalités prévues pour l’apurement du passif ». 147 Art. L621-110 C. com. 148 Peuvent par exemple être mentionnées, l’action en responsabilité civile délictuelle intentée à l’encontre d’un établissement de crédit coupable de soutien abusif du débiteur : Com. 5 janv. 1999, Bull. civ. IV, n° 3 ; D.A. 1999. 219, obs. Lienhard ; P.A. 26 janv. 1999, p. 4, n. P.M. ; R.T.D. Com. 1999. 476, obs. Cabrillac. Ou encore comme nous l’avons vu précédemment, l’action en extension de procédure pour confusion de patrimoine ou fictivité.

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Dans un arrêt de principe, la Chambre commerciale149 avait déduit cette règle du fait que ces sommes tombaient dans le patrimoine de la masse. Dès lors, les créanciers titulaires d’un privilège général ou spécial grevant le patrimoine du débiteur failli ne pouvaient le faire valoir sur des sommes qui figuraient dans un patrimoine distinct, celui de la masse.

Une quinzaine d’années plus tard, la même Chambre150 avait opéré un revirement en autorisant l’exercice des privilèges généraux sur les produits de l’action en comblement de passif. Les magistrats n’avaient alors pas pris la peine de préciser le fondement de cette solution : à l’évidence, celle-ci ne pouvait être justifiée juridiquement, la réforme opérée par la loi de 1967 ne modifiant aucunement la masse ou ses attributs tels que son patrimoine.

Faisons ici remarquer que l’existence du patrimoine de la masse présentait un atout considérable en faveur du redressement du débiteur, puisqu’il s’opposait à la compensation entre une créance dans la masse et l’indemnité que son titulaire était condamné à verser à la suite de l’action en comblement de passif151. La condition de réciprocité n’était en effet pas satisfaite : la créance d’indemnité était due par le dirigeant condamné à la masse, c’est-à-dire au profit de l’intérêt collectif des créanciers, alors que par définition la créance dans la masse était détenue par ce dirigeant créancier à l’encontre cette fois du débiteur.

Cette solution, parce que favorable au redressement de l’entreprise en difficulté en ce qu’elle limite ses diminutions d’actif, sera reconduite en droit positif152, nonobstant la suppression de la masse, et ainsi de son patrimoine propre par la loi du 25 janvier 1985. Le rejet du mécanisme compensatoire ne se justifie plus juridiquement, car l’affectation des sommes résultant d’une condamnation en insuffisance d’actif au sein du patrimoine du débiteur ne saurait être assimilée à une intégration au sein d’un patrimoine distinct. La condition de réciprocité est bien remplie, l’entreprise d’une part, et son dirigeant d’autre part étant bien réciproquement créancier et débiteur l’un de l’autre. On pourrait bien sûr faire valoir que les créances en cause n’étaient pas de même nature, l’une ayant un fondement délictuel, l’autre contractuel, et qu’à ce titre, la condition de fongibilité n’était pas remplie : cette exigence relative au fondement des créances en cause n’a cependant pas été soulevée par les plaideurs, et les magistrats, qui ne peuvent statuer ultra petita, justifiaient leur solution sur l’affectation des dommages-intérêts à l’apurement du passif.

Une solution similaire a par la suite été dégagée par la même Chambre à propos du sort du produit des actions en nullité de la période suspecte. Ainsi, par un arrêt du 24 octobre 1995153, sans fonder juridiquement sa solution, la Cour de cassation exclut toute compensation entre la dette de restitution, consécutive au prononcé de la nullité de remises en compte courant effectuées de façon anormale par le débiteur après la date de cessation des paiements, et une créance admise au passif de la procédure. Le seul motif avancé par la Cour est que les nullités de la période suspecte ont pour objet de reconstituer l’actif du débiteur.

Nous ne pouvons clore ce développement sans évoquer l’arrêt de principe de la Cour de cassation en date du 20 mai 1997154 qui impose que la répartition au marc le franc dont il

149 Com. 27 oct. 1964, J.C.P. G. 1964. II. 13968, n. J.A.; D. 1965. 129, n. Cabrillac ; R.T.D. Com. 1965. 183, obs. Houin. 150 Com. 7 mai 1979, D. 1979. 431, n. Derrida et Sortais. 151 Com. 6 nov. 1968, J.C.P. 1969. II. 15759 ; R.T.D. Com. 1969. 212, obs. Houin. 152 Com. 28 mars 1995, D. 1995. 410, n. Derrida ; J.C.P. E. 1996. I. 525, obs. Gavalda et Stoufflet ; J.C.P. G. 1995. I. 3871, ou J.C.P. E. I. 487, n° 12, obs. M.C. et P.P. 153 Com. 24 oct. 1995, D. 1996. 86, n. Derrida; R.T.D. Com. 1996, p. 344, obs. Martin-Serf. 154 Com. 20 mai 1997, R.P.C. 1997. 487, obs. Martin-Serf.

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est question ici doit s’effectuer sans accorder de rang prioritaire aux salariés, créanciers pourtant superprivilégiés.

L’incohérence du dispositif élaboré par la jurisprudence est ainsi à son paroxysme : nonobstant leur affectation particulière, les sommes en question entrent bien dans le patrimoine du débiteur, et devraient à ce titre être partagées entre les créanciers en tenant compte des différentes causes de préférence légales ou conventionnelles dont ils peuvent bénéficier. Il est tout à fait antithétique d’avancer d’une part que le produit des actions exercées dans l’intérêt collectif des créanciers tombe dans le patrimoine du débiteur, mais d’autre part que les privilèges grevant ce même patrimoine sont dépourvus de toute efficacité.

La construction jurisprudentielle a donc pour effet de superposer deux mécanismes contradictoires : une entrée de fonds dans le patrimoine du débiteur et une affectation qui est contraire à l’unité de celui-ci.

Ces sévères restrictions portées par la jurisprudence aux droits des créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges manquent indiscutablement de logique, de cohérence et de justification technique. Cependant, comme nous l’avons vu, elles peuvent poursuivre un objectif louable au regard de la politique de redressement, celui de maximiser les fonds employés à la recherche d’une solution favorable au débiteur. D’autres restrictions ont pour finalité de faciliter la mise en œuvre d’un plan de redressement (§2).

§2 – Restrictions visant à faciliter l’exécution d’un plan

Tant dans le cadre d’un plan d’apurement que d’un plan de cession, le tribunal de la procédure peut être à l’origine de nombreuses atteintes à certains mécanismes de garantie ayant pourtant pour objet d’établir un traitement préférentiel au profit de certains créanciers sur d’autres, en raison notamment du jeu d’un droit de suite, de préférence ou d’un privilège spécial. Ces restrictions sont justifiées tantôt par des impératifs techniques, comme alléger le passif de l’entreprise, tantôt par des exigences tenant plus largement à une politique juridique ciblée, visant par exemple à restaurer une certaine attractivité des plans de cession.

Quoiqu’il en soit, les causes de préférence qui se verront remises en cause pourront résulter soit de liens contractuels tissés par le débiteur avec ses partenaires (A), soit de leur emprise sur certains actifs de celui-ci (B).

A – Restrictions aux droits tirés du contrat passé avec le débiteur

Ces restrictions apportées aux prérogatives résultant des conventions passées par les créanciers avec leur débiteur se justifient toujours au regard de l’impératif du maintien de l’activité et des emplois. En effet, les droits préférentiels résultant de certains privilèges d’une part, ou de la simple exécution des prestations contractuellement prévues d’autre part, aboutissent à alourdir les conditions financières gouvernant l’élaboration d’un plan.

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Notre attention sera ainsi portée sur les limitations draconiennes apportées au jeu de certains privilèges en procédure collective, ainsi que le procédé aboutissant, en plan de continuation, à restreindre significativement les droits pécuniaires issus de contrats passés avec les créanciers, que ceux-ci soient privilégiés ou non.

Penchons-nous d’abord sur le sort réservé au privilège du bailleur d’immeuble en cas de mise en redressement judiciaire du preneur.

Ce privilège est fondé sur l'idée de gage tacite, selon laquelle les meubles apportés par

un locataire dans les lieux loués servent de gage au bailleur et garantissent le paiement des créances de loyer. Il est régi, dans notre droit positif, par l'article 2102-1° C. civ.155

Le fondement de ce privilège spécial peut être déduit du fait qu’en la matière, la loi sous-entend l'existence d'un contrat de nantissement reposant soit sur l'usage, soit sur l'intention implicite des parties. C'est ainsi que compte tenu de sa position de force, le créancier aurait reçu en gage un ou plusieurs bien appartenant au débiteur. Le bailleur d’immeuble aurait ainsi un privilège sur ce qui garnit les locaux loués en vertu d’une convention implicite de nantissement. La lecture de cette disposition en parallèle avec l'article 1752 C. civ. imposant dans les baux à loyer que le locataire garnisse les locaux loués et de ce fait affecte ses meubles en gage, renforce cette idée de gage tacite.

Le privilège de l'article 2101-1° C. civ. garantit les créances du bailleur d'immeuble attachées à cette qualité. Le bénéfice de ce privilège est donc attribué à toute personne qui concède pour son propre compte un bail, la notion de bail s'entendant du contrat procurant la jouissance d'une chose, sachant que tant sa nature que sa forme sont indifférentes. Le bail doit absolument porter sur un immeuble. Le bailleur de meuble ne jouit donc d'aucun privilège au titre de cet article 2101–1°, abstraction faite des éventuelles garanties conventionnelles qu'il peut se voir consentir. Les créances garanties, quant à elles, s'entendent des loyers et fermages, des indemnités d'occupation, des créances nées du chef des réparations locatives faites par le bailleur, ainsi que des créances accessoires provenant de l'exécution du bail. Quant à leurs montants, les créances autres que les loyers et fermages sont garanties sans limitation de sommes.

Les loyers échus sont garantis dans leur intégralité, sous réserve du jeu de la prescription quinquennale de l'article 2277 C. civ. Les loyers à échoir le sont dans les mêmes conditions si le bail a été contracté par acte authentique, ou à défaut, s'il a date certaine. Dans les cas contraires, l'article 2102-1°, al.2 C. civ., dans le but de ménager le crédit du locataire, fait entrer dans le champ de la garantie, outre les loyers échus, les loyers de l'année courante à échoir, ainsi que ceux d'une année à partir de l'expiration de celle-ci.

Le privilège du bailleur d'immeuble porte sur trois sortes de biens: d'une part « les fruits de la récolte de l'année ». Est ensuite visé « tout ce qui garnit les lieux loués », ce qui comprend les meubles saisissables apportés par le locataire pour rester dans les lieux (meubles meublant, livres, vaisselle…)156. Enfin, intègre encore l'assiette de ce privilège « tout ce qui sert à l'exploitation de la ferme », c'est-à-dire les instruments agricoles et les animaux attachés à la culture.

155 Art. 2102-1° C. civ. : « (…) Le même privilège a lieu pour les réparations locatives et pour tout ce qui concerne l'exécution du bail. Il a lieu également, pour toute créance résultant, au profit du propriétaire ou bailleur, de l'occupation des lieux à quelque titre que ce soit ». 156 Il doit nécessairement s'agir de meubles v. CA Colmar 13 janv. 1966, J.C.P. 1967, II, 14971, n. Wiederkehr, qui a exclu de l'assiette du privilège une installation de chauffage central, bien qui avait été immobilisé.

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Précisons encore que pour pouvoir être grevés, les biens doivent en tout état de cause ne pas avoir été déclarés insaisissables par la loi du 9 juillet 1991. Il n'est cependant pas nécessaire que les biens soient la propriété du locataire: le privilège étant fondé sur l'idée de gage, le bailleur doit être vu comme un créancier-gagiste, et à ce titre doit pouvoir opposer son droit aux tiers et se prévaloir de l'adage en matière de meubles, possession vaut titre prévu par l'article 2279 al.1er C. civ.

En droit commun, l'exercice du privilège confère au bailleur un droit de préférence sur le prix dégagé par la vente des biens grevés. Le droit commun des sûretés, déjà, ne garantit pas une priorité de paiement absolue au bailleur d'immeuble: celui-ci risquera tout d'abord d'être primé par un créancier bénéficiant d'un rang plus favorable.

Ensuite, il s'expose inévitablement au risque dit du déménagement à la cloche de bois : pour être à même de pouvoir exercer son privilège, le bailleur devra requérir la vente des biens grevés ainsi que justifier d'un titre exécutoire. Même si la délivrance d'un titre exécutoire peut s'effectuer dans des délais assez rapides157, le locataire pourra profiter de la période précédent la réalisation des biens grevés pour fuir avec ses meubles. Si le déménagement à la cloche de bois n'est pas constitutif d'une infraction pénale, rien n’empêche au bailleur d'engager la responsabilité civile délictuelle du déménageur qui commet une faute réprimée par l'article 1382 C. civ. lorsqu'il se prête sciemment à une telle opération.

Ce droit de préférence n'étant pas absolu, le bailleur pourra encore compter sur le droit des saisies. Deux types de saisies peuvent alors être diligentées par celui-ci : il s'agit des saisie-conservatoire et saisie-revendication.

La loi du 9 juillet 1991 ayant abrogé la saisie-gagerie, qui est une variété particulière de saisie-conservatoire, le bailleur ne peut désormais que se fonder sur le mécanisme de la saisie-conservatoire de droit commun s'il veut rendre indisponibles les biens du locataire.

En matière de saisies-revendications, l'article 2102-1° alinéa 5 C. civ. permet au bailleur de saisir les meubles que le locataire a déplacés sans lui en avoir demandé l'autorisation. Le bailleur conserve son privilège même si les meubles grevés se retrouvent dans les mains d'un tiers acquéreur de bonne foi, dès lors qu'il exerce la revendication dans les délais préfix requis par l'article 2102-1° C. civ. Cette revendication a une nature particulière car elle ne porte pas sur sa propriété mais sur son gage. Elle a pour effet, sous certaines conditions, non pas de faire reconnaître son droit de propriété sur les biens mais de rendre les biens indisponibles pour les tiers en vue d'en permettre la réintégration dans les locaux loués.

Si l'on procède à la comparaison des régimes juridiques, de droit commun résultant du Code civil d'une part, et du droit des entreprises en difficulté régi par le droit commercial d'autre part, on assiste à une réduction drastique des prérogatives traditionnellement reconnues aux bailleurs.

Pour satisfaire aux objectifs ayant justifié une réforme de fond des textes préexistants, à savoir la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et enfin seulement l'apurement du passif, le législateur a logiquement apporté de nombreuses restrictions aux droits des bailleurs. En effet, comment espérer restaurer la viabilité d’une entreprise ne disposant plus de local pour exercer son activité ? Il faut toujours garder à l’esprit que le droit au bail est l’une des composantes du fonds de commerce qui constitue le vecteur principal de l’exercice du commerce. 157 En effet, depuis la réforme du 11 juillet 1985, lorsque le bailleur a sollicité un paiement par chèque, la délivrance du titre exécutoire interviendra vingt jours après la signification du certificat de non paiement (D.-L., 30 oct. 1935, art. 63-3). De plus, par la procédure d'injonction de payer, le bailleur peut obtenir un titre exécutoire dans des délais brefs (art. 1405 s. NCPC).

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L'impact de la procédure sur les droits du bailleur se manifeste au travers de deux

axes. D’abord, une restriction à sa liberté contractuelle traduite par un aménagement du

régime de la continuation des contrats en cours158, ainsi que de celui des clauses de solidarité : l’article L621-30 C. com. rend inopposable à l'administrateur la clause de solidarité, habituellement stipulée par le bailleur entre le cédant et le cessionnaire en cas de cession de bail accompagnant un plan de cession. Cette clause a bien sûr l'intérêt de faciliter les conditions d'adoption des plans de cession, et partant, le redressement des entreprises, en limitant les contraintes imposées au cessionnaire. En contrepartie, les droits pécuniaires du bailleur en sont considérablement réduits, car si le cessionnaire s'avère insolvable peu après le prononcé du plan de cession par le tribunal, le bailleur n'aura plus aucun recours à l'encontre de son ancien locataire. Il devra éventuellement chercher à mettre en cause les garanties habituellement données par certains partenaires en vue d'assurer la bonne exécution du plan, garanties auxquelles il sera fait référence au second chapitre.

Même si ces dispositions sont indéniablement révélatrices d'une atteinte voulue par le législateur aux droits des bailleurs, en faire une étude exhaustive serait ici hors de propos car il n'est nullement question de porter atteinte à d'éventuelles prérogatives spécifiques résultant d'une sûreté réelle ou d'un privilège spécial, mais d'aménagements au principe fondamental de la liberté contractuelle. Cette disposition aura tout de même eu le mérite de souligner une certaine cohérence de la politique législative menée, consistant à considérer le bail commercial comme un moteur essentiel de l'activité de l'entreprise, justifiant en conséquence un traitement spécifique en procédures collectives.

Plus significatif est le traitement réservé au privilège du bailleur en période d'observation. En tout état de cause, l'assiette de ce privilège spécial mobilier sera limitée aux deux dernières années de loyers précédents le jugement d'ouverture159.

Elle variera ensuite suivant la position prise par l'administrateur, ou le débiteur lui-même en procédure simplifiée, eu égard à la continuation du bail. C’est ainsi qu’en cas de résiliation du bail, des autres créances de l'année courante, en dehors des créances de loyer, c'est-à-dire par exemple des créances issues de rénovations, réparations, dommages-intérêts, pourront être intégrées à l'assiette du privilège.

Par ailleurs, l'article L621-31 al. 4 C. com. ouvre encore au juge-commissaire la faculté d'autoriser l'administrateur ou le débiteur selon le cas, « à vendre des meubles garnissant les lieux loués soumis à dépérissement prochain, à dépréciation imminente ou dispendieux à conserver, ou dont la réalisation ne met pas en cause, soit l'existence du fonds, soit le maintien de garanties suffisantes pour le bailleur ».

Ainsi, des biens mobiliers, d’un intérêt relatif au regard du redressement, mais intégrant l’assiette du privilège du bailleur, pourront faire l’objet d’une cession, dès lors que celle-ci ne remet pas en cause l’intégrité du fonds. En cas de non résiliation du bail, l'article L621-31 al. 3 C. com. dispose que « le bailleur ne peut exiger le paiement des loyers à échoir 158 Art. L621-29 C. com. : « A compter du jugement d'ouverture, le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ou la résiliation de plein droit du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise pour défaut de paiement des loyers et des charges afférents à une occupation postérieure audit jugement. Cette action ne peut être introduite moins de deux mois après le jugement d'ouverture. Nonobstant toute clause contraire, le défaut d'exploitation pendant la période d'observation dans un ou plusieurs immeubles loués par l'entreprise n'entraîne pas résiliation du bail ». 159 Art. L621-31 al. 1 C. com. : « En cas de redressement judiciaire, le bailleur n’a privilège que pour les deux dernières années de loyers avant le jugement d’ouverture de la procédure ».

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lorsque les sûretés qui lui ont été données lors du contrat sont maintenues ou lorsque celles qui ont été fournies depuis le jugement d'ouverture sont jugée suffisantes ».

La majorité de la doctrine160 valide l'interprétation a contrario de ce texte selon laquelle en cas de retrait des sûretés qui ont été données au bailleur lors de la conclusion du bail, ou si celles qui lui ont été délivrées du fait de la survenance de la procédure devenaient insuffisantes, celui-ci serait alors en mesure d'intégrer dans l'assiette de son privilège le complément des loyers à échoir. Cette interprétation parait au demeurant conforme au principe du paiement au comptant posé par l'article L621-28 alinéa 2 du Code de commerce.

En tout état de cause, l’on voit bien que les prérogatives du bailleur d’immeuble sont fortement encadrées, lorsqu’elles ne sont pas paralysées. Celui-ci doit en effet, selon les cas, soit s’abstenir d’exercer certains droits, soit requérir systématiquement l’autorisation du juge-commissaire pour pouvoir en exercer certains autres.

A cette réduction significative de l’assiette du privilège du bailleur, s’ajoute l’anéantissement pur et simple du privilège du vendeur de meubles.

Ce privilège spécial mobilier est fondé sur l’idée d’une mise de valeur dans le patrimoine du débiteur. Au travers de la vente, le vendeur a contribué à l’agrandissement du patrimoine de l’acheteur et a de ce fait augmenté le gage de ses créanciers. Si ces créanciers pouvaient recevoir paiement sur le bien vendu sans que le vendeur soit désintéressé, ils s’enrichiraient à ses dépens. Le fait d’accorder un privilège au vendeur permet donc de rétablir l’équilibre et de donner équitablement à chacun la part qui lui revient.

En droit commun161, ce privilège garantit la créance du prix de vente avec tous ses accessoires, sachant que les dommages-intérêts ou les sommes pouvant être dus au vendeur en vertu d’une clause pénale ne sont cependant pas couverts. Ce privilège trouve application dès lors que l’on est en présence d’une vente mobilière, que le meuble soit corporel ou incorporel162. Peu importe par ailleurs la nature de la vente : au comptant, à terme, échange avec soulte.

Ce privilège est expressément écarté par le droit des procédures collectives163. L’art.

L621-117 C. com. circonscrit les droits du vendeur de meubles d’une part en évinçant totalement son privilège, et d’autre part en soumettant ses éventuelles revendications au régime spécifique prévu par les art. L621-118 et suivants C. com. Ainsi, une éventuelle cession sera facilitée, le repreneur ayant l’assurance de ne pas être assujetti à une multiplicité d’actions en justice par lesquelles les vendeurs de meubles chercheraient à se voir réintégrés dans leurs droits.

La revendication était autrefois justifiée, à l’époque où la vente n’entraînait pas transfert immédiat de propriété. La vente étant aujourd’hui conclue dès la rencontre des consentements sur la chose et le prix, le vendeur ne devrait plus pouvoir revendiquer des 160 F. Pérochon et R. Bonhomme, n° 205. 161 Art. 2102-4° C. civ. : « Les créances privilégiées sur certains meubles sont : (…) Le prix d’effets mobiliers non payés, s’il sont encore en la possession du débiteur, soit qu’il ait acheté à terme ou sans terme ». 162 Si le privilège résulte d’une cession de fonds de commerce, un privilège spécial est reconnu au vendeur qui sera astreint au respect d’une publicité particulière organisée par la loi du 17 mars 1909 : la publicité de ce privilège devra être faite au greffe du tribunal de commerce dans les quinze jours de la date de l’acte de vente. 163 Art. L621-117 C. com. : « Le privilège, l’action résolutoire et le droit de revendication établis par le 4° de l’article 2102 du Code civil au profit du vendeur de meubles ne peuvent être exercés que dans la limite des dispositions des articles L.621-118 à L.621-124 ».

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biens qui juridiquement ne lui appartiennent plus. Dans les rares cas où une telle action pourra être introduite, les conditions de droit commun devront céder devant celles régies par les lois de 1985 et 1994.

Sauf application d’une clause de réserve de propriété, la revendication ne sera ouverte que dans des hypothèses très limitées en pratique. Elle le sera lorsque la vente aura été résolue avant le jugement d’ouverture si la marchandise existe encore en tout ou en partie. Mais pour cela, la résolution devra être acquise avant l’ouverture de la procédure. L’action pourra par ailleurs être recevable même si la résolution de la vente a été constatée ou prononcée après ce jugement, mais elle devra alors être fondée sur une autre cause que le défaut de paiement d’une somme d’argent, et être intentée antérieurement à l’ouverture de la procédure164. Enfin, la revendication pourra être opérée dès lors que les marchandises, bien que déjà expédiées, n’ont pas encore été livrées dans les magasins de l’acheteur en procédure collective165.

La seule prérogative reconnue au vendeur de meubles pouvant « faire mouche » au sein de la procédure est le droit de rétention prévu par l’art. 1612 C. civ. lorsque la vente sera faite au comptant. Ce droit permettra au vendeur de retenir certains biens nécessaires à la poursuite de l’activité et ainsi profiter du mécanisme du retrait contre paiement prévu par l’art. L621-24 al. 3 C. com.166.

Enfin, dans le cadre d’un plan de continuation, il est possible de relever de nombreuses atteintes frontales à certains principes fondamentaux de notre droit civil visant à alléger le passif de l’entreprise.

D’abord, dans la perspective de l’adoption d’un tel plan, le législateur a prévu une procédure de consultation des créanciers sur d’éventuels délais de paiement ou remises de dettes167. Dans ce cadre, l’administrateur, ou le débiteur en procédure simplifiée, doit communiquer au représentant des créanciers, aux contrôleurs, aux représentants du personnel, et au juge-commissaire en procédure simplifiée, ses propositions pour le règlement des dettes antérieures du débiteur. Le représentant des créanciers doit ensuite transmettre ces propositions à chaque créancier connu ou ayant déclaré sa créance, et lui demander de faire connaître sa position sur les remises ou délais qui lui sont proposés.

Pour faciliter le redressement du débiteur, le législateur a imposé aux créanciers, par exception au droit commun des contrats, la règle selon laquelle le silence vaut consentement. Ainsi, en cas de consultation écrite, modalité de consultation la plus courante en pratique, le défaut de réponse dans le délai d’un mois à compter de la réception de la lettre du représentant des créanciers vaut acceptation des remises et délais proposés. Cette disposition a indiscutablement pour objet de piéger les créanciers, chirographaires comme privilégiés, mais distraits, afin d’alléger le passif de l’entreprise.

Par ailleurs, une véritable réduction du montant des créances garanties par des sûretés réelles ou des privilèges spéciaux est imposée de façon autoritaire par le tribunal en

164 Art. L621-118 al. 1er et 2 C. com. 165 Art. L621-119 al. 1er C. com. 166 Art. L621-24 al. 3 C. com. : « Le juge-commissaire peut aussi les autoriser à payer des créances antérieures au jugement, pour retirer le gage ou une chose légitimement retenue, lorsque ce retrait est justifié par la poursuite de l’activité ». 167 Art. L621-60 C. com.

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application de l’art. L621-76 al.1 et 2 C. com.168. Les créanciers récalcitrants se voient ainsi soumis au pouvoir illimité du tribunal pour ce qui concerne les délais de paiement, les remises de dettes en étant théoriquement exclues. Cependant, comme le fait remarquer avec pertinence un auteur169, en termes financiers, les deux notions sont strictement équivalentes et impliquent une réduction de la créance170. Ainsi, la dépréciation monétaire a pour effet d’imposer une réduction de créances compte tenu de ces délais de paiement qui peuvent excéder la durée du plan.

Ensuite, l’alternative prévue par l’art. L621-77 C. com.171 a également pour effet d’inciter fortement les créanciers à contribuer à l’allègement du passif de l’entreprise. Soit ceux-ci décident d’accepter les délais judiciaires en espérant un recouvrement du montant total de leur créance, ce qui est rarement le cas en pratique tant l’entreprise redressée est fragile, soit ils choisiront de recevoir un paiement plus rapide, mais assorti d’une diminution proportionnelle des créances.

Ces délais de paiement et/ou remises de dettes, imposés de façon ostensible ou camouflée, constituent une dérogation au principe fondamental du consensualisme, le législateur légitimant la modification par voie judiciaire des prestations contractuellement prévues par le débiteur avec ses créanciers, notamment privilégiés. On peut alors se demander ce qu’il reste de la prévisibilité contractuelle et de la sécurité juridique sur lesquelles comptent quotidiennement les créanciers titulaires de sûretés ou de privilèges.

Limitation de l’assiette du privilège du bailleur d’immeuble, anéantissement pur et simple de celui habituellement reconnu au vendeur de meubles, modification par voie d’autorité des prestations conventionnellement prévues par le débiteur avec ses cocontractants, dérogations apportées au consensualisme, c’est dire que le droit des procédures collectives ne manifeste que peu d’égard quant à l’effectivité de certains droits provenant des contrats passés par l’entreprise en difficulté avec ses partenaires. Le constat est tout à fait similaire pour ce qui concerne certaines prérogatives résultant cette fois d’une emprise matérielle ou fictive de créanciers titulaires de sûretés réelles sur des actifs du débiteur (B).

168 Art. L621-76 al. 1er et 2 C. com. : « Le tribunal donne acte des délais et remises acceptés par les créanciers dans les conditions prévues au deuxième et troisième alinéas de l’art. L621-60. Ces délais et remises peuvent, le cas échéant, être réduits par le tribunal. Pour les autres créanciers, le tribunal impose des délais uniformes de paiement, sous réserve, en ce qui concerne les créances à terme, des délais supérieurs stipulés par les parties avant l’ouverture de la procédure. Les délais peuvent excéder la durée du plan. Le premier paiement ne peut intervenir au-delà d’un délai d’un an ». 169 F. Pérochon et R. Bonhomme, n° 327. 170 Avec un taux d’actualisation de 5% :

- un délai de 5 ans est égal financièrement à une remise de 22%, - un délai de 7 ans est égal financièrement à une remise de 29%, - un délai de 8 ans est égal financièrement à une remise de 32%, - un délai de 10 ans est égal financièrement à une remise de 39%, - un délai de 15 ans est égal financièrement à une remise de 52%.

171 Art. L621-77 C. com. : « Le plan peut prévoir un choix pour les créanciers comportant un paiement dans des délais uniformes plus brefs mais assorti d’une réduction proportionnelle du montant de la créance. Dans ce cas, les délais ne peuvent excéder la durée du plan. La réduction de créance n’est définitivement acquise qu’après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan ».

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B – Restrictions aux droits issus de la possession de la chose objet de la sûreté réelle

Il convient d’abord de se pencher sur la faculté d’attribution judiciaire du gage

traditionnellement reconnue en droit commun au profit du créancier gagiste impayé. C’est l’art. 2078 C. civ.172 qui ouvre à ce dernier la possibilité d’obtenir par voie judiciaire, que le bien objet du gage lui soit attribué en propriété, à titre de paiement de sa créance à hauteur de la valeur du bien telle qu’estimée par expert. Lorsque la valeur du bien attribué excède le montant de la créance, le créancier gagiste verse l’excédent au débiteur. Dans le cas contraire, le créancier se verra attribuer la valeur totale du bien et pourra poursuivre le recouvrement du solde à titre chirographaire cette fois. Ce mécanisme est d’une efficacité remarquable en procédure collective du débiteur, efficacité résultant de l’exclusivité conférée au créancier gagiste qui lui évite tout concours avec les autres créanciers, disposeraient-ils d’un rang préférable au sien. L’attribution judiciaire n’a lieu qu’en matière de gage, nantissement d’une chose mobilière, et trouve à s’appliquer que celui-ci soit assorti d’un droit de rétention ou non173.

S’insérant exclusivement dans une logique d’apurement du passif, cette faculté n’est reconnue au créancier gagiste qu’en cas de liquidation judiciaire174, ainsi que selon nous en cas de cession lorsque le bien grevé n’est pas inclus dans le plan175. Ainsi, même s’il bénéficie de ce droit de préférence exacerbé sur le bien gagé, le créancier reste soumis au caractère collectif de la procédure de redressement judiciaire.

Le bien grevé peut être considéré comme nécessaire au redressement par les organes de la procédure, et à ce titre, il doit être maintenu dans le patrimoine du débiteur. Ce bien y sera maintenu aussi longtemps que toute possibilité de redressement ne sera pas éteinte. Lorsque ce sera le cas, on entrera alors dans une logique de désintéressement des créanciers, et c’est seulement dans ce cadre que la faculté d’attribution judiciaire pourra être soulevée.

En second lieu, il nous paraîtrait tout à fait inconcevable de clore un tel développement consacré aux limitations apportées aux prérogatives résultant de sûretés réelles, sans mentionner l’une des mesures emblématiques de notre droit des entreprises en difficulté, qui vise à assurer une certaine attractivité aux cessions d’entreprises.

Il est ici fait référence aux modalités classiques de ventilation du prix de cession de l’entreprise, qui ont pour effet de restreindre significativement la portée des droits de

172 Art. 2078 C. civ. : « Le créancier ne peut, à défaut de paiement, disposer du gage : sauf à lui à faire ordonner en justice que ce gage lui demeurera en paiement et jusqu’à due concurrence, d’après une estimation faite par experts, ou qu’il sera vendu aux enchères. Toute clause qui autoriserait le créancier à s’approprier le gage ou à en disposer sans les formalités ci-dessus est nulle ». 173 Com. 6 mars 1990, D. 1990. 311, n. Derrida ; Rev. dr. banc. et bourse 1990. 173, obs. Campana et Calendini ; J.C.P. E. 1990. II .15829, n° 11, obs. Cabrillac ; R.T.D. Com. 1990. 264, obs. Martin-Serf ; R.P.C. 1990. 421, obs. Dureuil ; R.T.D. Civ. 1991. 150, obs. Bandrac ; R.P.C. 1990. 21 obs. Le Corre ; Com. 6 janv. 1998, Bull. civ. IV, n° 9 ; P.A. 8 févr. 1999, n° 27, p.15, n. Teillais. 174 Art. L622-21 al.3 C. com. : « Le créancier gagiste, même s’il n’est pas encore admis, peut demander, avant la réalisation, l’attribution judiciaire. Si la créance est rejetée en tout ou en partie, il restitue au liquidateur le bien ou sa valeur, sous réserve du montant admis de sa créance ». 175 En effet, dans ce cas, les actifs résiduels sont vendus selon les modalités de la liquidation par application de l’art. L621-83 al. 4 C. com.

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préférence et de suite conférés habituellement à la plupart des créanciers titulaires d’un droit réel.

Lorsque le redressement aura été effectué par voie de cession de l’entreprise à un repreneur, le tribunal devra procéder au règlement définitif du passif avant de pouvoir clore la procédure176. Présentant indiscutablement une finalité liquidative, le règlement du passif au profit des créanciers ne portera que sur les dettes du débiteur qui n’auront pas été transférées au cessionnaire. Tous les créanciers régulièrement admis à la procédure doivent pouvoir participer au règlement de ce passif, le jugement arrêtant le plan de cession entraînant l’exigibilité immédiate des créances non échues à l’égard du débiteur177. Corollaire de cette exigibilité immédiate, les créanciers recouvrent en théorie leur droit de poursuite individuel après le jugement178 : cette disposition est cependant dénuée de toute portée pratique puisque l’exercice de ce droit de poursuite à l’encontre du débiteur n’est autorisé qu’à titre résiduel dans les seuls cas limitatifs prévus par l’art. L622-32 C. com.

Le passif à répartir est composé du prix de cession auquel s’ajoute le prix des biens qui n’ont pas été inclus dans le plan. Comme nous l’avons vu plus haut, le produit des actions engagées par les mandataires dans l’intérêt collectif des créanciers ainsi que les sommes versées par les dirigeants fautifs ne sont pas soumis au même régime de répartition : elles seront distribuées proportionnellement entre tous les créanciers au marc le franc, ce qui constitue déjà une restriction de taille aux droits privilégiés de nos créanciers titulaires de sûretés réelles.

Le règlement des créanciers est effectué par le commissaire à l’exécution du plan, en principe selon leur rang179 résultant de l’art. L621-32 I. C. com. Mais certaines règles, telles que l’exercice du droit de poursuite des créanciers postérieurs180, viennent remettre en cause l’effectivité de ce principe et apporter de cruelles limitations aux droits des créanciers munis de sûretés réelles.

Penchons-nous d’abord sur la cession des biens grevés de sûretés réelles spéciales n’ayant pas été intégrées dans le plan, c’est-à-dire, par référence à l’art. L621-96 al.1er C. com. un nantissement, une hypothèque ou un privilège spécial, qui s’opère dans les mêmes conditions que la réalisation de biens non grevés de telles sûretés. Ces biens étant réalisés selon les modalités de la liquidation judiciaire, ils pourront préalablement faire l’objet d’une attribution judiciaire au profit du créancier-gagiste, ce qui réduit d’autant le montant des sommes distribuables. Ensuite, l’affectation du produit de la réalisation de tels biens ne diffère pas suivant que ceux-ci soient grevés ou non de sûretés réelles : les sommes seront réparties selon les règles posées par l’art. L621-32 I C. com., étant entendu que dans la plupart des cas, 176 Art. L621-95 al. 1er C. com. : « En cas de cession totale de l’entreprise, le tribunal prononce la clôture des opérations après régularisation des actes nécessaires à la cession, paiement du prix et réalisation des actifs non compris dans le plan ». 177 Art. L621-94 C. com. : « Le jugement qui arrête le plan de cession totale de l’entreprise rend exigibles les dettes non échues ». 178 Art. L621-95 al. 3 C. com. : « Les créanciers recouvrent, après le jugement de clôture, leur droit de poursuite individuelle dans les limites fixées par l’art. L622-32 ». 179 Art. L621-95 al. 2 C. com. : « Le prix de cession est réparti par le commissaire à l’exécution du plan entre les créanciers suivant leur rang ». 180 La Chambre commerciale a ainsi jugé qu’un mandataire ne peut refuser le paiement consécutif à l’exercice du droit de poursuite individuelle exercé par un créancier de rang 5, en arguant du fait qu’il n’aura pas les fonds nécessaires à la satisfaction des créanciers de rang supérieur : Com. 10 juill. 1990 : Bull. civ. IV, n° 202 ; D. 1990. 468. obs. Derrida. Cet arrêt a été confirmé à de multiples reprises, V. not. Com. 13 nov. 2002 : D. 2002. 3206.

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les voies d’exécution diligentées par les créanciers de l’ex-art. 40 ainsi que le superprivilège des salariés, viendront en absorber la quasi-totalité.

Ensuite, le produit des biens grevés d’un nantissement, d’une hypothèque ou d’un privilège spécial, et inclus cette fois dans le plan, sera soumis à une répartition particulière181 assurant une efficacité somme toute théorique à ces sûretés.

Nous assistons d’abord à une réduction significative de l’assiette du droit de préférence reconnu aux titulaires des sûretés visées : en effet, selon le texte, le tribunal a la charge de ventiler le prix de cession entre l’ensemble des biens grevés inclus dans le plan en affectant une quote-part de ce prix à chacun d’entre eux. Ainsi, un créancier hypothécaire ne sera en mesure d’exercer son droit de préférence que sur une valeur considérablement réduite au regard de la valeur réelle de l’immeuble intégré dans le plan. On voit bien ici le sacrifice imposé aux créanciers titulaires de sûretés spéciales, sans lequel aucun redressement ne serait possible faute d’attractivité des cessions d’entreprise.

Ensuite, sur cette quote-part réduite affectée à l’exercice du droit de préférence, les créanciers seront primés par le superprivilège des salariés ainsi que par l’effet du droit de poursuite individuel reconnu aux créanciers de l’ex-art. 40.

Enfin, « coup de grâce » porté aux droits de ces créanciers titulaires de sûretés spéciales, l’art. L621-96 al. 4 C. com.182 prévoit la purge des inscriptions grevant les biens compris dans la cession dès le paiement complet du prix de cession. Celui-ci étant réglé dans des délais très brefs en pratique, le dispositif aboutit à purement et simplement supprimer le droit de suite des créanciers titulaires des sûretés visées.

Ce mécanisme illustre bien le souhait du législateur de préserver l’attractivité des plans de cession, en évitant d’astreindre un repreneur potentiel à de lourdes contraintes, sans motif décisif de son point de vue.

Ce premier chapitre a été animé par l’ambition de démontrer dans quelle mesure les sûretés réelles et autres privilèges spéciaux apparaissent classiquement, en raison des prérogatives qu’elles confèrent, comme « l’ennemi juré » du redressement de l’entreprise en difficulté.

La procédure collective s’analyse en un droit spécial des voies d’exécution adapté aux impératifs de la vie des affaires, impératifs dérogatoires au droit commun. La règle de droit est ainsi instrumentalisée de manière à limiter au maximum les effets désastreux pouvant être engendrés par le seul jeu de certaines circonstances économiques. De ce droit spécial découle un ensemble de mesures caractéristiques concourant à la mise sous protectorat judiciaire du débiteur. Du point de vue des créanciers, leur soumission au dirigisme de la procédure aboutit à leur imposer un traitement collectif de leurs intérêts. Ce traitement leur est infligé quelle que soit leur qualité : arrêt des poursuites individuelles, des inscriptions de sûretés, du cours des intérêts, régime de la continuation des contrats en cours…

Comme nous l’avons évoqué, cet aspect est consubstantiel au caractère collectif des procédures régissant nos entreprises en difficulté : la procédure de redressement judiciaire,

181 Art. L621-96 al. 1er C. com. : « Lorsque la cession porte sur des biens grevés d’un privilège spécial, d’un nantissement ou d’une hypothèque, une quote-part du prix est affectée par le tribunal à chacun de ces biens pour la répartition du prix et l’exercice du droit de préférence ». 182 Art. L621-96 al. 4 C. com. : « Jusqu’au paiement complet du prix qui emporte purge des inscriptions grevant les biens compris dans la cession, les créanciers bénéficiant d’un droit de suite ne peuvent l’exercer qu’en cas d’aliénation du bien cédé par le cessionnaire ».

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s’affranchissant du règlement du sort du dirigeant, se concentre exclusivement sur la sauvegarde de son outil économique. Et pour ce faire, il n’est d’autre moyen que d’exclure toute initiative individuelle de la part des créanciers.

Il convient à ce propos de faire observer que ce traitement collectif, même s’il peut en être rapproché, ne doit pas être assimilé au traditionnel principe d’égalité des créanciers. La doctrine apparaît très contrastée quant à la reconnaissance de ce principe en procédure collective : si certains y voient une règle fondamentale183 qui en fait l’âme des procédures collectives184, d’autres ne le considèrent que comme un simple expédient185. Quoiqu’il en soit, ce principe, d’ordre public186, a vocation à leur assurer un traitement identique face aux malheurs du débiteur qui ne peut tous les régler. Ce principe a pour effet d’imposer un traitement similaire aux créanciers placés dans la même situation, c’est pourquoi l’on parle traditionnellement d’égalité entre les créanciers chirographaires, la Cour de cassation s’étant par ailleurs prononcée en faveur de son inapplicabilité aux créanciers privilégiés187. Ainsi, si certains auteurs188 ont pu justifier le dispositif du traitement collectif, qui impose les mêmes contraintes à la totalité des créanciers, munis de sûretés ou non, privilégiés ou non, par l’instauration d’une dose supplémentaire d’égalité, nous nous y refuserons.

Quel que soit son fondement, la soumission des créanciers titulaires de sûretés réelles ou de privilèges spéciaux au traitement collectif constitue le seul moyen de limiter leurs initiatives individuelles. La reconduction de solutions antérieurement justifiées par l’existence de la masse malgré sa disparition s’inscrit dans la même logique : ne pas laisser « échapper » à leur profit l’exercice d’une quelconque prérogative personnelle.

Par ailleurs, les sûretés réelles grevant des biens susceptibles d’être intégrés ultérieurement dans un plan de cession apparaissent comme une limite à leur attractivité, en imposant de lourdes contraintes à l’éventuel repreneur. A donc été prévue en la matière la purge de la plupart des inscriptions, purge retirant tout le bénéfice d’un droit suite grevant un bien faisant l’objet de la cession. Pour la même raison, l’exercice des droits de préférence en la matière revêt une efficacité somme toute relative. En outre, pour faciliter la continuation de l’entreprise, le privilège du bailleur d’immeuble voit son assiette considérablement réduite, celui du vendeur de meubles étant radicalement supprimé.

En rester à une telle conception des sûretés réelles en procédure collective serait trop réducteur. Les solutions précédentes semblent justifiées par la considération selon laquelle les intérêts du débiteur et ceux des créanciers sont nécessairement antagonistes. Le législateur doit ainsi faire face à une délicate équation comportant deux impératifs touchant à l’ordre public économique : la satisfaction des intérêts des créanciers, qui répond à une finalité liquidative, alors qu’une remise en cause de ceux-ci s’insérerait dans une logique de redressement.

Cette affirmation est partiellement fausse, car il faut toujours garder à l’esprit le fait que les facilités d’accès au crédit du débiteur dépendent indiscutablement de l’efficacité des

183 Derrida, Godé, Sortais, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3 éd., D. 1991, n° 544. 184 Soinne, Le bateau îvre, R.P.C. 1997, p. 105. ainsi que Vasseur, D. 1986, somm. p. 9. 185 Cabrillac, Les ambiguïtés de l’égalité entre les créanciers, Mél. Breton-Derrida, p. 31. 186 Com. 17 juin 1997, Bull. civ. IV, n° 192. 187 Com. 30 oct. 2000, D. 2001. 1527, n. Pierre. 188 F. Pollaud-Dulian, Le principe d’égalité dans les procédures collectives, J.C.P. G. 1998. I. 138., n° 18.

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sûretés consenties à ses créanciers. Or, il est tout à fait inconcevable de redresser une entreprise sans y faire rentrer de la new money.

Toute atteinte que le droit des procédures collectives porte à ces sûretés, fut-elle justifiée par la volonté de restaurer la viabilité d’une l’entreprise, ne peut avoir qu’un effet néfaste sur le crédit consenti aux entreprises commerciales. Ainsi, le sacrifice imposé aux créanciers titulaires de sûretés réelles doit être subtilement dosé pour préserver notre droit du crédit, assurer une circulation fluide des richesses et ainsi permettre le redressement d’entreprises qui peuvent encore en faire l’objet.

Ainsi, notre conception classique des sûretés réelles en procédure collective se trouve déjà dépassée d’un point de vue macroéconomique. L’efficacité caractérisant le régime juridique de certaines sûretés réelles, notamment de la propriété-sûreté, facilite indiscutablement l’accès au crédit du débiteur et participe de fait à son redressement. De plus, nous ferons observer que l’octroi de certains privilèges peut permettre d’inciter les créanciers à accompagner le refinancement du débiteur en période d’observation. Enfin, un aménagement du régime juridique de certaines sûretés réelles spéciales peut contribuer à faciliter le redressement par des voies détournées, par exemple en limitant les abus parfois constatés en matière de plans de cession. C’est dire que les sûretés réelles et autres privilèges spéciaux peuvent être conçus comme un outil du redressement (Chapitre II).

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CHAPITRE II – SURETES REELLES ET PRIVILEGES, UN OUTIL NECESSAIRE AU REDRESSEMENT DES

ENTREPRISES

Les sûretés réelles et privilèges spéciaux peuvent être considérés comme un outil du redressement de deux points de vue bien distincts.

Sur un plan macroéconomique d’abord, il nous faut prendre en considération le rapport existant entre les facilités de recouvrement des créances et la souplesse pouvant caractériser l’octroi du crédit. Nous avons vu en introduction que l’opération de crédit au sens strict peut se définir comme tout acte par lequel une personne met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie189. Cette mise à disposition de fonds au profit d’une personne déterminée sera, dans la quasi-totalité des situations, effectuée par un établissement de crédit en vertu du monopole bancaire. Mais l’opération de crédit peut aussi être entendue dans un sens plus large, prenant en considération certains modes de crédit indirects, tels par exemple l’octroi de remises de dettes ou de délais de paiements. Cette seconde forme de crédit semble soumise dans une plus large mesure au volontarisme des cocontractants du débiteur.

Dans nos sociétés industrialisées, le crédit est largement dépendant de la certitude qu’a le créancier d’être payé, et de l’être à la bonne date. Le crédit repose ainsi sur une projection du créancier dans l’avenir visant à apprécier la solvabilité future du débiteur. Ainsi, lorsque la situation financière de son partenaire apparaîtra tangente, il cherchera légitimement à garantir sa créance.

C’est ici que le terme sûreté doit rimer avec sécurité : même dans l’hypothèse de l’ouverture imminente d’une procédure collective à l’encontre du débiteur encore in bonis, le créancier qui sera mis en situation d’échapper à la loi du concours en raison de l’efficacité de sa sûreté, n’hésitera pas à lui octroyer du crédit jusqu’au dernier instant. Ce crédit pourra prendre la forme d’espèces, par exemple en recourant au mécanisme de la cession de créances Dailly en propriété ; il pourra aussi consister en des fournitures de biens assorties de paiements à échéances prolongées.

Par hypothèse, ce crédit est quotidien, permanent, et permet à l’entreprise in bonis de fonctionner normalement en s’adaptant autant que possible aux exigences des marchés (Section 1).

D’un point de vue microéconomique ensuite, il nous faut partir de l’idée selon laquelle l’entreprise, en difficulté avérée cette fois, doit au minimum être en mesure de financer une période d’observation avant même que les mandataires ne puissent se prononcer sur l’opportunité d’élaborer un plan de redressement. Le législateur cherche ainsi à inciter les créanciers à participer au refinancement du débiteur par l’octroi d’un crédit exceptionnel (Section 2).

Cette incitation au crédit exceptionnel est traditionnellement récompensée par l’octroi d’une prérogative inouïe au profit du créancier attentionné. Si sa qualification de privilège est 189 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 1999. Dictionnaire du vocabulaire juridique, Sous la direction de Rémy Cabrillac.

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sujette à discussion, son efficacité est certaine, dans la mesure où elle permet à son bénéficiaire de poursuivre le recouvrement de sa créance selon les vertus du droit commun des voies d’exécution.

Nous verrons encore que le recours aux sûretés réelles dans le cadre de l’adoption d’un plan de cession peut permettre de limiter les abus qui en sont parfois l’occasion ; en ce sens, leur utilisation permet à l’entreprise, et partant, à ses salariés, de bénéficier d’un redressement effectif, à long terme. Conditionnent encore ce crédit exceptionnel, les nombreuses garanties apportées par les partenaires économiques du débiteur visant à soutenir la viabilité financière d’un plan de continuation ou de cession.

SECTION I – UNE REPONSE AU BESOIN PERMANENT DE CREDIT DES ENTREPRISES IN BONIS

C’est dans le cadre de cette section que les adages « pas de crédit sans sûreté » et « sûretés traquées, crédit détraqué » prennent tout leur sens. Assurer une efficacité indiscutable à certaines garanties permet d’assurer une certaine fluidité dans la circulation des richesses et ainsi de faciliter l’accès au crédit de l’entreprise.

Même lorsque celle-ci éprouvera des difficultés financières, une remise à niveau de ses fonds propres sera envisageable, ses conditions d’octroi de crédit n’étant que peu sujettes à négociation.

Cependant, ces facilités de refinancement sont tributaires de la faculté ouverte au créancier dispensateur de crédit de bénéficier d’un traitement dérogatoire à celui imposé à ses homologues : en d’autres termes, sa problématique sera de rechercher une sûreté lui permettant d’échapper au traitement collectif en procédure collective.

A ce titre, comme le constate justement un auteur190, « ceux qui veulent échapper à la loi du concours invoquent des droits indiscutables ».

Ces droits indiscutables peuvent résulter du principe général du respect du droit de propriété dont notre tradition juridique est très empreinte (§1), mais aussi du jeu du mécanisme compensatoire, mécanisme moins chargé culturellement, mais dont l’efficacité est tout à fait comparable (§2).

§1 – La propriété-sûreté ou la soustraction des biens grevés au droit des procédures collectives

Comme nous l’avons vu en introduction, le recours au droit de propriété à titre de garantie peut prendre deux formes en pratique : l’aliénation fiduciaire et la propriété réservée.

190 B. Soinne, Le démantèlement du droit de la revendication, R.P.C. n° 1994-4., p. 471.

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S’il est vrai que ces deux mécanismes présentent une parenté de but indiscutable, résidant dans l’affectation de biens du débiteur en garantie de ses dettes, une distinction relative à l’objet de la garantie peut être effectuée : dans le cadre de la propriété réservée, c’est la propriété des biens convoités par le débiteur qui fait l’objet de la garantie. Ces biens n’ont donc jamais fait partie de son patrimoine, et la garantie a pour objet de retarder l’entrée de ses nouveaux biens au sein de celui-ci. Ainsi, le déroulement normal de l’opération consiste à rendre parfait un acte de vente.

Au contraire, dans le cadre de l’aliénation fiduciaire, le débiteur est déjà propriétaire des biens qui font l’objet de la garantie. Ce second mécanisme s’analyse donc en un abandon temporaire des prérogatives reconnues à tout propriétaire sur son bien.

Quoiqu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre, le débiteur n’abandonne jamais à son créancier la totalité de ses prérogatives de propriétaire ; il se dépouille seulement du droit qu’il a sur la valeur de son bien191.

Le droit des entreprises en difficulté réserve un traitement radicalement différent aux cocontractants du débiteur, suivant la nature des droits qui justifient leur intervention au sein de la procédure. Ainsi, la situation des partenaires titulaires d’un droit de créance est radicalement différente de celle reconnue aux titulaires d’un droit de propriété. Les créanciers n’ont qu’un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur, dans l’exercice duquel, si le fait générateur de leur créance est antérieur au jugement d’ouverture, ils sont soumis à toutes sortes de restrictions.

Les propriétaires, quant à eux, font valoir leurs droits sur des biens qui, par hypothèse, ne figurent pas, sauf en apparence, à l’actif de l’entreprise, et qui sont de ce fait étrangers à la procédure. Partant de ce constat, le législateur a posé le principe d’absence d’effet des mécanismes classiques de la procédure collective sur la situation des propriétaires, en leur réservant le bénéfice d’actions dérogatoires d’une efficacité incomparable.

Le traitement réservé aux salariés par la loi de 1985 est caractérisé par un régime de faveur résultant du caractère alimentaire de leurs créances: elles n’ont pas à faire l’objet de déclaration, sont garanties dans une certaine proportion par l’A.G.S., et bénéficient de l’attribution d’un privilège de 1er rang qualifié habituellement de superprivilège. Nonobstant le caractère alimentaire de leurs créances, les salariés intègrent la procédure de redressement en qualité de créanciers.

La situation des propriétaires est à ce titre encore plus enviable, puisqu’il leur est permis de contourner la procédure en empruntant des voies dérogatoires. Même si la qualification de ces prérogatives en privilège n’est pas justifiée juridiquement192, il n’est pas interdit de caractériser le traitement des propriétaires par référence à celui des salariés pour mettre en évidence son caractère hyperprivilégié (A).

Ces prérogatives, aussi exorbitantes soient-elles, pourront encore se voir renforcées lorsque leurs titulaires pourront se prévaloir de droits ayant précédemment fait l’objet d’une publicité. Inspirant la confiance de la part des partenaires, la publicité apparaît elle-même

191 V. Cass. civ., 21 mars 1910, DP 1912, 1, 445 : « les juges du fond apprécient souverainement si la cession est faite en propriété ou à titre de garantie… Si elle est faite à titre de garantie, le cédant reste créancier du cédé et le cédé peut être poursuivi en paiement par le syndic du cédant, sauf au cessionnaire en garantie à faire valoir ses droits sur le prix de vente ». V. aussi, Mouly, Procédures collectives : assainir le régime des sûretés, Mél. Roblot, 1984, 529, spéc. p. 552. 192 L’art. 2095 C. civ. fait référence à la qualité de la créance en vue de l’attribution d’un privilège. Le traitement dérogatoire réservé aux propriétaires ne résulte aucunement de la qualité de leur créance mais de leur statut.

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comme un vecteur indirect du crédit commercial. Cette observation peut s’illustrer par une certaine ambition du législateur à lutter contre les situations occultes et à encourager la transparence des droits réels (B).

A – L' "hyperprivilège" des propriétaires

En la matière, le législateur a été amené à dégager un subtil équilibre entre deux impératifs opposés.

D’un côté, il est nécessaire de respecter les prérogatives traditionnellement conférées par le droit de propriété à son titulaire. Ces prérogatives sont l’usus, qui lui permet d’utiliser le bien, ainsi que le fructus, qui lui permet d’encaisser les fruits civils provenant de celui-ci, et l’abusus, qui l’autorise à en disposer pour en retirer une contrepartie pécuniaire.

D’un autre coté, les trois objectifs poursuivis par le législateur de 1985 que sont la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’emploi, et l’apurement du passif193, doivent continuellement guider ses interventions.

Aurait-il été concevable, dans un Etat caractérisé culturellement depuis plus de deux siècles par son attachement à l’appropriation privative194, de tolérer dans sa législation une expropriation pour cause de redressement judiciaire ? Absolument pas, d’autant que la hiérarchie des normes doit tôt ou tard reprendre ses droits. Au regard de cette hiérarchie, le droit de propriété, consacré par des normes de valeur législative195, constitutionnelles196 et internationales197, bénéficie d’une force juridique dépassant largement celle des buts 193 Art. L621-1 al. 1er C. com. : « Il est institué une procédure de redressement judiciaire destinée à permettre la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’emploi et l’apurement du passif ». 194 Depuis le 4 août 1789, la propriété individuelle a été consacrée comme un droit de l’homme en France. Le Code civil a poursuivi cette œuvre : Portalis, dans son Discours préliminaire, affirme que la propriété est un droit naturel. Napoléon attache une importance particulière au respect de la propriété individuelle : « La propriété, c’est l’inviolabilité dans la personne de celui qui la possède : moi-même, avec les nombreuses armées qui sont à ma disposition, je ne pourrai m’emparer d’un champ, car violer le droit de propriété d’un seul, c’est le violer dans tous ». 195 Art. 544 C. civ. : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». 196 Au rang de la réception constitutionnelle du droit de propriété, deux textes sont à citer: d’une part, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui l’évoque dans deux de ses articles. L’article 2 dispose que « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Son article 17 dispose quant à lui que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». D’autre part, la Constitution du 4 octobre 1958 elle-même se réfère dans son préambule aux principes dégagés en 1789. De plus, appelé à se prononcer sur la conformité à la constitution de 1958 des lois de nationalisations votées en 1981, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 16 janvier 1982, a rappelé « le caractère fondamental du droit de propriété ». 197 L’assise internationale du droit de propriété est constituée par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ainsi que par l’article 1er du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme selon lequel « toute personne morale ou physique a droit au respect de ses biens ». Si la terminologie employée par la Convention peut prêter à discussion du fait de son imprécision, les travaux préparatoires confirment cette consécration du respect du droit de propriété de façon incontestable.

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poursuivis en matière de redressement. Ceux-ci étant consacrés par une norme législative, une nouvelle loi suffit à elle seule à renverser complètement les impératifs guidant le redressement des entreprises.

Ainsi la théorie générale du droit elle-même impose, en cas de nécessité, de s’affranchir d’abord de certains impératifs poursuivis par la réglementation de 1985, en s’efforçant de ne porter aucune atteinte disproportionnée au droit de propriété.

La légitimité des prérogatives exorbitantes reconnues à ces partenaires économiques ne résulte pas de leur qualité de créancier, mais de celle de propriétaire, ce qui les place dans une logique totalement opposée à celle qui prévaut dans le cadre du déroulement normal d’une procédure de redressement. Alors que les créanciers non propriétaires sont soumis, pour la seule part résiduelle de leur créance, à la loi du concours, qui entraîne soit un classement résultant du caractère privilégié ou chirographaire de la créance, soit des opportunités de paiement abandonnées à la diligence du créancier, les propriétaires sont quant à eux mis à même de demander un paiement intégral et immédiat. La Cour de cassation considère d’ailleurs que la revendication n’est pas subordonnée à la déclaration de la créance du prix, et que le vendeur conserve sa garantie, la propriété du bien, alors que la créance du prix est éteinte faute de déclaration198.

Bien sûr, par une analyse de l’entreprise en difficulté considérée de façon isolée, sans prendre en considération son intégration dans le tissu économique, le mécanisme des revendications et restitutions aboutit à un véritable démantèlement des actifs de l’entreprise. Un auteur fait justement remarquer à ce titre qu’il n’y a pas de survie possible de l’outil de production si l’on admet un véritable dépeçage de l’entreprise199. L’actif des entreprises est composé de nos jours en grande majorité de biens sur lesquels le débiteur ne dispose pas de droit de propriété. Le crédit-bail est aujourd’hui un moyen de financement tout à fait répandu pour les entreprises françaises, sans parler de la stipulation quasi-systématique de clauses de réserve de propriété dans les contrats de vente.

Dans cette approche individuelle de l’entreprise, les intérêts du débiteur et ceux des créanciers paraissent opposés, la satisfaction des uns entraînant l’appauvrissement pécuniaire de l’autre, et vice-versa.

C’est dans ce contexte que d’éminents auteurs200 avaient critiqué l’attitude du législateur assouplissant, au début des années 1980201, les conditions de validité des clauses de réserve de propriété. Ils faisaient remarquer que cette extension de leur champ d’application intervenait au moment où d’autres législations l’abandonnaient en vue de maintenir l’intégrité du patrimoine des entreprises en difficulté et ainsi en faciliter le redressement. L’inédite reconnaissance par le législateur de la pleine efficacité des clauses de réserve de propriété dans les procédures collectives était alors motivée par deux considérations : la volonté de

198 Com. 9 janv. 1996, D. 1996. 184, n. crit. Derrida ; R.T.D. Civ. 1996. 437, n° 4, obs. crit. Crocq ; J.C.P. E. 1996. I. 554, n° 19, obs. crit. Cabrillac et 571, n° 4, obs. Simler et Delebecque ; D.A. 1996. 616 et chron. crit. De Larroumet, p. 603. Sur la déclaration : Com. 29 janv. 1991 et 20 oct. 1992, R.P.C. 1993. 572, obs. Soinne ; D. 1993. Somm. 288, obs. Pérochon. 199 Soinne, Le paradoxe ou l’entreprise éclatée : JCP 1981, éd. CI, II, 13551, p. 317. 200 Derrida, Godé, Sortais, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises : D. 1991. 345, citant Wodland, n° 1 et 29. 201 Traditionnellement, la clause de réserve de propriété était jugée inopposable à la masse des créanciers au nom de la théorie de la solvabilité apparente : Civ. 22 oct. et 28 mars 1934, D.P. 1934. 1. 151, n. Vandamme ; La Loi n° 80-335 du 12 mai 1980 relative à la clause de réserve de propriété a reconnu une particulière efficacité aux clauses de réserve de propriété dans le cadre des procédures collectives en consacrant sa validité de principe.

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lutter efficacement contre les faillites en cascades ainsi que pour certains202, celle de rapprocher au sein de l’Europe les différentes réglementations du droit des faillites.

L’analyse est radicalement différente lorsqu’elle est basée sur une prise en considération de l’entreprise intégrée dans son environnement économique, se livrant à une approche macroéconomique de la circulation des richesses. L’impact de ces revendications sur le redressement peut alors s’avérer positif en améliorant dans une large mesure les possibilités de refinancement des entreprises. On évoquait précédemment le fait selon lequel le crédit interentreprises constitue la première source de crédit des entreprises françaises.

Un crédit sera sans aucun doute accordé dans des conditions d’autant moins onéreuses que la sûreté qui renforce ses chances de remboursement sera efficace. Un fournisseur sera d’autant moins réticent à accorder des délais au débiteur pour le paiement des marchandises vendues, s’il sait qu’au pire des cas, il sera en mesure de recouvrer 100% des valeurs qui lui sont dues, dans un délai très réduit. Il ne faut pas perdre de vue que les relations interentreprises, notamment contractuelles, sont source de chiffre d’affaires pour celles-ci, et la conservation de certains partenaires a souvent pu permettre le sauvetage de certaines d’entre elles.

Les cocontractants du débiteur en difficulté, du fait de l’incomparable efficacité des sûretés qui garantissent les sommes qui leurs sont dues, n’hésiteront pas à le soutenir, et participer au redressement jusqu’au dernier instant. En ce sens, les intérêts du débiteur comme ceux de ses partenaires convergent vers l’objectif de maintien de l’activité et de l’emploi.

Au vu de ce constat, nous soutiendrons l’opinion selon laquelle l’élargissement, par le législateur de 1980 et 1994, des conditions d’opposabilité de la clause de réserve de propriété, ainsi que des conditions d’exercice de l’action en revendication, facilite l’accès au crédit du débiteur et ainsi favorise de fait son redressement.

En premier lieu, c’est l’adoption de nouvelles modalités d’opposabilité des clauses de réserve de propriété qui a renforcé leur efficacité. Elle devra d’abord avoir fait l’objet d’une acceptation en bonne et due forme203. En matière de redressement judiciaire, les textes de 1985 exigeaient pour que la clause soit valable, qu’elle soit contenue dans un écrit pour chaque vente. Le législateur de 1994 admit la validité de clauses figurant dans un écrit régissant un ensemble d’opérations commerciales204. Quoiqu’il en soit, la clause devra être écrite et figurer sur un document établi au plus tard au moment de la livraison des biens. Le régime juridique de ces clauses a pu être étayé par la Cour de cassation par trois arrêts de la fin de l’année 2003205. 202 F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, instruments de crédit et de paiement, 5e éd., LGDJ 2001. 203 La jurisprudence considère à ce titre que lorsque les conditions générales d’achat et de vente s’opposent, la clause de réserve de propriété ne peut être considérée comme acceptée : Com. 11 juill. 1995, J.C.P. E. 1995. I. 513, n° 12, obs. Pétel ; J.C.P. E. 1996. I. 523, n° 10, obs. Bonhomme et II. 779, n. Vallansan ; J.C.P. 1996. II. 22583, n. Mainguy ; D. 1996. Somm. 212, obs. Pérochon ; R.P.C. 1996. 471, obs. Soinne. 204 Art. L621-122 al. 2 C. com. : « Peuvent également être revendiqués, s’ils se retrouvent en nature au moment de l’ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété subordonnant le transfert de propriété au paiement intégral du prix. Cette clause, qui peut figurer dans un écrit régissant un ensemble d’opérations commerciales convenues entre les parties, doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit établi, au plus tard, au moment de la livraison. Nonobstant toute clause contraire, la clause de réserve de propriété est opposable à l’acheteur et aux autres créanciers, à moins que les parties n’aient convenu par écrit de l’écarter ou de la modifier ». 205 La Chambre commerciale a en effet manifesté la volonté de ne pas restreindre l’efficacité de la protection conférée par la clause de réserve de propriété. Par un arrêt du 19 novembre 2003 (D. 2003, AJ p. 3049, obs. Lienhard.) la Cour a étendu le domaine de la propriété réservée aux contrats d’entreprise. Les deux autres arrêts

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Par ailleurs, en dehors de toute clause de réserve de propriété, la loi du 10 juin 1994 a

assoupli les conditions d’exercice des actions en revendication, actions réelles tendant d’une part à la reconnaissance du droit de propriété d’une personne sur un bien, et d’autre part à sa restitution. Celles-ci sont régies par les articles L621-115 à L621-124 C. com.

Il convient de préciser à titre liminaire que selon la jurisprudence, le bien objet de la revendication peut être soit meuble, soit immeuble. En matière immobilière, le propriétaire devra simplement respecter les conditions issues du droit commun des revendications d’immeubles, notamment quant à la preuve de la qualité de propriétaire qui peut se faire par tout moyen, mais surtout au regard de l’absence de délai de revendication206.

En matière mobilière, la nécessité de prouver l’identité des biens entraînait, sous le régime de la loi de 1985, l’impossibilité de toute revendication portant sur des choses fongibles207. La nouvelle rédaction précise que la revendication en nature peut également s’exercer sur des biens fongibles lorsque se trouvent entre les mains de l’acheteur des biens de même espèce et de même qualité208. De plus, auparavant, il était indispensable d’opérer un rapprochement entre les bons de commande, les factures, les bons de livraison et de comparer avec les marchandises retrouvées en nature à la date du jugement d’ouverture. Ce n’est plus le cas depuis 1994, le revendiquant pouvant s’approprier des biens approximativement identiques ou se rapprochant de ceux ayant précédemment été vendus.

L’œuvre de la jurisprudence dans l’assouplissement des conditions relatives à l’identification des biens revendiqués est loin d’être négligeable. Les textes imposent que pour pouvoir faire l’objet d’une revendication, les biens doivent se retrouver en nature chez le débiteur à la date du jugement d'ouverture. Le juge applique cependant avec souplesse cette exigence. Sans être exhaustifs, nous citerons quelques exemples révélateurs de la position adoptée.

Il a ainsi été jugé que l’usage du matériel par le débiteur après l’avoir installé ne fait pas obstacle à l’exercice d’une revendication209. De même, la revendication doit être admise lorsque les travaux d’installation ne sont pas achevés et que le matériel livré, bien qu’incorporé dans un ensemble fonctionnel, est demeuré à l’état neuf ne nécessitant pour sa reprise qu’un simple démontage, de sorte qu’il existait en nature au moment de l’ouverture de la procédure210. En tout état de cause, les biens ne doivent pas avoir été transformés en des

concernent la revendication du prix de revente en cas de cession par le débiteur avant l’ouverture de la procédure collective ; l’arrêt du 5 novembre 2003 (D. 2003, AJ p. 2965.) confirme que la cession peut valablement intervenir en exécution d’un contrat d’entreprise et que c’est à la date de délivrance au sous-acquéreur que les biens dont le prix est revendiqué doivent exister dans leur état initial. Enfin, l’arrêt du 3 décembre 2003 (D. 2004, AJ p.140.) impose que pour l’application de L621-24 C. com. seule compte l’antériorité du jugement d’ouverture au paiement du prix de revente par le sous-acquéreur. 206 En matière de crédit-bail immobilier, le contrat a été jugé opposable à la procédure malgré son défaut de publicité. La chambre commerciale a en effet jugé qu’en l’occurrence, les créanciers de la procédure ne sont pas des tiers au sens de la publicité foncière. Com. 15 mai 2001, J.C.P. E. 2001. 1473, obs. Cabrillac et Pétel. 207 CA Rouen, 5 févr. 1987 : R.P.C. 1990, p. 260, n° 7, obs. Soinne. 208 Art. L622-122 al. 3 C. com. : « (…) La revendication en nature peut également s’exercer sur des biens fongibles lorsque se trouvent entre les mains de l’acheteur des biens de même espèce et de même qualité ». 209 A propos de la revendication de batteries déjà installées sur des véhicules, Com. 29 janv. 1991 : R.P.C. 1991, p. 225, n° 11, obs. Soinne ; J.C.P. G. 1991. IV. 120 ; R.P.C. 1992, p. 425, n° 8, obs. Soinne. 210 Com. 8 déc. 1987, J.C.P. E. 1988, I, 17126 ; D. 1988, inf. rap. p.5 ; J.C.P. G. 1988. IV. 68.

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biens d’une autre nature211, ou avoir été intégrés à un ensemble dont ils sont partie intégrante et indissociable, les textes imposant que leur récupération puisse s’effectuer sans dommage212. Lorsque le bien revendiqué a fait l’objet d’un acte translatif, le droit de propriété est reporté sur le prix de revente subrogé au bien, ce qui permet au propriétaire de revendiquer ce prix dans les conditions de l’art L621-124 C. com. Le revendiquant devra donc prouver à la procédure que la créance du prix de revente lui appartient du fait de sa subrogation au bien.

La principale limite apportée à ce régime de protection des intérêts des propriétaires provient du délai dans lequel est enfermée la revendication213. Celui-ci est de trois mois, à compter soit de la publication du jugement d’ouverture en matière de réserve de propriété, soit de la résiliation ou du terme du contrat dans les autres cas.

Bien sûr ce délai est court, mais il reste plus long que celui prévu en matière de déclaration de créance qui n’excède pas deux mois. Cette constatation renforce encore la dichotomie de traitement des propriétaires et des créanciers par le droit des procédures collectives. Le délai de revendication, délai préfix, vise aussi à éviter de ralentir le processus d’élaboration du bilan économique et social par des actions tardives, alors que le délai de déclaration vise clairement à figer les droits des créanciers dans la procédure. Quoiqu’il en soit, ces deux délais favorisent une connaissance rapide du volume de l’actif du débiteur, de manière à réagir opportunément le plus tôt possible.

En toute hypothèse, le propriétaire forclos conserve sa qualité de propriétaire, son droit de propriété étant simplement inopposable à la procédure en cours. Le bien non revendiqué intègrera le gage des créanciers au sein de l’actif du débiteur.

Lorsque l’action aboutit, elle établit de façon incontestable le droit de propriété du revendiquant sur son bien. Cependant, cette reconnaissance n’implique pas nécessairement la restitution immédiate du bien à son propriétaire, car elle ne peut à elle seule faire obstacle à certains mécanismes fondamentaux du droit des procédures collectives214.

Précisons enfin qu’en matière de réserve de propriété, l’art L621-122 al 4 C. com.215 permet à l’administrateur, ou au débiteur autorisé par le juge-commissaire, de bloquer la revendication du réservataire en payant le prix immédiatement. Dans cette hypothèse, le 211 Com. 22 mars 1994, Bull. civ., IV, n° 121 ; D. 1996. Somm. 219, obs. Pérochon ; Com. 11 oct. 1994, R.P.C. 1995. 206, obs. Soinne. 212 Art. L621-122 al. 3 C. com. : « La revendication en nature peut s’exercer dans les mêmes conditions sur les biens mobiliers incorporés dans un autre bien mobilier lorsque leur récupération peut être effectuée sans dommage pour les biens eux-mêmes et le bien dans lequel ils sont incorporés. (…) ». 213 Art L621-115 C. com. : « La revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire immédiate. Pour les biens faisant l’objet d’un contrat en cours au jour de l’ouverture de la procédure, le délai court à partir de la résiliation ou du terme du contrat ». 214 Par exemple, si les parties étaient liées par un contrat en cours au jour du jugement d’ouverture, l’administrateur peut en exiger la continuation en vertu de l’art. L621-28 C. com. Cette continuation a des implications qui ne peuvent être mises en échec du seul fait d’une revendication. Il a par ailleurs été explicitement jugé en matière de crédit-bail que l’option pour la continuation des contrats en cours implique reconnaissance du droit de propriété du crédit-bailleur sur le matériel loué, sans qu’il ait à exercé une quelconque action en revendication : Com. 6 déc. 1994, P.A. 23 janv. 1995, n° 10, p. 10, obs. Soinne. 215 Art. L622-122 al. 4 C. com. : « Dans tous les cas, il n’y a pas lieu à revendication si le prix est payé immédiatement. Le juge-commissaire peut, avec le consentement du créancier requérant, accorder un délai de règlement. Le paiement du prix est alors assimilé à celui d’une créance née régulièrement après le jugement d’ouverture ».

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réservataire apparaît comme l’un des seuls créanciers antérieurs à pouvoir bénéficier d’un paiement intégral et sans délai216.

Les actions en revendication sont d’une redoutable efficacité dans les procédures collectives, on l’a vu, dans la mesure où elles permettent aux propriétaires de bénéficier d’un traitement dérogatoire à celui réservé au groupement des créanciers.

Les actions en restitution tendent comme les revendications à donner plein effet au principe général du respect du droit de propriété dans les procédures collectives. Elles s’en distinguent cependant par le fait qu’à la différence des revendications, le droit de propriété du demandeur est déjà reconnu par les tiers au jour de l’ouverture de la procédure, ce qui a pour conséquence de limiter l’objet de la demande à la restitution des biens visés.

La question s’est cependant posée de savoir si, en matière de crédit-bail, une publication irrégulière du contrat pourrait malgré tout rendre applicable le régime des revendications217 à titre subsidiaire. Ainsi, le crédit-bailleur, qui n’aurait pas publié son contrat régulièrement, conserverait la possibilité de revendiquer son bien dans le délai de trois à compter du jugement d’ouverture de la procédure. La sanction légale de l’inopposabilité rend cependant impossible toute revendication, le crédit-bailleur ne pouvant plus arguer de son droit de propriété dans la procédure. Le caractère obligatoire de la publicité du crédit-bail semble donc interdire cette interprétation a contrario de l’ex-art. 115-1 de la loi de 1985.

En ce sens, un arrêt de la Chambre commerciale218 déclare irrecevable la revendication, bien qu’elle ait été introduite moins de trois mois après le jugement d'ouverture de la procédure. Cette interprétation demeure cependant tout à fait logique pour la vente sous réserve de propriété, dont la publicité n’est que facultative.

Les tiers de bonne foi ne pouvant, du fait de la publicité du contrat qui sert d’appui à la demande, ignorer l’existence du droit de propriété sur les biens en cause, l’action en restitution peut être qualifiée de revendication allégée car soumise à aucun délai préfix.

Ce dispositif a été adopté sous la pression des crédit-bailleurs. Comme nous l’avons vu, les contrats de crédit-bail sont soumis à publicité à peine d’inopposabilité aux tiers219. Le dispositif vise encore tous les autres contrats dès lors qu’ils font l’objet de publicité, ce qui témoigne de la manifestation par le législateur d’une volonté d’encourager les situations patrimoniales transparentes, rétablir une certaine morale dans les relations d’affaires, et ainsi favoriser l’essor du crédit commercial (B).

216 F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, instruments de paiement et de crédit, LGDJ 2003, 6e éd. 217 V. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 3e éd., 1999, n° 707. 218 Com. 4 déc. 2001 rejetant le pourvoi formé sur l’arrêt de la CA Douai du 22 avril 1999, J.C.P. E. 2000. II. 465. 219 Art. 1er-3 L. 2 juill. 1966, et art. 8 D. 4 juill. 1972.

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B – La publicité, vecteur de confiance de la part des partenaires économiques du débiteur

Lors d’un colloque relatif aux pratiques et aux innovations en matière de sûretés et garanties220, deux auteurs221 évoquaient la situation idyllique dans laquelle le crédit dispensé au débiteur par ses partenaires serait d’une nature exclusivement consensuelle, et fondé sur des seules relations de confiance.

Cette vision est malheureusement déconnectée de la réalité au regard de l’importance des enjeux. Fonder des relations de crédit sur un seul intuitus personae apparaît plutôt comme un idéal, d’autant que le droit des sûretés offre de nombreux moyens aux dispensateurs de crédit de se garantir contre un défaut de remboursement de leurs cocontractants.

L’impératif de sécurité du commerce juridique impose alors une certaine fiabilité des renseignements dont disposent les contractants, surtout en matière de sûretés réelles, qui reposent sur l’affectation au profit du créancier d’un droit sur un ou plusieurs biens222.

En effet, un droit réel occulte, par sa seule existence, est de nature à nuire au crédit de l’ensemble des commerçants. On entrevoit ici la finalité poursuivie par tout système de publicité : l’information des tiers, et partant, leur protection.

Ainsi, le système français impose la consignation de certains renseignements relatifs aux biens sur des registres publics et accessibles, tenus par des autorités neutres et objectives.

Cette inscription sur registre officiel n’est cependant conçue dans notre système comme une condition de validité d’un acte entre les parties que de façon exceptionnelle. Elle est par principe érigée en une simple condition d’opposabilité de l’acte aux tiers, ce qui permet de ne porter aucune atteinte aux principes de l’autonomie de la volonté ainsi qu’à l’effet translatif ou constitutif des consentements échangés, tout en sanctionnant efficacement le respect du dispositif.

Le droit français de la publicité foncière s’est formé par strates législatives successives, ce qui explique la diversité des régimes et des solutions. D’un côté, l’inscription des hypothèques et des privilèges a pour effet de déterminer directement certains aspects de leur régime tels que leur assiette, leur portée, ou encore les modalités d’exercice des droits de préférence et de suite. Les autres droits réels sont soumis à des régimes très variables, prévus par le décret du 4 janvier 1955, ainsi que par une multiplicité de lois spéciales.

Une de ces lois spéciales, adoptée le 2 juillet 1966, a institué une publicité spécifique en matière de crédit-bail mobilier. Le décret du 4 juillet 1972 est venu l’organiser.

Lorsque le crédit-bail porte sur un bien meuble, la publicité devra être faite au greffe du tribunal de commerce du siège du crédit-preneur. En matière de crédit-bail immobilier, ce sont les règles du droit commun de la publicité foncière qui trouveront à s’appliquer selon le régime juridique des baux en question223. 220 Colloque des 25 et 26 janvier 2001 organisé par le groupe Monassier France, les Matinées-débats de la LJA et la rédaction de Droit et Patrimoine, en partenariat avec la Lettre des juristes d’affaires et l’Association nationale des juristes de banque. 221 B. Monassier et F. Michel, Les sûretés ne sont plus sûres, Dr. et patrim., n° 92, avril 2001, p. 52. 222 Cf. Cabrillac, n. sous CA Nancy, 19 déc. 1985, D. 1986. 249. 223 Ainsi, si la durée du contrat excède douze ans, la publicité sera obligatoire.

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Cette publicité a pour objet d’informer les tiers des droits du crédit-bailleur sur le bien

objet du crédit-bail, et partant, de les protéger contre la fausse apparence de solvabilité du débiteur. Physiquement et économiquement, le bien est sous sa domination, les machines sont bien installées dans les ateliers du débiteur, crédit-preneur. Mais juridiquement, le droit de propriété du crédit-bailleur sur le bien est incontestable.

Comme dans la majorité des cas, la sanction du défaut de publicité ou d’une publicité non conforme aux exigences réglementaires du crédit-bail réside, sauf connaissance du droit de propriété par eux, dans l’inopposabilité de ce droit de propriété du crédit-bailleur à l’égard de tous les tiers de bonne foi, et non pas seulement à l’égard de la procédure. A l’égard de ceux-ci, tout se passe comme si le bien crédit-baillé entrait dans la consistance du patrimoine du débiteur et constituait leur gage commun.

Cependant, à l’égard du crédit-preneur défaillant, l’existence de ce droit de propriété ne peut être contestée.

Ce dispositif, élémentaire au regard des principes, doit être concilié avec la réglementation impérative des procédures collectives224 : des effets de l’inopposabilité résultent des conséquences spécifiques sur l’issue de la demande en revendication ou en restitution, ou encore sur la créance du crédit-bailleur, conséquences variant notamment en fonction de la présence ou de l’absence d’administrateur dans la procédure.

La transparence facilitant l’essor du crédit commercial, le droit des entreprises en difficulté comprend de nombreuses dispositions visant à lutter contre le caractère occulte de certains droits. Nous ne citerons que quelques unes d’entre elles.

En premier lieu, comme nous l’avons évoqué précédemment, le régime juridique attractif des actions en restitution permet de ne pas soumettre aux délais relatifs aux revendications mobilières les propriétaires de biens ayant fait l’objet d’un contrat publié. Ainsi ces propriétaires verront leur action accueillie même lorsqu’elle sera intentée après l’expiration d’un délai de trois mois qui court, soit de la publication du jugement d’ouverture de la procédure (en matière de clauses de réserve de propriété225), soit de la résiliation ou du terme du contrat226.

Les actions en restitution sont ouvertes aux propriétaires, dès lors que le contrat qui fonde leur droit a fait l’objet d’une publicité. Sont donc visés les contrats de crédit bail, dont la publicité est obligatoire, certains contrats faisant l’objet d’une clause de réserve de propriété, ou encore certains louages d’aéronefs ou de navires. Les bailleurs de fonds de commerce et autres biens incorporels tels des brevets ou des marques bénéficient également de ce régime de faveur.

Il convient à ce titre de mettre en évidence la dualité de traitement réservé aux opérations de crédit-bail d’une part, qui sont soumises à un dispositif de publicité obligatoire, des clauses de réserve de propriété, qui ne le sont aucunement, nonobstant la poursuite d’une finalité identique par les deux textes.

224 E. Le Corre-Broly, La publicité du contrat de crédit-bail mobilier et sa sanction en cas de procédure collective du locataire, J.C.P. E. 1997. I. 621. 225 Et ce, bien que les contrats en cause soient en cours d’exécution : v. Com., 3 avril 2001, Bull. civ., IV, n° 72 ; D. 2001. 1621, obs. Avena-Robardet ; J.C.P. E. 2001. 1472, n° 13, obs. Cabrillac et Pétel. 226 L621-115 al. 2 C. Com. : « Pour les biens faisant l’objet d’un contrat en cours au jour de l’ouverture de la procédure, le délai court à partir de la résiliation ou du terme du contrat ».

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Le projet de réforme précédant la loi du 10 juin 1994 prévoyait d’ailleurs, à l’initiative de l’Assemblée nationale, que les clauses de réserve portant sur des immobilisations dépassant un certain seuil fixé par décret, devraient faire l’objet d’une publication au greffe de la juridiction. Cette initiative ne survivra cependant pas à la navette parlementaire, le Sénat écartant toute exigence de publication lorsque le projet lui fut transmis. Le manque de discernement du législateur de 1994 aboutit donc aujourd’hui à soumettre à publicité les opérations de crédit-bail, alors que les réserves de propriété portant sur des immobilisations, pour des chiffres parfois extrêmement importants, couvrant la grande majorité de l’actif des entreprises, ne sont astreintes à aucune obligation de ce type.

Le régime des restitutions a bien sûr pour objet d’encourager la transparence de la situation patrimoniale du débiteur, mais il évite aussi un allongement inutile de certaines procédures résultant de contestations dilatoires, relatives à des droits pourtant incontestables aux yeux des tiers. En pratique, la longueur des procédures est en effet souvent synonyme de dépréciation des actifs, de frais de rémunération des mandataires exorbitants, ce qui est aussi de nature à nuire au redressement du débiteur.

Par ailleurs, en matière de déclaration de créance, les créanciers titulaires d’une sûreté publiée ou d’un contrat de crédit-bail publié bénéficient d’un régime d’information par le représentant des créanciers plus favorable que les autres, titulaires de droits occultes.

Les délais de déclaration de créance sont des délais courts et préfix, qui peuvent aboutir comme nous l’avons vu, à l’extinction pure et simple de la créance non déclarée. Le législateur a donc prévu que le représentant des créanciers doit, dans les quinze jours du jugement d’ouverture, avertir les créanciers figurant sur la liste certifiée des créanciers227 d’avoir à lui déclarer leurs créances. Cette disposition revêt cependant une efficacité tout à fait restreinte dans la mesure où elle est atteinte d’un vice fondamental, l’absence de sanction légale.

Cette obligation du représentant des créanciers est alourdie au profit des créanciers titulaires d’une sûreté publiée ou d’un contrat de crédit-bail publié. Ceux-ci devront, en vertu des art. L.621-43 C. com. et 66 D., être avertis par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. La jurisprudence a jugé que le dispositif doit trouver application que la sûreté en cause soit générale ou spéciale228. La question est plus délicate en matière de réserve de propriété, car en dépit de sa qualification de sûreté réelle reconnue par la jurisprudence229, et comme le fait remarquer un auteur230, ce n’est pas la sûreté mais le contrat de vente qui est soumis à publicité facultative selon l’art. 85-5 D.

227 Cette liste certifiée des créanciers est communiquée par le débiteur au représentant des créanciers et à la comptabilité du débiteur au début de la procédure en vertu des art. L.621-45 C. com. et 69 D. 228 Com. 9 janvier 2001, D. 2001. AJ. 455 ; Com. 4 juill. 2000, Bull. civ., IV, n° 137 ; D. 2001. Somm. 617, obs. Honorat ; J.C.P. E. 2001. 219, n° 11, obs. Pétel ; Dr. et patrim. janv. 2001. 99, obs. Monsèrié-Bon ; R.T.D. Com. 2001. 228, obs. Martin-Serf (privilège général du Trésor). 229 Com. 23 janv. 2001, deux arrêts, D. 2001. 702, obs. Lienhard ; J.C.P. E. 2001. 755, n° 13, obs. Cabrillac ; Com. 9 mai 1995, R.T.D. Civ. 1996. 441, obs. Crocq ; R.P.C. 1995. 487, obs. Soinne ; Com. 15 mars 1988, D. 1988. 330, n. Pérochon. 230 F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 2001, 5e éd.

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Là encore la politique du législateur consistant à encourager les situations transparentes tient de l’évidence. Ces créanciers qui auront fait publier leur droit ou leur contrat pourront se prévaloir de l’inopposabilité du délai de forclusion à leur égard231.

On observe ici une certaine symétrie entre le régime des actions en restitution et celui de la déclaration de créance : la connaissance par les tiers de bonne foi d’un droit réel détenu par un propriétaire sur un bien fait obstacle à un encadrement, par des délais rigoureux, de l’exercice des droits détenus par celui-ci au sein d’une procédure collective.

Enfin, les cas d’extension de procédure sont révélateurs du combat mené par le législateur à l’encontre des fausses apparences. Ces deux hypothèses sont les suivantes. D’une part la confusion de patrimoine, justifiée par la confusion des comptes du débiteur avec ceux d’un tiers, et l’existence de flux financiers anormaux entre ces deux personnes. D’autre part, la fictivité provient du fait que la structure juridique du débiteur est utilisée comme un simple écran, celui-ci n’ayant aucune volonté propre quant à l’exercice de son activité. La procédure collective déjà ouverte est étendue à toutes les personnes concernées, en conservant la même date de cessation des paiements, ce qui permet d’assurer le paiement du passif commun avec un actif élargi.

S’agissant d’exceptions aux principes d’unité des faillites et d’autonomie patrimoniale des personnes, elles ont pour objet de faire coller le droit aux faits lorsque les créanciers, qui ont légitimement pu penser avoir affaire à un cocontractant, ont été trompés sur son identité, et partant sur la consistance de son patrimoine.

Comme nous venons de le constater, l’utilisation du droit de propriété comme moyen de garantie revêt une efficacité inégalable en cas de mise en redressement judiciaire du débiteur. Le traitement dérogatoire reconnu à ces partenaires résulte, comme nous l’avons démontré, de leur qualité de propriétaire et non de celle de créancier, et permet de les soustraire à la loi du concours. Le jeu d’un autre mécanisme, celui de la compensation, aboutit à un résultat comparable, bien que n’étant pas fondé sur un droit aussi chargé culturellement que le droit de propriété (§2).

§2 – L’absence de concours résultant du jeu de la connexité

La compensation est définie par le Code civil232 comme un mode d’extinction simultanée de deux obligations de même nature existant entre deux personnes réciproquement créancière et débitrice l’une de l’autre. L’extinction est totale si les deux obligations en cause sont d’un montant égal. Le plus souvent, les deux obligations sont d’un montant inégal : la compensation n’est alors que partielle, les obligations ne s’éteignant qu’à concurrence du plus faible montant. C’est en matière commerciale que la compensation présente ses applications les plus nombreuses, du fait notamment des relations d’affaires étroites qui se tissent entre les opérateurs économiques.

231 Art. L.621-46 al. 2 C. com. : « La forclusion n’est pas opposable aux créanciers mentionnés dans la seconde phrase du premier alinéa de l’article L.621-43, dès lors qu’ils n’ont pas été avisés personnellement ». 232 Art 1289 à 1299 C. civ.

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Le mécanisme du compte courant apparaît comme l’illustration type du mécanisme de compensation. En effet, le principe de généralité, qui sous-tend son fonctionnement, impose que toute écriture en compte opère novation et s’analyse en un paiement. Ainsi, toutes les opérations portées au débit ou au crédit du compte se compensent entre elles, et seul le solde constaté lors de sa clôture donne lieu à un paiement effectif.

Au-delà de cette première facette, la compensation présente la particularité de s’apparenter à un privilège dans ses effets : ainsi, d’éminents auteurs233 font entrer la compensation, surtout conventionnelle, dans la catégorie des techniques de garantie lato sensu.

Dans cette seconde fonction, la compensation s’apparente sur certains points à l’exception d’inexécution et du droit de rétention dans la mesure où une situation privilégiée résulte bien d’une réciprocité de créances et de dettes. Cependant, alors que les deux derniers mécanismes peuvent se définir comme des positions de défense ou d’attente, la compensation présente l’originalité de permettre au créancier de s’approprier, à titre de mode de paiement la valeur correspondante de la créance de son débiteur à son égard. Cette satisfaction indirecte du créancier lui permet d’échapper au risque d’insolvabilité de son débiteur ainsi qu’à tous les aléas du recouvrement de sa créance, mais aussi à tout concours avec d’autres créanciers, quel que soit leur rang.

Dès lors, on comprend bien l’intérêt que suscite ce mécanisme en droit des entreprises en difficulté. Comme le souligne un auteur234, « Le plus sûr moyen d’être payé, lorsqu’on est créancier d’un insolvable, reste d’être également son débiteur ».

Dans une finalité de redressement, le mécanisme compensatoire va trouver un écho différent selon la qualité du créancier qui l’invoque. Si la plupart d’entre eux restent soumis à une certaine discipline imposée par le droit commun de la compensation, une minorité, constituée par les établissements bancaires et financiers bénéficie d’une certaine liberté en la matière (A). D’autre part, lorsqu’un opérateur évoluant sur les marchés financiers fera l’objet d’une procédure collective, la réglementation poursuivra une finalité toute autre, limiter au maximum le risque systémique : le recours à la compensation sera alors plébiscité (B).

A – Place laissée à la compensation, dans un impératif de redressement

Cette subdivision a pour objet de mettre en exergue la dualité de traitement des fournisseurs et des partenaires financiers du débiteur face au mécanisme compensatoire. Si les premiers ne peuvent s’en prévaloir que de manière fortuite, en vue d’éviter un phénomène de faillites en cascade, les seconds, importante source de crédit en numéraire, pourront bénéficier d’une ouverture plus large du mécanisme à leur profit.

La compensation résulte de deux sources qu’il convient de différentier ici : elle peut provenir soit d’une reconnaissance législative, soit du fruit de la liberté contractuelle

233 Simler, Delebecque, Les sûretés, la publicité foncière, n° 15 ; Cabrillac, Mouly, Droit des sûretés, n° 575. 234 O. Lutin, La compensation en droit des procédures collectives : un cadre strict pour les uns, un espace de liberté pour les autres, J.C.P. E. 2003. I. 230.

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lorsqu’elle ne se trouve pas limitée par des prescriptions impératives tenant à l’objectif de redressement du débiteur en difficulté.

Les cas de compensation reconnus par le législateur méritent d’abord notre attention. En la matière, seront visées les compensations de plein droit, ainsi que celles fondées sur la connexité, l’admission de ces dernières résultant des vœux du législateur de 1994.

La compensation de plein droit, ou légale au sens strict, constitue le droit commun en la matière. C’est ce mécanisme qui a été admis par le législateur dès 1804 comme un mode d’extinction des obligations. La mise en œuvre de ce procédé a été entourée de conditions strictes. Pour opérer, quatre conditions devront être remplies : deux conditions naturelles, nécessaires à toute compensation, ainsi que deux conditions spécifiques pour que la compensation puisse jouer de plein droit.

Pour qu’il y ait compensation, les obligations en cause doivent d’abord revêtir un caractère de réciprocité, ce qui signifie que dans les rapports entre contractants, le créancier de l’un doit simultanément être son débiteur. De plus, l’objet de leurs obligations respectives doit être fongible, ce qui est toujours le cas en matière de sommes d’argent.

Les deux conditions particulières pour que la compensation puisse opérer de plein droit sont la liquidité ainsi que l’exigibilité des obligations. Ainsi, seules des créances liquides, c’est-à-dire déterminées dans leur montant et non contestées peuvent se compenser. De plus, comme la compensation s’analyse en une forme de paiement, les obligations en cause devront être exigibles.

En droit commun, lorsque ces conditions se trouvent remplies, la compensation apparaît comme un formidable moyen pour un créancier de recouvrer le montant de sa créance en échappant au concours des autres créanciers. En effet, dès lors que les conditions en sont réunies, la compensation opère de plein droit, de façon tout à fait automatique, sans même qu’une partie n’ait à en manifester la volonté.

L’attrait de la compensation de plein droit se trouve cependant neutralisé par le droit des procédures collectives.

D’une part, l’art. L621-24 C. com. interdit au débiteur le paiement de toute créance dont le fait générateur est antérieur au jugement d’ouverture de la procédure, et l’art. L621-40 C. com. impose corrélativement aux créanciers l’arrêt des poursuites individuelles à son encontre. S’analysant en un moyen de paiement, la compensation de plein droit ne peut jouer que si ses conditions sont réunies antérieurement à l’ouverture de la procédure.

Face à cette inefficacité de la compensation de plein droit en procédures collectives, c’est d’abord la jurisprudence qui a assoupli ses conditions d’application en admettant la connexité, sans doute dans le but d’accélérer la détermination de la consistance du patrimoine du débiteur. Cette jurisprudence a été validée par le législateur du 10 juin 1994 qui consacra cette nouvelle entorse au principe de l’interdiction de paiement des créances antérieures.

Pour pouvoir se prévaloir de cette compensation spécifique, comme cette dernière n’opère pas de plein droit mais doit être soulevée par le créancier, celui-ci devra d’abord avoir déclaré sa créance antérieure pour éviter son extinction235. Les conditions de réciprocité et fongibilité, conditions naturelles de toute compensation devront ensuite être remplies. Les conditions d’exigibilité et de liquidité n’étant pas requises, la créance dont se prévaut le 235 Com. 15 oct. 1991, Bull. civ., IV, n° 290 ; Com. 22 févr. 1994, Bull. civ., IV, n° 70 ; D. 1995. 27, n. Honorat et Romani.

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créancier devra seulement être certaine dans son principe236. Le caractère connexe des créances en cause permet en effet de suppléer aux deux conditions naturelles. En effet, vu l’étroitesse des liens d’interdépendance entre les deux créances en cause, il apparaît choquant en équité d’obliger le créancier à payer ce qu’il doit au débiteur, tandis qu’il ne pourrait rien exiger de lui du fait du gel du passif.

La connexité constitue d’abord le caractère de deux créances issues de l’exécution ou de l’inexécution d’un même contrat, ou qui se rattachent à une même convention-cadre. Elle sera ensuite admise lorsque les créances se rattachent à plusieurs conventions constituant les éléments d’un ensemble contractuel unique servant de cadre général à ces relations. La jurisprudence, en rejetant le lien de connexité entre une créance contractuelle et une créance délictuelle, semble en outre exiger que les créances soient de même nature237. Enfin, rappelons que l’affectation de certaines sommes recouvrées dans l’intérêt collectif des créanciers fait obstacle au jeu de la connexité238. Si la notion de connexité est souple, elle n’en reste pas moins encadrée. Ainsi, dès lors que la structure requise fait défaut, aucune compensation ne sera envisageable.

La compensation, qu’elle joue de plein droit ou repose sur un lien de connexité, aménage les rigueurs imposées à la collectivité des créanciers, en permettant un paiement quasi-immédiat des créanciers pouvant s’en prévaloir. De plus, les perspectives de recouvrement sont incomparables, dans la mesure où son montant ne sera limité qu’à hauteur du montant le plus faible des deux créances. Ces facilités de recouvrement sont de nature à inciter le créancier à s’investir dans des relations d’affaires avec le débiteur.

Faisons cependant observer que cette efficacité ne résulte que d’une situation de pur fait. Tout dépend en effet des rapports existant entre le débiteur et son créancier au jour du jugement d’ouverture de la procédure. Lorsque la compensation n’a pas pu s’opérer antérieurement de plein droit, deux situations sont à distinguer, bien que n’étant aucunement tributaires de la prévoyance du créancier : soit les conditions relatives à la connexité sont, par chance pourrions-nous dire, remplies, auquel cas le paiement est admis ; soit celles-ci ne le sont pas, et le créancier, non moins diligent que dans la situation précédente, se voit imposer une diminution significative de ses droits. La compensation revêt sans aucun doute l’efficacité d’un privilège en cours de procédure, mais n’est en aucun cas le fruit de la prévisibilité du créancier.

C’est pour éviter de subir cet aléa chronologique que certains créanciers ont cherché à aménager la compensation de manière conventionnelle, sur le fondement de la liberté contractuelle. Lorsque deux personnes sont réciproquement créancières et débitrices, pour quelque cause que ce soit, sans que les conditions de la compensation légale stricto sensu ne soient remplies, elles peuvent ainsi prévoir une libération mutuelle par compensation. Le contrat faisant la loi des parties, les conditions de liquidité ou de fongibilité pourront faire défaut sans remettre en cause le jeu de la compensation. La condition de réciprocité reste 236 Ainsi, pour retenir le solde créditeur d’un compte courant, un banquier ne saurait invoquer une créance simplement éventuelle qui pourrait résulter de la contre-passation d’effets de commerce impayés remis à l’escompte par le débiteur : Com. 7 avril 1998, Bull. civ., IV, n° 123 ; D.A. 1998. 959, obs. X.D. ; Rev. dr. banc. fin. nov. 1998. 190, chron. Stoufflet ; R.J.C. 1999. 201, n. Legrand ; Com. 6 févr. 1996, Bull. civ., IV, n° 34 ; Rev. dr. banc. et bourse 1996. 62 et 128, obs. Campana et Calendini ; R.T.D. Com. 1996. 529, obs. Martin-Serf. 237 Com. 6 janv. 1998, D.A. 1998. 382, obs. J. F. ; Com. 22 avril 1997, J.C.P. E. 1997. I. 681, n° 18, obs. Pétel ; Com. 14 mai 1996, Bull. civ., IV, n° 133 ; D. 1996. 502, obs. Le Dauphin. 238 Com. 6 mai 1997, D.A. 1997. 865 ; R.P.C. 1997. 491, obs. Martin-Serf ; Com. 6 janv. 1998, D.A. 1998. 382, obs. J. F.

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néanmoins fondamentale239. Ainsi, on a pu voir se développer, notamment dans les conventions contractées par le débiteur avec ses banquiers, des clauses de compensation, de fusion des différents comptes ouverts à son nom, stipulées en cas de survenance d’une procédure collective de celui-ci.

Le caractère impératif de la réglementation des procédures collectives, notamment du fait du caractère d’ordre public des principes de l’arrêt des poursuites individuelles et de l’interdiction du paiement des créances antérieures, ou encore de la prohibition de toute indivisibilité résultant de l’ouverture d’une procédure collective, vient cependant limiter cette liberté contractuelle lorsque l’un des contractants est en cessation des paiements. Est ainsi interdit de plein droit, à peine de nullité absolue, le paiement, exceptionnel ou courant, de toute créance antérieure, qu’elle soit échue ou non échue, privilégiée ou chirographaire, relative ou non à l’entreprise, que le créancier soit de bonne ou de mauvaise foi.

De plus, en matière d’indivisibilité, le garde des Sceaux a eu l’occasion de préciser devant le Sénat240 que cette notion trouve notamment application lorsque le titulaire de plusieurs comptes en banque passe avec son banquier une convention d’unité de compte ou une convention de compensation. De telles conventions ne peuvent être stipulées par le banquier pour avoir effet dans le seul cas où une procédure collective serait ouverte.

Ces principes ne s’appliquent qu’une fois la procédure ouverte, la réglementation ne pouvant rétroagir au paiement effectué avant le jugement d'ouverture. Il est donc parfaitement valable d’assouplir par voie conventionnelle les conditions de la compensation légale, et de donner plein effet à une telle clause avant l’ouverture de la procédure241.

Au vu de ces observations, les clauses de compensation semblent revêtir une efficacité somme toute restreinte en cas de procédure collective, d’autant que leur validité peut être remise en cause sur le fondement des nullités de la période suspecte. Ainsi, la compensation conventionnelle d’une dette non échue tombe sous le coup de l’art. L.621-107 C. com. qui prévoit la nullité de tout paiement, « quel qu’en ait été le mode » d’une telle dette pendant la période suspecte242. De même, une telle compensation convenue pendant la période suspecte en fraude des droits des autres créanciers devrait être annulée par application de l’art. L.621-108 C. com.

L’efficience des clauses de compensation lors de l’ouverture d’une procédure de redressement d’un contractant est donc pour le moins discutable.

Cette relative inefficacité ne touche cependant pas l’ensemble des créanciers de façon uniforme. Dès lors qu’une entreprise est soumise à un redressement judiciaire, disposer de crédits bancaires et d’instruments de crédit adaptés est nécessaire dans la perspective d’une éventuelle continuation. En contrepartie, le banquier, premier fournisseur de crédit du débiteur, dispose d’un statut privilégié parmi les autres créanciers de l’entreprise, statut qui lui permet d’user du mécanisme compensatoire avec une facilité accrue.

D’abord, et comme nous l’avons évoqué plus haut, le compte courant constitue un des instruments privilégiés concourant à la compensation avec le débiteur en difficulté.

239 Ainsi, le créancier qui a transmis sa créance à une société d’affacturage par voie de subrogation ne peut plus conventionnellement obtenir une compensation entre cette créance et une dette envers le débiteur : Com. 23 juin 1992, Bull. civ., IV, n° 246 ; J.C.P. G. 1992. IV. 2453. 240 JO déb. Sénat, 7 nov. 1984, p. 296. 241 Com. 3 juin 1997, Rev. dr. banc. et bourse 1997. 165, obs. Crédot et Gérard. 242 Com. 5 nov. 1976, D. 1977, p. 128.

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L’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ne fait en aucun cas obstacle à la continuation du compte courant243. Le recours à la notion de compensation est omniprésent en la matière, car son principe de fonctionnement réside dans la fusion des créances et des dettes en un solde issu de leur compensation. L’ouverture d’une procédure collective entre le client et le banquier n’a jamais empêché la compensation dans le compte courant244. Le banquier est par ailleurs dispensé de la preuve de la connexité, celle-ci résultant de l’inscription des créances au sein d’un même compte245.

De plus, le régime particulier prévu au profit du banquier se vérifie lorsqu’il effectue une contre-passation après la clôture du compte en raison de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire du remettant. Hormis l’hypothèse très exceptionnelle en pratique où le solde du compte lui permet d’être totalement désintéressé, le banquier conserve l’intégralité de ses droits sur l’effet de commerce. La contre-passation ne s’analyse alors plus en un paiement et permet au banquier, qui conserve la propriété de l’effet impayé, d’exercer un recours de nature cambiaire, notamment contre les tiers coobligés par l’effet246, voire contre les cautions. Cette solution se justifie par l’absence d’effet de règlement après la clôture du compte.

Il est alors nécessaire de déterminer les conséquences des acomptes et des sommes reçus sur le montant du solde débiteur que le banquier doit produire dans la procédure collective. En d’autres termes, est-il tenu ou non de déduire de la créance déclarée ce qui lui a été versé par les signataires de l’effet ? Une distinction s’impose ici. Si le tiers ayant payé le montant de l’effet n’était pas engagé dans des liens de nature cambiaire, comme un tiré non accepteur, les sommes reçues devront être déduites par le banquier lors de sa production.

En revanche, si le tiers ayant payé le montant de l’effet était engagé dans les liens de la solidarité cambiaire, le banquier n’a pas à déduire de sa production les sommes reçues, jusqu’à complet paiement de sa créance. Cette solution résulte de la théorie des coobligés, prévue par les art. L621-51 et suiv. C. com.247.

Ensuite, l’escompte d’une lettre de change peut également permettre au banquier de compenser une partie des découverts consentis à son client. Nous nous situons dans l’hypothèse dans laquelle l’entreprise tire une lettre de change sur un de ses clients qui l’accepte. La banque escompte la lettre, et la présente à l’échéance au client, qui a apposé sa signature sur un titre cambiaire, et à ce titre est soumis au principe de l’inopposabilité des exceptions. Etant en difficulté, l’entreprise se voit dans l’incapacité de livrer la provision, mais son client ne peut s’en prévaloir à l’égard de la banque. Celle-ci aura donc un recours cambiaire à l’encontre du tiré accepteur en vue de recouvrer le montant préalablement

243 Com. 8 déc. 1987 : D. 1988. p. 53, n. Derrida; J.C.P. G. 1988. II. 20927, n. Jeantin. 244 Com. 19 nov. 1988 : D. 1989. I. p. 409. 245 La Cour de cassation estime en effet que la banque qui s’est portée caution des différents engagements de son client avec lequel elle est liée en compte courant, peut invoquer sur le fondement de la connexité, la compensation, avec le solde créditeur du compte courant de la créance née de l’exécution du cautionnement dès lors que celle-ci est certaine, bien que non encore exigible : Com. 6 févr. 1996 (2 arrêts) : RJDA 7/96, n° 943. V. également B. Soinne, Le compte courant et son différé face au redressement et à la liquidation judiciaires : P.A. 10 janv. 1997, p. 12. 246 Com. 9 mai 1990 : Banque 1990, p. 1212, obs. Rives-Lange. 247 Ainsi, dans le cas ou plusieurs personnes doivent payer la même dette ou en garantissent solidairement le paiement, et où deux d’entre elles au moins sont simultanément soumises à une procédure collective, le créancier bénéficie d’un régime de faveur : par exemple, les paiements reçus postérieurement par lui ne viennent pas en déduction de la créance déclarée, ce qui lui permet de participer à chacune des répartitions pour le montant total de sa créance.

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escompté. La charge de l’insolvabilité de l’entreprise en procédure collective ne sera pas supportée par la banque, mais par son client, le tiré accepteur.

Enfin, en matière de bordereau Dailly, la compensation est, là aussi, admise de manière assez large. La Cour de cassation248 admet le jeu de la compensation légale lorsque les créances sont devenues certaines, liquides et exigibles avant la notification de la cession.

Or, par principe, la créance sort du patrimoine du cédant à la date apposée sur le bordereau : à compter de cette date, aucune compensation ne devrait dès lors être admise, la condition de réciprocité n’étant plus satisfaite, le cédant n’étant plus créancier à compter de cette date. La haute Cour accueille cependant l’argument relatif à la compensation légale jusqu’à la notification de la cession, qui n’est que facultative. Ainsi, dans l’hypothèse, très répandue, où la cession Dailly ne fait l’objet d’aucune notification, la compensation pourra être invoquée sans limitation de durée, alors que le cédant n’a plus la qualité de créancier à compter de la date du bordereau.

Force est de constater que les mécanismes traditionnels du droit bancaire tendent à admettre la compensation d’une manière assez souple en vue de ménager les intérêts des banques, ce qui facilite l’accès au crédit du débiteur et contribue au redressement de sa situation. Cet aménagement est cependant sans aucune commune mesure avec le poids pris par le mécanisme compensatoire lorsque le débiteur en difficulté est lui-même un établissement financier (B).

B – Importance prise par le netting, dans une logique de sauvegarde des marchés financiers

Nous avons pu observer que vu son efficacité en cas de procédure collective du débiteur, le mécanisme compensatoire peut s’apparenter à un privilège dont bénéficie le créancier qui est en mesure de s’en prévaloir249.

Lorsque l’activité du débiteur impose le respect d’impératifs spécifiques, le droit doit en prendre acte et s’y adapter.

L’objet de cette subdivision sera de montrer dans quelle mesure le régime juridique de la compensation a été aménagé par le législateur pour satisfaire à l’exigence de sauvegarde des marchés financiers, lorsque le débiteur en difficulté est un établissement bancaire ou financier.

Le droit commun des procédures collectives, dans son aspect curatif, a vocation, au moins de façon subsidiaire, à lutter contre les phénomènes de faillites en chaîne. Cet objectif est exacerbé en matière financière, matière dans laquelle les rapports entre opérateurs sont d’une étroitesse caractéristique.

Les relations interbancaires représentent une part importante de l’activité bancaire, ne serait-ce que pour gérer les moyens de paiement ou pour se financer. Les établissements de

248 Com. 14 déc. 1993, J.C.P. E. 1994. I. 378, obs. Gavalda et Stoufflet ; RTD Com. 1994, p. 332, obs. Cabrillac et Teyssié ; Com. 6 oct. 1998 : Bull. civ. IV, n° 225 ; J.C.P. E. 1998, p. 1806, n. Morvan. 249 Et ce, même si les critères légaux exigés par le Code civil ne semblent pas remplis.

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crédit sont de plus en plus appelés à intervenir sur les marchés réglementés, soit pour leur compte propre, soit pour celui de leurs clients.

De plus, depuis le milieu des années quatre-vingts, les opérateurs financiers ont eu tendance à délaisser les marchés centralisés pour conclure leurs opérations de gré à gré. Ce phénomène s’est traduit par une croissance des risques dits de contrepartie. En effet, contrairement aux opérateurs intervenant sur les marchés centralisés, les opérateurs de gré à gré ne bénéficient pas de la garantie de bonne fin d’une chambre de compensation. Ainsi, le face à face dans lequel ils se trouvent, tant lors de la conclusion que de l’exécution du contrat, les expose en permanence au risque de défaillance de leur contrepartie. L’interdépendance des opérateurs sur les marchés interdit donc de sous-estimer ce risque systémique.

En la matière, pour prévenir les difficultés que peut engendrer la création de régime juridiques particuliers avec l’application de l’adage generalia specialibus non derogant, le législateur ponctue ses textes de la mention « nonobstant toute disposition législative contraire », ce qui prouve sa logique d’élaboration d’un droit spécial.

De nombreux exemples peuvent permettre de mettre en évidence l’émergence de ce droit spécial des procédures collectives : on peut citer l’instauration par la loi n° 99-532 du 25 juin 1999250 (déjà) relative à l’épargne et à la sécurité financière, d’un fonds de garantie des dépôts unique pour l’ensemble des établissements de crédit. Cette loi prévoit que l’intervention du fonds entraîne la radiation de l’établissement de crédit de la liste des établissements agrées, ce qui signifie bien que le redressement judiciaire d’un établissement de crédit ne peut avoir lieu. La satisfaction de l’intérêt des partenaires du débiteur occulte totalement l’objectif de redressement, faisant figure de toile de fond en droit commun.

Pour limiter le risque de contrepartie dans le cadre de leurs opérations de gré à gré, les professionnels français de la finance se sont inspirés du mécanisme anglo-américain de close-out netting pour réduire ce risque au solde net de leurs opérations en cours.

Ces clauses sont inspirées de deux mécanismes classiques : la résiliation et la compensation : l’un des contractants est en droit de résilier les opérations en cours lorsque le risque de défaillance de son partenaire devient important (transposition du close-out), et de compenser les obligations qui en résultent (transposition du netting), ce qui lui permet de limiter sa perte au solde net compensé.

Ces clauses souffraient cependant d’un manque de sécurité juridique face aux principes directeurs du droit des procédures collectives251, c’est pourquoi la loi du 31 décembre 1993 a pour la première fois apporté un statut légal indiscutable à ce mécanisme sur les marchés financiers à terme252. Plus tard, la loi du 8 août 1994 ainsi que la loi de

250 JO 25 juin 1999, p. 9487. 251 Notamment au regard des articles L621-28 C. com. interdisant la résiliation des contrats pour cause d’ouverture d’une procédure judiciaire, L621-49 C. com. paralysant les clauses d’exigibilité anticipée pour cause d’ouverture d’un redressement judiciaire, L621-28 relatif à la continuation des contrats en cours sur option de l’administrateur, L621-24 C. com. interdisant le paiement de toute dette antérieure, ainsi que L621-107 prévoyant la nullité de certains paiements en période suspecte. 252 Ce texte permettait, par exception au droit commun, de compenser des créances et des dettes afférentes à des opérations de nature différente. Toutes les opérations à terme visées par l’article 1er de la loi du 28 mars 1885, qu’elles soient réalisées dans le cadre de marchés réglementés ou de gré à gré, qu’ils s’agisse de ventes à terme, de contrats optionnels, que ces opérations portent sur des devises, des taux d’intérêt, des devises ou tout autre produit, peuvent donner lieu à compensation dès lors que l’une des parties est un professionnel des marchés financiers.

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modernisation des activités financières du 2 juillet 1996 ont encore étendu le dispositif, ce qui a abouti à la coexistence de trois régimes dérogatoires253 de résiliation-compensation.

Les inconvénients relatifs à la disparité des ces régimes, ainsi que la volonté de rendre la place financière de Paris plus attrayante, ont conduit le législateur à consacrer en droit français le global netting, c’est-à-dire la possibilité de compenser globalement toutes les dettes et créances afférentes à différentes opérations de gré à gré avec un contractant défaillant, en dépit de sa soumission à une procédure collective. La loi NRE du 15 mai 2001254 ouvre ainsi deux possibilités d’y parvenir : relier des conventions-cadre de nature différente par une « convention-chapeau » organisant une compensation globale, ou bien conclure une convention-cadre unique, unifiant des opérations de nature différente.

L’on voit ici que le droit commun des procédures collectives a fondamentalement été neutralisé par le droit financier, qui offre, depuis 2001, en matière de compensation une liberté incomparable aux établissements bancaires et financiers. Cette liberté est justifiée par l’impératif de lutte contre le risque systémique qui occulte totalement celui du redressement du débiteur en difficulté.

Nous avons pu constater, dans le cadre de ces premiers développements, que les sûretés réelles et les privilèges au sens large peuvent, dans une certaine mesure, améliorer les chances de redressement du débiteur en facilitant son accès au crédit. Il convenait pour cela de se baser sur une analyse macroéconomique, pour constater une diminution du coût du crédit en fonction de l’efficacité des garanties offertes aux créanciers en cas de survenance d’une procédure collective de son cocontractant. L’utilisation de la propriété-sûreté permet à ce titre aux créanciers propriétaires de faire valoir efficacement leurs droits au sein de la procédure. Le mécanisme compensatoire aboutit au même résultat pour les créanciers pouvant en bénéficier, à savoir une absence de concours avec leurs homologues. L’efficacité de ces garanties devait ici être entendue dans le cadre du fonctionnement quotidien de l’entreprise in bonis, le crédit octroyé lui permettant de faire face aux exigences des marchés et de pérenniser son activité.

Au contraire, lorsque l’entreprise n’est plus en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, elle requiert la fourniture d’un crédit exceptionnel encadrée par la réglementation contraignante des procédures collectives. Ainsi, dans un objectif de redressement, il conviendra d’analyser le traitement réservé à certaines sûretés réelles et certains privilèges en vue d’inciter les créanciers à consentir au débiteur ce crédit exceptionnel (Section 2).

253 Le premier applicable aux prêts de titres, le second aux pensions, le troisième aux opérations sur instruments financiers. 254 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, JO du 16 mai 2001 p. 7776.

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SECTION II – UNE REPONSE AU BESOIN DE CREDIT EXCEPTIONNEL DES ENTREPRISES EN DIFFICULTES

La condition sine qua non du redressement d’une entreprise en difficulté réside donc dans la fourniture de ce crédit exceptionnel.

Ce crédit nouveau prendra deux formes distinctes, suivant l’état d’avancement de la procédure de redressement. En période d’observation (§1), il consistera, pour les partenaires du débiteur, nonobstant l’inexécution antérieure de la plupart de ses engagements, dans la poursuite de relations contractuelles d’affaires avec lui, en vue de restaurer un chiffre d’affaires et des fonds propres suffisants.

Dans le cadre de l’adoption ou de l’exécution d’un plan (§2), ce crédit pourra être imposé par le tribunal de la procédure ou le législateur lui-même, et prendra la forme de garanties octroyées au profit du débiteur, visant à permettre une exécution en bonne et due forme du plan de redressement. §1 – En période d'observation

Le financement de la période d’observation apparaît comme un impératif dont la satisfaction conditionne le redressement des entreprises. Un financement suffisant autorisera une prise de décision réfléchie quant à l’opportunité d’élaborer un plan de redressement. Car il n’est de l’intérêt de personne de plébisciter un plan manifestement voué à l’échec dans l’année de son adoption. Mais surtout, aucun maintien de l’activité de l’entreprise n’est envisageable sans nouvelle entrée d’argent frais.

A cet égard, il convient de dissocier notre analyse entre les sûretés réelles, qui paradoxalement ne font pas l’objet d’un rejet de principe au cours de cette période (A), et le privilège de l’ex-art. 40, octroyé en vue d’inciter les créanciers au refinancement de l’entreprise (B).

A – Absence de rejet de principe des sûretés réelles

Comme nous l’avons évoqué en introduction, le droit des procédures collectives, comme de nombreuses autres branches du droit, vise à concilier plusieurs intérêts distincts. Il poursuit la finalité d’établir un subtil équilibre entre le droit du crédit et le redressement des entreprises en difficulté. Bien sûr, cet objectif de redressement des entreprises commande leur mise sous protectorat judiciaire, et partant, leur isolation temporaire du tissu économique.

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L’art. L621-50 C. com.255, qui prohibe les inscriptions de sûretés postérieurement au jugement d’ouverture, permet à ce titre d’accélérer la procédure et d’évaluer précisément la situation patrimoniale du débiteur.

Mais d’un autre côté, le souci de préserver le coût du crédit et d’assurer une circulation fluide des richesses ne doit pas être occulté. C’est pourquoi le législateur a choisi de ne pas fermer complètement la porte aux exigences du crédit, et a cherché à assouplir le régime de certaines sûretés, en vue de préserver les intérêts de certains créanciers voire même de faciliter le redressement, en accordant aux mandataires de justice ou au juge-commissaire une marge de manœuvre accrue à leur égard.

En premier lieu, certaines dispositions du droit des entreprises en difficulté témoignent d’une certaine prise en compte des sûretés et privilèges au sein de la procédure de redressement. Le caractère privilégié de certaines créances ne sera ainsi pas totalement occulté. La possibilité offerte aux créanciers d’inscrire une sûreté en renouvellement d’une sûreté valablement constituée antérieurement illustre cette prise en compte.

La publicité des hypothèques, nantissements, et autres privilèges spéciaux n’est efficace que pendant un certain délai. A expiration, l’inscription est périmée et le créancier perd le bénéfice de sa sûreté. En vue d’assurer le maintien de l’activité et des emplois, le législateur aurait pu prendre le parti de faire une application extrême de l’interdiction des inscriptions de sûretés postérieurement au jugement d’ouverture et refuser les renouvellements d’inscriptions. Il a refusé de prospérer dans cette voie, puisque avant péremption, le créancier a la possibilité de procéder, sous certaines conditions, au renouvellement de l’inscription. Il est traditionnellement admis que cette possibilité de renouvellement subsiste, après l’ouverture du redressement de l’entreprise, dès lors que l’inscription initiale était valable.

Pour ne pas perdre le bénéfice de sa sûreté, le créancier en question doit procéder au renouvellement, alors même que sa créance a été admise au passif de la procédure256.

Cette obligation de renouveler l’inscription cesse si le prix de vente du bien grevé a été consigné avant l’expiration du délai de péremption257. Il en est de même en cas d’affectation par le tribunal d’une quote-part du prix de cession, par application de l’article L621-96 al. 1 C. com., pour l’exercice du droit de préférence du créancier inscrit sur un bien intégré dans un plan de cession. Précisons enfin que les inscriptions non acquisitives de droits ne sont pas concernées par cette faculté.

Le droit des procédures collectives autorise aussi les inscriptions de sûretés garantissant les intérêts d’une créance, en matière hypothécaire notamment. Cette faculté est justifiée, comme celle permettant une inscription de sûreté en renouvellement, par un impératif de conservation des droits privilégiés acquis antérieurement et régulièrement par un créancier avant le jugement d’ouverture de la procédure. Cette prérogative intéresse particulièrement les hypothèques. En la matière, l’article 2151 C. civ. prévoit que l’inscription garantit le capital et trois années d’intérêts échus. Tous les trois ans, le créancier est donc contraint de prendre des inscriptions complémentaires pour conserver les intérêts échus depuis la précédente inscription. Le jugement d’ouverture de la procédure et la règle de l’arrêt du

255 Art. L621-50 C. com. : « Les hypothèques, nantissements et privilèges ne peuvent plus être inscrits postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire ». 256 Com. 23 févr. 1980, Bull. civ. IV, n°97 ; D. 1981, IR p. 391, obs. Honorat. 257 Com. 14 janv. 1997, D. 1997, somm. p. 213, obs. Honorat.

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cours des inscriptions sont donc en contradiction avec le droit commun des hypothèques et sont de ce fait susceptibles de nuire aux droits du créancier hypothécaire.

Une jurisprudence datant du siècle dernier avait ainsi considéré que la procédure collective n’était pas un obstacle à l’inscription complémentaire. Cette solution doit être mise en parallèle avec les prescriptions de l’article L621-48 al. 1er C. com.258 relatif notamment à l’arrêt du cours des intérêts par lesquelles le législateur autorise, pour certains créanciers, la continuation du cours des intérêts.

Cette exception en faveur des contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an, c’est-à-dire des contrats à moyen ou long terme est importante, non seulement parce qu’elle favorise l’investissement au sens large, mais aussi car elle préserve les intérêts des créanciers hypothécaires en cours de procédure. Cette préservation resterait totalement stérile si les intérêts dont le cours est autorisé ne pouvaient être garantis par des prises d’hypothèques complémentaires.

Cette absence de rejet de principe des sûretés en période de redressement s’illustre aussi à propos des inscriptions définitives effectuées pour conforter une sûreté judiciaire provisoire en garantie d’une créance antérieure. La jurisprudence, sous l’empire de la loi de 1985, a admis la possibilité d’inscrire, après le jugement d’ouverture, une hypothèque judiciaire définitive259 ou un nantissement judiciaire à titre définitif260, après avoir pris, avant le jugement d’ouverture, l’inscription provisoire. A ce titre, la simple obtention de l’ordonnance du juge de l’exécution, avant le jugement d’ouverture, ne suffira pas. Il faudra, à cette date, avoir publié le nantissement ou l’hypothèque provisoire. Cette solution a été posée sous l’empire des législations antérieures, et doit selon nous être reconduite sur le fondement de la théorie de la solvabilité apparente.

Force est de constater ici que le fondement de la règle de l’arrêt du cours des inscriptions ne peut justifier cette faculté d’inscrire de façon définitive une sûreté provisoire. Avant le jugement de condamnation, le créancier n’est titulaire que d’une sûreté provisoire. Ses droits de créancier privilégié sont donc bel et biens constitués après le jugement d’ouverture : ils peuvent à ce titre s’analyser comme une sorte de contrepartie offerte par le juge au créancier s’associant au redressement en continuant à fournir du crédit au débiteur.

La Cour de cassation justifie cette solution en droit par la rétroactivité attachée à l’inscription définitive, le rang du créancier étant celui qu’il avait au jour de l’inscription provisoire.

Pour prendre l’inscription définitive, le créancier devra avoir régulièrement déclaré sa créance et être en possession d’un titre. Si l’instance au fond a été engagée avant le jugement d’ouverture, on appliquera les règles relatives aux instances en cours. Le titre sera alors constitué par la décision passée en force de chose jugée obtenue par le créancier, constatant et fixant la créance au passif. Si l’instance au fond n’a pas été introduite avant le jugement 258 Art. L621-48 al. 1er C. com. : « Le jugement d'ouverture du redressement judiciaire arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que tous les intérêts de retard et majorations, à moins qu’il ne s’agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d’un paiement différé d’un an ou plus. Les cautions et coobligés ne peuvent se prévaloir des dispositions du présent alinéa ». 259 Com. 17 nov. 1992, Bull. civ. IV, n°358 ; D. 1993, p. 96, obs. Derrida ; RTD com. 1993, p. 717, obs. Martin-Serf ; J.C.P. G. 1993. I. 3672, n°20, obs. Cabrillac ; J.C.P. G. 1993. I. 3680, n°17, obs. Simler et Delebecque. 260 CA Toulouse, 10 févr. 1994 et CA Aix-en-Provence, 23 juin 1994, R.P.C. 1996. 76. n° 123, obs. Macorig-Venier.

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d’ouverture, l’arrêt des poursuites individuelles interdira son introduction au cours de la période d’observation. Le titre sera alors représenté par la décision d’admission au passif.

En second lieu, deux exemples illustrent encore cette prise de conscience par le législateur du fait que le régime juridique de certaines sûretés peut être aménagé en vue de faciliter le redressement du débiteur.

La pratique des substitutions de garanties est à ce titre caractéristique. Ce mécanisme, régi par l’article L621-25 al. 3 C. com.261, permet d’encadrer avec souplesse les prérogatives reconnues à l’administrateur lorsqu’il en a été nommé un. Ainsi, il nous faut admettre que la restauration de la situation financière d’une entreprise sera facilitée lorsque le droit fait preuve d’adaptabilité aux circonstances spécifiques de chaque cas concret, en réservant un pouvoir d’opportunité aux acteurs du redressement. Ainsi, l’administrateur pourra par exemple proposer, voire imposer, la substitution d’une garantie personnelle à une sûreté réelle en vue de libérer un bien grevé non nécessaire à la poursuite de l’activité.

Enfin et surtout, pour faire entrer dans l’entreprise du cash money en période d’observation, le législateur a autorisé le débiteur ou l’administrateur à consentir des sûretés réelles au créancier dispensateur de crédit. Cette faculté est réglementée par l’article L621-24 al. 2 C. com.262, qui vise les sûretés réelles tant immobilières que mobilières, en faisant référence à l’hypothèque comme au nantissement. Bien sûr cette possibilité est encadrée de façon à éviter les souscriptions d’engagements irréfléchis par le débiteur en procédure simplifiée, mais on retrouve la marque de cette volonté d’associer certains créanciers à la finalité du redressement de l’entreprise. Pour cela, la loi permet à ceux-ci de passer du statut de chirographaire à celui de privilégié, à savoir créancier hypothécaire ou créancier gagiste.

Nous ne pouvons conclure ce développement sans évoquer l’exception légale à l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés formulée en faveur du vendeur de fonds de commerce. Mais en la matière, l’art. L621-50 al. 3 C. com.263 doit être concilié avec le droit commun des cessions de fonds de commerce régi par les art. L141-6 et suiv. C. Com.264. La condition relative au délai de quinze jours imposé pour l'inscription du privilège étant sanctionnée par la nullité de celle-ci, il est nécessaire que la vente intervienne moins de quinze jours avant le jugement d'ouverture de la procédure de redressement. Ce sera très rarement le cas en pratique, un débiteur aux abois n'étant que très rarement disposé à effectuer un investissement lourd tel qu'une acquisition de fonds de commerce. Cette disposition revêt donc un intérêt très restreint. Pour autant, dans son esprit, le dispositif tient compte du fait que le fonds de commerce constitue l’élément central de l’activité du débiteur et que dans un objectif de redressement, les régimes juridiques de son acquisition ou de sa cession doivent pouvoir faire l’objet de certains aménagements.

261 Art. L621-25 al. 3 C. com. : « Le débiteur ou l’administrateur peut proposer aux créanciers, la substitution aux garanties qu’ils détiennent de garanties équivalentes. En l’absence d’accord, le juge-commissaire peut ordonner cette substitution. Le recours contre cette ordonnance est porté devant la cour d’appel ». 262 Art. L621-24 al. 2 C. com. : « Le juge commissaire peut autoriser le chef d’entreprise ou l’administrateur à faire un acte de disposition étranger à la gestion courante de l’entreprise, à consentir une hypothèque ou un nantissement ou à compromettre à transiger ». 263 Art. L621-50 al. 3 C. com. : « Le vendeur de fonds de commerce, par dérogation aux dispositions de l’alinéa1 du présent article, peut inscrire son privilège ». 264 Art. L141-6 C. com. : « L’inscription doit être prise, à peine de nullité, dans la quinzaine de l’acte de vente. Elle prime toute inscription prise dans le même délai du chef de l’acquéreur ; elle est opposable aux créanciers de l’acquéreur en redressement ou en liquidation judiciaire, ainsi qu’à sa succession bénéficiaire ».

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En période d’observation, en dehors de ces hypothèses, la solidarité des créanciers en

faveur du redressement de leur débiteur est surtout incitée par l’octroi d’une prérogative exorbitante : celle de pouvoir se prévaloir du droit commun des voies d’exécution pour le recouvrement de leur titre (B).

B – Le privilège de la procédure, clef de voûte de la politique de redressement menée depuis 1985

L’instauration de l’ex-art. 40 de la loi de 1985 a été justifiée par le constat élémentaire selon lequel aucun partenaire économique n’accepte de faire crédit au débiteur sans contrepartie. En cessation des paiements, ce dernier n’a pas été en mesure d’exécuter les engagements contractuels qu’il avait souscrits, d’où la disparition progressive de la confiance témoignée par ses cocontractants.

De plus, la période d’observation en elle-même, engendre des coûts inévitables pour le débiteur. Quelle que soit l’issue de la procédure, les actifs se seront dépréciés au cours de celle-ci, et les mandataires de justice devront être rémunérés. C’est dire que sans rentrée d’argent frais, l’entreprise ne peut même pas maintenir son activité pendant la durée de la procédure de redressement.

Pour assurer le financement de cette période, le législateur a donc instauré une priorité de paiement au bénéfice des créanciers dont le fait générateur de leur créance se situe postérieurement à la date du jugement d’ouverture de la procédure. Cette priorité de paiement leur permet, à la différence des créanciers antérieurs, de ne pas être soumis à l’arrêt des poursuites individuelles, et de poursuivre le recouvrement de leurs créances à leur échéance. En cas de conflit, l’art. L621-32 C. com. prévoit une hiérarchie des rangs variant en fonction de l’issue de la procédure. Le législateur de 1985 avait généralisé leur priorité de paiement sur l’ensemble des créanciers antérieurs, fussent-ils privilégiés. La loi du 10 juin 1994, quant à elle, a quelque peu restauré les droits de certains créanciers antérieurs titulaires de sûretés, mais uniquement en cas de liquidation judiciaire, procédure exclue de notre analyse.

Comme le remarque à ce propos un auteur265, dans le redressement judiciaire, comme dans les Evangiles, les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers.

La qualification de cette priorité de paiement a longtemps fait l’objet de débats controversés. Traditionnellement, la doctrine analysait la priorité de l’art. L621-32 C. com. en un privilège général ayant pour assiette tous les biens mobiliers ou immobiliers du débiteur. C’est à ce moment qu’est apparue en doctrine la célèbre appellation privilège de la procédure.

La jurisprudence retient cependant la qualification de simple priorité de paiement, ce qui aboutit à sa disparition pure et simple en cas de réouverture d’une procédure contre le débiteur. Un auteur a pu parler à ce titre de privilège à éclipse266. 265 Y. Guyon, n° 1245, cité par F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, instruments de paiement et de crédit, LGDJ 2003, 6e éd. 266 C. Saint-Alary-Houin, obs. R.P.C. 1995. 297.

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L’ex-art. 40 accueille ainsi la qualification de simple règle de paiement et les créances, malgré leur caractère postérieur dans la première procédure, seront antérieures dans la nouvelle : leurs titulaires se verront alors astreints à l’ensemble des restrictions aux droits des créanciers antérieurs. Dans son arrêt du 28 juin 1994267, la Cour de cassation confirme cette qualification de simple priorité de paiement applicable en cours de procédure mais disparaissant avec elle.

L’arrêt de principe en la matière est intervenu le 5 février 2002268. La priorité de paiement se voit explicitement refuser la qualification de privilège : les magistrats saisis du litige justifiaient leur solution sur le fondement de l’art 2095 C. civ. en vertu duquel, comme nous l’avons vu, la qualification de privilège dépend de la qualité de la créance en cause. Dès lors, le droit spécifique reconnu par la loi de 1985 ne reposant que sur un critère chronologique s’appuyant sur le fait générateur de la créance litigieuse et non sur la qualité de celle-ci, il ne peut que recevoir la qualification de droit de priorité.

Cette qualification, qui ne repose que sur une assise prétorienne et non pas légale, est tout à fait critiquable dans la mesure où elle soumet le remboursement des crédits consentis par les créanciers associés au redressement à un aléa insurmontable, celui de l’ouverture d’une seconde procédure de redressement au profit du débiteur. La réaction d’un grand nombre de ces créanciers est d’harceler le débiteur en paiement de leurs créances, dès lors qu’ils voient poindre l’éventualité d’une nouvelle procédure judiciaire.

La doctrine majoritaire269 condamne à juste titre cette solution en avançant que toute créance postérieure est bien dotée d’une qualité particulière, sa naissance régulière au cours de la période d’observation. La définition du privilège est ainsi satisfaite. De plus, il convient de faire observer que la définition de l’ex-art. 40 est proche de celle des privilèges tenant à la conservation d’une chose : lorsque le débiteur est publiquement placé sous protectorat judiciaire, les créanciers postérieurs soutiennent son activité et contribuent bien à la sauvegarde de son patrimoine270.

L’ensemble de ces critiques devrait conduire le législateur à intervenir définitivement en la matière, dans le cadre du projet de réforme du dispositif de 1985 actuellement en discussion au Parlement, pour consacrer explicitement la qualification de privilège.

Quelle que soit sa qualification, le mécanisme poursuit la louable finalité de favoriser le créancier qui « remet la main à la poche » pour apporter de l’argent frais au débiteur. Examinons rapidement le régime juridique actuel de cette priorité de paiement avant de nous pencher sur celui-ci, tel qu’envisagé et plébiscité par la réforme en cours.

Actuellement, pour bénéficier du régime de l’ex-art. 40 de la loi de 1985, la créance doit remplir deux conditions : d’abord, et quelle que soit sa nature, son fait générateur doit être postérieur à l’ouverture de la procédure. Ensuite, la créance devra être née de façon régulière. Cette régularité s’apprécie au regard des règles gouvernant les pouvoirs de l’administrateur ou du débiteur en procédure simplifiée. Les textes actuels, à tort271, ne 267 Com. 28 juin 1994, Bull. civ., IV, n° 244 ; J.C.P. E. 1995. I. 417, n° 5, obs. Pétel ; R.T.D. Com. 1995. 486, obs. Martin-Serf ; R.P.C. 1995. 297, obs. Saint-Halary-Houin. 268 Com. 5 févr. 2002, Bull. civ., IV, n° 27 ; J.C.P. E. 2002. 807, n° 15, obs. Cabrillac et Pétel, et 1424, n° 19, obs. Delebecque ; D. 2002. 805, obs. Lienhard .D. civ. 2002. 337. 269 V. not. MM. Cabrillac et Pétel. 270 On pourra cependant objecter que le privilège du conservateur est un privilège spécial qui ne s’applique que sur un meuble déterminé et non pas sur la généralité de biens meubles ou immeubles d’un patrimoine. 271 Simler, Delebecque, Droit civil, Les sûretés, la publicité foncière, Précis Dalloz 2000, 3e éd., n° 634.

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formulent cependant aucune exigence relative à l’intérêt que présente la créance en cause pour la continuation de l’activité, le redressement du débiteur devant pourtant être l’essence de ce privilège.

A ce titre, le projet de réforme des procédures collectives, présenté le mercredi 11 août dernier en Conseil des ministres, penche très nettement en faveur d’une association des créanciers au redressement des entreprises. Une telle association est plébiscitée par le législateur, mais en contrepartie, l’octroi d’un privilège ou d’un droit de priorité répondra à des conditions plus strictes. On voit bien, à la lecture du projet, la marque d’une volonté de limiter le montant des créances privilégiées à celles qui sont réellement utiles au redressement.

Ainsi, le nouveau texte prévoit deux conditions supplémentaires à l’octroi de la priorité de paiement. D’abord, les créances en cause ne resteront prioritaires que si elles seront portées à la connaissance des mandataires dans le délai d’un an à compter de la fin de la période d’observation. Cette condition vise à mettre fin aux incertitudes auxquelles sont actuellement confrontés les administrateurs judiciaires quant à la possibilité de régler les dettes de l’entreprise en raison de la survenance de créances inconnues.

Mais surtout, le rôle fonctionnel de la créance sera désormais pris en compte, dans la mesure où elles devront être nées pour les besoins de la procédure ou de la période d’observation, ou en raison d’une prestation fournie pendant cette période272. Les autres créances postérieures qui ne se rattachent pas aux nécessités de la procédure devront quant à elles être déclarées dans le délai d’un an à compter de leur exigibilité273.

Par ailleurs, le recours au droit de priorité de l’ex-art.40 sera considérablement étendu pour associer les créanciers au redressement du débiteur au travers de l’adoption d’un accord amiable. Ainsi, les personnes qui consentiront, dans le cadre de cet accord, un crédit, une avance, un délai de paiement au débiteur en vue d’assurer la poursuite de l’activité de l’entreprise et sa pérennité seront payées par privilège à toutes les créances nées avant l’ouverture de la procédure de conciliation dans les conditions prévues à l’art. L621-32 C. com.

On assiste à un bouleversement en profondeur de la logique de l’ancien art. 40 car il faudra désormais distinguer entre les créanciers antérieurs non associés au redressement, et ceux ayant participé à l’accord homologué, qui primeront tous les créanciers, chirographaires comme privilégiés, antérieurs comme postérieurs à la procédure. Au niveau des créanciers postérieurs, il conviendra de vérifier, en plus des deux conditions habituelles, si leurs créances se rattachent bien aux nécessités de la procédure et si elles ont été portées à la connaissance des mandataires dans les délais prévus. Le régime de cet ex-art. 40 sera indiscutablement plus complexe, tant il est difficile de prévoir une priorité fondée sur une créance née du fait d’une procédure collective non encore ouverte, mais permettra au moins de limiter l’attribution de ce privilège de la procédure aux seuls créanciers le méritant véritablement.

Le renforcement de la participation des créanciers en amont du redressement passe aussi par une amélioration de la sécurité juridique des négociations menées. Auparavant, malgré l’homologation de l’accord amiable par le tribunal de la procédure, il était toujours possible de faire remonter la date de cessation des paiements antérieurement à l’ordonnance d’homologation. Désormais, sauf cas de fraude avérée, la date de cessation des paiements ne

272 Art. L621-31-1 nouv. C. com. en cours de discussion actuellement. 273 Art. L621-43 nouv. C. com. in fine.

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pourra plus être reportée par les tribunaux avant la date d’homologation de l’accord amiable274.

Enfin, dernière marque significative d’un encouragement des établissements de crédit à réinjecter de l’argent frais dans l’entreprise en difficulté, une mesure de protection contre d’éventuelles actions en soutien abusif. Ainsi, sauf fraude ou comportement manifestement abusif, les personnes qui consentiront dans le cadre de l’accord amiable un crédit, une avance ou un délai de paiement, ne pourront être tenues pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis dans le cadre de l’accord homologué.

Bien sûr, les dispositions précédemment évoquées sont relatives à l’accord amiable, qui apparaît dans le projet de réforme comme l’instrument privilégié du redressement.

L’accord amiable est bien sûr exclu de notre analyse, celle-ci ne portant que sur la procédure judiciaire de redressement. Néanmoins, ces dispositions témoignent d’une réelle avancée conceptuelle : auparavant, les intérêts du débiteur et de ses créanciers, et des créanciers entre eux, étaient la plupart du temps considérés comme opposés, ce qui conduisait le législateur à intervenir au coup par coup, en améliorant tantôt le sort des uns, tantôt le sort des autres. En témoigne l’activisme législatif dont fait preuve notre droit des procédures collectives, celui-ci ayant été réformé six fois depuis la fin du XIXe siècle275. Aujourd’hui, en associant certains créanciers au redressement, la difficulté apparaîtra lorsqu’il s’agira de concilier les intérêts des créanciers chirographaires avec ceux des titulaires de sûretés ou de privilèges.

Nous venons de voir que la poursuite de l’activité de l’entreprise est facilitée en période d’observation par une certaine incitation des créanciers à réinjecter des fonds en son sein. Si cette incitation prend la forme d’une simple priorité de paiement en droit positif, elle sera vraisemblablement qualifiée de véritable privilège et accompagnée de diverses mesures renforçant la sécurité juridique des créanciers après la réforme.

Reste encore à analyser les effets de certaines sûretés réelles ou de mécanismes assimilés, qui présentent, tout aussi certainement mais indirectement cette fois, un effet positif dans le cadre de l’adoption ou de l’exécution d’un plan de redressement (§2).

§2 – Dans le cadre de l'adoption ou de l'exécution d'un plan Il convient de faire référence à titre liminaire, aux différentes sûretés pouvant être consenties en vue de garantir l’exécution en bonne et due forme de plans de redressement. Si ces engagements prennent souvent en pratique la forme de sûretés personnelles, telles que des garanties de bonne fin ou à première demande, rien n’empêche les partenaires de souscrire des sûretés réelles en la matière. Cette pratique permet d’éviter de soumettre la même entreprise à une succession de procédures collectives, chaque procédure de redressement adoptée échouant à court terme. Le redressement de l’entreprise en difficulté est donc bien favorisé qualitativement.

274 Art. L621-7 nouv. C. com. 275 En 1889, 1935, 1955, 1967, 1985 et 1994.

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En second lieu, il faut garder à l’esprit une importante donnée de fait : la refonte en profondeur du droit des procédures collectives menée en 1985 était motivée par un phénomène, l’explosion du chômage qui avait cours en France dès le début des années 1980. Comme nous le savons, ce fléau avait conduit le législateur à sacrifier purement et simplement les créanciers antérieurs, y compris les créanciers munis de sûretés, en vue de financer les tentatives de remise à flot d’entreprises en situation même très gravement compromises, pour préserver leur postes de travail.

Ainsi, le dispositif de 1985 cherchait, entre autres, à rendre attractives les reprises d’entreprises dans le cadre des plans de cession. A cette fin, l’ancien article 93 de la loi, dans sa version initiale, permettait au cessionnaire choisi par le tribunal de recueillir des actifs libres de toute charge. Comme nous l’avons vu au premier chapitre, les créanciers titulaires d’une sûreté grevant un bien inclus dans le plan devaient exercer leur droit de préférence sur une quote-part du prix de cession déterminée par le tribunal de la procédure, le paiement du prix de cession emportant purge des inscriptions au profit du cessionnaire.

Cette volonté exacerbée de redresser l’entreprise à tout prix avait donné lieu à de nombreux abus : on a souvent déploré le comportement spéculatif de certains cessionnaires, s’efforçant de racheter l’entreprise en difficulté au meilleur prix en vue de dégager, à la suite de reventes d’actifs isolés, des plus-values confortables. Le constat était similaire en matière de continuation d’entreprise, le chef d’entreprise ou le représentant de la personne morale s’efforçant de revendre, dans les meilleurs délais, des actifs, qui, en toute logique, auraient en ce cas du être réalisés au cours de la procédure collective pour satisfaire les droits des créanciers.

Conscient de ces abus276, le législateur de 1994 entendit moraliser l’exécution des plans en recourant à deux procédés : d’une part, un mécanisme bien connu du droit civil des biens : l’inaliénabilité. D’autre part, le transfert au cessionnaire de la charge de certaines sûretés au repreneur.

A – Valorisation de certaines sûretés en plan de cession

Pour assurer l’exécution effective des plans de cession, un député277 avait d’abord proposé de maintenir le système antérieur, consistant en une extinction automatique de toutes les sûretés dès lors que le prix de cession était payé, mais de les réintroduire au cas où le repreneur aliénerait plus tard les biens grevés. Ce dispositif présentait l’avantage de présenter un juste équilibre entre la volonté de rendre attractifs les plans de cession et celle de lutter contre les abus susceptibles d’avoir lieu en la matière. Il a cependant, et à juste titre, été jugé trop difficile à mettre en œuvre en pratique, ce qui incita les parlementaires à rechercher une autre solution. 276 En effet, il était indiqué, dans les travaux préparatoires de la loi du 10 juin 1994, que « l’achat d’entreprise en redressement judiciaire est parfois le prétexte à plus-value substantielle, au mépris des droits des créanciers et des salariés » : Interv. Méhaignerie, déb. Ass. Nat., 23 nov. 1993, p. 6174. 277 Proposition Bignon, Doc. Ass. Nat., n° 310, art. 33.

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Le système retenu ne présente à ce titre aucune originalité. Il a simplement consisté à élargir le domaine du régime de faveur applicable depuis 1985 au créancier nanti sur matériel et outillage à certaines sûretés immobilières ou mobilières spéciales. Ce régime de faveur reposait sur le mécanisme juridique de la substitution de débiteurs, le cessionnaire prenant à sa charge, aux lieux et place du débiteur, les échéances à venir du crédit garanti par le nantissement.

La transmission de la charge de certaines sûretés est codifiée à l’article L621-96 al 3 C. com.278. Nous nous efforcerons de cerner le domaine couvert par le transfert avant d’en déterminer le régime juridique.

Il convient d’abord d’indiquer que le dispositif s’applique aussi bien aux cessions totales qu’aux cessions partielles d’entreprises. Rappelons que la cession partielle se caractérise par le fait qu’elle est toujours accompagnée d’un plan de continuation, alors que le plan de cession totale ne l’est jamais, même si les actifs cédés ne représentent pas la totalité des actifs de l’entreprise redressée. En effet, l’art. L621-70 al. 2 C. com. réglementant les cessions partielles comporte une référence explicite à l’art. L621-96 al. 3 C. com. relatif aux cessions totales, ce qui soumet ces deux types de cession au même régime juridique.

Par ailleurs, même étendue à d’autres sûretés que le nantissement de la loi de 1951, la règle ne revêt pas pour autant une portée générale. Sa portée est limitée par le contexte spécifique exigé pour la constitution des sûretés concernées, ainsi que par l’exclusion de certaines sûretés assorties d’un droit de rétention.

Le transfert au repreneur ne concerne que la charge des sûretés ayant permis de financer un investissement, ainsi que le bien qu’elles ont servi à acquérir. Il convient à ce titre d’observer que le texte vise un crédit consenti à l’entreprise, terme plus large que le prêt. Il peut donc s’agir d’un prêt stricto sensu, mais aussi de toute ouverture de crédit. Par ailleurs, la sûreté doit être inscrite sur un bien du débiteur pour un crédit qui lui a été consenti. Ainsi, le dispositif ne pourra opérer dans le cadre du paiement de la dette d’un tiers.

De plus, le texte précise que le crédit doit être consenti à l’entreprise pour lui permettre le financement d’un bien sur lequel portent les sûretés. Il n’est donc pas imposé que le financement doive permettre l’acquisition du bien. Il faut donc en la matière donner application à l’adage ubi lex non distinguit… et autoriser l’application du dispositif, que le financement ait permis l’acquisition, l’amélioration, ou l’entretien279 d’un bien. Il a aussi été jugé applicable lorsque le débiteur avait poursuivi l’acquisition des biens composant son fonds de commerce grevé280.

278 Art. L621-96 al 3 C. com. : « Toutefois, la charge des sûretés immobilières et mobilières spéciales garantissant le remboursement d’un crédit consenti à l’entreprise pour lui permettre le financement d’un bien sur lequel portent ces sûretés est transmise au cessionnaire. Celui-ci est alors tenu d’acquitter entre les mains du créancier les échéances convenues avec lui et qui restent dues à compter du transfert de la propriété ou, en cas de location-gérance, de la jouissance du bien sur lequel porte la garantie, sous réserve des délais de paiement qui pourront être accordés dans les conditions prévues au troisième alinéa de l‘article L621-88. Il peut être dérogé aux dispositions du présent alinéa par accord entre le cessionnaire et les créanciers titulaires des sûretés ». 279 T. com. Paris, 1re ch., 5 févr. 2001, Gaz. Pal. 30 juin 2002, somm. p. 29 ; Henry et Fabiani, L’article 93 de la loi du 25 janvier 1985, P.A. 20 sept. 2000, n° 188, p. 22 s. 280 T. com. Paris, 5e ch., 9 févr. 2001, R.J.Com. 2002, p. 318, n° 1601, n. Merven.

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Cependant, il convient d’exclure du dispositif légal les hypothèques et les nantissements judiciaires, ainsi que les sûretés prises en garantie du solde débiteur d’un compte courant, car ceux-ci ne garantissent pas un crédit consenti au débiteur pour lui permettre le financement d’un bien. Ainsi, comme le fait justement remarquer un auteur281, seules sont concernées par le dispositif les sûretés accordées en garantie de crédits affectés, c’est-à-dire de crédits octroyés à leur bénéficiaire sous la condition d’en faire un usage déterminé.

S’est encore posée la question de savoir si la sûreté en question devait avoir été prise concomitamment à l’octroi du crédit. A ce titre, en matière de sûretés réelles, il convient de distinguer le moment de constitution de la garantie, du jour de sa publicité : dès lors que la sûreté aura été constituée au moment où le crédit a été consenti, il importe peu que sa publicité soit ultérieure. Mais il ne faut pas oublier en la matière que l’hypothèque est un acte solennel qui nécessite, comme condition de validité de sa constitution, le recours à un notaire.

Ainsi, la promesse d’hypothèque, qui ne serait pas exprimée par acte authentique, ne peut pas être considérée comme valablement constituée. Pour être considérée comme telle, la promesse devra revêtir la forme notariée, l’inscription ultérieure de l’hypothèque étant indifférente au regard de l’art. L621-96 al. 3 C. com.

Enfin, une solution posée avant 1994 en matière de nantissement sur matériel et outillage282 doit être étendue aux sûretés nouvellement concernées par le dispositif : aucune condition n’est relative au caractère utile ou nécessaire du bien pour l’activité de l’entreprise. Il faut mais il suffit que le bien en question soit compris dans le plan de cession.

D’autres restrictions au domaine du transfert des sûretés résultent, non pas de la lettre du texte, mais du jeu d’un droit de rétention, qu’il soit réel ou fictif. L’exercice de ce droit revêt un caractère exclusivement défensif, le créancier ne pouvant juridiquement contraindre son débiteur au paiement, son seul droit étant de « faire pression » en refusant de restituer le bien.

Le droit de rétention constitue bien un mécanisme de nature à faire échec au jeu de l’art. L621-96 al. 3 C. com., comme le démontre un éminent auteur283 au travers d’une analyse exégétique des textes étayée par des arguments de logique juridique. Celui-ci fait notamment remarquer que le droit de rétention est maintenu avec toute sa force pendant la période d’observation. De plus, il parait tout à fait incohérent de reconnaître au créancier rétenteur la possibilité de retenir le bien tout en l’obligeant à accepter la cession au profit d’un tiers de ce même bien. L’analyse peut être confortée par l’extrapolation d’un arrêt de la Chambre commerciale284 rendu à propos de l’alinéa 1er de l’art. L621-96 C. com. : celle-ci décide en effet que la cession de l’entreprise, par suite de l’adoption d’un plan de redressement, ne peut porter atteinte au droit de rétention issu du gage avec dépossession qu’un créancier a régulièrement acquis sur des éléments compris dans l’actif cédé.

Faute de jurisprudence plus actuelle et explicite, et faute pour le législateur d’avoir explicitement énoncé sa disparition en cas de plan de cession, il convient de considérer que le droit de rétention fait échec au transfert de la charge de la sûreté en plan de cession. Il appartient donc à l’administrateur, s’il veut intégrer les biens grevés d’un droit de rétention

281 P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2003/2004, n° 56.42. 282 CA Riom, 28 avr. 1988, D. 1991, somm. p. 15, obs. Derrida ; R.P.C. 1988. 395, obs. Soinne. 283 P.-M. Le Corre, La transmission de la charge de la sûreté en plan de cession, P.A. 7 oct. 1994, n° 120. 284 Com. 20 mai 1997, P.A. 19 avr. 1999, n° 77, p. 10, n. Derrida, D. 1999, somm. p. 5, obs. Derrida.

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dans un plan de cession, de recourir à la technique prévue en période d’observation par l’art. L621-24 al. 3 C. com. : le retrait du droit de rétention contre paiement285.

Nous achèverons la délimitation du domaine couvert par le dispositif par l’observation critique suivante : lorsqu’un même bien est grevé de plusieurs sûretés, tous les créanciers inscrits sur ce bien ne seront pas soumis à un traitement identique. Ainsi, lorsqu’un immeuble ou un fonds de commerce sera inclus dans le plan de cession, seul le prêteur de deniers ou le vendeur pourra bénéficier de la reprise de sa créance et conservera son privilège. Le sort des créanciers inscrits postérieurement sur le même bien sera radicalement différent. Ces inscriptions postérieures étant étrangères au financement de l’immeuble ou du fonds de commerce, ces créanciers ne pourront exercer leurs droits que sur une quote-part du prix de cession.

Examinons maintenant le régime juridique applicable à ce transfert des sûretés en plan de cession. Ce régime est caractérisé par un principe, celui du caractère automatique du transfert, principe susceptible d’aménagements permettant au juge de satisfaire aux exigences du cessionnaire.

Déterminons d’abord le moment à partir duquel le transfert doit être considéré comme effectué. A ce titre, aucun problème ne se pose en matière de location-gérance, le transfert intervenant selon le texte au jour de l’entrée en jouissance du bien. La question est plus délicate en matière de transfert de propriété, lorsque sa date n’a pas été expressément déterminée par le tribunal dans le jugement arrêtant le plan de cession. Le transfert de propriété n’est pas fixé à la date de ce jugement car en ce cas, le texte aurait visé les échéances restant dues au jour du plan de cession et non pas celles restant dues à compter du transfert de propriété.

Il faut donc s’en remettre à la jurisprudence de la Cour de cassation286 qui considère que, sauf disposition contraire, le transfert intervient à la date de passation des actes nécessaires à la réalisation du transfert de propriété. Cette solution est importante car elle détermine les échéances qui devront être prises en charge par le cessionnaire. Avant cet arrêt, les juridictions du fond s’étaient prononcées dans le sens du transfert de propriété à la date du jugement. Depuis, et sauf décision contraire du tribunal de la procédure, le repreneur devra acquitter les échéances restant dues à compter de la passation des actes nécessaires au transfert de propriété, les sommes échues entre le jugement et la passation de ces actes n’étant pas transmises.

Comme nous l’avons évoqué plus haut, la jurisprudence s’est fixée dans le sens de l’automaticité du transfert de charge de la sûreté287. Ainsi, soit le bien grevé est intégré dans le plan et, par l’effet automatique de la loi, sans que le tribunal ait à se prononcer sur ce point, la charge de la sûreté le grevant sera transmise avec lui ; soit le bien n’est pas intégré dans le plan et devra être réalisé selon les modalités de la liquidation judiciaire288. Le repreneur ne pourra donc pas, à l’appui d’un recours, se prévaloir d’une augmentation des charges souscrites : la charge de la sûreté ne peut pas être qualifiée de nouvelle dans la mesure où elle 285 Art. L621-24 al. 3 C. com. : « Le juge-commissaire peut aussi les autoriser à payer des créances antérieures au jugement, pour retirer le gage ou une chose légitimement retenue, lorsque ce retrait est justifié par la poursuite de l’activité ». 286 Com. 26 janv. 1993 : R.P.C. 1993, p. 86, n° 14, obs. Soinne. 287 Com. 23 nov. 1993 : P.A. 26 janv. 1994, n° 11, p. 13, obs. Soinne ; J.C.P. G. 1994. I. 3759, obs. Cabrillac ; J.C.P. G. 1994. I. 3765, n° 21, obs. Simler et Delebecque ; RTD civ. 1994, p. 910, obs. Mandrac ; Rép. Def. 1994, 1240, obs. Sénéchal. 288 Art. L621-83 al. 4 C. com.

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est de nature légale, et qu’il ne peut y être dérogé. Cette solution doit être approuvée, car dans le cas contraire, il suffirait à un repreneur de recourir à une présentation maligne de son offre pour échapper à l’application de ce régime contraignant.

Par ailleurs, jugeant que « le paiement complet du prix de cession est sans influence sur le droit pour le créancier bénéficiaire [de la sûreté] de poursuivre le recouvrement de sa créance contre le cessionnaire »289, la Cour de cassation conditionne la libération du cessionnaire au paiement de l’intégralité du prix de cession ainsi que de la totalité des échéances dues au titre du transfert de la charge des sûretés.

La question la plus cruciale en matière de satisfaction des intérêts de ces créanciers privilégiés est celle de la coordination des alinéas 1 et 3 de l’art. L621-96 C. com.290. Doivent-ils recevoir application de manière alternative ou cumulative dès lors que leurs conditions d’application respectives sont réunies?

L’application cumulative est plus favorable au créancier titulaire d’une sûreté spéciale puisqu’il pourra, en vertu de l’alinéa 1er, exercer ses droits sur la quote-part du prix de cession qui lui est attribuée, en percevant, en plus, les échéances restant à échoir par application de l’alinéa 3. Une application alternative des textes conduit à écarter l’application de l’alinéa 1er au profit de l’alinéa 3 : ainsi, les droits du créancier bénéficiant du régime du transfert de sa sûreté disparaissent totalement sur le prix de cession.

On assiste sur ce point à une divergence de jurisprudence des juges du fond, la Cour de Caen291 procédant à une application alternative des textes, le tribunal de Béthune292 cumulant les deux alinéas.

Il semble qu’il faille, en la matière, tirer les enseignements de l’arrêt de la haute Cour en date du 23 novembre 1993293 décidant que les sommes à verser par le cessionnaire au titre de la transmission de la charge des sûretés ne font pas partie du prix de cession. Ainsi, l’alinéa 1er ne s’appliquerait qu’à l’affectation par le tribunal d’une quote-part du prix de cession, l’adverbe toutefois employé dans le texte suggérant que les droits du créancier titulaire de la sûreté sur cette quote-part soient limités à sa créance échue avant le transfert de propriété ou l’entrée en jouissance du bien. A compter de cette date, c’est l’alinéa 3 qui devrait prendre le relais. Ces observations conduisent donc à une application cumulative des textes, application délimitée par la date du transfert de propriété ou de l’entrée en jouissance du bien.

D’éminents auteurs, en accord avec cette solution, suggèrent cependant, pour des raisons d’équité, de faire intervenir certains mécanismes correcteurs en la matière. Ainsi, l’un d’entre eux294, propose de permettre au tribunal de moduler dans certains cas la quote-part du 289 Com. 23 nov. 1993 : P.A. 26 janv. 1994, n° 11, p. 13, obs. Soinne ; J.C.P. G. 1994. I. 3759, obs. Cabrillac ; J.C.P. G. 1994. I. 3765, n° 21, obs. Simler et Delebecque ; RTD civ. 1994, p. 910, obs. Mandrac ; Rép. Def. 1994, 1240, obs. Sénéchal. 290 Art. L621-96 al. 1 C. com. : « Lorsque la cession porte sur des biens grevés d’un privilège spécial, d’un nantissement ou d’une hypothèque, une quote-part du prix est affectée par le tribunal à chacun de ces biens pour la répartition du prix et l’exercice du droit de préférence ». L’art. L621-96 al. 3 C. com. prévoit, comme nous l’avons vu, l’obligation pour le cessionnaire de payer les échéances restant dues à compter du transfert de propriété ou de l’entrée en jouissance du bien en cas de location-gérance. 291 CA Caen, 1ère ch., 1er oct. 1987, R.P.C. 1988, p. 320, n° 15, obs. Soinne. 292 TGI Béthune, 27 nov. 1987, R.P.C. 1988, 70, n° 6, obs. Soinne. 293 Com. 23 nov. 1993 : P.A. 26 janv. 1994, n° 11, p. 13, obs. Soinne ; J.C.P. G. 1994. I. 3759, obs. Cabrillac ; J.C.P. G. 1994. I. 3765, n° 21, obs. Simler et Delebecque ; RTD civ. 1994, p. 910, obs. Mandrac ; Defrénois 1994, 1240, obs. Sénéchal. 294 V. Soinne, n. sous Com. 23 nov. 1993 : P.A. 26 janv. 1994, n° 11, p. 13.

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prix de cession affectée au bien grevé en fonction de l’importance des sommes restant à échoir au titre de l’alinéa 3. D’autres295 ont même suggéré de minorer purement et simplement du montant des échéances à échoir au titre de l’alinéa 3, les droits du créancier sur la quote-part du prix de cession.

Remarquons enfin que le transfert de la charge de la sûreté est subordonné à la déclaration au passif des échéances à échoir. A défaut de déclaration de créance et d’admission au passif, ces échéances seront éteintes et le mécanisme de l’art. L621-96 al. 3 C. com. ne pourra opérer296. Si le créancier fait jouer la déchéance du terme avant l’ouverture de la procédure collective, il n’y aura plus d’échéances restant dues à compter du transfert de propriété ou de l’entrée en jouissance du bien. Le transfert de la sûreté ne pourra opérer, et le créancier ne pourra recevoir paiement que par application de l’alinéa 1er de l’art. L. 621-96 C. com.

Mais comme le fait justement remarquer un auteur297, la déchéance du terme n’est qu’une faculté pour son bénéficiaire, qui n’est jamais dans l’obligation de s’en prévaloir. Celui-ci aura donc parfois intérêt à déclarer au passif sans relever la déchéance du terme pour pouvoir ensuite bénéficier, en cas de plan de cession, du bénéfice du transfert de sa sûreté.

Dans d’autres hypothèses, par exemple s’il est en mesure d’actionner une caution, il pourra se prévaloir de la déchéance du terme, la non application du transfert de sa sûreté ne lui portant en ce cas aucun préjudice.

Si le mécanisme de l’art. L621-96 al. 3 C. com. a un effet automatique, cette automaticité est susceptible d’aménagements. Ceux-ci peuvent émaner du juge de la procédure comme des parties en cause.

Au rang des aménagements judiciaires, le tribunal peut accorder des délais de paiement au repreneur, en respectant les modalités procédurales prévues par l’art. L621-88 al. 3 C. com. relatif à la cession forcée de contrat. Par ailleurs, l’alinéa 3 de l’art. L621-96 C. com. impose de respecter les conditions de l’art. L621-88 al. 3 C. com., ce qui n’autorise le juge à n’imposer les délais de paiement que dans la mesure où ils s’avéreraient nécessaires à la poursuite de l’activité.

De plus, comme en matière de cession de contrat, la jurisprudence s’est prononcée en faveur de l’impossibilité d’accorder des délais dépassant le terme initial du contrat298.

Précisons encore que l’application du transfert des sûretés prévu par l’art. L621-96 al. 3 C. com. ne semble pas mettre fin au cours des intérêts. En effet, les échéances postérieures au transfert de propriété ou de l’entrée en jouissance du bien doivent être payées par le repreneur.

En cas de report d’échéance aucune disposition ne s’oppose au fait que les intérêts soient dus de plein droit.

Enfin, même si la lettre de l’art. L621-96 al. 3 C. com. ne le précise pas expressément, il n’apparaît pas possible pour la juridiction de céder au repreneur le bien grevé en cause par application des modalités de réalisation de la liquidation judiciaire. Ce procédé aboutirait en effet à contourner la règle d’ordre public prévue par l’art. L621-96 al. 3 C. com.

Cette disposition prévoit en dernier lieu qu’un accord entre le cessionnaire et les créanciers titulaires des sûretés peut valablement aménager la règle du transfert de la charge

295 M. Cabrillac et P. Pétel, Juin 1994, le printemps des sûretés réelles ?, P.A. 14 sept. 1994, n° 110, p. 59 et s. 296 Com. 20 juin 1995, RTD Com. 1996, p. 339, obs. Martin-Serf ; J.C.P. G. 1996. I. 3896, n°6, obs. Pétel. 297 P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2003/2004, n° 56.47. 298 CA Aix-en-Provence 13 janv. 1988, R.P.C. 1988, p. 392, n° 16, obs. Soinne ; Rev. Dr. banc. et bourse 1988, p. 208, n° 10, obs. Dekeuwer-Défossez.

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des sûretés. Le fait de limiter au bénéfice du repreneur la charge des sûretés transférées ne semble cependant présenter aucun intérêt pour les créanciers, qui procéderaient ainsi à une nouvelle diminution de leurs droits, et verraient, en cas de procédure collective du cessionnaire, leurs créances admises à titre simplement chirographaire.

Le transfert de la charge de certaines sûretés, prévu par l’art. L621-96 al. 3 C. com. constitue une illustration caractéristique de la convergence des intérêts des créanciers avec celui du débiteur. En effet, le transfert poursuit d’abord un objectif de satisfaction des intérêts pécuniaires de certains créanciers ayant précédemment octroyé du crédit à l’entreprise. Les sûretés garantissant le remboursement des crédits leur ayant été consentis ne sont pas mises entre parenthèse du fait de l’ouverture d’une procédure de redressement du débiteur. Mais d’un autre côté, le transfert de ces sûretés répond à l’objectif de moraliser les plans de cession à l’occasion desquels des abus avaient pu avoir cours. Cette règle témoigne donc d’une volonté de restaurer la situation financière du débiteur non pas à court terme, mais à longue échéance. Ainsi, et contre l’opinion de tous, certains dispositifs aboutissent à faire rimer sûreté et redressement judiciaire. Un autre dispositif nous conduira à la même conclusion (B).

B – L’inaliénabilité de certains biens, garantie d’un redressement facilité à long terme

Le recours à ce mécanisme dans le cadre d’un plan de continuation ou de cession, a

permis de faciliter le redressement effectif du débiteur, en permettant son exécution complète. Ainsi, l’inaliénabilité d’un bien peut dans ce contexte s’analyser en un véritable moyen

de garantir la bonne exécution d’un plan de continuation ou de cession. En effet, l’inaliénabilité de certains biens permet de stabiliser les composantes essentielles des patrimoines des entreprises et est à ce titre utilisé par le législateur comme un moyen d’affecter durablement certains biens à l’entreprise. Le mécanisme est bien conforme à l’intérêt de l’entreprise, qui se voit dotée des moyens nécessaires à son développement à long terme, mais aussi à celui de ses créanciers car il les garantit contre une organisation frauduleuse de l’insolvabilité de leur débiteur.

En témoignent en premier lieu les prescriptions de l’art. L621-19 C. com.299 renvoyant au tribunal, en période d’observation, le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les dirigeants de la personne morale en redressement judiciaire pourront céder leurs droits sociaux. Le même texte ouvre la faculté au tribunal de rendre ces droits sociaux incessibles.

299 Art. L621-19 C. com. : « A compter du jugement d’ouverture, les dirigeants de droits ou de fait, rémunérés ou non, ne peuvent, à peine de nullité, céder les parts sociales, actions ou certificats d’investissement ou de droit de vote représentant leurs droits sociaux dans la société qui a fait l’objet du jugement d’ouverture que dans les conditions fixées par le tribunal. Les actions et certificats d’investissement ou de droit de vote sont virés à un compte spécial bloqué, ouvert par l’administrateur au nom du titulaire et tenu par la société ou l’intermédiaire financier selon le cas. Aucun mouvement ne peut être effectué sur ce compte sans l’autorisation du juge-commissaire. L’administrateur fait, le cas échéant, mentionner sur les registres de la personne morale l’incessibilité des parts des dirigeants ».

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Bien sûr, cette mesure tend à éviter la désertion des dirigeants et ainsi garantir l’exécution des sanctions pécuniaires qui pourraient ultérieurement être prises contre eux.

Mais le recours éventuel à l’inaliénabilité des droits sociaux des dirigeants leur empêche aussi de transférer le contrôle de leur entreprise à de simples hommes de paille dénués de toute compétence ou de motivation en matière de direction. Dans cette hypothèse, l’on imagine bien que sans cette disposition, les possibilités de redresser l’entreprise au travers d’un plan de continuation se verraient fort réduites.

Cette analyse est confortée par l’insertion de l’art. L621-59 C. com.300 spécifique au plan de continuation, qui autorise le tribunal, lorsque la survie de l’entreprise le requiert, à subordonner l’adoption du plan au remplacement d’un ou plusieurs dirigeants. Celui-ci peut alors dans les mêmes conditions prononcer l’incessibilité de leurs parts, ce qui permet, là encore, d’écarter de la direction de l’entreprise dont la continuation est envisagée certaines personnes qui, du fait de leur inaptitude ou de leur mauvaise volonté, seraient de nature à compromettre le redressement.

Mais outre l’inaliénabilité des droits sociaux des dirigeants, l’application de ce mécanisme à certains actifs du débiteur est aussi de nature à faciliter sa survie, que cette survie résulte de l’adoption d’un plan de continuation ou de cession.

Remarquons d’abord qu’en période d’observation déjà, le débiteur ou l’administrateur ne peut, sans autorisation du juge-commissaire, faire des actes de disposition étrangers à la gestion courante. Cette inaliénabilité a bien pour objectif d’éviter qu’une vente inconsidérée ne prive l’entreprise d’un bien pouvant se révéler plus tard nécessaire à sa survie.

Ensuite, au rang des règles générales relatives aux modalités d’exécution d’un plan de continuation, l’art. L.621-72 C. com. permet au tribunal de prononcer l’inaliénabilité sans son autorisation les biens qu’il estime indispensables à la continuation de l’entreprise. A ce titre, aucune disposition de la loi de 1985 ne prévoyant de limite temporelle à cette inaliénabilité, elle pourra sans aucun doute excéder la durée du plan. S’analysant en une restriction au droit de gage général des créanciers, la mesure devra, en application du décret de 1985, faire l’objet de publicité pour les immeubles ainsi que pour les biens mobiliers d’équipement.

Par ailleurs, l’inaliénabilité ne peut viser que des biens appartenant au débiteur301, ce qui conduit à exclure les biens acquis par le débiteur sous réserve de propriété. Cependant, en la matière, il sera toujours possible de prévoir une inaliénabilité différée du bien, c’est-à-dire une inaliénabilité n’affectant le bien qu’au jour du paiement complet de son prix.

300 Art. L.621-59 C. com. : « Lorsque la survie de l’entreprise le requiert, le tribunal, sur la demande de l’administrateur, du procureur de la République ou d’office, peut subordonner l’adoption du plan de redressement de l’entreprise au remplacement d’un ou plusieurs dirigeants. A cette fin et dans les mêmes conditions, le tribunal peut prononcer l’incessibilité des actions, parts sociales ou certificats de droit de vote détenus par un ou plusieurs dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, et décider que le droit de vote y attaché sera exercé, pour une durée qu’il fixe, par un mandataire de justice désigné à cet effet. Il peut encore ordonner la cession des ces actions ou parts sociales, le prix de cession étant fixé à dire d’expert. Pour l’application du présent article, les dirigeants et les représentants du comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel sont entendus ou dûment appelés ». 301 Dans un régime de communauté légale, les biens communs peuvent faire l’objet d’inaliénabilité : CA Paris 24 janv. 1997, D.A. 1997. 444.

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L’objectif de ce dispositif est d’assurer la conservation des actifs nécessaires au maintien de l’activité. Le débiteur en difficulté est en effet souvent enclin à procéder à des cessions irréfléchies, motivées par des rentrées faciles d’argent frais ou encore par la complaisance témoignée à un tiers poursuivant la réalisation d’une plus-value rapide au détriment de l’avenir de l’activité.

Le constat est identique en matière de cession d’entreprise, deux textes poursuivant le même objectif d’éviter un dépeçage de l’entreprise. D’abord, l’art. L621-91 C. com.302 prévoit l’inaliénabilité de plein droit, jusqu’au paiement intégral du prix de cession, des biens autres que les stocks sauf autorisation expresse du tribunal prise après consultation des représentants du personnel et rapport du commissaire à l’exécution du plan. Cette disposition n’a qu’un impact restreint en pratique car les prix de cession sont généralement payés dans des délais brefs. Ce constat a poussé le législateur de 1994 à ouvrir la faculté au tribunal de déclarer inaliénables certains biens cédés, pour une durée qu’il détermine de façon discrétionnaire. Cette inaliénabilité judiciaire facultative est prévue par l’art. L621-92 C. com.

Du point de vue de l’objectif de redressement, ce texte présente la grande faiblesse de ne pas ouvrir au tribunal la possibilité, en cas de besoin, de déroger à la prohibition pour aliéner un bien du plan. Observons que cette faculté a été prévue par les art. L621-72 C. com. et L621-91 C. com. relatifs respectivement à l’inaliénabilité de certains biens du plan de continuation, et à l’inaliénabilité légale prévue en matière de cession d’entreprise. Ainsi, lorsqu’il rend son jugement arrêtant le plan de cession, le tribunal devra faire un choix draconien entre donner la possibilité au repreneur d’adapter les actifs de l’entreprise cédée à l’évolution des marchés pour la redresser efficacement, ou faire une application stricte du mécanisme de l’inaliénabilité pour déjouer les manoeuvres abusives de certains repreneurs.

Enfin, le texte de l’art. L621-92 C. com. présente l’inconvénient majeur de ne pas

prévoir expressément de sanction à l’aliénation prohibée, comme le font les art. L621-72 et L621-91 C. com. Comme le plébiscite un auteur303, il semble qu’il faille faire application de l’art. L621-91 al. 4 C. com. qui sanctionne de manière générale toute inexécution par le cessionnaire de ses engagements, par la résolution du plan. 302 Art. L621-91 C. com. : « Tant que le prix de cession n’est pas intégralement payé, le cessionnaire ne peut, à l’exception des stocks, aliéner ou donner en location-gérance les biens corporels ou incorporels qu’il a acquis. Leur aliénation totale ou partielle, leur affectation à titre de sûreté, leur location ou leur location-gérance peuvent être autorisées par le tribunal après rapport du commissaire à l’exécution du plan qui devra préalablement consulter le comité d’entreprise, ou, à défaut, les délégués du personnel. Le tribunal doit tenir compte des garanties offertes par le cessionnaire. Tout acte passé en violation des dispositions de ce présent article est annulé à la demande de tout intéressé, présentée dans le délai de trois ans à compter de la conclusion de l’acte. Lorsque l’acte est soumis à publicité, le délai court à compter de celle-ci. Le cessionnaire rend compte au commissaire à l’exécution du plan de l’application des dispositions prévues par le plan de cession à l’issue de chaque exercice suivant celle-ci. Si le cessionnaire n’exécute pas ses engagements, le tribunal peut, d’office, à la demande du procureur de la République, du commissaire à l’exécution du plan, du représentant des créanciers ou d’un créancier, prononcer la résolution du plan ». 303 F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 2003 6e éd.

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CONCLUSION

Cette étude a d’abord eu pour objet de mettre en exergue notre conception traditionnelle des sûretés réelles et privilèges spéciaux en redressement judiciaire, les analysant en un obstacle de taille posé à celui-ci. Cette conception s’appuie sur leur objet même, consistant à reporter l’insolvabilité du débiteur sur les autres créanciers en conférant à leur titulaire un droit réel exclusif sur un ou plusieurs biens du débiteur. Ainsi, tout paiement prioritaire suppose la réalisation d’un bien, synonyme de démantèlement des actifs de l’entreprise.

Il ne fallait cependant pas perdre de vue l’importance du rôle d’auxiliaire du crédit joué par ces sûretés. En effet, les facilités d’accès au crédit du débiteur dépendent directement des garanties de remboursement consenties à ses créanciers.

Ainsi, dans un objectif impérieux de redressement, il est tout à fait inimaginable d’assurer au débiteur des conditions de financement satisfaisantes sans en accorder une contrepartie effective à ces courageux dispensateurs de crédit.

Voilà l’une des équations à laquelle doit continuellement faire face notre législateur des procédures collectives.

Or l’incohérence de l’action législative récemment menée304 nous laisse aujourd’hui sceptique quant à une réelle prise en compte de la variable relative à l’intérêt du crédit. Institution de la SARL à un euro, déclaration d’insaisissabilité des droits détenus par l’entrepreneur individuel sur sa résidence principale, autant de mesures restreignant de façon considérable le gage des créanciers, et partant, leur faculté de se garantir par des sûretés réelles.

Depuis presque vingt ans maintenant, le crédit est menacé305.

304 Loi Dutreil n° 2003-721 du 1er août 2003 relative à l’initiative économique. JO 5 août 2003, p. 13449, et rectif. JO 20 sept. 2003, p. 16127. 305 M. Vasseur, Le crédit menacé – Brèves réflexions sur la nouvelle législation relative aux entreprises en difficulté, J.C.P. G. 1985. I. 3201.

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ANNEXE Etude sommaire du régime juridique de la déclaration notariée d’insaisissabilité prévue

par la loi Dutreil

Nous avons pu assister à l’instauration, au cours de l’été 2003, d’une nouvelle réduction significative du droit de gage traditionnellement reconnu à tout créancier, qui aura de fâcheux retentissements en procédures collectives. La loi Dutreil n° 2003-721 du 1er août 2003306 relative à l’initiative économique a cherché, comme l’indique son intitulé, à encourager l’esprit d’entreprise. Elle a pour se faire simplifié les formalités de création et de transmission des entreprises, ou encore amélioré l’accompagnement social des entrepreneurs en prévoyant un étalement de leurs cotisations.

Pour atteindre ce premier objectif d’incitation à la création d’entreprise, le Gouvernement est parti du constat selon lequel près de 55% des entreprises françaises sont individuelles. L’entreprise individuelle, à la différence d’une structure sociétaire, ne permet pas une isolation stricte entre patrimoine professionnel et patrimoine privé, d’où l’idée de permettre à l’entrepreneur de se lancer dans l’aventure sans l’appréhension de risquer de perdre l’essentiel, sa résidence principale.

Le législateur a donc institué, par l’adjonction de quatre nouveaux articles L.526-1 à L526-4 C. com., la possibilité pour l’entrepreneur individuel de soustraire les droits qu’il détient sur son domicile du droit de gage général de ses créanciers professionnels en recourant au mécanisme de l’insaisissabilité307.

Comme l’a fait très justement remarquer un auteur308, l’inaliénabilité d’un bien, qui entraîne par principe son insaisissabilité, peut être qualifiée d’ « anti-sûreté » puisqu’elle aboutit à soustraire purement et simplement celui-ci du gage des créanciers en établissant un lien indissociable entre l’actif et son propriétaire. De plus, l’insaisissabilité interdit de grever de sûretés réelles les biens qui en font l’objet, car ouvrir cette faculté aboutirait à contourner le mécanisme. Ainsi, tous les créanciers de l’entrepreneur seront placés sur un plan d’égalité face à son patrimoine, que ces créanciers soient des banques, importantes sources de crédit, ou de simples cocontractants de l’activité quotidienne du débiteur.

En pratique, les prêts à long terme sont généralement garantis par une hypothèque

grevant l’habitation principale de l’entrepreneur. L’introduction de cette nouvelle hypothèse d’insaisissabilité obligera de toute évidence les professionnels dispensateurs de crédit à rechercher de nouveaux modes de garantie en la matière, ou alors à l’inverse à octroyer des crédits de façon plus restrictive. Dans le même ordre d’idées, les créanciers de l’art. L621-32 C. com. bénéficient traditionnellement du privilège de la procédure à raison de leur association au redressement du débiteur. Cette priorité leur permet notamment d’espérer un

306 JO 5 août 2003, p. 13449, et rectif. JO 20 sept. 2003, p. 16127. 307 Art. L526-1 C. com. : « Par dérogation aux articles 2092 et 2093 du code civil, une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale. Cette déclaration, publiée au bureau des hypothèques ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant. Lorsque l'immeuble est à usage mixte professionnel et d'habitation, la partie affectée à la résidence principale ne peut faire l'objet de la déclaration que si elle est désignée dans un état descriptif de division ». 308 Y. Guyon, L’inaliénabilité en droit commercial, Mél. Sayag p. 267.

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paiement à l’échéance. Comment préserver leur motivation lorsque le seul actif de valeur appartenant au débiteur ne pourra plus faire l’objet de saisies ? La résidence principale représentant la quasi-totalité de l’actif réel de l’entreprise individuelle en difficulté, les chances de redressement seront considérablement amoindries du fait du jeu de cette déclaration.

Faisons observer que ce mécanisme constitue une profonde entorse à notre conception traditionnelle du patrimoine telle que dégagée par Aubry et Rau selon laquelle le patrimoine est l'émanation de la personnalité juridique, et est indivisible309. De plus, il est indéniable que le dispositif constitue une dérogation de taille au principe de l’unité du patrimoine310. Même si une grande partie des commentateurs311 se prononçant sur la question se refuse à reconnaître la consécration par la loi du 1er août 2003 de la notion de patrimoine d’affectation, il faut bien reconnaître que l’on est très proche de l’idée d’une masse de biens affectée à une destination particulière312. La seule différence nous semble résider dans le fait que pour répondre à la définition du patrimoine d’affectation, la masse affectée doit être composée d’une pluralité de biens, ce qui n’est pas le cas de notre déclaration d’insaisissabilité qui ne porte que sur un bien immobilier unique. Mais alors que dire de la réforme des OPCVM opérée par la loi de sécurité financière du 1er août 2003 autorisant leur compartimentation ? Ou encore de l’affectation particulière des sommes recouvrées dans l’intérêt collectif des créanciers ? Comment justifier, en matière fiscale, le principe de la liberté d’affectation comptable ? Ces interrogations nous poussent à considérer que cette notion de patrimoine d’affectation existe au moins en germe dans notre législation.

S’analysant comme nous l’avons vu en une entorse à notre conception du patrimoine, la déclaration d’insaisissabilité, acte solennel, est soumise au formalisme ad validitatem de l’acte notarié soumis à publicité313.

La déclaration n’aura d’effet qu’à l’égard des seuls créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la publication de l’acte. Cette solution est bien sûr heureuse, tant du point de vue de la sécurité juridique des créanciers antérieurs, que de l’objectif poursuivi, qui consiste à rassurer le futur entrepreneur individuel avant de se lancer dans les affaires et non

309 Aubry, Rau, Droit civil français, LGDJ, t. VI, 6e éd. 1951, p.229 à 255. 310 Le droit de gage général est régi par les articles 2092 et 2093 du C. civ. : l'article 2092 dispose que « Quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. L'article 2093, quant à lui, précise que Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers; et le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ». 311 M. Laugier, Initiative économique et déclaration notariée d’insaisissabilité, J.C.P. E. 2003. 1507. Nous avons d’ailleurs peine à comprendre la justification avancée par cet auteur en vue d’écarter la notion de patrimoine d’affectation. La résidence ne serait pas extraite du patrimoine, elle serait simplement extraite du droit de gage des créanciers professionnels. ; F. Vauvillé, La déclaration notariée d’insaisissabilité, Rép. def. 2003, n° 19, p. 1197. 312 V. not. C. Witz, Privilèges, Droit de gage général, J.-Cl. Civil, Fasc. 80 (art. 2092 à 2094), n° 5 à 16. 313 Art. L526-2 C. com. : « La déclaration, reçue par notaire sous peine de nullité, contient la description détaillée de l'immeuble et l'indication de son caractère propre, commun ou indivis. L'acte est publié au bureau des hypothèques ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation. Lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, la déclaration doit y être mentionnée. Lorsque la personne n'est pas tenue de s'immatriculer dans un registre de publicité légale, un extrait de la déclaration doit être publié dans un journal d'annonces légales du département dans lequel est exercée l'activité professionnelle pour que cette personne puisse se prévaloir du bénéfice du premier alinéa de l'article L. 526-1. L'établissement de l'acte prévu au premier alinéa et l'accomplissement des formalités donnent lieu au versement aux notaires d'émoluments fixes dans le cadre d'un plafond déterminé par décret ».

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pas de le protéger en cas de mauvaises affaires avérées. De plus, la déclaration ne vaut que pour les créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de leur activité professionnelle. Ainsi, la résidence principale restera saisissable par les créanciers « privés » ou « domestiques » du débiteur. Ensuite, il semble que dans le silence de la loi, la déclaration soit inopposable aux créanciers du conjoint du déclarant.

Deux circonstances méritent encore d’être soulignées. Pour éviter que le changement de résidence principale de l’entrepreneur n’anéantisse la déclaration, le législateur a prévu un double report de l’insaisissabilité, d’abord sur le prix de vente, ensuite sur la nouvelle résidence principale, à hauteur des sommes figurant dans une déclaration de remploi jointe à l’acte d’acquisition de la nouvelle résidence314.

Enfin, afin de ménager l’accès au crédit de l’entrepreneur, le législateur lui a réservé la possibilité de renoncer aux effets protecteurs de la déclaration à laquelle il a procédé antérieurement315. On s’attend à l’évidence à ce qu’un créancier futur fasse d’une telle renonciation la condition sine qua non de l’octroi d’un prêt. Précisons encore que ni la sécurité juridique, ni les intérêts d’un créancier ou du débiteur ne paraissent interdire qu’une telle renonciation soit faite au profit exclusif d’un seul créancier.

Cette nouvelle faculté posera sans doute de nombreuses difficultés en matière de redressement des entreprises en difficulté. Comme nous l’avons évoqué plus haut, les prérogatives des créanciers titulaires de sûretés et de privilèges se verront fortement amputées, ce qui aura pour conséquence de nuire significativement au crédit de l’entrepreneur et ainsi de restreindre encore des chances de redressement déjà minces.

Par ailleurs, des difficultés relatives cette fois à l’organisation de la procédure pourront survenir : ne peuvent figurer dans l’actif d’une procédure collective que les biens saisissables, la résidence du débiteur restant hors d’atteinte si le passif se compose exclusivement de créanciers professionnels dont les droits sont nés postérieurement à la publication de la déclaration. Il pourra cependant exister des créanciers professionnels antérieurs à la publication, ou des créanciers « domestiques » postérieurs à celle-ci. Se posera alors la question de savoir si le droit de saisir la résidence principale qu’ils avaient avant la procédure doit profiter au mandataire de justice. A priori oui, car l’intérêt collectif des créanciers est représenté par les organes de la procédure. Mais dans l’affirmative, le produit de la réalisation devra-t-il être réservé aux seuls créanciers auxquels la déclaration est inopposable ?

Autant de difficultés pratiques qui auraient pu être évitées en ajoutant tout simplement sous conditions l’habitation principale à la liste des bien insaisissables édictée par la loi du 9 juillet 1991. Le résultat aurait été identique, mais M. Dutreil n’aurait pas eu « sa » loi.

314 Art. L526-3 C. com. : « En cas de cession des droits immobiliers désignés dans la déclaration initiale, le prix obtenu demeure insaisissable à l'égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la publication de cette déclaration à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant, sous la condition du remploi dans le délai d'un an des sommes à l'acquisition par le déclarant d'un immeuble où est fixée sa résidence principale. Les droits sur la résidence principale nouvellement acquise restent insaisissables à la hauteur des sommes réemployées à l'égard des créanciers visés au premier alinéa lorsque l'acte d'acquisition contient une déclaration de remploi des fonds. La déclaration de remploi des fonds est soumise aux conditions de validité et d'opposabilité prévues aux articles L. 526-1 et L. 526-2 ». 315 Art. L526-3 al. 4 C. com. : « La déclaration peut, à tout moment, faire l'objet d'une renonciation soumise aux mêmes conditions de validité et d'opposabilité ».

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Notes Behar-Touchais, note sous Com. 3 juin 1997, J.C.P. E. 1997. II. 988. Cabrillac, note sous CA Nancy, 19 déc. 1985, D. 1986. 249. Com. 27 oct. 1964, D. 1965. 129.

Com. 20 oct. 1992, J.C.P. E. 1993. I. 238. Com. 3 nov. 1992, J.C.P. E. 1993. I. 238. Com. 16 mars 1993, J.C.P. E. 1993. I. 277.

Cabrillac et Pétel, note sous Com. 16 fév. 1993, J.C.P. E. 1993. I. 277. Campana, Calendini, note sous Com. 3 juin 1997, Rev dr. banc. et bourse 1997, n° 62, p. 175. Courtier, note sous Com. 23 nov. 1999, P.A. 11 juill. 2000, n° 137, p. 27.

- 102 -

F. D., note sous Com. 23 mai 1995, D. 1995. 413. Derrida, note sous CA Aix-en-Provence 30 oct. 1997, P.A. 24 fév. 1999, n° 39, p. 4.

CA Amiens 22 janv. 1993, P.A. 24 mars 1993, n° 36, p. 16. CA Paris 29 juin 1993, P.A. 8 févr. 1995, n° 17, p. 24. Ass. Plén. 26 oct. 1984, D. 1985. 33. Com. 8 déc. 1987 : D. 1988. p. 53. Com. 6 mars 1990, D. 1990. 311. Com. 16 mars 1993, D. 1993. 583. Com. 28 mars 1995, D. 1995. 410. Com. 24 oct. 1995, D. 1996. 86. Com. 9 janv. 1996, D. 1996. 184. Com. 20 mai 1997, P.A. 19 avr. 1999, n° 77, p. 10. Com. 3 juin 1997, D. 1997. 517.

Derrida, Sortais, note sous Com. 7 janv. 1976, D. 1976. 277.

Com. 31 mars 1978, D. 1978. 646. Com. 7 mai 1979, D. 1979. 431. Com. 6 mars 1990, D. 1990. 311. Com. 16 nov. 1993, D. 1994. 57. Com. 30 nov. 1993, D. 1994. 175.

Dureuil, note sous Com. 14 déc. 1993, R.P.C. 1994. 47. Gavalda, Stoufflet, note sous Com. 7 janv. 1976, J.C.P. G. 1976. II. 18327. Hoin, note sous Com. 17 janv. 1956, D. 1956. 265. Honorat, note sous Com. 9 oct. 1974, Rev. soc. 1975. 245.

Com. 7 janv. 1976, Rev. soc. 1976. 126. Com. 17 juill. 1990, D. 1990. 494. Com. 17 nov. 1992, P.A. 17 fév. 1993, n° 21, p. 23.

Honorat et Romani, note sous Com. 22 févr. 1994, D. 1995. 27. J.-A., note sous Com. 27 oct. 1964, J.C.P. G. 1964. II. 13968.

Com. 2 mai 1972, J.C.P. G. 1972. II. 17170. Jacquemont, note sous Com. 5 nov. 2003, A.P.C. 17 janv. 2004, n° 1, p. 1. Jeantin, note sous Com. 8 déc. 1987, J.C.P. G. 1988. II. 20927. Lagarde, note sous CE 9 fév. 2000, P.A. 16 mars 2000, n° 54, p. 19. Le Corre, note sous Com. 23 mai 2000, J.C.P. E. 2000. 1140. Legrand, note sous Com. 7 avril 1998, R.J.C. 1999. 201. Mainguy, note sous Com. 11 juill. 1995, J.C.P. 1996. II. 22583. Merven, note sous T. com. Paris, 5e ch., 9 févr. 2001, R.J.Com. 2002, p. 318, n° 1601.

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Mestre, note sous CA Toulouse 11 févr. 1977, D. 1978. 206. Morvan, note sous Com. 6 oct. 1998, J.C.P. E. 1998, p. 1806. Paulet, note sous Com. 9 juin 1998, P.A. 14 avril 1999, p. 10. Pérochon, note sous Com. 15 mars 1988, D. 1988. 330. Pétel, note sous Com. 30 mars 1993, J.C.P. E. 1993. I. 277.

Com. 20 juin 1995, J.C.P. E. 1995. I. 513. Pierre, note sous Com. 30 oct. 2000, D. 2001. 1527. Pirovano, note sous Com. 2 mai 1972, D. 1972. 618. P.M., note sous Com. 5 janv. 1999, P.A. 26 janv. 1999, p. 4. Robert, note sous 1ère civ., 8 mars 1988, D. 1989. 577. Soinne, note sous CA Lyon 7 nov. 1997, P.A. 30 oct. 1998, n° 130, p. 19.

Com. 15 mars 1994, R.P.C. 1994. 397. Com. 6 déc. 1994, P.A. 23 janv. 1995, n° 10, p. 10. Com. 18 janv. 2000 et Com. 20 fév. 2001, R.P.C. 2001. 75.

Sortais, note sous Com. 19 mars 1974, D. 1975. 124. Teillais, note sous Com. 6 janv. 1998, P.A. 8 févr. 1999, n° 27, p.15. Vallansan, note sous Com. 11 juill. 1995, J.C.P. E. 1996. II. 779. Wiederkehr, note sous CA Colmar 13 janv. 1966, J.C.P. 1967, II, 14971.

Observations Avena-Robardet, observations sur Com., 3 avril 2001, D. 2001. 1621. A. L., observations sur CA Paris 13 mars 1998, D.A. 1998, p. 673.

Com. 16 mars 1999, D.A. 1999, p. 635. Com. 15 mai 2001, D.A. 1999. 635.

Bandrac, observations sur Com. 6 mars 1990, R.T.D. Civ. 1991. 150. Bonhomme, observations sur Com. 11 juill. 1995, J.C.P. E. 1996. I. 523, n° 10. Cabrillac, observations sur Com. 6 mars 1990, J.C.P. E. 1990. II .15829, n° 11.

Com. 17 nov. 1992, J.C.P. G. 1993. I. 3672, n°20. Com. 23 nov. 1993, J.C.P. G. 1994. I. 3759. Com. 9 janv. 1996, J.C.P. E. 1996. I. 554, n° 19.

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Com. 3 juin 1997, J.C.P. G. 1998. I. 111, n° 15. Com. 20 janv. 1998, J.C.P. G. 1998. I. 141, n° 8. Com. 5 janv. 1999, R.T.D. Com. 1999. 476. Com. 23 janv. 2001 (deux arrêts), J.C.P. E. 2001. 755, n° 13.

Cabrillac et Rives-Lange, observations sur Com. 13 nov. 1973, R.T.D. Com. 1974. 136. Cabrillac et Pétel, observations sur Com. 7 déc. 1999, J.C.P. E. 2000. 753, n° 13.

Com., 3 avril 2001, J.C.P. E. 2001. 1472, n° 13. Com. 15 mai 2001, J.C.P. E. 1999. 1529. Com. 5 févr. 2002, J.C.P. E. 2002. 807, n° 15.

Cabrillac et Teyssié, observations sur Com. 14 déc. 1993, R.T.D. Com. 1994, p. 332. Campana, Calendini, observations sur Com. 6 mars 1990, Rev. dr. banc. et bourse 1990. 173.

Com. 6 févr. 1996, Rev. dr. banc. et bourse 1996. 62 et 128. Com. 3 juin 1997, Rev. dr. banc. et bourse 1997. 175.

Canet, observations sur Com. 12 juin 1997, R.P.C. 1997. 477.

Com. 23 nov. 1999, R.P.C. 2002. 283. Crocq, observations sur Com. 9 mai 1995, R.T.D. Civ. 1996. 441.

Com. 9 janv. 1996, R.T.D. Civ. 1996. 437, n° 4. Com. 28 mai 1996, R.T.D. Civ. 1996. 671. Com. 20 mai 1997, R.T.D. Civ. 1997. 707.

Crédot et Gérard, observations sur Com. 3 juin 1997, Rev. dr. banc. et bourse 1997. 165. Dekeuwer-Défossez, observations sur CA Aix-en-Provence 13 janv. 1988, Rev. Dr. banc. et

bourse 1988, p. 208, n° 10. Delebecque, observations sur Com. 8 juin 1999, J.C.P. G. 2000. I. 209, n° 18.

Com. 5 févr. 2002, J.C.P. E. 2002. 1424, n° 19. De Larroumet, observations sur Com. 9 janv. 1996, D.A. 1996. 603. Derrida, observations sur CA Riom, 28 avr. 1988, D. 1991, somm. p. 15.

Com. 10 juill. 1990, D. 1990. 468. Com. 17 nov. 1992, D. 1993, p. 96. Com. 12 juill. 1994, D. 1995, somm. 1. Com. 20 mai 1997, D. 1999, somm. p. 5.

Dureuil, observations sur Com. 6 mars 1990, R.P.C. 1990. 421. F.D., observations sur Com. 23 mai 1995, D. 1995. 413. Gavalda et Stoufflet, observations sur Com. 14 déc. 1993, J.C.P. E. 1994. I. 378.

Com. 28 mars 1995, J.C.P. E. 1996. I. 525. Guyon, observations sur Com. 3 janv. 1989, R.P.C. 1990, p. 162.

- 105 -

Honorat, observations sur Com. 23 févr. 1980, D. 1981, IR p. 391.

Com. 14 janv. 1997, D. 1997, somm. p. 213. Com. 28 janv. 1997, D. 1997, somm. p. 214. Com. 14 oct. 1997, D. 1998. 99. Com. 12 nov. 1997, D. 1998, somm. p. 325. Com. 4 juill. 2000, D. 2001. Somm. 617. Com. 15 mai 2001, D. 1999. Somm. 349.

Houin, observations sur Com. 27 oct. 1964, R.T.D. Com. 1965. 183.

Com. 6 nov. 1968, R.T.D. Com. 1969. 212. J. F., observations sur Com. 6 janv. 1998, D.A. 1998. 382. Jobard-Bachellier, observations sur Com. 28 janv. 1997, D. 1998, somm. p. 140. Laugier, observations sur CA Douai 22 avril 1999, J.C.P. E. 2000. II. 465. Le Corre, observations sur Com. 6 mars 1990, R.P.C. 1990. 21. Le Dauphin, observations sur Com. 14 mai 1996, D. 1996. 502. Lemistre, observations sur Com. 28 janv. 1997, R.P.C. 1998, p. 203. Libchaber, observations sur Com. 20 mai 1997, D. 1998, somm. 115. Lienhard, observations sur Com. 5 janv. 1999, D.A. 1999. 219.

Com. 23 janv. 2001 (deux arrêts), D. 2001. 702. Com. 15 mai 2001, D. 2001. 1949. Com. 5 févr. 2002, D. 2002. 805. Com. 7 janv. 2003, D. 2003. 274. Com. 17 déc. 2003, D. 2004, n° 2, p. 137.

Macorig-Venier, observations sur CA Toulouse, 10 févr. 1994 et CA Aix-en-Provence, 23 juin

1994, R.P.C. 1996. 76. n° 123. Mandrac, observations sur Com. 23 nov. 1993, R.T.D. civ. 1994, p. 910. Martin-Serf, observations sur Com. 6 mars 1990, R.T.D. Com. 1990. 264.

Com. 17 nov. 1992, R.T.D. com. 1993, p. 717. Com. 28 juin 1994, R.T.D. Com. 1995. 486. Com. 20 juin 1995, R.T.D. Com. 1996, p. 339. Com. 24 oct. 1995, R.T.D. Com. 1996, p. 344. Com. 6 févr. 1996, R.T.D. Com. 1996. 529. Com. 28 janv. 1997, R.T.D. Com. 1997, p. 516. Com. 6 mai 1997, R.P.C. 1997. 491. Com. 20 mai 1997, R.T.D. Com. 1998. 202. et R.P.C. 1997. 487. Com. 3 juin 1997, R.P.C. 1998. 113. Com. 12 nov. 1997, R.T.D. Com. 1999, p. 196. Com. 20 janv. 1998, R.T.D. Com. 1999, p. 194. Com. 8 juin 1999, R.T.D. Com. 1999. 968. Com. 23 nov. 1999, R.T.D. Com. 2000. 719.

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Com. 7 déc. 1999, R.T.D. Com. 2001. 226. Com. 28 mars 2000, R.P.C. 2002. 118. Com. 4 juill. 2000, R.T.D. Com. 2001. 228.

M.C., observations sur Com. 23 mai 1995, J.C.P. G. 1996. I. 3896 ou J.C.P. E. 1995. I. 513. M.C. et P.P., observations sur Com. 28 mars 1995, J.C.P. G. 1995. I. 3871, ou J.C.P. E. I. 487, n° 12. Monsèrié-Bon, observations sur Com. 4 juill. 2000, Dr. et patrim. janv. 2001. 99. Pérochon, observations sur Com. 22 mars 1994, D. 1996. Somm. 219.

Com. 11 juill. 1995, D. 1996. Somm. 212. Com. 9 janv. 1996, D. 1993. Somm. 288.

Pétel, observations sur Com. 28 juin 1994, J.C.P. E. 1995. I. 417, n° 5.

Com. 20 juin 1995, J.C.P. G. 1996. I. 3896, n°6. Com. 11 juill. 1995, J.C.P. E. 1995. I. 513, n° 12. Com. 22 avril 1997, J.C.P. E. 1997. I. 681, n° 18. Com. 23 nov. 1999, J.C.P. E. 2000. 752, n° 11. Com. 4 juill. 2000, J.C.P. E. 2001. 219, n° 11.

Piédelièvre, observations sur Com. 12 nov. 1997, D. 1998, somm. p. 106.

Com. 20 janv. 1998, D. 1998, somm. p. 380. Rives-Lange, observations sur CA Dijon 3 sept. 1986, Banque 1987. 304.

Com. 9 mai 1990, Banque 1990, p. 1212. Saint-Halary-Houin, observations sur Com. 28 juin 1994, R.P.C. 1995. 297. Sénéchal, observations sur Com. 23 nov. 1993, Rép. Def. 1994, 1240. Simler et Delebecque, observations sur Com. 17 nov. 1992, J.C.P. G. 1993. I. 3680, n°17.

Com. 23 nov. 1993, J.C.P. G. 1994. I. 3765, n° 21. Com. 9 janv. 1996, J.C.P. E. 1996. I. 571, n° 4.

Soinne, observations sur TGI Béthune, 27 nov. 1987, R.P.C. 1988, 70, n° 6.

CA Aix-en-Provence 13 janv. 1988, R.P.C. 1988, p. 392, n° 16. CA Caen, 1ère ch., 1er oct. 1987, R.P.C. 1988, p. 320, n° 15. CA Riom, 28 avr. 1988, R.P.C. 1988. 395. CA Rouen, 5 févr. 1987 : R.P.C. 1990, p. 260, n° 7. Com. 29 janv. 1991, R.P.C. 1991, p. 225, n° 11. ; R.P.C. 1992, p. 425, n° 8. Com. 29 janv. 1991 et 20 oct. 1992, R.P.C. 1993. 572. Com. 26 janv. 1993, R.P.C. 1993, p. 86, n° 14. Com. 23 nov. 1993, P.A. 26 janv. 1994, n° 11, p. 13. Com. 11 oct. 1994, R.P.C. 1995. 206. Com. 6 déc. 1994, P.A. 23 janv. 1995, n° 10, p. 10. Com. 9 mai 1995, R.P.C. 1995. 487. Com. 11 juill. 1995, R.P.C. 1996. 471.

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Com. 6 fév. 1996 (deux espèces), P.A. 10 janv. 1997, n° 5, p. 12. Stoufflet, observations sur Com. 7 avril 1998, Rev. dr. banc. fin. nov. 1998. 190. X.D., observations sur Com. 7 avril 1998, D.A. 1998. 959.

Rapports Rapport de Mme le conseiller Pasturel sur Com. 16 nov. 1993, D. 1994. 57.

Conclusions Conclusions Lemoine sur 2e civ. 28 janv. 1954, J.C.P. G. 1954. II. 7958. Conclusions De Gouttes sur Com. 16 nov. 1993, D. 1994. 57.

COLLOQUES Colloque relatif aux pratiques et innovations des sûretés et garanties, organisé les 25 et 26 janvier 2001 par le groupe Monassier France, les Matinées-débats de la LJA et la rédaction de Droit et patrimoine, en partenariat avec la Lettre des juristes d’affaires et l’Association nationale des juristes de banque.

Monassier, Michel, Les sûretés ne sont plus sûres…, Dr. et patrim. 2001, n° 92, p. 52. Théry, La différentiation du particulier et du professionnel : un aspect de l’évolution

du droit des sûretés, Dr. et patrim. 2001, n° 92, p. 53. Crocq, Le principe de spécialité des sûretés réelles : chronique d’un déclin annoncé,

Dr. et patrim. 2001, n° 92, p. 58.

LIENS INTERNET www.assemblee-nationale.frwww.bicentenaireducodecivil.frwww.echr.coe.intwww.legifrance.gouv.frwww.lexinter.net

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www.parlement.frwww.service-public.frwww.puf.com

TABLE DES MATIERES SOMMAIRE…………………………………………………………………………………………………. LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS………………………………………………. INTRODUCTION………………………………………………………………………….. CHAPITRE I – SURETES REELLES ET PRIVILEGES, UN OBSTACLE AU TRAITEMENT COLLECTIF DES DIFFICULTES DES ENTREPRISES………………………………………………………………………………… SECTION 1 – SOUMISSION DES CREANCIERS TITULAIRES DE SURETES A UNE DISCIPLINE COLLECTIVE……………………………………….

§1 - Le gel du passif…………………………………………………………………………………………..

A - Suspension de l'exécution des obligations contractées par le débiteur avec l’ensemble de ses partenaires……………………………………………………………………………..

B - Déclaration de créance : admission de tous les créanciers au sein d’un groupement unique………………………………………………………………………………………….. §2 - La pseudo disparition de la masse………………………………………………………………..

A – Les inopposabilités « à la procédure »…………………………………………………………..

B – La notion jurisprudentielle d’intérêt collectif des créanciers……………………………. SECTION II – LIMITATIONS DRACONIENNES AUX PREROGATIVES SPECIFIQUES RECONNUES A CERTAINS TITULAIRES DE SURETES……………………………………………………………………………………….. §1 – Limitations aux fins de reconstitution de l’actif du débiteur……………………………

A – Suspicion de fraude à l’égard de certaines inscriptions en amont de la

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procédure………………………………………………………………………………………………………..

B – Affectation aux besoins du redressement du produit de certaines actions en responsabilité…………………………………………………………………………………………………... §2 – Restrictions visant à faciliter l’exécution d’un plan…………………………………………

A – Restrictions aux droits tirés du contrat passé avec le débiteur…………………………..

B – Restrictions aux droits issus de la possession de la chose objet de la sûreté réelle CHAPITRE II – SURETES REELLES ET PRIVILEGES, UN OUTIL NECESSAIRE AU REDRESSEMENT DES ENTREPRISES……………………………. SECTION I – UNE REPONSE AU BESOIN PERMANENT DE CREDIT DES ENTREPRISES IN BONIS………………………………………………………………….. §1 – La propriété-sûreté ou la soustraction des biens grevés au droit des procédures collectives………………………………………………………………………………………….................

A – L' "hyperprivilège" des propriétaires………………………………………………………………

B – La publicité, vecteur de confiance de la part des partenaires économiques du débiteur………………………………………………………………………………………………………….. §2 – L’absence de concours résultant du jeu de la connexité…………………………………

A – Place laissée à la compensation, dans un objectif de redressement…………………..

B – Importance prise par le netting, dans une logique de sauvegarde des marchés financiers………………………………………………………………………………………………………... SECTION II – UNE REPONSE AU BESOIN DE CREDIT EXCEPTIONNEL DES ENTREPRISES EN DIFFICULTES……………………………………………….. §1 – En période d’observation……………………………………………………………………………

A – Absence de rejet de principe des sûretés réelles…………………………………………….

B – Le privilège de la procédure, clef de voûte de la politique de redressement menée depuis 1985…………………………………………………………………………………………..

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§2 – Dans le cadre de l'adoption ou de l'exécution d'un plan…………………………………

A – Valorisation des sûretés en plan de cession……………………………………………………

B – L’inaliénabilité de certains biens, garantie d’un redressement facilité à long terme……………………………………………………………………………………………………………..

CONCLUSION............................................................................................. ANNEXE : Déclaration notariée d’insaisissabilité………………………………………………..

BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………………………….

TABLE DES MATIERES………………………………………………………………………………..

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