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Les syndicats de gestion agricole du Quebec : Un regroupement d’agriculteurs et agricultrices Denis Cornier Faculte‘ des sciences de l’agriculture et de l‘alimentation, Dkpartement dkconomie rurale, Universite‘ Laval, Que‘bec. INTRODUCTION L‘Cvolution du secteur agricole se caractkrise par des changements rapides qui en marqutrent l’histoire et qui semblent s’Ctre accC1CrCs surtout depuis 1945 : indus- trialisation et sptkialisation des fermes, introduction de nouvelles productions, croissance de la production, recours croissant au crCdit entrainant la substitution graduelle des machines B la main-d’oeuvre, adoption de nouvelles technologies, Cvolution des march& (prix, demande, surproduction, qualitk, 1ibCralisation et internationalisationdes Cchanges) et Cvolution des rtgles administratives(fiscalitk, quotas laitiers). Tous ces phCnomtnesprkoccupent beaucoup les agriculteurs quC- Mcois et ils ont, semble-t-il, conjug6 leurs impacts pour crier des conditions de production auxquelles les agriculteurs doivent en permanence s’adapter et donner aussi une nouvelle orientation B la gestion agricole. Conscient de l’importance du r6le de la gestion agricole dans le dCveloppe- ment du secteur agricole, le Ministkre de 1’Agriculture des PCcheries et de 1’Ali- mentation du QuCbec (MAPAQ) dCcida, au dCbut des annCes 1960, avec l’aide des reprksentants du syndicalisme agricole et de 1’UniversitC Laval, de planifier le dCveloppementde la gestion agricole au QuCbec. L . e plan d’action alors propod, en mai 1965, misait principalement sur la crCation de groupements issus et stimulCs par les milieux agricoles visCs, B par- ticipation volontaire, dont l’objectif premier serait 1’amCliorationdes capacitCs de gestion des agriculteurset des agricultricesdu Qukbec. Donc d’entrke on se refusa d’imposer un vChicule spCcifique pour l’implantation de la gestion sur la base d’un modtle pens6 par des spkcialistes qui souvent perdent de vue les premiers intC- ressCs, les agriculteurs. On faisait plut6t l’hypothtse que le milieu lui-mCmeferait finalementCmerger les formules adapties aux besoins. En effet, les agriculteurs ne dtsirent pas tous, au mCme degrk, rationaliser leur gestion. L‘intCrCt pour de telles tiiches varie aussi beaucoup de l’un B l’autre. On identifia cependant une certaine forme de gradation des besoins. On y reviendra. L‘on forma successivementalors des groupes de rentabilitkagricole (GERA), des cercles de gestion agricole (CGA) et aussi des syndicats de gestion agricole (SGA). Revue canadienne d’bconomie rurale 37 (1989) 597-608 597

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Les syndicats de gestion agricole du Quebec : Un regroupement d’agriculteurs et agricultrices

Denis Cornier Faculte‘ des sciences de l’agriculture et de l‘alimentation, Dkpartement

dkconomie rurale, Universite‘ Laval, Que‘bec.

INTRODUCTION L‘Cvolution du secteur agricole se caractkrise par des changements rapides qui en marqutrent l’histoire et qui semblent s’Ctre accC1CrCs surtout depuis 1945 : indus- trialisation et sptkialisation des fermes, introduction de nouvelles productions, croissance de la production, recours croissant au crCdit entrainant la substitution graduelle des machines B la main-d’oeuvre, adoption de nouvelles technologies, Cvolution des march& (prix, demande, surproduction, qualitk, 1ibCralisation et internationalisation des Cchanges) et Cvolution des rtgles administratives (fiscalitk, quotas laitiers). Tous ces phCnomtnes prkoccupent beaucoup les agriculteurs quC- Mcois et ils ont, semble-t-il, conjug6 leurs impacts pour crier des conditions de production auxquelles les agriculteurs doivent en permanence s’adapter et donner aussi une nouvelle orientation B la gestion agricole.

Conscient de l’importance du r6le de la gestion agricole dans le dCveloppe- ment du secteur agricole, le Ministkre de 1’Agriculture des PCcheries et de 1’Ali- mentation du QuCbec (MAPAQ) dCcida, au dCbut des annCes 1960, avec l’aide des reprksentants du syndicalisme agricole et de 1’UniversitC Laval, de planifier le dCveloppement de la gestion agricole au QuCbec.

L.e plan d’action alors propod, en mai 1965, misait principalement sur la crCation de groupements issus et stimulCs par les milieux agricoles visCs, B par- ticipation volontaire, dont l’objectif premier serait 1’amClioration des capacitCs de gestion des agriculteurs et des agricultrices du Qukbec. Donc d’entrke on se refusa d’imposer un vChicule spCcifique pour l’implantation de la gestion sur la base d’un modtle pens6 par des spkcialistes qui souvent perdent de vue les premiers intC- ressCs, les agriculteurs.

On faisait plut6t l’hypothtse que le milieu lui-mCme ferait finalement Cmerger les formules adapties aux besoins. En effet, les agriculteurs ne dtsirent pas tous, au mCme degrk, rationaliser leur gestion. L‘intCrCt pour de telles tiiches varie aussi beaucoup de l’un B l’autre. On identifia cependant une certaine forme de gradation des besoins. On y reviendra.

L‘on forma successivement alors des groupes de rentabilitk agricole (GERA), des cercles de gestion agricole (CGA) et aussi des syndicats de gestion agricole (SGA).

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Le dCveloppement des SGA, sujet qui nous prkoccupe aujourd’hui, s’inscrit donc dans une perspective historique riche d’enseignement. Aujourd’hui il existe au QuCbec quelques 45 SGA qui regroupent plus de 2000 agriculteurs.

Je reviendrai, a la fin de cet exposC, sur la question de l’organisation de la gestion agricole au QuCbec. TraitCe dans une perspective historique, elle garde toute son importance pour bien comprendre la rCalitC d’aujourd’hui. Pour l’instant, permettez-moi d’en venir immediatement au vif du sujet, la formule SGA.

J’aborderai dans cette confirence les aspects suivants 2 tour de r6le : le programme d’aide aux SGA; les caractkristiques fonctionnelles du SGA; les activitCs dans les SGA; les principales composantes du SGA et leur impact sur les membres; l’organisation de la gestion agricole au QuCbec, breve perspective historique.

LE SYNDICAT DE GESTION AGRICOLE La formule du syndicat de gestion agricole doit, d’une part, son existence et son dtveloppement au programme d’aide aux SGA. D’autre part, elle s’est propagCe a cause de la promotion qu’en ont fait les agriculteurs et les agricultrices du QuCbec

titre de proprittaire de cette formule. L‘impact de l’un et l’autre de ces leviers par leurs fonctions respectives fait en sorte que l’on reconnait au projet SGA beau- coup de succes et d’avenir comme outil de gestion contemporain.

Le programme d’aide aux SGA Le MAPAQ administre le programme d’aide aux SGA depuis 1973, annCe oh fut adopt6 officiellement ce programme suite Bun projet pilote de cinq ans, men6 avec une groupe d’agriculteurs. Ce programme a, sans contredit, permis de dkvelopper un nouveau rCseau de services en gestion agricole. Deux faits permettent d’affirmer cela. Premierement, on a rCussi a stimuler l’apparition d’un grand nombre de syndicats formCs au cours des 15 dernieres annCes. Deuxiemement , au plan qua- litatif, des caractCristiques fonctionnelles spckifiques aux SGA se sont rapidement prkcistes a l’usage. Qui plus est, l’ideologie vChiculCe de l’intkrieur des SGA, en termes de concepts et de valeurs sur lesquels la formule s’appuie, s’est raffinCe.

Objectif du programme Le MAPAQ veut, par ce programme, permettre aux agriculteurs qui le dCsirent de retenir les services exclusifs d’un conseiller en gestion afin que les agriculteurs puissent assumer pleinement leur r6le de gestionnaire au sein de leur entreprise. Par ailleurs, le ministere veut constituer une banque de donnCes technico-econo- miques fiable lui permettant de mieux quantifier l’agriculture quCbCcoise et sus- ceptible de bonifier ses politiques en matiere agricole. Le soutien public la for- mule SGA vise donc a appuyer deux sCries d’activitCs dans un pnncipe d’kchange

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de services et de proctdts. Mais il semble trks difficile de scinder en deux le coQt de ce programme pour dtteminer exactement la proportion du soutien ii chaque secteur d’activitts.

Caracteristiques fonctionelles d’un SGA Chaque SGA constitue un organisme indtpendant, ltgalement constitut, disposant d’une charte d’incorporation et de rkglements, le tout rdgi par la h i sur les syn- dicats professionels. Chaque SGA est donc autonome et demeure, par ailleurs, une formule qui s’adresse 9 tous les agriculteurs inttressts. C’est donc, rtpdtons- le, une organisation volontaire mise en branle librement, soit localement ou rtgio- nalement, rtalisCe par ses initiateurs et supportte par ses membres. C’est ce qui en fait son originalitt et sa force.

Un SGA regroupe gtntralement plus ou moins 50 entreprises gtrtes par des individus y adhtrant par choix dClibCrt . L‘ on dCnombre quelques cas oh le nombre de membres peut atteindre 70 ou mCme plus. La limite supkrieure de membres est fonction de la capacitt du conseiller ou de la conseillkre de rtpondre 9 la thche. Dans les cas precis ou cette limite supdrieure est atteinte, l’on prockde ii l’em- bauche d’un conseiller ou d’une conseilltxe suppltmentaire. Dans la plupart des SGA, deux ou trois productions agricoles sont reprtsenttes avec comme sptcialitt, la plus souvent exercte, la production laitikre et/ou porcine. Un bureau de direction compost habituellement de sept membres Clus en assemblte gtntrale fixe les grandes orientations du SGA et prockde au suivi des activitts. Dans le syndicat ltgalement constitut , les membres prockde d’abord ?I l’embauche d’un conseiller ou d’une conseillkre en gestion.

Le ou la conseiller(kre)-agronome alors engag&e) par le SGA est au service exclusif des membres du SGA. Ces professionnels ont t t t , dans bien des cas, la locomotive des SGA. Sur le plan professionnel, ils doivent faire face i des contraintes et exigences sur le plan de la rigueur, tribut de l’excellence SGA.

Le financement du regroupement provient de deux sources. Premibrement, on puise au programme lui-m&me qui prtvoit une subvention rtgressive servant ?I couvrir une partie du salaire brut du conseiller. La premikre annte, 90% du salaire est assurt par la subvention. Une diminution d e 0% est prCvue pour les anntes

ptriphtnque ou dans les SGA spCcialisCs. Pour l’exercice financier 1988-1989, le budget global allout par l’ttat au programme d’aide aux SGA h i t de 1,l millon $. Le membre doit par contre payer une cotisation fixte annuellement en assemblte gtntrale afin de couvrir la partie du salaire non assurke par le programme, en plus des autres dtpenses de fonctionnement du syndicat (location d’espace ?i bureau, frais de dtplacement du conseiller, etc.). La cotisation annuelle moyenne s’tvalue ?i environ 600 $ parentreprise-membre. Celle-ci varie en fonction du nombre d’an- nCes tcoultes depuis la formation du SGA. Elle est donc difftrente d’un SGA 9 l’autre.

substquentes, jusqu’ii concurrence de 50% en r6gi ‘t, n centrale et 65% en rtgion

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Activites dans un SGA Pour devenir membre d’un SGA, l’agriculteur doit exploiter une entreprise agri- Cole, payer sa cotisation a son syndicat et s’engager tenir une comptabilitt pour fins de gestion. I1 s’agit la en plus de son engagement vis-a-vis le groupe d’indi- vidus constituant le SGA, des seules conditions a respecter pour etre membre.

L‘agriculteur devenue membre d’un SGA s’offre alors des services au plan individuel et collectif. Disons que les principaux peuvent Stre divisCs en services individualis& et en services de groupe.

Les premiers sont ceux rendus par le conseiller en gestion a chacun des membres sur demande, a savoir :

le suivi comptable; les calculs de rentabilitt;

les ttudes d’altematives; et les conseils en financement.

les calculs de coOts de production;

Le conseiller couvre ainsi tous les besoins du membre en mati5re de conseil en gestion. La notion de conseil de gestion est englobante. Elle inclut en effet la satisfaction des besoins deformation et d’information mais aussi les notions d’aide, d’tvaluation, de documentation et d’entrevue en termes d’actions spbcifiques dans un processus de consultation. Le conseiller doit, en bout de course, trouver rbponse a la demande de l’agriculteur tout en tentant de faire en sorte que ce demier devienne, a son contact rtgulier, progressivement plus compktent solutionner ses probl5mes, a travailler lui-meme a l’amtlioration de sa situation. I1 devient essentiel pour le conseiller de savoir tcouter et comprendre le membre. I1 pourra alors et seulement associer son expertise 2 celle de l’autre.

Les activitCs de groupe (plus de deux personnes) concement des services omniprtsents dans la dynamique d’un SGA. Les activitis peuvent prendre difft- rentes formes (assemblies de cuisine ou gCnCrale, session, cours, etc.). Deux de ces activitts dominent peut-Stre tant par leur frtquence que par leur importance. I1 s’agit de :

l’analyse de groupe; et la formation professionnelle.

L‘analyse de groupe permet 1’Ctude des risultats technico-tconomiques et finan- ciers de chacune des entreprises participantes, sur une base rigoureusement iden- tique. Cela permet tgalement a I’agriculteur de comparer ses rtsultats 2 ceux des autres entreprises du Syndicat. La prtsentation en groupe a pour effet :

d’identifier les points fort et les points faibles de chacune des entreprises; de favoriser les tchanges; et de crter une sorte d’tmulation stimulante dans le groupe.

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Par ailleurs, quand on fait partie d’un groupe organisk, les occasions d’amk- liorer ses connaissances ne manquent pas. Les sessions de formation profession- nelle, adaptties aux besoins des membres, comptent parmi les plus rkgulibres.

Dans les SGA, on ne parle plus de formation sans sous-entendre informations et relations. Les SGA peuvent Ctre considCrks comme un vtritable rkseau d’in- formations convergeant de partout vers le SGA (Rivet et a1 1984). Ces informations demeurent constamment en circulation au profit des membres. On leurs apprend B toujours Ctre aussi bien informks que possible. Pour ce faire, ils doivent chercher la bonne information 18 oh elle se trouve. Par la pratique ils apprennent trbs t6t que I’information constitue un ClCment essentiel de la prise de dkcision et de la gestion moderne d’une entreprise. On les incite donc h adopter une attitude d’ou- verture a I’autre, plut6t que celle d’un repliement sur soi.

Sur ce plan, les SGA s’adressent avant tout h des agriculteurs qui sont favo- rables aux actions de groupe concernant leur profession et qui croient aux avantages lies au regroupement des inter&. Une espbce d’adage s’est d’ailleurs dCvelopp6e en ce milieu et qui s’exprime ainsi (Rivet et a1 1984) :

a plusieurs ensemble, on peut s’offrir, a coOt raisonnable, un niveau de services-gestion inaccessible autrement;

plusieurs ensemble, on peut comparer nos rksultats et mieux saisir chacun nos points forts et nos points faibles; 51 plusieurs ensemble, la somme des expkriences de tous peut servir la solution des problbmes de chacun; B plusieurs ensemble, il est plus facile de faire valoir nos points de vue, de les dkfendre mCme; et B plusieurs ensemble, il est plus facile d’obtenir des cours qui nous convien- nent, des rencontres sur des sujets precis, et des voyages d’ktude, parce qu’on est un groupe.

En dCfinitive, le programme SGA s’appuie sur trois piliers : la formation, l’infonnation et le conseil de gestion. La chimie de ces composantes a pour impact majeur de permettre aux agriculteurs-membres d’acqukrir une capacitk de gestion supkrieure 2 celle d’autres agriculteurs comparables non membres de SGA.

Permettez-moi maintenant d’insister sur chacune des composantes de la for- mule, ?I tour de r6le.

Les composantes de la formule SGA L‘kvaluation de I’impact du programme d’aide aux SGA comme groupement d’agriculteurs doit Ctre conye de manibre h vkrifier la relation suivante : la capa- citt de gestion des agriculteurs est fonction des critbres suivants :

de la formation gCnCrale et professionnelle acquise; du degrk d’utilitk de la masse d’information qui leur est fournie; de leurs attitudes et motivations; et du niveau technique d6jh atteint sur l’entreprise.

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C’est precisernent ce type d’Cvaluation qualitative que nous avons fait dans le cadre d’une etude (Cormier 1989) en voie d’&tre cornplCtCe.’ Nous ne nous sornrnes par contre pas arrCter a rnesurer la variation des revenus des agriculteurs depuis leur adhesion aux SGA en comparaison des non rnembres de SGA durant une mCme griode. Cela reste a faire. Considerons maintenant de maniere tres succincte quelques-uns des rksultats de cette etude.

Avant de reprendre successivernent chacun des crittres enumCr6s prkctdern- ment, j’aimerais apporter 2 votre attention quelques caracteristiques socio-6co- norniques des rnernbres de SGA.

Les agriculteurs mernbres de SGA sont rnajoritairernent plus jeunes que les non membres. Environ 48,O % ont moins de 35 ans alors que cette proportion baisse a 28.0 % chez les non membres. Tous sont majoritairement (97,O % et 96,O %) fils ou fille d’agriculteurs.

Formation ge‘ne‘rale L‘evaluation r6alisCe dipeint donc tres nettement les rnernbres actuels de SGA comme des individus ayant une formation gCnCrale de degri supkrieur a celui des non rnembres. En effet, ils sont proportionnellement plus nornbreux a avoir pro- longe leurs Ctudes jusqu’au secondaire (63,O % contre 45,O %).

En accord avec les concepts thtoriques, cette caracteristique, considtree cornme une variable exogene, sernble predisposer plus les membres de SGA, par comparaison a ceux ayant un niveau scolaire moindre, a acquerir et a divelopper des capacites de gestion supkrieures.

Le rnembres de SGA possedent donc, au depart, des qualifications qui favo- risent leur participation aux activites du SGA et qui permettent dans un rneilleur dClai l’atteinte de l’objectif accorde au programme d’aide aux SGA.

Formation professionnelle ugricole Les rnernbres de SGA ont participt! de fagon plus frequente que les non rnernbres a des sessions de formation professionnelle agricole offertes ii la piece.

Les resultats de notre enqutte montrent en effet que les rnernbres de SGA ont etC, au cours des dernieres annees. deux fois plus nombreux que les non rnembres a s’inscrire et a participer a des sessions de formation dans le domaine de la gestion. Ces sessions sont organides soit dans le cadre des activitCs du SGA ou offertes par des intervenants en dehors du SGA.

Information L’evaluation confirme aussi la prktention que le SGA est un tissu sen6 de relations ou circule l’information. Les mernbres de SGA participent, en effet, en plus grand nornbre et de faqon plus frequente que les non rnernbres aux activites profession- nelles organisees par les organisrnes du milieu (union des producteurs agricoles,

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coopkratives, associations d’kleveurs, symposiums et colloques, etc.). Ces dif- firences sont statistiquement significatives.

En plus d’assister en plus grand nombre aux diverses rkunions, ils sont deux fois plus nombreux a occuper un poste administratif au sein de 1’Union des pro- ducteurs du QuCbec .

Ces agriculteurs dkmontrent, par ce comportement ax6 vers la recherche d’in- formation, une plus grande ouverture face 2 l’action de groupe et l’implication professionnelle. 11s sont donc plus actifs en tentant de trouver des solutions 5 leurs probEmes personnels dans une perspective d’intCri5t collectif.

Conseil en gestion

Dans les SGA les agriculteurs ont opti, par obligation ou par choix, pour le suivi quotidien de leur entreprise, le contr6le et la planification. 11s sont proportionnel- lement plus nombreux a consulter de faqon rkgulibre un conseiller en gestion que les non membres. En effet, 95,O % d’entre eux consultent de fason occasionnelle ou rkgulibre un conseiller en gestion alors que cette proportion diminue a 25,O % chez les non membres. Vu d’un angle different, les membres de SGA sont pro- portionnellement moins nombreux a s’en remettre encore a leur seul flair et 2 leurs seules connaissances du contexte de leur decision.

La gestion demeure donc l’une des pierres angulaires a la base de l’ideologie SGA. Celle-ci se traduit chez l’agriculteur dans la conviction qu’il s’agit d’un outil privilCgit offert a tous pour progresser en agriculture. S’en passer devient donc, dans une certaine mesure, un handicap serieux dans le contexte de l’agriculture d’aujourd’hui.

Attitudes et motivations

Les membres de SGA sont mieux disposks que les non membres 5 l’action de groupe et a la consultation auprbs de sources extkrieures a l’entreprise. 11s expri- ment Cgalement de faqon Claire et prkcise leurs besoins d’affiliation, ce qui les diffirencie encore une fois des non membres. Ces rksultats dtmontrent bien, il me semble, que les membres de SGA croient que les intir6ts que l’on partage avec les autres seront mieux valorisks que si chacun se debrouille tout seul. De plus ils favorisent une relation de <<partnership>> entre membres et aussi avec l’agronome conseiller en gestion dans I’accomplissement d’un projet commun.

Cette attitude favorable 2i l’action de groupe et l’expression d’un besoin d’af- filiation contribuent de fason significative a l’adoption, par l’agriculteur, d’un comportement qui favorise le dynamisme, l’ouverture a l’innovation et a l’envi- ronnement professionnel, l’esprit d’initiative, le sens critique, la recherche constante d’information et la solidaritk face aux difficult&.

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Niveau technologique atteint sur l’entreprise Les producteurs laitiers des SGA sont proprietaires d’entreprises identiques a celles des non membres quant a l’ttendue des superficies cultivees et la grosseur des troupeaux. Aces Cgards, ils se situent dans les m&mes strates que les non membres.

En ce qui concerne le niveau technologique atteint sur les entreprises SGA, il n’est pas different de celui des non membres. Qu’il s’agisse des systemes de traite, de manutention des fumiers, de recolte et d’entreposage des fourrages, d’en- tretien et de reparation de l’equipement agricole, le materiel utilise est pratique- ment le meme dam les deux cas. Le seul point qui merite notre attention c’est que les membres des SGA sont proportionnellement plus nombreux a utiliser le sechoir a foin comme technique de conservation du foin sec. I1 s’agit, pricisons-le, d’un des equipements les plus rentables pour I’entreprise (Levallois et Savalle 1978).

Cette variable inAuence donc peu ou pas du tout le comportement de ges- tionnaire des agriculteurs dans l’exercice de leur fonction.

L’ivaluation que nous avons faite du programme d’aide aux SGA permet de croire, sur la base de la relation decrite precedemment, que les SGA, comme regroupement d’agriculteurs, collaborent de fason positive a rendre les agricul- teurs-membres de meilleurs gesrionnaires. Cet impact semble donc s’averer trks positif pour le secteur de la production agricole. De fason encore plus tranchee, je vais mCme jusqu’a pretendre qu’on assiste presentement ?I I’eclosion de la pre- miere generation d’agriculteurs gestionnaires au Quebec. Cela a exige du temps et beaucoup de moyens. La continuation de cette tendance exigera egalement beau- coup de moyens (aide financikre, formation, ressources humaines, etc.). 11 faut donc, dans le contexte, laisser le temps aux agriculteurs de s’organiser et aussi leur en fournir les moyens necessaires.

Les credits publics utilises dans le cadre de ce programme meritent vraiment d’Ctre consideres comme un investissement dans le capital humain dont la profes- sion tirera benefice 21 terme. C’est ce que montrent les resultats de notre evaluation. Les progres les plus etendus et Ies plus durables auront tte ainsi rialises.

Mais le monde ne s’est pas fait en un seul jour. I1 en est de m&me pour la gestion et son organisation. La formule SGA est le resultat d’un long processus et en quelque sorte !‘heritage d’expkriences passees.

Organisation de la gestion agricole au Quebec Dans le cadre du processus d’organisation de la gestion agricole au Quebec, on a opte l’origine, en debut des annkes 1960, pour une demarche theorique axee sur les experiences acquises en Amerique du Nord et en Europe, sur les reseaux ins- titutionnels existants, sur la conception de l’industrie ago-alimentaire d’alors et kvidemment aussi sur I’etat des connaissances accumulees dans les milieux de i’enseignement et de la recherche sur la gestion agricole. I1 ne fallait, bien sOr, pas perdre de vue les agriculteurs, les premiers interesses.

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Tel que mentionnt au dkbut de cette prksentation, l’on refusa d’imposer aux agriculteurs une seule structure qui devait rkpondre il l’ensemble de leurs besoins en matibre de gestion agricole. Cette stratCgie en aurait vraisemblablement facilitk l’organisation, mais l’efficacitk en aurait Ctk sfirement diminuke.

Regardons ensemble ce chapitre de l’histoire de la gestion agricole au Qukbec et de son organisation.

Groupements de gestion agricole

Le but de la gestion est d’abord humain et 1’Cconomique s’associe B l’humain. En effet, tout problbme est finalement humain. Ses aspects technique,Cconomique et social ne constituent que des contingences. I1 faut avant tout tenir compte des motivations et des actions des hommes (Bublot 1965). Ce constat nous ambne h croire que la vkritable gestion agricole ne trouve son vtritable essor principalement h l’intkrieur des groupes d’agriculteurs qui ont l’opportunitk de discuter entre eux leurs problbmes, des solutions B apporter B ces problbmes et de comparer leurs rksultats rkciproques. Bien entendu il y aura toujours place h la consultation privCe pratiquCe par les secteurs privt ou public. Mais cette pratique n’offrira jamais aux clients-agriculteurs les avantages relics aux regroupements.

Trois types de groupement d’agriculteurs virent donc le jour suite aux recom- mandations formulCes par les membres du comitC sp6cialement form6 pour revoir l’organisation de la gestion agricole au Qukbec. Les deux premiers seraient orga- nists directement par le MAPAQ alors que le troisibme relbverait exclusivement de I’initiative des agriculteurs. 11s sont dCsignCs comme suit :

groupe d’ktude en rentabilitC agricole (GERA);

cercle de gestion agricole (CGA); et

syndicat de gestion agricole (SGA).

L‘objectif de chacun des trois groupements diffbrent sensiblement d’un l’autre. Le G E M , d’une part, visait B initier en groupe les agriculteurs B la gestion agricole. Le CGA, d’autre part, offrait de faire de la gestion de fason intensive. Dans les deux cas les activitCs Ctaient organisCes par l’agronome il I’emploi du MAPAQ. Enfin le SGA a pour objectif d’encourager l’esprit d’initiative des agri- culteurs par un travail de groupe librement consenti et organist, en utilisant d’une faGon intensive les services d’un agronome, conseiller en gestion. Celui-ci est engagk h plein temps et est pay6 en partie par les agriculteurs-membres selon les rbgles tnonckes prkctdemment.

Le passage du GERA au CGA y est vu comme une Cvolution logique au plan du conseil en gestion et des activitCs qui lui sont rattachkes, ainsi qu’un chemi- nement respectant celui de l’agriculteur dans son apprentissage il la gestion.

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GROUPES D’ETUDE EN RENTABILITE AGRICOLE ET CERCLES DE GESTJON AGRICOLE

Malgr6 qu’ils aient collabori5 de faqon marquee au progks de la gestion agricole, ces deux types de groupement d’agnculteurs sont a toute fin pratique disparus. Par contre le Quebec agricole a deja comptC 21 1 GERA vers les annees 1970-1971. On y rejoignait ainsi toutes les regions agricoles et plus de 5000 agriculteurs. Par ailleurs, les CGA n’ont pas reussi a s’imposer comme la suite logique des GERA bien que plusieurs groupes aient CtC form& dans les principales regions agricoles du Quebec.

On reconnait a ces deux exp6riences de groupements de gestion agricole le merite d’avoir inculque de prkcieux enseignements sur I’importance du service en gestion et du suivi a accorder aux agriculteurs, ainsi que la nCcessitC d’objectiver les modes de comparaison entre entreprises au plan technico-Cconomique. De plus, par les activites de gestion organiskes dans ces groupes, cela a permis de se rendre compte que le niveau de besoins de renseignements precis de la part des agricul- teurs ont augment6 rapidement et qu’il n’est possible d’y repondre sans que cer- taines conditions soient reunies. Deux conditions furent identifiees, soit:

que les agriculteurs puissent compter sur les services d’un conseiller en disponibilite permanente pour le groupe; et que le service-conseil soit s@cialisC.*

Dans le contexte ou tvolukrent les GERA et les CGA, les agronomes du MAPAQ y travaillant pouvaient difficilement repondre 21 ces exigences lorsque charges d’assumer, d’une part, I’administration quotidienne et le maintien des programmes et de conseiller, d’autre part, des agriculteurs dont la situation propre pouvait commander des decisions de gestion plus nuancCes que les orientations genkrales promues par I’Etat, voire exiger de considtrer des alternatives n’allant pas dans le sens de ces dernikres.

Par contre, les agriculteurs ont quand meme, pendant ce temps, pris conscience de leurs besoins d’encadrement face aux exigences nouvelles comman- dkes par une agriculture industrialisee oit la gestion prend tout son sens. C’est ainsi que plusieurs d’entre eux optkrent pour la formule syndicat de gestion agricole afin de repondre a des besoins precis.

Rythme de developpement des SGA En 1968, un groupe d’agriculteurs fondait le premier SGA au Quebec. Ces agri- culteurs jugeaient alors que l’aide apportke a la moyenne des agriculteurs du Que- bec, les politiques et les programmes du MAPAQ ne correspondaient plus a leurs besoins. 11s se disaient assez conscients des problemes auxquels ils faisaient face dans leur entreprise pour itre en mesure de juger de I’utilitt d’un SGA comme appui a la recherche des solutions B leurs problkmes. 11s pretendirent donc &re amvCs a un carrefour qui leur demandait de faire des choix pour lesquels ils ne disposaient pas de toute I’expertise necessaire et qui auraient eu des impacts

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LES SYNDICATS DE GESTION AGRICOLE DU QUEBEC 607

Nombre de SGA au QuCbec de 1968 a 1988

1968 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1988 AnnCe

Figure 1. Nombre de SGA au Qdbec de 1968 ?i 1988

majeurs sur la rentabilitk et le dCveloppement de leur ferme. Le programme du minist&-e leur offrait alors un outil qu’ils jugeaient indispensable et adapt6 2I leurs besoins. Les pratiques de la gestion devenaient donc pour eux essentielles.

Durant une dkennie, ce premier SGA fit route seul. Ses membres ont fignolt en solo la formule SGA, tirant au fur et 2I mesure de leur expkrience concrbte les renseignements nkcessaires B la bonne marche de leur organisation. 11s ont fait la preuve d’une croyance en un outil de gestion moderne et d’avant-garde gCrC par les agriculteurs eux-mCmes .

En 1978, nah le deuxibme SGA avec l’appui des membres du premier. h i s , par la suite, on assiste au dkploiement d’une quarantaine de SGA au cours de la pkriode 1979-1988, tel qu’illustr6 dans la Figure 1.

Les quelques 45 SGA actuellement en opkration couvrent, sur le plan g6o- graphique, l’ensemble du territoire agricole quCbCcois.

En 1981, l’on procCda a la fondation de la FCdCration des SGA. RCsultant d’un mouvement de la base, elle est administrke par des agriculteurs membres de SGA locaux. Son financement provient surtout des cotisations demandCes B chacun des SGA membres de cette fCdCration. Un financement lui est Cgalement accord6 par I’Union des producteurs agricoles B titre de fCdCration spCcialisCe affiliCe.

La FCdCration des SGA a pour buts de (Rivet et al 1984) : briser l’isolement relatif et, partant, la fragilitt du SGA local; favoriser un partage de I’ensemble des expiriences; donner B l’ensemble des SGA une reprCsentativitC unique; et developper des dossiers d’envergure provinciale.

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608 REVUE CANADIENNE D’ECONOMIE RURALE

CONCLUSION La formule SGA s’integre trhs bien au mouvement qui conduit au dkveloppement d’un secteur ou d’un pays. Ce mouvement s’appuie ti la fois sur la notion de groupe, comme multiplicateur de I’effort individuel et la responsabilite de ceux qui par- ticipent a la mutation d’un secteur, d’un pays. Dans le cas precis du SGA, comme mouvement conduisant au dkveloppement, il reintegre l’agriculteur dans son r6le d’initiateur de changements et pose m&me son sens de l’initiative comme condition d’un dkveloppement adapte a sa situation.

L’investissement dans le capital humain constituait probablement un choix judicieux pour assurer le dkveloppement de la gestion agricole au Quebec et consti- tue en cela un gage d’avenir pour le secteur agricole. C’est ce que nous montre les rksultats de notre kvaluation.

responsabiliser l’agriculteur vis-a-vis sa propre entreprise et vis-a-vis aussi l’environnement dans lequel s’inscrit ses acti- vites professionnelles et son Cpanouissement humain.

La formule SGA contribue donc

NOTES ‘Dans le cadre de cette etude, une enquete a Cte realisee aupres de 308 agriculteurs. dont 127 de ceux-ci Ctaient membres de SGA. ’Service sp&ialise signifie que le conseil offert aux agriculteurs relkve du domaine de la gestion, c’est-a-dire que le conseiller qui offre le service possede une expertise et une spkcialite dans les domaines de la gestion et de 1’Cconomique en plus d’une connaissance gkntrale du secteur de la production.

REFGRENCES Bublot, Georges. 1%5. L‘expbitafion agricole, kconornie-gesrion, analyse. Paris : Nourvelaerts. Cormier, Denis. 1989. Evaluation du programme d’aide aux syndicats de gestion agricole au Quebec. MSc these. Quebec : Universite Laval. Levallois, Raymond et J. M. Savalle. 1978. Modes de conservation et stades de recoltes des fourrages : Consequences Cconomiques au niveau de I’entrepnse latiere. Qutbec : Uni- versite Laval, Agri-gestion-Laval. Rivet, Daniel et al. 1984. Reflexion sur les syndicats de gestion agricole : Service d’tdu- cation et d’information. hngueuil : UPA.