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Les transformations de sens dans les médias.
Une étude de la représentation du discours autre dans la presse écrite congolaise, française et belge. Le cas du conflit au Nord-Kivu en 2008
NANCY DECLOUX
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Les transformations de sens dans les médias.
Une étude de la représentation du discours autre dans la presse écrite congolaise, française et belge. Le cas du conflit au Nord-Kivu en 2008
Thèse réalisée en vue de l’obtention du titre de docteur en linguistique française à l’Université d’Anvers, dans la Faculté de Lettres romanes, département de Langues, 2017
Par
Nancy Decloux Directeur de Thèse : Dr. Patrick Dendale
Anvers 2017
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Avant-propos
Mener à terme un projet doctoral demande beaucoup de soutien de la part des proches qui
nous aident à combiner le travail avec des moments de détente qui nous ressourcent. Un tel
projet, c’est toute une partie de notre vie durant laquelle notre famille, nos amis, nos
collègues, nos rencontres nous aident et participent eux aussi, d’une manière ou d’une
autre, à sa finalisation. C’est grâce à ces personnes que j’ai pu mener à bien cette recherche
et je souhaite les en remercier car elles m’ont permis de finaliser ce projet dans les
meilleures conditions possibles.
D’abord, mes remerciements s’adressent à mon directeur de thèse, Patrick Dendale. Son
regard éclairé sur le langage et ses nombreux conseils avisés m’ont permis d’avancer et
d’approfondir mes réflexions. Merci de m’avoir guidée lors de nos supervisions, de m’avoir
transmise vos connaissances académiques (et informatiques !) tout au long de ces années. Je
tiens aussi à exprimer ma gratitude aux membres de ma commission doctorale, Jef
Verschueren (et à son épouse, Ann Verhaert) pour leur présence lors de réunions
informelles et leurs précieux encouragements ainsi que Walter De Mulder d’avoir accepté de
faire partie de ma commission doctorale.
Cela me tient aussi à cœur de remercier mes collègues et amis de l’Université d’Anvers avec
lesquels j’ai pu développer mes connaissances académiques lors de séminaires en analyse du
discours et avec qui j’ai passé d’agréables et instructifs moments lors de conférences. Je
pense entre autres à Petra Heyse, Jan Zienkowski, Matylda Weidner, Roel Coesemans,
Stefanie Peeters, Bram Vertommen et Sarah Scheepers.
J’ai une profonde reconnaissance envers mes amis proches qui, non seulement m’ont
écoutée, soutenue et encouragée, mais ont également perçu les moments où j’avais besoin
de me déconnecter des pensées académiques, et regorgeaient alors d’idées pour me
divertir. Je ne peux manquer de citer « mes deux blondes » préférées, Sandrine et Sophie. Je
n’oublie bien sûr pas non plus Mel et Nico, Aude, Ben, Max, Zazou, Hélène, Kev, Dege et
toutes les personnes qui m’ont accompagnée dans cette aventure.
Enfin, j’ai une pensée pour deux personnes qui me sont très chères : ma maman qui a
toujours été là pour m’écouter et m’a toujours conseillée et guidée dans mes choix. Elle a eu
la patience de m’accompagner à chaque fois que j’en ai eu besoin. Ensuite, mon conjoint,
Matthias, qui a eu l’extrême patience d’écouter (presque tous les soirs) des « monologues »
sur des recherches académiques et malgré cela, a toujours été là pour m’encourager dans
ma démarche.
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Bibliographie
Chapitre I Thème abordé, questions de recherche et organisation de la thèse ................................... 12
Chapitre II Notions théoriques : dialogisme, hétérogénéité montrée et évidentialité......................... 25
1. Dialogisme .............................................................................................................................. 26
1.1. La notion de dialogisme chez Bakhtine et chez Kristeva............................................. 26
1.1.1. Introduction ............................................................................................................ 26 1.1.2. Le dialogisme et l’énoncé ....................................................................................... 27 1.1.3. Les relations externe et interne entre les « énoncés-textes » ............................... 28 a) La relation externe entre les textes ou le dialogal ................................................. 28 b) La relation interne entre les énoncés-textes ou le dialogique ............................... 29 c) Conclusion .............................................................................................................. 30
1.2. Problèmes d’interprétation de la notion de dialogisme chez Kristeva ....................... 31
2. Hétérogénéité montrée ......................................................................................................... 33
2.1. Le Lien entre dialogisme et hétérogénéité montrée .................................................. 34
2.2. La notion d’hétérogénéité montrée ............................................................................ 36
2.3. Les paramètres de l’hétérogénéité montrée .............................................................. 40
2.3.1. Les énonciateurs et les actes de parole.................................................................. 40 2.3.2. Les formes d’hétérogénéité montrée .................................................................... 43 a) La représentation dévoilée du discours autre ........................................................ 45 b) La représentation dissimulée du discours autre .................................................... 52 c) Conclusion .............................................................................................................. 59
3. Evidentialité : notion, types et marqueurs évidentiels .......................................................... 60
3.1. La notion d’évidentialité ............................................................................................. 62
3.2. Les types de modes d’accès évidentiels en français ................................................... 63
3.3. Les marqueurs évidentiels .......................................................................................... 65
Chapitre III Corpus étudié : choix de l’événement et contenu informationnel des textes ................... 67
1. Choix de l’événement : les combats de 2008 au Nord-Kivu .................................................. 68
1.1. Raisons de la sélection du conflit de 2008 au Nord-Kivu comme événement étudié 68
1.2. Récolte de données médiatiques et textuelles : présentation des journaux ............. 70
1.2.1. Les journaux belges Le Soir et La Libre Belgique .................................................... 71 1.2.2. Les journaux français Le Monde, Le Figaro et Libération ....................................... 72 1.2.3. Les journaux congolais Le Phare, L’Observateur et Le Potentiel ........................... 73
1.3. Méthode de récolte des données et répartition de leur nombre............................... 75
2. Cadrage politico-social et contenu informationnel des textes .............................................. 76
2.1. Situation géographique et bref historique de la RDC ................................................. 76
2.2. Combats du Nord-Kivu en 2008 : présentation de l’événement et des raisons
officielles des combats ........................................................................................................... 80
2.3. Description détaillée des acteurs du conflit et des énonciateurs représentés ........... 84
2.3.1. Les politiciens ......................................................................................................... 85 2.3.2. Les groupes armés et leur déploiement ................................................................. 87
6
a) Les provinces du Nord et du Sud-Kivu .................................................................... 87 b) Le Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP) ........................................ 90 c) Les Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) ................................. 91 d) Les Forces Armées de la RDC (FARDC) ................................................................... 92 e) Les Maï-Maï/PARECO ............................................................................................. 92 f) La Mission des Nations Unies au Congo (MONUC) ................................................ 93 2.3.3. Les autres pays et les coalitions internationales impliqués dans le conflit : présentation des raisons officieuses des combats ........................................................... 95
Chapitre IV Notions d’intertextualité et de transformation ............................................................... 101
1. Introduction ......................................................................................................................... 102
2. L’intertextualité : notions et types de liens intertextuels .................................................... 102
2.1. La notion d’intertextualité ........................................................................................ 102
2.2. Les différents types de liens intertextuels ................................................................ 105
2.2.1. Liens entre contenus informationnels des textes ................................................ 105 a) Les Liens dits explicites ......................................................................................... 106 b) Les liens dits implicites ......................................................................................... 113 2.2.2. Les liens entre les genres des textes .................................................................... 120 a) Les critères de définition des genres textuels ...................................................... 120 b) Genres textuels dans notre corpus ...................................................................... 127 c) Tableau récapitulatif ............................................................................................. 145 2.2.3. Les autres liens intertextuels : l’auteur, le journal, le pays .................................. 145
3. Les transformations : notions et aspects pris en considération pour notre étude ............. 147
3.1. Introduction .............................................................................................................. 147
3.2. La notion de transformations des textes .................................................................. 148
3.3. Identité des textes ..................................................................................................... 155
3.4. La différence des textes ............................................................................................ 158
Chapitre V Les types de transformations, leurs fonctions et leurs explications ................................. 161
1. Types de transformations des paramètres énonciatifs ....................................................... 164
1.1. Les transformations concernant des énonciateurs ................................................... 164
1.2. Les transformations concernant des actes de parole représentés ........................... 169
1.3. Les transformations concernant les formes de représentation et les marqueurs
dialogiques ........................................................................................................................... 174
2. Explication des transformations des paramètres énonciatifs ou impact des contextes ..... 177
2.1. L’impact du contexte intertextuel (les genres, les auteurs, les journaux, les pays) . 178
2.2. L’impact du contexte intratextuel ............................................................................. 181
2.3. L’impact du contexte interrelationnel ...................................................................... 182
3. Fonctions des transformations des paramètres énonciatifs ............................................... 184
3.1. La fonction de positionnement ................................................................................. 185
3.2. La fonction de réception ........................................................................................... 188
3.3. La fonction de crédibilité/ de doute .......................................................................... 189
3.4. La fonction de condensation et la fonction de précision .......................................... 190
7
3.5. La fonction d’enchaînement ou de narration ........................................................... 192
3.6. La fonction de répétition ........................................................................................... 193
3.7. La fonction d’insistance ............................................................................................. 195
Chapitre VI La fonction de positionnement remplie par les transformations dans des textes
explicitement liés ................................................................................................................................ 198
1. Introduction ......................................................................................................................... 199
2. Transformations concernant la catégorisation des énonciateurs représentés ................... 200
2.1. Remarques préliminaires : l’effet des contextes extralinguistique et linguistique sur
l’acte de catégorisation des énonciateurs représentés ....................................................... 201
2.2. Transformation par ajout de caractéristiques descriptives ...................................... 204
2.3. Transformation par remplacement de caractéristiques descriptives par d’autres .. 210
2.3.1. Remplacement de type non métonymique.......................................................... 211 2.3.2. Remplacement de type métonymique ................................................................. 219
2.4. Interprétation des résultats : le positionnement négatif des journalistes congolais
envers Kagamé, Kabila, Nkunda et Sarkozy ......................................................................... 223
3. Transformations concernant les actes de parole et/ou les messages représentés ............ 224
3.1. Transformations concernant la catégorisation des actes de parole et des messages
représentés .......................................................................................................................... 225
3.1.1. Transformations concernant la catégorisation des actes de parole représentés 225 3.1.2. Transformations concernant la catégorisation des messages représentés ......... 231 3.1.3. Interprétation des résultats : Le Phare et Le Potentiel, deux journaux opposés aux discours (pro)rwandais ................................................................................................... 232
3.2. Transformations concernant les actes de parole ou les messages représentés par la
mise en relation de plusieurs actes de parole ..................................................................... 235
3.2.1. Mise en relation de deux actes de parole explicitement représentés ................ 236 3.2.2. Mise en relation de deux actes de parole représentés dont l’un est explicite et l’autre non ...................................................................................................................... 238 3.2.3. Mise en relation de deux actes représentés dont l’un est dit et l’autre non-dit . 239 3.2.4. Mise en relation de l’acte de parole premier et de l’acte de parole représenté . 241 3.2.5. Interprétation des résultats : Le Phare et Le Potentiel en désaccord avec Paul Kagamé, Nicolas Sarkozy et Kä Mana ............................................................................. 242
3.3. Transformations des actes de parole représentés par l’ajout de marqueurs
épistémiques ........................................................................................................................ 244
3.3.1. Marquage épistémique de doute et de certitude touchant les actes de parole représentés ..................................................................................................................... 245 a) Marquage épistémique du doute ......................................................................... 245 b) Marquage épistémique de la certitude ................................................................ 249 c) Interprétation des résultats : Le Potentiel s’oppose aux énonciateurs/acteurs représentés tandis que Le Phare s’oppose aux journalistes représentés ...................... 252 3.3.2.Marquage épistémique de l’hypothèse touchant les actes de parole représentés…………………………………………………………………………………………………………………256 a) Description du marquage épistémique de l’hypothèse ....................................... 256 b) Interprétation des résultats : l’hypothèse, une marque de désaccord du Potentiel et du Phare avec Paul Kagamé/le Rwanda ..................................................................... 257
8
3.4. Transformation des actes de parole représentés, par l’ajout ou la suppression de leur
explication ............................................................................................................................ 258
3.4.1. Ajout d’une explication au discours représenté ................................................... 258 3.4.2. Suppression de l’explication du discours représenté ........................................... 259 3.4.3. Interprétation des résultats : deux énonciateurs représentés majoritairement touchés par les transformations des discours représentés via l’explication : Kagamé et Sarkozy ............................................................................................................................ 260
3.5. Transformation des actes de parole représentés, par l’ajout des conséquences
négatives de l’acte de parole ............................................................................................... 262
3.5.1. Description des types de conséquences impliquées par les transformations ..... 262 3.5.2. Interprétation des résultats : l’opposition au discours pro-rwandais, un mécanisme propre au Phare et au Potentiel .................................................................. 264
4. Transformations concernant la forme du discours représenté ........................................... 265
4.1. Ajout ou suppression d’une représentation dévoilée du discours autre .................. 266
4.1.1. Ajout d’une représentation dévoilée du discours autre ...................................... 266 4.1.2. Suppression d’une représentation dévoilée du discours autre ........................... 268 4.1.3. Interprétation des résultats : une information plus négative en RDC qu’en Europe ............................................................................................................................. 269
4.2. Passage du discours produit à une représentation dévoilée du discours autre ....... 272
4.2.1. Par discours représenté ........................................................................................ 273 4.2.2. Par modalisation en discours second ................................................................... 274 4.2.3. Par modalisation autonymique ............................................................................ 274 4.2.4. Interprétation des résultats : la fonction d’autorité négative de la représentation dévoilée du discours de Kagamé et Sarkozy ................................................................... 275
4.3. Passage d’une forme de représentation dévoilée du discours autre à une autre .... 277
4.3.1. Explication du type de transformation ................................................................. 277 4.3.2. Interprétation des résultats : deux nouveaux discours concernés par les transformations, celui des ministres congolais et de Caritas ......................................... 279
4.4. Transformations concernant la représentation dissimulée du discours autre ......... 280
4.4.1. Ajout de la représentation dissimulée du discours autre .................................... 280 4.4.2. Suppression de la représentation dissimulée du discours autre ......................... 282 4.4.3. Interprétation des résultats : des tendances qui se confirment .......................... 283
5. Conclusion ............................................................................................................................ 284
Chapitre VII : Les autres fonctions dans les textes implicitement liés ................................................ 291
1. La fonction de réception ...................................................................................................... 292
1.1. Transformations concernant les énonciateurs représentés ..................................... 292
1.1.1. Caractérisation, par ajout de caractéristiques descriptives ................................. 292 1.1.2. Caractérisation, par remplacement de caractéristiques descriptives .................. 293 a) Remplacement de type non-métonymique ......................................................... 293 b) Remplacement de type métonymique ................................................................. 294 1.1.3. Caractérisation, par suppression de caractéristiques descriptives ...................... 295
1.2. Transformations concernant les actes de parole représentés ................................. 296
1.2.1. Transformations concernant la catégorisation des messages représentés ......... 296 1.2.2. Transformations des messages représentés servant d’explication, par leur suppression ..................................................................................................................... 297
9
1.2.3. Transformations des actes de parole représentés par l’ajout ou la suppression de leur attribution................................................................................................................ 297 a) Ajout de l’attribution ............................................................................................ 297 b) Suppression de l’attribution ................................................................................. 298 1.2.4. Transformations des actes de parole représentés par leur ancrage ou « désancrage » spatial et/ou temporel........................................................................... 299 a) Ancrage spatial ..................................................................................................... 299 b) Ancrage temporel ................................................................................................. 300 c) Désancrage spatial ................................................................................................ 301 d) Changement des repères spatiaux ....................................................................... 302
1.3. Transformations concernant les formes de représentation du discours autre ........ 302
1.3.1. Ajout d’une représentation dévoilée du discours autre ...................................... 302 1.3.2. Suppression d’une représentation dévoilée du discours autre ........................... 303
1.4. Interprétation des résultats : examen des liens intertextuels .................................. 304
1.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux énonciateurs représentés .............................. 305 1.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés .......................... 307 1.4.3. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du discours autre . 308
2. La fonction de crédibilité/doute .......................................................................................... 308
2.1. Transformations concernant les énonciateurs représentés, par ajout de
caractéristiques descriptives ............................................................................................... 308
2.2. Transformations concernant les actes de parole représentés ................................. 310
2.2.1. Transformations concernant la catégorisation des actes de parole et/ou des messages représentés .................................................................................................... 310 2.2.2. Transformations concernant les actes de parole représentés par la mise en relation de plusieurs actes de parole.............................................................................. 312 2.2.3. Transformations des actes de parole représentés par l’ajout de marqueurs épistémiques ................................................................................................................... 313 a) La certitude : le changement de source évidentielle et le présent de l’indicatif . 313 b) Le doute : les adjectifs, le conditionnel, le changement de source évidentielle, l’ajout de propositions, le questionnement, l’hypothèse .............................................. 314
2.3. Transformations concernant les formes de représentation du discours autre ........ 317
2.3.1. Ajout ou suppression d’une représentation dévoilée .......................................... 317 2.3.2. Changement d’une représentation dévoilée ....................................................... 318
2.4. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels ........................................... 319
2.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux énonciateurs représentés .............................. 319 2.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés .......................... 320 2.4.3. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du discours autre . 322
3. La fonction de condensation et la fonction de précision/clarté .......................................... 323
3.1. Transformations concernant les énonciateurs représentés ..................................... 324
3.1.1. La caractérisation des énonciateurs représentés ................................................. 324 a) L’ajout de caractéristiques descriptives ............................................................... 324 b) Le remplacement de caractéristiques descriptives .............................................. 325 c) La suppression de caractéristiques descriptives .................................................. 327 3.1.2. L’ajout ou la suppression d’énonciateurs représentés ........................................ 327 3.1.3. L’ajout ou la suppression de sous-entendus d’attribution énonciative ............... 328
3.2. Transformations concernant les actes de parole représentés ................................. 329
10
3.2.1. Catégorisation des actes de parole ou des messages représentés ...................... 329 3.2.2. Marqueurs épistémiques touchant les actes de parole représentés ................... 331 3.2.3. Explication des actes de parole représentés ........................................................ 332 3.2.4. Repères spatio-temporels liés aux actes de parole représentés ......................... 332 a) La temporalité ............................................................................................................. 332 b) La spatialité ........................................................................................................... 333 3.2.5. Attribution des actes de paroles représentés ...................................................... 334
3.3. Transformations concernant les formes de représentation du discours autre ........ 335
3.4. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels ........................................... 338
3.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux énonciateurs représentés .............................. 338 3.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés .......................... 339 3.4.3. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du discours autre . 340
4. La fonction d’enchaînement ou de narration ...................................................................... 343
4.1. Transformations concernant les actes de parole représentés ................................. 344
4.1.1. Transformation de la catégorisation des actes de parole/messages représentés344 4.1.2. Transformation par la mise en relation des actes de parole représentés ........... 346 4.1.3. Transformation par l’explication des actes de paroles représentés .................... 348 4.1.4. Transformations relatives aux repères temporels ............................................... 349
4.2. Transformations concernant les formes de représentation du discours autre ........ 350
4.2.1. Transformation de la représentation dévoilée du discours autre ....................... 350 4.2.2. Transformation de la représentation dissimulée du discours autre .................... 352
4.3. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels ........................................... 352
4.3.1. Interprétation des résultats relatifs aux actes de parole représentés ................. 352 4.3.2. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du discours autre . 354
5. La fonction de répétition ..................................................................................................... 354
5.1. Transformations concernant les énonciateurs représentés ..................................... 355
5.2. Transformations concernant les actes de parole représentés ................................. 358
5.3. Transformations concernant les formes de représentation du discours autre ........ 361
5.4. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels ........................................... 364
5.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux énonciateurs représentés .............................. 364 5.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés .......................... 365 5.4.3. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du discours autre . 366
6. La fonction d’insistance ....................................................................................................... 367
6.1. L’insistance sur l’action du discours autre ................................................................ 367
6.2. L’insistance sur l’emprunt ou sur l’information ........................................................ 369
6.2.1. Transformations touchant les actes de parole représentés ................................ 369 a) La catégorisation des actes de parole représentés .............................................. 369 b) L’insistance sur l’attribution du dit ....................................................................... 370 c) Le changement des voix verbales ......................................................................... 372 6.2.2. Transformations touchant les formes de représentation du discours autre ....... 372 a) Le passage du discours produit au discours représenté ...................................... 372 b) La représentation dévoilée : changement ............................................................ 373 c) Représentation dissimulée ................................................................................... 374
6.3. Le support ou l’insistance sur l’emprunt et l’information ........................................ 375
11
6.4. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels ........................................... 376
6.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés .......................... 376 6.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du discours autre . 377
Conclusions .......................................................................................................................................... 379
1. Résumé du contenu de la thèse .......................................................................................... 380
2. Réponses à nos questions de recherche .............................................................................. 386
3. Recherches futures .............................................................................................................. 390
12
Chapitre I Thème abordé, questions de recherche et
organisation de la thèse
13
Durant mes années d’étude en tant que doctorante, de nombreux amis, proches ou parents,
me demandaient de leur communiquer le titre exact de mes recherches, pour qu’ils puissent
eux-mêmes l’expliquer à leur proches : transformations de la parole dans les médias ;
citations dans les médias ; raisons de la représentation du discours autre dans les médias ;
changements de contenus informationnels dans les médias étaient autant de réponses qui
me venaient à l’esprit pour essayer d’expliquer, de manière probablement simpliste, ce que
je faisais. D’autres proches ne s’intéressaient pas au titre, mais à la durée que je prenais
pour répondre à une seule question : « six ans sur un seul sujet, il y a tant de choses que ça à
dire sur les citations dans les médias ??? » s’interrogeait régulièrement une de mes proches
amies. Je conçois, et je concède, leurs interrogations et je tiens à y répondre : oui, les titres
divergent, car tant d’aspects, différents et similaires en même temps, sont traités dans une
thèse ; et oui, il y a tant à dire, que parfois nous nous obligeons à restreindre le champ
d’observation au risque de ne plus nous arrêter : le langage, ses « lois », ses descriptions
sont tellement multiples qu’une vie ou plusieurs vies rassemblées ne suffisent pas pour en
dénicher les moindres aspects. Tellement riche, tellement hétérogène, tellement
intéressante, l’étude de ce langage est ce qui m’a toujours passionnée.
Mais plus encore, c’est la manière dont le langage d’une autre personne est susceptible
d’être repris, d’être redit, d’être représenté par le mien qui ne cesse de me fasciner.
Comment puis-je redire ce qui a été dit par une personne différente de moi ? Quels sont les
moyens que le langage met à ma disposition pour réaliser cette redite ? Pourquoi utilise-t-on
les mots des autres ? Lorsque nous les reprenons, y changeons-nous l’un ou l’autre aspect ?
Toutes ces questions sont celles auxquelles je m’intéresse. Cette parole de l’Autre dans le
discours Un, pour reprendre les termes utilisés par Jacqueline Authier-Revuz (2002, 2004,
2012, etc.), m’a, depuis ma maîtrise, toujours intéressée.
Comprendre comment et surtout pourquoi l’on parle de l’autre, avec l’autre, sur l’autre
est un sujet qui ne semble pas pouvoir s’épuiser. Depuis Bakhtine et son cercle, cet autre
dans le discours ne cesse d’être examiné, car il constitue une des clés de la compréhension du
langage. Cette affirmation, elle a sûrement déjà été dite, été présentée, mais probablement
pas de cette manière ou pour cette raison. Ce sont ces aspects, liés au changement, qui ont
constitué les points d’ancrage de ma réflexion : si un discours peut être représenté de
multiples manières, cela signifie que l’on peut observer des changements, des
transformations d’une représentation à l’autre. Ces transformations remplissent
probablement des fonctions diverses. Comprendre les fonctions liées aux transformations
m’a semblé être l’un des aspects les moins pris en considération dans la littérature existante.
Quelques auteurs (tels Vincent et Perrin, 1999) ont expliqué les fonctions liées aux citations
directes dans le discours oral, mais la plupart du temps, la littérature semble oublier de
définir les raisons pour lesquelles d’un discours à l’autre, la parole n’est pas, volontairement
ou non, représentée de la même manière.
14
De manière générale, ce travail sur la représentation du discours autre s’intègre au cadre
plus étendu de la circulation de l’information. La circulation de l’information est un sujet de
plus en plus au centre des intérêts. Comme le discours représenté, elle touche elle aussi aux
changements, aux transformations de sens. Ces transformations sont notamment dues aux
deux caractéristiques majeures qui déterminent actuellement la circulation de l’information.
D’un côté, elle fait partie du processus actuel de globalisation. Dans ce contexte, seul un
nombre restreint de géants médiatiques ont le pouvoir de sélectionner et de faire circuler
l’information. Ce qui signifie que ce sont eux qui déterminent la forme et le contenu
informationnel auquel nous accédons (White, 2001). Ils sélectionnent ainsi une série de
contenus informationnels qu’ils estiment plus intéressants médiatiquement ; ils décident de
l’ampleur que ceux-ci prendront dans les différents canaux médiatiques (journaux, réseaux
sociaux, sites internet, etc.) ; et la manière dont ils seront couverts (durée de circulation,
type/genre de textes, points de vue sur lesquels ils seront portés, etc.). Cet aspect de
« contrôle » de la circulation de l’information par quelques géants médiatiques est
généralement appelé la concentration (‘narrowing’). La concentration de l’information a une
conséquence négative non négligeable : elle va à l’encontre de ce que l’on s’attend à
rencontrer dans les systèmes démocratiques actuels, à savoir la diversité des points de vue
et des opinions. En contrôlant les contenus informationnels sélectionnés, en les diffusant à
partir d’un nombre limité de sources médiatiques et selon une certaine ampleur, certains
points de vue et certaines opinions sur les faits d’actualité sont plus diffusés que d’autres. Ce
qui implique notamment que lorsque c’est d’un fait d’actualité politique, ou que c’est d’un
conflit politique qu’il s’agit, certains points de vue et opinions sont transmis et par
conséquent plus acceptés par les lecteurs, sur la réalité relatée. Ce type de diffusion
médiatique va donc à l’encontre des systèmes démocratiques selon lesquels tout un chacun
a le droit d’accéder à toutes les informations lui permettant de se faire son propre jugement,
personnel, individuel, sur ce qu’il se passe dans le monde.
D’un autre côté, la circulation de l’information est aussi déterminée par ce que l’on
appelle l’asymétrie : ces géants médiatiques sont majoritairement présents dans le monde
dit occidental, c’est-à-dire en Europe et aux Etats-Unis. Ce qui signifie que les événements
ayant lieu dans d’autres régions ne sont pas nécessairement relatés dans ces médias tels
qu’ils le sont dans les régions où ils ont lieu. Pourtant, ces géants médiatiques sélectionnent
une information qui ne provient pas exclusivement de leur monde occidental. En outre, de
nombreux événements externes à ce monde, événements dits locaux, sont relatés dans les
médias occidentaux. Ces événements locaux sont par ailleurs aussi relatés dans la presse
locale. Dans cette presse locale, ils ne sont pas nécessairement présentés de la même
manière qu’ils ne le sont dans la presse globale. Ce qui signifie que ces deux types
d’information ne sont pas similaires, alors qu’ils relatent pourtant un fait identique. En
d’autres termes, en circulant du ‘local’ au ‘global’ ou l’inverse, l’information peut subir des
transformations de sens. Il suffit que certains mots décrivant une même réalité soient
sélectionnés plutôt que d’autres pour générer de nouveaux sens. Autrement dit, nous
15
sommes constamment confrontés à ces transformations de sens qui sont produites par la
circulation de l’information, en particulier lorsqu’elle se produit entre presses locale et
globale.
Ces nouveaux sens générés par la circulation de l’information ne sont pas nécessairement
explicites : les auteurs des textes de la presse locale ou globale n’émettent pas
nécessairement un point de vue différent sur la réalité dont parle la presse locale. Ils
peuvent néanmoins les transformer de manière plus implicite : en sélectionnant par
exemple certains mots, certaines structures syntaxiques, certains temps verbaux, certaines
descriptions plutôt que d’autres, les auteurs des textes peuvent implicitement transmettre
d’autres points de vue sur les faits relatés : de ce fait, de nouveaux sens sont générés et
associés à ces faits. Ce sont ces nouveaux sens sur lesquels nous avons porté notre
attention.
Bien qu’une littérature abondante existe déjà sur le processus général de transformations
de sens et/ou de génération de nouveaux sens (Rosch, 1978 ; Gumperz, 1982, Barbaras,
2000 ; Bednarek, 2006, Verschueren, 1996, 1999, 2008, etc.), peu d’études ont été réalisées
sur leurs liens avec les phénomènes énonciatifs dans les médias. C’est la raison pour laquelle
nous avons décidé de porter notre attention sur les transformations de sens dans les médias
en rapport avec notre sujet de prédilection : la représentation du discours autre. La
représentation du discours autre est un sujet qui se prête particulièrement bien à l’examen
des transformations de sens. En effet, son étude porte sur trois aspects en particulier : les
énonciateurs (représentés), les actes de parole (représentés) et les formes de représentation
du discours autre. Les énonciateurs émettent un point de vue sur une réalité ou un discours,
entre autres via le langage. Dans nos analyses, ce sont donc les personnes dont la parole est
représentée dans les textes ou les journalistes qui représentent cette parole. Les actes de
parole correspondent aux actes de dire et à tous leurs dérivés (penser, déclarer, douter, etc.).
Ces actes sont associés à une série d’autres phénomènes linguistiques comme par exemple
les temps verbaux, les moments et les lieux où ils apparaissent, etc. Les formes de
représentation du discours autre sont, quant à elle, les manières dont une parole peut être
représentée. Il s’agit des discours directs, indirects, et des diverses formes de modalisation
des discours.
Ces trois paramètres énonciatifs peuvent tous, d’un texte à l’autre, subir des
transformations. Pour n’en citer que quelques-unes à titre d’illustration, on peut constater
par exemple des changements de caractérisation lexicale des énonciateurs et des actes de
parole représentés, l’ajout/la suppression de leurs caractéristiques descriptives, le passage
d’une forme de représentation du discours autre à une autre (le discours direct devient alors
un discours indirect). Ce sont ces modifications auxquelles nous nous sommes intéressée
pour comprendre le phénomène général de transformations de sens. Nous nous sommes
donc avant tout demandé quels étaient les types de transformations que l’on pouvait
16
repérer concernant les trois paramètres énonciatifs précités. Nous voulions en effet nous
faire une idée précise des types de transformations qui existaient par paramètre énonciatif
étudié. Le fait de répertorier les transformations selon leur type nous permettait alors de
pouvoir mener des analyses comparatives, avec des questions comme : observe-t-on plus de
transformations x que y lorsque l’information circule du global au local ou l’inverse ? En
fonction du pays étudié, est-il possible de rencontrer plus souvent telle ou telle autre
transformation ? Si nous analysons différents médiums de diffusion, y retrouve-t-on les
mêmes types de transformations ou sont-ils propres à certains d’entre eux seulement ? Ces
questions faisaient entre autres partie de nos interrogations. Mais, la question centrale qui
nous a préoccupée durant notre recherche touchait, elle, aux fonctions que remplissent ces
transformations. Il nous a paru en effet impossible de dissocier un questionnement sur le
type de transformations de sens dans les médias de celui des fonctions des transformations :
pourquoi, dans quel but, des journalistes modifient-ils les paramètres énonciatifs ? Peut-on
classifier les fonctions de ces transformations ? Sont-elles toujours les mêmes ? Sont-elles
plus répandues d’une presse à l’autre ? En se posant ce genre de questions, nous voulions
nous faire une idée concrète des fonctions des transformations des paramètres énonciatifs,
car elles n’ont été que très peu étudiées jusqu’à présent. La littérature existante se penche
bien davantage sur la forme de ces paramètres énonciatifs que sur les fonctions de leurs
transformations. En comprenant à quoi servaient ces transformations, nous pouvions dès
lors aussi interpréter les transformations de sens de manière plus précise. A titre d’exemple,
si une transformation remplissait la fonction que nous avons appelée de
positionnement (accord/désaccord, voire point de vue positif ou négatif), nous pouvions
nous demander ensuite sur quel énonciateur ou sur quel discours cet accord ou ce
désaccord portait. Cela nous permettait alors de comprendre avec plus de précision quelles
étaient les transformations de sens rencontrées.
Pour réaliser cette étude, nous avons basé nos analyses sur la presse écrite francophone
portant sur un conflit politique : le conflit congolais ayant eu lieu en République
démocratique du Congo (au Nord-Kivu) entre août 2008 et janvier 2009. Notre corpus de
textes a été constitué à partir de huit journaux : trois en France, deux en Belgique et trois en
République démocratique du Congo. En France, ce sont les journaux Libération, Le Figaro et
Le Monde qui ont été sélectionnés. En Belgique, cela a été Le Soir et La Libre Belgique et en
RDC, Le Potentiel, L’Observateur et Le Phare. L’événement relaté durant cette période porte
sur un conflit entre un groupe armé, le CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple)
dirigé par Laurent Nkunda et les FARDC, Forces Armées de la RDC, l’armée nationale. Les
affrontements ayant eu lieu entre ces deux groupes sont le résultat de nombreux conflits
depuis ce que l’on nomme maintenant le génocide rwandais de 1994. Ils ont donc, entre
autres, comme origine une guerre ethnique entre Tutsis et Hutus. Chacun de ces groupes a
reçu le soutien d’autres alliés sur place (comme les Maï-Maï ou les FDLR, dont nous
discuterons plus en détail par la suite), mais, entre eux, s’impose aussi la Mission des
Nations-Unies au Congo (MONUC). Ce conflit est particulièrement intéressant pour l’analyse
17
des transformations de sens dans les médias. D’abord, parce qu’il relate un fait politique
majeur dans l’histoire de la RDC : un conflit incessant ayant des origines diverses. Ce qui
nous conforte dans l’idée qu’il est possible d’observer de nombreuses transformations de
sens en fonction du journal ou du continent dans lequel est relatée l’information. Ensuite,
parce qu’il permet d’analyser de manière précise la circulation de l’information à partir du
continent africain vers le continent européen et de constater les transformations de sens qui
en sont issues. Enfin, cela nous permet aussi d’éclairer les lecteurs occidentaux sur ce qui se
passe réellement dans le monde, et non sur ce qui leur est habituellement transmis via les
médias occidentaux.
Notre étude sera présentée comme suit :
Dans le chapitre II « Notions théoriques, dialogisme, hétérogénéités montrée et
dissimulée, évidentialité »
Nous présenterons les outils théoriques avec lesquels nous avons travaillé. Pour ce faire,
nous partirons de la notion de dialogisme, telle qu’introduite par Bakhtine et nous
montrerons comment son interprétation s’est modifiée au fil des traductions de cet auteur
russe. Il y sera donc question de la parole Autre. Pour comprendre ce que signifie cette
parole Autre, nous partirons des théories de Bakhtine en expliquant comment tout énoncé
est intrinsèquement toujours lié à d’autres énoncés. Cette caractéristique essentielle des
énoncés est ce que l’on nomme communément le dialogal et le dialogique. Le dialogal est
expliqué par le fait que tout énoncé présuppose d’autres énoncés à travers une relation
externe entre les énoncés, notamment parce qu’ils constituent nécessairement une réponse
à d’autres énoncés auxquels des énoncés futurs répondront. Dans ce cas, l’on parle du
dialogal. Dans le cas du dialogisme en revanche, il s’agit d’une relation interne entre les
énoncés. En d’autres termes, tout énoncé réactive des énoncés antérieurs. Cela revient à
dire que tout énoncé, voire tout mot, fait nécessairement partie d’un contexte de
production qui est réactivé, dans un autre contexte, lors de son interprétation. Ce
phénomène est ce que l’on appelle le dialogisme constitutif ou l’hétérogénéité constitutive.
Par ailleurs, un autre type de dialogisme est celui qualifié d’interdiscursif qui est la
caractéristique de tout énoncé de rencontrer d’autres énoncés portant sur le même objet de
discours, sur le même sujet. Cela signifie donc que tout énoncé répond nécessairement à
d’autres énoncés. Enfin le dialogisme dit interlocutif tient compte du fait que tout
récepteur/destinataire de l’énoncé est nécessairement intégré au processus de production
de l’énoncé.
Mais cette idée de relation entre énoncés s’est modifiée au fil du temps, au fil des
traductions faites de l’auteur russe Bakhtine. Julia Kristeva, l’une de ses plus ferventes
traductrices, a d’ailleurs commis quelques erreurs lors de ses traductions (Zbinden, 2003),
amenant un lien entre la notion de dialogisme et celle d’intertextualité. Ainsi, l’assimilation
18
du terme contexte utilisé par Bakhtine pour décrire tant la relation à d’autres textes, que la
relation aux contextes environnants à l’unique relation entre des textes a abouti à
restreindre la pensée russe. La pensée russe a dès lors seulement été interprétée comme
une relation entre les objets de discours, entre les genres textuels, entre les réponses, etc.
D’autres auteurs se sont par contre penchés sur la description précise des formes de
discours autre dans le langage.
La présence constitutive de l’Autre dans le discours est appelée par Jacqueline Authier-
Revuz l’hétérogénéité constitutive. Mais il existe aussi ce qu’elle appelle l’hétérogénéité
montrée. Avec cette dernière, l’Autre n’est plus au fondement du discours, mais il en est son
objet : ce dont on parle, ce d’après quoi on parle, ce avec quoi on parle. La possibilité que
nous offre le langage de parler de lui-même avec lui-même relève du champ du
métalangage. Dans ce champ, un aspect en particulier est important pour distinguer les
formes d’hétérogénéité montrée : il s’agit de l’autonymie. L’autonymie permet en effet de
référer et aux mots et au message d’un autre énonciateur. L’énonciateur montre les mots et
le message, comme dans les cas de discours direct (« il a dit :’…’ ») et de modalisation
autonymique comme discours second (« il a dit X pour parler de Y »). Une autre opération
métalangagière détectable est la paraphrase par laquelle on peut détecter les discours
indirects (« il a dit que… ») et les formes de modalisations du dire comme second (« D’après
X, Y »). Toutes ces formes constituent les formes de l’hétérogénéité montrée du discours
autre.
Il existe aussi des formes d’hétérogénéité dissimulée du discours autre. Avec elles, nous
avons accès seulement de manière indirecte à l’Autre dans le discours. Les actes de parole
et/ou les énonciateurs représentés sont alors cachés dans le discours en cours. Dans notre
corpus de textes, ce sont les formes de la concession, de la négation, de l’opposition, de
l’interrogation, de la focalisation et du conditionnel journalistique qui ont été appréhendés
pour ces formes d’hétérogénéité dissimulée du discours autre. Nous consacrerons donc
toute une partie à les décrire en détail.
Pour terminer ce deuxième chapitre, nous aborderons aussi la notion d’évidentialité.
Cette notion rend compte de la manière dont un énonciateur a accès à l’information qu’il
asserte. Il peut en effet y avoir accès par la perception, par la déduction, mais aussi par
l’emprunt. Nous décrirons donc à la fin de ce chapitre les manières d’accéder à l’information
et nous décrirons les traces linguistiques spécifiques que peut revêtir cet accès (comme le
conditionnel journalistique, certains adverbes, certains verbes, etc.). Ceux-ci nous
permettront de mieux comprendre comment et par quels moyens les journalistes ont accès
à l’information ; la confirme ou en doute, la transmettent de manière générale.
19
Dans le chapitre III « Corpus étudié : choix de l’événement et contenu informationnel des
textes »
Nous présenterons les raisons de la sélection du conflit congolais en 2008 en tant
qu’événement étudié. Nous montrerons que ce conflit a été médiatisé quelque peu
différemment entre les pays le médiatisant (France, Belgique, RDC) et nous parlerons aussi
de sa médiatisation soudaine. Cette dernière nous conduira à aborder des questions
relatives aux possibles transformations des trois paramètres énonciatifs pris en
considération présentes lors de la circulation de cette information.
Nous détaillerons aussi, dans ce chapitre, chaque sous-corpus (c’est-à-dire chaque corpus
de textes provenant d’un même journal). Nous décrirons donc les huit journaux étudiés : Le
Figaro, Le Monde et Libération pour la France, Le Soir et La Libre Belgique pour la Belgique,
et Le Potentiel, L’Observateur et Le Phare pour la RDC. Nous nous attacherons également à
montrer comment ce corpus de textes a été récolté et le décrirons en détail. Il conviendra
aussi de montrer, dans cette section, la méthode de récolte des textes et de montrer la
manière dont ils sont répartis dans chaque journal pour la période concernée. Nous verrons
notamment la différence de répartition entre les journaux belges, français et congolais et
pourrons l’expliquer.
Enfin, une section importante concernera le cadrage politico-social du conflit et le
contenu informationnel des textes. Nous décrirons en effet en détail la période étudiée (fin
août 2008 à fin janvier 2009). Pour ce faire, nous présenterons la situation géographique et
historique de la RDC dans un premier temps en montrant pourquoi des conflits sont
susceptibles d’y arriver. Dans un second temps, nous nous pencherons sur les raisons
officielles des combats. Nous y montrerons en effet que les conflits ethniques constituent la
principale raison avancée par les autorités congolaises ou les groupes armés pour justifier le
conflit. Nous y montrerons également le lien qui existe avec les politiques occidentales et qui
sont les acteurs concernés. Chaque mois sera alors détaillé quant aux événements majeurs
ayant eu lieu. C’est aussi dans cette dernière section que les acteurs du conflit, aussi
énonciateurs représentés dans nos textes, seront décrits de manière détaillée : tant les
politiciens congolais, que les groupes armés (CNDP, FDLR, FARDC, MONUC) seront alors
décrits. Enfin, une attention particulière sera aussi portée sur les raisons officieuses des
combats et les relations qu’entretiennent les coalitions internationales soit avec les groupes
armés congolais, soit avec le gouvernement congolais, soit avec les pays voisins de la RDC en
vue de tirer profit de certaines richesses congolaises.
Dans le chapitre IV « Notions d’intertextualité et de transformation »
Nous décrirons les notions d’intertextualité et de transformation que nous utilisons tout au
long de la thèse. Nous montrerons donc d’abord comment tout texte est le résultat d’une
20
interrelation avec d’autres textes (que ce soit dû aux liens formels ou fonctionnels). Nous
montrerons aussi que l’infinité des liens pouvant être établis entre des textes nous a
conduite à sélectionner seuls quelques-uns d’entre eux, considérés comme pertinents pour
notre étude. Ces liens ont été ceux établis au moyen des contenus informationnels, des
genres textuels, des auteurs des textes, des journaux dans lesquels ils étaient publiés et par
voie de conséquence, des pays dans lesquels ils apparaissaient. Cela nous permettra donc
d’avancer certaines affirmations quant à la manière dont l’information a circulé durant cette
période, pour le conflit précité.
Nous décrirons aussi, dans une autre section, la manière dont nous avons défini les
genres textuels : étant donné le peu de données relatives à la catégorisation des genres
textuels, nous avons élaboré une méthode de recherche avec laquelle plusieurs critères
clairs pouvaient être pris en considération pour catégoriser les textes dans l’un ou l’autre
genre textuel. C’est dans cette section que nous présenterons ces critères. Nous y décrirons
par conséquent tous les genres textuels découverts dans notre corpus de textes.
Enfin, nous attacherons une importance particulière à décrire la notion de
transformation. Nous répondrons donc à des questions du type : lorsque des paires de
textes sont identifiées, qu’observe-t-on ? : Une similarité entre les contenus informationnels
des deux textes ou des différences ? Si les deux textes présentent un contenu informationnel
similaire, observe-t-on des transformations ? Si oui, lesquelles et quels sont les éléments
pertinents à prendre en considération pour pouvoir parler de transformations dans le cadre
de notre étude ? Sinon, pourquoi ? Si deux textes ont été liés, mais présentent des contenus
informationnels différents, peut-on identifier des problèmes liés aux méthodes suivies pour
lier ces textes ? Nous y montrerons aussi ce qu’est la notion de transformation, comment
des cadres interactionnels (énonciateurs premier, second, troisième) peuvent être
hiérarchisés ; la manière dont des textes peuvent être identiques (et non transformés), et
expliquerons dès lors un certain type de fonctionnement médiatique. Pour toutes ces
questions, ce chapitre s’occupera principalement de donner des informations sur le
fonctionnement médiatique, sur la manière dont circule l’information et sur ce qui permett
distinguer des textes entre eux.
Dans le chapitre V « Les types de transformations, leurs fonctions et leurs explications »
Nous montrerons que l’approche de Bakhtine relative au dialogisme et à la notion de
contexte permet de comprendre les raisons pour lesquelles un énoncé peut être interprété
de plusieurs manières ou, en d’autres termes, son interprétation peut se voir transformée.
Les transformations que nous avons observées lors de notre étude remplissent diverses
fonctions. Ces dernières sont liées, à des degrés divers, aux types de relation à l’Autre qui est
impliqué. Une de nos hypothèses consiste à dire que certaines modifications du type de
21
relation à l’Autre sont prédominantes suivant les types de transformations et leurs
fonctions.
Pour comprendre tout ce que nous venons de mentionner, nous organiserons le chapitre
V comme suit : en premier lieu, nous nous intéresserons aux types de transformations
observées. Nous décrirons d’abord les transformations concernant les énonciateurs.
Lorsqu’ils sont représentés, ils peuvent être catégorisés par des caractéristiques descriptives
qui peuvent soit être officielles, soit émaner du point de vue de l’énonciateur catégorisant.
Lors du passage de l’information d’un texte à un autre, on peut rencontrer des
transformations de ces caractéristiques descriptives. Ce sont ces dernières que nous
décrirons dans ce chapitre. Nous montrerons notamment leur répartition dans les deux
sous-corpus (liens explicites et liens implicites) et décrirons leurs diverses formes : la
caractérisation par remplacement métonymique ou non ; la caractérisation par suppression
ou par ajout ; l’ajout ou la disparition des sous-entendus d’attribution énonciative ; la
transformation d’un énonciateur en destinataire ; le changement, l’ajout ou la suppression
d’un énonciateur ou d’un destinataire. A chaque fois, un examen quantitatif du nombre
d’occurrences sera également présenté. Nous ferons la même chose pour les
transformations des actes de parole représentés. Nous définirons d’abord ce que signifie un
acte de parole représenté et montrerons à partir de quel moment on peut parler de
transformations le concernant. Ensuite nous décrirons qualitativement et quantitativement
leur apparition dans notre corpus de textes. Les formes que nous présenterons seront les
suivantes : la catégorisation, la mise en relation, les modalités, l’explication, les effets, la
spatio-temporalité, l’attribution de l’acte de parole représenté. Nous montrerons aussi
comment ces formes sont liées aux types de liens entre les textes (explicite/implicite). Enfin,
nous nous intéresserons aux formes de représentation du discours autre. Nous présenterons
aussi des résultats quantitatifs et qualitatifs. Les formes que nous aborderons seront : le
passage du discours produit au discours représenté (par discours représenté, par
modalisation autonymique ou par modalisation du dire en discours second), la
représentation dévoilée (changement, ajout, suppression), la représentation dissimulée
(changement, ajout, suppression).
En second lieu, nous expliquerons les transformations décelées en nous attachant en
particulier à montrer les impacts que peuvent avoir les différents contextes pris en
considération. Nous montrerons comment l’interprétation d’un discours est liée au contexte
environnant de ce discours. Pour ce faire, nous aborderons et décrirons différents contextes,
comme le contexte intertextuel (les genres textuels, les auteurs des textes, les journaux et
les pays desquels ces textes proviennent), le contexte intratextuel, à savoir les
caractéristiques linguistiques, grammaticales, lexicales des textes et le contexte
interrelationnel, c’est-à-dire la relation établie entre des énonciateurs. Pour tous ces cas de
figure, nous établirons une relation à la terminologie bakhtinienne en utilisant les termes
suivant : l’Autre-genre, l’Autre-auteur, l’Autre-journal, l’Autre-pays, l’Autre-énonciateur.
22
La dernière section de ce chapitre portera sur les fonctions des transformations, c’est-à-
dire les visées pour lesquelles ont été transformés les textes. Nous explorerons donc les sept
fonctions observées : la fonction de positionnement (visant à montrer un accord ou un
désaccord avec un énonciateur ou son discours), la fonction de réception (visant à prendre
en considération les lecteurs), la fonction de crédibilité ou de doute (visant à faire croire à ou
à douter du discours représenté), la fonction de condensation ou de précision (visant à
rendre plus dense ou au contraire à détailler l’information représentée), la fonction
d’enchaînement ou de narration (visant à montrer la causalité et la temporalité entre
plusieurs discours représentés), l a fonction de répétition (visant à éviter de copier-coller
une information représentée dans un autre texte) et la fonction d’insistance (visant à attirer
l’attention soit sur les énonciateurs représentés, soit sur leur acte de parole, soit sur les
deux).
Dans le chapitre VI « La fonction de positionnement remplie par les transformations dans
des textes explicitement liés »
Dans le cas de la fonction de positionnement, majoritairement rencontrée dans les textes
explicitement liés, nous nous intéresserons en particulier à l’Autre-énonciateur (c’est-à-dire
à la relation, d’accord ou de désaccord, repérée entre un journaliste et un énonciateur
représenté ou entre un journaliste et un journal, voire entre plusieurs énonciateurs
représentés. Pour ce faire, nous diviserons ce chapitre en trois grandes sections : les
énonciateurs représentés, les actes de parole représentés et les formes de représentation
du discours autre.
Concernant les transformations touchant les énonciateurs représentés, nous
commencerons par parler de l’effet des contextes linguistique et extralinguistique sur la
catégorisation des énonciateurs représentés. Nous y montrerons notamment comment la
perception d’un objet/sujet (ici d’un énonciateur) peut être modifiée par une transformation
de ses caractéristiques descriptives (notamment lexicales) ou par le contexte social dans
lequel cet objet/sujet est appréhendé. Ces affirmations vaudront aussi pour les actes de
parole représentés. Ensuite, nous décrirons en détail, sur la base d’exemples, certaines
formes présentées de manière générale dans le chapitre V : l’ajout de caractéristiques
descriptives et le remplacement de type métonymique ou non de ces caractéristiques
descriptives. Ensuite, nous nous attacherons à détailler les transformations remplissant la
fonction de positionnement qui touchent les actes de parole représentés. Nous montrerons
que dès que la perception de cet acte est altérée pour les lecteurs, cela induit une
transformation de sens. Tant la catégorisation des actes de parole représentés que leur mise
en relation, leur association aux marqueurs épistémiques du doute, de la certitude et de
l’hypothèse, leur explication, leurs conséquences négatives seront décrites dans cette
section. Enfin, quant aux formes de représentation du discours autre, nous aborderons
l’ajout ou la suppression de formes de représentation du discours autre, leur changement en
23
une autre forme, mais aussi le passage d’un discours produit à un discours représenté. De
même, seront détaillées l’ajout des formes dissimulées du discours autre (opposition,
interrogation, conditionnel) et leur suppression (concession)
Dans ce chapitre, chaque type de transformation sera également interprété via des
analyses idéologico-pragmatiques. Nous porterons en particulier notre attention sur les
contextes interrelationnel et intertextuel. Nous montrerons notamment que seuls certains
énonciateurs représentés ou certains journaux sont concernés par la fonction de
positionnement : Paul Kagamé, Nicolas Sarkozy, Kä Mana, La Libre Belgique et Le Soir seront
les énonciateurs envers lesquels un positionnement sera le plus souvent émis. Nous
montrerons aussi à quel point le positionnement envers ces énonciateurs est
majoritairement négatif (désaccord) et provient la plupart du temps de journalistes
congolais. Enfin, nous parlerons aussi du contexte intertextuel et notamment de la
circulation de l’information à partir de la Belgique vers la RDC, ce qui montrera notamment
que ce sont les journalistes congolais qui sont en désaccord avec les journalistes belges.
Dans le chapitre VII « Les autres fonctions dans les textes implicitement liés »
Nous explorerons les autres fonctions que nous avons repérées dans notre corpus.
Comme pour la fonction de positionnement, nous aborderons les types de transformations
concernant les énonciateurs représentés, les actes de parole représentés et les formes de
représentation du discours autre. Dans certains cas, nous montrerons aussi comment les
fonctions peuvent se superposer et fonctionner conjointement.
La première fonction que nous décrirons sera la fonction dite de réception. Cette fonction
est présente lorsque les journalistes désirent tenir plus compte des connaissances de leurs
lecteurs ou mettre en évidence le fait qu’ils se situent dans la même situation d’énonciation
qu’eux. Ensuite, nous nous pencherons tant sur la fonction de crédibilité que celle de doute.
La fonction de crédibilité permet aux journalistes de montrer qu’ils croient en l’information
relatée, qu’ils la considèrent comme certaine. La fonction de doute, elle, est rencontrée
quand les journalistes transforment les paramètres énonciatifs dans le but de montrer qu’ils
ne sont pas sûrs de ce qu’ils représentent. Puis ce seront les fonctions de condensation et de
clarté (ou de précision) que nous aborderons. Nous montrerons notamment comment les
journalistes souhaitent rendre plus dense l’information, c’est-à-dire présenter les mêmes
faits avec moins d’éléments d’information ou n’insister que sur les faits majeurs (fonction de
condensation). A l’inverse, dans d’autres cas, les journalistes donnent un maximum
d’informations aux lecteurs, rendant ainsi le contenu plus clair. Cette précision ou clarté
apparaît notamment quand des éléments d’information ne sont pas évidents pour les
lecteurs, quand ils nécessitent une explication ou un détail supplémentaire pour être
correctement compris. C’est notamment dans cette section que nous montrerons que les
fonctions peuvent se superposer. La fonction suivante sera celle dite d’enchaînement (ou de
24
narration). Celle-ci permet aux journalistes de montrer comment des discours représentés
s’enchaînement causalement et/ou temporellement. Cette fonction mettra particulièrement
l’accent sur les relations qu’entretiennent des discours lorsqu’ils se répondent. Nous
constaterons aussi que cette fonction ne touche jamais les énonciateurs représentés. L’avant
dernière fonction qui sera décrite est celle que nous avons nommée la fonction de
répétition. Avec elle, les journalistes tentent autant que possible d’éviter de répéter tels
quels les mots utilisés par un autre journaliste ou dans un autre texte. Nous montrerons
notamment que trois procédés leur permettent d’atteindre cet objectif : le changement
lexical, la suppression de répétitions et l’inversion des lexèmes. Dans le premier cas, il s’agira
de montrer que le changement lexical correspond au remplacement des caractéristiques
descriptives par des synonymes. Dans le second, de montrer que le journaliste qui
transforme l’information évite de reprendre sans cesse les mêmes termes. Dans le troisième,
le journaliste change la place les mots utilisés par un autre journaliste pour feindre d’avoir
retravailler un contenu informationnel. Enfin, nous discuterons aussi de la la fonction dite
d’insistance. Avec cette dernière, nous montrerons que les journalistes qui transforment une
information le font en voulant mettre plus l’accent sur les actions accomplies par les
énonciateurs représentés, sur les énonciateurs représentés, sur leur discours (le contenu
informationnel de leur discours), voire tant à la fois sur les énonciateurs que sur le discours.
A la fin de la description de chaque fonction, un examen des liens intertextuels sera
également réalisé. Dans ce dernier, nous nous intéresserons en particulier à la manière dont
circule l’information : nous nous poserons des questions comme : l’information circule-t-elle
plus souvent d’un pays à l’autre ? Si oui, peut-on y voir un lien avec la fonction remplie par
les transformations ou avec les genres textuels ? Comment l’information circule-t-elle au
sein même de la RDC : peut-on observé plus de liens entre certains journaux ou certains
genres que d’autres ? Les contenus informationnels nous permettent-ils de mieux
comprendre les tendances politiques des différents journaux étudiés ? Ces tendances
observées correspondent-elle à celles que les journaux revendiquent habituellement ? En
répondant à ce genre de questions, nous nous ferons dès lors une idée plus globale de la
circulation de l’information dans les médias. Nous verrons d’ailleurs que de nombreux
résultats se répètent d’une fonction à l’autre.
25
Chapitre II Notions théoriques : dialogisme, hétérogénéité
montrée et évidentialité
26
La notion de représentation du discours autre est une notion très complexe qui n’a cessé
d’être peaufinée au fil du temps. Avec des auteurs comme Jacqueline Authiez-Revuz (1982,
1984, 1995, 2002, 2012, etc.), Jacques Bres (1999, 1998, 2005, etc.) ou encore Laurence
Rosier (1998), il est clair que cette notion a pu se développer de manière de plus en plus
claire. Mais, l’un des précurseurs de la compréhension de la représentation du discours
autre et de la manière dont un discours est lié à d’autres discours est sans aucun doute
Mikhaïl Bakhtine. C’est en effet ce dernier qui a décelé l’importance de l’examen de la
présence d’un Autre dans le discours.
Pour éclaircir toutes les notions que nous venons de mentionner, ce premier chapitre
comportera les sections suivantes : dans une première section, nous définirons la notion de
dialogisme telle qu’introduite par Bakhtine et nous présenterons la manière dont cette
dernière a été traduite et interprétée par Julia Kristeva. Ensuite, nous décrirons la notion
d’hétérogénéité montrée telle que définie chez Authier-Revuz. C’est également dans cette
deuxième section que nous montrerons le lien qui existe entre dialogisme et hétérogénéité
montrée et que nous décrirons les paramètres énonciatifs (énonciateurs, actes de parole et
formes de représentation) généralement étudiés par les linguistes de l’énonciation. Ces
paramètres énonciatifs sont, dans le cas de notre étude, touchés par ce que nous appelons
des transformations. Dans la dernière section, nous présenterons brièvement la notion
d’évidentialité, les modes d’accès évidentiels ainsi que les marqueurs évidentiels et
expliquerons pourquoi cette notion revêt son importance dans notre examen des
phénomènes énonciatifs.
1. Dialogisme
1.1. La notion de dialogisme chez Bakhtine et chez Kristeva
« Ces rapports [dialogiques entre des énoncés] ont leur analogie (sans être,
bien entendu, identiques) dans les rapports qui existent entre les répliques d’un
dialogue (GD : 300). Les rapports de dialogue sont quelque chose de beaucoup
plus larges que les rapports entre répliques d’un dialogue trouvant son
expression dans la composition de l’œuvre, c’est quelque chose de quasi
universel, qui pénètre tout le discours humain, tous les rapports et toutes les
manifestations de la vie humaine, en somme tout ce qui a sens et signification»
(Bakhtine, 1970 : 52-53, cité par Bres 2005 : 52)
1.1.1. Introduction
Bakhtine et son cercle sont les auteurs qui ont introduit la notion de dialogisme au début du
20ème siècle. En tant qu’auteurs soviétiques, Bakhtine et ses disciples n’ont été compris et
leur pensée n’a été transmise en Europe et aux Etats-Unis que par l’intermédiaire de
traductions, parfois proches de leur pensée, mais parfois également plus éloignées de celle-
27
ci. Les traductions de Bakhtine ont en effet souvent été imprégnées de commentaires
empêchant le lecteur de savoir où se situait la pensée du traducteur et celle de l’auteur
traduit. Par ailleurs, la réception du travail bakhtinien a, sans conteste, divergé d’un
continent à l’autre, en raison du contexte socio-culturel dans lequel a été faite
l’interprétation, la lecture de ce travail :
« Ainsi, le Bakhtine ‘américain’ est un penseur libéral, adversaire du
totalitarisme stalinien, parfois utilisé par les mouvements féministes ; le
Bakhtine ‘russe’ est un penseur moraliste et religieux orthodoxe, personnaliste
et conservateur ; quant au Bakhtine ‘français’, c’est l’initiateur de la théorie de
l’énonciation, sorte d’élève de Benveniste avant l’heure, ou bien un rénovateur
de la théorie marxiste des idéologies ». (Bres et Rosier, 2007 : 77)
Du côté francophone, Julia Kristeva (1967), auteure à l’origine de la notion
d’intertextualité, a eu un impact considérable sur la transmission de la pensée de Bakhtine et
de la notion de dialogisme. Grâce à elle en effet, la postérité de l’auteur soviétique a été
assurée et sa pensée est parvenue à atteindre la littérature francophone. Dans ses
traductions des écrits bakhtiniens, Kristeva a cependant quelquefois transformé le propos de
l’auteur russe, notamment en liant, voire en faisant remonter, l’origine de l’intertextualité
au dialogisme.
Dans cette section, nous souhaitons rendre compte de la notion de dialogisme telle
qu’elle a été interprétée par Julia Kristeva. Même si dans son interprétation de cette notion,
certains aspects propres à la pensée de Bakhtine ont été (involontairement ?) oubliés, le
courant francophone de la linguistique de l’énonciation s’en est largement inspiré. Raison
pour laquelle, nous présentons d’abord le dialogisme sous la lecture de Julia Kristeva (et des
auteurs qui ont suivi ses travaux), pour ensuite montrer ce qui lui a échappé, mais qui, à
notre sens, comme à celui d’autres auteurs (Claude Frioux, 1971 ; Malcuzynski, 1992 ;
Zbinden, 2003) revêt toute son importance dans la compréhension de la notion de
dialogisme.
1.1.2. Le dialogisme et l’énoncé
Commençons donc par l’explication de la notion de dialogisme. Comme Bres (2006) le fait
remarquer, la notion de dialogisme de Bakhtine s’articule au phénomène d’ouverture à
l’Autre, de relation à l’Autre : un énoncé n’existe pas seul ; il présuppose d’autres énoncés.
Pour comprendre la relation fondamentale qu’entretient un énoncé avec d’autres énoncés,
il convient d’expliquer ce que Bakhtine entend par le terme énoncé. L’énoncé possède, chez
Bakhtine, les mêmes caractéristiques que le texte, conçu comme l’enchaînement de
plusieurs énoncés. Tous deux sont caractérisés par leur réitérabilité et par leur unicité. En
d’autres termes, tout énoncé, ou tout texte, peut être reproduit, mais est unique dans son
contexte d’apparition. Un énoncé est en effet produit dans un certain contexte et, lorsqu’il
28
est lu, interprété, un nouveau sens, dû au contexte interprétatif qui diffère du contexte de
production, est alors associé à cet énoncé. Chaque contexte interprétatif, chaque lecture de
l’énoncé va en outre créer un nouveau sens à l’énoncé de départ. Le nouveau sens va dès
lors pouvoir être confronté au sens premier. En d’autres termes, l’énoncé interprété est un
énoncé qui répond à l’énoncé premier et auquel d’autres énoncés futurs répondront en
créant de nouveaux sens dans de nouveaux contextes. Pour Bakhtine, le sens d’un énoncé
ne peut être total que par la prise en considération des énoncés antérieurs et futurs qui
contribuent à son interprétation. C’est la raison pour laquelle Jacques Bres (2005 : 51), qui
suit la pensée bakhtinienne, définit l’énoncé comme « l’unité réelle de ‘l’échange verbal’ […]
défini par ses frontières, elles-mêmes ‘déterminées par l’alternance des sujets parlants’ […]».
Dans cette définition de l’énoncé, appelé réplique par Bakhtine, force est de constater la
ressemblance aux critères de définition du dialogue, vu comme l’alternance des tours de
parole de plusieurs locuteurs. Définir l’énoncé de cette manière revient donc à montrer que
d’autres énoncés « précèdent » et « suivent » l’énoncé dont il est question. En d’autres
termes, l’énoncé est toujours une réponse à un énoncé auquel d’autres énoncés
répondront. Cette notion trouve toute son importance dans nos recherches sur les
transformations de contenus informationnels (chapitre IV) : considérer que des énoncés ou
des textes se répondent nous permet de comprendre que ces textes ou ces énoncés sont
liés. Ces liens entre les énoncés ou entre les textes peuvent être établis de plusieurs
manières. Nous le montrerons dans le quatrième chapitre portant sur les notions
d’intertextualité et de transformations.
1.1.3. Les relations externe et interne entre les « énoncés-textes »
a) La relation externe entre les textes ou le dialogal
Bakhtine conçoit deux types de relation entre les énoncés-textes1: une relation externe et
une relation interne. La relation externe entre les énoncés-textes correspond à ce que
Bakhtine nomme le dialogal : chaque énoncé-texte constitue une réponse à un énoncé-texte
qui le précède et auquel un énoncé-texte futur répondra. Dans ce sens : « [le terme dialogal
est utilisé] pour prendre en charge tout ce qui a trait au dialogue en tant qu’alternance de
tours de parole ; disons le dialogue externe pour parler comme Bakhtine […] dialogal est
opposé à monologal ». (Bres, 2005 : 49).
1 Nous insistons une fois de plus sur le fait que Bakhtine conçoit l’énoncé comme un texte (possédant les
mêmes caractéristiques que le texte). Les relations entre les énoncés correspondent à celles entre les textes. Raison pour laquelle, nous utilisons le terme énoncé-texte.
29
b) La relation interne entre les énoncés-textes ou le dialogique
La relation interne entre les énoncés-textes correspond, quant à elle, à ce que Bakhtine
nomme le dialogique et peut être définie comme le dialogue interne d’un énoncé-texte avec
d’autres énoncés-textes :
« [Le terme dialogique est utilisé] pour prendre en charge la problématique
de l’orientation de l’énoncé vers d’autres énoncés, disons pour faire vite le
dialogue interne ; dialogique est opposé à monologique. ». [… ] « Il me semble
que, à la lecture des textes de Bakhtine, on puisse définir le dialogique comme
l’orientation de tout énoncé (au sens précédemment explicité), constitutive et
au principe de sa production, (i) vers des énoncés réalisés antérieurement sur le
même objet de discours, et (ii) vers la réponse qu’il sollicite. Cette double
orientation déterminante, vers l’amont et vers l’aval, se réalise comme
interaction elle-même double ». (Bres 2005 : 49 ; 52)
Le dialogue interne (dialogique), tout comme le dialogue externe (dialogal), implique une
relation entre un énoncé-texte et d’autres énoncés-textes. Mais cette relation n’est pas
extérieure à l’énoncé-texte, comme dans le cas de la relation dialogale, elle en fait partie,
elle le constitue. Le dialogisme, dans cette conception, prend différentes formes : le
dialogisme constitutif, le dialogisme interdiscursif et le dialogisme interlocutif.
- Le dialogisme constitutif
La première forme de dialogisme est ce que l’on appelle le dialogisme constitutif. Le
dialogisme constitutif rend compte de la relation de tout énoncé-texte avec tous les
énoncés-textes antérieurs qu’il réactive. Selon Authier (1982), ce dialogisme constitutif
établit la distinction entre langue et discours :
« la distinction entre éléments abstraits de la langue, réitérables, mots,
phrases porteurs d’une ‘signification’ dans le cadre du système linguistique, et
les événements concrets, uniques, que sont les énoncés, produit de l’interaction
de la langue et de la situation, dans un acte «‘d’interrelation verbale’, et,
comme tels, porteurs d’un ‘thème’ (‘sens contextuel d’un mot donné dans les
conditions d’une énonciation concrète’) et, nécessairement d’un ‘accent
appréciatif’ ou ‘jugement de valeur’ (‘axiologique’) inscrit dans le ‘système
[contradictoire] d’appréciation sociale’ que constitue le champ discursif ».
(Authier-Revuz, 1982 : 112)
En d’autres termes, tout énoncé-texte, et plus largement, tout mot prononcé lors d’un acte
d’énonciation renvoie à un contexte dans lequel il a vécu, contexte marqué par une série
d’images présupposées liées à ce mot ou à cet énoncé-texte. Cette relation à d’autres actes
30
d’énonciation, à d’autres contextes énonciatifs est appelée le dialogisme constitutif ou, chez
Authiez-Revuz, l’hétérogénéité constitutive.
- Le dialogisme interdiscursif
La seconde forme de dialogisme est celle appelée le dialogisme interdiscursif : un énoncé-
texte rencontre toujours d’autres énoncés-textes sur le même objet de discours et avec
lesquels il interagit. L’énoncé-texte, dans ce sens, constitue dès lors toujours une réponse
aux énoncés-textes qui les précèdent :
« L’expression d’un énoncé est toujours, à des degrés divers, une réponse,
autrement dit : elle manifeste non seulement son propre rapport à l’objet de
l’énoncé, mais aussi le rapport du locuteur aux énoncés d’autrui. Les formes de
réactions-réponses qui remplissent un énoncé sont extraordinairement variées
et, jusqu’à présent, elles n’ont jamais été étudiées ». (Bakhtine (1979/1984 :
299), cité par Bres, 1999 : 71)
- Le dialogisme interlocutif
Enfin, la dernière forme de dialogisme est ce qui est nommé le dialogisme interlocutif. Dans
ce dernier cas, l’énoncé-texte ne peut être interprété que par la prise en considération d’un
énonciataire, d’un interlocuteur auquel il s’adresse. Cet interlocuteur, dont l’énoncé-texte
ne peut être distingué lors de son interprétation, participe dès lors à la production même de
cet énoncé-texte :
« C’est-à-dire que le récepteur n’est pas la ‘cible’ extérieure à un discours,
mais que sa visée, et plus particulièrement la visée de sa compréhension est
incorporée au processus de production du discours ». (Authier-Revuz, 1982 :
118)
c) Conclusion
Dans cette conception de l’énoncé-texte et des relations qu’il entretient avec d’autres
énoncés-textes, l’Autre est toujours présent. Ce qui peut être perçu comme quelque chose
d’unifié, comme l’Un, est fondamentalement traversé par l’Autre. Cette relation à l’Autre,
lorsqu’elle est interne à l’énoncé-texte est appelée le dialogisme. Le dialogisme correspond
donc à la présence, interne, de l’Autre dans l’énoncé-texte. Que ce soit de manière
constitutive, par la référence aux autres contextes d’apparition d’un énoncé-texte, de
manière interdiscursive, par la réponse que constitue chaque énoncé-texte à d’autres
énoncés-textes ou de manière interlocutive, par la prise en considération du TU-lecteur dans
la production d’un énoncé-texte, le dialogisme semble être une notion qui recouvre un
nombre si infini de phénomènes linguistiques que son étude semble être inépuisable.
Comme le mentionne Bres (1998 : 208-209), le dialogisme, au sens analysé par Bakhtine,
31
n’est que « la partie émergée de l’iceberg du dialogisme ». L’Autre est ainsi partout présent
dans le langage. De nombreux auteurs ont examiné cette présence de l’Autre dans le
discours, via divers phénomènes linguistiques observables (pensons aux études sur le
langage oral, et plus particulièrement sur les mimiques vocales, gestuelles ou intonatives,
réalisées par des auteurs comme Tannen (1989), Couper-Kulhen (1996) ou Vincent (2006) et
qui mettent en évidence cet Autre décrit par Bakhtine).
1.2. Problèmes d’interprétation de la notion de dialogisme chez
Kristeva
Julia Kristeva est l’une des auteures les plus connues qui nous a permis d’accéder à la pensée
de Bakhtine à travers les traductions francophones qu’elle en a faites. Cependant, comme l’a
montré Zbinden, la relation à l’Autre est, dans les traductions de Kristeva (et chez les
auteurs, comme Bres, qui l’ont suivie) restreinte à l’autre texte2, alors que Bakhtine avait
une vision beaucoup plus globale de l’Autre. Son approche ne concernait pas seulement la
linguistique et les textes, mais était au contraire, une approche philosophique de la
perception et de la conscience humaine au moyen de laquelle était appréhendée la
signification du sens. En effet, Bakhtine fait bien référence à la relation entre des textes.
Pour lui, le texte ne prend réalité qu’à travers d’autres textes. C’est ce qu’il appelle le
contexte. Ce terme, comme le souligne Zbinden, n’est cependant pas clairement défini par
Bakhtine :
« Bakhtine semble en effet utiliser ce terme pour désigner des choses
différentes. C’est un de ces termes mouvant dont Bakhtine a le secret […]. De
manière restreinte, il désigne d’autres textes, d’où la correspondance, souvent
établie entre dialogisme et intertextualité. Mais de manière plus globale, il
désigne « l’environnement tout entier, qu’il soit culturel, social, etc. » (Zbinden,
2003 : 214-215)
Cette importance accordée à deux types de contextes, l’un intertextuel, pour reprendre les
termes de Kristeva, et l’autre environnemental, a souvent été réduite au profit d’un seul
contexte, le contexte intertextuel. Cette réduction conduit Kristeva à faire remonter la
notion d’intertextualité, dont elle est à l’origine, à celle de dialogisme, alors que cette
2 Kristeva étudie en particulier les relations entre différents textes, conçus comme comportant plusieurs
énoncés.
32
dernière regroupe des phénomènes beaucoup larges que ce que Kristeva nous a transmis3.
Selon Zbinden en effet, il y a eu une grande confusion sur les idées de Bakhtine, notamment
sur les rapprochements réalisés entre dialogisme et intertextualité, car Kristeva a compris la
notion de dialogisme en suivant une approche textuelle. Lorsque Kristeva dit :
« Le dialogisme situe les problèmes philosophiques dans le langage, et plus
précisément dans le langage comme corrélation de textes, comme écriture-
lecture qui va de pair avec une logique non-aristotélicienne, syntagmatique,
corrélationnelle, ‘carnavalesque‘. » (Kristeva, 1967 : 464)
Zbinden en conclut que Kristeva dévie la pensée de Bakhtine vers une approche textuelle,
alors que cette pensée est philosophique:
« Mais en restreignant le dialogisme à n’être qu’un phénomène linguistique
(qui donne tout de même accès à des questions philosophiques), voire à n’être
qu’un phénomène textuel, Julia Kristeva est amenée à faire une dangereuse
assimilation entre constructions narratives et structure du langage. Ainsi,
dialogisme et monologisme, au lieu d’être des constructions narratives (telle la
polyphonie), deviennent la structure même du langage […] [extrait de son
contexte de communication…]. Et cette tendance même vers l’abstraction est
liée à sa propension à lire les concepts bakhtiniens de manière littérale […] Cette
compréhension littérale et abstraite du mot et, par extension, du dialogue, a
pour conséquence la conception réductrice du dialogisme comme modèle de
l’intertextualité ». (Zbinden, 2003 : 217)
Cette association du dialogisme à l’intertextualité a comme conséquence majeure de scinder
le sujet parlant : l’Autre de Bakhtine n’est alors plus perçu comme un Autre-sujet (un autre
énonciateur ou un autre-interlocuteur) ou un autre-objet (dans le dialogisme interdiscursif),
mais comme un Autre-soi, tel que présenté dans la théorie de Lacan : le sujet, dans cette
dernière théorie, est fondamentalement divisé. Cette parenté entre sujet divisé et
dialogisme/intertextualité est due au fait que Kristeva conçoit la relation à l’Autre comme
une relation à l’Un :
« Dans la structure romanesque polyphonique, le premier modèle dialogique
(S[sujet] D [destinataire]) se joue entièrement dans le discours qui écrit et
3 Nous verrons, dans les chapitres IV, V et VI l’importance qu’ont les deux contextes dont parle Bakhtine
pour interpréter les résultats des transformations que nous étudions.
33
se présente comme une contestation perpétuelle de ce discours. L’interlocuteur
de l’écrivain est donc l’écrivain lui-même en tant que lecteur d’un autre texte.
Celui qui écrit est le même qui lit. Son interlocuteur étant un texte, il n’est lui-
même qu’un texte qui se relit en se réécrivant. La structure dialogique
n’apparaît que dans la lumière du texte se construisant par rapport à un autre
texte comme ambivalence ». (Kristeva, 1967 : 462)
Mais en associant l’Autre de Bakhtine à celui de Lacan, Kristeva interprète la pensée
première de Bakhtine, ce qu’elle reconnaît lorsqu’elle affirme « J’ai, pour ainsi dire,
transformé le Bakhtine ‘hégélien’ en Bakhtine ‘freudien’ « (Kristeva, 1995 : 7)4.
2. Hétérogénéité montrée
Le dialogisme, dans la conception bakhtinienne, constitue fondamentalement tout discours :
l’autre est toujours présent dans le discours, que ce soit de manière constitutive,
interlocutive ou interdiscursive. Mais, avec cette conception, l’autre n’est pas
nécessairement repérable dans le discours. Il est pourtant possible d’en repérer des traces
linguistiques : une relation entre ce que l’on appelle l’hétérogénéité montrée et le dialogisme
est alors établie (2.1.).
L’hétérogénéité montrée peut brièvement être définie comme les traces de l’autre dans
le discours en cours. Pour expliquer cette notion, nous organiserons cette section en
différentes parties : d’abord, nous éclaircirons la notion d’hétérogénéité montrée (2.2.) en
montrant que l’Autre peut soit correspondre à un dédoublement de l’énonciateur qui
s’exprime (représentation du dire en train de se faire), soit à la présence d’un autre
énonciateur dans le discours en cours (représentation du discours autre). C’est également
dans cette section que nous expliquerons quelles sont les opérations métalangagières qui
permettent à un énonciateur d’intégrer un autre discours dans son propre discours. Ensuite,
nous décrirons les paramètres de l’hétérogénéité montrée : en partant des notions
d’énonciateur et d’acte de parole premier et représenté, nous montrerons que dans la
représentation d’un discours autre, un dictum et un modus assertés par un autre
énonciateur sont ré-assertés par l’énonciateur responsable de l’énonciation en cours. Nous
terminerons cette section en présentant les formes que peut prendre la représentation du
44 Julia Kristeva a par ailleurs confirmé l'ascendant de la psychanalyse sur sa lecture de Bakhtine : « Mon
travail sur le dialogisme de Bakhtine à la lumière de la théorie freudienne est la base de mon interprétation dès la fin des années 60 » (courriel de Julia Kristeva. 9 mai 2001).
34
discours autre, à savoir la représentation dévoilée du discours autre, par laquelle
l’énonciateur premier montre explicitement qu’un certain contenu a été asserté par
quelqu’un d’autre, et la représentation dissimulée du discours autre, par laquelle est caché le
discours autre, bien qu’il soit quand même linguistiquement détectable.
2.1. Le Lien entre dialogisme et hétérogénéité montrée
Authier-Revuz est l’auteure qui a utilisé pour la première fois les termes d’hétérogénéité
montrée pour décrire la présence de l’autre dans le discours. Son approche s’inspire de
celles de Bakhtine et de Lacan. Selon Bakhtine, nous l’avons vu (point 1), l’interaction d’un
discours avec le discours d’autrui est ce qui constitue fondamentalement tout discours.
Cette interaction se réalise selon trois modalités (constitutif, interlocutif et interdiscursif),
mais seules deux d’entre elles permettent de déceler la présence de l’autre dans le discours :
l’interdiscursivité et l’interlocution.
Lacan quant à lui, envisage l’Autre à travers l’examen du sujet : en se basant sur les
théories psychanalytiques freudiennes, il considère que le sujet est fondamentalement
divisé, est fondamentalement traversé par un Autre. En effet, Lacan, comme Freud,
considèrent que d’un côté, il y a le Moi, le sujet qui pense ne pas être divisé pour pouvoir
organiser la réalité dans laquelle il vit. De l’autre, il y a le Ça, la partie inconsciente du sujet
qui resurgit dans certaines situations. Cette division du sujet l’empêche d’être
complètement maître de lui-même : là où il croit agir de manière consciente, le sujet est
aussi déterminé par son inconscient. Lorsque le Ça surgit en transgressant les lois de ce qui
est appelé le Surmoi, c’est-à-dire les lois sociales déterminant et conditionnant le sujet dans
la société, le sujet peut en souffrir. La psychanalyse se donne pour travail d’aider le sujet à
ne pas souffrir en considérant que les phénomènes qui rendent manifeste l’inconscient sont
dus à des conflits passés que le sujet a refoulés. Pour résoudre ces conflits, passés, seul le
langage est en mesure d’être utilisé. Mais puisque l’inconscient apparaît au sujet par la
transgression du Surmoi, seule la transgression des lois normales du discours permettent de
faire surgir l’inconscient à travers le langage. La transgression des lois du langage amène le
psychanalyste à comprendre un mot de manière littérale, mais aussi dans tous ses sens
possibles. Dans cette conception du sujet et de son langage, une importance à l’Autre est
perceptible : l’Autre est la part cachée du sujet parlant, mais il est aussi la présence d’autres
sens, d’autres significations dans le langage :
« [...] le fait que toujours sous nos mots, « d’autres mots » se disent ; que
derrière la linéarité conforme de « l’émission par une voix » se fait entendre une
« polyphonie » et que « tout discours s’avère s’aligner sur les plusieurs portées
[sic] d’une partition » ; que le discours est constitutivement traversé par le
discours de l’Autre ». (Authier-Revuz, 1982 : 141)
35
Le discours est donc fondamentalement traversé par d’autres discours et par un Autre. On
reconnaît clairement, dans cette conception, les idées avancées par Bakhtine. Bien que celui-
ci n’appréhende pas l’impact de la division du sujet sur le discours, sa notion de dialogisme
constitutif, selon laquelle tout énoncé ne prend un sens complet que par la prise en
considération de tous ses sens antérieurs et futurs, se rapproche de la conception
lacanienne selon laquelle la connaissance de l’inconscient passe par les mots qui doivent
être examinés dans tous leurs sens possibles. Dans ces conceptions, l’Autre est considéré
comme un objet intrinsèque au discours car il constitue ce dernier, ou, pour parler comme
Authier-Revuz, le discours est caractérisé par une hétérogénéité constitutive.
Une autre forme d’hétérogénéité, une autre forme de dialogisme, peut également être
examinée lorsqu’on s’intéresse à la présence d’un Autre dans le discours : l’hétérogénéité
qu’Authier-Revuz nomme l’hétérogénéité montrée. L’hétérogénéité montrée est une notion
qui rend compte de la présence d’un Autre dans le discours, mais contrairement à
l’hétérogénéité constitutive, cet Autre n’est pas intrinsèque, constitutif du discours : il en est
son objet : l’énonciateur parle d’un autre discours, d’après un autre discours ou avec un
autre discours (point 2.3.2). L’hétérogénéité montrée correspond dès lors à la dénégation de
l’Autre comme étant constitutif du discours puisque l’énonciateur montre cet Autre de
manière claire et précise :
« S’inscrivent dans ce champ les formes de l’hétérogénéité montrée : l’autre
se trouve, là, désigné comme objet de discours, à travers un mécanisme
énonciatif qui, dans les diverses approches qui en ont été proposées (et qui ne
sont pas réductibles les unes aux autres : ‘bathmologie’ évoquée par Barthes,
‘suspension’ ou degrés de la ‘prise en charge’, autonymie et connotation
autonymique, distinction locuteur-énonciateur, ou sujet parlant-locuteur-
énonciateur, …), semble être saisi comme prise de distance de la part du sujet
parlant vis-à-vis d’une partie de son discours ». (Authier-Revuz, 1982 : 141)
On comprend dès lors le lien existant entre dialogisme constitutif et hétérogénéité
montrée : alors que dans le premier cas, l’Autre constitue fondamentalement le discours et
n’est pas repérable puisqu’il en est une caractéristique intrinsèque, dans le second cas, des
formes d’apparition de l’Autre sont repérables et analysables linguistiquement :
36
« A une hétérogénéité radicale, en extériorité interne du sujet, et au
discours, comme telle non localisable et non représentable dans un discours
qu’elle constitue, celle de l’Autre du discours – où jouent l’interdiscours5 et
l’inconscient – s’oppose la représentation dans le discours des différenciations,
disjonctions, frontières intérieur/extérieur […] (Authier-Revuz, 1984 : 106)
Regardons à présent plus en détail comment cette hétérogénéité montrée est rendue
possible dans le discours.
2.2. La notion d’hétérogénéité montrée
“What is it in human speech that makes it possible for me to use my voice to
say what another has said and to say it as said by him?” (Sokolowski, 1984: 699)
Dans la conception de Bakhtine ou d’Authier-Revuz, le discours est fondamentalement
traversé par l’Autre, est fondamentalement hétérogène. Cette hétérogénéité du discours,
lorsqu’elle est repérable dans le discours, est appelée l’hétérogénéité montrée. C’est par elle
qu’est niée par l’énonciateur l’hétérogénéité constitutive du discours : en affichant l’Autre
dans le discours, l’énonciateur « se délimite dans la pluralité des autres, et en même temps,
affirme la figure d’un énonciateur extérieur à son discours » (Authier-Revuz, 1984 : 106), ou
en d’autres termes, s’affirme comme non divisé, comme l’Un :
« Pris dans l’indépétrable étrangeté de se [sic] propre parole, le locuteur
lorsqu’il marque explicitement des formes de distance, des points
d’hétérogénéité dans son discours, y délimite, y circonscrit l’autre et, ce faisant
affirme que l’autre n’est pas partout. » (Authier-Revuz, 1982 : 144)
On comprend, avec cette définition, qu’il est possible de montrer linguistiquement l’Autre.
Ce qu’il convient de se demander est : comment le langage nous permet-il de montrer un
Autre ? En répondant à cette question, le champ de l’hétérogénéité montrée peut être
délimité plus clairement.
Les formes de l’hétérogénéité montrée relèvent du champ de ce qu’on appelle le
métalangage. Le métalangage correspond à la caractéristique fondamentale du langage de
5 Authier-Revuz semble utiliser le terme interdiscours pour renvoyer au dialogisme constitutif dont parle
Bakhtine et non au dialogisme interdiscursif.
37
pouvoir se prendre lui-même comme objet de discours. Comme Merleau-Ponty le souligne
dans ses travaux :
On croit le sens transcendant par principe aux signes […le] sens est tout
engagé dans le langage, la parole joue toujours sur fond de parole, elle n’est
jamais qu’un pli dans l’immense tissu du parler […]. Nulle part [le langage] ne
cesse pour laisser place à du sens pur, il n’est jamais limité que par du langage
[…]. Le langage ne présuppose pas sa table de correspondance, il dévoile lui-
même ses secrets […] son obstinée référence à lui-même, ses retours et ses
retours sur lui-même sont justement ce qui fait de lui un pouvoir spirituel […]. »
(Merleau-Ponty, 1960 : 53-54, cité par Authier-Revuz, 2002 : 69)
Le métalangage est la possibilité que nous offre le langage de nous exprimer sur ce
dernier, avec ce dernier. De ce vaste champ du métalangage relève ce que l’on appelle
l’autonymie. L’autonymie est la capacité des énonciateurs de pouvoir parler d’un signe. Il
s’agit donc d’un phénomène plus retreint que celui du métalangage. Dans cette conception,
on considère qu’il existe deux types de signe : le signe ordinaire ou en usage et le signe
autonyme ou en mention.
Le signe ordinaire est constitué par un signifiant, c’est-à-dire par une forme, mais aussi
par un signifié, un contenu, un sens. Lorsqu’il est utilisé, prononcé ou écrit, le signe ordinaire
a comme référent un objet de la réalité : avec lui, on parle du monde. Ainsi, dans l’exemple
suivant, les signes réfèrent au monde :
1) J’ai oublié de passer prendre mes chaussures6 chez le cordonnier7.
Dans cet exemple, le signe chaussures est constitué par un signifiant (lettre/son) et par un
signifié (l’objet « chaussures » dans le monde). La structure est donc : signe = signifiant +
signifié.
Mais un signe peut également référer conjointement et au monde et à lui-même, comme
dans l’exemple suivant :
6 Dans tous les exemples, les soulignements sont de nous.
7 Les exemples (1), (2) et (3) sont tirés de l’article d’Authier-Revuz (2002d : 71-72)
38
2) Il y avait encore hier l’inscription « chaussures en solde » sur la vitrine.
Dans ce second exemple, le terme chaussures réfère effectivement à un objet du monde.
Mais, plus encore, c’est à lui-même, en tant que mot (présent sur une vitrine) qu’il réfère.
Dans ces cas de figure, on parle de signe en mention, ou d’autonyme. Il s’agit de parler du
monde et du signe avec la structure suivante : signe = signifiant + signe.
L’autonymie peut être de deux types : l’autonymie simple (la mention) ou l’autonymie
complexe (ou la modalisation autonymique complexe). Dans les cas de l’autonymie simple,
se sont des exemples similaires à l’exemple (2) que l’on trouve. Le signe est alors composé
d’un signifiant et d’un signifié qui est lui un signe. Dans les cas de l’autonymie complexe, le
signe ne réfère pas seulement au monde et à lui-même, mais aussi à un autre signe présent
dans la chaîne parlée ou écrite, comme dans l’exemple suivant :
3) A chaque pas, le clown perdait ses « chaussures », si tant que le mot convienne pour les bérets qu’il avait enfilés à ses pieds.
Dans cet exemple, « chaussures » réfère au monde, mais aussi au mot en tant que tel. Cette
référence est décelée par la présence d’un autre signe dans l’énoncé (le mot « mot ») :
l’énonciateur parle de l’objet du monde, mais également du mot qu’il utilise pour parler de
cet objet. On peut donc dire que l’énonciateur commente sa propre parole au moyen du
segment « si tant que le mot convienne pour les bérets qu’il avait enfilés au pied ». Ce
faisant, il se dédouble énonciativement. Ce dédoublement énonciatif ralentit, en quelque
sorte, le discours en train de se faire. En (3), on parle d’auto-représentation du dire en train
de se faire : l’énonciateur représente sa propre parole en train de se faire au moyen d’une
modalisation autonymique complexe.
Mais le même fonctionnement peut aussi être à l’œuvre si l’on s’intéresse à la
représentation du discours d’un autre énonciateur, notamment dans les formes du discours
direct (il a dit : « … ») et de la modalisation autonymique comme discours second (il a utilisé X
pour parler de…), nous y reviendrons (2.3.2.). Dans ces cas, l’opération métalangagière
utilisée est ce qu’Authier-Revuz appelle la monstration ou l’autonymisation8 par laquelle il
est possible de construire une image du discours autre :
8 Nous garderons le terme autonymisation qui rend mieux compte, selon nous, du phénomène étudié, à
savoir l’autonymie dans le discours.
39
« Cette image que construit le dire passe par une monstration de mots
(mention, autonymie) renvoyés à l’autre discours, la monstration d’un message
autre » (Authier 2004 : 41).
En d’autres termes, par l’opération d’autonymisation, c’est non seulement aux mots d’un
autre énonciateur que le discours réfère, mais également à son message.
Mais cette opération métalangagière n’est pas la seule à la disposition du linguiste pour
examiner le discours autre. La paraphrase permet elle aussi de distinguer d’autres formes de
discours autre (que celles du discours direct et de la modalisation du discours comme
second). Avec cette opération, ce ne sont plus les mots de l’autre énonciateur sur lesquels
on insiste, mais c’est sur son contenu :
« Cette image passe par la formulation d’une paraphrase discursive – un
équivalent au plan du sens, en contexte – et, au-delà, par une simple
caractérisation du contenu du discours autre sans exigence d’équivalence »
(Authier-Revuz, 2004 : 41)
Entrent dans cette catégorie d’opérations métalangagières, les formes du discours indirect
et de la modalisation du dire comme second (2.3.2.).
A ces deux premières opérations (autonymisation, paraphrase), s’ajoutent deux autres
opérations : (1) la prédication, par laquelle le discours autre constitue l’objet, le « ce dont on
parle » du dire (Authier-Revuz, 2004 : 41) et (2) la modalisation, par laquelle le discours
autre est « ce d’après quoi on parle » (Authier-Revuz, 2004 : 41). En d’autres termes, dans le
cas de la prédication, on parle du discours autre que l’on représente dans le discours en train
de se faire, alors que dans la modalisation, on parle du monde d’après les dires d’un autre
énonciateur qui s’est exprimé sur le même objet de discours.
En croisant ces quatre opérations que sont l’autonymisation, la paraphrase, la prédication
et la modalisation, on obtient des formes d’hétérogénéité montrée, à savoir les différentes
formes de ce que nous appelons la représentation dévoilée du discours autre (discours
direct, discours indirect, modalisation du dire comme discours second, modalisation
autonymique comme discours second, point 2.3.2.a). Mais ces opérations ne sont pas les
seules permettant de distinguer des formes de représentation du discours autre. En effet, les
réactions de l’énonciateur responsable du discours en cours vis-à-vis de l’énoncé représenté
dans son discours constituent également un moyen de distinguer certaines formes de
représentation du discours autre. Ainsi, l’accord, le désaccord, la mise en débat ou le degré
de crédibilité sont autant de moyens pour distinguer des formes qui intègrent ce que nous
appelons la représentation dissimilée du discours autre (2.3.3.b)
40
Avant de distinguer ces formes d’hétérogénéité montrée et de les décrire chacune en
détail, nous présenterons d’abord ce qui leur est commun, à savoir les énonciateurs et les
actes de parole premiers et représentés.
2.3. Les paramètres de l’hétérogénéité montrée
2.3.1. Les énonciateurs et les actes de parole
Pour comprendre ces notions d’énonciateur et d’acte de parole premier et représenté, nous
présenterons d’abord la distinction entre locuteur et énonciateur et insisterons sur les
notions de modus et de dictum telles que décrites par Bally (1932/1965). Nous présenterons
les notions d’énonciateur et d’acte de parole représenté en montrant la relation qu’elles
entretiennent avec celles de modus et de dictum de Bally.
La communication ou l’échange, oral ou écrit, entre deux personnes peut être définie,
simplement, comme le transfert d’un message d’une personne A vers une personne B. Lors
de cet échange, la personne qui produit le message, qui est responsable du discours, est
appelée le locuteur. Ce dernier transmet un message à ce qu’on appelle l’allocutaire
(lorsqu’il ne fait que « recevoir » le message) ou l’interlocuteur (lorsqu’il reçoit le message et
y répond). Ce que l’on appelle le locuteur est donc la personne responsable d’un discours.
Mais ce locuteur est nécessairement à l’origine d’un point de vue, d’un jugement sur ce qu’il
considère comme bien/mal, vrai/faux, certain/incertain, etc. On parle alors non plus de
locuteur, mais d’énonciateur (Ducrot, 1984). L’énonciateur est un sujet qui est responsable
d’un point de vue. Un locuteur est donc toujours aussi un énonciateur alors qu’un
énonciateur n’est pas forcément un locuteur. Il est en effet possible pour l’énonciateur de
montrer un point de vue opposé à ce qui est produit par le locuteur/scripteur. Les
mécanismes permettant d’émettre un point de vue, sans que pour autant il ne soit identique
à ce qui est prononcé ou écrit, sont divers. Pensons par exemple à l’usage des guillemets à
l’écrit pour marquer un désaccord, ou aux gestes à l’oral, comme les haussements de
sourcils par exemple, permettant la distanciation avec ce qui est dit. De Chanay (2006), dans
son étude des points de vue marqués par les gestes lors d’échanges oraux, formule la
distinction entre locuteur et énonciateur comme suit :
« Dans la lignée de Ducrot (1984), on considérera que les discours ont
comme source des locuteurs […] et les pdv [points de vue], des énonciateurs (e),
lesquels comme on sait ne coïncident pas forcément avec des locuteurs. A tout
locuteur correspond au moins un e, tandis que les e ne représentent pas
forcément un locuteur, même si c’est toujours un locuteur qui les met en
scène. » (de Chanay, 2006 : 60)
41
Un locuteur est donc responsable d’un discours, d’un énoncé et est forcément également un
énonciateur, alors qu’un énonciateur peut n’être responsable que d’un seul point de vue,
sans pour autant produire un discours.
Puisque le locuteur est toujours également un énonciateur, son énoncé sera également
toujours chargé d’un point de vue, que cela apparaisse ou non de manière explicite.
L’énoncé est en effet constitué par ce que Bally (1932/1965) appelle un modus et un dictum.
La distinction entre modus et dictum opérée par Bally a traditionnellement été associée à la
distinction entre objectivité et subjectivité. Ainsi, dans l’énoncé suivant, le verbe de pensée
serait l’élément subjectif, l’élément modalisant le dictum, alors que l’objet de ce verbe serait
le contenu propositionnel objectif, soit le dictum :
4) Je trouve qu’il fait froid
Or, comme Ducrot l’a souligné, l’élément dit objectif, le dictum, est toujours du ressort de la
représentation subjective :
« […] je crois les mots de la langue incapables, de par leur nature même, de
décrire une réalité. Certes les énoncés se réfèrent toujours à des situations,
mais ce qu'ils disent à propos de ces situations n'est pas de l'ordre de la
description. [...]. Ce qu'on appelle idée, dictum, contenu propositionnel n'est
constitué par rien d'autre, selon moi, que par une ou plusieurs prises de
positions » (Ducrot, 1993 : 128, cité par Vion, 2004 : 96-97).
Dans cette conception de l’énoncé, le dictum est perçu comme la représentation individuelle
qu’un sujet parlant se fait d’un état de choses ou d’un procès. En effet, tout sujet, tout
locuteur-énonciateur est ancré dans un contexte d’énonciation (la situation dans laquelle il
se trouve au moment de son énonciation). Par conséquent, le contenu propositionnel de son
énoncé dépend nécessairement de ce contexte. On ne peut donc pas dire qu’il y a un
contenu objectif dans un énoncé puisque le contenu de l’énoncé dépend de celui qui le
produit et de la situation dans laquelle ce dernier se trouve. Le dictum est par conséquent
toujours subjectif. De même, le modus, en tant que prise de position du sujet parlant sur le
dictum constitue également la part subjective d’un énoncé :
La distinction entre modus et dictum pourrait alors reposer sur l'existence
d'activités différenciées intervenant lors de la construction d'un énoncé : le
sujet parlant réagirait à une représentation construite par lui dans son propre
discours. La tradition associe ce dictum à une forme impersonnelle qui semblait
directement exprimer le monde, indépendamment de tout sujet, et pouvait
donc prétendre à le représenter objectivement. Or, le fait de produire un
énoncé, même sans marquage déictique correspondant à la position du
locuteur, constitue un événement dont l'existence et l'interprétation sont
relatives à ce locuteur, aux conditions contextuelles dans lesquelles il se trouve
42
et au cotexte discursif auquel il participe. Les choix lexicaux effectués,
l'orientation discursive prise et l'existence d'un investissement multimodal au-
delà des formes étroitement linguistiques confèrent à ce dictum une dimension
nécessairement subjective. D'autant qu'étant construit afin d'exprimer une
réaction du locuteur, ce dictum est orienté en fonction de cette réaction
modale. Nous sommes alors à l'opposé d'une conception du dictum comme
forme logique d'un énoncé relevant d'une problématique des valeurs de vérité
(Vion, 2004 : 97)
Dans cette explication de Vion, tant le dictum et le modus sont considérés comme étant
subjectifs. Mais, à la différence du dictum, le modus n’est pas une représentation subjective
du monde, mais une réaction vis-à-vis de cette représentation. Cette réaction peut par
exemple être l’expression de la certitude, de la vérité, de la possibilité, etc. e ce qui est
asserté dans l’énoncé.
On pourrait se demander quelle est l’importance de cette distinction dans l’examen des
phénomènes de représentation du discours autre. Lors du processus de communication, un
locuteur-énonciateur ou un scripteur-énonciateur produit un ou plusieurs énoncés destinés
à un allocutaire. La production de ces énoncés, tous constitués d’un dictum et d’un modus,
est appelé l’acte d’énonciation et le produit, le discours premier. Lorsque le locuteur-
énonciateur intègre dans son discours des énoncés qui ont comme source de l’énonciation
d’autres énonciateurs, voire le même énonciateur à un moment différent de celui de
l’énonciation en cours, on parle alors de discours représenté : l’énonciateur premier,
responsable du discours en cours, du discours premier, représente au moyen de mécanismes
linguistiques divers, la parole produite par un autre énonciateur. On peut donc dire en
d’autres termes que l’énonciateur premier modalise un dictum qui a auparavant été asserté,
et donc modalisé, par un autre énonciateur. Tel est le cas dans l’exemple forgé suivant :
5) Le président estime que les conflits n’ont pas lieu d’être.
Dans cet exemple, un énonciateur premier produit l’énoncé entier « le président estime que
les conflits n’ont pas lieu d’être » (moi, en tant que scripteur). Cet énoncé possède un
dictum, un contenu propositionnel, à savoir « les conflits n’ont pas lieu d’être », modalisé
(« estimer ») par l’énonciateur représenté (« le président »). En actualisant le contenu
propositionnel modalisé dans un énoncé, l’énonciateur premier modalise à son tour l’énoncé
entier. On pourrait par exemple transformer l’énoncé en « je pense que le président estime
que… », ce qui rendrait explicite la modalité de l’énoncé premier.
Pour conclure cette partie sur les énonciateurs et les actes de parole premiers et
représentés, on peut dire que dans les phénomènes de représentation du discours autre, on
observe la présence de deux énoncés hiérarchiquement emboîtés, dont l’un correspond à
celui d’un énonciateur représenté dont l’acte de parole est re-modalisé par l’énonciateur
premier. En fonction du mécanisme linguistique utilisé pour représenter cet énoncé et cet
43
énonciateur, l’une ou l’autre forme d’hétérogénéité montrée émerge. Les phénomènes
d’hétérogénéité montrée mettent donc toujours en présence au moins :
Deux énonciateurs : l’un, premier, responsable du discours produit, du
discours premier, et l’autre, responsable d’un autre discours,
hiérarchiquement emboîté dans le discours premier, à savoir le discours
représenté, ou le discours second9.10
Deux actes de parole : donnant lieu à deux énoncés, dont le dictum de l’un a
été modalisé par un énonciateur second et est re-modalisé à travers sa
réactualisation dans le discours de l’énonciateur premier.
Une forme de représentation du discours autre : qui dépend des opérations
métalangagières (paraphrase, autonymisation, modalisation et prédication)
dans le cas de la représentation dévoilée du discours autre, ou qui dépend de
la réaction de l’énonciateur premier vis-à-vis du contenu de l’énoncé second
dans le cas de la représentation dissimulée du discours autre.
2.3.2. Les formes d’hétérogénéité montrée
« Dans le parler de tout homme vivant en société, la moitié des paroles qu’il
prononce sont celles d’autrui (reconnues comme telles) transmises à tous les
degrés possibles d’exactitude et d’impartialité (ou plutôt de partialité »
(Bakhtine, 1929 ; 1978 : 158)
Comme le dit Bakhtine, on prononce très souvent des paroles que l’on attribue à une autre
personne. On pourrait cependant se demander pourquoi Bakhtine utilise les mots
9 Nous utilisons indistinctement les termes premier/produit et second/représenté pour une raison en
particulier : premier, second, troisième etc. nous permettent de situer les niveaux de hiérarchisation des discours et des énonciateurs. Cependant, ce que nous étudions est la représentation du discours d’un énonciateur par un autre énonciateur. Il nous est impossible d’utiliser les ordinaux pour évoquer ce phénomène. Raison pour laquelle tant ces ordinaux que ceux de production/représentation apparaissent dans la présente thèse. En ce sens, nous suivons en quelque sorte la terminologie d’Authier-Revuz qui utilise également sans distinction les deux séries de termes.
10 La hiérarchisation des discours peut se faire sur plus de deux niveaux (par ex. : « il a dit que j’avais dit… »).
C’est la raison pour laquelle nous utilisons les termes les termes énonciateur premier, qui nous permettent de distinguer plusieurs niveaux de hiérarchisation (énonciateur second, énonciateur troisième, etc.)
44
« reconnues comme telles » pour parler des paroles des autres dans notre discours. En fait,
Bakhtine réfère au fait que le discours est toujours fondamentalement constitué par
d’autres discours, en opposant donc ce qu’Authier-Revuz nomme l’hétérogénéité
constitutive à l’hétérogénéité montrée. Dans ce dernier cas seulement, les paroles sont
attribuées à autrui, qu’il soit l’énonciateur qui se dédouble (représentation du dire en train
de se faire) ou un autre énonciateur (représentation du discours autre). On pourrait, dans ce
dernier cas, parler de discours rapporté, comme cela a longtemps été le cas dans la
littérature traditionnelle. Cependant, nous préférons suivre la terminologie d’Authier-Revuz
et parler de représentation du discours autre (RDA) en considérant que :
« L’appellation RDA de préférence à DR (discours rapporté)
(1) évite la restriction, induite par « rapporté », au « dire qui a eu lieu », du
champ qui s’étend à tout ce qui « sera, pourrait être, n’a pas été dit, etc.… » ;
(2) correspond à l’inclusion, à côté de la trilogie consacrée des DD, DI, DIL, où
le discours autre est l’objet du dire (ce dont il parle), des deux modes (cf. ci-
dessous MAS et MAE)11 dans lesquels c’est en tant que source que le discours
autre est représenté, dans un dire que, par là, il modalise au plan de ses
assertions (d’après les dires de…, cf. (4) ou de ses manières de dire (comme dit l,
cf. (5)) ;
(3) délimite explicitement, par la spécification « discours autre », un secteur
spécifique dans le métadiscours, excluant – par opposition à « discours » – la
stricte réflexivité de l’auto-représentation du dire en train de se faire (je te dis…,
notée ARD) ; et incluant – par opposition à « discours d’autrui » – tout ce qui
relève d’un dire de l’énonciateur, autre que ici et maintenant (j’ai dit, je dirai, je
n’ai pas dit, etc…). » (Authier-Revuz, 2012 : 157-158)
Dans cette explication, Authier-Revuz ne mentionne pas les cas où le discours autre est
représenté de manière implicite. Cependant, un autre discours peut être présent dans un
discours produit, sans que pour autant on ait effectivement accès soit à l’énoncé second, soit
à l’énonciateur et l’acte de parole seconds. Tel est le cas par exemple dans des énoncés où
apparaissent les mots « certes, …, mais…» qui induisent que le contenu a déjà été asserté
par un autre énonciateur. Puisque de tels énoncés peuvent être reformulés au moyen des
quatre opérations métalangagières que sont la paraphrase, l’autonymisation, la prédication
et la modalisation, nous considérons qu’il n’y a pas de raison de distinguer les énoncés dans
11 Authier-Revuz utilise les termes de modalisation autonymique d’emprunt (MAS) et modalisation de
l’assertion comme seconde (MAE) qui réfèrent respectivement à modalisation autonymique en discours second et modalisation du dire comme discours second.
45
lesquels sont explicitement représentés d’autres discours de ceux dans lesquels ceux-ci le
sont implicitement. Ainsi, dans les exemples forgés suivants :
6) Certes, l’Europe s’agrandit, mais elle est encore loin de l’étendue des Etats-Unis. 7) Certes, vous pouvez penser que l’Europe s’agrandit, mais elle est encore loin de
l’étendue des Etats-Unis.
Le discours produit est constitué par les exemples pris dans leur entièreté, mais leur modus
correspond au segment « elle est encore loin de l’étendue des Etats-Unis ». En (6), le
discours est représenté de manière dissimulée : on a accès à l’énoncé second sans qu’il ne
soit présenté explicitement comme tel par l’énonciateur premier. Mais on peut très bien
rétablir la présence de l’énonciateur et l’acte de parole second en utilisant, comme en (7) un
discours indirect. Ce faisant, l’acte de parole second est explicitement représenté.
Pour comprendre tout ce que nous venons de survoler, nous aborderons maintenant les
notions suivantes : en partant de la représentation dévoilée du discours autre, avec les
formes de discours représentés (discours direct et discours indirect), mais aussi avec les
formes de modalisations (modalisations du dire comme discours second, modalisation
autonymique comme discours second), nous présenterons ensuite les différentes formes de
représentation dissimulée du discours autre en focalisant notre attention sur celles qui
apparaissent dans notre corpus : la concession, le renchérissement, la négation, l’opposition,
la confirmation, l’interrogation et le conditionnel journalistique.
a) La représentation dévoilée du discours autre
La première forme d’hétérogénéité montrée que nous étudions est celle que nous appelons
la représentation dévoilée du discours autre. Cette forme consiste à représenter
explicitement l’énonciateur second et son discours dans le discours produit. Cette
représentation dévoilée du discours autre prend les formes du discours représenté, mais
aussi celles des modalisations.
- Le discours représenté
Le premier type de représentation dévoilée qui nous intéresse est le discours représenté. Ce
dernier correspond à la présence, dans le discours produit, d’un acte d’énonciation formulé
par un autre que celui qui produit l’énoncé premier (ou par ce même énonciateur à un
moment différent de l’énonciation en cours) :
« [Il correspond aux] formes syntaxiques du discours indirect et du discours
direct désignant de façon univoque, dans le cadre de la phrase, un autre acte
d’énonciation ». (Authier-Revuz, 1982 : 92)
46
Le discours représenté est donc notamment caractérisé par le fait qu’un dictum et un modus
exprimés par un autre énonciateur soient explicitement formulés comme tels dans le
discours d’un énonciateur premier.
Les deux formes de discours représentés, à savoir le discours direct et le discours
indirects, sont traditionnellement distingués par deux phénomènes : d’abord, par leur
syntaxe (Andersen, 2000) : à l’inverse du discours indirect qui est constitué par une
proposition principale et par une conjonction introduisant la subordonnée dans laquelle se
trouve le propos représenté (« il a dit que… » ; « il s’est demandé si… », etc.), le discours
direct est caractérisé par un verbe de parole/pensée non régi et suivi, à l’écrit, des deux
points et des guillemets (« il a dit : ‘…’ » ; « il s’est demandé : ‘… ?’ », etc.). Mais cet aspect
n’est pas le seul à les distinguer syntaxiquement : d’abord, alors que la personne, le temps
verbal et les adverbes de temps et de lieu sont ceux du discours produit dans le discours
indirect, ce sont ceux du discours représenté qui apparaissent dans le discours direct.
Ensuite, un second phénomène qui les distingue traditionnellement concerne le degré de
fidélité du discours représenté par rapport à une parole originale (Auchlin, 2006 ; Baynham,
1996 ; Rosier, 1999 ; Tannen, 1989 ; Vincent, 2006, etc.). Le discours direct est
généralement interprété comme rendant fidèlement le discours d’un autre énonciateur
(même si cette fidélité n’est que partielle, voire inexistante dans certains cas). Le discours
indirect, lui, est perçu comme l’interprétation par l’énonciateur premier du discours d’un
autre énonciateur. Dans ce dernier cas, l’énonciateur premier peut résumer, traduire,
expliquer des propos énoncés par l’énonciateur représenté. Les deux exemples suivants
illustrent respectivement un cas de discours direct et un cas de discours indirect :
8) « La situation humanitaire est dramatique. Dans les camps de Kibati, j’ai vu des personnes plongées dans une profonde détresse, dont un grand nombre de femmes, d’enfants et de personnes âgées », explique Max Hadorn, chef de la délégation du CICR en RDC, actuellement en visite dans le Nord-Kivu. [Le Potentiel, 06 novembre 2008]
9) Karel De Gucht réitère qu'il n'existe pas d'alternative militaire aux processus de paix qui ont été lancés à Nairobi et Goma. [La Libre Belgique, 07 octobre 2008]
Dans l’exemple (8), l’énonciateur premier, le journaliste du Potentiel reprend le discours
d’un énonciateur représenté (Max Hadron) sous la forme directe. Cette forme est marquée
par la présence des guillemets, la première personne du singulier (j’ai vu) à l’intérieur du
discours direct ainsi que par le verbe de parole non régi, situé en fin d’énoncé (explique). On
a l’impression, en lisant cet exemple, que les paroles prononcées par l’énonciateur
représenté n’ont pas été transformées par le journaliste. Dans l’exemple (9) en revanche, on
observe un discours indirect marqué par le verbe de parole régi (« réitère ») lié à une
conjonction de subordination (« que ») qui introduit le propos représenté. Dans ce cas donc,
on ne peut pas dire si Karel de Gucht a effectivement tenu ces paroles ou si c’est le
journaliste qui les interprète.
47
Cette notion de fidélité au discours original ou de textualité est ce qui distingue
traditionnellement le discours direct du discours indirect. Or, comme plusieurs auteurs l’on
montré (Authier-Revuz, 2002d, 2004, Mochet, 2003, etc.), le discours direct n’est pas
forcément un discours rendu de manière exacte. Ce qui le définit plutôt est son caractère
autonyme et c’est cet aspect en particulier qui le distingue du discours indirect. En effet, le
discours direct possède les mêmes caractéristiques que les signes autonymes : par son
emploi, ce n’est pas seulement une référence au monde qui est faite, mais également une
référence aux mots. Dans ces cas, on parle du monde, de la chose, du contenu, mais aussi
des mots utilisés pour parler de ce monde. Dans l’exemple (7), le journaliste montre non
seulement ce qui a été dit par l’énonciateur représenté (notamment la situation
humanitaire, les personnes en détresse), mais aussi comment cela a été dit et avec quels
mots cette situation et ces personnes ont été décrites. Cette monstration des mots
n’implique cependant pas nécessairement que ce soient effectivement ces mots-là qui aient
été utilisés par l’énonciateur représenté, même si le discours direct est une forme qui donne
l’illusion de la textualité du discours représenté :
« [Le discours direct est caractérisé par] une forme de représentation d’un
acte de parole autre (comme tout discours rapporté) avec mention de message
(ce qui le caractérise dans le champ du discours rapporté) [il correspond aux]
représentations d’actes de parole [qui incluent] le type ‘avec message
mentionné’, impliquant que dans la représentation, nécessairement
‘incomplète’, qui est donnée de l’acte de parole, figure, spécifiquement, et
détachée, une ‘image du message’ ». (Authier-Revuz, 2003 : 81)
On pourrait se demander pourquoi cette représentation du discours original est
« nécessairement incomplète » en discours direct. En fait, le contenu des mots utilisés par
l’énonciateur représenté ne prend un réel sens que lorsqu’il est reproduit, représenté à
travers le discours de l’énonciateur premier. En effet, on n’a accès au contenu du discours
représenté que par la représentation de ce discours, directe, faite par l’énonciateur premier.
On peut donc dire que ce contenu original ne prend un sens réel que par sa réinterprétation,
sa reproduction dans un nouveau contexte. Ce contexte, puisqu’il est différent de l’original,
va induire un nouveau sens associé au discours qui est représenté. Les mots utilisés pour
affirmer un contenu peuvent, eux, être identiques aux originaux, mais le sens du discours
représenté sera, lui, forcément différent.
Le discours indirect, quant à lui, ne prétend pas reproduire textuellement, fidèlement un
discours original. Au contraire, par l’utilisation d’une subordonnée, il ne se situe pas du côté
de l’autonymisation, mais bien du côté de la paraphrase : l’énonciateur premier reformule,
interprète, résume, voir traduit un discours émis par un énonciateur représenté.
Le discours direct, comme en (8) est donc une forme d’autonymisation alors que le
discours indirect, en (9), est une forme de paraphrase. Ces deux exemples constituent les
48
formes prototypiques des discours représentés, à savoir, pour le discours direct, « verbe de
parole/pensée : ‘discours représenté’ » et pour le discours indirect : verbe de parole/pensée
+ que + discours représenté ». Cependant ces formes ne sont pas les seules que peuvent
prendre les discours direct et indirect. En effet, comme le remarque Authier-Revuz (2004 :
44), le discours direct, par lequel « l’un parle de l’autre en l’affichant localement, comme
autre », peut être identifié par plusieurs moyens, syntaxiques, typographiques, sémantiques,
comme les exemples suivants l’illustrent12 :
10) Il proclame : « je suis heureux ». (surmarquage syntaxique + typographique) 11) Je suis heureux, proclame-t-il. (marquage syntaxique) 12) Il se réjouit. « Je suis heureux ». (marquage typographique + indice sémantique) 13) Il se réjouit. Je suis heureux (interprétatif avec indice sémantique) 14) Il arrive. Je suis heureux. Il repart. (interprétatif, en fonction d’un contexte plus
large)
Ces exemples, caractérisés par des variations syntaxiques, typographiques et sémantiques
illustrent les formes de discours direct qui existent : en (10), 12) et (13) on est en présence
d’un discours direct « normal », que l’on peut caractériser par la structure prototypique
« dire : ‘…’» - bien que les deux points, ainsi que les guillemets ne soient pas obligatoires
comme le montrent les exemples (12) et (13). Lorsque les marques typographiques ne sont
pas présentes, le changement des déictiques (temps, personnes, etc.) est un indice
important pour identifier le discours direct. En (11), le verbe de parole se situe en finale de
l’énoncé : il s’agit d’une incise. Notons que les incises peuvent être finales comme en (11),
ou bien médianes (par ex. : « je suis heureux, proclame-t-il, avant de poursuivre son
chemin »). Enfin, en (14), l’absence de verbe introduisant le discours représenté, associé au
contexte dans lequel l’énoncé est interprété, indique qu’il s’agit d’un discours direct libre.
Dans ce dernier cas, l’identification du discours direct libre est possible lorsque le discours
représenté n’est pas introduit ou suivi par un verbe de pensée/parole, mais qu’il dépend des
opérations métalangagières (prédication, autonymisation) propre à la représentation du
discours autre. Par ailleurs, le discours direct libre, contrairement au discours indirect libre
« (n’)est (que) du DD non-marqué » (Authier-Revuz, 2004 : 42). On peut donc l’identifier en
simulant un verbe de parole dans l’énoncé.
Mais le discours direct n’est pas le seul à pouvoir prendre plusieurs formes. Le discours
indirect, par lequel « l’Un parle de l’Autre en le ramenant à l’Un », c’est-à-dire que les deux
plans de l’énonciation autre, les plans syntaxiques et énonciatifs, sont intégrés à ceux de
12 Les exemples sont tirés de l’article d’Authier-Revuz (2004 : 42).
49
l’énonciation en cours (Authier-Revuz, 2004 : 44), est lui aussi sujet à des variations, comme
l’illustrent les exemples suivants13 :
15) Il a dit qu’il venait ; il a dit s’être trompé. 16) Il a proféré des menaces ; il a posé beaucoup de questions 17) Il a évoqué sa jeunesse 18) il a parlé
En (15), on retrouve les formes classiques du discours indirect avec la structure « dire +
que » ou « dire + infinitif ». Dans ce cas, la paraphrase est utilisée pour donner l’image du
contenu représenté. En (16), ce n’est plus sur le contenu du discours représenté qu’on
insiste, mais plutôt sur l’acte illocutoire (menace, questions) de l’énonciateur représenté : on
ne montre donc pas ce qui a été dit, mais comment cela a été dit. Comment cela a été dit
correspond au type d’acte illocutoire que l’énonciateur représenté a réalisé lorsqu’il s’est
exprimé. En (17), c’est le thème du discours représenté qui est mis en évidence (« la
jeunesse »). Cet exemple est traditionnellement intégré dans ce qui est appelé le discours
narrativisé, mais sa structure correspond en fait à celle du discours indirect : on utilise les
mots de l’autre en les ramenant aux nôtres. Ici, l’énonciateur représenté parle de lui étant
jeune et nous représentons cette parole par le mot jeunesse. Enfin, en (18), on est en
présence d’une évocation, au degré « zéro » d’un discours autre, sans donner aucun
élément d’information sur ce qui a effectivement été dit. Dans ce cas, on parle
traditionnellement aussi de discours narrativisé, voire chez Roulet et al. (2001) de discours
désigné. Cette catégorie comprend aussi bien les formes nominales (par ex. : « paroles »)
que les formes verbales (par ex. « parler »).
Ces variations que peuvent prendre les discours direct et indirect ne sont pas les seules
qui existent. En effet, la description que fait Authier-Revuz de ces deux types de discours
représenté est basée sur des critères de distinction établis en langue. Mais, lorsqu’on se
penche sur les réalisations en discours, on peut rencontrer d’autres formes, qui semblent
mêler aussi bien les critères de définition du discours direct que ceux du discours indirect,
comme dans l’exemple suivant :
19) La figure de proue du MRG a annoncé qu’il y avait « de grandes chances qu’il soit candidat à la mairie »14
13 Les exemples sont tirés de l’article d’Authier-Revuz (2004 : 41).
14 Exemple tiré de l’article d’Authier-Revuz (2004 : 45).
50
Dans cet exemple, on observe la présence d’un verbe de parole suivi de la conjonction
« que » propre au discours indirect, mais aussi des guillemets traditionnellement associés au
discours direct. On pourrait donc penser qu’il y a un brouillage entre ce qui distingue
habituellement ces deux types de discours représenté : il s’agirait alors d’une forme hybride.
Cependant, dans ces cas de figure, on ne peut pas vraiment dire que les traits du discours
direct et ceux du discours indirect sont mêlés puisqu’on observe une cohésion énonciative :
aucune rupture, énonciative ou syntaxique, n’est présente. Ce que l’on observe plutôt est la
combinaison d’une paraphrase discursive avec une autonymisation. Cette combinaison
donne lieu à la forme qu’Authier-Revuz appelle l’îlot textuel, que l’on rencontre très
fréquemment dans la presse écrite15.
Les discours direct et indirect constituent des formes du discours représenté. Mais ces
formes ne sont pas les seules qui intègrent la catégorie de représentation dévoilée du
discours autre : la modalisation autonymique comme discours second et la modalisation du
dire en discours second en font également partie. Voyons à présent quelles sont leurs
principales caractéristiques.
- Modalisation autonymique et modalisation en discours second
Le second type de forme de représentation dévoilée du discours autre est celle que l’on
appelle la modalisation. La modalisation ne relève pas, comme les discours direct et indirect
de l’opération de prédication, par laquelle c’est du dire autre que l’on parle. Au contraire,
avec les formes de modalisation, on ne parle pas du dire autre, mais on parle d’après le dire
autre :
« L’un parle d’après l’autre : c’est la zone, double, de la modalisation du dire
par le discours autre, où l’autre n’est plus ce dont on parle mais ce qui interfère
dans le dire, ce qui l’altère […] en intervenant comme source, soit de ses
prédications […], soit de ses manières de dire […] » (Authier-Revuz, 2004 : 44)
La modalisation comme discours autre correspond donc la présence de l’Autre dans le
discours, mais cet Autre n’est pas ce dont on parle, mais ce avec quoi, d’après quoi on parle.
15 Nous pourrions également décrire le discours indirect libre, si nous voulions être complète dans la
description des formes hybrides. Dans ce dernier cas, l’un parle avec l’autre : les deux énonciations sont mêlées et on n’observe pas de cohésion énonciative. Cependant, le discours indirect libre ne se rencontre que très rarement dans le discours journalistique, et jamais dans notre corpus, raison pour laquelle nous l’écartons de cette description.
51
Cette modalisation peut prendre plusieurs formes : la modalisation du dire comme discours
second ou la modalisation autonymique comme discours second.
Dans le cas de la modalisation du dire comme discours second, l’image du discours autre
passe par la paraphrase : l’énonciateur premier reformule avec ses propres mots un contenu
qu’il veut transmettre et qui a déjà été asserté par un autre énonciateur, comme dans
l’exemple suivant :
20) Selon le porte-parole militaire, ces affrontements représentent les hostilités les plus graves dans cette zone depuis la Conférence sur la paix tenue à Goma, en janvier 2008. [Le Potentiel, 04 septembre 2008]
Dans cet exemple, le contenu informationnel concerne des affrontements et leur gravité. Le
contenu informationnel est asserté par l’énonciateur premier, à savoir le journaliste du
Potentiel. Mais ce contenu provient en fait d’un autre énonciateur (le porte-parole
militaire) : l’énonciateur premier parle d’un contenu d’après ce qu’en a dit un énonciateur
représenté, notamment au moyen de la préposition « selon ». Cette préposition n’est pas le
seul moyen qui puisse être utilisé pour atteindre le même objectif. Ainsi, d’après, pour, il
paraît que, etc. sont autant de moyens qui permettent de modaliser le dire comme discours
second en suivant les théories d’Authier-Revuz. Avec ces derniers, on se rapproche du
champ de l’évidentialité et du domaine de l’ouï-dire, ce que nous présenterons plus loin dans
ce chapitre (point 3).
La seconde forme de modalisation du dire par le discours autre est celle réalisée par la
monstration de mots ou par l’autonymisation : elle est appelée la modalisation autonymique
comme discours second. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’autonymisation consiste à
parler à la fois du monde, du contenu du message et des mots qui sont utilisés pour en
parler : on parle du monde et du signe. Mais, dans le cas des phénomènes de représentation
du discours autre, ce n’est pas des signes que moi, en tant qu’énonciatrice première, utilise,
mais bien de ceux qui ont été utilisés par un tiers, comme dans l’exemple suivant :
21) Des «extrémistes Congolais»! L’expression est lâchée par Kagame. [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Dans cet exemple, le journaliste, l’énonciateur premier, parle d’un contenu informationnel
(l’extrémisme congolais) qui a été traité par un autre énonciateur (Paul Kagamé). En parlant
de ce contenu, l’énonciateur premier montre, doublement, quels signes ont été utilisés par
l’énonciateur représenté : d’abord, par l’usage des guillemets qui mettent en évidence
52
l’emprunt et ensuite, par l’attribution explicite à un autre énonciateur au moyen du
syntagme « l’expression est lâchée par… ». Comme dans cet exemple, les formes en
« comme dit X », « je repends ces mots à X », dixit », ce que X appelle », etc. relèvent aussi
de la zone de la modalisation autonymique comme discours second16.
b) La représentation dissimulée du discours autre
Les formes que nous venons de présenter, à savoir le discours direct, le discours indirect, la
modalisation du dire comme discours second et la modalisation autonymique comme
discours second sont des formes de représentation dévoilée du discours autre : l’acte de
parole autre, ainsi que l’énonciateur autre sont repérables dans la chaîne parlée ou écrite.
Mais il existe d’autres formes de représentation du discours autre où ces actes et ces
énonciateurs sont cachés. Nous parlerons de la représentation dissimulée du discours autre.
Dans ces cas, un énonciateur premier répond à un acte de parole antérieur sans pour autant
le présenter explicitement dans son énonciation. Tel est le cas lorsque l’énonciateur premier
utilise les formes syntaxiques de la concession, du renchérissement, de la négation, de
l’opposition, de l’interrogation, de la focalisation et du conditionnel journalistique.17
- La concession
La concession est une forme dialogique dans laquelle l’énonciateur premier [E1] montre son
accord avec le contenu d’un énoncé qui a été asserté par un autre énonciateur [e1], mais cet
énonciateur n’apparaît pas dans l’énoncé premier. L’accord formulé par l’énonciateur
premier n’est cependant pas total. En effet, ce dernier s’accorde partiellement avec l’énoncé
d’un autre énonciateur et rectifie la conclusion qui pourrait en être déduite :
« Soit la structure prototypique [w, bien sûr x mais y]. Argumentativement,
E1 asserte w, s’accorde temporairement avec l’assertion de x imputée à e1 qui
pourrait venir en contradiction argumentative de w, pour neutraliser par avance
16 Pour plus d’exemples, se référer à Authier-Revuz (2004 : 43) et pour une étude systématique à Authier-
Revuz (1995 : 235-496).
17 Il existe d’autres formes de représentation dissimulée du discours autre. Nous ne les traitons pas car elles
n’apparaissent pas dans notre corpus ou ne sont pas pertinentes eu égard à notre objet d’étude que sont les transformations. Se référer à Bres (1998, 1999) pour plus d’information.
53
la conclusion qui pourrait être tirée de x en lui opposant y. L’énoncé x est
dialogique. E1 en le concédant à e1 le lui attribue ». (Bres, 1999 : 79)18
Prenons un exemple pour illustrer ce propos :
22) Bien sûr, les manifestants de Goma seront blâmés, accusés d’être manipulés : s’en prendre à une force de paix, qui empêche sans doute leur ville de tomber aux mains des groupes rebelles, cela n’est jamais bien vu. Mais on ne peut que comprendre l’exaspération des Congolais devant les incohérences de la Mission des Nations unies au Congo. [Le Soir, 28 octobre 2008]
Dans cet exemple, l’assertion w est implicite. On pourrait la formuler comme suit : « les
Congolais ont raison de s’en prendre à la MONUC ». Cette assertion, dans ce cas implicite,
pourrait être contredite par l’assertion x qui suit le « bien sûr » (« les manifestants de Goma
seront blâmés, etc., DONC ils n’ont pas raison de s’en prendre à une force de la paix, … ») et
qui est imputable à un tiers. Mais puisque l’énonciateur premier n’est pas en accord avec
cette assertion x, il s’y oppose (partiellement, puisqu’il qu’il concède quand même x) en
assertant y, c’est-à-dire la proposition suivant le « Mais » (« on ne peut que comprendre
l’exaspération des Congolais devant les incohérences de la Mission des Nations unies au
Congo »).
Cette forme prototypique de la concession n’est pas la seule que l’on puisse rencontrer.
En effet, le même mécanisme est à l’œuvre avec les « certes, x, y », « bien que x, y »,
« même si x, y », « oui x, y », etc. Toutes ces formes permettent à l’énonciateur premier de
montrer un accord partiel avec le contenu évoqué par un autre énonciateur pour ensuite s’y
opposer. L’opposition au contenu asserté par [e1] n’est pas seulement présente dans les
concessions. Le renchérissement permet lui aussi de montrer une opposition, partielle, de
l’énonciateur premier avec un énonciateur représenté de manière dissimulée.
- Le renchérissement
Le renchérissement est caractérisé par la structure « …non/pas seulement x, (mais aussi) y »
et montre que l’énonciateur premier est d’accord avec l’énoncé x d’un autre énonciateur,
mais qu’il considère que cet énoncé doit être complété par y, c’est-à-dire par sa propre
assertion, comme dans l’exemple suivant :
18 w réfère à une première assertion, x à une seconde et y à une dernière.
54
23) Face à cette grave crise qui menace non seulement la stabilité des institutions démocratiquement élues, mais également la paix dans la sous-région, la réunion s’est attelée à identifier les pistes de solutions immédiates au niveau du gouvernement et de la Communauté internationale en vue de juguler cette crise aux conséquences incalculables. [Le Potentiel, 29 octobre 2008]
Dans cet exemple, l’énonciateur premier parle d’un thème (« cette grave crise menace »)
auquel deux rhèmes sont associés : le premier est celui attribué à un autre énonciateur, soit
x (« la stabilité des institutions démocratiquement élues ») ; le second est celui qu’il
s’attribue à lui-même, soit y (« la paix dans la sous-région »). L’opposition qui est réalisée par
le renchérissement porte non pas sur l’énoncé attribué à [e1], mais sur le « seulement ».
- La négation
Dans le cas de la négation, l’énonciateur premier attribue à un autre énonciateur un énoncé
auquel il s’oppose par la négation :
L’actualisation modale de [E], en tant que affirmation + négation, porte sur
une unité qui a déjà été actualisée et a statut d’énoncé, à savoir [e]. On dira que
l’énonciateur [E1] attribue l’assertion de l’énoncé [e] […] à un autre énonciateur
[e1], et se charge quant à lui de la rejeter par la négation ». (Bres, 2006 : 26)
Il s’agit dans ce cas d’un fonctionnement similaire à la concession, mais qui se situe du côté
du désaccord, contrairement à la concession où l’on observe un accord partiel de
l’énonciateur premier avec l’énonciateur représenté. Dans le cas de la négation,
l’énonciateur premier réfute ce qu’un autre énonciateur a affirmé, comme dans l’exemple
suivant :
24) Au fait, ce n’est pas la RDC qui se sent victime, mais bien le Rwanda qui s’est appuyé sur le prétexte sécuritaire pour déstabiliser toute la région des Grands Lacs avec la complicité de l’Ouganda. [Le Potentiel, 10 septembre 2008]
Dans cet exemple, la négation prend la forme d’un verbe à la forme négative (« ce n’est
pas… »), suivi de l’opposition (c’est-à-dire l’affirmation de l’énonciateur premier), réalisée
par le « mais » : l’énonciateur premier s’oppose explicitement à un énoncé qui a été asserté
par un autre énonciateur et qui correspond au segment « la RDC se sent victime ».
Il est également très fréquent de rencontrer la négation, sans que pour autant
l’opposition ne soit rendue explicite, comme en (25) :
25) Livrant son témoignage à Radiookapi, au sujet de cette [sic] énième affrontement, une personne a déclaré : " la nuit n'a pas été du tout calme pour nous". [L’Observateur, 29 août 2008]
Dans cet exemple, la négation « n’a pas été » implique le désaccord de l’énonciateur premier
avec un dire qui a été asserté par un autre énonciateur. On pourrait remplacer l’énoncé par
55
« je ne pense pas que la nuit a été calme pour nous ». Dans ce dernier cas, la subordonnée
(« la nuit a été calme pour nous ») correspond à l’assertion de l’énonciateur représenté
auquel l’énonciateur premier s’oppose par le modus « je ne pense pas ».
Comme le souligne Bres (1999) dans ses travaux, l’énoncé, l’acte de parole ou
l’énonciateur représentés peuvent être rendus plus ou moins explicitement. Pour nous, ce
rendu, lorsqu’il est explicite, ne correspond pas à une forme de la négation, mais plutôt à
une combinaison de ce procédé de représentation avec des procédés de représentation
dévoilée du discours autre. Ainsi, en (26) et (27)19 :
26) Contrairement à ce qu’il [E1 : Kabbache] écrit, j’affirme qu’aucun de ces six animateurs n’a fait l’objet d’offres supérieures
27) Boris Elstine et ses proches collaborateurs […] en envoyant l’armée en Tchétchénie, ne se sont pas inquiétés du « maintien de l’intégrité de la Fédération de Russie ».
Dans ces exemples, les énonciateurs sont représentés explicitement (Kabbache ; Boris
Elstine). Dans ces cas, ce sont deux phénomènes de représentation qui apparaissent
conjointement dans un même énoncé : En (26), la négation est combinée à une modalisation
du dire comme discours second, alors qu’en (27), c’est à une modalisation autonymique
comme discours second qu’elle est combinée. On constate donc la possibilité de combiner
les formes de représentation entre elles, qu’elles soient dévoilées ou dissimulées.
- L’opposition
Le « mais » dont nous avons parlé dans les concessions, les renchérissements ou les
négations, apparaît également seul, comme élément marquant l’opposition à proprement
parler. Cependant, il ne revêt pas toujours une nuance dialogique. En effet, comme le
montre Bres (1999) on trouve généralement deux types d’opposition : l’opposition
rectificative et l’opposition concessive.
Dans le cas de l’opposition rectificative, on observe la structure « x mais y » où x est un
argument et y la conclusion inverse de celle à laquelle doit logiquement mener x. Tel est le
cas pour l’exemple suivant, tiré de Ducrot (1984 : 230, cité par Bres, 1999 : 80) :
28) Mes skis sont longs, mais ils sont légers
19 Exemples tirés de l’article de Jacques Bres (1999 : 74)
56
Dans cet exemple, x (« mes skis sont longs ») doit normalement amener à la conclusion r
(« donc ils sont lourds »). Cependant, avec l’opposition rectificative, c’est une autre
conclusion, inverse à r qui est présentée, soit y (« ils sont légers »). On voit donc que les
éléments opposés sont y et r. Dans ce cas-ci, aucune nuance dialogique n’est détectable.
Dans le cas de l’opposition concessive en revanche, c’est autant x et y, que y et r qui se
trouvent dans une relation d’opposition :
29) Les grandes réformes ne peuvent réussir qu’en devenant contagieuses. Ce qui, je le reconnais, n’est pas facile. Mais il n’existe pas d’autre voie…20
Dans cet exemple, x (« ce qui n’est pas facile ») est attribué à un énonciateur (dans ce cas-ci
rendu explicitement, mais qui pourrait être supprimé de l’exemple, sans que cela n’affecte le
fait qu’il s’agisse d’une opposition concessive). X est opposé à y (« il n’existe pas d’autre
voie »), c’est-à-dire à l’affirmation inverse de la conclusion attendue attribuée à
l’énonciateur représenté (« je »), soit r (« il faut abandonner les grandes réformes ») auquel
s’oppose également y. C’est dans ces cas que l’on rencontre la valeur dialogique de la
l’opposition.
L’opposition, quelle que soit sa forme (la négation, la concession, le renchérissement, ou
l’opposition à proprement parler) est un mécanisme linguistique souvent dialogique : des
énoncés sont attribués de manière plus ou moins implicite à d’autres énonciateurs. Mais
l’opposition n’est pas le seul mécanisme avec lequel les énoncés sont dialogiques. Voyons
quelques autres types de représentation dissimulée du discours autre qui ont été aussi
décelés dans nos textes.
- La confirmation
Lorsqu’il représente de manière dissimulée un discours autre, l’énonciateur premier ne
rejette pas nécessairement (totalement ou partiellement) l’assertion de l’énonciateur
représenté. En effet, dans certains cas, il est en accord avec elle. On observe ce
fonctionnement avec la confirmation. Sa structure est « y = oui x » où y constitue l’assertion
de l’énonciateur premier qui est d’accord avec celle de l’énonciateur représenté, comme
dans l’exemple suivant :
20 Exemple tiré de Jacques Bres (1999 : 81)
57
30) C’est évidemment une vaste supercherie et une indiscipline caractérisée qui ne sauraient rester sans sanction », a aussitôt réagi, dans un communiqué, le camp favorable à Laurent Nkunda. [Le Soir, 09 janvier 2009]
Dans cet exemple, l’énonciateur premier affirme y (« c’est une vaste supercherie et une
indiscipline qui ne sauraient rester sans sanction »). Cette affirmation a été préalablement
assertée par un autre énonciateur, ce qui est ici marqué par l’adverbe « évidemment ». Cet
adverbe montre qu’un autre énonciateur a dit « ce n’est évidemment pas une vaste
supercherie… ».
- L’interrogation
L’interrogation peut aussi être une forme dialogique par laquelle l’énonciateur premier met
en débat une assertion d’un énonciateur représenté pour ensuite y répondre en présentant
soit sa propre opinion ou bien celles d’autres énonciateurs. Ainsi, dans l’exemple suivant :
31) Amnésiques, ces opposants ? Frappés d’une hémiplégie de la mémoire, selon la formule de Stéphane Courtois, de la mémoire des crimes qu’ils ont combattus ? Sûrement pas.21
Dans cet exemple, l’énonciateur premier attribue, ici de manière explicite, une assertion
(« ces opposants sont amnésiques, frappés d’une hémiplégie de la mémoire ») à un autre
énonciateur (« Stéphane Courtois »). Il met alors cette assertion en débat par l’interrogation
et y répond négativement.
Mais les interrogations prennent souvent des formes nettement plus complexes dans
notre corpus, comme dans l’exemple suivant :
32) Citation : « Kinshasa n'a en revanche pas montré les soldats rwandais qu'elle disait avoir capturés au Congo ». A quoi cela servirait-il ? « La Libre », poursuivant sur sa lancée, nous eût sans doute démontré qu'ils participaient à une innocente excursion touristique ! [Le Phare, 13 novembre 2008]
En (32), l’énonciateur premier, le journaliste du Phare, attribue une assertion (« Kinshasa n’a
en revanche pas montré les soldats qu’elle disait avoir capturés au Congo ») à La Libre
Belgique, ce qui est marqué par le terme « citation », mais aussi par la présence du nom de
21 Exemple tiré de l’article de Jacques Bres (1998 : 199)
58
journal « La Libre » au sein de l’énoncé. Cependant, il ne met pas cette assertion en débat en
la présentant sous la forme interrogative, comme en (31), mais en y adjoignant une question
rhétorique (« A quoi cela servirait-il ? »). La réponse implicite de l’énonciateur premier
concernant cette interrogation est négative et décelable via deux mécanismes : d’abord,
l’usage de certains lexèmes, dans l’interrogation, qu’il faut interpréter contextuellement (« A
quoi cela servirait-il » induit ici que « cela ne servirait à rien »). Ensuite, par l’énoncé suivant
l’interrogation (« ‘La Libre’, poursuivant sur sa lancée, nous eût sans doute démontré qu'ils
participaient à une innocente excursion touristique ! »), qu’on peut interpréter comme de
l’ironie montrant la distance, le refus que l’énonciateur premier manifeste vis-à-vis de
l’assertion de La Libre.
Notons pour finir que l’interrogation se rencontre très souvent dans notre corpus avec la
présence explicite de l’énonciateur qui est responsable de l’assertion qui est mise en débat.
Cependant, nous intégrons ce mécanisme dans les phénomènes de représentation
dissimulée du discours autre car ce procédé peut être utilisé sans que pour autant un
énonciateur représenté ne soit explicitement formulé. Il s’agit donc, selon nous, d’une
combinaison de plusieurs procédés de représentation du discours autre qui fonctionnent
conjointement lorsque l’énonciateur représenté est explicitement formulé dans les énoncés
interrogatifs. En (31), on combine la modalisation du dire comme discours second à
l’interrogation, alors qu’en (32), c’est le discours direct qui est combiné à l’interrogation. Ce
n’est donc pas l’interrogation en soi qui rend l’énonciateur représenté explicite, mais les
formes de représentation du discours qui lui sont associées.
- Le conditionnel journalistique
Le conditionnel est un temps verbal qui peut revêtir une valeur dialogique lorsque, par son
utilisation, une autre voix se fait entendre dans l’énoncé premier :
« Le conditionnel dédouble l’instance énonciative en e1 à qui est attribué
l’assertion [x] et E1 qui, du fait du conditionnel, est présenté comme citant cette
assertion mais ne se prononçant pas sur sa valeur de vérité, ce qui peut
produire des effets de sens variés selon le co(n)-texte : simple suspension de la
validation, doute, rejet. » (Bres, 1999 : 73)
On parle de conditionnel journalistique lorsque le conditionnel revêt cette valeur
dialogique : l’énonciateur premier montre qu’un segment de son discours appartient, est
emprunté à un autre énonciateur, et qu’il ne le prend pas en charge, ne se prononce pas sur
sa valeur de vérité car son contenu n’a pas pu être confirmé :
« Il est, par ailleurs, intéressant de constater que le recours à l’emploi du
conditionnel pour rapporter des informations non encore confirmées semble
59
constituer, de l’aveu des journalistes eux-mêmes, une précaution
déontologiques [sic] de rigueur » (Haillet, 1995 : 12)
Le conditionnel journalistique, très fréquent dans la presse écrite, est donc un moyen pour
l’énonciateur premier de montrer que l’information reprise à un tiers n’est pas confirmée,
de la même manière que cela se fait avec les « il paraît que », « on raconte que », etc. De ce
fait, une distance est prise par rapport au contenu relaté. Comparons les deux énoncés
suivants :
33) - Texte source : Au moins 271 personnes ont été tuées depuis le 25 décembre 2008 dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) par les rebelles ougandais de l'Armée de résistance du seigneur (LRA), qui ont de leur côté subi « de lourdes pertes » et se dirigeraient vers le Centrafrique, selon les autorités locales congolaises. [Le Monde, 04 janvier 2009]
34) - Texte cible : 271 personnes auraient été tuées depuis le 25 décembre en République démocratique du Congo par les hommes de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA en anglais), un groupe venu d’Ouganda et en route pour la République centrafricaine. [Le Potentiel, 07 janvier 2009]
En (33), le journaliste du Monde relate un contenu informationnel (des tueries en RDC) qu’il
présente comme vrai, ce qui est vu par l’utilisation de l’indicatif (« ont été tuées »). La
présence d’une modalisation finale (« selon les autorités locales congolais ») peut porter soit
sur l’ensemble du contenu informationnel, soit sur l’îlot textuel qui la précède (« de lourdes
pertes »). Si elle porte sur l’ensemble du contenu, on peut considérer que le journaliste a
emprunté l’information à un énonciateur qu’il nomme de manière vague ( « les autorités
locales ») et qu’il estime que l’information doit être considérée comme vraie. En (34), ce
n’est plus l’indicatif qui est utilisé, mais le conditionnel. On n’observe pas dans ce cas la
présence d’autres sources d’information et on peut en déduire que le journaliste utilise le
conditionnel pour montrer qu’il a emprunté l’information à une autre source, mais qu’il n’est
pas certain de sa valeur de vérité.
c) Conclusion
La conception du dialogisme de Bakhtine, par laquelle tout énoncé est nécessairement
traversé par d’autres énoncés a trouvé un écho dans les théories récentes sur les
phénomènes de représentation du discours autre. En considérant que l’hétérogénéité
constitutive pouvait trouver une sorte d’équivalent marqué linguistiquement, des formes
d’hétérogénéité montrée ont pu être appréhendées. L’hétérogénéité montrée, qui
correspond à la présence marquée d’un Autre dans le discours, qu’il soit ou non présenté de
manière explicite dans les énoncés, consiste à nier l’Autre constitutif en l’affirmant comme
l’Un : en montrant d’autres discours dans son propre discours, le sujet parlant s’affirme
comme unifié. La possibilité de montrer d’autres discours est rendue possible par le
métalangage, c’est-à-dire la possibilité que nous offre le langage de nous exprimer sur ce
dernier. Dans ce champ, quatre opérations permettent de distinguer une des formes de
60
l’hétérogénéité montrée, à savoir la représentation dévoilée du discours autre. Avec elle,
l’énonciateur responsable du discours en cours, du discours premier, intègre dans sa propre
parole celle d’un autre énonciateur en décidant de parler de cette parole (discours
représenté) ou d’après cette parole (modalisations). Mais cette manière d’agir, de parler
avec un autre discours n’est pas la seule dont il dispose : il peut en outre répondre à cette
autre parole, en la rejetant (totalement ou partiellement) dans les cas de la concession, le
renchérissement, la négation ou l’opposition ; en la confirmant, dans le cas de la
confirmation ; en la mettant en débat, dans le cas de l’interrogation, ou en la présentant
comme possible, dans le cas du conditionnel. L’on est alors dans des cas de représentation
dissimulée du discours autre.
3. Evidentialité : notion, types et marqueurs évidentiels
C’est au milieu des années 80 que les linguistiques ont montré leur intérêt croissant pour la
notion d’évidentialité, intérêt qui n’a cessé d’augmenter depuis lors (Gívon : 1982 ; Chafe :
1986 ; Willet : 1988 ; Dendale et Tasmowski : 1994, De Lancey : 1997 ; Dendale et
Tamwoski : 2001 Aikhenvald : 2003 ; Aikhenvald : 2004). Deux approches, comme le suggère
Chafe (1986), peuvent être distinguées :
D’un côté, les linguistes focalisent leur attention sur le mode d’accès à l’information :
comment l’énonciateur d’un énoncé met-il en évidence la manière dont il a accédé à
l’information ? Comment l’énonciateur sait ce qu’il énonce ? Les unités linguistiques mettant
en évidence ce mode d’accès à l’information sont-elles morphologiques ou lexicales ? Ces
questions, propres à la première approche, portent donc sur ce que l’on nomme
communément la source du savoir, marquée dans le discours par les unités linguistiques
appelées les évidentiels :
« In a narrow definition, ‘evidentials express the kinds of evidence a
person has for making factual claims’ (Anderson 1986: 273). Included are
the linguistic forms that the speaker’s/writer’s basis of knowledge as
something seen, heard, inferred or told […]. Often, such research regards
only grammaticalized as evidentiality […], in particular evidential
morphemes.” (Bednarek, 2006: 637)
Les morphèmes évidentiels donnent des informations sur le mode d’accès à l’information.
Un exemple de langue utilisant ce système morphologique est le Tuyuca dans lequel le
locuteur doit, dans une assertion, ajouter une particule au verbe, afin de préciser s’il a
entendu dire X, s’il a vu X, s’il infère X.
Ce phénomène morphologique n’est pourtant pas possible dans toutes les langues. Le
français entre autres, ne dispose pas de tels morphèmes. D’autres moyens sont cependant à
61
sa disposition pour réaliser la même tâche. Tel est le cas des unités lexicales, comme dans
l’exemple forgé qui suit
35) Le vélo de Marie est devant l’université. Elle doit être là.
Dans cet exemple, le verbe modal français devoir + infinitif permet à l’énonciateur premier
de montrer que son assertion (« Elle est là ») découle d’un processus inférentiel à partir de
facteurs externes (« le vélo de Marie est devant l’université »).
Cette première approche touche donc aux unités linguistiques, morphologiques ou lexicales,
soulignant le mode d’accès à l’information.
La seconde approche de l’évidentialité consiste à décrire les attitudes du locuteur vis-à-vis
de l’information assertée. Les modalités du doute, de la certitude, de la fiabilité, etc. sont
alors au centre des études, ce que Kroning (2003), qualifie de modalités épistémiques, en
opposition à l’évidentialité « pure » (le mode d’accès) :
« In this approach, evidentiality, or epistemological, as Mushin (2001) calls it, involves various ‘attitudes towards knowledge’ (Chafe 1986: 262), and evidence is only one of the epistemological considerations that are linguistically encoded (Chafe 1986: 262). Evidentiality in this sense is concerned with matters of truth, certainty, doubt, reliability, authority, confidence, personal experience, validity, inference, reporting, factual and imaginative stance, evidence, confirmation, surprise and expectedness [...].” [Bednarek, 2006: 637]
Par l’usage des évidentiels, le locuteur signale donc à l’interlocuteur des informations qu’il
est ensuite apte à juger par lui-même, ce que Dendale a aussi mis en évidence en affirmant :
En signalant dans l’énoncé la façon dont il a obtenu l’information qui y est transmise, le locuteur offre à son interlocuteur la possibilité d’évaluer lui-même le bien-fondé ou la fiabilité de cette information et d’en comparer la fiabilité avec celle d’autres informations sur le même sujet. » (Dendale, 1994 : 4)
Les auteurs qui s’intéressent à cette notion expliquent comment il est possible d’évaluer
la fiabilité d’une information assertée dans un énoncé en se penchant sur la manière dont
l’énonciateur a eu accès à cette information. Parce que l’un des modes d’accès à
l’information est l’emprunt de l’information à un autre énonciateur, il est évident que de
telles études sont pertinentes dans l’examen des phénomènes de représentation du discours
autre.
62
Dans cette section, nous souhaitons présenter quelques facettes des études portant sur
l‘évidentialité : en partant de la description de cette notion (3.1), nous rappelons que les
modes d’accès à l’information peuvent être de trois types : l’inférence, la perception et
l’emprunt (3.2.) : l’énonciateur, en s’exprimant, donne des indices à son interlocuteur sur la
manière dont il a obtenu l’information. Ces indices, ou ces traces linguistiques sont ce que
l’on appelle les marqueurs évidentiels, que nous illustrerons dans la dernière partie de cette
section (3.3.)
3.1. La notion d’évidentialité
L’évidentialité est une notion qui rend compte entre autres de la manière dont un
énonciateur a accès à l’information qu’il asserte dans son énoncé. En s’exprimant,
l’énonciateur a en effet la possibilité de montrer comment il a obtenu l’information assertée.
On parle de mode d’accès à l’information pour évoquer la manière dont un énonciateur a
obtenu cette information. En français, ce dernier peut être de trois types : la perception,
l’emprunt ou l’inférence (dans laquelle nous regroupons la présomption).
Ces trois modes d’accès à l’information ne sont cependant pas les seuls qui existent. En
effet, dans d’autres langues que le français, les énonciateurs disposent de moyens
morphologiques très développés pour rendre compte de leur mode d’accès à l’information.
Le terme evidentiality, introduit par Franz Boas en 1911, a d’ailleurs été utilisé la première
fois pour décrire des suffixes remplissant la fonction évidentielle dans la langue des
Kwakiutl, un peuple amérindien. De là, de nombreuses études ont été réalisées sur des
langues similaires possédant les mêmes caractéristiques morphologiques. Dendale et
Tasmowski (1994 : 4), s’appuyant sur Palmer (1986 : 67) illustrent, comme d’autres, ces
systèmes à l’aide du tuyuca, une langue parlée en Colombie et au Brésil qui distingue les
énoncés suivants :
36) Díiga apé-wi (Je l’ai vu jouer) 37) Díiga apé-ti (Je l’ai entendu jouer, mais je ne l’ai pas vu jouer) 38) Díiga apé-yi (J’ai eu des indications qu’il a joué : les empreintes de ses chaussures
sur le terrain de jeu, mais je ne l’ai pas vu jouer) 39) Díiga apé-yigi (J’ai obtenu cette information de quelqu’un d’autre) 40) Díiga apé-hiyi (Il est raisonnable de supposer qu’il a joué) »
Dans ces énoncés, un même contenu informationnel est asserté (« il joue »). Cependant, on
observe une différence dans les suffixes utilisés pour montrer comment l’énonciateur a
obtenu l’information qu’il asserte (« wi », « ti », « yi », « yigi », « hiyi »). Ses cinq suffixes
peuvent être regroupés en trois grandes classes : le sensoriel (perception, ouïe), l’emprunt et
l’inférence. Ces classes correspondent à celles que l’on peut retrouver en français, bien que
ce ne soit généralement pas au moyen des suffixes qu’elles apparaissent dans cette langue.
63
Lorsqu’elle est marquée en français, l’évidentialité permet à l’interlocuteur de juger de la
fiabilité du contenu asserté :
« Quel est le but ou la raison d’être du marquage de la source du savoir ? on
trouve à cette question un début de réponse dans la définition des marqueurs
évidentiels que donne Hoff (1986 : 49) : ‘Un marqueur évidentiel signale de quel
type d’indices on dispose quant à la fiabilité de l’énoncé dans lequel ce
marqueur est utilisé […]22’ En signalant dans l’énoncé la façon dont il a obtenu
l’information qui y est transmise, le locuteur offre à son interlocuteur la
possibilité d’évaluer lui-même le bien-fondé ou la fiabilité de cette information
et d’en comparer la fiabilité avec celles d’autres informations sur le même
sujet. » (Dendale et Tasmowski, 1994 : 4)
On comprend dès lors l’importance de l’analyse d’un tel phénomène dans l’examen des
transformations de sens qui apparaissent dans la presse : en modifiant un marqueur
évidentiel, les journalistes sont également en mesure de transformer le jugement du lecteur
quant à la fiabilité des informations qui lui sont transmises.
3.2. Les types de modes d’accès évidentiels en français
L’évidentialité peut être décrite comme un domaine conceptuel dans lequel sont présents
tous les aspects qui touchent à l’accès à l’information. On parle alors d’espace ou de
domaine épistémique, qui regroupe d’une part, l’évidentialité et d’autre part, la modalité.
Dans le cas de l’évidentialité, l’accès à l’information peut être de deux types : l’accès direct
et l’accès indirect (Willet, 1988).
Dans la catégorie de l’accès direct à l’information, « l’énonciateur a observé le fait
directement, par expérience visuelle [ou] l’énonciateur a observé le fait directement, mais
non par expérience visuelle, [mais par d’autres sens, comme l’ouïe ou l’odorat] » (Scripnic,
2009 : 1). Il s’agit alors de l’accès par la perception, comme dans l’exemple suivant23 :
41) Le professeur Leclerc est à l’université, j’ai vu (oral)
22 Nous suivons Dendale et Tasmowski (1994) sur la distinction entre évidentialité pure d’une part,
marquant l’obtention de l’information, et la modalité d’autre part, marquant l’attitude épistémique du locuteur.
23 Exemple tiré de Dendale et Tasmowski (1994 : 5)
64
Dans cet exemple, la présence du verbe de perception « voir » permet à l’énonciateur de
montrer qu’il a obtenu l’information directement, par perception et qu’elle peut donc être
considérée comme fiable.
Dans la catégorie du mode d’accès indirect, une distance temporelle et spatiale de
l’énonciateur avec le fait asserté l’empêche d’avoir observé directement le fait :
[…] à ce point, les études semblent consacrer trois possibilités qui traduisent
la perception indirecte (il [l’énonciateur] n’a pas observé directement la
situation S) : 1) l’énonciateur fait l’expérience directe d’une situation S’ qui lui
permet un processus inférentiel par lequel il aboutit à la situation initiale S
(valeur inférentielle) ; 2) il sait quelque chose qui lui suggère que la situation S
envisagée est probable (valeur présomptive) ; 3) il acquiert l’information
concernant S d’une autre personne (valeur rapportée). » (Scripnic, 2009 : 2)
Prenons des exemples24 pour illustrer ce propos :
42) Le professeur Leclerc doit être à l’université, car j’ai vu sa voiture au parking 43) Peut-être que le professeur Leclerc est très occupé, car il ne répond pas au
téléphone 44) Le professeur Leclerc serait à l’université
En (42), l’énonciateur réalise une inférence : le fait de voir la voiture du professeur dans le
parking le conduit à déduire que ce dernier est à l’université et il marque cette inférence au
moyen du verbe « devoir ». En (43), on trouve le cas de la valeur présomptive : l’énonciateur
déduit que le professeur est très occupé du fait qu’il ne répond pas au téléphone. Mais
contrairement à l’inférence, la déduction est une possibilité parmi d’autres. On aurait pu
trouver une autre hypothèse à la place de celle que l’énonciateur présente (« Peut-être que
le professeur Leclerc est absent/a un casque sur les oreilles », etc.). Enfin, en (44), le
conditionnel marque que l’énonciateur a entendu dire que le professeur Leclerc était à
l’université. Dans ce cas, l’information est reprise à un autre énonciateur. On comprend dès
lors le lien qui unit la représentation du discours autre et l’évidentialité : un énonciateur
peut montrer au moyen du mode d’accès à l’information, à savoir par l’emprunt, qu’il a
obtenu l’information via un autre énonciateur et cette obtention peut être marquée au
moyen des mécanismes de représentation du discours autre.
24 Les exemples (42) et (43) proviennent de Dendale et Tasmowski (1994 : 5). L’exemple (44) est un exemple
forgé.
65
La manière dont un énonciateur a accès à l’information qu’il asserte dans son énoncé peut,
en conclusion, être schématisée comme suit :
Directement Perception Visuelle
Auditive
Olfactive
Indirectement inférence Inférence réelle
Présomption
Emprunt Source connue
Source vague
Voyons à présent quels sont les marqueurs que l’on peut rencontrer en français pour
manifester ces divers modes d’accès à l’information.
3.3. Les marqueurs évidentiels
Les marqueurs évidentiels en français diffèrent en fonction du mode d’accès à
l’information25. Nous présentons, sans désir d’exhaustivité, quelques marqueurs que l’on
peut rencontrer, pour donner une idée du fonctionnement du marquage évidentiel en
français. Dans cette langue, le marquage évidentiel n’est pas obligatoire et peut se réaliser à
travers le système morphologique, modal, propositionnel, pragmatique ou typographique.
Nous ne regrouperons cependant pas les marqueurs selon le système duquel ils
proviennent, mais selon le mode d’accès qu’ils véhiculent.
Pour la perception, les marqueurs évidentiels que l’on rencontre le plus fréquemment
sont de deux types : les verbes de perception d’une part, et certains adverbes dont le
sémantisme a trait à la perception. Ainsi, les verbes voir, entendre et sentir sont les verbes
25 Notons que cette affirmation doit être nuancée : certains marqueurs évidentiels n’apparaissent que dans
une catégorie de mode d’accès à l’information, alors que d’autres peuvent en intégrer plusieurs, en fonction de leurs emplois.
66
prototypiques marquant la perception. Mais d’autres verbes, comme sembler, paraître
peuvent aussi revêtir cette fonction de marquer l’accès à l’information par la perception,
comme leurs dérivés sémantiques. Les verbes ne sont pourtant pas les seuls à marquer la
perception. On trouve aussi régulièrement des adverbes et des noms. Ainsi, les adverbes
visiblement, apparemment, évidemment, etc. ou des noms comme témoin, interlocuteur,
récepteur, etc. marquent eux aussi ce mode d’accès à l’information. Le point commun entre
tous ces marqueurs est qu’ils ont pour « but de prouver que le locuteur a acquis
l’information par expérience visuelle, » ou sensorielle (Scripnic, 2009 : 3).
L’inférence et la présomption sont deux modes d’accès à l’information qui découlent d’un
processus de raisonnement logique, raison pour laquelle nous les traitons conjointement.
Elles se distinguent néanmoins par le fait que la présomption offre une pluralité de
déductions possibles, alors que l’inférence n’en implique qu’une seule. Ainsi, pour la
présomption, on rencontre souvent des adverbes tels sans doute, probablement, ou des
locutions adverbiales telles que il est possible que, il est raisonnable de dire, peut-être que,
etc., mais aussi des verbes tels que pouvoir. L’inférence quant à elle, est souvent marquée
par des verbes, comme devoir, supposer, sembler, etc. On rencontre également des temps
verbaux, comme le futur épistémique, quelque peu désuet en français (comme dans
« Pourquoi donc a-t-on sonné la cloche des morts ? Ah ! mon Dieu, ce sera pour Madame
Rousseau. (Proust, cité par Rocci, 2000 : 243) ou le futur antérieur, plus fréquent (comme
dans « Louis est en retard, il aura manqué son train », Rocci : 2000 : 241), voire le
conditionnel dans les questions (comme dans « personne ne répond au téléphone. Serait-il
parti ? ») De même, marquent également l’inférence comme mode d’accès à l’information
des adverbes comme apparemment, vraisemblablement, visiblement etc.
Pour le mode d’accès à l’information par l’emprunt, phénomène qui rejoint les notions de
représentation dévoilée et dissimulée du discours autre, on retrouve donc tous les
phénomènes de représentation dévoilée du discours autre (discours direct, indirect et
modalisations), mais aussi ceux de représentation dissimulée du discours autre ( concession,
renchérissement, négation, opposition, confirmation, interrogation, conditionnel
journalistique).
67
Chapitre III Corpus étudié : choix de l’événement et
contenu informationnel des textes
68
Dans ce chapitre, nous décrirons le corpus récolté pour réaliser notre étude. Dans une
première section, nous exposerons les raisons de la sélection de l’événement sur lequel
portent les textes de notre corpus : les combats qui se sont déroulés dans les provinces du
Kivu en République démocratique du Congo (RDC). Cet événement, politico-militaire, a été
médiatisé dans la presse écrite francophone. Le second point de cette section présente donc
les journaux dans lesquels les textes étudiés ont été publiés. Nous présenterons aussi, pour
terminer cette section, la méthode de récolte des textes et la répartition de leur nombre.
Dans une seconde section, l’événement étudié sera décrit en détail. Nous commencerons
par le situer géographiquement et historiquement, en présentant le pays dans lequel il a eu
lieu et en mettant en exergue quelques moments historiques qui ont eu un impact sur la
manière dont nous avons interprété les résultats de nos analyses. Ensuite, nous dégagerons
les différentes phases de l’événement étudié et nous aborderons les raisons officielles des
combats. Pour terminer ce chapitre, nous porterons notre attention sur les divers acteurs de
l’événement étudié. Ceux-ci correspondent aux énonciateurs représentés dans les textes
étudiés.
1. Choix de l’événement : les combats de 2008 au Nord-Kivu
Les données sur lesquelles nous travaillons sont issues de la presse écrite francophone
occidentale, plus particulièrement européenne (Le Soir, La Libre Belgique, Le Monde, Le
Figaro, Libération) et de la presse écrite francophone congolaise (Le Phare, L’Observateur, Le
Potentiel)26. Nous exposons dans cette section les raisons pour lesquelles l’événement
étudié a été sélectionné, les journaux desquels proviennent les textes étudiés ainsi que la
manière dont ils ont été récoltés et les périodes qu’ils couvrent.
1.1. Raisons de la sélection du conflit de 2008 au Nord-Kivu comme
événement étudié
Le choix de l’événement étudié s’est porté sur le conflit qui a eu lieu dans les provinces du
Kivu à l’Est de la République démocratique du Congo entre août 2008 et janvier 2009 durant
lequel plusieurs groupes armés se sont affrontés27. Ce conflit a été relaté entre autres par
26 Ces données ont été récoltées par une doctorante, Liesbeth Michiels, lors de son projet de recherche à
l’Université d’Anvers.
27 Il s’agit du Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP), des Forces Armées de la RDC (FARDC), des
Maï-Maï (terme utilisé pour les milices de défense locales), des Forces démocratiques pour la Libération du
69
des médias belges, français et congolais. Ce suivi médiatique, qui a été réalisé tant en France
et en Belgique qu’en RDC, a quelque peu différé d’un pays à l’autre en raison de
l’éloignement ou de la proximité des journaux avec l’événement relaté : s’il est évident que
les journaux congolais évoquent sans cesse les conflits qui ont lieu dans leur pays, les
journaux européens, en revanche, les médiatisent plus lorsqu’ils éclatent, c’est-à-dire à leur
début, ou lorsqu’ils ont un impact sur les régions dont ils font partie. Les raisons pour
lesquelles ce conflit a été sélectionné ont d’ailleurs été précisées comme suit28 :
« En tant que conflit ‘oublié’, la guerre aux Kivus [sic] n’attire que rarement
l’attention des médias occidentaux, malgré ses dimensions énormes, surtout au
niveau humanitaire. Aussi nous paraît-il intéressant d’étudier comment
différents journaux occidentaux réintroduisent le conflit comme sujet dans leurs
publications quand la violence, qui n’a toutefois jamais été absente dans la
région, se déchaîne soudainement à nouveau et devient l’objet d’une période
de reportage intense. D’autre part, afin de confronter les interprétations
« occidentales » au point de vue « local », nous analyserons comment la guerre
est représentée dans la presse écrite à l’intérieur de la RDC même. Nous
comparerons donc la couverture de la crise telle qu’elle est vue de l’intérieur du
pays avec les publications sur le sujet venant de l’extérieur. » (Liesbeth Michiels,
IPrA document, 2009 : 229)
Ce conflit, opposant divers groupes armés, a donc été sélectionné en raison de sa
soudaine médiatisation, médiatisation divergeant d’un pays et d’un journal à l’autre. Cette
divergence nous a conduite à penser que les phénomènes de représentations dévoilée et
dissimulée du discours autre pourraient avoir subi des transformations (chapitre IV lors du
cheminement de l’information à partir de la RDC vers l’Europe30. Chaque fois que nous
Rwanda (FDLR) et de la Mission des Nations Unies au Congo (MONUC). Nous les décrivons en détail dans la section suivante.
28 Etant donné que nous n’avons pas récolté nous-même les textes, nous présentons ici les raisons avancées
par Liesbeth Michiels, qui travaillait sur le même projet, pour justifier son choix.
29 Ce document était une première version des recherches de Liesbeth Michiels et il n’a jamais été publié.
30 Le cheminement de l’information de la RDC vers l’Europe est une de nos hypothèses émise à priori.
70
constations de telles transformations, nous pouvions alors nous interroger sur leurs
fonctions, avec des questions du type :
1) Pourquoi un journaliste transforme-t-il l’information provenant d’un autre texte ?
2) Son jugement sur les faits diffère-t-il de celui qui était présenté par un autre
journaliste ? Si oui, peut-on l’expliquer par le contexte social dans lequel l’événement
a lieu ? Si non, y-a-t-il d’autres explications à ces transformations ? (changement de
genre textuel, style d’écriture propre à un auteur, à un journal ? etc.)
La récolte de différents journaux relatant un seul et même événement nous a aussi offert la
possibilité d’observer des différences présentes synchroniquement entre ces journaux et/ou
textes. Autant dire que ce type de données nous permettait aussi de réaliser une étude
portant sur la façon dont les paramètres énonciatifs apparaissent de manière spécifique
dans chaque journal, et par voie de conséquence, dans chaque pays étudié.
Enfin, en récoltant des textes publiés dans des pays différents, nous pouvions également
nous interroger sur la manière dont l’information circule. Notre hypothèse de travail de
départ, selon laquelle l’information concernant un contenu informationnel congolais était
d’abord publiée en RDC avant de l’être en Europe, pouvait dès lors être vérifiée.
1.2. Récolte de données médiatiques et textuelles : présentation
des journaux
Le choix des journaux européens s’est porté sur la presse dite de qualité : ont été
sélectionnés pour la France, les journaux Le Monde (LM), Le Figaro (LF) et Libération (LI) et
pour la Belgique, les journaux Le Soir (LS) et La Libre Belgique (LIB). En RDC, le choix des
journaux a, en revanche, principalement été guidé par leur disponibilité et leur diffusion
puisque la RDC est un pays en voie de développement, tout comme le sont ses institutions
médiatiques. L’examen de ces deux facteurs de disponibilité et de diffusion a mené à la
sélection du Phare (PH), de L’Observateur (OBS), et du Potentiel (LP), tous publiés dans
capitale de la RDC, Kinshasa. Pour ces derniers journaux, seuls les textes en français
effectivement publiés en version papier31 ont été retenus.
31 Le corpus de départ, récolté par Liesbeth Michiels, comporte uniquement des versions papier.
Cependant, nous verrons dans le quatrième chapitre que l’examen des liens intertextuels nous a parfois obligée à recourir à des textes publiés en ligne.
71
1.2.1. Les journaux belges Le Soir et La Libre Belgique
Le premier journal ici décrit est le journal belge Le Soir. Le Soir est un quotidien belge fondé
en 1887 par Emile Rossel, qui se veut progressiste et indépendant et ne se situe ni à droite,
ni à gauche. A sa création, ce journal gratuit pour les habitants des rez-de-chaussée de
Bruxelles se dit neutre et ne souhaite pas prendre position dans les querelles qui secouent la
société. Lorsque Lucien Fuss devient directeur du journal en 1935, à la suite de la mort du fils
d’Emile Rossel (Victor), ce journal prend quand même parti dans l’affaire Degrelle. Dans
cette affaire, Léon Degrelle, membre du parti rexiste32, veut pouvoir publier ses écrits dans
une rubrique du journal consacrée aux écrits des politiciens. Ce souhait lui étant refusé, il
entame des discussions qui aboutissent à une querelle entre les membres du rexisme et
ceux du journal. Lors de cette querelle, Le Soir prend clairement position pour l’adversaire
de Degrelle, Paul Van Zeeland (situé plus à gauche), en publiant quotidiennement un article
exposant les torts de Degrelle. A la mort de Fuss, en 1946, c’est Marie-Thérèse Rossel, la fille
du fondateur du Soir qui reprend la direction du journal. Elle se retire en 1969 et Jean
Corvilain lui succède. Même si certains membres du conseil d’administration, comme Robert
Hersant en 1983, ont tenté de devenir les actionnaires principaux du journal, c’est la famille
Rossel qui en est toujours restée propriétaire. Ce journal, l’un des plus lus en Belgique, était
tiré à environ 89.000 exemplaires quotidiens en 2008. De nos jours, il constitue encore un
medium informationnel plus que répandu. Son impression se fait le jour J entre 22h00 et
02h00 du matin avant que les camions le délivrant se dirigent vers les librairies dès 3h du
matin. Lorsqu’un texte publié en version papier indique une date de publication, le contenu
qui est relaté dans le texte évoque un événement rédigé la veille33.
Un second journal très lu en Belgique et sélectionné pour notre étude est La Libre
Belgique. Ce quotidien belge, fondé en 1884 par les frères Louis et Victor Jourdain sous le
nom de Patriote, s’est longtemps situé du côté des tendances conservatrices et catholiques.
A l’origine en effet, il est créé pour faciliter l’accès au pouvoir du parti catholique. Devenu La
Libre Belgique durant la première guerre mondiale, pour continuer à être édité
clandestinement, c’est seulement en 1999 qu’il s’ouvre à d’autres horizons politiques. En
2008, son directeur est François Le Hodey et le journal appartient au groupe de presse IPMsa
(Société Anonyme d’Information et de Production Multimédia). Son tirage est d’environ
44.000 exemplaires quotidiens en 2008. Ce journal est bouclé la veille de sa publication
32 Le rexisme est un mouvement politique d’extrême droite dans les années 30-40 en Belgique.
33 Nous remercions Anne Thomaes, du Service MultiMedia du Soir, pour ses réponses à nos questions.
72
entre 22h00 et minuit. Il est imprimé dans la nuit et distribué à l’aube : la date indiquée dans
les textes est la date de publication et non celle de l’impression34. Voyons maintenant plus
en détail le fonctionnement des journaux français sélectionnés pour notre recherche.
1.2.2. Les journaux français Le Monde, Le Figaro et Libération
Le Monde est un quotidien français, fondé en 1944 par Hubert Beuve-Mery. Les tendances
de ce journal sont plutôt gauchistes au début. De 1994 à 2007, c’est Jean-Marie Colombani,
un journaliste et essayiste français, qui en est le directeur. Ce dernier appelle la population à
voter pour Ségolène Royal lors des élections présidentielles de 2007, ce qui confirme que le
journal reste orienté vers des idées de gauche. Pierre Jeantet qui, suite à des questions
financières polémiques au sein du journal, démissionne en 2007, remplace brièvement
Colombani durant cette année. La direction du journal est alors reprise par Eric Fottorino.
Notons aussi que Le Monde a été plus d’une fois critiqué pour sa neutralité, notamment par
d’anciens journalistes (Daniel Sneidermann, Alain Rollat, etc.) qui lui reprochent d’accorder
trop d’importance à l’argent : selon eux, le journal ne prendrait pas assez position dans
certaines affaires pour garder un vaste lectorat. Le tirage du Monde est d’environ 340.000
exemplaires quotidiens en 2008. Le fonctionnement du Monde est quelque peu différent de
ceux des autres journaux : à 06h30 du matin, les dernières rédactions prennent fin et le
bouclage est réalisé à 10h30 du matin. Le journal est ensuite imprimé et distribué dans les
kiosques pour être vendus le lendemain. La date présente dans les textes est celle du jour de
publication des textes qui comportent des événements qui ont été relatés la veille35.
Le Figaro est un quotidien français fondé en 1826 par Maurice Alhoy, un chansonnier, et
Etienne Arago, un homme politique français. Il s’agit au départ d’un petit journal satirique de
4 pages, s’opposant aux royalistes. Il est considéré comme ayant des tendances libérales.
C’est sous l’impulsion d’Hippolyte de Villemessant que le journal paraît quotidiennement en
1854. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, le journal est marqué d’un esprit très mondain et
littéraire, notamment avec des auteurs comme Emile Zola ou France Anatole qui rédigent
des articles de critique littéraire. Il faut attendre 1929 pour que la politique devienne le sujet
principal de ce quotidien, racheté alors par François Coty, qui est chassé du journal en 1934
pour ses principes antipopulistes et antiparlementaires. Dirigé ensuite par Lucien Romier,
son ton devient plus modéré et libéral. En 1975, le journal est racheté par Robert Hersant,
34 Nous remercions Sabine Verhest, journaliste de La Libre Belgique, pour ses réponses à nos questions.
35 Nous remercions Jean-Philippe Rémy, journaliste du Monde, pour ses réponses à nos questions.
73
directeur d’un groupe de publications périodiques. Hersant appellera la population à voter
pour Jacques Chirac lors des élections présidentielles de 1986. Le désir d’ouverture du
journal à d’autres horizons pousse alors ce dernier à moins défendre les idées conservatrices
de l’époque. En 2004, le groupe de presse Dassault prend son contrôle et Nicolas Beytout,
puis Etienne Mougeotte en 2007, en deviennent les directeurs. En 2008, son tirage s’élève à
environ 330.000 exemplaires quotidiens. L’impression de ce journal est réalisée à 21h et à
minuit et la date présente dans les textes correspond à celle de la publication et non de
l’impression36.
Libération est un quotidien français fondé en 1973 par Jean-Claude Vernier et Jean-Paul
Sartre pour défendre les intérêts du peuple37. A ses débuts, il se situe à l’extrême gauche,
avant de devenir plus libéral. Les deux hommes, directeurs du journal jusqu’en 1974,
démissionnent pour désaccords avec Serge July, co-fondateur du journal, qui leur succède et
qui sera plus tard accusé de trahir les principes fondateurs du journal en y intégrant des
publicités. L’augmentation du nombre de pages à 80 conduit le journal à faire face à
d’importants problèmes économiques jusqu’en 2002, lors des élections présidentielles
françaises. La tendance reste à la baisse de manière générale. Lorsque Edouard Rotschild,
actionnaire à 38% propose de refinancer le journal, Serge July est prié de partir. Il
démissionne en 2006 et Philippe Clerget, puis Laurent Joffrin, sont élus directeurs. Laurent
Joffrin soutiendra l’élection de Ségolène Royal en 2007. Le tirage du journal s’élève à environ
130.000 exemplaires quotidiens en 2008.
1.2.3. Les journaux congolais Le Phare, L’Observateur et Le Potentiel38
Les journaux congolais Le Phare, L’Observateur et Le Potentiel ont été choisis pour leur
disponibilité. Ils proviennent tous de Kinshasa, capitale de la RDC, et paraissent
quotidiennement, ce qui est rare dans ce pays39. Leurs tendances politiques sont les
36 Nous remercions Alain Penet, responsable Fabrication du Figaro pour ses réponses à nos questions.
37 Après plusieurs emails envoyés, sans réponses, à ce quotidien, nous nous sommes référée à Wikipédia le
20/10/2012 pour avoir une meilleure connaissance de son fonctionnement : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lib%C3%A9ration_(journal)
38 Nous disposons de moins d’informations pour ces trois journaux en raison de leur récente création. Certaines
de nos tentatives de contact étant restées sans réponse, il nous a été plus difficile d’exposer tous les détails relatifs à leur fonctionnement médiatique.
39 Le fait que Kinshasa se trouve à 1500 Km de Goma implique de se demander si l’on peut effectivement parler de presse locale. En effet, l’éloignement de l’événement conduit souvent à l’envoi de correspondants ou
74
suivantes : L’Observateur, fondé en 1990, soutient plus le gouvernement ; Le Phare, fondé
en 1983, est plus orienté vers l’opposition, c’est-à-dire le soutien à la rébellion ; Le Potentiel,
fondé en 1982, se situe plus au centre40. Notons que ce dernier a été fondé par Modeste
Mutinga Mutuishayi, qui est rapporteur au sénat en 2009 et sénateur congolais en 2013. Ce
lien entre la profession de journaliste et la profession de politicien peut avoir des impacts sur
la manière dont les événements sont présentés dans un texte. Le Potentiel est le journal
numéro 1 à Kinshasa, raison de sa sélection en tant que presse de qualité.
Les trois journaux sont chacun tirés à environ 500 exemplaires quotidiens en 2008. Le
tirage du Potentiel peut toutefois grimper à 2500 exemplaires. Les causes de cette diffusion
moins importante que celles des journaux européens sont : le manque de moyens de
distribution, la structuration très faible des entreprises médiatiques ainsi que le pouvoir
d’achat peu élevé de la population. La production des journaux est quant à elle entravée par
la difficulté d’accéder aux réseaux téléphoniques et à internet. Notons aussi qu’un rapport
de Reporters Sans Frontières de 2009 classait la presse congolaise au 146ème rang sur 175 au
niveau de la liberté d’expression.
Au niveau de leur impression, Le Phare est imprimé et publié le jour même, ce qui signifie
que la date présente dans les textes correspond à celle de l’impression et de la publication ;
Le Potentiel est imprimé la veille et la date présente dans les textes est celle de la
publication.
d’intermédiaires (agences de presse) qui fournissent l’information. En collectant ses données, la doctorante à qui nous avons repris le corpus n’a pas tenu compte de ces biais possibles sur les résultats.
40 Les trois journaux congolais publiant en RDC et le conflit ayant lieu dans ce même pays, il est évident
qu’une forte opposition au CNDP, le groupe armé à l’origine des combats, se fait sentir dans les trois journaux. Cependant, nous verrons dans les chapitre VI et VII que certaines transformations des paramètres énonciatifs étudiés (énonciateurs, actes de parole et formes de représentation du discours second) montrent parfois des orientations politiques différentes d’un journal à l’autre.
75
1.3. Méthode de récolte des données et répartition de leur nombre
Le nombre de documents collectés s’élève au total à 1532. Ces derniers ont été récoltés via
les archives des journaux en ligne ou via Europresse, un serveur de recherche d’information
médiatique. Le nombre et le lieu de récolte sont répartis comme suit dans les sous-corpus41 :
Pays Journal Récolte Dates (2008/2009)
Nombre
Belgique Le Soir Archives (www.lesoir.be) 28/08-30/01 130
La Libre Belgique
Europresse (www.europresse.com)
29/08-21/01 115
France Le Monde Europresse (www.europresse.com)
10/09-31/01 62
Le Figaro Europresse (www.europresse.com)
04/10-24/01 37
Libération Europresse (www.europresse.com)
04/10-24/01 44
RDC L’Observateur Archives (www.lobservateur.cd)
29/08-06/02 271
Le Phare Archives (www.lephareonline.net)
28/08-21/01 300
Le Potentiel Archives (www.lepotentiel.com)
29/08-30/01 604
41 Par sous-corpus, nous entendons chaque journal étudié de manière autonome.
76
Les textes qui ont été récoltés recouvrent tous les genres textuels confondus (article,
brève, analyse, etc.). On observe cependant une différence nette du nombre de textes
récoltés en fonction de leur provenance (Europe/RDC). Cette différence s’explique par le fait
que, pour la presse belge et française, la guerre au Kivu représente une information
internationale et non nationale. De ce fait, la médiatisation en est forcément plus réduite, en
comparaison avec les journaux congolais : si 1175 textes sont publiés sur le conflit du Nord-
Kivu en RDC, seulement 357 sur le même sujet le sont en Europe durant la même période de
temps. Il est donc évident que si un événement touche directement le pays dans lequel il a
lieu, sa médiatisation sera nettement plus importante que celle d’un événement dans un
pays qui n’est pas directement concerné.
2. Cadrage politico-social et contenu informationnel des textes
Le contenu des textes de notre corpus porte sur la guerre qui s’est déroulée dans les
provinces du Kivu en RDC entre fin août 2008 et fin janvier 2009. Le conflit de 2008 n’est
malheureusement pas le seul qui a touché ce pays. Depuis des décennies, la RDC est témoin
de combats en raison des ressources naturelles qu’elle possède. Son histoire et sa
géographie méritent dès lors une attention particulière (2.1.) pour comprendre le conflit que
nous étudions. Ce conflit, bien qu’en apparence unifié temporellement (cinq mois
consécutifs), comporte plusieurs moments clés, faits majeurs, à partir desquels les hostilités
sont sans cesse relancées (2.2.). S’il est évident que ces hostilités sont le produit d’acteurs
congolais, du moins pour ce qui est avancé comme argument officiel par les autorités
congolaises (2.3.), d’autres acteurs, extérieurs cette fois à la RDC, jouent aussi un rôle dans
ce qui se déroule dans les provinces du Kivu. Tous ces acteurs, qui sont aussi des
énonciateurs représentés dans les textes recueillis, sont présentés (2.4.) pour donner une
vision complète du conflit étudié.
2.1. Situation géographique et bref historique de la RDC
La République démocratique du Congo (RDC), anciennement appelée le Zaïre, constitue l’un
des plus grands pays d’Afrique centrale, avec une population estimée, en 200842, à environ
42 Comme le souligne l’Unesco, « […] contrairement à plusieurs pays africains qui comptent de nos jours plusieurs recensements généraux de la population, la RDC n’en a réalisé qu’un seul datant de 1984. » [Unesco, 2013 : 17]. Ce manque de données officielles implique que nous devons projeter les résultats statistiques concernant la démographie congolaise seulement à partir des résultats de 1984.
77
68 millions d’habitants par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD)43. La capitale
de la RDC est Kinshasa, située dans l’ouest du pays. Le pays a une superficie de 2.345.409
km² partant de l’Océan Atlantique au plateau de l’Est. Les pays voisins de la RDC sont, au
nord-ouest, la République du Congo et la République centrafricaine ; au nord-est, le Soudan ;
à l’est, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie ; au sud, la Zambie et l’Angola
(jusqu’au sud-ouest) 44 :
43 L’IRD est un organisme de recherche français ayant pour objectif le développement social, économique et
culturel des pays en voie de développement.
44 Carte générale de la RDC : disponible en ligne le 05/02/2014 sur http://eadev-
ead.blogspot.be/2012_06_01_archive.html.
78
La RDC possède de nombreuses richesses naturelles et suscite donc la convoitise. Son
histoire est empreinte de colonisation et de conflits menés par des acteurs qui ont essayé
d’exploiter ses ressources. Après la colonisation belge, commencée sous le roi belge Léopold
II en 1884, le pays obtient son indépendance en 1960. Dès cette date, commencent des
combats menés par les acteurs politiques ou militaires qui veulent accéder au pouvoir. Les
pays étrangers mettent la pression sur les groupes armés pour maintenir le contrôle des
mines, en particulier dans les provinces du Katanga et du Kasaï. Les États-Unis en particulier,
craignent que le Congo belge – ainsi nommé à cette époque –, ne rompe ses relations avec
eux pour s’allier aux Soviétiques, avec lesquels ils sont, à cette époque, en guerre froide. Dès
1961, 20.000 soldats des Nations-Unies sont envoyés en RDC en vue de maintenir la paix.
C’est durant cette année que le Premier ministre Patrice Lumumba, acteur-clé de
l’indépendance du pays, et le président Kasavubu s’affrontent pour le pouvoir. Les États-Unis
et la Belgique, craignant le ralliement de Patrice Lumumba aux Soviétiques, appellent le
79
colonel Joseph Désiré Mobutu à arrêter Lumumba. Ce dernier est interpellé est assassiné en
janvier 1961.
En 1965, Mobutu arrache le pouvoir à Kasavubu par un coup d’État qui, selon certains, est
supporté par les États-Unis. Bien que son régime soit autoritaire, Mobutu rend une certaine
stabilité au pays, qu’il renomme le Zaïre. Il reste au pouvoir jusqu’en 1997 et est souvent
accusé de corrompre les institutions politiques et militaires.
Dès 1990 commencent des conflits menant au génocide de 1994, contre les Tutsis du
Rwanda. À cette époque, le gouvernement du Rwanda est majoritairement composé de
Hutus, alors que la population appartient à divers groupes ethniques (Hutus, Tutsis, Twas). Il
est opposé au Front patriotique rwandais (FPR), majoritairement composé de Tutsis.
Lorsqu’en 1990 le FPR décide de prendre le pouvoir par les armes, le gouvernement
rwandais riposte en décidant d’assassiner tous les Tutsis du Rwanda. Durant cette période,
deux millions de Hutus rwandais fuient la rébellion pour se réfugier en RDC et les Forces
Armées du Rwanda (FAR, qui deviendront plus tard les FDLR, les Forces démocratiques de
Libération du Rwanda) s’implantent également au Zaïre, dans des camps, afin de se
regrouper et de lancer de nouvelles attaques contre les Tutsis du Rwanda. Le 04 juillet 1994,
après 100 jours de massacre, le FPR prend le contrôle de la capitale du Rwanda, Kigali : le
génocide prend alors fin.
De nombreux Hutus rwandais restent dès lors toujours réfugiés sur le sol congolais. Le
FPR s’inquiète des camps qu’ils ont formés à la frontière avec le Rwanda. Les Hutus réfugiés
au Congo sont accusés de persécuter les Tutsis du Zaïre. Paul Kagamé, devenu président du
Rwanda, décide, en 1997, avec l’aide de l’Ouganda, de démanteler ces camps et de chasser
Mobutu du pouvoir en l’accusant de soutenir les réfugiés hutus. Les deux pays envahissent le
Zaïre, Mobutu est chassé et Laurent-Désiré Kabila en prend le pouvoir. C’est également au
cours de cette année que le pays change encore de nom pour devenir la République
démocratique du Congo. Dès les années 2000, la Mission des Nations-Unies au Congo
(MONUC) est déployée pour essayer de maintenir la paix. Entre-temps, Laurent Kabila est
mystérieusement assassiné et remplacé en 2001 par son fils Joseph Kabila. Les accords de
Sun City de 2002, qui doivent mettre fin aux combats, ne sont pas respectés et les combats
continuent, notamment en Ituri, province du nord-est de la RDC, où des groupes rebelles
ougandais LRA (Lord’s Resistance Army) exploitent illégalement les ressources naturelles et
commettent des crimes contre l’humanité. Dans d’autres provinces, les FDLR mènent
également toujours des combats. Certains de leurs leaders seront jugés par la Cour pénale
internationale (CPI). Les LRA et les FDLR constituent alors le moyen pour l’Ouganda et pour
le Rwanda d’entrer militairement en RDC afin de chasser ces groupes armés qui provoquent
des conflits. Cependant, pour les autorités congolaises en place, l’Ouganda et le Rwanda ne
cherchent eux-mêmes qu’un prétexte pour accéder aux ressources naturelles du pays.
80
En février 2006, un référendum est organisé et Joseph Kabila est élu président. Il s’agit
alors du premier gouvernement démocratique, mais il rencontre de nombreuses difficultés :
l’armée gouvernementale (FARDC) est indisciplinée, la corruption est omniprésente et les
politiques (lois, gestion, exploitation) relatives aux mines manquent de transparence. À cette
époque, les combats continuent, cette fois au Nord-Kivu, entre le CNDP (Congrès national
pour la Défense du Peuple), dirigé par Laurent Nkunda, ancien général de la rébellion de
Laurent Kabila, et les FARDC. Les Accords de Nairobi de novembre 2007 et les Actes
d’Engagements de Goma de janvier 2008 étaient censés mettre fin aux combats entre les
divers groupes armés et prévoyaient aussi le rapatriement des FDLR, les anciens
génocidaires rwandais présents en RDC, vers le Rwanda. Jusqu’août 2008, ces accords sont
respectés et les combats cessent.
2.2. Combats du Nord-Kivu en 2008 : présentation de l’événement
et des raisons officielles des combats
Ce sont les combats qui ont lieu au Nord-Kivu entre août 2008 et janvier 2009 qui ont été
sélectionnés pour notre étude. En août 2008, de violents affrontements reprennent à
Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu, après une période d’accalmie. Ces combats sont
menés par le CNDP, dirigé par Laurent Nkunda, un Tutsi congolais. Ce dernier revendique la
défense de l’ethnie tutsie, minoritaire en RDC. À la suite du génocide des Tutsis, le CNDP
prend les armes pour combattre les Hutus rwandais toujours présents sur le sol congolais.
Pour défendre les Tutsis, le CNDP entre en conflit avec plusieurs autres groupes armés :
d’abord, avec les Forces Armées de la République démocratique du Congo (FARDC), l’armée
gouvernementale congolaise, accusée de soutenir les Hutus rwandais. Ensuite, avec les
Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), l’armée nationale rwandaise,
composée de Hutus rwandais, présents sur le territoire congolais depuis le génocide de
1994. Enfin, avec les Maï-Maï (dont font partie les Patriotes Résistants Congolais, PARECO)
qui défendent les réfugiés de guerre issus du conflit entre le CNDP et les FDLR et qui
s’opposent au retour des réfugiés tutsis en RDC, plus particulièrement dans les territoires de
Masisi et de Rutshuru. Au milieu de ces groupes armés, la MONUC (Mission des Nations
Unies au Congo) tente de s’interposer et de protéger la population civile. Ces affrontements
qui éclatent – ou « ré-éclatent » – le 28 août 2008 en RDC sont le début d’une longue série
de combats, d’une série de faits marquants qu’il convient de décrire.
Le 28 août 2008, des combats à Rutshuru sont relatés par les médias. Ces derniers
évoquent des attaques du CNDP envers les FARDC, attaques provoquant la fuite de
nombreux civils. La population civile craint la recrudescence des conflits et la communauté
internationale, en particulier l’Europe et les Nations-Unies, s’inquiète de cette reprise des
hostilités en RDC.
81
Début septembre 2008, la communauté internationale prend peu à peu conscience de
l’ampleur de la situation en RDC : après la visite de Chikez Diemu, ministre congolais de la
Défense nationale et des Anciens Combattants, et d’Alan Doss, secrétaire général des
Nations-Unies, l’Europe, mais aussi la Russie, font part de leurs inquiétudes vis-à-vis de ce
qui se déroule au Nord-Kivu. Cette communauté internationale fait alors pression sur les
groupes armés et la MONUC rappelle les engagements pris par les groupes armés en janvier
2008, ce qui doit aboutir à la cessation des hostilités et au retrait de ces groupes dans les
régions touchées par les combats. Cependant, dès la deuxième semaine de septembre, de
nouveaux combats éclatent et le CNDP se rapproche de plus en plus de Goma, capitale du
Nord-Kivu. La population congolaise accuse de plus en plus la MONUC de ne pas réussir à la
protéger, allant jusqu’à l’accuser d’être de connivence avec les divers groupes armés. Les
organisations internationales, telles Amnesty International, Human Right Watch, Médecin
Sans Frontières alertent le monde entier des dangers qu’amène la reprise des hostilités dans
ce pays, et l’Europe, qui ne cesse d’appeler les divers groupes armés au désengagement,
commence à envisager un envoi de troupes militaires additionnelles en vue de stopper
l’avancée de ceux qu’ils nomment « les rebelles congolais ». Ces programmes de
désengagement ainsi que la médiatisation des conflits et leurs potentielles résolutions
constituent la suite des événements médiatisés pour la seconde semaine de septembre
2008. La troisième semaine, quant à elle, est marquée par d’autres combats dans la région
du Masisi dans la province du Nord-Kivu (dans les villes de Kihonge, Sake et Kihongole). Ces
affrontements conduisent, à nouveau, la communauté internationale (l’Europe et les États-
Unis en particulier) à s’inquiéter de la situation, même si aucune action n’est réellement
mise en place, excepté le rappel des accords de désengagements. Dès le 17 septembre 2008,
un tournant décisif est perceptible dans le déroulement de ces événements : le CNDP veut à
tout prix négocier directement avec le gouvernement congolais. Cependant cette
négociation directe lui est refusée, car elle implique que le CNDP soit admis comme parti
politique officiel, ce que le gouvernement congolais n’a jamais admis. La fin du mois de
septembre 2008, outre d’autres combats dans le Rutshuru, est, elle, marquée par les
inquiétudes de l’Union Africaine (UA) et celles des ONG qui sont préoccupées par la situation
humanitaire qui ne cesse de se dégrader.
En octobre 2008, plusieurs événements importants ont lieu : durant la première semaine
de ce mois, la MONUC voit démissionner son commandant, le général sénégalais Babacar
Gaye et Laurent Nkunda transforme son mouvement en Mouvement de libération du Congo
(MLC). Cette transformation implique que Laurent Nkunda et son groupe se battent
désormais pour libérer l’ensemble des Congolais (et non plus seulement les Tutsis), ce qui
conduit certaines personnes à penser que le Rwanda les soutient dans leur lutte, étant
donné que ces combattants sont relativement peu nombreux (6.000 hommes). Avec la
poursuite des combats (en Ituri, à Tongo, etc.), la communauté internationale se rend de
plus en plus compte l’ampleur de la situation dramatique de la RDC. Le Conseil de sécurité
commence, au début de ce mois, à envisager un éventuel renfort de la MONUC. La semaine
82
suivante, bien que les récentes déclarations de Laurent Nkunda soient condamnées par
plusieurs acteurs politiques internationaux (la Belgique, les États-Unis, la MONUC), les
combats se poursuivent : le camp militaire de Rumangabo est littéralement pris d’assaut par
le CNDP. Cette prise du camp de Rumangabo n’a pu se faire, selon de nombreux Congolais,
sans l’aide du Rwanda. Ce dernier, prétextant la lutte contre le FDLR, soutiendrait en fait le
CNDP : l’ONU avance d’ailleurs des preuves tangibles de la présence rwandaise en RDC
(photos, cartes d’assurance maladie rwandaises, argent rwandais, etc.) Tous ces combats
conduisent la population congolaise, mais aussi les journalistes congolais, à s’interroger sur
la passivité du gouvernement congolais : selon eux, une troisième guerre est en marche et
elle est orchestrée par des acteurs politiques et militaires qui tentent d’accéder aux
richesses naturelles de la RDC, mais aussi par des Occidentaux qui y trouvent un intérêt dans
l’exportation illégale des richesses congolaises. Durant la troisième semaine d’octobre, les
choses ne changent pas beaucoup : de nouveaux combats dans les régions de Masisi, de
Lubero et de Rusthuru (Nord-Kivu) sont relatés par les médias, bien que le CNDP ait déclaré
un cessez-le-feu et que les acteurs internationaux, comme le pape Benoît XVI, lancent des
appels à la paix. Durant la dernière semaine de ce mois, un plan de désengagement élaboré
par la MONUC est en cours d’exécution. Ce plan, qui prévoit des zones de séparation entre
les groupes armés, n’est pourtant pas respecté, puisque de nouveaux combats ont lieu,
notamment à Sake, mais aussi à Rumangabo. Ces derniers entraînent le déplacement de
centaines de milliers de civils qui tentent de se réfugier dans des zones plus sûres. Les
combats s’intensifient et s’étendent maintenant sur des territoires de plus en plus proches
de Goma, la capitale du Nord-Kivu. La population, furieuse, manifeste contre la MONUC, lui
reprochant de ne pas appliquer un chapitre de la charte des Nations Unies, le chapitre VII,
qui lui permet d’utiliser la force pour protéger les civils. Cette passivité de la MONUC est
perçue comme la preuve que cette dernière est corrompue : recevant ses ordres de hauts
représentants internationaux, elle ne serait présente sur le sol congolais que pour feindre
une action de la part des Nations-Unies, dont certains membres trouveraient un intérêt dans
le maintien des conflits (exploitation et l’exportation des ressources naturelles), ce qui
expliquerait la passivité de cette mission. Le général Vincente Diaz de Villegas, à la tête de la
MONUC depuis seulement deux mois, démissionne, ce qui appuie l’idée selon laquelle la
MONUC serait corrompue. Les Européens quant à eux, envisagent de plus en plus l’envoi de
troupes additionnelles, même si les dissensions au sein des 27 les empêchent pour le
moment d’agir. Nkunda quant à lui proclame à nouveau un cessez-le-feu.
Début novembre, l’éventuel déploiement européen est de plus en plus à l’ordre du jour :
la Belgique, la France et l’Espagne ne cessent de faire pression sur les autres pays européens
pour qu’ils acceptent d’envoyer des troupes. La MONUC, qui a rendu opérationnel le plan de
désengagement, nomme à sa tête Olusegun Obasanjo et un premier sommet international,
le sommet de Nairobi, a lieu, réunissant les groupes armés, la communauté internationale, la
RDC et le Rwanda. Cependant, les combats se poursuivent, notamment à Rutshuru et à
Kiwandja. Dans cette dernière région, un massacre de civils a lieu. Des témoins dénoncent la
83
corruption des militaires congolais pillant et violant des civils. Les viols sont d’ailleurs
considérés comme une arme de guerre dans ce pays et souvent dénoncés par les femmes
congolaises. Par voie de conséquence, le nombre de réfugiés de guerre ne cesse
d’augmenter en RDC, aboutissant à de nombreux camps de déplacés vivant dans des
conditions déplorables. La seconde semaine de novembre est marquée par la poursuite des
combats, à Kibati, Ndungu, Rutshuru, Kiwandja et Kanyabonga. Ces combats amènent
encore une fois la communauté internationale à envisager l’envoi de troupes. Les militaires
responsables des pillages de Kiwandja sont, quant à eux, jugés et 28 d’entre eux sont
inculpés, ce qui pousse plusieurs acteurs politiques à insister sur la nécessité de discipliner
cette armée congolaise, souvent accusée de méfaits. Durant la troisième semaine de
novembre, plusieurs événements importants ont lieu : d’abord, une rencontre entre les
chefs d’État congolais et rwandais en vue de chasser les FDLR du sol congolais. Par ailleurs,
Olusegun Obasanjo, émissaire de l’ONU en RDC rencontre Laurent Nkunda : ce dernier
donne une liste de trois revendications à Obasanjo, à savoir la nécessité de négocier
directement avec le gouvernement congolais, la protection des Tutsis congolais et
l’intégration des éléments du CNDP dans l’armée nationale. Le gouvernement congolais
quant à lui refuse de négocier directement avec le CNDP en dehors du cadre prévu par le
Programme Amani, élaboré avant la reprise des hostilités en août 2008. Même si les
revendications de Nkunda ne sont pas encore toutes prises en considération, un accord de
cessez-le-feu commence à se dessiner : un comité tripartite, composé d’un membre du
CNDP, d’un membre du gouvernement et d’un membre de la MONUC est en effet envisagé
pour faire respecter le futur cessez-le-feu. Entre-temps, les combats continuent, notamment
à Rwindi, Kanyabonga, Kayna et Kirumba. La fin du mois de novembre se voit marquée par la
poursuite des combats dans d’autres régions (Kisharo, Bunabaga, Ishasha). Ces combats vont
à l’encontre du cessez-le-feu déclaré par Laurent Nkunda à Obasanjo. Les deux hommes se
rencontrent alors pour la seconde fois. Les Européens, quant à eux, évoquent toujours
l’envoi possible de soldats, ce à quoi Laurent Nkunda s’oppose catégoriquement. Cependant,
de plus en plus d’acteurs politiques internationaux font pression sur les Européens pour
qu’ils viennent appuyer les forces armées sur place. Enfin, un rapport d’une organisation
humanitaire, Human Right Watch, dénonce les causes cachées du conflit, à savoir le trafic
illégal des ressources minières.
En décembre, le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, demande
formellement aux Européens d’envoyer leurs troupes. Les 27 demandent un délai de
réponse, même s’ils jugent difficile de dire non à cette personnalité. Diverses réunions,
comme celles de la Communauté Internationale de la Région des Grands Lacs (GIRGL) ou la
Communauté Économique des États de l'Afrique Centrale (CEAAC), ont lieu pour tenter de
régler le conflit. La seconde semaine de décembre est marquée par le « second round » du
sommet de Nairobi au cours duquel les représentants congolais et rwandais se mettent
d’accord sur le démantèlement des FDLR et surtout sur l’éventuelle arrestation de Laurent
Nkunda. C’est également au cours de cette semaine qu’apparaît un rapport de l’ONU. Dans
84
ce rapport, de nombreuses preuves ont été rassemblées prouvant l’implication d’acteurs
politiques congolais, mais aussi rwandais, belges, britanniques, américains, etc. dans le
conflit du Nord-Kivu : la corruption des politiciens congolais, mais aussi l’implication de
sociétés internationales exploitant des minerais congolais, est mise au grand jour. Les
raisons officieuses de la guerre sont désormais révélées, ce qui pousse plusieurs pays,
comme la Suède, à couper tout contact avec le Rwanda, accusé de soutenir le CNDP. Durant
la troisième semaine de décembre, les négociations se poursuivent à Nairobi : sept nouvelles
revendications sont formulées par le CNDP, dont la cessation de la coopération entre les
forces armées congolaises et les FDLR, mais aussi la bonne gouvernance. Même si
l’insécurité est toujours présente en cette fin de mois de décembre, les combats quant à eux
semblent diminuer. L’Europe, et en particulier la Belgique, estime toujours nécessaire l’envoi
de soldats et la MONUC voit son mandat prolongé d’un an.
Début janvier est marqué par les premières dissensions au sein du CNDP : Bosco
Ntaganda, un officier du CNDP déclare avoir limogé Laurent Nkunda et avoir pris la tête de
son groupe. Laurent Nkunda dément cette information et poursuit ses rencontres avec
Olusegun Obasanjo au cours de la seconde semaine de janvier. C’est également durant cette
période qu’un troisième round est organisé à Nairobi pour arriver à un cessez-le-feu.
L’opération contre les FDLR est lancée et les Maï-Maï, guerriers traditionnels, alliés de
l’armée congolaise, se désengagent et sont démantelés. Le 22 janvier 2009, Laurent Nkunda
est arrêté et sera être extradé au Rwanda. La population congolaise reste cependant
sceptique quant à la suite des événements. Fin janvier, les FDLR sont rapatriés au Rwanda,
Nkunda doit être jugé pour ce qui est qualifié de crimes contre l’humanité et les éléments du
CNDP sont désormais intégrés dans l’armée. Le conflit de 2008 prend fin.45
2.3. Description détaillée des acteurs du conflit et des énonciateurs
représentés
Le conflit et l’histoire de la RDC que nous venons d’esquisser impliquent toute une série
d’acteurs, politiciens (Joseph Kabila, Paul Kagamé, etc.), groupes armés (CNDP, MONUC,
FARDC, etc.), et citoyens. Ces acteurs prennent régulièrement la parole dans les textes que
nous étudions et ce faisant, deviennent des « énonciateurs » (chapitre II). Étant donné que
45 Le conflit congolais était toujours, en 2016, d’actualité : les groupes armés se sont transformés et ont pris
d’autres noms, mais les nombreuses richesses du sol et du sous-sol congolais ne cessent de susciter la convoitise et engendrent des combats récurrents dans les régions où elles se trouvent.
85
leurs discours sont repris par divers journalistes, auteurs des textes étudiés ici, on considère
ces énonciateurs comme des « énonciateurs représentés ».
Ces acteurs du conflit qui sont dans nos textes des énonciateurs représentés sont décrits
de manière détaillée dans cette section pour une raison en particulier : les énonciateurs et
leurs actes de parole sont en effet « représentés » par des journalistes. Cette représentation
présuppose que les journalistes choisissent d’attribuer certaines caractéristiques aux
énonciateurs qu’ils catégorisent, tout comme leurs actes de parole, d’une certaine manière.
Les choix réalisés par les journalistes vont conduire le lecteur à avoir une certaine image des
énonciateurs et des actes de parole représentés, image qui est susceptible de ne pas être
partagée par tout le monde. En décrivant les énonciateurs de manière détaillée, nous
pourrons mieux identifier cette image transmise par les journalistes.
2.3.1. Les politiciens
Le président de la République démocratique du Congo est, depuis 2001, Joseph Kabila
Kabange. Il est le fils de Laurent Désiré Kabila. Ce dernier a mené une rébellion contre les
génocidaires rwandais et a chassé Mobutu du pouvoir en 1997, avec l’appui du Rwanda et
de l’Ouganda. À la mort de son père en 2001, Joseph Kabila prend le pouvoir. En 2006, il est
élu démocratiquement président de la RDC, après les élections du 29 octobre. Son
adversaire lors de ces élections était Jean-Pierre Bemba, partisan du Mouvement de
Libération du Congo, jugé coupable par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes de
guerre commis en Ituri. Joseph Kabila, même s’il a été élu démocratiquement, est perçu par
la population comme trop passif face aux conflits qui ont lieu en RDC.
En 2008, le Premier ministre de la RDC est Antoine Gizenga, ancien fondateur des Forces
démocratiques pour la Libération du Congo (FDLR). Il est nommé à la tête du gouvernement
le 5 février 2007 et réaménage ce dernier en novembre 2007. En septembre 2008, Antoine
Gizenga annonce sa démission. Il est remplacé, en octobre 2008, par son neveu, Adolphe
Muzito, alors ministre du Budget, qui formera un nouveau gouvernement.
En 2008, les gouvernements de ces deux Premiers ministres successifs sont composés
comme suit46 :
46 Etant donné le nombre important des membres faisant partie d’un gouvernement en RDC, seuls ceux
cités au moins une fois dans notre corpus sont mentionnés ici.
86
Sous Antoine Gizenga, le second47 gouvernement formé48 :
Secteurs Ministres d’État
Agriculture François Joseph Mobutu Nzanga Ngbangawe
Intérieur, décentralisation et sécurité Denis Kalume Numbi
Affaires étrangères et de la coopération étrangère
Antipas Mbusa Nyamwisi
Enseignement supérieur et universitaire Sylvain Ngabu Chumbu
Infrastructures, travaux publics et reconstruction
Pierre Lumbi Okongo
Secteurs Ministres
Budget Adolphe Muzito
Travail de la prévoyance sociale Marie-Ange Lukiana Mufwankol
Défense nationale et des anciens combattants
Chikez Diemu
Développement rural Charles Mwando Nsimba
Hydrocarbures Lambert Mende Omalanga
Intégration régionale Ignace Gata Mavinga
Portefeuille Jeanine Mabunda Lioko Mudiayi
Secteurs Vice-ministres
Budget Célestin Mbuyu Kabango
Congolais de l’étranger Colette Tshomba Kabango
Travaux publics Gervais Ntirumenyerwa
Sous Adolphe Muzito :
Secteurs Vice-Premiers Ministres
Besoins sociaux de base François Nzanga Mobutu
Reconstruction Emile Bongeli Yeikeo Ya Ato
Sécurité et défense Symphorien Mutombo Bakafwa Nsenda
Secteurs Ministres
Affaires étrangères Alexis Thambwe Mwamba
Affaires sociales Barthélémy Bostwali
Communication et médias Lambert Mende Omalanga
Coopération internationale et régionale Raymond Tshibanda
47 Il s’agit du second gouvernement formé sous Gizenga ; le premier ayant été réaménagé en novembre
2007.
48 Dans chaque case, le nom indiqué est celui d’une seule personne ; les noms congolais étant relativement
plus longs et plus composés que ceux rencontrés en Europe.
87
Décentralisation et aménagement du territoire
Antipas Mbusa Nyamwisi
Défense nationale et anciens combattants Charles Mwando Nsimba
Droits humains Upio Kakura Wapol
Environnement et tourisme José Endundo Bononge
Enseignement supérieur et universitaire Léonard Mashako Mamba
Genre et famille Marie-Ange Lukiana Mufwankol
Agriculture Norbert Basengezi
Intérieur et sécurité Célestin Mbuyu Kabango
Développement rural Kpaki Adiri
Infrastructures et travaux publics Pierre Lumbi Okongo
Portefeuille Jeanine Mabunda Lioko
Justice Luzolo Mbambi Ntesa
Recherche scientifique Joseph Lititiho Apata
Secteurs Vice-Ministres
Congolais de l’étranger Colette Tshomba Ntundu
Travaux publics Gervais Ntirumenyerwa
Affaires étrangères Ignace Gata Mavinga
2.3.2. Les groupes armés et leur déploiement
Les groupes armés impliqués dans le conflit de 2008 dans les provinces du Kivu sont au
nombre de cinq : le CNDP (Congrès national pour la Défense du Peuple), les FARDC (Forces
Armées de la RDC), les FDLR (Forces démocratiques de Libération du Rwanda), les Maï-Maï
(terme utilisé pour qualifier les groupes armés de défense locale) et la MONUC (Mission des
Nations Unies au Congo). Avant d’entrer dans la description détaillée de ces groupes, nous
présentons d’abord les territoires sur lesquels ils sont déployés dans les provinces du Nord
et du Sud-Kivu.
a) Les provinces du Nord et du Sud-Kivu
Les deux cartes suivantes permettent de visualiser les territoires du Nord et du Sud-Kivu
dans lesquels les groupes armés sont déployés49 :
49 La carte du Nord-Kivu était disponible en ligne le 18/01/2012 sur http://rdcmaps.centerblog.net/2.html,
et celle du Sud-Kivu le 18/01/2012 sur http://www.docstoc.com/docs/49358019/R-D-Congo---Province-du-Sud-Kivu-
88
89
90
b) Le Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP)
Le Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP) est un mouvement de la rébellion
dont le président est Laurent Nkunda, et dont l’aile militaire est dirigée par le général Bosco
Ntaganda. De 1992 à 1994, Nkunda fait partie de la RPA (Armée Patriotique Rwandaise) de
Paul Kagamé, président du Rwanda en 2008. Il constitue le groupe armé le plus actif dans les
combats qui secouent la RDC en 2008. En 1996, après son retour au Zaïre, Nkunda intègre
l’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo). Lorsque le CNDP est
fondé lors des élections en 2006, il s’agit d’abord d’un mouvement de défense des intérêts
rwandophones50 de l’Est de la RDC. L’échec de la création d’une coalition rwandophone
pousse ensuite Nkunda à se mettre au service de la minorité tutsie dans les provinces du
Kivu, où il rappelle sans cesse à la population tutsie qu’elle a été victime du génocide.
Le manifeste politique du CNDP paraît en décembre 2006, peu après l’élection
démocratique du président congolais Joseph Kabila. Les principaux objectifs de ce
programme sont, en 2008:
« -Mettre fin à la présence des groupes armés étrangers sur le sol congolais
(avec un fort accent sur les Forces démocratiques de Libération du Rwanda, les
FDLR).
- Le retour des réfugiés congolais de l’étranger.
-Une enquête indépendante des crimes de guerre commis sur le sol
congolais entre 1998 et 2004.
-Un processus d’intégration alternatif pour les FARDC (différent du processus
actuel de ‘brassage’).
-La fédéralisation de la RDC. » (Spittaels et Hilgert, Rapport d’IPIS, 2008 : 6)51
50 Le terme rwandophone est utilisé pour parler des personnes qui parlent la langue kinyarwanda, parlée
entre autres au Rwanda. Par extension, ce terme s’applique aux Rwandais présents sur le sol congolais, par opposition aux Rwandais vivant au Rwanda.
51 IPIS (International Peace Information Service) est un groupe de recherche indépendant, sans but lucratif
et non gouvernemental, fondé en 1995, qui analyse et essaye de résoudre les conflits meurtriers et publie des rapports sur ces derniers depuis 2003.
91
Bien qu’il ait un programme politique et des structures politiques, le CNDP est avant tout
un mouvement militaire, constitué d’anciennes brigades militaires rassemblées, comme les
FARDC (Forces Armées de la RDC), le RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie), ou
le RDF (Forces de Défenses Rwandaises, anciennement appelées RPA). La majorité des forces
qui composent le CNDP sont néanmoins rwandophones, tant hutues que tutsies, excepté les
cadres supérieurs, majoritairement tutsis. Le Rwanda est d’ailleurs régulièrement accusé par
la RDC de soutenir la rébellion du CNDP, mais les preuves, trop indirectes avant décembre
2008, ne suffisent pas à prouver son implication.
Les zones occupées par le CNDP sont au nombre de deux et se situent dans le Nord-Kivu :
une première zone se trouve dans le Masisi oriental, entourant par la gauche le parc national
des Virunga avec un quartier général plus au Nord, à Kitchanga. Une seconde zone est
occupée par le CNDP dans le Rutshuru occidental, au croisement de la frontière de la RDC,
de l’Ouganda et du Rwanda.
Dans les deux zones contrôlées par le CNDP, il existe une sorte d’administration parallèle,
caractérisée par de nombreux contrôles de police, des demandes de renseignements et des
levées de taxes. La sécurité des populations civiles y est menacée en raison des
recrutements d’enfants-soldats, mais aussi des nombreux viols utilisés comme arme de
guerre.
c) Les Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR)
Les Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) constituent le plus grand groupe
armé dans les provinces du Kivu. Il est dirigé par le commandant Sylvestre Mudacumura et
est composé d’au moins 7.000 hommes, divisés en trois brigades. Ses membres sont des ex-
FAR (Forces Armées Rwandaises), des miliciens ex-Interahamwe, majoritairement
responsables des massacres lors du génocide de 1994, et enfin des civils. Même si ce
mouvement regroupe au départ d’anciens génocidaires, ses membres sont pour la plupart
innocents en 2008.
Les motivations militaires des FDLR visent l’instauration d’un dialogue interrwandais pour
qu’ils puissent être rapatriés au Rwanda. Depuis le génocide de 1994 en effet, ces FDLR sont
restés sur le sol congolais. Pourtant, des programmes de rapatriement existent, mais les
hauts responsables du mouvement FDLR ne mettent pas leurs hommes au courant de ces
programmes, ce qui mène à leur forte présence en RDC, où ils vivent aux côtés de la
population civile. Cette dernière est dominée par ce groupe armé, réputé pour ces
nombreuses violations des droits de l’homme, ses pillages, ses massacres, ses viols, ses
taxations illégales. Un autre problème de sécurité est causé par le fait que les combats entre
le CNDP et les FDLR engendrent une insécurité permanente au sein de la population. Le
CNDP affirme qu’il est en guerre pour démanteler les FDLR alors qu’en réalité, ces dernières
ne constituent plus vraiment une menace pour lui depuis 2004.
92
Les FDLR ont trois brigades déployées dans les régions suivantes :
La brigade du Nord-Kivu : quatre bataillons déployés à l’est du Rutshuru, à l’ouest du
Masisi, au sud du Lubero et à l’est de Walikale.
La brigade du Sud-Kivu : quatre bataillons déployés dans les territoires de Fizi,
Mwenga, Shabunda, Walunga et Kabare.
La brigade de réserve : trois bataillons déployés dans le sud du Masisi, à Kalehe et l’est
de Walikale.
d) Les Forces Armées de la RDC (FARDC)
Les Forces Armées de la RDC (FARDC) sont sous le contrôle du pouvoir congolais et sont
constituées de dix brigades divisées en trois types :
Deux brigades intégrées, constituées par le brassage de soldats d’origines militaires
diverses (ex-MLC, ex-Maï-Maï, etc.)
Six brigades mixées, qui ont été créées suite à un accord en 2006 entre John Numbi,
qui dirige une délégation des FARDC, et Laurent Nkunda. Cet accord visait à mélanger
les soldats des FARDC avec ceux du CNDP au niveau des bataillons, mais de telle sorte
que ceux-ci puissent rester loyaux à leur mouvement respectif. Ce système s’effondre
en août 2007 en raison des combats entre les FARDC et le CNDP, à la suite de
l’annonce par les FARDC de suspendre l’opération contre les FDLR. Certaines de ces
unités opèrent toujours en 2008 dans les régions de Katale, du Masisi et de Sake.
Deux brigades non mixées ni intégrées, opérant en 2008 dans les territoires de
Walikale et de Kalehe/Kabare.
Les membres des FARDC ont commis de nombreuses violations des droits de l’homme
telles que des massacres, des arrestations et des détentions arbitraires, des viols, des
pillages. Ils sont aussi impliqués, de manière directe ou indirecte, dans le trafic illégal des
ressources naturelles. Notons enfin que les FARDC collaborent souvent, mais de manière
couverte, avec les FDLR et les Maï-Maï contre le CNDP. Ils sont d’ailleurs déployés sur des
zones géographiquement très proches.
e) Les Maï-Maï/PARECO
Le terme Maï-Maï désigne tous les groupes d’autodéfense dans les deux provinces du Kivu,
c’est-à-dire les milices de défense locale. Leur principale faction est le PARECO (Patriotes
93
Résistants Congolais), estimé par ses membres à 3.500 hommes. Leur leadership est le
colonel La Fontaine.
Les motivations militaires du PARECO, étaient à l’origine (2007) les suivantes :
« Le PARECO affirme se battre pour défendre les Congolais marginalisés qui
souffrent de la guerre entre les éléments de Nkunda et les FDLR. Il dénonce
avant tout la création des brigades mixées, car il estime que cela contribuera à
la création d’un ‘tutsiland’. Le PARECO s’oppose violemment au retour des
réfugiés tutsis dans les territoires de Masisi et de Rutshuru. » (IPIS, 2008 : 14)
Le PARECO collabore parfois avec les FDLR contre le CNDP, mais aussi avec les FARDC,
notamment dans le réarmement de ses propres troupes. Cependant, contrairement aux
autres groupes armés, les Maï-Maï ne commettent que très rarement des violations des
droits de l’homme. Ils constituent néanmoins une menace au processus de paix entamé à
Goma en 2008 en raison de leur combat contre le CNDP.
Les Maï-Maï sont présents dans la province du Nord-Kivu dans le Lubero (Bonyatenge), au
nord et au sud du Masisi et à l’est du territoire de Walikale. Quelques troupes sont
également déployées dans le Sud-Kivu, dans les zones de Kalehe et Shabunda.
f) La Mission des Nations Unies au Congo (MONUC)
La Mission des Nations Unies au Congo (MONUC) est une force militaire internationale
présente en RDC pour protéger la population civile. En 2008, elle est dirigée par le général
Vicente Diaz De Villegas, qui, après sa démission fin octobre 2008, est remplacé par le
général Babacar Gaye. Son porte-parole est le commandant Jean-Paul Dietrich et le porte-
parole intérimaire est Sylvie van Wildenberg. Le secrétaire général des Nations-Unies est Ban
Ki-Moon, avec comme représentant belge Alan Doss.
Le rôle de la MONUC est fondé sur le principe de la responsabilité de protection qu’ont
les États souverains envers les pays qui ne parviennent pas à maîtriser des conflits de grande
envergure. Dans les années 60, l’ONUC (Opération des Nations Unies au Congo) - le
précédent nom de la MONUC - est envoyée en RDC en raison du manque de stabilité dans la
région. En 1999, la seconde guerre éclate et la MONUC y est déployée. À l’origine, la MONUC
était une mission à petite échelle, mais très vite, 20.000 hommes sont déployés en RDC.
Pourtant, même si la guerre au Kivu est le conflit armé congolais le plus meurtrier, seuls
6.000 soldats onusiens sur les 20.000 présents en RDC sont déployés dans les provinces du
Kivu.
Les objectifs de la MONUC sont basés sur les chapitres VI et VII de la Charte des Nations
Unies :
94
“UN peace missions rely on Chapter VI mandates for the pacific settlements
of disputes. Chapter VI is accorded to assist the conflicting parties by “seeking a
solution by negotiation, enquiry, mediation, conciliation, arbitration, judicial
settlement, resort to regional agencies or arrangements, or other peaceful
means of their own choice”. (Article 33 of Chapter VI) If a conflict cannot be
resolved in a peaceful way and the Security Council (SC) determines “the
existence of any threat to the peace, breach of the peace or act of aggression”,
the UN will rely on Chapter VII “to maintain and restore international peace and
security”. Before immediately resorting to the use of armed force, the
Organization will attempt to resolve the threat by applying a “complete or
partial interruption of economic relations and of rail, sea, air, postal,
telegraphic, radio, and other means of communication, and the severance of
diplomatic relations”. (Article 41 of Chapter VII) The use of armed force by air,
sea or land, demonstrations or blockades is last resort measures. (Article 42)
Deployed under Chapter VII, peacekeepers have “the right of individual or
collective self defence if an armed attack occurs”. (Reynaert, 2011: 10)
La MONUC doit ainsi défendre de son mieux la population civile, sans recourir à la force,
excepté dans certaines circonstances où elle ne peut agir autrement. En raison de plusieurs
échecs dans la protection des civils à Bunia et à Bukavu en 2003 et 2004, la MONUC a dû
faire face à des opposants qui l’accusaient de ne pas remplir correctement sa mission. Dès
2006, la politique du nouveau gouvernement pousse alors la MONUC à agir de manière plus
offensive et à combattre les groupes armés qui mettraient en danger la vie des civils.
Cependant, le conflit dans les provinces du Kivu en 2008 a engendré de nombreux morts et
la MONUC en a été souvent tenue responsable. Aux dires de ses opposants, elle n’a en effet
pas réussi à protéger les civils et elle a évité la confrontation avec les autres groupes armés.
Selon Villegas pourtant, l’incapacité de la MONUC tient au fait que :
“[…] there was need of peace enforcement. Instead, MONUC suffered from a
limited operational capacity and therefore the mission could only protect the
people in major towns and along key roads. Elsewhere MONUC could only
protect itself. (HRW, 2008, p.1-3; Holt & Taylor, 2009, p.281-283; MONUC JHRO,
2009, p. 2-3; Refugees International, 2010, p.7)” (Reynaert, 2011: 17)
La MONUC doit donc protéger les populations civiles, mais ses effectifs ainsi que son
organisation limitent ses opérations. De plus, il arrive que des FARDC, qui sont également
censées protéger les civils contre le CNDP, s’opposent à elle, car les elles ont dans leurs
rangs des soldats mixés ou intégrés, c’est-à-dire des soldats qui provenaient d’autres
groupes armés (CNDP, Maï-Maï, etc.) et se battaient autrefois contre la MONUC lorsqu’elle
avait à recourir à la force. Ses échecs répétés amènent la population civile à penser qu’elle
ne les protège pas comme elle devrait le faire.
95
2.3.3. Les autres pays et les coalitions internationales impliqués dans le
conflit : présentation des raisons officieuses des combats
Le groupe IPIS (International Peace Information Service)52, mais aussi les experts de l’ONU,
chargés en 2008 d’étudier la situation en RDC ont publié des rapports sur la situation en RDC
et ont révélé l’implication d’autres pays dans le conflit. Ces pays, commanditaires du
commerce illégal des ressources naturelles de la RDC, soutiennent financièrement et
militairement les groupes armés. Dans cette section, nous expliquerons les raisons
officieuses des combats dans les provinces du Kivu et nous montrerons les liens
qu’entretiennent ces groupes armés avec des organismes, institutions ou pays étrangers à la
RDC.
L’IPIS a réussi à comprendre les raisons officieuses des conflits dans les provinces du Kivu
en examinant la présence des groupes armés selon plusieurs facteurs : la cupidité (présence
des groupes armés sur les lieux des ressources naturelles, des sites miniers, etc.), les voies
commerciales (routes utilisées pour les transports de marchandises, lieux où les taxes sont
levées), la présence de réfugiés tutsis (territoires que le CNDP veut défendre), les ethnies
(lieux où il est possible d’accéder au pouvoir en fonction des origines ethniques), la sécurité
alimentaire (lieux de refuge et d’habitation ).
Dans le territoire du Grand-Nord, c’est-à-dire dans les territoires de Lubero et de Beni,
tous les groupes armés, excepté le CNDP, sont présents, mais leurs motivations semblent
différentes. La présence des FDLR dans le sud du Lubero semble être motivée par la
présence de la mine d’Unde, située dans ce territoire. Les FDLR sont également postés sur
les axes principaux qui mènent au Rwanda et à l’Ouganda, ce qui laisse penser à un trafic de
drogues vers ces pays. Les Maï-Maï, quant à eux, présents avec leur QG à Banyatenge
(Lubero), se sont installées loin du CNDP pour que leur commandant soit protégé
d’éventuelles attaques. La présence des FARDC dans le Grand-Nord s’explique par le fait
qu’ils doivent protéger les civils. Cependant, leur présence au sud de Lubero, aux mêmes
endroits que les FDLR, sans qu’il n’y ait des combats, laisse penser à une collaboration,
notamment dans le commerce et le transport illégal du charbon de bois. Les FARDC se
trouvent en effet au poste frontalier de Kasindi, qui mène en Ouganda. Ils faciliteraient donc
le transport des marchandises des FDLR vers ce pays.
52 Les analyses d’IPIS sont réalisées en vue d’aider les personnes impliquées dans des conflits à résoudre ces
derniers.
96
Dans le Petit-Nord, c’est-à-dire dans les territoires de Walikale, Masisi, Rutshuru,
Nyiragongo et la ville de Goma, vivent diverses ethnies et les ressources naturelles
abondent. La présence du CNDP s’explique par la présence des mines de Mumba/Bibatama
dans le Masisi, où le groupe prélève des taxes sur les exploitations des minerais. D’autres
taxes sont prélevées lors de barrages routiers sur les voies en direction de Walikale et de
Goma. Le CNDP est aussi positionné sur les mêmes sites que les FDLR, ce qui confirme en
partie ses motivations officielles : combattre les FDLR. De même, le CNDP est localisé dans
les zones où se trouvent les réfugiés tutsis, mais ce déploiement pose d’importants
problèmes de sécurité qui empêchent de penser que ce groupe souhaite le bien-être de
cette population. Les FDLR, fort présentes dans cette région, sont cependant en nombre
beaucoup moins important aux alentours de la frontière rwandaise, ce qui contredit leur
désir de rentrer définitivement au Rwanda. Leur présence s’explique plus par les gisements
de cassérite et de coltan aux mêmes endroits. Les Maï-Maï, quant à eux, sont présents
partout où se trouve le CNDP, ce qui confirme leur volonté de protéger la population
congolaise. Ils semblent aussi se battre pour récupérer les pâturages que le CNDP détient.
Autrefois, ces pâturages appartenaient à des chefs Maï-Maï locaux. À l’inverse des Maï-Maï,
les FARDC, qui combattent offensivement le CNDP, ne semblent pas avoir comme objectif la
sécurité puisqu’ils commettent eux-mêmes de nombreuses exactions contre les civils. Ils
semblent plutôt coopérer avec les FDLR, notamment dans le profit illégal des ressources
minières.
Enfin, les territoires du Nord de la province du Sud-Kivu, à savoir les territoires de Kahele,
Kabare, Walungu, Idjwi, du nord de Shabunda et de la ville de Bukavu, sont aussi des lieux
sur lesquels sont déployés les groupes armés. Les FDLR y sont présentes pour des raisons
stratégiques de refuge dans les forêts, mais aussi pour la levée des taxes le long des routes
par lesquelles transitent les minerais, puisqu’il y a des sites miniers à Shabunda et Walungu.
Les Maï-Maï semblent eux aussi profiter des sites miniers, notamment à Numbi, site très
convoité. Enfin, les FARDC sont motivées par des raisons économiques puisqu’elles sont
présentes à Shabunda et ne combattent pas les FDLR. Elles sont d’ailleurs également
installées sur l’île d’Idjwi, de laquelle tous les autres groupes armés sont absents, mais où se
trouvent d’importants sites miniers. Les deux cartes suivantes, respectivement du Nord et
du Sud-Kivu illustrent ces déploiements53 :
53 Nous remercions Morgan Bethuel de nous avoir aidée à les créer.
97
[Carte du Nord-Kivu avec le déploiement des groupes armés et la présence des mines]
98
[Carte du Sud-Kivu avec le déploiement des groupes armés et la présence des mines]
Comme nous venons de le constater, la présence de groupes armés sur certains territoires
dépend souvent de la présence d’importants sites miniers à ces mêmes endroits. Le rapport
de l’ONU publié en décembre 2008 confirme ce lien et montre même que des pays étrangers
à la RDC sont impliqués dans les conflits et sont liés aux groupes armés. Ainsi, selon ce
rapport le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi, mais aussi des pays de l’Union européenne
comme la Belgique, le Royaume-Uni, l’Allemagne, etc. tirent profit, de manière illégale, des
ressources naturelles extraites du sol par les groupes armés54.
Le Rwanda semble particulièrement impliqué dans ces conflits et trafics illégaux.
Militairement d’abord, le Rwanda est accusé de soutenir le CNDP, notamment en uniformes,
armes et munitions. Selon l’ONU, il va même jusqu’à envoyer des forces rwandaises (RDF) ou
à utiliser des armes lourdes se trouvant au Rwanda pour appuyer le CNDP contre les FDLR.
Rappelons que le CNDP impose des taxes sur les mines de Bibatawa. Il est donc fort probable
que le soutien rwandais vise à récolter une partie des fonds, voire des minerais. Plusieurs
comptes bancaires sous le contrôle du CNDP sont d’ailleurs ouverts, selon l’ONU, au Rwanda
et des hommes d’affaires rwandais entretiennent des relations avec ce groupe : Tribert
54 Le propos qui suit provient de ce qu’affirme le rapport de l’ONU. Les pays concernés réfutent la plupart
du temps, les preuves apportées par l’ONU dans ce rapport.
99
Rujugiro Ayabatwa, conseiller présidentiel et fondateur du Rwandan Investment Group a des
liens avec le CNDP. Il détient des biens fonciers sur le territoire du groupe et entretient des
relations avec le commandant Gahizi, chargé des finances et de la logistique du CNDP. Par
ailleurs, des camions, immatriculés au Rwanda se déplacent régulièrement dans les
territoires du CNDP, transportant du carburant et des marchandises destinés à ce groupe. Le
Rwanda est ainsi, selon l’ONU, un appui très important au CNDP.
Le rapport de l’ONU rend aussi responsable l’Ouganda dans les trafics de minerais ou
autres ressources naturelles. Tout comme le Rwanda, l’Ouganda soutient le CNDP
militairement, en lui envoyant des cargaisons de munitions. Le poste frontalier de Bunagana,
menant vers l’Ouganda est d’ailleurs en partie contrôlé par le CNDP, dont les membres
coopèrent avec les douaniers afin de prélever des taxes sur l’exportation et l’importation des
marchandises, et de faire de la contrebande d’armes et de munitions. De même, le trafic de
minerais constitue une source de revenus pour ce pays, notamment pour la société Uganda
Commercial Impex (UCI), qui importe vers Kampala l’or provenant des sites miniers de
Butembo, contrôlés par les FDLR.
Mais ces deux pays, voisins de la RDC, ne sont pas les seuls impliqués dans ces trafics et
soutiens aux groupes armés. Des pays bien plus éloignés, comme la Belgique, les États-Unis,
la Chine, la Grande-Bretagne ou encore l’Allemagne soutiendraient financièrement, toujours
selon l’ONU, de manière directe ou indirecte, ces groupes. La direction politique des FDLR se
trouve en Europe, plus précisément en Allemagne, où vivent leur président Ignace
Murwanashyaka et leur secrétaire exécutif Callixte Mbarushimna. Les soldats des FDLR sont
très actifs dans le trafic des ressources naturelles. Ils contrôlent plusieurs sites de cassitérite,
d’or, de coltan et de wolframite que des négociants leur achètent et qu’ils revendent ensuite
à des sociétés étrangères. Parmi ces gros négociants, on trouve entre autres la société belge
d’importation Traxys, mais aussi la société anglaise Afrimex. Ces deux pays, comme bien
d’autres, sont ainsi impliqués dans les conflits qui touchent les provinces du Kivu en 2008,
comme l’indique le rapport de l’ONU de 2008 :
« La cassitérite, le coltan et la wolframite sont officiellement exportés par
des entreprises installées en Belgique, au Rwanda, en Malaisie, en Thaïlande, au
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, à Hong-Kong (Chine),
en Chine, au Canada, en Fédération de Russie, en Autriche, aux Pays-Bas, en
Suisse, en Inde, aux Émirats arabes unis et en Afrique du Sud. Les principaux
points d’exportation de ces minerais sont Mombasa et Dar es-Salaam. La
cassitérite et le coltan sont surtout utilisés dans l’industrie électronique, tandis
que le wolframite entre dans la composition du tungstène. L’or sort en
contrebande par les pays voisins avant de rejoindre principalement les Émirats
arabes unis et l’Europe. » (Rapport de l’ONU, 2008 : 35)
100
Enfin, il est important de mentionner que les pays étrangers ne sont pas les seuls à
profiter de ces trafics. Plusieurs politiciens congolais, comme Raphaël Soriano (aussi appelé
Katebe Katoto), un membre de l’opposition ayant la nationalité belge, financent le CNDP.
Édouard Mwangachuchu, un sénateur régional exploite, quant à lui, la mine de Bibatawa en
reversant des taxes au CNDP par kilogramme de coltan extrait. Pour finir, on dénote
également une coopération entre les FDLR et les membres de l’armée gouvernementale, les
FARDC. Ces deux groupes se fournissent mutuellement du matériel militaire et organisent
des opérations conjointes contre le CNDP. Ils profitent aussi tous deux du commerce illégal
de charbon de bois, notamment dans le parc des Virunga. Les nombreux appels
téléphoniques relevés chez les FARDC vers de hauts responsables FDLR montrent aussi la
corruption dans l’armée gouvernementale.
À la lecture des divers rapports de ces organismes pour la paix, il est donc clair que
d’autres pays sont impliqués dans le conflit que nous étudions et que les raisons des
combats sont en lien étroit avec la convoitise des ressources naturelles de la RDC.
Ces combats et leurs acteurs, évoqués dans la presse, sont perçus de diverses manières.
La comparaison des textes du corpus permet de montrer comment ces perceptions du
conflit diffèrent d’un journal à l’autre. L’objet du chapitre suivant concerne la manière dont
nous avons lié les contenus informationnels des textes de notre corpus pour ensuite les
comparer et montrer comment la perception du conflit différait d’un journal, mais aussi d’un
pays à l’autre.
101
Chapitre IV Notions d’intertextualité et de transformation
102
1. Introduction
Une des notions clefs de nos analyses présentées aux chapitres VI et VII est la notion de
transformation : un contenu informationnel présent dans un premier texte apparaît de
manière (légèrement) différente dans un autre texte, une transformation étant soit une
altération, soit un ajout, soit une suppression de l’information. Cette notion de
transformation ne peut être comprise qu’à la lumière d’une autre notion théorique,
l’intertextualité : examiner la manière dont le contenu informationnel est transformé d’un
texte ou d’un journal à l’autre, c’est s’interroger sur les liens existant entre ces textes ou ces
journaux. Dans ce chapitre, nous expliquerons dans une première section ce que nous
entendons par la notion d’intertextualité par rapport aux textes de notre corpus. Pour bien
comprendre cette notion, nous la présenterons d’abord de manière théorique pour montrer
ensuite comment nous avons identifié les liens intertextuels dans notre corpus. Dans la
deuxième section, c’est la notion de transformation qui sera présentée. Pour comprendre ce
que cette notion recouvre, nous commencerons par expliquer quels sont les objets d’étude
touchés par les transformations dans notre corpus, ce qui nous permettra de restreindre le
champ d’observation à un nombre limité de phénomènes énonciatifs. Nous terminerons ce
chapitre en montrant les limites de certaines méthodes de recherche des liens intertextuels,
méthodes par lesquelles des textes identiques ou différents ont été liés, bien qu’ils ne soient
pas pertinents dans l’examen des transformations.
2. L’intertextualité : notions et types de liens intertextuels
2.1. La notion d’intertextualité
Comme nous l’avons vu dans le second chapitre (1.1), l’intertextualité est un phénomène
que certains linguistes comprennent dans les phénomènes de dialogisme. La notion
d’intertextualité a été utilisée pour la première fois par Julia Kristeva en 1968 dans sa
définition du texte :
« [S]ans vouloir réduire le texte à la parole orale, mais en marquant que nous
ne pouvons pas le lire en dehors de la langue, nous définirons le texte comme
un appareil translinguistique qui redistribue l’ordre de la langue, en mettant en
relation une parole communicative visant l’information directe, avec différents
types d’énoncés antérieurs ou synchroniques. Le texte est donc une
productivité, ce qui veut dire : (i) son apport à la langue dans laquelle il se situe
est redistributif (destructivo-constructif), par conséquent il est abordable à
travers des catégories logiques et mathématiques plutôt que purement
linguistiques, (ii) il est une permutation de textes, une intertextualité : dans
l’espace d’un texte plusieurs énoncés pris d’autres textes se croisent et se
neutralisent. » (Kristeva 1968 : 300, citée par Slembrouck, p.156)
103
Dans cette définition du texte, le texte n’est plus considéré comme une unité autonome,
défini par des frontières claires, comme cela se faisait dans la littérature formaliste. Le texte
est au contraire conçu comme le résultat de transformations. Selon Kristeva en effet, le
texte est ce qui lie la langue à la parole : en actualisant la langue dans un contexte spécifique
de production (parole), le texte la restructure. Cette restructuration de la langue trouve une
équivalence dans la société : le texte n’est compris qu’à travers des contextes sociaux, mais
dans son contexte spécifique de production, le texte change ces derniers. Prenons un
exemple pour comprendre ce propos. Le genre littéraire de la poésie courtoise ne peut être
compris qu’à travers la prise en considération de l’époque courtoise (11e et 12e siècles).
Cependant, si ce genre textuel est reproduit ou est réinterprété, recontextualisé dans une
autre époque, le contexte courtois de départ sera transformé, puisque les deux contextes,
l’ancien et le nouveau, sont différents l’un de l’autre. Ce contexte social, comme l’indique
Slembrouck (2011), est perçu par Kristeva comme un ensemble textuel dans lequel le texte
doit être interprété.
On comprend dès lors pourquoi Kristeva sélectionne comme seconde caractéristique du
texte « l’intertextualité » : tout texte ne peut être compris, son sens ne peut être complet
que par la prise en considération d’autres textes ; le texte est toujours fondamentalement
constitué par une relation à d’autres textes. Dans cette conception du texte, l’accent est mis
sur la recontextualisation, sur les transformations que subit un texte pour acquérir sa
complète signification. En effet, la signification d’un texte ne peut être totale que par la prise
en considération des autres textes qui le traversent constitutivement. Cette signification est
notamment construite lors du processus de production et d’interprétation du texte :
“Text-specific meanings are always made in and trough the intertextual
relations with writers and readers or speakers and listeners construct and
construe in the process of assigning meaning to the linguistic and discourse-
level patterns of organisation in text.” (Thibault, 1998: 401)
Dans cette définition, une importance est accordée à la capacité des agents sociaux,
écrivains ou lecteurs, de construire et de reconnaître des relations de significations données
sur la base des relations intertextuelles auxquelles leur positionnement social leur donne
accès. En d’autres termes, plus les écrivains ou les lecteurs sont familiarisés avec certaines
relations intertextuelles, plus ils les construiront ou les reconnaîtront facilement. Mais,
comme le souligne Thibault (1998), ces relations intertextuelles, qui sont aussi des
significations, ne sont pas attribuées de manière individuelle par des agents sociaux. Elles ne
sont au contraire que des exemples de relations de significations plus globales, raison pour
laquelle Lemke (1983, 1985) parle de formations intertextuelles (intertextual formations) :
les relations de signification d’un texte avec d’autres textes sont toujours multiples, ce que
Bakhtine concevait déjà lorsqu’il affirmait que des relations peuvent être établies entre
différents textes écrits dans un certain dialecte, entre différents textes provenant du langage
d’un certain groupe social ou d’un certain genre textuel, etc. En d’autres termes, c’est tout
104
un réseau de relations qui doit être pris en considération dans l’examen des relations
intertextuelles et de la signification d’un texte.
Ces relations intertextuelles multiples dépendent cependant toujours des pratiques
discursives propres à certains groupes sociaux, ce que Thibault formule comme suit :
“A given text, on a given social occasion of discourse, may be recognized or
understood as being a text of a certain type on the basis of a characteristic
internal global structural organisation. Or, it may take up, resume, or otherwise
respond to some other text which was spoken or written on some quite
different occasion, and with which it has no structural relation”. (Thibault, 1998:
403)
En d’autres termes, les textes peuvent partager entre eux des similarités internes,
structurales (comme des similarités grammaticales, lexicales, organisationnelles, etc.), ou se
répondre mutuellement (comme dans les cas où l’objet de discours est le même), mais le
lien qui est établi entre eux dépend de modèles de similarités partagés par les auteurs et les
lecteurs, par les agents sociaux. Ces modèles de similarités partagés par les agents sociaux,
ces relations intertextuelles établies en grandes classes par les agents sociaux ne constituent
cependant, lorsqu’elles sont analysées de manière autonome, qu’une infime partie des
relations pouvant exister entre les textes. Par exemple, il est possible d’examiner comment
un même objet de discours, un même thème apparaît dans plusieurs textes. Les textes pris
en considération lors de cet examen constituent alors un réseau de relations intertextuelles.
Cependant, ce réseau n’est pas le seul à travers lequel les textes peuvent être liés. On pourra
en outre comparer des textes d’un même genre textuel, des textes d’une même époque
portant sur des objets de discours différents, des textes d’un même auteur au fil du temps,
etc.
Avec ces opérations consistant à lier des textes entre eux sur la base de certaines
catégories préétablies, la notion d’intertextualité se voit agrandie : l’intertextualité n’est plus
seulement la relation constitutive d’un texte à d’autres textes, mais elle est caractérisée par
l’ensemble des réseaux de relations de significations des textes. Les traits pertinents qui
peuvent être pris en considération pour l’examen des liens intertextuels deviennent alors
infinis :
“Which textual features are selected, or which criteria of coclassification
[sic] are deployed in order to link two or more texts in some wider intertextual
relation depend on the interests and the social positioning of the agents who
perform these operations.” (Thibault, 1998: 403)
Évidemment, le fait de prendre en considération certains aspects plutôt que d’autres
pour parler de relations intertextuelles a des implications sur le type d’intertextualité
105
établie. Lemke (1985) parlera d’intertextualité faible lorsque les correspondances entre les
textes sont examinées à un niveau local (similarités de thèmes, de structures grammaticales,
etc.), mais dès que ces similarités se répètent à grande échelle et sont corrélées de manière
systématique à d’autres similarités textuelles, on parlera d’intertextualité forte. Par exemple,
dire que deux textes ou plusieurs textes sont marqués par la présence de rimes est une
intertextualité faible. Dire que ces rimes sont systématiquement produites dans le genre
poétique à une époque donnée est un cas d’intertextualité forte.
2.2. Les différents types de liens intertextuels
Comme nous venons de le montrer, dans l’examen des liens intertextuels, plusieurs aspects
peuvent être pris en considération. Dans cette section, nous présentons les aspects que
nous avons jugés pertinents pour établir des liens intertextuels dans notre corpus. Ils sont au
nombre de cinq :
1) les contenus informationnels des textes.
2) les genres textuels auxquels appartiennent les textes.
3) les auteurs des textes.
4) les journaux dans lesquels sont publiés les textes.
5) les pays dans lesquels sont publiés les textes.
2.2.1. Liens entre contenus informationnels des textes
Les premiers types de liens intertextuels qu’il nous a paru pertinent d’examiner lors de notre
recherche est ceux que nous appelons les liens entre contenus informationnels. Ces liens
sont établis lorsque différents textes traitent de contenus informationnels semblables. Dans
un corpus aussi large que le nôtre, il a fallu choisir des méthodes utiles pour rechercher la
manière dont plusieurs textes étaient liés du point de vue de leurs contenus
informationnels. Ces méthodes, que nous décrirons dans cette section, sont au nombre de
deux : la recherche de ce que nous appelons les liens explicites d’une part et celle des liens
dits implicites d’autre part.
106
a) Les Liens dits explicites
Les liens explicites apparaissent lorsqu’un nom de journal ou un nom d’auteur55 est cité dans
un des textes de notre corpus. En recherchant tous les noms de journaux et d’auteurs cités
dans notre corpus, nous avons pu constituer des paires de textes, c’est-à-dire des liens
intertextuels liant explicitement des contenus informationnels. Ces liens nous ont donné la
certitude que les contenus informationnels de différents textes étaient semblables : si un
texte A, que nous appelons texte source et que nous définissons comme « texte duquel
provient le contenu informationnel» est explicitement cité par un texte B, que nous
appelons texte cible et que nous définissons comme « texte qui reprend le contenu
informationnel à un autre texte », ces textes traitent normalement du même contenu
informationnel.
Pour comprendre ces liens intertextuels explicites, nous présenterons d’abord quelques
exemples illustrant le phénomène, ainsi que la répartition du nombre de cas identifiés dans
notre corpus. Ensuite, nous interpréterons les résultats obtenus : en examinant le pays des
textes sources et celui des textes cibles, nous pourrons comprendre comment l’information
circule. Les questions auxquelles nous répondrons dans cette seconde partie seront : peut-
on dire qu’un contenu informationnel portant sur un événement est d’abord publié dans le
pays où a lieu l’événement avant d’être publié dans d’autres pays ? Les textes sources et les
textes cibles proviennent-il des mêmes pays ou observe-t-on une circulation internationale
de l’information? etc.
- Liens établis au moyen des noms de journaux et des noms d’auteurs
1. Les liens explicites que nous avons établis au moyen des noms de journaux se
manifestent par la présence d’un nom de journal comme source du contenu informationnel
d’un texte. Dans l’extrait suivant par exemple, le journal Le Potentiel cite explicitement le
nom du journal Le Monde56:
55 Nous préférons le terme auteur à celui de journaliste car dans certains cas, les textes sont signés par des
philosophes, des ministres congolais, européens, etc. Il nous semble dès lors plus approprié de ne pas restreindre la classe des énonciateurs premiers responsables de la rédaction des textes à celle des journalistes.
56 Etant donné que notre corpus de départ ne comporte des textes publiés en version papier, mais que des
textes citant d’autres textes peuvent avoir comme source d’information des publications postées sur le web, nous avons décidé de compléter le corpus de départ avec des textes retrouvés sur le web. Nous avons alors complété leur appellation par en ligne.
107
45) Pire encore, les nouveaux combats entre le CNDP et les forces gouvernementales ont repris dans ce territoire la veille du Sommet de Nairobi. En violation du cessez-le-feu qu’il avait décrété, le CNDP « est désormais déterminé d’avoir [sic] un territoire entièrement sous son contrôle », a commenté l’un des responsables de la Mission onusienne au Congo, relayé par le Journal Le Monde57. [Le Potentiel, 07 novembre 2008]
Pour retrouver ce type de liens, nous avons utilisé un logiciel de concordance, le Simple
Concordance Program. À l’aide de ce logiciel, nous avons pu rechercher dans chaque
ensemble de textes provenant d’un même journal - dans chaque sous-corpus - les noms des
huit journaux étudiés. Au total, 63 cas de liens intertextuels explicites ont été extraits. Une
fois ces liens repérés, nous avons constitué des paires de textes et comparé ces derniers
dans leur totalité58. Dans le tableau suivant, nous indiquons la répartition de ces liens
explicites dans l’ensemble du corpus :
Journaux cibles Journaux sources Nombre de liens explicites établis
au moyen des noms de journaux
La Libre Belgique (LIB) LM (1)59, LP (1), PH (1) 3
Le Soir (LS) LM (1) 1
Libération (LI) LM (1) 1
Le Figaro (LF) 0 0
57 L’italique dans les exemples présentés marque le segment du texte qui correspond au phénomène
linguistique qui est décrit.
58 Nous n’avons pas seulement comparé les deux énoncés dans lesquels sont cités les noms de journaux,
mais bien les deux textes en entier, car il était possible que la citation d’un nom de journal soit amenée par des termes comme « Selon la source », « à en croire le quotidien », etc. dans la suite du texte.
59 Le chiffre entre parenthèses correspond au nombre de citations explicites de noms de journaux ou de
noms d’auteurs dans un texte cible.
108
Le Monde (LM) 0 0
Le Phare (PH) LS (6), LIB (2), LM (1) 9
L’Observateur (OBS) LS (6), LIB (7), LP (1),
OBS (1), LI (2)
17
Le Potentiel (LP) LS (13), LIB (2), LM
(diplomatique60)
(12), LP (2), PH (1), LI
(1), LF (1)
32
2. Un lien explicite entre deux textes peut aussi être détecté par la présence dans un des
deux textes du nom de l’auteur de l’autre texte (journaliste, ministres, philosophes, etc.).
L’extrait suivant provient d’un texte du Potentiel qui cite explicitement le nom d’une
journaliste du Soir, Colette Braeckman :
46) Dans un article publié le 26 décembre 2008 et intitulé ‘Pourquoi l’armée congolaise est aussi faible’, Colette Braeckman abonde dans le même sens quand elle écrit: « Pour comprendre la faiblesse de cette armée, il faut se rappeler que ce sont les accords de paix de Sun City, conclus en 2002 sous l’égide de la communauté internationale, qui ont donné naissance à une formule hybride : le pouvoir politique était partagé entre un président (Joseph Kabila) et quatre vice-présidents. […] ». [Le Potentiel, 05 janvier 2009]
Comme pour les noms de journaux, nous avons cherché tous les noms d’auteurs dans le
corpus entier à l’aide du logiciel de concordance précédemment mentionné. Le tableau
suivant rend compte de la répartition des résultats obtenus pour cette recherche :
60 Nous intégrons Le Monde diplomatique à notre corpus lorsqu’il s’agit de citations explicites de noms de
journaux parce que celui-ci constitue un supplément au journal Le Monde. Il ne s’agit donc pas d’une source totalement différente de ce dernier.
109
Journaux cibles Nombre de liens explicites
établis au moyen des noms
d’auteurs
Auteurs/Journaux sources61
Le Soir (LS) 1 Patient Ndoole: PH (InfoSud)
(1)
La Libre Belgique (LIB) 1 Gervais Manou : PH (Syfia)
(1)
Libération (LI) 1 Serge Bailly : LS (1)
Le Figaro (LF) 0 0
Le Monde (LM) 0 0
Le Phare (PH) 4 Marie-France Cros, Gervais
Manou : LIB, PH62 (Syfia) (2),
61 Sont entre autres les auteurs des textes de notre corpus : Patient Ndoole, Serge Bailly, Gervais Manou et
Evariste Mahamba. Cependant, lorsque nous avons recherché les textes sources, nous nous sommes rendu compte que ceux-ci provenaient de journaux différents de ceux intégrés dans notre corpus. Nous les avons quand même analysés en accordant une importance à l’auteur et non au journal. Lorsque le code du journal, (PH, LP, LS, etc.), est suivi d’un nom entre parenthèses (Infosud), cela signifie que le code du journal réfère au journal de notre corpus dans lequel l’auteur concerné a publié (Le Phare, Le Potentiel, Le Soir, etc.) et le nom entre parenthèses à un journal différent de ceux inclus dans notre corpus et dans lequel l’auteur concerné a également publié. Ainsi, dans « Patient Ndoole : PH (InfoSud) », Patient Ndoole est un auteur des textes de notre corpus qui a d’abord publié en ligne dans Infosud, publication ensuite reprise par le journal Le Phare qui fait partie de notre corpus.
62 Dans ce cas de citations d’auteur, Le Phare tout comme La Libre Belgique citent Gervais Manou comme
auteur d’un texte source. Cependant, Gervais Manou ne rédige pas seulement dans ces deux journaux ; il publie également sur Syfia Grands Lacs, un site médiatique en ligne. On peut donc penser, d’après les dates de publication, que La Libre Belgique reprend l’information au Phare et que ce dernier la reprend à Syfia. C’est la raison pour laquelle nous enlevons du décompte du Phare la citation de cet auteur.
110
Patient Ndoole : PH (Syfia)
(2), Colette Braeckman : LS
(1)
L’Observateur (OBS) 0 0
Le Potentiel (LP) 7 Colette Braeckman : LS (6),
Evariste Mahamba : PH
(Syfia) (1)
- Interprétation des résultats : la circulation de l’information du
« Nord » vers le « Sud »
Au début de notre projet de recherche, nous pensions que des transformations de sens
auraient lieu lors du passage d’un contenu informationnel provenant d’une presse locale vers
une presse globale. En d’autres termes, nous pensions qu’un événement (politico-militaire) -
celui des provinces du Kivu en RDC - allait d’abord être publié dans la presse nationale,
congolaise, avant d’être relaté dans la presse internationale (française et belge). L’examen
des liens intertextuels explicites établis au moyen des noms de journaux et des noms
d’auteurs nous a cependant permis de constater que cette idée de circulation de
l’information à partir d’une presse nationale vers une presse internationale ne se confirme
pas.
Sur les 63 cas de liens explicites établis par des noms de journaux, seuls deux cas
correspondent à la citation d’un journal congolais, un journal local, donc national (Le Phare,
Le Potentiel) par un journal international (La Libre Belgique). De même, sur les quatorze cas
de liens explicites établis au moyen des noms d’auteurs, seuls deux textes européens (Le
Soir, La Libre Belgique) citent des auteurs congolais (Patient Ndoole, Gervais Manou).
En revanche, lorsqu’on regarde la provenance de l’information congolaise, on constate
que sur les 58 cas de liens explicites établis au moyen des noms de journaux dans la presse
congolaise, 53 d’entre eux sont des noms de journaux européens. De même, sur les douze
cas de liens explicites établis au moyen des noms d’auteurs dans la presse congolaise, huit
d’entre eux sont des noms d’auteurs européens.
Au vu de ces résultats, on peut donc penser que l’information ne circule pas
nécessairement du « Sud » vers le « Nord », comme on le croyait, mais plutôt dans le sens
inverse. La majorité du temps en effet, lorsque le lien intertextuel est établi de manière
111
explicite, on observe que ce ne sont pas les journaux occidentaux qui citent les journaux
congolais, mais l’inverse.
On pourrait penser que l’éloignement géographique des journaux congolais par rapport
aux lieux des événements relatés dans la presse a des conséquences sur la circulation de
l’information (Kinshasa est à plus de 1.500km du conflit au Nord-Kivu). Avec cette
hypothèse, il serait normal de penser que les journalistes congolais reprennent l’information
à la presse européenne parce qu’ils sont trop éloignés de l’événement relaté. Mais deux
constatations permettent toutefois de contredire cette hypothèse: d’abord, les journaux
européens publient des textes sur le conflit congolais dans des régions bien plus éloignées
des faits relatés. Il est donc normal, à priori, que l’information arrive d’abord dans la capitale
de la région en question avant qu’elle ne soit transmise à l’Europe. Ensuite, le fait que les
journaux congolais reprennent dans la presse européenne des informations concernant leur
propre pays est une chose assez surprenante : il est en effet difficile d’imaginer le contraire,
à savoir la reprise par la presse française ou belge à une source congolaise d’une information
concernant la France ou à la Belgique.
Cette circulation de l’information du « Nord » vers le « Sud » pourrait en revanche être
expliquée par deux autres facteurs: d’une part, il est possible que le développement moins
important des institutions journalistiques en RDC influence la récolte de l’information. Ce
qu’on constate notamment à travers le tableau suivant, c’est que dans la majorité des cas,
ce sont les journaux européens qui envoient leurs correspondants ou envoyés spéciaux dans
la région du conflit, et non les journaux congolais63. Le fait que les journalistes européens
sont présents sur les lieux du conflit pousserait les journalistes congolais à reprendre
l’information à ces journalistes:
63Etant donné que Kinshasa, lieu de publication des journaux congolais intégrés dans notre corpus, se
trouve à 1.500 kilomètres de Goma, capitale du Nord-Kivu où ont lieu les combats, on s’attendrait à ce que des journalistes congolais soient également envoyés sur les lieux pour récolter l’information, comme le sont les journalistes européens.
112
Journaux occidentaux Journaux congolais
Nombre total de textes 388 1175
Journalistes envoyés au Kivu 25 1
Journalistes envoyés en
Europe
2 5
Les journalistes répertoriés dans ce tableau sont ceux qui sont identifiables avec précision
(par ex. « Philippe Bolopion, correspondant à Goma »). D’autres cas apparaissent également
dans notre corpus. Ainsi, on retrouve dans Le Phare quatre mentions d’envoyés spéciaux,
dont trois sont des mentions vagues ne permettant pas d’identifier l’envoyé spécial, telles
que « un correspondant de presse/un correspondant qui se trouve sur place », et à un cas
d’un envoyé spécial de France 24, une chaîne de télévision médiatique ne faisant pas partie
de notre corpus. Étant donné que les trois cas vagues peuvent aussi référer à des
journalistes envoyés par des journaux européens, nous ne les intégrons pas dans nos
résultats. De même, pour Le Potentiel, un envoyé spécial se trouve à Addis Abeba en
Ethiopie, donc hors de la RDC, et l’autre est un journaliste du Monde (Jean-Philippe Rémy).
La pratique qui consiste à envoyer des journalistes là où ont lieu les événements est donc
moins répandue en RDC qu’en France ou en Belgique - du moins pour les journaux que nous
étudions. Selon nous, cette différence dans le statut des journalistes (envoyés spéciaux ou
non) pourrait être due aux moyens économiques différents des pays en question : envoyer
des journalistes sur le terrain implique nécessairement des dépenses financières auxquelles
les pays en voie de développement, comme la RDC, sont moins en mesure de faire face. Ils
recourraient dès lors à d’autres techniques, moins coûteuses, pour accéder à l’information,
notamment via la presse internationale.
Le second facteur possible d’explication de la circulation de l’information du « Nord » vers
« le Sud » résiderait peut-être dans le contexte de la globalisation qui touche le monde dans
lequel nous vivons : dans ce contexte globalisé, il est clair que l’accès à l’information via le
Web est monnaie courante. Les fournisseurs médiatiques européens ayant divers contrats
avec les agences de presse internationales, ils obtiennent rapidement et via plusieurs
sources l’information dont ils ont besoin. Les journaux congolais n’ont dès lors plus qu’à « se
servir » dans les contenus informationnels publiés sur le Web par la presse européenne.
113
b) Les liens dits implicites
Les liens que nous avons appelés les liens implicites sont des liens intertextuels concernant
des contenus informationnels semblables, mais qui ont été détectés par d’autres moyens
que par la présence explicite d’un nom de journal ou d’un nom d’auteur mentionnés. Pour
retrouver ces liens implicites, nous avons suivi une méthode de recherche de similarités
lexicales entre des textes. Une fois les textes liés, nous avons vérifié quelles étaient les
sources d’information des deux textes afin d’établir à partir de quelle source l’information
avait circulé. Ces sources d’information sont par exemple des agences de presse ou des
journaux ne faisant pas partie de notre corpus.
- Similarité lexicale des textes
La seconde méthode que nous avons suivie pour établir des liens intertextuels concernant
les contenus informationnels a consisté à déterminer le degré de similarité lexicale des
textes. Celui-ci correspond à un pourcentage d’identités lexicales entre deux textes, c’est-à-
dire à un pourcentage de mots identiques dans deux textes. À l’aide du module d’analyse
linguistique Pattern, des auteurs comme Clough et Stevenson (2009) ont développé un
algorithme permettant de repérer le plagiat dans un texte. Cet algorithme permet de
trouver des séquences de plusieurs mots (appelées n-grams) qui apparaissent à l’identique
dans deux textes. Dans le cas de notre recherche64, les séquences de mots identiques ont
été fixées à quatre mots identiques. Une fois ces séquences de mots retrouvées, un
pourcentage de similarité lexicale a été attribué à chaque paire de textes. Ce pourcentage
dépend de la fréquence d’apparition des séquences de mots identifiées dans tout le corpus.
Ainsi, la séquence « République démocratique du Congo » obtient un pourcentage moins
élevé que « la déclaration de Nkunda » en raison de sa fréquence plus importante dans
l’ensemble du corpus. En fonction du pourcentage plus ou moins élevé de fréquence
attribué aux séquences de mots, le logiciel a généré un output sous forme de textes coloriés
en différents tons: plus le ton de la séquence coloriée est foncé, moins cette séquence
apparaît souvent dans l’ensemble du corpus. Ce qui a pour effet que les deux textes mis en
relation relate une information très semblable. Donc, le pourcentage de similarité lexicale
entre les deux textes augmente. Par exemple, si deux textes ne sont liés que des séquences
de mots comme « la République démocratique du Congo », ils obtiendront un score de
64 Nous remercions Tom Desmedt et Walter Daelemans de l’Université d’Anvers, pour leur aide dans cette
recherche. Nous tenons également à mentionner que dans certains cas, des accents ou des majuscules avaient disparu lors de l’extraction des textes. Nous les avons reproduits, pour éviter une lecture pénible, en nous assurant que cela n’entravait les résultats obtenus.
114
similarité lexicale moins élevé que des textes liés avec des séquences comme « il a dit que
les soldats avaient pris d’assaut la localité de Mugunga ». En effet, dans le premier cas, la
séquence de mots, relativement courte apparaît dans un grand nombre de textes : les textes
sont donc mis en relation, même s’il ne traite pas du même contenu informationnel (ils sont
peu similaires ; ils relatent des contenus différents ; ils ne sont pas lexicalement similaires).
Dans le second cas en revanche, la séquence plus longue et moisn répandue dans tout le
corpus conduit à des conclusions logiques : si cette séquence est peu répandue sur
l’ensemble du corpus et qu’elle apparaît de manière identique dans deux textes, les deux
textes relatent probablement le même contenu information ; leur similarité lexicale est
élevée. Ci-dessous, un extrait d’une paire de textes traitée selon ce procédé:
0.3665 of the first text is also in the second text:
Texte 1 : OBS_081218_Katebe Katoto (2).txt
Au cours d’une émission en Worldnet. Politique. Katebe Katoto « je n’ai jamais financé
Laurent Nkunda. L’ONU a toujours publié de faux rapport [sic] » * Herman Cohen dénonce
les pillages des richesses du Congo. La situation politique en République démocratique du
Congo avec en relief le rapport du groupe d’experts des Nations unies sur le respect du
régime de sanctions envers la République démocratique du Congo était au centre de
l’émission en Worldnet au Centre culturel américain et en direct à la radio Okapi et à la radio
Panic en Belgique. Le rapport des Nations unies publié le jeudi 11 décembre 2008 accuse le
Rwanda, des personnalités congolaises et l’armée rwandaise de soutenir le Congrès national
pour la défense du peuple CNDP de Laurent Nkunda et d’autres groupes armés dans l’Est de
la RDC. Intervenant depuis Bruges en Belgique où il réside, l’homme d’affaires congolais
Katebe Katoto, qui a été cité dans ce rapport a réagi dans l’émission en déclarant qu’il n’a
jamais financé la guerre et le CNDP de Laurent Nkunda. « Je n’ai jamais financé le CNDP.
Jamais !!! Je rejette ce rapport en bloc. Il est vrai que je connais Laurent Nkunda. Quand
j’étais a Goma, comme premier président du RCD, les gens oublient, Nkunda faisait partie
des officiers de l’armée du RCD. Et j’ai connu Nkunda a titre personnel . Mais dans le cadre
du RCD, je n’ai pas de contact ni avec le RCD, ni avec Laurent Nkunda. C’est faux et archi-
faux » a déclare Katebe Katoto. Et pourtant le rapport des Nations unies donne des preuves
de votre implication ? Lui demande un confrère de radio Panic. L’homme d’affaires congolais
répond sur un ton grave, en arrangeant sa cravate : « Je me permets quand même de rigoler
65 0.36 correspond à 36%
115
parce que je suis moi-même surpris de voir qu’une organisation d’une grande importance
comme l’ONU, avec une réputation internationale puisse se permettre de publier des
rapports comme ça. Vous savez que quand il y a rapport, cela suppose qu’il y a eu une
enquête. Et quand il y a enquête, ce [sic] qu’on a une information. On la vérifie auprès de
l’intéressé. Or, pour mon cas, les experts des Nations unies ne m’ont jamais contacté, ils
n’ont jamais posé la question » a-t-il indiqué. Selon l’ancien président du RCD, les experts
des Nations unies se sont basés sur les bruits et rumeurs qu’ils ont appris quelque part. « Je
dois vous dire que je rejette en bloc tout ce que l’ONU a marqué dans son rapport me
concernant. Depuis que j’ai quitté Goma dans le cadre du RCD, parti politique dans les
années 2003-2004, je ne suis plus rentré là-bas. Et je n’ai plus de contacts ni avec Goma, ni
avec Laurent Nkunda ni avec qui que ce soit, ni même avec le Rwanda », a-t-il martelé. […]
Texte 2 : L ate e atoto-- e n’ai amais nancé le (2).txt
18/12/2008 politique nationale. Dans une interview accordée à Radio Okapi Katebe Katoto
« Je n’ai jamais financé le CNDP » par Le Potentiel. Un rapport des Nations unies publié la
semaine dernière accuse le Rwanda et des personnalités congolaises notamment dans
l’armée de soutenir le CNDP de Laurent Nkunda et autres groupes armés a l’Est de la RDC .
Parmi des personnalités citées, il y a Katebe Katoto, homme d’affaires congolais et ancien
membre du RCD/Goma. Radio Okapi a contacté l’intéressé à Bruges en Belgique où il réside.
Nous proposons ci-dessus l’interview accordée à la radio onusienne. M. Katebe Katoto,
l’ONU vient de publier un rapport sur la situation de guerre au Nord-Kivu. Nous vous
rencontrons ici à Bruges en Belgique où vous habitez. Quelle est votre réaction à chaud sur
ce rapport ? Je me permets quand même de rigoler parce que je suis moi-même surpris de
voir qu’une organisation d’une grande importance comme l’ONU avec une réputation
internationale puisse se permettre de publier des rapports comme ça. Vous savez que quand
il y a rapport, ce [sic] qu’il y a eu une enquête. Et quand il y a enquête, ce [sic] qu’on a une
information, on la vérifie auprès de l’intéressé. On ne m’a jamais contacté, on ne m’a jamais
posé la question. On s’est basé sur les bruits qu’on a appris quelque part. Je dois vous dire
que je rejette en bloc tout ce que l’ONU a marqué dans son rapport me concernant. Depuis
que j’ai quitté Goma dans le cadre du RCD, parti politique, dans les années 2000-2003, je ne
suis plus rentré là-bas. Et je n’ai plus de contacts ni avec Goma, ni avec Nkunda Laurent ni
avec qui que ce soit, ni même avec le Rwanda. Je n’ai plus ce genre de contact. Je n’ai jamais
financé le CNDP. Jamais ! Je rejette ça en bloc. Je connais Nkunda Laurent. Quand j’étais à
Goma comme premier président du RCD, les gens oublient ,Nkunda faisait partie des
officiers de l’armée du RCD. Et j’ai connu Nkunda à titre personnel. Mais dans le cadre du
RCD, je n’ai pas de contact ni avec le RCD ni avec Laurent Nkunda. […]
Les extraits des deux textes ci-dessus montrent qu’ils sont fort liés du point de vue de leur
contenu informationnel : toutes les séquences de mots coloriées de différents tons
apparaissent à l’identique dans les deux textes. On peut donc dire qu’il existe un lien
116
intertextuel concernant les contenus informationnels de ces deux textes. Toutefois, on ne
peut pas dire à partir du seul examen de leurs dates de publication que l’un d’entre eux
constitue le texte source de l’autre, puisqu’ils sont publiés à la même date, le 18 décembre
2008. Or, l’objet de notre étude concerne les transformations des contenus informationnels.
Ces transformations présupposent le passage d’un texte source à un texte cible publié
postérieurement. Lorsque les textes sont publiés à la même date, nous ne pouvons par
conséquent pas parler de transformations de textes, mais nous pouvons parler de
différences entre deux textes.
Au total, 527 paires de textes, soit 1054 textes, ont été extraites de l’ensemble de notre
corpus par cette méthode de recherche de liens intertextuels. Cependant, tous ces textes
n’ont pas nécessairement été pris en considération dans notre étude, car certains d’entre
eux comportaient des similarités lexicales avec d’autres textes, mais le pourcentage de
similarité lexicale était trop faible : ils traitaient en fait de contenus informationnels
différents (voir point 2.4.).
Contrairement aux liens intertextuels explicitement établis, nous n’avons pas pu déduire,
par l’examen des pays de publication des textes, comment l’information circulait (du
« Nord » vers le « Sud » ou dans le sens inverse). Pour les liens explicitement établis, la
présence d’un nom de journal ou d’un nom d’auteur dans un texte cible suffisait pour
conclure que ce dernier avait repris l’information à l’autre journal ou à l’autre auteur et cela
nous a donné des indications sur la circulation de l’information. Dans le cas des textes
implicitement liés en revanche, nous avons dû vérifier si d’autres sources d’information
étaient présentes dans les textes. Par exemple, si une source d’information telle que l’AFP
(Agence France-Presse) était mentionnée dans un texte congolais, cela nous donnait des
indications que l’information avait circulé du « Nord » vers le « Sud » et non dans le sens
inverse.
- résence d’autres sources d’information dans les textes
Dans une recherche sur l’intertextualité, il est évident qu’on ne peut pas, par simple examen
des dates de publication, déterminer à priori qu’un texte source deviendra un texte cible. En
effet, lorsqu’on dispose d’un ensemble de textes, l’information ne circule pas
nécessairement au sein même de cet ensemble. Les textes de notre corpus ne constituent
qu’une infime partie des sources potentielles d’information auxquelles nous avons eu accès.
Par conséquent, nous avons dû repérer la présence d’autres sources d’information dans les
textes pour comprendre comment circulait l’information. Par les mots autres sources, nous
entendons des « sources d’informations différentes de celles que constituent les acteurs du
conflit, les noms de journaux ou de journalistes de notre corpus ». Ces sources sont par
exemple des agences de presse, des radios ou des journaux autres que ceux qui font partie
de notre corpus.
117
Dans nos données, plusieurs cas d’apparition d’autres sources ont été repérés : premier
cas, l’autre source comme auteur du texte : il arrive qu’un texte ne soit signé que par une
agence de presse. Dans la majorité de ces cas, le texte est une brève, reprise telle quelle à
une agence de presse. Second cas, l’apparition du nom d’une autre source au sein même du
texte : lorsqu’on observe que l’information est reprise à une agence de presse et que le
renvoi est fait par la représentation d’un discours autre (par exemple, « Selon Reuters, … »),
nous considérons le nom du journaliste ou du journal comme l’auteur du texte, et l’agence
de presse comme une autre source. Nous considérons également qu’il s’agit d’une autre
source uniquement si cette dernière est en rapport avec le contenu informationnel
comparé, c’est-à-dire avec le contenu informationnel qui apparaît dans les deux textes.
Enfin, dernier cas possible, la coprésence d’un nom de journaliste et d’un nom d’agence de
presse, de radio, ou d’un autre journal signant le texte (par exemple, « Colette Braeckman et
AFP »). Dans ce dernier cas, le nom du journaliste est considéré comme l’auteur et nous
estimons qu’il a repris l’information à une autre source, mais qu’il l’a retravaillée.
Sur l’ensemble des textes qui ont été comparés, c’est-à-dire sur tous les textes présentant
des transformations ou des différences par rapport à d’autres textes avec lesquels ils sont
jumelés (566 textes, ou 283 paires de textes), dans 35,6% des cas, on observe la présence
d’une autre source d’information. Voyons maintenant quelles sont les conséquences de la
présence de ces autres sources d’information sur la circulation de l’information.
- Interprétation des résultats : la circulation de l’information au sein de
la RDC
La circulation de l’information du « Nord » vers le « Sud » observée dans l’examen des
résultats concernant les liens explicites ne semble pas se confirmer lorsqu’on se penche sur
les liens implicites : tant lorsque les dates de publication des textes liés diffèrent (ce qui peut
laisser supposer le passage d’un texte source vers un texte cible) que lorsqu’elles sont
identiques, la majorité du temps en effet, l’information semble circuler au sein d’un seul et
même pays, la RDC.
Lorsque les dates de publication des textes sont différentes (61,5% des cas) et que l’on
considère que ces dates sont suffisantes pour estimer que le texte source, le texte publié en
premier lieu, contient une information qui est reprise par le texte cible, le texte publié en
second lieu :
irculation de l’information Nombre de cas répertoriés
Europe > RDC 76
118
Europe > Europe 36
RDC > Europe 32
RDC > RDC 204
Comme le montre le tableau, dans la majorité des cas, l’information circule au sein de la
RDC: les journaux congolais reprennent une information à d’autres journaux congolais
(46%), ou un même contenu informationnel est publié plusieurs fois par le même journal
(54%).
La présence d’autres sources d’information à l’intérieur de ces textes permet d’identifier
d’où l’information a été reprise en premier lieu. Estimer par exemple que l’information d’un
texte du Phare est reprise par un texte du Potentiel n’aurait pas de sens si une agence de
presse européenne était citée dans le texte du Phare ou dans celui du Potentiel :
l’information aurait probablement été reprise directement par les deux journaux à l’agence
de presse en question. Le repérage des autres sources d’information dans les textes modifie
donc quelque peu les résultats du tableau précédent :
Circulation de
l’information
Nombre de cas
répertoriés
om re d’autres sources
présentes dans les textes
liés
Pays où se situent
les autres sources
UE > RDC 76 34 32 : UE – 2 : RDC
UE > UE 36 13 13 : UE – 0 : RDC
RDC > UE 32 14 12 : UE – 2 : RDC
RDC > RDC 204 59 14 : UE – 45 : RDC
Ce tableau confirme le précédent en montrant que l’information circule effectivement, le
plus souvent, au sein de la RDC, même si d’autres sources sont identifiées dans les textes. Ce
qui est par ailleurs intéressant de constater est que lorsque l’information provient d’abord
119
de l’Europe et qu’elle circule soit au sein de l’Europe, soit vers la RDC, dans la majorité des
cas où d’autres sources sont présentes, elles sont européennes. En d’autres termes, la
presse européenne reprend très rarement une information à la presse congolaise, ce qui
confirme les résultats que nous avions avec les liens explicites. En revanche, lorsque
l’information provient de la RDC et qu’elle circule à l’intérieur de ce pays, les autres sources
d’information sont congolaises, alors que lorsqu’elle circule vers l’Europe, les autres sources
d’information sont européennes. Ce qui signifie que la presse européenne s’informe
majoritairement via des sources européennes alors que la presse congolaise s’informe
autant via des sources congolaises que via des sources européennes.
Ces résultats sont similaires lorsque les dates de publication des textes liés sont
différentes, comme le montre le tableau suivant :
ays d’où
proviennent des
textes liés
Nombre de cas
répertoriés
om re d’autres sources
présentes dans les textes
liés
Pays où se situent
les autres sources
UE/UE 38 19 19 : UE – 0 : RDC
RDC/UE 68 31 30 : UE – 1 : RDC
RDC/RDC 112 33 11 : UE – 22 : RDC
Ces données montrent deux choses intéressantes : premièrement, lorsque d’autres sources
d’information sont présentes dans les textes, elles sont européennes dans la majorité des
cas (64,5%). L’information semble plus souvent être récoltée en Europe qu’en RDC.
Deuxièmement, lorsque ces sources d’information sont européennes, c’est l’Agence France-
Presse qui est le plus souvent citée (64%). Cette agence est une institution médiatique
française qui fournit des informations nationales et internationales. En tant qu’institution
médiatique, ce sont des journalistes et des reporters qui sélectionnent les informations
qu’elle fournit. En revanche, quand les sources sont congolaises, c’est RadioOkapi, la radio
des Nations Unies en RDC, ou RadioOkapi.net, qui est le plus régulièrement citée (60%).
Cette radio, fondée en 2001 et cogérée par la MONUC (la Mission des Nations Unies au
Congo), informe la population civile congolaise des conflits qui ont lieu en RDC. Étant donné
que les mentions de sources européennes sont plus souvent présentes dans la presse
européenne et les sources congolaises dans la presse congolaise, on peut en déduire que la
presse européenne a plus tendance à considérer comme fiables des sources issues des
agences de presse alors que la presse congolaise a plus tendance à considérer comme fiables
des sources liées à l’un des acteurs du conflit, la MONUC. Le fait de considérer comme fiable
un des acteurs du conflit a probablement des conséquences sur la manière dont ce dernier
120
sera caractérisé lorsqu’il prendra la parole, ce que nous vérifierons dans les chapitres VI et
VII.
2.2.2. Les liens entre les genres des textes
Comme nous l’avons vu dans la partie théorique sur l’intertextualité (2.1.), des textes
peuvent être liés entre eux par d’autres aspects que par leurs contenus informationnels. Les
liens intertextuels peuvent en effet être établis en examinant les genres textuels. Nous le
verrons dans les chapitres V et VI et VII, ces liens ont des conséquences sur la manière dont
les transformations peuvent être interprétées.
Dans notre corpus, nous avons identifié treize genres textuels : l’article, l’analyse, l’article-
analyse, le commentaire, le reportage, l’article-reportage, la brève, l’interview, le
communiqué, la déclaration, la biographie, la chronologie, la couverture. Nous avons défini
ces genres textuels par l’examen fonctionnel (contenu) et formel (forme) des textes, à partir
de plusieurs théories sur les genres textuels.
Comme bien d’autres chercheurs étudiant la presse écrite, nous avons été contrainte
d’établir nous-même des catégories de genres textuels, car les classifications émanant des
journaux font trop souvent défaut :
« Nos recherches pour trouver une typologie établie et reconnue par les
journalistes et les rédacteurs sont restées infructueuses. De même du côté de
l’analyse de discours et des analyses de presse, n’avons-nous trouvé que des
analyses très ponctuelles. Cette absence de système classificatoire
préalablement établi nous a amenée à composer notre propre métalangage
catégoriel […]. Devant travailler sur des journaux fortement hétérogènes, nous
avons procédé de façon empirique. Si certains types d’articles nous paraissaient
aller de soi avant toute analyse textuelle (la ‘lettre aux lecteurs’ ou l’éditorial’),
d’autres nous ont été imposées par les journaux que nous analysions »
(Bonnafous, 1991 : 47 ; citée dans Adam, 1997 : 4)
Nous avons donc élaboré un système de classification des genres textuels en tenant compte
de certains critères qu’il convient maintenant de présenter. Chaque genre textuel sera
ensuite examiné de manière individuelle et exemplifié.
a) Les critères de définition des genres textuels
Après l’examen empirique des textes de notre corpus, nous avons retenu quatre critères
pour déterminer à quels genres textuels les textes appartenaient : leur visée illocutoire, leurs
aspects énonciatifs, leurs marques formelles et stylistiques, leur contenu informationnel.
121
- Visée illocutoire des textes
La visée illocutoire des textes peut être définie, simplement, comme ‘le but dans lequel est
produit un texte’. Pour définir la visée illocutoire des textes de manière plus approfondie,
nous avons considéré que la notion de séquence textuelle, telle que proposée par Adam
(1992), qui s’est interrogé sur la notion de genre textuel, était pertinente dans nos
recherches. Une séquence textuelle est une suite de propositions orientées vers une même
fin : « [Elle est] une entité relativement autonome, dotée d’une organisation interne qui lui
est propre et donc en relation de dépendance/indépendance avec l’ensemble plus vaste
dont elle fait partie » (Adam, 1992 : 28). La séquence textuelle ne correspond pas au texte, le
texte étant une succession de séquences textuelles qui peuvent chacune avoir un but, une
visée propre.
La séquence textuelle est donc, comparée au texte, un objet homogène qu’il est possible
de caractériser par la visée illocutoire de l’ensemble des propositions qui la constituent.
Ainsi, une séquence peut avoir comme visée de convaincre quelqu’un de quelque chose
(séquence argumentative), de raconter une histoire (séquence narrative), de faire
comprendre un fait (séquence explicative), de présenter un objet (séquence descriptive), ou
d’interagir avec quelqu’un (séquence dialogale). À ces cinq types de séquences textuelles
prototypiques, nous ajoutons la séquence informative. Bien qu’elle ait aussi comme visée
soit de faire comprendre un fait à quelqu’un, soit de le décrire, la séquence informative se
distingue de l’explicative et de la descriptive par le fait que les informations sont données de
manière brute, sans tentative d’expliquer les causes, le « pourquoi » des informations
présentées (séquence explicative), ni dé décrire un objet, une personne, un lieu ou une
époque (séquence descriptive). Ces six types de séquences textuelles ont chacune des
caractéristiques définitoires propres :
1) La séquence argumentative est structurée en trois parties : la première partie,
l’introduction, présente des prémisses (thème, fait, opinion) ; la seconde partie, le
développement, expose les arguments et les étaye par des exemples, les arguments
visent à convaincre l’interlocuteur des propos exposés dans les prémisses ; la
troisième partie, la conclusion, est la partie où l’auteur reformule l’idée principale ou
élargit le débat. Les marques formelles les plus évidentes des séquences
122
argumentatives sont la présence de connecteurs logiques (opposition, concession,
énumération, etc.) et une subjectivité forte66.
2) La séquence narrative est structurée en cinq parties : l’état initial, dans lequel est
présenté au moins un personnage et ses caractéristiques ; la complication, où un
événement imprévu vient perturber l’état initial ; les péripéties, par lesquelles le
personnage subit une série de transformations ; le dénouement, où le personnage
arrive à surmonter la complication, et l’état final qui est le retour à une forme de
stabilité. Formellement, la séquence narrative est surtout marquée par la présence de
marqueurs de temporalité et de causalité : chaque action fait suite à une autre action
et y est liée causalement.
3) La séquence dialogale se caractérise par la présence d’au moins deux personnes dont
les répliques s’enchaînent temporellement et causalement. Formellement, cette
séquence est caractérisée par l’utilisation de marques d’énonciation à la première,
voire à la deuxième personne, et par une alternance de la parole des énonciateurs qui
s’expriment.
4) La séquence explicative est généralement structurée en trois phases, encore que cette
structure ne soit pas toujours appliquée. Dans une première phase, introductive, on
expose le phénomène à expliquer ainsi que les raisons de l’explication, notamment
par des interrogations. Dans une seconde phase, explicative, l’énonciateur apporte
des certitudes aux interrogations soulevées lors de la première phase. La séquence se
termine par une phase conclusive ou évaluative, où l’énonciateur évalue les réponses
apportées précédemment. Les marques formelles de cette séquence sont les marques
de causalité, la présence de termes techniques, de définitions et d’exemples.
5) La séquence descriptive est structurée en quatre temps : l’ancrage référentiel, où est
exposé le thème dont on va parler ; l’aspectualisation, où on attribue divers aspects à
un lieu, une personne ou un objet et qui permet de fragmenter le thème en diverses
sous-parties ; la mise en relation, où on lie le thème au temps, à l’espace ou à d’autres
éléments, et la sous-thématisation, où on décrit de manière approfondie l’un ou
l’autre aspect du thème. Le but de la séquence descriptive est de présenter, de la
manière la plus détaillée possible, un objet, un personnage, un lieu, une époque.
66 Nous présentons la notion de subjectivité dans les aspects formels et stylistiques des critères de définition
des genres textuels.
123
Formellement, cette séquence comporte des marques spatio-temporelles et des
caractéristiques précises qui définissent l’objet ou la personne dont on parle.
6) La séquence informative est proche de la séquence explicative et de la séquence
descriptive. Elle est constituée par la présentation d’une information. Mais,
contrairement à la séquence explicative, l’énonciateur ne juge pas nécessaire de
poser des interrogations pour ensuite y répondre et, contrairement à la séquence
descriptive, ce qui est présenté, n’est pas un objet, une personne, un lieu ou une
époque (il y a quelque chose), mais un fait (il s’est passé quelque chose). Les marques
formelles de cette séquence sont l’effacement énonciatif, la présence de
nominalisations, de personnages et de marques spatio-temporelles.
Les six séquences textuelles présentées ci-dessus ont chacune des visées illocutoires
spécifiques (argumenter, raconter, expliquer, informer, décrire et interagir). Pour définir les
genres textuels dans notre corpus, nous avons entre autres tenu compte de ces séquences
textuelles et de leur visée : la prédominance de certaines séquences textuelles dans un texte
détermine la visée illocutoire de ce dernier.
- Aspects énonciatifs
Le second type de critères que nous avons utilisé pour distinguer les genres textuels a été
celui des aspects énonciatifs des textes. Il nous a semblé évident qu’on ne pouvait pas
accorder le même statut à deux textes dans lesquels les énonciateurs étaient premiers ou
représentés. Nous avons donc distingué :
Les énonciateurs premiers (qui a rédigé le texte ?). Ce que nous appelons les énonciateurs
premiers sont les auteurs des textes dans notre corpus. Ces auteurs peuvent être des
journalistes (voire des journaux), des philosophes, des organismes ou des institutions
européennes (par ex. : l’ambassade de France). La distinction faite entre ces différents
énonciateurs premiers permet parfois de distinguer certains genres textuels des autres. Le
genre textuel déclaration par exemple n’est jamais, dans notre corpus, le produit d’un
journaliste.
Les énonciateurs représentés (de qui parle-t-on ? De qui reprend-on le discours ?) : les
énonciateurs représentés sont les personnes dont les auteurs reprennent des propos. En
examinant si ces personnes sont identiques à l’énonciateur premier (utilisation de la
première personne) ou différentes de ce dernier (utilisation de la troisième personne), nous
avons pu distinguer aussi les genres textuels. Le commentaire par exemple est toujours, dans
notre corpus, un genre textuel dans lequel l’énonciateur premier est identique à
l’énonciateur représenté.
124
- Aspects formels et stylistiques
Le troisième type de critères de distinction des genres textuels concerne les aspects formels
et stylistiques des textes. Parmi ces aspects, nous comptons la taille des textes, la présence
de marqueurs spatio-temporels (aspects formels) et la présence de marques linguistiques de
subjectivité (aspects stylistiques) :
La taille des textes nous a permis de distinguer les brèves et les couvertures des autres
genres textuels. Un texte de moins de 15 lignes67 a été classé comme brève ou comme
couverture.
Les marqueurs spatio-temporels ont également été examinés. Nous avons en effet
distingué les marqueurs spatio-temporels référant à des dates et des lieux précis et à des
époques ou moments très proches du jour de publication des textes (notamment dans le cas
d’articles), de ceux plus vagues et plus éloignés dans le temps (dans le cas d’analyses par
exemple).
Les marques linguistiques de subjectivité ont également été examinées, notamment pour
compléter les critères servant à identifier des textes analytiques, argumentatifs. Pour ce
faire, nous avons repris à Kerbrat-Orecchioni (1980) la notion de subjectivité. Dans chaque
texte, il est possible de déceler des marques linguistiques (adjectifs, noms, structures
phrastiques, etc.) de la subjectivité de l’auteur du texte. Ces marques sont le signe que
l’auteur émet un jugement sur le contenu informationnel qu’il transmet. Dans ses travaux,
Kerbrat-Orecchioni (1980) définit trois types de subjectivité68, affective, axiologique et
modalisatrice :
« [La subjectivité affective est décelée par] autant d’expressions qui sont à
considérer comme subjectives dans la mesure où elles indiquent que le sujet
d’énonciation se trouve émotionnellement impliqué dans le contenu de son
67 Le corpus entier a été retranscrit dans Word. 15 lignes correspondent donc à 15 lignes dans ce format,
soit environ 60 caractères par ligne, espaces compris.
68 Nous prenons seulement en compte les notions de subjectivités affective, axiologique et modalisatrice
pour distinguer les genres textuels, car il nous semble que la subjectivité interprétative, qui pose qu’un objet est toujours dénommé par une unité lexicale qui provient d’un choix par rapport à une autre unité lexicale, trouve plus son utilité dans l’interprétation que nous faisons des différences de caractérisation des énonciateurs représentés par les énonciateurs premiers ou des phénomènes similaires (Chapitres VI et VII) et est trop vaste pour servir de critères dans la distinction des genres textuels.
125
énoncé. Elles ont en même temps une fonction conative, car en affectivisant
ainsi le récit, l’émetteur espère que la répulsion, l’enthousiasme ou
l’apitoiement qu’il manifeste atteindront par ricochet le récepteur, et
favoriseront son adhésion à l’interprétation qu’il propose des faits.
[La subjectivité axiologique est décelée] en tenant compte du contexte
verbal (ex. : ‘le respect hystérique des fœtus’) et de ce que l’on croit savoir sur
l’idéologie de Lo. L’étude doit aboutir à un inventaire comparatif des
investissements axiologiques à l’œuvre dans les différents articles, tenant
compte de la source évaluative de l’objet qui supporte l’évaluation positive ou
négative, et du degré d’intensité avec lequel elle se formule. »
[La subjectivité modalisatrice est caractérisée par] des expressions qui
spécifient le mode d’assertion (constatatif, hypothétique, obligatif, etc.) des
propositions énoncées, et le degré d’adhésion (forte, réticente, nuancée) du
sujet d’énonciation au contenu asserté, en tenant compte de l’usage de
guillemets, volontiers ironiques, des interrogations oratoires très fréquentes
dans les énoncés de presse […] et des présupposés qui s’attachent à certaines
unités lexicales telles que ‘prétendre’, mais aussi ‘croire’ , conjugué au passé
[…]. » (Kerbrat-Orecchioni, 1980 : 125, 129-130)
Ci-dessous, nous présentons quelques exemples de marques linguistiques, tirés de
Kerbrat-Orecchioni (1980 : 125-144), qui caractérisent les trois subjectivités mentionnées
plus haut :
Affectif : cette pénible affaire ; cette triste réalité ; la malheureuse Madame B ; j’ai envie de
me changer les idées, etc.
Axiologique : (sur le thème de la libéralisation de l’avortement), idée insensée ; il serait
étrange qu’à une époque où l’on s’élève contre la peine de mort, on condamne à mort des
innocents ; beau ; moche ; magnifique, etc.
Modalisatrice : il a cru devoir expliquer ; prétendre ; modalisateurs d’approximation ou
d’incertitude comme dans ‘une Japonaise semble me photographier ; adverbes du type
‘peut-être’ ; structure interrogatives ; obligatifs (devoir) ; hypothétiques ; etc.
Plus il y a des marques linguistiques de subjectivité dans un texte, plus l’auteur émet un
jugement sur ce dont il parle et plus le texte est à classer parmi les genres textuels
analytiques (analyse, article-analyse, commentaire). À l’inverse, moins il y a des marques de
subjectivité dans un texte, plus il est à classer dans les autres genres textuels (article,
reportage, etc.). Les textes empreints d’une subjectivité axiologique, affective et
modalisatrice forte sont considérés comme montrant le jugement de l’auteur.
126
- Aspects sémantiques
Le dernier critère d’appartenance d’un texte à un genre textuel, le critère des aspects
sémantiques, porte sur le contenu informationnel du texte. Nous avons distingué :
Les contenus informationnels portant sur un fait d’actualité, identifié par des repères
spatio-temporels précis et proches dans le temps : une personne ou une institution a fait ou
a dit quelque chose dans les jours précédant la publication du texte. L’article, l’article-
reportage, l’article-analyse, la brève, le communiqué transmettent ce genre de contenu
informationnel.
Les contenus informationnels portant sur une histoire, qui peut être de trois types :
chronologique, causale, ou biographique. Dans l’histoire chronologique, l’auteur du texte
énumère des faits temporellement, comme dans la chronologie. Dans l’histoire causale,
l’auteur explique les causes et les conséquences d’un phénomène, comme dans l’analyse par
exemple. Dans ce cas, des repères temporels peuvent être présents, mais contrairement au
fait d’actualité, ils sont généralement plus éloignés de la date de publication du texte.
L’histoire biographique, quant à elle, consiste à présenter la vie d’une personne, notamment
en montrant ses origines et ses formations (scolaires, professionnelles, etc.)69 , comme dans
la biographie
Les contenus informationnels portant sur une situation correspondent à la description
d’un état de choses. La situation est définie comme « L’ensemble des conditions matérielles
ou morales dans lesquelles se trouve une personne [ou des personnes…] à un moment
donné […] à un point de vue70 donné. » (TLFi). Les contenus informationnels qu’on pourrait
appeler situationnels présentent des lieux, des personnes ou des conditions de vie, qui sont
décrits avec une abondance de détails. Il s’agit dans ce cas de rendre compte d’une
ambiance propre à un moment, à un endroit donné, ce que l’on trouve notamment dans le
reportage.
69 Il est évident que les notions de séquence textuelle et de contenu informationnel se recouvrent en partie.
Cependant, les contenus informationnels portent sur l’entièreté du texte, alors que les séquences, elles, peuvent différer d’une partie à l’autre de ce dernier.
70 Notons que nous considérons ici le terme point de vue littéralement, comme « le lieu d’où l’on regarde un
objet ».
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Ces critères de définition des genres textuels (visée illocutoire, aspects énonciatifs,
aspects formels et stylistiques, et aspects sémantiques) que nous avons élaborés nous ont
permis d’établir une classification des textes. En sélectionnant ces critères pour distinguer
formellement et fonctionnellement chaque texte, nous avons pu homogénéiser le corpus
pour nos analyses : chaque genre textuel pouvait dès lors être comparé aux autres genres
textuels. Nous verrons dans les chapitres VI et VII l’importance de ces genres textuels sur
l’interprétation des transformations que nous étudions. Mais avant cela, il convient de les
présenter individuellement pour plus de clarté. Nous terminerons cette section par un
tableau récapitulatif des genres textuels présents dans notre corpus et de leurs critères de
définition.
b) Genres textuels dans notre corpus
- L’article
L’article est un texte à visée informative. Ses aspects énonciatifs sont les suivants :
l’énonciateur premier est un journaliste (ou « apparenté », envoyé spécial ou autre
personne travaillant pour le compte d’un journal). Ce journaliste présente le discours
d’autres énonciateurs et s’exprime donc à la troisième personne. Les aspects formels de
l’article sont une taille de plus de 15 lignes, la présence de marqueurs spatio-temporels
précis et proches dans le temps et l’absence de subjectivité de l’auteur du texte.
Sémantiquement, l’article porte sur un fait d’actualité. L’exemple suivant est un article71 :
47) LeMonde Politique, lundi, 15 décembre 2008, p. 9 EUROPE & FRANCE L'envoi d'une mission militaire de l'UE au Congo est écarté Thomas FerenczI BRUXELLES BUREAU EUROPÉEN - Nicolas Sarkozy a exprimé, vendredi 12 décembre, à l'issue du Conseil européen, son opposition à l'envoi d'une force militaire européenne au Congo pour protéger les populations civiles, victimes du conflit qui déchire l'est du pays. « Quand il y a déjà 17 000 soldats de l'ONU et qu'on m'explique qu'il n'y en a que 800 qui servent, je me demande si c'est la peine d'en envoyer 3 000 de plus », a déclaré le président français. « Il y a peut-être des problèmes d'organisation, et pas seulement de nombre », a-t-il ajouté à propos de la force de l'ONU. M. Sarkozy a souligné que l'Angola, pays voisin du
71 Pour chaque exemple présenté dans cette partie, le gras est utilisé pour mettre en évidence les aspects
sémantiques, le souligné pour les aspects formels et stylistiques, et l’italique pour les aspects énonciatifs.
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Congo, était prêt à envoyer des troupes, « à condition que ce soit sous mandat de l'ONU ». « Est-ce qu'il ne vaut pas mieux faire appel d'abord à des forces régionales plutôt qu'à des forces européennes ? », a-t-il demandé. M. Sarkozy estime que l'UE « ne peut pas aller partout, toujours, sans limite ». Il n'a pas exclu toutefois un pont aérien pour l'acheminement de vivres. La prise de position du président français est une réponse au secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, qui a souhaité le déploiement d'une force européenne, en attendant l'arrivée, dans quelques mois, des 3 000 casques bleus appelés à renforcer les 17 000 déjà présents. Le haut représentant de l'UE, Javier Solana, qui rencontrera M. Ban Ki-moon le 15 décembre à New York, a présenté aux ministres européens des affaires étrangères quatre options militaires possibles en complément des actions humanitaires et des initiatives politiques auxquelles l'Union continue de donner la priorité. NOUVELLE « ÉVALUATION » La première serait l'envoi d'un groupement tactique ou « battle group », unité européenne de réaction rapide formée d'environ 1 500 hommes. La seconde consisterait à constituer une force de 3 000 hommes, sur le modèle de la mission envoyée au Tchad pour venir en aide aux réfugiés du Darfour. Dans les deux cas, il s'agirait d'une mission spécifique de l'Union. La troisième option se limiterait à la contribution de plusieurs pays européens au renforcement de la MONUC, la force de l'ONU. La dernière, qu'a évoquée M. Sarkozy, serait une aide concrète, sur un objectif précis, comme la sécurisation de l'aéroport. À l'exception de la Belgique, les Européens écartent, pour le moment, les deux premières options. Le Royaume-Uni est de ceux qui s'y opposent le plus fermement. En France, le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, y était plutôt favorable, mais il n'a pas été suivi. Les Vingt-Sept devraient procéder, dans les prochains jours, à une nouvelle « évaluation ».
- L’analyse
L’analyse est un texte à visée explicative-argumentative. Ses aspects énonciatifs sont que
l’énonciateur premier est un journaliste ou apparenté qui présente les propos d’autres
énonciateurs et qui s’exprime donc à la troisième personne. Les aspects formels de l’analyse
sont : une taille de plus de 15 lignes, la présence de marqueurs spatio-temporels moins
précis que dans l’article et plus éloignés dans le temps, et la présence de marques de
subjectivité de l’auteur du texte. Sémantiquement, l’analyse porte sur une histoire causale.
Le texte suivant est un exemple d’analyse :
48) Le Monde International, samedi, 1 novembre 2008, p. 5 INTERNATIONAL RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO ECLAIRAGE
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Le Nord et le Sud-Kivu, foyers de guerres régionales Jean-Philippe Rémy DEPUIS 2006, le petit conflit du Nord-Kivu donnait l'impression de ne jamais devoir sortir des collines de la région, aux confins extrême-orientaux de la République démocratique du Congo (RDC). C'était mal se souvenir que les deux Kivus, Nord et Sud, bordés par le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi, constituent la matrice des guerres régionales. Par deux fois, ces conflits ont commencé par l'éclosion de rébellions d'ambition apparemment locale avant que l'implication des pays voisins ne finisse par les transformer en guerres transfrontalières. En 1996, une insurrection de Banyamulenge, membres de la communauté tutsie du Sud-Kivu, avait été le prélude au premier conflit. Cela se passait deux ans seulement après le génocide des Tutsi par les Hutu au Rwanda, de l'autre côté de la frontière. Au Kivu, dans l'est de l'actuel Congo (alors appelé Zaïre), des camps de réfugiés hutu, ayant fui l'arrivée au pouvoir des Tutsi à Kigali, servaient de bases arrière aux « génocidaires » exilés qui comptaient revenir au Rwanda pour y « terminer le travail ». Les Banyamulenge, Tutsi congolais, semblaient, eux aussi, menacés par les Hutu. Ils ont donc pris les armes au Kivu. Dans ce sillage a surgi un mouvement nébuleux, appuyé par des pays voisins, qui allait entamer une conquête du pays et chasser le maréchal Mobutu du pouvoir, à Kinshasa, en 1997. Deux ans plus tard, un phénomène similaire se reproduit. Le conflit a ensuite duré plus de quatre ans. Assiste-t-on à une répétition de ce scénario ? En 2006, un ex-officier congolais, le Tutsi Laurent Nkunda, fonde le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), parrainé par le Rwanda. Il s'agit de se battre pour chasser les rebelles hutu [sic] de leurs bases arrière au Kivu. Le CNDP se réarme à cet effet, et se renforce en ouvrant notamment des centres d'entraînement. Mais le chef de la rébellion tutsi semble élargir ses ambitions. Début octobre, il affichait ainsi sa volonté de « libérer le peuple du Congo ». Pour ce faire, le CNDP cherche à attirer dans ses rangs des opposants au président Joseph Kabila, dont d'anciens partisans du maréchal Mobutu. Le CNDP devrait se doter bientôt d'un nouveau responsable avec un profil plus « civil » que Laurent Nkunda. Circule le nom d'un ancien candidat à l'élection présidentielle congolaise passé par une grande université américaine. Derrière ces ambitions politiques se profilent surtout les tensions entre le Congo et le Rwanda, que plusieurs années de non-agression n'ont pas atténuées. Le Congo est sorti de sa seconde guerre en 2002, grâce à la signature d'un accord qui a amené d'ex-rebelles à entrer dans le gouvernement de Kinshasa. Les soldats des pays voisins ont aussi quitté le territoire. Mais le Kivu - tourné vers l'Est plus que vers la lointaine Kinshasa, gorgé de richesses minières et de terres arables qui font défaut à ses voisins - aiguise les appétits. Le Rwanda et l'Ouganda, par lesquels transitent les minerais exploités au Kivu, rêvent toujours de l'inclure dans leur zone d'influence.
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- L’article-analyse
L’article-analyse est un texte situé, comme son nom l’indique, entre l’article et l’analyse. Sa
visée illocutoire est informative-argumentative. L’article-analyse est un texte de plus de 15
lignes portant sur un fait d’actualité récent, avec des repères spatio-temporels précis.
Notons que des repères temporels plus éloignés peuvent également être observés. Il
contient le jugement de l’auteur du texte sur ce fait d’actualité. Ici aussi, l’auteur, un
journaliste ou « apparenté », s’exprime à la troisième personne. L’exemple suivant est un
article-analyse :
49) Le Monde International, samedi, 31 janvier 2009, p. 7 INTERNATIONAL L'offensive contre les rebelles hutu des FDLR risque de déstabiliser le Congo L'alliance surprise du président de la RDC avec le Rwanda provoque une tempête politique Jean-Philippe Rémy Goma (Nord-Kivu) Envoyé spécial - C'est une guerre étrange et insaisissable, loin des routes, loin des yeux et où les combattants, pour l'instant, se sont à peu près évités. Mais l'heure de vérité approche. Au Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), l'opération engagée contre les rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), grâce à un retournement d'alliance, aura pour effet de résoudre l'un des plus épineux problèmes de la région, ou d'entraîner une série de catastrophes. À la suite d'un accord surprise négocié entre les hauts responsables des deux pays, le Rwanda avait reçu du Congo l'autorisation d'entrer sur son territoire pour y mener des opérations conjointes contre les FDLR. Depuis le 20 janvier, date de l'entrée des troupes rwandaises, le dispositif s'est mis en place, progressant au sein de la zone du Masisi (nord du Kivu) et ses alentours. L'avancée des forces rwando-congolaises vise un bastion des FDLR; plus précisément les centres de commandement des rebelles hutu, y compris leur état-major. Les seules attaques, au bilan inconnu, se sont terminées à l'avantage de la coalition. « Ils entrent comme dans du beurre », affirme un observateur régional. Selon le général Babacar Gaye, commandant de la force de la Mission de l'ONU au Congo (MONUC), cette première phase est supposée « affaiblir, puis désorganiser, pour enfin démanteler » les camps des FDLR. La tâche sera rude. Les FDLR ont l'avantage du terrain, ces pistes de montagnes et de forêts qu'ils connaissent parfaitement. Constitués autour des anciens soldats et miliciens rwandais impliqués dans le génocide de 1994 avant de fuir au Congo (ex-Zaïre) où ils ont installé des bases arrière et lutté aux côtés de leur pays hôte contre le Rwanda à plusieurs reprises, les rebelles hutu ont aussi dispersé leurs 6 000 à 8 000 combattants sur une longue bande courant des rives du lac Tanganyika (près de Kalemie), jusqu'au Nord-Kivu, dans la région de Lubero. Les familles des combattants se trouvent également en RDC : près de 15 000 femmes et enfants mis « à l'abri » ces dernières semaines, notamment à Goma.
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À mesure que s'étendent les opérations anti-FDLR, les risques de dérapage augmentent. Au Nord-Kivu, les Hutu congolais redoutent d'être confondus avec les FDLR. Plus au sud, inversement, les FDLR menacent de s'en prendre à leurs voisins. « Ma population est très menacée, s'inquiète un mwami (chef traditionnel) de la région. Les FDLR nous ont dit que lorsqu'on va venir les traquer, ils vont tuer la population civile par rétorsion. » La durée de l'opération, qui ne devait pas excéder initialement deux semaines, risque de s'étendre, peut-être de plusieurs mois, alors que les FDLR évitent pour l'instant l'affrontement. Selon une source proche du commandement FDLR à Goma, « l'intention n'est pas de se battre. L'ennemi se déploie au nord ? Nous partons vers le sud. Ils descendent ? Nous remonterons. » Ces jours derniers, le FDLR a fait mouvement vers le sud, notamment vers la région de Walikale. La seconde partie de l'opération vise les zones dont les FDLR tirent leurs revenus, en exploitant des mines ou en prélevant des taxes. L'envolée du cours des matières premières de la région (cassitérite, coltan, or, etc.) a permis aux FDRL de s'enrichir et de se réorganiser. La coalition ne s'attaque donc pas à un ennemi faible. Or le temps ne joue pas en faveur du président Joseph Kabila. À Kinshasa, une tempête politique a été déclenchée par l'annonce de l'accord permettant au Rwanda, avec lequel le Congo est en froid ou en guerre depuis quatorze ans, d'intervenir sur son sol. Le chef d'état-major des forces loyalistes, le général Didier Etumba, affirmait ne pas avoir été mis au courant, pas plus que le président de l'Assemblée nationale, Vital Kamerhe. Pour convaincre son pays qu'il n'a pas cédé au Rwanda l'est du Congo, déjà occupé de force par les troupes de Kigali pendant la deuxième guerre régionale (1998-2003), le président Kabila devra montrer que le marché passé avec son voisin a mis fin aux activités de la rébellion de Laurent Nkunda, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), qui menaçait, fin 2008, d'embraser le Congo. M. Nkunda, arrêté par le Rwanda, son allié de la veille, se trouve toujours en résidence surveillée à quelques centaines de mètres de Goma, côté Rwandais. Kigali n'a pas révélé quand il devrait être remis au Congo, conformément à leurs accords préalables. « Pour éviter que la situation ne dégénère à Kinshasa, il faudra que Kabila puisse montrer Laurent Nkunda pieds et poings liés. Sinon, il risque gros », estime un des responsables du gouvernement local du Nord-Kivu.
- Le commentaire
Le commentaire est un texte à visée explicative-argumentative, comme l’analyse. Le
commentaire vise avant tout à donner une opinion personnelle sur l’histoire (dans notre cas,
celle de la RDC), avec ses causes et ses conséquences, ou sur un événement récent. Ses
aspects énonciatifs sont les suivants : l’énonciateur premier est un auteur qui n’est pas un
journaliste, ni un organisme ou une institution politique. Cet auteur avance ses propres
opinions et s’exprime donc à la première personne, contrairement à l’analyse où l’auteur
emploie la 3ème personne. Formellement, le commentaire est un texte de plus de 15 lignes
avec des repères spatio-temporels similaires à ceux de l’analyse, et présentant également la
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subjectivité de l’auteur. Sémantiquement, le commentaire traite d’une histoire causale, bien
qu’il puisse aussi mentionner des faits d’actualité. L’exemple suivant, reproduit en partie
seulement, à cause de sa longueur, est un commentaire :
50) Article de l'édition du 03/09/2008 POLITIQUE NATIONALE La RDC et l’Afrique des Grands Lacs Du destin tragique au bonheur communautaire Par Kä Mana «Museveni et Kagame attendus à Kinshasa. » ’ai eu un haut-le-corps à la lecture de ce titre proposé par le journal Le Potentiel dans l’une de ses dernières livraisons. Ce sursaut incontrôlé devant une nouvelle somme toute normale entre pays voisins m’a poussé à réfléchir en profondeur sur le destin de la région des Grands Lacs et à imaginer ce qu’il convient de dire clairement à ces deux présidents, et au nôtre, sur la condition actuelle des relations entre leurs nations. Normalement, j’aurais dû être content de voir que le président de mon pays accueille ses homologues rwandais et ougandais au moment où de multiples contentieux mettent aux prises nos trois pays et exigent un dialogue franc sur les perspectives à ouvrir pour trouver des solutions fructueuses et irréversibles. J’aurais dû être heureux de voir s’offrir une occasion où les plus hauts responsables des pays des Grands Lacs se donnent l’opportunité de faire un tour d’horizon sur la situation de la région, sur la situation de l’Afrique et sur la situation du monde, en vue de mettre sur pied des politiques susceptibles d’ouvrir des horizons nouveaux à nos nations meurtries par les souffrances dont nos populations sont victimes depuis le génocide rwandais de 1994. Pourquoi ai-je eu un sursaut d’étonnement et de colère face à la visite des présidents ougandais et rwandais à Kinshasa, au lieu de la joie et de l’espoir qui auraient été normaux en pareille situation ? Pourquoi ai-je senti en moi gronder une colère sourde au lieu de penser qu’une nouvelle ère était peut-être en train de s’ouvrir entre nos trois pays ? NI PAR PEUR NI PAR HAINE Au premier abord, en analysant lucidement le sentiment que j’ai éprouvé d’instinct, j’ai cru que j’étais moi aussi devenu victime d’un certain discours idéologique congolais, qui voit dans le président Kabila Kabange l’instrument d’une politique conçue à Kigali pour dépiécer la RDC et imposer une hégémonie rwandaise dans la région des Grands Lacs. J’ai pensé que sournoisement, sans que j’y prenne garde, j’avais laissé envahir mon inconscient par une certaine haine anti-rwandaise que les populations congolaises entretiennent depuis la chute de Mobutu et les tentatives armées de prise de Kinshasa par Kigali à partir du Bas- ongo il y a une dizaine d’années. J’ai imaginé également que les manœuvres militaro-politiques du R dans l’Est de notre pays à partir du territoire rwandais, les invasions de cette région de notre pays par l’armée du président Kagame, la persistance de la rébellion de Laurent Nkunda Batware sur notre
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territoire ainsi que les séquelles de l’affrontement entre armée rwandaise et armée ougandaise à Kisangani, avaient eu un impact profond en moi. J’ai pensé aussi que j’avais cessé d’être lucide et d’analyser froidement les tenants et les aboutissants de la crise des pays des Grands Lacs. Je me suis même interrogé sur l’effet du contentieux entre l’Ouganda et la RDC autour du lac Albert et de son pétrole, comme si ce conflit et la manière dont il est géré me mettait devant la faiblesse militaire et politique de mon pays et me rendais émotionnellement hostile à l’Ouganda. Pays qui ne serait, en moi comme en beaucoup de Congolais, qu’un ennemi réel ou potentiel dans le funeste projet de la balkanisation de la RDC au profit de ses voisins. En prenant quelque distance par rapport à tous ces faits sur moi, j’ai compris que ce n’est pas de ce côté-là qu’il fallait chercher la source de mon énervement et de ma colère. J’ai toujours pensé qu’il était inconcevable que Kabila Kabange, hissé à la tête d’un pays aussi immensément riche que la RDC, décide d’être le valet de ses voisins, aussi puissants soient-ils. Même au sein de l’ordre néo-libéral qui dirige le monde d’aujourd’hui à partir des conglomérats industriels mondialisés, le président du Congo a à sa disposition un tel potentiel de puissance qu’il trouvera toujours auprès de lui des conseillers occidentaux pour lui dire de prendre conscience de son propre pouvoir et de s’opposer à ses voisins ougandais et rwandais par tous les moyens politiques nécessaires, sinon par des moyens militaires. Souvenez-vous de Laurent Désiré Kabila. Au moment où tout le monde le croyait noyauté et emprisonné par le pouvoir rwandais dans les mailles de l’AFDL, feu président Kabila a renversé la situation en sa faveur avec le soutien de l’Angola, de la Zambie et du Zimbabwe. N’eût été la désorganisation qui caractérisait son système de leadership, il aurait pu tenir longtemps tête à ses mentors et diriger très longtemps la RDC. Je ne pense pas que son successeur puisse refuser de jouer sa propre carte afin de se mettre sous la coupe du Rwanda et de l’Ouganda, comme si le fabuleux Congo dont il a hérité n’était pas en soi une puissante arme de sa propre libération en face de Kampala et Kigali.
- Le reportage
Le reportage est un texte à visée descriptive-narrative. Ses aspects énonciatifs sont les
suivants : l’énonciateur premier est un journaliste ou « apparenté » qui parle, à la troisième
personne, des énonciateurs seconds. Formellement, le reportage a plus de 15 lignes et on y
rencontre surtout des marqueurs spatiaux (parfois aussi temporels). Le reportage ne
présente pas la subjectivité de l’auteur, mais est en revanche caractérisé par une abondance
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de détails, parfois anecdotiques, sur les objets ou personnes qui sont décrits72 . Le contenu
informationnel porte, quant à lui, sur ce que nous appelons l’histoire situationnelle.
L’exemple suivant est un reportage :
51) La misère noire des déplacés KIESEL, VERONIQUE Lundi 10 novembre 2008 Congo Des combats, dimanche matin, dans le sud du Nord-Kivu Le pape appelle au retour à la paix, tout comme les pays d’Afrique australe. Mais les déplacés manquent de tout. REPORTAGE73 Goma De notre envoyée spéciale La terre est noire, le sol encombré de roches volcaniques. Des abris de misère sont alignés à perte de vue. Dans le camp de Mugunga, situé dans la périphérie de Goma, la capitale du Nord-Kivu, 12.600 personnes survivent dans des conditions extrêmement difficiles. Les plus anciens déplacés sont là depuis septembre 2007, mais il en arrive de nouveaux tous les jours depuis que les combats ont repris jeudi dernier. L’armée congolaise tente en effet de faire face aux attaques des hommes de Laurent Nkunda, le Conseil national pour la défense du peuple, qui, après plusieurs succès militaires, sont aux portes de Goma. Niamanu a 40 ans, et elle est arrivée il y a deux mois dans le camp de Mugunga après avoir erré pendant un mois, seule avec ses trois enfants. « Nous vivions dans un village du Masisi, je cultivais notre parcelle, nous élevions quelques animaux, mais des hommes en armes sont arrivés et ils ont commencé à tirer ; il y avait des bombardements. Nous avons eu très peur : j’ai pris mes enfants, et je me suis sauvée. Malheureusement, mon mari n’était pas là, et je ne sais absolument pas où il se trouve. J’ai traversé des forêts, des montagnes, nous avons survécu en
72 La présence de nombreux détails dénonce la présence d’une subjectivité, notamment à travers la
caractérisation des acteurs ou des énonciateurs, mais il nous semble que cette subjectivité n’est pas présente dans les faits en soi, comme dans les articles/analyses ou les analyses, mais dans la façon dont un objet, un acteur, ou un énonciateur particulier sont décrits.
73 Une indication sur le genre textuel est ici présente, mais ce n’est pas toujours le cas.
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mangeant des feuilles. Et puis je suis arrivée ici, mais, depuis deux mois, nous manquons de tout ». Niamanu vit dans un petit coin d’une tente qui sert à abriter les derniers arrivés. Elle n’a rien, à part une natte et une serviette d’éponge faisant office de bien maigre matelas. « Je n’ai reçu aucune aide depuis que je suis là : pas de nourriture, pas de couverture, rien. Je pars en brousse chercher du bois, que je revends dans le camp. Quand j’ai un peu d’argent, je nous achète à manger, ou alors, on se contente de feuilles. » Ses trois enfants – 8, 10 et 15 ans – sont désœuvrés, comme les milliers d’enfants qui ont trouvé refuge à Mugunga. Il n’y a pas d’école dans le camp et il faut payer pour aller à celles de Goma. Le gestionnaire du camp, Omer Kabelu Bubibuende, manque cruellement d’aide. « Nous recevons des aliments du Programme alimentaire mondial mais, depuis trois mois, nous avons dû réduire de moitié les rations que nous distribuons aux déplacés. Or nous attendons une nouvelle vague de déplacés : un groupe important a été signalé du côté de l’aéroport. Il faudra leur faire de la place mais je ne sais pas avec quoi les nourrir...» Un peu plus loin, une famille se presse autour du vieux père à la barbe blanche. Eux sont là depuis décembre 2007, eux aussi furent chassés par la violence dans le Masisi. Ils vivent à dix dans une de ces huttes de branchages. « Nous ne recevons que deux kilos de haricots pour nourrir toute la famille pendant un mois. Et nous sommes écœurés, car la MONUC (mission de l’ONU au Congo) ne fait rien. Si c’est pour assister aux massacres sans rien faire, elle peut partir ! La vie est très difficile, ici. Les femmes qui vont chercher du bois à l’extérieur du camp se font souvent violer. Certaines ont même été enlevées. Nous voulons que la paix revienne, pour que nous puissions rentrer chez nous et retrouver nos champs. » À Goma même, la vie a repris. Mais cela dépend d’un jour à l’autre. « Certains jours, explique Albert, qui habite Goma, les militaires de l’armée congolaise descendent sur la ville, lorsqu’ils ont subi une défaite. Et ils se mettent à piller, à rançonner. Alors les gens se terrent chez eux, tout est fermé. Nous avons parfois plus peur de nos propres militaires que des rebelles. » « La fièvre atteint Goma, souligne Roger Rachidy, le maire de la ville. Ces deux derniers jours seulement, nous avons dû accueillir 5.000 à 6.000 nouveaux déplacés. Il y a eu de vrais moments de panique en ville et nous avons besoin d’aide. Des foyers de choléra se sont déclarés dans les environs, la nourriture manque pour les déplacés : la situation est très critique. Et la MONUC ne protège pas assez notre population. Elle a promis qu’elle utiliserait la force pour défendre notre ville de toute attaque rebelle, mais elle ne l’a jamais fait. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Nous ne comprenons pas pourquoi la MONUC hésite ainsi. »
- L’article-reportage
L’article-reportage est un texte à visée informative-descriptive. L’article-reportage possède
les mêmes caractéristiques formelles que le reportage (texte de plus de 15 lignes avec de
nombreux repères spatiaux). Sémantiquement, l’article-reportage traite un fait d’actualité,
contrairement au reportage. L’exemple suivant est un article-reportage :
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52) Le triple message de Michel BRAECKMAN, COLETTE Vendredi 12 décembre 2008 Congo Louis Michel a rencontré Nkunda dans son fief du Kivu LE COMMISSAIRE européen se fait le messager de l’ONU et de… Kigali. Mais le général rebelle ne plie pas. RUTSHURU DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE Pour accueillir Louis Michel, Laurent Nkunda avait cette fois choisi le treillis militaire sans insignes, dédaignant les grands boubous et la canne à pommeau arborée pour d’autres visiteurs. Dans le salon délavé de l’ancienne résidence de l’administrateur territorial de Rutshuru, dont le feu ouvert est éteint depuis l’époque coloniale, le chef du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) a multiplié les audiences : l’actrice Mia Farrow, ambassadrice de l’Unicef qui s’est enquise du sort des enfants, deux généraux envoyés par l’ex- président nigérian Obasanjo devenu médiateur de l’ONU, et de nombreux représentants d’ONG. Arrivé en fin d’après-midi dans un hélicoptère de la MONUC pressé de repartir, c’est en présence de toute la délégation européenne et du « comité central » de Nkunda que Louis Michel a délivré un triple message, recueilli au plus haut niveau. Durant toute la journée, le commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire était en effet en contact permanent avec Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères qui se préparait à présider le Conseil européen et à débattre de l’envoi éventuel d’une force militaire au Congo. Avant de gagner Rutshuru, M. Michel s’était longuement entretenu à Nairobi avec Olusegun Obasanjo, qui lui avait semblé passablement irrité par les exigences de Nkunda, qui entend désormais discuter d’égal à égal avec le président Kabila, et il avait fait escale à Kigali, où l’audience avec Kagame – « passionnante » aux dires de Michel –, avait duré une heure trente. Calé dans un fauteuil rouge avachi, Michel a expliqué à Laurent Nkunda que ses dernières exigences allaient trop loin, car elles portent sur la révision de la Constitution, contestent la légitimité du président Kabila, élu démocratiquement voici deux ans, et mettent en cause les contrats passés avec la Chine. Pour Obasanjo, traduit par Michel, c’est très clair : la médiation onusienne doit porter sur les problèmes du Kivu, de la minorité tutsie, de la permanence des combattants hutus FDLR et des moyens d’organiser leur rapatriement, mais il est hors de question de discuter de questions institutionnelles avec un chef rebelle qui fonde ses arguments sur l’usage des armes. À Kigali, le commissaire européen avait entendu Kagame lui expliquer qu’il ne connaissait pas Nkunda personnellement (alors que sur le terrain beaucoup évoquent les fréquents appels téléphoniques venus de Kigali…) et qu’il ne le contrôlait pas davantage. Le message de Kagame, traduit par le commissaire européen auprès de Nkunda, était très clair : « Si vous
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ne combattez plus pour votre cause initiale (la défense de la minorité tutsie), ce qui faisait de vous un emblème, si vous allez au-delà, vous deviendrez un chef de guerre comme les autres… » Et Kagame d’ajouter – pour que cela soit répété – que, par ses agissements, Nkunda ternissait l’image du Rwanda lui-même. Il est vrai que Kigali se montre très préoccupé par la dégradation de son image à la suite de la guerre au Kivu où l’implication de soldats rwandais démobilisés est amplement dénoncée, et par le dernier rapport des experts de l’ONU, publié cette semaine, qui décrit les trafics de minerais en direction du Rwanda. Lunettes cerclées d’or posées sur un visage impénétrable, longues jambes croisées, sourire retenu, Laurent Nkunda a écouté sans broncher l’exposé du commissaire européen, qui, le temps étant compté, ne s’est pas embarrassé de circonlocutions. Il lui a répondu tout de go : « Mais vous n’avez rien compris. Je ne me bats pas uniquement pour les Tutsis, ou contre les FDLR, mais pour tous les Congolais, pour renverser un ordre injuste. » Et de dénoncer, pêle-mêle, la corruption, les contrats miniers, les nombreux échecs du régime de Kinshasa auxquels, depuis son fief de Rutshuru, il entend porter remède… Et d’exiger aussi, au minimum, que son parti soit chargé de la réforme de l’armée et envoie des représentants à inshasa, au plus haut niveau… Par son assurance, son débit, le caractère articulé (et parfois exalté) de ses revendications et de ses ambitions, Nkunda a confirmé une fois de plus ce que beaucoup assurent : cette guerre-ci est différente, il ne s’agit pas d’un mouvement localisé et « quelque part » (mais où, mais qui ?) « quelqu’un » a donné le feu vert au général rebelle pour pousser son avantage aussi loin que possible et peut-être déstabiliser Kabila. Rencontré à Kigali, le représentant de la MONUC à Kinshasa, Alan Doss avait d’ailleurs fait part de ses inquiétudes à Louis Michel : il redoute que Nkunda, par de nouvelles offensives, étende son territoire en direction du Masisi et du « grand nord » congolais tandis qu’à Kinshasa, le pouvoir semble s’affaiblir de jour en jour. Autrement dit, pour la MONUC, l’intervention d’une force intérimaire européenne représente une nécessité urgente. Tous ces points furent évoqués au cours de l’entretien Michel- Nkunda qui fut, comme on dit « franc et direct », et qui se prolongea par un tête à tête lorsque le général sans étoiles ramena lui-même le commissaire vers le camp de la MONUC au volant de sa jeep. Précédé par des 4x4 hérissées d’hommes en armes, dont certains jonglaient même avec des lance-roquettes comme ils l’auraient fait avec des bâtons de berger, le cortège dépassa des civils alignés, immobiles le long de la piste, qui semblaient s’interdire le moindre cri, le moindre geste. La cohorte traversa aussi Kiwandja, où, selon le dernier rapport de Human Rights Watch, le dernier massacre aurait fait 150 morts, des jeunes hommes exécutés par des militaires qui passaient de maison en maison. Dans cette banlieue de Rutshuru, l’herbe a aujourd’hui repoussé, quelques rares commerces ont rouvert, mais dans les jardins, les haricots ne sont pas récoltés, le maïs roussit au soleil et bien des maisons sont fermées, car leurs habitants se serrent dans le camp de déplacés qui entoure le « compound » de la MONUC. Alors que les pales de l’hélicoptère brassaient la poussière, c’est là que Nkunda a déposé le commissaire Michel, dans un grand brouhaha de gardes tournant autour des véhicules et de flashs des journalistes. Lors des dernières salutations d’usage,
138
on avait le sentiment que les lunettes du chef rebelle, posées sur un visage soudain crispé, jetaient des étincelles.
- La brève
La brève est un texte à visée informative qui n’est généralement pas signé par un auteur
précis, mais par une agence de presse et qui est rédigé à la troisième personne. La forme de
la brève se caractérise, comme son nom l’indique, par sa petite taille, moins de 15 lignes
pour nous74 (l’information y est fortement condensée), et la présence de marqueurs spatio-
temporels précis et proches dans le temps. Aucune subjectivité n’est présente dans ces
textes. Sémantiquement, le texte porte sur un fait d’actualité. L’exemple suivant est une
brève75 :
53) Le Figaro, samedi, 4 octobre 2008, p. 8 International EN BREF RD CONGO. Le général rebelle Laurent Nkunda a qualifié hier de caduc l'accord de réconciliation nationale conclu en janvier avec le gouvernement et a invité la population congolaise à se révolter.
- La biographie
La biographie est un texte à visée descriptive, rédigé par un journaliste ou « apparenté », et
qui décrit, à la troisième personne, la vie de personnes en fonction de leur parcours
personnel et professionnel. Formellement, la biographie est un texte plus ou moins long,
avec des repères spatio-temporels précis et stylistiquement, on n’observe généralement pas
de marques de subjectivité de l’auteur. La présence de contenus informationnels qui ont
trait à l’origine, aux études, ou à la formation professionnelle des personnes décrites
montrent le plus clairement qu’il s’agit d’une biographie. Dans cette description, le contenu
informationnel porte sur ce que nous appelons l’histoire biographique. L’exemple suivant est
une biographie :
74 Notre choix s’est porté à 15 lignes après l’examen des brèves de notre corpus, dont certaines, classées
comme brève par les journaux (mention de cette catégorie au-dessus du texte) allaient jusqu’à 15 lignes. Aucune brève de notre corpus ne dépasse cette taille.
75 Notons que dans cet exemple, une indication sur le genre textuel (« En Bref ») est également présente
dans le texte.
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54) Mardi 18 novembre 2008 LAURENT NKUNDA Originaire du Nord-Kivu, Laurent Nkunda, un Tutsi congolais, a étudié au Rwanda puis s’est engagé en 1990 dans les rangs de l’armée de agame qui a pris le pouvoir en 1994. Durant la guerre au Congo, il s’est attu aux côtés des rebelles soutenus par le Rwanda, mais après la signature des accords de paix il a toujours refusé de se rendre à Kinshasa et de faire partie de la nouvelle armée. Converti au protestantisme, il aime prêcher, porte un insigne « rebelle pour le Christ » et serait soutenu par des milieux évangéliques américains. Appuyé par le Rwanda, et à la tête de 5 à 6.000 hommes, il défie le pouvoir de Kinshasa à la tête de son mouvement, le « Congrès national pour la défense du peuple » et réclame des négociations directes.
- L’interview
L’interview est un texte à visée clairement dialogale. Ses aspects énonciatifs sont que
l’énonciateur premier est un journaliste ou « apparenté », qui interagit avec un autre
énonciateur, dont il transcrit les propos. L’objet de discours porte sur d’autres énonciateurs
cités (troisième personne) ou sur les pensées ou propos de l’énonciateur interviewé
(première personne). Formellement, l’interview est un texte généralement de plus de 15
lignes, constitué d’une suite de questions-réponses. L’énonciateur interviewé y transmet sa
subjectivité. Le contenu informationnel peut porter sur un fait d’actualité récent, cas le plus
fréquent, ou sur une réflexion sur une situation générale (dans notre cas, la situation de la
RDC). Il arrive qu’on trouve des textes dont la composition formelle est similaire à celle de
l’interview, mais dans lesquels il n’y a qu’un seul énonciateur, qui pose des questions pour
ensuite y répondre lui-même. Dans ces cas de figure, il s’agit plutôt d’articles/analyses,
d’analyses ou de commentaires. L’exemple suivant est une interview76 :
55) La Libre Belgique, 07/11/2008, "L'heure est venue de régler les problèmes au fond” Le commissaire européen Louis Michel assistera au sommet Kabila-Kagame à Nairobi ce vendredi. Entretien Marie-France Cros Le commissaire européen au Développement, Louis Michel, mettant à profit ses relations avec les présidents du Congo et du Rwanda, a obtenu la semaine dernière
76 Notons également dans le texte original, une différence entre caractères italiques et caractères droits
était présente pour marquer formellement l’alternance entre les deux énonciateurs. Pour éviter la confusion avec les italiques que nous avons utilisés pour marquer les aspects énonciatifs, nous les avons remplacés par des espacements de lignes.
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qu'ils se rencontrent lors d'un sommet qui se tient aujourd'hui à Nairobi. Kinshasa s'était aussi engagé à un dialogue direct avec le CNDP du rebelle Laurent Nkunda mais est revenu, lundi, sur ce point. Nkunda a donc menacé de reprendre les combats. Nous avons interrogé Louis Michel, en partance pour Nairobi. Après ce revirement de Kinshasa, peut-on encore attendre quelque chose de Nairobi 2 ? La forme de la discussion entre le gouvernement et Nkunda m'importe peu ; l'essentiel est que l'échange se fasse. Kinshasa se dit prêt à entendre les doléances de Nkunda. Mais c'est fait depuis longtemps. N'est-ce pas un retour en arrière ? Il faudra voir ce que Kinshasa fait de ces doléances. S'il y a des réponses positives, si elles sont rencontrées en partie… Je ne doute pas que cela sera difficile. L'important est de créer un espace pour dialoguer et surtout que les dirigeants régionaux endossent la démarche. Il y a eu Nairobi 1 et Goma (1) mais rien n'a été mis en œuvre, à mon avis parce que les parties ne sentaient pas de pression internationale. Il est important que les chefs d'État ne puissent plus se retrancher derrière leurs mandants pour ne pas avancer. Nairobi 2 devrait être un coup d'accélérateur pour voir où on en est, où on va, comment on y va et de quelle manière on vérifie la mise en œuvre. On évoque des interventions militaires angolaise ou zimbabwéenne aux côtés de Kinshasa. Cela ne vous inquiète pas que l'option militaire ne soit pas abandonnée ? Je ne pose pas de jugement sur des rumeurs mais, avant de telles négociations, on peut s'attendre à toutes les gesticulations possibles. Il y a sûrement des tentations de ce type, mais si on n'abandonne pas de bonne foi l'option militaire, je ne vois pas de solution. L'option militaire, c'est quoi? C'est d'un côté Nkunda qui croit qu'il est très fort et qui, sans doute, détient un certain nombre de moyens, et, de l'autre, le gouvernement qui pense pouvoir contraindre les rebelles par la force, sachant parfaitement que les moyens militaires dont il dispose, qu'on le veuille ou non, n'offrent aucune garantie. Or il nous faut maintenant solution définitive. Il existe un espace et des moyens pour une solution. Il faut s'attaquer aux causes de la déstabilisation: les FDLR (1) et les frustrations politiques à l'Est. L' heure est venue de régler les problèmes au fond. On semble avoir mis de côté l'idée d'une opération Artemis bis (2)… Je ne vois pas de pays européen qui se précipite pour la monter. Et l'option, maintenant, est politique. Nairobi 2 sera aussi une manière de vérifier le volontarisme politique des différentes parties. Moi je sens bien que la communauté internationale, à un moment, va se fatiguer. Elle a déjà beaucoup investi sur cette question et on n'a pas encore vu de résultats. Je ne doute pas que le président Kabila veuille une solution politique, et ses voisins le veulent aussi. Mais chacun doit abattre ses cartes, qu'on sache où on va. On ne peut continuer comme ça. (1) Nairobi 1 est un accord entre Kigali et Kinshasa pour désarmer les FDLR
141
(rebelles hutus rwandais au Kivu, alliés de Kinshasa) et les renvoyer au Rwanda, et pour que Kigali n'aide pas Nkunda. Goma est un accord entre groupes armés congolais et l'armée de Kinshasa pour un cessez-le-feu. (2) Opération militaire européenne, en appui des casques bleus de l'ONU.
- Le communiqué
Le communiqué est un texte à visée informative dont les aspects énonciatifs sont les
suivants : l’énonciateur premier est un organisme politique ou une institution différente du
journal qui publie le texte (ou de ses employés). Les énonciateurs représentés
correspondent aux membres de cet organisme ou de cette institution, mais le texte rend
compte de leurs propos à la troisième personne. Formellement, il s’agit d’un texte de plus de
15 lignes, avec des marques spatio-temporelles précises et proches dans le temps. Ce texte
ne contient pas de subjectivité. Sémantiquement, le texte rend compte d’un contenu
informationnel relatif à un fait d’actualité provenant d’une institution qui souhaite le
transmettre à la presse. On trouve souvent également une introduction provenant du
journal qui publie le communiqué lorsque celui-ci n’est pas directement publié par
l’organisme en question. L’exemple suivant, raccourci en raison de sa longueur, est un
communiqué :
56) Article de l'édition du 08/12/2008 POLITIQUE NATIONALE Résolution des crises en Afrique centrale La CEEAC renforce sa sécurisation Par Le Potentiel D’importantes recommandations ont été adoptées au cours de la 9e réunion de la Commission de Défense et Sécurité (CDS) du Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique centrale (COPAX, qui s’est tenu du 4 au 5 décembre 2008 à Kinshasa, en RDC. Les membres de la CDS ont examiné les trois points à l’ordre du jour des travaux, l’examen de la situation sécuritaire dans le Golfe de Guinée, l’analyse du rapport de la 1ère mission du COPAX en RCA et la formulation des propositions sur la situation sécuritaire en RDC. Ci-après l’intégralité du communiqué final. Communiqué final77 De la 9e Réunion de la Commission de Défense et de Sécurité (CDS) du conseil de paix et de Sécurité de l’Afrique centrale (COPAX) Kinshasa, République Démocratique du Congo, 04-05 décembre 2008
77 Ici, le genre textuel est mentionné, mais cela n’est pas toujours le cas.
142
1. Sur convocation du Président du Conseil des Ministres du COPAX, Son Excellence Monsieur Thambwe Mwamba, ministre en charge des Affaires Etrangères du Gouvernement de la République Démocratique du Congo, il s’est tenu du 04 au 05 décembre 2008 à Kinshasa, République Démocratique du Congo, la 9e réunion de la Commission de Défense et Sécurité (CDS) du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique entrale ( O AX). 2. Ont pris part à cette réunion: 2.1. Les Chefs d’Etat-major généraux ou des armées, les Commandants des Gendarmeries et Polices des pays membres de la CEEAC : Angola, Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, RCA, RDC et Tchad; 2.2. Les Représentants des Ministères en charge des Affaires étrangères et/ou de la coopération sous régionale des Gouvernements des Etats membres de la CEEAC : Angola, Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, RCA, RDC et Tchad; 2.3. La délégation de la CEEAC conduite par Son Excellence Monsieur Louis SYLVAIN-GOMA, Secrétaire Général de la CEEAC ; 2.4. La délégation de Sao Tomé et Principe a été excusée. […] - 2e Rapporteur: Tenente-Général MARIO JOAO VENANCIO, représentant du CEMG des Forces Armées Angolaises. Les membres de la CDS ont examiné les trois points de l’ordre du jour des travaux, à savoir: - La présentation et l’analyse du dossier d’étude sur la stratégie de sécurisation des intérêts vitaux en mer des Etats de la CEEAC du Golfe de Guinée ; - La présentation et l’analyse du rapport de la ère mission du O AX en R A: MICOPAX 1 ; - L’analyse de la situation sécuritaire en Afrique Centrale avec un point particulier sur la République Démocratique du Congo et la formulation des propositions de la CDS. 6. S’agissant du dossier d’étude sur la stratégie de sécurisation des intérêts vitaux en mer des Etats de la CEEAC du Golfe de Guinée présenté par le Contre Amiral SOSSA SIMAWANGO Marc, Directeur de l’étude, les membres de la CDS ont recommandé au Conseil des Ministres du COPAX : 6.1. D’instruire le Secrétaire Général de la CEEAC de mettre en place un groupe de travail restreint chargé d’étudier toutes les modalités pratiques pour la mise en œuvre de la stratégie formulée dans le dossier; 6.2. De baptiser la structure qui sera responsable de la sécurisation des intérêts vitaux en mer des États de la CEEAC du Golfe de Guinée en CENTRE DE COORDINATION REGIONALE POUR LA SECURITE MARITIME DE L’AFRIQUE CENTRALE (CRESMAC); […] 15. Fait à Kinshasa le 05 décembre 2008 Pour le secrétariat général de la CEEAC Général Louis Sylvain-Goma Le Président des travaux Lieutenant-Général Didier Etumba
- La déclaration
La déclaration est un texte à visée informative. Ses aspects énonciatifs sont, comme dans le
communiqué, que l’énonciateur premier est différent du journal ou de ses membres. Cet
énonciateur premier a tenu de vive voix un discours devant une audience ou a écrit une
lettre à un tiers. Ce discours est retransmis tel quel par un journal. Dans ce texte, l’auteur
143
s’exprime à la première personne. Une taille de plus de 15 lignes, des marques spatio-
temporelles précises (parfois éloignées dans le temps) et la présence d’une forte subjectivité
caractérisent formellement les déclarations. Le contenu informationnel porte le plus souvent
sur un fait d’actualité, mais il peut également porter sur l’histoire causale. Une indication
explicite du genre dans le texte aide parfois à l’identifier. À la différence du commentaire, où
l’énonciateur premier formule ses pensées et sentiments dans des écrits destinés à être
publiés dans un journal, dans le cas d’une déclaration, l’énonciateur premier s’adresse à une
audience effective (public, récepteur d’un courrier). L’exemple suivant, raccourci en raison
de sa longueur, est une déclaration :
57) Article de l'édition du 11/10/2008 POLITIQUE NATIONALE Dans un message à la Nation Joseph Kabila mobilise ses compatriotes Par Le Potentiel « Mes chers compatriotes, Une fois encore, notre pays se trouve à un tournant de son histoire, à un de ces moments où se testent la solidité d’une Nation, la détermination d’un peuple à forger son destin et le patriotisme des citoyens. En effet, alors que nous croyions à jamais tourner la page des guerres de rébellions, les bruits de bottes et de canon ont repris dans la province du Nord-Kivu depuis le 28 août dernier, faisant même récemment des émules en Ituri pourtant hier totalement pacifié. Des fils du pays au service des forces étrangères, aussi invisibles qu’obscures ont, à nouveau, choisi de faire couler le sang de leurs frères et sœurs, reniant leurs paroles. Ils ont violé les actes d’engagements de Goma ainsi que tous les autres engagements librement souscrits par eux de ne plus jamais recourir aux armes comme mode de règlement des conflits. À l’origine cachées, les véritables intentions des ennemis de la paix et de leurs commanditaires viennent d’être explicitées. Il ne s’agit ni plus ni moins que de nous installer, à nouveau, dans l’incertitude du lendemain, de remettre en cause la volonté du Souverain primaire telle qu’exprimée dans la Constitution du 26 février 2006 et lors de dernières élections présidentielle, législatives et provinciales. C’est donc un défi à l’ensemble du peuple congolais et à ses institutions légitimes, et cela est inadmissible. Et nous avons le devoir patriotique de nous y opposer de toutes nos forces. À ce sujet, je voudrais, en votre nom à tous, féliciter les Forces armées de la République démocratique du Congo, en dépit de leur jeunesse et des impondérables d’une guerre non conventionnelle, elles ont globalement résisté aux attaques de l’ennemi avec bravoure. Elles ont mérité de la nation que ce n’est pas par faiblesse mais plutôt par sagesse que le gouvernement de la République
144
privilégie le dialogue et la conciliation dans la recherche d’une solution à la crise dans la partie orientale du pays. Je voudrais aussi les encourager à continuer à résister avec héroïsme et à les rassurer quant au soutien sans faille de 60 millions de Congolaises et Congolais. Ils sont et seront toujours pour elles une arrière-garde sûre, fidèle et irréductible. […]
- La chronologie
La chronologie est un texte à visée informative. Ses aspects énonciatifs sont que
l’énonciateur premier est un journaliste ou « apparenté » qui représente, à la troisième
personne, les énonciateurs (lorsqu’il y en a) ou les acteurs. Formellement, ce texte est au
format liste et sémantiquement, il s’agit d’une histoire chronologique : le texte énumère une
série de repères temporels, auxquels est rattaché chaque fois un contenu informationnel. Il
est possible d’y trouver une indication du genre textuel. L’exemple suivant est une
chronologie :
58) LE MONDE 11/12/2008 p. 6 Chronologie78 1994. Environ 800 000 Tutsis sont massacrés au Rwanda par le régime et une partie de la population hutus. 1996. Le Rwanda intervient militairement au Zaïre pour combattre les génocidaires qui avaient fui le Rwanda. 1997. Laurent-Désiré Kabila prend le pouvoir à Kinshasa. 1998-2003. Guerre régionale impliquant la RDC, le Rwanda, l'Angola, l'Ouganda, la Namibie et le Zimbabwe. 2001. Joseph Kabila succède à son père, Laurent-Désiré, assassiné. OCTOBRE 2006. Joseph Kabila est élu président de la RDC. JANVIER 2008. Signature d'un accord de paix avec les groupes rebelles. AOÛT. Début d'une nouvelle offensive militaire de Laurent Nkunda.
- La couverture
La couverture est constituée d’une image, d’un titre, d’un sous-titre ou d’un énoncé isolé.
Elle ne dépasse donc pas les 15 lignes. Sa visée est informative et son contenu
informationnel porte le plus souvent sur un fait d’actualité. L’exemple suivant est une
couverture :
78 Ici aussi, une indication du genre textuel est présente.
145
59) Le Soir 1E UNE, lundi, 15 décembre 2008, p. 1 Le rapport qui accable le Rwanda P.13 L'ONU dénonce ses liens avec Nkunda au Congo. Complicités belges.
c) Tableau récapitulatif79
Genres Visée Enonciatifs Formels
Sémantiques
E1 E2 Taille Spatio-temp. Subj.
Article Inf. Journ. 3e +15 Précis/Proches NON Actu.
Analyse Expl/Arg. Journ. 3e +15 Précis/Loin OUI Hist. Caus.
Article-analyse Inf/Arg. Journ. 3e +15 Précis/Proches OUI Actu.
Reportage Descr/Narr. Journ. 3e +15 Spatio précis NON Hist. Sit.
Article-reportage
Inf/Descr. Journ. 3e +15 Précis/Proches NON Actu.
Commentaire Expl/Arg. Auteur 1ère +15 Précis/Loin OUI Hist. Caus.
Interview Dial. Journ. 1ère +15 Précis/Proches (OUI)80
Actu/Hist. Caus
Chronologie Inf. Journ. / +15 Précis NON Hist. Chronol.
biographie Descr. Journ. 3e +/-15 Précis NON Hist. Biog.
Communiqué Inf. Institution 3e +15 Précis/Proches NON Actu.
Déclaration Inf. Pol/Mil. 1ère +15 (Précis)81 OUI Actu/Hist. Caus.
Couverture Inf. Journ. / -15 / NON Actu.
brève Inf. Agence 3e -15 Précis/Proches NON Actu.
2.2.3. Les autres liens intertextuels : l’auteur, le ournal, le pays
Comme nous l’avons vu dans la partie théorique (2.1.), l’intertextualité est une notion qui
rend compte des relations entre des textes. Ces relations peuvent être établies entre
plusieurs textes à l’aide de critères pertinents pour le chercheur. Dans notre cas, les critères
79 Chaque terme utilisé dans ce tableau est constitué par les premières lettres des aspects illocutoires,
énonciatifs, formels et sémantiques de la section précédente. Ainsi, Inf. signifie visée informative, etc.
80 La subjectivité n’est pas celle de l’auteur du texte, mais de l’interviewé.
81 Les déclarations ne contiennent pas forcément de repères spatio-temporels.
146
pertinents pour comprendre les transformations des phénomènes énonciatifs (énonciateurs
et actes de parole représentés, formes de représentation du discours autre) sont aussi
l’auteur du texte, le journal et le pays dans lesquels les textes sont publiés.
Pour bien comprendre ces critères permettant d’établir des liens intertextuels établis au
moyen des auteurs, des journaux et des pays, il convient de présenter brièvement la notion
de discours. Le discours peut en effet être celui d’un auteur, d’un journal, voire être le
produit d’une société ou d’un pays. Ainsi, une personne, un auteur qui rédige un écrit (ou
qui prend la parole), dans un journal produit un discours qui s’adresse à un récepteur, à un
énonciataire. L’ensemble des paroles ou des écrits présents dans un journal correspond
également à un discours, mais dans ce cas, la notion de discours est agrandie puisqu’il s’agit
de tout un réseau de relations qui est établi entre les textes (ou les paroles) paraissant dans
un même journal. Le discours de ce journal, qui publie dans un pays spécifique, ne peut être
compris que par la prise en considération de la société dans laquelle il se trouve : expliquer
pourquoi certains termes, certains proverbes ou certaines idées dans un journal sont
compris de telle ou telle autre manière – ou, en d’autres termes, interpréter le discours d’un
journal - revient à tenir compte de certains aspects sociaux, de certaines normes discursives
qui sont propres à chaque pays.
Le discours est donc conçu comme un « mode d’interaction dans des situations
socioculturelles très complexes » [Van Dijk, 1985 : 985, cité par Maingueneau (1995 : 7)].
Cette interaction est réalisée entre un énonciateur et son énonciataire (dans notre cas,
l’auteur du texte et son lecteur, voire le journal et son lectorat) dans certaines conditions
socioculturelles spécifiques (dans notre cas, dans les sociétés française, belge et congolaise).
Mais ces conditions ne sont pas extrinsèques au discours, elles le conditionnent : impossible
en effet pour les énonciateurs de sortir du contexte social, ou du pays, dans lequel ils
s’expriment. Cette intrication du discours d’un énonciateur dans son contexte social a
comme conséquence que l’énonciateur a une perception du monde qui l’entoure qui est
déterminée par le contexte socioculturel dans lequel il vit.
Dans le cas de notre étude, les énonciateurs en jeu sont, la plupart du temps, des
journalistes. Ces journalistes produisent des textes qui constituent leur discours. Mais ces
textes sont le produit de leur représentation du monde. Cette représentation du monde est
déterminée par le contexte social et a des conséquences sur le discours que ces
énonciateurs produisent et ont déjà produit. En d’autres termes, le contexte socioculturel
détermine le discours des journalistes, discours qui va lui-même déterminer les futurs
discours. Ce contexte socioculturel dépend du pays auquel ils appartiennent : il est évident
que, dans notre cas, les journalistes d’Europe et ceux de la RDC ne percevront pas la réalité
de la même manière et plus particulièrement ne percevront pas le conflit des provinces du
Kivu de la même manière, car le contexte dans lequel ils évoluent est différent. Cette
147
différence de contexte a des implications sur les institutions médiatiques, c’est-à-dire sur les
journaux, et ces journaux déterminent aussi le discours des journalistes.
Pour résumer, on peut dire que tout discours est déterminé par les discours antérieurs
des énonciateurs qui les produisent mais également par les institutions sociales, culturelles
(et médiatiques) dans lesquels ils sont produits. Lorsqu’on prend pour objet d’étude
l’examen des transformations, on doit donc nécessairement prendre en considération ces
facteurs, qui déterminent le discours du journaliste : tant l’auteur du texte, avec ses discours
antérieurs, son contexte socioculturel et le journal dans lequel il publie peuvent avoir des
conséquences sur la manière dont les résultats vont être interprétés. Il est donc évident que
pour comprendre les transformations, nous devons également examiner les liens établis
entre les textes par l’identité de leurs auteurs, du journal et du pays dans lequel ils sont
publiés.
3. Les transformations : notions et aspects pris en considération
pour notre étude
3.1. Introduction
La recherche de liens intertextuels dans notre corpus a abouti à la compréhension d’un
certain type de fonctionnement médiatique, celui de la reprise de l’information entre
différents médias. Cette reprise de l’information amène parfois d’éventuelles
transformations des paramètres énonciatifs que nous étudions (énonciateurs, actes de
parole et formes de discours représentés). Reprendre un contenu informationnel à un autre
journal ou à une agence de presse implique nécessairement un choix fait par le journaliste, à
savoir celui de reproduire telle quelle cette information ou de la transformer, de la
retravailler en fonction de certains buts à atteindre. Dans cette section, nous présenterons
les résultats de la recherche des liens intertextuels en focalisant notre attention sur
d’éventuelles transformations dans ces textes. Les questions auxquelles nous répondrons
sont entre autres les suivantes : lorsque des paires de textes sont identifiées, qu’observe-t-
on ? Une similarité entre les contenus informationnels des deux textes ou des différences ?
Si les deux textes présentent un contenu informationnel similaire, observe-t-on des
transformations ? Si oui, lesquelles et quels sont les éléments pertinents à prendre en
considération pour pouvoir parler de transformations dans le cadre de notre étude ? Sinon,
pourquoi ? Si les deux textes présentent des contenus informationnels différents, peut-on
identifier des problèmes liés aux méthodes suivies pour lier ces textes ?
Pour répondre à ces questions, nous examinerons, dans cette section, les aspects
suivants : nous éclaircirons d’abord, la notion de transformation et nous expliquerons quels
sont les objets d’étude pris en considération ou écartés dans nos analyses.
148
Ensuite, nous montrerons qu’un texte lié à un autre texte par les méthodes de recherche
des liens intertextuels que nous avons suivies, ne subit pas toujours des transformations,
mais peut être complètement identique à l’autre texte avec lequel il est jumelé. L’identité du
contenu informationnel d’un texte à l’autre montre qu’avec les nouvelles technologies
disponibles pour accéder à l’information, les journalistes ne prennent pas toujours la peine
de retravailler le contenu informationnel relaté et réalisent des sortes de « copier-coller » de
l’information.
Dans la troisième partie de cette section, intitulée la différence des textes, nous nous
interrogerons sur les méthodes que nous avons utilisées pour établir les liens intertextuels
touchant aux contenus informationnels. Au vu de certains résultats de textes liés entre eux,
mais jugés non pertinents pour notre étude, nous insisterons sur les difficultés rencontrées
pour établir des liens intertextuels de contenus informationnels dans un corpus comportant
beaucoup de données textuelles.
3.2. La notion de transformations des textes
Avec la circulation de l’information à partir d’un journal, d’un pays, ou d’un continent vers
un autre, un même contenu informationnel peut apparaître dans différentes formes
médiatiques. Que ce soit dans la presse écrite (quotidiens, hebdomadaires, etc.), visuelle
(télévision) ou orale (radio), toute information peut être reprise à une autre source
d’information, à un texte source, et peut être présentée de manière identique ou différente
de celle présentée dans ce texte source. Lorsque cette présentation diffère de celle du texte
source, lorsque le contenu informationnel est transformé, cela signifie que des choix ont été
réalisés par les journalistes qui veulent peut-être transmettre une autre image de la réalité
dont ils parlent. Ainsi, lorsque Galtung & Ruge (1965) expliquent les critères de sélection
d’un événement comme objet médiatique, ils pointent les choix faits en fonction des lignes
éditoriales ou du lectorat que les médias désirent toucher :
“A newspaper may vary in the degree to which it caters to mass circulation
and a free market economy. If it wants a mass circulation, all steps in the news
chain will probably anticipate the reaction of the next step in the chain and
accentuate the selection and distortion effects in order to make the material
more compatible with their image of what the readers want. Moreover, a
newspaper may vary in the degree to which it tries to present many aspects of
the situation, or, rather, like the partners in a court case, try to present only the
material that is easily compatible with its own political point of view. In the
latter case selection and distortion will probably be accentuated and certainly
not decrease.” (Galtung & Ruge, 1965: 68)
Ces variations dues aux facteurs culturels et éditoriaux sont également présentes lorsqu’un
même événement de faits (actions) ou un événement de paroles ou d’écrits (discours) est
149
représenté dans deux textes. Quand il s’agit de deux textes publiés à la même date, on peut
dire que l’événement est représenté de manière différente d’un texte à l’autre. Quand en
revanche un texte s’appuie sur un autre texte pour traiter l’événement et qu’on observe des
variations dans sa représentation, on peut dire que l’événement en question est transformé,
que le journaliste cible fait d’autres choix que le journaliste source, et ces choix remplissent
diverses fonctions.
Dans le cadre de notre étude, nous étudions des textes dans lesquels des événements
sont représentés de manière différente ou de manière transformée. Ces événements sont
des événements de parole ou d’écrits qui correspondent à la hiérarchisation de plusieurs
cadres interactionnels. La figure suivante montre la hiérarchisation de plusieurs cadres
interactionnels:
Journaliste Lecteur cible cible Discours produit dans le texte cible
Enonciateur Enonciataire troisième troisième Discours produit par un tiers
Journaliste Lecteur82 source/ source/ énonciateur énonciataire second second Discours produit dans le texte source/par un tiers
[Figure 1: la hiérarchisation des cadres interactionnels]
Cette figure, qui s’inspire tout en la modifiant de celle présentée dans les travaux de Roulet
(2001 : 282), schématise la manière dont peuvent être hiérarchisés différents cadres
interactionnels dans nos données. Au premier niveau de hiérarchisation, on trouve un texte
cible, c’est-à-dire un texte dans lequel un journaliste reprend une information à un autre
énonciateur et la transmet à ses lecteurs. Il s’agit alors d’un échange produit entre un
énonciateur premier, le journaliste, et un énonciataire premier, le lectorat.
82 Par « lecteur source », nous entendons « lecteur du texte source » et par « lecteur cible », « lecteur du
texte cible ».
150
Lorsque cette information provient d’un autre journal83, ou d’un autre énonciateur qui
remplit également le rôle d’acteur dans le conflit étudié, on passe alors au second niveau de
hiérarchisation. Le journaliste cible représente le discours d’un autre énonciateur. La
structure énonciative correspond à « discours produit/source > discours représenté/cible ».
Les exemples (60)/(61) et (62)/(63) ci-dessous illustrent respectivement les deux types de
reprises mentionnées :
60) - Texte source : Pour comprendre la faiblesse de cette armée, il faut se rappeler que ce sont les accords de paix de Sun City, conclus en 2002 sous l’égide de la communauté internationale, qui ont donné naissance à une formule hybride : le pouvoir politique était partagé entre un président (Joseph Kabila) et quatre vice présidents. [Le Soir, 23 décembre 2008]
61) - Texte cible : […] Colette Braeckman abonde dans le même sens quand elle écrit : « Pour comprendre la faiblesse de cette armée, il faut se rappeler que ce sont les accords de paix de Sun City, conclus en 2002 sous l’égide de la communauté internationale, qui ont donné naissance à une formule hybride : le pouvoir politique était partagé entre un président (Joseph Kabila) et quatre vice présidents […] » [Le Potentiel, 05 janvier 2008]
62) - Texte source : L’an dernier, à la demande de Kinshasa, je suis intervenu auprès de Laurent Nkunda. [Le Soir, 06 septembre 2008]
63) - Texte cible : «L’an dernier, à la demande de Kinshasa, je suis intervenu auprès de Laurent Nkunda », avoue Paul Kagamé. [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Dans l’exemple (61), l’énonciateur premier du texte du Potentiel, le journaliste cible, reprend
une information qu’il a puisée chez Colette Braeckman, une journaliste du Soir, qui est la
journaliste source. Dans l’exemple (63) en revanche, l’information provient d’un énonciateur
qui est un acteur dans le conflit étudié (Paul Kagamé, le président du Rwanda). Cet acteur a
produit un discours lors d’une interview, qui a été publiée telle quelle par un journaliste. Ces
deux cas de figure se situent au second niveau de hiérarchisation puisqu’il s’agit à chaque
fois de reprendre un discours produit, et non représenté.
Au troisième niveau de hiérarchisation, on trouve les cas où le discours est représenté
tant dans le texte source que dans le texte cible. Dans ces cas de figure, un énonciateur
83 Dans le cas des contenus informationnels représentés de manière différente, ce niveau n’est pas présent,
puisque l’information d’un texte A est comparée à celle d’un texte B. Le texte B ne reprend pas l’information au texte A puisque les deux textes sont publiés aux mêmes dates. Par conséquent, seuls deux niveaux de hiérarchisation sont analysables dans ces cas de figure.
151
produit un discours, qui est représenté d’abord dans un texte source ; le texte cible reprend
ensuite l’information au texte source. La structure est donc : « discours produit > texte
source > texte cible », comme dans l’exemple suivant :
64) - Texte source : "Ils ne reculent devant rien, confirme un officier du CNDP, pas même les pluies de balles et permettent ainsi aux autres d’avancer". [Syfia, 18 septembre 2008]
65) - Texte cible : « Ils ne reculent devant rien, pas même les pluies de balles et
permettent ainsi aux autres d'avancer», déclare un officier du CNDP. [Le Phare, 22 septembre 2008]
Dans cet exemple, un officier a pris la parole lors d’un échange entre lui et son interlocuteur.
Son discours est représenté au moyen d’une incise médiane (confirme) dans le texte source.
Un autre texte, le texte cible, reprend l’information du texte source (le lien intertextuel a été
établi de manière explicite) et représente, d’une manière différente de ce dernier, le
discours de l’officier (incise finale avec le verbe déclarer).
Ce sont les deux derniers cas, où le discours est représenté, qui nous intéressent dans
cette étude. Lors du passage du texte source au texte cible, l’examen du second niveau de
hiérarchisation aboutit à des questions du type : « y-a-t-il des variations dans le discours
représenté ? Si oui, lesquelles et pour quelles raisons ? Si non, à quoi servent ces citations ?
Quels sont les termes utilisés pour caractériser les énonciateurs représentés et leurs actes
de parole ? Pourquoi ces termes sont-ils utilisés plutôt que d’autres ? Peut-on comprendre
d’où ils proviennent en examinant le discours source ?, etc. » Lorsqu’on examine le troisième
niveau de hiérarchisation, d’autres questions peuvent être posées: « Y-a-t-il une
transformation dans les termes utilisés pour caractériser les énonciateurs et les actes de
parole représentés ? Les formes de représentation de discours (discours représenté,
modalisations, etc.) sont-elles les mêmes d’un texte à l’autre ? S’il y a des transformations,
que montrent-elles ?, etc. ».
Dans les deux cas de hiérarchisation que nous étudions, on peut également s’intéresser,
outre aux altérations proprement dites, à l’ajout ou à la suppression de passages informatifs
(mots, parties de phrase, phrases entières) touchant les énonciateurs et les discours
représentés. Cependant, s’intéresser aux ajouts et aux suppressions de passages informatifs
dans une étude sur la représentation du discours peut mener à une large palette d’aspects à
examiner avec des questions du type : « quels énonciateurs sont les plus souvent
représentés ? Pourquoi ne sont-ils pas représentés dans un certain texte, mais le sont-ils
dans un autre ? Pourquoi représente-t-on plusieurs énonciateurs avec chacun leur propre
jugement sur les faits dans un texte et non dans un autre ?, etc. ». Pour ne pas trop nous
éparpiller dans l’examen de notre corpus, nous avons fait le choix d’analyser uniquement les
ajouts ou les suppressions de passages informatifs directement en lien avec les discours
apparaissant dans les deux textes comparés. La sélection des aspects pris en considération a
été réalisée avec les questions/réponses suivantes, suivies par leurs exemples:
152
Le discours d’un énonciateur représenté (ou les caractéristiques utilisées pour décrire cet
énonciateur représenté) est-il rendu de manière complète ou certaines de ses parties sont-
elles supprimées, voire ajoutées ?
On observe des passages supplémentaires ou manquants dans le discours représenté
dans le texte cible par rapport à celui représenté dans le texte source. On doit donc se
demander pourquoi ces passages sont incomplets dans le texte cible.
66) - Texte source : Ainsi, lorsque les casques bleus pakistanais, postés dans le Sud-Kivu, sont appelés à l'aide à Goma, ils refusent, rivalité nationale oblige, de se placer sous les ordres des soldats indiens qui défendent la ville. [Le Monde, 05 novembre 2008]
67) - Texte cible : Selon ‘Le Monde’, en outre, le contingent pakistanais basé au Sud-Kivu aurait refusé de venir renforcer les casques bleus à Goma pour… ne pas devoir se placer sous les ordres des Indiens. [La Libre Belgique, 08 novembre 2008]
Cet exemple est un cas de suppression de caractéristiques servant à décrire les énonciateurs
représentés. On constate en effet la transformation des termes « sous les ordres des soldats
indiens qui défendent la ville » en ceux de « sous les ordres des Indiens ». La proposition
relative est donc supprimée, tout comme le nom « soldat », qui donne des indications sur la
fonction professionnelle de ces énonciateurs. Étant donné que les deux textes traitent un
même contenu informationnel et qu’il est évident que le texte cible puise son contenu
informationnel dans le texte source, nous analysons ce genre de suppressions.
Lorsque l’information d’un texte cible provient de manière évidente d’un texte source,
tous les discours représentés apparaissent-ils dans ce texte cible ou certains d’entre eux
sont-ils supprimés ?
Dans deux textes presque identiques (c’est-à-dire dans lesquels la majorité des énoncés
sont identiques), on observe la suppression de certains discours représentés (ou de certaines
parties de ces discours). On doit donc se demander pourquoi ces discours (ou leurs parties)
sont supprimés.
68) - Texte source : Sur les grandes artères, des patrouilles motorisées du contingent de la MONUC et des Fardc sont visibles. "C’est pour garantir à la population qu’elle peut circuler sans crainte et sans danger", a expliqué Alan Doss, patron de la mission onusienne en RD Congo. La nuit, les patrouilles se poursuivent avec l’aide de la police congolaise. Mais selon la mission onusienne, il faut plus d’effectifs pour arriver à sécuriser Goma. "En ville nous n’avons que 800 casques bleus, mais nous sommes en train de renforcer l’effectif avec des troupes venant d’autres provinces", précise Alain Le Roy, Secrétaire Général adjoint de l’ONU en charge des opérations de maintien de la paix. Denrées rares Sur les marchés, le coût des denrées augmente de jour en jour alors que le stock
153
des marchandises, insuffisant, n’arrive plus à couvrir les besoins de la population. […][Gervais Manou, Le Phare, 10 novembre 2008]
69) - Texte cible : Sur les grandes artères, des patrouilles motorisées du contingent de la MONUC et de l'armée sont visibles. La nuit, les patrouilles se poursuivent avec l'aide de la police congolaise. Denrées toujours plus chères Sur les marchés, le coût des denrées augmente de jour en jour alors que le stock des marchandises, insuffisant, n’arrive plus à couvrir les besoins de la population. [Gervais Manou, La Libre Belgique, 14 novembre 2008]
Dans ce second exemple, le texte cible supprime une série de discours représentés. On
pourrait considérer que les deux textes ne traitent pas exactement les mêmes contenus
informationnels, car ils ne basent pas leur propos sur les mêmes énonciateurs. Cependant, à
y regarder de plus près, on constate deux choses : d’abord, les deux textes sont signés par le
même auteur, Gervais Manou. Vu les dates de publication, on en déduit que le texte cible,
celui de La Libre Belgique, a repris un texte du Phare, lui-même repris de Gervais Manou.
Ensuite, en examinant le contenu informationnel, on observe une identité lexicale (mêmes
mots) et syntaxique (même structure grammaticale) de la plupart des énoncés qui ont été
conservés. On peut donc supposer que le journaliste du texte cible a fait le choix de
supprimer certains discours seconds et ce choix a des implications sur la représentation de
l’événement relaté. Raison pour laquelle, dans ces cas de figure, nous analysons également
ce type de suppressions.
Le texte source et le texte cible traitent-ils totalement le même contenu informationnel ?
Lorsque le texte source et le texte cible ont exactement le même contenu informationnel (et
les mêmes discours représentés), nous comparons tout le contenu informationnel. Si, en
revanche, un contenu informationnel spécifique n’apparaît plus dans le texte cible, ou que le
texte cible traite de contenus informationnels qui n’apparaissaient pas dans le texte source,
seuls les contenus informationnels qui apparaissent dans les deux textes examinés sont pris
en considération.
70) - Texte source : Même si son mandat est renouvelé et renforcé, la Mission des Nations unies au Congo, autant qu’une hypothétique force européenne, sera confrontée à un compagnonnage difficile : les soldats de la paix devront collaborer avec les forces armées congolaises, qui sont à la fois l’instrument de l’autorité de l’État et la plus grande fragilité de ce dernier. Pour comprendre la faiblesse de cette armée, il faut se rappeler que ce sont les accords de paix de Sun City, conclus en 2002 sous l’égide de la communauté internationale, qui ont donné naissance à une formule hybride : le pouvoir politique était partagé entre un président (Joseph Kabila) et quatre vice présidents. Deux d’entre eux, Jean-Pierre Bemba et Azarias Ruberwa étaient issus mouvements [sic] de rébellion, le dernier, au nom du RCD Goma, prenant en charge la Défense et la Sécurité. Au nom de la réconciliation nationale, 340.000 hommes venus d’horizons très différents se retrouvèrent au sein d’une armée en pleine restructuration tandis que des ex-rebelles, dont certains demeurés très proches du Rwanda et de leur ancien compagnon d’armes Laurent Nkunda, se
154
voyaient octroyer des responsabilités au niveau supérieur. [Le Soir, 23 décembre 2008]
71) - Texte cible : À n’en pas douter, le Rwanda et ses alliés ne seraient pas artisans de la mort chez nous sans des complicités internes avérées. « Il est aujourd’hui établi que le pouvoir « dynastique » de Joseph Kabila, imposé de facto par des puissances étrangères, puis légitimé par voie de tricherie électorale, est complice de l’agression rwandaise maquillée en rébellion interne au Congo (...) » (Lire Voeux de Nouvel An de Me Marie-Thérèse Nlandu au peuple congolais sur les sites de Congoone et de Congoforum). Pour Marie-Thérèse Nlandu, « ce n’est pas une pure spéculation de penser que le pouvoir de Kinshasa compose avec ses parrains, des ennemis du Congo pour empêcher de nous organiser. Dans son état actuel, notre armée ne parvient pas et ne parviendra à aucun résultat probant pour sécuriser notre territoire, défendre notre peuple. Infiltrée, elle compte dans ses rangs des éléments exogènes en grand nombre dont 9 généraux, 13 colonels et 300 majors issus des armées rwandaise et ougandaise venus au Congo dans la vague qui nous a envahis en 1996 avec l’entrée de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila. » (Ibidem) Dans un article publié le 26 décembre 2008 et intitulé ‘Pourquoi l’armée congolaise est aussi faible’, Colette Braeckman abonde dans le même sens quand elle écrit: « Pour comprendre la faiblesse de cette armée, il faut se rappeler que ce sont les accords de paix de Sun City, conclus en 2002 sous l’égide de la communauté internationale, qui ont donné naissance à une formule hybride : le pouvoir politique était partagé entre un président (Joseph Kabila) et quatre vice présidents. Deux d’entre eux, Jean-Pierre Bemba et Azarias Ruberwa étaient issus de mouvements de rébellion, le dernier, au nom du RCD Goma, prenant en charge la Défense et la Sécurité. [Le Potentiel, 05 novembre 2008]
Dans ce troisième exemple, le texte cible est une analyse. Son contenu informationnel et son
but diffèrent de ceux du texte source. Dans le texte source en effet, il s’agit de montrer
pourquoi les soldats de l’ONU ont des difficultés à combattre le CNDP : même en
combattant aux côtés de l’armée congolaise, le CNDP doit faire face à la mixité de celle-ci, ce
qui engendre des incompréhensions au sein de ces deux groupes armés. Dans le texte cible
en revanche, le contenu informationnel porte sur d’autres aspects: les relations étroites
entre le Rwanda, considéré comme soutenant le CNDP, et le gouvernement de la RDC,
considéré comme corrompu, constituent le contenu informationnel de ce texte cible. Ce
dernier représente le propos de Colette Braeckman, la journaliste source, dans le seul but
d’appuyer sa thèse : le texte cible décontextualise donc le discours représenté en vue de
présenter des arguments qui appuient sa propre thèse, différente de celle présentée par le
journaliste source, par Colette Braeckman. La représentation faite par le journaliste cible du
discours de Colette Braeckman est alors mise en relation avec une autre représentation de
discours, celle de Marie-Thérèse Nlandu, qui appuie aussi la thèse présentée dans le texte
cible. Dans ces cas de figure, nous n’analysons pas l’ajout d’autres citations (d’autres
représentation de discours, telle celle de Marie-Thérèse Nlandu dans cet exemple), car il ne
s’agit pas, selon nous, d’un même contenu informationnel. En effet, nos analyses portent sur
les transformations des paramètres énonciatifs (énonciateurs, actes de parole, formes de
représentation du discours autre) entre deux textes traitant un même contenu
informationnel. Nous estimons donc non pertinents les ajouts ou suppressions de passages
155
informatifs similaires à ceux du troisième exemple, car ils portent sur des contenus
informationnels différents dans le texte source et dans le texte cible.
3.3. Identité des textes
Les transformations des paramètres énonciatifs que nous avons identifiées entre des textes
sources et des textes cibles sont le résultat de liens intertextuels que nous avons établis par
l’examen de la présence de noms d’auteurs et de journaux, mais aussi par la similarité
lexicale entre ces textes. Cependant, nos méthodes ont parfois révélé leurs limites dans
l’examen des transformations : dans certains cas, les deux textes mis en relation étaient
complètement identiques, du début à la fin. Dans cette section, nous présentons les raisons
qui peuvent expliquer la publication de plusieurs textes identiques.
S’il est évident que l’avènement des nouvelles technologies a marqué un tournant décisif
dans l’accès à l’information, il est tout aussi clair que la pratique du journalisme s’en est vue
modifiée. De l’accès à l’information par échange effectif entre plusieurs personnes, il est
aujourd’hui possible de s’informer via d’autres médiums : Internet est devenu le moyen le
plus efficace, par sa rapidité et l’immensité des informations qu’il contient, pour accéder à
l’information. Tant les journalistes que les individus dont la profession diffère de celle
d’informer recourent à ce médium pour trouver facilement et rapidement les informations
dont ils ont besoin. Via ce réseau, les journalistes vont chercher, ou se font transférer, une
multitude d’informations. Cette recherche peut se faire via les sites Web de journaux
d’information ou provenir du transfert de données réalisé par les agences de presse vers les
journaux en question. Quelle que soit la méthode utilisée, l’information, qu’elle soit
textuelle ou vocale, est accessible avec moins d’effort que dans le passé. Examinant les
relations de découverte et de recherche d’information par les journalistes, Reich (2006)
constate qu’il n’y pas un déclin dans la recherche de l’information, mais plutôt une stabilité
par rapport aux périodes précédentes. Elle émet cependant l’hypothèse que cette stabilité
peut être expliquée par le moindre effort des journalistes pour accéder à l’information :
“This means that despite the new tools, the new agents and the changes of
professional ambience, it would seem that journalists continue to discover and
gather news information in the same basic manner, and that their role has
undergone neither ‘passivization’, as expected by some authors (e.g., Cook,
1998; Gans, 2003; McLachlan and Golding, 2000; Ursell, 2001) nor ‘activization’
as expected by others (e.g., Grabe et al.,1999; Hallin, 1992; Koch, 1991;
Schudson, 2003). A more pessimistic argument might be that this stability is in
fact hiding a measure of deterioration, since the growing availability of new
technologies has reduced the effort involved in taking the initiative, by making it
often no harder than pushing a button without even having to leave one’s
desk.” (Reich, 2006: 507)
156
Ce moindre effort dans la récolte de l’information, tel que décrit par Reich, est également
reflété dans la manière dont le contenu informationnel est repris. Certains journaux
reprennent un contenu informationnel à d’autres institutions journalistiques (journaux,
agences de presse, radios, etc.) ou republient un contenu informationnel qu’ils ont déjà
publié quelques jours auparavant sans en modifier le moindre détail. De telles pratiques
nous montrent deux choses importantes. D’abord, l’idée selon laquelle ce qui est répétitif
intéresse moins les journalistes dans le choix de l’objet à traiter n’est pas toujours vérifiée :
selon Galtung & Ruge (1965) en effet, une « bonne nouvelle », au sens d’objet de
médiatisation, correspond à un contenu informationnel rare :
“It is the unexpected within the meaningful and the consonant that is
brought to one's attention, and by 'unexpected' we simply mean essentially two
things: unexpected or rare. Thus, what is regular and institutionalized,
continuing and repetitive at regular and short intervals does not attract nearly
so much attention, ceteris paribus, as the unexpected and ad hoc - a
circumstance that is probably well known to the planners of summit meetings.
Events have to be unexpected or rare, or preferably both, to become good
news.” (Galtung & Ruge, 1965: 67)84
Dans nos données cependant, une identité totale entre des textes (tous les mots sont
identiques) est constatée dans certains cas, que le contenu informationnel soit répété
plusieurs fois par un même journal ou repris tel quel à une autre instance journalistique. Ci-
dessous, un tableau rendant compte de ces « non-altérations » :
84 Il suffit de s’intéresser aux types d’informations relatées par les médias en 2016, telles le
mécontentement des citoyens européens et américains par rapport aux politiques menées, ou telles les ‘attentats’ répétitifs pour s’apercevoir que de nos jours, c’est une information nettement plus répétitive qui fait la Une des médias. Ceci dit, notre réflexion ne semble s’appliquer qu’aux pays au moins en partie directement concernés par les faits relatés (relation UE/USA ; ‘attentats’ en UE/aux USA). A noter que les guillemets sont utilisés car le terme attentat est subjectif, en fonction du point de vue duquel il est perçu.
157
85
[Figure 2 : l’identité entre les textes]
La figure 2 montre le taux important d’identité totale des textes de notre corpus. Pour les
liens intertextuels établis au moyen des noms d’auteurs, on observe 21,5% (trois paires de
textes sur quatorze) de cas d’identité totale entre les textes liés. Dans deux d’entre elles, le
texte source est un texte provenant de Syfia Grands Lacs (repéré par la présence d’une autre
source dans le texte) et le texte cible est un texte congolais (Le Phare, Le Potentiel). Le
troisième cas est un cas plus particulier : Le Potentiel reprend tel quel un texte du Soir. Ce
texte est un cas tout à fait intéressant de circulation de l’information du « Nord » vers le
« Sud ». En effet, son contenu informationnel porte sur une rumeur selon laquelle Laurent
Nkunda, qui dirige le CNDP, serait malade et sur le point de mourir. Cette information a été
diffusée d’abord en Europe, notamment en Belgique. Les trois journaux congolais ont repris
cette information au Soir et l’ont à leur tour diffusée en RDC. On part donc d’une
information non confirmée publiée en Europe et reprise telle quelle en RDC, avant qu’elle ne
soit au fur et à mesure transformée dans cette dernière région. Il est assez surprenant de
constater ce genre de mécanisme de reprise informationnelle. Cela confirme l’idée selon
laquelle certains journaux congolais puisent leur information directement en Europe (sans la
vérifier dans ce cas-ci), mais également, fait bien plus important pour notre étude, qu’en
reprenant un contenu informationnel identique à celui du texte source, ils véhiculent par la
même occasion, le point de vue du journaliste source.
85 Les chiffres à la verticale correspondent à des pourcentages.
158
En ce qui concerne les liens intertextuels établis au moyen des noms de journaux, le
pourcentage d’identité totale entre les textes s’élève à 12,5% (soit 8 paires sur 63). Dans ces
cas, il s’agit toujours d’un texte européen qui est repris par un journal congolais : le journal
congolais reprend tel quel un contenu informationnel provenant d’un journal européen. Le
texte congolais est alors signé avec le nom du journal européen, ou une référence à un tel
nom est présente au moins une fois dans ce texte. Il est intéressant de noter que dans ces
cas de figure, le journal cible est presque toujours Le Potentiel (dans six cas sur huit paires
identiques). On peut donc penser que ce journal a plus tendance à ne pas transformer le
contenu informationnel qu’il reprend. Cependant, ce propos doit être nuancé puisque dans
notre corpus, Le Potentiel est le journal comportant le plus de textes publiés sur l’événement
étudié. Il serait donc intéressant, lors d’une étude ultérieure, de vérifier si ce propos se
confirme avec un corpus homogène quant au nombre de textes publiés dans chaque journal.
Enfin, lorsque les liens intertextuels sont établis au moyen de la similarité lexicale entre
les textes, on constate que sur la totalité des textes, 6% d’entre eux sont parfaitement
identiques (soit 32 paires de textes sur les 527). Dans la majorité de ces cas (26 cas sur les
32), l’information circule au sein même de la RDC : les journaux congolais republient des
textes congolais sans les retravailler. Par ailleurs, dans 14 cas sur 32, le journal Le Potentiel
republie sans changement un texte qu’il avait déjà publié, alors que dans les cas restants
(changement de journal ou appartenance à un même journal, différent du Potentiel), on
n’observe pas vraiment d’identité totale (Le Phare> Le Potentiel, Le Monde > Le Potentiel,
L’Observateur > L’Observateur, etc.). Cela montre que Le Potentiel a plus tendance à
republier plusieurs fois des mêmes contenus informationnels (peut-être pour insister sur
leur importance), alors que les autres journaux republient identiquement un contenu
informationnel tantôt puisé dans un journal X et tantôt puisé dans un journal Y.
Ces cas de figure où l’on observe une identité totale entre des textes ne sont pas les seuls
qui ont posé des problèmes dans l’examen des transformations : dans certains cas en effet,
nous avons été confrontée à des résultats où le contenu informationnel des textes était
différent.
3.4. La différence des textes
Avec un corpus d’une grande envergure, la recherche des liens intertextuels peut mener à
des résultats qui ne sont pas pertinents par rapport à l’objet d’étude du linguiste. Dans notre
cas, cet objet d’étude correspond au repérage de contenus informationnels similaires en vue
d’examiner les transformations des aspects énonciatifs lors de la représentation du discours
autre. Pour effectuer ce repérage, nous avons utilisé trois méthodes : la recherche des liens
intertextuels établis au moyen des noms d’auteurs, celle au moyen des noms de journaux et
celle au moyen de la similarité lexicale des textes. Les deux premières se sont révélées tout à
fait appropriées pour examiner la manière dont les contenus informationnels sont
159
transformés, voire, dans certains cas, repris de manière identique. La dernière en revanche,
la recherche de similarité lexicale des textes, a montré ses limites eu égard aux résultats
obtenus.
Cette méthode, très utile pour avoir un aperçu rapide des textes pouvant être liés,
comporte cependant la difficulté de lier des textes entre eux alors qu’ils ne parlent pas d’un
même contenu informationnel. En effet, l’algorithme utilisé pour repérer le plagiat dans les
textes de notre corpus se base sur des identités lexicales de quatre termes successifs et
établit un pourcentage de similarité entre les textes en fonction du nombre d’occurrences
des termes sur l’ensemble du corpus (1.2.1.b). Étant donné l’hétérogénéité de notre corpus
du point de vue de la longueur des textes, certains pourcentages de similarité lexicale entre
les textes sont établis entre des textes très longs et des textes très courts. Tel est le cas pour
l’exemple suivant :
72) 0.11 of the first text is also in the second text: - LF_090117_RDC--les Tutsis annoncent un cessez-le-feu_8.txt p. 8 international en bref RDC les Tutsis annoncent un cessez-le-feu. RDCongo. Les rebelles tutsis du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) ont annoncé hier la cessation des hostilités avec le gouvernement de la République démocratique du Congo . Cette annonce du CNDP a été faite de Goma dans l'est du Congo. - LIB_090110 Combats à l'est sur fond de crise_14.txt p.14 : Combats à l'Est sur fond de crise. Congo-Kinshasa. Combats à l'Est sur fond de crise. Heurts limités entre CNDP et Maï-Maï. Kinshasa lutte contre la chute du franc. Des accrochages ont éclaté,vendredi matin, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) entre la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et un groupe armé pro-gouvernemental, faisant au moins six tués, selon l’ONU. Ces affrontements se sont déroulés près de la localité de Mabenga, à environ 90 kilomètres au nord de la capitale provinciale du Nord-Kivu, Goma, a indiqué le porte-parole militaire de la mission de l'ONU en RDC (MONUC), le lieutenant-colonel Jean-Paul Dietrich. Mabenga abrite une ancienne station du parc national des Virungas [sic], qui sert désormais de position militaire aux rebelles du CNDP. Cette station marque la limite entre les territoires sous contrôle rebelle et une « zone neutre » oµ sont localisés plusieurs groupes armés pro-gouvernementaux. « Des éléments Maï-Maï ont attaqué une position du CNDP à Mabenga. Les assaillants ont été repoussés et ont laissé six morts derrière eux ; un blessé grave a été évacué” vers l'hôpital d'une ville voisine, a expliqué le lieutenant-colonel Dietrich. Des casques bleus de la MONUC se sont rendus sur place et se sont interposés entre les deux factions pour éviter de nouveaux affrontements, a-t-il précisé. Nos patrouilles ont observé une quarantaine d'éléments Maï-Maï qui se sont retirés de Mabenga vers Nedko, dans les environs de la localité de Rwindi”, où la MONUC dispose d'une importante base, a ajouté le porte-parole onusien, qui a qualifié l'incident de « relativement sérieux ». Le porte-parole militaire du CNDP, le lieutenant-colonel Séraphin Mirindi, a estimé que la
160
Coalition des patriotes résistants congolais (Pareco) était a l'origine de cette attaque. Taux d'intérêt relevés. Dans le même temps, à Kinshasa, le gouvernement en butte à une baisse du cours de sa monnaie et de la demande pour ses matières premières, a relevé ses principaux taux d'intérêt de 28 pc a 40 pc, afin de stopper la chute du franc congolais. Le gouvernement a aussi exprimé son intention d'accélérer ses efforts en vue d'obtenir un prêt de 200 millions de dollars dans le cadre d'une procédure du FMI qui vise à aider les pays à faibles revenus à soutenir les chocs extérieurs. Le cours du franc congolais est tombé de 560 pour 1 dollar en septembre à 644, en fin d'année, selon le communiqué de jeudi. Vendredi, il avait plongé a 760-800 à Kinshasa, ont rapporté banquiers et médias. AFP et Reuters
Dans cet exemple, les deux textes n’ont absolument pas le même contenu informationnel.
Le premier texte, une brève, parle d’une annonce de cessez-le-feu faite par le CNDP, et le
second, un article, fait état des accrochages près de Mabenga et de la chute du cours de la
monnaie en RDC. Les deux contenus informationnels sont différents. Cependant, le logiciel a
estimé que les deux textes avaient une similarité lexicale de 11%. Étant donné que la brève
est nettement plus courte que l’article, l’apparition d’une ou deux séquences identiques
dans les deux textes falsifie les résultats obtenus. Raison pour laquelle, en utilisant cette
méthode, nous avons dû réaliser une étape plus qualitative de lecture et de sélection des
textes. En effet, sur les 1054 textes liés au moyen de cette méthode de recherche, 486 (soit
243 paires sur les 527) relatent des contenus informationnels complètement différents. Si
cette méthode d’élaboration des liens intertextuels comporte des limites, il est également
évident que par sa rapidité d’analyse d’un grand nombre de textes, comme celui de notre
corpus (soit 1532 textes au départ), elle est aussi très avantageuse pour analyser rapidement
les contenus informationnels similaires étudiés.
En rédigeant cette partie, nous voulions montrer la difficulté d’établir des liens
intertextuels portant sur des contenus informationnels d’un vaste corpus. Un contenu
informationnel pouvant être relaté de multiples façons, il est évident que l’étape de
l’examen qualitatif ne peut être évitée. Le langage permet en effet d’utiliser des mots, des
sous-entendus, des implicites, des représentations tellement variés pour parler d’un même
fait, d’une même information, d’une même réalité que nous pensons qu’une méthode de
repérage automatique des liens intertextuels de contenus se révèle presque impossible à
mettre sur pied. Les outils et méthodes que nous avons présentés comportent certes des
limites, mais ils mettent en évidence les différents moyens à la disposition du chercheur
pour arriver aux résultats escomptés. Nous espérons que les difficultés présentées ici
permettront à d’autres chercheurs désireux d’établir des liens intertextuels de s’appuyer sur
notre propos pour éviter les pièges auxquels cette recherche peut conduire.
161
Chapitre V Les types de transformations, leurs fonctions
et leurs explications
162
Nous l’avons vu dans le chapitre II (point 1), tout discours est fondamentalement dialogique.
Les énoncés ou les textes qui constituent un discours sont sans cesse liés à des énoncés ou
textes antérieurs auxquels ils répondent et auxquels d’autres énoncés ou textes, ultérieurs,
répondront. Cette relation entre les énoncés-textes est ce que l’on appelle le dialogisme
constitutif. Le dialogisme constitutif rend compte du fait que tout énoncé-texte est unique
dans son contexte d’apparition, mais est intrinsèquement lié à d’autres énoncés-textes dans
son contexte d’interprétation : l’Autre traverse constitutivement l’Un. Cette relation à
l’Autre est également exprimée lorsque deux énoncés-textes traitent d’un même objet de
discours (il s’agit du dialogisme interdiscursif) ou lorsque le destinataire du discours est
intégré dans le processus de production d’un énoncé-texte (on parle alors du dialogisme
interlocutif).
Mais le dialogisme, au sens bakhtinien, ne se limite pas aux énoncés ou aux textes.
Bakhtine conçoit en effet le dialogisme dans une approche globale du sens. Ce que Bakhtine
nomme le contexte réfère tant à la relation qu’entretiennent les textes entre eux, qu’au
contexte social, environnant. Pour lui, tout est toujours dépendant de l’Autre. Le contexte (la
relation à d’autres textes ou au monde environnant) détermine l’interprétation de ce qui fait
sens. Lorsqu’on s’intéresse au discours, cela signifie que chaque énoncé, bien qu’unique
dans son contexte de production, pourra être interprété de diverses manières dans ses
contextes d’apparition ultérieurs :
« Ainsi, si une séquence de langue peut être répétée, identique à elle-même,
l’événement - où se produit le sens – de son énonciation échappe lui,
radicalement, dans la singularité de sa concrétude, à la reproduction identique.
Dès que le dire est en jeu, le même du ‘re’ se déplace vers l’autre […] ce
contexte est, foncièrement, hors d’atteinte, et quelle que soit l’opération qui le
fait intervenir, elle relèvera nécessairement d’une sélection qui, opérée depuis
un point de vue particulier, produira du sens. » (Authier-Revuz, 2017,
communication)
Autrement dit, l’interprétation de toute énonciation change en fonction de son contexte
d’apparition. En passant d’un contexte à un autre, les énoncés et les énonciations se
transforment.
Notre étude porte sur ces transformations. Plus encore, c’est sur leurs fonctions que nous
portons toute notre attention. Selon nous, les transformations remplissent des fonctions qui
sont liées, à des degrés divers, aux types de relation à l’Autre, aux différents contextes que
nous étudions, à savoir le contexte intertextuel (le pays, l’auteur, le genre, etc.), le contexte
interrelationnel (la relation à un autre énonciateur), le contexte informationnel (la relation
explicite ou implicite établie entre deux textes : comment avons-nous eu accès aux relations
entre des textes ?) et le contexte intratextuel (la relation entre les caractéristiques
linguistiques d’un discours produit et sa catégorisation comme représentation du discours
163
autre). Notre travail porte donc sur trois aspects en particulier : (i) les types de
transformations touchant les énonciateurs, actes de parole représentés et les formes de
représentation du discours autre ; (ii) les fonctions que remplissent ces transformations ; et
(iii) le lien qui existe entre les fonctions des transformations et le type de relation à l’Autre,
de contexte qui est modifié. Nous postulons que certaines modifications du type de relation
à l’Autre sont prédominantes suivant les types de transformations et leurs fonctions. Par
exemple, le contexte intertextuel (notamment le changement de journal et de pays)
prédominera lorsque la fonction dite réceptive sera observée. Cette fonction est rencontrée
quand les journalistes, par souci de clarté pour leurs lecteurs, transforment certains
paramètres énonciatifs. Selon nous, le paramètre énonciatif le plus souvent touché par cette
fonction est celui des énonciateurs représentés. Ce qui signifie que le contexte intertextuel
du journal et du pays, lorsqu’il est transformé, conditionne un certain type de
transformations (la caractérisation des énonciateurs représentés) et une certaine fonction
(la fonction réceptive).
Dans le champ d’études de la représentation du discours autre, ce sont surtout les
fonctions de la représentation du discours autre même qui ont été abordées. Les auteurs se
sont régulièrement penchés sur la relation entre contexte d’apparition de la représentation
du discours autre et fonctions remplies par cette dernière. Plusieurs auteurs se sont
intéressés à deux fonctions en particulier : la fonction narrative et la fonction d’autorité
(Vincent et Perrin, 1999 ; Roulet, 2001 ; de Chanay, 2006, etc.). La fonction narrative de la
représentation du discours autre est remplie lorsque cette dernière correspond à un acte de
parole qui s’enchaîne causalement et temporellement à d’autres actes de parole. La
structure observée est la suivante : « A a dit B, ce qui a poussé X à dire Y », etc. La fonction
d’autorité quant à elle, est observée lorsque la représentation du discours autre est utilisée
pour renforcer la valeur persuasive d’un discours. L’énonciateur qui représente un discours
le fait dans le but d’octroyer ou de refuser la valeur de vérité de ce discours en vue de
renforcer son propos, ses arguments. Mais d’autres auteurs ont constaté que la
représentation du discours autre pouvait servir d’autres fonctions : Baynham (1996) par
exemple a montré que le discours direct permettait aux professeurs de mathématique de
mettre en évidence un raisonnement logique ainsi que de maintenir les relations
interactionnelles entre les élèves et les professeurs (cf. : « si je dis X + Y, tu me réponds =
Z »). Haillet (1995) a montré que certaines formes de conditionnel marquaient non
seulement l’incertitude du fait asserté, mais renvoyaient aussi à une autre parole, antérieure
(chapitre II, 2.3.2.b.). Tous ces auteurs ont en commun l’étude de la représentation du
discours autre avec les fonctions qu’elle remplit dans certaines situations.
Cependant, rares sont les auteurs qui ont essayé d’expliquer les fonctions remplies par les
transformations des paramètres énonciatifs entre des paires de textes. C’est la raison pour
laquelle, nous souhaitons nous y intéresser. Nous pensons que chacune des transformations
et des fonctions est en lien étroit avec l’un ou l’autre contexte (intertextuel, interrelationnel,
164
informationnel) qui est modifié. Autrement dit, le changement de l’un ou l’autre contexte
conduit à certaines transformations qui remplissent certaines fonctions. Dans ce chapitre,
nous présenterons quelques notions que nous utiliserons par la suite et nous donnerons une
vue d’ensemble des résultats qui seront présentés de manière approfondie dans les
chapitres VI et VII. Nous commencerons donc ce chapitre par une section portant sur les
types de transformations touchant les énonciateurs, les actes de parole, mais aussi les
formes de représentation du discours autre. Ensuite, nous montrerons l’importance de la
prise en considération du type de relation à l’Autre, du contexte, pour expliquer les
fonctions de ces transformations. Nous parlerons, dans cette seconde section de l’impact du
contexte (qu’il soit intertextuel, interrelationnel, ou intratextuel) pour évoquer le type de
relation à l’Autre en expliquant, bien sûr, leurs similitudes avec les notions d’interdiscours,
d’interlocution et d’intertextualité vues dans les précédents chapitres. Enfin, nous
terminerons ce chapitre par une présentation des fonctions remplies par les transformations
rencontrées dans notre corpus de textes.
1. Types de transformations des paramètres énonciatifs
Comme nous l’avons vu (chapitre II, 2.3.) les auteurs qui étudient la représentation du
discours autre se concentrent très souvent sur l’examen de trois paramètres énonciatifs : (i)
les énonciateurs qui se sont exprimés à un autre moment que celui de la situation
d’interaction en cours, (ii) les actes de parole que ces énonciateurs accomplissent et qui sont
catégorisés à travers le langage des énonciateurs premiers, (iii) les formes de représentation
du discours que les énonciateurs premiers utilisent pour représenter les paroles d’autres
énonciateurs dans leur propre discours.
1.1. Les transformations concernant des énonciateurs
Avant de présenter les types de transformations touchant les énonciateurs représentés, il
convient de lever les ambiguïtés qui pourraient exister entre la notion d’énonciateur et celle
de locuteur. Par énonciateur, nous entendons :
« Les êtres qui sont censés s’exprimer à travers l’énonciation, sans que pour
autant on leur attribue des mots précis ; s’ils ‘parlent’, c’est seulement en ce
sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur
position, leur attitude, mais non pas, au sens matériel du terme, leurs paroles. »
(Ducrot 1984 : 204)
Pour Ducrot, les énonciateurs correspondent à l’expression d’un point de vue. Les locuteurs,
eux, émettent effectivement des paroles. Par conséquent, les locuteurs sont toujours aussi
nécessairement des énonciateurs, alors que les énonciateurs ne sont pas forcément des
locuteurs.
165
Prenons un exemple pour éclaircir ce propos :
73) Sceptique, Pierre affirme pourtant être d’accord avec Marie.
La première locutrice de cet énoncé est moi, Nancy, en tant que scripteur de l’énoncé. En
tant que locutrice, je suis également une énonciatrice donnant mon point de vue sur le dire
(il affirme être d’accord) et sur l’attitude de Pierre (sceptique). Un second locuteur est
Pierre. Si Pierre est effectivement sceptique comme le veut mon point de vue à son égard, il
correspondra alors non pas à un, mais à deux énonciateurs. Ainsi, un premier énonciateur
(que nous dirons E1) doutera de la valeur de vérité des dires de Marie (point de vue 1 :
désaccord), alors qu’un second (E2) se montrera d’accord avec elle (point de vue 2 : accord).
En étant sceptique, Pierre émet donc un point de vue, sans pour autant utiliser des paroles.
Il est alors seulement un énonciateur. Lorsqu’il s’exprime pour montrer son accord avec
Marie, il devient locuteur-énonciateur. Enfin, Marie constitue, quant à elle, également une
locutrice-énonciatrice : si Pierre affirme son accord avec elle, cela signifie aussi qu’elle a émis
un jugement préalablement. Étant donné qu’un locuteur est toujours nécessairement un
énonciateur, nous garderons le terme énonciateur tant pour parler du locuteur-énonciateur
que pour parler de l’énonciateur seul. Il nous importait cependant de montrer que des
énonciateurs pouvaient exister indépendamment des locuteurs.
Les énonciateurs, lorsqu’ils sont également des locuteurs, sont catégorisés par une série
de caractéristiques descriptives : le nom, la profession, certains adjectifs, etc. sont autant de
caractéristiques descriptives auxquelles les journalistes peuvent recourir lorsqu’ils
représentent ces énonciateurs. Dans certains cas, les caractéristiques descriptives peuvent
être dites neutres. Elles correspondent alors aux appellations officielles que les énonciateurs
s’attribuent. Ainsi, la séquence Le Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP) pourra
être qualifiée de neutre dans le sens où elle correspond à la manière dont se nomme ce
groupe armé. En revanche, certaines caractéristiques descriptives apparaissent d’emblée
être subjectives. Elles correspondent alors au jugement, au point de vue, des journalistes vis-
à-vis de l’énonciateur représenté. Par exemple, les mots le dictateur rwandais pour parler de
Paul Kagamé font clairement ressortir le jugement négatif du journaliste vis-à-vis de cet
énonciateur.
Ces caractéristiques descriptives, qu’elles soient neutres ou subjectives, sont souvent
transformées lorsqu’on examine des paires de textes portant sur un même contenu
informationnel. Ces transformations et leurs fonctions sont expliquées par le type de
relation à l’Autre que le journaliste souhaite exploiter :
74) - Texte source : Malgré l’appel pressant de l’ONU, reçu vendredi par le diplomate en chef de l’Union Javier Solana, les ministres européens des Affaires étrangères réunis à Bruxelles sont restés partagés lundi sur l’envoi d’une force relais pour épauler la mission des Nations unies (MONUC) dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). [Le Soir, 09 décembre 2008]
166
75) - Texte cible : Donc, en dépit de l’appel pressant de l’ONU, les Européens sont restés partagés sur l’envoi d’une force relais pour épauler la mission des Nations unies dans l’est de la République démocratique du Congo. [L’Observateur, 11 décembre 2008]
En (74) et en (75), les énonciateurs représentés sont caractérisés de manière différente dans
le texte source du Soir et dans le texte cible de L’Observateur. Alors que dans Le Soir, les
caractéristiques des énonciateurs correspondent à leur profession, leur nationalité et leur
situation spatiale (les ministres européens des Affaires étrangères réunis à Bruxelles), dans
L’Observateur, c’est une métonymie d’appartenance géographique (Les Européens) qui est
utilisée. Pour comprendre la fonction de cette transformation, il convient d’examiner la
relation à l’Autre qui est impliquée dans le passage du contenu informationnel d’un texte à
l’autre. Dans cet exemple, la relation à l’Autre concerne les destinataires des deux textes. En
effet, ces deux textes sont publiés dans des pays fort éloignés l’un de l’autre (en Belgique
pour Le Soir et en RDC pour L’Observateur). Leurs destinataires sont donc différents. Les
énonciateurs qui sont représentés dans cet extrait sont, eux, identiques : il s’agit dans les
deux cas de personnalités politiques européennes. Mais, puisque les lecteurs de
L’Observateur sont très éloignés de l’Europe, il est plus que probable qu’ils soient moins
aptes à identifier les énonciateurs dont on parle par la simple mention de leur fonction
professionnelle et de leur nationalité, comme cela était le cas dans Le Soir. Par souci de
clarté, de compréhension pour ses lecteurs, L’Observateur se voit donc dans l’obligation
d’utiliser une métonymie pour caractériser les énonciateurs représentés. La fonction remplie
par les transformations est donc la fonction que nous nommons de réception, suivant
laquelle les transformations sont causées par la prise en considération du destinataire du
discours.
Les caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés constituent l’une des trois
unités sur lesquelles nous nous sommes penchée pour examiner les transformations
présentes entre des paires de textes dans notre corpus. Ce corpus a été divisé en deux sous-
corpus : un premier sous-corpus constitué par des paires de textes explicitement liés et un
second par des paires de textes implicitement liés. Dans le corpus de textes explicitement
liés, il s’agit effectivement de transformations : un texte publié ultérieurement transforme
des caractéristiques décrivant des énonciateurs représentés dans un texte antérieurement
publié. Dans le cas des textes implicitement liés, on peut se trouver soit face à des
transformations, soit face à des différences. Dans le cas des différences, les deux textes
soumis à l’analyse sont publiés aux mêmes dates et il est dès lors impossible pour le
chercheur de distinguer le texte source du texte cible. C’est la raison pour laquelle, lorsque
nous présenterons nos résultats, nous insisterons sur cette distinction lorsqu’elle est
pertinente.
Les transformations ou les différences touchant les énonciateurs représentés se
répartissent quantitativement comme suit sur leur totalité dans l’ensemble de notre corpus:
167
Textes explicitement liés Textes implicitement liés
Transformations 80/889 (9%) 199/3206 (6,2%)
Différences 0/889 (0%) 173/3206 (5,4%)
Dans le premier des deux sous-corpus, les transformations touchant les énonciateurs
représentés s’élèvent à un total de 9% de l’ensemble des transformations observées dans ce
sous-corpus. Pour le second, un total d’environ 6% de transformations et un total d’environ
5% de différences sont rencontrées. Autant dire que les caractéristiques décrivant les
énonciateurs représentés ne sont pas le moyen le plus répandu auquel les journalistes
recourent lorsqu’ils transforment l’information.
Ces transformations et différences peuvent être classifiées en différents types :
- Type 1 : nombre d’occurrences dans les textes explicitement liés
- Type 2 : nombre d’occurrences dans les textes implicitement liés (transformations)
- Type 3 : nombre d’occurrences dans les textes implicitement liés (différences)
Types de transformations ou
différences concernant les
énonciateurs représentés
Description Type 1 Type 2 Type 3
Caractérisation, par
remplacement de type
métonymique
Les caractéristiques décrivant les
énonciateurs sont totalement
transformées par celles d’une métonymie
13 59 38
Caractérisation, par
remplacement de type non
métonymique
Les caractéristiques décrivant les
énonciateurs sont totalement remplacées
par d’autres caractéristiques descriptives
21 62 59
Caractérisation, par
suppression
Certaines caractéristiques apparaissant
dans le texte source sont supprimées
dans le texte cible
16 22 12
168
Caractérisation, par ajout Des propriéés descriptives
supplémentaires sont ajoutées dans le
texte cible
19 26 41
Disparition des sous-entendus
d’attri ution énonciative
L’énonciateur représenté était laissé dans
l’implicite dans le texte source, mais est
clairement identifié dans le texte cible
5 8 9
Ajout de sous-entendus
d’attri ution énonciative
L’énonciateur représenté dans le texte
source disparaît dans le texte cible, alors
que son acte de parole est laissé dans
l’explicite.
0 2 1
L’énonciateur devient le
destinataire
L’énonciateur représenté se transforme
en destinataire du discours représenté
1 0 2
Changement
d’énonciateur/destinataire
Les énonciateurs représentés
responsables d’un discours dans un texte
source sont différents dans le texte cible
1 4 1
Suppression
d’énonciateurs/destinataires
Des énonciateurs n’apparaissent plus
dans le texte cible
4 5 3
Ajout
d’énonciateurs/destinataires
De nouveaux énonciateurs sont cités dans
le texte cible
0 11 7
Deux observations peuvent être extraites de ce tableau. D’une part, le choix de distinguer les
transformations et les différences observées entre des paires de textes conduit le chercheur
à être confronté aux limites de l’analyse quantitative. Nous avons choisi de parler de
différences lorsque les modifications touchant les paramètres énonciatifs étaient observées
entre deux textes publiés le même jour. Cependant, ce faisant, il nous a été impossible de
quantifier les phénomènes observés puisqu’en fonction du sens de l’analyse (texte A > texte
B ou texte B > texte A), la terminologie diffère. Ainsi, quand nous quantifions par exemple la
caractérisation des énonciateurs, par la suppression de caractéristiques descriptives, les
résultats obtenus peuvent aussi être intégrés dans la caractérisation des énonciateurs, par
l’ajout de caractéristiques descriptives, si nous changeons le texte que nous considérons
comme étant le texte source. Il est donc certain que pour les résultats obtenus par l’examen
des différences entre les textes, plusieurs catégories doivent être examinées conjointement
pour avoir un aperçu du type de phénomènes observé.
D’autre part, les résultats quantitatifs obtenus par l’examen des transformations
concernant les énonciateurs représentés montrent eux aussi que plusieurs catégories
169
peuvent être regroupées ensemble. Au total, cinq grandes catégories émergent de ce
tableau : (1) le remplacement de caractéristiques descriptives ; (2) l’ajout/la suppression de
caractéristiques descriptives ; (3) les sous-entendus (ajout/suppression) concernant les
énonciateurs représentés ; (4) le changement d’énonciateurs et (5) l’ajout/la suppression
d’énonciateurs. Sur ces cinq grandes catégories, deux en particulier correspondent à des
types de transformations qui apparaissent nettement plus fréquemment dans nos données :
le remplacement et l’ajout/suppression de caractéristiques descriptives. Cela signifie que
lorsque les journalistes décident de modifier la catégorisation des énonciateurs représentés
(et donc la perception que les lecteurs en ont), ils le font principalement via le
remplacement des caractéristiques descriptives ou via l’ajout/la suppression de certaines
d’entre elles.
1.2. Les transformations concernant des actes de parole
représentés
Les actes de parole correspondent à l’action accomplie par un locuteur, son acte de dire
lorsqu’il s’adresse à un interlocuteur. Lors de la représentation du discours autre, ces actes
de parole sont représentés et par voie de conséquence, catégorisés d’une certaine manière
par l’énonciateur premier. La catégorisation est une opération constitutive de la
représentation du discours autre et, plus particulièrement du discours direct, indirect, mais
aussi des modalisations autonymiques comme discours second. En d’autres termes, la
représentation du discours autre au moyen d’un verbe de parole nécessite aussi la
catégorisation de ce verbe de parole :
La catégorisation métalangagière en RDA dispose d’une grille lexicale serrée
par rapport à la neutralité du verbe dire remplissant, au degré minimal, la
fonction purement ‘indicatrice’ du fait de dire, la spécification du dire
représenté dispose d’un ensemble considérable de lexèmes – verbes et noms,
principalement, mais aussi adjectifs et adverbes – porteurs du trait sémantique
‘dire/discours’, de façon essentielle ou dans une acception régulière de leur
polysémie ». (Authier-Revuz, 2012 : 163)
On pourrait penser que les transformations des actes de parole représentés concernent
uniquement le changement de catégorisation des verbes/noms de parole. Cependant, à
partir du moment où le lecteur ne perçoit plus l’acte de parole de la même manière qu’il le
percevait ailleurs, il y a transformation de cet acte de parole. D’ailleurs, dans notre corpus,
c’est toute une série de transformations qui ne correspondent pas systématiquement aux
transformations de la catégorisation des verbes de parole qui ont été repérées. Ces
dernières se répartissent quantitativement comme suit dans notre corpus :
170
Textes explicitement liés Textes implicitement liés
Transformations 502/889 (56,4%) 614/3206 (19,2%)
Différences 0 (0%) 500/3206 (15,6%)
Sur l’ensemble des textes explicitement liés, les transformations des actes de parole
correspondent à environ 56% de l’ensemble des transformations des paramètres
énonciatifs, alors qu’elles correspondent à environ 19% dans les textes implicitement liés (et
à environ 16% lorsqu’il s’agit de différences). Ces chiffres soulignent un fait important :
transformer un discours ou l’image que des lecteurs peuvent s’en faire ne passe pas
systématiquement par la transformation des caractéristiques décrivant des énonciateurs
représentés. Plus encore, il semble que, dans les textes explicitement liés, la transformation
des actes de parole représentés constitue le moyen privilégié par les journalistes pour
donner une autre image de la réalité – de la parole- qu’ils représentent. Dans les textes
implicitement liés, ce sont, nous le verrons ci-dessous, les formes de représentation du
discours autre qui sont les plus souvent transformées.
Ces transformations des actes de parole ne se limitent pas aux transformations de la
catégorisation des verbes/noms de parole, comme le montre le tableau suivant :
Types de transformations
ou différences touchant
les actes de parole
Description Type 186 Type 2 Type 3
Catégorisation Le verbe de parole, le nom de
parole ou le message
représenté est transformé
176 274 206
86 Ces types sont identiques à ceux présentés dans la section sur les énonciateurs représentés, juste avant.
171
Mise en relation d’actes
de parole
Sont mis en relation (1) deux
actes de parole représentés
explicitement, (2) un acte de
parole représenté
implicitement alors que
l’autre ne l’est pas, (3) un
acte de parole dit et un acte
de parole non-dit, (4) un acte
de parole premier avec un
acte de parole représenté
71 25 23
Modalités Des modalités telles le doute,
la certitude, l’hypothèse,
l’obligation, etc. sont liées à
l’acte de parole représenté
au moyen d’outils lexicaux et
grammaticaux (adjectifs,
catégorisation du verbe de
parole, questionnement,
conditionnel, etc.)
67 33 13
Explication Une explication de l’acte de
parole ou du message
représenté est ajoutée,
supprimée ou modifiée dans
le texte cible
39 31 33
Effets Les effets (positifs ou
négatifs) du discours
représenté sont mentionnés
dans le texte cible
17 2 0
Spatio-temporalité Le lieu et/ou le moment de
l’énonciation représentée
sont ajoutés, supprimés ou
modifiés
48 98 96
Attribution L’acte ou le message
représenté est attribué à un
97 140 112
172
énonciateur supplémentaire,
ou, au contraire, les
enchâssements énonciatifs
sont réduits87. Il peut aussi
s’agir d’indiquer ou de
supprimer la provenance
d’un discours.
Il est intéressant de remarquer le nombre important de transformations présentes dans le
corpus de textes explicitement liés. En effet, ce sous-corpus est constitué de 77 paires de
textes. Le sous-corpus de textes implicitement liés est quant à lui composé de 283 paires de
textes. Pourtant, le nombre d’occurrences des transformations n’est pas nécessairement
plus élevé dans le sous-corpus de textes implicitement liés. Ce constat peut en partie être
expliqué par le type de fonctions que remplissent les transformations. En effet, comme nous
le verrons dans les chapitres VI et VII, les transformations apparaissant dans le sous-corpus
de textes explicitement liés remplissent très souvent la fonction que nous appelons de
positionnement, alors que celles apparaissant dans le corpus de textes implicitement liés
remplissent plus souvent d’autres fonctions. La fonction de positionnement est remplie par
les transformations lorsque ces dernières permettent aux journalistes de montrer leur
accord ou leur désaccord avec le discours ou l’énonciateur représenté, mais aussi de
montrer le positif/négatif, le bien/le mal, la vérité/la fausseté du discours représenté. Cela
explique en partie le nombre élevé d’occurrences de certaines transformations. Voyons
chaque catégorie de manière autonome pour éclaircir notre propos.
Concernant la catégorisation des actes de parole/messages représentés, les résultats plus
élevés dans le sous-corpus de textes implicitement liés s’expliquent par le nombre plus élevé
de textes dans ce sous-corpus. Il est évident que les actes de parole/noms ou messages
87 Les transformations relatives à l’attribution concernent deux paramètres énonciatifs à la fois : les
énonciateurs et les actes de parole représentés. Nous les avons regroupés sous le paramètre des actes de parole car nous estimons que l’attribution ou non d’un discours touche plus l’acte de parole que l’énonciateur représenté. Si un événement est relaté sans référence à un énonciateur (ex. : « Il y a eu des combats…. ») ou s’il l’est avec référence à un énonciateur (« L’officier a dit qu’il y avait eu des combats… »), l’on perçoit bien que dans le second cas l’événement n’est plus transmis de la même manière qu’au départ ; qu’il est transformé via un acte de parole.
173
représentés ne vont pas être catégorisés de la même manière dans des textes portant sur un
même contenu informationnel puisque les journalistes évitent de répéter exactement les
mots issus d’autres textes. Par ailleurs, chaque journal et auteur possède son propre style,
ce qui explique également les différences de catégorisation. Donc, plus le nombre de textes
liés entre eux est élevé, plus les différences de catégorisation des actes de parole ou
messages représentés sont importantes.
À l’inverse du propos tenu ci-dessus, les types de transformations suivants ne sont pas
expliqués par le nombre plus important de textes dans l’un des deux sous-corpus : la mise en
relation, la modalité, l’explication et les effets du discours représenté. En rapportant le
nombre d’occurrences à l’ensemble des transformations apparaissant dans chaque sous-
corpus, soit en calculant le pourcentage de ces transformations dans chaque sous-corpus, on
se rend directement compte du pourcentage plus élevé dans le sous-corpus de textes
explicitement liés :
Types de
transformations
Pourcentage dans
les textes
explicitement liés
Pourcentage dans
les textes
implicitement liés
Mise en relation 7,9% 2,2%
Modalités 7,5% 2,4%
Explication 4,3% 2,2%
Effets 1,9% 0,07%
Ces résultats montrent clairement que le type de transformations observées est en lien avec
la fonction remplie par les transformations : les actes de parole sont plus souvent
transformés dans les textes explicitement liés. Or, dans ces textes, la principale fonction des
transformations est celle dite de positionnement. On peut donc en conclure qu’il existe un
lien entre les transformations des actes de parole et la fonction de positionnement : plus le
journaliste d’un texte cible se positionne par rapport à un discours ou à un énonciateur
représenté, plus il aura tendance à transformer les actes de parole via les mécanismes de la
mise en relation, de la modalité, de l’explication ou de l’effet du discours représenté.
174
Enfin, la spatio-temporalité et l’attribution font également émerger des différences de
pourcentage entre les deux sous-corpus. Les transformations de la spatio-temporalité
obtiennent un score de 3,8% dans les textes explicitement liés, contre 6,4% dans les textes
implicitement liés. Ces chiffres peuvent eux aussi être compris par le lien existant entre les
types de transformations et leurs fonctions : dans les textes implicitement liés, la fonction de
positionnement est moins répandue que dans les textes explicitement liés. Or, lorsque les
transformations sont celles de la spatio-temporalité (205 occurrences), elles ne remplissent
la fonction de positionnement que dans deux cas seulement (voir point 3 de ce chapitre).
Quant à l’attribution, les transformations se chiffrent pour le premier sous-corpus à 10,9% et
pour le second à 8,8%. Bien que les transformations de l’attribution soient plus élevées dans
le premier sous-corpus, elles fonctionnent également comme celles de la spatio-
temporalité : elles ne sont jamais, ou presque, liées à la fonction de positionnement. Le
pourcentage plus élevé dans le second sous-corpus s’explique par le fait que dans celui-ci, on
se trouve souvent face à des discours produits dans des textes sources et ensuite
représentés dans des textes cibles. Le passage de discours produits à discours représentés
donne nécessairement lieu à l’attribution des discours à des énonciateurs.
1.3. Les transformations concernant les formes de représentation
et les marqueurs dialogiques
Les formes de représentation du discours autre sont, nous l’avons vu au chapitre II (2.3.2.),
de deux types : la représentation dévoilée du discours autre et la représentation dissimilée
du discours autre. Dans les deux cas, il s’agit, au sens minimal du terme, de « re-dire » une
parole, un discours qui a déjà été dit. Mais alors que dans le premier cas, le discours autre
est effectivement repérable dans le discours premier, dans le second, il y est caché,
dissimulé. Pour dire les choses autrement, la représentation dévoilée fait clairement
apparaître au moins un autre énonciateur que celui qui s’exprime au moment de
l’énonciation en cours, alors que la représentation dissimulée cache cet énonciateur, qui est
pourtant présent dans l’énonciation en cours.
Chacune de ces représentations du discours autre se décline sous plusieurs formes. D’un
côté, la représentation dévoilée du discours peut prendre trois formes : le discours
représenté, la modalisation autonymique et la modalisation en discours second. Le discours
représenté est constitué par l’ensemble des mécanismes linguistiques permettant à un
énonciateur d’attribuer un discours directement (ex : il a dit : « … »), indirectement (ex : il a
dit que…), narrativement (ex : il a parlé de…), ou textuellement (ex : il a dit qu’il était
« idiot ») à un autre énonciateur. On parle respectivement de discours direct, discours
indirect, discours narrativisé et d’îlot textuel pour les quatre cas susmentionnés. De l’autre,
la représentation dissimulée du discours autre peut elle aussi prendre plusieurs formes.
Seules les suivantes ont été détectées – ou plutôt transformées – dans notre corpus : la
concession (ex : même si X, Y), le renchérissement (ex : non seulement X, mais aussi Y), la
175
négation (ex : ne…pas), l’opposition (ex : mais…), la confirmation (ex : oui, X), l’interrogation
à saisie finale (ex : X ? sûrement pas/bien sûr) et le conditionnel journalistique (ex : le
ratissage aurait fait 100 morts).
Toutes ces formes de représentation du discours autre ont subi soit des transformations,
soit des différences (chapitre IV, point 3.) lors de la circulation de l’information d’un texte A
vers un texte B :
Textes explicitement liés Textes implicitement liés
Transformations 279/889 (31,3%) 804/3206 (25%)
Différences 0 (0%) 621/3206 (19,3%)
En comparaison avec l’analyse quantitative des transformations ou des différences touchant
les actes de parole représentés, on observe ici des pourcentages moins élevés dans les
textes explicitement liés par rapport aux textes implicitement liés. Dans ces derniers, le
principal paramètre énonciatif transformé est celui des formes de représentation du
discours autre. Dans les textes explicitement liés en revanche, c’est celui des actes de parole
qui est principalement transformé.
Ces transformations des formes de représentation du discours autre sont elles aussi de
plusieurs types, comme le met en évidence le tableau suivant :
Types de
transformations ou
différences touchant
les formes de
représentation du
discours autre
Sous- types de
transformations ou
différences
Description Nombre de
cas dans les
textes
explicite-
ment liés
Nombre de
cas dans les
textes
implicite-
ment liés
(transforma-
tions)
Nombre de
cas dans les
textes
implicitement
liés
(différences)
Passage du discours
produit au discours
représenté
Discours représenté Un discours produit ou une
observation dans un texte
source devient un discours
représenté dans un texte cible
35 8 15
Modalisation Un discours produit ou une
observation dans un texte
3 0 0
176
autonymique source devient une
modalisation autonymique
dans un texte cible
Modalisation en
discours second
Un discours produit ou une
observation dans un texte
source devient une
modalisation en discours
second dans un texte cible
4 0 0
Représentation
dévoilée
Changement Une forme de représentation
dévoilée du discours autre
dans un texte source se
transforme en une autre
forme de représentation du
discours autre dans un texte
cible
23 125 115
Ajout Une forme de représentation
dévoilée du discours autre est
ajoutée dans un texte cible
88 349 298
Suppression Une forme de représentation
dévoilée du discours autre est
supprimée dans un texte cible
97 292 177
Représentation
dissimulée
Changement Une forme de représentation
dissimulée du discours autre
dans un texte source se
transforme en une autre
forme de représentation du
discours autre dans un texte
cible
3 1 0
Ajout Une forme de représentation
dissimulée du discours autre
est ajoutée dans un texte
cible
20 20 13
Suppression Une forme de représentation
dissimulée du discours autre
est supprimée dans un texte
cible
8 5 3
177
Ces résultats accentuent les différences entre les deux sous-corpus (explicite/implicite).
D’abord, lorsque les textes sont explicitement liés, les journalistes cibles ont très souvent
tendance à représenter un discours qui était au départ produit dans un texte source. Ce qui
signifie qu’ils utilisent le discours d’un autre énonciateur pour arriver à une certaine fin.
Nous le verrons dans le chapitre suivant, cette fin est celle de positionnement. En revanche,
dans les textes implicitement liés, les journalistes des textes cibles ont tendance à rediffuser
une information, un discours qui avait déjà été représenté par d’autres journalistes dans des
textes sources. C’est la raison pour laquelle on y observe nettement plus de changements de
formes de représentation dévoilée.
Nous n’expliquerons pas plus en détail ici les différences observées dans ces tableaux, car
elles seront détaillées dans les chapitres suivants. Ce qu’il nous importait avant tout dans
cette section, était de présenter un aperçu global des types de transformations/différences
touchant les énonciateurs, les actes de parole représentés et les formes de représentation
du discours autre. Ce que nous souhaitions également souligner était les relations qui
pouvaient exister d’une part entre les types de transformations et les divers liens (explicite
et implicite), et d’autre part entre les types de transformations et les diverses fonctions que
nous avons décelées. Dans les chapitres VI et VII, notre attention sera focalisée sur
l’explication détaillée de ces résultats présentés ici de manière globale.
2. Explication des transformations des paramètres énonciatifs ou impact
des contextes
Lorsque Maingueneau (1995) s’est penché sur la notion de discours et d’analyse de discours
en France dans sa présentation de la revue Langages, n°117, il a fortement insisté sur la
relation entre genre de discours, lieu d’énonciation et mode d’expression :
« [L’analyse du discours a pour objet d’étude] l’intrication d’un mode
d’énonciation et d’un lieu social déterminés. Le discours y est appréhendé
comme activité rapportée à un genre, comme institution discursive : son intérêt
de ne pas penser les lieux indépendamment des énonciations qu’ils rendent
possibles et qui les rendent possibles. » (Maingueneau, 1995 : 7-8)
Cette citation met en avant un aspect important de tout discours : son intertextualité et son
dialogisme. En affirmant que le discours est intrinsèquement lié au lieu social dans lequel il
est émis, mais également au genre dans lequel il est produit, Maingueneau montre aussi que
tout discours ne peut s’interpréter qu’en tenant compte d’autres aspects que le sens des
mots seuls.
178
Le discours est donc fondamentalement dialogique : nous devons toujours nous référer à
d’autres discours pour interpréter un discours spécifique. Cela revient à dire que le sens de
tout discours est lié au sens d’autres discours. Or, ces sens, quels qu’ils soient, sont toujours
le produit d’une interaction de divers paramètres. De là, l’idée de relation fondamentale
entre le dialogisme au sens de Bakhtine et l’intertextualité au sens de Kristeva : si le sens
d’un discours est déterminé par son contexte environnant (lieu, genre textuel, auteur, pays,
etc.), il est clair qu’il existe une relation entre des textes qui possèdent chacun leur propre
contexte environnant. En d’autres termes, l’interprétation du sens d’un discours résulte de
l’examen, par le destinataire, du sens d’autres discours qui sont liés au premier par une série
de paramètres définissant leur contexte environnant. On se situe donc clairement dans
l’examen de l’Autre : l’Autre-sens, l’Autre-genre, l’Autre-pays, etc. C’est la relation à l’Autre
qui permet d’interpréter chaque discours.
Lorsqu’on se penche sur les transformations des paramètres énonciatifs et sur leurs
fonctions, c’est le même phénomène qui est à l’œuvre lors du processus d’interprétation :
impossible en effet de comprendre pour quelles raisons un texte subit des transformations,
sans s’interroger d’abord sur le contexte environnant (au sens de Bakthine, mais aussi de
Kristeva) qui englobe chacun des textes soumis à l’analyse. Ce qui signifie que les fonctions
des transformations sont compréhensibles par l’examen de la relation à l’Autre.
Cette relation à l’Autre est rendue manifeste par :
Le dialogisme interdiscursif : l’ensemble des relations établies entre des discours qui se
répondent ou s’anticipent mutuellement. En tenant compte de l’étendue du sens que
donne Bakhtine au dialogisme, nous considérons que ces relations peuvent être
établies entre des objets de discours, des genres textuels, des auteurs, des journaux
et des pays. Toutes ces relations sont établies par ce que nous nommons le contexte
intertextuel et le contexte intratextuel.
Le dialogisme interlocutif : l’ensemble des relations établies entre un discours d’un
énonciateur qui anticipe le discours du destinataire au moment de sa production.
Nous élargissons ce type de dialogisme aux relations qui peuvent exister entre des
énonciateurs qui répondent à ou anticipent le discours d’autres énonciateurs et
parlons de contexte interrelationnel pour évoquer ce phénomène.
2.1. L’impact du contexte intertextuel (les genres, les auteurs, les
journaux, les pays)
Nous l’avons vu dans le chapitre IV (2.2.), les liens intertextuels dans notre corpus
correspondent aux relations établies entre deux textes au niveau des genres textuels, des
179
auteurs, des journaux et des pays. Ces relations entre les textes sont l’une des explications
possibles des fonctions des transformations observées dans des paires de textes.
Le genre textuel permet de comprendre certaines fonctions des transformations : en
passant d’un texte source à un texte cible, le contenu informationnel est parfois relaté dans
des genres textuels différents : il a une autre relation au genre, un Autre-genre. Ce
changement donne lieu à certains types de transformations remplissant des fonctions
spécifiques. Prenons un exemple pour éclaircir ce propos :
76) - Texte source : Dans une déclaration faite jeudi à la BBC et abondamment relayée par la presse internationale, le chef rebelle du CNDP a en effet appelé tous les Congolais « à se mettre debout » contre le gouvernement. [Le Phare, 03 octobre 2008]
77) - Texte cible : Le chef rebelle Laurent Nkunda a appelé, vendredi, au soulèvement général des Congolais contre le président Joseph Kabila. [Libération, 04 octobre 2008]
Cet exemple correspond au passage d’un contenu informationnel provenant d’un article (Le
Phare) à celui d’une brève (Libération). Lors de la reprise du contenu informationnel, le texte
cible supprime une partie de ce dernier (Dans une déclaration faite jeudi à la BBC et
abondamment relayée par la presse internationale). La suppression de ce segment
correspond à la présence de deux transformations que nous nommons
respectivement réduction de l’insistance sur l’attribution et réduction des enchâssements
énonciatifs. Dans le premier cas, le segment Dans une déclaration faite jeudi à la BBC est
supprimé. Ce segment permettait au journaliste source de montrer le médium du discours
représenté (oral : déclaration), le jour de production du discours (jeudi), ainsi que la source
d’information initiale (la BBC). Dans le second cas, le segment abondamment relayé par la
presse internationale est supprimé. Celui-ci correspond à un enchâssement énonciatif
supplémentaire par rapport à l’information présentée dans le texte cible. Dans le texte cible
en effet, nous sommes en présence d’un seul enchâssement énonciatif, simplifié par la
formule « il a dit… ». Dans le texte source par contre, il y a deux enchâssements énonciatifs,
simplifiés par « la presse internationale a dit qu’il avait dit ». La réduction d’un
enchâssement énonciatif, mais aussi des informations ancrant la situation d’énonciation
seconde (médium, jour, source d’information) remplit la fonction que nous nommons de
condensation (ci-dessous, point 3.4.). Cette fonction est remplie par les transformations
lorsque les journalistes cibles souhaitent condenser au maximum l’information relatée. Dans
notre exemple, il est clair que le changement de genre textuel (le passage de l’article à la
brève) induit une fonction spécifique aux transformations (la condensation).
Les auteurs, les journaux et les pays influencent eux aussi les transformations observées
lors du passage du contenu informationnel d’un texte source vers un texte cible. Nous avons
vu dans le chapitre IV (point 2.2.3.), que tout énonciateur est conditionné par le contexte
socioculturel dans lequel il vit. Ce qui signifie que son discours l’est également. Autrement
180
dit, en tant qu’être du monde, chaque énonciateur perçoit, représente d’une certaine
manière la société qui l’entoure. Mais, en tant qu’être issu de cette société, il est
conditionné par elle. Autant dire qu’il est impossible qu’un énonciateur ait une
représentation externe de la société puisque cette représentation est toujours conditionnée
par le contexte socioculturel dans lequel vit cet énonciateur. Même s’il est certain que
chaque énonciateur a sa propre représentation de la société, aucun d’entre eux ne peut s’en
extraire pour la percevoir avec distance.
Lorsque cet énonciateur est aussi un journaliste, ce n’est pas seulement le contexte
socioculturel, mais aussi le journal pour lequel il travaille qui exercent des contraintes sur sa
représentation de la réalité. Donc, tant le contexte socioculturel (et donc le pays), le journal
que l’énonciateur lui-même conditionnent un discours journalistique.
Lorsqu’on se penche sur l’examen des transformations dans des paires de textes, ces trois
paramètres déterminant le discours des énonciateurs entrent en ligne de compte. Prenons
un exemple :
78) - Texte source : Pour preuve, la position molle des ministres européens des Affaires étrangères réunis hier à Bruxelles. En effet, face au drame humain qui se déroule à l'Est de la Rdc, dans sa déclaration, l'UE a simplement exprimé sa vive préoccupation face à l'accroissement des confrontations au Nord-Kivu et à ses conséquences pour la population et pour toute la région. [Le Phare, 11 novembre 2008]
79) - Texte cible : Les ministres européens des Affaires étrangères réunis à Bruxelles ont exprimé leur "vive préoccupation face à l'accroissement des confrontations au Nord-Kivu et à ses conséquences pour la population de l'Est de la RDC et pour toute la région”. [La Libre Belgique, 12 novembre 2008]
Dans cet exemple, le texte source provient du Phare et le texte cible de La Libre Belgique.
Lors du passage du texte source au texte cible, deux transformations surviennent : la
suppression d’un commentaire métadiscursif et le changement de catégorisation de l’acte de
parole représenté. Un commentaire métadiscursif est un segment qui précède un discours
représenté et permet de le résumer, voire de le commenter. Dans notre exemple, il s’agit du
segment Pour preuve, la position molle des ministres européens des Affaires étrangères
réunis hier à Bruxelles, qui précède le discours indirect l'UE a simplement exprimé sa vive
préoccupation. Le commentaire métadiscursif exprime clairement un jugement négatif du
journaliste vis-à-vis du discours représenté. Dans le texte cible en revanche, le commentaire
métadiscursif disparaît et le discours indirect (Les ministres européens des Affaires
étrangères réunis à Bruxelles ont exprimé leur "vive préoccupation… ») est caractérisé avec
plus de neutralité puisqu’aucun jugement n’y est joint. Ces transformations sont expliquées
par le changement de journal et de pays dans lesquels sont publiés les textes. En effet, Le
Phare est un journal qui publie en RDC, alors que La Libre Belgique est un journal qui publie
en Belgique, donc en Europe. Ce qui signifie que Le Phare est proche du conflit qui frappe la
RDC en 2008. Par conséquent, contrairement à La Libre Belgique, il est directement touché
181
par le conflit, ses conséquences et les éventuelles réactions des autres pays qui pourraient
aider les Congolais. Or, le contenu informationnel de l’exemple présenté ci-dessus porte
justement sur l’aide que les Européens pourraient apporter à la RDC pour résoudre le conflit.
Ce qui explique que le journaliste du Phare perçoive négativement (position molle,
simplement) le manque de réactions concrètes de la part des Européens. Le journaliste de La
Libre Belgique en revanche, moins directement touché par les conséquences des réactions
des ministres européens, transforme les caractéristiques décrivant le discours représenté
dans Le Phare, afin de le présenter de manière plus neutre. En transformant ces
caractéristiques, La Libre Belgique amène un contenu informationnel plus informatif que
celui du Phare, qui se situe plus du côté du positionnement (désaccord).
Pour conclure cette section, nous pouvons affirmer que le genre, l’auteur, le journal et le
pays d’un texte ont toute leur importance dans l’examen des transformations et dans la
compréhension de leurs fonctions. Le changement de ces paramètres génère toute une série
de transformations remplissant des fonctions spécifiques. C’est en les prenant en compte
qu’il est possible d’interpréter les fonctions des transformations.
2.2. L’impact du contexte intratextuel
Les liens que nous appelons intratextuels sont constitués par la relation qu’entretiennent
deux textes entre eux au niveau de leurs caractéristiques linguistiques, grammaticales,
lexicales, etc. : un énonciateur produit son discours en utilisant certaines caractéristiques
linguistiques. Lorsqu’un autre énonciateur représente ce discours, il s’appuie alors sur les
caractéristiques linguistiques au départ produites pour catégoriser de telle ou telle autre
manière le discours représenté. Elles lui servent donc de point d’appui pour catégoriser
l’énonciateur ou l’acte de parole représenté :
80) - Texte source : « Quant à la région des Grands Lacs, la violence s’est une fois de plus déchainée. [Le Monde, 19 janvier 2009]
81) - Texte cible : Abordant le chapitre de l’Afrique, et plus particulièrement de la région de l’Afrique des Grands Lacs, il a tenu exactement ces propos ; « Quant à la région des Grands Lacs, la violence s’est une fois de plus déchainée. » [Le Potentiel, 19 janvier 2009]
Dans cet exemple, le texte source provient du Monde et correspond au discours produit par
le président français Nicolas Sarkozy. Lors de ce discours, Nicolas Sarkozy utilise la
préposition quant à au début de son énoncé pour montrer qu’il change de topique. Lorsque
ce discours est représenté dans le texte cible du Potentiel, le journaliste catégorise son acte
de parole au moyen du verbe aborder. Ce verbe signifie : « commencer à s’occuper de (toute
activité phys. ou intellectuelle comportant une suite) » (TLFi). On constate donc que le
journaliste cible s’appuie directement sur des caractéristiques linguistiques produites dans le
discours source en vue de catégoriser l’acte de parole représenté : le contexte intratextuel
joue donc ici un rôle important dans l’explication des transformations.
182
2.3. L’impact du contexte interrelationnel
Le contexte que nous nommons interrelationnel correspond à la relation établie entre deux
ou plusieurs énonciateurs. Cette relation à d’autres énonciateurs, cet Autre-énonciateur, est
rendue manifeste par les transformations qui apparaissent dans un texte cible par rapport
au discours d’un texte source. Elle peut s’établir de trois manières :
Un journaliste cible établit une relation avec un journaliste source.
Un journaliste cible établit une relation avec des énonciateurs représentés qui sont
aussi des acteurs dans le conflit étudié.
Un journaliste cible établit une relation avec les destinataires de son discours.
Dans le premier cas, la relation est établie entre deux énonciateurs, qui sont aussi des
journalistes88. Dans ces cas de figure, le journaliste cible répond au journaliste source. Il peut
vouloir montrer son accord ou son désaccord avec ce dernier, montrer la valeur enchaînante
de son propre discours par rapport à celui du journaliste source, le crédibiliser, etc. Ce qui
veut dire que les transformations peuvent être générées par le contexte interrelationnel,
comme dans l’exemple suivant :
82) - Texte source : Cependant les autorités militaires congolaises, revenant sur le terrain, ont assuré avoir découvert dans le camp un grand nombre de preuves de l’implication rwandaise et le colonel Delphin Kahimbi les a exhibées publiquement à Goma : uniformes portant le signe les forces armées rwandaises, mortiers, munitions, grenades, pièces d’équipement griffées « Darfour » ( l’armée rwandaise participe à la force de paix africaine au Soudan..) et même pièces d’identité et documents d’assurance émis au Rwanda…Du côté rwandais, on affirme que ces documents auraient été fabriqués de toutes pièces, ce qui supposerait donc que les soldats congolais, en quelques heures, ont produit des uniformes, des documents portant le sceau des mutuelles rwandaises, avec une célérité qui étonne…Cependant, les fautes d’orthographe sont troublantes: jamais un Rwandais n’aurait indiqué “deffence” avec deux F, sur une pièce d’uniforme. Si des faussaires sont à l’œuvre, ils devraient au moins vérifier leur orthographe ainsi que la date de validité des billets exhibés. Quant à l’origine des uniformes, elle ne veut
88 La plupart du temps, les auteurs des textes sont des journalistes. Toutefois, Il arrive que des auteurs de
textes soient des philosophes, des analystes, des politiciens, etc. Pour éviter des confusions avec les deux autres types de relation que nous présentons ici, nous utiliserons le terme journaliste dès que nous parlerons de l’auteur d’un texte publié dans un journal.
183
pas dire grand-chose : voici un an, Nkunda himself ne portait-il pas un uniforme… avec à l’épaule les couleurs du drapeau belge, qui se trouvait sur des tenues récemment fournies à Kinshasa par la Belgique….De tels détails mettent évidemment en doute l’authenticité de ces pièces à conviction. [Le Soir, 13 octobre 2008]
83) - Texte cible : Peu après, Colette Braeckman publia elle aussi une exégèse de ces photos, moins destructive que celle de sa consœur, mais contenant quand même elle aussi quelques propos surprenants. [Le Phare, 13 novembre 2008]
Le texte source correspond à un discours produit par Colette Braeckman du journal Le Soir.
Son contenu informationnel porte sur des preuves trouvées en RDC de la présence
rwandaise sur le sol congolais, preuves qui confirmeraient le soutien du Rwanda à Laurent
Nkunda et au CNDP. Lorsque Le Phare représente ce discours, il choisit de le faire en le
catégorisant de manière assez négative au moyen de la formule « moins destructive que…,
mais contenant quand même quelques propos surprenants ». La raison de cette
catégorisation découle de la relation qu’il établit avec l’énonciateur du texte source, Colette
Braeckman. Cette relation correspond à une relation de désaccord entre les deux
énonciateurs. Collette Braeckman affirme en effet que les preuves de la présence rwandaise
en RDC avancées par les autorités congolaises peuvent être réfutées. En catégorisant le
discours représenté comme « des propos surprenants », Le Phare montre, lui, les torts de
Colette Braeckman. Ici, ce qui génère les transformations est le contexte interrelationnel : ce
n’est pas le genre textuel, ni même le pays dans lequel les deux textes sont publiés89, qui
influence les transformations, mais bien le fait que le journaliste cible établit une relation (de
désaccord) avec le journaliste source.
C’est le même genre d’opération qui est à l’œuvre lorsque le journaliste cible établit une
relation avec un énonciateur représenté dont le rôle diffère de celui de journaliste (supra, 2e
cas de figure). Dans ces cas-là, on observe aussi une réponse d’un journaliste vis-à-vis d’un
énonciateur qui, cette fois, est aussi un acteur dans le conflit étudié.
Outre la relation établie avec des journalistes ou des « énonciateurs-acteurs »
représentés, le journaliste cible peut également vouloir instaurer une relation avec les
destinataires de son discours. C’est ici qu’intervient, à nouveau, le pays dans lequel les textes
sont publiés. Publier un texte en Belgique, en France ou en RDC signifie pour les journalistes
89 On pourrait penser que dans cet exemple, le pays de publication des textes, a un impact sur les
transformations et leurs fonctions. Cependant, ce type d’exemple peut tout à fait apparaître dans des textes publiés dans un même pays, voire dans un même journal. Ce qui importe donc est que le journaliste cible établisse une relation avec un journaliste source pour montrer qu’il a tort/raison, qu’il le croit/qu’il en doute, etc.
184
de tenir compte des connaissances de leurs lecteurs respectifs. Notre corpus de textes
portant sur un événement congolais (le conflit du Nord-Kivu en 2008), il est clair que la
circulation de l’information, du Nord (France, Belgique) vers le Sud (RDC) ou l’inverse, a un
impact sur les transformations des paramètres énonciatifs que nous étudions et sur leurs
fonctions. Prenons un exemple :
84) - Texte source : Malgré l’appel pressant de l’ONU, reçu vendredi par le diplomate en chef de l’Union Javier Solana, les ministres européens des Affaires étrangères réunis à Bruxelles sont restés partagés lundi sur l’envoi d’une force relais pour épauler la mission des Nations unies (MONUC) dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). [Le Soir, 09 décembre 2008]
85) - Texte cible : Donc, en dépit de l’appel pressant de l’ONU, les Européens sont restés partagés sur l’envoi d’une force relais pour épauler la mission des Nations unies dans l’est de la République démocratique du Congo. [L’Observateur, 11 décembre 2008]
Dans cet exemple, les caractéristiques qui décrivent les énonciateurs représentés dans le
texte source sont les ministres européens des Affaires étrangères réunis à Bruxelles. Elles
sont transformées dans le texte cible en les Européens. Cette transformation est générée par
le changement de pays dans lequel est publié chaque texte. Dans le texte source, publié en
Belgique, les caractéristiques pour décrire les énonciateurs représentés sont relativement
précises (fonction professionnelle + nationalité + situation d’énonciation). Dans le texte cible
en revanche, publié en RDC, c’est une métonymie d’appartenance géographique (continent)
qui est utilisée. La différence des pays de publication des textes explique la différence de
caractérisation. Le contenu informationnel des deux textes porte en effet sur un fait
européen : la décision de certains ministres européens d’envoyer ou non des troupes
européennes en RDC pour résoudre le conflit. Or, Le Soir est publié en Belgique, c’est-à-dire
en Europe. Ses journalistes supposent donc que leurs lecteurs sont capables d’identifier les
ministres européens dont ils parlent. C’est la raison pour laquelle il leur suffit de mentionner
la fonction professionnelle et la nationalité des énonciateurs représentés pour que les
lecteurs les identifient sans difficulté. L’Observateur en revanche, qui est publié en RDC, vise
un lectorat spatialement éloigné de l’Europe. Ce qui signifie que ce lectorat est moins apte à
identifier clairement les énonciateurs représentés par la simple mention de leur fonction
professionnelle et leur nationalité. Pour faciliter l’identification de ces énonciateurs,
L’Observateur recourt à une métonymie d’appartenance géographique, les Européens, plus
faciles à identifier par ses lecteurs. Ici, la fonction des transformations est celle que nous
appelons de réception. Elle consiste à prendre en considération les connaissances des
lecteurs pour caractériser les énonciateurs, les actes de parole et les discours représentés
pour qu’ils soient facilement identifiables.
3. Fonctions des transformations des paramètres énonciatifs
Les fonctions des transformations correspondent aux visées pour lesquelles les paramètres
énonciatifs sont transformés d’un texte à l’autre. Ces fonctions ne peuvent s’interpréter que
185
par un examen qualitatif, c’est-à-dire un examen de leur contexte d’apparition. Lors de
l’examen de notre corpus de textes, nous avons identifié sept fonctions, que nous nommons
respectivement la fonction de positionnement, la fonction de réception, , la fonction de
crédibilité/de doute, la fonction de précision/de condensation, la fonction d’enchaînement, la
fonction de répétition, la fonction d’insistance.
Pour éclaircir ces notions, nous présenterons chaque fonction une à une, en appuyant
notre propos tant sur une littérature scientifique existante, que sur nos propres
observations. Nous montrerons également que les fonctions des transformations
dépendent, à des degrés divers, des contextes (intertextuel, interrelationnel et
interdiscursif) liant des textes entre eux. Ces dépendances seront qualitativement
présentées dans les chapitres VI et VII.
3.1. La fonction de positionnement
La fonction dite de positionnement est rencontrée lorsque les transformations des
paramètres énonciatifs servent aux journalistes cibles à montrer un accord ou un désaccord
avec un autre énonciateur. Cet accord ou ce désaccord correspond à un jugement, à une
attitude de l’énonciateur vis-à-vis du contenu informationnel asserté et/ou vis-à-vis d’un
discours autre.
De nombreuses études ont été menées sur le marquage de l’accord ou du désaccord dans
le champ de la représentation du discours autre. À l’oral notamment, des auteurs comme
Auchlin (2006), de Chanay (2006), Couper-Kulhen (1996), ou encore Vincent et Perrin (1999)
ont montré que les indices vocaux et les indices gestuels pouvaient être utilisés par des
énonciateurs premiers pour émettre un jugement (d’accord ou de désaccord) avec le
discours tenu par un énonciateur représenté. Avec ces indices contextuels, les énonciateurs
premiers octroient ou refusent la valeur argumentative du discours représenté.
Outre ces études focalisées sur les interactions orales, d’autres études ont été menées
sur la valeur argumentative de la représentation du discours autre à l’écrit. Bres (1998, 1999,
2005), Roulet (2001), Scripnic (2009), etc. se sont en particulier penchés sur les fonctions de
la représentation du discours autre dans le discours produit. Ces auteurs ont entre autres
montré que certaines formes de représentation du discours autre étaient utilisées par des
énonciateurs premiers pour appuyer ou pour rejeter une assertion. Nous en avions déjà
parlé dans le chapitre II (point 2.3.2.), certains connecteurs d’opposition, certaines
conjonctions de subordination, ou certaines négations, etc. (mais, bien que, ne…pas)
marquent un désaccord (parfois partiel) avec une assertion précédemment énoncée. À
l’inverse, d’autres procédés (renchérissement, confirmation, etc.) font émerger l’accord d’un
énonciateur premier avec un discours autre. Dans tous ces cas, le discours autre est
représenté de manière dissimulée.
186
Lorsque le discours autre est représenté de manière dévoilée (modalisations, discours
direct, indirect, etc.) et qu’il permet à l’énonciateur premier de donner davantage de force à
sa propre opinion, on parle traditionnellement d’argument d’autorité. L’argument d’autorité
consiste à faire appel à un discours autre, énoncé par une personne compétente en la
matière, en vue de renforcer la valeur argumentative de son propre discours. On se situe
donc, avec l’argument d’autorité, sur l’axe de la vérité ou de la fausseté : l’énonciateur qui
utilise un discours autre comme argument d’autorité est d’accord avec ce dernier et tente de
rejeter la proposition assertée par un autre énonciateur, son interlocuteur :
« On utilise un argument d’autorité lorsqu’à la fois : 1) on indique que P a
déjà été, est actuellement, ou pourrait être l’objet d’une assertion, 2) on
présente ce fait comme donnant de la valeur à la proposition P, comme la
renforçant, comme lui donnant un poids particulier (Ducrot, 1984 : 150 ; cité par
Norén, 2006 : 332)
Dans l’exemple suivant, les transformations remplissent la fonction de positionnement
via l’argument d’autorité : le journaliste du texte cible reprend une partie d’un discours
produit, et publié tel quel dans un texte source, en vue de renforcer son propos sur la
situation dramatique en RDC :
86) - Texte source : Malgré nos appels pathétiques aussi bien à nos gouvernants qu’à la Communauté internationale, hélas ! la situation dans cette partie de notre pays n’a fait qu’empirer. Elle vient d’atteindre des proportions insupportables, très inquiétantes et susceptibles de déstabiliser toute la sous-région si on n’y prend garde. Oui, aujourd’hui, comme le dit l’Ecriture : une voix en RD Congo s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte ; c’est Goma, Kiwanja, Dungu…, c’est la nation tout entière qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, car ils ne sont plus. [Le Potentiel, 14 novembre 2008]
87) - Texte cible : Pas besoin donc d’être devin pour comprendre que la RDC fait face à un complot international qui ne se couvre presque plus de cagoules, même s’il a, sur place au pays, des personnes relais pour l’exécution de ce plan de balkanisation. En tous les cas, la situation vient d’atteindre des proportions insupportables et très inquiétantes qu’elle appelle à la mobilisation du peuple congolais, dans son ensemble. « Oui, aujourd’hui, comme le dit l’Écriture, une voix en RDCongo s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte, c’est Goma, Kiwanja, Dungu…c’est la nation tout entière qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, car ils ne sont plus ». [Le Potentiel, 15 novembre 2008]
Dans cet exemple, l’accord du journaliste cible avec le journaliste source est tel, qu’une
partie du discours repris n’est pas représenté à l’aide des guillemets d’emprunt (Elle vient
d’atteindre des proportions insupportables, très inquiétantes [...])
Dans le cas de l’argument d’autorité, on attribue une fonction (celle d’autorité) à la
représentation du discours autre. Dans notre étude par contre, c’est aux transformations des
paramètres énonciatifs que nous attribuons une fonction. La fonction que nous nommons de
187
positionnement peut dès lors être élargie à d’autres modalités que celles de la vérité et de la
fausseté puisqu’il ne s’agit plus seulement d’accepter ou de réfuter un discours autre, mais
de comprendre dans quels buts les paramètres énonciatifs sont transformés.
Les modalités que nous avons prises en considération pour attribuer la fonction de
positionnement aux transformations des paramètres énonciatifs sont les suivantes :
1) La modalité aléthique :
Le terme vient du mot « aléthéia » du grec et signifie « la vérité ». C’est une
proposition ou une modalité qui ne concerne que le vrai, le faux et
l’indéterminé. Il correspond aussi à l’expression de la capacité intellectuelle du
locuteur et de l’éventualité des événements. L’aléthique permet d’exprimer le
possible, l’impossible, le nécessaire et le contingent par les unités linguistiques
comme : pouvoir, devoir, falloir, paraître, sembler ; il est nécessaire, il est
possible, il est impossible ; sans doute, probablement, apparemment,
vraisemblablement, inévitablement, nécessairement, immanquablement,
inéluctablement, infailliblement… (Büyükgüzel, 2011 : 137)
L’examen des transformations des paramètres énonciatifs conduit nécessairement le
chercheur à élargir la modalité aléthique à d’autres champs que celui des « simples »
propositions (portant sur des faits). Nous considérons donc que cette modalité peut
s’étendre aux discours représentés (ce discours est-il vrai/faux/possible, etc. ; suis-je ou non
d’accord avec ce discours ?), mais également aux énonciateurs représentés (cet énonciateur
a raison/tort ; je suis d’accord avec lui ou non, etc.). Ainsi, les transformations peuvent
montrer le degré d’adhésion d’un journaliste vis-à-vis d’un énonciateur représenté, mais
aussi vis-à-vis d’un autre journaliste qui a publié le même contenu informationnel. Par
ailleurs, ces transformations peuvent également faire émerger le positionnement d’un
énonciateur représenté vis-à-vis d’un autre énonciateur représenté. Les relations de
positionnement via la modalité aléthique sont, dans le cas de l’analyse des transformations
des paramètres énonciatifs, multidirectionnelles : elles ne concernent pas seulement le
degré d’adhésion d’un énonciateur au contenu informationnel asserté, mais s’étendent tant
aux discours (produits ou représentés), qu’aux énonciateurs (premiers et représentés).
- la modalité axiologique :
En appréciant ou en dépréciant ce qu’il énonce, le locuteur émet un
jugement de valeur qui garde les traces de ses évaluations. Les éléments
linguistiques qui marquent ce positionnement d’une manière favorable ou
défavorable peuvent appartenir aux catégories sémantiques et pragmatiques
différentes selon le contexte comme « aimer » , « détester », « préférer »,« bon
», « bien », « mauvais », « mal », « normal », »anormal »... Autrement dit, ces
188
termes peuvent porter une appréciation valorisante ou dévalorisante.
(Büyükgüzel, 2011 : 139)
Comme le souligne Büyügküzel dans cette citation, la modalité axiologique se manifeste par
des éléments marquant une appréciation favorable ou défavorable du contenu asserté. En
transformant les paramètres énonciatifs ou leurs caractéristiques descriptives, les
journalistes cibles pourront utiliser certains termes qui montrent ce type d’appréciations (cf.
le rebelle/le leader a dit que). Les transformations leur serviront donc à émettre un jugement
de valeur qui diffère de celui présenté par le journaliste source.
- la modalité affective :
La subjectivité affective s’inscrit dans la parole par l’emploi des termes
concernant les sentiments, les affects, les émotions, les passions... Par
exemple, les adjectifs affectifs comptent parmi les unités linguistiques
subjectives et la modalité fonctionne comme un concept qui permet
d’introduire la subjectivité du locuteur par ses émotions et ses sentiments.
(Büyükgüzel, 2011 : 139)
La modalité affective fait donc ressortir le caractère émotionnellement empreint du contenu
informationnel asserté : l’énonciateur fait passer son affect, ses sentiments sur le contenu
informationnel asserté en utilisant une série de termes issus du domaine affectif. Nous
considérons donc aussi que lorsque l’énonciateur transforme les paramètres énonciatifs en
vue de rendre le contenu informationnel plus positif ou plus négatif, il s’agit également du
domaine affectif puisque l’objectif de ces transformations est d’émouvoir le lecteur.
3.2. La fonction de réception
La fonction que nous appelons de réception est observée lorsque les transformations sont
causées par la prise en considération du destinataire du discours. Bakhtine accordait une
importance certaine à la notion de destinataire du discours, avec la notion de dialogisme
interdiscursif : tout énonciateur qui produit un discours prend nécessairement en
considération le destinataire auquel il s’adresse. Combettes (1989) l’évoque comme suit :
« Toute énonciation tient compte du destinataire, même si ce destinataire
n’est pas un individu ‘précis’, mais une collectivité plus ou moins vague ; de là :
‘la situation sociale la plus immédiate et le milieu social plus large déterminent
entièrement, et cela de l’intérieur, pour ainsi dire, la structure d’une
énonciation’. » (Combettes, 1989 : 124)
Dans ces théories, c’est l’énonciation toute entière qui est déterminée par la prise en
considération du lecteur dans le processus de production discursif. Mais, lorsqu’on se
penche sur les transformations, on constate que ces dernières sont également déterminées
189
par le lecteur : en passant d’un journal, d’un pays à l’autre, le contenu informationnel subit
des transformations, car les destinataires auxquels il s’adresse changent. Les
transformations rempliront alors la fonction réceptive.
Cette fonction se manifestera très souvent lorsque ce sont les caractéristiques décrivant
les énonciateurs représentés qui sont transformées. Les journalistes cibles peuvent
transformer les caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés par souci de clarté
pour leurs lecteurs. Ce phénomène est notamment observé lorsque l’information circule
d’un pays éloigné des faits relatés vers un pays proche de ceux-ci. On passera par exemple
des termes La MONUC à le lieutenant Colonel Jean-Paul Dietrich lorsque l’information
circulera de la Belgique vers la RDC, car cette personne est clairement identifiable par les
Congolais, mais pas par la plupart des Belges. Comme le souligne Thetela dans ses travaux,
ces choix permettent aux destinataires du discours de s’identifier aux énonciateurs
représentés :
« The choice of naming the ministers, as opposed to institutions such as
‘government’ or ‘army’, for example, appears to give a human face to
institutional discourses, such that the reader identifies with these discourses ;
thus the headlines stories evoke feelings, such as empathy, patriotism and other
human feelings. » (Thetela, 2001: 333)
Mais il est également possible d’observer le phénomène inverse : le journaliste cible
représente un énonciateur précis au moyen de caractéristiques vagues (cf. La Belgique pour
Karel de Gucht). Dans ce cas, ce sera surtout lors du passage de l’information d’un pays
proche des faits vers un pays éloigné de ces derniers. L’énonciateur estimera alors que les
lecteurs sont trop éloignés des faits relatés pour identifier clairement les énonciateurs
représentés. Il choisira donc d’utiliser des caractéristiques vagues pour les décrire, car ces
dernières seront plus évocatrices pour ses lecteurs.
3.3. La fonction de crédibilité/ de doute
La fonction dite de crédibilité/ de doute touche à la modalité épistémique. Cette modalité
concerne tout ce qui relève de la certitude ou de l’incertitude concernant les faits relatés :
« La modalité épistémique renvoie à la connaissance du monde du locuteur
qui se manifeste à travers divers éléments linguistiques comme : il est certain
que, nous savons que, il est inévitable que, bien entendu, certainement,
sûrement, sans aucun doute, indéniablement... Voyons ces modalités sur les
exemples ci-dessous :
Ex.26 : ‘Je suis certain que le nucléaire est sans danger.’ (Espaces 1,p. 155)
[Certitude]
190
Ex.27 : ‘Je doute qu’on guérisse un jour toutes les maladies.’ (Espaces 1,p.
164) [Exclu]
Ex.28 : ‘Thierry ne croit pas qu’Émilie soit capable de se débrouiller seule à
Paris.’ (Espaces 1, p. 156) [Contestable] » (Büyükgüzel, 2011 : 138)
En transformant les paramètres énonciatifs, le journaliste cible peut vouloir montrer que
l’information doit être considérée comme certaine, ou inversement, comme non confirmée.
Pour cela, il dispose de toute une série d’expressions lexicales ou grammaticales lui
permettant de décrire les énonciateurs ou les actes de parole représentés : à en croire X,
assurer que, confirmer, le conditionnel, etc. De même, certaines propositions relatives,
caractérisant des énonciateurs représentés, sont utilisées pour mieux rendre compte du
degré de fiabilité avec lequel on peut croire en un énonciateur représenté (Ex. le soldat, dont
les dires ont été confirmés par d’autres sources, assure que…).
Par ailleurs, il arrive que la suppression de formes de représentation du discours autre
(modalisations, discours représentés, etc.) permette aux journalistes cibles de marquer la
certitude/l’incertitude des faits relatés. En les supprimant, le journaliste cible feint qu’il
accède directement aux faits, par perception visuelle, ce qui crédibilise son discours. Il en va
de même pour l’ajout de certains marqueurs dialogiques (questionnement, conditionnel,
etc. ; voir chapitre II, point 2.3.2.) qui, eux, permettent au journaliste cible de douter du
discours représenté par un journaliste source.
Il existe donc toute une série de marqueurs linguistiques (lexicaux et grammaticaux)
utilisés par des journalistes cibles qui transforment des paramètres énonciatifs en vue de
crédibiliser ou douter du discours d’énonciateurs représentés.
3.4. La fonction de condensation et la fonction de précision
Les fonctions que nous avons appelées de condensation et de précision permettent aux
journalistes qui transforment les paramètres énonciatifs de rendre l’information
respectivement plus concise ou plus précise pour le lecteur.
La fonction de condensation est observée lorsque les transformations des paramètres
énonciatifs permettent de présenter un contenu informationnel de façon dense. Le
journaliste cible choisit de supprimer certains paramètres énonciatifs (ou certaines de leurs
caractéristiques) pour rendre le contenu informationnel plus dense. Les raisons de la
condensation sont multiples, comme nous le verrons dans le chapitre VII. On peut toutefois
déjà en donner une idée ici. Il peut s’agir par exemple de supprimer des aspects trop
évidents pour le lecteur. Ainsi, en passant d’un pays à l’autre, comme de la Belgique à la
RDC, les paramètres énonciatifs peuvent être transformés, car certaines des informations
qu’ils contiennent sont trop évidentes pour les lecteurs congolais qui sont proches des
événements. Dire le président (en RDC) au lieu de le président congolais Joseph Kabila (en
191
Belgique) en est un exemple. Notons que dans ce cas, la condensation est présente
conjointement à la réception. De même, le changement de genre textuel (passage de
l’article à la brève) peut aussi causer la fonction de condensation.
On pourrait penser que la condensation est plus un outil, un type de transformations,
puisqu’il s’agit principalement de supprimer l’un ou l’autre élément associé aux paramètres
énonciatifs. Selon nous pourtant, il s’agit bel et bien d’une fonction remplie par les
transformations. Comme pour les autres fonctions en effet, on peut se poser le même type
de questions, à savoir :
Quel est le paramètre énonciatif touché par les transformations (l’énonciateur, l’acte
de parole, les formes de représentation du discours autre) ?
Quel type de transformations observe-t-on ? (une réduction des étapes narratives, un
changement d’acte de parole, une caractérisation des énonciateurs représentés par
la suppression de certaines caractéristiques descriptives ? etc.)
À quoi servent ces transformations ? Dans quels buts, pour quelles fonctions sont-elles
présentes ? (dans le but de se positionner, de crédibiliser un discours/un
énonciateur, de condenser l’information, etc. ?)
Et enfin, quels sont les liens (interrelationnel, intertextuels, informationnels) qui les
conditionnent ? (le genre, le pays, les liens explicites, etc.)
La condensation est en outre une fonction des transformations, car certains types de
suppressions d’information remplissent tantôt l’une ou tantôt l’autre fonction. Il n’y a donc
pas de relation unilatérale entre la suppression d’information et la fonction de
condensation. Le journaliste qui choisit de supprimer des informations peut le faire par
exemple pour donner un effet plus positif des faits à ses lecteurs (fonction de
positionnement), ou pour crédibiliser un discours attribué à un énonciateur vague (fonction
de crédibilité). De même, ces suppressions d’information peuvent simplement servir aux
journalistes cibles à présenter un contenu informationnel plus dense, car l’information du
texte source était trop détaillée, était trop évidente, provenait d’un article et passe dans une
brève, etc.
À l’inverse de la condensation, la fonction dite de précision permet aux journalistes cibles
de présenter une information plus claire à leurs lecteurs. Il s’agit de donner tous les
éléments d’information indispensables à la compréhension des événements et/ou à
l’identification des personnages/énonciateurs représentés. Comme l’avaient déjà remarqué
Galtung et Ruge (1965) dans leurs études, l’éloignement des lecteurs avec les faits relatés
implique souvent le besoin de clarté concernant ces derniers :
192
« The more distant an event, the less ambiguous will it to have to be. The
remote and the strange will at least to be simple if it is to make news –
complexities can be taken care of if they are found within one’s own culture,
but not if they are found at a considerable distance. (Galtung & Ruge, 1965: 81)
Dans cet ordre d’idées, nous nous attendons à ce que la fonction de précision apparaisse
nettement plus fréquemment lorsque le contenu informationnel relaté dans les textes cibles
est un contenu qui touche un pays éloigné du journal qui le publie.
3.5. La fonction d’enchaînement ou de narration
La fonction que nous avons appelée d’enchaînement ou de narration est une fonction qui
apparaît régulièrement dans les travaux des chercheurs s’intéressant aux fonctions de la
représentation du discours autre (Roulet, 2001 ; Tannen, 1989 ; Vincent et Perrin, 1999,
etc.). Dans ces travaux, la représentation du discours autre remplit la fonction de narration
(ou, selon leurs termes, narrative) dans le cas suivant :
“In keeping in mind with Labov’s definition of the narrative event, we
consider that a reported utterance has a narrative function when it is uttered to
identify a speech event from a past series of events constrained by the
temporality and the causality of the successive actions involved in a story. »
(Vincent et Perrin, 1999: 294)
Dans ces études c’est la fonction de la représentation du discours autre qui est examinée.
Lorsqu’elle est narrative, le discours autre correspond à un enchaînement temporel et causal
de plusieurs actes de parole. Il répond à la structure : « X dit Y, ce qui conduit Y à répondre Z,
etc. » Dans notre étude, c’est la fonction remplie par les transformations des paramètres
énonciatifs qui nous intéresse. Ce qui signifie que certaines transformations des paramètres
énonciatifs permettent aux journalistes cibles de montrer comment et pour quelles raisons
les discours se sont enchaînés dans le temps.
Pour éclaircir notre propos, examinons l’exemple suivant :
88) - Texte source : L’OMS a évalué, le mardi 4 novembre 2008, à 2 millions et demi le nombre de personnes menacées par des épidémies de choléra et de rougeole dans la province du Nord-Kivu. [Le Potentiel, 06 novembre 2008]
89) - Texte cible : Suite à cette reprise de combats, l’OMS craint une flambée de choléra dans les camps, au moment où elle a évalué le mardi 4 novembre, à 2 millions et demi le nombre de personnes menacées par des épidémies de choléra et de rougeole dans la province du Nord-Kivu. [Le Potentiel, 06 novembre 2008]
En (88) et (89), on observe tant la fonction de narration/d’enchaînement que celle de
condensation, suivant le sens dans lequel on analyse les deux textes. Ces derniers sont en
effet publiés aux mêmes dates, ce qui permet de l’analyser depuis le texte « source » vers le
193
texte « cible » (fonction de narration) ou dans le sens inverse (fonction de condensation). Vu
qu’ici, nous focalisons notre attention sur la fonction de narration, nous analysons cet
exemple à partir du texte nommé ici, faute de mieux, texte source vers celui nommé texte
cible. Dans ce sens, le journaliste dit cible, celui du second texte, considéré comme celui qui
transforme l’information, ne transmet pas exactement le même contenu informationnel. Il
transforme le discours représenté (l’OMS a évalué le mardi 4 novembre, à 2 millions et demi
le nombre de personnes menacées par des épidémies de choléra et de rougeole dans la
province du Nord-Kivu) en l’expliquant par un fait (la reprise des combats au Nord-Kivu), et
par un discours (l’OMS craint une flambée de choléra dans les camps). Le discours représenté
n’est donc plus exactement perçu de la même manière puisque ses causes sont présentées.
Ce qu’on observe donc dans cet exemple est la structure suivante : un fait (la reprise des
combats) et un discours (l’évaluation du nombre de morts) engendrent un discours (une
crainte du choléra). Autrement dit, un discours représenté est présenté causalement et
temporellement par rapport à un fait ou à un autre discours représenté.
3.6. La fonction de répétition
La fonction que nous appelons de répétition touche à la circulation de l’information. Vu
l’écho dans le monde du conflit congolais de 2008, sa diffusion en tant qu’information
médiatique a été assurée par de nombreux journaux dans divers pays. Dans notre corpus,
c’est un ensemble de huit journaux, publiés dans trois pays distincts, qui a été examiné : Le
Soir, La Libre Belgique (Belgique), Le Monde, Libération, Le Figaro (France) et Le Potentiel, Le
Phare et L’Observateur (RDC). Les informations publiées dans ces journaux sont reprises
tantôt à des agences de presse (AFP, Belga, etc.), tantôt à d’autres journaux, ou bien elles
sont directement collectées par les journalistes. Cette similitude dans les contenus
informationnels publiés par divers canaux médiatiques pousse les journalistes à modifier les
termes qu’ils utilisent pour présenter les mêmes faits. En effet, soit les journalistes sont
contraints par leur ligne éditoriale, soit ils estiment nécessaire de ne pas « copier-coller » un
texte rédigé par un autre énonciateur sur le même contenu informationnel. Ils utilisent alors
des mots différents (différences sémantiques), mais ayant exactement la « même
194
signification90 » que ceux utilisés dans le texte original (équivalences de référents), comme
dans l’exemple suivant :
90) -Texte source : Le gouvernement des États-Unis demande aux parties signataires des Accords de Goma et du Communiqué de Nairobi de respecter leurs engagements et de renoncer à l'usage des armes. [Le Phare, 30 octobre]
91) - Texte cible : Vu l'ampleur de cette catastrophe humanitaire, le gouvernement américain conseille aux parties signataires des accords de Goma et du communiqué de Nairobi de respecter leurs engagements et de renoncer à l'usage des armes. [L’Observateur, 30 octobre]
Dans cet exemple, l’énonciateur est représenté différemment dans chaque texte : alors que
dans Le Phare, les caractéristiques pour le décrire correspondent à son pays d’origine (des
États-Unis), dans L’Observateur, elles correspondent à sa nationalité (américain). Il est
évident dans cet exemple que les journalistes ont modifié les caractéristiques pour décrire
l’énonciateur représenté dans le seul but d’éviter de répéter tel quel le contenu
informationnel. Ce sont dans ces types de cas que nous considérons que les transformations
des paramètres énonciatifs remplissent la fonction de répétition.
Par ailleurs, la fonction de répétition apparaît aussi régulièrement lorsque les journalistes
choisissent, pour modifier un texte d’origine, d’inverser de place certains de ses termes,
comme en (92)/(93) :
92) - Texte source : Alexis Thambwe a fait savoir que tous les efforts du gouvernement vont dans le sens du règlement de la question humanitaire ainsi que la stabilité du pays. [Le Potentiel, 19 novembre 2008]
93) - Texte cible : Alexis Thambwe a fait savoir que le vice-Premier ministre Mobutu dispose présentement d'un plan d'action urgente et coordonné entre les différents ministères de son secteur. [L’Observateur, 19 novembre 2008]
Dans cet exemple, les caractéristiques décrivant l’énonciateur et l’acte de parole
représentés sont identiques dans les deux textes. Par contre, le contenu informationnel
représenté diffère d’un texte à l’autre. Ce qu’il est intéressant de noter dans ce type
d’exemple est que pour éviter les répétitions, les journalistes vont copier certaines
caractéristiques décrivant les paramètres énonciatifs à un autre endroit que celui où elles
90 Tout linguiste est conscient de l’impossibilité de rencontrer des synonymes parfaits. Nous essayons
cependant, dans notre analyse, de nous placer du côté du lecteur, du destinataire du discours. Selon nous, en tant que locuteur lambda, il est plus difficile de percevoir certaines nuances propres à la langue française et qui, dans les faits, ne sont décelables, analysées ou perçues, très souvent que par des chercheurs. C’est la raison pour laquelle, nous nous permettons, peut-être à tort, d’utiliser ces termes de « mêmes significations » en plaçant notre examen du côté du destinataire du discours/de la perception que celui-ci en a.
195
apparaissaient dans le texte d’origine. Ce faisant ils feignent avoir retravaillé un texte, alors
qu’en réalité il s’agit simplement de déplacer des segments de texte.
3.7. La fonction d’insistance
La fonction dite d’insistance regroupe trois fonctions que nous avons appelées la fonction
d’information, la fonction d’emprunt et la fonction de support91. Elles touchent toutes trois à
ce sur quoi le journaliste insiste lorsqu’il relate un fait. Le journaliste peut en effet vouloir
insister plus sur le contenu informationnel (fonction d’information) ou alors, il peut vouloir
insister sur l’énonciateur duquel provient l’information qui est relatée (fonction d’emprunt),
mais aussi sur les deux (fonction de support).
Lorsque les transformations des paramètres énonciatifs permettent d’insister avant tout
sur ce qui a été dit, sur le contenu informationnel à proprement parler, et non sur celui qui
en a parlé ou sur le fait que l’information provient d’un autre énonciateur, elles remplissent
la fonction d’information. À l’inverse, lorsque c’est pour insister sur l’énonciateur ou sur le
fait que le discours ait été emprunté qu’un journaliste transforme les paramètres
énonciatifs, il s’agit de la fonction d’emprunt.
Ainsi, en (94)/(95), les transformations observées remplissent les deux fonctions, suivant
le sens dans lequel l’analyse est réalisée :
94) - Texte source : « Ces pratiques érigées en arme de guerre tendent à décimer les populations congolaises », a-t-elle déclaré. Et d’ajouter que « les femmes du Congo ont dénoncé, à travers des manifestations récentes, ces violations ». [Le Potentiel, 19 novembre 2008]
95) - Texte cible : Ces pratiques érigées en arme de guerre tendent à décimer les populations congolaises a rappelé la ministre tout en soulignant que les femmes du Congo ont dénoncé ces violations à travers des manifestations récentes. [L’Observateur, 19 novembre 2008]
Si l’analyse est réalisée du texte du Potentiel vers celui de L’Observateur, c’est la fonction
d’information qui est remplie par les transformations : en transformant la forme de
représentation du discours autre (passage de l’incise finale avec guillemets à l’incise
médiane sans guillemets), le journaliste de L’Observateur présente avant tout un contenu
91 Le terme support est un terme utilisé par Vincent et Perrin (1999) pour parler d’un type de fonction
remplie par le discours représenté. Dans nos recherches, ce terme est utilisé pour décrire une fonction similaire, mais non restreinte à celle des auteurs précités.
196
informationnel. En d’autres termes, en supprimant les guillemets, le journaliste de
L’Observateur ne montre pas qu’il s’agit d’une information empruntée, du moins au début,
mais présente plutôt le fait en lui-même. En revanche, lorsqu’on passe du texte de
L’Observateur à celui du Potentiel, c’est la conclusion inverse qui peut être en faite : dès le
début de l’énoncé, le fait est présenté comme ayant été asserté par un autre énonciateur.
Dans ce cas, le journaliste cible insiste donc plus sur l’acte d’emprunter que sur celui
d’informer.
La fonction dite de support, quant à elle, a été entre autres étudiée par Vincent et Perrin
(1999). Selon eux, le discours représenté remplit cette fonction dans les cas suivants :
“The support function is activated when the aim of the reported speech is
to bring out certain properties of a discourse, in order to illustrate a
(metadiscursive) comment by the speaker as speaker. Typically, […] the
comment is prepared by a previous explicit assertion bearing metadiscusively on
a property of the discourse. Thus, reported speech is used to give concrete form
of what the speaker is talking about.” (Vincent & Perrin, 1999 : 298)
Ce que les deux auteurs signifient, c’est que la fonction de support est remplie par le
discours représenté lorsque celui-ci sert à exemplifier, à justifier ou à paraphraser ce qui est
dit dans un énoncé le précédant (le commentaire métadiscusif). Tel est le cas dans l’exemple
suivant :
96) Le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku parle d’un drame humanitaire : « Nous atteignions maintenant plus de 2 millions de déplacés dans toute la province. Ça fait le tiers de la population du Nord-Kivu. Et moi, je considère que c’est un drame humanitaire qui vient de s’ajouter au 6 millions de morts que nous avons déjà connus depuis que la guerre a commencé. Et je me dis finalement : il faudrait combien de morts, il faudrait combien de déplacés pour que la communauté internationale soit interpellée, de manière à mettre fin à ce drame ! Je crois que la communauté internationale et tous les partenaires qui sont concernés par la crise au Congo, doivent mettre les bouchées doubles pour que ce drame soit arrêté et que finalement, les gens retrouvent la paix ». [L’Observateur, 29 octobre 2008]
Dans cet exemple, le commentaire métadiscursif correspond au segment Le gouverneur du
Nord-Kivu, Julien Paluku par le d’un drame humanitaire. À ce segment, est associé un
discours direct qui, dans ce cas-ci, exemplifie, justifie et paraphrase le commentaire
métadiscursif. Dans ce cas-ci, c’est la représentation du discours autre qui remplit la fonction
de support : elle supporte le commentaire métadiscursif. Dans notre étude, ce sont les
transformations des paramètres énonciatifs qui la remplissent, notamment lorsque le
commentaire métadiscursif est ajouté ou que la textualité du discours est présentée aux
lecteurs.
La question qui taraude peut-être certains esprits est celle concernant le lien entre la
fonction de support et celles d’information et d’emprunt que nous avons décrites plus haut.
197
Dans le cas de la fonction de support, il est clair que le journaliste insiste autant sur
l’énonciateur représenté que sur le contenu informationnel asserté : d’un côté, il insiste sur
le fait que l’information a été empruntée en présentant directement l’énonciateur qui a tenu
les propos et en redoublant cette insistance par l’usage de la textualité ; de l’autre, il insiste
sur le contenu informationnel en le présentant tant dans le commentaire métadiscursif que
dans le segment textuel.
198
Chapitre VI La fonction de positionnement remplie par les
transformations dans des textes explicitement liés
199
1. Introduction
Comme nous l’avons dit dans le chapitre V (point 3.1.), la fonction de positionnement
remplie par les transformations des paramètres énonciatifs consiste à émettre un jugement,
positif ou négatif, vis-à-vis d’un énonciateur ou de son discours (à se positionner,
positivement ou négativement). Ce jugement peut se rapporter à différents domaines, tels
que les domaines moral, affectif, aléthique, épistémique. La fonction de positionnement
apparaît plus souvent lorsque deux ou plusieurs textes ont été explicitement liés : un
journaliste cible transforme les caractéristiques décrivant des énonciateurs, des actes de
parole, ou des formes de représentation du discours autre pour se positionner pour ou
contre ces énonciateurs ou ces discours ou pour ou contre un journaliste source. Autrement
dit, lorsque dans un texte cible, le journaliste cite explicitement le nom d’un journal ou d’un
auteur, les transformations des paramètres énonciatifs remplissent très souvent une
fonction de positionnement. Celle-ci rend alors manifeste un « Autre », comme interlocuteur
du discours. En effet, dans le cas de la fonction de positionnement, la relation à l’Autre
devient manifeste sous la forme de « tu as raison/tort, c’est vrai/faux, je suis d’accord/en
désaccord avec toi ou avec la représentation que tu as des énonciateurs et de leurs
discours ». Ce positionnement peut se faire soit vis-à-vis des énonciateurs qui sont
représentés dans les textes, c’est-à-dire, dans la majorité des cas, des personnes qui
prennent la parole et qui sont également des acteurs dans le conflit étudié, soit vis-à-vis des
journalistes ou journaux sources (journalistes ou journaux desquels provient l’information
par la suite transformée), soit vis-à-vis des deux.
Pour comprendre comment la fonction de positionnement se réalise dans notre corpus,
nous présenterons ici une à une les transformations qui touchent les trois paramètres de la
représentation du discours autre (les énonciateurs, les actes de parole, les formes de
représentation du discours autre) en focalisant notre attention sur la relation à l’Autre. Ce
qui nous intéresse ici est de montrer d’une part que certaines transformations remplissent la
fonction de positionnement, mais que cette fonction ne peut être appréhendée que
contextuellement. Ce n’est pas le type de transformation qui indique la fonction qu’elle
remplit, mais bien le contexte discursif dans lequel elle apparaît. En d’autres termes, c’est
autant le contenu du texte qui donne des indications sur la fonction (contexte discursif que
nous appelons intratextuel) que le pays du texte cible, le genre textuel, ou les auteurs des
textes et les journaux (trois aspects formant le contexte discursif que nous appelons
intertextuel). Ces contextes ne sont pas les seuls à influencer la fonction remplie par les
transformations des paramètres énonciatifs puisque celui que nous appelons le contexte
interrelationnel y joue aussi un rôle. Ce dernier, comme nous l’avons précisé dans le
précédent chapitre, renvoie également à un Autre. Mais cet Autre n’est plus considéré
comme quelque chose d’extérieur conditionnant le discours (comme cela est le cas pour
l’Autre-genre, l’Autre-journaliste ou l’Autre-pays) : il est responsable d’un discours et d’une
200
énonciation. Nous l’appelons l’Autre-énonciateur. Il peut s’agir d’un énonciateur qui joue soit
le rôle de journaliste, ou soit le rôle d’acteur dans le conflit étudié.
2. Transformations concernant la catégorisation des énonciateurs
représentés
Un énonciateur qui est représenté dans un texte peut se voir attribuer toute une série de
caractéristiques descriptives : fonction professionnelle, nationalité, nom propre, ethnie,
appartenance politique, sont autant de caractéristiques que le journaliste peut décrire pour
le catégoriser de telle ou telle autre manière. Le journaliste accomplit alors un acte de
catégorisation. Or, lorsqu’on passe d’un texte source à un texte cible, certaines de ces
caractéristiques descriptives peuvent être supprimées, ajoutées, ou altérées. Dans ces cas, le
journaliste cible choisit de présenter à ses lecteurs d’autres caractéristiques que celles qui
étaient présentées dans le texte source. Ce faisant, il fait également passer sa propre façon
de voir la réalité et sa propre catégorisation de l’énonciateur qu’il représente. Lorsque nous
avons recherché les liens explicites entre les textes de notre corpus, nous avons vu que la
transformation des caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés permettait très
souvent à ces journalistes cibles de se positionner, positivement (accord) ou négativement
(désaccord), envers d’autres journalistes ou envers leur discours, ou envers l’image qu’ils se
faisaient des énonciateurs qu’ils représentaient. En d’autres termes, en décrivant un
énonciateur représenté avec certains mots plutôt que d’autres, le journaliste cible conduit le
lecteur à percevoir l’énonciateur représenté d’une certaine manière et non d’une autre : les
caractéristiques descriptives choisies par le journaliste cible conduisent alors le lecteur à
percevoir l’énonciateur représenté de la même manière que lui.
Les transformations des caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés sont des
transformations de sens : le journaliste qui choisit de décrire une réalité (dans ce cas-ci, un
énonciateur représenté) avec d’autres caractéristiques que celles utilisées dans un texte
source, véhicule un nouveau sens concernant cet énonciateur. Autrement dit, l’individu
représenté par de nouvelles caractéristiques descriptives dans un texte est forcément perçu
différemment par les lecteurs du nouveau texte ; son sens se voit altéré. Dans le cas qui nous
occupe, les transformations des caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés
peuvent prendre différentes formes. Dans cette section, nous rendrons compte de ces
différentes formes, en montrant également comment les contextes interrelationnel et
intertextuel se manifestent et influencent leur interprétation.
201
2.1. Remarques préliminaires : l’effet des contextes
extralinguistique et linguistique sur l’acte de catégorisation des
énonciateurs représentés
Lorsqu’un journaliste choisit de transformer des caractéristiques décrivant un énonciateur
représenté, il accomplit un nouvel acte de catégorisation. La catégorisation correspond à la
représentation d’un objet en fonction de certaines de ses caractéristiques, de certains de ses
attributs :
“To say that an X is a Y, is to assign an entity X to a category Y. We do this by
checking off the properties of X against the features which define the essence of
the category Y; our knowledge of this set of features characterizes our
knowledge of the meaning of the word Y” (Taylor, 1989: 23)
Les caractéristiques attribuées à chaque objet et à chaque être du monde, peuvent être
intrinsèques à l’objet ou à l’être, ou dépendre d’un certain contexte social, d’une culture
donnée. Le contexte social dans lequel nous évoluons influence en effet notre manière de
percevoir le monde : s’il est clair que le monde perçu est structuré, il est clair aussi, comme
l’avançait Merleau-Ponty (Barbaras, 2000), que c’est moi qui le vois. Pour Merleau-Ponty
d’ailleurs, le fait qu’un certain objet du monde m’apparaisse de telle manière et apparaisse
à autrui de telle autre manière prouve que cet objet, et le monde en général, a un sens pour
tout sujet, même si ce sens diverge d’une personne à l’autre. Rosch (1978) ne s’éloigne pas
de ce type de philosophie lorsqu’elle avance que toute réalité est structurée ET est en
cooccurrence avec le nom que nous lui attribuons en fonction de notre contexte culturel.
Pour les deux auteurs, d’un côté il y a la réalité et sa structure et de l’autre, le sens que nous
lui donnons à travers les mots et la culture.
Prenons un exemple simple pour illustrer ce phénomène. Appeler un être un mâle ou une
femelle est un acte de catégorisation découlant des caractéristiques intrinsèques de l’être
évoqué (en l’occurrence, le sexe de ces êtres). Dire en revanche qu’une personne est
masculine ou féminine est un acte de catégorisation réalisé en fonction d’un certain
conditionnement social. En effet, la masculinité ou la féminité sont définis dans notre société
selon certains critères sociaux. Cela implique que nous jugeons chaque être comme faisant
partie de l’une ou l’autre catégorie en fonction de ces critères culturellement établis. Ces
critères sont par exemple le style vestimentaire, la fréquence vocale, la manifestation plus
intense des émotions, le comportement, etc. Nous jugeons donc un être comme étant plus
féminin ou plus masculin en nous référant à notre éducation, à un conditionnement qui
dépend de la société, du contexte social dans lequel nous avons évolué.
Ce contexte social est analysable de manière globale (par exemple, en se penchant sur un
type de société à une telle époque), ou de manière plus spécifique (en tenant compte d’un
202
certain laps de temps à un certain endroit). Dans le cas qui nous occupe, le contexte
sociopolitique correspond à une période relativement courte (fin août 2008 à fin janvier
2009), avec des acteurs principaux bien identifiables (Nkunda, Kagamé, Kabila, etc.) et des
repères spatiaux précis (RDC, Rwanda, Europe). La perception de cet événement (la guerre
au Kivu), mais aussi celle des acteurs principaux, sont soumises à un conditionnement
transmis aux lecteurs. Ce conditionnement se fait via la transformation des caractéristiques
décrivant les acteurs, les actions, les énonciateurs et bien sûr les discours. Dans l’exemple
suivant, le contexte social influence clairement la catégorisation de l’énonciateur
représenté :
97) Le Rwanda, bras armé du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Nkunda, a tenté de démentir de manière laconique. Mais la source remet sur la sellette les propos que le président rwandais, Paul Kagamé, soutien financier et matériel de Nkundabatware, avait tenus fin août, dans une interview au Soir , pour montrer l'insinuation que ces propos cachaient mal sur le sort physique de Nkunda. " " Même si, pour une raison ou pour une autre, Laurent Nkunda venait à disparaître, le problème du Nord-Kivu ne serait pas résolu pour autant’ ", avait-il déclaré. [L’Observateur, 1er novembre 2008]
Dans cet exemple, on observe d’une part l’expression bras armé du Congrès national pour la
défense du peuple (CNDP) de Nkunda, associée à l’énonciateur représenté, le Rwanda, et
d’autre part, celle de soutien financier et matériel de Nkundabatware, associée à Paul
Kagamé. Pour comprendre cette catégorisation, il faut examiner le contexte sociopolitique
dans lequel se déroule l’événement, le conflit congolais. Nous avons vu que le point de vue
principal des autorités congolaises consiste à dire que la guerre au Nord-Kivu est causée par
le Rwanda : celui-ci soutiendrait militairement et financièrement le CNDP en vue de
contrôler des sites miniers et détourner de manière illégale des revenus engendrés par leurs
ressources. Argument appuyé par le fait que le CNDP ne compterait que 6000 hommes
armés, nombre bien moins élevé que l’armée congolaise à laquelle il peut pourtant faire face
sans trop de problèmes. On comprend donc, par l’examen du contexte politique dans lequel
se situe le conflit congolais pourquoi le journaliste de L’Observateur, qui est congolais,
choisit de catégoriser le Rwanda et Paul Kagamé de cette manière : en utilisant ces termes, il
montre d’une part son opposition au Rwanda et à Paul Kagamé et d’autre part, son accord
avec la position du gouvernement congolais.
Le contexte sociopolitique n‘est pas le seul à avoir des effets sur la catégorisation des
énonciateurs représentés : le contexte discursif intratextuel joue également un rôle dans
cette catégorisation. Le contexte discursif intratextuel est l’ensemble des caractéristiques
linguistiques (lexicales, stylistiques, sémantiques, etc.) d’un discours produit par un
énonciateur. Ces caractéristiques linguistiques peuvent être à l’origine de la catégorisation
de l’énonciateur par un journaliste qui le représente. Dans l’exemple suivant, les
caractéristiques linguistiques du discours produit par Paul Kagamé dans une interview
accordée à Colette Braeckman permettent au journaliste cible de catégoriser l’énonciateur
représenté :
203
98) - Texte source : Lorsque j’ai revu le président Kabila à New York, je lui ai dit : « Vous devez calmer vos extrémistes […] J’ai l’impression que vous jouez avec cela, mais un jour cela finira par vous revenir au visage… » […] Je reconnais que Nkunda pose un problème. Mais ce problème a une histoire. [...] Certes, vous pouvez considérer certaines revendications de Nkunda comme excessives, mais d’autres sont fondées, méritent d’être prises en compte. » […] Il ne s’agit pas seulement des Mai Mai (milices congolaises) ou des FDLR (Forces pour la démocratie et la libération du Rwanda, composées de Hutus rwandais) mais de l’élite politique congolaise elle-même qui crée de l’insécurité sur une base ethnique. Vous savez, même si demain, par miracle, les Banyarwanda disparaissaient du Congo, d’autres problèmes surgiraient aussitôt, avec d’autres groupes, car au Congo, le pouvoir politique est obtenu sur une base ethnique… [Le Soir, 6 septembre 2008]
99) - Texte cible : Elle [= une lecture rapide de ce texte - de cette interview -] inciterait même à soutenir que Kagamé serait devenu un grand démocrate ayant des leçons à donner aux Congolais empêtrés dans une boucémissairisation et dans une victimisation cachant mal la manipulation dans laquelle les maintient Joseph Kabila. […] Ils se moquent de l’image d’un Kagamé converti en démocrate et ayant des leçons politiques à donner aux Congolais comme Colette Braeckman a voulu nous le présenter à travers son interview. [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Dans cet exemple, les expressions grand démocrate ayant de leçons à donner aux Congolais
et converti en démocrate ayant des leçons politiques à donner aux Congolais apparaissent
dans le texte cible pour catégoriser l’énonciateur représenté, Paul Kagamé. Le changement
des termes Paul Kagamé en celui de démocrate doit être compris dans son contexte social.
En effet, Paul Kagamé est perçu par les Congolais comme un dictateur, responsable du
génocide des Tutsis en 1994. En utilisant ces termes précédés du conditionnel (serait devenu
un grand démocrate), l’énonciateur cible montre qu’il n’était pas considéré comme un
démocrate auparavant. Il transmet donc implicitement une image de Paul Kagamé en
dictateur, ce qui renvoie au contexte sociopolitique. Notons toutefois que ce contexte
sociopolitique n’est pas la seule raison de cette catégorisation. Le terme démocrate peut
aussi signifier, de manière plus générale, la prise en considération de plusieurs points de vue.
Or, si l’on examine le texte source, Paul Kagamé utilise une série de marqueurs de
concession marquant un accord avec un discours antérieur (je reconnais que…, certes…,
etc.). On peut donc penser que l’accord marqué par ces tours concessifs contribue à
catégoriser l’énonciateur représenté, Paul Kagamé, au moyen du terme démocrate. De
même, la formulation avoir des leçons à donner qui est utilisée pour catégoriser Paul
Kagamé signifie l’action d’amener un nouveau point de vue, une nouvelle opinion, opposée
à celle qui était présentée dans un discours antérieur. À nouveau, dans le discours produit
par Paul Kagamé dans le texte source, cette opposition est marquée par plusieurs tours
oppositifs (mais, pas seulement…, mais aussi, etc.). On peut donc conclure que non
seulement le contexte sociopolitique, mais aussi le contexte discursif intratextuel influencent
la catégorisation de l’énonciateur représenté par un journaliste. Cette catégorisation des
énonciateurs représentés peut subir des modifications lors du passage d’un texte source à
un texte cible. Dans le cas des liens explicitement établis, le changement de catégorisation
remplit, la plupart du temps, la fonction de positionnement.
204
2.2. Transformation par ajout de caractéristiques descriptives
Une première façon de transformer les caractéristiques décrivant les énonciateurs
représentés consiste, on l’a vu, à ajouter ou à supprimer des caractéristiques présentes dans
le texte source. Dans le cas de la fonction de positionnement, ces caractéristiques sont
transformées en vue de marquer un accord ou un désaccord de la part du journaliste cible
avec l’énonciateur représenté. Sur l’ensemble de ces transformations remplissant la fonction
de positionnement, 37,5% sont réalisées par ajout de caractéristiques descriptives, comme
dans l’exemple suivant :
100) - Texte source : Les deux voies d'approvisionnement de la ville de Goma sont difficilement utilisables. Les axes Goma-Masisi et Goma-Rutshuru, qui relient aux grands marchés de l'intérieur de la province, restent bloqués. Le CNDP, qui les contrôlent [sic], n'ont [sic] autorisé le passage des véhicules de commerçants que moyennant payement d'une taxe. [Le Phare, 10 novembre 2008]
101) - Texte cible : Les deux voies d'approvisionnement de la ville de Goma sont difficilement utilisables. Les axes Goma-Masisi et Goma-Rutshuru, qui relient aux grands marchés de l'intérieur de la province, restent bloqués. Les rebelles du CNDP, qui les contrôlent, n'ont autorisé le passage des véhicules de commerçants que moyennant payement d'une taxe. [La Libre Belgique, 14 novembre 2008]
Dans cet exemple, l’ajout des mots Les rebelles pour catégoriser l’énonciateur représenté, le
CNDP, implique de la part du journaliste cible un positionnement négatif envers cet
énonciateur représenté. Le terme rebelle est en effet défini comme : « (Celui, celle) qui se
révolte contre l’autorité du gouvernement légitime, d’un pouvoir établi » (TLFi s.v. rebelle).
En utilisant ce terme, La Libre Belgique catégorise donc le CNDP comme opposé à un
gouvernement légitime, un pouvoir établi. Le Phare, quant à lui, catégorise le CNDP comme
un mouvement militaire politique, en le nommant par l’appellation officielle du groupe en
question.
Pour interpréter cette transformation par ajout de caractéristiques descriptives,
rappelons-nous le contexte social dans lequel se déroule le conflit : le CNDP, un mouvement
militaire composé en grande partie de Tutsis, s’oppose au régime en place, celui du
président congolais Joseph Kabila. Ce dernier a été élu suite à des élections dites
démocratiques, mais corrompues selon certains. Ces élections de 2006 ont suivi la chute du
régime de Mobutu, auquel les Occidentaux, et en particulier les Européens, s’opposaient en
raison d’une présumée dictature. Les Européens ont donc lutté contre le gouvernement de
Mobutu et soutenu Joseph Kabila dans la constitution d’un nouveau gouvernement. Or, que
constatons-nous lorsque nous analysons la manière dont l‘énonciateur est décrit dans
205
l’exemple? D’un coté, que dans le journal congolais Le Phare, l’énonciateur est catégorisé en
termes « plus neutres92». Étant donné que le mouvement armé en question se désigne lui-
même en ces termes, on peut en effet considérer que Le Phare ne transforme pas l’image du
CNDP. Notons à ce propos que ce journal se décrit comme une forme médiatique plus
orientée pro-CNDP que les autres journaux congolais.
De l’autre, on voit que dans La Libre Belgique, l’énonciateur est catégorisé par son
opposition au gouvernement légitime, établi. Or, comme nous venons de le voir, ce
gouvernement a été soutenu par les Européens, et La Libre Belgique est un journal belge. On
peut donc en déduire que la catégorisation de cet énonciateur n’est pas tout à fait
« neutre ». Elle permet au journaliste de La Libre Belgique de montrer son opinion sur le
CNDP : un groupe armé qui s’oppose à l’autorité légitimement mise en place ou, en d’autres
termes, un groupe composé de rebelles.
Cette opinion est négative vis-à-vis de deux types d’énonciateurs. D’abord, l’énonciateur
représenté, c’est-à-dire le CNDP. La Libre Belgique le désigne comme un groupe d’opposition
à un gouvernement qu’elle considère légitime. Elle est donc en désaccord avec ce groupe
armé. Si cette opposition n’avait pas été présente, La Libre Belgique aurait très bien pu
utiliser par exemple les expressions les leaders du CNDP, les révolutionnaires du CNDP, qui
ne font pas allusion à une idée de légitimité d’un gouvernement établi. Comme elle ne le fait
pas, on peut penser que le journaliste s’oppose à ce groupe armé, d’où son appellation. En
catégorisant donc l’énonciateur représenté de telle manière, elle véhicule en même temps
une idéologie implicite. Ensuite, l’opinion impliquée par la transformation est aussi négative
vis-à-vis du journaliste ou du journal source, Le Phare. Tant dans le texte source que dans le
texte cible, l’auteur est Gervais Manou, un journaliste correspondant, publiant en ligne sur le
site Syfia Grands Lacs. Dans le texte publié en ligne, l’énonciateur représenté est catégorisé
de la même manière que dans Le Phare (le CNDP). La différence de catégorisation se situe
92 Notons que dans le contexte de la catégorisation, il est difficile de considérer que des termes soient plus
neutres ou plus objectifs que d’autres (puisque, comme l’affirme Bakhtine, tout mot est chargé d’un contexte). Cependant, nous devons recourir aux mots pour décrire ce que nous observons, raison pour laquelle nous optons pour ces termes, bien qu’ils ne soient pas tout à fait appropriés dans ce contexte.
206
donc entre Syfia Grands Lacs/Le Phare et La Libre Belgique, c’est-à-dire entre la RDC d’une
part, et la Belgique d’autre part. On peut en déduire que La Libre Belgique, ne partageant
pas la représentation du Phare sur l’énonciateur représenté, choisit de transformer sa
désignation pour faire passer une prise de position, plus « occidentale », à ses lecteurs. Le
changement de catégorisation des énonciateurs représentés, par ajout de caractéristiques
descriptives, permet donc au journaliste cible de se positionner négativement contre le
journaliste source, mais aussi contre les énonciateurs dont il parle.
Dans l’exemple précédent, le contexte interrelationnel (la relation à l’Autre-énonciateur –
in casu Le Phare et le CNDP) – a été mis en évidence par l’ajout de caractéristiques décrivant
les énonciateurs représentés. De même, le contexte intertextuel (la relation au pays et au
journal) a joué un rôle pour comprendre la catégorisation de ces énonciateurs représentés.
Ces deux types de contextes ont permis d’interpréter la transformation en question comme
une opposition de la part de La Libre Belgique au CNDP. Mais cette opposition au CNDP ne
semble pas être celle qui est la plus répandue dans notre corpus lorsque des caractéristiques
descriptives sont ajoutées pour catégoriser les énonciateurs représentés. Dans la moitié des
cas examinés en effet, l’ajout de caractéristiques descriptives sert plutôt à valoriser un
énonciateur représenté, comme dans l’exemple suivant :
102) - Texte source : Ces rumeurs sont alimentées par le fait que, depuis le 9 juin dernier, les représentants de la « facilitation internationale » (ONU, Union européenne, États-Unis) présents à Goma n’ont plus eu de contact direct et personnel avec le général-pasteur qui, peu auparavant, avait abandonné sa tenue militaire et son badge « Rebelle pour le Christ » pour un costume cravate. [Le Soir, 30 septembre 2008]
103) - Texte cible : Selon notre estimé confrère belge Le Soir, qui rapporte la nouvelle, les rumeurs sur la mort ou la maladie de Laurent Nkundabatware sont alimentées par le fait que, depuis le 9 juin dernier, les représentants de la facilitation internationale n'ont plus eu de contact direct et personnel avec le général déchu qui, peu avant, rapporte la même source, avait abandonné sa tenue militaire et son badge " Rebelle pour le Christ " pour un costume cravate. [L’Observateur, 1er novembre 2008]
Dans cet exemple, L’Observateur catégorise positivement Le Soir (notre estimé confrère), ce
qui lui permet de montrer son appréciation de ce dernier, et de crédibiliser par là
l’information qu’il reprend. Donc, tant le positionnement positif que le positionnement
négatif sont présents dans notre corpus. Ce qui différencie leurs conditions d’apparition
concerne les contextes interrelationnel et intertextuel.
Le contexte interrelationnel montre que les journalistes cibles transforment les
caractéristiques descriptives de certains énonciateurs pour marquer leur accord avec eux,
alors qu’ils transforment les caractéristiques descriptives d’autres énonciateurs représentés
pour marquer leur désaccord avec eux. La figure suivante met en évidence la répartition de
l’accord et du désaccord des journalistes avec certains énonciateurs représentés. Ces
accords et désaccords sont causés par l’ajout de caractéristiques descriptives :
207
[Figure 3 : contexte interrelationnel - ajout de caractéristiques]
Nous pensons utile d’expliquer cette figure, qui, nous le verrons, comporte de grandes
similitudes avec d’autres figures. La première observation concerne la répartition presque
égale de positionnements positifs et de positionnements négatifs (environ 45%-55%). L’ajout
de caractéristiques descriptives permet donc aux journalistes cibles de transformer la
perception positive ou négative qu’ont les lecteurs des énonciateurs représentés : en
transformant ces caractéristiques, ils font donc passer leur propre jugement vis-à-vis de ces
énonciateurs.
Ensuite, si nous examinons les positionnements négatifs (désaccords), on observe que ce
n’est pas nécessairement contre Laurent Nkunda que le positionnement se fait, comme on
aurait pu le penser au début de nos recherches : puisque Laurent Nkunda se bat contre
l’armée congolaise nationale, on s’attendrait à ce que les journalistes cibles, qui sont
majoritairement congolais, s’opposent principalement à lui et au CNDP en l’accusant d’être à
l’origine des conflits qui engendrent des milliers de morts et de réfugiés. Cependant, ce que
l’on observe le plus souvent est un positionnement négatif contre Paul Kagamé et/ou le
Rwanda. Celui-ci est perçu par les autorités congolaises et par un grand nombre de Congolais
comme responsable du conflit, car il soutiendrait Laurent Nkunda en vue de créer une
insécurité permanente. Cette insécurité faciliterait l’exportation illégale des ressources
minières de la RDC vers le Rwanda. Raison pour laquelle c’est principalement contre lui
qu’est dirigé le positionnement négatif.
La figure ci-dessus met également en évidence un positionnement négatif contre Laurent
Nkunda. Ce dernier est habituellement catégorisé de manière assez « neutre » dans les
textes de notre corpus (Laurent Nkunda). Lorsque des caractéristiques le décrivant sont
ajoutées dans un texte cible, elles servent à le catégoriser de manière négative, mais ces cas
de figure sont relativement rares.
208
Un troisième énonciateur dans cette figure est Kä Mana, un penseur congolais qui a
publié une série de réflexions visant à comprendre les raisons profondes du conflit. Dans ses
écrits, Kä Mana essaye d’expliquer les motivations de Nkunda, en décrivant les sentiments
de déshumanisation dont il serait victime de la part du peuple congolais. Les journalistes
congolais qui représentent son discours perçoivent ce dernier comme un discours visant à
« justifier », à « défendre » Laurent Nkunda, ce qui leur paraît aberrant. Par voie de
conséquence, lorsque ces journalistes représentent Kä Mana, ils le catégorisent de manière
négative.
La dernière observation que nous pouvons faire à partir de la figure (1) concerne le
positionnement positif (accord) vis-à-vis d’autres énonciateurs représentés : les ministres
européens, Le Soir et l’évêque Monsengwo. Les ministres européens sont catégorisés
positivement parce qu’ils envisagent d’envoyer des troupes européennes pour aider les
Congolais à résoudre le conflit. Le journal qui ajoute des caractéristiques descriptives pour
représenter les ministres est lui-même congolais, ce qui explique que les caractéristiques
qu’il utilise pour les catégoriser soient positives. Le Soir, quant à lui, est toujours catégorisé
positivement lorsque des caractéristiques descriptives sont ajoutées, comme dans l’exemple
(103) : les journalistes congolais estiment que ce dernier est une source d’information fiable.
Enfin, Monsengwo est un évêque catholique. Il est systématiquement mis en relation, dans
notre corpus, avec Kä Mana : son discours sert à contredire celui de Kä Mana. Par
conséquent, puisque Kä Mana est catégorisé négativement, Monsengwo l’est positivement.
Pour finir, examinons l’effet du contexte intertextuel sur l’interprétation des
transformations par ajout de caractéristiques descriptives. Le contexte intertextuel
correspond à la relation établie entre les textes sources et les textes cibles de notre corpus
grâce au pays dans lequel ils sont publiés, aux auteurs qui les rédigent et aux genres textuels
qu’ils constituent. Dans 70% des transformations par ajout de caractéristiques descriptives,
la relation entre les pays est une relation de la Belgique vers la RDC. L’existence de cette
relation entre pays est logique dans le cas des liens explicitement établis, puisque, nous
l’avons vu (chapitre IV), la majorité du temps, l’information circule de l’Europe vers la RDC.
Les transformations par ajout de caractéristiques descriptives sont donc toujours observées
lorsqu’un texte source européen devient un texte cible congolais : si un journaliste cible
congolais décide de ne pas reprendre les caractéristiques descriptives utilisées par un
journaliste source européen, cela signifie que le lien interrelationnel (entre journalistes dans
ce cas) est très souvent un lien de désaccord avec la structure : « tu présentes un
énonciateur de cette manière, ce qui ne correspond pas à la façon dont moi je le perçois ». Il
est également intéressant de noter que la relation entre les pays ne se fait pas de manière
uniforme entre la France et la Belgique d’un côté et la RDC de l’autre. Vu que les liens
explicitement établis entre les textes de notre corpus sont presque toujours des liens à
partir de l’Europe vers la RDC, on pourrait penser que les caractéristiques décrivant les
énonciateurs dans les textes congolais sont ajoutées par rapport à celles utilisées dans les
209
textes provenant autant de la Belgique que de la France. Ce que l’on constate cependant,
c’est que les transformations par ajout de caractéristiques décrivant les énonciateurs
représentés ne sont jamais réalisées de la France vers la RDC. Question alors : quelle est la
raison qui pousse des journalistes congolais à transformer les caractéristiques décrivant les
énonciateurs dans des textes sources belges ? L’examen des textes sources nous donne une
réponse claire : sur les 70% des transformations des caractéristiques descriptives observées
lors du passage d’un texte rédigé en Belgique à un texte rédigé en RDC, 50% d’entre elles
sont des transformations dues à la « neutralité » des caractéristiques utilisées dans les textes
sources. Ces caractéristiques correspondent aux désignations officielles que les énonciateurs
s’attribuent. Elles sont par exemple le CNDP, Paul Kagamé, Laurent Nkunda, Le Soir, etc. Les
journalistes cibles congolais considèrent donc que les journalistes sources belges
catégorisent de manière trop « neutre » les énonciateurs représentés, raison pour laquelle
ils modifient les caractéristiques descriptives.
Le contexte intertextuel est aussi défini par les journaux dans lesquels les textes sont
publiés. Si nous examinons les journaux cibles qui réalisent des transformations
d’énonciateurs représentés par l’ajout de caractéristiques descriptives, les résultats suivants
émergent:
[Figure 4 : contexte intertextuel – ajout de caractéristiques descriptives]
Ce qui ressort de cette figure est le positionnement très répandu du Potentiel et de
L’Observateur. Dans le cas du Potentiel, le positionnement est plus souvent négatif que
positif et il est dirigé contre Kagamé et Kä Mana. Ces deux énonciateurs représentés sont
perçus par les Congolais, nous l’avons vu, comme un soutien (réel ou moral) à Laurent
Nkunda. De ce fait, le positionnement négatif du Potentiel envers ces deux énonciateurs
représentés implique que les tendances politiques de ce journal sont plus pro-
gouvernementales que ce qu’il affirme habituellement puisqu’il se dit être centriste.
L’Observateur quant à lui, confirme ses tendances politiques pro-gouvernementales en se
210
positionnant régulièrement contre Paul Kagamé. L’absence de positionnement contre Paul
Kagamé semble aussi confirmer les tendances politiques du Phare qui se dit défendre les
valeurs de l’opposition.
Concernant les genres textuels, les transformations se réalisent le plus souvent lors du
passage de l’information vers des textes cibles dits analytiques (article/analyse, analyse,
commentaire), avec la répartition suivante : genre non-analytique > non-analytique (18%),
genre non-analytique > analytique (36%), genre analytique > analytique (45%). Ces
tendances rejoignent nos affirmations de départ (chapitre IV) selon lesquelles les genres
textuels analytiques sont plus propices de la subjectivité et donc du positionnement.
Pour conclure, on peut donc dire que lorsque des caractéristiques descriptives sont
ajoutées dans les textes cibles pour décrire des énonciateurs représentés, c’est
majoritairement dans le but de catégoriser ces derniers de manière moins « neutre » qu’ils
ne l’étaient dans les textes européens sources. Cette catégorisation, moins « neutre », est
principalement réalisée par des journalistes congolais qui, par leur proximité avec les
événements évoqués et les énonciateurs représentés, jugent non appropriée la manière
dont les textes européens, plus spécifiquement belges, catégorisent les énonciateurs
représentés.
2.3. Transformation par remplacement de caractéristiques
descriptives par d’autres
L’ajout de caractéristiques descriptives ne constitue pas le seul mécanisme utilisé par les
journalistes cibles pour rendre manifeste l’accord ou le désaccord avec les énonciateurs
représentés ou les journalistes sources : le remplacement des caractéristiques décrivant
l’énonciateur représenté par de nouvelles caractéristiques descriptives est un autre moyen
pour marquer le positionnement des journalistes cibles. Ces remplacements constituent
53,2% des transformations concernant la catégorisation des énonciateurs représentés et
remplissant la fonction de positionnement93. Deux types de remplacement ont été décelés
dans notre corpus : le remplacement des caractéristiques descriptives par d’autres
caractéristiques descriptives (remplacement de type non métonymique) et le remplacement
93 Les transformations concernant les énonciateurs représentés et la fonction de positionnement
présentées ici obtiennent un total de 90% de ces transformations. Les 10% restants sont des cas tout à fait isolés, raison pour laquelle nos avons estimé peu pertinente leur présentation détaillée.
211
des caractéristiques descriptives par des métonymies (remplacement de type
métonymique).
2.3.1. Remplacement de type non métonymique
Prenons, pour commencer, un exemple qui constitue un cas intermédiaire entre l’ajout de
caractéristiques descriptives et leur remplacement. Dans ce cas intermédiaire, le journaliste
cible choisit de supprimer certaines caractéristiques décrivant l’énonciateur représenté pour
lui en attribuer d’autres qu’il pense plus adéquates pour transmettre son propre point de
vue. L’exemple qui suit est extrait du passage d’une interview (accordée à Colette
Braeckman par Paul Kagamé) à une analyse de cette interview par Le Potentiel :
104) - Texte source : Entretien exclusif avec le président rwandais Paul Kagamé, qui attend une réaction de la France sur le génocide. [Le Soir, 6 septembre 2008]
105) - Texte cible : «Les fous de l’Internet» Congolais ont découvert le week-end dernier, sur le blog de Colette Braeckman, une interview qu’elle a accordée à Paul Kagamé, un despote obscurantiste que l’Afrique compte encore parmi ses fils dévoyés. [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Dans l’exemple ci-dessus, l’extrait du texte source est constitué par la présentation de
l’interview. Dans cette interview, le contenu informationnel porte sur la fonction du
président rwandais, l’implication de la France dans le génocide de 1994 et les responsabilités
de divers acteurs, congolais et rwandais, dans le conflit du Nord-Kivu en 2008. L’énonciateur
représenté dans cet extrait, Paul Kagamé, est catégorisé au moyen de sa fonction
professionnelle (président), de sa nationalité (rwandais) et de son nom (Paul Kagamé). Cette
catégorisation tient à deux phénomènes : spatial et discursif. Concernant le phénomène
spatial, il est probable que l’éloignement du journal source belge, Le Soir, des faits relatés
influence la caractérisation de l’énonciateur représenté. Comme les lecteurs du Soir sont
spatialement éloignés de cet énonciateur représenté, on peut s’attendre à ce qu’ils ne
l’identifient pas de manière précise par son simple nom. Par conséquent, Le Soir a besoin
d’être précis lorsqu’il représente l’énonciateur congolais, raison pour laquelle il le catégorise
aussi par sa fonction professionnelle et sa nationalité. Concernant le phénomène discursif, le
contenu informationnel du discours de l’énonciateur représenté contribue à le caractériser.
En effet, la proposition relative suivant le nom de l’énonciateur (« qui attend une réaction de
la France sur le génocide ») sert également à caractériser l’énonciateur représenté via le
contenu informationnel de son discours. Paul Kagamé parle entre autres, lors de son
interview, de la France et des réactions qu’il attend d’elle. On peut donc considérer que
212
cette caractérisation est « objective94» puisqu’il ne s’agit pas pour le journaliste d’y associer
un quelconque jugement, mais simplement de montrer le discours qui a été produit.
Le texte cible quant à lui, extrait du Potentiel, reprend l’interview et l’analyse. Par cette
reprise, les deux énonciateurs du texte source deviennent des énonciateurs représentés.
Lors de cette représentation, Paul Kagamé est catégorisé négativement par le journaliste
cible, ce qui se voit d’ailleurs dès le titre : « Quand Kagamé parle ‘à cœur ouvert’ sur la RD
Congo, il ment ». Avec ce titre, le journaliste cible place sur l’axe de la fausseté le discours de
l’énonciateur représenté; il s’y oppose, est en désaccord avec lui. Pour montrer ce
désaccord, le journaliste choisit de caractériser l’énonciateur représenté d’une manière
différente de celle du texte source. Ce changement de catégorisation se fait via trois
opérations permettant au journaliste cible de se positionner négativement contre Paul
Kagamé.
La première opération consiste à supprimer la profession et la nationalité de
l’énonciateur représenté. Cette suppression permet au journaliste cible « d’objectiviser » la
représentation qui en est donnée (il s’agit d’un individu appelé Paul Kagamé). La seconde
opération correspond à la suppression de la proposition relative qui visait à donner des
éléments d’information sur le discours de l’énonciateur représenté. S’attachant à contrer le
discours de Paul Kagamé touchant aux problèmes du Nord-Kivu, le journaliste cible ne juge
pas utile de faire référence à d’autres parties de ce discours. À la place de cette proposition
relative, le journaliste cible réalise une troisième opération, consistant à apposer des
caractéristiques descriptives reflétant son propre jugement sur l’énonciateur qu’il
représente : une fonction professionnelle décrite péjorativement. Au lieu d’utiliser le terme
président, il choisit celui de despote. Ce dernier est défini comme suit: « Chef d'État qui
exerce le pouvoir seul et sans contrôle et qui gouverne avec une autorité absolue et
arbitraire; chef d'État qui s'arroge une autorité absolue alors que le pouvoir qu'il détient
n'est pas absolu en soi. » (TLFi, v. despote). D’un point de vue axiologique, il est clair que
cette définition souligne le caractère négatif de cette fonction (cf. absolu ; arbitraire). En
remplaçant président par despote, le journaliste cible transmet alors aux lecteurs une
représentation négative de Paul Kagamé. Plus encore, il associe à despote un autre adjectif,
tout aussi péjoratif : obscurantiste. Cet adjectif signifie : « Relatif à l’obscuratisme », c’est-à-
dire relatif à une « Attitude, doctrine, système politique ou religieux visant à s'opposer à la
diffusion, notamment dans les classes populaires, des lumières, des connaissances
94 Par le terme objectif, nous signifions ici qu’elle ne dépend pas d’un jugement, négatif ou positif, sur
l’énonciateur représenté.
213
scientifiques, de l'instruction, du progrès. » (TLFi, v. obscurantiste). S’il est clair que cette
représentation de Paul Kagamé met déjà en évidence une opposition de la part du
journaliste avec cette personne, la fin du segment décrivant Paul Kagamé confirme d’autant
plus cette opposition. En effet, c’est à cet endroit qu’apparaît la formulation que l’Afrique
compte encore parmi ses fils dévoyés. Le terme dévoyé est défini comme « détourné du
chemin, de la voie » (TLFi, v. dévoyé), ce qui accentue l’opposition du journaliste cible à Paul
Kagamé, puisque cela sous-entend que « cette voie n’est pas celle que le journaliste suit ».
En conclusion, le journaliste cible utilise des caractéristiques descriptives péjoratives pour
caractériser l’énonciateur représenté Paul Kagamé et transmet alors à ses lecteurs une
image négative de la personne dont il parle, image qui diffère de la représentation qui en
était donnée dans le texte source. Avec ces nouvelles caractéristiques descriptives, le
journaliste cible dévoile son désaccord avec l’énonciateur représenté en montrant
notamment que ces caractéristiques ne sont pas acceptables dans sa société.
Pour expliquer cette manière de catégoriser l’énonciateur représenté, examinons le
contexte sociopolitique dans lequel ont lieu les conflits congolais. Paul Kagamé est perçu
dans la société africaine de plusieurs manières : d’abord, il est celui qui, après le génocide à
l’encontre des Tutsis en 1994, a permis à cette ethnie de réintégrer la société rwandaise. Il a
en effet fait partie du FPR (Front patriotique rwandais), un mouvement militaire d’opposition
se battant pour renverser le pouvoir en place et pour combattre les injustices et les
massacres à l’encontre des Tutsis du Rwanda. Elu président de la République du Rwanda par
le Parlement en 2000, et par suffrage universel en 2003, Kagamé est considéré comme la
personne ayant redressé le Rwanda, notamment en adoptant une Constitution réprimant ce
qui est appelé l’idéologie du génocide, c’est-à-dire la promulgation des idées incitant à la
haine, comme cela avait été le cas lors du génocide. Depuis son élection, la croissance
économique est de 7%, un budget important est consacré aux soins de santé, les inégalités
hommes-femmes diminuent, etc. Cependant, cette vision positive de Kagamé est
contrecarrée par d’autres aspects de sa politique. En effet, comme le soulignent dans leurs
rapports Human Right Watch et Amnesty International, la politique de répression de
« l’idéologie du génocide » permet surtout à Kagamé d’éloigner toute forme d’opposition :
« La première commission qui a rendu publiques ses conclusions quelques
mois avant les élections législatives et présidentielles de 2003 a de fait prôné la
dissolution du Mouvement démocratique républicain (MDR), le parti
d'opposition le plus fort, et désigné 47 personnes comme responsables de
« discrimination et de division ». Elle a interprété le « divisionnisme » de
manière à ce qu'il recouvre l'opposition à la politique gouvernementale. Ce
rapport a entraîné la disparition du MDR dont le chef, Faustin Twagiramungu,
n'a pu se présenter au scrutin présidentiel que comme candidat indépendant.
De telles allégations contre des membres du MDR, lancées en dehors de toute
procédure régulière peu avant l'élection présidentielle de 2003, s'inscrivaient
dans une campagne de répression de l'opposition orchestrée par le
214
gouvernement. Le rapport a également accusé des journalistes d'Umuseso, un
journal privé en kinyarwanda qui est l'une des rares publications critiquant le
gouvernement, d'être des « propagandistes de la division » […] Le rapport de
la troisième enquête diligentée par le Sénat rwandais a été rendu public en juin
2006. Il incluait dans la définition de l'« idéologie du génocide » les critiques
contre l'absence de liberté des médias (« un régime totalitaire qui réduit
l'opposition au silence »), les appels à engager des poursuites pour les crimes de
guerre du FPR (« les crimes impunis du FPR ») et le fait de contester l'arrestation
de Hutus en l'absence d'enquête idoine (« Des Hutus [sont] arrêtés sur la base
d'une simple accusation »). Selon cette définition du Sénat rwandais, des
domaines essentiels de l'action en faveur des droits humains ont été érigés en
infraction d'« idéologie du génocide ». [Amnesty International, 2010 : 10]
Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi le journaliste cible qualifie Paul Kagamé de
despote obscurantiste : considérant que Paul Kagamé exerce un pouvoir absolu, écarte toute
forme d’opposition, le journaliste cible le qualifie de despote. Tenant compte du fait que la
liberté d’expression des médias est largement réprimée, il utilise le terme obscurantiste.
C’est donc en vue de se positionner négativement envers l’énonciateur représenté que le
journaliste cible décide de supprimer certaines caractéristiques descriptives présentes dans
le texte source et de les remplacer par d’autres, expliquées par le contexte social.
Une seconde manière de remplacer une catégorisation par une autre consiste à
transformer totalement les caractéristiques descriptives présentes dans un texte source. Ce
procédé est similaire au précédent, mais comporte quand même une différence : la
disparition de toutes les caractéristiques descriptives apparaissant dans le texte source. En
d’autres termes, il ne s’agit pas de remplacer certaines caractéristiques descriptives par
d’autres, tout en continuant à les associer à un « noyau », comme c’était le cas dans
l’exemple précédent (avec le noyau Paul Kagamé), mais de représenter un énonciateur en le
catégorisant avec de toutes nouvelles caractéristiques, comme dans l’exemple suivant :
106) - Texte source : Entretien exclusif avec le président rwandais Paul Kagamé, qui attend une réaction de la France sur le génocide. […] « En fait, les Congolais, qui aiment se présenter comme des victimes, ont aussi une responsabilité dans tout ce qui se passe… Lorsque j’ai revu le président Kabila à New York, je lui ai dit : « Vous devez calmer vos extrémistes. Je ne sais pas si vous êtes extrémiste vous-même, mais vous utilisez cela pour servir vos objectifs politiques. Voyez les problèmes au Nord-Kivu, entre Hutus, Tutsis, Banande, Banyarwanda… J’ai l’impression que vous jouez avec cela, mais un jour cela finira par vous revenir au visage… » […] [Le Soir, 06 septembre 2008]
215
107) - Texte cible : Une lecture rapide de ce texte a poussé certains compatriotes à croire que «l’Hitler africain» faisait des révélations tonitruantes sur son ex-garde du corps, Joseph Kabila. [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Cet exemple provient, comme le précédent, de l’interview de Paul Kagamé à Colette
Braeckman et de l’analyse de cette interview par Le Potentiel95. Dans le texte source, Paul
Kagamé s’exprime à la première personne. Il s’agit en effet d’un discours produit. En
publiant le texte de l’interview, Colette Braeckman représente cet énonciateur (« entretien
exclusif avec le président rwandais Paul Kagamé, qui attend une réaction de la France »). Ce
faisant, elle choisit, comme nous l’avons vu ci-dessus, de catégoriser cet énonciateur par sa
fonction professionnelle, suivie de sa nationalité et de son nom, mais aussi de le catégoriser
par son discours.
Dans l’extrait du texte cible, le journaliste analyse une partie de l’interview concernant
des révélations sur Joseph Kabila. Selon ces dernières, les Congolais et Joseph Kabila seraient
responsables des problèmes qui ont lieu au Nord-Kivu. Lorsque ce discours est représenté
dans le texte cible, le journaliste choisit de représenter l’énonciateur d’une autre manière
que ne le faisait le texte source (l’Hitler africain). Cependant, contrairement à l’exemple
(104)/(105), aucune caractéristique descriptive présente dans le texte source n’est
conservée. Dans l’exemple (104)/(105) en effet, les deux journalistes utilisaient Paul Kagamé
comme noyau lexical, auquel étaient associées des caractéristiques descriptives. En
(106)/(107) en revanche, les caractéristiques descriptives sont complètement nouvelles. Il
s’agit donc d’une opération de catégorisation différente de l’exemple (104)/(105), puisqu’il
ne s’agit plus de supprimer certaines caractéristiques pour en attribuer d’autres, mais bien
de prendre un tout autre angle comme point de départ à la représentation de l’énonciateur.
En effet, alors que dans le texte source, il s’agit de représenter l’énonciateur par sa fonction
professionnelle, sa nationalité, son nom et à son discours, dans le texte cible, il s’agit de le
représenter en se référant au contexte social. Ainsi, si l’on se remémore ce dernier, on
s’aperçoit que pour de nombreux Congolais, Kagamé est considéré comme la personne
soutenant le groupe armé de Laurent Nkunda, le CNDP. La guerre entre ce groupe armé et
les Forces armées de la RDC (FARDC) a fait fuir des centaines de milliers de personnes du
Nord-Kivu. Depuis plusieurs années, les FARDC combattent un ennemi jugé responsable de
95 Notons que ce genre d’exemples, emprunt à la reprise de l’interview de Paul Kagamé au Soir, a été de
nombreuses fois repris et transformé dans notre corpus, raison pour laquelle il réapparaît à plusieurs reprises.
216
la mort de milliers de personnes et du pillage des ressources minières de la RDC96. Dans le
contexte du conflit au Nord-Kivu en 2008, cet ennemi est Laurent Nkunda et le CNDP. Pour
de nombreux Congolais, Nkunda et le CNDP sont soutenus par le Rwanda. On peut donc
supposer que beaucoup de Congolais considèrent Paul Kagamé à l’origine du massacre de
milliers de civils. D’ailleurs, il n’est pas rare d’entendre, ou plutôt de lire, la formulation
génocide silencieux pour parler de cette situation au Nord-Kivu. Si l’on regarde maintenant
comment Paul Kagamé est catégorisé dans le texte cible, on s’aperçoit que le journaliste
utilise la formulation l’Hitler africain. En choisissant de prendre un autre angle de vue, celui
de l’holocauste allemand, pour catégoriser l’énonciateur représenté, le journaliste cible
montre la perception négative qu’il a de ce dernier. Par ailleurs, le choix de cette expression
n’est pas, à notre sens, anodin quant à la représentation que se fait le journaliste cible du
discours du journaliste source. En effet, l’interview dont il est question est une interview
européenne. Kagamé s’y exprime à la première personne ou est représenté par son nom, sa
nationalité, sa fonction professionnelle et son discours. De ce fait, aucune référence aux
massacres congolais n’est associée à cet énonciateur. En décidant d’utiliser la formulation
Hitler africain pour catégoriser Paul Kagamé, le journaliste cible montre qu’il ne catégorise
pas de la même manière (qu’il n’a pas le même point de vue sur) l’énonciateur représenté
dans le texte source ; il montre donc son désaccord avec la façon dont le texte source
présente l’énonciateur en question. En utilisant le terme Hitler, le journaliste cible fait
référence à un fait européen. La question est alors la suivante : pourquoi le journaliste cible
décide-t-il d’utiliser une référence européenne pour catégoriser un énonciateur représenté
qui est congolais ? Selon nous, en catégorisant l’énonciateur représenté au moyen de
caractéristiques descriptives renvoyant à l’Europe, le journaliste cible montre son désaccord
avec le journaliste source, au moyen de la structure suivante : « vous appellez cet
énonciateur d’une manière assez neutre, mais vous vous trompez ; ses actes sont
axiologiquement inacceptables en Afrique comme ceux d’Hitler l’étaient en Europe ». Le
journaliste cible aurait très bien pû utiliser une référence africaine pour accomplir le même
genre d’acte de catégorisation. Ne le faisant pas, on peut penser qu’il souhaite souligner le
caractère erroné de la catégorisation accomplie par le journaliste source.
96 Nous ne mentionnons pas qui est l’ennemi car ce dernier n’a pas toujours été le même : avant Laurent
Nkunda et le CNDP, d’autres groupes armés combattaient les FARDC. Ces perpétuels ennemis de la RDC combattent, selon les Congolais, dans un seul but: s’emparer des ressources du sous-sol de la RDC.
217
Dans l’exemple précédent, le contexte interrelationnel (la relation à un autre
énonciateur) concerne le désaccord du journaliste cible avec Paul Kagamé, mais également
avec la journaliste du Soir. Si nous examinons maintenant le contexte interrelationnel dans
l’ensemble de notre corpus (ou du moins dans les textes explicitement liés entre eux dont
les transformations par remplacement de la catégorisation remplissent la fonction de
positionnement), nous observons la répartition suivante :
[Figure 5 : contexte interrelationnel – remplacement de caractéristiques]
Comme dans la figure précédente, Paul Kagamé est l’énonciateur dont les caractéristiques
descriptives sont les plus souvent transformées, que ce soit pour le catégoriser de manière
positive (accord) ou de manière négative (désaccord). Lorsqu’il est catégorisé de manière
négative, nous l’avons vu, c’est le contexte social qui permet le plus souvent de comprendre
la raison de la transformation. Les caractéristiques décrivant Laurent Nkunda quant à elles,
sont également transformées, mais uniquement en vue de marquer un désaccord avec cet
énonciateur. Nous l’avons également constaté avec le contexte social : Nkunda, comme
Kagamé, est considéré comme responsable du conflit par les Congolais, ce qui explique qu’ils
soient tous deux catégorisés de manière négative. Phénomène plus marquant dans cette
figure est l’apparition d’un nouvel énonciateur représenté : Nicolas Sarkozy. Ce dernier,
président de la France de 2007 à 2012, apparaît dans les textes de notre corpus pour une
raison en particulier : un discours qu’il a produit à l’occasion des vœux du corps
diplomatique. Dans ce discours, le président français parle d’une série de conflits dans le
monde et propose certaines solutions pour les résoudre. Lorsqu’il en vient à parler du conflit
congolais, il en dit notamment ceci:
« Quant à la région des Grands Lacs, la violence s’est une nouvelle fois
déchaînée. L’option militaire n’apportera aucune solution aux problèmes de
fond qui se posent de façon récurrente depuis bien davantage que dix ans. Il
218
faut trouver une nouvelle approche pour apporter aux pays de la région
l’assurance que l’ensemble de ces questions sera réglé de façon globale. Cela
met en cause la place, la question de l’avenir du Rwanda avec lequel la France a
repris son dialogue, pays à la démographie dynamique et à la superficie petite.
Cela pose la question de la République Démocratique du Congo, pays à la
superficie immense et à l’organisation étrange des richesses frontalières. Il
faudra bien qu’à un moment ou à un autre, il y ait un dialogue qui ne soit pas
simplement un dialogue conjoncturel mais un dialogue structurel : comment,
dans cette région du monde, on partage l’espace, on partage les richesses et on
accepte de comprendre que la géographie a ses lois, que les pays changent
rarement d’adresse et qu’il faut apprendre à vivre les uns à côté des autres. »
(Nicolas Sarkozy, 16 janvier 2009)97
Ce discours, repris par Le Monde, puis par les journaux congolais, a été très mal perçu par les
Congolais. Selon eux, le président français essaye, comme le Rwanda, de balkaniser le Nord-
Kivu pour accéder aux ressources naturelles. On comprend dès lors pourquoi, dans nos
textes, le changement des caractéristiques décrivant le président français permet de
marquer le désaccord du journaliste cible avec cet énonciateur représenté. Ce désaccord est
en outre marqué par des journalistes congolais (et non par Le Monde, si l’on compare le
discours produit par Nicolas Sarkozy à sa représentation par Le Monde).
Enfin, le dernier énonciateur représenté qui apparaît dans la figure ci-dessus est Kä Mana.
Contrairement aux cas précédents, ce dernier est catégorisé de manière positive : les
journalistes cibles utilisent, dans ces cas, une série de caractéristiques mettant en valeur
l’énonciateur représenté. Puis, ils montrent que le discours de Kä Mana est inadmissible,
incompréhensible par rapport aux caractéristiques qu’ils lui attribuent au départ. Par
conséquent, c’est en vue de montrer l’écart entre la représentation habituelle, positive,
qu’ils se font de cet énonciateur et le discours qu’il a tenu, que les journalistes cibles
catégorisent positivement Kä Mana.
Ces transformations par remplacement de caractéristiques décrivant les énonciateurs
représentés et visant à marquer le positionnement des journalistes cibles apparaissent
majoritairement dans des textes congolais. Si nous examinons le contexte intertextuel, nous
97 Le lien intertextuel explicite va du Monde vers Le Potentiel. Cependant, pour comprendre les
transformations, nous voulions d’abord vérifier si le discours produit par Nicolas Sarkozy avait ou non déjà été transformé par Le Monde avant d’être repris par Le Potentiel. Raison pour laquelle, dans ce cas-ci, nous avons recherché le discours original.
219
constatons que dans 75% des cas, l’information passe de la Belgique à la RDC et plus
particulièrement du journal Le Soir aux trois journaux congolais (Le Phare, L’Observateur, Le
Potentiel). Une tendance semble en outre se dégager lorsqu’on examine les deux
énonciateurs le plus souvent représentés, Paul Kagamé et Laurent Nkunda. En effet, sur
toutes leurs transformations (soit 75% des remplacements des caractéristiques descriptives),
lorsque Paul Kagamé est catégorisé de manière positive, c’est toujours du Soir vers Le Phare
(25%) ; lorsque Paul Kagamé ou Laurent Nkunda sont catégorisés de manière négative, c’est
toujours du Soir vers L’Observateur (37,5%) ou Le Potentiel (12,5%). Ces observations
confirment les opinions politiques que les trois journaux affirment défendre : alors que Le
Phare se dit être de l’opposition, L’Observateur se range du côté du gouvernement
congolais. C’est la raison pour laquelle, Le Phare catégorise plus positivement Paul Kagamé
et que L’Observateur le catégorise plus négativement. Le contexte intertextuel influence
donc clairement les changements des caractéristiques descriptives remplissant la fonction
de positionnement : en fonction du passage d’un pays à l’autre, mais aussi d’un journal à
l’autre, les énonciateurs représentés sont catégorisés positivement ou négativement.
Quant aux genres textuels, excepté un cas où c’est lors du passage d’une interview à une
analyse que les caractéristiques décrivant les énonciateurs sont transformées, dans tous les
autres cas, le genre textuel n’est pas modifié (article/analyse > article/analyse). On peut
donc en déduire que le contexte intertextuel relatif aux journaux et aux pays influence plus
le type de fonction des transformations observées que celui relatif aux genres textuels.
2.3.2. Remplacement de type métonymique
Le dernier type de transformations touchant les énonciateurs représentés et remplissant la
fonction de positionnement est le remplacement de type métonymique. La métonymie est
une figure de style, appréhendée en sémantique cognitive comme suit :
‘’ [Metonymy is] a referential strategy, […] identifying a referent by
something associated with it. [Contrary to metaphor], which is viewed as a
mapping across conceptual domains, […] Metonymy establishes a connection
within a single domain. ‘’ (Saeed, 2003 : 352)
Comme le souligne Saeed, la métonymie est une stratégie référentielle par laquelle est
identifié le référent d’un objet par un autre objet faisant partie du même domaine
conceptuel. Une relation entre les deux objets est alors établie. Par conséquent, la
220
métonymie peut se décliner sous diverses formes, puisque les relations entre les objets sont
multiples. Dans les textes explicitement liés et dont les transformations remplissent la
fonction de positionnement, elle se décline comme suit98 :
La partie pour le tout :
108) - Texte source : D'une part, accepter le dialogue militaire et politique avec le CNDP et d'autre part, accepter le dialogue diplomatique avec le Rwanda. [Le Phare, 12 novembre 2008]
109) - Texte cible : […]"Plan de sortie de crise” adopté le 29 octobre par les élus et qui propose une solution diplomatique et politique, comprenant notamment l'ouverture d'un dialogue avec le rebelle Nkunda [La Libre Belgique, 13 novembre 2008]
Le tout pour la partie (ou plus précisément, le pays/ la nationalité pour l’énonciateur),
comme dans l’exemple (110) et dans le (111)99 :
110) - Texte source : Dans la capitale rwandaise, malgré le démenti laconique opposé par les « sources autorisées », on se rappelle cependant les propos tenus fin août par le président Kagamé à l’occasion de l’interview accordée au Soir : « Même si, pour une raison ou pour une autre, Laurent Nkunda venait à disparaître, le problème du Nord-Kivu ne serait pas résolu pour autant… » [Le Soir, 30 septembre 2008]
111) - Texte cible : Le Rwanda, bras armé du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Nkunda, a tenté de démentir de manière laconique. Mais la source remet sur la sellette les propos que le président rwandais, Paul Kagamé, soutien financier et matériel de Nkundabatware, avait tenus fin août, dans une interview au Soir , pour montrer l'insinuation que ces propos cachaient mal sur le sort physique de Nkunda. " " Même si, pour une raison ou pour une autre, Laurent Nkunda venait à disparaître, le problème du Nord-Kivu ne serait pas résolu pour autant’ ", avait-il déclaré. [L’Observateur, 1er octobre 2008]
Sur l’ensemble de notre corpus, les transformations de métonymies ne remplissent
qu’occasionnellement la fonction de positionnement, raison pour laquelle ne sont
appréhendées ici que quelques formes. Nous verrons en revanche que d’autres formes de
métonymies sont présentes dans notre corpus, mais elles remplissent d’autres fonctions que
98 Nous verrons dans le chapitre suivant que la métonymie peut prendre d’autres formes, en particulier
lorsque sa transformation remplit d’autres fonctions.
99 Notons que ce type de métonymie remplit très souvent une autre fonction : la fonction dite réceptive
(chapitre VII).
221
celles de positionnement. Même si les transformations par remplacement de type
métonymique remplissant la fonction de positionnement sont peu nombreuses, leur analyse
est très intéressante. D’abord, parce qu’elles prouvent que l’interprétation des
transformations ne peut se faire que contextuellement. En (111) par exemple, l’utilisation du
nom de pays (Le Rwanda) pour représenter l’énonciateur permet au journaliste cible de
s’opposer à ce pays. En effet, si le journaliste cible avait gardé les caractéristiques de départ
décrivant l’énonciateur représenté (les sources autorisées), il aurait eu beaucoup plus de
difficultés à s’y opposer (* les sources autorisées, bras armé du CNDP). Pour pallier cette
difficulté, le journaliste cible décide donc d’utiliser une métonymie : le pays pour
l’énonciateur individuel. Étant donné que l’énonciateur représenté dans le texte source est
vague (on ne sait pas de qui il s’agit exactement), le journaliste cible ne peut utiliser des
caractéristiques descriptives précises lorsqu’il reprend l’information (comme par exemple
Paul Kagamé) et choisit donc la métonymie de pays pour catégoriser l’énonciateur qu’il
représente. Ce qui signifie que le contexte intratextuel (les caractéristiques linguistiques du
texte) a toute son importance dans le cas de la métonymie. De même, en (109), le choix fait
par le journaliste cible d’utiliser le nom d’un membre du groupe armé (Nkunda) pour parler
du groupe entier (le CNDP) lui permet d’ajouter des caractéristiques descriptives marquant
son opposition (rebelle).
Ce contexte intratextuel n’est pas le seul à influencer l’interprétation des résultats. Le
contexte interrelationnel (la relation d’accord ou de désaccord avec les énonciateurs) joue
également un rôle important lors de ce processus :
222
[Figure 6 : contexte interrelationnel : métonymie]100
La première chose étonnante dans cette figure est que la métonymie n’est utilisée dans
notre corpus que dans le but de marquer un positionnement négatif (désaccord) envers les
énonciateurs représentés : aucun cas de métonymie visant à marquer un positionnement
positif (accord) n’a été décelé dans nos textes lorsque la métonymie visait à marquer un
positionnement de la part du journaliste cible. On peut donc penser que le positionnement
positif se fait et par l’ajout et par le remplacement non métonymique de caractéristiques
descriptives, mais ne se fait pas via le remplacement métonymique de ces dernières. Par
ailleurs, ces positionnements négatifs concernent presque les mêmes énonciateurs
représentés que dans les figures précédentes : Paul Kagamé, Joseph Kabila, Laurent Nkunda,
et Nicolas Sarkozy. Comme nous l’avons vu, le contexte social explique ces transformations.
On voit donc se répéter le positionnement contre certains énonciateurs représentés et non
contre d’autres.
Le contexte intertextuel permet lui aussi d’interpréter les résultats. En effet, dans 82,5%
des transformations par remplacement métonymique qui remplissent une fonction de
positionnement, la relation intertextuelle se fait de l’Europe vers la RDC, et plus
spécifiquement, de la Belgique vers la RDC (75%). Ce qui montre à nouveau que les
journalistes congolais sont en désaccord avec les caractéristiques descriptives attribuées par
100 L’axe vertical correspond à la répartition en pourcentages de transformations des caractéristiques
descriptives par remplacement métonymique remplissant la fonction de positionnement. L’axe horizontal rend compte des énonciateurs envers lesquels le positionnement est dirigé.
223
les journalistes belges aux énonciateurs représentés : les caractéristiques décrivant Paul
Kagamé sont transformées plus ou moins uniformément entre les trois journaux congolais
(25% Le Potentiel, 12,5% L’Observateur, 12,5% Le Phare), comme le sont celles décrivant
Joseph Kabila dans deux journaux congolais (12,5% Le Phare, 12,5% Le Potentiel). On
s’attendrait cependant à ce que Le Phare ne transforme pas les caractéristiques décrivant
Paul Kagamé en vue de s’y opposer puisqu’il dit défendre les intérêts de l’opposition, c’est-à-
dire du CNDP, et Paul Kagamé est suspecté de le soutenir. De même, Le Potentiel qui se
positionne à nouveau contre Paul Kagamé via les transformations des caractéristiques le
décrivant, s’éloigne de sa prétendue neutralité.
Lorsque les transformations se font lors du passage d’un texte français vers un texte
congolais du Phare (12,5%), les remplacements de type métonymiques servent à catégoriser
négativement le président Nicolas Sarkozy dont le discours a été, nous l’avons vu, très mal
perçu en RDC. Enfin, le seul énonciateur qui est catégorisé de manière négative par les
journalistes belges à partir de catégorisations établies par les journalistes congolais est
Laurent Nkunda (12,5% La Libre Belgique). On peut donc penser que les journalistes belges
essayent de transformer la perception qu’ont les lecteurs de Laurent Nkunda, en lui
attribuant des caractéristiques descriptives relatives à la rébellion (rebelle) et non pas
relatives à son appartenance à un groupe armé (membre du CNDP).
2.4. Interprétation des résultats : le positionnement négatif des
journalistes congolais envers Kagamé, Kabila, Nkunda et Sarkozy
La fonction de positionnement remplie par les transformations des caractéristiques
décrivant les énonciateurs représentés conduit à deux conclusions importantes : d’abord,
seules les caractéristiques descriptives de certains énonciateurs sont transformées : celles de
Paul Kagamé, de Laurent Nkunda, de Joseph Kabila et de Nicolas Sarkozy. Ce qui signifie que
le changement de représentation tourne majoritairement autour de ces quatre
énonciateurs, bien que, comme nous l’avons vu dans le troisième chapitre, ils ne soient
évidemment pas les seuls impliqués dans le conflit (cf. MONUC, FDLR, FARDC, etc.).
Ensuite, la majorité du temps, les transformations des caractéristiques décrivant ces
énonciateurs représentés servent aux journalistes cibles à marquer leur désaccord avec eux :
Paul Kagamé est catégorisé négativement par la presse congolaise en raison de son présumé
soutien à Laurent Nkunda, qui est lui-même considéré comme un « rebelle », en particulier
dans la presse belge. Joseph Kabila est perçu négativement parce qu’un discours produit par
Paul Kagamé (une interview à Colette Braeckman du Soir) a conduit les journalistes congolais
à douter du bien-fondé des intentions de Joseph Kabila et du fait qu’il ne soit pas en contact
avec Laurent Nkunda. Enfin, Nicolas Sarkozy a suscité des réactions très vives de la part des
journalistes congolais après avoir prononcé un discours lors des vœux du corps
224
diplomatique. Ce discours est considéré comme une volonté de balkaniser l’Est du Congo
pour tirer profit des ressources naturelles qui y abondent.
Ces positionnements négatifs sont réalisés la majorité du temps par des journalistes
congolais qui transforment les caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés dans
des textes sources issus de journaux belges. Ce qui montre deux choses : d’une part, la
circulation de l’information se fait plus souvent de la Belgique vers la RDC que de la France
vers la RDC. Ce mouvement s’explique probablement par les liens historiques qui existent
entre la RDC et la Belgique : la Belgique étant l’ancienne puissance coloniale de la RDC, il est
probable que les journaux belges traitent plus souvent des informations congolaises et que
les journaux congolais aient plus souvent tendance à puiser l’information dans des journaux
belges que dans des journaux français. D’autre part, les journalistes congolais semblent
désapprouver la représentation des énonciateurs représentés par les journalistes belges.
Que ce soit parce qu’ils les représentent de manière trop « neutre » ou que ce soit parce
qu’ils sont en désaccord avec eux, les journalistes congolais n’approuvent pas l’image que les
journalistes belges font passer des énonciateurs représentés. En transformant les
caractéristiques décrivant ces énonciateurs, les journalistes congolais soulignent
l’importance du contexte interrelationnel : une relation d’accord ou de désaccord avec les
énonciateurs représentés ou les journalistes.
3. Transformations concernant les actes de parole et/ou les messages
représentés
Les transformations des caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés ne sont pas
les seules transformations à remplir la fonction de positionnement. Les actes de parole
constituent l’unité par excellence qui subit des transformations remplissant cette fonction
(59%) : le journaliste cible transforme la catégorisation de l’acte de parole représenté pour
montrer qu’il est en accord ou en désaccord avec l’énonciateur représenté ou avec le
journaliste source. Pour ce faire, plusieurs mécanismes linguistiques sont à sa disposition. Ils
peuvent ou directement concerner la catégorisation de l’acte de parole représenté ou bien
être en rapport avec lui, sans que le verbe ou le nom de parole ne soit modifié. Nous
considérons en effet que le changement de catégorisation du discours représenté constitue
une raison suffisante pour parler de transformation de l’acte de parole : le journaliste cible
transmet alors à ses lecteurs une autre image de l’acte de parole ou du message représenté,
en y associant divers procédés (par exemple, le questionnement, la mise en relation de
plusieurs actes de parole, etc.).
Pour comprendre comment ces transformations qui remplissent la fonction de
positionnement se réalisent dans notre corpus, nous présenterons d’abord cinq modalités
qui ont été jugées pertinentes pour l’examen des actes de parole : le bien/le mal, le positif/le
négatif, le doute/la certitude, l’accord/le désaccord, la vérité/la fausseté. Leur examen rend
225
manifeste la relation d’accord ou de désaccord des journalistes cibles avec les énonciateurs
représentés. Seront ensuite présentés les types de transformations observées : en partant
de la transformation à proprement parler (l’altération) de la catégorisation des actes de
parole et des messages représentés ou la catégorisation subjective101 des actes de parole
produits (3.1), nous montrerons que d’autres types de transformations existent. Ainsi, la
mise en relation de plusieurs actes de parole (3.2.), l’ajout de marqueurs épistémiques (3.3.),
l’ajout ou la suppression d’explications des discours représentés (3.4.) ou l’ajout des
conséquences négatives des actes de parole représentés (3.5.) seront eux aussi abordés. Ces
transformations ne peuvent être interprétées comme remplissant la fonction de
positionnement que par un examen contextuel, point central de notre analyse. C’est la
raison pour laquelle, nous montrerons également que tant les contextes intratextuel,
interrelationnel et intertextuel influencent leur interprétation.
3.1. Transformations concernant la catégorisation des actes de
parole et des messages représentés
La catégorisation des actes de parole et des messages représentés constitue le phénomène
le plus souvent transformé lorsqu’on compare les textes sources avec les textes cibles. Sur
l’ensemble des actes de parole transformés dans les textes explicitement liés, le changement
de catégorisation de l’acte de parole ou du message constitue 42, 5% des transformations
examinées, soit presque la moitié de ces dernières. Ces transformations touchent toutefois
nettement plus souvent l’acte de parole (36,9%) que le message représenté (5,6%). Dans le
cas de la fonction de positionnement, la transformation de l’acte de parole ou du message
représenté permet au journaliste cible de se positionner positivement ou négativement vis-
à-vis du discours représenté, et par voie de conséquence, vis-à-vis de l’énonciateur
responsable de ce discours.
3.1.1. Transformations concernant la catégorisation des actes de parole
représentés
En choisissant de transformer l’acte de parole, soit en altérant sa catégorisation comme acte
représenté, soit en catégorisant un acte qui était produit dans un texte source (en vue de le
représenter), le journaliste cible ne montre pas d’autres mots (monstration des mots), pour
101 Voir la notion de subjectivité présentée au chapitre 4 (2.2.2)
226
reprendre la terminologie propre à Authiez-Revuz (1995, 2002, 2004), mais d’autres faires
(monstration du faire) : il catégorise l’acte de parole comme un faire, paraphrasable par
« qu’est-ce que l’énonciateur fait en s’exprimant ? Affirmer, critiquer, accuser, etc.… ». Pour
expliquer ce mécanisme, revenons à la théorie d’Authier-Revuz. Selon elle, quatre
opérations métalangagières sont impliquées dans les phénomènes de représentation du
discours autre. D’un côté, la paraphrase et l’autonymisation qui permettent de montrer
qu’on insiste sur le contenu du discours représenté (paraphrase) ou sur le contenu et les
mots du discours représenté (autonymisation). De l’autre, la prédication et la modalisation,
par lesquelles le discours autre est ce dont on parle (prédication) ou ce d’après quoi on parle
(modalisation)102. À ces quatre opérations s’ajoute, dans les travaux ultérieurs d’Authier-
Revuz (2012) une cinquième opération : la catégorisation. Cette dernière se situe au même
niveau que la paraphrase et l’autonymisation, comme l’illustrent les exemples suivants
provenant d’Authier-Revuz (2012) et correspondant à des échanges entre deux locuteurs,
dont le second rectifie le discours du premier :
112) L1 : - Selon X, Y a fait des malversations 113) L2 : - Mais non, il a seulement dit qu’il avait mal tenu les comptes/il y avait des
imprécisions dans les registres. 114) L1 : - Est-ce que X n’a pas parlé de « comptes en désordre » ? 115) L2 : - Mais non, il a dit exactement : « quelques zones un peu en désordre ». 116) L1 : - X a insulté Y 117) L2 : - Mais non, il l’a seulement critiqué/il a indiqué des points à revoir.
En (113) et en (115), le second locuteur reformule le discours du premier locuteur,
« l’énoncé autre ». En (117) en revanche :
« la catégorisation […] ‘nomme’ [cet énoncé autre] : là où la discussion porte
[en (113) et en (115)] sur le caractère adéquat d’une image-substitut proposée
(par équivalence sémantique ou monstration de mots), elle porte sur
l’assignation, catégorisante, de [l’énoncé autre] à une classe par une
dénomination métalangagière (insulter/critiquer) ». (Authiez-Revuz, 2012 : 60)
En examinant ces exemples, on comprend que la catégorisation est toujours présente dans
les phénomènes de discours représenté : utiliser le verbe dire, critiquer, accuser ou
confirmer par exemple, relève toujours d’un acte de catégorisation. Cet acte de
catégorisation montre, à des degrés divers, l’attitude de l’énonciateur premier vis-à-vis du
102 Toutes ces notions sont expliquées au chapitre II (2.2).
227
discours représenté. Dans le cadre de notre étude, les transformations concernant la
catégorisation (altération de la catégorisation, passage du discours produit au discours
représenté impliquant un acte de catégorisation) remplissant la fonction de positionnement
mettent en exergue cette attitude qui correspond alors à un positionnement, positif (accord)
ou négatif (désaccord), du journaliste cible avec le discours et l’énonciateur représentés. Ce
positionnement du journaliste cible conduit alors le lecteur à percevoir l’acte de parole selon
d’autres modalités que celles qu’il percevait avant dans un texte source.
Dans les textes qui sont explicitement liés, les modalités suivantes, illustrées ci-dessous,
ont été repérées :
Modalité axiologique (le bien et le mal) :
118) - Texte source : Il [= Laurent Nkunda] aurait bénéficié également de l’appui financier de certaines personnes. L’homme d’affaires katangais Katebe Katoto et l’ex-général de Mobutu, Kpama Baramoto, sont nommément cités. Il y a bien plus que cela, car des informations de plus en plus concordantes font état d’un complot bien planifié pour porter un coup dur au processus de transition. [Le Potentiel, 28 janvier 2009]
119) - Texte cible : Bien qu'il [= Katebe Katoto] se soit aussi, un temps, allié au parti d'opposition UDPS pour contester le pouvoir de Joseph Kabila, le journal "Le Potentiel” le dénonçait en janvier 2006 comme un soutien financier de Laurent Nkunda et l'accusait, avec d'autres, de complot. [La Libre Belgique, 15 décembre 2008]
Modalité non-axiologique (le quantitatif et le qualitatif) :
120) - Texte source : comment, dans cette région du monde, on partage l’espace, on partage les richesses et on accepte de comprendre que la géographie a ses lois, que les pays changent rarement d’adresse et qu’il faut apprendre à vivre les uns à côté des autres. » [Nicolas Sarkozy, 16 janvier 2009]
121) - Texte cible : Et c’est encore Paris qui trouve curieusement la recette miraculeuse. Ainsi au lieu de rassembler les fameux génocidaires et de négocier leur retour au Rwanda, il suffirait, tout simplement, selon Paris, que les uns et les autres s’entendent sur le dos des Congolais, et qu’ils partagent avec ces derniers, non pas les richesses du Rwanda, mais bien celles de la RDC ainsi doublement punie d’avoir accueilli sur son territoire, au nom de la Communauté internationale, les présumés génocidaires. [Le Phare, 20 janvier 2009]
Modalité affective (les émotions) :
122) - Texte source : Non nous ne sommes plus parlés depuis longtemps. D’une certaine manière, j’ai renoncé, j’ai le sentiment d’avoir été utilisé, puis abusé, et accusé aussi. [Le Soir, 06 septembre 2008]
123) - Texte cible : Il est rigolo d’entendre Kagame affirmer à Colette Braeckman qu’il n’a plus parlé à Kabila depuis longtemps et qu’il a le sentiment d’avoir été utilisé, puis abusé, et accusé aussi! [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
228
Modalité aléthique (le vrai et le faux) :
124) - Texte source : Nkunda a besoin d’être reconnu dans l’humanité de son visage d’un être appartenant à la communauté nationale et à l’espèce humaine. Malheureusement, dans le regard des [sic] beaucoup de Congolais, dans le miroir de beaucoup de nos discours, il se voit toujours réduit à la barbarie animale, à l’inhumanité destructrice, à la sauvagerie guerrière et aux crimes contre l’humanité. [Le Potentiel, 07 novembre 2008]
125) - Texte cible : Kä Mana affirme que « Nkunda a besoin d’être reconnu dans l’humanité de son visage… malheureusement, dans le cœur de beaucoup de Congolais, il se voit toujours réduit à la barbarie animale, aux crimes contre l’humanité … ». […]Comment Kä Mana peut-il trouver plus légitime de plaider la compréhension de Nkunda que pleurer les dizaines de villageois tués par Nkunda ? [Le Potentiel, 10 novembre 2008]
En (119), (121), et (123), (125) le positionnement négatif (désaccord) du journaliste cible
avec le discours de l’énonciateur représenté est évident : le journaliste cible présente soit sa
propre opinion sur le discours représenté, comme en (121) et (123) avec les verbes
catégorisés trouver curieusement la recette miraculeuse et être rigolo d’entendre X affirmer
Y, ou présente l’opinion de l’énonciateur représenté comme en (119) avec le verbe
dénoncer. Notons qu’en (121) et en (123), c’est le contexte discursif intratextuel qui permet
d’interpréter la catégorisation comme remplissant la fonction de positionnement : en 121),
trouver la recette ne revêt, à priori, aucune valeur de positionnement. L’association des
termes miraculeuse et curieusement à ce syntagme verbal transforme la catégorisation en
un positionnement puisque l’expression entière relève clairement du jugement et de l’ironie.
De même, en (123), le verbe affirmer, pris séparément, ne relève que du domaine de la
vérité, mais associé aux mots il est rigolo d’entendre, il est certain que l’acte de parole est
évalué négativement. En (119) en revanche, ce n’est pas le positionnement de l’énonciateur
premier vis-à-vis du discours représenté qui est souligné, mais bien celui de l’énonciateur
représenté vis-à-vis d’un tiers. Cependant, en montrant un positionnement négatif de la part
de l’énonciateur représenté vis-à-vis d’un tiers, le journaliste cible montre également son
propre positionnement, à savoir l’accord avec le discours de l’énonciateur représenté.
On est donc, avec les trois cas précédemment mentionnés, en présence de trois formes
de positionnement par la catégorisation des actes de parole, comme le montre le tableau
suivant103 :
103 IE1 signifie énonciateur premier, c’est-à-dire le journaliste responsable de l’acte de catégorisation. IE2
signifie énonciateur représenté ou second, c’est-à-dire l’énonciateur dont l’acte de parole est catégorisé et IE3 signifie énonciateur troisième ou tiers, c’est-à-dire un énonciateur que l’IE2 représente.
229
Positionnement de
l’IE envers l’IE
L’IE1 émet un jugement positif
ou négatif envers l’IE2
c’est encore Paris qui
trouve curieusement la
recette miraculeuse
Positionnements de
l’IE envers l’IE3
L’IE2 émet un jugement positif
ou négatif envers l’IE3
+
L’IE1 émet un jugement positif
ou négatif envers l’IE2
Il est rigolo d’entendre
Kagame affirmer à
Colette Braeckman qu’il
n’a plus parlé à Kabila
depuis longtemps et qu’il
a le sentiment d’avoir
été utilisé, puis abusé, et
accusé aussi!
L’IE2 émet un jugement positif
ou négatif envers l’IE3
+
L’IE1 émet un jugement positif
ou négatif envers l’IE3
le journal "Le Potentiel”
le dénonçait en janvier
2006 comme un soutien
financier de Laurent
Nkunda
En (121) le journaliste cible se positionne clairement contre l’énonciateur représenté,
Nicolas Sarkozy (désigné, par métonymie, par Paris). Avec l’expression verbale trouver
curieusement la recette miraculeuse, le journaliste cible souligne son désaccord avec
l’énonciateur représenté. En (123), on se trouve dans un cas intermédiaire. Pour montrer
son désaccord avec l’énonciateur représenté, le journaliste cible utilise deux procédés :
d’abord, une expression verbale catégorisée de la même manière qu’en (121): il est rigolo
d’entendre Paul Kagamé affirmer. Cette expression verbale montre que le journaliste est en
désaccord avec l’énonciateur représenté. Ensuite, un positionnement négatif de
l’énonciateur représenté avec un énonciateur troisième (il a le sentiment d’avoir été utilisé,
puis abusé, et accusé aussi!). En le présentant et en catégorisant négativement l’acte de
parole représenté, l’énonciateur premier montre donc son désaccord avec l’énonciateur
représenté et son accord avec l’énonciateur troisième. En (119), c’est seulement le
positionnement de l’énonciateur représenté vis-à-vis d’un tiers qui est présenté. Cependant,
ce positionnement vis-à-vis de l’énonciateur troisième est aussi celui défendu par
l’énonciateur premier qui s’accorde dès lors avec l’énonciateur représenté. Ainsi, en (119) Le
Potentiel se positionne négativement envers Katebe Katoto. Lorsque le discours du Potentiel
est repris par La Libre Belgique, ce positionnement négatif est mis en évidence. Cette mise
en évidence du positionnement de l’énonciateur représenté envers un énonciateur
230
troisième permet à La Libre Belgique de montrer qu’elle aussi se positionne contre cet
énonciateur troisième et par conséquent est en accord avec Le Potentiel.
L’exemple (124-125) quant à lui, constitue un cas de figure tout à fait intéressant de
positionnement négatif sur la base de la modalité aléthique. Dans la majorité des cas où la
catégorisation de l’acte de parole représenté se situe sur l’axe de vérité, le journaliste cible
s’oppose à l’énonciateur représenté. Le journaliste cible montre, dans un premier temps,
que l’énonciateur représenté situe son discours sur l’axe de la vérité (dans le cas qui nous
occupe, le verbe affirmer se situe sur l’axe de vérité puisqu’on n’affirme pas quelque chose
que l’on pense être faux, sauf si l’on ment bien sûr). Cela, pour se positionner, dans un
second temps, contre ce discours représenté. Dans l’exemple (125), le positionnement
négatif est amené par la modalité épistémique du doute, marqué par le questionnement104.
Comme dans d’autres exemples, en (125) c’est un positionnement de l’énonciateur
représenté envers un tiers qui est mis en évidence. Mais ce positionnement, dans ce dernier
cas positif (vérité : accord), sert ensuite au journaliste cible à montrer qu’il est en désaccord
avec l’énonciateur représenté. Bien que très proche de l’exemple (123), l’exemple (125) s’en
distingue par deux aspects. D’abord, par l’ordre dans lequel le positionnement est marqué :
alors qu’en (123), l’énonciateur premier présente directement un écart entre l’acte de
parole (affirmer) et son propre jugement (il est rigolo d’entendre), en (125), cet écart n’est
émis qu’ultérieurement, au moyen du questionnement. Ensuite, la direction du
positionnement : alors qu’en (123), c’est pour marqueur un désaccord avec l’énonciateur
représenté, mais aussi un accord avec l’énonciateur troisième que les verbes de parole sont
catégorisés, en (125), c’est uniquement pour marqueur un désaccord avec l’énonciateur
représenté que le la catégorisation est réalisée.
Le contexte interrelationnel (la relation d’accord ou de désaccord d’un énonciateur avec
un Autre-énonciateur), a donc toute son importance dans l’interprétation de la fonction de
positionnement observée à partir de la catégorisation de l’acte de parole représenté. Nous
verrons, à la fin de cette section, la répartition des positionnements vis-à-vis des
104 La modalité épistémique du doute est traitée à part en (3.3.1.) car la catégorisation de l’acte de parole
représenté n’est pas le seul procédé permettant de marquer cette modalité. Nous regroupons donc les procédés visant à marquer le doute dans un point séparé.
231
énonciateurs représentés. Mais avant cela, voyons comment la transformation de la
catégorisation des messages représentés remplit la fonction de positionnement.
3.1.2. Transformations concernant la catégorisation des messages
représentés
Le message représenté correspond à ce qui suit directement l’acte de parole représenté. Il
s’agit de l’objet du discours représenté, répondant à la question « de quoi parle
l’énonciateur représenté ? ». Même si ce message représenté n’est pas l’objet d’étude de
cette thèse, qui se concentre en particulier sur les énonciateurs représentés, les actes de
parole représentés et les formes de représentation du discours autre, nous pensons
néanmoins pertinent, dans la compréhension des réalisations de la fonction de
positionnement, de mentionner quelques cas de figure qui ont retenu notre attention.
Le message représenté peut lui aussi être transformé. Dans ce cas, nous parlons de
déformation du discours représenté. Celle-ci ne sert pas simplement au journaliste cible à
modifier ce qui a été dit, mais elle lui permet aussi de s’opposer à l’énonciateur représenté.
En effet, si le journaliste cible avait maintenu tel quel le message représenté, son
argumentation visant à contrer l’énonciateur représenté aurait été moins percutante.
Prenons un exemple pour illustrer notre propos :
126) - Texte source : Décrivant le Rwanda comme un « pays à la démographie dynamique et à la superficie petite », et la RDC comme « un pays à la superficie immense » avec une « organisation étrange des richesses frontalières » [Le Monde, 19 janvier 2009]
127) - Texte cible : Pire, le président français qualifie « d’organisation étrange » les institutions et les dirigeants de la RDC [Le Potentiel, 19 janvier 2009]
Dans cet exemple, le texte cible ne présente pas le même objet de discours représenté que
celui qui apparaissait dans le texte source : alors que dans Le Monde, l’objet du discours de
Nicolas Sarkozy concerne l’organisation étrange des richesses frontalières de la RDC, dans le
texte cible, il concerne l’organisation étrange des institutions et des dirigeants congolais.
Cette déformation permet au journaliste cible de mieux s’opposer à l’énonciateur
représenté : en effet, s’il avait maintenu l’objet du discours représenté original (organisation
étrange des richesses frontalières), le journaliste cible aurait eu plus de difficultés à
s’opposer à Nicolas Sarkozy. En déformant l’objet du discours représenté (Pire, le président
français qualifie « d’organisation étrange » les institutions et les dirigeants de la RDC), il
montre que le président français s’attaque aux dirigeants congolais. Or, ce journaliste est lui-
même congolais et les dirigeants de la RDC ont été démocratiquement élus. On comprend
dès lors qu’une attaque de la part du président français aux dirigeants congolais est plus mal
perçue par les journalistes et lecteurs congolais qu’une attaque de ce même président aux
richesses frontalières de la RDC. Cette opposition du journaliste cible au président français
est en outre marquée dès le début de l’énoncé par l’adverbe évaluatif pire. On peut donc
232
dire que pour montrer son désaccord avec l’énonciateur représenté, le journaliste cible
déforme son discours.
3.1.3. Interprétation des résultats : Le Phare et Le Potentiel, deux
journaux opposés aux discours (pro)rwandais
Le positionnement négatif (désaccord) envers les énonciateurs représentés est celui qui est
le plus répandu lorsqu’on examine les transformations des actes de parole et des messages
représentés, comme le montre la figure suivante :
[Figure 7 : contexte interrelationnel : actes et messages représentés]
Ce positionnement négatif apparaît entre deux types d’énonciateurs : d’un journaliste cible
envers un énonciateur représenté, ou alors d’un énonciateur représenté envers un tiers.
Dans le premier cas, ce sont Paul Kagamé, Nicolas Sarkozy, Kä Mana, La Libre Belgique et Le
Monde avec lesquels des journalistes cibles sont en désaccord. Paul Kagamé est d’ailleurs
l’énonciateur représenté qui semble le plus souvent touché par ce type de positionnement.
À nouveau, une similarité avec les résultats précédents est observable, puisque ce n’est pas
contre Laurent Nkunda que les journalistes se positionnent, mais bien contre Paul Kagamé,
accusé de soutenir le CNDP. De même, le discours de Nicolas Sarkozy, considéré comme un
plan de balkanisation du Nord-Kivu en vue d’accéder aux richesses minières congolaises, est
catégorisé négativement, comme celui du Monde, qui présente le discours de Sarkozy avec
trop de « neutralité » selon les journalistes congolais. Le discours de Kä Mana, quant à lui,
est catégorisé négativement par les journalistes congolais qui estiment qu’il défend Laurent
Nkunda : selon eux, Kä Mana incite ses lecteurs à avoir une bonne opinion de Laurent
Nkunda alors que celui-ci est jugé responsable de la guerre. Enfin, la catégorisation négative
du discours de La Libre Belgique est faite par des journalistes congolais, qui lui reprochent de
nier la présence rwandaise sur le sol congolais, alors que pour eux, elle est bien réelle.
233
Dans le second cas, c’est un énonciateur représenté qui se positionne vis-à-vis d’une
tierce personne. Comme le montre la figure (7), c’est toujours Paul Kagamé qui se positionne
vis-à-vis d’un autre énonciateur. D’un côté, son discours contre celui de Joseph Kabila, de
l’autre, il s’accorde avec celui de Laurent Nkunda. En représentant le désaccord de Kagamé
avec Kabila ou son accord avec Nkunda, le journaliste cible montre indirectement son propre
désaccord avec Paul Kagamé. En effet, lorsque le journaliste cible présente le désaccord de
Paul Kagamé avec Joseph Kabila, il défend, dans son texte, Joseph Kabila : en montrant que
Paul Kagamé s’oppose à Kabila, le journaliste montre aussi son propre désaccord avec Paul
Kagamé. L’accord de Kagamé avec Nkunda est lui aussi présenté par les journalistes cibles
qui s’opposent tant à l’un qu’à l’autre. On constate donc deux choses : d’abord, même si
dans la majorité des cas, l’accord est marqué directement du journaliste cible avec
l’énonciateur représenté, la présentation d’un désaccord ou d’un accord de l’énonciateur
représenté envers une tierce personne permet également de marquer le positionnement du
journaliste cible vis-à-vis de cet énonciateur représenté. Ensuite, la présentation de l’accord
de l’énonciateur représenté avec un autre énonciateur sert, dans la plupart des cas, à
marquer le désaccord du journaliste cible avec tous ces énonciateurs représentés.
À côté de l’influence qu’ont les liens interrelationnels (la relation à un Autre-énonciateur)
dans l’interprétation de ces transformations, apparaît celle des liens intertextuels (liens
établis entre les textes par les journaux ou les pays desquels ils proviennent, ou les genres
textuels dont ils sont constitués). Concernant les journaux, deux journaux cibles se
positionnent majoritairement vis-à-vis des énonciateurs représentés : Le Phare et Le
Potentiel. Ils le font au moyen des transformations de la catégorisation des actes de parole
et des messages représentés :
234
[Figure 8 : impact du journal cible sur les transformations des
actes et messages représentés]
Comme le souligne cette figure, le plus souvent, ce sont Le Phare et Le Potentiel qui
transforment la catégorisation des actes de parole et des messages représentés en vue de se
positionner pour ou contre les énonciateurs représentés. Ces transformations sont réalisées
par ces journaux cibles à partir des journaux sources Le Soir, La Libre Belgique Le Monde. Le
positionnement du journaliste cible contre Paul Kagamé, de Paul Kagamé contre Joseph
Kabila et de Paul Kagamé pour Laurent Nkunda est toujours marqué par des journalistes
cibles qui transforment les actes de parole et les messages produits ou représentés dans des
textes du Soir écrits par Colette Braeckman : la représentation, l’image qu’elle véhicule de
Paul Kagamé ne trouve donc pas d’écho favorable dans les textes congolais. Colette
Braeckman a en effet publié une interview que lui a accordée Paul Kagamé, dans laquelle il
souligne les torts des politiciens congolais dans le conflit des provinces du Kivu. En
présentant Paul Kagamé et son discours de manière trop « neutre », la journaliste source
véhicule une information qui ne correspond pas à la perception qu’en ont les journalistes
cibles105. Par conséquent, le discours de l’énonciateur représenté est transformé (via la
catégorisation des actes de parole et des messages représentés) par les journalistes cibles
pour montrer leur désaccord avec Paul Kagamé, mais aussi avec l’image qui en est donnée
105 Colette Braeckman est LA spécialiste des conflits en RDC dans le journal Le Soir. Elle est donc tout à fait
au courant de la manière dont les journalistes congolais perçoivent le conflit et les énonciateurs représentés et/ou leur discours.
235
par la journaliste source. Le positionnement se fait dès lors contre Paul Kagamé, de manière
explicite, mais également contre Colette Braeckman, de manière implicite. C’est ce même
fonctionnement qui est à l’œuvre lors de la représentation du discours de Nicolas Sarkozy ou
du Monde par les journalistes cibles. Ces discours sont contrés par les journalistes congolais
à partir de l’information présentée par Le Monde : les journalistes congolais s’opposent au
discours de Sarkozy qui propose de partager l’espace et les richesses de la RDC avec le
Rwanda et s’opposent également au Monde, car il transmet de manière trop neutre le
discours de Sarkozy, mais aussi parce qu’il semble comprendre ses propos, contrairement
aux Congolais. Dans le cas de La Libre Belgique en revanche, l’opposition est directement
émise contre une journaliste, Marie-France Cros. En défendant l’idée selon laquelle les
troupes rwandaises seraient absentes du sol congolais, cette dernière s’est attiré les foudres
des journalistes congolais, et en particulier ceux du Phare.
On peut donc dire pour conclure cette première section que les journalistes congolais,
plus spécifiquement ceux du Phare et du Potentiel, ne s’accordent pas avec les journalistes
du Soir, du Monde et de La Libre Belgique sur la représentation qu’ils transmettent au
lecteur du discours de Paul Kagamé, de Nicolas Sarkozy ou du conflit étudié. Ce désaccord
est marqué par les transformations concernant la catégorisation des actes de parole ou les
messages représentés. Ces derniers sont transformés parce que les journalistes congolais
estiment que les journalistes européens présentent de manière trop « neutre » les
énonciateurs ou représentent le conflit de manière erronée. Cette « neutralité » ou cette
erreur de représentation du conflit et des énonciateurs peut être expliquée par le genre
textuel : alors que la majorité des textes sources sont de type non analytique (article, brève,
interview, etc.), tous les textes cibles sont analytiques (article/analyse, analyse,
commentaire). Comme nous l’évoquions dans le chapitre IV, il est clair que les genres
analytiques véhiculent une subjectivité plus importante de la part de l’auteur du texte qui a,
dans ces cas, la possibilité de montrer pourquoi il est en accord ou en désaccord avec ce
dont il parle ou ce dont a parlé une tierce personne.
3.2. Transformations concernant les actes de parole ou les
messages représentés par la mise en relation de plusieurs actes
de parole
Un autre moyen pour transformer l’acte de parole produit ou représenté, ou son message,
consiste à le mettre en relation avec d’autres actes de parole et d’autres messages. On
pourrait se demander si une mise en relation de plusieurs actes de parole constitue à
proprement parler une transformation. Comme nous l’avons déjà mentionné (chapitre IV),
on ne transforme pas un énonciateur, son acte de parole, ou son message, mais bien la
représentation, l’image qui en est donnée. Par conséquent, mettre en relation un acte de
parole avec un autre acte de parole dans un texte cible revient à transformer la perception
que l’on pouvait en avoir lorsqu’il était présenté de manière autonome dans un texte source.
236
Cette mise en relation de plusieurs actes de parole permet notamment aux journalistes
cibles de montrer leur positionnement vis-à-vis des actes de parole.
Dans le but de faire comprendre en quoi consiste la mise en relation de plusieurs actes de
parole représentés, nous présenterons les sections suivantes : dans une première section,
nous montrerons que les journalistes cibles peuvent mettre en relation plusieurs actes de
parole représentés, soit pour montrer qu’ils sont d’accord avec leur contenu informationnel,
soit pour montrer qu’ils sont en désaccord avec lui. Ensuite, nous montrerons que cette mise
en relation peut également être accomplie à l’aide des mécanismes de représentation
dissimulée du discours autre. Dans ces cas, l’un des deux actes de parole est explicitement
représenté alors que l’autre l’est implicitement, de manière dissimulée. Puis, une attention
particulière sera portée aux actes de parole non-dits, c’est-à-dire aux cas où le journaliste
cible présente explicitement ce que n’a pas dit un énonciateur par rapport à ce qu’il a
effectivement dit. Là, nous verrons notamment que les non-dits remplissent presque
toujours la fonction d’autorité. Enfin, nous montrerons que l’acte de parole représenté peut
aussi être mis en relation avec l’acte de parole produit, surtout lorsque le discours
représenté est recontextualisé pour étayer l’argumentation du journaliste cible. Nous
terminerons cette section en montrant comment les liens interrelationnels et intertextuels
influencent l’interprétation des résultats.
3.2.1. Mise en relation de deux actes de parole explicitement
représentés
Le premier type de mise en relation que l’on trouve dans notre corpus est celui entre deux
actes de parole représentés de manière explicite, dévoilée. La mise en relation de deux actes
de parole explicitement représentés consiste à reprendre le discours d’un énonciateur
représenté et à le faire précéder ou suivre de celui d’un autre énonciateur représenté. Cette
mise en relation peut servir à montrer la vérité ou la fausseté du discours en question. En
d’autres termes, le texte cible reprend un discours, produit ou représenté dans le texte
source et en mesure la valeur de vérité en le comparant au discours d’un autre énonciateur
représenté. On se situe donc, dans ces cas de positionnement, du côté de la modalité
aléthique :
128) - Texte source : Nkunda a besoin d’être reconnu dans l’humanité de son visage d’un être appartenant à la communauté nationale et à l’espèce humaine. Malheureusement, dans le regard de beaucoup de Congolais, dans le miroir de beaucoup de nos discours, il se voit toujours réduit à la barbarie animale, à l’inhumanité destructrice, à la sauvagerie guerrière et aux crimes contre l’humanité. [discours produit par Kä Mana, Le Potentiel, 07 novembre 2008]
129) -Texte cible : Kä Mana affirme que « Nkunda a besoin d’être reconnu dans l’humanité de son visage… malheureusement, dans le cœur de beaucoup de Congolais, il se voit toujours réduit à la barbarie animale, aux crimes contre l’humanité … ». Pas plus tard qu’hier, le représentant de la MONUC, Alan Doss,
237
affirmait sur les antennes de RFI : « Oui il y a bien eu des crimes de guerre à Kiwandja ». [analyse de Serge Gontcho, Le Potentiel, 10 novembre 2008]
Dans cet exemple, le discours de Kä Mana, un philosophe congolais, est produit et publié
dans un texte source du Potentiel : il s’agit d’un commentaire visant à comprendre les
raisons profondes du conflit qui agite le Nord-Kivu. L’extrait rend compte de la manière dont
les Congolais devraient percevoir Laurent Nkunda, qui dirige le CNDP, à savoir « dans son
humanité ». Lorsque le texte cible reprend le propos de Kä Mana, il ne fait pas simplement
une représentation de son discours, mais il le met en relation avec un autre discours, celui
d’Alan Doss, le représentant de la MONUC. Ce dernier parle des crimes de guerre qui ont été
commis à Kiwandja, une ville du Nord-Kivu. Le discours de Kä Mana, selon lequel il ne faut
pas conclure à la barbarie de Laurent Nkunda, est ainsi contredit par le fait qu’il y ait eu des
crimes de guerre à Kiwandja (commis par le CNDP). En créant cette relation entre les deux
actes de parole représentés, le journaliste cible déforme la perception que le lecteur pouvait
avoir du discours de Kä Mana : il en montre la fausseté et le décrédibilise aux yeux des
lecteurs.
Dans l’exemple analysé ci-dessus, c’est tant un discours indirect avec îlot textuel qu’un
discours direct, qui est utilisé lors de la mise en relation des discours représentés. On trouve
également des formes de modalisations pour parvenir au même but :
130) - Texte source : Cela permettrait au pouvoir congolais de récupérer des revenus aujourd'hui détournés par l'exportation illégale de minerais évacués vers l'océan Indien, via le Rwanda. [Le Monde, 19 janvier 2009]
131) - Texte cible : Ce qui permettrait à la RDC de récupérer « des revenus aujourd’hui détournés par l’exploitation illégale des minerais évacués vers l’océan Indien ». Exactement comme le soulignait Cohen avec la création d’un « Marché commun comprenant le Rwanda, la RDC, l’Ouganda, la Tanzanie, le Kenya et le Burundi. Ce « plan » Sarkozy a tout l’air d’avoir été influencé par un « lobby » facile à deviner. [Le Potentiel, 19 janvier 2009106]
En (131), une modalisation du dire comme discours second (marquée par comme le
soulignait Cohen) est utilisée avec un adverbe de similitude (exactement) dans le texte cible.
Cette modalisation permet au journaliste cible de mettre en relation le discours du Monde
(qu’on présente ici grâce aux guillemets de l’îlot textuel) qui explique, voire justifie celui de
Nicolas Sarkozy, avec celui de Cohen. Le journaliste du Potentiel s’oppose, tout au long du
106 Dans cet exemple, les dates de publication des deux textes sont les mêmes. Cependant, nous sommes
certaine que le texte du Potentiel s’appuie sur le texte du Monde, puisqu’une mention explicite de ce dernier est présente dans le texte du Potentiel
238
texte, au discours de Nicolas Sarkozy en argumentant qu’il essaye de s’allier au Rwanda pour
avoir accès aux richesses naturelles de la RDC. En mettant en relation le discours de Nicolas
Sarkozy/du Monde avec celui de Cohen, le journaliste cible montre alors que ces deux
discours s’accordent, mais que lui est en désaccord avec eux.
3.2.2. Mise en relation de deux actes de parole représentés dont l’un
est explicite et l’autre non
La mise en relation n’est pas toujours accomplie entre deux actes de parole ou deux discours
représentés de manière explicite. On trouve très souvent des actes de parole représentés
dont la catégorisation est celle d’une mise en relation de plusieurs actes de parole
représentés. Autrement dit, dans ces cas de figure, un seul acte de parole est représenté de
manière explicite, mais il renvoie à un autre acte de parole lorsqu’on examine sa
signification. Regardons l’exemple suivant :
132) -Texte source : L’an dernier, à la demande de Kinshasa, je suis intervenu auprès de Laurent Nkunda. Des officiels congolais, dont le général Numbi, sont venus à Kigali et à leur demande, je leur ai donné un hélicoptère pour qu’ils puissent aller rencontrer Nkunda quelque part au Nord-Kivu, en compagnie du chef d’état major rwandais. Le contact a eu lieu, une solution politique a été décidée et les troupes de Nkunda ont accepté d’être réintégrées dans l’armée congolaise. [Le Soir, 06 septembre 2008]
133) - Texte cible : Et pourtant, traitant du Congo, Kagame revient sur des secrets de polichinelle et confirme la permanence des contacts entre Kigali, Kinshasa et le Nord-Kivu. Jusque l’année dernière, pendant que tous les signaux de l’implication du Rwanda dans le pillage, les massacres, les assassinats et les incendies des villages congolais de l’Est étaient devenus plus que visibles, Joseph Kabila et sa cour ont continué à solliciter les services de Paul Kagamé. [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Dans cet exemple, le discours du texte source est celui produit par Paul Kagamé lors d’une
interview au Soir. Lorsque son discours est représenté, le journaliste cible du Potentiel
catégorise son acte de parole au moyen de deux verbes de parole en discours indirect
(« revient sur des secrets de polichinelle » et « confirme »). Ces deux verbes possèdent des
traits sémantiques qui renvoient à une parole autre : le premier, revenir sur des secrets de
polichinelle, renvoie doublement à la parole d’un Autre. Par le verbe revenir, le journaliste
cible catégorise le discours de l’énonciateur représenté, Paul Kagamé, comme du déjà-dit.
De même, l’expression secret de Polichinelle, définie comme « faux secret, parce qu’il est
connu de tous » (TLFi, v. secret) implique elle aussi un verbe de pensée (connaître) associé à
d’autres personnes (tous). L’expression revenir sur des secrets de Polichinelle met donc en
relation, par son sémantisme, le discours de l’énonciateur représenté avec d’une part, son
propre discours à un moment différent de son énonciation et d’autre part, avec la pensée
d’autres énonciateurs.
239
Ce mécanisme apparaît similairement avec le verbe confirmer, qui signifie « présenter
comme certaine une chose considérée jusque là comme quelque peu douteuse ou
seulement possible ou probable, établir avec plus de certitude la réalité ou la vérité d'un fait,
d'une nouvelle, la valeur d'une idée, d'une théorie, le bien-fondé d'un sentiment, par de
nouveaux indices, de nouveaux arguments, de nouvelles preuves ou simplement de
nouvelles assurances données par une personne autorisée » (TLFi, v. confirmer). À nouveau,
ce verbe induit que la parole a déjà été assertée par un autre énonciateur : l’énonciateur
représenté redit ce qu’un autre énonciateur avait déjà dit et, ce faisant, il assure la vérité, la
certitude, etc. de l’information transmise.
L’acte de parole catégorisé par sa relation avec plusieurs actes de parole permet aux
journalistes cibles de représenter le discours d’un énonciateur comme un positionnement,
positif ou négatif, vis-à-vis du discours d’un autre énonciateur. En d’autres termes, avec ce
mécanisme, c’est l’accord ou le désaccord de l’énonciateur représenté avec un autre
énonciateur représenté qui est souligné par les journalistes. Ce mécanisme ne vise toutefois
pas seulement à montrer le positionnement de l’énonciateur représenté. La plupart du
temps en effet, cela permet aussi de présenter le positionnement du journaliste cible vis-à-
vis du discours représenté : en montrant que l’énonciateur représenté est d’accord ou non
avec tel ou tel autre discours, le journaliste cible montre aussi que cet énonciateur a raison
ou a tort de s’accorder ou non avec cet autre discours. Reprenons l’exemple (133). Dans ce
dernier, le journaliste cible montre l’accord de Paul Kagamé avec un autre discours selon
lequel il y a des contacts permanents entre la RDC et le Rwanda. Pour ce faire, il utilise les
verbes revenir sur des secrets de Polichinelle et confirmer pour représenter le discours de
Paul Kagamé. Mais, ce faisant, il ne montre pas simplement que Paul Kagamé est en accord
avec le discours autre. Il montre aussi que lui, en tant que journaliste et allocutaire du
discours de Paul Kagamé, lui attribue une valeur de vérité. Cet accord du journaliste cible est
précisément marqué par le verbe revenir sur des secrets de Polichinelle qui signifie que
l’information est connue de tous, y compris de lui, en tant que journaliste. Ici donc, l’accord
ou le désaccord du journaliste vis-à-vis d’un discours représenté passe avant tout par un acte
de parole représenté, catégorisé comme une relation d’accord ou de désaccord avec un
autre discours, laissé dans l’implicite.
3.2.3. Mise en relation de deux actes représentés dont l’un est dit et
l’autre non-dit
La mise en relation de deux actes de parole que nous venons de présenter concerne un acte
de parole explicite et l’autre implicite. Mais il est également possible d’observer une mise en
relation d’un acte de parole dit avec un autre, non-dit. On pourrait se demander quelle est la
différence entre ces deux mécanismes de mise en relation d’actes de parole. En fait, dans le
premier cas, un acte est explicite, c’est-à-dire qu’il apparaît de manière claire dans le
discours du journaliste cible alors que l’autre n’apparaît qu’à travers la catégorisation de
240
l’acte explicite. Dans le second cas en revanche, deux actes de parole représentés
apparaissent dans le discours du journaliste cible. Ces deux actes de parole sont attribués à
un seul et même énonciateur dont la parole est représentée par ce qu’il a effectivement dit
lorsqu’il a produit son discours, mais également par ce qu’il a omis de dire, ce qu’il n’a pas
dit, comme dans l’exemple suivant :
134) - Texte source : Par la suite, le président Kabila s’est entretenu avec les Sud Africains et il leur a demandé que Laurent Nkunda puisse s’exiler chez eux. La proposition était qu’il quitte le terrain, au départ de l’aéroport de Kigali. Kabila avait proposé cela sans même nous en avertir ! J’ai dit aux Sud Africains : « pourquoi devrait-il partir de Kigali ? [discours produit par Kagamé, Le Soir, 06 septembre 2008]
135) - Texte cible : Dans ce jeu de dupe, Nkunda est présenté comme un patriote défendant une cause ayant des racines historiques solides (les minorités Banyarwanda) et floué par celui qui (Joseph Kabila), après lui avoir proposé une solution politique comme issue à ses crimes imprescriptibles, avait fini par lui indiquer l’exil sud-africain comme étant la meilleure des voies pour échapper à «l’extrémisme des Congolais». (Kagame ne dit malheureusement pas que Kabila a obtenu pour Nkunda, au Parlement, une amnistie pour ses multiples crimes !) [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Dans cet exemple, le texte source est constitué par le discours produit par Paul Kagamé lors
d’une interview au Soir. Dans l’extrait recueilli, il s’oppose à Joseph Kabila en affirmant que
ce dernier a proposé aux Sud-Africains que Laurent Nkunda s’exile au Rwanda sans en avertir
les autorités de ce pays. Lorsque le texte du Potentiel représente le discours de Paul Kagamé
au moyen d’un discours indirect (présenté comme), il représente explicitement son acte de
parole. À ce discours indirect, le journaliste cible associe alors un autre discours représenté,
également un discours indirect, mais ce discours n’a pas été dit par Paul Kagamé (Kagame ne
dit malheureusement pas que...). La mise en évidence du non-dit de Kagamé permet au
journaliste cible de montrer son désaccord avec lui : en montrant ce que Kagamé a omis de
dire, il montre aussi qu’il ne faut pas considérer comme vrais les propos de Kagamé. De ce
fait, en s’opposant au discours de Kagamé, ce journaliste défend aussi les positions de
Joseph Kabila, avec lesquelles Kagamé est en désaccord.
L’insistance sur les non-dits de l’énonciateur représenté permet donc elle aussi de se
positionner par rapport au discours représenté qui a été dit. L’acte de parole dit est alors
transformé : le lecteur ne juge plus de la même manière ce qui a été dit, puisque d’autres
informations, les non-dits, lui parviennent et contredisent la vérité du discours de départ.
Dans notre corpus, c’est toujours un positionnement négatif (désaccord) du journaliste cible
vis-à-vis du discours représenté qui est observé. Les non-dits fonctionnent alors comme
argument d’autorité que nous qualifierons de négatif : le journaliste cible fait appel à ce qui
n’a pas été dit par l’énonciateur représenté pour marquer son désaccord avec le discours
représenté. Nous n’avons rencontré aucun cas où l’insistance sur les non-dits fonctionnait
comme argument d’autorité positif, c’est-à-dire pour montrer un accord avec l’énonciateur
représenté.
241
3.2.4. Mise en relation de l’acte de parole premier et de l’acte de parole
représenté
Dans le précédent cas analysé, c’étaient deux actes de parole représentés qui étaient mis en
relation en vue du positionnement. Il est également possible de rencontrer une mise en
relation d’un acte de parole représenté avec un acte de parole premier, c’est-à-dire produit
par le journaliste. Nous parlons de recontextualisation des dires représentés dans ces cas de
figure : le journaliste cible utilise une partie du discours d’un autre énonciateur en vue de
défendre sa propre thèse. Il s’agit aussi, dans ce cas, d’arguments d’autorité. Prenons un
exemple :
136) - Texte source : Ces derniers n’ont plus eu qu’à se servir des armes laissées par l’armée congolaise. Maintenant Nkunda a plus d’armes que ce dont il a besoin, des Katiouchas, des RPG, des mitrailleuses, des munitions… [discours produit par Paul Kagamé, Le Soir, 06 septembre 2008]
137) - Texte cible : La question qu’il faut alors se poser est celle de savoir si la RDC elle-même, par ses propres faiblesses, ne constitue pas la principale force du CNDP. On se souvient encore de ces nombreuses armes régulièrement abandonnées sur le champ de bataille, permettant du coup à Paul Kagamé d’ironiser sur la provenance des armes sophistiquées que détiendrait le leader du CNDP. [Le Phare, 06 octobre 2008]
Dans cet exemple à nouveau, le discours du texte source est celui produit par Paul Kagamé
lors d’une interview au Soir. Lors de cette dernière, Paul Kagamé évoque les problèmes du
Nord-Kivu et le conflit qui a lieu entre les FARDC et le CNDP. La majorité de l’interview
tourne autour de questions relatives à la politique de Joseph Kabila qui, selon Kagamé, joue
un double jeu et contribue à prolonger les conflits qui ont lieu dans cette région. À un
moment de l’interview, Kagamé parle de l’armée congolaise qui laisse des armes sur le
champ de bataille. Ce propos est intégré dans une idée plus générale permettant à Kagamé
de s’opposer à Joseph Kabila : Kabila veut essayer de résoudre militairement le problème,
alors que tout le monde l’avait prévenu qu’il ne pourrait pas l’emporter contre le CNDP. Pour
défendre cette thèse, il évoque le fait que Laurent Nkunda et son groupe se fournissent en
armes au moyen de celles laissées par l’armée congolaise sur les champs de bataille. Dans le
texte cible, le journaliste du Phare défend une thèse relative aux problèmes, aux faiblesses
de l’armée congolaise. Pour argumenter, il représente le discours initialement produit par
Paul Kagamé, qui a dit que les armes du CNDP provenaient de l’armée congolaise. Ce qui
sous-entend que l’armée congolaise est en tort puisqu’à priori, elle ne devrait pas laisser
d’armes sur les champs de bataille. On peut donc dire que pour s’opposer à l’armée
congolaise, le journaliste du Phare recontextualise le discours de Paul Kagamé et montre
qu’il est d’accord avec ce dernier. Cette recontextualisation passe par la représentation
d’une partie du discours produit par Kagamé. En d’autres termes, dans le texte source, le
discours produit sert à défendre une thèse X et dans le texte cible, ce discours est représenté
en vue de défendre une thèse Y, celle du journaliste cible.
242
3.2.5. Interprétation des résultats : Le Phare et Le Potentiel en
désaccord avec Paul Kagamé, Nicolas Sarkozy et Kä Mana
Regardons maintenant les résultats obtenus par l’examen des liens interrelationnels et
intertextuels. Si nous examinons le type de positionnement le plus souvent induit par les
transformations des actes de parole mis en relation, nous constatons qu’à nouveau, ce
dernier est un positionnement négatif (désaccord), comme le montre la figure suivante :
[Figure 9 : contexte interrelationnel : actes de parole mis en relation]
Ce qui ressort à nouveau est le désaccord des journalistes cibles avec trois énonciateurs en particulier : Paul Kagamé, Nicolas Sarkozy et Kä Mana dont les discours sont contredits parce qu’ils justifient les actions de Laurent Nkunda. Ces énonciateurs rendent en effet la RDC et son président Joseph Kabila responsables du conflit, ou bien ils proposent de partager les richesses minières congolaises entre la RDC et le Rwanda. Chose plus étonnante dans cette figure, est l’accord des journalistes cibles avec Paul Kagamé. On pourrait trouver étrange que les journalistes cibles, qui sont majoritairement congolais, défendent le discours de Paul Kagamé, accusé de soutenir le CNDP. Dans ces cas de figure, ces journalistes croient en la vérité du discours de Paul Kagamé. L’examen du contexte intratextuel (en l’occurrence ici le contenu informationnel du texte) n’explique pourtant pas l’accord des journalistes cibles avec cet énonciateur. En effet, le propos de Kagamé avec lequel s’accordent les journalistes cibles concerne différents contenus informationnels : les armes laissées par l’armée congolaise et reprises par le CNDP, les contacts permanents entre la RDC et le Rwanda, les crimes imputés à Jean-Pierre Bemba (le chef de la précédente rébellion congolaise contre
243
Joseph Kabila), etc. Aucune tendance ne se dégage donc au niveau du contenu informationnel relaté par Paul Kagamé et avec lequel les journalistes cibles s’accordent.
Voyons donc si les autres contextes influencent la compréhension des résultats107. Pour le
contexte intertextuel, l’examen des genres textuels indique que quel que soit le type de
positionnement (positif ou négatif) et quel que soit l’énonciateur représenté qui est jugé par
les journalistes cibles, les textes cibles sont presque toujours (90%) des genres analytiques
(article/analyse, analyse, commentaire), alors que les textes sources sont tantôt rédigés dans
des genres analytiques (l’analyse et l’article/analyse), tantôt dans des genres non-
analytiques (interview, article, reportage). Le genre textuel semble donc conditionner la
fonction remplie par les transformations : plus le genre textuel est analytique, plus il y a de
chances que la fonction remplie par les transformations soit celle de positionnement. Ce qui
rejoint notre idée de départ (chapitre IV) selon laquelle les genres textuels analytiques
comportent une subjectivité plus forte de la part de l’auteur du texte.
Par ailleurs, l’examen des auteurs, des journaux et des pays révèle que le positionnement
négatif envers Paul Kagamé est toujours véhiculé par des journaux congolais à partir de
l’interview qu’il a accordée au Soir. Les journalistes congolais estiment vraisemblablement
que Le Soir aurait dû être plus critique en présentant le discours de Kagamé, raison pour
laquelle, ils transforment ce discours par la mise en relation des actes de parole en vue d’en
montrer la fausseté. Ce positionnement négatif envers Paul Kagamé est en outre émis par Le
Potentiel dans 73% des cas, et par Le Phare dans 27% des cas. Similairement, le
positionnement positif vis-à-vis de Paul Kagamé est réalisé par Le Potentiel dans 67% des
cas, et par Le Phare dans 33% des cas. Cela nous mène à deux conclusions: d’abord, Le
Potentiel, qui se décrit lui-même comme un journal du « centre », semble effectivement
juger tant positivement que négativement Paul Kagamé. Ensuite, Le Phare dont les
tendances politiques sont celles de l’opposition, semble quant à lui ne pas correspondre à sa
description : on s’attendrait en effet à ne pas trouver de cas où il s’oppose à Paul Kagamé et
à trouver nettement plus de cas de positionnement positif vis-à-vis de cet énonciateur.
107 Désormais, les résultats obtenus par l’examen des liens interrelationnels seront uniquement analysés si
leur pourcentage de fréquence est au moins égal à 5%, parce qu’une fréquence d’apparition des transformations moindre nous semble peu pertinente pour tenter de comprendre les tendances qui émergent de notre corpus.
244
Il nous semble également utile de détailler les résultats concernant le positionnement
négatif de Kagamé envers Kabila. Comme nous l’avons vu, le positionnement négatif d’un
énonciateur représenté envers une tierce personne permet au journaliste cible de montrer
son désaccord avec l’énonciateur représenté, en l’occurrence ici Paul Kagamé. Ce désaccord
avec Kagamé apparaît dans 67% dans Le Potentiel et dans 33% dans Le Phare, ce qui rejoint
le propos précédent concernant les tendances politiques du Phare, qui se positionne plus
rarement contre Kagamé. De même, c’est aussi Le Potentiel (87%) qui se positionne plus
négativement que Le Phare (13%) envers Nicolas Sarkozy, tout comme envers Kä Mana
(100% pour Le Potentiel). On peut donc dire que Le Potentiel n’est pas si « au centre » qu’il
l’admet : en prenant position contre Kagamé, contre Sarkozy et contre Kä Mana, Le Potentiel
affiche clairement des tendances politiques pro-gouvernementales, puisque ces trois
énonciateurs représentés s’opposent, en quelque sorte, aux autorités et aux politiques
congolaises.
Pour conclure cette section, nous pouvons affirmer que quatre mécanismes apparaissent
dans notre corpus pour marquer le positionnement par la mise en relation des actes de
parole : la mise en relation de deux actes de parole représentés explicitement, la mise en
relation d’un acte de parole représenté explicitement et l’autre implicitement, la mise en
relation d’un acte de parole dit et l’autre non-dit et la mise en relation d’un acte de parole
premier avec un acte de parole représenté. Ces quatre mécanismes permettent aux
journalistes cibles de montrer qu’ils sont d’accord ou non avec le discours d’un énonciateur
représenté. Dans nos textes, le positionnement négatif est véhiculé en particulier par deux
journaux, Le Phare et Le Potentiel, envers trois énonciateurs représentés : Paul Kagamé,
Nicolas Sarkozy et Kä Mana. Comme nous l’avons déjà constaté avec les résultats
précédents, ces énonciateurs s’opposent à Joseph Kabila et à la RDC, ce qui explique que ce
sont des journaux congolais qui s’y opposent. Quant au positionnement positif, le résultat le
plus fréquent est celui vis-à-vis de Paul Kagamé. Il est véhiculé par Le Potentiel et par Le
Phare qui concèdent une partie du discours de ce dernier, soit pour défendre leur propre
thèse, soit parce qu'ils considèrent que tout ce que cet énonciateur a dit ne doit pas être
considéré nécessairement comme faux.
3.3. Transformations des actes de parole représentés par l’a out de
marqueurs épistémiques
Les marqueurs épistémiques constituent des moyens appropriés pour les journalistes cibles
qui souhaitent se positionner pour ou contre la vérité d’un discours qu’ils représentent
souvent via un acte de parole représenté. Dans notre corpus, trois types de marqueurs
épistémiques en particulier ont été repérés : de marqueurs de doute, de marqueurs de
certitude et de marqueurs d’hypothèse.
245
Pour saisir la manière dont l’ajout de ces marqueurs remplit la fonction de
positionnement, nous présenterons succinctement chacun d’eux en insistant sur certaines
de leurs formes. À la fin de chacune des sections, nous examinerons le type de
positionnement induit par ces marqueurs (accord/désaccord) et les énonciateurs
représentés touchés par ces positionnements.
3.3.1. Marquage épistémique de doute et de certitude touchant les
actes de parole représentés
a) Marquage épistémique du doute
La modalité épistémique du doute ne traduit pas toujours l’absence de certitude, de
confirmation d’une information. Dans certains cas en effet, le journaliste cible ajoute des
modalités épistémiques de doute associées au verbe de parole ou au discours représenté en
vue de se positionner contre l’énonciateur qu’il représente ou, en d’autres termes, pour
montrer la fausseté du discours représenté. Pour ce faire, le journaliste cible a à sa
disposition plusieurs moyens linguistiques : le questionnement émis sur le discours
représenté, la catégorisation du verbe de parole représenté, l’emploi du conditionnel ou le
changement de mode d’accès à l’information.
Le cas le plus fréquent de transformations de l’acte de parole représenté par la modalité
épistémique du doute est celui où le doute est marqué par le questionnement. Dans ce cas,
on rencontre des exemples comme le suivant :
138) - Texte source : Les objets saisis par l'armée congolaise sont : des AK47 et munitions ad hoc – mais l'armée congolaise et les autres armées de la région utilisent les mêmes ; un sac à dos militaire rwandais – qui peut s'acheter sur le marché de Goma ; de l'argent rwandais – qui peut arriver dans les poches de tout le monde, les Kivutiens achetant de nombreux vivres au Rwanda voisin. [La Libre Belgique, 15 octobre 2008]
139) - Texte cible : Citation : [« Les objets saisis par l'armée congolaise sont : des AK47 et munitions ad hoc - mais l'armée congolaise et les autres armées de la région utilisent les mêmes ; un sac à dos militaire rwandais - qui peut s'acheter sur le marché de Goma ; de l'argent rwandais - qui peut arriver dans les poches de tout le monde, les Kivutiens achetant de nombreux vivres au Rwanda voisin ».] […] Les (et non pas « un ») sac à dos militaires peuvent s'acheter au marché… Tant qu'à faire, on en trouve peut-être aussi chez Liqui-doma, rue des Alexiens, à Bruxelles ... Est-ce un argument ? Pourquoi un militaire congolais cantonné à Rumangabo irait-il acheter, aux surplus militaires du coin un sac à dos rwandais, alors qu'à Rumangabo, centre de regroupement, on lui en délivrera un de l'armée congolaise? [Le Phare, 12 novembre 2008]
Dans cet exemple, le discours d’une journaliste de La Libre Belgique est représenté par Le
Phare au moyen d’un discours direct (Citation : ‘ …’). À ce discours direct, renvoie un
discours indirect (argument). Ce dernier apparaît dans une interrogation à saisie tardive
(c’est-à-dire une interrogation où l’objet précédemment évoqué correspond au sujet de la
246
question), qu’on pourrait transformer en « est-ce que la citation de La Libre Belgique
précédemment exposée est un argument ? » La réponse à cette première question est
négative, ce qui se voit par l’interrogation rhétorique qui la suit et qui met en évidence
l’incohérence de l’argument défendu par La Libre Belgique. En d’autres termes, pour contrer
la vérité du discours produit par La Libre Belgique, Le Phare le questionne et le présente
comme absurde. Le doute ne porte donc pas sur le fait que l’information présentée par La
Libre Belgique soit confirmée ou certaine, mais sur le fait qu’elle soit fausse.
De la même manière, le positionnement du journaliste cible vis-à-vis du discours
représenté peut également être marqué par la catégorisation d’un verbe de parole qui a les
caractéristiques épistémiques de doute. Le verbe le plus fréquemment rencontré dans nos
textes est le verbe prétendre. Le journaliste cible catégorise l’acte de parole représenté en
montrant qu’il n’est pas d’accord avec le discours qu’il représente. Ce désaccord peut être
présenté plus ou moins explicitement dans l’énoncé :
140) - Texte source : Je constate que le discours de Nkunda évolue aujourd’hui, ainsi que sa conscience des problèmes du Congo. Il a une vision nationaliste, une conscience de la libération de tout le pays, la volonté d’alliances avec toutes les forces d’opposition. [Le Potentiel, 07 novembre 2008]
141) - Texte cible : Je ne comprends pas (ou plutôt je fais semblant) comment Kä Mana peut prétendre que Nkunda et les siens sont animés par un sentiment nationaliste de libération nationale [Le Potentiel, 10 novembre 2008]
Dans cet exemple, le journaliste cible utilise le verbe prétendre pour montrer qu’il doute du
discours Kä Mana. Dans ce cas-ci, le désaccord est également rendu explicite par la
formulation je ne comprends pas comment. Mais, si ces termes n’avaient pas été utilisés, le
désaccord serait quand même effectif: « Kä Mana prétend que Nkunda et les siens sont
animés par un sentiment nationaliste de libération nationale » revient à dire « je ne suis pas
d’accord avec ce que Kä Mana a dit ». Ce marquage du doute par la catégorisation de l’acte
de parole représenté n’apparaît pas toujours sous la forme que nous venons de présenter.
Ainsi, on rencontre également fréquemment des cas où la catégorisation de l’acte de parole
se situe sur l’axe de la vérité. C’est alors un adjectif où un adverbe modal qui va permettre
au journaliste cible de douter de la vérité du discours représenté :
142) - Texte source : Non nous ne sommes plus parlés depuis longtemps. D’une certaine manière, j’ai renoncé, j’ai le sentiment d’avoir été utilisé, puis abusé, et accusé aussi. [Le Soir, 06 septembre 2008]
143) - Texte cible : Il est rigolo d’entendre Kagame affirmer à Colette Braeckman qu’il n’a plus parlé à Kabila depuis longtemps et qu’il a le sentiment d’avoir été utilisé, puis abusé, et accusé aussi! [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Ici, le verbe de parole se situe sur l’axe de vérité (affirmer signale que l’énonciateur premier
considère sur l’axe de vérité le discours second (s’il affirme, c’est qu’il le considère comme
vrai). Pour montrer son désaccord avec cette prétendue vérité, le journaliste du texte cible
247
utilise un adjectif (rigolo) qui impose une distance entre le verbe de parole catégorisé et et
son propre point de vue.
Un troisième mécanisme repéré est le marquage du doute par le conditionnel. Dans le
chapitre II, nous insistions sur le fait que le conditionnel était très souvent associé à
l’emprunt et à l’absence de confirmation concernant l’information empruntée, en particulier
dans les médias. Dans certains cas cependant, nous avons observé que le conditionnel était
utilisé pour marquer l’emprunt et le désaccord :
144) - Texte source : Les accusations congolaises surviennent alors que le ton du Rwanda avait monté vis-à-vis de Kinshasa, ces dernières semaines, en raison de la décision du Congo de retirer des militaires chargés de la lutte contre les FDLR (rebelles hutus rwandais au Congo, issus des génocidaires) pour les affecter aux combats contre Nkunda. [La Libre Belgique, 15 octobre 2008]
145) - Texte cible : La suite de l'article de « La Libre » procède d'un autre genre de littérature et prétend nous expliquer les raisons d'un certain froid entre Kinshasa et Kigali. On va vous étonner : ce serait entièrement la faute des Congolais. [Le Phare, 13 novembre 2008]
Ici, le texte source traite d’une mésentente entre Kinshasa et Kigali à cause du retrait des
militaires congolais dans la lutte contre les FDLR (les forces armées rwandaises présentes sur
le sol congolais depuis le génocide rwandais de 1994). Ce retrait a lieu en raison des conflits
qui secouent la RDC : l’armée congolaise est affectée à combattre Laurent Nkunda et le
CNDP au lieu des FDLR. Dans le texte cible, le désaccord avec ce discours est marqué de deux
manières via la modalité du doute : d’abord, par le verbe catégorisé prétendre, qui montre
que le journaliste cible doute de l’explication apportée par le journaliste source quant à la
mésentente entre Kinshasa et Kigali ; ensuite - et c’est ce qui nous intéresse ici - par le
conditionnel ce serait : en utilisant le conditionnel, le journaliste cible ne montre pas
seulement que l’information a été empruntée (conditionnel journalistique, voir chapitre II),
mais il montre aussi qu’il n’est pas d’accord avec cette information traitée dans le discours
qu’il représente. On pourrait transformer cet énoncé, pour rendre explicite l’emprunt et le
désaccord, en l’énoncé suivant : « selon La Libre Belgique, la mésentente entre Kinshasa et
Kigali est causée par Kinshasa, mais ce n’est pas vrai ». On constate donc, avec de tels
exemples, que le conditionnel ne sert pas seulement à souligner le caractère emprunté
et/ou non confirmé d’une information reprise par un journaliste cible, mais qu’il sert aussi à
marquer un désaccord avec cette information.
Le dernier mécanisme marquant le désaccord au moyen de la modalité épistémique du
doute est le changement de mode d’accès à l’information. Ce mécanisme, comme le
conditionnel, est moins répandu dans notre corpus que les deux précédents
(questionnement et verbe de parole catégorisé). On pourrait penser qu’il est logique que le
doute soit mis en évidence par le changement de mode d’accès à l’information : en passant
de la perception à l’emprunt ou à l’inférence (il a vu > il a dit que…/il a supposé que…), le
journaliste cible montrerait que l’information est moins certaine que celle qui était
248
présentée dans le texte source. Cependant, ce ne sont pas ces genres de cas que nous avons
observés dans notre corpus. Dans le cas de la fonction de positionnement remplie par les
transformations, nous avons observé que le changement de mode d’accès à l’information
permet au journaliste cible de douter du dire du journaliste source alors que ce dernier ne
doutait pas d’un autre dire, mais bien d’un fait observé par perception visuelle. En doutant
non du fait (perception), mais du dire (emprunt), le journaliste cible va alors montrer son
désaccord avec le journaliste source. Prenons un exemple pour expliquer cela :
146) - Texte source : Du côté rwandais, on affirme que ces documents auraient été fabriqués de toutes pièces, ce qui supposerait donc que les soldats congolais, en quelques heures, ont produit des uniformes, des documents portant le sceau des mutuelles rwandaises, avec une célérité qui étonne…Cependant, les fautes d’orthographe sont troublantes: jamais un Rwandais n’aurait indiqué “deffence” avec deux F, sur une pièce d’uniforme. Si des faussaires sont à l’œuvre, ils devraient au moins vérifier leur orthographe ainsi que la date de validité des billets exhibés. [Le Soir, 13 octobre 2008]
147) - Texte cible : Ainsi, à propos de l'ordre de mission, dont elle dit cependant qu'on ne voit pas comment les FARDC auraient monté une officine capable de le forger, s'il était faux, elle s'étonne que le libellé du document comporte une faute d'orthographe ! (Le mot anglais « defence » écrit avec deux F). Les gradés subalternes sont-ils censés avoir toujours une orthographe impeccable ? Ne doit-on pas supposer, a fortiori, que dans l'Armée rwandaise il doit y avoir beaucoup de gradés qui se sont anglicisés en toute hâte pour plaire à Kagame ? [Le Phare, 13 novembre 2008]
Dans cet exemple, tant le journaliste source que le journaliste cible émettent un doute. Dans
le texte source, le doute porte sur un fait (la présence rwandaise en RDC, supposée vraie par
les Congolais en raison de documents rwandais retrouvés en RDC). Dans le texte cible, le
doute porte sur un dire (l’affirmation de la journaliste du Soir selon laquelle ce n’est pas
possible que les Rwandais soient présents en RDC). Le changement de mode d’accès à
l’information permet alors au journaliste cible de montrer son désaccord avec le discours du
journaliste source. Pour comprendre comment fonctionne ce mécanisme de changement de
mode d’accès à l’information visant à marquer le désaccord, résumons les diverses étapes
du raisonnement du Soir. Celles-ci sont au nombre de quatre et se déclinent comme suit :
- Il y a des preuves de la présence des Rwandais en RDC (perception)
- Les Rwandais affirment que ce sont des faussaires qui ont construit les preuves (emprunt)
- En effet, on voit des fautes sur les preuves (perception)
- Si les preuves provenaient des Rwandais, il n’y aurait pas de fautes (inférence hypothétique)
Dans Le Phare en revanche, le journaliste cible doute non pas du fait observé, mais des
dires du journaliste du Soir et réalise également une inférence visant à contredire ces dires. Il
doute donc du discours/du raisonnement qu’il reprend, ce qui le mène à affirmer un propos
qui va dans le sens contraire. En effet, en utilisant des questions (« Les gradés subalternes
249
sont-ils censés avoir toujours une orthographe impeccable ? », « Ne doit-on… ? »), mais aussi
des inférences avec le verbe supposer et le verbe devoir (« Ne doit-on pas supposer… », « il
doit y avoir… »), le journaliste du Phare montre qu’il doute. Cependant à l’inverse du Soir qui
doute du fait, Le Phare doute du discours ou du raisonnement du Soir. On peut remplacer les
étapes du raisonnement du Phare par les suivantes :
- Colette Braeckman doute des preuves de la présence rwandaise en RDC en raison des fautes sur les preuves (emprunt)
- Il est plausible que les soldats rwandais fassent des fautes d’orthographe (inférence)
On constate donc que l’inférence porte sur une information dont l’accès est différent
d’un texte à l’autre : alors que dans Le Soir, l’inférence porte sur la perception et permet de
contrer un fait observable, dans Le Phare, elle porte sur l’emprunt et permet de contrer un
discours en vue de s’opposer à un énonciateur.
Pour conclure cette première section sur les marqueurs épistémiques, nous pouvons
donc dire que les marqueurs de doute sont toujours utilisés par des journalistes cibles qui se
positionnent évidemment contre des énonciateurs représentés. Ce marquage du doute
apparaît dans notre corpus via quatre procédés : le questionnement du discours représenté,
la catégorisation de l’acte de parole représenté, l’ajout du conditionnel et le changement de
mode d’accès à l’information.
b) Marquage épistémique de la certitude
Le marquage épistémique de la certitude est également un procédé que nous avons observé
dans notre corpus et qui remplit la fonction de positionnement. Deux mécanismes servant à
marquer la certitude de l’information dans un texte cible par rapport à celle présentée dans
un texte source ont été relevés : le changement de mode d’accès à l’information et l’usage
du présent.
Le changement de mode d’accès à l’information ne permet pas seulement de marquer un
doute soulignant le désaccord du journaliste cible avec le journaliste source. Dans certains
cas, c’est la certitude de l’information qui apparaît par le changement d’indication du mode
d’accès à l’information. Ce type de marquage épistémique permet au journaliste cible de
montrer qu’il est d’accord avec le journaliste source. Ce mécanisme reste toutefois très rare
dans notre corpus : la majorité du temps en effet, le changement de mode d’accès à
l’information pour marquer la certitude ne remplit pas la fonction de positionnement (voir
chapitre VII). Reprenons un exemple pour comprendre quand est-ce qu’il remplit la fonction
de positionnement :
250
148) - Texte source : Ces derniers n’ont plus eu qu’à se servir des armes laissées par l’armée congolaise. Maintenant Nkunda a plus d’armes que ce dont il a besoin, des Katiouchas, des RPG, des mitrailleuses, des munitions… [Le Soir, 06 septembre 2008]
149) - Texte cible : La question qu’il faut alors se poser est celle de savoir si la RDC elle-même, par ses propres faiblesses, ne constitue pas la principale force du CNDP. On se souvient encore de ces nombreuses armes régulièrement abandonnées sur le champ de bataille, permettant du coup à Paul Kagamé d’ironiser sur la provenance des armes sophistiquées que détiendrait le leader du CNDP. [Le Phare, 06 octobre 2008]
Le texte source est constitué par l’interview de Paul Kagamé au Soir. Lors de cette dernière,
Kagamé tient un discours qui est ensuite retranscrit pour être publié. La retranscription
induit forcément la représentation du discours de Kagamé, puisqu’on n’a pas directement
accès à ce discours, mais indirectement, via ce qu’a retranscrit108 la journaliste du Soir. Il
s’agit donc d’une sorte d’emprunt : la journaliste du Soir reprend les paroles de Paul Kagamé
et les transmet à son lectorat. Le journaliste cible puise ensuite une partie du contenu
informationnel dans le texte du Soir. Cet emprunt est constitué par la représentation d’un
segment du discours de Paul Kagamé (« permettant à Paul Kagamé d’ironiser sur la
provenance des armes sophistiquées que détiendrait le leader du CNDP »), mais aussi par un
énoncé produit par Paul Kagamé, mais non représenté dans le texte cible (« ces nombreuses
armes régulièrement abandonnées sur le champ de bataille »).En d’autres termes, pour ce
dernier énoncé, le journaliste cible ne mentionne pas que l’information a été empruntée à
Paul Kagamé. Cela donne l’impression que le journaliste cible a directement observé les
faits. On peut donc en conclure que le journaliste cible présente une information comme
ayant été obtenue par la perception, alors qu’en réalité, elle a été empruntée. En d’autres
termes, il la présente de manière plus fiable, plus certaine comme une perception plutôt que
comme un emprunt. La question est alors de savoir pourquoi le journaliste transforme le
mode d’accès à l’information. Selon nous, cette transformation est présente parce que le
journaliste cible est d’accord avec Paul Kagamé. En effet, dans le texte cible, comme dans
une partie du texte source, le contenu informationnel porte sur les faiblesses de l’armée
congolaise. Pour prouver ces faiblesses, Paul Kagamé affirme, dans le texte source, que des
armes sont abandonnées par l’armée congolaise sur le champ de bataille. Le journaliste cible
qui défend la même thèse que Paul Kagamé, adhère au contenu informationnel asserté par
108 Cette retranscription peut différer de ce qui a effectivement été dit par l’énonciateur interviewé.
D’ailleurs, nous avons eu accès à deux retranscriptions, l’une issue de la version papier du journal et l’autre issue de sa version en ligne. La première est clairement différente de la seconde, ne fût-ce que par la suppression de nombreux énoncés.
251
ce dernier et fait comme s’il avait eu, lui aussi, directement accès par perception, à
l’information.
Mais ce mécanisme marquant la certitude de l’information n’est pas le plus courant à
remplir la fonction de positionnement. La plupart du temps dans notre corpus, c’est le
passage du conditionnel au présent, ou la suppression du conditionnel de doute, qui permet
de rendre l’information certaine, comme dans l’exemple suivant :
150) - Texte source : Certains anciens chefs de guerre de l’Ituri, notamment Bosco Ntaganda et un certain Kakolele, l’auraient appuyé dans sa tentative de déstabilisation de la province. Il aurait bénéficié également de l’appui financier de certaines personnes. L’homme d’affaires katangais Katebe Katoto et l’ex-général de Mobutu, Kpama Baramoto, sont nommément cités. Il y a bien plus que cela, car des informations de plus en plus concordantes font état d’un complot bien planifié pour porter un coup dur au processus de transition. En effet, des rumeurs qui nous parviennent insistent sur une imminente attaque contre la ville de Goma par des éléments fidèles à Nkunda. Ils procèderont par deux axes : Kitchanga-Sake et Rutshuru-Goma. [Le Potentiel, 28 janvier 2006]
151) - Texte cible : Bien qu'il se soit aussi, un temps, allié au parti d'opposition UDPS pour contester le pouvoir de Joseph Kabila, le journal "Le Potentiel” le dénonçait en janvier 2006 comme un soutien financier de Laurent Nkunda et l'accusait, avec d'autres, de complot. "Des informations de plus en plus concordantes font état d'un complot planifié pour porter un coup dur au processus de transition” qui débuterait par "une imminente attaque contre la ville de Goma par des éléments fidèles à Nkunda”, affirmait alors le quotidien kinois. [La Libre Belgique, 15 décembre 2008]
Dans cet exemple, le texte source présente une information de manière incertaine en
montrant que celle-ci n’a pas pu être confirmée : le conditionnel journalistique (il aurait
bénéficié), mais aussi un nom mettant en évidence le doute (rumeurs) sont utilisés. Ces deux
mécanismes laissent entrevoir que l’information a été empruntée à un autre énonciateur,
que l’on dit enchâssant (Roulet et al., 2001). Cet énonciateur enchâssant n’est pas
identifiable avec précision dans le texte source, mais on comprend qu’il existe bel et bien si
on transforme la représentation du discours autre par la formule « selon X, il aurait
bénéficié… ». C’est cet énonciateur qui est responsable d’un positionnement négatif envers
les acteurs évoqués (Katebe Katoto, Kpama Baramato). Lorsque l’information est reprise par
La Libre Belgique, le doute émis par Le Potentiel disparaît. La Libre Belgique présente le
positionnement négatif envers les acteurs évoqués, mais elle fait comme si celui-ci émanait
du Potentiel, ce qui n’était pas le cas. On peut se demander pour quelles raisons La Libre
Belgique rend certaine l’information du Potentiel, alors que le journal émettait un doute vis-
à-vis de cette dernière. Nous pensons que La Libre Belgique fait remplir à cette
transformation une fonction de positionnement : en souhaitant s’opposer à l’acteur
représenté (Katebe Katoto), La Libre Belgique utilise le discours du Potentiel comme un
argument d’autorité (argument ayant reçu l’avis d’experts sur le sujet) pour montrer que ce
qu’elle dit est vrai. Si elle avait maintenu le doute du Potentiel vis-à-vis de l’information, il y
aurait eu peu de chances qu’elle convainque son lectorat. Donc, pour assurer l’efficacité de
252
son argumentation (la culpabilité de Katebe Katoto), elle représente le discours du Potentiel
en supprimant les doutes qu’il avait émis au départ. On voit donc que la suppression du
doute permet au journaliste cible de se positionner, ici en défaveur d’un acteur représenté,
mais aussi en faveur de l’énonciateur enchâssant le discours du journaliste source.
c) Interprétation des résultats : Le otentiel s’oppose aux
énonciateurs/acteurs représentés tandis que Le hare s’oppose aux
journalistes représentés
Le positionnement réalisé par les transformations des actes de parole via les marqueurs
épistémiques du doute et de la certitude est, la majorité du temps, un positionnement
négatif vis-à-vis de l’énonciateur représenté. Nous nous intéresserons, dans cette section,
aux liens interrelationnels et aux liens intertextuels pour interpréter les résultats obtenus
concernant le marquage épistémique du doute d’une part, et celui de la certitude d’autre
part.
Commençons donc à nous pencher sur les cas du doute. Le marquage du doute dans un
texte cible est toujours réalisé par le journaliste cible en vue de se positionner négativement
vis-à-vis du discours ou de l’énonciateur représenté. Comme nous l’avons déjà remarqué
avec d’autres résultats, le positionnement négatif se fait en général contre certains
énonciateurs représentés plutôt que d’autres, comme le montre la figure suivante :
[Figure 10 : positionnement négatif par le marquage du doute]
Le positionnement négatif via le marquage épistémique du doute se fait très souvent envers
Paul Kagamé. Considéré par les Congolais comme l’instigateur des conflits qui ont lieu en
RDC, le discours du président rwandais se voit sans cesse remis en question dans les
journaux congolais. De même, La Libre Belgique, qui nie la présence de soldats rwandais en
253
RDC, voit également son discours contré par les journaux congolais. C’est pour la même
raison que ces derniers doutent du discours du Soir. Les textes du Soir et de La Libre Belgique
qui s’opposent à cette présence rwandaise sont d’ailleurs systématiquement mis en relation.
Par ailleurs, le discours du Monde, qui reprend le discours de Nicolas Sarkozy, concernant le
partage des richesses congolaises avec le Rwanda, est également nié par les journalistes
cibles qui sont congolais. Selon eux, Nicolas Sarkozy est à l’origine d’un « plan », d’une
alliance secrète avec le Rwanda afin de mettre la main sur les richesses naturelles de la RDC.
Kä Mana quant à lui, tente de justifier certaines attitudes de Laurent Nkunda et de Paul
Kagamé. Il a aussi tendance à s’opposer au discours de Joseph Kabila. Raisons pour
lesquelles les journalistes cibles émettent des doutes sur la vérité de son discours.
Une autre chose qui frappe dans cette figure est que les journaux congolais semblent
émettre des doutes plus ou moins forts vis-à-vis de certains énonciateurs représentés plutôt
que d’autres: alors que Le Potentiel est le seul à douter du discours de Kagamé et de Kä
Mana, Le Phare doute majoritairement du discours de La Libre Belgique et du Soir. Par
ailleurs, tous deux doutent du discours de Nicolas Sarkozy, mais seul Le Potentiel doute de
celui du Monde. Ces observations mènent aux conclusions suivantes. D’abord, le journal Le
Potentiel, qui se décrit lui-même comme un journal du centre, ne semble pas le rester
lorsqu’il est confronté au discours de Paul Kagamé. On peut donc penser qu’il défend
effectivement l’opinion répandue selon laquelle Kagamé est à l’origine du conflit congolais.
Ensuite, Le Phare, qui se décrit comme un journal de l’opposition, c’est-à-dire défendant les
intérêts de la rébellion, semble en effet ne pas douter du discours de Kagamé : si Kagamé
soutient effectivement Laurent Nkunda, on s’attendrait à ce que Le Phare ne s’y oppose pas,
ce qui est ici confirmé. Cependant, le doute très fort que ce journal émet sur le discours de
La Libre Belgique et du Soir tend à contredire cette observation. En effet, les deux journaux
réfutent la présence rwandaise sur le sol congolais. En d’autres termes, ils réfutent que les
soldats rwandais puissent soutenir Laurent Nkunda et ses hommes. En doutant de ce
discours, les journalistes du Phare montrent donc qu’ils défendent le discours des autorités
congolaises qui, elles-mêmes, s’opposent aux Rwandais en les accusant de soutenir la
rébellion. De même, en doutant du discours du Monde et de Nicolas Sarkozy, qui soutient en
quelque sorte le Rwanda, les deux journaux congolais précités montrent également leur
désaccord avec le Rwanda. Enfin, L’Observateur, plus situé du côté du gouvernement
congolais, ne semble pas souvent prendre position via l’ajout des marqueurs épistémiques
de doute. On s’attendrait pourtant à ce qu’il s’oppose plus à Paul Kagamé que les autres
journaux congolais, puisqu’il est censé défendre les autorités congolaises. Toutes ces
observations nous conduisent à affirmer que les tendances politiques par lesquelles les
journaux se décrivent ne semblent pas être suivies lorsqu’on se penche sur les
transformations présentes entre les textes portant sur le conflit du Nord-Kivu en 2008. Le
fait que ces tendances divergent de celles observées laisse penser que le contexte
sociopolitique dans lequel les événements ont lieu, ainsi que l’appartenance nationale des
journaux étudiés, a une forte influence sur les résultats obtenus : des journaux congolais ne
254
peuvent à priori pas défendre tout le temps leurs opinions par rapport à un conflit qui a lieu
dans leur propre nation. Il est donc clair que la proximité des journaux avec les faits évoqués
influence la façon dont ils vont représenter les énonciateurs et leurs discours.
Par ailleurs, ce qui ressort aussi des résultats ci-dessus est le type d’énonciateurs
représentés touchés par les transformations de leur discours via le marquage épistémique
du doute : alors que Le Potentiel a tendance à se positionner contre des énonciateurs
représentés qui sont aussi des acteurs dans le conflit étudié (Paul Kagamé, Nicolas Sarkozy,
Kä Mana), Le Phare semble lui se positionner contre des journalistes/journaux représentés
(La Libre Belgique, Le Soir). On peut donc dire que Le Potentiel s’oppose à la représentation
du conflit par des acteurs, alors que Le Phare s’oppose à la représentation du conflit tel que
présenté par des journalistes.
Occupons-nous maintenant des cas où ce sont des marqueurs épistémiques de certitude
qui sont ajoutés dans les textes cibles. Avec ceux-ci, on s’attendrait à ce que les journalistes
cibles marquent leur accord avec les énonciateurs représentés. La majorité du temps
cependant, c’est pour marquer le désaccord que les journalistes cibles les utilisent : en
présentant le discours d’un énonciateur représenté de manière certaine, ils parviennent plus
facilement à le contrer. S’ils avaient présenté ce discours comme incertain, comme doutant
lui-même des faits, ils auraient eu nettement plus de difficultés à s’y opposer :
[Figure 11 : marquage épistémique de la certitude]
Comme dans quelques figures déjà examinées, Paul Kagamé est l’énonciateur dont le
discours est le plus souvent sujet à un positionnement. Lorsque ce positionnement est
réalisé via l’ajout de marqueurs de certitude, c’est tant un positionnement positif (accord)
qu’un positionnement négatif (désaccord) qui est observé. Dans le cas du positionnement
positif, le contenu informationnel du discours de Paul Kagamé porte sur la faiblesse de
255
l’armée congolaise. Les journalistes congolais des textes cibles admettent la véracité de ce
discours en le présentant comme certain : selon eux, comme pour Kagamé, l’armée
congolaise devrait parvenir à battre le CNDP, vu le nombre peu élevé de membres intégrés
dans ce groupe armé. Or, elle n’y parvient pas, ce qui pousse la population congolaise, et les
journalistes congolais, à lui reprocher d’être corrompue, mal organisée et faible. Dans le cas
du positionnement négatif en revanche, le contenu informationnel du discours de Kagamé
ne porte pas sur l’armée congolaise, mais sur les ethnies congolaises. Pour Kagamé, il est
probable que la diversité ethnique en RDC induise des conflits pour accéder au pouvoir.
Lorsque les journalistes congolais représentent ce discours, ils font disparaître le caractère
probable du discours de Kagamé le présentant comme certain. Cette certitude quant à la
responsabilité des ethnies dans les conflits qui secouent le Nord-Kivu leur permet alors de
contrer le discours de Kagamé. Ils affirment qu’il se trompe quand il prétend que ce sont les
ethnies qui causent ces conflits, puisque celles-ci ont toujours été présentes sur le sol
congolais, sans qu’il n’y ait pour autant eu de conflits.
Enfin, les deux derniers types de positionnement apparaissant dans la précédente figure
sont négatifs envers Kä Mana et Tribert Rujugiro. Le positionnement contre Kä Mana est,
comme nous l’avons vu, toujours réalisé car il essaye de justifier le comportement de
Laurent Nkunda. Pour ce faire, il explique les causes possibles de son combat et affirme qu’il
faut le considérer pour ses sentiments d’humanité, plutôt que pour sa barbarie. Pour
montrer qu’ils désapprouvent ce discours, les journalistes cibles présentent les explications
de Kä Mana non comme possibles, mais comme certaines. Ce faisant, il leur est alors facile
de montrer qu’il a tort. De même, pour s’opposer à Tribert Rujugiro, un prétendu conseiller
de Kagamé et soutien de Laurent Nkunda, les journalistes cibles font disparaître le doute qui
apparaissait dans le texte source sur le caractère incertain de ce soutien.
Il est aussi intéressant de se pencher sur les journaux cibles qui réalisent ces
transformations. Les résultats restent similaires à ceux observés pour le marquage
épistémique du doute : Le Potentiel est le journal qui se positionne le plus (80%) via la
modalité de la certitude et Le Phare le moins (20%). Mais, contrairement aux précédents
résultats, c’est uniquement Le Phare qui se positionne positivement vis-à-vis de Paul
Kagamé. Cela rejoint donc les tendances politiques qu’il dit suivre. Par contre, Le Potentiel
semble, lui, ne pas correspondre à ses tendances politiques puisqu’à chaque fois qu’on y
observe ce type de transformations, c’est lorsqu’il s’oppose à des énonciateurs dont le
discours est en faveur du Rwanda ou de Laurent Nkunda. On peut donc dire qu’avec ces
marqueurs, Le Potentiel semble se situer plus du côté du soutien au gouvernement congolais
qu’au centre.
256
3.3.2. Marquage épistémique de l’hypothèse touchant les actes de
parole représentés
a) Description du marquage épistémique de l’hypothèse
Le marquage de l’hypothèse est aussi un moyen pour le journaliste cible de mettre en
évidence son désaccord avec l’énonciateur du texte source : le journaliste cible représente
un acte de parole auquel il associe ensuite la modalité hypothétique pour montrer qu’il ne
croit pas en la vérité du discours représenté. Ce marquage de l’hypothèse relève de
l’inférence : le journaliste cible réalise une inférence hypothétique allant dans le sens
contraire de ce qui est affirmé dans le discours représenté. Prenons un exemple pour
éclaircir ce propos :
152) - Texte source : Vous rendrez vous cet automne à Kinshasa pour participer à la conférence sur la sécurité dans la région des Grands Lacs ? Non, je n’en ai pas l’intention. J’ai perdu l’appétit d’apporter ma contribution à ce processus, je vous l’assure, je n’en ai plus envie. Maintenant je regarde d’un autre côté et je ne bouge plus, sauf s’il vient frapper à ma porte, j’ai assez de gens ici qui suivent le Congo, l’envoyé spécial pour les Grands Lacs, notre ministre des affaires étrangères, d’autres encore. Moi, je ne veux plus m’en occuper, j’ai laissé tomber… [Le Soir, 06 septembre 2008]
153) - Texte cible : Tout dernièrement, dans une interview accordée au journal Le Soir, le président rwandais n’était plus chaud à demeurer au sein de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, en affirmant qu’il ne sera pas présent au IIIe sommet prévu en décembre 2008 à Kinshasa […]. En effet, si le Rwanda ne soutient pas le CNDP, il apporterait son appui à l’initiative de l’ONU, de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et à celle de la SADC. [Le Potentiel, 11 novembre 2008]
Dans cet exemple, le texte source est une interview entre Colette Braeckman et Paul
Kagamé. Lors de cette interview, Paul Kagamé dit ne pas vouloir assister à la conférence sur
la sécurité dans la région des Grands Lacs, car il en a assez et que d’autres personnes
peuvent le remplacer. Le texte cible représente le discours de Paul Kagamé et s’y oppose en
montrant qu’il n’aurait pas affirmé qu’il n’irait pas à cette conférence s’il ne soutenait pas le
CNDP. On voit donc ici que l’acte de parole produit par un énonciateur dans un texte source
est ensuite représenté dans un texte cible et expliqué via une hypothèse qui tend à le
démentir (hypothèse en ‘si’). L’acte de parole est alors transformé puisque le journaliste
cible n’en fait pas seulement sa représentation, mais il le contre via une hypothèse. En
d’autres termes, en ajoutant une modalité hypothétique à l’acte de parole représenté, le
journaliste cible transforme la perception qu’a le lecteur du discours initial, puisque ce
discours est représenté comme ayant des implications négatives : le soutien à un groupe
armé qui provoque des conflits en RDC.
257
b) Interprétation des résultats : l’hypothèse, une marque de désaccord
du Potentiel et du Phare avec Paul Kagamé/le Rwanda
Lorsque le marquage épistémique de l’hypothèse remplit la fonction de positionnement,
c’est toujours un positionnement négatif que nous observons dans nos textes. Ce
positionnement négatif va à l’encontre du discours de trois énonciateurs représentés, à
savoir Paul Kagamé, La Libre Belgique et Le Monde :
[Figure 12 : marquage épistémique de l’hypothèse]
À nouveau, Le Phare et Le Potentiel se positionnent négativement contre Kagamé, La Libre
Belgique et Le Monde. Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, Kagamé est
présumé soutenir Laurent Nkunda, raison pour laquelle on s’y oppose dans les textes cibles ;
La Libre Belgique réfute la présence rwandaise en RDC ; et Le Monde présente le discours de
Sarkozy, visant à partager les richesses congolaises entre RDC et Rwanda, de manière très
(voire trop) neutre pour les journalistes congolais. Par ailleurs, c’est Le Potentiel qui s’oppose
au président rwandais et au Monde, alors que Le Phare utilise le marquage de l’hypothèse
pour marquer son désaccord avec La Libre Belgique. On peut donc dire que les deux
journaux semblent fortement s’opposer au Rwanda et à Paul Kagamé. En effet, d’abord, de
manière directe, Le Potentiel contre le discours de Kagamé. Ensuite, de manière indirecte, en
s’opposant au discours de Sarkozy, il insinue que le président français soutient à tort
Kagamé. Par conséquent, c’est aussi contre Kagamé que ces oppositions sont dirigées. De
même Le Phare qui réfute le discours de La Libre Belgique sur l’absence de soldats rwandais
en RDC, est convaincu de leur présence et et de leur soutien à Nkunda, ce qu’il perçoit
négativement. Par conséquent, c’est bien à Paul Kagamé et au Rwanda (voire aux Rwandais)
que Le Potentiel et Le Phare s’opposent, ce qui contredit clairement leurs soi-disant
tendances politiques (respectivement du centre et de l’opposition).
258
Ce qui ressort des transformations par le marquage épistémique, que ce soit du doute, de
la certitude ou de l’hypothèse est que ce sont toujours des journaux congolais qui les
utilisent pour mettre en évidence la fausseté des discours des énonciateurs représentés.
Mais, bien que les journaux congolais de notre corpus soient au nombre de trois, seuls deux
d’entre eux emploient ces marqueurs pour se positionner: Le Phare et Le Potentiel. Ces deux
journaux, qui se disent respectivement suivre des tendances politiques « de l’opposition » et
« du centre », semblent pourtant tous deux s’opposer majoritairement uniquement à
certains énonciateurs représentés : à Paul Kagamé, considéré responsable des conflits
congolais, à Nicolas Sarkozy, jugé trop « pro-Rwanda » par les Congolais et à La Libre
Belgique, qui ne croit pas au soutien que le Rwanda fournit à Laurent Nkunda. Il est donc
clair que l’analyse des transformations remplissant la fonction de positionnement révèle le
point de vue sous-jacent des journaux sur le conflit étudié.
3.4. Transformation des actes de parole représentés, par l’a out ou
la suppression de leur explication
Dans le dernier exemple examiné, apparaissait une sorte d’explication de l’acte de parole
représenté : le journaliste cible expliquait la fausseté du discours représenté au moyen d’une
hypothèse. Mais les transformations des actes de parole représentés au moyen
d’explications n’apparaissent pas seulement sous cette forme. Ainsi, en ajoutant certains
types de propositions suivant l’acte de parole représenté (propositions de but, de cause,
etc.), ou en supprimant certains fragments du discours représenté qui visaient à le justifier,
le journaliste cible peut aussi transformer le discours source en vue se positionner pour ou
contre l’énonciateur représenté.
3.4.1. A out d’une explication au discours représenté
Le cas le plus fréquent repéré dans notre corpus consiste à ajouter une explication à l’acte
de parole représenté pour se positionner négativement à l’encontre d’un énonciateur
représenté. Tel est le cas dans l’exemple suivant :
154) - Texte source : je lui ai dit « Monsieur le Président, vous devez calmer vos extrémistes. Je ne sais pas si vous êtes extrémiste vous-même, mais vous utilisez cela pour servir vos objectifs politiques. [Le Soir, 06 septembre 2008]
155) - Texte cible : Des «extrémistes Congolais [sic]» ! L’expression est lâchée par Kagame. À l’école de Bush, il a appris que tous les peuples réclamant leur droit à l’autodétermination et à la gestion collective concertée de leurs ressources du sol et du sous-sol sont soit des «terroristes» ou «des extrémistes», nuisibles aux «intérêts vitaux» des maîtres du monde» et leurs collabos. [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Dans cet exemple, le journaliste cible reprend des termes utilisés par Paul Kagamé lors de
son interview au Soir (extrémistes congolais »). Il représente ceux-ci au moyen d’un discours
indirect (« l’expression est lâchée par Kagame). Après avoir représenté le discours de
259
Kagamé, le journaliste cible décide de l’expliquer en vue de s’y opposer. Cette explication
pourrait être remplacée par une proposition de cause : « c’est parce qu’il a appris à l’école
des Bush… qu’il lâche l’expression ‘extrémistes congolais’ ». En expliquant le discours
représenté, le journaliste cible le transforme : en effet, le lecteur de l’interview de Kagamé
au Soir se fait une certaine image du discours produit par Kagamé. Mais, en étant expliqué
par un autre journaliste, il va être transformé : l’image que le lecteur pouvait s’en faire est
déformée. En y adjoignant un jugement négatif qui passe par l’ironie : le journaliste cible
montre en effet combien il est ridicule de parler d’extrémisme ou de terrorisme pour des
personnes souhaitant gérer eux-mêmes leurs propres ressources naturelles. L’explication
remplit donc ici la fonction de positionnement.
3.4.2. Suppression de l’explication du discours représenté
Le second type de transformation réalisée via les explications est celui qui consiste à
supprimer une partie du discours représenté qui justifiait les propos tenus par l’énonciateur
représenté. Dans ces cas de figure, le contexte dans lequel apparaît le fragment laisse
supposer que ce dernier revêt une valeur explicative. Prenons un exemple :
156) - Texte source : La France met en avant trois axes principaux pour son nouvel effort diplomatique, qui doit avoir comme point d'orgue la tournée prévue en mars de M. Sarkozy en Afrique (RDC, Congo-Brazzaville, Niger). D'abord, lancer l'idée d'une coopération pacifique fondée sur des projets concrets, tels que l'exploitation en commun, par la RDC et le Rwanda, des ressources minières du Nord-Kivu, qui font l'objet de toutes les convoitises des protagonistes de la guerre. [Le Monde, 19 janvier 2009]
157) - Texte cible : Ainsi au lieu de rassembler les fameux génocidaires et de négocier leur retour au Rwanda, il suffirait, tout simplement, selon Paris, que les uns et les autres s’entendent sur le dos des Congolais, et qu’ils partagent avec ces derniers, non pas les richesses du Rwanda, mais bien celles de la RDC ainsi doublement punie d’avoir accueilli sur son territoire, au nom de la Communauté internationale, les présumés génocidaires. [Le Phare, 20 janvier 2009]
Dans le texte source, le discours de Nicolas Sarkozy (par métonymie, La France) est
représenté via un discours indirect (émet en avant trois axes principaux). L’énoncé qui suit le
discours indirect (D’abord,…) fait partie du discours représenté. Ce discours traite du souhait
émis par Sarkozy de régler les problèmes de la RDC, notamment en partageant avec le
Rwanda les richesses qu’elle possède. À la fin de cet énoncé, apparaît une proposition
relative (qui font l’objet de toutes les convoitises des protagonistes de la guerre). Cette
proposition relative revêt une valeur explicative. En effet, on pourrait transformer l’énoncé
en : « il y a la guerre, parce que les richesses congolaises sont convoitées et il faut donc
partager ces richesses en vue de régler les conflits congolais ». Lorsque le texte cible
représente le discours de Sarkozy, il supprime cette explication pour mieux se positionner
contre l’énonciateur représenté. S’il avait conservé ce segment explicatif, il aurait rencontré
plus de difficultés à se positionner contre le discours de Sarkozy. Ainsi, il lui aurait été
difficile de dire : « il suffirait, selon Paris que les uns et les autres s’entendent sur le dos des
260
Congolais et qu’ils partagent avec ces derniers, non pas les richesses du Rwanda, mais bien
celles de la RDC, car elles suscitent les convoitises des protagonistes de la guerre ». Cet
énoncé est quelque peu contradictoire parce qu’il serait logique de partager les richesses du
pays qui suscite la convoitise et non celles d’un autre pays. Pour s’opposer plus facilement
au discours d’un énonciateur représenté, le journaliste cible supprime l’explication présente
à l’intérieur de ce discours.
3.4.3. Interprétation des résultats : deux énonciateurs représentés
majoritairement touchés par les transformations des discours
représentés via l’explication : Kagamé et Sarkozy
Si nous examinons les résultats obtenus par l’examen des cas où l’explication du discours
représenté est ajoutée, nous constatons que le positionnement contre le discours de Paul
Kagamé est celui le plus souvent rencontré dans les textes cibles analysés. Dans la moitié des
cas d’ajout d’une explication, c’est Le Potentiel qui s’oppose au président rwandais, comme
le montre la figure suivante :
[Figure 13 : a out d’une explication au discours représenté]
Nous ne nous attarderons pas sur cette figure qui comporte de très grandes similarités avec
celles déjà présentées dans ce chapitre. Les seuls aspects que nous souhaitons souligner ici
sont le positionnement de L’Observateur vis-à-vis de Paul Kagamé et l’absence de
positionnement du Phare vis-à-vis de ce même énonciateur représenté. Contrairement aux
autres journaux congolais, L’Observateur est ici en accord avec Paul Kagamé. Cet accord
261
porte sur l’éventuelle disparition de Nkunda. Lors de son interview au Soir, Paul Kagamé a en
effet précisé que si Nkunda disparaissait, d’autres hommes prendraient son relais et les
combats continueraient. Ce discours de Paul Kagamé est généralement admis par les
journalistes congolais. Selon eux, le Rwanda est responsable des conflits, et il enverrait
d’autres hommes au combat si Nkunda disparaissait. Dans un sens donc, c’est un accord
pour montrer les torts de Kagamé, pour s’y opposer. Par ailleurs, dans notre corpus, Le
Phare n’utilise jamais l’ajout d’une explication pour s’opposer à Kagamé. Avec ce
mécanisme, ses tendances politiques sont à nouveau confortées, puisqu’il l’utilise pour
marquer son désaccord avec d’autres énonciateurs, mais non avec Paul Kagamé.
Par ailleurs, dans les cas où l’explication du discours représenté est supprimée, ce n’est
plus contre Paul Kagamé que le positionnement est dirigé. Le fait que Nicolas Sarkozy expose
très souvent les raisons de ses propos, qui ont été perçus très négativement par les
Congolais, justifie que le positionnement négatif via la suppression des explications soit
toujours réalisé contre lui. Le graphique suivant montre les pourcentages de
positionnements négatifs du Potentiel et du Phare envers Sarkozy :
[Figure 14 : suppression de l’explication des discours représentés]
Comme dans les précédents résultats, c’est à nouveau Le Potentiel qui s’oppose le plus au
discours de Nicolas Sarkozy. On peut donc déduire que ce journal n’est pas tant au centre
qu’il le prétend : il a tendance au contraire à se positionner contre des énonciateurs qui ne
défendent pas le pouvoir congolais.
262
3.5. Transformation des actes de parole représentés, par l’a out des
conséquences négatives de l’acte de parole
3.5.1. Description des types de conséquences impliquées par les
transformations
Le dernier type de transformations des actes de parole représentés qui remplit la fonction
de positionnement concerne les conséquences des actes de paroles et des discours
représentés. Dans ce dernier cas, le journaliste cible insiste sur ce que le discours représenté
va produire comme réaction de la part d’autres énonciateurs ou comme conséquences
réelles dans le monde.
Lorsque les conséquences du discours représenté correspondent à la réaction d’un autre
énonciateur, ou d’un autre acteur dans le conflit, le journaliste cible présente un aspect
négatif impliqué par cette réaction. En d’autres termes, ce n’est pas l’autre énonciateur ou
acteur qui réagit nécessairement négativement au discours représenté, mais sa réaction est
présentée par le journaliste comme ayant des implications négatives. Prenons un exemple
pour éclaircir ce propos :
158) - Texte source : La Libre Belgique, 15/10/2008, bladzijde 16 : Kinshasa accuse Kigali d'intervention [La Libre Belgique, 15 octobre 2008]
159) - Texte cible : « La Libre » du 15/10/2008 a publié un article de MF Cros, intitulé « Kinshasa accuse Kigali d'intervention » qui est d'une telle partialité que Mr. Omar Basile Diatezwa, porte-parole du CNDP s'est mis à en assurer la diffusion sur Internet. [Le Phare, 12 novembre 2008]
En (159), le texte cible représente le discours produit par La Libre Belgique au moyen d’un
discours narrativisé (La Libre a publié un article). À ce discours est associé un positionnement
négatif du journaliste cible (est d’une telle partialité) auquel une conséquence, une réaction,
est rattachée (que Mr. Omar Basile Diatezwa, porte-parole du CNDP s’est mis à en assurer la
diffusion sur Internet) Cette réaction de la part du porte-parole du CNDP (la diffusion de
l’article) n’est pas en soi quelque chose de négatif. Cependant, le contexte dans lequel est
publié le texte cible permet de comprendre les implications négatives de cette réaction : le
texte cible provient d’un journal congolais et est publié dans un contexte de conflits
engendrés par le CNDP. Vu que le CNDP est jugé responsable des conflits, on en déduit
également que le journal cible, congolais, défend peu probablement les actions et le
discours du CNDP. Par conséquent, la diffusion de l’article par le CNDP implique la diffusion
d’un discours non admis par le journaliste cible. En d’autres termes, en représentant un
discours de manière négative et en y associant des conséquences, le journaliste cible montre
son désaccord avec la réaction d’un autre énonciateur ou d’un autre acteur. Ce n’est donc
pas cet autre énonciateur ou acteur qui s’oppose à l’énonciateur représenté, mais bien le
journaliste qui montre son opposition aux deux énonciateurs via l’ajout de conséquences.
263
Dans certains cas, c’est la réaction d’un énonciateur représenté vis-à-vis d’un autre
énonciateur représenté qui est observée. Le premier discours représenté va susciter un
autre discours représenté qui s’y oppose, comme dans l’exemple suivant :
160) - Texte source : les propositions de Nicolas Sarkozy ; son plan [Vœux du corps diplomatique, 16 janvier 2009]
161) - Texte cible : Réagissant aux déclarations du président Sarkozy, le sénateur Henri-Thomas Lokondo s’exprime en ces termes : « Au-delà de l’indignation générale, à juste titre, de l’opinion nationale sur cette déclaration, le président Sarkozy a enfoncé là une porte qui est déjà ouverte. [Le Potentiel, 21 janvier 2009]
Dans cet exemple, le journaliste cible présente la réaction d’Henri-Thomas Lokondo au
discours de Nicolas Sarkozy. Cet énonciateur s’oppose au discours de Nicolas Sarkozy,
opposition partagée par plusieurs énonciateurs (indignation générale). En mettant en
évidence l’opposition d’autres énonciateurs représentés vis-à-vis d’un certain discours
représenté, le journaliste cible peut vouloir montrer qu’il est également en désaccord avec le
premier énonciateur représenté, à savoir ici Nicolas Sarkozy.
Mais, très souvent, ce ne sont pas les réactions d’autres énonciateurs représentés qui
apparaissent dans le texte cible, mais les conséquences réelles qui ont lieu dans le monde :
le journaliste cible montre alors l’impact du discours représenté sur la situation
environnante, comme dans l’exemple suivant :
162) - Texte source : Vous rendrez-vous cet automne à Kinshasa pour participer à la conférence sur la sécurité dans la région des Grands Lacs ? Non, je n’en ai pas l’intention. J’ai perdu l’appétit d’apporter ma contribution à ce processus, je vous l’assure, je n’en ai plus envie. Maintenant je regarde d’un autre côté et je ne bouge plus, sauf s’il vient frapper à ma porte, j’ai assez de gens ici qui suivent le Congo, l’envoyé spécial pour les Grands Lacs, notre ministre des affaires étrangères, d’autres encore. Moi, je ne veux plus m’en occuper, j’ai laissé tomber… [Le Soir, 06 septembre 2008]
163) - Texte cible : Toutefois, la coïncidence des faits qui ont précédé l’éclatement de cette guerre avait suscité un climat d’incertitude. Notamment l’interview du président rwandais accordée au Journal Le Soir paraissant en Belgique. Dans cette interview, le président rwandais avait clairement déclaré qu’il n’assistera pas au IIIe sommet de Kinshasa et qu’en plus, il n’y croyait plus en la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs. Comme s’il s’agissait d’un « feu vert », cette interview avait été suivie immédiatement de la reprise des hostilités au Kivu [Le Potentiel, 13 décembre 2008]
Dans cet exemple, Paul Kagamé produit un discours lors d’une interview au Soir, interview
publiée dans le texte source. Lors de cette interview, Paul Kagamé dit qu’il n’ira pas à une
conférence sur la sécurité de la région des Grands Lacs. Lorsque ce propos est représenté
dans le texte cible du Potentiel, au moyen d’un discours indirect (déclaré que), le journaliste
cible y associe des conséquences (la reprise des hostilités). En ajoutant des conséquences
négatives au discours représenté, le journaliste cible transforme la perception originale que
l’on pouvait se faire de ce discours : le discours n’est plus compris de manière littérale, mais
264
au regard des conséquences qu’il produit dans le monde. Cette mise en évidence de
conséquences négatives permet alors au journaliste cible de montrer à quel point le discours
représenté doit être perçu négativement, tout comme doit l’être l’énonciateur qui l’a
produit.
3.5.2. Interprétation des résultats : l’opposition au discours pro-
rwandais, un mécanisme propre au Phare et au Potentiel
Le désaccord du journaliste cible avec l’énonciateur représenté via l’ajout de conséquences
négatives apparaît à nouveau dans des textes cibles provenant de deux journaux en
particulier : Le Phare et Le Potentiel. Comme pour les précédents résultats concernant la
transformation des actes de parole représentés, ce sont toujours les mêmes énonciateurs
qui sont touchés par ce genre de transformations, comme le montre la figure suivante :
[Figure 15 : conséquences négatives de l’acte de parole représenté]
Ce que l’on constate, c’est que le discours de Paul Kagamé est très souvent interprété par les
journalistes des deux journaux congolais comme ayant des conséquences négatives : en
défendant Laurent Nkunda, en accusant Joseph Kabila et en refusant de mener à bien les
conférences sur la sécurité des Grands Lacs, Paul Kagamé est perçu comme responsable de
la poursuite des combats en RDC. Son discours est en outre sans cesse mis en relation avec
une disparition temporaire de Laurent Nkunda en 2008. Selon ces journalistes, les propos
tenus par le président rwandais sur le maintien des hostilités au cas où Nkunda disparaissait,
ont été directement suivis d’une disparition du général et de la reprise des hostilités. Ce qui
prouve, selon eux, que ce discours n’était pas anodin et avait pour but de prolonger les
conflits.
265
Outre le positionnement contre Paul Kagamé, c’est aussi un positionnement contre les
énonciateurs représentés « habituels » que l’on observe dans cette figure : tant Nicolas
Sarkozy que Le Monde, mais aussi Kä Mana et La Libre Belgique tiennent un discours qui est
interprété négativement eu égard à ses conséquences. En proposant un projet visant à
partager les richesses congolaises avec le Rwanda, Sarkozy s’attire la foudre des journalistes
congolais qui présentent à leurs lecteurs toutes les conséquences désastreuses que pourrait
amener un tel projet s’il aboutissait. De la même manière, la « sympathie » de Kä Mana pour
Nkunda, ou en d’autres termes, le désir de Kä Mana de vouloir « ré-humaniser » Nkunda
poussent les Congolais à déclarer qu’un tel geste serait négatif s’il arrivait. Enfin, le discours
tenu par La Libre Belgique visant à réfuter les preuves qu’avancent les autorités congolaises
de la présence rwandaise en RDC apparaît aux Congolais comme ayant des conséquences
négatives : le démenti du soutien rwandais au CNDP, démenti conduisant à focaliser les
combats contre un ennemi en fait peu dangereux (Nkunda).
4. Transformations concernant la forme du discours représenté
Les transformations qui touchent les actes de parole et les messages représentés sont celles
qui apparaissent le plus souvent dans notre corpus lorsqu’elles remplissent la fonction de
positionnement. Mais les transformations remplissant cette fonction peuvent aussi toucher
aux formes de représentation du discours autre : le journaliste cible décide de changer la
forme de représentation du discours autre (ou de transformer le discours produit en une
certaine forme de représentation du discours autre) en vue de se positionner, positivement
ou négativement, vis-à-vis de l’énonciateur qu’il représente, de son discours ou de la
situation que cet énonciateur décrit.
Dans cette section, nous présenterons les types rencontrés de transformations qui
concernent les formes de discours autre. En premier lieu, nous examinerons les cas où le
journaliste cible ajoute ou supprime un discours représenté ou une modalisation en vue de
se positionner. Ensuite, nous montrerons que le passage d’un discours produit dans un texte
source à un discours représenté dans un texte cible n’est pas seulement utilisé pour
transmettre aux lecteurs le discours d’un énonciateur. Il permet aussi au journaliste cible de
se positionner, le plus souvent négativement, vis-à-vis d’un énonciateur ou de son discours.
Enfin, nous expliquerons que le changement d’une forme de représentation du discours
autre en une autre peut remplir la fonction de positionnement.
266
4.1. Ajout ou suppression d’une représentation dévoilée du
discours autre
4.1.1. A out d’une représentation dévoilée du discours autre
L’ajout d’une forme de représentation dévoilée du discours autre peut remplir la fonction de
positionnement : le journaliste cible ajoute alors un discours représenté ou une modalisation
pour montrer un accord ou un désaccord. Ceux-ci peuvent être ceux du journaliste cible vis-
à-vis d’un énonciateur représenté, ceux d’un énonciateur représenté vis-à-vis d’un autre
énonciateur ou vis-à-vis d’une situation. Dans ce dernier cas, le journaliste cible représente
le discours d’un énonciateur pour montrer qu’une situation doit être perçue positivement ou
négativement par les lecteurs.
Dans le premier des cas dont nous venons de parler, le journaliste cible se positionne vis-
à-vis d’un énonciateur représenté ou de son discours :
164) - Texte source : Les objets saisis par l'armée congolaise sont : des AK47 et munitions ad hoc – mais l'armée congolaise et les autres armées de la région utilisent les mêmes ; un sac à dos militaire rwandais – qui peut s'acheter sur le marché de Goma ; de l'argent rwandais – qui peut arriver dans les poches de tout le monde, les Kivutiens achetant de nombreux vivres au Rwanda voisin. [La Libre Belgique, 15 octobre 2008]
165) - Texte cible : Une première partie de l'article consiste en un « examen critique » de photos d'objets (armes, argent, carte), saisis par les FARDC au camp militaire de Rumangabo. Soit dit en passant, ledit camp avait été, d'après le CNDP, pris par ses combattants sans aucune présence rwandais. [Le Phare, 12 novembre 2008]
Dans le texte source, un discours est produit par La Libre Belgique. Ce discours tente de
contredire l’affirmation selon laquelle des soldats rwandais seraient présents sur le sol
congolais pour aider les troupes de Laurent Nkunda à combattre l’armée congolaise. Pour ce
faire, La Libre Belgique réfute les preuves qui étaient avancées par les autorités congolaises,
à savoir des armes, un sac à dos et de l’argent rwandais trouvés sur les lieux. Lorsque Le
Phare représente ce discours au moyen d’un discours indirect (un examen critique de photos
d’objets), il ne fait pas seulement le représenter, mais il y associe un autre discours qui
n’était pas présent dans le texte source : le discours du CNDP. Ce dernier apparaît dans le
texte cible au moyen d’une modalisation (« d’après le CNDP »). Cette modalisation est
ajoutée par le journaliste cible uniquement dans le but de se positionner contre les dires
avancés par le journaliste source. Notons que dans de tels cas de figure, lorsqu’une
représentation dévoilée du discours autre est ajoutée par un journaliste cible pour se
positionner par rapport à un énonciateur représenté ou son discours, on se situe du côté de
la mise en relation de plusieurs actes de parole (voir point 3.2).
Mais il est également possible de rencontrer des cas où c’est le positionnement de
l’énonciateur représenté vis-à-vis d’un autre énonciateur représenté, d’un acteur ou d’une
267
situation qui est mis en avant par l’ajout d’une représentation dévoilée du discours autre.
Dans ces cas de figure, c’est généralement pour insister sur un aspect plus positif ou plus
négatif de l’information apparaissant dans un texte source. Prenons un exemple :
166) - Texte source : Les manifestants protestent contre l'incapacité des 18.000 soldats de la Mission des Nations unies au Congo présents de protéger la population d'une attaque rebelle qui s'est produite à seulement 40km au nord de la ville. [La Libre Belgique, 27 octobre 2008]
167) - Texte cible : Les manifestants ont protesté contre l’incapacité des 18 000 soldats de la MONUC présents de protéger la population d’une attaque rebelle qui s’est produite à seulement 40km au nord de la ville. La population accuse souvent la MONUC de laxisme envers le CNDP et le Rwanda, soutien de Nkunda. « Il est indigne de constater que la MONUC, qui reçoit chaque année un milliard de dollars n’arrive pas s’assumer et laisse Nkunda et ses hommes violer impunément les Accords de Goma. [L’Observateur, 28 octobre 2008]
Dans cet exemple, le texte de La Libre Belgique représente le discours de la population
congolaise qui manifeste contre la MONUC, car celle-ci ne la protège pas assez. Le texte de
L’Observateur copie presque intégralement le contenu informationnel relaté par La Libre
Belgique et ne modifie que très peu de détails. Cependant, après ce contenu informationnel,
L’Observateur ajoute deux autres énoncés qui correspondent à des discours représentés : un
discours indirect (La population accuse souvent de laxisme…) et un discours direct (Il est
indigne…). Ces deux discours représentés correspondent à l’image négative que se fait la
population congolaise de la MONUC. En ajoutant ces discours, L’Observateur rend
nettement plus manifeste les torts de la MONUC, et présente l’information plus
négativement que dans le texte source. En effet, la MONUC est censée protéger la
population civile congolaise des combats qui ont lieu en RDC. En ajoutant des discours
représentés qui s’opposent à elle, L’Observateur montre à quel point la population n’est pas
protégée et, par voie de conséquence, renvoie une image négative de la MONUC. Notons
que cet exemple est un cas tout à fait intéressant pour deux raisons : non seulement l’ajout
de représentations dévoilées du discours autre permet de montrer le positionnement
négatif d’un énonciateur représenté (la population civile) vis-à-vis d’un acteur (la MONUC),
mais il permet aussi au journaliste cible de faire passer sa propre opinion sur les faits.
D’abord, parce que le discours direct n’est pas attribué à un énonciateur. L’ordre des
énoncés laisse penser que ce serait un civil qui aurait tenu les propos représentés.
Cependant, ce mécanisme est très souvent utilisé dans les médias, mais aussi dans les
magazines109, etc. pour feindre un discours direct alors qu’en réalité il s’agit du discours de
109 Voir l’étude faite par Florence Rio (2009) sur la pratique des citations dans les médias.
268
l’énonciateur premier. Selon nous, étant donné l’identité, presque totale, entre le texte de
La Libre Belgique et celui de L’Observateur, il est plus que probable que cet ajout de discours
représentés soit en fait un ajout du point de vue de L’Observateur. Ensuite, dans le discours
indirect, le journaliste cible amène également son opinion sur le lien existant entre le
Rwanda et le CNDP, lien qui, comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, a toujours
été démenti par les autorités rwandaises. Par conséquent, l’ajout de discours représentés
permet au journaliste cible de se positionner contre des acteurs représentés : en simulant
que ces discours ont été produits par certains énonciateurs, le journaliste cible fait en fait
passer sa propre opinion.
Les exemples présentés dans cette section montrent donc que l’ajout d’une
représentation dévoilée du discours autre dans un texte cible peut servir au journaliste cible
à se positionner vis-à-vis d’un énonciateur ou de son discours, d’un acteur ou d’une
situation. De même, ces ajouts peuvent également montrer le positionnement d’un
énonciateur représenté vis-à-vis de ces quatre éléments. Mais la monstration de ces
positionnements remplit toujours, au final, la mise en évidence d’une information plus
positive ou plus négative que celle qui était présentée dans un texte source.
4.1.2. Suppression d’une représentation dévoilée du discours autre
Une autre manière de marquer le positionnement du journaliste cible ou de l’énonciateur
représenté consiste à supprimer une représentation dévoilée du discours autre. Ce
mécanisme est similaire à celui que nous venons de présenter : en supprimant un discours
représenté ou une modalisation, le journaliste cible rend plus positive ou plus négative
l’information relatée dans un texte source :
168) - Texte source : La nuit, les patrouilles se poursuivent avec l’aide de la police congolaise. Mais selon la mission onusienne, il faut plus d’effectifs pour arriver à sécuriser Goma. "En ville nous n’avons que 800 casques bleus, mais nous sommes en train de renforcer l’effectif avec des troupes venant d’autres provinces", précise Alain Le Roy, Secrétaire Général adjoint de l’ONU en charge des opérations de maintien de la paix. [Le Phare, 10 novembre 2008]
169) - Texte cible : La nuit, les patrouilles se poursuivent avec l'aide de la police congolaise. [La Libre Belgique, 14 novembre 2008]
Comme on le constate dans cet exemple, une modalisation (Mais selon la mission onusienne,
…) et un discours direct (« … », précise Alain Le Roy) présents dans le texte source du Phare
disparaissent dans le texte cible de La Libre Belgique. On pourrait penser que la suppression
de tels discours peut être expliquée par certains facteurs : le genre textuel pourrait ainsi
expliquer la suppression d’information en raison du passage d’un article à une brève par
exemple. Cependant, dans le cas que nous analysons, la fonction remplie par la suppression
n’est pas la condensation (chapitres V et VII). En effet, d’abord, les deux textes
appartiennent au même genre textuel, à savoir l’article-reportage. Ensuite, ils sont presque
totalement identiques. Ce que l’on observe en fait, est que le discours qui est supprimé dans
269
La Libre Belgique est un discours qui rendait l’information plus négative : en ne conservant
que le premier énoncé, à savoir la présence de patrouilles dans les villes congolaises, La Libre
Belgique fait comme si la population congolaise était sécurisée. Par la suppression d’une
représentation dévoilée du discours autre, le journaliste cible rend l’information plus
positive.
Il est également possible d’observer des cas où c’est tant le côté positif/négatif que
l’opinion d’un énonciateur représenté qui est supprimé :
170) - Texte source : Des dizaines de personnes se sont massées à la barrière qui fait office de frontière entre les deux villes : « Nous attendons de voir le général déchu répondre de ses actes devant les juridictions compétentes », affirment-ils. Beaucoup de Congolais, cependant, reste [sic] dubitatifs, affirmant que le chef du Cndp doit être extradé vers la RDC. « Je ne serai convaincu que lorsque le Rwanda l’aura mis à la disposition de la RDC », déclare un cambiste. L’inquiétude, en effet n’a pas disparu, notamment envers la présence de l’armée rwandaise en territoire congolais. [Infosud, 24 janvier 2009]
171) - Texte cible : Des dizaines de personnes se sont massées à la barrière qui fait office de frontière entre les deux villes : « Nous attendons de voir le général déchu répondre de ses actes devant les juridictions compétentes », affirment-elles. L’inquiétude n’a toutefois pas disparu, notamment envers la présence de l’armée rwandaise sur le sol congolais. [Le Soir, 25 janvier 2009]
Le texte source, publié par Infosud, présente une information relative à l’arrestation de
Nkunda en janvier 2009. Pour ce faire, il représente plusieurs discours de la population
civile : le premier, un discours direct en incise finale (affirment-ils) montre le sentiment
positif de la population civile vis-à-vis de l’arrestation de Nkunda : s’ils attendent que ce
dernier soit jugé, cela signifie qu’ils croient en son arrestation et en la fin des combats. Cette
partie de l’information est également présentée aux lecteurs du texte cible publié par Le
Soir. Cependant, une autre partie, constituée par plusieurs autres discours représentés,
disparaît : deux discours indirects (restent dubitatifs ; affirmant que) et un discours direct
(’ … ‘, déclare un cambiste). Ces discours montrent que la population congolaise n’est pas
certaine de la suite du déroulement des événements et doute encore de l’arrestation de
Nkunda. En supprimant ces discours, Le Soir rend l’information nettement plus positive aux
yeux du lecteur et fait disparaître les doutes des énonciateurs représentés.
4.1.3. Interprétation des résultats : une information plus négative en
R qu’en Europe
L’ajout ou la suppression de formes de représentation dévoilée du discours autre est un
mécanisme qui, contrairement aux résultats précédemment examinés, permet le
positionnement du journaliste cible vis-à-vis d’autres énonciateurs que ceux qui étaient
touchés par les transformations des caractéristiques décrivant les énonciateurs ou des actes
de parole représentés. Comme le montre la figure suivante, trois nouveaux
270
énonciateurs/discours représentés sont visés par le positionnement des journalistes cibles :
Nkunda, la MONUC et un discours sur l’envoi de troupes européennes.
[Figure 16 : ajout/suppression de la représentation dévoilée]
Avant d’expliquer les nouveaux discours touchés par le positionnement, intéressons-nous à
ceux que nous avons déjà rencontrés dans les résultats précédents. Dans ces derniers, le
discours de Nicolas Sarkozy était contré, parce qu’il proposait un plan de partage des
richesses congolaises entre la RDC et le Rwanda. Celui de La Libre Belgique se voyait réfuter
par les journalistes congolais qui n’acceptaient pas qu’elle contredise la présence rwandaise
en RDC. C’est pour ces mêmes raisons que l’ajout ou la suppression de formes de
représentation dévoilée sont utilisés ici. Cependant, l’ajout ou la suppression de formes de
représentation dévoilée permet, outre le positionnement, de rendre l’information plus
négative aux yeux du lecteur. Ainsi, les journalistes transformant les textes de La Libre
Belgique sont des journalistes du Phare. Les ajouts ou suppressions de formes de
représentation dévoilée leur permettent de s’opposer au discours de La Libre Belgique selon
lequel les soldats rwandais ne sont pas présents en RDC. En s’opposant à ce discours, Le
Phare affirme le contraire et ses lecteurs imaginent donc que le Rwanda soutient
effectivement le CNDP. L’événement, le conflit, est perçu plus négativement : si le Rwanda
soutient effectivement le CNDP, les FARDC, combattant le CNDP, sont moins aptes à arrêter
les conflits. De même, en montrant les torts de Sarkozy suite à ses propositions de partage
des richesses congolaises, les journalistes cibles, qui publient dans Le Phare, présentent la
dangerosité de telles propositions et rendent alors l’information plus négative qu’elle ne
l’était lorsqu’elle était « simplement » transmise par les journalistes sources du Monde.
C’est le même fonctionnement qui est à l’œuvre lorsque des formes de représentation
dévoilée du discours des autres énonciateurs présents dans la figure (16) sont ajoutées ou
supprimées. D’une part, l’ajout ou la suppression de formes de représentation dévoilée rend
271
plus positive l’information dans des textes cibles européens. D’abord, un positionnement vis-
à-vis du Phare est émis par La Libre Belgique : en supprimant des discours représentés, La
Libre Belgique rend plus positive l’information relatée par Le Phare. En effet, ces discours
portent sur la difficulté d’arrêter les conflits et sur les méfaits commis par Laurent Nkunda.
En les supprimant, La Libre Belgique ne montre pas à quel point les conflits congolais
inquiètent les journalistes congolais. De même, le positionnement positif vis-à-vis de Nkunda
est réalisé par Le Soir, qui supprime des discours représentés émanant de la population
congolaise et visant à s’opposer à Laurent Nkunda. En les supprimant, Le Soir évite de
présenter aux lecteurs les dires négatifs concernant Laurent Nkunda et amène dès lors une
information nettement plus positive que celle apparaissant dans InfoSud. Enfin, le
positionnement négatif observé vis-à-vis de Kabila est celui de Nkunda dans L’Observateur.
Ce dernier supprime les oppositions de Nkunda à Kabila présentes au départ dans Le Soir.
Ainsi, dans Le Soir, Nkunda était présenté comme un réfractaire aux accords de paix ou à une
éventuelle intégration dans l’armée nationale congolaise. Lorsque L’Observateur reprend
l’information au Soir, il évite de transmettre ces oppositions aux lecteurs, présentant
Nkunda comme un défenseur de l’ethnie tutsie, ce qui rend l’information nettement plus
positive, voire plus « neutre » (puisque c’est Nkunda lui-même qui se présente comme tel).
D’autre part, dans certains cas, c’est pour transmettre une information plus négative que
l’ajout ou la suppression de formes de représentation dévoilée du discours autre sont
utilisés. Ce sont en particulier les textes cibles provenant de journaux congolais qui utilisent
ce mécanisme. Ainsi, le positionnement positif vis-à-vis du discours de Sarkozy est celui d’un
journaliste du Monde apparaissant dans Le Potentiel. Ce dernier montre que Le Monde est
en accord avec Sarkozy. Cette mise en évidence de l’accord sert uniquement au journaliste
du Potentiel à souligner les torts du Monde et de Sarkozy. De ce fait, l’information qui paraît
dans Le Potentiel est plus négative que celle qui apparaissait dans Le Monde. Dans ce
dernier, le journaliste présentait « simplement » le discours de Sarkozy sans émettre de
jugement vis-à-vis de celui-ci. Lorsque Le Potentiel reprend l’information au Monde, il ajoute
des formes de représentation dévoilée du discours autre, qui lui permettent d’insister sur les
implications négatives du discours de Sarkozy. Par ailleurs, en représentant le
mécontentement de la population civile vis-à-vis de la MONUC, L’Observateur renvoie une
image plus négative de la MONUC que celle présente dans les journaux belges. C’est le
même fonctionnement qui est à l’œuvre lorsque les journaux congolais L’Observateur et Le
Potentiel ajoutent ou suppriment des formes de discours de (ou concernant) Laurent
Nkunda présents dans des textes européens. Dans L’Observateur, le journaliste cible ajoute
des discours représentés dont les énonciateurs s’opposent clairement à Nkunda, jugé
responsable de la guerre. Dans le cas du Potentiel, tant l’ajout que la suppression de formes
de représentation dévoilée sont observés. Lorsqu’il s’agit d’ajouts, on observe des discours
représentés servant à démentir les propos de Nkunda selon lesquels l’Angola soutiendrait les
FARDC. En les transmettant, Le Potentiel s’oppose aux dires de Nkunda. Il insiste sur la
fausseté du discours de Nkunda qui apparaissait dans Le Monde. Ce dernier prenait en effet
272
le discours de Nkunda à la lettre, sans l’interroger. Par ailleurs, en supprimant des discours
où Nkunda explique qu’il était auparavant supérieur à Kabila, Le Potentiel empêche le
lecteur d’avoir accès aux justifications de Nkunda : l’image négative qui est véhiculée de
Nkunda est donc maintenue par cette suppression.
Enfin, il convient de mentionner à part le cas où c’est l’envoi de troupes européennes en
RDC qui correspond au discours vis-à-vis duquel un positionnement est observé. Dans ce cas-
là, c’est toujours L’Observateur qui ajoute ou supprime des formes de représentation
dévoilée du discours autre provenant de textes publiés en Belgique (Le Soir, La Libre
Belgique). Ici, ce n’est pas pour rendre une information plus positive ou plus négative que
ces discours sont représentés, mais pour rendre une information plus objective : en
présentant aux lecteurs les accords ou les désaccords des politiciens européens quant à
l’envoi d’une force européenne en RDC, L’Observateur donne tous les éléments
d’information aux lecteurs pour qu’ils se fassent leur propre opinion des événements en
cours. En d’autres termes, le positionnement observé est celui des politiciens européens vis-
à-vis d’une idée (l’envoi de troupes en RDC). En présentant ce positionnement,
L’Observateur montre les « pour » et les « contre » concernant cette idée et laisse le lecteur
juger lui-même des faits. Contrairement aux journaux belges, L’Observateur détaille ces
discours et opinions, qui n’apparaissent que de manière très vague dans les textes belges.
Les textes congolais ont donc tendance à transformer les formes de représentation
dévoilée du discours autre (ajout/suppression) en vue de transmettre une information plus
négative, plus pessimiste, que celle publiée dans les textes européens. Inversement, lorsque
l’information est transformée dans des textes cibles européens, à partir de textes congolais,
l’information paraît moins grave. On peut donc penser que la proximité des journalistes avec
le conflit congolais influence clairement leur perception et leur transmission comme
information médiatique : les journalistes congolais prennent fortement position contre les
affirmations de fin de guerre, contre les discours de Nkunda, contre la prétendue volonté de
la MONUC de protéger correctement les civils, ou contre les réfutations du soutien rwandais
au CNDP. Les journalistes européens quant à eux, semblent soutenir les propositions visant à
partager les richesses congolaises, semblent défendre la MONUC ou penser que le conflit
prendra bientôt fin. Ce ne sont donc pas les tendances politiques défendues par les journaux
qui semblent dicter l’image qu’ils transmettent de la réalité, mais plutôt la distance spatiale
(éloignement/proximité) qui les sépare des événements relatés.
4.2. Passage du discours produit à une représentation dévoilée du
discours autre
Le passage du discours produit dans un texte source à un discours représenté ou à une
modalisation dans un texte cible est un cas que nous avons fréquemment rencontré lorsque
les liens entre les textes ont été explicitement établis: un énonciateur produit un discours
273
dans un texte source et ce dernier est ensuite représenté de manière dévoilée dans un texte
cible. On pourrait se demander en quoi l’examen du passage du discours produit à la
représentation dévoilée du discours autre concerne les transformations. Ce qui nous
intéresse en fait ici est que la représentation du discours autre conduit le lecteur à percevoir
le discours produit dans un texte source d’une autre manière que l’énonciateur de ce
discours ne le transmettait. En l’occurrence, la représentation dévoilée du discours autre
permet entre autres, de faire passer l’opinion du journaliste cible vis-à-vis du discours qu’il
représente. Pour comprendre ce propos, nous présenterons dans cette section les
transformations réalisées par le passage du discours produit au discours représenté, à la
modalisation en discours second et à la modalisation autonymique.
4.2.1. Par discours représenté
L’usage du discours représenté dans un texte cible par rapport au discours produit dans un
texte source peut remplir diverses fonctions : la transmission d’une parole, la crédibilité de
l’information, la distance vis-à-vis d’une information non confirmée sont parmi les raisons
qui poussent les journalistes cibles à utiliser des discours représentés dans leurs textes.
Quand ces discours représentés apparaissent dans un texte pour permettre au journaliste
cible de montrer qu’il est en accord ou en désaccord avec l’énonciateur représenté, la
fonction remplie par la représentation est celle de positionnement. On parle
traditionnellement de fonction d’autorité. Cette fonction consiste à représenter un discours
pour montrer qu’on est ou non d’accord avec lui ou pour appuyer ses propres arguments,
comme dans l’exemple suivant :
172) - Texte source : Imaginons que Nkunda disparaisse, au combat ou de mort naturelle, vous croirez alors avoir résolu le problème, mais ce ne sera pas le cas, vous pourrez être confronté à un autre opposant. [Le Soir, 06 septembre 2008]
173) - Texte cible : Je donne ma plume à casser que la personne qui a invité les Congolais à se ranger derrière elle pour libérer tout le territoire du Congo n'est pas Nkunda. C'est un officier rwandais dont curieusement la voix ressemble à celle du rebelle-pasteur. D'ailleurs, peu de personnes avaient fait attention à cette voix pour la différencier avec celle de Nkundabatware, qui se trouvait en ce moment entre la vie et la mort au Kenya. Pour nous en convaincre, il importe de nous rappeler les propos que le président rwandais, Paul Kagame, soutien financier et matériel de Nkundabatware, avait tenus fin août, dans une interview au Soir, pour montrer l'insinuation que ces propos cachaient mal sur le sort physique de Nkunda. "Même si, pour une raison ou pour une autre, Laurent Nkunda venait à disparaître, le problème du Nord-Kivu ne serait pas résolu pour autant... ", avait-il déclaré. Le président rwandais savait ce qu'il disait. [L’Observateur, 16 octobre 2008]
Dans cet exemple, le discours du texte source est celui produit par Paul Kagamé lors d’une
interview au Soir. Lors de cette dernière, Kagamé affirme que les conflits qui se déroulent en
RDC perdureraient si la disparition de Nkunda survenait. Dans le texte cible, le journaliste de
L’Observateur affirme que Nkunda a déjà disparu depuis longtemps et que le CNDP simule sa
274
survie. Pour prouver ses dires, le journaliste de L’Observateur représente le discours de Paul
Kagamé au moyen d’une incise directe finale (‘ … ‘, avait-il déclaré). C’est avec le propos qui
est représenté dans cette incise directe que le journaliste de L’Observateur est en accord.
D’ailleurs, cet accord est repérable par deux segments produits par le journaliste cible, à
savoir pour nous en convaincre et le président rwandais savait ce qu’il disait. Dans le cas du
premier segment, il est clair que le verbe convaincre situe le discours de Paul Kagamé du
côté de l’argument étayant le discours du journaliste cible. Dans le cas du second segment,
c’est sur l’axe de vérité qu’est placé le discours de Paul Kagamé. La représentation d’un
discours autre peut ainsi permettre au journaliste cible de marquer un accord (ou un
désaccord) avec les dires d’autrui en vue de défendre une thèse, des arguments.
4.2.2. Par modalisation en discours second
Un autre mécanisme qui permet au journaliste cible de se positionner via la représentation
dévoilée du discours autre est le passage du discours produit à la modalisation en discours
second. Toutes les modalisations en discours second ne remplissent pas cette fonction.
Certaines d’entre elles servent « simplement » à marquer l’emprunt. Cependant, il en existe
qui, par leur sémantisme et le contexte discursif dans lequel elles apparaissent, remplissent
la fonction de positionnement. Tel est le cas pour la modalisation en discours second
présente dans l’exemple suivant :
174) - Texte source : L’initiative de Goma était positive, certes, mais je ne suis pas sûr que les dirigeants congolais étaient réellement convaincus qu’il s’agissait là de la bonne marche à suivre. [Le Soir, 06 septembre 2008]
175) - Texte cible : Pour dire les choses autrement, Goma en travestissant la vérité a eu un effet positif dans la tête de Kagame et ses alliés [Le Potentiel, 11 septembre 2008]
Le texte source correspond à nouveau, dans ce cas, à l’interview accordée par Paul Kagamé
au Soir. Lorsque le texte cible représente le discours de Kagamé, il le fait au moyen d’une
modalisation en discours second (dans la tête de Kagamé et ses alliés). Cette modalisation
ne sert pas simplement à attribuer le dire, mais elle sert également à montrer le désaccord
du journaliste avec ce dire. En effet, il est clair qu’en l’utilisant, le journaliste cible signifie
aussi « dans la tête de Kagamé et ses alliés, mais pas dans la mienne ». On voit donc que les
modalisations en discours second peuvent aussi jouer le rôle de marqueur de
positionnement du journaliste.
4.2.3. Par modalisation autonymique
Le dernier mécanisme rencontré de représentation dévoilée du discours autre qui remplit la
fonction de positionnement est la modalisation autonymique du dire comme second. Dans
ces cas, le journaliste cible représente le discours d’un énonciateur au moyen d’une
275
modalisation autonymique. Cette modalisation lui sert à montrer qu’il prend de la distance
vis-à-vis du discours représenté, comme l’illustre l’exemple suivant :
176) - Texte source : Le vrai problème est le management politique. Kabila ne peut ou ne veut s’y atteler et il continue à manipuler l’opinion. [Le Soir, 06 septembre 2008]
177) - Texte cible : On comprend donc comment et pourquoi le chef de l’État rwandais a jugé utile d’enfoncer le clou dans un contexte qui a tendance à mettre en avant ce qu’il appelle déficit de management, absence de volonté politique et excès de manipulation de la part des autorités congolaises. [Le Phare, 12 septembre 2008]
Dans Le Soir, Paul Kagamé produit un discours qui est ensuite représenté via une
modalisation autonymique dans le texte du Phare. La modalisation autonymique est
identifiable par l’expression ce qu’il appelle X. Cette modalisation autonymique pourrait être
utilisée dans le seul but de renvoyer aux dires d’un autre énonciateur. Cependant, dans le
contexte discursif dans lequel elle apparaît, on perçoit tout de suite qu’elle permet au
journaliste du Phare de se distancier de ces dires. En effet, le texte du Phare porte sur un
contenu informationnel visant, de manière générale, à contredire les propos tenus par Paul
Kagamé. Par ailleurs, Le Phare est un journal congolais et Paul Kagamé s’oppose à la
politique tenue en RDC et au président congolais Joseph Kabila. On peut donc interpréter la
modalisation autonymique comme une prise de position négative, un désaccord du
journaliste cible avec le discours qu’il représente. On pourrait d’ailleurs transformer l’énoncé
dans lequel apparaît la modalisation par : « ce qu’il appelle, contrairement à ce que je ferais,
déficit de management… ». On constate donc que ce type de modalisation autonymique ne
fonctionne pas seulement comme une attribution des dires, comme cela serait le cas par
exemple dans l’énoncé suivant : « ce qu’Authier-Revuz appelle MAS signifie modalisation
autonymique en discours second ». Dans ce dernier cas, il ne s’agit évidemment pas de
prendre position pour ou contre le discours représenté. Dans l’exemple (177) en revanche, il
est clair que la modalisation autonymique fonctionne comme un positionnement vis-à-vis du
discours représenté.
4.2.4. Interprétation des résultats : la fonction d’autorité négative de la
représentation dévoilée du discours de Kagamé et Sarkozy
La fonction d’autorité correspond, nous l’avons vu, à l’accord ou au désaccord d’un
énonciateur avec le discours représenté, ou modalisé, d’un autre énonciateur. En d’autres
termes, le discours autre est représenté de manière dévoilée dans le but de montrer qu’il est
vrai ou faux et, par voie de conséquence, d’étayer l’argumentation de l’énonciateur qui le
représente. Lorsque c’est l’accord de l’énonciateur avec le discours autre qui est observé,
nous parlons de fonction d’autorité positive. Inversement, nous parlons de fonction
d’autorité négative lorsque l’énonciateur n’est pas d’accord avec le discours autre.
276
Dans les textes qui ont été explicitement liés et dont les transformations remplissent la
fonction de positionnement, le passage du discours produit à une forme de représentation
dévoilée remplit, la plupart du temps, la fonction d’autorité négative, comme le souligne la
figure suivante :
[Figure 17 : passage du discours produit à la représentation dévoilée]
Dans cette figure, le positionnement est majoritairement réalisé vis-à-vis du discours de Paul
Kagamé. Lorsque le positionnement est négatif (désaccord), ce sont des journalistes du
Phare et du Potentiel qui s’opposent au discours de Kagamé en transformant le discours
produit dans La Libre Belgique et dans Le Soir en discours représentés de manière dévoilée.
Le discours avec lequel les journalistes congolais sont en désaccord porte sur divers
contenus informationnels : l’absence de participation du Rwanda à la cour pénale
internationale (CPI), les bienfaits de la conférence de Goma, l’implication des ethnies dans
les conflits congolais, les combats contre les FDLR, ou encore l’opposition du Rwanda aux
politiciens congolais. Mais les journalistes congolais ne sont pas toujours en désaccord avec
Kagamé. Ils admettent en l’occurrence qu’il existe un lien étroit entre le Rwanda et la RDC,
comme le dit Kagamé, et qu’il est évident que ce n’est pas Nkunda qui est derrière les
combats. Les autres discours servant la fonction d’autorité sont ceux de Sarkozy, Kä Mana,
Monswengo, Le Soir et La Libre Belgique. Les discours de Sarkozy et de La Libre Belgique sont
mis en doute par les journalistes congolais pour les mêmes raisons que dans les précédents
résultats (la proposition de partage des richesses congolaises et l’absence de soldats
rwandais en RDC). Celui de Kä Mana concerne la peur qu’a Kabila de Nkunda, raison pour
laquelle il voudrait l’éliminer. Monswengo quant à lui affirme que les conflits sont causés
pour des raisons économiques, ce que les journalistes congolais concèdent. Enfin, les
discours du Soir, selon lesquels l’armée congolaise est faible et une aide européenne serait
souhaitable pour mettre fin aux conflits, est, lui aussi, admis par les journalistes congolais.
277
Les résultats présentés ci-dessus aboutissent aux conclusions suivantes : d’une part, la
fonction d’autorité remplie par la représentation du discours autre est très souvent négative
dans les textes explicitement liés : c’est pour montrer leur désaccord avec les énonciateurs
représentés que les journalistes transforment des discours produits en discours représentés.
D’autre part, l’accord avec le discours autre est celui de journalistes congolais qui acceptent
les discours révélant les raisons officieuses des combats : que ce soit pour dénoncer la
corruption de l’armée et des politiciens congolais ou les raisons économiques à l’origine du
conflit, expliquant probablement l’absence de volonté des Européens d’intervenir
militairement, les journalistes congolais étayent leurs arguments en s’appuyant sur des
discours, majoritairement belges, qui mettent au jour les raisons sous-jacentes des conflits.
Le désaccord, quant à lui, est systématiquement émis par des journalistes congolais envers
des discours pro-rwandais. On peut donc en conclure que les journalistes congolais ne
croient pas que les conflits soient causés par le CNDP, mais plutôt par le Rwanda qui,
complice de la RDC, voire de l’Europe, tente d’accéder aux richesses naturelles congolaises
en vue de les exporter et, par voie de conséquence, de s’enrichir.
4.3. assage d’une forme de représentation dévoilée du discours
autre à une autre forme
4.3.1. Explication du type de transformation
Lors du passage d’une forme de représentation dévoilée à une autre, il se peut que le rôle de
marqueur de positionnement soit aussi détectable : le journaliste cible transforme alors la
forme de représentation dévoilée pour pouvoir marquer son accord ou son désacord avec le
discours de l’énonciateur représenté. En outre, certaines formes de discours représentés ou
certaines modalisations autorisent un positionnement qui n’aurait pas été possible si le
journaliste cible avait conservé la forme de représentation dévoilée du discours autre
utilisée dans le texte source.
La textualité du discours représenté (l’îlot textuel) peut être remplacée par une forme de
représentation qui requiert la présence d’un verbe de parole. Ce verbe de parole permet
alors au journaliste cible de se positionner vis-à-vis du discours qu’il représente. Nous avons
en effet observé des cas où l’îlot textuel disparaissait au profit d’un discours indirect
autorisant l’usage d’un verbe de parole catégorisé de telle sorte à montrer la distance du
journaliste vis-à-vis des dires représentés :
178) - Texte source : Il inclurait la question du « partage de l'espace et des richesses ». [Le Monde, 19 janvier 2009]
179) - Texte cible : le revoici sur le continent africain, proposant une démarche pour le moins inédite de partage des richesses de l’Est de la RDC avec le Rwanda, comme d’autres prendraient leurs fusils, enfileraient leurs culottes, porteraient leurs pataugas et leurs casques pour un énième safari en Afrique. [Le Phare, 20 janvier 2009]
278
Ici, un îlot textuel est présent dans le texte source du Monde (partage de l’espace et des
richesses). Cet îlot renvoie au discours de Nicolas Sarkozy. Lorsque Le Phare représente le
discours de Nicolas Sarkozy en reprenant l’information au Monde, il transforme la forme de
représentation en un discours indirect (proposant une démarche pour le moins inédite de…).
L’utilisation de cette forme de représentation permet alors au journaliste de montrer son
désaccord avec les propos du président français. En effet, le discours indirect est un
syntagme verbal ponctué d’un point de vue particulier. En (179), ce point de vue est
repérable par les mots pour le moins inédite (qui qualifient clairement, d’un point de vue
subjectif, le point de vue de l’énonciateur premier). Avec ces derniers, le journaliste cible
montre son désaccord envers le discours représenté.
Mais ce cas de figure, où le passage se fait d’une forme de modalisation à un discours
représenté, n’est pas le seul que nous ayons rencontré dans notre corpus. En effet, le même
fonctionnement a été observé lors du passage d’un discours représenté à une forme de
modalisation, comme dans l’exemple suivant :
180) - Texte source : Décrivant le Rwanda comme un « pays à la démographie dynamique et à la superficie petite », et la RDC comme « un pays à la superficie immense » avec une « organisation étrange des richesses frontalières ». [Le Monde, 19 janvier 2009]
181) - Texte cible : Une République évidemment trop immense, trop riche au goût du président français, mais surtout incapable de se gérer, face à un petit Rwanda à la démographie galopante. [Le Phare, 20 janvier 2009]
En (180), le discours de Nicolas Sarkozy est représenté dans le texte source au moyen d’un
discours indirect avec un îlot textuel. Lorsque le journaliste cible représente ce discours, il
choisit de transformer la forme de représentation par une modalisation en discours second
(au goût de). En l’utilisant, le journaliste cible se distancie du discours représenté et montre
son désaccord avec l’énonciateur représenté : en insinuant que le discours représenté ne
correspond pas à sa propre opinion, à son propre goût, le journaliste cible montre aussi qu’il
est en désaccord avec l’énonciateur représenté. On pourrait en outre penser que c’est la
déformation du discours représenté qui est à l’origine de la perception d’un désaccord : le
journaliste utilise en effets l’adverbe trop à deux reprises, alors que ce dernier n’apparaissait
pas dans le texte source. Cependant, si on utilise la modalisation après le discours du texte
source, on obtient toujours cet effet de désaccord : le Rwanda, un pays à la démographie
dynamique et à la superficie petite, et la RDC, un pays à la superficie immense avec une
organisation étrange des richesses frontalières, au goût du président français. On constate
donc que c’est bien la modalisation qui marque le désaccord. Cette dernière remplace, dans
le texte cible, le discours indirect avec îlot textuel. Si le journaliste cible avait gardé le
discours indirect avec îlot textuel, il lui aurait été impossible de se positionner de cette
manière vis-à-vis du discours représenté.
279
4.3.2. Interprétation des résultats : deux nouveaux discours concernés
par les transformations, celui des ministres congolais et de Caritas
S’il devient clair que le positionnement émis par les journalistes cibles est plus souvent
négatif que positif, les discours représentés touchés par les transformations semblent, quant
à eux, ne pas rester ceux des mêmes énonciateurs (que ceux apparaissant dans les
précédents résultats) lorsque les formes de représentation dévoilée du discours autre sont
transformées :
[Figure 18 : le changement de représentation dévoilée]
Comme le montre la figure (18), deux nouveaux énonciateurs sont concernés par les
transformations : les ministres congolais et Caritas. Dans le premier cas, c’est le désaccord
de Vital Kamerhe, le président de l’Assemblée nationale congolaise, avec les ministres
congolais qui est mis en évidence par le changement de la forme de représentation dévoilée.
Ce désaccord apparaît dans La Libre Belgique à partir de textes du Phare. En utilisant un
discours direct au lieu d’une modalisation, La Libre Belgique transforme les propos de
Kamerhe en les rendant nettement plus forts, plus crus, que ceux qui apparaissaient dans le
texte du Phare. Ce faisant, La Libre Belgique insiste nettement plus sur les tensions
présentes au sein de la classe politique congolaise. Quant à Caritas, une organisation
humanitaire, c’est Le Potentiel qui transforme les formes de représentation dévoilée du
discours autre apparaissant dans Le Monde. Ces transformations permettent au Potentiel
d’assumer le discours de Caritas selon lequel il y a beaucoup plus de civils morts que ceux
habituellement prétendus.
On peut expliquer les transformations présentées par la proximité/l’éloignement des
journalistes avec les faits relatés : alors que les journalistes européens n’ont pas de
problème à présenter les dissensions au sein de la classe politique congolaise, les journalises
280
congolais semblent vouloir les minimiser. De même, la proximité des journalistes congolais
avec les victimes du conflit les pousse à répandre plus fortement les discours des
humanitaires, contrairement aux journalistes européens, qui les présentent avec plus de
distance.
4.4. Transformations concernant la représentation dissimulée du
discours autre
De la même manière que peuvent l’être les formes de représentation dévoilée du discours
autre, les formes de représentation dissimulée du discours autre subissent elles aussi des
transformations. Que ce soit par ajout ou par suppression, lorsque les liens sont établis
explicitement entre les textes, ces transformations remplissent, la plupart du temps, la
fonction de positionnement.
4.4.1. Ajout de la représentation dissimulée du discours autre
L’ajout d’une représentation dissimulée dans un texte cible permet souvent au journaliste
cible de se positionner pour ou contre un énonciateur représenté ou son discours : en
utilisant des marqueurs d’opposition concessive, de négation, d’interrogation, de
conditionnel et de confirmation, le journaliste cible se positionne positivement ou
négativement vis-à-vis de l’énonciateur représenté ou de son discours.
Les deux cas les plus fréquemment observés dans nos textes sont ceux de l’opposition
concessive et de la négation. Avec l’ajout de ces formes, le journaliste cible s’oppose au
discours produit dans un texte source :
182) - Texte source : Le Royaume-Uni a tissé avec le Rwanda une relation étroite depuis le génocide. [Le Monde, 08 novembre 2008]
183) - Texte cible : Le Royaume-Uni a tissé avec le Rwanda une relation étroite depuis le génocide. Mais il n'empêche que le soutien de la France à la RDC pourrait également relancer cette " guerre d'influence anglo-saxonne et francophone " en République démocratique du Congo. [Le Potentiel, 08 novembre 2008]
Les deux textes dont proviennent les extraits ci-dessus traitent de l’éventualité pour les
Européens d’envoyer une force relais en RDC en vue de mettre fin aux combats : certains
pays européens veulent en effet aider les FARDC à combattre le CNDP, mais tous ne sont pas
prêts à une telle intervention. Dans l’exemple ci-dessus, le journaliste source traite de la
relation existant entre le Royaume-Uni et le Rwanda. Cette relation n’explique pourtant pas
l’absence de volonté du Royaume-Uni d’intervenir en RDC puisque les politiciens du
Royaume-Uni se déplacent tant en RDC qu’au Rwanda pour tenter de résoudre
diplomatiquement les conflits. Pour contrer ce discours, le journaliste cible utilise une
opposition concessive : le discours qui était produit dans le texte source, selon lequel il y
avait une relation entre le Rwanda et le Royaume-Uni qui n’expliquait pas l’absence de
281
volonté du Royaume-Uni d’intervenir en RDC, est concédé dans le texte cible. Le journaliste
cible admet en effet que cette relation existe, mais que la relation entre la France et la RDC
et celle entre le Royaume-Uni et le Rwanda pourrait influencer les décisions d’une
intervention, induire un désaccord entre ces pays européens. L’opposition concessive est
donc présente sous la forme dissimulée (il est vrai que x, mais y) et permet au journaliste
cible de se positionner négativement vis-à-vis du discours du texte source.
Mais cette forme de représentation dissimulée remplissant la fonction de positionnement
n’est pas la seule que nous ayons observée. L’interrogation à saisie tardive a en effet
également été rencontrée dans les textes explicitement liés :
184) - Texte source : Mais les militaires congolais répugnent à lutter contre les FDLR : ceux-ci furent en effet longtemps leurs alliés officiels ; bons militaires, ils le redeviennent clandestinement à certaines occasions. En outre, des gradés congolais sont liés aux FDLR dans divers trafics locaux juteux. En revanche, les militaires congolais demeurent hostiles à Nkunda pour des raisons allant de son irrédentisme à son identité ethnique. [La Libre Belgique, 15 octobre 2008]
185) - Texte cible : En outre, on se demande ce que les sympathies que peuvent avoir les soldats congolais viennent faire là : leur transfert vers l'Ituri leur a été ordonné de Kinshasa et ne procède pas de leurs sympathies personnelles. Quant à l'inclination vers les FDLR, si elle existe, elle pourrait bien provenir d'un accord beaucoup plus profond. [Le Phare, 13 novembre 2008]
En (185), on comprend que l’interrogation remplit la fonction de positionnement : le
journaliste cible réfute le discours produit dans le texte source en le questionnant. Ainsi,
dans le texte source, le journaliste affirme les liens proches entre les soldats congolais et les
FDLR (soldats rwandais). Dans le texte cible en revanche, le journaliste dit qu’il n’y a pas de
sympathies personnelles entre ces soldats. Pour affirmer cela, c’est-à-dire pour réfuter le
discours du texte source, il utilise l’interrogation indirecte (on se demande bien ce que…) Ici,
aucune réponse n’est présentée explicitement. Cependant, ce type d’interrogation peut être
reformulée comme suit : « on se demande ce que les sympathies que peuvent avoir les
soldats congolais viennent faire là, car elles n’ont rien à y faire ». On voit donc ici que
l’interrogation permet de représenter de manière dissimulée le discours source, mais
également de s’y opposer.
En revanche, ce positionnement négatif vis-à-vis du discours représenté n’a pas été décelé
dans nos textes lorsque le conditionnel était rencontré. Dans ce dernier cas, le conditionnel
est systématiquement accompagné d’un marqueur d’accord, comme dans l’exemple
suivant :
186) - Texte source : Les Tutsis sont la cible de propagande haineuse au Kivu depuis des années, pour des raisons liées à la guerre avec le Rwanda et pour des raisons propres à la province. Le fait que Nkunda dispose de combattants hutus congolais, luttant sur une base régionale, n'a pas désarmé l'a priori ethnique contre lui. [La Libre Belgique, 15 octobre 2008]
282
187) - Texte cible : Il set [sic] bien vrai, par ailleurs, que Nkunda semble avoir dans sa poche un « plan B » sur base régionale, qui serait de susciter un « Kivu indépendant » que le Rwanda aurait vite fait de réduire à l'état de fantoche. Et que pour cela il dispose de marionnettes dont quelques unes pourraient bien être Hutu. [Le Phare, 13 novembre 2008]
La présence du conditionnel dans le texte cible (serait, aurait, pourraient) s’explique par le
fait que le journaliste cible n’est pas certain de l’information qu’il présente au lecteur
puisqu’il l’a reprise à un autre énonciateur, le journaliste source. Mais même s’il n’a pas eu
accès à une information confirmée, il décide quand même de montrer son accord avec le
journaliste source, au moyen de la locution adverbiale il est bien vrai que, qui lui permet
également de représenter le discours source de manière dissimulée. Notons que dans cet
exemple, l’accord avec le journaliste source induit aussi un désaccord avec un acteur, le
Rwanda.
4.4.2. Suppression de la représentation dissimulée du discours autre
Le positionnement via les formes de représentation dissimulée du discours autre peut
également être observé lorsque ces dernières sont supprimées dans le texte cible. Un seul
cas de figure a été rencontré dans les textes explicitement liés : la suppression de la
concession.
Dans le cas de la concession, le journaliste cible décide d’en supprimer une qui
apparaissait dans le discours source, car s’il l’avait maintenue dans le texte cible, il lui aurait
été plus difficile de se positionner vis-à-vis de l’énonciateur représenté :
188) - Texte source : Certes, vous pouvez considérer certaines revendications de Nkunda comme excessives, mais d’autres sont fondées, méritent d’être prises en compte. [Le Soir, 06 septembre 2008]
189) - Texte cible : Le Président Kagame traduit, justifie et reprend à son compte la substance des revendications de Laurent Nkunda. [Le Phare, 26 septembre 2008]
Dans cet exemple, le discours du texte source est celui produit par Paul Kagamé lors d’une
interview au Soir. Lors de cette dernière, le président Kagamé parle des revendications de
Nkunda qui, selon lui, ne sont qu’en partie fondées. Pour montrer qu’il n’est pas totalement
en désaccord avec ces revendications, il utilise une concession (certes…, mais). Le texte cible
quant à lui, est un texte publié par Le Phare. Tout au long de ce texte, le journaliste cible
s’oppose fortement à Paul Kagamé et à Laurent Nkunda. Lorsqu’il représente les propos de
Kagamé, il évite de montrer que ce dernier n’était pas tout à fait en désaccord avec Nkunda.
Cela lui permet de s’opposer plus facilement à Kagamé : s’il avait dit : « le président Kagamé
traduit, justifie et reprend à son compte une partie seulement des revendications de
Nkunda », son opposition à Kagamé aurait été plus difficile à maintenir. La suppression des
concessions est également un moyen pour le journaliste cible de positionner négativement
vis-à-vis du discours et de l’énonciateur représenté.
283
4.4.3. Interprétation des résultats : des tendances qui se confirment
Comme avec les résultats précédents, c’est surtout un positionnement négatif (désaccord)
qui émerge des transformations de la représentation dissimulée du discours autre :
[Figure 19 : transformations de la représentation dissimulée du discours autre]
Le positionnement négatif est émis à l’encontre de quatre discours en particulier : celui de
Kagamé, de Sarkozy, celui concernant l’envoi de troupes européennes et celui de La Libre
Belgique. Comme nous l’avons déjà dit, le discours de Kagamé, Sarkozy et La Libre Belgique
sont plus pro-rwandais, ce qui pousse les journalistes cibles, dans ce cas congolais, à
s’opposer à ce qui était présenté dans des textes sources, européens. D’ailleurs, lorsque La
Libre Belgique s’oppose au Rwanda et à Nkunda, c’est toujours un accord des journalistes
congolais avec La Libre Belgique qui est observé. Quant au discours sur l’envoi de troupes
européennes, d’un côté Le Potentiel transforme les formes de représentation dissimulée
apparaissant dans Le Monde, pour souligner le refus des Européens d’envoyer leurs troupes
en RDC. De l’autre, L’Observateur transforme les formes de représentation dissimulée
provenant des textes de La Libre Belgique afin de montrer les chances qu’il y a que les
Européens envoient leurs soldats en renfort. Dans ce cas-ci donc, Le Potentiel semble être
plus négatif que L’Observateur.
284
Nous souhaitons également dire un mot sur le discours de deux énonciateurs
n’apparaissant pas dans la figure (17)110 : la MONUC et Nkunda. Dans les deux cas, ce sont
des textes de La Libre Belgique dans lesquels apparaissent les transformations des formes de
représentation dissimulée du discours autre. Ces transformations sont réalisées à partir de
textes provenant du Phare et en vue de marquer l’accord des journalistes belges avec les
discours représentés. On peut donc en conclure que La Libre Belgique semble effectivement
ne pas défendre les opinions qui vont à l’encontre des discours pro-rwandais ou tente de
minimiser les effets néfastes de la guerre sur la population civile : en réfutant la présence
rwandaise en RDC, en ne présentant pas les problèmes causés par Laurent Nkunda ou en
simulant une protection adéquate de la population civile congolaise par la MONUC, La Libre
Belgique transforme l’image que peuvent se faire ses lecteurs du conflit présenté dans les
textes congolais.
5. Conclusion
Une des méthodes permettant de mettre les contenus de deux textes en relation consiste à
vérifier si le nom d’un journal ou le nom d’un journaliste figure dans ces textes. Lorsque c’est
le cas, cela signifie que le texte dans lequel il apparaît puise son information dans un autre
texte. Nous parlons alors de liens explicites entre les deux textes. Le texte cible, celui qui
reprend l’information au premier texte, au texte source, peut alors présenter une
information différente de celle qui apparaissait dans ce dernier. On observe alors des
transformations. Dans le cas de notre étude, les transformations de trois paramètres
énonciatifs ont été examinées: les énonciateurs représentés, les actes de parole (et les
messages) représentés et les formes de représentation du discours autre. Lorsque les
transformations concernant ces paramètres apparaissent dans des textes explicitement liés,
leur principale fonction est celle de positionnement : le journaliste cible transforme ces
paramètres en vue de se positionner pour (accord) ou contre (désaccord) les énonciateurs
représentés ou leur discours, avec la structure « tu as raison/tort, c’est vrai/faux ». Ce
faisant, il rend manifeste un Autre, comme interlocuteur de son discours. Cet Autre, un
énonciateur, peut soit être une personne jouant également le rôle d’acteur dans le conflit
étudié, soit être un journaliste relatant le conflit. En d’autres termes, en se positionnant
envers les énonciateurs représentés ou leur discours par la transformation des paramètres
énonciatifs, les journalistes cibles se positionnent aussi envers les journalistes et envers la
110 Les pourcentages n’étant pas très importants (3,8% à chaque fois), nous ne les avons pas intégrés dans la
figure.
285
représentation, l’image que ceux-ci véhiculent de ces énonciateurs et discours. Nous parlons
de transformations de sens lorsque l’image qui est donnée de la réalité transmise est altérée
par les transformations des trois paramètres énonciatifs étudiés.
Les premières transformations étudiées dans ce chapitre sont celles concernant les
énonciateurs représentés. La catégorisation des énonciateurs représentés consiste à leur
attribuer certaines caractéristiques descriptives. Lorsque celles-ci sont transformées dans un
texte cible par rapport à celles présentes dans un texte source, le changement de
catégorisation peut s’expliquer par deux facteurs : un facteur linguistique et un facteur
extralinguistique. Avec le facteur linguistique, c’est le discours de l’énonciateur représenté
(les caractéristiques linguistiques de ce discours) sur lequel s’appuie le journaliste cible pour
accomplir son acte de catégorisation. Avec le facteur extralinguistique, c’est le contexte
sociopolitique qui permet de comprendre les caractéristiques décrivant les énonciateurs
représentés. Ces deux facteurs influencent la catégorisation des énonciateurs représentés.
Lorsque cette catégorisation change d’un texte à l’autre, nous avons vu que trois
mécanismes permettaient aux journalistes cibles de se positionner pour ou contre les
énonciateurs représentés et, par voie de conséquence, pour ou contre l’image que les
journalistes sources en véhiculent : l’ajout de caractéristiques descriptives, le remplacement,
de type métonymique ou non, des caractéristiques descriptives. Dans le premier cas, le
journaliste cible ajoute des caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés, parce
qu’elles lui semblent plus adéquates que celles attribuées par le journaliste source. Ce
faisant, il se positionne tant pour ou contre l’énonciateur représenté que pour ou contre le
journaliste source. Dans le second cas (remplacement de type non-métonymique), le
journaliste cible choisit de remplacer partiellement les caractéristiques décrivant les
énonciateurs représentés. En les remplaçant partiellement, il conserve un noyau lexical qui
apparaissait dans le texte source. Dans le dernier cas (remplacement de type métonymique),
les caractéristiques descriptives sont remplacées par d’autres qui entretiennent avec les
premières une relation métonymique. Dans notre corpus, cette relation est de deux types :
la partie pour le tout, ou le tout pour la partie. Comme nous l’avons mentionné, les
transformations par métonymie ne remplissent qu’occasionnellement la fonction de
positionnement, ce qui explique le nombre peu élevé de types de relation observés dans les
textes explicitement liés.
Le second paramètre énonciatif étudié dans ce chapitre est l’acte de parole représenté.
Ce dernier constitue l’unité privilégiée que les journalistes transforment en vue de se
positionner pour ou contre les énonciateurs représentés. Ces transformations peuvent
toucher directement la catégorisation de l’acte de parole représenté ou être en rapport avec
ce dernier : tant que l’image de l’acte de parole ou du message représenté se voit altérée
aux yeux des lecteurs, nous considérons qu’il y a transformation de sens. Ces
transformations apparaissent dans les textes explicitement liés, via cinq mécanismes.
D’abord, la catégorisation de l’acte de parole ou du message représenté : le journaliste cible
286
choisit de modifier la catégorisation de l’acte de parole ou de transformer le message
représenté, ce qui lui permet de se positionner en faveur ou en défaveur de l’énonciateur
qu’il représente. Ensuite, la mise en relation de plusieurs actes de parole. Cette mise en
relation peut se faire entre deux actes représentés explicites. Le journaliste cible lie alors le
discours représenté à un autre discours représenté pour en montrer la vérité ou la fausseté.
Mais le second discours représenté n’est pas toujours explicite. Dans certains cas, seule la
catégorisation du verbe de parole permet de comprendre que deux actes de parole sont mis
en relation (avec des verbes comme confirmer, rappeler, etc.). La mise en relation peut
également être réalisée entre un acte de parole dit et un acte de parole non-dit. En
présentant ce qu’un énonciateur a omis de dire par rapport à ce qu’il a dit, le journaliste
cible peut alors transformer l’image que le lecteur se faisait du discours de départ. Le dernier
type de mise en relation des actes de parole est celui consistant à lier un acte de parole
représenté avec un acte de parole premier. Dans ce cas, le journaliste cible recontextualise
le discours représenté en vue d’étayer ses propres arguments. Par ailleurs, l’ajout de
marqueurs épistémiques permet aussi au journaliste cible de se positionner envers le
discours représenté. Trois types de sens ont été liés aux marqueurs épistémiques dans notre
corpus : le doute, la certitude et l’hypothèse. Avec le doute, le journaliste cible montre son
incertitutde quant à la véracité du discours représenté. Pour ce faire, il peut le questionner,
catégoriser le verbe de parole via la modalité du doute, utiliser le conditionnel ou changer le
mode d’accès à l’information. Avec la certitude, c’est tant pour s’accorder que pour
s’opposer à l’énonciateur représenté que le journaliste cible transforme les modalités
épistémiques : en passant du conditionnel au présent ou en changeant le mode d’accès à
l’information, le journaliste cible se positionne vis-à-vis du discours représenté. Le marquage
de l’hypothèse quant à lui, via notamment l’inférence hypothétique, sert toujours, dans les
textes explicitement liés, à marquer le désaccord du journaliste cible avec le discours
représenté. Outre les trois mécanismes précités (catégorisation, mise en relation et
marquage épistémique), l’ajout ou la suppression de l’explication de l’acte de parole
représenté permet aussi au journaliste de transformer le discours représenté en vue de se
positionner. En expliquant le discours représenté ou certains des termes utilisés lors de ce
dernier, le journaliste cible a la possibilité de contrer le discours de l’énonciateur qu’il
représente, comme lorsqu’il supprime des fragments du discours représenté qui le
justifiaient. Enfin, l’ajout de conséquences négatives du discours représenté est le dernier
mécanisme repéré dont les transformations remplissent la fonction de positionnement. Ces
conséquences peuvent être de trois types : 1) celles engendrées par la réaction d’un autre
énonciateur ; 2) celles correspondant à la réaction d’un autre énonciateur et 3) les
conséquences négatives apparaissant dans le monde, dans une situation spatio-temporelle
précise.
Outre les transformations des caractéristiques relatives aux énonciateurs et aux actes de
parole représentés, les transformations des formes de représentation du discours autre
permettent elles aussi au journaliste cible de se positionner vis-à-vis des énonciateurs
287
représentés. Pour ce faire, le journaliste cible peut décider d’ajouter ou de supprimer des
formes de représentation dévoilée du discours autre. Que ce soit en ajoutant ou que ce soit
en supprimant des discours représentés ou des formes de modalisation du discours second,
le journaliste cible rend l’information plus positive ou plus négative. Mais ces
transformations des formes de représentation du discours autre ne sont pas les seules
remplissant la fonction de positionnement. Le passage du discours produit dans un texte
source au discours représenté dans un texte cible offre lui aussi la possibilité au journaliste
cible de se positionner vis-à-vis d’énonciateurs représentés. En outre, le discours représenté
sert souvent d’argument d’autorité : le journaliste cible étaye sa propre argumentation en
s’appuyant sur un autre discours. Les formes de modalisation quant à elles, ne peuvent
s’interpréter comme remplissant la fonction de positionnement que contextuellement : tant
le contexte discursif dans lequel elles apparaissent que leur sémantisme jouent un rôle
important pour définir leur fonction. Par ailleurs, ces formes de représentation dévoilée
peuvent aussi être modifiées : en passant d’une modalisation à un discours représenté, et
vice-versa, le journaliste cible se donne la possibilité de s’accorder avec ou de contrer le
discours représenté. Sans cette modification, il lui aurait été nettement plus difficile de
marquer son positionnement vis-à-vis du discours représenté. De la même manière que
peuvent l’être les formes de représentation dévoilée du discours autre, les formes de
représentation dissimulée du discours autre peuvent aussi être transformées en vue de
marquer un positionnement. En l’occurrence, l’ajout ou la suppression de ces formes permet
au journaliste de se positionner. Lorsque ces formes sont ajoutées, ce sont celles de
l’opposition, de l’interrogation et du conditionnel qui ont été repérées dans notre corpus.
Alors que les deux premières servent de marqueur de désaccord, le conditionnel quant à lui,
a été tantôt accompagné d’un marqueur d’accord, tantôt d’un marqueur de désaccord.
Enfin, la suppression des formes de représentation dissimulée du discours autre ne paraît
pas être le moyen le plus adéquat pour se positionner : excepté la suppression de
concessions en vue de rendre un positionnement plus fort, aucune autre forme de
représentation dissimulée du discours autre n’a été observée comme remplissant la fonction
de positionnement dans les textes explicitement liés.
Les analyses linguistiques présentées ci-dessus ont constitué les points d’appui à des
analyses idéologico-pragmatiques. Pour mener ces dernières, notre attention s’est portée
sur deux types de contextes en particulier : le contexte interrelationnel et le contexte
intertextuel. Avec le contexte interrelationnel, c’est la relation à un autre énonciateur (qu’il
soit acteur dans le conflit étudié ou journaliste) qui est mise en évidence. Avec le contexte
intertextuel, ce sont les journaux/auteurs, les genres textuels ainsi que les pays dans
lesquels les textes sont publiés qui sont décrits.
L’examen des liens interrelationnels nous a conduite à deux conclusions importantes :
d’abord, le positionnement des journalistes cibles n’est réalisé que vis-à-vis de certains
énonciateurs représentés. Bien que le conflit étudié tourne autour de nombreux acteurs
288
(FDLR, CNDP, MONUC, FARDC, Maï-Maï, etc.), les journalistes cibles transforment les
caractéristiques décrivant les énonciateurs, les actes de parole ou les formes de
représentation du discours de seuls quelques énonciateurs. Paul Kagamé, le président du
Rwanda, est l’énonciateur vis-à-vis duquel le positionnement est le plus souvent réalisé. Bien
que le conflit étudié soit souvent présenté comme causé par le CNDP et Laurent Nkunda, les
journalistes cibles, qui sont congolais, semblent percevoir le Rwanda et Paul Kagamé comme
étant à l’origine du conflit. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’ils transforment les
paramètres énonciatifs relatifs à son discours, c’est majoritairement pour montrer leur
désaccord avec lui. En s’opposant au président congolais Joseph Kabila, en niant son soutien
à Nkunda, en refusant de participer à des conférences sur la sécurité, Paul Kagamé s’attire le
mécontentement des journalistes congolais qui le catégorise, lui ou son discours, de manière
négative. Cependant, parfois, c’est un positionnement positif qui est observé vis-à-vis de
Kagamé. Dans ces cas, les journalistes concèdent qu’il existe un lien entre Kabila et Nkunda,
que l’armée congolaise est faible et corrompue ou que les combats perdureraient si Nkunda
disparaissait (ce qui s’explique, selon eux, par les personnes responsables des conflits : les
Rwandais). Paul Kagamé est donc l’énonciateur qui est le plus souvent concerné par le
positionnement des journalistes cibles congolais. Quelque fois, le positionnement a été
directement dirigé contre Laurent Nkunda, mais ces cas de figure sont restés, nous l’avons
vu, relativement rares. Par contre, des positionnements négatifs envers d’autres
énonciateurs représentés apparaissent régulièrement dans les textes explicitement liés. Kä
Mana, Sarkozy, Le Monde, La Libre Belgique et Le Soir sont les énonciateurs dont les discours
sont touchés par des positionnements négatifs. D’abord, le discours de Kä Mana est contré
par les journalistes congolais, car il tente de justifier les motivations de Nkunda et du
Rwanda dans la poursuite des combats. Kä Mana affirme en outre qu’il faut « ré-
humaniser » Nkunda et tenter de comprendre ses préoccupations, ses sentiments profonds.
De ce fait, les journalistes congolais perçoivent ce discours très négativement, puisque selon
eux, tant Nkunda que Kagamé sont à l’origine des milliers de réfugiés et de morts congolais.
Il leur est donc impossible, en tant que Congolais, d’accepter de tels propos. Sarkozy, quant
à lui, qui propose le partage des richesses naturelles congolaises entre la RDC et le Rwanda,
s’attire lui aussi les foudres des journalistes congolais qui ne comprennent pas pourquoi de
telles propositions ont vu le jour. C’est aussi pour la même raison que les journalistes
congolais contrent le discours du Monde, en estimant que ce dernier véhicule une image
trop « neutre » du discours de Sarkozy. Enfin, le positionnement négatif vis-à-vis du Soir et
de La Libre Belgique est émis par des journalistes congolais qui sont persuadés de la
présence rwandaise en RDC, ce que les journalistes du Soir et de La Libre Belgique réfutent.
Selon les journalistes congolais, nier la présence rwandaise en RDC aboutit à focaliser
l’attention sur un ennemi en fait peu dangereux, à savoir Laurent Nkunda et le CNDP. Bien
qu’il soit le plus répandu, le positionnement négatif n’est pas le seul observé dans les textes
explicitement liés. Ainsi, un positionnement positif vis-à-vis de Monswengo, de ministres
européens, du Soir ou de La Libre Belgique a aussi été repéré. Monswengo a très souvent été
mis en relation avec Kä Mana : en contrant le discours de Kä Mana, mais aussi en affirmant
289
de manière claire que les conflits sont engendrés pour des raisons économiques, le discours
de Monswengo a trouvé un écho favorable dans les textes congolais. De même, en
débattant sur l’envoi éventuel d’une force relais en RDC, les ministres européens ont été
positivement perçus en RDC. Le Soir quant à lui, a été considéré par les journalistes congolais
comme une source d’information fiable, raison pour laquelle c’est aussi un positionnement
positif qui a été émis envers lui. Enfin, La Libre Belgique a elle aussi été perçue positivement
lorsqu’elle s’opposait à Kagamé.
La seconde conclusion importante émergeant de l’examen du contexte interrelationnel
est que le positionnement observé par les transformations des paramètres énonciatifs a été
majoritairement négatif. Ce qui signifie que non seulement les journalistes cibles ne
s’accordent pas avec certains énonciateurs représentés, mais aussi avec l’image véhiculée du
conflit et des acteurs représentés par les journalistes sources. Lorsque le positionnement est
réalisé de manière directe, envers les énonciateurs représentés, c’est souvent parce que leur
discours est pro-rwandais. Par conséquent, on peut affirmer que les journalistes cibles,
majoritairement congolais, s’opposent fortement au Rwanda, en estimant que celui-ci est à
l’origine des conflits congolais car il souhaite exporter les richesses naturelles de la RDC.
Lorsque le positionnement est réalisé de manière indirecte, envers les journalistes sources,
c’est l’image, souvent trop neutre, ou trop positive, de la réalité et des énonciateurs
représentés, qui suscite le désaccord des journalistes cibles.
Pour terminer ce chapitre, il convient également de dire un mot sur le contexte
intertextuel. Trois aspects ont été pris en considération pour examiner le contexte
intertextuel : les journaux/journalistes, les genres textuels, les pays de publication. Ce qui
ressort de tout ce que nous avons examiné est que l’information circule nettement plus
souvent de l’Europe vers la RDC que dans le sens inverse. Mais, outre cette observation,
c’est surtout de la Belgique vers la RDC, plutôt que de la France vers la RDC, que
l’information circule. Ce phénomène s’explique probablement par les liens étroits entre la
Belgique, ancienne puissance coloniale de la RDC, et la RDC. On peut donc dire que les
journalistes congolais prennent très souvent position contre l’image du conflit véhiculée par
les journalistes belges. Ces journalistes congolais sont ceux de deux journaux en particulier :
Le Phare et Le Potentiel. Cependant, Le Potentiel est le journal qui transforme le plus
souvent les paramètres énonciatifs en vue de se positionner. Ces deux journaux puisent
chacun leur information dans de journaux sources différents : alors que Le Phare est
systématiquement mis en relation avec La Libre Belgique et plus occasionnellement avec Le
Soir et Le Monde, Le Potentiel quant à lui, puise tantôt son information dans le Soir, tantôt
dans le Monde. Lorsque l’information est reprise au Soir, c’est surtout pour contrer le
discours de Kagamé que les transformations sont réalisées. Le Potentiel prend d’ailleurs
nettement plus souvent position contre Kagamé que ne le fait Le Phare. Cependant, alors
que Le Potentiel s’y oppose directement, Le Phare le fait indirectement en contrant des
discours pro-rwandais. On peut donc dire que les deux journaux semblent plus suivre des
290
tendances pro-gouvernementales que celles qu’ils affirment habituellement suivre
(tendances du centre et de l’opposition). Lorsque l’information est reprise au Monde, c’est
toujours en vue d’émettre un positionnement à l’encontre de Sarkozy (ou de la neutralité du
Monde). Enfin, l’information reprise à La Libre Belgique permet aux journalistes du Phare de
contrer le discours d’un de ses journalistes sur l’absence des soldats rwandais en RDC.
L’Observateur quant à lui, est le journal qui transforme le moins les paramètres énonciatifs
en vue de se positionner. Lorsqu’il le fait, c’est pour se positionner négativement envers
Kagamé et Nkunda. Il confirme donc ses tendances politiques pro-gouvernementales.
Parfois, il se positionne positivement envers Kagamé, mais c’est toujours, au final, pour en
montrer les torts.
Enfin, nous avons aussi exploré l’influence des genres textuels sur les résultats obtenus.
Nous avions considéré au début de nos recherches (chapitre III) que les genres textuels
analytiques (article/analyse, analyse, commentaire) étaient plus propices à la subjectivité
des journalistes. Par conséquent, nous nous attendions à ce que la fonction de
positionnement apparaisse plus souvent dans des textes analytiques que dans des textes
non-analytiques (article, reportage, interview, brève, etc.). Ce que nous avons observé est
qu’effectivement les textes cibles sont presque tout le temps des textes analytiques.
Cependant, les transformations sont réalisées tant à partir de textes non-analytiques qu’à
partir de textes analytiques. On peut donc en déduire que le genre textuel n’influence pas
tant la fonction de positionnement remplie par les transformations. En outre, les journaux et
les pays dans lesquels ils sont publiés semblent avoir un impact nettement plus grand que
celui des genres textuels sur la fonction de positionnement : le contexte sociopolitique
congolais, un contexte conflictuel, et la proximité des journaux congolais avec les faits
relatés, poussent les journalistes congolais à transmettre une image bien plus négative de la
réalité que celle apparaissant dans les textes européens, et plus particulièrement belges. Il
est évident qu’un tel contexte affecte les journalistes congolais qui ne peuvent dès lors
présenter une information avec la neutralité, voire la distance, des journalistes européens.
Nous verrons, dans le prochain chapitre, que la proximité (ou l’éloignement) des journaux
avec les faits relatés influence aussi d’autres fonctions remplies par les transformations.
291
Chapitre VII : Les autres fonctions dans les textes
implicitement liés
292
1. La fonction de réception
La fonction dite de réception permet à l’énonciateur premier de transformer les paramètres
énonciatifs pour tenir compte de ses lecteurs (chapitre V, point 3.2). Lorsqu’un journaliste
cible transforme les paramètres énonciatifs présents dans un texte source, il peut le faire
dans le seul but que ses lecteurs identifient ou comprennent plus facilement ce dont il est
question dans le texte. Certaines transformations permettent aussi, parfois, de connecter le
journaliste et ses lecteurs, d’insister sur le fait qu’ils sont les destinataires de son discours et
qu’ils se situent dans plus ou moins la même situation d’énonciation que lui.
La fonction réceptive est une fonction rare dans notre corpus de textes. Sur l’ensemble
des transformations observées dans les textes implicitement liés, elle ne représente qu’un
peu plus de 2,00% de l’ensemble des transformations. Sur ces totaux, certaines
transformations touchent les énonciateurs représentés, d’autres les actes de parole
représentés et dans de rares cas, elles concernent les formes de représentation du discours
autre. Nous présenterons dans cette section les types de transformations qui ont été
identifiés comme remplissant la fonction de réception.
1.1. Transformations concernant les énonciateurs représentés
Dans la moitié des cas rencontrés, c’est lorsque les transformations concernent les
caractéristiques décrivant les énonciateurs que l’on observe la fonction de réception. Selon
nous, ces constatations trouvent leur explication dans le fait que la fonction de réception est
principalement remplie par les transformations lorsque celles-ci permettent au journaliste
cible d’aider ses lecteurs à identifier correctement des énonciateurs représentés. Il est donc
tout à fait normal que ce soient les caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés
qui soient principalement transformées lorsque les transformations remplissent cette
fonction.
1.1.1. Caractérisation, par ajout de caractéristiques descriptives
La caractérisation des énonciateurs représentés par ajout de caractéristiques descriptives ne
remplit quasi jamais la fonction de réception. Seule une occurrence a été identifiée dans les
textes implicitement liés :
190) - Texte source : Dans ce contexte explosif, le secrétaire général adjoint de l'ONU chargé des opérations de maintien de la paix, Alain Le Roy, a annoncé que la MONUC était "en train de renforcer (sa) présence à Goma”. [La Libre Belgique, 05 novembre 2008]
191) - Texte cible : Alain Le Roy, secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des opérations de maintien de la paix, qui est arrivé le mardi 4 novembre 2008 dans la localité de Mugunga, a annoncé selon l’AFP, que la MONUC était « en train de
293
renforcer présence à Goma », chef-lieu de la province du Nord-Kivu. [Le Potentiel, 06 novembre 2008]
Dans cet exemple, on constate que l’énonciateur représenté, Alain Le Roy, est caractérisé de
manière plus précise dans le texte cible que dans le texte source : une proposition relative
indique sa situation spatiale. Cet ajout remplit la fonction de réception111 et s’explique par
les liens intertextuels (pays et genre) : La Libre Belgique est publié en Belgique, alors que Le
Potentiel l’est en RDC et le texte de La Libre Belgique est une brève, alors que celui du
Potentiel est un article. Ce qui signifie deux choses : d’une part, en passant d’une brève à un
article, le texte cible peut être plus précis puisqu’il n’a pas besoin de condenser
l’information. Cette précision se répercute entre autres sur la caractérisation des
énonciateurs représentés, notamment ici par l’ajout de caractéristiques descriptives. D’autre
part, cet ajout de caractéristiques descriptives a une fonction réceptive lorsqu’on tient
compte de la proximité entre journaliste, lecteurs et événements relatés. Pourquoi La Libre
Belgique aurait-elle besoin de mentionner un nom de région (Mugunga) à ses lecteurs alors
que ces derniers sont probablement incapables de l’identifier en raison de son
éloignement ? Il est évident qu’un journaliste congolais estime que ses lecteurs connaissent
ladite région, ce qui le pousse à donner de plus amples informations sur la situation spatiale
de l’énonciateur qu’il représente. Nous pouvons donc affirmer que même si le type de
transformations « caractérisation des énonciateurs représentés, par ajout de
caractéristiques descriptives » est peu souvent rencontré dans notre corpus, il peut remplir
la fonction de réception.
1.1.2. Caractérisation, par remplacement de caractéristiques
descriptives
a) Remplacement de type non-métonymique
Le type de transformations touchant les énonciateurs représentés, réalisé au moyen du
remplacement de type non-métonymique n’est pas non plus très répandu lorsqu’il s’agit de
la fonction de réception. Seules 10 occurrences ont ainsi été repérées dans le corpus de
textes implicitement liés. Nous avions déjà présenté ce type de transformations dans le
chapitre VI (point 2.3.1.), mais il remplissait la fonction dite de positionnement. Dans le cas
111 Comme Vincent et Perrin (1999) l’avaient déjà mis en évidence, les fonctions ne sont pas
discriminatoires. Cela signifie qu’il est tout à fait possible de rencontrer des fonctions conjointes dans un seul et même exemple. Dans le cas présent, les fonctions de précision et de réception fonctionnent conjointement.
294
de la fonction de réception, ce sont des exemples comme celui qui suit que nous avons
rencontrés :
192) - Texte source : À l'exemple de la réunion interinstitutionnelle convoquée mardi par le Président de la République et à laquelle ont été conviés aussi bien le patron de la MONUC que les ambassadeurs des pays membres permanents du Conseil de sécurité. [Le Phare, 29 octobre 2008]
193) - Texte cible : Une réunion interinstitutionnelle de crise a réuni mardi à Kinshasa le président Kabila, des fonctionnaires de l'ONU, les ambassadeurs des pays membres permanents du Conseil de sécurité, les représentants de l'UE et de l'Union africaine. [La Libre Belgique, 30 octobre 2010]
Dans cet exemple, l’énonciateur représenté, Joseph Kabila, n’est pas caractérisé de la même
façon dans les deux textes : dans Le Potentiel, c’est la dénomination le président de la
République que l’on rencontre et dans La Libre Belgique, c’est le président Kabila. Cette
transformation s’explique évidemment par le lectorat différent auquel s’adresse chaque
journaliste. Si le journaliste de La Libre Belgique avait maintenu les termes utilisés par le
journaliste du Potentiel, il est certain que ses lecteurs auraient pu identifier un autre
énonciateur, comme par exemple le président français, plus proche des lecteurs belges. Il y a
donc une nécessité de préciser de quel président il s’agit.
La caractérisation des énonciateurs représentés peut donc dépendre de l’éloignement/la
proximité des lecteurs avec les faits relatés. S’ils sont proches des événements ou s’ils en
sont éloignés, ils n’identifieront pas de la même manière énonciateurs représentés, raison
pour laquelle on observe certaines transformations.
b) Remplacement de type métonymique
Comme nous l’avions indiqué dans le chapitre VI (point 2.3.2.), « la métonymie est une
stratégie référentielle par laquelle est identifié le référent d’un objet par un autre objet
faisant partie du même domaine conceptuel » (partie pour le tout, tout pour la partie,
matière pour l’objet, etc.). Le remplacement de type métonymique est nettement plus
fréquent que les deux types de transformations présentées ci-dessus.
Les métonymies sont souvent utilisées par des journalistes cibles pour caractériser des
énonciateurs représentés éloignés des lecteurs. Pour pallier le manque de connaissance de
leurs lecteurs, les journalistes cibles recourent donc à des métonymies qui se déclinent
surtout en « tout pour la partie », comme dans l’exemple suivant :
194) - Texte source : En effet, face au drame humain qui se déroule à l'Est de la RdC, dans sa déclaration, l'UE a simplement exprimé sa vive préoccupation face à l'accroissement des confrontations au Nord-Kivu et à ses conséquences pour la population et pour toute la région [Le Phare, 11 novembre 2008]
195) - Texte cible : Les ministres européens des Affaires étrangères réunis à Bruxelles ont exprimé leur "vive préoccupation face à l'accroissement des confrontations au
295
Nord-Kivu et à ses conséquences pour la population de l'Est de la RDC et pour toute la région”. [La Libre Belgique, 12 novembre 2008]
Dans cet exemple, le texte source est publié par Le Phare en RDC. Le texte cible en revanche
est publié par La Libre Belgique, c’est-à-dire en Belgique. Si l’on compare la manière dont
sont caractérisés les énonciateurs représentés, on constate que le journaliste du Phare
utilise une métonymie du type « tout pour la partie », contrairement à La Libre Belgique, qui
caractérise les énonciateurs de manière plus précise. Cette transformation s’explique par la
distance entre les lecteurs des textes et les énonciateurs représentés. Dans Le Phare, les
lecteurs sont spatialement distants des énonciateurs représentés : ces derniers sont en effet
européens, alors que les lecteurs du Phare sont congolais. Ils ont donc plus de difficultés à
identifier avec précision les énonciateurs représentés, ce qui explique que le journaliste du
Phare recourt à une métonymie du type tout pour la partie, en les caractérisant au moyen
de « l’UE ». L’Europe, en tant que continent, est nettement plus évocatrice aux yeux des
lecteurs du Phare que la fonction professionnelle d’énonciateurs représentés qui ne leur
sont pas si familiers. Pour les lecteurs de La Libre Belgique en revanche, ces mêmes
énonciateurs sont relativement souvent représentés dans les médias puisqu’ils sont
européens d’une part, et que, de surcroît, ils sont réunis à Bruxelles, capitale de la Belgique.
Il est dès lors évident que La Libre Belgique peut se permettre de les caractériser par leur
fonction professionnelle, puisqu’elle estime que ses lecteurs ont les capacités de les
identifier avec précision. Voilà pourquoi, dans certains cas, la fonction de réception est
remplie par les transformations par remplacement, de type métonymique, des
caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés.
1.1.3. Caractérisation, par suppression de caractéristiques descriptives
Un autre moyen de faire remplir la fonction de réception par les transformations des
caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés est celui d’en supprimer une partie.
Ce mécanisme n’est pas non plus très répandu dans nos textes :
196) - Texte source : Le président de la République, chef de l’État, Son Excellence M. Joseph Kabila Kabange, a convoqué une réunion inter institutionnelle de crise, ce mardi 28 octobre 2008, au Palais de la Nation, sur la situation dramatique qui prévaut dans le Nord-Kivu. [Le Potentiel, 29 octobre 2008]
197) - Texte cible : Une réunion interinstitutionnelle de crise a réuni mardi à Kinshasa le président Kabila, des fonctionnaires de l'ONU, les ambassadeurs des pays membres permanents du Conseil de sécurité, les représentants de l'UE et de l'Union africaine. [La Libre Belgique, 30 octobre 2008]
Dans cet exemple, des caractéristiques décrivant Joseph Kabila sont supprimées dans le
texte cible. On passe en effet de « le président de la République, chef de l’État, Son
Excellence M. Joseph Kabila Karange » dans Le Potentiel à « le président Kabila » dans La
Libre Belgique. Il est évident dans ce cas-ci que La Libre Belgique n’aurait pas pu maintenir
les caractéristiques présentes dans le texte source, car ses lecteurs auraient trouvé étrange
une telle dénomination fort déférente. Par conséquent, pour répondre aux attentes de ses
296
lecteurs, elle supprime toute une partie des caractéristiques descriptives, transformation qui
remplit la fonction de réception.
1.2. Transformations concernant les actes de parole représentés
1.2.1. Transformations concernant la catégorisation des messages
représentés
Seules deux occurrences de transformations de la catégorisation des messages représentés
ont été rencontrées dans notre sous-corpus. Ce type de transformation remplit nettement
plus souvent la fonction de positionnement, comme nous l’avons vu dans le chapitre VI
(point 2.2.). Dans ce dernier cas, le journaliste catégorise le message ou l’acte de parole
représenté en vue d’émettre un jugement positif ou négatif vis-à-vis de l’énonciateur
représenté ou de son discours. Dans le cas de la fonction de réception, c’est pour établir un
lien avec ses lecteurs que le journaliste cible transforme la catégorisation du message
représenté. Contrairement à la fonction de positionnement, nous n’avons rencontré aucun
cas où c’était l’acte de parole représenté qui était modifié en vue d’atteindre la fonction de
réception. Seule la transformation de la catégorisation des messages représentés semble
remplir cette fonction, comme dans l’exemple suivant :
198) - Texte source : Cette profonde réforme de l'Armée devra privilégier le recrutement des jeunes soldats suivant les critères d'aptitude physique, de civisme et de patriotisme. Il sera fait aussi appel aux officiers formés dans des grandes écoles militaires aujourd'hui sans affectation qui ont œuvré au sein de l'armée nationale à l'époque du Zaïre, communément appelés ex-FAZ. [Le Phare, 31 octobre 2008]
199) - Texte cible : Enfin, quatrième audace, il faut réformer l'armée pour en faire "une armée professionnelle”, en "privilégiant le recrutement de jeunes soldats” et en faisant "appel aux officiers formés dans les grandes écoles militaires” issus des "ex-FAZ” soit l'armée mobutiste. [La Libre Belgique, 03 novembre 2008]
Cet exemple met en évidence que les transformations de la catégorisation des messages
représentés peuvent parfois remplir la fonction de réception. Le texte source est issu du
Phare et catégorise les destinataires représentés (les officiers de l’armée zaïroise) comme
des ex-FAZ. Le texte cible, quant à lui, publié en Belgique, les catégorise aussi comme des ex-
FAZ, mais aussi comme issus de l’armée mobutiste. Or, en sachant qu’à l’époque, le pouvoir
(et l’expulsion du pouvoir) de Mobutu a été très fortement médiatisé par la presse
occidentale et en particulier par la presse belge, on comprend que le journaliste de La Libre
Belgique choisit d’y faire référence pour que ses lecteurs identifient plus facilement les
énonciateurs/acteurs dont il est question.
297
1.2.2. Transformations des messages représentés servant d’explication,
par leur suppression
Comme pour la catégorisation des messages représentés, les transformations concernant
l’explication sont très peu courantes. Nous n’avons rencontré dans notre corpus qu’une
seule occurrence de ce type de transformation remplissant la fonction de réception. Cette
occurrence correspond à la suppression d’une partie du message représenté qui sert
d’explication, de justification au propos représenté :
200) - Texte source : Les chefs de la diplomatie française et britannique, Bernard Kouchner et David Miliband, se sont envolés hier pour la République démocratique du Congo et pour le Rwanda, dans le but de faire pression sur les acteurs de la crise au Kivu [Le Figaro, 1er novembre 2008]
201) - Texte cible : Un chassé-croisé diplomatique s'était déployé entre Kinshasa, Kigali et Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, dans l'est de la RDC, avec les visites du commissaire européen à l'Aide humanitaire Louis Michel, de la secrétaire d'État adjointe américaine aux Affaires africaines Jendayi Frazer, ainsi que des chefs des diplomaties française et britannique, Bernard Kouchner et David Miliband. [L’Observateur, 03 novembre 2008]
Dans cet exemple, le discours représenté (faire pression sur les acteurs de la crise au Kivu)
correspond à une proposition explicative d’un fait (se sont envolés dans le but de). Cette
proposition disparaît dans le texte cible : plus aucune représentation du discours autre n’y
apparaît, bien qu’elle soit quand même sous-entendue par les mots « chassé-croisé
diplomatique ». La raison de cette transformation est la proximité des lecteurs de
L’Observateur avec les faits évoqués. Étant donné cette proximité, il est évident qu’ils se
doutent des raisons des déplacements en RDC de diplomates européens. L’Observateur n’a
dès lors pas besoin de mentionner ce détail qui paraît évident pour ses lecteurs.
1.2.3. Transformations des actes de parole représentés par l’a out ou la
suppression de leur attribution
a) A out de l’attri ution
L’attribution du discours représenté est, comme son nom l’indique, un moyen pour
l’énonciateur premier de préciser à qui le discours a été repris. Mais plus encore, c’est un
moyen de donner un maximum d’informations sur les énonciateurs représentés, leurs actes
de parole, leur situation d’énonciation, etc. Dans certains cas très rares, cette attribution
remplit la fonction de réception, comme dans l’exemple suivant :
202) - Texte source : Au regard des événements que vivent nos populations de l'Est du pays présentement, on peut dire, d'une part que l'histoire se répète, et d'autre part, qu'il s'agit là du dernier obstacle d'un long processus qui est parti de Victoria Falls en date du 08 août 1996, en passant par les accords de Lusaka, de Pretoria, de Luanda et de Sun City jusqu'à la tenue des élections. Dans un cas comme dans
298
l'autre, il y n'a pas lieu d'être pessimiste ou défaitiste. Les problèmes du Nord-Kivu ne sont guère plus compliqués que ceux connus en son temps à Boende, Lisala, Kabinda et Kabalo, lorsqu’il s'est agi d'appliquer le Plan de désengagement de Kampala et les sous-plans de Harare. Comme par le passé, ce problème peut également se dénouer par la voie du dialogue politique et diplomatique. [Le Phare, 31 octobre 2008]
203) - Texte cible : Il n'y a pas lieu d'être pessimiste ou défaitiste”, annonce, dans son introduction, le "Plan de sortie de crise à l'est de la République démocratique du Congo” (1), élaboré par les députés congolais et signé du nom de leur président, Vital Kamerhe (PPRD, le parti du président Kabila), lui-même sud-kivutien. Et de rappeler que "l'histoire se répète” et que le Congo est déjà venu à bout d'autres poches de combat qui ensanglantaient d'autres régions du pays. "Comme par le passé, ce problème (du Nord-Kivu) peut également se dénouer par la voie du dialogue politique et diplomatique”. [La Libre Belgique, 03 octobre 2008]
On pourrait penser qu’il est nécessaire que l’acte de parole soit attribué dans le cas du
passage du discours produit au discours représenté. Mais la représentation du discours autre
pourrait très bien être établie au moyen d’une modalisation ou d’un îlot textuel par
exemple, ce qui ne produirait pas d’acte de parole à proprement parler (nom/verbe de
parole), voire d’énonciateur représenté. En représentant le discours autre au moyen d’un
acte de parole explicite, le journaliste cible insiste clairement sur le fait de dire, ou plutôt de
redire et donne un maximum d’informations sur les énonciateurs représentés. Ce
mécanisme remplit ici clairement la fonction de réception. En effet, le texte de La Libre
Belgique insiste sur plusieurs éléments d’attribution du discours autre en mentionnant
l’endroit du texte (dans son introduction), le texte même (le Plan de sortie de crise), les
énonciateurs qui l’ont rédigé (les députés congolais), mais aussi un énonciateur qui l’a signé
(Vital Kamerhe). Ces éléments d’information sont utiles pour les lecteurs de La Libre
Belgique, nettement moins informés des faits congolais que les lecteurs du Phare. Ces
derniers, ayant entendu parler à maintes reprises du Plan de sortie de crise, savent très bien
qui l’a élaboré et signé. Ils n’ont dès lors pas nécessairement besoin des mêmes
informations concernant ces énonciateurs, contrairement aux lecteurs de La Libre Belgique.
Raison pour laquelle, dans cet exemple, l’ajout de l’attribution du dit remplit la fonction de
réception.
b) Suppression de l’attri ution
Dans certains cas, c’est en supprimant l’attribution du dit qu’on observe la fonction de
réception. Ce type de transformation est lui aussi relativement rare puisque seules deux
occurrences ont été rencontrées dans les textes implicitement liés. Le peu d’occurrences des
types de transformations que nous présentons dans cette section confirme que
contrairement à la fonction de positionnement, les transformations touchant aux actes de
parole représentés ne sont pas les plus répandues lorsqu’il s’agit de la fonction de réception.
L’une des deux occurrences rencontrées est la suivante :
299
204) - Texte source : Investi il y a trois jours par le président Joseph Kabila, M. Muzito a reçu comme tâche prioritaire "la sécurité et la reconstruction”. [La Libre Belgique, 05 novembre 2008]
205) - Texte cible : Le Premier ministre Muzito a comme tâche prioritaire « la sécurité et la reconstruction » du pays. [Le Potentiel, 06 novembre 2008]
Cet exemple pourrait paraître ambigu quant au paramètre énonciatif concerné par les
transformations. On remarque que la suppression d’informations est celle des mots « investi
il y a trois jours par le président Joseph Kabila ». Cette information est reliée directement à
l’énonciateur Adolphe Muzito. Il s’agit donc aussi de la suppression de caractéristiques
décrivant l’énonciateur représenté. Dans le cas qui nous occupe, nous considérons que cette
suppression est aussi celle de l’attribution du dit. L’énonciateur représenté doit réaliser une
tâche présentée dans les deux textes comme un dit au moyen d’un îlot textuel (la sécurité et
la reconstruction du pays). Dans le texte source, ce dit est présenté comme provenant de
Joseph Kabila. On pourrait reconstruire la structure sous-entendue en « Joseph Kabila, qui a
investi Muzito, lui a demandé de s’occuper de la sécurité et la reconstruction du pays ».
Cette insistance sur l’attribution du dit disparaît dans le texte cible publié par Le Potentiel.
Les lecteurs du Potentiel sont en effet congolais et sont au courant de l’investiture de Muzito
comme Premier Ministre. Cette information leur a en effet déjà été transmise à plusieurs
reprises les jours précédents dans les journaux, que ce soit par Le Potentiel ou par d’autres
journaux congolais. Ils se doutent donc que la tâche de laquelle il est question dans le texte a
été demandée par Joseph Kabila. Le journaliste cible peut dès lors omettre cette
information, sans pour autant pousser ses lecteurs dans la confusion.
1.2.4. Transformations des actes de parole représentés par leur ancrage
ou « désancrage » spatial et/ou temporel
La fonction de réception peut aussi se manifester par ce que nous nommons l’ancrage ou le
« désancrage » spatial et temporel. Nous avons constaté que de nombreuses
transformations touchaient le lieu et l’espace (ou les repères spatio-temporels) de la
situation d’énonciation représentée. Dans certains cas, ces repères spatio-temporaux étaient
ajoutés dans le texte cible (ancrage spatial/temporel) ou y étaient supprimés (désancrage
spatial/temporel).
a) Ancrage spatial
Quand l’ancrage spatial remplissant la fonction de réception a été repéré dans les textes
implicitement liés, il prend des formes comme dans l’exemple suivant :
300
206) - Texte source : La situation dramatique qui prévaut dans le Nord-Kivu, a été hier, au centre de la réunion interinstitutionnelle présidée par le président de la république, Joseph Kabila Kabange, et élargie aux ambassadeurs des pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies112. [Le Phare, 29 octobre 2008]
207) - Texte cible : Une réunion interinstitutionnelle de crise a réuni mardi à Kinshasa le président Kabila, des fonctionnaires de l'ONU, les ambassadeurs des pays membres permanents du Conseil de sécurité, les représentants de l'UE et de l'Union africaine. [La Libre Belgique, 30 octobre 2008]
Ici, le texte source est un article alors que le texte cible est une brève. On s’attendrait donc à
une diminution de l’information relatée dans le texte cible, notamment à la suppression des
repères spatio-temporels, qui ne constituent pas l’information de premier plan. Cependant,
dans cet exemple, c’est l’inverse qui est observé : un repère spatial est ajouté (à Kinshasa).
Pourquoi le journaliste du texte cible décide-t-il de préciser à ses lecteurs le lieu dans lequel
le discours représenté a initialement été produit ? En examinant les pays dans lesquels sont
publiés les deux textes, on remarque que le texte source est publié en RDC, alors que le
texte cible l’est en Belgique. Les lecteurs du Phare étant au courant de la situation du Nord-
Kivu, ils savent que les réunions interinstitutionnelles se déroulent dans la capitale, Kinshasa.
Les lecteurs de La Libre Belgique en revanche doivent avoir accès à l’information spatiale
pour identifier correctement l’événement dont il est question dans le texte. Par conséquent,
la journaliste cible est obligée, par souci de compréhension pour ses lecteurs, d’ancrer
spatialement le contenu informationnel relaté. L’ancrage spatial peut donc remplir la
fonction de réception.
b) Ancrage temporel
De la même manière que l’ancrage spatial peut remplir la fonction de réception, l’ancrage
temporel peut lui aussi le faire. Dans ce dernier cas, l’usage de déictiques temporels dans le
texte cible montre que le journaliste établit un lien avec ses lecteurs qu’il sait être dans la
même situation d’énonciation que lui :
208) - Texte source : Confrontées aux multiples demandes des parents et tuteurs d’élèves qui ont fui les combats, les autorités de l’EPSP avaient, en effet, instruit en
112 Ce discours narrativisé est un des cas peu souvent répertorié par la littérature. Le fait qu’une question
soit au centre d’une réunion implique nécessairement qu’il ait eu un discours. Pourtant, la littérature semble parfois l’oublier. Mais il nous semble utile/pertinent de ne pas écarter ce genre d’exemples qui font aussi partie de la RDA selon nous.
301
novembre 2008, tous les chefs d’établissements scolaires de recevoir cette catégorie d’élèves sans aucune condition. [Le Potentiel, 14 janvier 2009]
209) - Texte cible : Confrontées aux multiples demandes des parents et tuteurs d’élèves qui ont fui les combats, les autorités de l’EPSP avaient en effet instruit en novembre, tous les chefs d’établissements scolaires de recevoir cette catégorie d’élèves sans aucune condition. [Le Potentiel, 21 janvier 2009]
Dans cet exemple, le passage du repère temporel « en novembre 2008 » à « en novembre »
remplit la fonction de réception. En effet, il est certain que dans le second texte, le
journaliste établit un lien plus fort avec ses lecteurs puisqu’il estime qu’ils comprennent
qu’ils se trouvent dans la même situation que lui et que « novembre » signifie dès lors
« novembre 2008 ». Dans le cas des repères spatiaux, l’ancrage précis du lieu où avait été
produit le discours qui était représenté permettait au journaliste cible de tenir compte des
connaissances de ses lecteurs : leur éloignement avec les faits relatés les empêchait
d’identifier précisément le lieu, ce qui obligeait le journaliste à le mentionner de manière
précise. Dans l’exemple que nous analysons maintenant, le journaliste cible est moins précis
au niveau des repères temporels. Ce qui n’empêche pas qu’il crée quand même un lien avec
ses lecteurs en estimant que ceux-ci sont suffisamment dans la même situation
d’énonciation que lui pour pouvoir identifier clairement le moment dont il est question.
Dans les deux cas, l’ancrage spatial ou temporel peut se faire de manière précise (par
exemple, si les lecteurs sont loin des événements relatés) ou au contraire de manière plus
vague (lorsque les lecteurs se trouvent dans la même situation d’énonciation que les auteurs
des textes).
c) Désancrage spatial
Le désancrage spatial correspond à la suppression des repères spatiaux dans le texte cible :
210) - Texte source : Les rebelles tutsis du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) ont annoncé, hier, la cessation des hostilités avec le gouvernement de la République démocratique du Congo. Cette annonce du CNDP a été faite de Goma, dans l'Ést du Congo. [Le Figaro, 17 janvier 2009]
211) - Texte cible : Quelques heures plus tard, lui et une dizaine d’officiers généraux ont signé une déclaration annonçant la « fin de la guerre » au Nord-Kivu. Dans la foulée, ils mettaient leurs soldats à la disposition des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). [Le Potentiel, 23 janvier 2009]
En (211), le journaliste cible n’a plus besoin de mentionner le lieu dans lequel le discours
représenté a été produit puisque ses lecteurs, congolais, sont proches des événements
relatés. Ils savent donc que la guerre ayant lieu en RDC se déroule au Nord-Kivu. Lorsque le
CNDP, le groupe armé opposé au gouvernement congolais annonce ou signe une déclaration
de fin de guerre, il le fait nécessairement en présence de dirigeants congolais, dans la
capitale de la région touchée par les conflits, à savoir Goma. Ce qui signifie que le journaliste
congolais considère que ses lecteurs sont suffisamment au courant des faits pour ne pas
avoir l’obligation de mentionner avec précision le lieu dans lequel le discours a été produit.
302
Cette affirmation est d’autant plus confirmée par le nombre très important de textes publiés
par les journaux congolais sur le conflit du Nord-Kivu.
d) Changement des repères spatiaux
Le changement des repères spatiaux est causé car le lecteur peut comprendre directement
de quel jour et de quel lieu il s’agit au moyen de termes plus ou moins détaillés:
212) - Texte source : Le président de la République, chef de l’État, Son Excellence M. Joseph Kabila Kabange, a convoqué une réunion inter institutionnelle de crise, ce mardi 28 octobre 2008, au Palais de la Nation, sur la situation dramatique qui prévaut dans le Nord-Kivu. [Le Potentiel, 29 octobre 2008]
213) - Texte cible : Une réunion interinstitutionnelle de crise a réuni mardi à Kinshasa le président Kabila, des fonctionnaires de l'ONU, les ambassadeurs des pays membres permanents du Conseil de sécurité, les représentants de l'UE et de l'Union africaine. [La Libre Belgique, 30 octobre 2008]
Dans cet exemple, le texte source donne une indication précise du lieu où se passe la
réunion interinstitutionnelle. Mais si le texte cible avait conservé ces termes, les lecteurs
auraient eu du mal à comprendre où celle-ci se déroulait. C’est la raison pour laquelle le
journaliste cible décide de modifier cet aspect.
1.3. Transformations concernant les formes de représentation du
discours autre
Les transformations concernant les formes de représentation du discours autre sont très peu
répandues lorsqu’elles remplissent la fonction de réception. Ces dernières concernent
toujours la représentation dévoilée du discours autre qui est soit ajoutée, soit supprimée
dans le texte cible.
1.3.1. A out d’une représentation dévoilée du discours autre
L’ajout d’une représentation dévoilée du discours autre identifié comme remplissant la
fonction de réception se décline comme suit dans notre corpus :
214) - Texte source : La rébellion de Laurent Nkunda a indiqué mardi qu’elle ne pourrait pas ouvrir de négociations avec le gouverneur du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), s’il n’est pas officiellement mandaté par le président Joseph Kabila et le gouvernement de Kinshasa. [Le Soir, 03 décembre 2008]
215) - Texte cible : Le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) « est prêt à accueillir le gouverneur du Nord-Kivu, si c’est pour des contacts d’information », a déclaré à l’Agence France Presse Bertrand Bisimwa, le porte-parole des rebelles. « Notre problème est que l’option des négociations a été biaisée par le gouvernement qui démie [sic] au gouverneur le mandat de négocier ». Le gouverneur Julien Paluku s’était dit, lundi soir, disposé à négocier directement
303
avec l’ex-général mutin Laurent Nkunda, mais le CNDP avait rejeté son offre, au motif que ce responsable ne disposait pas de « l’aval de Kinshasa ». [Le Potentiel, 04 décembre 2008]
Dans le texte cible, les propos émis par les membres du CNDP sont nettement plus nuancés
que dans le texte source, où l’on résume au maximum ce discours. La fonction de l’ajout de
tous ces discours est donc d’abord une fonction de clarté. En examinant où sont publiés les
textes, on constate que le texte source l’est en Belgique, alors que le texte cible l’est en RDC.
Le contenu informationnel porte sur des faits congolais, notamment sur le refus de
négociations du CNDP avec le gouverneur du Sud-Kivu, Julien Paluku qui n’a pas été mandaté
par les autorités congolaises. Mais dans le texte cible, on remarque que ces propos sont
nuancés : le CNDP ne refuse pas catégoriquement de négocier avec Julien Paluku. Il est
disposé à le rencontrer et à discuter avec lui, mais ne souhaite pas négocier de manière
officielle s’il n’a pas le mandat requis pour le faire. La nuance apportée par les discours
représentés a un effet majeur sur le lecteur : elle les rassure. En effet, le fait que le CNDP soit
prêt à ouvrir des discussions avec des autorités de la RDC est déjà une avancée dans la
résolution du conflit kivutien. Les lecteurs du Potentiel étant proches des événements, ils
sont d’autant plus réceptifs à ce genre d’information.
1.3.2. Suppression d’une représentation dévoilée du discours autre
La suppression de discours autre est un peu plus répandue que l’ajout de discours autre dans
le cas de la fonction de réception.Elle correspond à des exemples comme le suivant :
216) - Texte source : « J'appelle toutes les forces vives, tous les Congolais à se mettre debout contre un gouvernement qui a trahi son peuple », a déclaré le chairman du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Tous les observateurs ont noté que cette déclaration est intervenue après un long silence ayant donné libre cours à beaucoup de rumeurs relayées par la presse sur le mauvais état de santé de Nkunda, voire sur sa mort éventuelle. Le CNDP décide de « porter sa lutte jusqu'à la libération du peuple ». « Nous nous transformons en un mouvement de libération totale de la République », a martelé Laurent Nkunda, marquant ainsi sa volonté d'en découdre avec le gouvernement malgré le cortège de morts et de souffrances qu'entraîne la guerre des montagnes. Du coup, des questions ont subsisté sur les raisons du long silence adopté par Laurent Nkunda depuis juin. Des observateurs ont estimé que si ce silence n'était pas provoqué par des raisons de santé, c'est que Laurent Nkunda l'a mis à profit pour faire le point, redéfinir les objectifs et les stratégies de son mouvement, ou encore pour prendre des contacts dans le cadre de sa nouvelle croisade. Les mêmes observateurs n'excluaient pas que le général dissident ait profité de ce « temps mort » pour se réarmer. [Le Phare, 03 octobre 2009]
217) - Texte cible : La Mission de l'ONU en République démocratique du Congo (MONUC) a "fermement” condamné samedi l'appel du chef rebelle Laurent Nkunda demandant aux Congolais de "se mettre debout” contre le gouvernement de Kinshasa. "La MONUC et la communauté internationale ne tolèrent pas cette nouvelle tentative de déstabiliser le processus politique”, indique un communiqué reçu à Bruxelles. La Mission onusienne a également condamné "avec fermeté”
304
toute tentative visant à "attiser les tensions en prônant une solution militaire au conflit dans les Kivu”. […]Tutsi congolais, Laurent Nkunda a appelé, depuis jeudi sur plusieurs chaînes de radio étrangères, tous les Congolais "à se mettre debout contre un gouvernement qui a trahi son peuple” et a affirmé la détermination de son mouvement de "porter sa lutte jusqu'à la libération du peuple”. Jeudi, il avait annoncé la transformation de son mouvement, le Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP), en un "mouvement de libération totale de la République”, dans l'espoir d'être rejoint par d'autres opposants. "Aujourd'hui, la menace est devenue nationale, (elle) commence à devenir Tutsi congolais, Laurent Nkunda a appelé, depuis jeudi sur plusieurs chaînes de radio étrangères, tous les Congolais "à se mettre debout contre un gouvernement qui a trahi son peuple” et a affirmé la détermination de son mouvement de "porter sa lutte jusqu'à la libération du peuple”. Samedi, sur les antennes de la RTBF-radio, Laurent Nkunda a justifié sa décision par la "trahison du peuple par le gouvernement de Kinshasa”. "C'est une trahison ; les preuves sont claires. Un gouvernement qui arme les forces négatives étrangères contre son peuple, un gouvernement qui forme une armée qui se comporte très mal contre son peuple, un gouvernement qui ne répond à aucune revendication de son peuple, mais c'est une trahison”, a-t-il affirmé pour expliquer pourquoi il avait (re) pris les armes contre le régime du président Joseph Kabila. [La Libre Belgique, 06 octobre 2008]
Dans cet exemple, une série de discours autres sont supprimés. Ces discours portent sur des
rumeurs ayant couru dans la presse, notamment congolaise, sur le silence prolongé du
CNDP. La presse congolaise a émis toute sorte d’hypothèses concernant ce silence : la mort
de Nkunda ou une possible maladie, son réarmement, etc. Tous ces discours ont suscité soit
de la joie (la mort de Nkunda aurait pu impliquer la fin des conflits) ou de la crainte (son
réarmement signifie la prolongation des combats) au sein de la population congolaise,
directement concernée par ces questions. En Belgique en revanche, le contenu
informationnel des textes ne prend pas la peine d’émettre des hypothèses sur le silence de
Nkunda, car les lecteurs belges sont plus éloignés des faits et s’intéressent donc plus aux
faits ayant réellement eu lieu qu’à ce qui est possible qu’il y ait eu. Ce qui explique que tous
les discours potentiels du texte source disparaissent dans le texte cible où le journaliste
pointe surtout la transformation du mouvement armé. De plus, étant donné que durant le
silence de Nkunda, c’est la presse congolaise qui a émis une série d’hypothèses, il est
d’autant plus logique que ces hypothèses disparaissent lorsque le contenu informationnel
arrive en Europe. La suppression de la représentation du discours autre joue donc elle aussi
un rôle important dans le fait de tenir compte des lecteurs auxquels s’adressent les
journalistes.
1.4. Interprétation des résultats : examen des liens intertextuels
La fonction de réception est une fonction que nous avons rencontrée lorsqu’un journaliste
transforme un aspect de l’information dans le but d’être au mieux connecté avec ses
lecteurs ; de les identifier à sa propre situation d’énonciation. Il tient alors compte de leurs
connaissances, mais aussi de leurs attentes quant au type d’information relatée, au style du
305
journal, etc. Cette fonction est relativement rare dans nos analyses, par lesquelles nous nous
penchons sur les transformations des paramètres énonciatifs.
Les paramètres énonciatifs étudiés concernent les énonciateurs représentés, les actes de
parole représentés et les formes de représentation du discours autre. Sur ces trois
paramètres énonciatifs, l’un d’entre eux a particulièrement été touché par les
transformations remplissant la fonction de réception : les énonciateurs représentés. Les
caractéristiques les décrivant sont en effet plus souvent transformées que les types de
transformations relatifs aux actes de parole représentés ou aux formes de représentation du
discours autre. La raison en est que les journalistes des textes cibles estiment nécessaire de
donner plus ou moins de détails sur les énonciateurs qu’ils représentent afin de permettre à
leurs lecteurs de les identifier correctement.
Pour pouvoir mieux comprendre le fonctionnement des transformations des paramètres
énonciatifs, en relation avec la fonction qu’elles remplissent, nous nous sommes penchée
sur les liens intertextuels. Nous avons donc essayé de comprendre le lien qui existe entre la
fonction remplie par les transformations et les liens entre les journaux, pays et genres
textuels.
Pour la fonction de réception, nous avons montré qu’il existait un lien clair entre genre
textuel, pays et journal. Ce lien se répète, quel que soit le paramètre énonciatif pris en
considération. Cependant, pour chaque paramètre énonciatif, l’un ou l’autre aspect
supplémentaire ressort en particulier, ce que nous allons montrer. Nous tenons également à
préciser, avant d’entrer en détail dans les analyses, que nous n’avons pas distingué
transformations de différences, car nous analysons ici le lien entre les textes (par les
journaux, les genres, etc.) et que, par ailleurs les résultats étaient identiques pour les deux
cas de figure.
1.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux énonciateurs représentés
Pour comprendre les résultats obtenus et pouvoir les interpréter, nous avons examiné le
nombre d’occurrences des transformations des énonciateurs représentés, en rapport avec le
lien entre les journaux et celui de leurs genres textuels. Voici ce qu’il en ressort :
L’on ne trouve seulement que très rarement des occurrences où l’un des deux textes
provient du Figaro et l’autre du Potentiel et dont le genre des textes est une brève et l’autre
un article. Si nous nous penchons sur les autres résultats, nous pouvons en tirer les
conclusions suivantes. La première chose intéressante est que la plupart du temps, les
transformations des énonciateurs représentés qui remplissent la fonction de réception
(abréviées, TERFR) apparaissent lorsque l’information circule d’un pays européen (France,
Belgique) vers un pays congolais ou vice-versa. Cette première constatation nous pousse
donc à penser que les TERFR dépendent directement des changements de pays, voire de
306
continents : plus l’information circule d’un continent à l’autre, plus les journalistes ont
tendance à catégoriser d’une autre manière les énonciateurs représentés pour s’adapter aux
connaissances de leurs lecteurs.
Plus encore, on remarque une nette différence entre les genres textuels en fonction des
pays concernés. Lorsque le pays est en Europe, l’on constate une forte présence de brèves,
nettement moins d’articles et très rarement des analyses. L’on peut donc en déduire que les
TERFR dépendent aussi des genres textuels : plus la différence sera marquée (brève/article
ou article/analyse), plus il y aura de chances de voir apparaître ces transformations à
fonction réceptive.
Cela signifie que la réception correcte d’un message est déterminée non seulement par
la situation d’énonciation des énonciateurs premiers et de leurs lecteurs, mais aussi par le
genre discursif dans lequel il est émis. Ces affirmations sont connues de tout linguiste. Dans
notre étude, le message qui circule porte notamment sur les énonciateurs représentés. Si
nous nous penchons maintenant plus en détail sur le corpus de données dont nous
disposons, nous constatons plusieurs choses intéressantes. Tout d’abord, dans presque la
moitié des cas observés, le journal Le Potentiel est impliqué lors des TERFR. Cela nous
montre donc que ce journal est particulièrement attentif à la bonne réception du message et
plus particulièrement à l’identification des énonciateurs représentés. Ensuite, une relation
évidente entre les journaux belges La Libre Belgique, Le Soir d’un côté et Le Potentiel et Le
Phare de l’autre est apparue. On constate donc que la circulation de l’information et les
transformations qu’elle occasionne est nettement plus élevée entre des pays ayant des liens
historiques, notamment coloniaux, plus intenses. Le passage de l’information entre pays
ayant ces liens historiques implique des transformations de la catégorisation des
énonciateurs représentés. Ces transformations remplissent la fonction de réception et
dépendent aussi du genre textuel des textes analysés. Plus le pays est éloigné des
événements, plus le genre textuel s’approche du type des brèves, alors que plus il en est
proche, plus il correspond aux genres article ou article/an alyse. Cela signifie donc que la
fonction de réception dépend non seulement de la proximité/de l’éloignement avec les faits
relatés, mais aussi de l’importante différence entre les genres textuels.
Ces premières conclusions qui, nous le verrons, se répètent d’une fonction à l’autre,
peuvent déjà nous mettre la puce à l’oreille quant à l’appellation de conflit oublié dans la
presse occidentale actuelle. Ce conflit s’est en effet prolongé, avec des changements
d’acteurs, depuis son commencement et perdure toujours dans certaines régions de la RDC.
Cependant, très peu d’organismes médiatiques l’évoquent encore dans la presse
occidentale. Ce fait n’est pas étonnant si l’on porte son attention sur la façon dont il était
déjà médiatisé en 2008. Sa médiatisation dépendait déjà, à l’époque, de l’éloignement ou de
la proximité avec les faits évoqués : plus on était loin de ces événements, plus les textes
étaient brefs. Plus on en était proche, plus les textes se rapprochaient d’articles détaillés et
307
d’analyses. Il n’est dès lors pas étonnant qu’au fur et à mesure du temps, ce conflit
disparraisse de l’actualité occidentale qui se concentre sur des faits nouveaux. Cela révèle
aussi un problème majeur dans la connaissance réelle du monde : si la circulation de
l’information dépend de la proximité/de l’éloignement avec les faits relatés, comment
admettre que nous ayons une vision correcte du monde qui nous entoure ?
Nous avons ici montré que les transformations touchant les énonciateurs représentés et
remplissant la fonction de réception se réalisent en particulier lorsque l’information circule
entre la Belgique et la RDC et qu’en plus, c’est en particulier lors du changement du genre
textuel brève en article ou article/analyse. Voyons à présent si ces résultats se répètent ou si
de nouveaux apparaissent lorsque l’on porte notre attention sur les actes de parole
représentés.
1.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés
Si nous nous intéressons maintenant aux résultats obtenus pour les actes de parole
représentés, nous avons remarqué que ceux-ci sont un peu moins touchés par les
transformations remplissant la fonction de réception. L’examen des liens intertextuels a
abouti aux constatations suivantes :
Comme pour les précédents résultats, nous observons à nouveau une forte présence de
brèves en Belgique et une plus forte présence d’articles ou d’articles/analyses en RDC. La
fonction de réception semble donc bien dépendre de l’éloignement/la proximité des faits
évoqués, mais aussi des genres textuels : plus le texte est publié dans un pays éloigné des
faits relatés, plus il semble être bref et plus les journalistes suppriment des informations que
les lecteurs ne comprennent pas/n’ont pas besoin. A l’inverse, dans les pays proches des
événements relatés, les journalistes écrivent des textes plus longs et ont aussi dès lors plus
besoin de donner des informations à leurs lecteurs. Ces informations correspondent aux
connaissances contextuelles/de base des lecteurs en question.
Des différences par rapport aux résultats touchant les énonciateurs représentés sont
toutefois observables. D’abord, on constate un nombre plus important d’occurrences
lorsque les textes sont publiés dans le même pays. Par ailleurs, lorsqu’ils sont publiés dans
les pays congolais, les textes changent très peu souvent de genre textuel. Ce fait a
particulièrement attiré notre attention. En effet, nous pensions que cette fonction de
réception touchait en particulier les paramètres énonciatifs lorsque les textes provenaient
de pays différents. Or, il apparaît que certaines occurrences apparaissent dans les mêmes
pays. Nous avons donc examiné plus en détail ces occurrences. En nous penchant sur celles-
ci, nous avons observé d’une part que 88 % d’entre elles étaient présentes dans Le Potentiel
et d’autre part, qu’elles avaient toujours un rapport avec l’ancrage spatio-temporel des actes
de parole représentés. Nous pouvons donc en déduire que Le Potentiel semble être un
journal qui porte une attention toute particulière à la réception de l‘information et à la clarté
308
envers ses lecteurs. Dans ce cas-ci, c’est tant la fonction de répétition que celle de précision
qui fonctionnent conjointement.
1.4.3. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du
discours autre
Pour terminer cette section sur les liens intertextuels lors et la fonction de réception des
transformations, jetons un œil sur les transformations des formes de représentation du
discours autre. Celles-ci sont très peu répandues pour cette fonction.
Les rares occurrences concernent le passage d’un texte de du Phare à des textes dude La
Libre Belgique. Dans ces cas de figure, le genre textuel ne se modifie pas. Toutes ces
occurrences correspondaient à des réductions de représentations dévoilées. Plus encore, ces
réductions concernaient toujours des contenus portant sur la perception négative du Phare
quant à l’inaction des Européens pour aider les Congolais à régler le conflit. On peut donc
penser que La Libre Belgique ne souhaite pas faire passer une opinion négative trop forte sur
le conflit en question et s’adaptant à ses lecteurs européens, elle choisit de supprimer un
point de vue congolais.
2. La fonction de crédibilité/doute
La fonction que nous avons appelée de crédibilité ou de doute concerne la certitude ou
l’incertitude des faits relatés. Dans le cas de nos analyses, la certitude ou le doute porte sur
le discours qui a été produit par un énonciateur et qui est ensuite représenté par un
journaliste dit cible. Ce journaliste est l’auteur d’un texte représentant, ultérieurement, un
discours qui avait été préalablement déjà représenté par un autre journaliste, le journaliste
source. En d’autres termes, en « re-représentant » un discours, le journaliste cible modifie
les paramètres énonciatifs que sont les caractéristiques descriptives des énonciateurs
représentés, les actes de parole représentés ou les formes de représentation du discours
autre pour montrer qu’il croit en ou qu’il doute du discours préalablement représenté par un
autre journaliste. Sur l’ensemble des textes implicitement liés, cette fonction constitue 5,5 %
des fonctions rencontrées dans ce sous-corpus (textes implicitement liés). Le plus souvent,
les transformations servent au journaliste cible à crédibiliser le discours représenté.
2.1. Transformations concernant les énonciateurs représentés, par
ajout de caractéristiques descriptives
Bien qu’elles soient aussi transformées et puissent remplir la fonction de crédibilité/de
doute, les caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés ne représentent que très
peu de cas de transformations remplissant cette fonction. Les occurrences s’apparentent à
309
des cas où l’on observe un ajout de caractéristiques descriptives. Elles correspondent à des
exemples comme le suivant :
218) - Texte source : Au sujet de l’absence fort remarquée de l’envoyé spécial de l’ONU pour la RDC, à savoir son ancien homologue le nigérian Olusegun Obasanjo, Benjamin MKAPA a indiqué qu’il mène actuellement des consultations sur ces négociations et qu’il rejoindra d’ici peu le siège de l’ONU à Nairobi ou là où va se tenir le sommet des chefs d’État de la sous région. [Le Phare, 08 janvier 2009]
219) - Texte cible : Ce dernier [=l'ex-président nigérian Olusegun Obasanjo], absent à la reprise des discussions, poursuivait mercredi des "consultations en relation avec les négociations”, a expliqué M. Mkapa, son principal bras droit dans ce dossier. La situation est depuis lors relativement calme sur le terrain [La Libre Belgique, 08 janvier 2009]
Dans cet exemple, les deux textes sont publiés à la même date. Nous considérons cependant
que l’information circule du Phare vers La Libre Belgique, puisque dans ce sens, on passe
d’un article à une brève, chose nettement plus logique que l’inverse. Ce que l’on observe est
l’apparition, dans le texte cible des mots « son principal bras droit dans ce dossier » pour
caractériser l’énonciateur représenté, Benjamin Mkapa. On peut donc se demander pour
quelle raison le texte de La Libre Belgique souhaite transmettre ces informations à ses
lecteurs. Le texte porte sur l’absence d’Olusegun Obasanjo lors de discussions politiques.
Dans le texte source, on mentionne seulement que Mkapa a précisé que cette absence était
due à la poursuite de consultations d’Olusegun Obasanjo avec des responsables des groupes
armés. Le texte cible en revanche précise que l’énonciateur qui a tenu ces propos est le bras
droit d’Olusegun Obasanjo. Or, ce même texte cible est une brève. On s’attendrait donc à ce
que l’information soit condensée au maximum et qu’on aille simplement droit au but. Mais
le journaliste décide d’informer ses lecteurs du statut de Mkapa comme bras droit
d’Obasanjo. Il rajoute donc des informations. Ces dernières lui permettent clairement de
crédibiliser les dires représentés : si Mkapa est le bras droit d’Obasanjo dans ce dossier, il est
certain d’être au courant dans les moindres détails des dires et actes d’Obasanjo. On
constate donc que l’ajout de caractéristiques descriptives peut permettre au journaliste d’un
texte cible de crédibiliser le discours d’un énonciateur représenté.
Mais l’ajout de caractéristiques descriptives peut aussi servir à décrédibiliser
l’énonciateur représenté :
220) - Texte source : Le lieutenant-colonel Jean-Paul Dietrich, porte-parole militaire de la MONUC qui n’a constaté à ce jour aucun affrontement dans les deux territoires - Rutherglen et Masisi- sous contrôle du CNDP, a cependant confirmé à l’Afp les accrochages hier vendredi à Mabenga dans le Parc national des Virunga en territoire de Rutherglen entre les rebelles et le groupe armé des Pareco. [Le Potentiel, 10 janvier 2009]
221) - Texte cible : Ces affrontements se sont déroulés vers 7H30 (5H30 GMT) près de la localité de Mabenga (environ 90 km au nord de la capitale provinciale du Nord-Kivu Goma) a indiqué à l’AFP le porte-parole militaire de la Mission de l’ONU en
310
RDC (MONUC), le lieutenant-colonel Jean-Paul Dietrich. [Le Potentiel, 10 janvier 2009]
Dans cet exemple, l’énonciateur, le lieutenant-colonel Jean-Paul Dietrich, n’est pas
représenté de la même manière dans les deux textes. Dans le texte dit « source »113,
l’énonciateur représenté est caractérisé par une proposition relative en plus que dans le
texte dit cible (qui n’a constaté à ce jour aucun affrontement dans les deux territoires –
Rutherglen et Masisi – sous contrôle du CNDP). Selon cette dernière, le fait relaté (la
présence de combats dans les territoires du Masisi) n’a pas été constaté par l’énonciateur
représenté. Celui-ci a pourtant affirmé à l’AFP qu’il y avait des combats dans ces territoires.
En rajoutant donc cette proposition relative, le journaliste montre les contradictions de
l’énonciateur représenté, ce qui conduit le lecteur a ne plus savoir où se situe la vérité et
donc à douter des propos représentés. Dans ce cas-ci donc, c’est le doute du discours
représenté qui est émis par l’ajout de caractéristiques décrivant l’énonciateur représenté.
2.2. Transformations concernant les actes de parole représentés
2.2.1. Transformations concernant la catégorisation des actes de parole
et/ou des messages représentés
L’un des moyens régulièrement utilisé par les journalistes pour présenter comme certain ou
incertain un discours consiste à catégoriser d’une certaine manière l’acte de parole (et
parfois le message représenté) : le journaliste choisit d’utiliser un autre verbe de parole que
celui employé dans un texte source, soit pour instaurer un doute sur le fait asserté, soit pour
le crédibiliser. Dans certains cas, c’est pour montrer le doute/la crédibilité de l’énonciateur
représenté vis-à-vis d’un autre discours que ce type de mécanisme est employé. Prenons un
exemple pour étayer notre propos :
222) - Texte source : Emile Bongeli croit savoir que les malheurs qui s'abattent aujourd'hui sur la Rdc résultent de sa volonté de réglementer l'exploitation de ses ressources. [Le Phare, 29 octobre 2008]
223) - Texte cible : Le fait que pour la première fois, le Gouvernement de la République Démocratique du Congo veut reconstruire le pays avec les recettes de ses ressources naturelles énervent [sic] ceux qui l'ont toujours exploité sans contre partie équitable pour la République Démocratique du Congo. [L’Observateur, 29 octobre 2008]
113 Les deux textes sont publiés le même jour. Il n’y a donc pas de texte source ou de texte cible à
proprement parler. Il s’agit ici de différence et non de transformation.
311
Dans cet exemple, on remarque deux phénomènes : d’abord, un changement de source
évidentielle. Dans L’Observateur en effet, le contenu informationnel (le mécontentement de
certaines personnes provoqué par le désir de la RDC de réglementer les recettes provenant
des ressources naturelles) est présenté comme un fait (le fait que). Dans Le Phare en
revanche, ce même contenu est présenté comme un dire (Emile Bongeli croit savoir que). La
différence observée dans l’accès à l’information conduit Le Phare à catégoriser l’acte de
parole représenté. Cette catégorisation, il la réalise au moyen de deux verbes de pensée
(croire et savoir). Ce faisant, il conduit le lecteur à percevoir un doute de l’énonciateur
représenté vis-à-vis du contenu informationnel asserté. En effet, le journaliste aurait très
bien pu catégoriser l’acte au moyen du seul verbe savoir (Emile Bongeli sait que…). En y
ajoutant le verbe croire, le discours est perçu comme incertain ; on a l’impression que
l’énonciateur représenté doute lui-même du contenu informationnel. Dans L’Observateur en
revanche, le contenu informationnel est présenté comme étant certain ; est amené comme
un fait vérifié.
À l’inverse, certains actes de parole peuvent être catégorisés au moyen de verbes
montrant la certitude du discours représenté :
224) - Texte source : Selon l’agence Belga, Karel De Gucht qui continue à penser à une force relais, a promis d’insister auprès des partenaires européens pour sa concrétisation. [Le Potentiel, 24 décembre 2008]
225) - Texte cible : En dépit de la réticence des 27, Karl De Gucht est loin de s'avouer vaincu. " Je vais continuer à insister " auprès de nos partenaires européens, a-t-il assuré lundi 22 décembre. [L’Observateur, 26 décembre 2008]
En (224-225), on passe d’une catégorisation de l’acte de parole sur l’axe de la promesse (a
promis) dans Le Potentiel à celle sur l’axe de la certitude (a assuré) dans L’Observateur. En
d’autres termes, en montrant le discours représenté au moyen d’un discours direct et en
catégorisant ce dernier par le verbe assurer, L’Observateur place clairement les propos
représentés sur l’axe de la certitude, de la croyance de la conviction, ce verbe étant en effet
est défini par le TLFi comme « Communiquer à quelqu’un la conviction de quelque chose, lui
donner des raisons de croire à quelque chose ».
Nous avons donc vu dans cette sous-section que les actes de parole peuvent être
catégorisés d’une certaine manière. Lorsque cette catégorisation change, ou est ajoutée,
dans un texte par rapport à un autre texte, elle remplit parfois la fonction de crédibilité ou
alors celle de doute : le journaliste qui réalise la transformation souhaite faire passer un
autre effet du discours à ses lecteurs ; il souhaite le montrer comme plus ou moins certain.
312
2.2.2. Transformations concernant les actes de parole représentés par
la mise en relation de plusieurs actes de parole
Seule une occurrence de du doute par la mise en relation de discours a été observée dans le
sous-corpus de textes implicitement liés : il s’agit de la mise en relation du discours dit avec
le discours non-dit :
226) - Texte source : La récente déclaration de Laurent Nkunda de renverser le gouvernement élu et universellement reconnu, son retrait du Programme Amani et l’appel lancé par le chef de la MONUC, Alan Doss au Conseil de sécurité en vue d’obtenir des troupes additionnelles et des équipes spécialisées, ont été le focal du point de presse de la MONUC, animé par son porte-parole intérimaire Michel Bonnardeaux. […]Le chef de la MONUC faisait allusion à la reprise des combats à l’Est de la RDC, et a estimé que « les capacités de la MONUC à contenir la situation dans la Province Orientale et en Ituri étaient limitées en raison des préoccupations du Nord-Kivu ». « Il y a des limites à ce que nous pouvons faire, nous ne pouvons pas être partout à la fois », a notamment reconnu Alan Doss. [Le Potentiel, 09 octobre 2008]
227) - Texte cible : Le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies en RDC, Alan Doss a exprimé son inquiétude de voir la RDC de nouveau embrasée par la guerre au début de la semaine à la tribune du conseil de sécurité à New York (États-Unis). […] Par rapport à cette nouvelle donne sur le terrain, le représentant du secrétaire général des Nations Unies en RDC a fait un plaidoyer pour un renforcement des forces de la MONUC par des troupes additionnelles. […] Il a clairement étayé ses propos en indiquant que les capacités de la mission onusienne en RDC à contenir la situation dans la Province orientale et dans le district de l'Ituri étaient limitées en raison des préoccupations émanant du Nord-Kivu. " Il y a des limites à ce que nous pouvons faire. Nous ne pouvons pas être partout à la fois ", a-t-il soutenu. […] Michel Bonnardeaux est confiant que le conseil de sécurité va donner une suite favorable à cette demande. Mais, le porte-parole de la MONUC n'a pas donné le nombre des troupes additionnelles. [L’Observateur, 09 octobre 2008]
Dans cet exemple, le contenu informationnel porte sur la demande de la MONUC d’obtenir
des troupes additionnelles en RDC pour régler le conflit qui s’y déroule. L’un des
représentants de la MONUC, Alan Doss, souhaite des troupes additionnelles, mais mitige son
discours en disant que la situation est très tendue et que la MONUC est déployée ailleurs, et
ne peut être partout en même temps. Ce contenu informationnel est similaire dans les deux
textes. Ce que l’on remarque par contre dans L’Observateur est l’ajout d’un discours indirect
(Mais, le porte-parole n’a pas donné le nombre des troupes additionnelles). La question est
dès lors de savoir pourquoi le journaliste de L’Observateur décide de rajouter ce discours
représenté qui constitue un non-dit de la part de l’énonciateur représenté. Selon nous, cette
insistance sur les non-dits vise à instaurer un doute quant au discours représenté. Avec cette
dernière proposition en effet, on a l’impression que le journaliste sous-entend
qu’effectivement la MONUC ne cesse de parler de troupes additionnelles, mais que l’idée
reste abstraite et que d’ailleurs, la MONUC ne parle/sait même pas combien de troupes elle
313
souhaite. Il s’agit donc d’insister sur ce qui n’est pas dit par rapport à ce qui a été dit pour
instaurer un doute sur la véracité du discours représenté.
2.2.3. Transformations des actes de parole représentés par l’a out de
marqueurs épistémiques
La plupart des transformations touchant les actes de parole et remplissant la fonction de
crédibilité/doute est réalisée par les marqueurs épistémiques. Les occurrences concernées
se situent nettement moins souvent du côté de la crédibilité que du côté du doute. Lorsque
le journaliste tente de rendre certaine l’information relatée, soit il transforme la source
évidentielle, soit il utilise le présent de l’indicatif à la place d’un autre temps employé dans
un texte source. Lorsqu’il s’agit du doute, les marqueurs utilisés sont : les adjectifs
qualificatifs, le conditionnel, le changement de source évidentielle, l’ajout de propositions, le
questionnement, l’hypothèse et la potentialité. Voyons donc plus en détail ces phénomènes.
a) La certitude : le changement de source évidentielle et le présent de
l’indicatif
Le changement de source évidentielle peut servir à marquer la certitude de l’information
relatée : le journaliste du texte cible choisit de présenter les faits comme ayant été perçus
directement au lieu de les présenter comme appris d’un autre énonciateur. Ces
transformations ne constituent néanmoins que très peu d’occurrences dans les textes
implicitement liés.
Sur ces occurrences, un cas en particulier a retenu notre attention :
228) - Texte source : 9 civils tués, 3 blessés, 3 filles violées, et plusieurs habitations, boutiques, magasins et restaurant pillés par des hommes armés : tel est le bilan de la Radio Okapi sur l'insécurité qui a prévalu dans la nuit de mercredi 29 au jeudi 30 octobre 2008 à Goma. Hier jeudi matin, cette ville s'est réveillée timidement, après une nuit complètement agitée. Aucune activité n'était exercée jusque-là. Des attroupements des habitants étaient observés ça et là, sur l'ensemble de la ville. [Le Phare, 31 octobre 2008]
229) - Texte cible : C'est donc l'image d'une ville quasiment déserte que Goma reflétait le matin d'hier : l'insécurité était perceptible, aucune activité n'était visible, sauf des attroupements des habitants à travers toute la ville, rapportaient des sources sur place. Tous faisaient un constat amer. [L’Observateur, 31 octobre 2008]
Dans cet exemple, on passe d’un contenu informationnel connu au moyen d’un autre
énonciateur, Radio Okapi, à un contenu informationnel connu par perception visuelle, mais
aussi via un autre énonciateur. Ce qu’il est intéressant de remarquer dans cet exemple est
l’usage répétitif de marques de perception visuelle (image, perceptible, visible, constat). Ces
marques permettent au journaliste de rendre l’information présentée plus certaine, comme
s’il avait directement eu accès, par perception visuelle, à ce qui est relaté. D’ailleurs, même
314
s’il s’appuie sur le discours d’un autre énonciateur, celui-ci n’est présenté qu’en fin de
proposition et est caractérisé par des mots qui font à nouveau référence à la perception
visuelle (des sources sur place). En d’autres termes, en utilisant toute une série de
marqueurs de perception visuelle, le journaliste feint d’avoir accédé directement aux faits,
ce qui les crédibilise d’autant plus, même si, en réalité, il y a eu accès via d’autres
énonciateurs.
b) Le doute : les adjectifs, le conditionnel, le changement de source
évidentielle, l’a out de propositions, le questionnement, l’hypothèse
L’ajout de marqueurs épistémiques en vue de marquer le doute a été observé plusieurs fois
dans les textes implicitement liés : le journaliste du texte cible ajoute des adjectifs
qualificatifs, transforme le présent en conditionnel, change de source évidentielle ou ajoute
des propositions, des questions, des marqueurs d’hypothèse et tous ces marqueurs
contribuent à ce que le lecteur perçoive l’information de manière moins certaine que dans
un texte source. Voyons plus en détail ces différents marqueurs.
230) - Texte source : Bosco Ntaganda, le chef d’état-major de la rébellion congolaise du Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP), a réaffirmé jeudi, depuis une petite localité du territoire du Masisi – zone sous contrôle rebelle, à l’Est du Congo –, avoir « renversé » Laurent Nkunda, assurant que ce changement à la tête du mouvement rebelle allait « favoriser la paix ». « Nkunda était devenu un frein à la paix au sein du CNDP. Depuis longtemps, nous lui disions de quitter le pouvoir », a expliqué M. Ntaganda, vêtu pour l’occasion de son uniforme de parade de général de brigade. [Le Soir, 09 janvier 2009]
231) - Texte cible : Les dernières déclarations de Bosco Ntaganda confirment cette thèse : « Le chairman (président) a été renversé, mais le CNDP reste tel quel. Nkunda était devenu un frein à la paix au sein du CNDP. Depuis longtemps, nous lui disions de quitter le pouvoir. […] Il est surprenant d’entendre Bosco Ntaganda dire « ignorer » les accords conclus entre Kinshasa et ces voisins alors que le CNDP dispose d’un réseau de communications moderne. En sa qualité de chef d’Etat-major du CNDP, il est supposé être régulièrement informé pour suivre toutes les péripéties afin de disposer d’une stratégie de guerre. [Le Potentiel, 09 janvier 2009]
Dans cet exemple, le contenu informationnel des deux textes porte sur des déclarations
faites par Bosco Ntaganda affirmant avoir renversé Laurent Nkunda, le chef du CNDP. Dans
le texte du Potentiel, on observe la présence de deux adjectifs visant à émettre un doute sur
ces déclarations : « surprenant » et « supposé ». En ajoutant ces marqueurs, Le Potentiel
jette un doute sur la véracité des déclarations de Bosco Ntaganda. On pourrait en effet
transformer l’énoncé en : Ntaganda dit avoir renversé Nkunda. Or, il affirme ne pas
connaître les accords entre Kinshasa et ses voisins. Pourtant, il dit être le chef du CNDP et
devrait donc être au courant de ces accords. Donc, ses déclarations sont fausses ». On
constate donc que l’ajout de certains adjectifs pousse le lecteur à percevoir comme peu
crédible un discours représenté.
315
Un autre moyen permettant de mettre en doute une information relatée est l’usage du
conditionnel. Ce dernier constitue le mécanisme le plus souvent utilisé par les journalistes
pour douter d’une information via l’ajout de marqueurs épistémiques. Les occurrences
repérées se déclinent comme dans l’exemple suivant :
232) - Texte source : Selon les responsables de la 8e région militaire basée à Goma, 16 combattants du CNDP ont été tués dont 2 officiers au cours de ces combats qui ont duré presque toute la journée de lundi. [L’Observateur, 08 octobre 2008]
233) - Texte cible : Selon des responsables de la 8e région militaire à Goma, 16 combattants, parmi lesquels 2 officiers, auraient été tués au cours de ces combats qui ont duré presque toute la journée de lundi. [Le Phare, 09 octobre 2008]
En (232), le texte source présente la mort de soldats comme un fait certain : il se réfère au
discours de responsables militaires et parle au présent (ont été tués). Dans le texte cible en
revanche, les faits sont aussi présentés comme résultant du discours de responsables
militaires, mais ils sont relatés au conditionnel (auraient été tués). En transformant les temps
verbaux, Le Phare transforme également la manière dont le lecteur va percevoir
l’information : celle-ci est alors perçue comme incertaine, non confirmée.
Mais le conditionnel est aussi lié à un autre mécanisme en vue de douter de l’information
relatée : l’évidentialité. Dans ces cas de figure, le journaliste combine un changement de
temps avec un changement de source évidentielle afin d’arriver à placer un doute sur le
contenu informationnel asserté. Prenons un exemple :
234) - Texte source : À en croire ce communiqué diffusé par la Radio Okapi, ce plan devrait permettre d’entamer la phase de désengagement prévue par les Actes d’Engagement signés par les belligérants à Goma. [Le Phare, 15 septembre 2008]
235) - Texte cible : La Mission des Nations unies au Congo (MONUC) vient de finaliser un plan de séparation des forces sur le terrain. Ce qui permettra d’entamer la phase de désengagement prévue par le processus de paix de Goma. [Le Potentiel, 15 septembre 2008]
Dans cet exemple, on note le changement de source évidentielle : dans Le Phare,
l’information est présentée comme ayant été empruntée à un autre énonciateur, à savoir
Radio Okapi qui a publié un communiqué. Dans Le Potentiel en revanche, l’information
n’apparaît pas avoir été empruntée : le journaliste présente l’information comme s’il y avait
eu directement accès. De plus, ce changement de source évidentielle est accompagné d’un
changement de temps verbal : on passe du conditionnel au futur. Ce qui conduit à
l’affirmation suivante : en changeant la source évidentielle, notamment en supprimant
l’emprunt, le journaliste du texte cible rend l’information plus certaine, ce qui lui permet
aussi de remplacer un conditionnel par un futur. Le conditionnel et le changement de source
évidentielle sont donc deux mécanismes pouvant servir à marquer la certitude, ou dans le
sens contraire, le doute.
316
De même, un journaliste cible peut marquer son doute quant à un contenu
informationnel en questionnant ce dernier. Le discours représenté est alors moins
convaincant que ce qu’il l’était dans le texte source :
236) - Texte source : Les ministres des Affaires étrangères du Rwanda et du Congo, Rosemary Museminali et Alexis Thambwe, se sont mis d'accord, jeudi à Goma, sur un plan militaire visant à démanteler les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR, rebelles hutus issus des génocidaires ; alliés militaires de Kinshasa au Kivu) a annoncé M. Thambwe. [La Libre Belgique, 05 décembre 2008]
237) - Texte cible : La RDC et le Rwanda se sont donc mis d'accord sur un plan militaire visant à démanteler les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), milice hutu dont la présence au Nord-Kivu et au Sud-Kivu alimente le conflit dans la région. En retour, la RDC a invité le Rwanda à faire usage de son autorité morale sur Laurent Nkunda pour ramener le chef rebelle à la table des négociations. Cette fois, les engagements seront-ils respectés ? [Le Potentiel, 06 décembre 2008]
Dans cet exemple, le contenu informationnel porte sur une décision commune de
démanteler les FDLR, à un engagement commun à les démanteler. Dans le texte cible, un
second contenu informationnel apparaît : le désir de la RDC de ramener Nkunda aux
négociations, via la pression morale du Rwanda. Ce qui signifie que la RDC souhaite que le
Rwanda s’engage à faire pression sur Nkunda. En d’autres termes, deux engagements
apparaissent : le premier touchant le démantèlement des FDLR et le second celui du Rwanda
de ramener Nkunda aux négociations. Le fait que le journaliste cible fait suivre ces deux
contenus informationnels de la question : « Cette fois, les engagements seront-ils
respectés ? » conduit à percevoir le contenu informationnel différemment. En effet, en
ajoutant cette question, le journaliste cible sous-entend qu’habituellement les engagements
et donc les dires des énonciateurs représentés ne sont pas respectés. Ce qui pousse le
lecteur à se dire qu’effectivement les énonciateurs représentés ont tenu ces propos, mais
que cela n’implique pas qu’ils soient vrais. Par conséquent, dans cet exemple, le
questionnement suivant le contenu informationnel marque un doute sur le discours
représenté.
Le dernier point que nous souhaitons aborder dans cette sous-section est celui
concernant le marquage du doute au moyen de l’hypothèse. Dans ces cas-là, le journaliste
cible utilise un marqueur d’hypothèse, ce qui rend le contenu informationnel moins certain
aux yeux des lecteurs :
238) - Texte source : En outre, l'Usaid/Ofda fournira 2 millions de dollars au MRR en soutien à la logistique et aux produits d'assistance. Ces fournitures bénéficieront à 20.000 déplacés internes au Nord-Kivu. [Le Phare, 14 novembre 2008]
239) - Texte cible : Outre cette première aide non alimentaire, l’USAID/OFDA envisage de fournir 2 millions dollars américains au MRR en soutien à la logistique et aux produits d’assistance à 20.000 déplacés du Nord-Kivu. [Le Potentiel, 15 novembre 2008]
317
On remarque que dans le texte cible, l’expression « envisage de fournir » est employée pour
caractériser le discours (plus précisément la pensée) représenté(e). Or, dans le texte source,
le contenu informationnel était relaté au moyen du seul verbe « fournira », c’est-à-dire au
moyen d’un verbe d’action au futur simple. En utilisant ce verbe et le temps futur, la
réalisation de l’action semble certaine. En revanche, l’usage de l’expression « envisager de
fournir » a comme conséquence de montrer la même action comme moins certaine. Le
verbe envisager signifie en effet : « Prendre en considération, prévoir, avoir en vue » (TLFi).
Autrement dit, l’action de financer le MRR pour soutenir les déplacés apparaît désormais
comme une hypothèse, comme une action qui est prévue, envisagée, sans réelle certitude
d’aboutissement. Nous constatons donc qu’au moyen de marqueurs épistémiques
d’hypothèse, il est possible de présenter les faits relatés comme douteux.
2.3. Transformations concernant les formes de représentation du
discours autre
2.3.1. A out ou suppression d’une représentation dévoilée
L’ajout d’une représentation dévoilée pour crédibiliser ou pour douter de l’information est
un phénomène un peu plus courant que les autres. Ce type de transformations correspond à
des exemples comme le suivant :
240) - Texte source : Cependant, sur le terrain, de nouveaux combats sont signalés depuis mercredi à Bihambwe, Kahundu et Rubaya dans le Masisi. La Police nationale congolaise signale un grand mouvement de déplacement des populations. Mais ni le CNDP ni les troupes régulières ne font état d’un quelconque bilan. [Le Phare, 18 septembre 2008]
241) -Texte cible : Pendant ce temps, des nouveaux affrontements ont été signalés mercredi matin dans des villages situés au Nord de Goma dans le Masisi. Ces affrontements ont été confirmés par les responsables du CNDP qui ont [sic] de violents combats sans donner de bilan. La police nationale a de son côté signalé un vaste mouvement de déplacement des populations dans cette zone. [L’Observateur, 18 septembre 2008]
Le contenu informationnel de cet exemple porte sur des affrontements dans le Masisi. Dans
le texte source, on évoque des affrontements, des déplacements de populations et l’absence
de bilan du CNDP ou des FARDC. Dans le texte cible, les mêmes aspects sont relatés. Mais,
de surplus, apparaît une proposition dans laquelle se trouve une représentation dévoilée du
discours autre : « Ces affrontements ont été confirmés par les responsables du CNDP qui ont
[sic] de violents combats ». Cette représentation dévoilée du discours autre contient un
verbe de parole (« confirmer ») situant le discours autre sur l’axe de la crédibilité (cf :
« Présenter comme certaine une chose considérée jusque là comme quelque peu douteuse
ou seulement possible ou probable », TLFi). En d’autres termes, le journaliste ajoute cette
proposition en vue de crédibiliser l’information qui était relatée dans les propositions la
précédant.
318
De la même manière, certaines propositions contenant une représentation dévoilée du
discours autre peuvent servir à semer le doute sur la véracité des propos représentés,
comme dans l’exemple suivant :
242) - Texte source : Les rebelles tutsis du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) ont annoncé, hier, la cessation des hostilités avec le gouvernement de la République démocratique du Congo. Cette annonce du CNDP a été faite de Goma, dans l'Est du Congo. [Le Figaro, 17 janvier 2009]
243) - Texte cible : Les commandants mettent « dès cet instant à la disposition du Haut Commandement des FARDC toutes les forces combattantes du CNDP en vue de leur intégration au sein de l’armée nationale ». Ils demandent notamment au gouvernement « d’accélérer la promulgation de la loi d’amnistie couvrant les faits insurrectionnels de la guerre conformément à l’acte d’engagement de Goma (janvier 2008) ». La partie du CNDP restée fidèle à Nkunda n’était pas joignable vendredi soir pour commenter cette déclaration. [Le Soir, 17 janvier 2009]
Contrairement à l’exemple précédent, on voit qu’ici la représentation dévoilée qui est
ajoutée (La partie du CNDP restée fidèle à Nkunda n’était pas joignable vendredi soir pour
commenter cette déclaration) permet au journaliste cible de douter de l’information relatée.
En effet, dans les deux textes, on parle de l’annonce du CNDP de mettre fin à la guerre.
Cependant, dans le texte source, on nuance ce propos en affirmant que ce sont les
commandants suivant le général Bosco Ntaganda qui ont tenu ce discours. Or, Bosco
Ntaganda dit avoir démis Nkunda de ses fonctions, ce que ce dernier dément. Par
conséquent, en affirmant que les personnes suivant Nkunda n’ont pas confirmé
l’information provenant de Ntaganda et de ses partisans, vise à émettre un doute quant à
cette information. On pourrait ainsi résumer ces faits/dires par : Ntaganda a dit qu’il mettait
fin à la guerre. Ntaganda a démis Nkunda de ses fonctions, mais ce dernier le dément. De
plus, Nkunda qui est peut-être encore à la tête du CNDP, n’est pas joignable pour confirmer
l’arrêt de la guerre. Donc, ce que Ntaganda a dit n’est pas certain. Notons également que
dans le cas présent, les deux textes sont publiés aux mêmes dates. Ce qui signifie que si nous
analysons les deux textes dans le sens contraire (en prenant Le Soir comme texte source et
Le Figaro comme texte cible), les conclusions inverses apparaissent : la suppression d’une
représentation dévoilée permet alors au journaliste cible de crédibiliser le discours
représenté. Nous voyons donc que l’ajout ou la suppression d’une représentation dévoilée
peut servir à mettre en doute un discours représenté.
2.3.2. hangement d’une représentation dévoilée
Parfois, un changement de représentation dévoilée remplit la fonction de doute. Nous
n’avons en effet décelé que trois occurrences de ce phénomène dans les textes
implicitement liés et à chaque fois, il s’agissait de marquer le doute vis-à-vis du discours
représenté. Prenons l’une des trois occurrences :
244) - Texte source : En effet, dans une lettre adressée lundi 6 octobre 2008 aux Nations Unies, le président de ce mouvement insurrectionnel se plaint des
319
attaques de l'Armée régulière, "non condamnées " par les Nations Unies. [L’Observateur, 08 octobre 2008]
245) - Texte cible : Pour rappel, dans cette lettre, Laurent Nkunda qui accuse la MONUC de partialité, se plaint des attaques des FARDC contre ses positions, attaques que, selon lui, les Nations Unies ne condamnent pas114. [Le Phare, 09 octobre 2008]
Dans cet exemple, on observe la présence d’un îlot textuel (non condamnées) dans le texte
source et d’une modalisation du dire comme discours second (selon lui, les Nations Unies ne
condamnent pas dans le texte cible. Ce changement pourrait paraître anodin puisqu’à priori
on attribue dans les deux cas le discours à un autre énonciateur. Cependant, dans le texte
cible, la présence d’une modalisation centrale ralentit fortement la lecture. Ce
ralentissement provoque comme effet la prise de distance très marquée du journaliste vis-à-
vis des dires représentés. Ce qui a pour conséquence de montrer très clairement (voire plus
clairement) aux lecteurs que le journaliste doute du discours représenté. Le changement de
formes de représentation dévoilée du discours autre est donc lui aussi un mécanisme
permettant de douter du discours autre.
2.4. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels
2.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux énonciateurs représentés
Seules quatre occurrences de transformations des caractéristiques décrivant les
énonciateurs représentés et remplissant la fonction de crédibilité ou de doute ont été
repérées dans notre corpus. Ce manque de données chiffrées nous empêche d’avancer des
affirmations fiables sur le fonctionnement intertextuel dans ce cas de figure. Deux
occurrences concernent le doute et les deux autres la crédibilité.
Ce qu’il est quand même intéressant de noter est que contrairement à la fonction de
réception, le paramètre énonciatif le moins souvent touché par les transformations
remplissant la fonction de crédibilité/doute est l’énonciateur représenté. On peut donc
penser que les journalistes ne considèrent pas ce paramètre énonciatif comme étant le plus
approprié lorsqu’ils veulent douter ou crédibiliser le discours des énonciateurs représentés.
Par ailleurs, excepté une occurrence où l’information circule de la Belgique vers la RDC,
toutes les autres occurrences concernent la circulation de l’information au sein même de la
RDC : il se peut donc qu’étant proches des événements relatés, les journalistes congolais
114 L’utilisation du gras était déjà présente dans le texte du Phare.
320
soient plus aptes à douter ou à crédibiliser les énonciateurs qu’ils représentent. Etant donné
le trop peu de chiffres, l’analyse des contenus n’a révélé aucune ressemblance entre les cas.
C’est pourquoi, nous préférons décrire plus en détail les autres aspects énonciatifs qui
comportent plus de données.
2.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés
Pour les actes de parole représentés, leur modification dans les textes remplit nettement
plus souvent la fonction de crédibilité ou de doute. Pour ces actes, lorsque l’information
circule de la Belgique ou de la France vers la RDC, on passe la plupart du temps de brèves à
des articles ou à des articles/analyses. Plus encore, dans presque tous les cas, les journalistes
congolais émettent un doute sur les discours représentés dans les textes belges. Ce qui
signifie que ces journalistes considèrent que la presse belge présente trop souvent comme
certains les discours représentés. Nous nous sommes donc penchée sur les contenus relatés.
Il apparaît que les contenus suivants sont présentés avec certitude dans la presse
européenne, alors que les journalistes congolais en doutent :
1) Les FARDC ou l’armée nationale congolaise consolident leurs positions et mènent des
attaques spontanément.
2) L’UE va envoyer des troupes en renfort en RDC.
3) Il n’y a pas de liens entre Laurent Nkunda, à la tête du CNDP, et le Rwanda.
4) Les FDLR ou les forces rwandaises vont être démantelées.
5) Il va y avoir un accord entre le Rwanda et la RDC lors du Sommet de Nairobi.
Sur ces cinq contenus présentés de manière certaine en Europe, mais desquels les
journalistes congolais doutent, l’envoi de troupes européennes constitue celui qui obtient le
plus d’occurrences. Un autre aspect à prendre en considération est que dans la moitié des
cas, c’est Le Potentiel qui met en doute les faits présentés comme crédibles en Europe.
Notons enfin que L’Observateur a tendance à crédibiliser l’information présentée par Le
Figaro et à douter de celle du Monde. Or, d’après nos constatations, L’Observateur défend
une ligne éditoriale très proche de celle défendue par Le Figaro et Le Monde est quant à lui
plus proche du Potentiel. Il n’est donc pas surprenant de voir que L’Observateur crédibilise
Le Figaro.
Lorsque l’information circule entre journaux congolais, nous avons observé les
phénomènes suivants : pour Le Potentiel en tant que journal source et journal cible
(l’information est transformée dans différents textes de ce même journal), qu’il s’agisse de
doute ou de crédibilité, les textes cibles apparaissent toujours dans le même genre textuel
321
(article, analytique, etc.) que les textes sources. Nous ne pouvons rien affirmer de concret
quand aux types de contenus informationnels desquels les journalistes du Potentiel doutent
ou auxquels ils croient, car ces contenus changent sans cesse.
Par contre, on remarque que L’Observateur doute toujours des analyses du Potentiel et
partiellement de ses articles. Nous nous sommes donc penchée sur ce cas relativement
intéressant. Ce qu’il ressort est particulièrement instructif puisque la plupart du temps, le
contenu informationnel duquel L’Observateur doute touche à la MONUC. L’Observateur met
en doute le contenu informationnel allant en faveur de la MONUC, notamment les
affirmations selon lesquelles les effectifs de la MONUC seront renforcés ou celles relatives
au fait qu’elle protège correctement la population. On peut donc penser que Le Potentiel,
situé plus au centre, croit en la véracité d’un organisme considéré comme neutre dans le
conflit, alors que L’Observateur se positionne nettement plus en faveur de la population en
doutant du discours onusien.
En ce qui concerne les relations entre Le Potentiel et Le Phare, on remarque que les
genres textuels ne semblent pas influencer la fonction, puisque tantôt l’on reste dans des
genres similaires pour les textes source et cible, tantôt l’on passe du genre article à celui
d’article/analyse. Ce que l’on remarque plutôt c’est que la majorité du temps c’est Le
Potentiel qui a tendance à douter (plus qu’à crédibiliser) l’information du Phare. Si l’on
regarde les contenus informationnels concernés, on arrive vite à la conclusion suivante : Le
Phare se positionne très souvent en faveur du CNDP, ce que Le Potentiel ne fait pas. En effet
quand Le Potentiel doute des pillages commis par les FARDC au CNDP, des questions
délicates dans les entretiens avec le CNDP, des efforts du Rwanda (souvent mis en rapport
avec le CNDP) pour régler le conflit, ou des dires de Bosco Ntaganda (le successeur de
Laurent Nkunda), il devient évident que tout ce qui touche au CNDP est présenté de manière
crédible dans Le Phare, mais non dans Le Potentiel. Ce propos rejoint nos observations sur
les tendances politiques des journaux, puisque lors de mes échanges d’emails avec les
journaux, Le Phare m’avait clairement précisé se situer du côté de l’opposition au
gouvernement (chapitre III).
Pour terminer cette section, penchons-nous les liens entre Le Phare et L’Observateur.
Lorsque ces deux journaux sont liés par les transformations remplissant la fonction de
crédibilité ou de doute, Le Phare doute plus souvent de L’Observateur, qui, lui, a tendance à
crédibiliser Le Phare. Lorsque L’Observateur crédibilise le discours représenté dans Le Phare,
c’est à nouveau pour montrer son soutien aux civils (montrer leur désarroi après des
combats ; s’opposer à la MONUC qui ne les protège pas assez). Lorsque Le Phare doute de
L’Observateur, on constate à nouveau que le contenu informationnel du Phare concerne le
CNDP (fait que des militants soient tués, que le président Kabila accepte de discuter avec lui,
etc.). Voyons à présent si tout ce que nous venons de constater se répète aussi lorsque ce
sont les formes de représentation du discours autre qui sont transformées.
322
2.4.3. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du
discours autre
En ce qui concerne les formes de représentation du discours autre, voici les résultats
obtenus. D’abord les résultats concernant les genres textuels en Europe et en RDC sont
restés confirmés : en Europe, la presse publie nettement plus de brèves sur le conflit
congolais qu’en RDC qui, elle, attache plus d’importance à publier des articles ou des textes
analytiques.
Cependant, dans le cas des formes de représentation du discours autre, on observe plus
de liens entre les journaux européens (contrairement aux cas d’actes de parole représentés),
en particulier un lien entre Le Figaro et d’autres journaux occidentaux. Ce lien entre Le
Figaro et les autres journaux occidentaux, est marqué la plupart du temps par le fait qu’on
parte de brèves dans Le Figaro et celles-ci sont crédibilisées dans d’autres journaux, via des
brèves ou via des articles. Ce qui signifie que le contenu du Figaro est présenté de manière
moins crédible et que les journalistes des autres journaux souhaitent plus le crédibiliser en
ajoutant soit des sources énonciatives, soit en y apportant des preuves.
Par ailleurs, comme pour les résultats précédents, on remarque que La Libre Belgique et
Le Soir sont nettement plus impliqués que les autres journaux européens dans les
transformations, donc aussi dans la diffusion de l’information concernant le conflit
congolais. Lorsque Le Soir est impliqué, il constitue plus souvent le journal source que le
journal cible et est majoritairement repris par des journaux congolais. Ces derniers ont une
nette tendance à vouloir crédibiliser le contenu informationnel présenté dans Le Soir : Le
Potentiel crédibilise des informations sur l’aménagement de camps de réfugiés, Le Phare les
progressions du CNDP ou les rencontres RDC/Rwanda et L’Observateur montre que grâce
aux révoltes civiles, des résolutions sont prises par l’ONU. A nouveau donc, les résultats
précédents se confirment. Si nous regardons La Libre Belgique maintenant, nous constatons
que la majorité du temps, c’est en relation avec les textes du Potentiel qu’elle est mise. Ce
dernier crédibilise l’information qu’elle relate. Lorsqu’on se penche sur les contenus relatés,
on remarque que Le Potentiel crédibilise les faits suivants :
1) La confirmation du démantèlement des FDLR
2) Les actions prises par l’ONU
3) La suppression des désaccords du CNDP avec le gouvernement (ce qui crédibilise le
gouvernement)
4) Les confirmations de la MONUC que le CNDP progresse ou qu’il y aura des troupes en
plus.
323
Ce que l’on constate en particulier est que Le Potentiel crédibilise les contenus
informationnels en se basant en particulier sur les dires de l’ONU/de la MONUC, ce qui
montre que, pour lui, elle constitue une source fiable d’information et c’est elle qu’il faut
croire.
Enfin, pour terminer cette section, il convient aussi de toucher un mot sur la circulation
de l’information au sein même de la RDC. Dans ce cas de figure, on a à nouveau une forte
tendance à la crédibilisation des contenus informationnels, puisque Le Potentiel crédibilise
presque toujours d’autres textes de ce même journal (mêle si les journalistes diffèrent d’un
texte à l’autre) ou des textes du Phare et de L’Observateur. De même, L’Observateur
crédibilise très souvent des discours présents dans Le Potentiel. Lorsque L’Observateur est lié
au Potentiel, dans la quasi totalité des cas, la crédibilité provient de L’Observateur qui
crédibilise des contenus informationnels portant soit sur le drame humanitaire et l’aide
devant être portée aux civils, soit sur la fin des hostilités. Ce qui prouve à nouveau que ce
journal veut montrer de manière fiable à quel point la population civile souffre de ces
conflits. Lorsque c’est Le Phare qui est lié au Potentiel, si l’information circule du Potentiel au
Phare, on remarque que Le Potentiel crédibilise l’information selon laquelle les FARDC
parviennent à contrer le CNDP, alors que Le Phare crédibilise le CNDP. A l’inverse, dans
l’autre sens, Le Potentiel crédibilise, toujours via des discours d’associations/d’organisations
reconnues officielles (MONUC, OFIDA, gouvernement congolais, etc.) les contenus
informationnels relatifs soit aux civils, soit au trafic d’argent/des minerais et à l’économie.
On constate donc qu’à nouveau, les transformations des formes de représentation du
discours autre remplissant la fonction de crédibilité ou de doute confirment celles observées
pour les énonciateurs et les actes de parole représentés.
3. La fonction de condensation et la fonction de précision/clarté
Comme nous l’avons précisé dans le chapitre V (point 3.4.), la fonction de condensation
permet de rendre l’information plus dense : le journaliste qui transforme l’information
décide de changer ou de supprimer des éléments touchant les paramètres énonciatifs
(énonciateurs et actes de parole représentés, formes de représentation du discours autre)
en vue de présenter une information tout aussi claire aux lecteurs, mais nettement plus
dense. Nous le verrons dans cette partie, les raisons poussant à condenser l’information sont
multiples.
À l’inverse de la condensation, la précision permet d’apporter des informations plus
claires aux lecteurs : le journaliste choisit alors d’éclaircir certains points qui ne sont pas
nécessairement évidents pour ses lecteurs ou qui nécessitent une explication, un détail
supplémentaire afin que tout soit bien compris.
324
Ces deux fonctions sont des fonctions très répandues dans le corpus de textes
implicitement liés. En effet, sur la totalité des transformations ou des occurrences observées
dans ce corpus, 916 de transformations remplissent ces fonctions. Elles sont d’ailleurs
réparties plus ou moins de manière égale puisque 490 occurrences concernent la fonction de
précision et 426 la fonction de condensation. Ces deux fonctions touchent, comme les autres
fonctions, les trois paramètres énonciatifs que sont les énonciateurs représentés, les actes
de parole représentés et les formes de représentation du discours autre.
3.1. Transformations concernant les énonciateurs représentés115
164 occurrences de transformations touchant les énonciateurs représentés et remplissant
soit la fonction de condensation, soit celle de précision ont été repérées dans notre sous-
corpus. Pour faciliter la compréhension de nos analyses, nous présenterons chaque type de
transformation individuellement et montrerons que, dans certains cas, la même
transformation peut remplir tantôt la fonction de précision, tantôt la fonction de
condensation.
3.1.1. La caractérisation des énonciateurs représentés
a) L’a out de caractéristiques descriptives
À chaque fois que le type de transformation est l’ajout de caractéristiques descriptives, il
remplit la fonction de clarté. Le journaliste estime alors que les caractéristiques décrivant les
énonciateurs représentés dans un texte source ne sont pas suffisantes et il choisit d’en
ajouter pour que les lecteurs puissent clairement les identifier. On pourrait penser que ce
genre de transformations remplit la fonction de réception : le journaliste ajouterait des
caractéristiques descriptives pour permettre à ses lecteurs, éloignés des faits évoqués,
d’identifier plus facilement les énonciateurs dont il parle. Cependant, dans la majorité des
cas, les textes sont publiés soit dans le même pays, soit dans le même continent, voire par le
même journal, comme dans l’exemple suivant :
246) - Texte source : Le Centre international pour la justice transitionnelle (Ictj) a rendu publics les résultats d’une enquête sur la paix, la justice et la reconstruction sociale dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). [Le Phare, 08 octobre 2008]
115 Dans le cas des énonciateurs représentés, la fonction de clarté est très souvent liée à celle de réception.
325
247) - Texte cible : Le Centre international pour la justice transitionnelle (CIJT, une ONG basée à New York) a présenté dernièrement à Kinshasa une enquête sur la paix, la justice et la reconstruction sociale dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). [Le Phare, 26 novembre 2008]
Dans cet exemple, l’énonciateur représenté (le Centre international pour la justice
transitionnelle) est caractérisé de manière plus précise dans le texte cible. Les termes « Une
ONG basée à New York » sont ainsi ajoutés. Ceux-ci donnent plus d’informations aux lecteurs
sur les énonciateurs dont on parle. La fonction de cette transformation correspond à la
fonction de précision. En effet, dans ce cas-ci, les deux textes sont publiés par le même
journal et, qui plus est, par le même auteur (Désiré-Israel Kazadi). La seule raison qui
pourrait pousser le journaliste à ajouter des caractéristiques descriptives est donc qu’il
veuille donner plus de précision à ses lecteurs. Il ne s’agit ici pas de la fonction de réception,
puisque les lecteurs n’ont pas besoin de savoir que cette ONG est basée à New York pour
comprendre de qui l’on parle (un centre qui s’occupe de la justice internationale). Il s’agit
donc d’ajouter des caractéristiques descriptives pour rendre l’information plus claire.
b) Le remplacement de caractéristiques descriptives
Comme nous l’avions vu dans le chapitre VI (2.3.), le remplacement de caractéristiques
descriptives peut être de deux types : métonymique ou non-métonymique. Dans le cas des
remplacements métonymiques, le journaliste cible utilise une métonymie (partie pour le
tout, tout pour la partie, contenu pour le contenant, etc.) pour caractériser l’énonciateur
représenté. Dans le cas des remplacements non-métonymiques, il utilise d’autres
caractéristiques que celles du texte cible pour représenter un énonciateur. Ces mécanismes
sont relativement répandus dans le cas de la fonction que nous analysons présentement. La
plupart d’entre eux remplissent la fonction de précision et seules quelques-uns celle de
condensation.
Lorsqu’il s’agit de remplacements de type métonymique, seule la fonction de précision a
été observée : le journaliste décide de remplacer une métonymie du type « tout pour la
partie » par l’inverse. C’est-à-dire qu’il juge nécessaire de décrire clairement les
énonciateurs dont il parle, comme dans l’exemple ci-dessous :
248) - Texte source : Le rapport de 30 pages, « Massacres à Kiwanja : L’incapacité de l’ONU à protéger les civils » (« Killings in Kiwanja: The UN’s Inability to Protect Civilians »), décrit les meurtres d’environ 150 personnes dans la ville de Kiwanja les 4 et 5 novembre 2008, qui ont constitué le pire massacre dans la province du Nord-Kivu en deux ans. [Le Potentiel, 12 décembre 2008]
249) - Texte cible : Mme Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour l’Afrique à Human Rights Watch, a publié jeudi 11 décembre 2008, un rapport de 30 pages intitulé : « Massacres à Kiwanja », dans lequel cette ONG américaine estime qu’au moins 150 personnes ont été tuées, les 4 et 5 novembre 2008 dans cette localité du Nord-Kivu. [Le Potentiel, 12 décembre 2008]
326
Dans cet exemple, on remarque que les énonciateurs représentés ne sont pas caractérisés
de la même manière. Alors que dans le texte source, on utilise une caractérisation générale
(« le rapport de 30 pages, ‘Massacres à Kiwanja : L’incapacité de l’ONU à protéger les civils »
(Killings in Kiwanja: The UN’s Inability to Protect Civilians), dans le texte cible, la
caractérisation est plus précise (Mme Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour
l’Afrique à Human Rights Watch ou encore cette ONG américaine). Ce changement
intervient entre des textes publiés dans le même journal, Le Potentiel, et le même jour. Ce
qui nous pousse à penser que la différence de caractérisation des énonciateurs représentés
est simplement présente pour donner plus d’information sur les énonciateurs dont il est
question116.
Parfois, le remplacement observé n’est pas de type métonymique : le journaliste du texte
cible remplace une caractérisation par une autre pour donner une idée précise des
énonciateurs qu’il évoque :
250) - Texte source : Selon des témoins, des civils bloqués dans les zones de combat ont été tués, blessés, violés ou détenus illégalement par des soldats de l’armée congolaise et des combattants d’autres groupes armés. [Le Potentiel, 26 septembre 2008]
251) - Texte cible : Dans le même registre, ces Organisations de défense des droits de l’homme117 ont également rapporté que des civils bloqués dans les zones de combat ont été tués, blessés, violés ou détenus par des soldats des FARDC et des combattants d’autres groupes armés. [Le Potentiel, 30 septembre 2008]
Dans cet exemple, les énonciateurs représentés sont « des témoins » dans le texte source,
alors qu’ils deviennent « des organisations de défense des droits de l’homme » dans le texte
cible. En utilisant les termes « des témoins », le journaliste source reste relativement vague
sur les personnes qui ont tenu les propos représentés : le lecteur ne peut donc pas les
identifier. Par contre, le journaliste cible transforme ces termes en caractérisation précise
puisqu’il parle à présent d’organisations des droits de l’homme. Ces dernières sont décrites
de manière précise plus haut dans le texte (voir note, ci-dessus). Ce qui a pour effet
116 Dans ce cas-ci, deux fonctions sont simultanément présentes : la fonction de clarté et celle de réception.
Dans un sens, le journaliste veut donner plus d’information (clarté), ce qui est notamment compris par la republication du même contenu informationnel le même jour dans le même journal. En donnant ces informations supplémentaires, le journaliste aide aussi ses lecteurs à identifier plus facilement les énonciateurs représentés (réception).
117 Ces organisations sont mentionnées, plus haut dans le texte, comme suit : « Congo Advocacy Coalition
qui regroupe environ 80 organisations, parmi lesquelles Human Rights Watch (HRW), International Rescue Committee (IRC) et Initiative congolaise pour la Justice et la Paix (ICJP) »
327
d’amener de la clarté, de la précision sur les énonciateurs représentés : le lecteur sait
désormais à qui attribuer le discours ; les énonciateurs représentés sont précis.
c) La suppression de caractéristiques descriptives
Dans certains cas, les caractéristiques servant à décrire des énonciateurs représentés sont
supprimées. À chaque fois, ce type de transformation remplit la fonction de condensation :
le journaliste estime que les caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés sont
suffisamment évidentes pour que les lecteurs les identifient sans aucun problème. Il choisit
donc d’en supprimer certaines, trop évidentes, en vue de condenser l’information, comme
dans l’exemple suivant :
252) - Texte source : Le président du Conseil de sécurité pour le mois d’octobre, l’ambassadeur chinois Zhang Yesui, a exprimé, le mardi 28 octobre 2008, la profonde préoccupation du Conseil de sécurité face au regain de violence dans l’Est de la République démocratique du Congo. [La Libre Belgique, 04 novembre 2008]
253) - Texte cible : Le président du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, le Chinois Zhang Yesui, a fait le mardi dernier, une déclaration en rapport avec le regain de violence dans l’Est de la République démocratique du Congo. [Le Potentiel, 05 novembre 2008]
Dans cet exemple, l’énonciateur représenté Zhang Yesui n’est pas caractérisé de la même
manière dans les deux textes : dans La Libre Belgique, on précise qu’il est président du
Conseil de sécurité pour le mois d’octobre. Cette information disparaît dans le texte du
Potentiel. Or, cette information est tout à fait évidente pour les lecteurs. En effet, dans La
Libre Belgique, le journaliste précise que le discours représenté a été tenu le 28 octobre. On
se doute donc que le président du Conseil de sécurité l’est pour le mois d’octobre. Cette
évidence n’a donc pas besoin d’être mentionnée et Le Potentiel peut choisir de condenser le
contenu informationnel en ne mentionnant que les repères temporels (mardi dernier qui
réfère au 28 octobre 2008 et qui sous-entend que l’énonciateur représenté, le président du
Conseil de sécurité, est président pour le mois d’octobre). On constate donc que la
suppression de caractéristiques descriptives peut remplir la fonction de condensation : les
évidences sont dès lors supprimées dans les textes cibles, afin d’obtenir un contenu plus
dense que celui des textes sources, tout en étant aussi clair pour le lecteur.
3.1.2. L’a out ou la suppression d’énonciateurs représentés
Une autre façon de faire remplir aux transformations la fonction de précision ou celle de
condensation est d’ajouter ou de supprimer des énonciateurs représentés. Quand des
énonciateurs représentés sont ajoutés, il s’agit tout le temps de la fonction de précision.
Quand ils sont supprimés, c’est toujours la fonction de condensation que nous rencontrons :
328
254) - Texte source : Les présidents congolais Joseph Kabila et rwandais Paul Kagame, ont accepté de participer à ce sommet à Nairobi, sous l'égide de l'ONU, en compagnie des chefs d'État de la région des Grands Lacs, des organisations régionales et de l'UA, selon le commissaire européen à l'Aide humanitaire Louis Michel arrivé vendredi à Kinshasa. [Le Phare, 03 novembre 2008]
255) - Texte cible : Les présidents congolais, Joseph Kabila, et rwandais, Paul Kagamé, « ont marqué leur accord » pour participer à une réunion internationale sur la paix en République démocratique du Congo (RDC), a annoncé, vendredi 31 octobre à Kinshasa, le commissaire européen à l'aide humanitaire, Louis Michel. [Le Monde, 03 novembre 2008]
La majorité des exemples de telles suppressions prennent la forme de l’exemple ci-dessus :
un journaliste utilise un verbe d’action (participer à) et des locutions (en compagnie de), qui
impliquent des actes de parole (un sommet ou une réunion internationale implique
forcément des discussions). Ce qui implique que les acteurs représentés sont aussi des
énonciateurs représentés. Dans notre exemple, ces énonciateurs sont nettement plus
nombreux dans le texte source que dans le texte cible (l'ONU, en compagnie des chefs d'État
de la région des Grands Lacs, des organisations régionales et de l'UA). Ceux-ci n’apparaissent
pas dans le texte cible. La suppression de ces derniers n’a d’autres fonctions, selon nous, que
celle de condenser l’information. En effet, les deux acteurs/énonciateurs principaux dans ce
contenu informationnel sont les présidents congolais et rwandais : le conflit congolais tourne
en effet principalement autour de la RDC, du Rwanda et bien sûr, des groupes armés. Par
conséquent, le journaliste du Monde condense au maximum l’information en ne
mentionnant que les acteurs principaux.
Dans cet exemple par ailleurs, les deux textes sont publiés aux mêmes dates. Ce qui
signifie qu’il ne s’agit pas de transformations à proprement parler, mais de différences entre
les textes. Par conséquent, ce que nous venons de qualifier de suppression d’énonciateurs
représentés peut aussi être un ajout d’énonciateurs représentés, selon le sens de l’analyse.
Dans ce dernier cas, la fonction est alors celle de clarté : le journaliste estime important de
préciser tous les énonciateurs représentés pour permettre à ses lecteurs d’accéder à une
information claire et précise. En bref, tant l’ajout ou la suppression d’énonciateurs
représentés peuvent remplir la fonction de précision ou de condensation.
3.1.3. L’a out ou la suppression de sous-entendus d’attri ution
énonciative
Les sous-entendus d’attribution énonciative correspondent au fait qu’un énonciateur n’est
pas explicitement mentionné dans une proposition, bien que le lecteur se doute de son
existence et de son identité. Dans certains cas, ces sous-entendus sont ajoutés et dans
d’autres cas, ils sont supprimés. Lorsqu’ils sont supprimés, cela permet au journaliste de
présenter une information plus claire, plus précise à ses lecteurs et lorsqu’ils sont ajoutés,
cela lui permet de condenser l’information. Prenons un exemple pour étayer notre propos :
329
256) - Texte source : Ce paragraphe vise à rappeler que selon l'ONU, la MONUC, qui est autorisée à utiliser la force, est habilitée à utiliser tous ses moyens pour protéger les populations. [La Libre Belgique, 21 novembre 2008]
257) - Texte cible : Ce paragraphe vise à rappeler que selon l'ONU, la MONUC, qui opère sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies autorisant l'usage de la force, est habilitée à utiliser tous ses moyens pour protéger les populations. [L’Observateur, 21 novembre 2008]
Dans cet exemple, on observe l’ajout ou la disparition de sous-entendus d’attribution
énonciative, selon le sens de l’analyse. Dans le texte de La Libre Belgique, une proposition
relative à la voix passive est utilisée pour caractériser la MONUC (qui est autorisée à). Cette
proposition contient un sous-entendu d’attribution énonciative, à savoir par quelqu’un, par
un autre énonciateur. Cet énonciateur est constitué par des membres de l’ONU, ce dont les
lecteurs se doutent s’ils connaissent la signification de l’acronyme MONUC : Mission des
Nations Unies au Congo. On se doute donc que l’autorisation provient des Nations-Unies.
Dans le texte de L’Observateur en revanche, le sous-entendu disparaît au profit de « sous
le chapitre VII de la Charte des Nations unies autorisant ». En ajoutant cette séquence, le
journaliste donne donc tous les éléments d’informations à ses lecteurs : il souhaite alors
rendre le contenu informationnel clair et précis, raison pour laquelle il précise de qui
provient l’autorisation ou en d’autres termes, quel est l’énonciateur qui a produit un
discours.
3.2. Transformations concernant les actes de parole représentés
3.2.1. Catégorisation des actes de parole ou des messages représentés
La catégorisation des actes de parole représentés peut subir des modifications d’un texte à
l’autre : le journaliste d’un texte cible décide de changer le terme utilisé dans un texte
source pour catégoriser l’acte de parole représenté. Lorsque ce changement remplit la
fonction de précision, le journaliste du texte cible peut décider d’employer un verbe ou un
acte de parole plus adéquat que celui employé dans le texte source. Ainsi, le passage des
termes « discussions régionales » à ceux de « discussions internationales » permet au
journaliste cible de catégoriser avec précision le type de discussion dont il est question.
Mais la plupart du temps, ce que nous observons est soit la sélection, par un journaliste
cible, d’expressions décrivant une action au moyen d’un acte de parole, soit la sélection d’un
verbe/nom de parole possédant intrinsèquement des caractéristiques sémantiques relatives
à la précision.
Dans le premier cas, ce sont des exemples comme celui-ci que nous avons considérés
comme relevant de la fonction de précision :
330
258) - Texte source : Le Conseil de sécurité a adopté jeudi une résolution accroissant de plus de 3.000 hommes les effectifs de la force de l’ONU en République démocratique du Congo (RDC). [Le Soir, 21 novembre 2008]
259) - Texte cible : Dans sa résolution 1843, adoptée à l'unanimité de ses quinze membres, le Conseil autorise " une augmentation temporaire d'un maximum de 2.785 hommes des effectifs militaires " de la MONUC " et de 300 hommes au maximum de ses effectifs de police ". [L’Observateur, 21 novembre 2008]
Dans cet exemple, le texte du Soir met en évidence un seul discours représenté, au moyen
du verbe adopter et du nom résolution : tous deux réfèrent au fait que le Conseil de sécurité
a rédigé un texte contenant leurs discours et accords sur les effectifs militaires à envoyer en
RDC. Cependant, ces accords ne sont pas explicitement présentés dans le texte du Soir : la
résolution accroît le nombre d’effectifs. En prenant en considération la définition du terme
résolution, à savoir « Action d'élucider, de découvrir la solution d'une difficulté, d'un
problème » (TLFi), on s’aperçoit qu’il s’agit d’une action. On pourrait en effet sans difficulté
paraphraser la phrase par « la solution du Conseil de sécurité est l’accroissement du nombre
d’effectifs ». À l’inverse, dans le texte de L’Observateur, on observe la présence d’un verbe
de parole supplémentaire, autoriser. Ce verbe de parole marque alors explicitement,
contrairement au Soir, la présence d’accords concernant l’augmentation des effectifs. En
d’autres termes, la transformation par catégorisation explicite d’un acte de parole permet
de rendre le contenu informationnel plus précis dans le texte cible118.
Dans le second cas de figure, le verbe ou le nom de parole est à strictement parler
transformé : sa catégorisation est présente dans deux textes, mais elle change pour devenir
plus précise dans le texte cible.
260) - Texte source : Il souligne à ce propos « l’importance de réactiver les mécanismes de vérification convenus entre les deux pays » qui, selon le Ministre, « peuvent déjà jouer un rôle dissuasif ». [Le Potentiel, 16 décembre 2008]
261) - Texte cible : " L'importante de réactiver les mécanismes de vérifications convenu entre la RDC et le Rwanda qui peuvent déjà jouer un rôle dissuasif ", a-t-il expliqué. [L’Observateur, 16 décembre 2008]
En (260), le journaliste du Potentiel utilise le verbe de parole « souligner ». Ce verbe signifie,
selon le TLFi : « Faire apparaître quelque chose avec clarté, avec insistance ». On se situe
donc du côté de la focalisation, de l’attention portée par l’énonciateur représenté sur l’un ou
l’autre aspect de son discours. La catégorisation de l’acte de parole change dans le texte
cible pour devenir « expliquer ». Cette catégorisation est selon nous nettement plus précise
118 Notons que l’analyse de cet exemple dans le sens contraire donne lieu à la fonction de condensation.
331
que celle du verbe souligner. En effet, expliquer signifie : « Faire comprendre quelque chose
par un développement, une démonstration écrite, orale ou gestuelle » et plus précisément :
« Éclaircir, rendre compréhensible ce qui a un sens vague, obscur ou inconnu ». Par cette
catégorisation, le journaliste cible met en évidence que l’énonciateur représenté n’a pas
seulement attiré l’attention de ses énonciataires sur le contenu de son discours, mais a
également tenté de rendre son contenu clair, précis, compréhensibles par ces derniers. On
remarque donc que le changement de catégorisation de l’acte de parole peut remplir la
fonction de précision.
Dans le même ordre d’idées, la catégorisation du message représenté peut elle aussi
remplir la fonction de précision ou de condensation : le journaliste du texte cible donne alors
plus ou moins de détails sur le message échangé entre un énonciateur et un énonciataire
représentés.
3.2.2. Marqueurs épistémiques touchant les actes de parole
représentés
Plus rares sont les cas où les marqueurs épistémiques remplissent la fonction de précision.
En effet, seules trois occurrences ont été repérées. Elles mettent toutes en œuvre des
marqueurs épistémiques de l’hypothèse rajoutés dans un texte cible et remplissant la
fonction de précision :
262) - Texte source : « En cas de volonté des groupes armés de s’introduire dans Goma, instruction est donnée de tirer », a assuré le secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des opérations de maintien de la paix ; « les règles d’engagement de nos troupes et le chapitre 7 des Nations unies sont suffisamment clairs ». [Le Soir, 06 novembre 2008]
263) -Texte cible : La MONUC s’opposera par force à toute tentative d’incursion du CNDP dans la ville de Goma. C’est au cours d’un point de presse tenu, le 5 novembre 2008 à Goma que le sous-secrétaire général de l’ONU en charge des opérations de maintien de la paix a fait cette déclaration. « En cas de volonté des groupes armés de s’introduire dans Goma, instruction est donnée de tirer », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Si des groupes armés, quels qu’ils soient, cherchent à rentrer dans Goma, les règles d’engagement de nos troupes et le chapitre 7 des Nations unies sont suffisamment clairs ». [Le Potentiel, 07 novembre 2008]
Dans cet exemple, le discours représenté dans le texte source met déjà en évidence
l’hypothèse. L’énonciateur représenté utilise en effet les mots « en cas de » qui pourraient
être remplacés par « si ». Dans le texte cible, le même discours représenté apparaît. Mais,
de surcroît, un autre discours représenté, émis par le même énonciateur et ayant la même
signification est aussi présent : « Si des groupes armés, quels qu’ils soient, cherchent à
rentrer dans Goma, les règles d’engagement de nos troupes et le chapitre 7 des Nations unies
sont suffisamment clairs ». Ce dernier marque à nouveau l’hypothèse avec la conjonction de
subordination « si ». Il est introduit par le verbe de parole « ajouter ». Or, il ne s’agit pas d’un
ajout puisque la signification est exactement la même que celle du discours le précédant :
332
l’énonciateur représenté, répète, en d’autres termes, ce qu’il avait préalablement déjà dit.
On peut donc considérer que le choix du journaliste cible de mentionner ce discours
représenté ne vise qu’à être clair pour le lecteur. Si l’on avait d’ailleurs analysé cet exemple
dans l’autre sens, on aurait directement perçu que la suppression de ce discours n’aurait eu
comme effet que de condenser l’information. On voit donc que les marqueurs épistémiques
ne servent ici qu’à rendre précis une partie du discours représenté : ils servent à expliquer
pour quelles raisons l’énonciateur représenté a tenu certains propos.
3.2.3. Explication des actes de parole représentés
L’explication ne se traduit pas nécessairement par les marqueurs épistémiques comme dans
le cas de figure présenté juste avant. Dans certains cas, elle correspond à une séquence
lexicale dont le seul but est de présenter de manière claire les raisons d’un discours
représenté. Voyons un exemple :
264) - Texte source : Le gouvernement des États-Unis demande aux parties signataires des Accords de Goma et du Communiqué de Nairobi de respecter leurs engagements et de renoncer à l'usage des armes. [Le Phare, 30 octobre 2008]
265) -Texte cible : Vu l'ampleur de cette catastrophe humanitaire, le gouvernement américain conseille aux parties signataires des accords de Goma et du communiqué de Nairobi de respecter leurs engagements et de renoncer à l'usage des armes. [L’Observateur, 30 octobre 2008]
Dans cet exemple que la séquence « Vu l’ampleur de cette catastrophe humanitaire » est
rajoutée dans le texte cible. Elle explique le discours représenté : c’est parce qu’il y a une
catastrophe humanitaire que le gouvernement américain demande aux parties de respecter
leurs engagements. Or, cette séquence ne vise qu’à être précise pour les lecteurs. Les
lecteurs se doutent en effet que la raison principale d’une telle demande est la présence du
conflit et des victimes qu’il engendre. En ajoutant une telle explication, le texte source se
veut plus précis. Mais en la supprimant, le texte cible, lui condense l’information en ne
focalisant l’attention du lecteur que sur ce qui lui est encore méconnu, à savoir la demande.
On constate donc que l’explication peut, elle aussi, remplir la fonction de condensation ou
celle de précision.
3.2.4. Repères spatio-temporels liés aux actes de parole représentés
a) La temporalité
Les marqueurs temporels, nous l’avons vu, peuvent parfois être ajoutés ou supprimés dans
un texte cible. Dans certains cas, c’est leur changement que l’on observe : le journaliste d’un
texte cible transforme les repères temporels qui étaient présents dans un texte source. Ces
transformations peuvent remplir diverses fonctions. Nous avons en effet constaté au début
de ce chapitre qu’une des fonctions de ce type de transformation était celle de réception : le
journaliste transforme les repères temporaux, car son lecteur se trouve dans la même
333
situation d’énonciation que lui et il peut donc utiliser des marqueurs déictiques par exemple,
pour montrer cette proximité. Dans d’autres cas en revanche, les transformations
remplissent la fonction de précision ou celle de condensation :
266) - Texte source : L'ONU a accusé hier la rébellion de Laurent Nkunda d'avoir violé son propre cessez-le-feu en s'emparant de plusieurs localités de l'est de la République démocratique du Congo (RDC), où l'armée multiplie les « provocations », selon les rebelles. [Le Figaro, 18 novembre 2008]
267) - Texte cible : La MONUC a accusé le lundi 17 novembre 2008 le CNDP de Laurent Nkunda d’avoir violé son propre cessez-le-feu en s’emparant de plusieurs localités de l’Est de la RDC, où l’armée multiplie les « provocations », selon les rebelles. [Le Potentiel, 19 novembre 2008]
Dans cet exemple, le repère temporel du texte source, « hier », est transformé dans le texte
cible en « le lundi 17 novembre 2008 ». Les deux expressions réfèrent au même moment de
la réalité. Le texte cible ne peut cependant pas utiliser le mot hier pour référer à ce moment
de la réalité puisqu’il est publié un jour après le texte source. Cependant, il aurait très bien
pu employer le mot avant-hier qui aurait, lui aussi, référé au même moment. Mais il préfère
choisir des termes précis avec l’expression le lundi 17 novembre 2008. On constate donc que
dans ce cas-ci, la transformation des repères temporels remplit la fonction de précision.
Lorsqu’elle remplit la fonction de condensation, ce sont soit des cas de figure tels l’exemple
ci-dessus, mais analysé dans le sens inverse, soit des cas de figure où une partie de
l’expression temporelle est supprimée (cf. le 17 novembre).
b) La spatialité
De même que la temporalité, la spatialité peut elle aussi subir des transformations
remplissant la fonction de précision ou celle de condensation. Dans l’exemple suivant, c’est
ce genre de fonction que remplit la transformation :
268) - Texte source : « S’il n’y a pas de négociations directes, ça veut dire qu’il y aura la guerre », a-t-il menacé à Jomba, à la fin de son entretien avec M. Obasanjo. [Le Phare, 01 décembre 2008]
269) - Texte cible : S’il n’y a pas de négociations (directes), ça veut dire qu’il y aura la guerre », a de nouveau menacé Nkunda, cité par la presse internationale. [Le Potentiel, 01 décembre 2008]
Dans cet exemple, les deux parties de texte sont publiées le même jour par des journaux
congolais, Le Phare et Le Potentiel. L’on y constate que, dans le premier texte, apparaît un
repère spatial (à Jomba), lié au discours représenté (a-t-il menacé). Ce repère disparaît dans
le second texte. Cette disparition sert à condenser l’information. En effet, l’essentiel du
contenu informationnel de ces extraits porte sur la menace de Laurent Nkunda de mener la
guerre s’il n’y a pas de négociations directes. Que l’énonciateur ait tenu ces propos à Jomba
ou ailleurs importe probablement peu aux lecteurs congolais : leur principal souci étant la
menace de guerre. La spatialité peut donc elle aussi remplir la fonction de condensation ou,
à l’inverse, celle de précision.
334
3.2.5. Attribution des actes de paroles représentés
L’insistance (ou la « dés-insistance ») sur l’attribution des actes de parole représentés,
lorsqu’elle remplit la fonction de précision ou celle de condensation, se situe à mi-chemin
entre les transformations concernant les actes de parole représentés et celles concernant les
formes de représentation du discours autre : le journaliste qui transforme l’information fait
apparaître le contenu informationnel comme découlant d’un acte de parole qui n’est pas le
sien et transforme souvent la forme de représentation du discours autre. Ce faisant, il ajoute
ou supprime des informations, ce qui lui permet d’être plus précis ou de condenser au
maximum l’information. Prenons un exemple :
270) - Texte source : Selon le dernier rapport de l'ONU publié tout récemment, un conseiller officieux du président rwandais Paul Kagame et un opposant congolais, deux richissimes hommes d'affaires, sont cités comme d'importants financiers de la rébellion du CNDP qui fait la guerre au Nord-Kivu contre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). [L’Observateur, 15 décembre 2008]
271) - Texte cible : Un conseiller officieux du président rwandais Paul Kagame et un opposant congolais figurent dans un rapport de l'ONU comme d'importants financiers de la rébellion de Laurent Nkunda dans l'est de la RDC. [Le Figaro, 16 décembre 2008]
Dans cet exemple, la forme de représentation du discours autre passe d’une modalisation
du dire comme discours second dans le texte source suivie d’un discours représenté (Selon le
dernier rapport de l’ONU publié tout récemment ; sont cités) à un discours représenté
(figurent dans un rapport comme119…). Ce changement ne concerne pas seulement la forme
de représentation du discours autre, mais il touche aussi à l’acte de parole représenté. En
effet, dans la modalisation, des informations supplémentaires sur le rapport et donc sur
l’acte de parole sont présentes : dernier et publié tout récemment. Ces informations
permettent aux lecteurs d’identifier avec précision le rapport dont il s’agit, contrairement à
celui du texte cible, notamment désigné au moyen d’un article indéfini. On peut donc dire
qu’en insistant sur l’attribution du dit, au moyen d’informations précises concernant l’acte
de parole, le journaliste du texte source souhaite plus de clarté pour ses lecteurs. À l’inverse,
en supprimant de telles informations, le journaliste du texte cible condense l’information
pour focaliser son attention plus sur le contenu, sur le message représenté que sur
l’attribution de l’acte de parole.
119 Le discours est représenté de manière relativement implicite : il est évident que si leurs noms
apparaissent dans le rapport, cela signifie qu’un énonciateur les y a écrits, en a parlé.
335
3.3. Transformations concernant les formes de représentation du
discours autre
L’ajout ou la suppression de représentations dévoilées constitue le moyen le plus
fréquemment utilisé par des journalistes pour faire remplir aux transformations la fonction
de précision ou celle de condensation. Le journaliste du texte cible décide d’ajouter ou de
supprimer des discours représentés, des modalisations, etc.
Lorsqu’il s’agit de la fonction de précision, le journaliste du texte cible ajoute ou
transforme la forme de représentation du discours autre. Lorsqu’il l’ajoute, quatre raisons à
ces ajouts ont été relevées : le besoin de mentionner des choses à priori évidentes (la clarté),
le désir de donner un maximum d’informations (le détail), le souhait d’expliquer ou de
justifier (l’explication), le désir d’insister sur les aspects constructifs/favorables et/ou
défavorables (le positif/négatif). Prenons quatre exemples afin de montrer les différences :
272) - Texte source : Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a annoncé lundi avoir nommé l'ancien président du Nigeria Olusegun Obansajo émissaire spécial de l'ONU pour tenter de résoudre la crise en République démocratique du Congo (RDC). M. Ban a également indiqué qu'il était prêt à se rendre personnellement dans la région pour rencontrer les présidents congolais Joseph Kabila et rwandais Paul Kagame. [La Libre Belgique, 04 novembre 2008]
273) - Texte cible : Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a annoncé, lundi 3 novembre, avoir nommé l'ancien président du Nigeria Olusegun Obasanjo émissaire spécial des Nations unies pour l'est de la République démocratique du Congo (RDC). M. Obasanjo « travaillera avec les dirigeants de la région et la communauté internationale pour apporter une solution politique durable à la crise », a précisé M. Ban. [Le Monde, 05 novembre 2008]
Dans cet exemple, un discours direct est ajouté dans le texte du Monde (‘travaillera avec les
dirigeants de la région et la communauté internationale pour apporter une solution politique
durable à la crise, a précisé M. Ban.). Ce discours direct vise à apporter plus de clarté au
contenu informationnel, à le rendre plus précis. Le contenu informationnel porte en effet sur
la nomination d’Olusegun Obasanjo comme émissaire spécial de l’ONU pour tenter de
résoudre la crise congolaise. Le discours direct, quant à lui, ne fait que rendre plus précis ce
qui est déjà évident dans la séquence qui le précède. Ainsi, dans cette séquence, on parle de
la nomination d’Olusegun comme émissaire de l’ONU pour tenter de résoudre la crise en
RDC. Dans le discours direct, le journaliste ne fait que donner de plus amples informations
sur cette nomination, mais ces informations sont évidentes : si Olusegun est émissaire de
l’ONU, il est évident qu’il travaillera avec des dirigeants et de la région et de la communauté
internationale ; si c’est un émissaire pour tenter de résoudre la crise, il est également
évident qu’il essayera de trouver une solution politique au conflit. On voit donc que dans ce
cas, l’ajout de représentation dévoilée remplit la fonction de préciser une information qui en
soi, contient déjà cette précision, mais de manière moins claire, par déduction.
336
Mais l’ajout d’une représentation dévoilée peut aussi rendre des informations évidentes
plus précises, tout en les détaillant. Le journaliste ajoute alors des représentations dévoilées
du discours autre pour présenter un maximum de détails à ses lecteurs et leur permettre de
se représenter les faits de la manière la plus précise possible :
274) - Texte source : Au nord de Goma, les rebelles congolais empêchent les civils de fuir. [Le Monde, 03 novembre 2008]
275) - Texte cible : À Kibumba, une agglomération rurale vidée en partie de ses habitants, un petit groupe d'hommes et de femmes tente de quitter à son tour la zone sous contrôle CNDP. Les rebelles les en empêchent. Surgit un groupe de motos qui tente de se frayer un chemin jusqu'à Goma. Il doit faire demi-tour. « Nous sommes ici comme des esclaves. Les soldats refusent de nous laisser passer pour rejoindre Goma », s'indigne un homme. À ses côtés, un autre habitant de Kibumba renchérit : « Moi, j'avais pris la fuite lundi, et je suis rentré aujourd'hui pour récupérer des petites choses à la maison. Ma femme, les enfants, sont à côté de Goma et je ne peux pas retourner là-bas. » [Le Monde, 03 novembre 2008]
Nous constatons ici l’ajout de deux discours directs dans le texte cible. Ces deux discours
permettent au journaliste cible de donner tous les détails du fait, à savoir le refus du CNDP
de laisser les habitants fuir Kibumba, au Nord de Goma. En ajoutant ces deux discours
directs, le journaliste réalise deux actions : d’une part, il insiste sur le fait puisque les
discours directs sont en quelque sorte une répétition du contenu informationnel. D’autre
part, il permet aux lecteurs de se représenter, d’avoir une image plus claire des événements.
Dans ce cas-ci donc, l’ajout de la représentation dévoilée permet de détailler l’information,
de la rendre imagée. Notons qu’à cet aspect, un autre aspect s’ajoute dans le cas de cet
exemple. Il s’agit d’insister également sur le négatif. En effet, en donnant la parole à des
citoyens, victimes du conflit, le journaliste pousse le lecteur à se mettre dans la peau des
personnes concernées ; il joue sur les émotions provoquées par ces discours. Nous avons
donc la superposition de la clarté et du négatif.
L’ajout de représentation dévoilée du discours autre peut aussi, dans certains cas, servir à
expliquer les raisons pour lesquelles un énonciateur représenté a tenu son discours.
276) - Texte source : Le président français Sarkozy s’est montré très sceptique vendredi sur la nécessité d’envoyer une mission UE en RDC. « En RDC, le problème n’est pas que l’Europe ne veut pas y prendre sa part. Mais quand il y a déjà 17.000 soldats (de l’ONU) et qu’on m’explique qu’il n’y en a que 800 qui servent, je me demande si c’est la peine d’en envoyer 3.000 de plus. Et le président angolais dos Santos m’a dit que l’armée angolaise est prête à s’engager pour la paix sous mandat de l’ONU. Ne vaut-il pas mieux faire appel à des forces régionales quasiment installées plutôt qu’à des forces européennes ? » [Le Soir, 13 décembre 2008]
277) - Texte cible : Nicolas Sarkozy a exprimé, vendredi 12 décembre, à l'issue du Conseil européen, son opposition à l'envoi d'une force militaire européenne au Congo pour protéger les populations civiles, victimes du conflit qui déchire l'est du pays. « Quand il y a déjà 17 000 soldats de l'ONU et qu'on m'explique qu'il n'y en a que 800 qui servent, je me demande si c'est la peine d'en envoyer 3 000 de plus », a déclaré le président français. « Il y a peut-être des problèmes d'organisation, et
337
pas seulement de nombre », a-t-il ajouté à propos de la force de l'ONU. M. Sarkozy a souligné que l'Angola, pays voisin du Congo, était prêt à envoyer des troupes, « à condition que ce soit sous mandat de l'ONU ». « Est-ce qu'il ne vaut pas mieux faire appel d'abord à des forces régionales plutôt qu'à des forces européennes ? », a-t-il demandé. M. Sarkozy estime que l'UE « ne peut pas aller partout, toujours, sans limite ». Il n'a pas exclu toutefois un pont aérien pour l'acheminement de vivres. [Le Monde, 15 décembre 2008]
Cet exemple traite de l’opposition de Nicolas Sarkozy à envoyer des troupes européennes
supplémentaires en RDC. Dans le texte cible, plusieurs discours représentés sont ajoutés. Le
premier, un discours direct en incise finale, mentionne l’une des raisons de l’opposition de
Sarkozy : selon lui, l’augmentation du nombre de soldats en RDC n’aurait pas d’impact sur la
résolution du conflit, car il y aurait des problèmes avant tout d’ordre organisationnel. Le
second, un discours indirect avec îlot textuel, précise que Sarkozy pense que les troupes
européennes ne peuvent pas être déployées partout en même temps dans le monde. Ces
deux discours représentés constituent tous deux une explication à l’opposition de Nicolas
Sarkozy à l’envoi de troupes européennes en RDC. En d’autres termes, en pointant les
problèmes d’organisation et celui du déploiement simultané de troupes européennes dans
le monde, Sarkozy justifie son refus d’envoyer les troupes européennes en RDC. Cette
justification intervient comme une précision pour le lecteur : le journaliste du texte cible
estime qu’il doit donner l’explication du discours d’un énonciateur représenté afin que
l’information soit claire pour lui. À l’inverse, le journaliste du texte source n’insiste que sur
l’information nouvelle, à savoir, dans notre cas, l’opposition de Sarkozy à l’envoi de troupes.
Nous constatons donc, avec cet exemple, que l’ajout de représentation dévoilée, servant
d’explication d’un discours représenté, peut aussi remplir la fonction de précision.
Enfin, l’ajout de représentation dévoilée remplissant la fonction de précision peut
provenir d’un désir d’insister sur les aspects positifs et/ou négatifs.
278) - Texte source : La visite de Joseph Kabila en Angola intervient alors que dans sa résolution 1843, adoptée à l'unanimité de ses quinze membres, le Conseil de sécurité de l'ONU vient de renforcer de 3 000 hommes les effectifs de la Mission de l'ONU en République démocratique du Congo (MONUC). [L’Observateur, 21 novembre 2008]
279) - Texte cible : Dans sa résolution 1843, adoptée à l'unanimité de ses quinze membres, le Conseil autorise " une augmentation temporaire d'un maximum de 2.785 hommes des effectifs militaires " de la MONUC " et de 300 hommes au maximum de ses effectifs de police ". La MONUC compte déjà quelque 17 000 Casques bleus et policiers. Cette augmentation temporaire de personnels est prévue jusqu'au 31 décembre mais est renouvelable en même temps que le mandat de la MONUC, qui expire à cette date. Le texte souligne que cette mesure " vise à permettre à la MONUC de renforcer sa capacité de défense des civils, reconfigurer sa structure et ses forces et optimiser leur déploiement ". Enfin, le projet " souligne l'importance que la MONUC s'acquitte pleinement de son mandat, y compris par des règles d'engagement solides ".Ce paragraphe vise à rappeler que selon l'ONU la MONUC, qui opère sous chapitre VII de la Charte des
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Nations unies autorisant l'usage de la force, est habilitée à utiliser tous ses moyens pour protéger les populations. [L’Observateur, 21 novembre 2008]
Cet exemple est publié le même jour, par l’Observateur. Il relate l’acceptation, par le Conseil
de sécurité de l’ONU, d’une augmentation des troupes onusiennes en RDC. On constate
cependant une différence entre les deux textes. Dans le premier texte, le fait le plus
important, l’augmentation militaire, est relaté. Dans le second texte, ce fait l’est également,
mais d’autres éléments d’information apparaissent également. En effet, dans ce texte, on
donne avec précision ce qui figure dans la résolution adoptée par le Conseil de sécurité. En
outre, les propositions suivantes y apparaissent : Le texte souligne que cette mesure " vise à
permettre à la MONUC de renforcer sa capacité de défense des civils, reconfigurer sa
structure et ses forces et optimiser leur déploiement ". Enfin, le projet " souligne l'importance
que la MONUC s'acquitte pleinement de son mandat, y compris par des règles d'engagement
solides ".Ce paragraphe vise à rappeler que selon l'ONU la MONUC, qui opère sous
chapitre VII de la Charte des Nations unies autorisant l'usage de la force, est habilitée à
utiliser tous ses moyens pour protéger les populations. Ces propositions constituent le détail,
évident, de l’information apparaissant dans la séquence les précédant. Mais, plus encore, en
détaillant cette information, le journaliste insiste aussi sur les aspects positifs de la
résolution. Ainsi, à deux reprises, la protection des civils est mentionnée. Ce qui signifie
qu’en ajoutant ces discours représentés, le journaliste du second texte, qui est congolais,
souhaite préciser au mieux une information positive en vue de rassurer ses lecteurs.
Pour éviter de sans cesse nous répéter, nous ne présenterons pas en détail la
condensation, soit la réduction des représentations dévoilées du discours autre, en vue de
condenser l’information. Celle-ci fonctionne en effet de manière similaire à la fonction de
précision, analysée dans le sens inverse, soit du texte cible au texte source. Dans le cas de la
condensation, le journaliste du texte cible supprime des représentations dévoilées qui
servaient, dans le texte source, à détailler l’information, à l’expliquer, à insister sur les
évidences (à les rendre explicites) ou sur le positif/négatif. Nous constatons donc que ce
sont les mêmes raisons qui poussent les journalistes à ajouter ou à supprimer des
représentations dévoilées dans le but de préciser ou condenser l’information.
3.4. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels
3.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux énonciateurs représentés
Lorsque l’information circule de l’Europe vers la RDC ou l’inverse, on remarque à nouveau
que les journaux belges sont plus souvent liés aux journaux congolais que les journaux
français. Plus particulièrement, les relations sont généralement établies entre Le Soir/La
Libre Belgique et Le Potentiel/Le Phare. Etant donné la répétition de ces liens, quelle que soit
la fonction concernée, on peut donc maintenant affirmer avec certitude que les
339
transformations des paramètres énonciatifs apparaissent particulièrement entre ces quatre
journaux.
Par ailleurs, en ce qui concerne les genres textuels, on se trouve à nouveau dans des
genres plus brefs en Belgique et plus du côté de l’article ou de l’analyse en RDC. Cela
explique que l’on trouve nettement plus fréquemment la fonction de clarté lorsqu’on passe
de l’Europe vers la RDC : les genres textuels étant plus développés, il est alors possible pour
les journalistes congolais de donner plus d’informations aux lecteurs. Cette fonction de
clarté est d’ailleurs très présente lorsque les transformations touchent aux énonciateurs
représentés : 137 occurrences de l’ensemble des transformations relatives aux énonciateurs
représentés remplissent la fonction de clarté (170 occurrences), contre seulement 33 pour la
fonction de condensation. On peut donc dire que les journalistes cibles ont tendance à
vouloir clarifier les caractéristiques descriptives des énonciateurs dont ils parlent.
En ce qui concerne les liens entre les journaux congolais, 111 occurrences ont été
observées. Sur ces dernières, dans 89 cas, les textes du Potentiel sont impliqués. Dans la
majorité des cas où Le Potentiel est lié à un journal congolais, on constate que les genres
textuels se modifient très peu souvent (on est en présence d’articles la plupart du temps) et
que c’est la fonction de clarté qui l’emporte majoritairement. Ce constat vaut aussi lorsque
ce sont Le Phare et L’Observateur qui sont liés ou lorsque les textes sources deviennent
cibles dans le même journal.
En bref, on peut donc dire que d’une part c’est la fonction de clarté qui est le plus souvent
observée et qu’elle apparaît nettement plus fréquemment dans le genre textuel article. Ce
genre est plus présent en RDC qu’en Europe : ce sont donc les journaux congolais qui
clarifient l’information européenne. Ce phénomène réapparaît aussi dans l’analyse des
résultats entre journaux congolais : quels que soient le journal source et le journal cible, ce
qui ressort avant tout est la fréquence importante d’articles et de la forte présence de la
fonction de clarté. Voyons à présent ce qu’il en est lorsque ce sont les actes de parole qui
sont transformés.
3.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés
Si l’on se penche à présent sur les actes de parole représentés et que l’on se penche plus en
détail sur les résultats de la circulation de l’information entre l’Europe et la RDC, on
remarque plusieurs choses intéressantes. D’abord, à nouveau, ce sont les journaux belges Le
Soir et La Libre Belgique qui sont le plus souvent liés aux journaux congolais Le Potentiel et Le
Phare. Lorsque l’information circule de La Libre Belgique vers la RDC, la fonction de clarté est
plus présente que celle de condensation et on part toujours de brèves vers des articles ou
des articles-analyses. Lorsque l’information circule dans l’autre sens, on observe encore la
fonction de clarté, et on voit également nettement plus celle de condensation. La fonction
de condensation s’explique ici par les genres textuels, puisque la majorité du temps on passe
340
de textes plus longs à des brèves. Celle de clarté a donc retenu notre attention. Ce que nous
avons observé est que soit le texte cible est un article, soit le journaliste cible ajoute des
repères spatio-temporels ou catégorise les actes de parole et messages représentés de
manière moins vague qu’ils ne l’étaient dans les textes sources congolais. Notons que cette
fonction reste relativement rare quand l’information circule de la RDC vers La Libre Belgique.
Quant au Soir, on constate directement une plus forte tendance à la condensation
lorsque l’information circule de la Belgique à la RDC. Cela s’explique notamment par le fait
qu’une des journalistes du Soir est Colette Braeckman. Elle est spécialisée dans les affaires
de l’Afrique Centrale. Elle a tendance à être extrêmement précise dans ses articles ou ses
analyses, ce qui explique que l’information est condensée lorsqu’elle passe en RDC. Pour les
genres, on part à nouveau souvent de brèves, mais quelques cas d’articles ont aussi été
repérés. Nous avons aussi remarqué que plusieurs cas de condensation apparaissaient
lorsque l’information passait de brèves à des articles ou d’articles à des articles-analyses.
Cela nous a donc interpellée. Ce que nous avons constaté est que dans ces cas de figure, ce
qui est condensé correspond à des évidences par rapport à ce qui suit dans le texte (par
exemple, le fait d’être au courant de quelque chose, avant d’amener le propos principal ou
la présence d’un acte de parole qui pourrait être supprimé, etc.) Seul un cas de passage de
l’information de la RDC vers Le Soir a été identifié. Cela contredit à nouveau que
l’information circule du local au global et nous montre que ce type de transformation
(remplissant cette fonction) est très rare dans ce sens.
Enfin, lorsque l’information se propage au sein même de la RDC, la fonction de
condensation et de clarté s’est surtout présentée entre Le Potentiel et les deux autres
journaux congolais. L’Observateur a tendance à vouloir rendre plus claire l’information du
Potentiel et Le Potentiel à clarifier celle du Phare. La majorité du temps, quel que soit le
journal concerné, c’est à nouveau la clarté qui a obtenu le plus de résultats, même si des cas
de condensation ont également été observés. Les genres n’ont pas vraiment semblés jouer
un rôle important concernant cette fonction lorsqu’elle était remplie par les transformations
des actes de parole représentés puisque c’est tantôt de textes non analytiques vers des
textes analytiques, tantôt entre des textes du même genre que l’information a circulé.
3.4.3. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du
discours autre
Pour les formes de représentation du discours autre, les transformations apparaissent
nettement plus souvent lorsque l’information circule de l’Europe vers la RDC. Dans la
majorité des cas, c’est la fonction de clarté qui est plus proéminente. Cela s’explique
notamment par le fait que c’est plus souvent à partir de brèves européennes vers des
articles congolais que circule l’information dans ce sens. Il est donc logique que les articles
rendent moins dense l’information et puissent y ajouter des formes de représentation du
341
discours autre. Par ailleurs, contrairement aux résultats précédents, Le Figaro est plus
impliqué que d’habitude. Cela s’explique par le fait que ce journal ne publie presque que des
brèves lorsque le contenu porte sur le conflit congolais. Comme d’habitude, ce sont Le Soir
et La Libre Belgique les plus en rapport avec les journaux congolais et c’est à nouveau la
fonction de clarté la plus souvent observée dans ce sens.
Si l’on se penche sur le lien du Soir ou de La Libre Belgique au Potentiel, lien le plus
souvent constaté entre journaux européens et congolais, l’on remarque que les contenus
informationnels précisés/clarifiés correspondent aux tendances politiques que ce journal
affirme suivre. En effet, sept contenus informationnels différents sont abordés, bien que le
nombre de textes comparés soit bien plus important. Ces contenus portent sur :
1) les réfugiés et leur détresse.
2) la présence et l’action de la MONUC
3) le dialogue et les relations diplomatiques entre le Rwanda et la RDC.
4) le désir d’acquérir les richesses minières de la RDC.
5) l’implication des pays européens dans le conflit.
6) Le désagrément entre Laurent Nkunda et Bosco Ntaganda et le fait que ce dernier soit
recherché par la Cour pénale internationale (CPI).
7) les combats de Nkunda pour une cause qu’il juge juste.
Tous ces contenus informationnels ajoutés nous montrent donc que Le Potentiel représente
effectivement tous les points de vue sur le sujet (puisque tous les acteurs/énonciateurs sont
pris en considération). L’information peut dès lors être jugée plus objective que dans
d’autres journaux. Ce sont aussi les mêmes genres de contenus informationnels qui sont
clarifiés lorsque l’information part de La Libre Belgique vers Le Potentiel, excepté qu’on
insiste plus aussi sur les plans de désengagements des troupes et sur les négociations en vue
de mettre fin aux hostilités.
La dernière remarque concerne Le Phare et les journaux européens : presque qu’aucun
lien n’apparaît entre lui et les journaux européens. Et lorsque des liens apparaissent, dans la
totalité des cas (une seule exception), c’est la condensation qu’on observe. Cela nous
montre que la tendance politique de ce journal (d’opposition) n’est pas ou moins transmise
en Occident.
342
Penchons à présent sur l’information de l’information au sein même de la RDC. Ce qui
nous frappe avant tout est que les genres ont nettement moins d’importance et que la
condensation prend un net avantage sur la clarté. Nous nous sommes donc demandé quels
pouvaient être les contenus informationnels condensés et voici ce qu’il en ressort : quand
l’information circule d’un texte du Potentiel à un autre texte du Potentiel, les principaux
discours condensés sont au nombre de trois grands types. D’abord des discours
d’archevêques parce qu’ils ressassent un peu trop la situation dramatique ou dénoncent
trop souvent les torts des uns et des autres. Ensuite, des discours dirigés contre l’incapacité
de la MONUC à protéger les civils. Enfin, des discours trop répétitifs portant la cessation des
hostilités, l’arrêt du recrutement d’enfants soldats, la présence de la MONUC pour protéger
les civils/son incapacité à le faire. Dans un certain sens, ces discours supprimés sont très
subjectifs, donc les textes cibles du Potentiel tentent de rendre l’information un peu plus
neutre.
Lorsque l’information circule entre L’Observateur et Le Potentiel, on remarque que Le
Potentiel a à nouveau tendance à donner tous les éléments d’information et que
L’Observateur se positionne plus contre la MONUC et les politiciens et plus du côté des
victimes de la guerre. Ainsi, lorsque c’est L’Observateur qui condense l’information, les
contenus portent sur l’aide apportée par la MONUC aux victimes, les actions réalisées par le
gouvernement congolais ou les effets du Conseil de Sécurité. A l’inverse, dans l’autre sens,
cette condensation s’opère par Le Potentiel sur les violations des droits de l’homme par les
militaires congolais, sur les victimes de la guerre, sur le pillage des ressources, sur l’absence
d’aide de l’UE, etc. On voit donc nettement une différence de points de vue entre les deux
journaux.
Pour le lien entre Le Phare et Le Potentiel, on remarque que l’information circule très
rarement du Potentiel vers Le Phare. Les rares cas rencontrés sont des cas de condensation
de contenus portant sur la MONUC. Ses dires sont en effet beaucoup moins détaillés que
ceux apparaissant dans Le Potentiel, comme si Le Phare souhaitait prendre plus de distance
vis-à-vis de ce qu’elle a dit. Par ailleurs, beaucoup plus d’occurrences ont été observées dans
le sens inverse (Le Phare > Le Potentiel). Mais dans ce sens, c’est la fonction de clarté qui
apparaît le plus. Cela signifie que Le Potentiel souhaite donner un maximum d’informations à
ses lecteurs en présentant plusieurs points de vue différents, ce qui le rend de fait plus
neutre. Les contenus informationnels touchés par les transformations des formes ont été :
les actions du CNDP (initiées ou non par les FARDC), le point de vue du gouvernement
congolais (sur le respect des accords, sur l’importance de l’aide internationale, sur le
programme Amani et les accords avec le Rwanda), le nombre de déplacés et de victimes, les
actions prises par la MONUC, la reconquête des territoires par les FARDC et le point de vue
du CNDP. On voit donc clairement que Le Potentiel se préoccupe de donner tous les avis.
343
Enfin, si nous nous occupons des transformations du Phare et de L’Observateur, nous
remarquons avant tout le peu d’occurrences de transformations dans ces deux journaux
(inférieures à 20 pour chaque cas). Il est donc difficile d’émettre des affirmations concernant
ces deux journaux. Ce que nous avons constaté est que lorsque l’information circule de
L’Observateur vers Le Phare, les principaux discours condensés sont ceux concernant le point
de vue américain sur le conflit, point de vue en défaveur du CNDP et en faveur de la
MONUC. Cela contredit en partie (vu le peu d’occurrences) les tendances politiques
affirmées par Le Phare. Dans le sens inverse, lorsqu’il s’agit de la fonction de clarté,
L’Observateur rend plus clair l’information liée aux victimes du conflit, à la biodiversité, aux
enfants soldats, au désir de voir se terminer les hostilités et de voir arriver un compromis
entre les groupes armés. Lorsqu’il la condense, elle porte sur la responsabilité du Rwanda et
l’appel au soulèvement national lancé par le CNDP. Quand au passage de l’information d’un
texte d’un des deux journaux à un autre texte de ces mêmes journaux, nous avons observé
ce qui suit : L’Observateur condense ce qui est évident ou les informations connues (par
exemple les positions initiales des groupes armés, etc.). Notons que la condensation est faite
lorsque l’auteur des deux textes est le même : cela s’explique par le fait qu’il ne veuille pas
se répéter. Lorsqu’il clarifie, il parle du caractère positif d’une éventuelle augmentation de la
MONUC pour protéger les civils et confirme toujours ses tendances de gauche. Quant au
Phare, la majorité du temps, c’est la condensation qui est observée : il s’agit alors de
supprimer des contenus où l’information est incertaine comme des sommets prévus, mais
non leurs dates, des promesses (rencontre entre l’UE et Kagamé, action de l’UE, etc.). La
clarté apparaît en particulier pour montrer les attentes de la population civile quant aux
condamnations en justice des responsables du conflit.
4. La fonction d’enchaînement ou de narration
Nous en avons déjà touché un petit mot dans le chapitre V (point 3.5.), la fonction de
narration correspond à l’enchaînement causal et temporel d’actes de parole représentés.
L’énonciateur qui produit son récit le fait en utilisant, succinctement, le discours
d’énonciateurs qu’il représente :
“In keeping in mind with Labov’s definition of the narrative event, we
consider that a reported utterance has a narrative function when it is uttered to
identify a speech event from a past series of events constrained by the
temporality and the causality of the successive actions involved in a story. »
(Vincent et Perrin, 1999 : 294)
Contrairement aux autres fonctions, la fonction de narration n’a jamais concerné les
transformations des caractéristiques décrivant les énonciateurs représentés.
344
4.1. Transformations concernant les actes de parole représentés
4.1.1. Transformation de la catégorisation des actes de
parole/messages représentés
La catégorisation des actes de parole représentés peut permettre au journaliste d’un texte
cible de montrer l’enchaînement narratif entre les divers actes de parole. Tout acte de
parole peut être explicitement représenté via un nom ou un verbe de parole. Tel est le cas
notamment lors des discours directs et indirects. Cette représentation explicite correspond
parfois à un mot dont la catégorisation ressort du champ sémantique de l’organisation du
discours. Ce champ sémantique met alors en évidence la manière dont les actes de parole se
sont causalement et/ou temporellement enchaînés. En décidant de transformer une
catégorisation en une autre, ou en ajoutant un nom/verbe de parole, le journaliste du texte
cible insiste alors sur l’enchaînement des événements de parole :
280) Depuis que j’ai quitté Goma depuis le début de la transition je n’ai plus de contact avec le Rwanda. Pour revenir à votre première question. On parle de transfert de 25 mille dollars dans ce rapport. Mais il ne faut quand même pas qu’on se moque des gens ! Si on veut salir quelqu’un, on recourt à tous les moyens. Ce qui veut dire qu’ils n’ont rien de palpable. Est-ce que c’est avec 25 mille dollars qu’on peut entretenir une rébellion ? Je ne comprends plus rien parce que l’ONU est une organisation très respectable. Ils ont plus de 17 mille hommes là-bas (en RDC). Ils dépensent en termes de milliards de dollars. [Le Potentiel, 18 décembre 2008]
Cet exemple est un cas de représentation du discours autre à l’intérieur d’un discours qui est
déjà représenté par un énonciateur. Nous sommes donc à deux niveaux de hiérarchisation
des discours : le journaliste publie (produit) un texte (un discours) dans lequel il représente
un énonciateur (ici, Katebe Katoto) qui à son tour va représenter d’autres énonciateurs (le
journaliste en question et l’ONU). Lorsque Katebe Katoto représente le discours du
journaliste auquel il s’adresse, il catégorise son propre discours en train de se faire par
« pour revenir à votre première question ». Cette catégorisation met en avant l’organisation
du discours ; ce qu’il est en train de faire en s’exprimant. Ensuite, il emploie le verbe de
parole « parler », qui se situe sur l’axe de dire. Ce qui signifie que l’énonciateur, Katebe
Katoto, met en avant l’organisation de son discours, le renvoi à une question émise par un
autre énonciateur, le journaliste, dans laquelle apparaissait la parole d’un troisième
énonciateur, un membre de l’ONU. On voit donc ici que la catégorisation du discours en
train de se faire et de celle d’une parole autre permet de percevoir comment les discours se
sont enchaînés, temporellement et causalement : un premier énonciateur, l’ONU, a produit
un discours. Ce discours a pris de l’ampleur au niveau médiatique et a donc été représenté
par des journalistes. Cette représentation a ensuite conduit à une interview dans laquelle les
propos étaient repris. Ce qui a eu pour conséquence la réaction d’un troisième énonciateur,
Katebe Katoto, qui a émis les propos ci-dessus représentés.
345
Dans l’exemple précédent, c’est en premier lieu la catégorisation du discours en train de
se faire qui permettait de percevoir un enchaînement dans les discours représentés. Mais la
catégorisation des actes de parole permettant la mise en évidence de l’enchaînement des
discours représentés peut aussi se voir via la représentation des discours, comme dans
l’exemple suivant :
281) - Texte source : M. Katebe Katoto, l’ONU vient de publier un rapport sur la situation de guerre au Nord-Kivu. Nous vous rencontrons ici à Bruges, en Belgique, où vous habitez. Quelle est votre réaction à chaud sur ce rapport ? Je me permets quand même de rigoler parce que je suis moi-même surpris de voir qu’une organisation d’une grande importance comme l’ONU avec une réputation internationale puisse se permettre de publier des rapports comme ça. Vous savez que quand il y a rapport, ce qu’il y a eu une enquête [sic]. Et quand il y a enquête, ce [sic] qu’on a une information, on la vérifie auprès de l’intéressé. On ne m’a jamais contacté, on ne m’a jamais posé la question. On s’est basé sur les bruits qu’on a appris quelque part. [Le Potentiel, 18 décembre 2008]
282) - Texte cible : Et pourtant le rapport des Nations unies donne des preuves de votre implication ? Lui demande un confrère de radio Panic. L’homme d’affaires congolais répond sur un ton grave, en arrangeant sa cravate : « Je me permets quand même de rigoler parce que je suis moi-même surpris de voir qu’une Organisation d’une grande importance comme l’ONU, avec une réputation internationale puisse se permettre de publier des rapports comme ça. Vous savez que quand il y a rapport, cela suppose qu’il y a eu une enquête. Et quand il y a enquête, ce qu’on [sic] a une information. On la vérifie auprès de l’intéressé. Or, pour mon cas, les experts des Nations unies ne m’ont jamais contacté, ils n’ont jamais posé la question », a-t-il indiqué. [L’Observateur, 18 décembre 2008]
Dans cet exemple, le discours du texte du Potentiel est un discours produit : une interview
entre Katebe Katoto et un journaliste de radio Panic. Ce discours produit est d’ailleurs
marqué par une série de déictiques, comme les marques d’adresse (l’apostrophe M. Katebe
Katoto, le pronom d’objet direct vous ou encore le pronom possessif votre). Ces déictiques
se transforment en marqueurs de la troisième personne (lui, l’homme d’affaires, etc.) dans le
texte cible qui est, lui, un discours représenté. Ce discours est notamment représenté via
l’ajout d’actes de parole explicites à travers les verbes de parole. Ceux-ci sont « demande »
et « répond ». Ces deux verbes montrent clairement l’enchaînement causal et temporel des
discours : puisqu’un journaliste pose une question à Katebe Katoto, ce dernier y répond. Il
s’agit donc tant d’un enchaînement causal que d’un enchaînement temporel des discours
représentés, qui est mis en évidence lors du passage d’un discours produit à un discours
représenté.
Enfin, le dernier type de transformation rencontré lors de la catégorisation des actes de
parole et remplissant la fonction d’enchaînement est celui où le journaliste du texte cible
ajoute des noms/verbes de parole montrant l’enchaînement du discours, bien que celui-ci
soit relativement évident dans le texte source :
346
283) - Texte source : Dans les camps de Kibati, j’ai vu des personnes plongées dans une profonde détresse, dont un grand nombre de femmes, d’enfants et de personnes âgées », explique Max Hadorn, chef de la délégation du CICR en RDC, actuellement en visite dans le Nord-Kivu. « Pour les aider, nous avons mis en place des opérations d’urgence qui répondent aux besoins les plus pressants : l’eau, la nourriture et l’hygiène ». [Le Potentiel, 06 novembre 2008]
284) - Texte cible : Pour Max Hadorn, chef de la délégation du CICR-Kin, la situation humanitaire est dramatique, "J'ai vu des personnes plongées dans une profonde détresse, dont un grand nombre de femmes, d'enfants et de personnes âgées" et d'ajouter "pour les aider, nous avons mis en place des opérations d'urgence qui répondent aux besoins les plus pressants ; l'eau, la nourriture et l'hygiène." [L’Observateur, 13 novembre 2008]
En (284), un verbe de parole supplémentaire apparaît dans le texte cible. Il s’agit du verbe de
parole ajouter présent dans la seconde proposition de l’énonciateur représenté Max Hadorn.
Dans le TLFi, il est précisé, en remarque, que ce verbe peut servir à « introduire un énoncé
suppl. sous forme de prop. sub. implicite ou d'énoncé en style dir120. » ou à être utilisé « En
incise, comme procédé rhétorique, pour rythmer une progression dans un énoncé ». On
comprend, en lisant ces remarques, que ce verbe permet d’introduire un énoncé,
notamment en style direct, mais marque aussi la progression du discours. En d’autres
termes, lorsqu’il s’agit du discours représenté, il sert à montrer comment les énoncés se sont
temporellement succédé.
4.1.2. Transformation par la mise en relation des actes de parole
représentés
La mise en relation d’actes de parole consiste à lier entre eux des actes de parole. Ce lien
peut être établi de diverses manières. Il peut s’agir par exemple de la signification même du
nom ou du verbe de parole qui réfère de manière autonome à un autre acte de parole. Il
peut aussi s’agir de l’ajout d’adverbes suivant un nom ou verbe de parole ou encore la
comparaison de plusieurs actes de parole, en les présentant succinctement. Dans le cadre de
la fonction d’enchaînement, nous avons repéré deux procédés employés par les
journalistes : les verbes de parole signifiant le renvoi à un autre acte de parole et l’ajout
d’adverbes. Ces deux procédés ont été repérés lorsque les journalistes montraient la
représentation du discours autre, c’est-à-dire lorsqu’un discours produit était ensuite
représenté ou lorsque lors de la représentation du discours autre, les actes de parole étaient
représentés différemment dans deux textes. Mais, lors de la recontextualisation du discours
120 Les abréviations signifient: énoncé supplémentaire sous forme de proposition subordonnée implicite ou
d’énoncé en style direct.
347
représenté, c’est-à-dire lors de l’emploi, à des fins différentes, de ce discours, c’est la
comparaison d’actes de parole qui a été observée. Prenons des exemples pour mieux
comprendre ce phénomène :
285) - Texte source : Un vrai drame humanitaire qui s'apparente à un génocide silencieux dans l'est du Congo se déroule sous les yeux de tous. De nouveau une cruauté d'une exceptionnelle virulence est en train de se déchaîner contre les populations locales qui n'ont jamais exigé autre chose qu'une vie paisible et décente sur leurs terres. [L’Observateur, 14 novembre 2008]
286) - Texte cible : À New York, les deux Évêques sont revenus sur ce « génocide silencieux » en République démocratique du Congo. Le 13 novembre, la CENCO avait déjà haussé le ton : « Un vrai drame humanitaire qui s’apparente à un génocide silencieux dans l’Est de la RD Congo se déroule sous les yeux de tous. Les massacres gratuits et à grande échelle des populations civiles, l’extermination ciblée des jeunes, les viols systématiques perpétrés comme arme de guerre : de nouveau une cruauté d’une exceptionnelle virulence est en train de se déchaîner contre les populations locales qui n’ont jamais exigé autre chose qu’une vie paisible et décente sur leurs terres. Qui aurait intérêt à un tel drame ? [Le Potentiel, 19 décembre 2008]
Dans ce premier exemple, un discours produit et publié dans un texte source est ensuite
représenté dans un texte cible. Lors de cette représentation, le journaliste cible utilise les
deux procédés mentionnés ci-dessus pour mettre en relation plusieurs actes de parole. Le
premier d’entre eux est l’usage d’un verbe de parole dont le sens réfère à d’autres actes de
parole. Ce verbe est « revenir sur ». Ce verbe de parole est employé pour référer au discours
des Évêques, qui reparlent du conflit congolais, comme ils l’avaient fait auparavant,
dénommés alors par le journaliste la CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo). Le
discours de la CENCO est d’ailleurs mis en évidence comme ayant déjà été dit. Le journaliste
utilise donc aussi un adverbe pour montrer la relation entre les discours. Ces deux procédés
permettent au journaliste cible de catégoriser les actes de parole comme s’enchaînant
temporellement. Il s’agit donc bien de la fonction d’enchaînement : un énonciateur produit
un discours et le reprend ensuite plus tard, à une autre occasion. Les deux discours
s’enchaînent donc temporellement.
Dans l’exemple que l’on vient d’examiner, le premier discours est produit alors que le
second est représenté. Mais il arrive que dans chaque texte le discours soit représenté. La
représentation ne remplit cependant pas la même fonction et cela est perçu par l’analyse de
la relation entre les discours, comme dans l’exemple suivant :
287) - Texte source : Mais, le mandat de la MONUC oblige-t-il ses troupes à combattre le CNDP ou, tout au moins, à « neutraliser » des éléments des FARDC régulièrement payés par le Trésor public ? À ce propos, des responsables onusiens ont, à diverses occasions, font [sic] valoir que leurs soldats ont reçu du Conseil de sécurité la mission de « protéger les populations civiles ». « Le rôle de la MONUC est défini par le Conseil de sécurité dans les résolutions qui ont établi la MONUC et qui ont été renouvelées. Nous suivons ce mandat qui nous a été confié par le Conseil de sécurité, mais aussi, ce qui nous a été confié par les actes d’engagement
348
de Goma », a rappelé mercredi le représentant du secrétaire général de l’ONU en RDC, Alan Doss, disant qu’il « suit de très près la situation ». [Le Potentiel, 05 septembre 2008]
288) - Texte cible : M. Alan Doss, représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en RD Congo a expliqué le jeudi 4 septembre 2008, la position de la MONUC en RDC, à propos des affrontements enregistrés tout récemment au Nord-Kivu entre les FARDC et les soldats de Laurent Nkunda. Selon lui, « le rôle de la MONUC est défini par le Conseil de sécurité dans les résolutions qui ont établi la MONUC et qui ont été renouvelées. Nous suivons ce mandat qui nous a été confié par le Conseil de sécurité, mais aussi, ce qui nous a été confié par les actes d’engagement de Goma ». [Le Potentiel, 06 septembre 2008]
Dans cet exemple, le discours représenté est celui d’Alan Doss qui précise que la MONUC
respecte les mandats établis par le Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que les engagements
pris à Goma. Dans le texte source, le discours de Doss est représenté via un acte de parole
qui le met en relation avec un de ses précédents discours ; le verbe rappeler. Il y a donc bien
un enchaînement temporel entre les discours. Mais la représentation de ce discours ne vise
qu’à conforter les arguments du journaliste. Selon ce dernier, la MONUC doit surtout
défendre les civils, comme cela a été précisé dans ses mandats et comme cela a été rappelé
par Alan Doss, membre de l’ONU. Il s’agit donc d’utiliser un discours représenté pour
montrer l’accord du journaliste avec l’énonciateur représenté. Nous sommes donc en
présence de la fonction de positionnement. Dans le texte cible par contre, le discours
représenté est catégorisé par le verbe de parole expliquer. Ce verbe ne renvoie plus à un
autre discours. La mise en relation disparaît donc au profit de l’explication, car le discours
représenté ne remplit plus la même fonction. En effet, dans ce cas-ci, le discours représenté
remplit la fonction d’enchaînement : la MONUC a eu un comportement spécifique lors des
affrontements entre les FARDC et le CNDP, car elle respectait les accords signés avec le
Conseil de sécurité à Goma. Ce qui signifie que le journaliste du texte cible emploie le
discours d’Alan Doss comme réponse à une action de la MONUC. Nous sommes donc ici
clairement en présence de la fonction d’enchaînement : un discours est représenté
causalement et temporellement par rapport à un autre discours ou à une action.
4.1.3. Transformation par l’explication des actes de paroles représentés
L’explication d’actes de parole représentés remplit la fonction d’enchaînement un peu de la
même manière que le dernier exemple que nous avons examiné. En effet, dans ce dernier, la
mise en relation des discours était supprimée dans le texte cible où le journaliste souhaitait
insister sur l’enchaînement action-discours et ce via l’explication, par le discours représenté,
de l’action. Nous avons cependant classé ce type de transformation dans la mise en relation
de discours, car le texte source comportait cette mise en relation.
Dans d’autres exemples, aucune mise en relation n’apparaît dans le texte source. Le
journaliste du texte cible explique les raisons de la tenue d’un discours qu’il représente. Le
349
plus souvent d’ailleurs, dans le texte source, seul le discours représenté apparaît, alors que
dans le texte cible, une explication le précède :
289) -Texte source : Zhang Yesui de la République populaire de la Chine et président du Conseil de sécurité pour le mois d'octobre, appelle toutes les parties en conflit dans l'Est de la République démocratique du Congo à observer immédiatement le cessez-le-feu. [L’Observateur, 23 octobre 2008]
290) - Texte cible : En effet, alarmé par les conséquences humanitaires des combats récents et vivement préoccupé par les menaces qui continuent de peser sur la sécurité de la population civile, le Conseil a demandé instamment à toutes les parties d’observer immédiatement un cessez-le-feu. [Le Phare, 23 octobre 2008]
Dans cet exemple, on remarque que le discours de Zhang Yesui apparaît dans les deux
textes. Cependant, alors que dans le premier texte, il est représenté tel quel, dans le second
texte, le journaliste explique les raisons de ce discours : Zhang Yesuis (et d’autres membres
du Conseil de sécurité), veut un cessez-le-feu, car il est inquiet de la situation conflictuelle
qui engendre une insécurité des populations civiles). Ce qui signifie que dans le second texte,
le discours représenté est d’abord expliqué avant d’être représenté : le journaliste dit pour
quelles raisons l’énonciateur représenté a tenu ses propos. Il s’agit de la fonction
d’enchaînement.
4.1.4. Transformations relatives aux repères temporels
Nous terminerons cette section sur les actes de parole représentés par l’examen de
l’enchaînement via les transformations des repères temporels. Deux types de
transformations des repères temporels ont été observés dans nos données : l’ancrage
temporel et le changement des temps verbaux.
L’ancrage temporel est un procédé qui permet notamment de montrer l’enchaînement
entre des discours. Ainsi, dans l’exemple suivant, le journaliste cible utilise l’expression
quelques heures plus tard pour montrer comment le discours d’un haut commandant (Bosco
Ntaganda), dans une déclaration, s’enchaîne temporellement, mais aussi causalement, au
limogeage de Laurent Nkunda. C’est en limogeant Nkunda et suite à cette action que Bosco
Ntaganda a pu annoncer la fin des hostilités :
291) - Texte source : Les rebelles tutsis du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) ont annoncé, hier, la cessation des hostilités avec le gouvernement de la République démocratique du Congo. [Le Figaro, 17 janvier 2009]
292) - Texte cible : « Le Haut commandement a effectivement limogé le chairman du mouvement, le CNDP. On lui reproche la mauvaise gestion des affaires du mouvement », a déclaré Désiré Kamanzi, l’un des responsables de l’aile dissidente. Quelques heures plus tard, lui et une dizaine d’officiers généraux ont signé une déclaration annonçant la « fin de la guerre » au Nord-Kivu. [Le Potentiel, 23 janvier 2009]
350
Mais l’enchaînement entre les discours peut aussi se faire par l’intermédiaire des
changements des temps verbaux. Le plus souvent, le journaliste du texte cible transforme le
temps verbal du verbe de parole du présent vers le passé, comme dans l’exemple suivant :
293) - Texte source : L’Organisation mondiale de la santé demande de l’aide pour lutter contre les épidémies dans le Nord-Kivu. L’OMS a évalué, le mardi 4 novembre 2008, à 2 millions et demi le nombre de personnes menacées par des épidémies de choléra et de rougeole dans la province du Nord-Kivu. [Le Potentiel, 06 novembre 2008]
294) - Texte cible : Suite à cette reprise de combats, l’OMS craint une flambée de choléra dans les camps, au moment où elle a évalué le mardi 4 novembre, à 2 millions et demi le nombre de personnes menacées par des épidémies de choléra et de rougeole dans la province du Nord-Kivu. C’est ainsi que l’Organisation mondiale de la santé a demandé de l’aide pour lutter contre ces épidémies dans la province. [Le Potentiel, 06 novembre 2008]
Dans cet exemple, les temps verbaux changent. On passe en effet du verbe de parole
« demande » à « a demandé ». Ce changement est dû au désir de marquer l’enchaînement
temporel, mais aussi causal, entre les discours. En effet, dans les deux textes, les temps des
autres verbes (apparaissant dans les deux textes) sont au passé. Mais le verbe demander, lui,
est au présent dans le texte source, et au passé dans le texte cible. Cette différence tient au
fait que dans le texte source, le journaliste insiste sur la continuité du discours, de la requête
de l’OMS. Ce faisant, il établit un lien avec ses lecteurs (fonction de réception). Mais dans le
texte cible, le journaliste focalise plus son attention sur la manière dont les actions et les
discours se sont temporellement (verbe au passé) et causalement (présence de l’expression
c’est ainsi que) enchaînés.
4.2. Transformations concernant les formes de représentation du
discours autre
4.2.1. Transformation de la représentation dévoilée du discours autre
L’ajout d’une représentation dévoilée pour marquer l’enchaînement entre les discours est
sans doute le procédé le plus évident concernant les transformations touchant les formes de
représentation du discours autre. Ce type de transformation correspond à des exemples
comme le suivant :
295) - Texte source : Les ministres des Affaires étrangères du Rwanda et du Congo, Rosemary Museminali et Alexis Thambwé, se sont mis d'accord, jeudi à Goma, sur un plan militaire visant à démanteler les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR, rebelles hutus issus des génocidaires ; alliés militaires de Kinshasa au Kivu) a annoncé M. Thambwe. [La Libre Belgique, 05 décembre 2008]
296) - Texte cible : La RDC et le Rwanda se sont donc mis d'accord sur un plan militaire visant à démanteler les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), milice hutu dont la présence au Nord-Kivu et au Sud-Kivu alimente le conflit dans la région. En retour, la RDC a invité le Rwanda à faire usage de son autorité morale
351
sur Laurent Nkunda pour ramener le chef rebelle à la table des négociations. [Le Potentiel, 06 décembre 2008]
Le journaliste cible ajoute un discours qui n’apparaissait pas dans le texte source. Ce discours
correspond à une réponse qui s’enchaîne causalement et temporellement au discours le
précédant. Dans notre exemple, les énonciateurs représentés veulent démanteler les FDLR,
Hutus rwandais présents sur le sol congolais, et se mettent donc d’accord sur un plan à cette
fin. Ce discours apparaît dans les deux textes. Mais dans le texte cible, un autre discours est
aussi présent : celui de la RDC qui demande au Rwanda de convaincre Nkunda, Tutsi
congolais considéré comme étant soutenu par le Rwanda, de revenir à la table des
négociations. Ce qui signifie qu’en se mettant d’accord sur (voire en acceptant) le
démantèlement des FDLR, la RDC demande en retour au Rwanda de convaincre un autre
responsable du conflit de négocier l’arrêt du conflit. Donc l’acceptation de la RDC est suivie
causalement et temporellement par sa demande. On constate donc ici que c’est parce que la
RDC s’est mise d’accord sur une action qu’elle a ensuite pu demander une autre action en
retour. Les discours s’enchaînent donc causalement et temporellement.
Mais l’ajout de formes de représentation dévoilée du discours autre n’est pas le seul
moyen permettant de marquer l’enchaînement des discours. En effet, le changement de ces
formes en d’autres le permet lui aussi. Dans ces cas de figure, le journaliste d’un texte cible
transforme une modalisation du dire comme discours second en un discours représenté et
peut ainsi employer un verbe ou un nom de parole marquant l’enchaînement du discours :
297) - Texte source : Selon lui, le président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, a demandé l’envoi d’une « force multinationale » pour épauler les Casques bleus de l’ONU dans l’est de la RDC. [Le Potentiel, 30 octobre 2008]
298) - Texte cible : […]121 ajoutant que le président de la RDC, Joseph Kabila, a demandé l'envoi d'une "force multinationale" pour épauler les Casques bleus de l'ONU dans l'est de la RDC. [L’Observateur, 30 octobre 2008]
Comme le montre cet exemple, le journaliste du second texte représente indirectement le
discours de l’énonciateur représenté, alors que celui du premier texte le modalise. Cette
différence permet au journaliste du texte cible de catégoriser l’acte de parole représenté par
un verbe dont le sémantisme réfère à l’organisation du discours. Ainsi, nous l’avions déjà
remarqué dans le point 4.1.1. de ce chapitre, le verbe « ajouter » permet de donner des
informations supplémentaires d’un discours tenu en discours représenté, mais aussi de
121 Le journaliste n’ayant segmenté aucun de ses énoncés, l’exemple faisait plus de 6 lignes, alors que seules
les dernières nous intéressaient. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas retranscrit en entier cet exemple.
352
marquer la progression des idées de l’énonciateur représenté. Par conséquent, la fonction
d’enchaînement est bien remplie par ce genre de procédé puisque l’enchaînement
temporel, voire causal, des discours est assuré.
4.2.2. Transformation de la représentation dissimulée du discours autre
Pour terminer cette section sur les formes de représentation du discours autre et la fonction
d’enchaînement, il convient de se pencher sur le dernier type de transformation observée
dans cette section : celles touchant à la représentation dissimulée du discours autre. Ces
dernières ne sont pas très fréquentes pour cette fonction. Elles se déclinent comme dans
l’exemple suivant :
299) - Texte source : A l’issue de son entretien avec Nkunda, Olusegun Obasanjo a brièvement rencontré à Goma des représentants des miliciens pro-gouvernementaux Maï-Maï, qui combattent contre la rébellion de M. Nkunda. Il s’est ensuite envolé pour Nairobi. [Le Phare, 01 décembre 2008]
300) - Texte cible : Et ce ne sont pas les représentants des miliciens pro-gouvernementaux Maï-Maï, que M. Obasanjo a rencontrés samedi à Goma avant de s’envoler pour Nairobi, qui y apporteront une alternative. [Le Potentiel, 01 décembre 2008]
Dans cet exemple, le texte source présente seulement le fait qu’Olusegun Obasanjo a eu des
discussions avec des miliciens pro-gouvernementaux Maï-Maï. Vu qu’il est l’émissaire de
l’ONU chargé de régler la crise en RDC, on se doute que ces discussions ont été tenues pour
arriver à mettre fin au conflit. Dans le texte cible, l’on voit apparaître une focalisation
négative (Et ce ne sont pas les représentants des miliciens pro-gouvernementaux Maï-Maï
qui…). En l’ajoutant, le journaliste cible dissimule le fait qu’un autre énonciateur (sous-
entendu Obasanjo) a dit que ces discussions avec ces représentants pouvaient constituer
une alternative (aux discussions, souvent sans accord) tenues entre lui et Nkunda). On voit
donc ici que la représentation dissimulée remplit la fonction d’enchaînement : on pourrait
changer la structure comme suit : Olusegun a dit que les discussions avec les Maï-Maï
pourrait constituer une alternative à celles qu’il a eues précédemment avec Nkunda car ces
dernières n’ont pas abouti. En d’autres termes, c’est parce que les discussions qu’il a eues
avec Nkunda n’aboutissent pas qu’il a dû en avoir ensuite avec les Maï-Maï.
4.3. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels
4.3.1. Interprétation des résultats relatifs aux actes de parole
représentés
La fonction d’enchaînement permet de montrer l’enchaînement causal et temporel entre
divers actes de parole, raison pour laquelle elle ne touche jamais les énonciateurs
représentés. Ce sont donc les actes de parole représentés les plus souvent concernés par
cette fonction.
353
La circulation de l’information de l’Europe vers la RDC a fait ressortir les constatations
suivantes : d’abord, contrairement aux précédents résultats, nous avons très peu
d’occurrences partant de l’Europe vers la RDC. Par ailleurs, lorsque nous en rencontrons,
elles sont à nouveau plus issues de brèves en Europe qu’en RDC. Ce qui explique entre
autres cette fonction : les journalistes congolais écrivent des textes plus longs et peuvent
donc se permettre de rappeler des événements de parole. Pourtant, vu que cette fonction
permet d’enchaîner causalement et temporellement des discours, on s’attendrait à ce
qu’elle soit moins présente en RDC vu que les lecteurs connaissent mieux les faits. Nous
avons dès lors porté notre attention sur les contenus des textes et le constat qui ressort est
qu’en RDC il s’agit toujours de donner soit l’explication du discours (être préoccupés par la
reprise des combats, etc.), soit de montrer l’enchaînement temporel (avec des actes de
parole comme « a-t-il ajouté », etc.). En Europe par contre, on ne présente uniquement que
le fait majeur (par exemples la MONUC a décidé d’envoyer ses troupes…). Dans ces cas donc,
le genre a son importance puisqu’il permet de conditionner la possibilité qu’ont les
journalistes cibles de donner plus ou moins de détails. Aucune occurrence n’a été décelée
dans le sens inverse, ce qui signifie que l’éloignement/la proximité des journaux avec les
faits évoqués revêt elle aussi son importance pour cette fonction.
La fonction d’enchaînement est nettement plus souvent remplie lorsque l’information
circule en RDC. Si un texte du Potentiel est transformé dans un autre texte du Potentiel, les
genres restent du même côté (textes non analytiques > non-analytiques et textes
analytiques > analytiques). En outre, on remarque que les textes analytiques sont plus
souvent sujets à cette fonction que les textes non analytiques. Quand Le Potentiel devient un
autre journal congolais, la même constatation a pu être faite. Quand il s’agit de
L’Observateur en texte source et cible, nous n’avons rencontré qu’une occurrence, ce qui
nous empêche de tirer des conclusions (excepté le fait que cette fonction n’apparaît que très
rarement dans ce journal quand les transformations se font entre deux de ses textes). Par
contre, lorsqu’il passe à un texte du Potentiel, il y a une forte présence de cette fonction
dans les textes cibles analytiques. Ce qui confirme deux choses : d’une part, Le Potentiel
utilise cette fonction dans des textes plus analytiques et d’autre part, il considère important
de montrer l’enchaînement causal et temporel des discours dans les analyses. Quand
L’Observateur passe au Phare, très peu d’occurrences ont été observées et les genres
textuels ne semblent pas vraiment jouer de rôle. C’est donc peut-être les auteurs des textes
qui importent plus ici. Enfin, si le texte source est émis par Le Phare et qu’il y reste en texte
cible, cette fonction est peu présente et les genres textuels changent peu. La seule
récurrence est que les textes sources sont toujours des articles. Si le texte cible est un texte
du Potentiel, le texte source est à nouveau un article et le texte cible un texte plus
analytique. Cela confirme que dans les textes du genre article, la fonction d’enchaînement
est moins présente que dans les textes analytiques. Aucun changement de genre n’a été
observé lors du passage vers un texte de L’Observateur : c’est donc le journal ou l’auteur qui
influence ici la fonction. En conclusion, les textes du Phare et de L’Observateur sont, pour
354
cette fonction, moins analytiques que les textes du Potentiel lors de cette fonction des
transformations.
4.3.2. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du
discours autre
La fonction d’enchaînement a été nettement moins souvent identifiée lorsqu’elle touchait
les formes de représentation du discours autre. Par conséquent, il est difficile d’affirmer
avec certitude ce qui suit puisque cela ne correspond qu’à la description d’un nombre réduit
d’apparitions de cette fonction pour les transformations de ces formes dans notre corpus.
Lorsque l’information a circulé à partir de l’Europe vers la RDC, c’est à nouveau plus La
Libre Belgique et Le Soir qui sont en lien avec les trois journaux congolais et on part à chaque
fois de brèves belges vers des textes congolais analytiques ou non. Donc la fonction
d’enchaînement se réalise forcément dans des textes plus longs. A nouveau ces textes plus
longs sont uniquement présents dans Le Potentiel et Le Phare, mais non dans L’Observateur.
Ce qui confirme tout ce qui a été dit jusqu’à présent : les deux journaux belges précités sont
nettement plus en lien avec les deux journaux congolais mentionnés. Notons aussi que dans
le sens inverse, seules trois occurrences ont été repérées et elles partent toutes du Phare
vers La Libre Belgique. Les deux autres journaux congolais n’apparaissent absolument pas
dans ce sens.
Au sein même de la RDC, nous n’observons plus les mêmes résultats que pour les actes de
parole représentés : les textes sources, quel que soit le journal duquel ils proviennent,
passent tantôt d’un genre textuel au même genre textuel, tantôt d’un genre textuel non-
analytique à un genre textuel analytique ou l’inverse. Aucune conclusion ne peut être donc
tirée à ce niveau-là. Cela est probablement dû au peu d’occurrences rencontrées pour les
formes de représentation du discours autre. La seule conclusion que nous ayons est qu’à
nouveau Le Potentiel est majoritairement présent en tant que texte cible. Ce qui confirme
les résultats précédents selon lesquels ce journal estime important de donner des
explications causales et des informations temporelles quant à la manière dont les discours se
répondent mutuellement. Cela signifie donc qu’il lui est essentiel de rappeler le pourquoi du
comment des discours représentés.
5. La fonction de répétition
La fonction que nous avons nommée de répétition correspond à trois procédés en
particulier : le changement lexical, la suppression des répétitions et l’inversion des lexèmes.
Le premier d’entre eux, le changement lexical, consiste à employer un autre mot dont la
signification est exactement la même que celle du mot remplacé. Il s’agit donc d’employer
un synonyme afin d’éviter de répéter tel quel un mot utilisé dans un autre texte. Le second
355
consiste, lui, à éviter de répéter des mots ou des expressions qui ont déjà été utilisé(e)s
auparavant une ou plusieurs fois dans le texte d’un même journaliste. Le troisième enfin,
consiste à inverser les mêmes dénominations à des endroits différents que ceux du texte
source en vue d’éviter de copier-coller telle quelle l’information qu’un journaliste cible
reprend à une autre source d’information.
Étant donné la ressemblance de ces trois procédés pour chaque type de transformations
touchant les énonciateurs, les actes de parole représentés et les formes de représentation
du discours autre, nous nous pencherons, dans cette section, uniquement sur ces trois types
de procédés. Nous n’oublierons cependant pas de mentionner les divers types de
transformations qui remplissent cette fonction selon les trois procédés décrits ci-dessus.
5.1. Transformations concernant les énonciateurs représentés
Comme pour les autres fonctions, les transformations touchant les énonciateurs représentés
sont de plusieurs types lorsqu’elles remplissent la fonction de répétition. Nous avons en
effet observé, pour cette fonction, les transformations suivantes : la caractérisation, par
ajout de caractéristiques descriptives ; la caractérisation, par remplacement de type
métonymique ou non métonymique ; la caractérisation, par suppression de caractéristiques
descriptives ; l’ajout d’énonciateurs représentés ; et la disparition des sous-entendus
d’attribution énonciative.
Ces types de transformations remplissent la fonction de répétition selon les trois
procédés mentionnés ci-dessus. Pour le premier d’entre eux, le changement lexical, qui
permet à un journaliste d’éviter de reprendre tels quels les mots employés par un autre
journaliste, les exemples correspondent au suivant :
301) - Texte source : Comme le craignaient un certain nombre d’observateurs particulièrement attentifs des affaires congolaises, les pourparlers entre le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et la rébellion de Laurent Nkunda étaient « bloqués » mercredi à Nairobi. C’est ce qu’a personnellement indiqué à la presse, tard dans la soirée, le médiateur onusien et ancien chef de l’État nigérian Olusegun Obasanjo. [Le Phare, 11 décembre 2008]
302) - Texte cible : Les pourparlers entre le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et la rébellion de Laurent Nkunda étaient " bloqués ", mercredi 10 novembre à Nairobi, a déclaré le médiateur dans la crise, l'ex-président nigérian Olusegun Obasanjo. [Le Monde, 12 décembre 2008]
Dans cet exemple, l’énonciateur représenté, Olusegun Obasanjo, est caractérisé
différemment dans le texte source et dans le texte cible. On observe en effet une
caractérisation par remplacement de type non-métonymique : l’expression pour le qualifier
change d’un texte à l’autre. Dans le texte source, le journaliste emploie l’expression « ancien
chef de l’État nigérian », alors que dans le texte cible, c’est « l’ex-président nigérian » qui est
utilisée pour caractériser l’énonciateur représenté. Cette transformation correspond à un
356
changement lexical remplissant la fonction de répétition. En effet, si l’on se penche sur les
définitions données par le TLFi des mots « chef de l’État » et « président », on remarque que
ceux-ci signifient la même chose. « Chef d’État » est ainsi défini comme « l’autorité suprême
d’un pays » et « président » comme « En France, chef du pouvoir exécutif », suivi de la note
« synon. chef de l’État ». Les deux expressions ont donc la même signification. Le
changement lexical intervient dans le texte du Monde, car le journaliste ne souhaite pas
employer tels quels les termes utilisés dans le texte du Phare. Il préfère donc employer un
synonyme en vue d’éviter le copier-coller.
La plupart des occurrences de changement lexical rencontrées concernant les
énonciateurs représentés ont la même forme que l’exemple ci-dessus présenté : il s’agit d’un
remplacement de type non-métonymique. D’autres occurrences, plus rares, ont aussi été
décelées. Elles sont toutes du même type : le remplacement de type métonymique. Dans ces
cas, un terme, dont la signification est relativement abstraite, est remplacé par un terme
renvoyant à des personnes. On se situe donc dans le remplacement de type métonymique
et, plus particulièrement, dans le passage du tout à la partie. Ainsi, les occurrences
rencontrées ont été les suivantes : « l’UE », c’est-à-dire l’Union européenne, et « la
rébellion » sont devenues, dans un texte cible « les Européens » et « les rebelles ». Dans ces
cas-ci, il est évident que les journalistes cibles ont voulu transformer les expressions utilisées
dans un texte source pour ne pas réaliser un copier-coller identique de l’information source.
Dans le cas de la suppression des répétitions, le journaliste d’un texte cible évite
d’employer toujours les mêmes expressions dans son texte, ce qui le pousse à modifier la
manière dont les énonciateurs représentés sont caractérisés dans un texte source. Prenons
un autre exemple :
303) - Texte source : Le ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht, a condamné fermement lundi l'appel du général rebelle congolais Laurent Nkunda à une insurrection générale contre le gouvernement. Le ministre considère que ces propos sont "irresponsables” et appelle une nouvelle fois "le CNDP à respecter ses engagements et à réintégrer immédiatement le processus de paix de Goma”. [La Libre Belgique, 07 octobre 2008]
304) - Texte cible : Le ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht, condamne les propos de Nkunda faisant état d’une insurrection générale contre le gouvernement de Kinshasa. Il invite, par conséquent, le CNDP à respecter ses engagements et à réintégrer immédiatement le processus de paix de Goma. Les déclarations faites par Laurent Nkunda, le 2 octobre sur BBC Africa continuent à susciter des réactions de la part des politiques congolais et étrangers. La dernière en date est celle du ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht. Dans un communiqué de presse daté du 6 octobre, parvenu à la rédaction du journal Le Potentiel, le chef de la diplomatie belge « condamne fermement l’appel de Laurent Nkunda à une insurrection générale contre le gouvernement de Kinshasa ». Karel De Gucht considère que ces propos sont irresponsables. Il appelle, une nouvelle fois, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) à respecter ses
357
engagements et à réintégrer immédiatement le processus de paix de Goma. [Le Potentiel, 08 octobre 2008]
Ce contenu informationnel est issu des journaux La Libre Belgique et Le Potentiel. Ils traitent
tous deux de la condamnation par Karel De Gucht de l’appel à l’insurrection de Laurent
Nkunda. On remarque que le texte du Potentiel est nettement plus détaillé que celui de La
Libre Belgique. Le Potentiel a en effet tendance à faire des énoncés introductifs résumant le
contenu informationnel qu’il détaille ensuite. Ce qui a pour conséquence qu’il répète en
d’autres termes le contenu informationnel. Pour éviter de reprendre telles quelles les
expressions déjà utilisées pour caractériser Karel De Gucht, à savoir « Le ministre belge des
Affaires étrangères, Karel De Gucht », il opte alors, dans sa seconde partie, pour une autre
expression : « Le chef de la diplomatie belge ». La transformation observée ne vise donc qu’à
supprimer les répétitions.
Enfin, le dernier procédé observé est ce que nous avons nommé l’inversion des
répétitions. Ce dernier consiste à intervertir des termes d’un texte à l’autre. Ce procédé
permet alors au journaliste de faire comme s’il n’avait pas copié-collé un texte source, alors
qu’en réalité il change simplement la place de quelques termes, comme dans l’exemple
suivant :
305) - Texte source : Le Chef de l'État a réitéré son soutien à la MONUC et son engagement envers le Programme Amani en insistant sur la mise en œuvre des zones de séparation. Le Président Kabila a de plus assuré la MONUC qu'il prendra des dispositions dans le but de mettre fin aux entraves au travail de la Mission. [Le Phare, 10 octobre 2008]
306) - Texte cible : Par ailleurs, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en RDC, M. Alan Doss, a été reçu jeudi dernier par le président Kabila qui a réitéré son soutien à la MONUC et son engagement envers le Programme Amani en insistant sur la mise en œuvre des zones de séparation. Le chef de l’État a également assuré la MONUC qu’il prendra des dispositions dans le but de mettre fin aux entraves au travail des Casques bleus. [Le Potentiel, 11 octobre 2008]
Cet exemple montre clairement les inversions. Dans le texte source, la première expression
utilisée pour caractériser Joseph Kabila est « le Chef de l’État », alors que dans le texte cible
elle est « le président Kabila ». Ces expressions accompagnent toutes deux le même acte de
parole représenté, à savoir « a réitéré », suivi de son contenu informationnel. La seconde
expression est, elle, dans le texte source « le président Kabila » et dans le texte cible « le chef
de l’État ». À nouveau, elles accompagnent le même acte de parole (a assuré), suivi de son
contenu informationnel. Le changement de place des expressions caractérisant les
énonciateurs représentés ne vise donc qu’à éviter les répétitions d’un texte à l’autre : les
journalistes modifient simplement leur place dans le texte en vue de feindre un travail de
réécriture de l’information.
Ces procédés ne concernent pas seulement les remplacements (métonymiques ou non)
des caractéristiques descriptives. En effet, les autres types de transformations rencontrées
358
pour les énonciateurs représentés, à savoir la caractérisation par ajout ou par suppression
de caractéristiques descriptives, l’ajout de destinataires représentés ou la disparition des
sous-entendus d’attribution énonciative peuvent, eux aussi, être touchés par ces procédés
et remplir la fonction de répétition. Cependant, ces types de transformations sont
nettement plus rares pour cette fonction. Pour tous ces autres types de transformations,
aucune occurrence n’a été observée avec le procédé de changement lexical.
5.2. Transformations concernant les actes de parole représentés
Les trois procédés que nous venons de présenter apparaissent également lors de la
transformation des actes de parole représentés. Comme pour les énonciateurs représentés,
nous avons aussi repéré plusieurs types de transformations, telles que la catégorisation des
actes de parole ou des messages représentés, l’ancrage spatio-temporel et le changement
des temps verbaux ou des voix verbales. Ces types de transformations sont tous trois
touchés par les procédés du changement lexical, de la suppression des répétitions et de
l’inversion des répétitions. Voyons quelques exemples de ces divers types de procédés.
Sur l’ensemble des transformations touchant les actes de parole représentés et
remplissant la fonction de répétition, celles concernant la catégorisation des actes de parole
ou des messages représentés sont les plus répandues. Le changement lexical est un procédé
très souvent rencontré lors de ces catégorisations. Des exemples comme le suivant sont
alors rencontrés :
307) - Texte source : Cette situation complique la prise en charge des malades, comme c’est le cas dans le Nord-Kivu, où on redoute la résurgence de certaines maladies évitables par la vaccination comme la rougeole, la coqueluche, pour lesquelles certaines zones de santé ont déjà commencé à rapporter des cas. [Le Potentiel, 31 octobre 2008]
308) - Texte cible : L'OMS craint la résurgence des maladies évitables par la vaccination (rougeole, coqueluche) dont quelques cas ont été déjà rapportés par certaines zones de santé. [L’Observateur, 06 novembre 2008]
Dans cet exemple, la catégorisation des verbes de parole/pensée change d’un texte à l’autre.
Dans le texte source, c’est le verbe « redouter » qui est employé alors que dans le texte
cible, c’est « craindre ». Si l’on se penche sur le TLFi, on constate les définitions suivantes de
ces deux verbes :
- craindre : « Avoir une réaction de retrait ou d'inquiétude à l'égard de quelqu'un ou de
quelque chose qui est ou pourrait constituer une source de danger ».
- redouter : « Craindre fortement quelqu'un ou quelque chose ; appréhender (quelque
chose à venir) avec angoisse ».
La définition du verbe « redouter » intègre donc celle du verbe « craindre ». Par ailleurs,
lorsqu’on fait une recherche synonymique dans ce dictionnaire, on constate que
359
l’occurrence la plus fréquente pour le synonyme de craindre est redouter et vice-versa. On
peut donc en conclure que le changement lexical et plus particulièrement le changement de
catégorisation du verbe de parole représenté dans le texte cible ne sert au journaliste cible
qu’à éviter de répéter tels quels les mots employés par le journaliste source.
Nous ne nous attarderons pas ici sur la suppression des répétitions ou sur l’inversion des
répétitions. En effet, comme pour les énonciateurs représentés, ces procédés permettent
soit d’éviter de reprendre des termes utilisés plus haut dans le texte, soit d’inverser la place
d’apparition de certains termes du texte source.
Par contre, il convient de présenter d’autres types de transformations touchant les actes
de parole et remplissant la fonction de répétition. Ces types de transformations concernent
la temporalité du discours représenté : l’ancrage temporel, le changement des temps
verbaux et le changement des voix verbales. Le premier type de transformation remplissant
la fonction de répétition, l’ancrage temporel, n’a été rencontré qu’une seule fois dans notre
corpus :
309) - Texte source : La situation dramatique qui prévaut dans le Nord-Kivu, a été hier, au centre de la réunion interinstitutionnelle présidée par le président de la république, Joseph Kabila Kabange, et élargie aux ambassadeurs des pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. [Le Phare, 29 octobre 2008]
310) - Texte cible : À l'exemple de la réunion interinstitutionnelle convoquée mardi par le Président de la République et à laquelle ont été conviés aussi bien le patron de la MONUC que les ambassadeurs des pays membres permanents du Conseil de sécurité. [Le Phare, 29 octobre 2008]
Dans cet exemple, le discours représenté, traitant de la situation dramatique du Nord-Kivu,
est temporellement ancré dans le texte dit source par le mot « hier ». Dans le texte dit cible,
c’est le mot « mardi » qui est employé. Ces deux mots réfèrent ici exactement au même
moment dans le temps. Ils sont en outre tous deux des déictiques. Ce qui signifie deux
choses : d’une part, en tant que mots brefs, ils ne peuvent être interchangés pour remplir la
fonction de condensation ou celle de précision. Employer l’un ou l’autre mot n’a aucun effet
sur la brièveté du texte ou sur ses détails. D’autre part, ils renvoient tous deux à la situation
de communication partagée par l’auteur du texte et ses lecteurs. Ils ne sont donc
interprétables que dans cette situation de communication. Leur interprétation contextuelle
ajoutée au fait que les deux textes soient produits non seulement le même jour, mais aussi
dans le même journal pousse à penser que la transformation (ou plutôt la différence dans ce
cas-ci) est uniquement présente en vue d’éviter les répétitions : le journal ayant déjà publié
le même jour un article portant sur le même contenu informationnel, il essaye, tant que
possible, de modifier les termes employés, par des synonymes partiels pour que le lecteur
ne le considère pas comme trop répétitif.
360
Les deux autres changements, à savoir le changement des temps verbaux et celui des voix
verbales, sont un peu plus courants que celui de l’ancrage temporel, mais restent quand
même relativement rares lorsqu’ils remplissent la fonction de répétition. Les occurrences
rencontrées correspondent à des exemples comme les suivants :
311) - Texte source : Il a dit que le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en RDC, Alan Doss a présenté le 3 octobre 2008 au Conseil de sécurité le plan de désengagement tel qu’approuvé par le gouvernement congolais face à la situation préoccupante en Ituri et dans le Kivu. [Le Potentiel, 09 octobre 2008]
312) - Texte cible : En fait, Alan Dosss présentait aux membres du conseil de sécurité le plan de désengagement des bandes armées tel qu'approuvé par les autorités congolaises dans le cadre du programme Amani. [L’Observateur, 09 octobre 2008]
313) - Texte source : L’ancien président nigérian, Olusegun Obasanjo, a été nommé par le secrétaire général de l’ONU, Ban-Ki moon, en qualité d’émissaire spécial de l’ONU pour tenter de résoudre la crise en RDC. [Le Potentiel, 05 novembre 2008]
314) - Texte cible : Revenant de sa tournée asiatique, le secrétaire général des Nations unies, Ban-Ki moon a nommé, lundi dernier, l'ancien président nigérian Olusegum Obassandjo émissaire spécial de l'ONU pour résoudre la crise en République démocratique du Congo. [L’Observateur, 06 novembre 2008]
Dans ces deux paires d’exemples (311/312 et 313/314), les temps verbaux ou voix verbales
changent. En (311/312), on passe en effet du passé composé à l’imparfait sur le verbe de
parole « présenter », et en (313/314), on passe du passif à l’actif sur le verbe de parole
« nommer ». Ces changements ne remplissent d’autre fonction que celle de répétition. Ainsi,
pour le premier exemple, dans les deux textes, le temps verbal employé est un temps du
passé. La différence se situe sur la durée, puisque l’imparfait est un temps qui situe une
action passée dans sa durée. Cependant, étant donné le verbe de parole utilisé (présenter)
on ne peut estimer qu’il s’agisse ici d’un réel changement de durée. Le verbe définit en effet
une action/un discours qui dure nécessairement dans le temps. Présenter un plan de
désengagement ne peut en effet être fait en un temps record : l’action/le discours prend
donc un certain laps de temps et le fait que l’on situe l’action au passé composé ou à
l’imparfait n’a donc pas vraiment d’impact sur l’interprétation. Nous sommes en présence de
la fonction de répétition. Le second exemple, le passage du passif à l’actif, remplit lui aussi la
fonction de répétition. Pour éviter de répéter tels quels les mêmes termes, le journaliste
cible décide d’inverser les sujets et le complément direct. Dans un certain sens, l’effet est
l’insistance sur l’un ou l’autre énonciateur. Dans le texte source, c’est en effet Olusegun
Obasanjo (complément direct) sur lequel l’attention est portée, alors que dans le texte cible,
c’est sur Ban Ki-moon (sujet) qu’elle l’est. Cependant, dans les deux cas, nous sommes en
présence d’un sujet (Ban Ki-moon) qui réalise un acte de parole (nommer) sur un objet direct
(Olesegun Obasanjo). Nous ne pouvons donc pas dire qu’il y ait un réel effet suite à cette
transformation. Ce qui nous laisse penser à la fonction de répétition. Nous voyons donc que
les aspects temporels (ancrage temporel, changement de temps verbaux ou de voix
361
verbales) sont eux aussi des mécanismes qui peuvent être transformés afin d’éviter, d’un
texte à l’autre, les répétitions.
5.3. Transformations concernant les formes de représentation du
discours autre
Enfin, les formes de représentation du discours autre peuvent elles aussi être transformées
en vue de remplir la fonction de répétition. Tant les formes dévoilées que les formes
dissimulées ont subi des transformations qui remplissaient cette fonction. Pour les formes
dévoilées, les transformations rencontrées ont été celles du changement ou de la
suppression de la forme de représentation dévoilée. Pour celles de la représentation
dissimulée du discours autre, seule une occurrence a été identifiée comme remplissant la
fonction de répétition : la concession.
Commençons donc par l’examen des formes de représentation dévoilées, et plus
particulièrement celles du changement de ces formes. Les occurrences observées ont pris
deux formes : soit, il s’agissait de maintenir la même forme de représentation dévoilée, mais
en en changeant certaines caractéristiques, soit il s’agissait de passer d’une forme de
représentation dévoilée à une autre, qui se situait sur le même axe de rapport au
monde/aux mots.
Dans le premier des cas, le journaliste du texte cible utilise une forme de représentation
du discours autre qui est similaire à celle du texte source (un discours direct, un discours
indirect, une modalisation autonymique comme discours second ou une modalisation du
dire comme discours second). Cependant, même si la forme de représentation du discours
autre reste similaire dans les deux textes, les caractéristiques qui la définissent changent,
elles :
315) - Texte source : D’après le prélat catholique, la solution au problème de l’Est de la RDC passe par le respect de certaines conditions. [Le Potentiel, 11 novembre 2008]
316) - Texte cible : Le prélat catholique s'est exprimé au cours d'un point de presse tenu le week-end dernier à Kinshasa. Selon lui, la solution à la crise passe par le respect de ces préalables. [L’Observateur, 11 novembre 2008]
Dans l’exemple (315), la modalisation du dire comme discours second (« D’après le prélat
catholique… ») est aussi utilisée en (316). Mais comme on le constate, la préposition
employée par les journalistes est modifiée, passant de « d’après » à « selon ». Il s’agit donc
clairement d’éviter les répétitions puisque l’on se situe dans les deux cas sur la forme de
modalisation du dire comme discours second : on parle d’après l’autre, suivant la
paraphrase.
362
Mais ce cas de changement n’est pas le plus répandu lorsqu’il s’agit de la fonction de
répétition. En effet, très souvent, nous avons rencontré des cas de figure où la forme de
représentation du discours autre est modifiée, mais elle continue à être du côté de
l’autonymisation du discours autre ou du côté de la « non-autonymisation » du discours
autre. Ainsi, des cas de passage du discours direct à la modalisation autonymique, ou de
discours indirect à la modalisation du dire comme discours second (et vice-versa) sont
souvent observés dans notre corpus, comme dans l’exemple suivant :
317) - Texte source : Selon le ministre de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme, José Endundo Bononge, la guerre de l’Est constitue pour le secteur de l’environnement, une véritable hécatombe. [Le Phare, 17 novembre 2008]
318) - Texte cible : De son côté, le ministre de l’Environnement, Conservation de la nature et Tourisme, José Endundo, a laissé entendre que la guerre dans l’Est de la RDC constitue pour le secteur de l’environnement une véritable hécatombe. [L’Observateur, 17 novembre 2008]
Dans le premier texte, c’est une modalisation du dire comme discours second qui est
employée (Selon le ministre de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme, José
Endundo Bononge,…), alors que dans le second texte, c’est un discours indirect qui l’est (« le
ministre de l’Environnement, Conservation de la nature et Tourisme, José Endundo, a laissé
entendre que… »). Comme nous l’avons vu dans le chapitre II (point 2.3.2.), ce type de
modalisation et le discours indirect sont deux formes de représentation du discours autre
qui fonctionnent sur le mode de la paraphrase : l’énonciateur premier parle du monde via
les mots de l’autre. Il a donc la possibilité de reformuler, de paraphraser ce dire autre.
Contrairement au discours direct ou à la modalisation autonymique, dans le cas de la
modalisation du dire comme discours second ou du discours indirect, l’énonciateur premier
ne parle pas des signes, des mots, employés par l’énonciateur représenté pour parler du
monde, mais bien du monde duquel parle l’énonciateur représenté. Ce qui a pour principale
conséquence qu’avec la modalisation du dire comme discours second ou du discours
indirect, l’énonciateur premier peut paraphraser, reformuler le discours représenté. Ces
deux types de formes de représentation du discours autre se situent donc toutes les deux
sur le mode de la « non autonymisation » du dire autre, raison pour laquelle leur
changement d’un texte à l’autre a été classé comme remplissant la fonction de répétition122.
122 Nous savons que le discours indirect se distingue de la modalisation du dire comme second par le fait
que dans le premier cas, l’énonciateur premier parle du dire autre, alors que dans le second cas, il parle du monde d’après le dire autre. Dans ce sens, il ne s’agit pas de répétition exacte. Cependant, en considérant qu’en parlant du dire autre, l’énonciateur parle nécessairement aussi du monde sur lequel porte ce dire, l’on peut accepter qu’il s’agisse de répétition.
363
Un autre type de transformation régulièrement rencontré comme remplissant la fonction
de répétition est celui de la suppression de formes dévoilées du discours autre. La
suppression de ces formes dans un texte cible se situe entre la fonction de condensation et
celle de répétition : un journaliste cible décide de supprimer des segments de parole pour ne
pas répéter plusieurs fois le même contenu informationnel, ce qui condense nécessairement
l’information :
319) - Texte source : En séjour récemment à Paris en France, la vice-ministre des Congolais de l’étranger, Collette Tshomba, a déployé d’intenses activités pour sensibiliser certains partenaires de la RDC, notamment au drame humanitaire de la partie orientale du pays. La vice-ministre des Congolais de l’étranger, Colette Tshomba, vient de sensibiliser les partenaires extérieurs de la République démocratique du Congo au drame humanitaire qui sévit à l’Est du pays et à la question de la gestion migratoire. C’était en marge de la deuxième conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement qui a réuni dernièrement à Paris en France près de quatre-vingts pays d’Europe et d’Afrique ainsi que vingt-trois organisations internationales, renseigne un communiqué de presse de ce vice-ministère parvenu au Potentiel. [Le Potentiel, 10 janvier 2009]
320) - Texte cible : En marge de son séjour à Paris en France où elle a participé à la 2e Conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et développement qui a réuni près de 80 pays d'Europe et d'Afrique, ainsi que 23 organisations internationales, la vice-ministre des Congolais de l'étranger n'a pas lésiné sur les moyens pour sensibiliser la communauté internationale sur le drame humanitaire qui sévit dans la partie orientale de son pays et sur la question de la gestion des flux migratoires. [L’Observateur, 12 janvier 2009]
Dans cet exemple, les deux textes traitent un même contenu informationnel : les efforts
déployés par la vice-ministre des Congolais à l’étranger, Colette Tshomba, pour sensibiliser la
communauté internationale sur la situation congolaise. Ces efforts ont été réalisés lors d’une
conférence internationale. Ce qui signifie que le verbe utilisé ici, à savoir « sensibiliser »,
revêt bien un sens lié à la communication, au discours. On peut donc considérer qu’il s’agit
d’un discours indirect. Si l’on compare les deux textes, on constate que celui du Potentiel,
répète, presque tels quels certains faits. Ainsi, la première partie dans Le Potentiel, à savoir
« En séjour récemment à Paris en France, la vice-ministre des Congolais de l’étranger,
Collette Tshomba, a déployé d’intenses activités pour sensibiliser certains partenaires de la
RDC, notamment au drame humanitaire de la partie orientale du pays. », correspond
presque totalement à la partie qui la suit. Le journaliste du Potentiel répète presque tel quel
le contenu informationnel traité. Ce procédé apparaît très régulièrement dans les textes du
Potentiel. Dans l’Observateur en revanche, le journaliste supprime les répétitions : il évite
donc de représenter deux fois, de la même manière, le discours autre. Cette suppression lui
permet alors de ne pas répéter tels quels les mots apparaissant dans le texte source. Ce
faisant, il condense aussi l’information puisqu’il évoque un même contenu informationnel,
mais de manière plus dense. On voit donc que la suppression des formes de représentations
du discours autre peut elle aussi remplir la fonction de répétition.
364
Enfin, le dernier cas de transformation des formes de représentation du discours autre
est un cas de « changement » de représentation dissimulée du discours autre. Seule une
occurrence a été observée dans notre corpus et il s’agit de la concession :
321) - Texte source : Malgré l'ampleur des exactions et atrocités à l'Est de la Rdc, la communauté internationale et les partenaires de la Rdc restent encore hésitants à prendre une décision courageuse et n'expriment qu'un vœu pieu. [Le Phare, 11 novembre 2008]
322) - Texte cible : L'UE s'est inquiétée lundi de la dégradation de la situation en République démocratique du Congo, mais ne prévoit malgré tout toujours pas d'envoyer des troupes sur place. [La Libre Belgique, 12 novembre 2008]
Dans cet exemple, on observe la présence d’une concession (« malgré x, y »). Comme nous
l’avons vu dans le chapitre théorique, la concession est une forme de représentation
dissimulée du discours autre : l’énonciateur premier [E1] asserte une conclusion inverse à un
dire implicite d’un énonciateur représenté [e1] qui n’apparaît pas dans le discours premier.
Dans notre exemple, le discours de l’énonciateur représenté de manière dissimulée
correspond aux segments « l’ampleur des exactions et des atrocités à l’Est de la RDC » dans
le texte source et à « tout », renvoyant à « la dégradation de la situation en République
démocratique du Congo » dans le texte cible. Suivant ces concessions, l’énonciateur premier,
le journaliste représente de manière dévoilée un autre discours, celui de l’UE. Nous sommes
donc en présence de trois enchaînements énonciatifs : le journaliste (énonciateur en cours)
représente explicitement un discours autre (l’UE), qui représente implicitement un discours
autre ([e1]). Si l’on transformait cette concession à la façon dont le fait Bres dans ses
travaux, nous aurions la structure suivante : « Bien sûr, il y a une situation dramatique au
Congo, mais l’UE ne souhaite pas y envoyer des troupes ». On constate donc que la
conclusion attendue (l’envoi des troupes) diffère de celle présentée (le non-envoi de
troupes). Dans notre exemple, la « transformation » de la concession remplit la fonction de
répétition : le journaliste cible ne change pas vraiment la concession, mais en change la
place, afin d’éviter de répéter tel quel ce qui était dit dans le texte source : il s’agit donc
d’inverser les mots/les structures phrastiques pour éviter les répétitions.
5.4. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels
5.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux énonciateurs représentés
Pour la fonction de répétition, nous avons constaté que dans un tiers des cas, elle touchait
les énonciateurs représentés, à répartition égale entre la répétition « pure » et l’inversion
pour éviter les répétitions. L’examen des liens intertextuels nous a montré qu’à nouveau
c’étaient Le Soir et La libre Belgique qui étaient les journaux les plus en rapport avec les
journaux congolais et qu’on partait plus souvent de brèves dans La Libre Belgique que dans
Le Soir. Cela confirme l’idée selon laquelle Le Soir donne à ses lecteurs une idée plus
complète de la situation congolaise. Les journaux congolais semblent plus utiliser le système
d’éviter les répétitions par l’inversion des termes dans le texte à partir de La Libre Belgique
365
plutôt qu’à partir du Soir. Dans ce dernier cas, c’est plus un changement de caractéristiques
qui est remarqué.
Si l’on se penche sur le sens contraire, c’est-à-dire lorsque l’information circule de la RDC
vers l’Europe, nous n’avons trouvé que très peu d’occurrences. Lorsqu’elles sont apparues,
c’est Le Phare ou L’Observateur qui étaient repris par des textes belges ou français
(notamment Le Monde et La Libre Belgique) et très souvent on passait d’articles à des
brèves. Cela confirme encore une fois que l’information circule peu du ‘local’ au ‘global’ et
que les textes européens condensent fortement l’information qui ne les concerne pas
directement.
Lorsque l’information circule en RDC, nous avons constaté que l’information circule le
plus entre plusieurs textes du Potentiel ou entre Le ¨Potentiel et L’Observateur. Cela nous
montre que ces deux journaux attachent une importance particulière à ne pas reprendre tels
quels les mots des autres journalistes. Quand c’est entre plusieurs textes du Potentiel que
l’information circule, les genres textuels ne semblent pas vraiment jouer de rôle pour la
fonction de répétition : c’est en effet presque toujours une identité de genres textuels
(articles ou articles/analyses) entre les deux textes. La même observation a été faite pour la
circulation de l’information entre Le Potentiel et L’Observateur, Le Phare et Le Potentiel, Le
Phare et L’Observateur, Le Phare et Le Phare, L’Observateur et Le Phare. Quand un texte
passe de L’Observateur au Potentiel en revanche, quelques changements ont été observés,
dont le plus répandu est le passage de l’article/analyse à l’article. Cela nous montre à
nouveau la tendance à plus de neutralité dans Le Potentiel qui publie plus facilement des
articles que des articles/analyses. Enfin, aucune de ces transformations des caractéristiques
décrivant les énonciateurs représentés et remplissant la fonction de répétition n’a été
détectée entre Le passage d’un texte du Potentiel au Phare ou d’un texte source à un texte
cible dans L’Observateur.
5.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés
Les actes de parole représentés sont le paramètre énonciatif le plus souvent transformé
lorsqu’il s’agit de la fonction de répétition. Commençons donc d’abord par parler de la
circulation de l’information de l’Europe vers la RDC. Dans ce sens, contrairement aux
précédents résultats, La Libre Belgique est nettement moins concernée par les
transformations remplissant la fonction de répétition. Nous n’avons en effet rencontré
qu’une quantité minime de transformations où des textes congolais modifiaient des textes
sources de La Libre Belgique en vue de marquer la fonction de répétition. Les genres textuels
ont une forte tendance à être modifiés. On passe en effet très souvent de brèves belges à
des textes congolais analytiques ou non. Nous obtenons le même genre de résultats pour les
textes sources européens émanant du Figaro, du Monde ou du Soir, bien que pour ce
dernier, il y ait un peu plus d’occurrences que pour La Libre Belgique. Les seules tendances
366
que nous avons observées concernent le lien plus étroit entre La Libre Belgique et Le Phare
ou entre Le Soir et L’Observateur.
Pour ce qui est du passage de l’information de la RDC vers l’Europe, il y a eu à nouveau
très peu d’occurrences rencontrées. Les seules observées sont celles entre Le Phare et La
Libre Belgique. Cela confirme que ces deux journaux sont plus liés entre eux que d’autres
journaux publiés dans des continents différents. Par ailleurs, à nouveau, ce sont
principalement de genres textuels plus longs que l’on part pour aboutir à des textes brefs.
Pour ce qui concerne la circulation de l’information au sein même de la RDC, voici ce qui
en ressort : lorsque l’on part d’un texte du Potentiel vers un autre texte du Potentiel, la
majorité du temps, les genres textuels ne sont pas modifiés, que ce soit pour rester des
articles ou rester des articles/analyses. Mais les articles priment quand même sur les
articles/analyses. Nous obtenons le même genre de résultats avec des textes cibles issus de
L’Observateur. Dans ce cas par contre, un nombre bien plus important d’occurrences a été
relevé. Ce qui confirme que ces deux journaux sont plus liés entre eux que Le Potentiel et Le
Phare par exemple et que L’Observateur utilise souvent les transformations des actes
représentés pour la fonction de répétition. Peu d’occurrences ont été observées pour des
textes cibles du Phare. Cependant, à nouveau, il s’agit toujours d’articles en textes cibles, ce
qui confirme nos propos précédents concernant le lien entre la fonction de répétition et le
genre article.
Si les textes sources congolais proviennent de L’Observateur, la tendance la plus
répandue est celle que ce dernier a été nettement plus repris par Le Phare et que les genres
textuels n’ont jamais été modifiés : le plus souvent, on reste dans le genre de l’article (quel
que soit le journal cible) et une seule fois dans le genre de la brève. Ces résultats confirment
donc bien le lien étroit entre le genre de l’article et la fonction de répétition.
Enfin, lorsque les textes sources sont issus du Phare, les seules tendances dégagées sont
au nombre de deux : d’abord, il semble que les textes cibles proviennent majoritairement du
Potentiel, ce qui montre à nouveau que ce journal porte une attention particulière à ne pas
copier-coller les propos d’autres journalistes. Ensuite, dans Le Potentiel et L’Observateur, les
textes cibles sont toujours des articles, ce qui prouve aussi que ce genre textuel est très lié à
la fonction de répétition.
5.4.3. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du
discours autre
La circulation de l’information à partir de l’Europe vers la RDC n’a montré que très peu
d’occurrences de transformations des formes de représentation du discours autre
remplissant la fonction de répétitions. Quelques-unes ont été rencontrées à partir des textes
367
du Soir, de La Libre Belgique ou du Figaro, allant vers les textes du Potentiel et de
L’Observateur. Dans ces cas, les genres sont souvent partis de textes plus brefs en Europe et
plus longs en RDC. Dans le sens inverse, les cas les plus courants ont à nouveau concerné les
liens entre Le Phare et La Libre Belgique. Rien ne peut vraiment être dit au niveau des genres
textuels puisque tantôt on part de genres analytiques vers des brèves ou vers des articles,
tantôt on reste dans le genre textuel de l’article.
Lorsque l’information circule en RDC, si les textes sources proviennent du Potentiel et que
les textes cibles en proviennent aussi, les genres textuels restent presque toujours similaires,
à savoir des articles. Si les textes cibles sont issus de L’Observateur, ce qui est très fréquent,
ce sont à nouveau les mêmes constatations qui sont faites : les articles restent des articles.
Donc il devient clair que ce genre se prête particulièrement bien à la fonction de répétition.
Enfin, si les textes cibles sont ceux du Phare, cas nettement moins fréquent, tantôt on reste
dans le genre article tantôt on passe de l’article à la brève.
Quand les textes sources congolais proviennent de L’Observateur, ils deviennent très
rarement des textes cibles dans ce même journal et les genres des textes cibles sont
toujours des articles. S’ils passent au Potentiel, tantôt ils restent similaires (articles), tantôt
des articles passent en articles/analyses ou en brèves. S’ils passent au Phare, ils restent
majoritairement des articles. A nouveau le genre textuel de l’article est le plus fréquent pour
cette fonction.
Pour terminer, lorsque les textes sources sont issus du Phare, s’ils passent au Potentiel,
c’est encore une fois le maintien du genre textuel de l’article qui est le plus proéminent. S’ils
passent à L’Observateur, les mêmes observations sont faites. Aucune occurrence du passage
d’un texte source du Phare vers un texte cible de ce même journal n’a été décelée pour
cette fonction.
6. La fonction d’insistance
La fonction que nous avons nommée d’insistance est une fonction qui a été rencontrée très
souvent dans notre corpus de texte : un journaliste cible décide de mettre l’accent sur l’un
ou l’autre aspect de la parole autre. Quatre aspects ont été identifiés dans notre corpus :
l’action, l’emprunt, l’information et le support.
6.1. L’insistance sur l’action du discours autre
L’insistance sur l’action du discours autre est une fonction que nous avons rencontrée et qui
consiste à transformer des paramètres énonciatifs pour montrer les impacts réels, les
réalisations effectives du discours autre dans le monde. Seuls deux types de transformations
368
ont été observés comme remplissant cette fonction : la catégorisation des actes de parole
représentés et le changement de forme dévoilée de représentation du discours autre.
Dans le cas de la catégorisation de l’acte de parole représenté, un journaliste cible
transforme le nom/le verbe de parole représenté par un journaliste source et le catégorise
comme acte de parole performatif. Ce type de transformation correspond à des exemples
comme le suivant :
323) - Texte source : Il est rappelé qu'en date du 15 octobre 2008, le Chargé d'affaires américain, Samuel V. Brock, avait donné une nouvelle alerte sur la catastrophe humanitaire qui frappe la Rd Congo et l'urgence des secours. [Le Potentiel, 15 novembre 2008]
324) - Texte cible : Rappelons que le 15 octobre 2008, le chargé d’affaires américain Samuel V. Brock, avait déclaré à nouveau l’état de catastrophe en réaction à l’urgence humanitaire qui sévit en RDC. [L’Observateur, 17 novembre 2008]
Dans ce premier exemple, on observe une insistance sur l’action : l’expression verbale du
texte source, « donner une nouvelle alerte », est transformée en « déclarer l’état de
catastrophe ». La première de ces expressions, « donner une nouvelle alerte » est définie
comme suit dans le TLFi : « [donner un] signal, généralement sonore, ou appel avertissant
d'un danger imminent et engageant à prendre les dispositions nécessaires pour l'éviter ».
Dans cette définition, il est certain qu’il y a déjà une sorte d’insistance sur l’action puisque
l’avertissement engage à prendre des dispositions. Cependant, cette insistance sur l’action
est faite non sur le verbe de parole en lui-même, mais bien sur les conséquences du
discours. C’est parce que l’on prévient d’un danger à venir qu’il faut prendre des
dispositions. À l’inverse, la seconde expression « déclarer un nouvel état de catastrophe»
insiste sur l’action à travers le verbe de parole employé « déclarer ». Ce verbe signifie :
« Formuler un jugement, émettre une décision, énoncer un état de fait conformément à
certaines règles religieuses, juridiques, administratives ». Ce qui signifie qu’à partir du
moment où le discours est prononcé, l’état de catastrophe prend effet. Par conséquent,
dans ce cas-ci c’est en catégorisant l’acte de parole comme une déclaration que le
journaliste cible insiste sur l’action :
325) - Texte source : Selon le ministre de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme, José Endundo Bononge, la guerre de l’Est constitue pour le secteur de l’environnement, une véritable hécatombe. Il a attiré l’attention de tous les Congolais comme celle de la communauté internationale sur l’immense préjudice subi par la RDC, non seulement en perte de la biodiversité, mais également en termes de manque à gagner touristique. [Le Phare, 17 novembre 2008]
326) - Texte cible : Selon lui, l’occupation du parc national des Virunga par les éléments du CNDP constitue un handicap majeur pour la gestion de ce site touristique. La situation qui prévaut au parc national de la Garamba où sévissent les bandes armées ougandaises et soudanaises n’est pas non plus brillante a indiqué le ministre. C’est pourquoi, José Endundo lance un appel en direction du gouvernement pour la reprise en main de la situation. Il propose la mise en œuvre des opérations mixtes ICCN/FARDC pour l’évacuation des inciviques opérant dans
369
les aires protégées, l’octroi à l’ICNN des moyens conséquents pour assurer ses missions et renforcer ses conditions de travail. [L’Observateur, 17 novembre 2008]
Ces deux textes évoquent un contenu informationnel similaire : la colère de certains
ministres congolais face à la situation en RDC. Le discours de l’un de ces ministres, José
Endundo, ministre de l’Environnement, est représenté dans les deux textes. Il correspond à
son mécontentement face à la dégradation des parcs naturels congolais, lieux privilégiés des
combats entre les FARDC et le CNDP. Dans le texte du Phare, l’accent est mis sur la situation
dramatique congolaise, telle qu’évoquée par le ministre. Cette situation est d’ailleurs ensuite
exemplifiée par le ministre qui parle, dans la suite du texte, de divers parcs ou d’animaux.
Dans L’Observateur, le constat négatif de cette situation est aussi mis en évidence.
Cependant, contrairement au Phare, le journaliste de L’Observateur insiste sur l’action prise
par le ministre suite à ce constat. Dans ce texte en effet, le journaliste ne montre pas
d’exemples de la situation (probablement évidents pour les lecteurs congolais), mais il
montre ce que le ministre a fait pour tenter de sortir de cette crise : il a appelé le
gouvernement à prendre certaines mesures et lui a proposé des solutions. En d’autres
termes, dans le texte de L’Observateur, l’ajout de représentation dévoilée permet de
montrer les actions des énonciateurs, à travers la représentation de leur parole.
6.2. L’insistance sur l’emprunt ou sur l’information
L’insistance sur l’emprunt ou sur l’information est un type d’insistance rempli par les
transformations. Il a été rencontré très souvent dans nos données. Il correspond au désir
d’insister sur l’accès à l’information (où a été prise l’information, à qui, quand le discours a-t-
il été produit, au cours de quelle occasion, etc.) ou d’insister sur le contenu informationnel à
proprement parler. Comme pour l’insistance sur l’action, seuls les paramètres énonciatifs
des actes de parole et des formes de représentation ont été détectés comme remplissant
cette fonction.
Plusieurs types de transformations touchant les actes de parole ont été décelés comme
remplissant la fonction d’insistance sur l’emprunt/l’information. Ainsi, la catégorisation des
actes de parole représentés, l’insistance sur l’attribution du dit, le changement des voix
verbales sont autant de types de transformations rencontrés comme remplissant cette
fonction. Dans certains cas, ces types peuvent soit remplir la fonction d’insistance sur
l’emprunt ; dans d’autres, celle de l’insistance sur l’information, mais le plus souvent ce sont
les deux fonctions qu’ils peuvent remplir.
6.2.1. Transformations touchant les actes de parole représentés
a) La catégorisation des actes de parole représentés
Vouloir insister sur l’acte de parole (sur l’emprunt) ou bien sur le contenu informationnel
(l’information) est un souhait qui peut se réaliser notamment par les transformations de la
370
catégorisation des actes de parole : le journaliste d’un texte cible modifie l’acte de parole
représenté, ce qui lui permet d’insister plus sur l’emprunt ou plus sur l’information. Dans le
cas de l’information, le journaliste du texte cible transforme le verbe/le nom de parole en un
autre verbe/nom de parole dont la signification est plus proche de « la simple présentation
des faits » que celle des expressions utilisées dans un texte source :
327) - Texte source : Alan Doss affirme que, de part et d'autre, il y a un peu d'incompréhension qu'il faudrait coûte que coûte aplanir pour arriver au résultat attendu, c'est-à-dire à la paix. [L’Observateur, 29 octobre 2008]
328) - Texte cible : Alan Doss, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en RDC et chef de la MONUC, parle d’incompréhension qu’il faudrait aplanir. Pour arriver au résultat attendu, c’est-à-dire à la paix. [Le Potentiel, 30 octobre 2008]
En (327/328), le verbe de parole est transformé d’un texte à l’autre : dans le texte source, le
journaliste catégorise l’acte de parole au moyen du verbe « affirmer », alors que le
journaliste cible le fait au moyen de « parler ». Ces deux verbes ne se situent pas sur les
mêmes axes du point de vue des actes de parole réalisés. « Affirmer » est en effet un verbe
dont la définition est la suivante : « Présenter (énergiquement ou nettement) une chose, un
fait, une déclaration, etc., comme vrai (conforme à la réalité) ou comme authentique (d'une
réalité contrôlée) » (TLFi). Cette définition met bien en évidence le fait que cet acte de
parole se situe sur l’axe de vérité. En l’utilisant, le journaliste catégorise le discours
représenté comme vrai pour l’énonciateur représenté. Dans le texte cible en revanche, ce
n’est plus le verbe « affirmer » que l’on retrouve, mais le verbe « parler de ». Ce verbe ne se
situe pas sur l’axe de vérité comme le précédent. Ce verbe signifie en effet : « Prononcer des
paroles, tenir des propos, des discours relatifs à quelqu'un, quelque chose » (TLFi). Dans ce
cas-ci, l’on est donc bien en présence de l’information. Plus aucune référence à la vérité
n’est perceptible : l’énonciateur s’exprime sur un sujet au moyen du langage. En
transformant la catégorisation du verbe de parole, le journaliste cible peut donc supprimer
certaines valeurs sémantiques des actes de parole, ce qui a comme conséquence d’insister
plus sur l’information.
b) L’insistance sur l’attri ution du dit
Un type de transformation aussi rencontré comme remplissant la fonction d’insistance sur
l’emprunt ou sur l’information est celui que nous avons nommé l’insistance sur l’attribution
du dit. L’insistance sur l’attribution du dit consiste à donner un maximum d’information sur
l’acte de parole représenté. En d’autres termes, le journaliste peut soit intégrer de nouveaux
actes de parole au sein du discours représenté, soit donner un maximum d’informations
concernant l’acte de parole. Ce faisant, il insiste alors sur l’emprunt en mettant visiblement à
distance le discours représenté. À l’inverse, lorsque ces éléments d’information sont
supprimés dans un texte cible, la fonction est celle d’insistance sur l’information et non sur
l’emprunt : le journaliste ne souhaite pas nécessairement montrer que l’information a été
371
empruntée à quelqu’un, mais semble « simplement » vouloir transmettre les faits à ses
lecteurs.
Prenons un exemple pour illustrer nos propos :
329) -Texte source : De nouveaux combats ont été signalés, tôt dans la matinée, d'hier jeudi 16 octobre 2008, sur quatre nouveaux fronts dans le territoire de Masisi. [L’Observateur, 17 octobre 2008]
330) - Texte cible : Des combats sont signalés, depuis jeudi 16 octobre 2008, sur quatre nouveaux fronts en territoire de Masisi dans la province du Nord-Kivu. C’est ce qu’annonce un responsable du mouvement des Patriotes résistants Maï-Maï du Congo (Pareco) à Goma, chef-lieu de la province [Le Potentiel, 18 octobre 2008]
Cet exemple est une combinaison des deux cas de figure mentionnés ci-dessus. On
remarque qu’un segment final est ajouté dans le texte cible. Ce segment correspond à une
insistance sur l’attribution du dit : le journaliste cible ajoute en effet un acte de parole,
« annonce », et donne toute une série d’informations sur ce dernier : l’énonciateur
représenté qui a tenu le discours (un responsable du mouvement des Patriotes résistants
Maï-Maï du Congo (Pareco), mais aussi le lieu où il a été tenu (à Goma, chef-lieu de la
province). En mentionnant tous ces éléments d’information, le journaliste du texte cible
insiste nettement plus que le journaliste du texte source sur le fait que l’information a été
empruntée à un autre énonciateur.
De même, dans l’exemple suivant, selon le sens dans lequel on analyse l’exemple (du
texte source au texte cible ou l’inverse), l’insistance est faite sur l’emprunt ou sur
l’information :
331) - Texte source : Hier déjà, de violents combats à l'arme lourde ont embrasé toute la région qui couvre les localités de Nkokwe, Rugari, Bukima, Kabaya et Ngungu, à près de 50 kilomètres au Nord-est de Goma. [L’Observateur, 09 octobre 2009]
332) - Texte cible : Selon le CNDP de violents combats à l'arme lourde embrasent toute la région qui couvre les localités de Nkokwe, Rugari, Bukima, Kabaya et Ngungu, à près de 50 kilomètres au Nord-est de Goma. [Le Phare, 09 octobre 2008]
Ici, nous sommes face à un exemple de différences, et non de transformations à proprement
parler puisque les deux textes sont publiés aux mêmes dates. Nous pouvons donc faire
l’analyse dans l’un ou dans l’autre sens. Ce que l’on y constate est que dans le premier texte,
les faits sont présentés tels quels : il y a eu des combats à 50 km de Goma. On insiste donc
sur l’information. Dans le second texte en revanche, l’ajout de la modalisation du dire
comme second (Selon le CNDP) permet au journaliste de présenter directement les faits
comme ayant été empruntés à un autre énonciateur : l’insistance est donc ici faite sur
l’emprunt et non sur l’information.
372
c) Le changement des voix verbales
Enfin, le dernier type de transformations que nous avons rencontré comme remplissant la
fonction d’insistance est celui touchant au changement des voies verbales des actes de
parole représentés. Dans certains cas en effet, un journaliste cible transforme la voie verbale
la faisant passer de l’actif au passif ou vice-versa :
333) - Texte source : Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a annoncé lundi avoir nommé l'ancien président du Nigeria Olusegun Obansajo émissaire spécial de l'ONU pour tenter de résoudre la crise en République démocratique du Congo (RDC). [La Libre Belgique, 04 novembre 2008]
334) - Texte cible : L’ancien président nigérian, Olusegun Obasanjo, a été nommé par le secrétaire général de l’ONU, Ban Kin-moon, en qualité d’émissaire spécial de l’ONU pour tenter de résoudre la crise en RDC. [Le Potentiel, 05 novembre 2008]
Dans cet exemple, la voix verbale diffère d’un texte à l’autre. Dans La Libre Belgique, nous
sommes en présence d’un verbe de parole à la voix active (avoir nommé), alors que dans Le
Potentiel, c’est à la voix passive que l’acte de parole est présenté (a été nommé). Cette
transformation a des implications sur l’objet sur lequel insiste chaque journaliste. En effet,
en employant l’actif dans le texte source, le journaliste de La Libre Belgique insiste avant
tout sur l’énonciateur qui a produit un acte de parole. En d’autres termes, cette manière de
présenter les faits et discours revient à dire « C’est Ban Ki-moon qui a dit qu’Olesegun
Obasanjo était nommé émissaire spécial de l’ONU ». Du coup, c’est bien l’énonciateur
représenté qui est mis en évidence et l’insistance porte sur l’emprunt (qui a dit quoi). En
revanche, dans le texte cible, c’est ce qui a été dit/fait par Ban Ki-moon qui est important,
[c’est le quoi qui nous importe]. Ici donc, ce n’est pas sur l’emprunt que l’attention est
portée, mais bien sur l’information, le fait dont il est question (qu’est-ce qui s’est passé ?).
Nous voyons donc que le changement des voix verbales peut lui aussi servir la fonction
d’instance sur l’emprunt/l’information.
6.2.2. Transformations touchant les formes de représentation du
discours autre
a) Le passage du discours produit au discours représenté
Le passage du discours produit au discours représenté ou aux modalisations (autonymiques
comme discours second ou du dire comme discours second) est sans doute le phénomène le
plus évident marquant l’insistance sur l’emprunt : le journaliste cible ne présente pas
simplement un discours qui a été produit, mais il y ajoute aussi des marqueurs d’emprunt.
Ces marqueurs d’emprunt sont par exemple l’énonciateur représenté, l’acte de parole
représenté ou bien la modalisation par laquelle le discours a été représenté. Dans tous les
cas, l’information relatée reste la même, mais dans le cas de l’insistance sur l’emprunt, le
journaliste montre, de façon explicite, et souvent répétée, que l’information provient d’un
autre énonciateur. Prenons un exemple pour comprendre ce phénomène :
373
335) - Texte source : Selon le porte-parole intérimaire de la MONUC, ces dernières aspirent légitimement à la sécurité, à la paix et pour près d’un million de personnes, à la possibilité du retour des milliers de déplacés dans leurs foyers. [Le Potentiel, 04 septembre 2008]
336) - Texte cible : Comme partout ailleurs, les habitants de Rutshuru n'aspirant qu'à la quiétude et à la sécurité pour exercer librement leur activité quotidienne. Et pour de milliers de personnes déplacées, la possibilité du retour dans leurs villages respectifs. [L’Observateur, 04 septembre 2008]
Cet exemple est un cas de différences entre les textes puisque ceux-ci sont publiés aux
mêmes dates. Si on analyse la différence du texte dit cible au texte dit source, on remarque
que le contenu informationnel est attribué à un énonciateur représenté, au moyen d’une
modalisation du dire comme discours second (selon le porte-parole intérimaire de la
MONUC). Cette attribution met alors le contenu informationnel à distance du point de vue
de l’énonciateur premier puisqu’il présente directement les faits comme ayant déjà été dits
par un autre énonciateur : il insiste avant tout sur l’emprunt. À l’inverse, si l’analyse est faite
dans l’autre sens (texte source > texte cible), ce n’est pas sur l’emprunt, mais bien sur
l’information/les faits que le journaliste cible insiste. En présentant un discours qui n’est pas
le sien, sans l’attribuer à un autre énonciateur, sans montrer l’acte de parole représenté, il
met nettement plus en avant ce qui a été dit que celui/ceux qui l’a/ont dit. Par conséquent,
ce genre de transformation correspond davantage à une insistance sur ‘information (quels
sont les faits qui se sont déroulés) que sur l’emprunt (qui a tenu des propos sur les faits
ayant eu lieu ?).
b) La représentation dévoilée : changement
La fonction d’insistance sur l’emprunt ou sur l’information peut aussi être remplie lorsqu’un
journaliste d’un texte cible change une forme de représentation du discours autre en une
autre forme. Dans l’exemple suivant, le journaliste cible passe à un discours direct :
337) - Texte source : Les Nations unies souhaitent toujours le déploiement d’une « force relais » européenne dans l’Est de la RDC, a affirmé lundi le ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht, à l’issue des entretiens à New York avec le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon et avec le chef du département onusien des opérations de maintien de la paix (DPKO), Alain Leroy. [Le Potentiel, 24 décembre 2008]
338) - Texte cible : " Ils continuent à penser à une force relais (" bridging force ") ", a-t-il indiqué à l'issue d'un entretien à New York avec le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, puis avec le chef du département onusien des opérations de maintien de la paix (DPKO), Alain Leroy. [L’Observateur, 26 octobre 2008]
Dans cet exemple, le contenu informationnel du texte source est introduit comme un
discours direct. Cependant, cette représentation du discours autre n’est pas tout de suite
identifiable par le lecteur : les guillemets sont omis. On a donc l’impression que les propos
proviennent d’abord du journaliste, puis l’on constate seulement ensuite qu’en réalité, ils
sont ceux d’un autre énonciateur : un verbe de parole est ainsi ajouté. À l’inverse, dans le
374
texte cible, dès le départ, les guillemets permettent aux lecteurs d’identifier le contenu
informationnel comme un discours direct. Ce qui signifie donc que dans ce texte, le
journaliste insiste sur l’emprunt : il souhaite bien mettre les propos à distance.
Cette insistance peut aussi se faire sur l’information. Prenons un autre exemple pour
comprendre ce phénomène :
339) - Texte source : Le ministre considère que ces propos sont "irresponsables” [La Libre Belgique, 07 octobre 2008]
340) - Texte cible : Karel De Gucht considère que ces propos sont irresponsables. [Le Potentiel, 08 octobre 2008]
Dans ce cas-ci, nous en sommes en face d’une insistance sur l’information. Le journaliste du
texte cible supprime les guillemets qui permettaient de doubler l’insistance sur l’emprunt.
En effet, dans le texte source, les propos étaient d’une part à distance par le discours
indirect (« considère que »), mais aussi par les guillemets (« ‘irresponsables’ »). Nous étions
en présence d’un îlot textuel. Dans le texte cible en revanche, les guillemets sont supprimés.
Ce qui signifie que le contenu informationnel peut être celui de l’énonciateur premier qui
reformule, paraphrase les propos de l’énonciateur représenté. Ce qui importe alors est ce
que l’énonciateur représenté a dit et non comment il l’a dit. Nous sommes donc face à une
insistance sur l’information
c) Représentation dissimulée
Seules deux occurrences d’ajouts de représentations dissimulées remplissant la fonction
d’insistance ont été détectées dans notre corpus : elles correspondent toutes les deux à
l’extraction (forme en « c’est… qui »). Toutes deux correspondent aussi à des différences et
non à des transformations, puisque les textes sont publiés aux mêmes dates, comme dans
l’exemple suivant :
341) - Texte source : Bertrand Bisimwa, le porte-parole du CNDP, affirme que le gouvernement congolais a violé Amani, son propre programme. [L’Observateur, 18 septembre 2008]
342) - Texte cible : C'est Bertrand Bisimwa, porte-parole du mouvement de Laurent Nkunda, qui l'a dit. Amani était un programme du gouvernement, qui a été violé par le gouvernement lui-même. [Le Phare, 18 septembre 2008]
Ici, l’on constate que l’énonciateur représenté l’est au sein d’une extraction dans le texte
cible (C'est Bertrand Bisimwa, porte-parole du mouvement de Laurent Nkunda, qui l'a dit). En
utilisant cette structure, le journaliste focalise l’attention du lecteur sur l’énonciateur
représenté : ce dernier est nettement plus mis en évidence dans ce genre de structure. C’est
la raison pour laquelle nous considérons ce type de phénomène comme de l’insistance sur
l’emprunt : le journaliste veut clairement montrer au lecteur qui a tenu les propos.
375
6.3. Le support ou l’insistance sur l’emprunt et l’information
Pour terminer cette section, voire ce chapitre, il nous semblait important de présenter une
combinaison de l’insistance sur l’emprunt et de l’insistance sur l’information. Cette
combinaison est ce que nous appelons le support. La fonction de support permet au
journaliste d’un texte cible d’insister tant sur le contenu informationnel que sur
l’énonciateur représenté. Pour ce faire, il a sa disposition un outil important : l’ajout de la
représentation dévoilée du discours autre. C’est en effet le type de transformation utilisé par
les journalistes cibles pour la fonction de support.
343) - Texte source : Selon un communiqué du Département d'État, le gouvernement des États-Unis est profondément inquiet de la dégradation de la situation humanitaire dans les provinces de l'est de la République Démocratique du Congo (RDC). [Le Phare, 30 octobre 2008]
344) - Texte cible : Cette situation indigne pour l'espèce humaine en plein 21e siècle, n'a pas laissé indifférent le Département d'État américain qui a exprimé son inquiétude. Dans une déclaration faite hier mercredi 29 octobre par le porte-parole du Département d'État, Sean McCormack, le gouvernement des États-Unis constate avec inquiétude la détérioration dangereuse de la situation humanitaire dans les provinces est de la République démocratique du Congo (RDC). [L’Observateur, 30 octobre 2008]
Dans cet exemple, un commentaire métadiscursif apparaît dans le texte de L’Observateur.
Ce commentaire correspond au segment « Cette situation indigne pour l'espèce humaine en
plein 21e siècle, n'a pas laissé indifférent le Département d'État américain qui a exprimé son
inquiétude ». En ajoutant ce segment de représentation dévoilée, le journaliste de
L’Observateur insiste non seulement sur le contenu informationnel, mais aussi sur
l’énonciateur représenté. Le contenu informationnel concerne la dégradation de la situation
humanitaire en RDC. Ce contenu informationnel apparaît deux fois dans le texte de
L’Observateur en raison de l’ajout du commentaire métadiscursif : le journaliste commence
par parler de situation indigne dans le premier segment et de détérioration dangereuse de la
situation humanitaire dans la seconde partie. Ce faisant, il mentionne deux fois ce contenu
et insiste donc sur lui. Mais ce n’est pas seulement sur le contenu informationnel qu’il
insiste. L’énonciateur et l’acte de parole représentés constituent eux aussi des éléments
focalisés. En répétant à deux reprises que l’énonciateur représenté fait partie du
Département d’État américain et qu’il a exprimé son inquiétude vis-à-vis de la situation, il est
certain que le journaliste insiste aussi sur l’acte de parole représenté. En d’autres termes,
dans le cas de cette fonction, le journaliste du texte cible amène un discours représenté et
un fait de manière générale dans un premier temps, pour ensuite expliquer et représenter
plus en détail ce qui a été dit. Par conséquent, la quasi-répétition des dires représentés
implique nécessairement une insistance sur le dire et le dit. Il s’agit de la fonction de support
dans ces cas de figure-là.
376
6.4. Interprétation des résultats avec les liens intertextuels
6.4.1. Les liens intertextuels relatifs aux actes de parole représentés
Aucun cas de figure concernant les énonciateurs représentés n’a été repéré dans nos
données pour cette fonction. En revanche, les transformations des actes de parole
représentés ont souvent rempli cette fonction. La première chose que nous avons constatée
est que ce sont les fonctions d’insistance sur l’emprunt ou sur l’information qui sont les plus
répandues. Elles apparaissent nettement plus souvent dans Le Potentiel que dans les autres
journaux. Nous avions déjà constaté dans nos exemples que ce journal avait une forte
tendance à l’insistance, mais les résultats des liens intertextuels le confirment maintenant.
Lors de la circulation de l’information de l’Europe vers la RDC, c’est à nouveau La Libre
Belgique et Le Soir qui sont les plus souvent concernés par des transformations à fonction
d’insistance dans les trois journaux congolais. La Libre Belgique est toutefois nettement plus
concernée que Le Soir. On voit notamment qu’elle est plus souvent liée au Potentiel, ce qui
s’explique sûrement par le fait que ce dernier soit le plus enclin à faire remplir la fonction
d’insistance aux transformations. Dans presque la totalité des cas, le genre textuel passe de
la brève à l’article. Ce qui confirme encore une fois la tendance qu’a Le Potentiel à publier
des articles, plus neutres. Les mêmes observations ont été faites pour Le Soir. Enfin,
quelques occurrences ont été identifiées dans Le Figaro et Le Monde, mais elles sont si peu
nombreuses qu’on ne peut vraiment en tirer de conclusions.
Quand l’information circule de la RDC vers l’Europe, seuls les textes sources du Phare et
du Potentiel ont été repérés. Les textes du Phare passent soit dans Le Monde, rarement dans
Le Soir et plus souvent dans La Libre Belgique. La plupart du temps, on passe à des brèves, ce
qui nous montre qu’il est quand même possible d’utiliser la fonction d’insistance dans des
textes courts et que La Libre Belgique a plus tendance à utiliser ce procédé que les autres
journaux. Seule une occurrence du passage du Potentiel à La Libre Belgique a été repérée,
mais elle s’aligne sur les précédents résultats.
Enfin, quand l’information passe d’un journal congolais à un autre journal congolais, si un
texte du Potentiel reste dans Le Potentiel, on observe très souvent un maintien des genres
textuels, que ce soit les articles ou les articles/analyses. Lorsqu’il change en un texte de
L’Observateur, les genres textuels se maintiennent également la plupart du temps,
notamment en articles. Notons que les liens entre Le Potentiel et L’Observateur sont les plus
fréquents, ce qui confirme à nouveau leur relation étroite. Les cas de passage vers Le Phare
sont très peu nombreux et les textes cibles sont à chaque fois des articles.
Lorsque les textes sources proviennent de L’Observateur, nous observons le même genre
de résultats : L’Observateur est plus lié au Potentiel qu’aux autres journaux et les textes
cibles du Potentiel sont majoritairement des articles, comme ceux du Phare d’ailleurs. Très
377
peu d’occurrences apparaissent si un texte source de L’Observateur devient un texte cible
dans le même journal. Il est donc à nouveau rare de voir l’information circuler au sein même
de ce journal.
Pour finir, quand l’information circule à partir du Phare, on observe aussi que les genres
restent en article dans les textes cibles du Phare, qu’ils sont majoritairement des articles en
textes cibles du Potentiel. Le seul changement est la tendance plus forte à modifier le genre
textuel lorsque l’information circule vers L’Observateur, bien que le maintien de l’article soit
le plus couramment rencontré. Terminons aussi par dire que c’est à nouveau avec Le
Potentiel que les transformations à fonction d’insistance apparaissent le plus régulièrement.
6.4.2. Les liens intertextuels relatifs aux formes de représentation du
discours autre
Pour la circulation de l’information de l’Europe vers la RDC, c’est comme d’habitude Le Soir
et La Libre Belgique les plus souvent en lien avec les journaux congolais. Mais à nouveau La
Libre Belgique fait apparaître un nombre plus important d’occurrences et est nettement plus
liée au Potentiel qu’aux autres journaux congolais pour cette fonction. Excepté quelques
occurrences, la plupart du temps, on passe de brèves à des articles. Pour Le Soir, celui-ci est
plus souvent lié à L’Observateur et au Phare et sauf dans de rares exceptions, c’est aussi de
brèves à des articles que l’on passe la plupart du temps. A nouveau, on voit apparaître Le
Figaro et Le Monde avec un faible pourcentage d’occurrences. Ils sont tous deux liés aux
trois journaux congolais et à chaque fois, l’on passe de brèves à des textes plus longs, qu’ils
soient analytiques ou non.
Dans le sens inverse (RDC > Europe), ce sont toujours des textes belges de La Libre
Belgique que l’on trouve en textes cibles. L’information ne provient que du Potentiel ou du
Phare et on trouve nettement plus de cas où les textes cibles correspondent à des articles.
Cela s’explique, car insister sur l’emprunt ou l’information via les formes de représentation
du discours autre nécessite d’en rajouter. Les textes deviennent dès lors plus longs et
peuvent dès lors être moins souvent des brèves.
Enfin, quand l’information circule au sein de la RDC, on remarque que dans un tiers des
cas, c’est la fonction de support qui est observée et elle apparaît le plus souvent dans Le
Potentiel. Nous avions déjà constaté dans les examens des exemples que cette fonction
apparaissait souvent dans ce journal et l’examen des liens intertextuels le confirme aussi.
Pour la circulation de l’information, voici les résultats obtenus : Si c’est Le Potentiel en texte
source et en texte cible, les textes cibles ont tendance à être plus analytiques pour cette
fonction (le plus souvent ce sont des articles/analyses). Si c’est L’Observateur en texte cible,
cas très fréquent, excepté une seule occurrence, on maintient toujours le même genre, à
378
savoir l’article. Si c’est Le Phare en texte cible, ce qui arrive très rarement, on a toujours des
articles en textes cibles.
Quand c’est L’Observateur en texte source et qu’on passe à un texte du Potentiel, nous
rencontrons de nombreuses occurrences, ce qui confirme à nouveau leur étroite relation
pour cette fonction. La majorité du temps, les textes cibles sont des articles, ce qui nous
montre aussi que Le Potentiel publie plus d’articles. Si c’est Le Phare en texte cible, cas
relativement fréquent également, on passe toujours à des textes cibles du type article. Enfin,
à nouveau très peu de cas ont été observés lorsqu’un texte source de L’Observateur
devenait un texte cible dans ce même journal.
Pour finir, lorsque c’est Le Phare en texte source et qu’il passe au Potentiel, cas le plus
fréquent à nouveau, nous rencontrons tantôt des passages à l’article, tantôt des passages à
l’article/analyse ou encore le maintien du genre de la déclaration. Lorsque L’Observateur est
en texte cible, nous n’observons que très peu d’occurrences et les textes sources sont soit
des articles, soit des articles/analyses. Le passage à un texte cible du Phare est lui aussi très
rare et le genre textuel (article) est tout le temps conservé à l’identique.
379
Conclusions
380
1. Résumé du contenu de la thèse
Notre recherche a porté en particulier sur la représentation du discours autre et sur la
façon dont celle-ci pouvait subir des transformations de sens dans les médias. Nous avons en
particulier montré les raisons pour lesquelles nous parlions d’un autre discours ou expliqué
les raisons pour lesquelles nous le modifions. Nous nous sommes donc penchée sur le fait
que tout discours pouvait subir des transformations lorsqu’il était représenté, mais aussi sur
les fonctions que pouvaient remplir ces transformations. Ces transformations et leurs
fonctions ne sont en effet pas très souvent présentes dans la littérature scientifique
existante, raison pour laquelle il nous semblait important de nous y intéresser. Pour les
comprendre, nous avons intégré nos recherches au cadre général de la circulation de
l’information dans les médias. Ce faisant, nous avons d’abord jugé important de présenter
deux des principales caractéristiques de cette circulation, à savoir la concentration et
l’asymétrie. Ces deux caractéristiques nous ont permis de comprendre que seul un nombre
restreints de géants médiatiques occidentaux décidaient des contenus informationnels
publiés et de la manière dont ils étaient publiés. Ce qui signifiait également que leur façon
de décider de la présentation de l’information reflétait leur propre point de vue. Ce point de
vue pouvait porter sur une information nationale, mais aussi sur une information
internationale. En le diffusant, les lecteurs avaient donc une image subjective de
l’information médiatique : l’image qui correspondait au point de vue du journal en question.
Notre idée de départ était que l’information circulait de la presse nationale vers la presse
internationale (du local au global). Cette circulation de l’information, qu’elle soit réalisée du
global au local, du local au global ou dans le même sens, produit des transformations de
sens, très souvent implicites et caractérisées par de minimes changements lexicaux,
grammaticaux, syntaxiques ou phrastiques. C’est la raison pour laquelle nous avons porté
notre attention sur un phénomène linguistique en particulier : les transformations touchant
les paramètres énonciatifs. Ces paramètres sont au nombre de trois, à savoir les
énonciateurs et les actes de parole (représentés ou non) et les formes de représentation du
discours autre. Nous avons souhaité décrire les types de transformations que subissait
chacun des paramètres énonciatifs étudiés et la manière ou les raisons dont ils étaient
transformés, mais aussi quand ils étaient identifiés, eux ou leurs transformations (dans quels
contextes, dans quels pays, dans quel journal) etc.). Nous avons donc aussi porté notre
attention sur la répartition de leurs fonctions en relation avec différents contextes
d’apparition.
Pour ce faire, nous avons sélectionné huit journaux issus tant de la presse française et
belge que congolaise portant sur le conflit congolais ayant eu lieu entre fin août 2008 et fin
janvier 2009. Nous avons donc montré les raisons pour lesquelles ce conflit était en
particulier intéressant dans la compréhension de notre sujet d’étude : d’abord, par son
importance dans l’histoire congolaise, ce qui nous permettait aussi de joindre nos analyses à
une analyse historique ; ensuite, par le fait que les journaux étudiés provenaient de
381
continents différents. Cela nous a ouvert la porte à des analyses entre contenus médiatiques
locaux et globaux ; enfin, cela nous permettait également de donner une nouvelle opinion
aux lecteurs occidentaux sur ce qu’il se passait réellement en RDC.
La compréhension des transformations des paramètres énonciatifs entre des textes
médiatiques implique de se pencher sur la notion de dialogisme. Pour la comprendre, nous
sommes partie de la distinction établie par Bakhtine entre les relations externes et les
relations internes entre les textes. Les relations externes entre les textes nous ont montré
que chaque texte constituait une réponse à d’autres textes et était une base à de futures
réponses, de futurs textes. Nous nous sommes aussi penchée sur les relations internes
qu’entretiennent des textes entre eux, c'est-à-dire sur l’orientation vers d’autres textes qu’a
tout texte. Cette orientation peut être de trois types et donc correspondre à trois types de
dialogisme : le dialogisme constitutif, par lequel une nouvelle signification est attribuée à
chaque texte lu dans un contexte différent. Le dialogisme interdiscursif, qui nous a montré
comment les textes pouvaient être liés entre eux car ils traitaient des mêmes objets de
discours, des mêmes contenus informationnels. Le dialogisme interlocutif, avec lequel le
destinataire du discours est pris en considération dans le processus de rédaction des textes.
Ces dialogismes ont abouti à la notion d’intertextualité (la relation entre les textes). Mais
toute relation entre des textes n’est pas la seule dont Bakhtine parle dans ses ouvrages. En
effet, quand il fait référence au contexte, interprété par Kristeva comme la relation entre des
textes, il fait aussi référence au contexte social, environnant. On pourrait se demander quel
est le rapport avec une conception plus terre-à-terre, plus linguistique, analytique de la
représentation du discours autre. La réponse est que cette conception de la relation à
d’autres textes, mêmes de manière constitutive, intrinsèque d’un texte à d’autres textes est
repérable dans le discours via l’examen de certains paramètres, notamment des paramètres
énonciatifs. Avec ceux-ci, l’Autre peut être perçu dans le discours, qu’il soit ou le
destinataire, implicite ou explicite, ou l’objet de discours ou encore le producteur d’un
discours originel. Avec l’interdiscursivité et l’interlocutivité, le lien a un autre discours autre
peut apparaître : dans un sens, l’un parle du même objet de discours et peut donc reprendre
les mots de l’Autre pour en parler, dans l’autre, l’un parle avec l’autre du même objet de
discours. Il peut également le faire en reprenant ses mots.
Pour autoriser ces discussions, ces relations, le langage nous offre plusieurs moyens. L’un
des moyens mis à notre disposition est l’hétérogénéité montrée du discours autre. Celle-ci
relève du métalangage (ou du pouvoir qu’a le langage de s’exprimer sur lui-même avec lui-
même). Cette faculté nous permet non seulement de redire, de représenter nos propres
paroles au même moment de l’énonciation (auto-représentation du dire en train de se
faire), mais aussi de redire des paroles tenues par d’autres personnes, d’autres énonciateurs
(représentation dévoilée du discours autre). Cette hétérogénéité montrée permet donc de
montrer l’Autre dans le discours. Elle est constituée de trois paramètres énonciatifs qui
peuvent être étudiés : les énonciateurs représentés, les actes de parole représentés et les
382
formes de représentation du discours autre. Les énonciateurs, qu’ils soient ou non
représentés, sont des locuteurs qui émettent un point de vue sur un contenu
informationnel. Lorsqu’ils s’expriment, ils réalisent des actes de parole qui peuvent être
représentés via plusieurs mécanismes. Ces mécanismes sont ce que l’on appelle les formes
de représentation du discours autre. Cette représentation du discours autre peut être de
deux types : dévoilée ou dissimulée. Lorsqu’elle est dévoilée, elle peut se faire via le discours
représenté, à savoir le discours direct (comme « il a dit : … »), le discours indirect (comme
« il a dit que… ») et l’îlot textuel (avec la présence de guillemets montrant la référence à un
discours autre) ou via les modalisations, notamment la modalisation autonymique comme
discours second (lorsque l’on présente les mots d’un autre énonciateur et qu’on en parle
ensuite avec nos propres mots) et la modalisation du dire comme discours second (avec des
expressions du type selon, d’après, etc.). Nous avons aussi montré que la représentation
dévoilée n’était pas la seule qui existait pour représenter un discours autre. Il est en effet
aussi possible que l’énonciateur cache dans son propre discours des actes de parole d’autres
énonciateurs. Dans ce cas, nous avons parlé de représentation dissimulée du discours autre.
Elle apparaît avec les formes syntaxiques de la concession, du renchérissement, de la
négation, de l’opposition, de l’interrogation, de la focalisation et du conditionnel
journalistique. Tous ces aspects constituent les moyens mis à la disposition d’un énonciateur
pour représenter un discours ou en d’autres termes, pour l’emprunter. L’emprunt fait aussi
partie des études sur l’évidentialité. C’est la raison pour laquelle nous avons également
décrit cette notion. Elle permet de comprendre la manière dont un énonciateur a eu accès à
l’information qu’il asserte. Celui-ci peut avoir accès à l’information par la perception des faits
énoncés, par l’emprunt de l’information à un autre énonciateur ou par l’inférence. Elle
permet au destinataire du discours de juger de la fiabilité des informations assertées. Elle
trouve donc bien son importance dans notre examen des transformations puisque l’une
d’entre elles est la fonction de crédibilité ou de doute.
Tous les phénomènes mentionnés ci-dessus ont été examinés dans un corpus composés
de textes issus de la presse francophone. Ces textes portent sur le conflit congolais ayant eu
lieu dans les provinces du Kivu en RDC entre fin août 2008 et fin janvier 2008. Il a été
soudainement très médiatisé, notamment en RDC, mais aussi en Belgique et en France. Le
fait qu’il a été médiatisé dans des pays différents et des continents différents nous donnait
donc une bonne base à l’analyse de la circulation de l’information et des transformations de
sens qui en découlaient. Le choix des journaux belges s’est porté sur Le Soir et La Libre
Belgique, celui des journaux français sur Le Monde, Le Figaro et Libération et celui des
journaux congolais Le Potentiel, L’Observateur et Le Phare. Leurs contenus informationnels
portent sur les violents affrontements de 2008. Ils ont eu lieu entre plusieurs groupes
armés : le CNDP, groupe armé dirigé par Laurent Nkunda qui défend les Tutsis, les FARDC ou
l’armée nationale congolaise accusée de défendre les Hutus rwandais, les FDLR ou l’armée
nationale rwandaise composée de Hutus, les Maï-Maï ou une milice d’autodéfense locale
qui défend les réfugiés, et enfin la MONUC, une mission onusienne censée défendre les
383
civils. Ces combats qui commencent fin août 2008 inquiètent la communauté internationale
dès septembre 2008. Peu à peu, elle envisage l’envoi de troupes additionnelles au sein de la
MONUC pour tenter de résoudre le conflit. Ces conflits engendrent des millions de victimes
et déplacés de guerre. Selon certaines études, les réelles raisons de ces conflits ne sont pas
d’ordre ethnique, mais d’ordre économique. La RDC est en effet un pays aux nombreuses
richesses naturelles et elle suscite la convoitise. La présence des groupes armés dans les
régions possédant des mines confirme que des raisons économiques sous-jacentes aux
raisons officiellement avancées existent bel et bien : le commerce illégal des ressources
naturelles. Ce commerce est notamment fait par les groupes armés en question, mais aussi
par d’autres pays. L’ONU a dénoncé à plusieurs reprises les implications du Rwanda, de
l’Ouganda, de la Belgique, des Etats-Unis, de la Chine, de la Grande-Bretagne ou encore de
l’Allemagne comme étant des soutiens financiers des groupes armés dans le but d’accéder
aux ressources naturelles.
En prenant la parole dans les textes de notre corpus, les acteurs du conflit sont aussi des
énonciateurs qui réalisent des actes de parole représentés. Ces énonciateurs et ces actes de
parole représentés, mais aussi les formes de représentation du discours autre peuvent subir
des transformations lors de la circulation de l’information. Pour mieux comprendre cette
dernière, nous avons donc eu besoin de la notion d’intertextualité. Cette dernière rend
compte du fait que le sens de tout texte ne peut être complet que par la prise en
considération des autres textes qui le traversent constitutivement. Ces autres textes
correspondent au contexte environnant du texte, qu’il soit celui de sa production ou celui de
son interprétation. Ce qui signifie que les agents sociaux assignent des significations données
aux textes en fonction des relations qu’ils établissent avec certains contextes. Pour
comprendre la signification d’un texte donc, il y a tout un réseau de relations qui doit être
pris en considération. Ce réseau est le même lors de l’interprétation des fonctions des
transformations qui apparaissent quand l’information circule d’un texte à l’autre. Bien que
ces relations soient infinies, le chercheur se doit d’en sélectionner certaines selon ses
objectifs. Celles que nous avons sélectionnées sont tout d’abord les relations entre les
contenus informationnels, à savoir les liens explicites (deux textes sont liés car l’un d’entre
eux cite explicitement un autre texte et traite donc le même contenu informationnel) et les
liens implicites (les contenus informationnels sont liés de manière automatique, via leur
similarité lexicale). Ensuite, les liens entre les genres textuels. Nous avons donc établi un
système de classification de ces genres, car les études existantes sur une typologie claire et
définie sur les genres textuels étaient disparates et ne s’accordaient que très rarement. Pour
notre recherche, nous avons donc rassemblé les points qui émergeaient de manière
systématique dans les études sur les genres textuels pour élaborer notre système. Ces
derniers ont été : la visée illocutoire des textes (argumenter, narrer, expliquer, dialoguer et
informer), les aspects énonciatifs (énonciateurs premiers ou énonciateurs représentés), les
aspects formels et stylistiques (la taille des textes, la présence de repères spatio-temporels
vagues ou précis et la subjectivité présentes dans les textes) et les aspects sémantiques,
384
c’est-à-dire le contenu informationnel des textes (s’agit-il d’un fait d’actualité, d’une histoire
chronologique, causale ou temporelle des faits, ou d’une situation ?). En examinant tous ces
critères, nous sommes arrivée à classifier les genres textuels en : article, analyse, article-
analyse, commentaire, reportage, article-reportage, brève, biographie, interview,
communiqué, déclaration, chronologie, couverture. Ces liens ont été sélectionnés car ils
constituaient le contexte environnant des textes. Pour bien comprendre un discours, il
convient notamment de tenir compte du contexte socioculturel de l’énonciateur qui l’a
produit. Ce contexte conditionne en effet l’énonciateur et donc la manière dont il
représente la réalité dont il parle. De la même manière, le contexte médiatique (les journaux
et leurs tendances) conditionne aussi tout discours. Une fois toutes ces relations établies
entre nos textes, nous pouvions nous concentrer sur les transformations. Avant d’entrer en
détail dans leur description, il nous paru normal de définir ce que nous entendions par la
notion de transformation. Lorsque l’information d’un texte est reprise dans un autre texte,
les paramètres énonciatifs peuvent avoir subi des changements. Si ces paramètres
énonciatifs étaient modifiés dans des textes publiés à des dates différentes, nous avons
parlé de transformations : il est possible d’identifier un texte de départ, le texte source, et
un texte d’arrivée, le texte cible. Si, au contraire, les deux textes sont publiés aux mêmes
dates, une telle identification n’est pas possible. Nous avons alors employé le terme de
différence dans ces cas de figure. Ces dernières ont été identifiées en liant des textes entres
eux via leur similarité lexicale grâce au logiciel de recherche automatique de segments
lexicaux identiques. Ce dernier a quand même montré ses limites, puisque nous avons dû
revérifier manuellement que les paires de textes extraites traitaient effectivement du
mêmes contenus informationnels (textes longs liés à des textes courts). Dans les deux cas,
les transformations ou les différences ne sont pas uniquement des altérations à proprement
parler, mais peuvent aussi être des ajouts ou des suppressions d’informations.
Une fois faite l’explication de ce que nous entendions par les notions précitées, nous
pouvions alors décrire plus en détail les types de transformations ou de différences des
paramètres énonciatifs. Nous pouvions aussi décrire leurs fonctions et leurs explications.
Concernant les types de transformations/différences identifiées, elles touchent les trois
paramètres énonciatifs (énonciateurs et actes de parole représentés, formes de
représentation du discours autre). Pour les énonciateurs représentés, nous avons montré
que les types de transformations rencontrés étaient : le remplacement des caractéristiques
descriptives (de type métonymique ou non), l’ajout/la suppression de caractéristiques
descriptives, l’ajout/la suppression de sous-entendus d’attribution énonciative, le passage
de l’énonciateur en destinataire et le changement/la suppression/l’ajout des énonciateurs
et/ou des destinataires. Pour les actes de parole représentés, nous avons montré que ce
n’était pas seulement les changements de catégorisation qui constituent des
transformations ou des différences. A partir du moment où un lecteur ne perçoit plus un
acte de parole tel qu’il était d’abord représenté dans un texte source, cela signifie qu’il y a
eu une transformation de sens. Nous avons donc recherché tout ce qui pouvait modifier la
385
perception initiale d’un lecteur. Les autres phénomènes transformés répertoriés ont été : la
relation entre plusieurs actes de parole, les modalités (certitude, doute, hypothèse, etc.), les
explications des actes de parole, leurs effets, leur spatio-temporalité, et enfin, leur
attribution à des énonciateurs. Pour les formes de représentation du discours autre, les
types de transformations repérés ont été : le passage du discours produit au discours
représenté (par discours représenté, par modalisation autonymique ou modalisation en
discours second), l’ajout/la suppression/le changement de la représentation dévoilée ou de
la représentation dissimulée du discours autre.
Tous ces types de transformation ont ensuite été mis en rapport avec une potentielle
explication. Cette explication touchait à la notion d’intertextualité et à celle de dialogisme.
Ainsi, si tout discours ne pouvait être interprété que via l’examen de son contexte
environnant, cela signifiait aussi qu’un examen des contextes environnants d’autres discours
devait être fait pour comprendre les fonctions pour lesquelles ils étaient transformés. Pour
ce faire, nous avons examinés les trois types de contextes pris en considération, à savoir les
liens intertextuel, du ressort du dialogisme interdiscursif, les liens intratextuels ayant ont
aussi trait au dialogisme interdiscursif et les liens interrelationnels, du ressort du dialogisme
interlocutif.
Ces liens sont liés à des degrés divers aux fonctions des transformations. La fonction de
positionnement, décrite en premier, permet aux journalistes de montrer leur accord ou leur
désaccord avec les énonciateurs représentés ou avec les journalistes auxquels ils reprennent
une information. Elle rend manifeste un Autre, comme interlocuteur du discours, puisqu’elle
montre la manière dont un énonciateur est d’accord ou non avec un autre énonciateur.
Cette fonction apparaît plus fréquemment lorsque les textes sont explicitement liés : le
journaliste cible reprend un texte source et représente différemment les énonciateurs et les
actes de parole, mais aussi les formes de représentation du discours autre pour montrer son
jugement, positif ou négatif, vis-à-vis des énonciateurs représentés, des journalistes ou de
leur discours. Les autres fonctions sont, quant à elles, plus souvent présentes dans les textes
implicitement liés. La fonction de réception permet aux journalistes de tenir compte des
connaissances de leurs lecteurs. La circulation de l’information induit en effet un
changement de lectorat qui n’a pas nécessairement les mêmes connaissances que le lectorat
source. Cela oblige les journalistes à transformer certains paramètres énonciatifs pour que
les lecteurs identifient de quoi il est question dans les textes. Les journalistes peuvent aussi
vouloir montrer à leurs lecteurs les liens qui les unissent (situation d’énonciation, contexte
environnant, etc.). La fonction de crédibilité ou de doute permet aux journalistes de montrer
qu’ils croient ou qu’ils doutent du discours représenté par d’autres journalistes. Elle touche
donc à la fiabilité de l’information représentée. Lorsqu’ils modifient les paramètres
énonciatifs présents dans un texte source, ils ne montrent pas seulement qu’ils jugent ou
non fiable l’information représentée, mais également qu’ils jugent ou non fiables les textes
(et donc les journaux qui les publient) qui ont représenté cette information. La fonction de
386
condensation ou de précision est une fonction très fréquente dans l’examen des
transformations. Elle permet soit de rendre l’information plus dense (condensation), soit de
la rendre plus claire (précision). La fonction de condensation se caractérise par le fait que
l’information présentée aux lecteurs porte sur le même contenu informationnel, mais celui-
ci est présenté de manière nettement plus concise. A l’inverse, la fonction de précision
permet aux journalistes de donner un maximum de détails sur tous les aspects qui
caractérisent l’information relatée. La fonction d’enchaînement a été rencontrée lorsque les
transformations permettaient aux journalistes de montrer l’enchaînement causal et
temporel des actes de parole. Elle est rencontrée lorsque les journalistes souhaitent montrer
comment les discours se répondent ou s’anticipent, mais aussi les raisons pour lesquelles ils
sont produits. La fonction de répétition concerne le fait que les journalistes tentent au
maximum d’éviter de répéter telle quelle une information parue dans un autre texte. Trois
procédés leur permettent d’atteindre cet objectif : d’abord, le changement lexical (le
remplacement par des synonymes). Ensuite, la suppression des répétitions (le changement
des mots utilisés par un même journaliste dans plusieurs textes). Enfin, l’inversion des
lexèmes (le fait d’intervertir des mots pour éviter le copier-coller). La dernière fonction
identifiée est celle d’insistance. L’insistance correspond au fait de vouloir mettre l’accent soit
sur les actes de parole représenté, soit sur le contenu informationnel représenté, soit sur les
deux en même temps, ou encore sur l’action, c’est-à-dire sur ce que le discours a produit
comme effets réels dans le monde.
2. Réponses à nos questions de recherche
L’une des choses que nous avons démontrée dans cette recherche est que l’information
ne circule pas nécessairement du local au global comme on pourrait s’y attendre: les géants
médiatiques ont tellement d’impact dans le monde de la presse que même des événements
ayant lieu en dehors de l’Occident sont d’abord relatés en Occident et que l’information est
ensuite reprise par les presses locales nationales. Dans presque la totalité des cas rencontrés
de liens explicites, l’information était reprise par des journaux congolais à des journaux
européens. Nous nous sommes donc demandé si l’éloignement des journaux congolais
(publiés à Kinshasa) avec les faits relatés (portant sur les provinces du Kivu) pouvait avoir eu
un impact sur ces résultats. En examinant le développement des institutions journalistique
congolaises et européennes, nous avons vite remarqué que leur développement moins
important en RDC empêchait les journaux congolais d’envoyer sur place leurs envoyés
spéciaux : l’information arrivait donc d’abord à des envoyés spéciaux européens avant d’être
reprise par des journalistes congolais. Par ailleurs, les relations entre journaux européens ou
et presses internationales étant plus développées, les journaux européens accèdent plus vite
à l’information dont ils ont besoin. Avec la globalisation et l’accès à l’information via le Web,
les journaux congolais peuvent dès lors emprunter l’information aux journaux européens
très facilement. Avec les liens implicites établis entre les textes, nous avons montré que
l’information avait plus tendance à circuler au sein même de la RDC que circuler entre des
387
pays différents : l’information est soit publiée par différents journaux congolais, soit publiée
plusieurs fois par un même journal congolais. Mais lorsque d’autres sources d’information
ont été identifiées, cela nous a montré que les journaux congolais s’informaient tant via la
presse congolaise que via la presse européenne, alors que la presse européenne ne
s’informait que via des canaux européens. Cela confirme l’idée que l’information ne circule
pas beaucoup du local au global. Quand les journaux congolais se sont informés via des
canaux congolais, ils l’ont principalement fait via des canaux informatiques (Radio Okapi, la
radio de la MONUC, etc.) ce qui confirme aussi notre idée sur la manière dont l’information
est récoltée par les médias en RDC, à savoir via le Web.
Par ailleurs, nous avons aussi montré que le dialogisme constitutif était important dans
l’examen des transformations de sens car les mots utilisés par les énonciateurs ne sont pas
compris, interprétés de la même manière en fonction de leur contexte d’interprétation.
Ainsi, si un texte utilise le terme CNDP en Belgique, les lecteurs comprennent simplement le
nom d’un groupe armé congolais. Mais si ces termes sont utilisés en RDC et que les lecteurs
sont victimes de crimes commis par ce groupe, il est clair qu’ils y associeront un autre sens,
négatif dans ce cas. De même, le dialogisme interlocutif a eu un impact important sur notre
recherche et notamment sur la manière dont nous avons classifié l’une des fonctions des
transformations en particulier : la fonction d’enchaînement ou de narration. Avec cette
dernière, c’est l’enchaînement causal et/ou temporel des discours qui a été au centre de
l’attention. Ce qui signifie que la structure de cette fonction remplie par les transformations
correspond à celle d’un dialogue : « il a dit ceci, donc je réponds et ensuite cela ou à cause
de cela ». Dans cette fonction, c’est donc avant tout le dialogal qui prime, quoique le
dialogique ait aussi sa place, notamment le dialogisme interdiscursif qui est constitué par la
relation entre contenu informationnel.
Concernant, l’identité totale entre des textes, leur classification nous a montré deux
choses importantes : d’abord, le fait que contrairement à de précédentes études sur les
médias, ce qui constitue une bonne nouvelle ne doit pas être répétitif ou attendu. Si nous
avons trouvé des paires de textes totalement identiques, cela signifie d’une part que les
journalistes ne se donnent pas nécessairement la peine de retravailler l’information pour
qu’elle paraisse moins répétitive et d’autre part, qu’ils considèrent que cela reste une bonne
information. Il est peu probable qu’ils admettent publier une mauvaise information. Ensuite,
si nous sommes parvenue à lier autant de textes entre eux, cela nous montre aussi que des
contenus informationnels similaires constituent une information importante pour les
médias.
Concernant les transformations/différences touchant les énonciateurs représentés, nous
avons d’abord montré qu’elles ne sont pas les plus répandues par rapport aux changements
des autres paramètres énonciatifs. Cela nous montre que les journalistes utilisent des
mécanismes plus implicites que la caractérisation des énonciateurs représentés (cf. le
388
rebelle/le leader a dit…) pour faire passer leur propre jugement. Il est donc certain que pour
atteindre un large public, les journalistes ne peuvent pas se permettre d’être trop subjectifs
dans la manière dont ils représentent les énonciateurs représentés. Ensuite, les deux
manières les plus répandues de transformer la perception qu’ont les lecteurs des
énonciateurs ont été le remplacement métonymique (dû entre autres à la circulation de
l’information entre des continents différents) et le remplacement non métonymique. Cela
montre que lorsqu’ils transforment l’information, les journalistes ne souhaitent pas
seulement donner plus ou moins d’informations, mais souhaitent avant tout utiliser des
caractérisations différentes qui font passer leur propre point de vue sur les énonciateurs
dont ils parlent. Par ailleurs, les actes de parole représentés ont nettement plus souvent été
touchés par des transformations ou des différences. Il semble donc qu’ils constituent le
moyen privilégié par les journalistes pour donner une autre image de la réalité dont ils
parlent, de la parole qu’ils représentent.
Concernant les transformations/différences touchant les actes de parole représentés,
nous avons montré que certaines d’entre elles (la mise en relation, les modalités,
l’explication ou les effets des actes de parole) apparaissaient nettement plus fréquemment
dans le corpus de textes explicitement liés. Or, lorsque ces liens ont été établis, nous avons
aussi constaté que les transformations remplissaient très souvent la fonction de
positionnement. On peut donc en déduire que ces quatre mécanismes sont les moyens les
plus adéquats utilisés par les journalistes pour montrer leur accord ou leur désaccord avec
un discours autre. La spatio-temporalité et l’attribution quant à elles ont montré la
conclusion inverse puisqu’elles sont principalement transformées dans d’autres buts celle de
la fonction de positionnement : elles apparaissent en effet majoritairement dans les textes
implicitement liés. Pour les formes de représentation du discours autre, nous avons observé
que, contrairement aux actes de parole représentés, elles subissaient nettement plus
souvent des transformations ou des différences dans les textes implicitement liés. Elles ont
donc moins tendance à être un outil utilisé par les journalistes pour marquer leur accord ou
leur désaccord vis-à-vis d’autres énonciateurs et discours, mais bien davantage pour d’autres
raisons.
Nous nous sommes aussi intéressée aux tendances politiques des journaux. Nous avons
notamment montré que la plupart du temps, celles-ci correspondaient effectivement à ce
que les journaux disaient défendre : Le Potentiel est un journal situé plus au centre et qui a
tendance à présenter le point de vue des divers énonciateurs représentés. Cela le rend plus
neutre dans ses descriptions des faits et son approche du conflit. D’ailleurs, il s’appuie
régulièrement sur les dires de La MONUC, acteur au centre des groupes armés.
L’Observateur se situe plus à gauche et réalise des transformations majoritairement parce
qu’il défend les intérêts de la population civile, victime des conflits. Le Phare quant à lui,
défend nettement plus souvent l’opposition et est donc bien situé à droite. Ces tendances
n’ont cependant pas toujours été vérifiées. Nous avons en effet vu que lorsque la fonction
389
de positionnement était remplie par les transformations (accord ou désaccord avec des
énonciateurs représentés), les positions des journalistes différaient quelque peu. En effet,
seuls quelques énonciateurs et/ou discours étaient régulièrement touchés par cette
fonction. Lorsqu’il s’agissait de positionnement négatif (désaccord), ceux-ci ont été Paul
Kagamé/le Rwanda, Nkunda, Kä Mana, la MONUC, Nicolas Sarkozy, Le Monde, La Libre
Belgique et occasionnellement Le Soir. Lorsque le positionnement était positif (accord), les
énonciateurs ou discours étaient ceux de ministres européens, de l’évêque congolais
Monswengo et du Soir. Ces résultats nous ont montré que les positionnements négatifs
étaient principalement émis contre ces énonciateurs car ils prenaient parti ou ne
s’opposaient pas suffisamment au Rwanda et à Paul Kagamé, soupçonné de soutenir le
CNDP dans ses combats pour accéder aux richesses naturelles de la RDC. Les raisons
officieuses du conflit étaient dès lors confirmées par le point de vue des journalistes.
D’ailleurs, en s’opposant à la MONUC ou à Nicolas Sarkozy, les journalistes montrent que ces
acteurs et énonciateurs sont aussi responsables de la poursuite des combats. Très souvent
en effet, les journalistes congolais pensent que la communauté internationale ne prend pas
assez d’action pour faire cesser les hostilités, alors qu’elle en a tout à fait les moyens. A
l’inverse les positionnements positifs sont réalisés lorsque les énonciateurs représentés
s’opposent à Kagamé ou à Laurent Nkunda ou montrent qu’une action internationale doit
avoir lieu. Tous ces positionnements ont eu majoritairement lieu lorsque les textes étaient
explicitement liés. Or, nous avons vu que ce type de liens apparaissait principalement
lorsque l’information circulait de l’Europe vers la RDC. Donc, les journalistes congolais ont
estimé inadéquate la façon dont les journalistes européens représentaient l’information,
donnaient un certain sens à l’information. L’opposition très forte à Kagamé et à Nkunda de
la part des journalistes congolais nous a permis d’aboutir à la conclusion suivante : le
contexte environnant ne peut être dissocié de la fonction de positionnement. A partir du
moment où il s’agit de montrer son point de vue sur les faits, que ce point de vue ait trait à
la vérité/fausseté des discours ou aux affects, il est impossible pour les journalistes de
scrupuleusement maintenir les tendances politiques qu’ils défendent habituellement, car ils
sont trop impliqués, trop proches des événements pour accepter trop de neutralité ou des
opinions cautionnant, ne fût-ce qu’en partie, les événements auxquels ils assistent. Pour les
autres fonctions en revanche, ce maintien des tendances politiques des journaux est la
plupart du temps possible.
Une autre question qui nous taraudait l’esprit au début de nos recherches concernait
l’impact du contexte intertextuel que nous avons défini par les relations entre les journaux,
entre les pays et entre les genres textuels. Nous avons montré que le plus souvent, lorsque
l’information circulait du global au local, c’était de la Belgique et non de la France vers la
RDC. Tant Le Soir que La Libre Belgique étaient concernés par cette circulation de
l’information. Ce fait ne dépend pas de la fonction remplie par les transformations : quelle
qu’elle soit, il a à chaque fois été observé. Ce qui nous prouve que les médias ne
sélectionnent pas l’information de la même manière, en fonction de ce qu’il se passe dans le
390
monde. Au contraire, il semble que les liens historiques entre les pays conditionnent la
sélection et la diffusion de l’information. Par conséquent, les destinataires des discours
journalistiques ayant peu de liens historiques avec les pays où se déroulent certains faits
d’actualité ont moins de chance d’obtenir une information complète sur ce qu’il s’y passe
que les lecteurs en ayant. Cela signifie aussi que lorsqu’un fait est moins traité dans une
presse globale (en raison de son éloignement avec les faits ayant lieu), la vision que peuvent
se faire ses lecteurs du monde peut être complètement différente.
Par ailleurs, les liens entre les tendances politiques des journaux semblent conditionner
l’apparition de transformations. Nous avons montré que la relation entre journaux belges et
congolais se faisait principalement entre Le Soir/Le Phare et La Libre Belgique/Le Potentiel.
Or, ces paires de journaux défendent des tendances politiques différentes : Le Soir et Le
Potentiel se situent plus au centre et Le Phare et La Libre Belgique plus à droite. Vu la
répétition de ces liens lors de la circulation de l’information et la présence de
transformations, nous en déduisons que les journaux qui modifient l’information le font
principalement pour qu’elle corresponde à ce qu’ils veulent transmettre comme point de
vue sur les faits à leurs lecteurs.
Pour terminer cette section sur nos réponses à nos initiales questions de recherche, il
convient de parler des genres textuels. Dans certains cas, les genres textuels semblent en
effet conditionner les fonctions des transformations. Tel a été le cas pour la fonction de
positionnement, la fonction de réception, la fonction de crédibilité ou de doute, la fonction
de précision ou de condensation. Pour ces fonctions, nous avons observé que les genres dits
longs (comme les articles, les articles-analyses, les analyses, etc.) apparaissaient nettement
plus fréquemment lorsque des transformations étaient repérées. Ce qui signifie que ces
fonctions dépendent du genre textuel dans lequel les textes sont publiés plus les genres
textuels sont longs et du type article, analyse ou les deux, plus il y a de chance de voir
apparaître ce type de fonction.
3. Recherches futures
Dans cette thèse, nous avons exploré les fonctions des transformations de sens touchant
concernant les paramètres énonciatifs dans des textes portant sur le conflit congolais de
2008. Nous avons porté notre attention sur de multiples aspects, mais il est certain que nous
en avons privilégié certains plutôt que d’autres, pour ne pas risquer de ne plus pouvoir nous
arrêter dans nos recherches. Ce qui signifie aussi que d’autres recherches sur le même sujet
pourraient être menées à l’avenir pour compléter nos propos.
Un premier type de recherches ultérieures pourrait concerner les similarités existant
entre nos résultats et des résultats de l’étude de la presse internationale qui n’est pas
européenne. Il serait en effet intéressant de vérifier si nos affirmations sur la circulation de
391
l’information du global au local se confirment dans d’autres pays ou si c’est le lien historique
entre les pays ou la thématique particulière que nous avons étudiés qui conditionnent ce
sens. De même, ce serait aussi intéressant de voir se confirmer nos résultats pour d’autres
langues : les transformations sont-elles des mêmes types lorsque l’on s’intéresse à l’anglais
par exemple ou à d’autres langues encore ? Observe-t-on les mêmes types de
transformations ou les mêmes fonctions des transformations ?
Par ailleurs, l’examen de la circulation de l’information à l’intérieur de pays/continents
dont la presse est qualifiée de locale ou au sein d’autres où elle est qualifiée de globale
donnerait lui aussi de nombreuses informations sur la manière dont l’information circule et
dont le sens se transforme. Si l’information circule uniquement au sein de l’Europe ou des
Etats-Unis ou des pays africains, peut-on là aussi observer ce genre de transformations ?
Remplissent-elles les mêmes fonctions ? Dans la négative, quelles autres fonctions peut-on
observer ? Les énonciateurs représentés touchés par un positionnement diffèrent-ils
seulement en fonction du journal ou le pays de publication des textes a-t-il un impact plus
important sur les transformations observées pour les caractériser ?
Ce positionnement a été au centre de notre attention pour déterminer les tendances
politiques des journaux. Il serait donc tout à fait utile de s’y intéresser dans d’autres médias,
pour d’autres médiums (télévisuel, web, conversation). En s’intéressant à ces autres médias
ou médiums, cela éclairerait davantage le chercheur sur ce qui conditionne effectivement les
transformations et leurs fonctions. Il est en effet certain que, dans toute recherche, une
comparaison avec d’autres données permet de se faire une idée concrète et complète du
fonctionnement des mécanismes à l’œuvre, en particulier dans l’éclaircissement des aspects
qui entrent en jeu dans les transformations de sens et/ou dans la perception du sens par des
destinataires.
Enfin, un dernier aspect qui mériterait une attention particulière est l’aspect social. Nous
avons vu que les journaux européens publiaient nettement moins de textes sur le conflit
congolais que les journaux congolais eux-mêmes. Or, c’est dans ces pays européens que la
majorité des actions peuvent être prises, que ce soit par l’aide, financière, humanitaire,
militaire, etc. qu’ils peuvent apporter à des pays en voie de développement. En minimisant
médiatiquement ce conflit, les journaux minimisent aussi, aux yeux des citoyens, dont
certains sont aussi des politiciens, les impacts, les conséquences auxquelles est confrontée
chaque jour la population congolaise. En insistant sur elles, les médias pourraient également
contribuer à la résolution de ce type de conflit. Cet aspect mériterait, selon nous, une
attention toute particulière pour essayer d’enrayer les processus conflictuels ayant lieu
partout dans le monde. Des questions bien plus politisées telles que : Faut-il intégrer des lois
sur le devoir de vérité des médias ? Jusqu’où la liberté d’expression peut-elle déformer la
réalité ? Devons-nous imposer une attitude médiatique orientée vers les faits majeurs dans
le monde pour informer les citoyens de ce qu’il se passe réellement dans le monde ? C’est ce
392
genre de questions auxquelles nous aurions aussi voulu répondre et qui, nous l’espérons,
pourront être traitées dans de futures recherches.
393
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