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LES VOYAGEURS MODERNES DANS LA CYRÉNAÏQUE, ET LE SILPHIUM DES ANCIENS (SUITE ET FIN) Author(s): Antonin Macé Source: Revue Archéologique, 14e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1857), pp. 338-354 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41744511 . Accessed: 22/05/2014 11:28 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Archéologique. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.29.185.68 on Thu, 22 May 2014 11:28:41 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES VOYAGEURS MODERNES DANS LA CYRÉNAÏQUE, ET LE SILPHIUM DES ANCIENS (SUITE ET FIN)

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LES VOYAGEURS MODERNES DANS LA CYRÉNAÏQUE, ET LE SILPHIUM DES ANCIENS (SUITE ETFIN)Author(s): Antonin MacéSource: Revue Archéologique, 14e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1857), pp. 338-354Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41744511 .

Accessed: 22/05/2014 11:28

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LES

VOYAGEURS MODERNES

DANS LA CYRÉNAÏQUE,

ET LE SILPHIUM DES ANCIENS.

SUITE ET FIN (1).

IV.

Jusqu'ici, nos recherches, pour déterminer ce que c'était que le silphium des anciens, ont été exclusivement négatives. Nous avons prouvé, contrairement à beaucoup d'opinions admises, que le sil- phium des anciens, le vY&isilphmm, le silphium de la Cyrénaïque, ne peut être ni Tassa fœtida , ni la thapsia gargantea , ni le benjoin , ni Y opium. Quel est-il donc? Avant de proposer, à mon tour, mes con- jectures, ou, si l'on veut, mon système, sur cette question, je me permettrai d'exprimer un regret ; c'est que les voyageurs modernes, qui ont jeté beaucoup de lumières sur l'histoire et les monuments de Cyrène, n'aient pas été des botanistes aussi instruits qu'ils étaient de savants archéologues, et qu'ils n'aient pu, faute de ces connais- sances, trancher une question si fréquemment débattue. Ainsi, Paul Lucas, s'il avait été botaniste, ne nous aurait pas donné cette sin- gulière description d'une plante qu'il dit avoir vue près de Derné, et qu'il croit être le silphium : tige courte, feuilles velues et couleur de sauge, fleurs jaunes très-recherchées des abeilles, fruit enforme d'artichaut (2). Ainsi, encore, Pacho et les frères Beechey ne se se- raient pas bornés à un récit intéressant, mais peu instructif, ďune circonstance curieuse de leur voyage. Tous les trois, en effet, ra- content, avec de légères variantes, qu'en approchant de Barcah

(1) Voyez le commencement de ce Mémoire, p. 143, 227. (2) II, ch. h, p. 112.

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LB SILFHIUM DES ANCIENS. 339

(la Barce ou la Ptolemaïs des anciens), les Arabes, qui leur servaient de guides, refusèrent de laisser aller leurs chameaux plus loin, et que, après beaucoup de pourparlers, ils ne consentirent à les laisser continuer leur route qu'après les avoir muselés. Le motif de ce refus et de ces précautions, c'était la crainte qu'inspirait aux Arabes l'effet produit sur les chameaux par une plante qui croissait, en grande quantité, dans les environs de Barcah et des ruines de Cyrène, aujourd'hui Grennah. Les frères Beechey ne doutent pas que cette plante, dont les chameaux sont très-avides, mais qui pro- duit sur eux, du moins d'après les Arabes, un effet analogue à celui que Pline dit être éprouvé par les moutons et les chèvres qui man- geaient, pour la première fois, du silphium, ne soit le silphium des anciens : One of the reasons alleged for putting so high a price upon the camels, was the probability of their eating thesilphium, whichgrows in the country we were about to visit, and which has sometimes very fatal effects upon them (1). Cette opinion et cette croyance des Arabes ne sont-elles qu'un préjugé? Sont-elles fondées, au contraire, sur des faits positifs? Ces questions auraient valu la peine que nos voya- geurs s'y arrêtassent un peu. Il aurait fallu, surtout, étudier en bo- tanistes cette plante que nos voyageurs disent avoir rencontrée, là, en si grande abondance- Malheureusement, ils se contentent d'une description très-vague. « Cette plante, disent-ils, avait trois pieds de hauteur et ressemblait à une ciguë, ou, mieux encore, à une carotte sauvage.» C'est suffisant pour nous apprendre qu'il s'agit là d'une ombellifère. Mais de véritables naturalistes ne se seraient pas bor- nés à ces indications si vagues que tout le monde peut donner ; ils auraient décrit la plante qu'ils avaient sous les yeux, en nous fai- sant connaîlré non-seulement son port et sa physionomie, rensei- gnements utiles, sans doute, mais insuffisants, surtout les caractères de la racine, de la fleur, principalement du fruit, qui est le trait distinctif de la grande famille des ombellifères. Toutefois, les deux voyageurs ont écrit, à ce sujet, une dissertation de quelques pages qui renferme quelques indications utiles, et ils ont ajouté, en note, ce fait, très-important, que l'un de leurs compagnons de voyage, le capitaine anglais Smyth, a pu envoyer en Angleterre quelques pieds de cette plante qu'ils prenaient pour le silphium, et que ceux- ci ont très-bien réussi dans le Devonshire, c'est-à-dire dans le comté le plus méridional et le plus tempéré de la Grande-Bretagne.

Il serait très-curieux de savoir si cette ombellifère a été cultivée

(1) Beechey' s Travels , etc. , p. â92.

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340 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. dans le Devonshire, en serre, dans des jardins botaniques ou en pleine terre, et si elle a continué d'y réussir depuis l'époque où les frères Beechey écrivaient, c'est-à-dire depuis près de trente ans ; plus curieux encore de s'en procurer des échantillons, même des- séchés. J'appelle sur ce point l'attention des botanistes sous les yeux desquels cette dissertation pourrait tomber, et qui seraient en correspondance avec quelques-uns des savants d'Exeter ou de Ply- mouth. Cette ombellifère forme-t-elle un genre ou une espèce jus- qu'ici inconnue ? A un point de vue exclusivement botanique, la question vaudrait déjà la peine d'être éclaircie. Est-elle identique avec la thapsia gargantea, qui se, trouve dans tout le nord de l'Afri- que, et, en général, dans tout le bassin de la Méditerranée? Alors, la question qui nous occupe avancerait vers sa solution, puisque, comme nous venons de le voir, et quoi qu'en aient dit des botanistes fort savants, mais qui n'avaient pas suffisamment étudié Pline, la thapsia et le silphium ne peuvent pas être la même plante ; puisque, enfin, le silphium échappait à la culture, et que la thapsia garganica réussit parf litement partout où l'on a essayé de l'acclimater. Rap- pellerai-je, de nouveau, que, suivant tous les témoignages des au- teurs de l'antiquité, et quoique l'explication qu'ils ont donnée du fait lui-même soit différente, le silphium avait disparu de la Cyré- naïque dès le premier siècle de notre ère ? Est-il présumable qu'il s'y trouve aujourd'hui tellement abondant, qu'il soit une cause de terreur pour les conducteurs de chameaux, ou un prétexte suffisant de spéculation de leur part à l'égard des voyageurs ?

Je doute donc infiniment de l'exactitude et de la nouveauté de la découverte des frères Beechey, et je ne puis que réitérer mes vœux pour que l'on obtienne des savants du Devonshire quelques rensei- gnements sur les véritables caractères, sur le genre et l'espèce dela plante que le capitaine Smyth y a introduite. Jusqu'à ce que cette question, que je n'ai, pour ma part, aucun moyen de résoudre, soit résolue, il est peut-être bien hasardeux de venir proposer une nou- velle hypothèse, et présenter de nouvelles conjectures sur un point d'érudition souvent débattu, comme nous venons de le voir. Tou- tefois, depuis que j'habite le Dauphiné ; depuis, surtout, que j'ai contracté le goût de la botanique, goût si naturel au milieu de nos belles et riches montagnes, une idée m'a constamment préoccupé, idée que de nouvelles recherches et des études plus approfondies ont fortifiée au lieu de l'ébranler ; c'est que nous n'avons peut- être pas besoin d'aller chercher en Asie et en Afrique la plante si célèbre chez les anciens sous le nom de silphium, et que cette plante

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LE SILPHltJM DES ANCIENS. 341

existe peut-être chez nous. Je serais, en effet, bien tenté de croire que cette plante n'est autre chose que cette magnifique ombellifère, désignée aujourd'hui sous le nom Ae laserpitium siler , et apparte- nant à ce genre laserpitium K si voisin, par une foule de caractères, du genre ferula , et surtout du genre thapsia.

Cette belle plante, dont la tige atteint jusqu'à un mètre et demi de hauteur, dont les feuilles, d'un beau vert, s'étalent en touffes épais- ses et se divisent en folioles élégantes, dont les ombelles, étalées en trente et quarante rayons, portent un fruit oblong, légèrement ailé, fortement aromatique, croît dans plusieurs parties montagneuses du sud-est de la France. MM. Lecoq et Lamotte (1) la signalent, mais comme très-rare, dans les débris des rochers calcaires du dé- partement de la Lozère, comme plus commune aux environs de Mende et de Florae. Mais elle ne paraît pas s'avancer plus au nord dans cette direction, et le département de la Lozère semble être sa limite vers le centre de la France. M. Ch. Godet (2) l'indique comme très-répandue dans le Jura neuchâtelois jusqu'aux côtes du Doubs, mais nes'avançant pas jusqu'au Jura argovien et bâlois. Lamark (3) la désigne comme se trouvant dans les montagnes du Dauphiné et de la Provence. MM. Grenier et ¡Godron (4) la signalent dans les mêmes localités, et, de plus, dans les Pyrénées et au mont Colom- bier, dans le département de l'Ain. Elle est abondante, aux mois de juillet et d'août, dans plusieurs localités des environs de Grenoble, surtout sur le calcaire du massif de la grande Chartreuse, où elle croît dans les fentes des rochers. Elle couvre le sommet du mont Rachais, au-dessus de Grenoble, et c'est au milieu du laserpitium siler que l'on rencontre la tulipa sylvestris (Vili.), tulipa celsiana( Red.) et la viola mirabilis . Elle descend même au-dessous de la Bastille et des rampes de Chantemerle, surla route du Sappey. On la trouve égale- ment le long des rampes qui conduisent de Bernin à Saint-Pancrace et à la dent de Crolles ; dans les gorges d'Engins, sur la route de Sassenage à Villard-de-Lans; dans les bois de Chalais, en allant de l'ancienne Chartreuse, aujourd'hui la maison d'études des domini- cains , à cette croix d'où l'on jouit d'un panorama magnifique que tous les Grenoblois connaissent. Je l'ai trouvée, beaucoup plus bas, sur ces assises de néocomien supérieur que l'on côtoie, en suivant l'ancienne

(1) Catalogue raisonné des plantes vasculaires du plateau central de la France , 1848, in- 8°, p. 197. (2) Flore du Jura ; Neuchàtel et Berne, 1852, 1" partie, p. 288« (3) Botanique de V Encyclopédie méthodique , III, p. 426. (4) Flore française, t. 1er, p. 681.

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route de Sainte-Égrève au Fontanil, près des moulins de la Chance ; enfin, et en très-grande abondance, en descendant du sommet de la Pinéa, vers les villages de Quaix et de Proveysieux. Cette plante n'est pas spéciale aux parties de la France que je viens d'indiquer. De Candolle, dans son Prodrome (1), la désigne avec cette mention : In montanis Europx medix et australis. En effet, Allioni, dans son magnifique ouvrage sur la flore du Piémont (2), la signale comme commune dans les régions subalpines, principalement sur les lieux escarpés, dans les fentes de rochers : ad radices Alpium, prsecipue e rupium fissuris, lotis prœcipitibus , frequens prodit. Il est vrai que l'il- lustre botaniste piémontais ne désigne pas la plante qui nous oc- cupe sous le nom de laserpitium siler, que nous lui donnons maintenant, et qu'il en fait un genre distinct sous le nom de siler montamm , en faisant observer que le caractère générique des laser- pitium est d'avoir, à leurs graines, deux ailes dorsales et deux mar- ginales, tandis que la plante dont nous parlons a plusieurs ailes, mais très-petites, à peine visibles, et qui ressemblent plus à des stries qu'à des ailes : differì a laserpitio, dit Allioni, dorso non duas tantum sed plures alas ferente. Cette observation avait été faite déjà par G. Bauhin (3), qui range notre plante dans le genre ligus- ticum , sous le nom spécifique de siler montamm angustifolium , et par Tournefort, qui en fait un genre distinct (4). Là, au surplus, n'est pas la question ; il nous suffit de constater les localités euro- péennes signalées par Allioni pour la plante qui nous occupe, soit que, avec Bauhin, Tournefort, Allioni, on en fasse un genre sous le nom de siler montamm, soit que, avec les botanistes de nos jours, on n'en fasse qu'une espèce du genre laserpitium, sous le nom de laserpitium siler. Les localités jusqu'ici indiquées ne sont pas les seules. Le savant Suédois, M. Nyman, dont j'ai déjà parlé, indi- que (5) les contrées suivantes de l'Europe comme produisant cette plante : la Suisse, l'Autriche, la Styrie, la Carniole, le Tyrol, les mon- tagnes du Wurtemberg, les Pyrénées, le Jura, la Lozère, le Dauphiné, la Castille, la Galice, le royaume de Naples, la Sardaigne, la Dalmatie, les montagnes de la Grèce, et surtout Delphes, tout en distinguant le laserpitium du Dauphiné sous le nom de laserpitium montamm, et celui du royaume de Naples, sous le nom de laserpitium gargmicum.

(1) IV, 20Ã. (2) Flora Pedemontana , 3 vol. in-fol., August« Taurinorum, 1785, t. II , p. 12. (3) IlCvag theat. p. 162. (4) Elém* de Bot., edit, d« Joly clerc, 1797, t. IL p. 196. (5) Sylloge Flor, eûr p. 147.

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LE SILPHIUM DES ANCIENS. 343

La dernière localité signalée dans rémunération de M. Nyman est très -importante à remarquer. Delphes, c'est lß Parnasse. Or, dans un passage analysé plus haut, Pline nous a appris qn'on trouvait le silphium , ou, du moins, suivant lui, une des espèces de silphium , sur le mont Parnasse en Grèce. Théophraste (1) va beaucoup plus loin que Pline, et affirme positivement que le silphium du Parnasse était identique à celui de Cyrène, et cela peut s'expliquer facile- ment si l'on se rappelle que les Cyrénéens, pour honorer Apollon, avaient envoyé une tige de silphium à Delphes. Il est infiniment pro- bable que c'est de cette tige, apportée de Cyrène, que provenait le silphium qu'on trouvait sur le Parnasse, du temps de Théophraste et de Pline. Or, la présence actuelle du laserpitium siler, constatée par M. Nyman, sur le Parnasse, n'est-elle pas déjà une sorte de présomp- tion, d'induction, d'argument, à l'appui de l'opinion que j'ai émise, que le silphium des Grecs, le laserpitium des Romains, ne serait rien autre chose que notre laserpitium siler ?

Il y aurait bien aussi quelque argument à tirer de la transmission de ce nom de laserpitium , à travers le moyen âge, des naturalistes de l'antiquité aux botanistes de la Renaissance, frappés des carac- tères que présentent surtout les racines de cette plante produisant un suc, une gomme, une résine fortement aromatique. Mais il y a tant d'exemples de l'arbitraire des dénominations génériques et spécifiques données aux plantes, que je n'insiste pas sur ce point, quoique, dans le cas dont il s'agit, je croie la dénomination excel- lente, comme l'abbé Belley, du reste, en avait déjà fait la remarque dans le savant mémoire sur l'améthyste du cabinet du duc d'Or- léans dont j'ai précédemment parlé.

J'ai, à l'appui de ma thèse, des arguments beaucoup meilleurs. Les anciens, Pline surtout, ne nous ont donné que des descriptions tout à fait insuffisantes des plantes, du reste peu nombreuses, qu'ils connaissaient. Ce qui les préoccupait surtout, c'étaient les pro- priétés, plus ou moins réelles, plus ou moins merveilleuses, qu'ils leur attribuaient. Les botanistes modernes seuls, surtout depuis Linné et A. L. de Jussieu, ont étudié la physiologie végétale, et su décrire et classer les plantes diaprés les divers caractères que pré- sentent la racine, les feuilles, la fleur, le fruit. On ne peut pas espérer trouver quelque chose de semblable chez Théophraste, Dioscoride ou Pline. Cependant, sans être suffisantes, quelques-unes de leurs descriptions sont utiles et peuvent mettre sur la voie. C'est

(i) vi, 3.

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344 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. ainsi que Pline, dans un chapitre déjà plusieurs fois cité (1), nous dit que le silphium ou laserpitium avait de fortes et grosses racines ; que la tige en était férulacée ou d'une grosseur égale à celle des férules ; que ses feuilles ressemblaient beaucoup à celles de Vache (levisticum officinale, Koch?); que les graines en étaient foliacées; que les feuilles en tombaient tous les ans; enfin que la racine, dont la longueur allait jusqu'à une coudée, avait au-dessus de terre une tubérosité. Théophraste ajoute (2) que , si la tige et les feuilles périssaient chaque année, la racine, très-grosse et très-longue, d'un blanc jaunâtre à l'intérieur, et revêtue d'une écorce noire, était très-vivace. Sans doute, il s'en faut de beaucoup que cette descrip- tion soit complète ; mais, enfin, les traits que je viens de citer con- viennent singulièrement au laserpitium siler de nos contrées. J'ai sous les yeux, en écrivant ceci, trois pieds de laserpitium siler , l'un cueilli, le 5 août 1852, sur la montagne de Charmanson, au-dessus du couvent de la grande Chartreuse; le second, cueilli, au mois de juillet 1855, dans ces pittoresques gorges d'Engins, au-dessus de Sassenage, qui sont une des plus curieuses localités des environs de Grenoble; le troisième enfin, malheureusement trop avancé, que j'ai cueilli surtout pour la racine, le 29 octobre 1856, sur les ro- chers néocomiens du moulin de la Chance, entre Saint-Égrève et le Fontanil. Tous les traits signalés par Pline et Théophraste s'y remarquent d'une manière frappante : la grosse tige férulacée, les feuilles profondément divisées en folioles, les graines ailées (ce que Pline exprime sans doute par les mots semen foliaceum) ; les feuilles et les tiges desséchées sur l'échantillon cueilli pendant l'automne dernier; surtout les caractères, si remarquables, de la racine. Aucun des échantillons que je possède n'a une racine complète. La racine du laserpitium siler , profondément insérée dans les fissures des rochers, est très-difficile à arracher, et je ne puis affirmer si elle atteint parfois cette longueur d'une coudée (Om. 50) dont parle le naturaliste latin. Mais, enfin, celle que je possède, quoiqu'elle ne soit pas complète, suffit pour montrer les caractères essentiels : elle est ligneuse et vivace, tandis que les tiges et les feuilles tombent chaque année; elle est d'un blanc jaunâtre à l'intérieur, et revêtue d'une écorce noire , comme dit Théophraste ; elle est fortement aromatique, et, quand on la casse, elle laisse couler une gomme résineuse qui s'attache aux doigts; enfin, à la naissance des feuilles

(1) XIX, 15. (2) VI, 3.

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LE SILPHÏUM DES ANCIENS. 345

et des tiges, elle offre cette tuberosità signalée par Pline, un ren- flement, un bourrelet formé par les débris des tiges et des feuilles des années précédentes. La plus grosse des racines que je possède, et il en existe de beaucoup plus grosses encore, mesure une circon- férence moyenne de 7 à 8 centimètres, tandis que le bourrelet, à la naissance des feuilles, a une circonférence de 18 centimètres. Il me paraît difficile de rencontrer jamais une analogie, je n'ose dire en- core une identité, plus frappante, et ceci me suffit pour rejeter l'opi- nion de Pacho qui a cru retrouver le silphium dans une ombellifère de la Cyrénaïque, appelée derias par les Arabes, dont il a donné une description et une gravure reproduites, il y a deux ans, dans un arti- cle, malheureusement rempli d'erreurs, du Magasin pittoresque (1). Cette plante qui n'est, ce me semble, que ;la ferula tingitana ou la ferula ferulago, ne peut pas être le silphium , puisqu'elle a une racine fusiforme et charnue, tandis que celle du silphium, comme celle du laserpitium siler , était grosse et ligneuse.

L'analogie est également très-frappante lorsque l'on compare les propriétés du laserpitium siler et celles que les anciens attribuaient au silphium . J'ai analysé celles-ci plus haut, principalement d'après Pline, et elles ont été le sujet de deux dissertations médicales pu- bliées, en 1659, par deux membres de la Faculté de médecine de Paris, Philippe Douté et Bertin Dieuxivoie, dissertations indiquées par l'abbé Belley, mais qu'il m'a été impossible de me procurer. Quant aux propriétés du laserpitium siler , quoiqu'elles soient au- jourd'hui en partie oubliées ou négligées, elles paraissent nom- breuses, importantes, et elles ont été longtemps célèbres. Bauhin (2) signalait déjà cette plante comme un excellent purgatif. Suivant Lamarck (3), le laserpitium siler est une plante incisive, stoma- chique, diurétique et emménagogue, et Lamarck ajoute que l'on se servait, pour ces divers usages, des feuilles et de la racine, et que celle-ci est fort amère. MM. Decaisne et Lemaout, dans leur Flore élémentaire des jardins et des champs (4), disent que les racines et les fruits de cette plante sont aromatiques et stimulants. Notre illustre botaniste Villars, qui était en même temps un praticien fort distin- gué, est beaucoup plus explicite (5) : « Le laserpitium siler , dit-il, a h une racine très- amère; elle surpasse tous les amers indigènes.

(I) 1855, p. 311. (2) ïlivaS th. bot., p. 161. (3) Bot., Ill, p. 426. (4) 2 vol. in-12, 1855, t. 1er, p. 373. (5) Histoire des plantes du Dauphiné , II, p. 627.

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346 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. « On devrait en faire usage pour les fièvres, les cachexies, les « défauts d'appétit, les défauts des règles, etc. J'en ai fait usage « dans la vue de rétablir l'estomac en plusieurs cas, et mes malades « s'en sont assez bien trouvés. Je la fais infuser dans du vin pour « pallier son amertume qui est insupportable. » Rappelons-nous que Pline parle également du mélange du silphium avec diverses substances et notamment avec du vin, et nous saisirons encore ici un rapprochement qui a quelque importance.

La Pharmacopée universelle (1) n'indique pas de nombreux emplois du laserpitium ou laser , comme elle l'appelle en lui donnant son nom vulgaire. Cependant elle dit que les semences de cette plante ont une odeur agréable et aromatique, une saveur âcre, aromatique et amère, et que la plante elle-même est un excitant et un tonique. Mais l'illustre botaniste piémontais, Allioni, nous donne sur les pro- priétés et l'emploi du laserpitium siler , ou, comme il l'appelle, du siler montanum , des détails infiniment plus nombreux et très-impor- tants à recueillir. « La racine de cette plante, dit Allioni (2), produit, par incision, un suc résineux, aromatique, abondant. La plante entière, qui est fortement odorante et aromatique, renferme un principe actif, semblable, mais en moindre abondance. » Il ajoute que la racine, étant broyée, produit une odeur d'ail ou d'oignon (scillagogum) ; que l'on a coutume, en Italie, de l'employer dans la composition du sirop de peucedanum , où, quoiqu'il entre beaucoup d'autres plantes émollientes et pectorales, la plus grande partie est tirée de la racine du siler montanum , qui n'est autre chose, nous le savons , que notre laserpitium siler . Il paraît, toujours d'après Al- lioni, que ce sirop était très-employé en Italie dans les maladies de poitrine, et considéré comme très-utile aux phthisiques, surtout dans les abcès et les congestions formées dans le poumon par la pituite, pourvu qu'il n'y eût pas toux provenant d'une humeur âcre ou produisant de l'irritation. On le considérait, enfin, comme un diurétique excellent, et comme très-bon pour la goutte, surtout lorsque celle-ci remonte vers le poumon. Dans tous ces cas, on employait ce sirop en le prenant par cuillerées, de maniéré à en prendre deux onces, trois au plus, dans vingt-quatre heures, ce qu' Allioni exprime par le singulier mot intra nycthemerum. Nous ne sommes pas compétent pour juger de la valeur de ce remède, et nous ne savons pas si les médecins italiens continuent de l'em-

(1) I, p. 703. (2) Flor . pedem., II, p. 12.

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LE SILPHIUM DES ANCIENS. 347

ployer. Nous sommes obligé de reconnaître que le sirop de pence- danum officinale, employé aujourd'hui en France (1), se compose, avec la racine d e peucedanum, de feuilles de véronique et de tussi- lage, de miel blanc et de réglisse, et ne contient pas de laserpitium siler. Mais, enfin, le témoignage d'Allioni vient s'ajouter a ceux de Bauhin, de Lamarck et de Villars, pour nous prouver que, au der- nier siècle encore, on attribuait au laserpitmm siler plusieurs des propriétés que Pline attribuait au silphium .

Ainsi, l'identité du nom, celle de quelques stations, la ressem- blance, sinon l'identité absolue des caractères physiologiques, celle des propriétés médicinales, tout semble se réunir pour nous faire admettre que le silphium des Grecs, le laserpitium des Romains, n'est rien autre chose que le laserpitium siler des botanistes mo- dernes. Je prévois cependant les objections que l'on peut faire contre cette conclusion. On peut dire ďabord : si le silphium des anciens n'est autre chose que le laserpitium siler , plante très- répandue dans l'Europe méridionale , comment se ÉaiWI que les anciens, qui attachaient au silphium un si grand prix, n'aient pas su que cette plante existait en Espagne et dans le midi de la Gaule ? A cela je répondrai, en premier lieu, que la valeur du silphium te- nait surtout à la préparation du suc gommeux extrait de sa racine, et que cette préparation était un secret soigneusement gardé par les Cyrénéens. Car, évidemment, les quelques mots qu'en dit Pline sont tellement vagues et insuffisants, qu'ils ne nous apprennent, pour fùnsi dire, rien à cet égard. Combien de produits dont les diverses nations de l'Europe sont tributaires, et dont il leur serait possible de s'affranchir, si elles connaissaient les procédés de fabrication, et surtout si elles pouvaient trouver au milieu d'elles des ouvriers habiles, moins encore par la théorie que par la pratique, que rien ne peut suppléer? En second lieu, les connaissances des anciens en botanique étaient singulièrement restreintes. Dans le savant ou- vrage que M. Münk a consacré à l'histoire et à la description de la Palestine (2), il a calculé que la Bible ne mentionne que deux cent cinquante espèces de plantes. De même, dans ce tableau si précieux de la Flore européenne que j'ai cité plusieurs fois, M. Nyman cal- cule que le nombre des plantes vasculaires de l'Europe connues en 1855 est de 1115 genres et de 9738 espèces. Sur ce nombre Pline n'en a pas connu 600. Sans aucun doute, 4u moins j'en suis

(1) Pharmacopée univ II, p. 256. (2) Univ.pitt ., p. 17, note.

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348 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

convaincu, Pline a vu la plante qui nous occupe ; mais il n'en a pas connu les diverses stations, et il Ta crue exclusivement africaine, tandis qu'elle est essentiellement européenne. C'est que cette plante est surtout une plante des régions alpines ; or Pline n'a connu presque aucune de nos plantes véritablement alpines. On cherche- rait inutilement, dans sa volumineuse encyclopédie , la moindre mention du cypripedium calceolus, des pyrola chlorantha et uniflora , du rhododendron ferrugineum , de la ranunculus glacialis , du myosotis nana , de Y artemisia spicata, du polygala chamœbuxus , du streptopus amplexifolius , du senecio incanus, e n un mot des plantes rares, curieuses, véritablement spéciales et intéressantes de nos Alpes de la Savoie et du Dauphiné. Les Romains, au premier siècle de notre ère, avaient encore mieux à faire dans nos Alpes que d'y herbo- riser. Que Pline ait ignoré l'existence, dans les régions alpines et subalpines, de ce laserpitium auquel il attachait tant de prix, il y a d'autant moins lieu de s'en étonner que ce que Pline lui-même a dit du silphium , savoir qu'il aime les déserts et fuit les lieux cul- tivés, est parfaitement vrai encore de notre laserpitium siler y qui ne se trouve que dans les parties les plus sauvages et les plus rocail- leuses de nos montagnes. Les Romains n'avaient guère eu le temps ni l'occasion d'aller le chercher là. Il n'y a rien de plus étrange dans cette ignorance que dans celle d'Athénée , qui affirme que Y origan ne vient que dans l'île de Ténédos (1), tandis que Y origanum vulgare est une des plantes les plus communes de nos pays, ou dans celle de Pline, énumérant , avec des détails merveilleux , deux plantes, très - communes en France, mais qu'il considère comme spéciales à l'île de Lesbos, Y evony mus europeus et Yeryngium campestre (2). Qu'est- il besoin d'ajouter, pour justifier et expliquer l'ignorance el le silence de Pline, que le massif de la grande Char- treuse , où le laserpitium siler est si commun , n'était qu'une im- pénétrable forêt avant que saint Hugues, à la fin du XIe siècle, eût livré ce désert, pour le défricher et le cultiver, à saint Rruno et à ses pieux disciples?

Une objection, en apparence au moins, bien plus sérieuse et bien plus grave, est celle-ci : le laserpitium siler , plante de l'Europe méridionale, est-il également une plante africaine? Je n'hésite pas un instant à reconnaître qu'il n'est pas signalé dans les régences d'Alger et de Tunis par Desfontaines. Il ne paraît pas non plus avoir

(I) Deipnos., I, 22. (2) Plin., XIII, 38, el XXII, 9.

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LE SILPHIUM DES ANCIENS. 349

été trouvé en Algérie par M. Munby, dont j'ai déjà parlé, par M. Cosson, qui a fait dans notre colonie quatre voyages d'explo- ration botanique, dont il rend compte dans le Bulletin de la So- ciété de botanique (1), ni enfin par notre concitoyen M. le docteur Reboud, dont le zèle, les études et les découvertes en histoire na- turelle ont été, l'année dernière, l'objet de récompenses décernées par le gouvernement et par l'Institut. Parmi les douze espèces de laserpitium que Lamarck a décrites, une seule, le laserpitium poly- gonum, qui même, comme il l'avoue, se rapproche beaucoup plus des genres selimm et œnanthe que du genre laserpitium , est signalée par lui comme croissant sur les côtes de Barbarie. De même, parmi les vingt espèces décrites par de Candolle, une seule, le laserpitium gummiferum, est indiquée, d'après Desfontaines, comme se trouvant en Mauritanie, c'est-à-dire dans le Maroc ; une autre, le laserpitium capense , comme originaire du cap de Bonne-Espé- rance. M. Munby (2) indique en Algérie, d'après Desfontaines et aussi d'après ses propres explorations, cinq espèces de laserpitium, et le laserpitium siler n'y figure pas. Mais conclurons-nous de là que le laserpitium siler est exclusivement européen, qu'il ne croît pas en Afrique, et,, par conséquent, qu'il ne peut pas être le silphium des anciens? Qu'il ne croisse pas dans le Maroc, en Algérie, dans la régence de Tunis, le silence des botanistes dont je viens de parler le prouve, mais cela ne prouve rien contre notre thèse. Au con- traire même , la présence et l'abondance du laserpitium siler dans les autres parties de l'Afrique septentrionale seraient, contre notre opinion, un argument aussi puissant que celui que nous avons em- ployé contre l'assimilation que plusieurs savants avaient voulu établir entre le silphium et la thapsia gargantea. En effet, le silphium était particulier à la Cyrénaïque, du moins dans le nord de l'Afrique ; Hérodote, Strabon, Pline l'attestent également. Donc le silphium ne peut pas être la thapsia garganica qui est répandue dans toute l'Afrique septentrionale ; donc, réciproquement, l'absence du laserpitium siler des autres contrées de l'Afrique du nord est une présomption plutôt favorable que contraire à notre opinion. La flore de la Cyrénaïque doit bien, en effet, présenter de très-grandes différences avec celle des autres parties de l'Afrique, quand on songe que les frontières extrêmes de la Cyrénaïque , vers l'est, sont à 1000 kilomètres de distance de la régence de Tunis ; que, d'Alger

(1) Voir le n° de juillet 1856. (2) Flore de V Algérie , p. 30.

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350 REVOE ARCHÉOLOGIQUE. aux ruines de Cyrène, il y a une distance de vingt degrés de lon- gitude , söit 20Ö0 kilomètres ; enfin , que lés ruine» de Cyrène sont à quatre degrés plus au midi qu'Alger. De telles différences changent complètement les conditions de la végétation ; aussi Desfontaines a-t-il eu raison de dire qu'il y a bien des plantes à découvrir dans le Maroc et la Cyrénaïque (la régence de Tripoli) qu'il n'a pas visités : Multimi abest quin omnes plantas atlanticas ediderim . Plurimse adhuc supersunt detegendx, in regióme septentrional/ , prxsertìmque in regnq Tripolitano et Marocano qux non peragravi (1).

Il n'est donc pas du tout impossible que le laserpitium siler, qui ne paraît se trouver ni dans l'Algérie ni dans la régence de Tunis, se trouve dans les provinces de Barcah, de Derné et de Benghasi, qui correspondent à l'ancienne Cyrénaïque. Malheureusement, l'état actuel de nos connaissances dans la flore de ces contrées ne nous permet pas plus de le nier que de l'affirmer. La plupart des voya- geurs qui ont jusqu'ici parcouru ces contrées, je l'ai dit en com- mençant, et nous n'en avons eu que trop de preuves, étaient plus antiquaires que naturalistes. Leurs études et leurs recherches ont été très-utiles pour les arts, pour l'archéologie, pour l'histoire et la géographie comparée ; mais ils n'ont pas fait faire un pas à nos connaissances dans la botanique de ces pays. Je ne puis, en effet, considérer comme une découverte la tkapsia envoyée par Della Cella à Viviani, puisqu'elle n'est rien autre chose, nous l'avons vu, que la plante connue de Linné et de Desfontaines sous le nom de thapsia gargantea, qui croît dans beaucoup d'autres parties de l'Afrique, et qui ne peut pas être le silphium. le suis bien tenté de croire que la plante vue par Pacho et les frères Beechey, cette plante qui effrayait tant les -conducteurs de chameaux, et que le capitaine Smyth envoya dans le Devonshire, n'est également rien de nouveau. Je Crois bien que ce n'est rien autre chose que la ferula ferulago de Linné, plante que de Candolle (2) indique circa mare tneäiterraneum, c'est-à-dire en Afrique et au midi de l'Europe; que MM. Grenier et Godron (3) indiquent, en effet, à Grasse et à Fréjus ; que M. Ny- man (4) signale, en outre, dans la Bétique, en Sicile, en Crète, dans le Péloponnèse. Ce qui me le fait croire, c'est «ne observation cu- rieuse de M. Munby (6). 11 paraît que les Arabes de l'Algérie, qui

(1) Flora atlant . f à la fia de la préface. (2) Prodr. , IV, 171. (3) Flore fr., I, 693. (4) Sylloge , etc. , p. 150. (5) Flore de V Algérie, p. 30.

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LB SILVHIUM DES ANCIENS. 351

appellent cette plante besbas harami ou fenouil bâtard, et qui s'en servent pour faire des tabourets, des cages, des paniers, des ruches à miel, croient aussi, comme les Arabes de la Cyrénaïque, que les feuilles de cette plante empoisonnent les bestiaux. C'est un préjugé sans fondement, quoique des savants l'aient fortifié, puisque, comme le remarque M. Munby, les chèvres et les mulets des Européens établis en Algérie mangent très- volontiers et impunément les feuilles de celte ombellifère. Et, cependant, c'est ce préjugé, sans aucun fondement, des Arabes de la Cyrénaïque, qui a seul décidé les frères Beechey à retrouver le silphium des anciens dans cette plante, qui n'est que la ferula ferulago, commune en Algérie comme dans la Cyrénaïque. N'avons-nous pas apporté des raisons plus nombreuses et plus solides pour identifier le silphium des Grecs, le laserpitium des Romains, avec notre laserpitium, siler?

Je ne donne, cependant, encore cette conclusion que sous toutes réserves. Il faut, pour que la démonstration soit complète et sans réplique, que les botanistes aient étudié la plante envoyée dans le Devonshire par le capitaine Smyth, et qu'ils aient vérifié si elle dif- fère de la ferula ferulago et de la tkapsia garganica, et si elle forme une espèce nouvelle. Il faut, surtout, que les voyageurs dans la Cyré- naïque aient étudié sérieusement, scientifiquement, la flore de ces contrées et en aient dressé au moins un catalogue raisonné. C'est un vœu que formait déjà l'abbé Belley, à une époque où les com- munications n'élaient pas aussi faciles qu'elles le sont aujourd'hui, et où la botanique n'était pas aussi avancée qu'elle l'est de nos jours. Si, comme tout nous le fait présumer, les voyageurs botanistes dé- couvrent dans la Cyrénaïque quelques pieds de laserpitium siler , la question sera résolue. Seulement, en admettant que la plante, si célèbre dans l'antiquité sous le nom de silphium , et que nous croyons être le laserpitium siler , n'ait pas été complètement détruite par suite des diverses causes indiquées par Sirabon, Pline et Solin, les voya- geurs ne devront la chercher ni sur les côtes, où les frères Beechey et Pacho ont cru à tort la rencontrer, et où elle n'a probablement jamais existé, ni dans la plaine, mais bien dans la partie monta- gneuse, vers le désert, comme Pline en indique très-positivement les stations. Dans nos contrées, le laserpitium siler se trouve à une hauteur moyenne de 40Ö à 700 mètres, sur les roches calcaires et

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352 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. non sur les roches granitiques, à l'exposition du midi. En tenant compte de la différence considérable de latitude entre le midi de la France et le nord de l'Afrique, ce serait sur les montagnes calcaires de la Cyrénaïque, à l'exposition du nord, que la même plante de- vrait se retrouver, età une hauteur moyenne de 1000 à 1200 mètres. Quoique, comme l'avoue Balbi (1), l'orographie de l'Afrique n'offre encore que des doutes et des hypothèses, il est présumable, cepen- dant, que les derniers contre-forts de l'Atlas qui vont expirer, en tra- versant, dans deux directions, les États de Tripoli, dépassent de beaucoup cette hauteur, puisque les frères Beechey nous apprennent que les ruines de Cyrène (ou Grennah) sont à 1800 pieds (600 mètres) au-dessus du niveau de la mer, et que Mannert (2) nous représente le terrain de la Cyrénaïque s'étageant, du nord au midi, en terrasses de plus en plus élevées, jusqu'à des montagnes qui atteignent une hauteur considérable. Lors même que le travail, queje termine en ce moment, n'aurait pas d'autre résultat que d'appeler sur ce point l'attention des voyageurs et des botanistes, et de fournir quelques éléments utiles et quelques renseignements précis pour la solution d'un problème d'histoire naturelle, je ne le croirais pas complète- ment inutile (3).

Peut-être aussi, et c'est encore une de mes espérances, ce travail aura-t-il une autre utilité. Si, comme je le crois de plus en plus, le silphium des anciens n'est rien autre chose que le laserpitium siler des botanistes modernes, nous possédons, au milieu de nous, une res- source précieuse dont on pourrait tirer parti. Je n'oserais certaine- ment pas affirmer qu'il ait toutes les merveilleuses propriétés que Pline attribue au silphium ; mais des personnes, très-compétentes et très-sérieuses, qui ont longtemps habité le massif de la grande Chartreuse, m'ont affirmé que les vaches et les moutons mangeaient avec avidité les tiges et les feuilles naissantes des diverses espèces de laserpitium qui y croissent en abondance ( L . siler, L. gallicum , L. lati -

folium) (4). N'y aurait-il pas là un fourrage, assuré, sain et abon-

(1) Âbr. de Géog 3* édit., p. 827. (2) Géogr . des États barbaresques. - Trad, de MM. Marcus et Duesberg, p. 59. (3) C'est à ce titre aussi qu'est utile le curieux ouvrage que vient de publier

M. J. B. du Molin, sous le titre de Flore poétique ancienne , ou études snr les plantes les plus difficiles à reconnaître des poètes anciens , grecs et latins . N'ayant pu me le procurer encore , je ne sais si l'auteur s'est occupé dans son ouvrage du silphium des anciens, mais je ne l'ai pas vu mentionné dans l'analyse que je viens de lire dans le Bulletin de la Société botanique (juin 1857, t. IV, p. 250). (4) Au moment où je corrige ces epreuves , j'ai pu verifier par moi-meme cette

affirmation. Je viens, dans une excursion faite, le 14 juillet, au couvent de Cha-

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LE SILPHICM DES ANCIENS. 353

dant?En tout cas, il est fâcheux, peut-être, qu'on ait négligé les res- sources que sa racine surtout offre à l'art médical, ressources attes- tées, nous l'avons vu, par Bauhin, Lamarck, Villars, Allioni, et dont s'était préoccupé, dans les dernières années de sa vie, notre regret- table concitoyen, le docteur Albin Gras, dont l'activité d'esprit était infatigable. Peut-être enfin, et c'est encore une analogie de plus avec le silphium des anciens, serait-il facile d'extraire de la racine, de la tige, des feuilles et du fruit du laserpitium siler une essence utile. La tige que j'ai cueillie, le 29 octobre dernier, étant restée à l'air libre, exhale un parfum doux et agréable qui peut faire présumer que cette plante renferme une huile essentielle. Ce serait à l'analyse de l'en extraire, et je me permets encore d'appeler sur ce point l'attention des chimistes. Si le laserpitium siler était ainsi utilisé, l'extraction de ses racines deviendrait une ressource pour les habi- tants de plusieurs parties de nos montagnes. Déjà ils savent tirer parti, pour la pharmacie et l'herboristerie, de beaucoup des plantes rares et précieuses que la nature produit chez eux. C'est ainsi que tous les voyageurs et les botanistes, qui ont été visiter les belles et parfumées prairies du Lautaret dans l'Oisans, ont pu voir une foule de femmes et d'enfants cueillir les fleurs de l'arnica montana, les feuilles et les fleurs de la veronica Allionii. C'est ainsi que j'ai vu les pâtres des montagnes de Champrousse, du lac Robert et de la cas- cade des Orcières, ceux de la partie supérieure de la charmante vallée d'Autrans vers le pic de Naves et le pas de la Clé, arracher et faire sécher, pour la vendre aux pharmaciens et aux droguistes de Grenoble et de Lyon, la racine de la gentiana lutea. La racine du laserpitium siler, qui semble jouir de propriétés analogues, plus di- verses et plus nombreuses encore, offrirait des ressources sem- blables aux habitants de plusieurs de nos montagnes.

Enfin, j'ai essayé, sinon de résoudre, du moins d'éclaircir une question d'érudition qui, depuis la renaissance des lettres, a beau- coup embarrassé et divisé les commentateurs de Théophraste, de Pline, d'Aristophane, de Plaute, d'Hérodote, de Strabon, de Dios- coride. Les nuages, dont cette question, et plusieurs questions ana- logues que soulèvent la lecture et l'interprétation des auteurs de l'antiquité, sont environnées, tiennent (me permettra-t-on de le dire en terminant ?) à ce que les littérateurs, les philologues, les hel-

lais , de voir une multitude de pieds de laserpitium siler , dont les feuilles et les tiges florales avaient été récemment broutées. Du reste , j'y ai trouvé cette belle ombellifère dans un magnifique état de floraison et de fructification naissante ¿ les graines qui commencent à se former ont un arome exquis.

XIV 23

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354 Uli VUE ARCHÉOLOGIOUE .

lénistes, ne connaissent pas assez les sciences naturelles ; ̂ ce que, réciproquement, les naturalistes et les savants 4e profession ne se préoccupent pas assez ďéclairer et de compléter leurs observations et leurs découvertes avec Faide des lumières que les écrivains grecs et latins peuvent leur offrir. Cette séparation, cet isolement, ce di- vorce entre les hommes ďétude, sont, à tous égards, déplorables, et il est urgent de tout faire pour y mettre un terme. Ce serait une science bien orgueilleuse et bien mesquine que celle qui s'imagine- rait qu'elle ne date que d'hier, et qu'elle n'a ni histoire, ni racines dans le passé. Toute science, quelle qu'elle soit, a eu des aïeux, qu'elle ne doit pas plus méconnaître que surfaire, mais dont elle doit étudier les œuvres. Pour cela, la connaissance des langues et des littératures de l'antiquité est indispensable, et, par conséquent, il serait profondément honteux et déplorable que les médecins, les géologues, les chimistes, les botanistes, qui, toute leur vie, seront condamnés à parler grec et latin, n'eussent pas l'intelligence des langues dont se servent les sciences mêmes qu'ils étudient, ni la possibilité de lire et de comprendre les auteurs qui ont été les pères et les premiers fondateurs de ces sciences. Ce serait rompre avec toutes les traditions des sciences naturelles et médicales depuis le XVIe siècle. Les Guy-Patin, les Boërhave, les Linné, ont été à la fois des savants éminents et des littérateurs distingués et spirituels ; et, de nos jours, ne voyons-nous pas leurs exemples honorablement imités par les Biot, les Flourens, les Littré, les Daremberg? Dans l'intérêt réciproque des sciences proprement dites et de la littéra- ture, fortifions cet accord au lieu de le laisser s'affaiblir, et per- suadons-nous bien que, si, de nos jours plus que jamais, au milieu des merveilles que les sciences font éclore sous nos yeux, il importe que les littérateurs de profession soient un peu chimistes, géologues et naturalistes, il n'importe pas moins que les savants de pro- fession aient reçu une forte, une solide, une profonde éducation littéraire.

Antonin Macé, Professeur à la Faculté des lettres de Grenoble.

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