Upload
others
View
1
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Les origines de la langue japonaise Thomas Pellardcrlao (cnrs, ehess, inalco)[email protected] janvier 2019, Université de Strasbourg
Le japonais parmi les langues du monde
[1] Japon· 6 852 îles, dont 418 habitées· 377 961 km² (62e, > Allemagne, Finlande, Italie)· 126,9 millions d’hab. (10e)
[2] Le japonais et la famille des langues « japoniques »· japonais = ensemble de dialectes intercompréhensiblesde proche en proche
· premiers textes au viiie s. de notre ère· langues ryukyu et hachijō : langues en danger, tradi-tionnellement considérées comme des dialectes
· parenté avec d’autres langues reste controversée malgréde nombreuses hypothèses (parfois fantaisistes)
AmamiOkinawa
MiyakoYaeyamaYonaguni
JaponHachijō
110˚ 120˚ 130˚ 140˚ 150˚20˚
30˚
40˚
km
0 500
La linguistique historique et comparative et le problèmede la parenté des langues
[3] Reconstruire la préhistoire des langues· philologie : étude des textes anciens· méthode comparative : comparaison des langues etdes dialectes d’une même famille
· reconstruction interne : démêler les changements quiont produit des irrégularités dans une langue
· étude des emprunts anciens· géographie linguistique : distribution spatiale deslangues et des traits linguistiques
· archéologie et anthropologie : peuvent fournir despistes intéressantes ou poser des problèmes à explorer
[4] Familles de langues· ensembles de langues < d’un ancêtre commun
· indo-européen : lgs italiques, germaniques, cel-tiques, balto-slaves, indo-iraniennes, grec, armé-nien…
· afro-asiatique : lgs sémitiques (arabe, hébreu, ak-kadien…), lgs berbères, égyptien…
· ouralien : finnois, estonien, hongrois…· niger-congo : lgs bantoues, mandées…· austronésien : lgs de Malaisie-Indonésie et d’Océa-nie, malgache, thaï
· sino-tibétain : chinois, tibétain, birman· austro-asiatique : vietnamien, khmer, munda…· na-dené : lgs athabasques, tlingit, eyak
· démontrées sur la base de correspondances dans lelexique et les formes grammaticales
· certaines langues restent sans parent connu (isolats) :basque, aïnou, sumérien, étrusque…
· une classification n’est pas tellement un but en soimais une hypothèse sur l’évolution linguistique d’ungroupe de langues visant à expliquer des faits linguis-tiques
[5] Ressemblances entre langues : explications possibles· hasard : ressemblance accidentelle· tendances universelles : mots enfantins, onomatopées,etc.
· contact : emprunt de mots et de formes, influence· parenté : divergence depuis une origine commune
1
Les origines de la langue japonaise 30 janvier 2019
[6] Ressemblances accidentelles : langues non apparentées· mbabaram dog (< *gudaga) ≠ ang. dog· malais mata ≠ grec máti· chi. yú (< *r.ŋa) ≠ oki. jʼu (= jp. iwo > uo) « poisson »· hongr. sótaran ≠ jp. shio taran « non (assez) salé »
[7] Ressemblances accidentelles : langues apparentées· fr. avoir (< habēre < *gʰeHb-) ≠ ang. have (< *keh₂p-)· fr. feu (< focum < *dʰegʷʰ- ?) ≠ ang. fire (< *péh₂wr)· lat. deus (< *deywós) ≠ gr. anc. θεός theós (< *dʰéh₁s)
[8] Formes peu ressemblantes mais apparentées· lat. fr.aquam > eauaquārium > évier
lat. fr.avicellus > oiseaudominiarium > danger
· jp. méd. jp. mod.wepamu > yoō « enivrons-nous »tepu > chō « papillon »
· fr. ang.bœuf = cownous = usvenir = come
fr. ang.quoi = whatfond = bottomongle = nail
· ōgami jp.fks = kuchi « bouche »psː = hi « jour »piː = yoi « s’enivrer »
· yonaguni jap.suː = kyō « aujourd’hui »dwaŋ = yowai « faible »tsʼuː = kuso « excréments »
[9] Éliminer le hasard et les universaux· comparer des associations forme-sens et non des struc-tures grammaticales ou des traits typologiques :
· pratiquement la moitié des langues du monde ontl’ordre des mots sov, l’autre svo
· tandis que peu ont un converbe en -i-te (jp.) ouun accusatif en -m (latin, sanskrit, etc.)
· comparer des systèmes (conjugaisons ou déclinaisonsentières) plutôt que de formes isolées : peu probablede trouver par hasard des langues qui partagent lesformes conjuguées d’un verbe« être » skt grec latin gotique v. slav.
sg. 1 ásmi eimí (εἰμί) sum im jesmĭ2 ási eî (εἶ) es is jesi3 ásti estí (ἐστί) est ist jestŭ
pl. 1 smás esmén (ἐσμέν) sumus sijum jesmŭ2 sthá esté (ἐστέ) estis sijuþ jeste3 sánti eisí (εἰσί) sunt sind sǫtŭ
· correspondances récurrentes et régulières
[10] Correspondances régulières· fr. p- = ang. f-père = fatherpied = footpeu = few
fr. p- = ang. f-pour = forpoisson = fishpeau = film
· jp. kus- = onotsu s- = ōgami ff- = yonaguni tsʼ-kusa = sa = ffa = tsʼaːkusuri = sui = ffuɯ = tsʼuikuso = su = ffu = tsʼuː
[11] Correspondances régulières dans les empruntschin. -ang = jp. -ō (< au) = cor. -ang = viet. -ương王 wáng = ō = wang = vương方 fāng = hō = pang = phương量 liáng = ryō = (l)yang = lương
[12] Éliminer le contact· mots culturels s’empruntent facilement :
· ang. knife ⇒ jp. naifu· fr. bougette « bourse » ⇒ ang. budget ⇒ fr. budget
· vocabulaire de base plus stable : parties du corps,objets et phénomènes naturels, numéraux, etc.
· formes grammaticales (conjugaison, déclinaison) moinsfacilement empruntées que les mots
· l’emprunt de paradigmes entiers et de formes irrégu-lières est rarissime
[13] La meilleure preuve de parenté· quand la comparaison permet d’expliquer les langues· en v.ang. alternance þ ([θ], [ð]) ~ d ([d]) dans leprétérit de « devenir » : 1/3sg. wearþ ~ pl. wurd-on
· < la loi de Verner : syllabe accentuée précédant laconsonne → þ, suivant la consonne → d
« devenir 1sg » « devenir 1pl »v. angl. wearþ ≠ wurd-onsanskrit va-vár ta va-vr t imá
cf. « frère » « père »v. angl. brōþor ≠ fædersanskrit bhratar pi tár
[14] Le numéral « un » en japonais· racine hito- < pi1to2-· Makura no sōshi (1001) : fite-tu kuruma “un attelage”(186) au lieu de fito-tu kuruma
· la comparaison avec les autres langues japoniquesmontre que l’alternance o ~ e est en fait originellenakijin tɕu- tˀiː-tɕihirara pɿtu- pɿti-tsɿhachijo to- te-tsu
2
Les origines de la langue japonaise 30 janvier 2019
Origines de la langue japonaise
coréen
nivkhe
aïnou
tchouktche-kamtchadale
youkaghir
sino-tibétain
austronésien
mongolique
toungouse
toungouse
turcique
austroasiatique
eskimo-aléoute
japonique
[15] L’hypothèse « ouralo-altaïque »· hypothèse totalement abandonnée· ressemblances purement superficielles avec le japo-nais : absence de r- à l’initiale, absence d’article, ab-sence de genre, morphologie agglutinante, postposi-tions, ordre modifieur-modifié, etc.
[16] L’hypothèse « altaïque »· langues turciques, mongoliques, toungouses(+ coréaniques et japoniques)
· emprunts lexicaux, peu de morphologie commune· hypothèse aujourd’hui minoritaire car stérile
[17] Liens avec l’austronésien· austronésien parlé dans des régions proches du Japon· de l’île de Pâques à Madagascar· mais aucune trace archéologique (sauf au Sud desRyukyu) ni anthropologique au Japon
· quelques mots vaguement ressemblants
[18] Liens avec l’aïnou· langues en contact mais typologiquement différentes· ressemblances limitées à quelques empruntsaïnou japonaistunakay ⇒ tonakai « renne »kani ⇐ kane «métal »tuki ⇐ tsuki (< tuki) « coupe »
[19] L’hypothèse coréenne· peu ou pas de morphologie commune· problème des emprunts
tjəl (< *t( j)er) ⇒ tera « temple »pùthjə (< ?*putɨk( j)e) ⇒ hotoke (< poto2ke2) « Bouddha »pàth (< ?*patʌk) ⇒ hatake (< patake2) « champ »ǒj (< *òrí) ⇒ uri (< *ori) « courge »
[20]Que pourrait expliquer une lg apparentée au japonais ?· les verbes irréguliers : « venir » ko₂ ~ ki₁ ~ ku, « faire »se ~ si ~ su
· alternances vocaliques dans les composés : « pluie »ama- ~ ame₂, « arbre » ko₂- ~ ki₂, « lune » tuku- ~tuki₂
· morphologie irrégulière : suffixe de passé -ki₁ ~ -si· origine des tons
[21] Archéologie-14 500–950 av. jc : cultures Jōmon, chasse et cueillette,
horticulture (millets, noix, haricots…), céramique-950–+300 : culture Yayoi, migrations depuis la péninsule
coréenne introduisant l’agriculture du riz et la métal-lurgie, développement de chefferies
300–700 : culture Kofun, tombes monumentales, forma-tions étatiques hiérarchisées
[22] Anthropologie· Japonais < mélange entre les Jōmons et les Yayois· Aïnous < Jōmons, avec un apport génétique des po-pulations de la Sibérie, puis des Japonais
· populations les plus proches génétiquement des Japo-nais sont les Coréens puis les Chinois du Nord
· pas de lien particulier avec les Austronésiens· Jōmons ont divergé des Asiatiques de l’Est très tôt
[23] Mots attestés dans les toponymes de Koguryŏ (757)transcr. chin. jp. anc.
« trois » 密 mit mi₁« bouche » 古次 kuX tshijH kuti« vallée » 旦 tanH tani
[24] Scénario probable· l’ancêtre des langues japoniques est sans doute arrivéde la péninsule avec les agriculteurs du riz de Yayoi
· les parents du japonique restés sur la péninsule ontété peu à peu remplacés par le coréen < Nord
· le japonais et les langues ryukyu se sont séparés durantles 1ers siècles de notre ère (période Kofun)
· le japonais a remplacé dans l’archipel principal lesautres langues japoniques et les langues pré-existantesdes peuples Jōmon, sauf l’aïnou
3
Les origines de la langue japonaise 30 janvier 2019
Bibliographie sommaire
Linguistique historique et comparative générale
Campbell, Lyle & Poser, William J. 2008. Language classifi-cation : History and method. Cambridge : Cambridge Uni-versity Press. https://doi.org/10.1017/CBO9780511486906.
Hock, Hans. 1991. Principles of historical linguistics. Ber-lin : Mouton de Gruyter. https : / / doi . org / 10 . 1515 /9783110219135.
Meillet, Antoine. 1925. La méthode comparative en linguis-tique historique. Oslo : H. Aschehoug, Otto Harrassowitz& Honoré Champion. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k934150p.
Linguistique historique et comparative japonique
Frellesvig, Bjarke. 2010. A history of the Japanese language.Cambridge : Cambridge University Press. https://doi.org/10.1017/CBO9780511778322.
Georg, Stefan. 2003. Japanese, the Altaic theory, and thelimits of language classification. In Vovin, Alexander (アレキサンダー・ボビン) & Osada, Toshiki (長田俊樹) (éds.),Nihongo keitōron no genzai (日本語系統論の現在), 429–449. Kyoto : International Research Center for JapaneseStudies. https://doi.org/10.15055/00005290.
Kida, Akiyoshi. 2013. Kokugoshi o manabu hito no tame ni(国語史を学ぶ人のために). Kyoto : Sekai Shisōsha.
Miyamoto, Kazuo. 2016. Archaeological explanation for thediffusion theory of the Japonic and Koreanic languages.Japanese Journal of Archaeology 4(1). 53–75. http://www.jjarchaeology.jp/contents/pdf/vol004/4-1_053.pdf.
Okimura, Takuya (沖森卓也) (éd.). 2010. Nihongo-shi gai-setsu (日本語史概説). Tokyo : Asakura Shoten.
Osada, Toshiki (長田俊樹). 2003. Nihongo wa naze haya-ranaku natta no ka : Nihongo keitōron no genzai, kako,mirai (日本語系統論はなぜはやらなくなったのか:日本語系統論の現在・過去・未来). In Vovin, Alexander (アレキサンダー・ボビン) & Osada, Toshiki (長田俊樹) (éds.),Nihongo keitōron no genzai (日本語系統論の現在), 373–418. Kyoto : International Research Center for JapaneseStudies. https://doi.org/10.15055/00005286.
Pellard, Thomas. 2011. The historical position of the Ryu-kyuan languages. In Historical linguistics in the Asia-Pacific region and the position of Japanese, 55–64. Osaka :National Museum of Ethnology. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01682958.
Pellard, Thomas. 2013. Nihon rettō no gengo no tayōsei :Ryūkyū shogo o chūshin ni (日本列島の言語の多様性:琉球諸語を中心に). In Takubo, Yukinori (田窪行
則) (éd.), Ryūkyū rettō no gengo to bunka : Sono kirokuto keishō (琉球列島の言語と文化:その記録と継承), 81–92. Tokyo : Kuroshio Shuppan. https : / / hal . archives -ouvertes.fr/hal-01289782.
Pellard, Thomas. 2015. The linguistic archeology of theRyukyu Islands. In Heinrich, Patrick & Miyara, Shinsho& Shimoji, Michinori (éds.), Handbook of the Ryukyuanlanguages : History, structure, and use, 13–37. Berlin : DeGruyter Mouton. https://doi.org/10.1515/9781614511151.13. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01289257.
Pellard, Thomas. 2016. Nichiryū sogo no bunki nendai (日琉祖語の分岐年代). In Takubo, Yukinori (田窪行則) &Whitman, John (ジョン・ホイットマン) & Hirako, Tatsuya(平子達也) (éds.), Ryūkyū shogo to Kodai Nihongo : Ni-chiryū sogo no saiken ni mukete (琉球諸語と古代日本語:日琉祖語の再建に向けて), 99–124. Tokyo : KuroshioShuppan.
Pellard, Thomas. 2019. Ryukyuan and the reconstructionof proto-Japanese-Ryukyuan. In Frellesvig, Bjarke & Kin-sui, Satoshi & Whitman, John (éds.), Handbook of Ja-panese historical linguistics. Berlin : De Gruyter Mou-ton. http://www.academia.edu/35301776/Ryukyuan_and_the_reconstruction_of_proto-Japanese-Ryukyuan (à paraître).
Unger, J. Marshall. 2009. The role of contact in the origins ofthe Japanese and Korean languages. Honolulu : Universityof Hawaiʻi press.
Vovin, Alexander. 2017. Origins of the Japanese language.In Aronoff, Mark (éd.), Oxford Research Encyclopedia inLinguistics. Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/acrefore/9780199384655.013.277.
Whitman, John. 2012. Northeast Asian linguistic ecologyand the advent of rice agriculture in Korea and Japan.Rice 4(3–4). 149–158. https://doi.org/10.1007/s12284-011-9080-0.
Archéologie et anthropologie du Japon
Fujio, Shin’ichirō (藤尾慎一郎). 2011. Shin Yayoi jidai : 500nen hayakatta suiden inasaku (〈新〉弥生時代:五〇〇年早かった水田稲作). Tokyo : Yoshikawa Kōbunkan.
Hudson, Mark J. 2007. Japanese beginnings. In Tsutsui,William M. (éd.), A companion to Japanese history, 13–29. Malden : Blackwell Publishing.
Miyamoto, Kazuo (宮本一夫). 2009. Nōkō no kigen o sa-guru : Ine no kita michi (農耕の起源を探る:イネの来た道). Tokyo : Yoshikawa Kōbunkan.
Saitō, Naruya (斎藤成也). 2017. Nihonjin no genryū : Kakudna kaiseki de tadoru (日本人の源流:核DNA解析でたどる). Tokyo.
4