18
1 Communication à la Conférence Internationale "Statistiques sociales et diversité ethnique doit-on compter, comment et à quelles fins ?" Organisée par le CIQSS et l’INED Montréal du 6 au 8 décembre 2007 L’Ethnie à l’épreuve des enjeux politiques Réflexions sur le cas guinéen Alhassane BALDE – UMR 196 CEPED Université Paris Descartes Courriel : [email protected] INTRODUCTION La mobilisation de l’ethnie dans les luttes de pouvoir est une pratique très répandue bien que la forme dans laquelle elle se manifeste présente des spécificités selon les pays ou les continents. En effet, la question ethnique est intégrée fréquemment dans les revendications linguistiques et communautaires au Canada, en Belgique et en Suisse. Elle est en rapport avec la question migratoire aux Etats-Unis et porte la marque de la religion en Irlande et en ex-Yougoslavie. En Afrique, le phénomène est très largement en rapport avec l' accès au pouvoir par des élites en compétition et est souvent violent. En Guinée, l’évocation de la question ethnique est presque taboue : les personnalités politiques et religieuses s’en méfient, les organismes producteurs de statistiques et les chercheurs y font rarement recours dans leurs travaux. Pourtant, à certaines occasions et pour des raisons très précises, certains acteurs en font usage, soit dans le discours, soit dans la collecte d’informations et la publication. Pour comprendre cette ambivalence, notre communication propose une analyse historique de la construction de cette relation ambiguë à l’ethnie en Guinée et des enjeux qui la sous- tendent. Ceux-ci sont pour l’essentiel politiques. La population guinéenne se caractérise par une grande diversité ethnique, dont la mise en place serait le résultat de migrations successives provoquées par les grands bouleversements qu’ont subis les empires soudanais à partir du IV ème siècle. Malgré les

L’Ethnie à l’épreuve des enjeux politiques Réflexions sur ... · ... l’évocation de la question ... désormais primordial dans les luttes de pouvoir. ... Les points de friction

Embed Size (px)

Citation preview

1

Communication à la Conférence Internationale "Statistiques sociales et diversité ethnique doit-on compter, comment et à quelles fins ?"

Organisée par le CIQSS et l’INED Montréal du 6 au 8 décembre 2007

L’Ethnie à l’épreuve des enjeux politiques

Réflexions sur le cas guinéen

Alhassane BALDE – UMR 196 CEPED

Université Paris Descartes Courriel : [email protected]

INTRODUCTION

La mobilisation de l’ethnie dans les luttes de pouvoir est une pratique très répandue

bien que la forme dans laquelle elle se manifeste présente des spécificités selon les pays

ou les continents. En effet, la question ethnique est intégrée fréquemment dans les

revendications linguistiques et communautaires au Canada, en Belgique et en Suisse. Elle

est en rapport avec la question migratoire aux Etats-Unis et porte la marque de la religion

en Irlande et en ex-Yougoslavie. En Afrique, le phénomène est très largement en rapport

avec l'accès au pouvoir par des élites en compétition et est souvent violent.

En Guinée, l’évocation de la question ethnique est presque taboue : les

personnalités politiques et religieuses s’en méfient, les organismes producteurs de

statistiques et les chercheurs y font rarement recours dans leurs travaux. Pourtant, à

certaines occasions et pour des raisons très précises, certains acteurs en font usage, soit

dans le discours, soit dans la collecte d’informations et la publication. Pour comprendre

cette ambivalence, notre communication propose une analyse historique de la

construction de cette relation ambiguë à l’ethnie en Guinée et des enjeux qui la sous-

tendent. Ceux-ci sont pour l’essentiel politiques.

La population guinéenne se caractérise par une grande diversité ethnique, dont la

mise en place serait le résultat de migrations successives provoquées par les grands

bouleversements qu’ont subis les empires soudanais à partir du IVème siècle. Malgré les

2

importantes migrations internes des populations dues à l’urbanisation et au

développement de l’économie informelle, notamment à partir de 1985 date marquant la

libéralisation de l’économie guinéenne, la région côtière ou Basse Guinée encore appelée

Guinée Maritime est considérée comme la région des Baga, Nalou, Landouma, Tyapi,

Balantè et Mandenyi et surtout des Soussous, l’ethnie dominante de la région. La

Moyenne Guinée, région la plus montagneuse de la Guinée ou Fouta Djallon (Fuuta

Jaloo) est principalement occupée par les Peuls. Ceux-ci cohabitent avec des groupes

ethniques numériquement moins importants : Badiaranké, Foulacouda, Coniagui,

Diakanké et Dialonké (Devey, 1997). Les Kouranko, Konianké, Wassoulounké,

Djallonké, Toucouleurs se sont établis dans la savane guinéenne ou Haute Guinée région

qui, selon Devey, (1997 : 50) « […] appartient pour l’essentiel à l’ethnie Malinké ». La

Guinée Forestière abrite les Kissi, Guerzé ou Kpèlè, Toma ou Loma, Mano, Kono, Lélé

avec une prédominance des trois premières ethnies citées. Cette double appartenance qui

se manifeste dans la superposition du découpage régional et de l’appartenance ethnique

est de nature à exacerber les communautarismes et à les rendre d’autant plus facilement

mobilisables dans les luttes de pouvoir.

Carte ethnico-régionale des principales ethnies de la Guinée

Fond de carte : United Nations, july 2001

� Superficie 245 857 km2

� Population 7 000 000 d’habitants (Source: RGPH, 1996) 10 000 000 d’habitants (Source: Estimation de la

DNS, 2005)

� Principales ethnies Soussou Peul Malinké Kissi Guerzé Toma

��������

�����

��� ��

������

�������

����

3

I. Le contexte historique d’une décomposition et recomposition structurelle : De la

nation ethnique à l’Etat nation multi-ethnique

La compréhension de la problématique ethnique en Guinée n’est pas possible sans

un détour de l'histoire coloniale de l'Afrique. Après avoir conquis, morcelé, regroupé et

séparé des entités sociales traditionnelles comme les royaumes et les empires, les

colonisateurs vont tracer les nouvelles frontières de l'Afrique lors de la conférence de

Berlin de novembre 1884 à février 1885. Ces nouvelles entités, ethniquement hétérogènes

et construites de toutes pièces, sont constituées de fragments de ces différents territoires.

Elles participent au remodelage de la composition des populations des futurs Etats

africains. Le caractère à la fois arbitraire et artificiel de ces frontières est en grande partie

la cause de confits ultérieurs qui éclateront dans la plupart de ces pays. Ces conflits se

manifestent à la fois au plan interne mais également au plan externe. On peut citer en

exemple les conflits ethniques au Rwanda et au Burundi ainsi que des affrontements

sporadiques dans plusieurs autres pays et les velléités cessessionistes au Katanga (ex-

Zaïre) et au Biafra (Nigeria) impliquant par endroits des pays voisins.

Sur le plan externe, encore aujourd’hui, au mépris des principes et accords

internationaux sur les frontières héritées de la colonisation qui « bien que réelles, restent

éminemment poreuses et où les appareils d’Etat sont loin de contrôler comme autrefois

tout l’espace figurant sur les cartes » (Amselle et al., 1999), des populations riveraines

vivant aux alentours des tracés continuent à exploiter les ressources du sol et du sous-sol

en toute liberté. Lorsque ces ressources deviennent insuffisantes ou prennent de la valeur

marchande, la concurrence entraîne des tensions qui, quelquefois, débouchent sur des

affrontements sanglants provoquant des morts comme cela est régulièrement le cas entre

paysans Guinéens et Maliens. Les premiers cultivant des terres fertiles situées en

territoire malien mais dont ils ont pris possession bien avant l’implantation coloniale dans

la région ; les paysans Maliens, s’appuyant sur le principe de souveraineté du Mali sur

ces terres, cherchent depuis des décennies à chasser leurs voisins Guinéens de la zone, tel

est l’explication la plus répandue sur les causes de ce conflits.

4

Après des années de domination politique et économique, les puissances coloniales

accordent aux colonies une autonomie limitée lors de la conférence de Brazzaville de

1944. Sur le plan interne, les populations assistent à une nouvelle donne dans la lutte

d’influences et de positionnement dans les différentes sphères du pouvoir (politique,

religion, économie, sécurité). Les protagonistes de cette nouvelle lutte ne sont plus

seulement issus de familles d’aristocrates ou d’érudits. Ces derniers qui jouissaient d’une

légitimité leur conférant l’exclusivité de l’exercice du pouvoir trouvent dans ces

circonstances leur situation fondamentalement altérée (Rex, 2006) par le bouleversement

du mode d’accès habituel au pouvoir tel que décrit par Barry (2004), dans lequel « […] la

succession dans l’exercice du pouvoir était héréditaire, d’où la prépondérance des

lignages qui reposaient sur ces liens de sang ». Les critères de légitimité et les voies de

positionnement ayant changé, le fait d’être instruit dans la langue du colonisateur devient

désormais primordial dans les luttes de pouvoir. Les structures sociales et les rapports

sociaux sont bouleversés, la scène politique devient l’endroit privilégié où s’affrontent de

simples citoyens, des personnes appartenant jadis aux classes sociales ‘’inférieures’’ et à

la ‘’noblesse’’ pour contrôler les rares postes de responsabilités destinés aux

‘’indigènes’’. L’organisation politique, syndicale et administrative étant calquée sur le

modèle occidental, la recomposition des sphères d’influence pour la conquête du pouvoir

est alors inéluctable.

En Guinée, à la suite de la conférence de Brazzaville de 1944, le pays assiste sur le

plan politique à une éclosion de groupes organisés sur des bases politiques et ethniques

ou syndicales. Ce mouvement a connu deux phases. La première (1944) a été marquée

par la multiplication des amicales ethniques ou régionales : l'Union de la Basse Guinée

(UBG) en Guinée Maritime, l'Amicale Gilbert Vieillard (AGV) en Moyenne Guinée,

l'Union Mandé (UM) en Haute Guinée, l'Union Forestière de Guinée (UFG) en Guinée

Forestière. Au cours de la seconde phase, notamment à partir de 1946, divers partis

politiques se constituèrent, entre autres le Parti Démocratique de Guinée (PDG), la

Démocratie Socialiste de Guinée (DSG), et le Bloc Africain de Guinée (BAG) (Devey,

1997).

La lutte entre les partis politiques avant l’indépendance (2 octobre 1958) est

marquée par des campagnes musclées qui se sont terminées parfois en affrontement

5

généralisé. C'est le cas, lorsque Sékou Touré, de l’ethnie malinké, candidat du PDG aux

élections législatives de 1954, qui jouit d’un soutien fort des électeurs du groupe ethnique

Soussou, est battu par Diawadou Barry du BAG, candidat des Peuls. Après la validation

de l’élection de Diawadou Barry, des incidents violents éclatent à Conakry et dans les

environs : affrontements sanglants, bagarres, incendies, massacres à l’arme à feu ou à

l’arme blanche. Cette lutte, politique au départ, prit l’allure d’un affrontement ethnique,

mettant aux prises Soussous et Peuls.

De 1954 à 1958, les affrontements se poursuivent, en particulier en Guinée

Maritime et en Moyenne Guinée, ceci malgré la nette victoire du PDG sur le BAG aux

élections législatives du 2 janvier 1956 au cours desquelles ce parti remporte 2 sièges de

députés sur 3, et aux élections du 3 mars 1957, 57 sièges sur 60 à l’Assemblée

territoriale. Pour l’essentiel, Bah (1990) pense que l’attitude du PDG a consisté à

maintenir la pression sur les autres partis et sur la population par le truchement de ses

milices. Des commandos recevaient des ordres précis : briser tous ceux qui ne se

déclaraient pas militants du PDG et ne présentaient pas leur carte de membre. C’est dans

cette atmosphère que la Guinée accède à l’indépendance.

II. L’Ethnie, enjeu de pouvoir

A. Refuser de compter la population pour une intégration nationale ?

Le nouvel État, la République de Guinée, proclamé le jeudi 2 octobre 1958, a

entrepris sous la direction de ses nouveaux dirigeants d’origines ethniques différentes,

l'édification d'une société socialiste. Selon Devey (1997 : 137) « les objectifs que se

donnait le socialisme guinéen visaient à créer une nation guinéenne par-delà les groupes

ethniques et régionaux ». S’appuyant, d’une part, sur les affrontements à caractère

ethnique qui précédèrent l’accession du pays à la souveraineté, et d’autre part, sur le

caractère discriminatoire de l’organisation sociale des groupes ethniques fortement

6

hiérarchisés, les gouvernants condamnent le tribalisme et détruisent ce qui restait des

pouvoirs féodaux Peuls à l’accession du pays à l’indépendance.

Les points de friction entre les Peuls et le pouvoir central sont nombreux. La

désorganisation des structures sociales et politiques de la communauté renforce

l’adversité entre les deux parties. Cette hostilité, selon Sékou Touré, était l’œuvre des

intellectuels Peuls de la Moyenne Guinée devenus ses adversaires politiques. Conscient

de cet état de fait, les autorités adoptèrent une stratégie de contrôle de l’information

concernant la variable ethnie. Elle consiste à refuser toute collecte de données concernant

l’ethnie et la contestation de celles existantes. En l’absence d’informations récentes et

devant la controverse entretenue par les politiques sur les chiffres connus, les Peuls ne

peuvent pas se prévaloir d’être majoritaires. Pour rendre la stratégie viable, des rumeurs

sont répandues à travers le pays. Les autorités politiques de l’époque ont ainsi affabulé

sur l’importance numérique des 2 groupes ethniques dominants du pays : les Peuls et les

Malinkés. Contrairement aux informations obtenues à partir de la seule source statistique1

sérieuse concernant l’ethnie et qui placent les Peuls en tête, les Malinkés, l’ethnie du

président de la république leur dispute dorénavant la place.

Désormais, l’environnement politique, marqué par une législation répressive et un

pouvoir fort, laisse penser qu’aucun recours à l’appartenance ethnique n’est envisageable,

ce à quelque fin que ce soit. Ceci est d’autant plus vrai que la distribution des postes au

sommet de l’Etat participe d’un dosage ethnique. Les différents pouvoirs sont tenus par

des personnalités d’ethnies différentes. Or, d'après Sow (1989 : 387) « La guerre contre

les Peuls, identifiés à l'ennemi à abattre pour permettre la transcroissance2 de la

révolution, répondait à l'impératif d'épuration globale de la société guinéenne en 1976 ».

Cette lutte singulière contre un groupe ethnique est paradoxale, d’autant plus que la

révolution visait le bonheur de tout le peuple. Les Peuls, bien que mis en accusation, ne

furent pas pour autant menacés par les autres groupes ethniques.

La mort du président Sékou Touré, un Malinké, le 26 mars 1984 aux Etats-Unis, mit

brusquement fin à son règne. Le 3 avril, une semaine après son décès et trois jour après 1 ‘’Etude démographique par sondage en Guinée’’, 1954-1955. Administration générale des services de la France d'Outre-mer et Haut Commissariat Général de l’A.O.F., Service des statistiques, Tome I ; sans date, 209 p. Ce travail a été fait avant les luttes post-coloniales par les autorités coloniales. 2 Ce terme est de Sékou Touré et traduit la progression accélérée de la révolution.

7

ses funérailles, un groupe d’officiers constitué en Comité Militaire de Redressement

National (CMRN) s’empare du pouvoir. Ce CMRN, composé de dix-huit membres,

installe un gouvernement dirigé par le colonel Diarra Traoré, un Malinké, sous la

présidence d’un nouveau chef d’État, le colonel Lansana Conté, un Soussou. La

Deuxième République entrait en vigueur. Pour justifier cette prise de pouvoir, le CMRN

invoque une lutte fratricide parmi les dirigeants du PDG. Pour le CMRN, le premier

ministre, Lansana Béavogui, de l’ethnie Toma3, qui assurait l’intérim de la présidence,

paraissait le mieux placé pour la succession. Il aurait néanmoins dû s’opposer au clan

Touré, dirigé par Ismaël Touré, frère du défunt président. Le coup d’État est intervenu la

veille de la réunion de la direction du PD, prévue pour désigner le candidat aux

élections4, ce ci pour éliminer, selon le CMRN, le risque d’implosion qui menaçait cette

lutte au sein du Bureau Politique National (BPN) du PDG.

Le gouvernement militaire connut sa première grande crise, la nuit du 4 juillet 1985,

lorsqu’une tentative de putsch conduite par le colonel Diarra Traoré, officier de l’armée

guinéenne appartenant à l’ethnie Malinké, échoua. Selon Dubresson (1989 : 5) « Elle fut

dénoncée par le général Lansana Conté comme un coup d’État Malinké […] ». Diarra

Traoré fut arrêté et une longue purge des cadres Malinkés enclenchée. Barry (2000 : 182)

affirme qu’« il y eut parmi les commerçants, les cadres civils et militaires Malinké des

centaines d’arrestations et de multiples pillages de leurs biens ».

Récemment, lors de la grève générale et illimitée déclenchée le 10 janvier 2007 par

la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) et l’Union syndicale des

travailleurs de Guinée (USTG), Lansana Conté, l’actuel président de la république, dont

l’autorité était mise à mal, n’a eu d’autre choix que de se replier sur sa famille et un

cercle restreint de fidèles constitué essentiellement des officiers de l’armée appartenant à

son ethnie (Soussou). Pour faire échouer la grève, ceux-ci adoptent deux stratégies : ils

font, d’une part, usage de la violence et de l’intimidation contre les manifestants et,

d’autre part, ils font recours à la carte ethnique pour mobiliser les leurs. « Cette grève a

été déclenchée par la Peule Hadja Rabiatou Sérah et le Malinké Ibrahima Fofana parce

3 Une ethnie forestière, parmi les plus petites du pays numériquement. 4 Celles-ci selon la constitution devaient intervenir dans un délai de quarante-cinq jours suivant la mort du président de la république.

8

qu’ils ne veulent pas d’un Soussou au pouvoir […], si Lansana Conté est renversé, les

autres ethnies vont nous dominer et nous brimer. Nous avons besoin des jeunes de notre

région pour nous défendre. »5 Ce propos rapporté par un jeune soussou membre d’une

milice formée de jeunes chargés de suppléer les forces de l’ordre, dont le principal rôle

est de localiser le domicile des ‘’fauteurs de troubles’’, est le genre de discours distillés

par les personnes se présentant comme des émissaires des responsables de la milice.

On voit bien la contradiction entre le discours officiel qui fustige le tribalisme et le

comportement des différentes autorités politiques qui se sont succédées à la tête du pays

depuis l’indépendance. A l’occasion de soulèvements populaires et de coups de force

militaires, la carte ethnique apparaît comme un moyen pour briser l’élan des

contestataires. La stratégie a plusieurs objectifs : celui avant tout de mobilisation des

siens en vue de créer des groupes de ‘’contre-manifestants’’, mais aussi celui d’attribuer

un caractère communautaire aux actions entreprises. Dans ce cas d’espèce, le résultat

espéré est, d’une part, une réaction de sympathie et de soutien de l’ensemble des autres

groupes ethniques au pouvoir en place, et d’autre part, des déclarations publiques de

désapprobation et/ou de condamnation de ces actions collectives de la part des politiques,

des militaires et des religieux influents appartenant à la communauté mise en cause. Ces

interventions se font le plus souvent dans le cadre d’un marchandage. Les personnalités

qui jouent le jeu sont récompensées peu après pour leur prise de position pendant les

périodes de crise. La récompense peut être un bien matériel (argent, véhicule, maison,

parcelles de terre) ou une promotion à un poste de commandement.

B. La dimension ethnique, une constante dans le jeu électoral : les cas des élections

présidentielles de 1993 et de 1998

A l'instar de la plupart des pays d'Afrique francophone, la Guinée s'est engagée au

début des années quatre-vingt-dix dans le difficile processus de démocratisation. Le

multipartisme a, en effet, été autorisé en avril 1992, engendrant une prolifération de partis

politiques dont le nombre s'élevait à 46 en 1995, parmi lesquels se sont dégagées quatre 5 Jeune Afrique, (du 28 janvier au 3 février 2007), n° 2403, p. 38.

9

formations politiques par leur présence constante dans les différents scrutins nationaux,

qui sont le Parti de l'Unité et du Progrès (PUP), le Rassemblement du Peuple de Guinée

(RPG), le Parti du Renouveau et du Progrès (PRP) et l'Union pour le Progrès de la

Guinée (UPG). Selon Devey (1997 : 156), le PUP, le PRP et le RPG sont des formations

politiques « possédant chacune une connotation ethnique forte, identifiable, et dont

l’implantation territoriale est bien localisée ». Cette remarque rejoint l’analyse qui

soutien qu’« En Guinée, le choix électoral se fait plus que partout ailleurs en Afrique de

l'Ouest largement en fonction de l'appartenance ethnique des candidats »6. Le PUP serait

donc un parti politique soutenu par l’ethnie Soussou et fortement installé en Guinée

Maritime, le PRP bénéficiant de l’appui des Peuls dominerait la Moyenne Guinée et le

RPG puisant l’essentiel de son électorat chez les Malinké occuperait la Haute Guinée.

L’unanimité semble ainsi se dégager sur l’implantation ethnico-régionale des partis

politiques en Guinée. De ce fait, nous présumons que la banalisation du recours aux

discours ethniques de la part des politiques dans le but d’évincer leurs concurrents a

contribué à ce remodelage de la socio-géographie électorale de la Guinée. Les candidats

aux élections, dans leur lutte pour accéder ou se maintenir au pouvoir, manipuleraient les

sentiments d’appartenance ethnique de leurs électeurs potentiels. Pour tenter de

comprendre le rôle et la place de l’élite politique guinéenne dans la banalisation des

discours à caractère ethnique, nous nous proposons d’étudier les discours des leaders de

quelques partis politiques. Plus précisément ceux prononcés dans les périodes novembre-

décembre 1993 et novembre-décembre 1998, ces périodes couvrant la campagne

électorale. Nous cherchons à comprendre à travers ces discours comment les hommes

politiques participent à la mobilisation ethnique dans un contexte de multipartisme. Est-

elle l’apanage de la seule classe dirigeante ? Y a-t-il une différence de stratégie dans la

mobilisation ethnique selon les candidats ?

6 Afrique-Asie, (1999), n°113, p. 19

10

La campagne électorale et les résultats des élections présidentielles de 1993 et de

1998, un recours permanent à la dimension ethnique

Cette déclaration, tenue après les élections présidentielles de 1993, est révélatrice de

l’étendue de la pratique de captation ethnique à laquelle les populations et les différents

candidats ont participé : « L’ethnocentrisme et le régionalisme ont été institutionnalisés.

Tous les candidats sont tombés dans le piège. Les électeurs ont voté pour le fils du terroir

ou le présumé fils, pour le patronyme supposé être celui du clan, de l’ethnie ».7

Selon les résultats officiels des élections présidentielles, avec 56,12% en 1998

contre 51,62% en 1993, le candidat du PUP et candidat sortant, Lansana Conté, de

l’ethnie Soussou, a fait une progression d’environ 4 points. Toutefois, bien qu’il ait

réalisé de bons scores un peu partout à travers le pays, c’est en Guinée Maritime, dans sa

région d’origine, qu’il a obtenu les meilleurs résultats. Il y a en plus battu tous ses

concurrents. Cette double victoire du candidat du PUP s'explique en partie selon l’analyse

de Diallo (1993 : 3) par deux raisons : « […]. Dans le PUP, il y a deux parties. La partie

qui vote Conté pour les raisons ethniques et celle qui, fonctionnaire, souhaite conserver

son poste ou l'améliorer, tout en lançant au budget de l'État les assauts répétés d'un

regard convoiteur ».8 Ce point de vue expose clairement le rôle des fonctionnaires, d’une

part, dans la mobilisation ethnique et, d’autre part, dans la manipulation des résultats des

élections en faveur du candidat du parti au pouvoir. De cette façon, le candidat du PUP

n’a pas eu besoin d’appeler directement à un vote ethnique. Les fonctionnaires, chacun

dans sa région, chacun au sein de son ethnie, ont sollicités un vote communautaire. Ils

s’assurent ainsi que les électeurs membres de leurs communautés votent pour leur

candidat pour ‘’le prestige et l’aide matérielle qu’ils apportent au groupe’’ grâce au

poste qu’ils occupent au sein de l’appareil de l’Etat. Par ce stratagème, le candidat du

PUP a su se mettre au dessus de la mêlée. Le caractère instrumental de cette complicité

entre les fonctionnaires et leurs groupes ethniques est décrit par Barry (2000 : 148) qui

affirme:

7 Silatigui, (mars-avril 1994), mensuel indépendant d’information et d’opinion, n°16, p. 6. 8 Horoya, (du jeudi, 26, novembre 1998), Quotidien national d'information, n°5015, p. 3.

11

« Possédant le savoir et accédant facilement aux sources

d'information, les cadres dirigeants de toutes les ethnies sont les

intermédiaires entre l’État et l'ethnie. Filtrant l'information

dans les deux sens, à travers, entre autres, les associations

d'originaires9, les cadres définissent les critères d'adhésion, de

soutien et de contestation de tout pouvoir ».

Avec 24,63% des suffrages exprimés aux élections présidentielles de 1998, Bâ

Mamadou, de l’ethnie Peul, gagne 11 points par rapport à 1993. Cette progression du

candidat PRP, dont le parti devient alors la seconde formation politique du pays,

s’explique en grande partie par les accords stratégiques de fusion signés par les

responsables de l’UNR de Bâ Mamadou et du PRP de Siradiou Diallo appartenant à la

même ethnie (Peul). Ceux-ci ont abouti à la création d’un nouveau parti dénommé

l’Union pour le Progrès et le Renouveau (UPR)10. Toutefois, cette progression apparente

cache la constance de l’électorat des deux partis entre les deux élections. En effet, la

somme des résultats réalisés aux élections présidentielles de 1993 par Bâ Mamadou

(13,37%) et Siradiou Diallo (11,86%) est de 25,23%. De plus, l’essentiel de cet électorat

est resté Peul. Bâ Mamadou l’a emporté dans les circonscriptions traditionnellement

acquises aux candidats originaires de la région de la Moyenne Guinée. Dans l'ensemble,

le score réalisé par Bâ Mamadou, candidat du PRP, en 1998 était en deçà des résultats

escomptés au regard de la stratégie utilisée. Il ne parviendra pas à faire main basse sur la

Moyenne Guinée, une région qu'il a été contraint de partager avec le candidat du PUP.

Cependant, on ne peut occulter le bon résultat qu'il a obtenu, dû en grande partie à cette

région.

Le candidat du RPG, Alpha Condé, de l’ethnie Malinké, a à l’occasion de l’élection

présidentielle de 1998, perdu du terrain. Il est passé de la seconde place aux élections

présidentielles de 1993 (19,55%) à la troisième place en 1998 (16,58%). Sa longue

absence du pays explique en partie cette régression (-3 points) par rapport à son résultat

de 1993. Il a très peu participé à la vie politique du pays au cours de cette période, se

9 Les associations d'originaires apparaissent comme des organisations sociales qui élargissent la famille, le clan, la tribu. Elles regroupent des originaires d'un même village, d'une même sous préfecture, d'une même préfecture et aussi d'une même région. Ces dernières, appelées coordinations régionales, sont très impliquées dans la vie politique. 10 Cette nouvelle formation politique dont les leaders sont issus du même groupe ethnique (Peul), n‘étant pas alors officiellement agréée, elle ne pouvait pas présenter de candidat. C‘est ainsi que Bâ Mamadou se présenta sous l‘étiquette du PRP.

12

bornant à accorder quelques interviews aux chaînes de radios internationales. Toutefois,

tout comme ses concurrents, il a réalisé son meilleur résultat dans sa région d’origine, la

Haute Guinée. Cependant, c’est dans cette même région qu’il a le plus perdu de terrain, et

ce au profit du candidat du PUP, Lansana Conté.

Au cours de la campagne électorale, le leader du RPG, candidat aux élections

présidentielles, n'a pas personnellement appelé à la solidarité ethnique. Ceci peut

s’expliquer, d’une part par l’absence d’un concurrent Malinké à sa mesure – ce qui fait de

lui le candidat incontesté de sa communauté – et d’autre part, par le ressentiment de la

communauté Malinké vis-à-vis du régime en place, qui reste fort à cause des actes de

répression dont elle a été victime au cours des événements politiques récents. D’autres

personnalités politiques malinkés les rappelleront d’ailleurs à l’occasion des différentes

campagnes électorales organisées dans le pays. C’est le cas de Mansour Kaba qui a

déclaré en novembre 1993: « N'est-ce pas un dignitaire du CMRN qui aurait jeté à la

figure des prisonniers de juillet 1985 : nous allons exterminer tous les Malinkés de

Guinée, quitte à aller chercher de la semence humaine au Mali" ? ».11 Poursuivant sa

logique de démonstration, il a également affirmé que:

« Le plus mauvais service que ce régime ait rendu à la Guinée,

c'est d'avoir érigé l'appartenance ethnique en critère absolu de

jugement de la valeur d'un cadre […]. Ainsi, on a procédé de

manière méthodique […] à la démolition de Banankoro au

détriment des diamantaires Malinkés, au pillage des biens des

Malinkés encouragés à Conakry par le célèbre "Wo Fata12", à

l'élimination physique d'une soixantaine d'officiers Malinkés

[…], à l'encouragement de tensions entre Guerzés et Malinkés à

N'Zérékoré, enfin en septembre 1993 ... 13 ».

Pour sa part, Jean Marie Doré de l’UPG a presque doublé le nombre de ses

électeurs. Il a obtenu 1,73% des voix en 1998 contre 0,96% en 1993. Malgré cette

progression, il reste nettement en retrait par rapport aux autres candidats dans la région de

la Guinée Forestière. Quasiment, seul le candidat du RPG a pu disputer le terrain à celui

11 Le Lynx, (22 novembre 1993), hebdomadaire satirique d'information, n°88, p. 8. 12 Signifie en sousou, la langue du président de la république (Lansana Conté),"vous avez bien fait". 13 Le Lynx, (15 novembre 1993), hebdomadaire satirique d'information, n°87, p. 8.

13

du PUP qui, à l’occasion, l’a emporté dans toutes les circonscriptions de cette zone. La

tâche de Jean Marie Doré était ardue puisque originaire d’une région, la Guinée

Forestière, qui a la particularité en Guinée d’échapper à la prédominance d’un groupe

ethnique. En plus, pour faire entendre son discours, il devait déjouer le piège des

fonctionnaires originaires de la région qui faisaient campagne en faveur du candidat au

pouvoir. Pour l’essentiel, sa stratégie a consisté à la légitimation de l'accès au pouvoir des

membres de sa région d’origine à travers sa personne. Il a ainsi joué sur les cordes de

l'exclusion réelle ou supposée dont sont victimes les populations de cette région dans le

partage des ressources tant politiques qu'économiques. De cette façon, il espérait fédérer

l’ensemble des ethnies forestières (Kissi, Guerzé, Toma, …) autour de sa candidature.

Pour justifier sa candidature à l'élection présidentielle, il a ainsi affirmé, le 14 décembre

1993 aux populations de la préfecture de Lola, une ville de la région de la Guinée

Forestière :

« Je suis candidat parce que la Forêt [la région de la Guinée

Forestière] est oubliée, parce que la Guinée forestière est

méprisée, parce que la Forêt est piétinée. Je suis candidat. Je

suis candidat parce que les sept (7) préfectures de la Forêt sont

dans le noir. Il n'y a pas d'électricité or vous avez droit à

l'électricité.

Je suis candidat pour que désormais il y ait des routes

praticables en toutes saisons qui désenclavent la forêt, qui

fassent de la Forêt une partie économique de la Guinée afin que

vous ne soyez plus des laissés pour compte.

Je suis candidat pour vous aider à retrouver votre fierté, vous

aider à être sur le même pied d'égalité avec le Manding [la

région de la Haute Guinée], le Fouta [la région de la Moyenne

Guinée] et la Basse Guinée [la région de la Guinée Maritime].

C'est la raison fondamentale pour laquelle je me suis imposé de

grands sacrifices afin que la Forêt soit au rendez-vous de ces

élections.14 ».

14 Horoya, (du vendredi, 17 décembre 1993), Quotidien national d'information, n° 3783, p. 2.

14

Le sentiment d’appartenance apparaît ainsi comme une ressource mobilisable dans

la conquête du pouvoir politique et des biens économiques (Glazer et de Moynihan,

1975). Pour s'assurer du soutien des leurs, les protagonistes leur promettent

l’amélioration de leurs conditions de vie s’ils sont élus.

Quelles que soient les réserves portées sur la régularité de ces élections, réserves par

ailleurs fortement justifiées, on peut, cependant, reconnaître aux résultats une portée

sociologique. Ils démontrent le caractère régional de l’implantation des partis politiques.

La plupart des observateurs de la scène politique guinéenne concluent à un comportement

délibéré de la part des hommes politiques guinéens, sachant que le peuplement est

régional. Pour eux, cette stratégie de contrôle régional et ethnique de la part des leaders

politiques guinéens est sans équivoque et était perceptible bien avant le scrutin.

« En ce moment, Alpha Condé conquiert le pays manding [la

région de la Haute Guinée]. Siradiou Diallo, sur fond de

dissidence avec le PGP de Maître Alpha Bacar Barry, partage

le pays des bowés [la région de la Moyenne Guinée] avec Bâ

Mamadou. Plus tard, bien que Jean Marie Doré ne fit pas main

basse sur la région Forestière, dans le Sud de la Guinée, il reste

l’un des leaders les plus populaires de cette transition

démocratique […].15 ».

Une société civile dans une compétition politique ethnicisée

L’autre constante dans la stratégie des candidats pour le contrôle de leurs groupes

ethniques est le recours aux associations d'originaires. Ces réseaux ethniques, qui sont

des associations informelles non reconnues par la loi bénéficient d'une grande popularité.

Traditionnellement, leur but est apolitique et non lucratif. Elles servent, tout d’abord, en

ville et à l’étranger, de point d’ancrage au sein du groupe d’origine. Elles sont le lieu où

on discute et règle les demandes sociales concernant les membres de la communauté.

Elles sont aussi l’endroit privilégié de circulation d’informations. En second lieu, elles

servent de relais entre les membres de la communauté vivant en milieu urbain et ceux 15 Le Pays, (avril-mai 1996), périodique d'analyse, n°01, p. 30.

15

restés au village. Elles sont très actives dans la mobilisation de ressources auprès des

ressortissants de la communauté vivant en milieu urbain et à l’étranger en vue de leurs

réinvestissements dans la localité d’origine. Ces ressources, souvent de l’argent, sont

investies dans la réalisation d’infrastructures socio-communautaires (école, postes de

santé, forages, ponts, lieux de cultes, …) palliant ainsi la défaillance de l’Etat. Leurs

dirigeants sont le plus souvent des fonctionnaires à la retraite ayant acquis une longue

expérience de travail et/ou des personnes possédant une grande culture religieuse et

jouissant d’une haute intégrité morale. Grâce à ces qualités, ils détiennent un pouvoir

symbolique qui leur confère le respect et l’écoute dont ils jouissent. Les candidats

déclarés ou potentiels aux postes de commandement, les individus membres de la classe

dirigeante viennent ici affirmer leur appartenance au groupe en même temps qu’ils

demandent le soutien de l’association. Celle-ci devient ainsi un lieu de confrontation dont

le vainqueur sort gratifié et rassuré par la reconnaissance dont il a bénéficié de la part des

siens. Cet accord tacite entre le candidat et les représentants de la communauté peut être

déterminant dans la compétition avec les autres prétendants au pouvoir puisque ces

organisations peuvent jouer un rôle important dans la mobilisation des électeurs au profit

d’un candidat. Détournées de leur but premier, elles acquièrent ainsi une importance plus

grande dans la valorisation des statuts urbains et notamment de salariés (Bazin, Gnabéli,

1997) dans une société encore majoritairement rurale et paysanne où prédomine

l’économie informelle. Lors des différentes élections présidentielles organisées en

Guinée, les associations d’originaires ont servi de relais auprès de la population pour la

reconnaissance et la légitimation des candidatures. « Nous avons constaté que plusieurs

de ces associations, notamment les régionales, peuvent devenir des bases électorales

pour des cadres qui veulent faire de la politique ou alors alimenter directement un parti

politique en place ». (Barry, 2000 : 151). Ce type de rapport a été constaté par Bazin en

Côte-d’Ivoire dans un contexte de réduction des capacités financières pour les citadins :

« […] une autorité accrue est conférée, dans ces groupements, aux ‘’cadres’’ les plus

importants, enclins à rechercher dans leur région d’origine les supports d’une mobilité

nécessaire à leur insertion dans la classe dirigeante. » (1999 : 85).

Le choix des symboles ethniques par les élites comme base de mobilisation pour

appuyer leurs propres prétentions aux positions de prestige et aux avantages économiques

16

dans une situation de compétition avec d’autres élites, est justement ce que condamne

l'Église. L'archevêque de Conakry a réservé, lors de son homélie du 24 décembre 1993,

une large part aux élections présidentielles. Celle-ci comporte un double appel en

direction des candidats. Le premier s'adresse à tous les candidats pour une plus grande

tolérance et le second interpelle le vainqueur à l’apaisement des tensions post-électorales.

Il demande aux hommes politiques guinéens de toutes les sensibilités et particulièrement

à ceux ayant participé aux élections présidentielles de faire des gestes les uns envers les

autres pour permettre au pays de retrouver sa quiétude mise à mal par les tensions nées du

processus électoral. A la veille desdites élections, l'atmosphère était électrique au point

que les observateurs de la scène politique s'attendaient à une implosion de la cohabitation

pacifique entre les populations, notamment en ville où les tensions étaient perceptibles.

Des villes toutes cosmopolites et qui sont généralement le point de départ des

affrontements ethniques lors d'importants mouvements au sommet de l'État. Coquery-

Vidrovitch et al., (1992 : 4), font ainsi remarquer que :

« Même si les phénomènes "ethniques" contemporains sont

aussi violents dans les campagnes, c'est en ville qu'ils ont été

sécrétés, et c'est de la ville qu'ils viennent, diffusés dans le pays

tout entier à partir des enjeux (politiques, économiques) qui

surgissent désormais tous en villes (en Afrique comme

ailleurs) ».

Le propos de Robert Sarrah qui suit traduit bien les préoccupations de la société

civile et la réalité qui prévalait à ce moment là.

« […] Mais voilà que le 19 décembre 1993, malgré des

difficultés techniques réelles, un environnement et un tissu

social déchiré, les Guinéens ont été invités à sortir à la

recherche de l'espérance perdue, en votant pour choisir celui à

qui ils voulaient confier la responsabilité légitime de conduire

les destinées du pays.16 ».

16 Horoya, (du 28 décembre 1993), Quotidien national d'information, n°3789, pp. 4-5.

17

CONCLUSION

L’expérience de la Guinée montre que le refus d’une collecte exhaustive

d’informations sur cette variable n’est nullement justifié par l’argument de défense de

l’unité nationale posé par les autorités politiques puisque le recours au discours ethnique

notamment dans les compétitions politiques est réel (Sow, 1989 ; Dubresson, 1989 ;

Barry, 2000 ; Baldé, 2001) et toléré. Elle fournit les schèmes à l’argumentation d’une

nouvelle couche instruite qui trouve là le moyen de réaliser ses ambitions politiques.

Finalement, la crainte que certains groupes ethniques prennent conscience de leur poids

démographique est le dessein inavoué de ce refus. De cette façon, ils se constitueront en

groupe de pressions qui, s’ils échappent au contrôle du politique peuvent ébranler son

autorité.

18

BIBLIOGRAPHIE

Amselle, J-P, et al., (février 1999), Au cœur de l’Ethnie : Ethnie, tribalisme et Etat en Afrique, Paris, La découverte/Poche, 225p

Bah. M., (1990), Construire la Guinée: Après Sékou Touré, Paris, L’Harmattan.

Baldé, A., (2001), "L'Ethnicité et la vie politique en Guinée", Mémoire de maîtrise, Département de Sociologie, Université de Conakry

Barry, A. A. B., (juillet 2000), Les violences collectives en Afrique: Le cas Guinéen, Paris, L'Harmattan, 223p

Barry, A. O., (2004), « Mode d’expression poétique et stratification sociale dans l’état théocratique du Fouta Djallon », Semen, n° 18, De la culture orale à la production écrite : Littératures africaines, [En ligne], mis en ligne le 29 avril 2007. URL : http://semen.revues.org/document2294.html. Consulté le 13 août 2007.

Bazin, L. et Gnabéli, R. Y., (1997), Le travail salarié : un modèle en décomposition ?, in Contamin, B. et Mémel-Fotê, H., Le modèle ivoirien en questions, Paris, IRD, Karthala, p. 689-705

Bazin, L., (1999), Domination extérieure et dénonciations ethniques en Côte-d’Ivoire, in Otayek, R., Autrepart, Afrique : Les identités contre la démocratie ?, Paris, IRD, p.77-90

Coquery-Vidrovitch, C. et al., (1994), L’Afrique noire de 1800 à nos jours, 3ème éd.,

pp. 4-5

Devey, M., (1997), La Guinée, Paris, Karthala, 303p

Dubresson, A., (1989), "Difficiles lendemains de rupture : Guinée l’après Sékou Touré", Politique africaine, n° 36, p. 2-7

Glazer, N. et Monynihan, D. P., (dir.), (1975), Ethnicity, Theory and Experience, Cambridge, Harvard University Press

Rex, J., (août 2006), Ethnicité et Citoyenneté : La sociologie des sociétés multiculturelles, Paris, L’Harmattan, 179p

Sow, A. M., (1989), Conflits ethniques dans un État révolutionnaire «Le cas guinéen», in Chretien, J. P. et Prunier G , Les ethnies ont une histoire, Paris, Karthala-ACCT, p.387-403.