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Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

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Page 1: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014
Page 2: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

Rédacteurs en chefBénédict de Tscharner

Anselm Zurfluh

GraphismeSébastien Zurfluh

Editions de Penthes

CorrectionsInstitut des Suisses dans le Monde

Couverture : ©exem

Musée des Suissesdans le Monde18, chemin de l'Impératrice

1292 Pregny-Genève

www.penthes.ch

Page 3: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

SOMMAI RE

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6 Genève et la Suisse, 1814-2014

12 La Suisse dans la Grande Guerre

18 Quand les étudiants suisses__  fréquentaient les universités__  allemandes

22 Ma mission au Mozambique

30 Nobles Suisses dans le monde

34 Jost Bürgi, Kepler und der Kaiser

35 Léo Lesquereux (1806-1889)

36 La Suisse et la guerre__  d'indépendance algérienne

37 Peter Geier, précurseur intrépide__  de l'écologie

38 Egyptien et Diplomate, Farag__  Mikhaïl Moussa (1892-1947)

41 Marcel Junod et l'arbre__  d'Hiroshima

44 A Penthes, Tintin,__  comme vous ne l'avez jamais vu

54 Urs et Yvonne Amman

59 Des Alpes aux Andes - Léon__  Steiner

64 Terres Suisses dans le monde

66 L'exposit ion Peter Knapp

4 Éditorial

9 Présence Suisse : le défi

16 Hommes sans visage

21 Ici l'Afrique / Here Africa

26 Peuples autochtones, un combat__ noble et pacifique

32 Swiss Library USA

35 Etienne Clavière /1735-1793)

36 The Swiss Emigration to the__ Red River

37 L'égyptologue Marguerite Naville__ (1852-1930)

38 Charles Borgeaud (1861-1940)

40 Micheline Calmy-Rey, La Suisse__ que je souhaite

42 Touche pas à mon Penthes

48 Suisses d'hier, Suisses__  d'aujourd'hui

56 Ruedi Rüesch

60 Les Bertoni - une dynastie de__  scientifiques suisses

65 Una fiesta para el alma

67 Pour un enseignement de l'histoire__  suisse et genevoise

Page 4: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

4

Rodolphe S.

Imhoof

ancien ambassadeur de

Suisse auprès de

l'UNESCO

Président de la Fondation

Le 9 février dernier le peuple et les cantons suisses se sont prononcés sur

une initiative visant à sceller dans la Constitution de notre pays le principe

d'un plafonnement et d'un contingentement de l'immigration. A Penthes,

cette décision populaire ne nous a pas laissés de marbre. Depuis toujours les

Suisses, et notre pays tout entier, ont profité du droit à la mobilité des

personnes, qui transcende les aspects politiques, juridiques ou économiques.

C'est pourquoi nous nous sommes érigés dans notre institution en acteurs

culturels, promoteurs de la circulation des personnes dans les deux sens qu'a

nécessairement tout mouvement migratoire. Aujourd'hui nous entendons

renforcer notre vision culturelle d'ouverture historique de la Suisse vers le

Monde, documenter les particularités qui font la Suisse et qui sont à la fois le

fruit de l'apport des Suisses au monde et de celui des personnes qui ont

déployé leurs racines chez nous  : une Suisse indépendante, profondément

démocratique, pragmatique, solidaire, prônant l'universalité. Une Suisse faite

d'hommes et de femmes qui vont aussi chercher leur inspiration dans d'autres

contrées. Une Suisse accueillante, unie dans toute sa diversité.

C'est mûs par cette vision que nous nous sommes associés au grand

projet que le Conseil d’Etat de Genève a retenu dans son principe pour le

Domaine de Penthes  : un centre de rencontres entre les Suisses et le monde,

de recherches et de dialogues au service de l'image de la Suisse à l'extérieur. A

ce titre le Musée fera office de vitrine culturelle, expliquant la réalité de

l'engagement de la Suisse et de Genève dans le monde globalisé et

démontrant leur intégration de toujours. Ce fait constitue l'origine de

l'objectif global de la Fondation dont vous, Amis de Penthes en particulier,

êtes les porteurs.

Dans cette veine nous avons inauguré, en février dernier, une très belle

exposition, largement saluée par la critique, «  Objectif Penthes  :

TINT'INTERDIT, pastiches et parodies  » . Comme le veut son titre, cette

exposition met en lumière l'objectif pérenne de notre Musée de décliner,

principalement sous l'angle historique et culturel, l'ancrage inébranlable de la

Suisse dans le monde qui l'entoure. Par une multitude de références, de clins

d’œil, cette exposition a pour objectif d'illustrer l'inspiration que la Suisse,

certains Suisses, ont insufflée à Hergé et en même temps souligner les

particularités de la réception par les Suisses des aventures du grand reporter

belge. C'est donc le principe même de l'interaction culturelle entre les mondes

qui est illustré par cette exposition. Les pièces exposées sont souvent des

CHERS AMIS LECTEURS,

Page 5: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

5

gravures à tiroirs, une sorte d'incitation à voyager dans l’histoire et la culture

de l'autre, de notre voisin. Elles reflètent l’absorption et l'adaptation que les

«   a  tintinophiles  » suisses ont fait des aventures, des expressions, de la

gestuelle du célèbre héros de Hergé. Le binôme Suisse-Monde, et son miroir,

s'y expriment avec pertinence et ironie.

En mai nos cimaises accueilleront «   Ici Afrique  ». Un autre exemple

significatif de notre engagement culturel qui dépasse les frontières et les

clivages. Il s’agira de montrer, après les manifestations organisées au cours du

traditionnel «  Automne de Penthes  » l'an dernier autour des Amériques ( je

vous recommande d'ailleurs la lecture de l'article de notre Directeur, qui en

est une première récolte, publié dans le présent numéro), nos liens multiples

avec un autre continent de ce monde globalisé, grâce notamment à la

présence d'artistes africains.

Enfin, nous poursuivrons, plus tard dans l'année, notre périple culturel

avec une exposition d’œuvres du photographe suisse Peter Knapp, «   Elles, 101

regards sur les femmes  ». Un regard suisse, d'un tout grand photographe qui a

sillonné le monde, travaillé longtemps pour le magazine Elle, mais pas

seulement. Un regard au plus large éventail qui trouvera sa conclusion dans la

série de portraits inédits sur les femmes de Genève d'aujourd'hui. Là encore

s'épanouira le lien indissoluble entre Genève, la Suisse et le monde.

Ces trois expositions, à voir et à revoir dans notre musée, par excellence

le musée des citoyens suisses dans le monde, – car nous le sommes tous, que

nous le voulions ou non – sont une réponse aux esprits chagrins qui taxent la

Suisse et les Suisses de «   hérissons  » renfermés et consternants. Une réponse

fragmentaire certes, mais grâce au message d'ouverture culturelle que ces

expositions distillent, une réponse forte. A Séville, Ben Vautier avait déclamé

«   La Suisse n'existe  pas  » . Je prendrai résolument le contre-pied de sa

déclaration  : «   La Suisse existe  » . Une Suisse respectueuse de la volonté de ses

propres citoyens, respectueuse des autres aussi, ouverte culturellement  : ces

trois expositions en sont le reflet.

Rodolphe S. Imhoof

Page 6: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

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GENÈVE ET LA SUISSE1 81 4 – 201 4

Arrivée des Suisses au

Port-Noir en 1814

Genève s’apprête à célébrer les 200 ans de son entrée

dans la Confédération. Ce pas franchi en 1 81 4/1 5 fut

l ’aboutissement d’une période particul ièrement

diffici le  : la grande rupture révolutionnaire, les années

d’appartenance de Genève à la France, la période

marquée par Napoléon, la fin de l’Empire et l ’arrivée

des troupes al l iées, puis des troupes helvétiques…

Page 7: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

7

EN TRET I EN AVEC

Irène Herrmann Palmierihistorienne, professeure associée, Unité d’histoire suisse, Université de Genève

membre du Conseil de la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde

Notre première question  :

Genève a eu des liens

importants avec le Corps helvétique, notamment

avec Berne, bien avant son entrée au cercle des

cantons confédérés. Et on a vu des troupes

bernoises, entre autres, dans les rues de Genève à

plusieurs reprises, expression de ce rôle d’allié et

de protecteur des Suisses sur la cité lémanique.

Pourquoi, en somme, a-t-il fallu attendre le XIXe

siècle pour voir Genève devenir officiellement

suisse  ?

Les liens de Genève avec le Corps helvétique ne

suivent pas une évolution linéaire, mais oscillent

au fil du temps et des événements. Ainsi, juste

avant et après l'adoption de la Réforme, on observe

un resserrement avec certains cantons. Toutefois,

au XVIIIe siècle, la République semble plutôt se

tourner vers la France, jusqu'à ce que cette

dernière ne devienne trop menaçante et qu'en 1792,

les syndics genevois obtiennent que leur ville soit

incluse dans la neutralité suisse.

Cette fragile garantie s'effondre quand les troupes

du Directoire envahissent la Confédération  ; elles

annexent aussi Genève qui est promue chef-lieu du

Département du Léman, avant de devenir Ville

d'Empire. Pendant les guerres napoléoniennes, ses

habitants ne se soucient guère de leurs voisins

d'outre-Versoix. La plupart d'entre eux sont alors

persuadés que le destin de Genève est de devenir

française.

Lorsque la fin de la période française s’est

annoncée, y avait-il débat public  sur le futur statut

de la ville  : rejoindre l'un des deux royaumes

voisins, la Sardaigne (avec la Savoie qui rentrait

dans le giron de Turin) ou la France, opter pour

l’indépendance, adhérer à la Confédération – ou

cette dernière option était-elle ce que les Anglais

appellent a foregone conclusion, une évidence  ?

Un petit groupe de notables avait déjà anticipé

cette fin et prévu le retour à l'indépendance. Après

le départ des troupes françaises, l'administration de

la préfecture est pourtant confiée à une

«  Commission centrale du Léman  » qui, dans

l'ensemble, penche pour la France. Entre ces deux

instances se développe rapidement une

concurrence palpable. Pour emporter la mise, le

premier organisme décide de jouer la carte de la

Suisse, qui était celle que préconisaient les Grandes

Puissances  ; cette option présentait le triple

avantage d'éviter le risque d'un rattachement à la

Savoie, ennemie héréditaire et honnie, d'avoir le

soutien des monarques européens au détriment des

membres de la «   Commission centrale  », et de se

laisser une certaines marge de manœuvre

gouvernementale à la faveur de l'ultra-fédéralisme

helvétique.

Qui étaient les hommes aux responsabilités à

Genève, chargés de préparer, de négocier et de

mettre en œuvre ce pas  ? Tout le monde connaît le

nom de Charles Pictet de Rochemont  ; mais y en

avait-il d’autres dont il faudrait retenir la

contribution 

Il est truculent de constater que Pictet de

Rochemont a été transformé en principal artisan de

l'entrée de Genève dans la Confédération. Certes, il

n'y était pas défavorable, mais bien plus que lui –

voire contre lui –, ce sont les membres les plus

Page 8: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

8

conservateurs du gouvernement genevois qui

détermineront les limites et la physionomie du

canton. L'étroitesse territoriale de Genève est

surtout due aux syndics Joseph des Arts et Ami

Lullin… dont le grand public a largement oublié les

noms.

Quant aux cantons suisses, étaient-ils ravis – ou

résignés – à la perspective d’accueillir Genève au

sein de la Confédération ? Quel était l’apport de

Genève à la Suisse d’alors ?

Certains cantons étaient contents, d'autres l'étaient

moins. Le fait est que l'incorporation du Valais, de

Neuchâtel et de Genève a été imposée à la Diète

par les représentants des Grandes Puissances pour

prix de leur bienveillance envers la Suisse. Si le

coût a parfois semblé élevé, il a néanmoins paru

valoir la peine d'être payé.

Qu’est-ce qui a changé concrètement pour Genève,

avec son passage au statut de canton ? Il y a eu la

question de l’assise territoriale, donc des frontières,

y compris celle des zones franches ; mais devait-on

régler d’autres points importants encore ?

Les changements concrets mettront près d'une

génération à s'imposer dans la population qui,

progressivement, apprendra à considérer qu'elle est

aussi suisse. Un phénomène non négligeable alors

que s'affirme l'Europe des nations.

Quel genre de canton Genève est-elle devenue à

partir de 1815  ? On a l’impression que l’idée d’une

étape supplémentaire, celle de passer d’une

structure confédérale à une constitution fédérale

notamment, n’a été franchement souhaitée et

soutenue à Genève qu’avec l’arrivée au pouvoir

des Radicaux de James Fazy  ?

Les élites gouvernementales ont longtemps cultivé

une vision «   utilitariste  » de leur appartenance

suisse. La chose s'inscrit parfaitement dans le

système politique ultra-fédéral de la Suisse de la

Restauration. Au moment où Fazy assoit son

pouvoir, quelques décennies plus tard, la

Confédération est sur le

point de devenir une

fédération, modifiant

ainsi les rapports qu'on

pouvait avoir avec

elle… Même si,

fondamentalement, les

Genevois n'ont cessé

d'estimer qu'ils étaient

spéciaux et valaient

plus que leurs

compatriotes.Charles Pictet de Rochemont

Page 9: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

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EN TRET I EN AVEC

Nicolas Bideauambassadeur, directeur de Présence Suisse

PRÉSENCE SUISSE :LE DÉFI

Monsieur l’ambassadeur, rappelez-nous les

origines de la structure que vous dirigez. Quels ont

été les incidents ou développements négatifs qui

ont incité la Berne fédérale à se mobiliser pour

améliorer l’image de la Suisse dans le monde  ?

Dans les années 1970, l’image de la Suisse fut

ternie par les initiatives «   Schwarzenbach  ».

Rattachée au Département fédéral des affaires

étrangères (DFAE), la Commission de coordination

pour la présence de la Suisse à l'étranger (COCO)

fut alors créée afin d’assurer le rayonnement de la

Suisse à l’étranger. Ses diverses prérogatives

incluaient notamment la fonction de commission

des expositions universelles et la décision de

priorités régionales et sectorielles. La COCO

comprenait une vingtaine de membres,

départements fédéraux, organisations semi-

publiques ou privées (Pro Helvetia, Office suisse

d’expansion commerciale, Suisse Tourisme, SSR).

Mais les moyens modestes attribués à la COCO se

révélèrent insuffisants.

Dès 1996, le dégât d’image causé par l’affaire des

fonds en déshérence fit prendre conscience au

Parlement (Commission de politique étrangère du

Conseil national) de l’importance de structures

permettant de diffuser des informations sur la

Suisse à l’étranger. Le Parlement souligna alors la

nécessité de renforcer la COCO.

Le 24 mars 2000, les Chambres fédérales décident

de créer Présence Suisse, sous la forme d'une unité

administrative décentralisée de la Confédération

rattachée administrativement au DFAE. La loi et

l'ordonnance relatives à la promotion de l'image de

la Suisse à l'étranger entrent en vigueur le 15

novembre 2000. La mission de la communication

internationale est de promouvoir la visibilité de la

Suisse à l’étranger, défendre les intérêts et

positions du pays, développer et entretenir les

relations à l’étranger. La stratégie entre en vigueur

le 1er janvier 2009. De nouvelles tâches sont

assignées à Présence Suisse en matière de «  menace

pour l’image / crise d’image  », donnant lieu

notamment à la veille et l’analyse de la presse

étrangère (issues monitoring). En juin 2012,

Présence Suisse fusionne avec le Centre de

politique étrangère culturelle (CCC) du DFAE. Le

1er juin 2012, le Conseil fédéral adopte la stratégie

de communication internationale 2012-2015  ; elle

donne la priorité à une approche thématique

incluant des priorités géographiques, alors que la

priorité était donnée jusque-là aux seuls objectifs

géographiques.

© Présence Suisse DFAE

Page 10: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 0

Quel est le sens d’une coordination de la

promotion par le DFAE, étant entendu que, depuis

bien longtemps, il existe de nombreux instruments

de promotion – publics, privés ou mixtes – dans le

domaine du tourisme, par exemple, de l’expansion

commerciale ou encore de la culture  ?

Historiquement, les événements ayant porté

atteinte à l’image de la Suisse et qui ont impulsé la

création de la COCO, puis de Présence Suisse,

étaient de nature éminemment politique.

L’institutionnalisation d’un organe chargé de

superviser la conception globale de la présence de

la Suisse à l’étranger et de coordonner ses activités

fut d’ailleurs une initiative du Parlement. Comme

en témoigne l’expression «   diplomatie publique  »,

la communication internationale revêt une

dimension politique. Elle ne saurait donc être

pilotée indépendamment des réseaux

diplomatiques traditionnels et du DFAE. De plus, la

sensibilisation des publics étrangers aux

particularités culturelles, socio-économiques et

politiques de la Suisse, fait partie de la mission de

Présence Suisse. C’est pourquoi nous nous

efforçons d’optimiser notre collaboration avec des

acteurs publics et privés opérant dans la culture, le

tourisme et l’économie.

A notre époque d’une mondialisation des informa-

tions et des images, la promotion officielle d’un

pays a-t-elle encore un sens? N’y a-t-il pas là,

parfois, un élément d’autosatisfaction  ?

La mondialisation des informations et des images

au contraire rend nécessaire la mise en œuvre

d’une stratégie apte à rendre visible et cohérente

l’image d’un pays. Le bruit médiatique occasionné

justement par la mondialisation des informations

et des images, les confusions et simplifications qui

en découlent, ainsi que la rapidité à laquelle se

propagent des informations parfois préjudiciables à

la réputation d’un pays renforcent ce besoin

stratégique. La communication internationale

répond notamment à ce besoin.

Que faites-vous des «   zones d’ombre  », des

événements ou facteurs négatifs qui concernent la

Suisse et qui sont susceptibles de ternir l’image du

pays  ?

Roger Federer,

House of Switzerland,

Jeux olympiques de

Londres 2012

© Présence Suisse DFAE

Page 11: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 1

À court et moyen terme, des stratégies de

communication sont justement élaborées en

fonction des sujets sensibles. Lors de votations

susceptibles de provoquer des réactions négatives

dans les médias étrangers, par exemple, des

réponses adaptées aux différents publics sont

préparées dans le but d’informer, par exemple sur

les particularités de la démocratie directe. Sur le

long terme, Présence Suisse s’attache également à

promouvoir des aspects de la Suisse qui sont moins

connus par les publics et les médias étrangers, tels

par exemple que sa capacité d’innovation.

Rappelez-nous les principales lignes de l’action de

Présence Suisse pour 2014.

Présence Suisse met en place des plateformes à

l’étranger dans le cadre de grandes manifestations

internationales  : en 2014, la Maison de la Suisse à

l’occasion des Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi,

ainsi que notre présence au Brésil lors de la Coupe

du monde de football font partie des priorités de

Présence Suisse. Dans le cadre de l’Exposition

universelle 2015 à Milan, ce sont les préparatifs du

Pavillon Suisse ainsi que la campagne de promotion

du Giro del Gusto qui sont à l’agenda. L’expérience

des pavillons suisses à l’étranger s’est jusqu’ici

révélée positive. Il est probable qu’elle soit

reconduite après 2015, bien qu’il soit prématuré de

s’avancer sur la question de façon plus précise.

Quels sont les moyens financiers que la

Confédération, et donc le contribuable suisse,

investit dans cette activité  ? Faudrait-il en faire

plus  ?

Les activités de Présence Suisse sont financées par le

budget annuel du DFAE. Le budget ordinaire alloué

à Présence Suisse en 2013 (après sa fusion avec la

CCC) s’élève à un peu plus de 10 millions de francs.

À cela s’ajoutent des contributions extraordinaires

de la Confédération lors d’événements auxquels la

Suisse participe  : 24 millions pour l’Exposition 2015,

3 millions pour la Maison de la Suisse à Sotchi en

2014. Enfin, Présence Suisse finance une partie de

ses activités grâce à des sponsors qui s’associent à

elle lors de ces événements.

L’action de Présence Suisse a-t-elle eu un impact

perceptible, voire mesurable, non seulement sur une

vague opinion publique d’un pays donné, mais sur

l’attitude des élites et du gouvernement étranger

concerné vis-à-vis de la Suisse ?

L’organisation et la participation de Présence Suisse

à des activités de communication et d’événements

au sein de nos ambassades à l’étranger, la

conception de pavillons lors de grandes

manifestations internationales ainsi que l’accueil de

délégations étrangères constituent autant de

plateformes qui assurent une visibilité de la Suisse

auprès des responsables politiques étrangers. Les

contacts diplomatiques à l’étranger confirment que

cet impact est réel. Celui-ci se traduit par des

collaborations entre la Suisse et des pays étrangers

dans différents domaines, y compris d’ailleurs dans

celui de la promotion de l’image. Ainsi, l’Espagne a

développé la marque «   España  » de façon très

aboutie. Son responsable, le Secrétaire d’État Carlos

Espinosa de los Monteros, sera prochainement mon

invité afin d’échanger sur les pratiques en matière

de communication internationale.

Miroir, miroir, dis-moi qui

est la plus belle…

dessin extrait de  :

Gianni HAVER (texte),

MIX & REMIX (dessins)

L’image de la Suisse

Editions LEP,

Mont-sur-Lausanne, 2011

Page 12: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 2

Christophe

Vuilleumier

docteur en histoire

Genève

LA SUISSE DANSLA GRANDEGUERRE

Il est bien évidemment possible d’évoquer de

nombreux aspects déterminant la Suisse de cette

époque. On connait l’épisode de la mobilisation qui

devait marquer durablement les esprits et la grève

générale de novembre 1918. Ces années de guerre

furent sombres et chaotiques pour le pays. La

Confédération resta certes sur sa position de

neutralité, mais nombreux furent ses ressortissants

qui ne le demeurèrent pas et qui décidèrent de

s’engager dans les armées françaises ou

allemandes. A l’étranger également, les expatriés

helvétiques, presque trois cent quatre-vingt mille

femmes et hommes avant 1914, furent touchés par

le conflit qui balaya l’Europe. Des colonies

britanniques, ils furent quarante mille hommes à

rejoindre le pays, abandonnant derrière eux

femmes et enfants, traversant parfois le monde

pour rejoindre leur patrie, avec dans la poche leur

ordre de marche reçu du consulat.

Dans les pays en guerre, les communautés suisses

survécurent tant bien que mal, suffisamment mal

pourtant pour que le Comité central pour les

Suisses nécessiteux rédige un appel en 1915 afin de

leur venir en aide. Les hommes, rappelés au pays

pour rentrer sous les drapeaux ou préférant

s’engager dans les armées de leur pays d’accueil,

étant absents, ce furent les femmes, les enfants et

les vieillards, qui constituèrent le plus souvent les

rangs de ces communautés helvétiques de Paris ou

de Bruxelles, soutenues à bouts de bras par les

légations suisses.

En 1915, les ressortissants suisses de l’étranger

furent tellement nombreux à s’engager dans les

armées en guerre que la Confédération songea à

prendre des dispositions législatives pour les en

empêcher. La presse d’alors cite sans défaillir au

cours de toutes ces années de guerre les Suisses

tombés sur les champs de bataille dont les noms lui

parviennent. Il en alla ainsi pour le capitaine Jules

Seylaz, de Môtier, tombé le 21 juin 1915 à la tête de

ses zouaves aux Dardanelles, pour le sergent

Albert Rey de Saint-Maurice tué sur le front de la

Somme le 10 octobre 1916, ou pour Konrad

Zellweger, fils de l’ancien Landamann de Trogen,

N’y a-t-i l rien à dire à propos de l’histoire de la Suisse

et des Suisses pendant la Première Guerre mondiale  ?

Les études historiques sur cette période ont été

modestes comparées aux efforts déployés pour

d’autres époques. A l’heure de la commémoration du

centenaire de l’ouverture de la Guerre de 1 91 4 dans les

pays jadis bel l igérants, i l semblait nécessaire de porter

une attention à ces années de crise et aux

répercussions du premier confl it mondial en Suisse.

Page 13: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 3

ART I C LE S

capturé en Namibie par les Anglais en 1915 lors de

la défaite des troupes coloniales allemandes

dirigées par le gouverneur Theodor Seitz et le

major Erik Victor Franke qui capitulèrent avec

quatre mille sept cent quarante soldats.

La guerre allait montrer également toute sa laideur

au cœur même de la Suisse, puisque c’est par elle

que plusieurs milliers de prisonniers tant civils que

militaires passèrent pour regagner leur nation. La

position géographique de la Confédération par

rapport au conflit offrait un avantage considérable

pour se déplacer rapidement et en toute sécurité de

l’Allemagne à la France ou à l’Italie. Les autorités

helvétiques créèrent d’ailleurs très rapidement le

Bureau de rapatriement des internés civils, qui

fonctionnait déjà le 22 septembre 1914.

Des convois remplis de soldats blessés, toutes

origines confondues, transitèrent également par le

territoire de la Confédération, salués à leur

passage, comme durant la nuit du 7 mars 1915

lorsque deux mille Suisses envahirent la gare de

Lausanne, en dépit des gendarmes, pour venir

témoigner leur sympathie aux militaires blessés

rentrant du front. Certaines de ces victimes furent

accueillies dans les hôtels désertés par leur

clientèle et transformés en hôpitaux de fortune,

une industrie du tourisme qui aurait été sans doute

anéantie par l’absence de vacanciers durant la

guerre sans cette reconversion humanitaire

financée par les États belligérants respectifs. Ces

hôtels virent ainsi quatre mille blessés britanniques

et bien plus encore de Français et d’Allemands. Les

conventions furent passées en automne 1915 entre

la Suisse et les pays belligérants en parallèle aux

arrangements pris avec les représentants des

hôteliers suisses. Le règlement sur l’organisation

de l’internement des prisonniers blessés conçu par

le médecin colonel Hauser, responsable en chef de

la médecine militaire suisse, devait entrer en

vigueur le 25 février 1916. Une drôle d’époque tout

Page 14: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 4

Agence internationale de

secours et de

renseignements en faveur

des prisonniers de guerre,

Musée Rath, Genève

(Archives du CICR)

de même durant laquelle le génie d’un peuple

parvint à obtenir des combattants qu’ils lui

achètent tant les soins que les armes  !

Car la guerre allait profiter à certains qui surent en

faire une ressource soutenant l’économie vacillante

de la Suisse. Des personnes telles Jules Bloch dont

le train cheminait sans cesse de Bienne à Genève,

chargé de fusées d’obus fabriquées par les

horlogers neuchâtelois à destination des artilleurs

français, ou Marc Birkigt qui allait produire un

moteur d’avion au sein de son entreprise Hispano-

Suiza permettant à la chasse française de dominer

le ciel. Des activités suivies attentivement par les

services de renseignements étrangers comme la

Metallum, une société créée en Suisse par

l’Allemagne, devant officiellement faciliter les

transactions industrielles entre les deux pays, mais

qui employait de nombreux agents de

renseignements actifs dans l’espionnage politique

et commercial.

La guerre devait en effet créer un phénomène

nouveau en Suisse, l’espionnage qui se développa

comme une traînée de poudre de Bâle à Genève, de

Zürich à Lugano, impliquant aux côtés d’agents

étrangers un grand nombre de confédérés.

Quelques-uns, capturés au cours de missions dans

les pays où ils opéraient, comme le Suisse

Malherbe à Troyes, furent passés par les armes aux

heures blafardes de leur dernière matinée. D’autres,

comme ce fut le cas de Youssouf Saddik Pacha,

Page 15: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 5

Grévistes en 1918

(coll. privée)

Les aspects relevés dans cet article ne sont qu’un

pâle reflet de cette période autrement plus riche

et complexe. Et on ne peut qu’espérer que le

colloque qui se déroulera au Château de Penthes

du 10 au 12 septembre 2014, et qui réunira une

trentaine de chercheurs suisses et étrangers,

permette une vision à la fois plus large et plus

spécifique de ces années sombres.

représentant de l’ancien Khédive d’Égypte à

Constantinople, résidant à la «  Maison Royale  » à

Genève, ne furent qu’inquiétés. D’autres encore,

déserteurs ayant échappé aux horreurs de la

guerre, n’eurent d’autre choix que d’obéir aux

ordres d’officiers de renseignements payant plus

ou moins grassement leurs services. En effet, ces

déserteurs n’étaient pas rares en Suisse. En 1918, la

police des étrangers en recensait plus de quatre

mille, originaires de France, d’Allemagne et d’Italie,

ayant trouvé un abri à Genève.

Et c’est dans ce refuge que le Comité international

de la Croix-Rouge, présidé alors par le Genevois

Gustave Ador, mit en place, dès l’ouverture du

conflit, l’Agence internationale de secours et de

renseignements en faveur des prisonniers de

guerre. Et c’est ce même Gustave Ador, revenu à la

vie civile en 1920, après son bref passage au

Conseil fédéral, qui défendit au nom du

gouvernement suisse la ville de Genève comme

siège de la Société des Nations. Après les années de

guerre, ce nouvel élan de civilisation devait garan-

tir la paix  ; mais si la rupture de 14/18 annonçait

l’avènement d’une modernité, les espoirs allaient

se taire devant les divisions de blindés nazis

envahissant la Pologne en septembre 1939.

Page 16: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 6

HOMMES SANS VISAGE,D’HENRIETTE RÉMI

une leçon d’histoire et de vie proposée aux élèves

romands

Stéphane Garcia

docteur en histoire,

enseignant au Collège

Sismondi (Genève)

A sa parution en 1942, Hommes sans visage de la

Suissesse Henriette Rémi suscita quelques comptes

rendus élogieux et émus dans la presse romande.

Pourtant, en raison des circonstances, son ouvrage

sur les «   gueules cassées  » de la Grande Guerre

devait rester un cri pacifiste quasiment inaudible.

Aujourd’hui réédité à l’occasion du centenaire de la

Première Guerre mondiale, ce témoignage unique

en son gendre connaît une nouvelle fortune. Et pas

seulement en librairie. Il a en effet été diffusé dans

l’ensemble des écoles secondaires romandes, grâce

à l’appui du Département genevois de l’Instruction

publique et de la Fondation pour l’Histoire des

Suisses dans le Monde, ainsi qu’au don généreux

d’une fondation de famille.

Les quelque 1800 enseignant-e-s d’histoire des

écoles secondaires obligatoires et post-obligatoires

des cantons francophones ont ainsi reçu

gratuitement un exemplaire de l’ouvrage en février

2014, ce qui constitue probablement une première.

Ils ont pu juger sur pièce de l’intérêt d’aborder

avec leurs élèves cette thématique des grands

blessés de guerre, certes difficile mais très

instructive, soit en cette fin d’année scolaire, soit

lors de la prochaine. A cet effet, trois séquences

pédagogiques leur sont proposées, librement

téléchargeables depuis le site de la Fondation

(www.penthes.ch, onglet « Institut » puis « Projet

Henriette Rémi »).

La première consiste en une réflexion, après

lecture, sur l’authenticité du témoignage

d’Henriette Rémi. L’attitude critique face à une

source historique constituant l’un des piliers de

l’histoire enseignée, les élèves trouveront avec

Hommes sans visage un terrain d’expérience

particulièrement pertinent. Quelle valeur attribuer

à des souvenirs vieux de vingt ans  ? Quels sont les

buts poursuivis par l’auteure  ? Comment se

permet-elle de donner les noms des hommes

défigurés, dont certains sont probablement encore

vivants à la parution du livre  ? Les élèves pourront

confronter et évaluer leurs hypothèses sur la base

des éléments de connaissance qu’ils tirent du

témoignage et de ses deux pièces liminaires.

Guidés par leur enseignant-e, ils s’adonneront

également à une sorte de jeu de piste qui fait le

plaisir de l’enquête historique  : livrés peu à peu par

le professeur (qui aura lu la postface,

contrairement aux élèves), les éléments

d’information sur la vie de l’auteure permettront

de relancer le débat, et de le conclure sur une

position nuancée. Les élèves motivés auront alors

le loisir de lire la postface historique, qui

complétera utilement leurs connaissances sur

l’ouvrage et son auteure. Selon le temps que

l’enseignant-e voudra consacrer à l’exploitation de

cette source historique, cette démarche critique

constituera un possible préalable aux deux autres

séquences proposées, portant l’une sur la place des

femmes pendant la Grande Guerre, l’autre sur le

pacifisme de l’entre-deux-guerres.

Page 17: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 7

L I VRE S

La présence d’Henriette Rémi, infirmière bénévole,

au milieu de ces hommes défigurés, offre

l’opportunité d’aborder son témoignage et, au-delà

les conséquences même du conflit, à travers ses

dimensions sociales et culturelles. En cela, la

séquence intitulée «  Gueules cassées  » et

infirmières, hommes et femmes durant la Première

Guerre mondiale s’inscrit à la fois dans un sillage

fécond de l’historiographie actuelle, et dans un

souci pédagogique souligné par les plans d’études  :

celui de parler du rôle des femmes dans l’histoire.

Hommes sans visage renvoie à deux icônes de la

Première Guerre mondiale, le guerrier et l’«   ange

blanc  », qui illustrent bien le décalage entre les

modèles et la réalité vécue, entre la représentation

sociale et la perception de soi. De là découle toute

une série de questions  : En quoi le conflit a-t-il

changé les hommes, les femmes et leurs relations  ?

Dans quelle mesure la guerre a-t-elle modifié les

identités sexuées  ? Constitue-t-elle une rupture

dans l’histoire du féminin et du masculin, ou au

contraire renforce-t-elle la continuité des

stéréotypes de sexe  ? Plus simplement, a-t-elle

héroïsé les hommes ou au contraire mis à mal leur

virilité  ? A-t-elle émancipé les femmes ou a-t-elle

eu plutôt un effet conservateur  ? Ces

problématiques renverront les élèves à leurs

propres représentations, actuelles, sur les questions

de genre, ce qui donne toujours l’occasion de

riches échanges avec eux et entre eux.

La troisième séquence suggérée par le témoignage

d’Henriette Rémi est en lien avec le contexte de sa

production  : non pas la Première Guerre mondiale,

mais de ce que nous savons être l’«   entre-deux-

guerres  » . Or, cette expression même (à l’instar de

celles, courantes aussi, de «  marche à la guerre  » ou

de «   guerre de trente ans  ») suggère une évolution

des faits menant fatalement vers le pire. La

séquence intitulée «   La Der des Ders  : Comment

faire pour qu’un tel conflit ne puisse plus se

reproduire  ?   » invite l’élève à déconstruire ces

fausses évidences en découvrant les initiatives,

multiples et variées, de celles et ceux qui ont cru à

un monde où régnerait la paix. Ils découvriront

notamment, à travers l’analyse de divers

documents de cette époque, que «   l’Esprit de

Genève  » n’était pas une vaine expression dans les

années 1920, et que des Suisses et des Suissesses,

comme Henriette Rémi, ont joué un rôle important

dans les mouvements pacifistes d’après-guerre.

Certes, le pacifisme de cette époque-là n’a pas

bonne presse  ; son ultime expression, les accords de

Munich, est aujourd’hui synonyme de lâcheté  ; et,

pensera-t-on peut-être, son échec final rend peu

utile son étude en classe. En réalité, les solutions

pacifistes qui émergent durant cette période, loin

d’être complètement utopiques, ont souvent été

reprises et mises en œuvre au lendemain de la

Seconde Guerre mondiale. Une fois encore, les

élèves de la Suisse d’aujourd’hui, pour qui la

guerre semble une réalité ancienne ou lointaine,

comprendront que leur monde est bien issu de

cette réalité-là  ; et que l’engagement de

personnalités, de forces positives –  beaucoup

d’anonymes  – permet, en dépit des difficultés, de

faire progresser l’humanité.

Cette leçon d’histoire et de vie, qui répond

exactement à la posture d’Henriette Rémi, a une

chance d’être rappelée à l’occasion des

commémorations à venir et de la lecture, dans les

classes, d’Hommes sans visage.

Editions Slatekine,

Musée des Suisses dans le

Monde, Genève 2014

Page 18: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 8

Olivier Meuwly

Lausanne

QUAND LES ÉTUDIANTSSUISSES FRÉQUENTAIENTLES UNIVERSITÉSALLEMANDES

Le paysage académique suisse n’a pas toujours connu

la densité que l’on peut contempler aujourd’hui .

Longtemps, sur le territoire qui deviendra la Suisse,

n’émerge qu’un établissement susceptible de répondre

au nom d’université  : à Bâle. Et encore, fondée en 1 460

et après avoir enregistré des débuts bri l lants, la

vénérable institution poursuit un lent décl in, qui

l ’amène aux portes de l’ insignifiance alors que

s’évei l lent les Lumières au cours du XVI I Ie siècle...

Non que la Suisse restât étrangère à ce formidable

mouvement intellectuel qui allait embraser l’Europe.

Les Helvètes se trouvent au contraire aux premières

loges de l’ascension triomphante de la Raison en

guerre contre tous les obscurantismes. Mais les

jeunes Suisses désireux d’arpenter les champs

qu’ouvre cette nouvelle approche de la science

doivent émigrer, pour parfaire leur formation

acquise au pays. Les cantons ont certes assimilé les

principes du progrès, ont peu à peu réformé leur

système scolaire, possèdent des académies capables

de former les pasteurs (surtout) et les juristes dont

ils ont besoin. Mais l’accès à une université qui leur

permettrait d’embrasser l’horizon en pleine

mutation du savoir leur est interdit.

Dès le XVIIIe siècle, une région aimante les

ambitions intellectuelles de la jeunesse cultivée de

notre pays  : l’Allemagne, ou ce qui en tient lieu.

Wartburgfest 1817

Page 19: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

1 9

ART I C LE S

Dans ce monde germanique si morcelé, formé

d’une juxtaposition de principautés, détenir le

siège d’une Université constitue un gage de respect

et d’honorabilité pour cette myriade de rois,

princes et grand-ducs jaloux de leur pouvoir.

Chacun aspire à posséder la meilleure Université,

tous se livrent une concurrence féconde pour

attirer les professeurs les plus prestigieux. Mais

cette course à la gloire a un prix... dont profite la

science  : leurs espoirs ne pourront être exaucés

qu’en échange d’une liberté flamboyante dans un

univers encore engoncé dans les contraintes de

l’Ancien Régime. Le résultat est lumineux  : malgré

la crise qui frappe le monde académique allemand

à l’aube du XIXe siècle, avant les réformes initiées

par Humboldt, un très grand nombre d’universités

prospèrent et tous les regards se tournent vers

elles.

Alémaniques ou Romands, les étudiants suisses se

pressent par centaines dans ces petites villes qui,

sans leur vie académique des plus animées,

auraient dû se satisfaire d’une morne sérénité, à

l’abri des tourelles de leurs châteaux médiévaux et

des cossues maisons à colombages de leurs rues

marchandes. Les jeunes Romands prendront en

général le chemin des villes du sud de l’Allemagne

comme Tübingen. On y croisera notamment deux

étudiants en droit vaudois, le Rollois Frédéric-

César de La Harpe et le Morgien Henri Monod.

Tous deux joueront un rôle central dans la

libération de leur patrie, puis dans son affirmation

comme canton suisse égal aux autres en 1803,

avant de poser les fondements du mouvement

libéral en Suisse. Marc Mousson, le si subtil

chancelier de la Confédération sous la

Restauration, y obtient son doctorat en droit en

1796. Les Alémaniques, de leur côté, se dirigent

souvent vers Iéna, comme le Lucernois Ignaz Paul

Vital Troxler en 1800. Elève du philosophe

Schelling, il deviendra l’un des principaux

penseurs du mouvement libéral puis radical, dans

lequel il instillera quelques éléments du

romantisme politique enseigné par son maître. Il

sera l’un des «   inventeurs  » du système bicaméral

qui régit encore notre système parlementaire.

Les événements politiques de la fin du XVIIIe et du

début du XIXe siècles n’épargnent pas les

universités. Dans cette Allemagne occupée par les

Français, la jeunesse académique s’enflamme pour

le combat patriotique contre les troupes napoléo-

niennes et s’immerge avec avidité dans les discours

à la nation allemande de Fichte. Les armes à la

main, ils décident de contribuer à l’édification

d’une Allemagne unie sous les auspices des idéaux

libertaires de la Révolution française. Jusque-là, les

étudiants étaient en général réunis dans des Corps,

en fonction de leur région d’origine et, loin de se

soucier de politique, pratiquaient avec assiduité les

rites médiévaux tournant autour de la bière et du

duel.. .

De retour des guerres de libération, nombre

d’étudiants imaginent une grande organisation qui

fédérerait tous les étudiants au sein d’une

association au service de la nouvelle Allemagne

dont ils rêvent. En 1817, le jour anniversaire de la

bataille de Leipzig, ils fondent au château de la

Page 20: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

20

Wartburg, près de Weimar, la Deutsche

Burschenschaft. Leurs espérances sont toutefois

partiellement déçues. Une partie seulement des

Corps antiques s’y rallie, la cohabitation avec les

autres sera souvent difficile. Mais, surtout, le

libéralisme nationaliste de la Burschenschaft épouse

des contours variables  : plutôt favorable à une

monarchie constitutionnelle à Heidelberg, très

républicain à Giessen... Après le meurtre d’un

poète réactionnaire par un étudiant de cette ville,

la Burschenschaft est provisoirement proscrite, en

1819. Le rôle politique de cette association sera

néanmoins essentiel.

Comment réagissent les cohortes d’étudiants

suisses face aux soubresauts de la vie universitaire

allemande  ? Ils se réunissent souvent dans des

Corps «   nationaux  » et fraient peu avec leurs

collègues allemands. Mais plusieurs Helvètes

manifestent un grand intérêt pour la Burschenchaft

et les idéaux libéraux qu’elle véhicule. Le plus

célèbre d’entre eux est Henri Druey, qui la

fréquente assidûment durant ses séjours à

Tübingen, puis à Heidelberg, dès 1820. Peu

désireux de se limiter à côtoyer ses compatriotes, si

nombreux, il entend découvrir son pays d’accueil,

sa jeunesse universitaire, les opinions politiques

qui s’y bousculent. Son engagement est total,

discussions politiques et soirées arrosées se

succèdent, à un rythme effréné. Il doit même

accepter un duel contre un Korpsstudent  qui l’avait

provoqué... Il suivra ensuite les cours du

philosophe Hegel à Berlin, avant de rentrer sur les

bords du Léman. Chef du mouvement radical

vaudois en 1845, il sera élu au sein du premier

Conseil fédéral, en 1848.

La fascination qu’exercent les universités

allemandes sur les étudiants suisses ne faiblira pas

durant toute la première moitié du XIXe siécle.

Certains entreront dans l’une ou l’autres des

sociétés d’étudiants locales, d’autres non. Un autre

futur conseiller fédéral adhérera également à une

Burschenschaft, à Iéna, durant le passage

germanique de son cursus de juriste  : l’Argovien

Emil Welti, conseiller fédéral de 1867 à 1891 et l’un

des artisans du réseau de chemins de fer

helvétique.

Puis l’attrait pour l’Allemagne universitaire va

progressivement diminuer au fur et à mesure que

le paysage académique helvétique s’étoffe, avec la

création d’universités de plus en plus cotées, à

Zurich en 1833, à Berne en 1834, puis à Genève et à

Lausanne vers la fin du siècle, sans oublier l’Ecole

polytechnique fédérale, en 1855, qui annonce un

renversement de tendance  : ce seront désormais des

étudiants allemands qui, malgré l’essor d’une

floraison d’écoles techniques prestigieuses outre-

Rhin, se rendront en masse à Zurich, l’«  Athènes  »

de la Limmat... au point que deux sociétés

d’étudiants suisses, la libérale Zofingue et la

radicale Helvetia, deux avatars indirects de la

Burschenschaft, se sentiront obligées de sceller une

éphémère fusion, qui ne durera que deux ans.

Daniel-Henry Druey (1799-1855)

Page 21: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

21

Page 22: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

22

Madame, vous êtes ingénieur agronome de formation,

diplômée (1 976) de l’Ecole polytechnique fédérale de

Zurich (EPFZ) et spécial iste du développement  ; vous

avez été responsable, au sein de la Direction du

développement et de la coopération (DDC) du

Département fédéral des affaires étrangères (DFAE),

des programmes pour l ’Afrique, puis, au cours des

années 1 990, coordinatrice résidente de la DDC à

Niamey (Niger), d’où vous avez, entre autres tâches,

dirigé la délégation suisse pour les négociations

menées dans le cadre de la Convention des Nations

Unies sur la lutte contre la désertification (CNULD).

Après avoir occupé le poste de cheffe de la section

d’environnement au DFAE à Berne, vous avez été

nommée vice-directrice de la DDC en 2001 . Depuis

l ’automne 201 0, vous exercez la fonction

d’ambassadeur de Suisse au Mozambique.

MA MISSIONAU MOZAMBIQUE

Page 23: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

23

EN TRET I EN AVEC

Therese Adamambassadeur de Suisse, Maputo

Que faut-il savoir sur le Mozambique, pays si peu

connu  ?

Le Mozambique peut être considéré comme un

point focal de l’intérêt croissant que le monde

d’aujourd’hui porte à l’Afrique et, dans la région, le

pays jouit d’une réputation qui ne cesse

d’augmenter. C’est notamment au sein de la

Communauté de développement de l’Afrique

australe (SADC) que Maputo joue de plus en plus

souvent un rôle de médiateur dans des conflits

régionaux et les troubles intérieurs (Madagascar,

RD du Congo…). Sur un plan géostratégique, le

pays est important en raison de sa situation en

bordure de l’Océan indien et de ses voies de

navigation.

Pays riche ou pays pauvre  ?

Les deux à la fois. Au cours des dix dernières

années, le Mozambique a connu une croissance

élevée et constante, de 6 à 8% du PIB par année  ; il

fait donc partie, dans le monde, du groupe de pays

dont la croissance est la plus marquée. Les secteurs

minier et énergétique contribuent largement à ce

résultat  ; mais il ne faut pas non plus négliger les

exportations agricoles et les services de transports.

Longtemps, les gisements de charbon et de métaux

rares sont restés non ou peu exploités, voire

inconnus. L’exploration des importants gisements

de gaz offshore ne date que de quelques années et

on estime que le pays se rangera d’ici peu parmi les

dix plus importants producteurs mondiaux de gaz

naturel. Il est évident que la mise en valeur de ces

richesses exige d’importants investissements en

infrastructures. Mais c’est bien la diversification de

l’économie, la formation et la création de postes de

travail en dehors des secteurs mentionnés qui

constituent le défi le plus important, y compris

celui d’éviter un endettement excessif en attendant

l’arrivée de revenus en devises plus importants du

secteur minier et énergétique.

Et la pauvreté  ?

Elle est toujours une réalité dominante. En effet, le

Mozambique fait partie du groupe des pays dits les

moins avancés  ; ce ne sera qu’à moyen terme que

cette classification pourra tomber. Plus de soixante-

dix pour cent de la population vit encore de

l’agriculture, peu productive, basée sur des

exploitations familiales non mécanisées. Même si

l’accès à des services de santé, à la distribution de

l’eau et à l’écolage a fait de réels progrès au cours

des quinze dernières années, beaucoup reste à faire.

Il faut rappeler qu’après l’indépendance, proclamée

en 1975, le Mozambique a connu une guerre civile,

entre 1976 et 1992, aux conséquences dévastatrices,

notamment aussi dans les régions rurales  ; le

nombre de morts de ces luttes est estimé à près

d’un million d’êtres humains. C’est par centaines

de milliers que les Mozambicains se sont réfugiés

dans des pays voisins et dans les villes, plus sûres.

Page 24: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

24

Mais à présent, les choses vont mieux  ?

Heureusement, oui. Depuis vingt ans, le

Mozambique connaît une paix politique et sociale

relative. Après la signature de la paix entre les

partis en conflit, à Paris en 1992, une nouvelle

constitution fut adoptée en 1994 introduisant un

régime multipartite. Il y eut depuis, souvent au

moment des élections, un certain nombre de crises

politiques mettant en lice le parti gouvernemental

Frelimo et le parti de l’opposition Renamo, les

anciens guérilleros  ; la dernière en date est toute

récente. En effet, à peine quelques mois avant les

élections locales de novembre 2013 et dans la

perspective des élections parlementaires et

présidentielles d’octobre 2014, les milices du

Renamo, toujours armées, se mirent à attaquer des

postes de police et des forces armées, voire des

véhicules civils sur l’axe principale de

communication entre le nord et le sud du pays. Le

but était bien d’empêcher la tenue des élections

locales  ; il y eut des morts et des blessés et les

accrochages entre ces milices et l’armée se sont

intensifiés.

Quant à la population, elle a réagi énergiquement

contre cette violence  ; sa peur d’une nouvelle

guerre est réelle. De nombreuses initiatives devant

faciliter le dialogue entre les forces en présence

sont issues de sa mobilisation. Finalement, les

élections locales ont bel et bien eu lieu dans toutes

les circonscriptions. Un jeune mouvement

d’opposition, le Mouvement démocratique du

Mozambique, désirant renvoyer les anciens

ennemis à leurs responsabilités, a pu engager des

succès plus qu’honorables au point qu’en février

2014, le Renamo a finalement accepté sa

participation aux élections d’octobre. Sans entrer

dans l’historique et les complexités actuelles de ces

antagonismes, disons simplement que les revenus

générés par l’exploration et l’exploitation des

ressources minières et énergétiques mettent des

moyens considérables entre les mains de ceux qui

contrôlent les instances de l’Etat.

Comment caractériser les relations entre la Suisse

et le Mozambique  ?

On connaît mal le Mozambique en Suisse, quoique

les relations soient anciennes tant sur le plan privé

qu’officiel. Depuis le XIXe siècle, des missionnaires

suisses y sont actifs. En 1887, une Missão Suíça,

émanant de l’Eglise presbytérienne, s’est établie au

Sud  ; les écoles de cette Mission étaient ouvertes à

toute la population et on y enseignait également

les langues locales. Le premier président du

Frelimo, Eduardo Mondlane, ainsi que le premier

président du pays, Samora Moises Machel, s’y sont

trouvés sur les bancs d’école, avec beaucoup

d’autres qui occupent actuellement des positions

en vue.

Parmi les missionnaires suisses qui ont été engagés

au Mozambique il faut surtout retenir le nom

d’Henri Alexandre Junod (1863-1934), qui a

également travaillé au Transvaal sud-africain

Page 25: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

25

voisin. Sa réputation est aussi celle d’un grand

linguiste, ethnologue et naturaliste. A Rikatla près

de Maputo où se trouve le séminaire qu’il a fondé

ainsi que sa tombe, un centre culturel portant son

nom a été ouvert en 2008.

Peu de temps après l’indépendance – qui fit suite à

une présence coloniale du Portugal de près de cinq

siècles (1498 à 1975) –, des organisations d’entraide

privées suisses ont entamé des projets de

développement, notamment dans le domaine de

l’approvisionnement en eau. Fin 1979, la DDC s’est

jointe à elles. Outre l’eau, d’autres infrastructures

et les réseaux de santé ont été visés, toujours

prioritairement dans les régions rurales du Nord.

Le problème central était bien les destructions

causées par la guerre civile. Dans le contexte de

l’accord de paix, la Suisse a contribué à la

démobilisation et la réintégration des combattants

des deux camps, programme mis sur pied par

l’ONU (ONUMOZ).

Si, traditionnellement, l’aide suisse se concentre

sur les besoins de base de la population et le

développement rural, il faut souligner la

contribution de la Suisse dans le domaine des

institutions démocratiques et de la protection des

droits humains  ; un accent est aussi mis sur la

décentralisation, la gestion des finances publiques

et la lutte contre la corruption. Depuis 2001, un

ambassadeur de Suisse réside à Maputo et vous

pensez bien que c’est surtout dans les domaines

que je viens de citer que le travail d’un

ambassadeur peut être utile – et fascinant. En

complément à l’action de la DDC, le Secrétariat

d’Etat à l’économie (Seco) fournit une aide

budgétaire. Avec tous ces dispositifs, la Suisse est

bien intégrée dans le dialogue que les autorités du

pays mènent avec la communauté internationale.

Est-ce que les entreprises suisses participent à cette

intensification des relations  ?

Oui, heureusement. Le domaine le plus attrayant,

bien évidemment, est le secteur minier et

énergétique, mais aussi les infrastructures et les

services. Le nombre d’entreprises suisses qui se

sont installées dans le pays ou qui y ont ouvert des

antennes a beaucoup augmenté au cours des deux

dernières années  ; elles sont parfaitement

conscientes que ce sont plutôt les perspectives à

long terme qui paraissent intéressantes, rarement

des affaires vite faites.

Conclusions  ?

Personnellement, je suis convaincue que ce pays

sera en mesure de profiter de ses énormes atouts

naturels  ; mais c’est bien la poursuite du processus

de démocratisation, le rétablissement complet de la

paix intérieure et des réformes de tout genre qui

détermineront son avenir.

Page 26: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

26

PEUPLES AUTOCHTONESUN COMBAT NOBLE ETPACIFIQUE

Siège de nombreuses organisations internationales et

d’ONG, Genève possède une véritable tradition de

coopération internationale et de défense des Droits de

l ’homme. On associe souvent cette tradition à la

présence de l’ONU ou de la Croix-Rouge

Internationale, oubliant des organisations moins

connues comme le Centre de documentation, de

recherche et d’ information des peuples autochtones

(doCip – www.doCip.org). Madame Pierrette Birraux,

ancienne directrice et consei l lère scientifique au

doCip, nous éclaire sur le rôle du Centre, sur ses

engagements et sur les raisons de sa présence à

Genève, présence qui ne doit rien au hasard.

Madame, pour tous ceux qui ne le connaissent pas,

qu’est-ce que le doCip?

En 1977, les délégations des peuples autochtones se

sont réunies au Palais des Nations lors de la

Conférence des ONG sur la discrimination à

l’encontre des peuples autochtones des Amériques

dont l'un des résultats fut la création du doCip. Son

objectif principal est  : «soutenir les peuples

autochtones dans la défense de leurs droits, en

particulier auprès des institutions internationales

établies à Genève». Le doCip travaille avec toutes

les délégations des peuples autochtones sans

aucune distinction politique ou autre. Il se limite

volontairement à jouer le rôle de secrétariat et de

centre de documentation  : nous ne jugeons pas, ne

faisons pas de lobby ni d’advocacy. Nous sommes

une fondation à but non lucratif qui fournit des

services indispensables en quatre langues afin de

réduire un peu l’écart qui les sépare des États, en

termes de moyens, auprès des institutions

internationales.

En ce qui concerne le volet information et

documentation, nous centralisons et mettons à la

disposition du public à la fois les documents

d’archives provenant des peuples autochtones,

mais aussi les rapports et interventions rédigés et

prononcés dans les instances internationales

concernant leurs droits. Bien souvent, ces textes

n’ont pas été archivés par l’ONU et sont

difficilement accessibles.

Drapeau des Samis,

Laponie

Page 27: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

27

EN TRET I EN AVEC

De quels soutiens le doCip jouit-il dans la

communauté internationale? Est-il reconnu par les

peuples autochtones eux-mêmes?

Composé au départ de bénévoles engagés, mais

refusant tout paternalisme dans le combat que les

autochtones mènent pour faire respecter leur droit

à l’autodétermination, le doCip s’est

professionnalisé dès 1992 à l’occasion des réunions

préparatoires du Sommet de Rio, à la demande de

l’Alliance internationale des peuples autochtones

et tribaux des forêts tropicales. Des relations de

réciprocité ont été établies alors  : nous fournissons

une structure et une organisation aux délégations

autochtones, ne réalisons que des activités décidées

en consultation avec leurs peuples et eux nous

appuient vis-à-vis des donateurs et d’autres

soutiens. Au final, nous accomplissons un travail

professionnel que personne d’autre ne fait et

l’ONU, bien qu’elle ne nous ait pas toujours vu du

meilleur œil, nous reconnaît comme indispensable

pour ce qui s’agit des peuples autochtones.

Pour ce qui est du financement, nous avons pu

compter, dès 1992, sur l’aide de Genève et de la

Suisse à travers la Direction du développement et

de la coopération (DDC) et, depuis 2002, sur la

Commission Européenne à travers l’Instrument

européen pour la démocratie et les droits de

l’Homme (IEDDH). A plusieurs reprises, le caucus

autochtone qui se réunit avant les conférences

onusiennes nous a appuyés auprès de la CE.

D’autres États nous ont également financés par le

passé, des États favorables aux autochtones et

acceptant intégralement notre programme

d'activité tel que défini avec eux. Depuis quelques

années, nous sommes fiers de recevoir le soutien

financier du parlement des Sami (Scandinavie), un

des rares peuples qui en a la possibilité.

Nous sommes donc reconnus par les peuples eux-

mêmes, mais aussi par l’ONU et les États.

Quels sont vos principaux objectifs pour les années

à venir?

Tant que les peuples autochtones souffriront de

discriminations, d’expropriations et de destructions

de leurs terres et de leur culture, notre objectif

reste de faire entendre leur voix. Plus

concrètement, nous nous préparons pour la

Conférence mondiale sur les peuples autochtones

de septembre 2014 qui prendra la forme d’une

réunion plénière de haut niveau de l’Assemblée

générale à New York.

Nous développons également un nouveau projet de

transfert de la mémoire orale des anciens ayant

pour but non seulement la conservation de cette

mémoire mais l’empowerment des jeunes

générations.

Plus personnellement, qu’est-ce qui vous a poussée

sur ce chemin?

Géographe et historienne, j ’ai quitté Genève pour

Montréal où j 'ai travaillé comme chargée

d’enseignement sur les questions d’aménagement

Pierrette Birrauxancienne directrice du doCip

Page 28: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

28

du territoire et de protection de la nature,

notamment sur l’histoire de l’occupation du

territoire de la Belle Province. Ce qui m’a

naturellement amenée à la présence des

Amérindiens du Québec et à leur rapport à la

nature (qu’ils ne distinguent pas puisqu’ils se

considèrent comme faisant eux-mêmes partie de la

«nature»). A travers les films d’Arthur Lamothe, je

me suis alors passionnée pour l’histoire du peuple

de chasseurs cueilleurs nomades des Innus ou

Montagnais qui fut sédentarisé dans des réserves

aux XIXe et XXe siècle dans le but de le faire

s'éteindre de lui-même... Car les Innus vivaient sur

des terres notamment riches en gisements de fer,

découverts par un Suisse, le curé Babel de Veyrier.

Celui-ci, en aparté, avait l’habitude de remercier

Dieu à chaque repas que lui chassaient les Indiens.

Mon intérêt pour les Innus fut ignoré par mes

collègues et je repartis donc pour Genève en 1979,

où je découvris l’existence du doCip qui, selon moi,

travaillait dans le sens voulu par les Innus. Je

partageais dès lors mon temps entre mon

engagement au doCip et le Brésil et le Venezuela

dans le cadre de ma recherche sur la territorialité

des Indiens Yanomami d’Amazonie vers qui

l’ethnologue genevois René Fuerst m’avait

orientée.

La notion d’autodétermination est pour moi

évidente. Chaque peuple devrait pouvoir vivre et

évoluer en fonction de sa propre culture, en

transmettant sa langue à ses enfants et en

disposant de sa terre. La gouvernance participative

et décentralisée des peuples autochtones et leur

profond respect pour la terre sont à mon avis des

valeurs d’une grande actualité. Il vaut donc la

peine de se battre pacifiquement pour elles en

appuyant leurs détenteurs. Pour moi, la dynamique

autochtone aux Nations Unies, où chacun prend la

parole à l’égal de l’autre, constitue un modèle pour

le futur.

Avec d’autres Suisses comme Bruno Manser ou

René Fuerst, que vous avez cités, vous formez une

grande équipe. Peut-on parler, dans ce domaine, de

spécificité suisse, voire genevoise  ?

On peut effectivement faire plusieurs liens avec la

Suisse. Certes, nous n’avons pas pratiqué de

politique de colonisation comme les puissances

européennes, ce qui nous épargne les conflits

d’intérêt politique. Cela dit, la Suisse au XIXe siècle

a participé à la colonisation de l’Amérique latine en

envoyant ses pauvres traverser l’Atlantique et

s’installer sur des territoires dits vides, mais en

réalité occupés depuis longtemps par des

autochtones. Je ne m’étalerais pas sur l’exemple du

général brésilien Rubens Bayma Denys,

d’ascendance valaisanne, et dont le plan

d’occupation des frontières dans les années 1980-

90 a été fatal à un très grand nombre d’Indiens.

Je préfère m’intéresser à ce qui nous rassemble  : la

notion de consensus et de confédération. En effet,

les valeurs politiques des autochtones sont très

proches des nôtres  : autonomie cantonale,

décentralisation et autorité faîtière dont la tâche

est avant tout de coordonner plutôt que d’imposer

ou de décider à la place du peuple. Et, bien

entendu, il y a le consensus culturel et linguistique

qui existe autant en Suisse que chez les peuples

autochtones. Je me souviens d’un Amérindien qui,

s’intéressant à l’histoire suisse, avait trouvé

admirable le Pacte d’Alliance de 1291 .

A Genève, je dirais que le calvinisme a également

joué un rôle dans cette attitude respectueuse que

nous avons pour les peuples autochtones lui qui a

constitué une église décentralisée et qui a connu la

persécution en Europe. Quelque part dans notre

culture, il existe une capacité de ne pas

nécessairement imposer nos vues, de respecter le

fait que d’autres pensent différemment (les écrits

de Jean de Léry sur les anthropophages du Brésil

Page 29: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

29

sont significatifs à cet égard) ainsi que leur

capacité à se gouverner selon leurs propres règles.

Enfin j’aimerais terminer en précisant que le doCip

s’inscrit dans une tradition qui date de 1923

lorsqu’une association genevoise, la Commission

des Iroquois, a appuyé, malheureusement en vain,

les démarches de l’ambassadeur de la

Confédération des Six Nations iroquoises auprès de

la Société des Nations. Mais à la différence d’une

ONG britannique très respectable, cette

Commission possédait un esprit non paternaliste

que le doCip continue et continuera d’appliquer

jusqu’à ce que les autochtones considéreront qu’ils

n’auront plus besoin de nous.

La Commission des

Iroquois devant le Palais

Eynard avec le chef

iroquois Deskaheh en

1923. Photographe

anonyme de l'agence de

presse Photographia,

Genève. Gracieusement

transmis par le Centre de

l'iconographie de Genève

(CIG) 37 ans après la première

conférence à l’ONU sur la

discrimination à

l’encontre des peuples

autochtones : les premiers

délégués des Amériques,

d’Afrique, de l’Arctique,

d’Asie, d’Europe, du

Pacifique et de Russie

rencontrent les jeunes

générations, Genève, 2013.

Photo Stephane Pecorini.

Page 30: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

30

Bénédict de

Tscharner

ancien ambassadeur de

Suisse en France,

président honoraire de la

Fondation pour l'Histoire

des Suisses dans le Monde

NOBLES SUISSESDANS LE MONDE

«  Honni soit qui mal y pense  !   »

Quand j’étais jeune diplomate à Londres, mon

ambassadeur me pria un jour de me rendre au Pays de

Galles, au château de Saint-Donat dans le Glamorgan,

près de Cardiff. Dans cette forteresse de style

gothique, construite sur une falaise surplombant la

mer, était logée, dès 1 962, une école portant le nom

d’UnitedWorldCollege ofthe Atlantic. Parmi les

étudiants venant du monde entier, quelques jeunes

Suisses étaient également inscrits  ; i l s’agissait de les

saluer et de me faire une idée plus précise de cet

établissement qui dél ivrait le baccalauréat

international , le BI pour les initiés, à l ’ issue d’études

de deux ans. Plus tard, notre propre fi l le fréquentera

l’Atlantic College.

Une première histoire liée à ce château a comme

personnage principal le richissime magnat de la

presse William Randolph Hearst – le cinéaste

Orson Welles le rendit immortel dans son film

Citizen Kane. Au cours des années vingt, Hearst

acheta le Château de Saint-Donat pour sa

maîtresse, l’actrice Marion Davies, le rénova en y

installant non seulement des plafonds gothiques

qu’il avait dénichés dans des églises en ruine en

Ecosse, ou encore des cheminées, des colonnes et

autres gargouilles taillées, ramassées chez des

antiquaires, mais aussi non moins de 34 salles de

bain modernes  ! C’est en 1960 qu’il vendit le do-

maine. Le collège put s’en porter acquéreur grâce à

l’aide de mécènes privés, convaincus de la

pertinence des principes pédagogiques

«   internationalistes  » qui y étaient – et sont – à

l’honneur.

Une autre histoire sur Saint-Donat mérite qu’on la

raconte. Au magnifique Château de Spiez sur les

bords du Lac de Thoune habitait, au XIIIe siècle, un

chevalier et troubadour du nom d’Heinrich von

Straettligen. Quand le roi d’Angleterre Edouard Ier

rentra de sa croisade, deux nobles «   suisses  »

faisaient partie de son entourage – notons tout de

même que le serment du Grütli n’avait pas encore

eu lieu à ce moment-là… et que la Suisse n’existait

pas ! Leur nom  ? Othon de Grandson et son jeune

Page 31: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

31

ART I C LE S

neveu Jean de Straettligen, ce dernier sans doute

un proche parent – fils, neveux – du troubadour.

En fait, la présence de nobles de notre région à la

cour d’Angleterre avait déjà été établie sous

Henri  III Plantagenêt, le père d’Edouard. En effet,

les Straettligen avaient tissé des liens avec la

maison de Savoie. Or l’épouse du roi Henri, la

bienheureuse Eléonore de Provence, était la fille de

Béatrice de Savoie, ce qui fit que le frère de celle-ci,

le comte Pierre de Savoie, seigneur de Vaud, avec

sa suite de nobles vaudois – Othon de Grandson en

faisait déjà partie – était souvent présent à Londres

et se mêlait à la vie de la cour.

Jean s’établira en Angleterre sous le nom de John

Stradling et on sait que son fils Pierre fit construire

le Château de Saint-Donat autour de l’an 1300,

dans ce pays de Galles où le roi l’avait doté de

terres et lui avait confié des fonctions

administratives. Le petit fils de John, Edward

Stradling, fut administrateur du Somerset et

membre du Parlement. L’amitié de son homonyme,

le roi Edouard III, lui valut l’honneur d’être adoubé

chevalier  ; ce sera donc Lord Stradling.

En Suisse, la lignée des Straettlingen s’éteignit au

milieu du XIVe siècle déjà, celle des Stradling en

Angleterre au cours de la première moitié du

XVIIIe siècle. A propos des Grandson ou

Grandison, on raconte que Catherine Montagu,

comtesse de Salisbury, une descendante d’Othon,

était la propriétaire de la très célèbre jarretière –

garter en anglais – que le roi Edouard III, lors d’un

bal à Calais en 1341, en pleine guerre de Cent Ans,

ramassa par terre en prononçant la célébrissime

phrase Honni soit qui mal y pense  ! et qu’il fixa à

son genou, créant ainsi le plus noble des ordres de

chevalerie anglais. On pourrait faire des

suppositions sur les relations entre le roi et

Catherine  ; mais l’histoire ne nous livre que peu de

détails sur ce sujet. Nous prenons donc note du

fait qu’au XIIIe siècle, en Suisse, des jeunes gens de

bonne famille étaient envoyés à l’étranger, à la

cour des rois, où ils pouvaient apprendre les

manières et toute sorte de savoirs utiles, y compris

l’art des tournois chevaleresques. A ce propos, on

n’a qu’à se fier aux vieux graffiti que l’on trouve au

château de Spiez. Retenons que la mobilité et

l’ouverture au monde étaient d’utiles vertus à

l’époque déjà, en tout cas pour les chevaliers – et

on voit bien le parallélisme avec le collège de

Saint-Donat d’aujourd’hui. Un des plus célèbres

porteurs de l’Ordre de la Jarretière fut d’ailleurs

l’amiral comte Louis Mountbatten, dernier vice-roi

des Indes britanniques en 1947, puis premier

gouverneur général de ce pays devenu

indépendant. Lord Mountbatten accepta, en 1967,

la présidence du Conseil international du Collège

de l’Atlantique – d’autres écoles du même genre

ont été ouvertes depuis. Il sera assassiné en août

1979 par un agent de l’Irish Republican Army, ce

qui amènera son neveu Charles, Prince de Galles, à

lui succéder à la présidence.Codex Manesse,

Heidelberg, XIIIe

Page 32: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

32

SWISS LIBRARY USA

I ls ne seront peut-être pas très nombreux, les lecteurs

de La Lettre de Penthes qui auront l ’occasion de visiter

le nouveau Swiss Center ofNorth America à New

Glarus, Wisconsin. I l est néanmoins intéressant de

savoir que c’est là qu’une des plus remarquables

bibl iothèques consacrées exclusivement à la Suisse

vient d’être inaugurée, unique en son genre sur le

continent américain. I l s’agit d’un généreux don de

quelques 8000 l ivres fait, en 201 2, par le docteur

Donald G. Tritt, professeur honoraire de psychologie à

l’Université Denison à Granvi l le, Ohio, auteur, entre

autres, d’un guide des festivals suisses en Amérique du

Nord et d’une publication sur Léo Lesquereux

(1 806-1 889), paléobotaniste suisse (né à Fleurier NE).

Anselm Zurfluh

directeur du Musée des

Suisses dans le Monde

Page 33: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

33

ART I C LE S

Le professeur Tritt est d’origine suisse  : son grand-

père, Joseph Gustav Tritt (1842-1904) naquit dans

le Haut Simmental bernois et émigra vers les États-

Unis au cours des années 1860 où il devint une des

chevilles ouvrières de la vie associative des Suisses

de Columbus, Ohio, d’où l’intérêt du collectionneur

pour la Suisse et d’où l’origine des premiers titres

de sa vaste collection de Helvetica. Le virus ne l’a

plus lâché  ; mais la séparation d’avec ses trésors lui

a été facilitée par la construction d’une annexe

spéciale à la bibliothèque du Swiss Center.

La Swiss American Historical Society vient de

publier, dans sa Review (volume 49, n° 3, novembre

2013), une bibliographie de la Donald G. Tritt Swiss

Library, établie selon les règles de la bibliographie

académique par Amanda Crowley et Jenna Settles

(disponible à la bibliothèque du Musée et Institut

des Suisses dans le Monde, à Penthes). Dans la

préface de cette bibliographie, Tritt évoque

quelques-uns des livres les plus intéressants et sans

doute aussi les plus rares de sa collection, livres

d’histoire, récits de voyage, biographies et

mémoires, littérature pour la jeunesse,

correspondances, etc.

Un des joyaux de la collection Tritt est un livre en

latin, Helvetiorum Respublica, par Josiah Simler,

publié à Leyde en 1627. Si on trouve évidemment

dans cette bibliothèque beaucoup de livres en

allemand – voire en dialecte suisse-allemand – et

en français, certains titres en anglais paraissent

particulièrement intéressants, par exemple une

traduction du poème Die Alpen d’Albrecht de

Haller (Zurich, Fuesslin, 1768), les œuvres de

Salomon Gessner publiées à Londres en 1805,

l’autobiographie d’Heinrich Zschokke, publiée à

Londres en 1845, les lettres d’Emil Frey, participant

à la guerre civile américaine, futur conseiller

fédéral, écrites entre 1860 et 1865 et publiées à

New York en 1986 sous le titre d’An American

Apprenticeship, ou encore la traduction de L’or de

Blaise Cendrars, publiée également à New York, en

1926, et, bien entendu, les œuvres de Johanna Spyri

– Heidi et les autres –, aussi populaires en

Amérique qu’en Suisse, ainsi que de Mari Sandoz,

écrivaine américaine d’origine suisse, notamment

Old Jules, son meilleur livre, un portrait de son

père né dans le canton de Neuchâtel et émigré vers

le Nebraska, œuvre publiée à Boston en 1935 (cf. le

livre Suissesses dans le monde de Laurence

Deonna et Bénédict de Tscharner aux Éditions de

Penthes, 2010), sans négliger la rubrique humour

où l’on trouve le titre Up the Matterhorn in a Boat,

par Marion Manville Pope, publié à New York en 1897.

Page 34: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

34

Fritz STAUDACHER

Jost Bürgi, Kepler und der Kaiser

Uhrmacher – Instrumentenbauer – Astronom –

Mathematiker 1552-1632

Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zurich, 2013

Quand on demande à un visiteur du Musée national

suisse à Zurich quel est l’objet qui l’a le plus fasciné,

il n’est pas rare qu’il mentionne le petit globe céleste

datant de 1594 que l’on doit à l’horloger, astronome

et mathématicien suisse Jost Bürgi. Pourtant le nom

de ce génie est peu connu du grand public.

Il est donc d’autant plus méritoire que l’auteur de ce

livre, qui a fait une carrière dans la communication

pour d’importantes entreprises du secteur de

l’optique de précision et des instruments de mesure,

nous offre une biographie qui est aussi une

présentation, somptueusement illustrée, du monde de

la science de la seconde moitié du XVIe et du début

du XVIIe siècle.

Jost Bürgi est originaire de Lichtensteig dans le

Toggenburg (Saint-Gall) où son père, Lienz Bürgi,

exerce le métier de serrurier. La date de naissance de

Jost est le 28 février 1532  ; il fera un apprentissage en

tant qu’orfèvre et se tournera tôt vers l’horlogerie.

C’est en 1579 que Jost Bürgi est engagé par

Guillaume IV, margrave de Hesse-Cassel, dit le Sage,

un astronome compétent – il fait construire le

premier observatoire en Europe centrale – et un

collectionneur d’horloges et d’instruments

scientifiques. La position de Bürgi est celle d’un

horloger de la cour, position qui lui permettra de

construire sa première horloge en forme de globe.

Tôt après, il produira la première horloge permettant

de mesurer le temps en secondes. Ses travaux

engloberont également les mathématiques et de

nouveaux instruments de mesure (sextants) ainsi que

l’astronomie, combinaison à laquelle on doit les

étonnantes horloges représentant la sphère céleste

avec les constellations – la langue anglaise connaît le

terme de orrery pour ce type d’horloge. Celle que l’on

peut admirer à Zurich et dont le globe ne mesure que

14,2 cm de diamètre, est en laiton doré et indique

avec précision la position de non moins de 1028

étoiles fixes. On attribue aussi à Bürgi la première

table de logarithmes, méthode qui, dit-on, a décuplé

la capacité de calcul des astronomes.

Dans la vie de Jost Bürgi on retiendra notamment ses

séjours à Prague à la cour de Rodolphe II de

Habsbourg, empereur romain germanique (petit-fils

de Charles Quint), caractère bizarre, mais grand

collectionneur et protecteur des arts et des sciences.

Bürgi résidera entre 1603 et 1617 à Prague, ville qui

était alors la capitale impériale – la guerre de Trente

Ans commencera en 1618  ; il gardera une maison à

Prague jusqu’en 1631 . Son décès interviendra un an

plus tard, à Cassel. A Prague, il faut surtout retenir

son étroite collaboration et son amitié avec le grand

astronome Johannes Kepler (1571-1630), qui est

connu pour avoir établi les trajectoires elliptiques des

planètes au sein du système solaire.

Horloge, globe céleste de

1594, Musée national

suisse, Zurich

Portrait de Jost Bürgi par

Aegidius Sadeler

(Prague, 1619)

Page 35: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

35

L I VRE S

Bénédict de TSCHARNER

Etienne Clavière (1735-1793).

Un Genevois dans la tourmente de la

Révolution française

Editions de Penthes, Pregny / Infolio,

Gollion, 2014

Des trois Genevois qui ont été ministres des finances

dans un pays étranger, Jacques Necker (1732-1804)

est sans doute le plus connu. Mais on peut considérer

que la trajectoire d’Albert Gallatin (1761-1849  ;

Secrétaire au Trésor aux États-Unis) a été plus

intéressante, car si Necker s’est battu avec les

finances d’une monarchie en déclin terminal,

Gallatin a jeté les bases des finances publiques d’une

démocratie qui, elle, a survécu.

Mais peu de gens se sont penchés sur le destin du

troisième, Étienne Clavière (1735-1793). Bénédict de

Tscharner l’a fait avec cette brève biographie que les

Éditions de Penthes vont publier  ; c’est surtout parce

que le cheminement politique de ce commerçant et

financier genevois permet à la fois de jeter un coup

d’œil sur la Genève du XVIIIe siècle avec ses

querelles entre les «   négatifs  » , les «   représentants  »

et les «   natifs  » . L’exil, à partir de 1782, a conduit les

«   dissidents  » genevois d’abord en Grande-Bretagne,

puis à Paris où ils ont rejoint Mirabeau et Brissot

dans leur fameux «   atelier  » .

Genève serait-elle à considérer comme le berceau de

la Révolution française  ? Il est sans doute exagéré de

l’affirmer  ; mais Genève a été un des plus intéressants

foyers des Lumières européennes, dont les

révolutions sont nées – en Amérique, en France, mais

aussi ailleurs –, cette lutte entre, d’un côté, une

vision nouvelle de l’homme et de son destin, et, de

l’autre, des régimes non seulement anciens, mais

sclérosés et inaptes à affronter les temps modernes.

Mais l’Amérique a fait des principaux acteurs de sa

lutte pour l’Indépendance des hommes d’État, des

pères de la Nation, alors qu’en France, la Révolution

a «   dévoré ses enfants  », plusieurs volées successives

d’innovateurs plus ou moins radicaux. Clavière en

tout cas, après quelques mois de service, auprès du

roi Louis XVI d’abord, juste avant la fin de son règne,

puis aux côtés de la République, n’a pas eu la chance

de mettre ses convictions et ses capacités en œuvre

plus que pendant quelques mois  ; il a terminé sa vie

dans les cachots de la Conciergerie, condamné à mort

par un Tribunal révolutionnaire que l’on qualifierait

aujourd’hui de «   cour kangourou  ».

Michel CLÉMENT-GRANDCOURT

Léo Lesquereux, 1806-1889. De Fleurier à

Columbus (Ohio),

récit biographique d’après sa correspondance avec

Fritz Berthoud

Editions Alphil, Neuchâtel, 2013

«   C’est en ouvrant une ancienne

armoire de la maison familiale que

Michel Clément-Grandcourt a

découvert cent soixante lettres

autographes échangées pendant plus de quarante ans

par deux amis de jeunesse, l’un à Columbus (Ohio),

Léo Lesquereux, l’autre à Fleurier (Neuchâtel), Fritz

Berthoud.

Descendant de Fritz Berthoud, l’auteur de cet

ouvrage a patiemment reconstruit au travers de cette

correspondance, la vie de Léo Lesquereux. Au récit

biographique passionnant de cet homme attachant

s’ajoute en filigrane l’histoire du mouvement

naturaliste neuchâtelois et américain du XIXe siècle.

Replacés dans le contexte de leur époque, ces

échanges épistolaires riches et variés offrent en effet

un éclairage sans artifice sur une période clef du

développement scientifique moderne.

Léo Lesquereux s’est fait connaître en Suisse dès la

publication en 1844 de son mémoire sur les

tourbières, qui lui a ouvert une carrière scientifique

dans son pays natal. La Révolution neuchâteloise de

1848 l’a contraint à s’exiler aux États-Unis, à l’appel

de ses collègues Louis Agassiz et Édouard Desor qui

s’y trouvaient déjà. Cependant, il n’a jamais cessé

d’écrire à son ami et confident Fritz Berthoud, de

1847 à 1889. Ses lettres apportent un témoignage de

première main sur les aspects sociologiques,

politiques, culturels et religieux de la vie américaine

dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Page 36: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

36

Après ses publications sur les batailles où se sont

battus les Régiments de Watteville et de Meuron dans

la Guerre de 1812, ainsi que sur l’expédition de Lord

Selkirk vers les rives du Red River en 1816/1817,

l’auteur présente son troisième livre qui complète la

trilogie. Colonel à la retraite de l’Armée suisse,

auteur également de livres en français sur des

personnalités qui ont joué un rôle au cours de la

période trouble de 1792 à 1814, conseiller associé de

la Fondation, Antoine de Courten base son récit

essentiellement sur des documents originaux

(correspondance, journaux de voyage, etc.) puisés

dans les archives des familles de Courten et de

Watteville.

Quatrième de couverture :

“Everything went wrong. Having crossed the

Atlantic for about three months and getting stuck in

the ice of the Hudson’s Strait for another three

weeks, the band of Swiss emigrants had to row with

great hardship up the Hayes River over some 60

portages, and cross Lake Winnipeg in its full length.

Most of their baggage was left at Fort York for lack of

any means of carriage.

Arriving starved, exhausted and deprived of their

belongings at the Red River Settlement just before

the snows, they were told that nothing had been

prepared for them. Lodging and food was there none

due to a plague of grasshoppers and floods that had

destroyed the harvests of the previous four years. To

crown it all, a dishonest governor acting like an

oriental nabob, together with his minions, abused

and cheated the settlers.

The so-called Promised Land was bare of any

prospect. Thoroughly embittered and disgusted, one

family after the other headed south between 1821

and 1826, some alone, others in groups, hoping to

reach present-day Minnesota as their first refuge. But

to get there they had to cross over some 350 miles of

prairie, a veritable desert of uncharted trails and

water holes, peopled by roving Sioux looking out for

victims to scalp. How did they survive? That’s what

the reader will find out by reading this dramatic

document, which is illustrated by Peter Rindisbacher,

the young artist who participated in this

extraordinary venture.”

« La guerre d’indépendance

algérienne marque par sa longueur

et sa violence l’histoire du XXe

siècle. Longtemps présentée

comme un ‹   événement de politique intérieure

française  › cette guerre a eu des conséquences bien

au-delà.

Pour la Suisse, le début de la guerre correspond à sa

réintégration dans le nouvel ordre mondial, après des

années difficiles de l’après Seconde Guerre mondiale.

Le contexte de guerre froide ainsi que le mouvement

planétaire de décolonisation lui offrent l’occasion de

démontrer la réelle utilité de sa neutralité par

l’engagement de sa diplomatie.

Mais le conflit algérien vient d’abord troubler les

relations franco-suisses. La Suisse se trouve sous la

pression de Paris, qui exige un soutien sans faille, et

des pays du Proche et du Moyen-Orient qui

critiquent toute attitude favorable à la France. Le

suicide du procureur général de la Confédération,

impliqué dans une affaire d’espionnage, marque en

1957 une rupture dans la politique de la

Confédération vis-à-vis des Algériens, la Suisse va

chercher à maintenir un équilibre entre les différents

acteurs.

Les autorités suisses doivent gérer plusieurs dossiers

sensibles liés à la guerre  : présence de ressortissants

suisses en Algérie  ; opinion publique suisse qui

bascule en faveur des Algériens  ; présence de

ressortissants algériens en Suisse.

L’auteur a eu la chance de pouvoir travailler dans les

archives algériennes, françaises et suisses  : la

confrontation des sources lui permet de donner un

éclairage nouveau à de nombreux moments clés du

conflit.

Antoine de COURTEN

The Swiss Emigration to the Red River

Settlement in 1821

and its Subsequent Exodus to the United States

illustrations : reproductions de dessins de Peter

RINDLISBACHER

Damien CARRON

La Suisse et la guerre

d’indépendance algérienne (1954-1962)

Editions Antipodes, Lausanne, 2013

Page 37: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

37

L I VRE S

Danielle MAURICE-NAVILLE, Laurence

NAVILLE, Corinne EGGLY-NAVILLE

La plume, le pinceau, la prière.

L’égyptologue Marguerite Naville (1852-1930)

La Baconnière, Genève, 2014

« Marguerite Naville a connu un

destin exceptionnel. Comme

d’autres femmes remarquables de

son époque, elle est pourtant

restée dans l’ombre, ses multiples dons ayant été

voués au service des autres et surtout de son mari,

l’égyptologue Edouard Naville (1844-1926).

Aquarelliste de talent, elle contribua notamment par

ses nombreuses et précises reproductions de sites, de

statuaire et hiéroglyphes aux découvertes de son

époux.

Née de Pourtalès en 1852, elle s’intéressa très jeune

aux grandes questions de son époque et fut

confrontée au dilemme de l’allégeance de sa famille

neuchâteloise à la Prusse, en regard de leur affection

pour les Français. Elle s’identifia à la Prusse dans la

guerre franco-prussienne de 1870, mais prit le parti

des Alliés lors de la Grande Guerre. Bouleversée par

les souffrances sans précédent causées par le conflit

mondial, qu’elle consigna au jour le jour dans ses

carnets, elle tenta d’endiguer le mal en secourant les

blessés et les prisonniers de guerre.

Entre ces deux guerres, elle prit part aux côtés

d’Edouard Naville à quatorze campagnes de fouilles

en Egypte. En dehors de ses travaux de

reproductions, elle relata avec acuité et humour dans

son journal la vie au quotidien sur les chantiers de

fouilles et ses rencontres avec des égyptologues,

notamment le célèbre Howard Carter.

Ses écrits sur la Bible et ses carnets démontrent

également son souci constant d’inscrire ses actions

dans une foi protestante jamais démentie. Refusant

les idées modernes de l’Eglise institutionnelle, elle

adopta les positions du mouvement évangélique du

Réveil, plus enclin à se fonder sur les Ecritures seules.

Danielle Maurice-Naville, Laurence Naville et

Corinne Eggly-Naville ont présenté les actions, les

pensées et les désespoirs de Marguerite comme s’il

s’agissait d’un roman. Elles parviennent au fil de ce

récit enlevé, sans jamais altérer les événements

rapportés par Marguerite, à faire ressurgir du passé

cette femme à l’esprit fort et original et au caractère

indépendant.

Eliane RIAT

Peter Geier, précurseur intrépide de

l’écologie

Préface de Jean-Paul AESCHLIMANN

Editions Cabédita, Bière, 2014

« Un homme, plusieurs vies. Une

enfance mouvementée, qui lui

apprend à se débrouiller seul.

Vingt ans en 1941   : Peter Geier

plonge dans la Mob. Humour et sens critique mêlés

nous valent des histoires inédites autant que

savoureuses, témoignages de première main sur

l’esprit qui régnait à l’époque. On y rencontre même

un Georges-André Chevallaz sous l’habit militaire.

Puis c’est la vie d’un chercheur scientifique de haut

vol, précurseur combatif – à contre-courant – de ce

que l’on a appelé des années plus tard l’écologie

scientifique moderne. Il ose dénoncer, dès la fin des

années quarante, les méfaits des traitements

chimiques sur l’agriculture et l’environnement. Il

œuvre dans ce sens en Suisse puis en Australie et, de

là, dans le monde entier, menant une lutte d’avant-

garde qui lui a conféré une audience internationale,

peu relayée dans son propre pays. Mais son

insatiable curiosité d’esprit l’a conduit sur d’autres

chemins encore.

De la vie en kaléidoscope de cet Anglo-Allemand de

naissance, devenu dans son pays d’adoption,

profondément patriote, le destin a fait un brillant

Suisse de l’étranger.

Page 38: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

38

Luc WEIBEL

Les essais d’une vie,

Charles Borgeaud (1861-1940)

Editions Alphil, Neuchâtel, 2013

C’est avec intérêt qu’on lira Les essais d’une vie que

l’écrivain et historien Luc Weibel consacre à la

jeunesse de son grand-père. Avant d’être, dès 1896,

professeur d’histoire des institutions politiques

suisses à l’Université de Genève, Charles Borgeaud a

été un «   Suisse dans le monde  », d’abord, en 1866/67,

à Paris, comme tout jeune enfant du commissaire

suisse de l’Exposition universelle qui devait marquer

l’apogée du Second Empire – voir au sujet de ces

grandes manifestations l’entretien avec Nicolas

Bideau –, puis comme étudiant en Allemagne (Iéna et

Weimar) – voir l’article d’Olivier Meuwly –, comme

chercheur et conseiller juridique d’entreprises en

France et en Grande-Bretagne. Par la suite, Charles

Borgeaud sera non seulement le grand chroniqueur

de l’Université de Genève (trois volumes édités par la

Librairie Georg en 1900, 1909 et 1934, œuvre dont la

sortie devait, à l’origine, coïncider avec l’Exposition

nationale suisse de Genève de 1896), mais aussi

l’auteur d’une évocation de l’entrée de Genève dans

la Confédération en tant que canton, publiée chez

Attar en 1914, année du centenaire  – voir l’article

d’Irène Herrmann sur les événements de 1814.« Figure marquante du paysage

intellectuel et universitaire de

Genève au début du XXe siècle,

Charles Borgeaud (1861-1940) a

contribué à fixer l’image de sa ville, en participant de

façon décisive à la création du Monument

international de la Réformation (1909-1917). Mais

quelles furent sa formation et ses sources

d’inspiration  ? Comment un jeune juriste libéral, qui

enquête à Paris et à Londres sur les origines de la

démocratie moderne, en vint à mettre en avant

Calvin et ses successeurs  ?

C’est ce que tente d’explorer ce livre, sur la base de

documents inédits. Récit d’une jeunesse en quête

d’une vocation, il situe son personnage dans le

contexte d’une Suisse […] en pleine mutation, avide

d’innovations mais aussi soucieuse de magnifier son

passé. Charles Borgeaud y apparaît entouré de ses

proches – famille, professeurs, amis – ce qui fait de

l’ouvrage le portrait multiple d’une société où chacun

est appelé à définir son destin.

Farag MOUSSA

Egyptien & Diplomate.

Farag Mikhaïl Moussa, 1892-1947

Riveneuve Editions, Paris, 2014

La période de l’histoire égyptienne qui se situe entre

les deux guerres mondiales est peu connue – sauf

pour les lecteurs de Naguib Mahfouz, bien entendu.

Deux ou trois rappels donc  : suite à la révolution

égyptienne de 1919, l’Egypte devient, en 1922, un

royaume indépendant, mais l’ancienne puissance

tutélaire, le Royaume-Uni, garde le contrôle du Canal

de Suez et la responsabilité de la défense du pays. Le

traité de 1936 confirmera l’indépendance, mais ne

touchera pas au statut du Canal ni au stationnement

de troupes britanniques. A la tête de l’Etat, on trouve,

dès 1917, le roi Fouad Ier   ; à sa mort, en 1936, le prince

Farouk accède au trône à l’âge de seize ans. Très

populaire et très religieux, le jeune roi prend ses

distances à l’égard du parti nationaliste du Wafd,

parti laïc et réformateur, et s’appuie sur la Confrérie

des Frères musulmans, fondée, en 1928, par Hassan

el-Banna. Le roi Farouk sera déposé, en 1952, par le

Mouvement des officiers libres que dirige le colonel

Gamal Abdel Nasser.

C’est sur cet arrière-fond que nous lisons la

biographie que Farag Moussa consacre à son père

Farag Mikhaïl et à sa carrière de diplomate. L’auteur,

de nationalité suisse et égyptienne, est lui-même

ancien diplomate au service de l’Egypte et de la

Ligue Arabe, puis, pendant vingt ans fonctionnaire

international (Organisation internationale de la

propriété intellectuelle, OMPI) à Genève. Il publie de

nombreux livres sur la diplomatie et sur les …

femmes inventrices. Pour retracer la carrière de son

père, l’auteur n’a pas pu se baser sur des mémoires

ou sur un journal  ; son livre est le fruit d’un long

travail de fourmi pour récolter des souvenirs

personnels de contemporains, mais aussi des traces et

reflets dans des documents diplomatiques ou encore

dans la presse.

L’indépendance – même relative – oblige l’Egypte à

se doter d’un service diplomatique moderne  ; le jeune

avocat et docteur en droit, fils et petit-fils de paysans

coptes et donc issu d’un milieu plutôt éloigné des

grandes familles proches de la cour royale, devient

diplomate dès la fin de 1923 et se voit envoyé à

Washington D.C. comme attaché de la Légation

d’Egypte. C’est à Washington, peu avant son départ

pour Berlin en 1927, que Farag rencontre la jeune

Américaine Julia Maisak qui travaille à la School of

Page 39: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

39

L I VRE S

Foreign Service (Université de Georgetown). Un bref

séjour à Berlin où les deux jeunes gens se marient et

où naît leur premier fils, est suivi par une mission

d’une tout autre nature  : consul à Addis-Abeba, dans

un pays d’Afrique proche, source du Nil Bleu et pays

à majorité copte. Le rôle de consul d’Egypte s’avère

être avant tout diplomatique – le Royaume-Uni ne

voit d’ailleurs pas d’un bon œil l’ouverture de cette

représentation. Le lieu de la naissance du second fils,

de l’auteur, en 1929, sera donc la capitale

éthiopienne  ; son parrain est le plus haut dignitaire

de l’Eglise d’Ethiopie  !

Evoquant les années 1929 à 1935 dans la carrière du

diplomate, ce livre nous rappelle un chapitre

particulièrement dramatique de l’histoire de

l’Ethiopie  ; c’est le début du règne de l’empereur

Haïlé Sélassié Ier, avec lequel le consul noue d’emblée

des relations de confiance, voire d’amitié, qui

incluent toute sa famille  ; les deux hommes sont

d’ailleurs nés la même année, en 1892, sous le signe

du Lion. Ce sont les années qui précèdent la guerre

que l’Italie fasciste de Mussolini lancera contre cette

terre du toit de l’Afrique que les puissances

coloniales n’ont pas encore su se partager. Mais

quand l’attaque italienne aura lieu, en octobre 1935,

le consul d’Egypte aura déjà été muté … comme

chargé d’affaires ad interim à Rome  !

De retour au Caire dès le mois d’avril 1936, Farag

Mikhaïl Moussa, à 45 ans, est nommé directeur des

affaires administratives au Ministère des affaires

étrangères avec le titre de Bey – comparable au Sir

anglais. Son ministre est Wassef Boutros-Ghali, un

copte comme lui. Le réseau diplomatique et

consulaire de l’Egypte s’étend à présent sur 27

capitales (dont une seule ambassade, à Londres) et le

pays est admis comme membre à la Société des

Nations, en mai 1937 – ce sera la dernière adhésion

que connaîtra cette organisation moribonde  dans son

palais tout neuf qui a vu l’empereur d’Ethiopie

vainement tenter de mobiliser l’opinion publique

mondiale contre l’occupation italienne.

C’est le poste de chef de mission en Espagne, pays en

pleine guerre civile, que Farag Mikhaïl Moussa Bey

choisit en été 1938. Mais, déjà, les diplomates

accrédités auprès du gouvernement républicain, qui

résiste encore à Barcelone, se sont retirés sur

territoire français (Biarritz-Hendaye-Saint Jean de

Luz)  ; Moussa s’y établit également. La Légation

d’Egypte à Madrid a d’ailleurs été détruite par des

bombes italiennes… Barcelone capitule le 26 janvier,

Madrid le 30 mars. Le gouvernement du général

Franco est reconnu par la France et le Royaume-Uni

le 27 févier 1939  ; l’Egypte les a précédés de 3 jours

(la Suisse de 13). Un collègue est envoyé à Madrid  ;

Moussa rentre au Caire. Peu après, les Allemands

déclencheront les hostilités en Europe. In extremis, le

24 février 1945 (sic  ! ), l’Egypte déclarera la guerre à

l’Allemagne et au Japon afin de se trouver du bon

côté quand les armes se tairont.

Cette carrière si intéressante ne se poursuit pas. Une

loi à effet rétroactif interdisant aux diplomates

égyptiens le mariage avec une étrangère est entrée en

vigueur. Moussa renonce à un retour au barreau et

accepte un poste dans la magistrature administrative

à Alexandrie, puis dans le Contentieux de l’Etat au

Caire, avec le titre de conseiller royal adjoint. Il

décédera le 10 avril 1947.

Ce livre n’est pas à ranger parmi les biographies de

grands hommes de la politique internationale, mais

parmi les témoignages de la vie diplomatique au

quotidien avec ses nombreux défis, ses rencontres et

ses péripéties, de la vie de famille soumise aux

contraintes de la Carrière, du service rendu à un

pays, certes, mais rendu dans un esprit d’ouverture

au monde. C’est un témoignage profondément

personnel  ; ses qualités humaines et la vivacité de

l’écriture – on y retrouve le talent d’écrivaine de

Laurence Deonna, épouse de l’auteur, que celui-ci

remercie de lui avoir «   prêté son appui, et parfois sa

plume  » – font que ce récit touche tous les lecteurs.

Page 40: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

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Micheline CALMY-REY

La Suisse que je souhaite

Préface de Romaine JEAN

Editions Favre, Lausanne, 2014

«   J’ai voulu une Suisse engagée,

une Suisse active, une Suisse qui

passe de son rôle de facilitatrice et

d’État hôte à celui de médiatrice.

J’ai appris qu’en s’exprimant, en

étant présente, la Suisse dérangeait

parfois, mais s’attirait le respect.   »

Micheline Calmy-Rey

« La Suisse se montre discrète face

au monde. Trop souvent, elle agit

politiquement lorsqu’elle est dos

au mur. À tort, pense Micheline

Calmy-Rey, qui a marqué la politique extérieure de la

Suisse de la décennie passée comme presque aucun

de ses prédécesseurs, et dont l’indépendance et le

courage sont reconnus par ses adversaires politiques.

Ministre des affaires étrangères et, à deux reprises,

présidente de la Confédération suisse, Micheline

Calmy-Rey a rempli ses fonctions de manière

offensive et très engagée. Elle a fait avancer la Suisse

sur le plan international, voyagé dans des zones de

conflit dans le monde, pris position et provoqué des

débats. Même ses critiques les plus virulents lui ont

toujours accordé une chose  : elle défend ses

convictions politiques avec intelligence et une grande

implication personnelle.

Dans son livre, Micheline Calmy-Rey montre que

notre pays dispose d’une expérience et de capacités

qui ne sont pas suffisamment utilisées. Elle combine

de façon passionnante son credo politique et ses

souvenirs des expériences les plus importantes de

son temps au Conseil fédéral. En font partie la crise

libyenne, l’initiative de Genève pour le conflit

israélo-palestinien, le rôle de médiateur dans le

différend nucléaire avec l’Iran, des visites en Corée

du Nord et du Sud, au Kosovo et en Russie, et de

nombreux tête-à-tête avec des chefs d’État. Dans son

récit, Micheline Calmy-Rey livre une analyse de la

Suisse actuelle, qu’elle a co-gouvernée de façon

résolue et engagée.

L'avis de la rédaction :

Tout d’abord, on ne peut que se féliciter, ou plutôt

féliciter l’auteure, d’avoir pris la peine de rédiger des

mémoires, d’expliquer – et justifier – son action au

sein du gouvernement. C’est un exercice auquel nos

femmes et hommes politiques ou encore nos leaders

économiques ou culturels, malheureusement, ne se

soumettent que trop rarement  ; or c’est une aide

précieuse à la compréhension d’une époque et c’est,

en même temps, une belle leçon de choses pour un

public qui connaît mal la politique étrangère suisse

au quotidien. Cela dit, inévitablement, des mémoires

dirigent les projecteurs sur l’auteur, son action, son

optique  ; d’autres acteurs ou d’autres instances,

avant, pendant et après la période en question, se

trouvent ainsi quelque peu relégués dans l’ombre  ;

mais, bien évidemment, l’historiographie saura

rétablir les équilibres nécessaires.

Micheline Calmy-Rey a choisi son moment et sa

manière pour préciser son opinion sur un des

dossiers clés de la politique étrangère de la Suisse, à

savoir nos relations avec l’Europe. Pendant sa

période d’activité, la collégialité au sein du Conseil

fédéral et des contraintes de politique intérieure avec

des campagnes référendaires à répétition, l’ont

probablement empêchée de désigner l’adhésion de la

Suisse à l’Union européenne comme une option à

long terme souhaitable ou inévitable. A présent, elle

choisit de le faire, sous la forme d’un plaidoyer pour

des négociations visant une adhésion «  modulée  » ou

partielle, mais avec plein accès à la prise de décision

de l’Union, une formule dont certains se

demanderont sans doute si elle est réaliste. Du même

coup, Mme Calmy-Rey révèle son scepticisme face à

la politique de son successeur qui tente vaillamment

de mettre fin à la stagnation dans laquelle se trouve

la politique d’arrangements bilatéraux depuis

plusieurs années déjà et de convenir avec Bruxelles

d’un cadre institutionnel adéquat pour gérer et

dynamiser ces nombreux accords, notamment aussi

pour en négocier les nouveaux qui s’imposent, visant

tout particulièrement l’accès des acteurs

économiques suisses au Marché intérieur que

forment les 28 États de l’Union. Il est évident que

cette profession de foi et cette critique peuvent gêner

ou susciter de l’incompréhension  ; mais il paraît juste

d’accorder cette liberté de parole à nos anciens

dirigeants. Les anciens conseillers fédéraux Otto

Stich ou Rudolf Friedrich, par exemple, ne s’en sont

pas privés non plus.

Page 41: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

41

L I VRE S

MARCEL JUNOD ETL’ARBRE D’HIROSHIMA

Laurence Deonna

reporter, écrivaine,

photographe, conseillière

de la Fondation pour

l'Histoire des Suisses dans

le Monde.

Marcel Junod (1 4 mai 1 904 – 1 6 juin 1 961 ) est l ’une des

grandes figures de notre «   humanitaire  » suisse. L’un

des délégués les plus célèbres du Comité International

de la Croix-Rouge (CICR).

S on nom est mondialement connu, au Japon

notamment, où il fut l’un des premiers à

arriver sur place en août 1945 et à

constater l’horreur. L’horreur des bombes

atomiques américaines lancées sur Hiroshima et

Nagasaki. Médecin lui-même, Junod imposera aux

Américains - ô ironie  ! - de lui procurer le matériel

sanitaire indispensable, grâce auquel il

s’empressera de soigner les blessés (encore)

«   soignables  » .

Un monument lui a été dédié dans le parc de la

Paix d’Hiroshima. Junod, au Japon, est vu comme

un héros, au point qu’un manga a même été

consacré à son extraordinaire, généreux parcours.

Des dessins magnifiques évoquant la guerre

d’Ethiopie, la guerre civile espagnole, tant d’autres

encore de ces effroyables conflits qu’il relate

d’ailleurs dans son livre Le Troisième combattant :

De l'ypérite en Abyssinie à la bombe atomique

d'Hiroshima. On y lit la vérité. On y dit la folie des

hommes. Un ouvrage que l’on ferait mieux de

soumettre à nos écoliers plutôt que la

sempiternelle bataille de Marignan 1515.

Après les Japonais, les Suisses s’apprêtent à leur

tour à reconnaître l’enfant du pays. Un film docu-

mentaire se prépare sur la vie de Marcel Junod.

Je l’ai personnellement connu, c’était un homme

discret. A sa mort, je n’avais que 24 ans, mais

Marcel Junod était de ces êtres que l’on n’oublie

pas. Son regard était brun et doux. Je les regardais,

ces yeux, ces yeux qui avaient vu tant d’horreurs,

et je m’étonnais qu’ils ne soient pas différents des

autres yeux, des yeux des autres …

Il y a quelques années, les Japonais ont eu un geste

touchant, en envoyant à la famille Junod résidant à

Jussy, un village genevois, une pousse de ce que

l’on a appelé «   l’arbre d’Hiroshima  », parce qu’il fut

le seul arbre ayant survécu aux bombardements

atomiques … L’école d’horticulture de Lullier, près

de Jussy, a pris soin de ce trésor. Soigné avec

amour, il a grandi, et le 22 septembre 2013 eut lieu

une cérémonie, face à lui, face à cet arbre tout

beau, tout grand. Etaient présents ce jour-là le

Maire d’Hiroshima, venu spécialement du Japon,

l’Ambassadeur du Japon en Suisse, Monsieur

Charles Beer, alors Conseiller d’Etat genevois à

l’éducation, Olivier Vodoz, représentant le CICR, et

Laurence Deonna, reporter, écrivaine et

photographe genevoise (laquelle signe cet article).

Il faisait un temps sublime, aux antipodes de ce que

nous fit revivre par ses récits le Maire d’Hiroshima,

nous faisant prendre conscience, une fois de plus, à

nous Suisses, de notre chance.

Page 42: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

42

Daniel Bernard

Président de la Société des

Amis de l’Institut des

Suisses dans le monde

* Slogan original  : Touche

pas à mon pote. Il fut

inventé en 1985 par SOS

racisme. Le slogan a été

décliné sur de nombreux

supports, le plus connu

d'entre eux représentant

un pin's à forme de main

ouverte en signe de paix

et de fraternité, de couleur

jaune, portant l'inscription

«   Touche pas à mon

pote  ».

TOUCHE PAS À MON PENTHES *

I l est loin le temps des revendications et du slogan

repris des manifestations françaises d’i l y a près de

trente ans. I l est loin le moment où la vie de Penthes

fut menacée par l ’arrivée à son terme légal de son bai l

à loyer. L’espace de quelques mois, les choses ont

repris leur place, le Président sortant Bénédict de

Tscharner a été remplacé par son successeur.

L’Ambassadeur Rodolphe Imhoof, qui se présenta une

première fois lors de la soirée d’Adieu de son

prédécesseur, puis fut présent à l’assemblée générale

de notre modeste association, a devant lui la lourde

tâche d’assurer la pérennité de la fondation en ces

l ieux. Aujourd’hui , les efforts notoires de la SAP ont

récemment permis de boucler le budget d’expositions

temporaires, tel les René Burri et prochainement Peter

Knapp, tous deux photographes suisses de l’étranger.

En paral lèle, notre association met sur pied nombre

d’événements, sur lesquels i l est uti le de revenir.

Page 43: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

43

ACTUAL I TÉ S

Du crayon…

C’est à l’occasion de l’exposition Objectif Penthes

que nous avons pu convier le dessinateur Exem à

une conférence-débat. Exem, de son vrai nom

Emmanuel Excoffier, a fait plonger ses auditeurs

dans l’univers magique de son imaginaire. Certes

marqué par l’œuvre magistrale d’Hergé, l’artiste a

fait découvrir la création de son affiche. Angle de

prise de vue du château, en plongée ou en contre-

plongée, présence d'une fusée V2 à damier,

évocation des personnages suisses de l’étranger,

depuis Ella Maillart en marinière et tenant son

Leica, à Dunant dans sa mansarde, en passant par

l’image reflet de Baxter et son chauffeur, brûlés au

retour de la fusée (On a marché sur la lune) qui

devient Lefort en chemise de nuit et son chauffeur

Tinguely... Que d’hommages en une seule affiche,

que de références cachées ou visibles à découvrir.

Parions qu’au succès de l’exposé, il n'y eut que la

visite sur le site même de l’exposition qui finit

d’enchanter les tintinophiles. Avec de tels

événements, qui évoquent les initiatives de

l’association pour drainer un public nouveau à

Penthes, nous réussissons en partie notre pari  : il

faut rappeler que les cotisations et les dons seuls

forment l’essentiel de notre participation

financière, aussi modeste soit-elle, au

fonctionnement du musée.

…au violon.

En avril, ce sera au tour du violoniste Tedi

Papavrami de venir conquérir les oreilles des

auditeurs que l’on espère nombreux. Interviewé

cette fois au sujet de son livre, Tedi Papavrami fera

découvrir son trajet singulier, échappé miraculeux

de la dictature en Albanie, puis en résidence

aujourd’hui à Genève. Enfin, le violoniste jouera de

son instrument. Espérons que l’auditoire sera là

pour entendre l’un des prodiges de sa génération.

Par ailleurs, ses élèves au Conservatoire de Genève

où il enseigne ne tarissent pas d’éloge sur leur

maître. On pourra juger de sa simplicité et de sa

modestie  : qualités rares dans ce domaine.

Alors oui, nous touchons à notre Penthes  ! Mais

dans le bon sens, dans celui de la culture et du

partage, envers et contre les quelques esprits

chagrins qui se faufilent partout. A la tête du

Musée des Suisses dans le Monde depuis un peu

plus de dix ans, le directeur Anselm Zurfluh

poursuit son objectif avec opiniâtreté, à savoir faire

vivre son entreprise, bon gré, mal gré. Bon vent

pour la suite à toute l’équipe, et bon vent à la

Lettre de Penthes qui nous fait l’honneur de nous

faire figurer dans ses lignes.

Retrouvez l'affiche en

grand format en

couverture

Page 44: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

44

A PENTHES, TINTINCOMME VOUS NE L’AVEZJAMAIS VU

Après avoir suivi jusqu'au bout du monde les traces de

Corto Maltese et de son créateur Hugo Pratt, le Musée

des Suisses dans le monde a accuei l l i du 1 5 février au

3 mai 201 4 une exposition autour du plus connu des

reporters: Tintin. Objectif Penthes, Tint'interdit:

pastiches et parodies a pour but de montrer la richesse

de l 'univers tintinophi le, qu'el le soit le fait

d'admirateurs passionnés ou de détracteurs piquants

d'Hergé et de son œuvre. En effet, malgré la vigi lance

des ayants droit, Tintin est le personnage le plus

parodié et le plus piraté de la bande dessinée et, à ce

jeu, la Suisse est aussi bien présente chez Tintin le vrai

que chez le faux. A travers une sélection de planches,

d'albums et d'objets, l 'exposition présente, d'une part

les l iens qui unissent Hergé, Tintin et la Suisse, et

d'autre part les différentes formes de parodies, leur

expression et les intentions des «   pirates  » .

Hergé et son avatar Tintin sont liés à la terre

helvétique de manière singulière et plurielle.

Refuge idéal, la Suisse a servi de décor pour

L’affaire Tournesol. A proximité de Penthes, Hergé

a fréquenté Le Reposoir où s’était replié le roi des

Belges après-guerre et s’était inspiré de la toute

proche école hôtelière pour dessiner son

ambassade de Bordurie transposée au bord du

Léman. Quant au savanturier Auguste Piccard,

bien présent dans la présentation permanente du

musée, il est comme chacun sait à l’origine de

l’incontournable professeur Tournesol.

Incontestablement, notre Helvétie a joué un rôle de

premier choix dans la diffusion des Aventures de

Tintin : c’est le premier pays, après la France à

importer les péripéties du reporter. « Savez-vous,

confiait Hergé que Tintin paraît en Suisse depuis

1932, dans l’hebdomadaire catholique L’Écho

illustré  ? Les Suisses romands sont de vieux amis de

mes séries… »

Cet ouvrage possède une

notice sur

http://editionsnomades.ch

Allez sous TITRES,

lettre T puis Tintin.

Anselm Zurfluh

directeur du Musée des

Suisses dans le Monde

Page 45: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

45

ACTUAL I TÉ S

Tintin a inspiré nombre de dessinateurs suisses.

Nous avons insisté sur l'ancrage genevois de

Tintin, ce qui nous a permis de mettre en valeur le

travail d’Exem, de son vrai nom Emmanuel

Excoffier, qui est le meilleur dessinateur de la ligne

claire de l'après-Tintin selon les spécialistes. C’est

un dessinateur genevois, certes, mais il habite en

France voisine et pour le Musée des Suisses dans le

Monde, c’est un symbole qui prend encore plus de

sens suite à la votation du 9 février. Son parcours

correspond précisément aux nouvelles

problématiques auxquelles est confrontée notre

institution. Qu’est-ce en effet aujourd’hui un

Suisse de l’étranger  à l’heure de la globalisation et

des échanges instantanés?

Exem est à proprement parlé un Suisse de

l’étranger ce qui n’est guère le cas, par exemple, du

banquier genevois qui fait chaque jour l’aller-

retour en TGV à Paris. Notre interrogation actuelle

concerne la place des étrangers dans la

construction de la Maison suisse et qui de là,

rayonnent dans le monde entier. Parmi les

Genevois travaillant en France voisine, signalons

également Thierry Bourquin –  plus connu sous le

pseudonyme van Leffe  – qui a publié à Genève en

1990 un Vol 898 pour Sydney. A la dernière page de

sa parodie Tintin et le Pustaha, on se retrouve tout

simplement rue Calvin dans la cité du bout du lac.

Nous savons tout ce que la Suisse doit aux

étrangers installés chez elle, même si la vocation

première de notre musée est de mettre en valeur et

en perspective les Suisses qui ont œuvré à travers

le monde. Cependant, l’étude du cas Hergé nous

incite à valoriser le rôle des étrangers ayant tout

simplement transité par le territoire helvétique.

Beaucoup d'étrangers ont été littéralement boostés,

sublimés, métamorphosés par leur passage dans

notre pays. Cela va de Mary Shelley qui y écrit

Frankenstein, Richard Strauss qui compose ses

quatre derniers lieders, Nietzsche qui a la révéla-

tion de l'Eternel retour, sans oublier Lénine pour ce

qu’on en sait. Quant à Hergé, il a trouvé en Suisse

un havre de paix durant les étés qu’il y passa. Son

passage chez un psychanalyste de Zurich lui a

permis de rebondir intellectuellement et de

surmonter sa hantise du blanc, à la suite de quoi il

a pu nous offrir son chef-d’œuvre, Tintin au Tibet.

Pour le 85e anniversaire de la naissance de Tintin,

nous lui avons rendu cet hommage qui est un sacré

challenge  ! Malgré la vigilance des ayants droit,

Tintin est le personnage le plus piraté de la bande

dessinée et, à ce jeu, la Suisse est aussi bien

présente chez Tintin le vrai que chez le faux. Le

reporter à la houppe est-il le bien commun de tous

ceux qui l’ont tant aimé depuis leur enfance ou la

propriété privée et exclusive de quelques héritiers  ?

Auteur d’une exposition à succès sur les parodies

et pastiches de Tintin, Alain-Jacques Tornare par

ailleurs vice-président de la Fondation pour

l’Histoire des Suisses dans le Monde - nous

présente ici les œuvres d’artistes ayant trouvé en

Suisse les moyens d’exprimer concrètement sur le

papier-dessin leur admiration sans borne pour

l’œuvre d’Hergé, quand bien même ces bornes sont

très vite franchies aux yeux de Moulinsart qui

veille à tempérer les ardeurs créatives des

amoureux fous de l’univers de Tintin. Nous en

Page 46: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

46

avons également fait les frais, au sens propre et

figuré  ! L’exposition qui est en notre possession

voyage désormais comme ambassadrice du château

de Penthes. Elle est présentée durant l’été 2014 à la

Médiathèque de Rueil-Malmaison, ville des bords

de Seine avec laquelle Fribourg est jumelée.

L’album-catalogue qui accompagne l’exposition de

ces hommages parfois délirants, le plus souvent

respectueux, toujours joyeux, est ici offert en

partage aux lecteurs, à ceux qui rêvent de

rencontrer au détour d’un dessin improbable un

«   Tint’inconnu  », dans des aventures hergéennes

qui n’ont jamais officiellement existées. Ce nouvel

album bénéficie, pour la couverture, d’un dessin

original spécifiquement lié au domaine de Penthes,

fruit du talent d’Exem, que nous remercions pour

son apport inappréciable. Les voici évoqués ces

amoureux fous de l’univers de Tintin, sans tabou ni

a priori, dans un texte mené tambours battants au

son du canon de Waterloo ou plutôt de la rue

Louise à Bruxelles par l’historien des relations

franco-suisses à qui nous avons demandé d’adapter

l’exposition à la spécificité de Penthes.

Outre Exem, à la ligne si claire qu’on a pu parler de

lui comme du plus grand représentant de la

parodie hergéenne, l’ouvrage fait également la part

belle à l’Atelier du Radock, brillant collectif de

dessinateurs romands présentant l’avantage

d’avoir eux aussi toujours été tolérés par

Moulinsart SA. En renfort, Alex alias le Broyard

Alexandre Ballaman et ses dessins de presse si

généreusement proches de l’esprit hergéen.

La 2e édition de Tint’interdit, un mois et demi

après la parution de cet ouvrage déjà collector,

offre une séance de rattrapage à toutes celles et à

tous ceux qui auraient manqué la sortie de ce pur

plaisir des yeux à nul autre pareil. Rançon de la

gloire, deux images ont été retirées à la demande

de la société Moulinsart qui gère l’héritage des

ayant-droits légaux  : d’une part un Guillaume Tell

avec les traits du capitaine Haddock et d’autre part

un Zinzin jouant au golf au pied du Salève. A vous

de découvrir où elles se trouvaient dans l’album et

de demander au final à qui appartient moralement

le personnage qui a toujours enchanté notre

jeunesse. Cette annexe tintinophile de belle facture

montre précisément que le héros à la houppe est le

bien commun de tous ceux qui l’ont tant aimé

depuis leur enfance. Contre toute attente, l’ouvrage

à abattre ouvre une brèche dans le mur

d’incompréhension érigé autour de notre cher

héros et qui le sépare de ses aficionados. Pour

combien de temps encore  ?

Bonne visite dans ces espaces méconnus et parfois

improbables des aventures hergéennes qui n’ont

jamais officiellement existé et bienvenue, quand il

vous plaira, au domaine de Penthes, dans ce coin

du canton de Genève qu’Hergé a tant aimé.

Page 47: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014
Page 48: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

48 - MU S É E DE S S U I S S E S DAN S LE MONDE

Anselm Zurfluh

directeur du Musée des

Suisses dans le Monde

Le Guillaume Tell du

sculpteur tessinois

Jose Belloni, à Montevideo

Page 49: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

49

S U I S S E S D ' H I ER , S U I S S E S D 'AU J OU RD 'H U I

LE MOT DU DIRECTEUR

Le Musée des Suisses dans le Monde possède une riche

col lection d'objets et de témoignages mais qui pour

l 'essentiel traite du Service étranger des XVI Ie et XVI I Ie

siècles et qui est géographiquement centrée sur

l 'Europe. Tous ces Suisses qui sont partis pour d'autres

motifs que le Service étranger et qui ont si l lonné le

monde entier, nous connaissons mal leur histoire.

Certains d'entre nous on entendu parler de New Glaris

dans le Wisconsin et d'autres «   terres  » suisses en

Californie. Or au XIXe siècle, la Confédération

helvétique a contribué à la création de colonies de

peuplement un peu partout dans le monde : en Russie

également – où el les n'auront pas survécu à Stal ine - en

Austral ie... et en Amérique du Sud.

L ’émigration des Suisses en Amérique

latine prend son essor au Brésil à partir de

1816, date de la fondation de la ville de

Nova Friburgo. En Argentine, en Uruguay et au

Chili, c’est au milieu du XIXe, dans les années 1850

à 1870, que les colons suisses, majoritairement

issus des cantons de Fribourg, d’Argovie et de

Thurgovie, émigrent. Ce sont en partie la disette –

en 1816, par exemple – et la pauvreté qui poussent

ces Suisses à partir, mais pas uniquement  ; la

possibilité d’un avenir meilleur, certes, mais aussi

les grands espaces qui permettront aux immigrés

Page 50: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

50 - MU S É E DE S S U I S S E S DAN S LE MONDE

Page 51: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

51

S U I S S E S D ' H I ER , S U I S S E S D 'AU J OU RD 'H U I

“Algún día en cualquier

parte, en cualquier lugar

indefectiblemente te

encontrarás a ti mismo, y

ésa, sólo ésa, puede ser la

más feliz o la más amarga

de tus horas”

― Pablo Neruda

Page 52: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

52 - MU S É E DE S S U I S S E S DAN S LE MONDE

de faire fructifier leurs terres de façon

exponentielle  ; en effet, la parcelle de terre qu’ils

recevront fait cinquante fois celle qu’ils

possédaient dans leur canton d’origine.

Des contrats d’Etat à Etat, ou plutôt de communes

suisses à Etats étrangers, scelleront le sort de ces

Suisses parfois amèrement désappointés par les

terres qui leur seront attribuées et par des

conditions de vie, dans des contrées au climat

tropical, dont ils n’avaient aucune idée. Des francs-

tireurs aventuriers se mêlent à la masse des

émigrants, mais aussi des médecins et des pasteurs.

Santa Madalena au Brésil, Bariloche, Rosario,

Misiones, Santa Fe en Argentine, les Valaisans du

Paisandù en Uruguay, Traiguèn en Araucanie au

Chili, Porto Yartou et son musée patagon du bout

du monde sont autant de témoins de la présence de

la Suisse à travers ses fils et ses filles. Il convient de

signaler aussi des Maisons Suisses très actives en

Equateur, en Colombie et en Bolivie.

Ces Suisses dans le monde que j’ai rencontrés sont

viscéralement attachés à la Suisse, même s’ils

appartiennent à la cinquième, sixième ou septième

génération vivant sur ces terres. La plupart d’entre

eux ne parlent plus la langue de leurs ancêtres,

mais se disent fiers d’être d’ascendance suisse. La

prospérité est même au rendez-vous à Nueva

Helvecia en Uruguay où les Suisses ont importé

leur savoir-faire en matière de fromagerie et

d’hôtellerie  ; l’Hotel Suizo, fondé en 1872, y est

toujours en activité.

Ces rencontres enthousiasmantes permettent

d’envisager une large coopération, allant de projets

de recherche à des ouvrages publiés conjointement

ou encore à des expositions. Une brochure sera

éditée à ce sujet prochainement. Je vous invite, par

ailleurs, à lire les biographies de Suisses qui sont

régulièrement signalées dans les pages de la

Nous considérons ce voyage en

Amérique latine comme faisant partie du

Page 53: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

53

S U I S S E S D ' H I ER , S U I S S E S D 'AU J OU RD 'H U I

renouveau du Musée que nous menons

actuellement et qui se caractérise par une volonté

d’ouverture sur le monde encore plus marquée.

A ce stade, on peut dire ceci  : ces lieux de mémoire

ont un point en commun  : le terrible hiver de 1816.

En effet, avant le XIXe siècle, très peu de colonies

de peuplement à proprement parler ont été

entreprises par les Suisses – on pourrait citer la

colonisation avortée de la Sierra Nevada en

Espagne par des Schwytzois en 1763. Mais à partir

de 1816, avec la crise industrielle qui suit la chute

de Napoléon, les Suisses commencent à émigrer,

pendant une centaine d’années (courte période à

l’aune de l’histoire  ! ), en masse et vers une

destination précise. Ce sont les cantons qui

organisent ces départs, mais aussi les pays

d’accueil, la plupart du temps grâce à un

intermédiaire qui pourvoit à tout. On promet le

paradis aux candidats  ; les autorités saisissent cette

occasion pour se débarrasser de familles et

d’individus qui sont à la charge de la communauté.

Or à l’arrivée, la plupart du temps, la situation frise

la catastrophe  : ni accueil ni semences et des terres

incultes… Pourtant, la plupart de ces colonies

parviennent à s’enraciner, voire parfois, à

prospérer, comme nous l’avons déjà évoqué.

D'où vient à ces Suisses cette capacité à faire fi des

difficultés  ? En réalité, c’est un cocktail

d’ingrédients, dont le plus important tient à la

personnalité de ceux qui quittent leur patrie.

Statistiquement parlant, on peut dire que les

Suisses qui émigrent bénéficient d’une bonne

éducation et sont formatés pour se conformer à un

cadre précis  ; la fiabilité, le goût du travail bien fait

forment également des composantes importantes

de la réussite. Les descendants de ces Suisses le

répètent encore aujourd’hui  : c’est le travail qui fait

la valeur d’une vie  ; en somme, ces Suisses Latino-

Américains se comportent comme des Suisses.  

Page 54: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

54 - MU S É E DE S S U I S S E S DAN S LE MONDE

URS ET YVONNE AMMAN

de Berne à Nova Friburgo

L'aventure de l'Auberge suisse de Nova Friburgo

commence il y a trente ans. Les douze chalets en

forme de bungalows construits entre lacs et

jardins, entourés de la forêt luxuriante sont l'œuvre

d'Urs et d'Yvonne Amman, tous les deux Bernois et

agriculteurs de profession. Un complexe hôtelier

en parfaite harmonie avec l'écosystème,

respectueux de l'eau et de l'énergie, il y a beaucoup

de Suisse dans cet endroit paradisiaque que les

Brésiliens apprécient pour passer un week-end au

frais. Mais l'aventure des Amman ne fut pas une

mince affaire. Entreprise familiale au départ, c'est à

la suite de la défection de son propre frère,

cuisinier, reparti en Suisse, qu'Yvonne se met aux

fourneaux pour le plus grand plaisir de tous les

gourmands de la région alors qu'Urs construit,

entretient et développe le complexe.

La disparité culturelle entre Suisses et Brésiliens

qui ne manquèrent pas de troubler les relations

somme toute cordiales entre l'Auberge Suisse et les

«   Fribourgeois  » , nous est évoquée par Urs

Amman, un peu désabusé et fataliste. « Nos clients

ont droit à une réserve d'eau importante, chauffée

au solaire pour des raisons écologiques,

Page 55: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

55

S U I S S E S D ' H I ER , S U I S S E S D 'AU J OU RD 'H U I

naturellement... Ils allument leur douche, puis

vaquent à leurs occupations, regardent une

télénovela ou mangent une bricole puis quand ils se

décident à prendre leur douche, et bien il n'y a plus

d'eau chaude et ils viennent se plaindre. Donc, j 'ai

dû remettre l'eau chaude chauffée au gaz dans les

bungalows...   » . «  Mais  », reprend Yvonne, «   Ces

comportements culturels brésiliens sont un vrai

challenge dans notre vie quotidienne, c'est aussi

pour vivre tout cela que nous avons quitté la

Suisse!   »

En janvier 2011 , les Amman furent les témoins de

l'effondrement d'une partie de la montagne sur la

ville. Ils ont participé aux secours d'urgence,

notamment en relation avec le Canton de Fribourg,

et ont aussi vérifié que l'argent arrivait à bon port.

Urs Amman recevra une récompense pour sa

contribution au développement du tourisme dans

l'État de Rio de Janeiro. Les Amman et leur quatre

enfants, nés au Brésil et qui parlent le suisse-

allemand avec un accent brésilien font partie de

ces Suisses à l'Étranger qui gardent des liens très

forts avec leur canton d'origine et qui sont

parfaitement intégrés dans leur pays d'accueil.

Page 56: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

56 - MU S É E DE S S U I S S E S DAN S LE MONDE

C 'est en 2000 que Ruedi Rüesch achète

sept hectares et demi de terres agricoles

à Tres Esquinas, à quatre cents km au

sud de Santiago du Chili, pour développer une

ferme agricole. En effet, chez lui dans le canton de

Saint-Gall, vallée du Toggenburg, Ruedi était

agriculteur. En venant au Chili il avait l'intention

de profiter des saisons inversées dans l'hémisphère

sud - en été, s'occuper de sa ferme au Toggenburg,

en hiver profiter de l'été au Chili - en somme, faire

deux récoltes par an. Très vite, prenant conscience

que la vigne était un produit d'avenir, Ruedi

commença donc à planter des cépages

traditionnels, Syrah, Merlot, Pinot Noir mais aussi

du Carmen, du Zinfandel, du Malbec et du

Sauvignon Blanc. En 2001, le domaine s'agrandit de

huit hectares et demi. S'ensuivit la construction

d'un immense hangar avec quatre cuves de 10'000

litres et toute la logistique qui va avec pour

produire un vin de qualité. En effet, au Chili, les

domaines de 50'000 hectares produisent pour le

marché standard et seule la qualité peut se

distinguer dans cette production industrielle. La

qualité suisse en somme, comme horizon, la mise

en bouteille commence en 2003, un restaurant

gastronomique est ouvert, ainsi que des bungalows

pour des touristes venus de Suisse, d'Autriche et

d'Allemagne. En 2004, Ruedi passa à une

production bio, persuadé que c'était non seulement

meilleur pour l'environnement mais aussi un

garant de la qualité qu'il ambitionnait. Entre les

RUEDI RÜESCH

du Toggenburg au Chili

Aprécier un verre de vin produit par

Ruedi Rüesch au Chili .

Weingut Roland & Karin LenzCH-8524 UesslingenTel: 052 746 13 [email protected]

Page 57: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

57

S U I S S E S D ' H I ER , S U I S S E S D 'AU J OU RD 'H U I

ceps de vignes, de l'avoine est semée et la plante

est amalgamée avec la terre pour fertiliser

naturellement les sols.

Le tremblement de terre de 2011 réveille Ruedi un

matin, dans un fracas qu'on ne peut pas imaginer.

«   C'est terrifiant  » raconte-t-il. A cause d'une

malfaçon dans la construction, l'un des réservoirs

tomba à la renverse en entraînant un deuxième

dans sa chute  ; 20'000 litres de vin se répandirent

sur le sol - perte sèche. Outre les aléas de la nature,

les disparités culturelles existent aussi  ; ainsi, il est

toujours difficile de faire des vacances en Suisse

avec une famille qui ne parle que

l'espagnol, par ailleurs, comme le dit

Ruedi, des réalités banales en Suisse

deviennent compliquées au Chili. En

Suisse tout est «   calculable  », nous

sommes habitués à envoyer nos enfants

dans les écoles de qualité, même à la

campagne. Impossible à Tres Esquinas  !

Madame Rüesch, chilienne, va donc vivre

à Chillàn, une ville de 160'000 habitants

et qui dispose de bonnes écoles, Ruedi

rejoignant sa famille tous les week-end.

«   L'avantage du Chili  » , dit Ruedi en

regardant par-delà l'horizon, «   C'est que

les gens ne se plaignent pas sans cesse  ».

«   Si les conditions de vie sont parfois rudes, les

Chiliens sont heureux, une différence appréciable

pour la qualité de vie  » . L'avenir se construit sur

ces terres lointaines mais toujours en connexion

avec la Suisse où les vins sont distribués par un

ami, et avec en arrière-plan, le savoir et la rigueur

suisses qui sont au Chili un atout non négligeable

pour réussir. «   La qualité paye  », disent les

Chiliens, et les Suisses sont connus pour leur

amour du travail bien fait. Une autre différence

notable au Chili, beaucoup des gens travaillent

pour survivre, non pas pour se réaliser. Sur ces

terres lointaines, Ruedi lui, s'est trouvé un destin...

Page 58: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

58 - MU S É E DE S S U I S S E S DAN S LE MONDE

Né en 1 878 à Sierre, le Valaisan Léon Steiner

s'embarque en novembre 1 894 à l 'âge de 1 6 ans à bord

du vapeur San Pedro pendant la grande vague

d'émigration du canton du Valais, direction

l 'Argentine. C'est avec deux de ses frères et de sa sœur

qu'i l se rend dans la province de Santa Fe, à Baradero

et à Esperanza. En Suisse, Léon Steiner avait appris de

son père forgeron le travai l des métaux ce qui l 'aidera

tout naturel lement dans l 'apprentissage de son

nouveau métier  : ingénieur ferroviaire. Léon Steiner

devient ainsi un pionnier du rai l en Argentine.

Page 59: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

59

S U I S S E S D ' H I ER , S U I S S E S D 'AU J OU RD 'H U I

DES ALPES AUX ANDESLÉON STEINERTECHNICIEN FERROVIAIREPIONNIER DU RAILEN ARGENTINE

Dr Pablo Barral Steiner, arrière-petit-fils de Léon Steiner

C'est en mai 1903 qu'il entre dans la Compagnie de

chemin de fer Central Norte. Il y travaille à

l’adaptation des locomotives au passage du

combustible solide, le charbon, au combustible

liquide, le pétrole, en inventant des fusibles de

sécurité pour prévoir et empêcher des incendies

dans des locomotives à pétrole.

Léon Steiner introduisit également le système de

crémaillères dans les lignes de chemin de fer en

pente. Il sera à l'initiative de la ligne entre

l'Argentine et le Chili, le Tren de las Nubes ou

«   Train des nuages  » avec le viaduc transandin

FFCC Huaytiquina à plus de 4'500 mètres au-

dessus du niveau de la mer. Leon Steiner devient

ainsi un acteur essentiel de l’union ferroviaire

Atlantique-Pacifique entre les deux pays andins.

Comme Chef du service des eaux, il met au point

des locomotives à vapeur pour les zones

désertiques du pays, baptisées «   locomotives à

recondensation  ».

Ces travaux donnent à Léon Steiner l'occasion de

publier maints articles dans des journaux

spécialisés du rail, Via Libre, par exemple. mais

aussi dans des journaux métropolitains comme La

Nación. Par ailleurs, profondément humaniste, le

Valaisan prendra la défense des Indiens appelant à

les protéger et à les instruire.

Quand il décéda, ses collègues collaborateurs

comme subalternes le saluèrent comme étant «   le

pionnier de la conquête ferroviaire des Andes  ».

Page 60: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

60 - MU S É E DE S S U I S S E S DAN S LE MONDE

UNE DYNASTIE DESCIENTIFIQUES SUISSES :LES BERTONI

Sous les frondaisons, quelques pierres grises et

moussues entourées d’une petite gri l le. Dernier repos

pour celui que l’on a surnommé El Sabio (le Sage). I l

repose dans le petit paradis créé de ses mains sur les

bords du Rio Paraná. I l repose à l’ombre des grands

arbres qu’i l a accl imatés dans ce petit coin d’Amérique

du Sud. I l repose entouré d’une partie de sa famil le

qui l ’avait suivi au bout du monde.

Mosé Giacomo (Santiago) Bertoni naquit le 15 juin

1857 à Lotigna, un petit village du Val Blenio au

Tessin. Il fit ses études primaires et secondaires à

Locarno. Esprit curieux et précoce, il fonda, à l’âge

de 18 ans, avec sa mère, le premier observatoire

météorologique de sa ville natale. Touche à tout de

génie, il se dédia à l’étude de nombreuses autres

sciences, mais la météorologie fut son principal

intérêt tout au long de sa vie. En 1875, il s’inscrivit

à l’Université de Genève où il commença  des

études de droit et de sciences naturelles dans la

classe de Johannes Mueller Argovensis. En 1876, il

la quitta pour celle de Zürich  ; il y tomba amoureux

d’Eugenia Rossetti Rebaud, une étudiante de

biochimie. Ils convolèrent en justes noces une

année plus tard. Moïse retourna à l’Université de

Genève jusqu’en 1881 . Les études de droit

commençant à le lasser, il les abandonna pour se

lancer, dans la mesure où ses devoirs familiaux le

permettaient, dans diverses études scientifiques.

Moïse Bertoni faisait partie d'un groupe de

scientifiques fascinés par la nouveauté, l'exotisme.

Curieux de tout, il ramait à contre-courant, ce qui

est parfois, même de nos jours, très mal interprété.

On le taxa d’anarchiste, étiquette due au fait qu’il

s’entretint avec Piotr Kropotkin et avec Paul

Reclus, qui se fixa un temps à Clarens après son

expulsion de France. En fait, Bertoni était surtout

humaniste. De leurs conversations surgit l’idée de

créer une communauté agricole de style socialiste,

autrement dit, une coopérative. En Moïse grandit le

désir de fonder une colonie suisse en Amérique du

Sud. Il désirait vivre de l'agriculture et faire des

recherches scientifiques dans les territoires vierges

du continent austral.

Il quitta la Suisse le 3 mars 1884. Toute sa famille

l’accompagnait, y compris sa mère (qui prit la

décision de laisser en Suisse son époux et son

dernier enfant), son épouse Eugenia, leurs enfants

Reto Divicone, Arnoldo de Winkelried, Vera

Zassoulich, Sofia Perovskaya (Helvecia) et Inès.

Quarante agriculteurs du Val Blenio qu’il réussit à

convaincre, furent aussi du voyage. Durant son

séjour en Argentine naîtra son fils Moisés Santiago

Page 61: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

61

Carlo Dlouhy

diplômé d'études

supérieures de l'université

de la Sorbonne,

organisateur et guide des

missions de recherches du

musée d'histoire naturelle

de Genève au Paraguay

et plus tard, au Paraguay, Guillermo Tell, Aurora

Eugenia, Walter Fürst, Werner Stauffacher, Carlos

Linneo y Aristóteles. Le 30 mars, il débarqua à

Buenos Aires avec toute sa troupe. Pour

concrétiser son projet il lui fallait l’appui des

autorités. Il demanda une audience au président

Julio Argentino Roca, qui lui octroya des terres

dans la  province de Misiones.

Le groupe arriva sur le territoire de Santa Ana, sur

les bords du Rio Paraná. Dès son arrivée, Moïse

commença son travail de recherche dans diverses

spécialités  : l’agriculture, la zoologie, la

météorologie, l’ethnologie, etc. Il fut le premier

naturaliste qui vécut dans la province de Misiones

en Argentine. Durant son séjour, il collecta environ

2000 spécimens de plantes et publia son premier

ouvrage traitant de l’acclimatation de l’eucalyptus.

Ses recherches ne furent pas vues d’un bon œil par

les agriculteurs argentins qui n’acceptèrent pas la

venue de cet étranger qui donnait des conseils et

bousculait leurs traditions. Après bien des

déboires, dont des attaques armées, Bertoni

abandonna Santa Ana pour s’installer au Paraguay.

Dans un premier temps, il se fixa à Yaguarazapa,

distant d’environ cinquante kilomètres au nord de

sa précédente colonie, mais sur l’autre rive. Après

la perte de ses collections, due à une grande crue

du fleuve, il remonta le Paraná sur environ 150

kilomètres et choisit de s’arrêter près du confluent

avec le Rio Yguazu où se situent les fameuses

chutes. La propriété, qu’il nomma Colonia

Guillermo Tell, couvrait environ 12'500 hectares.

Travaillant d’arrache-pied, il reconstitua ses

collections. Pour faire vivre sa famille et continuer

son travail de recherche, il se lança dans la culture

de café, de bananes et d’agrumes.

Travaillant seul et hors des circuits, ses travaux

étaient peu connus. Il étudia la flore et la faune,

sans oublier l’anthropologie et la cartographie, et

constitua une impressionnante collection de plus

de 7'000 espèces végétales et environ 6'500

Page 62: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

62 - MU S É E DE S S U I S S E S DAN S LE MONDE

insectes. Entre autres, il étudia à fond le ka'a he'e,

la stevia rebaudiana (Bertoni), une plante herbacée

endémique de la région. Trois cents fois plus

sucrée que la saccharose, la stévia ou chanvre

d’eau est devenue importante de nos jours comme

édulcorant non calorique.

Bertoni entreprit également des études

métérologiques approfondies à la demande des

autorités du Paraguay. Durant des années, il

compila tous les jours l'humidité, le vent, la

pluviométrie et la température. Son calendrier

météorologique est un modèle du genre. Il indique,

entre autres, les meilleures dates pour les

plantations. Ce calendrier est encore consulté de

nos jours par les paysans paraguayens.

Moïse était un homme aux grands horizons.

Depuis son petit paradis et bien que seulement

relié au reste du monde par le fleuve, il réussit

l’exploit de se mettre en contact avec des collègues

et des centres de recherche dans le monde entier.

Ses travaux lui apportèrent une renommée

nationale et internationale. On se souvient de lui

comme le Sage, diffuseur de connaissances

ancestrales des Indiens, conseiller agricole et

météorologiste. Altruiste, il ne garda pas pour lui

ses résultats, écrivit de nombreux articles

scientifiques et devint le principal éditeur

scientifique du Paraguay.

A la demande du général Juan Bautista Egusquiza,

président du Paraguay, Bertoni créa, en 1886,

l’Ecole nationale d’agriculture d’Asunción, ce qui

l’obligea à quitter les rivages du Paraná. Il dirigea

cette institution durant neuf ans. En 1903, il fonda

la Société nationale d'agriculture et en 1905, en

tant que délégué du gouvernement paraguayen, il

se rendit au Troisième Congrès latino-américain

scientifique de Rio de Janeiro. Il y présenta son

premier ouvrage traitant de la géologie du

Paraguay, ainsi que deux appareils de son

invention : le drosomètre et le phytothermomètre.

En 1906, suite à de graves dissensions avec le

savant, le gouvernement décida la fermeture de

l’école. Le Sage se retira alors dans sa propriété.

Une fois de plus, il retrouva ses collections

détruites, cette fois-ci par les insectes. Opiniâtre, à

la place de se désoler contre ce nouveau coup du

sort, il recommença à herboriser. Il créa l’année

suivante la Station agronomique expérimentale de

Puerto Bertoni. En 1910, commença la période faste

des études du savant. Il se rendit, à la demande du

gouvernement paraguayen, au Salon international

de Buenos Aires, où il obtint plusieurs médailles et

diplômes. Cette même année, il représenta le

Paraguay au Congrès international qui se tint dans

la capitale argentine. Il fit également paraître le

premier fascicule de sa grande œuvre, la

Description physique et économique du Paraguay.

En 1914, Bertoni prit brièvement la direction du

Ministère de l'agriculture. De retour à Puerto

Bertoni, il installa, en 1918, un atelier d'impression

et y publia ses travaux sous la ligne éditoriale d’Ex

Silvis. En 1922, en tant que délégué de la

République du Paraguay, Bertoni assista au

Congrès scientifique international de Rio de

Janeiro, où il présenta des travaux traitant de

l'anthropologie et de l'ethnographie de la tribu des

Guarani.

Le nom de Bertoni ne s’effaça pas avec la

disparition de Moïse Santiago Bertoni. Parmi ses

descendants, mentionnons son deuxième fils,

Arnoldo de Winkelried Bertoni, né en 1878 en

Suisse, le plus scientifique de la tribu et souvent en

conflit avec son père. En tant que professeur de

zoologie, il fut l’auteur d’études de référence sur la

faune du Paraguay.

La tradition scientifique de la famille Bertoni se

poursuivit avec Hernando Milciades Bertoni Flores,

né en 1924 à Puerto Bertoni qui fit une brillante

carrière en tant qu’agronome et vétérinaire. En

1968 Bertoni Flores fut nommé ministre de

l’agriculture et des élevages. Ce grand

gentilhomme n’a jamais oublié ses racines suisses

Page 63: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

63

S U I S S E S D ' H I ER , S U I S S E S D 'AU J OU RD 'H U I

et les expéditions scientifiques du Museum

d’histoire naturelle de Genève n’auraient jamais pu

être menées à bien sans son fidèle appui. Il décéda

à Asunción en 1992.

Le flambeau a été repris par Siemens Bertoni, le

petit dernier de la famille. Il fit son travail de

diplôme au Conservatoire et jardin botaniques de

Genève, participa au projet suisse de formation de

gardes forestiers et enseigne actuellement

l’agronomie appliquée à l’Université nationale

d’Asunción.

Quant à Puerto Bertoni, les collections de vertébrés

de Winkelried furent presque totalement pillées et

ce qui reste se trouve déposé dans la maison

familiale. Celle-ci fut sauvée grâce l’apport

financier de la Confédération et sa bibliothèque,

qui était attaquée par les insectes, put être

entièrement microfilmée en Suisse. En revanche,

de nombreuses pièces de valeur furent dérobées

par des touristes, venant en bateau depuis le Brésil

et forçant les portes de la maison en l’absence des

gardiens. Grâce à l’aide de la Coopération suisse,

des efforts ont été entrepris pour éviter une perte

totale de ses collections. Quant aux collections

d’insectes, elles sont encore presque complètes et

déposées au Musée national d’histoire naturelle du

Paraguay. Les collections botaniques du Sage sont,

elles, conservées à la Société scientifique du

Paraguay  ; elles furent entièrement restaurées par

le Conservatoire et jardin botaniques de Genève.

Que reste-t-il de la propriété montée avec tant

d’abnégation et de courage par le Sage et sa

famille  ? Presque rien. Les colons brésiliens

entrèrent dans la propriété pour couper, sans

aucune vergogne, les essences rares qui avaient été

acclimatées par le Sage. Les troncs furent vendus

en contrebande à des scieries brésiliennes sans que

les autorités de la région puissent l’empêcher. La

région est devenue un vaste champ de soja. A force

de rogner et de rogner, il ne reste qu’environ 2'000

hectares de ce qui avait été une propriété de plus

de 10'000 hectares. Ce reliquat fut remis au

gouvernement paraguayen afin qu’il protège ce qui

reste  ; il prit cette tâche à cœur et essaie de sauver

ce qui peut encore l’être.

Moïse Bertoni était un admirateur de la culture

traditionnelle indigène. Il permit à diverses ethnies

de vivre sur la propriété. Actuellement, des

membres de la tribu Mbyá du peuple des Guarani,

chassés de leurs terres ancestrales par les

agriculteurs, ont trouvé refuge à Puerto Bertoni.

Les quelques familles survivent grâce à la collecte

de fruits et de la vente de babioles aux touristes

venant visiter le site. Une petite école, bien que

précaire, permet de donner aux enfants quelques

rudiments d’éducation. De nos jours, la propriété

se dresse comme un phare dans l’immensité des

champs attestant ainsi la pérennité de l’œuvre

scientifique d’une famille suisse hors du commun.

Page 64: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

64 - MU S É E DE S S U I S S E S DAN S LE MONDE

TERRES SUISSESDANS LE MONDE

En 1991, à l’occasion des célébrations

du 700e anniversaire de la

Confédération, des rochers de taille, de

forme et de couleur variées ont été

prélevés dans des endroits du monde

entier qui portent le nom de Suisse,

Switzerland ou similaires – souvent des

régions de montagnes fort pittoresques.

Ces «   cailloux  » ont été artistiquement

installés dans un petit square aux côtés

du Palais fédéral à Berne.

Voici à présent des lieux – et ils sont

encore plus nombreux – qui portent les

noms de villes Suisses sur les cinq

continents. La journaliste Petra Koci les

a cherchés, s’y est rendue et raconte

dans ce beau livre illustré l’histoire de

ces lieux  : pourquoi ce choix de nom  ?

quelles ont été les circonstances de la

fondation  ? Ce ne sont pas

nécessairement des lieux de

colonisation d’émigrés suisses. Dans sa

postface, le grand spécialiste des

migrations des Suisses, le professeur

Leo Schelbert (Evanston, Illinois), nous

livre quelques explications

complémentaires.

Page 65: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

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S U I S S E S D ' H I ER , S U I S S E S D 'AU J OU RD 'H U I

UNA FIESTAPARA EL ALMA

N ueva Helvecia fue el único lugar más

allá de Montevideo, elegido para ser

visitado en Uruguay por el Director del

Museo de los Suizos en el Mundo, el Sr. Anselm

Zurfluh y su esposa Emmanuelle, en su reciente

gira sudamericana. Este renombrado museo se

aloja en una magnífica construcción que engalana

el hermoso parque a orillas del lago de la

internacional ciudad de Ginebra y que puede

conocerse a través de su sitio web:

www.penthes.ch.

Tuve el privilegio de ser invitada en el año 2007

para presentar allí el libro Suizos en Uruguay,

gracias a la intermediación de un uruguayo

radicado desde hace varias décadas en esa misma

ciudad – Alberto Pérez Iriarte  –, que arraigó allí

con Béatrice Surber, una suiza de Zurich de la más

pura cepa. Confluyeron todos ellos en el recorrido

coordinado por el Municipio de Nueva Helvecia el

pasado viernes 10 de enero en el que tuve la grata

responsabilidad de acompañarlos.

Los visitantes fueron inmejorablemente recibidos y

atendidos en cada una de las instituciones que el

escaso tiempo disponible nos permitió recorrer. Es

importante que un breve paso provoque un efecto

positivo y estimulante que les permita formarse

una idea clara y genuina de lo que es hoy el lugar

que construyeron aquellos inmigrantes llegados

hace siglo y medio. En su recorrido, nuestras

visitas pudieron admirar el patrimonio natural y

cultural de la vieja colonia agrícola suiza a través

de su vegetación, de sus edificios y monumentos,

calles y caminos, de antiguos objetos,

publicaciones, documentos escritos y fotográficos

que ponen en evidencia el desarrollo de una

epopeya que, si bien se repitió en muchos lugares

de varios continentes, aquí se palpa todavía hoy a

cada paso.

Fue emocionante para los suizos, encontrar

pedacitos de su patria en un lugar tan distante de

ella y custodiados con tanto cariño y dedicación,

aún después de varias generaciones. Pudieron

formarse una idea real de cómo viven, cómo

actúan, trabajan y se organizan socialmente los

descendientes y quienes no lo son, integrados

todos, sin diferencias. Es conmovedor para una

neohelvética sentir la alegría, la satisfacción y el

orgullo que significa observar de qué modo mi

terruño se muestra en esta especial dimensión que

lo caracteriza, ante personas que saben apreciar los

valores que hacen de nuestra identidad, algo único.

Fue una verdadera fiesta para el alma.

Sonia Ziegler

Maestra e Investigadora

Page 66: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

POUR UN ENSEIGNEMENT DEL’HISTOIRE SUISSE ET GENEVOISE

SIGNONS CETTE PÉTITION  !

L e Musée des Suisses dans le monde à Penthes, par tradition, est un lieu où l’on est

pleinement conscient de l’importance de l’histoire pour la formation du citoyen, où cette

conscience et ce savoir sont aussi transmis avec intelligence – à preuve les nombreuses

visites guidées, pour des classes d’école notamment, qui y sont offertes, un service qui sera, nous

dit-on, encore développé dans le futur Nouveau Musée.

Le Groupe de Genève de «   Rencontres suisses – Nouvelle société helvétique  », association civique

non partisane, invite les lecteurs de la Lettre de Penthes et tous les amis du Musée à signer une

pétition qu’il adresse au Conseil d’Etat et au Grand Conseil de la République et Canton de Genève.

De quoi s’agit-il  ?

Connaître l’histoire de son pays, c’est le prix de la démocratie. Pour exercer ses droits politiques, le

citoyen doit être instruit de la genèse de son pays, des valeurs qui y ont présidé, ainsi que de

l’évolution et du fonctionnement actuel des institutions aux différents niveaux  : fédéral, cantonal et

communal. La démocratie, cela s’enseigne et cela s’apprend indépendamment de toute idéologie, et

la préparation à la citoyenneté se construit dès le plus jeune âge avec les moyens adaptés aux élèves

concernés.

Cette pétition, lancée sur la base de témoignages de jeunes Genevois et soutenue par certains

d’entre eux à qui ces connaissances manquent et sur le constat que le Plan d’études romand (P.E.R.),

malheureusement, n’assure pas l’acquisition de connaissances suffisantes dans ce domaine,

demande aux autorités compétentes que tous les élèves puissent bénéficier, au cours de leur

formation obligatoire, d’un enseignement chronologique et factuel de l’histoire suisse et genevoise,

ainsi que des notions utiles à l’exercice de la citoyenneté suisse.

Toute personne capable de discernement peut signer cette pétition, quels que soient son âge, sa

nationalité ou son domicile  ; une signature manuscrite est cependant requise. Vous pouvez

télécharger un formulaire au site http://www.dialoguesuisse.ch (rubrique «   nos groupes >

Genève  »)  et le retourner par courrier postal à l’adresse indiquée au recto des formulaires (les

signatures électroniques ne sont pas valables). Des formulaires de signature vous attendent

également à la boutique du Musée des Suisses dans le Monde à Penthes.

Merci pour votre intérêt  ! Merci pour votre signature  !

Corinne de Tscharner-Hentsch,

vice-présidente du Groupe de Genève, Rencontres Suisses - Nouvelle Société helvétique

Page 67: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014

EXPOSITIONPETER KNAPPElles, 101 regards sur les femmes

1 2 JUILLET -1 5 NOVEMBRE

La mode à Penthes

Commissaire d'exposition:Valentine Meyer, Paris

Page 68: Lettre de Penthes 023 / printemps 2014