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François SEUROT, après avoir obtenu une licence ès sciences économiques et une licence de russe à l'Université de Nancy, pour­suivit ses études de doctorat à la Faculté d'Economie de l'Université de Moscou et à l'Université de Paris où il soutint en 1972 une thèse de doctorat d'Etat intitulée Com­merce international, croissance et optimum économique en système socialiste, Agrégé de sciences économiques, il est professeur à l'Université de Nantes, Il a également ensei­gné à l'Université de Paris XII et à l'Essec,

Il a contribué à plusieurs ouvrages collectifs sur l'économie des pays socialistes et a publié des articles sur ce sujet dans la revue Economie et Socùités ainsi que dans la Revue de Science financière,

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« LIBRE É.CHANGE » COLLECTION DIRIGÉE PAR

FLORIN AFTALION

ET GEORGES GALLAIS-HAMONNO

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INFLATION ET EMPLOI

DANS LES

PAYS SOCIALISTES

FRANÇOIS SEUROT Professeur de Sciences économipl4S

à l'Université de Nantes

Presses Universitaires de France

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SOMMAIRE

Introduction, 9

1. Les déséquilibres sur le marché des biens l'inflation ouverte, l'inflation cachée et l'inflation réprimée, II

l 1 Définition et formes de l'inflation dans les pays socialistes, II

l / Quelques problèmes de définition, II - 2 / La demande excédentaire en biens de production a-t-elle un rapport avec l'inflation?, 13 - 3 / Le caractère macroéconomique de l'inflation socialiste, 15 - 4 / Comment se manifeste l'inflation, 16.

II 1 L'inflation par les prix, 18

l / Indices et prix, 18 - 2/ Les hausses de prix officielles: l'inflation ouverte, 20 - 3 / Les hausses de prix camouflées: l'inflation cachée, 26.

III 1 L'économie parallèle, 28

IV 1 L'épargne forcée et les substitutions forcées, 34

V 1 Les subventions budgétaires pour stabiliser les prix de détail, 40

2. Mesure de l'inflation réprimée, 43

l 1 Indicateurs d'écart entre les priX sur les marchés libres et les prix du marché socialisé, 43

II 1 Coefficient d'encaisses « forcées », 46

l / Le coefficient-revenu, 46 - 2 / Le coefficient-transaction, 47,

III 1 Indicateur de pouvoir d'achat inutilisé, 51

IV 1 Calcul des effets de la pénurie de biens de consommation, 52

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6 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

v 1 Comparaison de l'évolution du pouvoir d'achat des monnaies, ~ 3

VI 1 Pouvoirs d'achat des monnaies et taux de change sur le marché noir, 54

VII 1 Quel est le taux d'inflation dans les pays socialistes, ~ 8

3. Le chemin vers l'inflation réprimée : les inflations soviétiques, 1920-1940, 63

1 1 Inflation et monnaie (1918-1923), 64

II 1 Les théories de l'économie sans monnaie, 65

l / Les précurseurs: Preobrajenski et Boukharine, 65 - 2/ La recherche d'unités de travail non monétaires, 67.

III 1 Les causes de l'inflation et le débat sur la couverture-or de la monnaie, 69

IV 1 Développement et déclin de l'orthodoxie monétaire, 72

l / La réforme de I924 et la controverse sur la nécessité d'un rouble stable, 72 - 2 / La stabilité monétaire est-elle un obstacle à l'industria­lisation? (I924-I92ôj, 75 - J / Le déclin des défenseurs de la stabilité 'lIonétaire (I9 2Ô-I929 j, 77.

V 1 La monnaie soumise et l'inflation réprimée (1929-1940), 80

l / La réforme de I9JO et ses conséquences, 80 - 2/ L'inflation de I9JO à INO et les dernières tentatives de politique monétaire, 82 - J / La pensée de Staline en fflatière de monnaie et d'inflation, 85.

Annexe statistique,I92f-I940, 88

4. Le niveau réel de l'emploi : chômage déguisé, chômage structurel et chômage frictionnel dans une planification de sur-emploi, 93

1 1 La demande de travail et l'économie de sur-emploi, 93

II 1 Le chômage dans les pays socialistes, 95 l / y a-t-il du chômage dans les pays socialistes?, 95 - 2 / Le chômage structurel, 100 - J / Chômage frictionnel et chômage volontaire, 102 -4/ La planification de sur-emploi: cause du chômage volontaire, 101.

III 1 Le niveau réel de l'emploi: le chômage déguisé, 106

l / Formes de chômage déguisé, 106 - 2 / Causes du chômage déguisé, 110 -J / Faut-il accepter un volant de chômage déclaré pour réduire le chômage déguisé, 1 1 1.

IV 1 L' « Indiscipline» dans le travail, 113

l / La mobilité dJI travail, 114 - 2 / L'absentéisfflc, II 6.

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SOMMAIRE 7

5. SalaiIes et productivité, 119

1 1 Les indicateurs de production et la mesure de la productivité, 1 19

II 1 Croissance des salaires et productivité réelle, 1 U

III 1 Les hausses de salaire, IZ7

Il Les principes de la dJtermination des salaires en URSS, u8 2/ La àétermination des salaires dans les dJmocraties poplliaires, 13Z -J / Les pressions à la hllllSse des salaires, 136.

Annexe: Méthode de calcul du tableau V. 1, 139

6. Monnaie et inflation, 141

1 1 Les deux circuits monétaires, 14Z

l / Le rôle des dellx circuits monétaires, 14Z - 2 1 Le double circllit dans la pensée monétaire soviétique, 143 - J 1 Le rôle de la monnaie interne et le contrôle par le rOllble, 146

II 1 L'offre de monnaie, 148

III 1 La demande de monnaie, 150

l 1 Den/ande de flJonnaie et revenu, 1 5 0 - 2 1 Den/ande de monnaie et tallX d'inflation anticipé, 151 - J / Epargne liquide et marché des biens de consommation, 15 z.

IV 1 Le monétarisme dans les pays socialistes, 154

l / La loi de Marx sllr la « quantité de monnaie nécessaire », 1 54 -2 / L'approche monétariste de l'inflation socialiste, 155 - J / Trotsl:J dJftnseur de l'orthodoxie monétaire, 157 - 4/ Le renouveall de la théorie quantitative de la monnaie en URSS, 159 - J / La théorie néo-quanti­tativiste de la Banque nationale de Roumanie, 160 - 6/ La portée de l'approche monétariste : la régulation par la monnaie contre la régulation par le plan, 163.

7. L'équilibre macroéconomique dans une économie planifiée, 167

1 1 Les théories de l'inflation socialiste, 167

l / Inftation par les coûts, 168 - 2 / Théorie du mrinvestissement, 168 -J / Yhèsedes accidents, 170 - " / Inflation par les salaires, 171.

II 1 Cadre d'analyse macroéconomique d'une économie de type sovié­tique, 17Z

l / La spécificité d'IUle écononJie socÎlliiste, 17Z - 21 La production dans une économie socialiste, 173 - J / Le marché du travail «efficace », 175 -" / Le marché des biens de consomloation et l'épargne, 176 - J / L'éqlli­libre sur les marchés, 177.

COlICooion, 179

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8 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

8. Le rôle des déséquilibres extérieurs, 181

1 1 La crise et les échanges commerciaux, 183

l / Echanges Est-Est, 183 - 2/ Echanges Est-Ouut, 184 - J / Une difficulté nOlllJelle : la capacité d'exportation de pétrole de l'URSS, 187.

II 1 Conséquences de l'inflation mondiale sur les pays socialistes, 189

l 1 Croissance de l'endettement en devises, 189 - 2 1 L'évolution des termes de l'échange, 190 - J / Inf/ation importée et politique des taux de change, 193.

Conclusion, 195

9. Politique conjoncturelle et réformes structurelles, 197

1 1 Politique conjoncturelle : monétaire et budgétaire, 198

II 1 Réformes économique et politique des salaires, 202

I/ La réforme des salaires de I979 en URSS, 203 - 2/ Quels résultats peut-ail espérer de la réforme ?, 206

Conclusion, 21 1

BIBLIOGRAPHIE, 215

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INTRODUCTION

Depuis 1978 les économies socialistes ont connu leurs plus faibles taux de croissance depuis la guerre; cette stagnation s'est accompagnée d'une relance de l'inflation déjà très forte depuis 1976 par rapport aux hausses de prix des années précédentes.

Deux constatations s'imposent : • Les pays exportateurs de matières premières et d'énergie

(URSS, Pologne) sont aussi frappés que les pays importateurs. • Les politiques adoptées par les Etats socialistes pour réagir

contre œtte situation sont des politiques d'austérité très compa­rables à celles des pays capitalistes face à l'inflation mondiale.

L'objet de ce livre est de présenter une vision générale du fonc­tionnement réel des économies socialistes et des perturbations macro­économiques qui les affectent ainsi que d'évaluer la portée et les chances de succès des politiques menées par les gouvernements pour résoudre la crise économique des pays socialistes.

Les données statistiques disponibles sont de faible qualité surtout pour tout ce qui concerne l'emploi, le chômage et l'inflation et leur utilisation doit être menée avec circonspection. Remarquons, à cet égard, que les soviétologues occidentaux souffrent d'une certaine schizophrénie. Dans une longue introduction, ils soulignent l'incer­titude des données statistiques, leurs contradictions, les changements de chiffres non expliqués, les modifications non explicitées du mode de calcul, etc. Après avoir exposé ainsi leurs doutes, les soviétologues alignent les tableaux de chiffres, s'en servent sans scrupule, calculent des moyennes et des taux de croissance avec deux chiffres après

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10 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

la virgule et en tirent des conclusions générales (et parfois font des tests économétriques). Le lecteur peut d'ailleurs aisément vérifier que le présent ouvrage témoigne, lui aussi, de cette schizoplu:énie même si le nombre de tableaux statistiques a été limité à l'indispensable.

L'explication de cette attitude des soviétologues est simple: nous nous servons des données dont nous disposons, il est possible de les améliorer par des recoupements opérés à partir de chiffres recueillis dans la presse quotidienne (c'est ce qui a été fait ici) mais la qualité générale des données n'en est que faiblement accrue. La médiocrité des statistiques des pays socialistes s'explique par les difficultés d'agrégation des données sans système de prix de marché, par les surestimations de production que donnent les firmes aux offices de statis­tique ainsi que par la mauvaise organisation de la collecte des données.

La source la plus précieuse d'informations est la presse quoti­dienne (notamment la presse régionale en URSS). On y trouve une foule d'anecdotes et de chiffres qui, rassemblés, permettent de mieux comprendre le fonctionnement d'une économie. Toute notre étude du marché du travail repose sur ce type de données parce que ce sont les seules que l'on puisse trouver.

Cette étude concerne, outre l'URSS, la Bulgarie, la RDA, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie, c'est-à-dire l'essentiel des pays membres du Conseil d'Aide économique mutuelle (CAEM). La Yougoslavie a été exclue du champ de cette étude car sa situation est très particulière et ne se compare pas à celle des sept pays cités plus haut, ne serait-ce que parce que l'économie de la Yougoslavie n'est pas vraiment une économie planifiée. L'inflation et la croissance yougoslaves ont déjà fait l'objet de bien des analyses alors qu'il n'existe actuellement aucune étude d'ensemble sur la régulation macroéconomique dans les économies socialistes planifiées.

J'ai bénéficié, sur certains thèmes abordés dans cet ouvrage, de longues discussions avec M. Huber de l'Université de Tübingen, M. Lavigne de l'Université de Paris l et A. McAuley de l'Université d'Essex. Le cha­pitre 7 doit beaucoup aux remarques de M. Sollogoub, à l'égard de qui j'ai une dette particulièrement lourde.

U ne première version de ce livre a été discutée par G. Gallais-Hamonno et N. Mangin qui m'ont conseillé dans la mise en forme de la version définitive.

Cette recherche a été effectuée dans le cadre des Travaux du Groupe de Recherche en Economie de la Répartition (GR.BR.) de l'Université de Paris Xli.

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1

LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS

l'inflation ouverte, l'inflation cachée et l'inflation réprimée

1 1 DÉFINITION ET FORMES DE L'INFLATION

DANS LES PAYS SOCIALISTES

l 1 Quelques problèmes de définition

TI existe un assez grand nombre de définitions de l'inflation dont la plupart sont implicitement attachées à caractériser la hausse des prix dans une économie capitaliste ou précapitaliste. TI est intéressant de se demander si l'étude des pays socialistes nécessite une définition spécifique de l'inflation ou s'il est possible d'utiliser des définitions générales valables qud que soit le système économique. Dans cet ordre d'idée, la définition la plus large et la mieux appropriée à l'étude des pays socialistes est cdle de Rueff pour qui l'inflation est une demande sans offre1; la même idée est reprise par Zaleski à propos des pays socialistes; pour lui, l'inflation est un déséquilibre entre le pouvoir d'achat émis et les ressources disponibles2• TI faut remarquer qu'avec ces définitions il peut y avoir inflation (c'est-à-dire demande excédentaire) en même temps qu'une stabilité ou une baisse des prix: c'était la situation en URSS, après 1947, alors que les prix baissaient mais que la demande excédentaire restait forte.

1. J. RUEFF, The Control of inflation by monetary and eredit potiey, in Inflation, HAGUE édit., 1962.

2. E. ZALESK1, in CESES, p. 279.

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12 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

TI est légitime de dissocier le concept d'inflation de celui de prix en raison des mécanismes de détermination des prix. La forma­tion des prix dans les économies socialistes difIère tout à fait sdon qu'il s'agit des prix de gros ou des prix de détail. Les prix de gros, c'est-à-dire les prix entre entreprises, sont théoriquement liés aux coûts, dans tous les pays, selon une formule : coût moyen + taux de profit; mais ce taux de profit est calculé soit à partir du coût moyen total, soit à partir de coûts en capitall • Les prix de détail sont largement indépendants de la demande dans les circuits de distribution d'Etat; ils peuvent être des prix d'incitation (bas prix pour encourager la clientèle), des prix de dissuasion (prix élevés) et ils sont, dans ce cas, indépendants des coûts. L'évolution des prix de détail ne suit celle des coûts (quand elle la suit) qu'avec un décalage important.

Un tel système de formation des prix de détail est propre à engen­drer des excédents et des pénuries puisque le rôle des prix n'est pas d'ajuster l'offre et la demande l'une à l'autre.

Dès que la demande excédentaire se manifeste par des files d'attente plutôt que par une hausse des prix, la stabilité des prix n'a plus de signification du point de vue de l'inflation; cda est vrai dans une économie de guerre ou dans une économie capitaliste soumise au contrôle des prix aussi bien que dans les économies socia­listes planifiées. La baisse des prix de la fin de la période stalinienne ne signifie pas que l'inflation était négative (déflation), car cette baisse avait été accompagnée d'une grande pénurie de biens de consommation. TI est d'ailleurs significatif que les auteurs soviétiques ne tirent aucune fierté de cette période de baisse des prix et ne la citent plus comme un exemple particulier de bonne politique économique.

Définir l'inflation comme une demande sans offre suppose qu'il existe une demande et une offre soumises à des forces indépendantes les unes des autres. Cette offre et cette demande se rencontrent sur un marché. L'inflation est donc une demande excédentaire de biens

. sur le marché. Ce déséquilibre peut se résorber par une hausse des prix - on parle alors d'inflation ouverte ou déclarée - ou par des files d'attente si les prix sont bloqués administrativement; cette dernière situation est, en général, appdée « inflation réprimée ».

1. Sur la formation des prix de gros, cf. F. SEUROT (1981).

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS 13

Les biens de production, dans la mesure où ils échappent au marché, ne doivent donc pas être inclus dans le volume de biens demandés et offerts. Les déséquilibres entre la demande de machines des entreprises et l'offre de machines par le planificateur caractérisent la méthode de planification et/ou ses erreurs et nécessitent une analyse différente de celle des phénomènes inflationnistes. Ce n'est que dans la mesure où il y a un marché, plus ou moins légal et plus ou moins étendu, des biens de production que l'inflation peut s'y manifester. En d'autres termes, on peut en gros considérer que l'inflation concerne les secteurs de l'économie où il y a échange monétaire, c'est-à-dire où la détention de monnaie confère un pouvoir d'option, une réelle liberté de choix, ce qui n'est pas le cas lorsque les relations entre entreprises sont régies par le plan.

2 / La demande excédentaire en biens de production a-t-elle un rapport avec l'inflation?

Nous limitons notre analyse et notre définition de l'inflation, en système socialiste planifié, à la demande excédentaire de biens de consommation. La raison en est que seuls les biens (et le travail) font l'objet de relations de marché en général et de relations monétaires en particulier. Dans tous les pays socialistes, l'essentiel des moyens de production est alloué selon des procédures administratives. Les relations monétaires y ont, exception faite de l'agriculture, un rôle insignifiant, inférieur notamment à celui du troc illégal de biens de capital (machines, outillages, etc.). Les intermédiaires spécialisés dans ce troc sont appelés en URSS tolkaéi1•

Nous ne parlerons donc pas de marché de biens de production parce que les relations de marché ont un rôle réduit dans leur allo­cation; mais le problème reste assez proche en apparence de celui que pose l'inflation sur le marché des biens de consommation : 1) Les prix tendent-ils à croître même si cela n'apparaît pas dans les indices de prix en gros; en d'autres termes y a-t-il inflation cachée dans ce circuit? 2) Y a-t-il une demande de biens de production insatisfaite?

1. Sur les quelques relations de marché entre les entreprises, voir illfra les développe­ments consacrés à l'économie parallèle.

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14 INFLATION BT EMPLOI DANS LBS PAYS SOCIALISTES

La réponse à la première question ne peut être très précise car on connaît malles prix réels pratiqués entre fumes, mais il est certain que les prix de gros augmentent malgré la tendance à la baisse des indices de prix de gros dont V. Ktasovskij écrit qu'ils sont établis à partir d'échantillons peu représentatifsl • Comme les entreprises voient leurs indices de performance et leurs bonus calculés en fonction de la valeur de leur production, elles ont tendance naturellement à gonfler les prix de vente2•

La réponse à la deuxième question est simple: toutes les statistiques officielles de tous les pays socialistes montrent que les investissements ne sont pas exécutés dans les délais prévus par le plan; ce qui se traduit par une offre de la part de l'entreprise productrice inférieure à la demande, conforme au plan, de l'entreprise-acheteur. Le taux de non-achèvement des investissements s'accroît d'ailleurs réguliè­rement en URSS3•

li peut y avoir demande excédentaire chronique de biens de production de la part des entreprises, mais les contrôles administratifs et notamment le contrôle exercé par la Banque centrale (contrôle par le rouble) limitent les possibilités qu'ont les chefs d'entreprise d'utiliser leurs ressources en dehors des circuits planifiés. li faut obtenir une dotation budgétaire pour user de fonds supplémentaires et il faut l'autorisation des autorités de tutelle (ministère, office du plan parfois) pour utiliser des fonds disponibles à d'autres fins que celles qui avaient été initialement prévues; cela est la situation géné­rale aux pays socialistes excepté la Hongrie.

La logique de la planification socialiste est que les objectifs fixés aux firmes soient ambitieux afin de mobiliser au maximum les énergies et les moyens: c'est le principe de la « planification tendue ». Les entreprises obtiennent leurs moyens de production du plan central et elles désirent avoir plus de moyens pour réaliser les objectifs qui leur sont assignés; elles sont donc en concurrence pour obtenir les ressources et cette concurrence ne se dénoue pas sur un marché mais par l'arbitrage du planificateur. Ce planificateur central (les entre­prises constituant la « périphérie » dans le jargon moderne de la théorie de la planification) a un pouvoir d'autant plus considérable

1. v. KRASOVSKlj (1980). 2. Cf. F. SEUROT (1981). 3. Cf. T. KHAéATUROV (1979), p. 127·

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS Ij

que les firmes sont plus désireuses d'obtenir des ressources supplé­mentaires. La demande excédentaire chronique de biens de production de la part des firmes est le moyen le plus sûr d'affermir la prééminence du centre en dehors même du système d' « injonctions » ou de « commandements » qui forment l'apparence de la planHication impérative.

Cette demande excédentaire de biens de production est donc inhérente au système de planification et n'a aucun rapport direct avec la demande excédentaire de biens de consommation.

} / Le caractère macroéconomique de l'inflation socialiste

Il Y a une thèse selon laquelle les déséquilibres observés dans les pays socialistes ne sont pas de l'inflation globale mais une série de désajustements microéconomiques, les biens offerts n'étant pas tou­jours adaptés aux goûts en raison de rigidités administratives.

Il est indéniable que les déséquilibres macroéconomiques dissi­mulent des déséquilibres microéconomiques réels. Mais l'étude de ces derniers ne nous renseigne pas sur le processus inflationniste.

Si le marché d'un bien n'est pas rééquilibré par des mouvements de prix, il devrait l'être, en économie planifiée, par le plan de produc­tion du bien ou par la planification des revenus du groupe social qui consomme ce bien. Si ce processus est long et inefficace, les marchés des biens sont en déséquilibre. Certains sont en situation d'offre excédentaire, on dit que la demande est le côté court; les autres marchés sont en situation de demande excédentaire, c'est alors l'offre qui est le côté court.

Le déséquilibre se manifeste parce que les demandes excédentaires sur les marchés où la demande est côté long ne se reportent pas sur les marchés où la demande est côté court; sinon, le déséquilibre ne serait pas apparent, il n'y aurait pas de files d'attente d'un côté et de stocks invendables de l'autre1.

1. Remarquons que la demande excédentaire globale n'est pas seulement fonction des prix, comme en économie de marché, mais aussi de la quantité offerte. La fonction de demande excédentaire s'écrit, en effet,

E = LE; = L d;(p) - D, = f(p, 0) " i

où E;, d;, Di désignent respectivement la demande excédentaire du bien i, sa demande et son offre.

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16 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

TI en résulte que l'inflation doit s'analyser à partir des marchés où la demande est rationnée. Les autres marchés (biens non vendables) ne jouent aucun rôle dans le rationnement du consommateur. C'est parce que l'ensemble des revenus dépensables est supérieur à la valeur de l'offre de biens de consommation que l'inflation persiste et non parce que les marchés à demande excédentaire ne se compensent pas par les marchés à offre excédentaire. En d'autres termes, la responsabilité de l'inflation incombe à la détermination du revenu monétaire global et de l'offre de biens de consommation.

Cela exonère de toute responsabilité le choix de la gamme de biens offerts; certes, plus il y a de marchés où la demande est le côté court, c'est-à-dire de produits invendables, plus le déséquilibre est ressenti durement par les consommateurs; il Y a aggravation des conséquences de l'inflation par réduction supplémentaire de la gamme de produits susceptibles de satisfaire les consommateurs; mais ce n'est pas la caractéristique de l'inflation. L'inflation est un déséquilibre global entre le revenu monétaire distribué et la production de biens de consommation.

TI a parfois été écrit qu'il n'y a pas inflation mais « non-réalisation du plan de production ». C'est un simple euphémisme: car si les objectifs du plan ne sont pas atteints, cela signifie simplement que l'offre effective est insuffisante et dire que l'offre est inférieure à la demande revient bien à dire que la demande est supérieure à l'offre. li faut donc analyser pourquoi il n'y a pas de mécanismes ou de déci­sions ajustant la demande des agents à la production réalisée lorsque celle-ci est inférieure aux prévisions du plan.

4 1 Comment se manifeste l'inflation dans les économies .fociali.ftes?

a / Inflation par les prix. - TI y a d'abord dans certaines économies socialistes (pologne et Hongrie) une hausse continue des prix officiels, c'est l'inflation ouverte.

Cette hausse des prix peut s'accompagner d'augmentations cachées des prix (le changement de qualité d'un bien justifiant une forte élé­vation de prix), c'est l'inflation par les prix cachée.

b / Rationnement. - Le rationnement peut soit être direct (sucre en Pologne à intervalles réguliers), soit prendre la forme de files

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS 17

d'attente, d'inscription sur une liste, etc. Ce rationnement généralisé est le plus souvent appelé « inflation réprimée » parce que les prix n'augmentent pas et l'allocation des biens se fait par la procédure « premier arrivé, premier servi» ou par des procédures administratives de priorité (essence, logement, etc.).

c / Divergence entre les prix dans les magasins d'Etat et les prix sur les marchés libres. - La demande insatisfaite dans les magasins d'Etat se reporte sur les marchés libres (légaux ou non) et il se développe une économie parallèle appelée aussi « seconde économie » qui rassemble les marchés noirs, les marchés paysans légaux, les presta­tions de services en dehors des heures de travail, etc. Ces « marchés » peuvent parfois prendre la simple forme de « dessous de table » et « pots-de-vin » donnés à des employés des magasins d'Etat.

d / L'épargne forcée. - Les consommateurs n'ayant rien trouvé à acheter sont obligés de conserver leur monnaie. Cette distinction entre épargne « forcée» et épargne « volontaire» est assez artificielle; nous verrons d'ailleurs que l'épargne « forcée» n'est pas une consé­quence nécessaire ni même logique de « l'inflation réprimée ».

e / L'existence de magasins privilégiés. - Dans toutes les économies socialistes, il existe des points de vente réservés aux détenteurs de devises occidentales (étrangers, diplomates, travailleurs à l'étranger) ou à des personnalités (hauts fonctionnaires, dignitaires du Parti). La liste sur laquelle figurent ces privilégiés s'appelle en URSS : la nomenklatura.

f / Le crédit atl producteur. - il s'agit du paiement d'avance de biens durables, c'est du crédit à la consommation à l'envers.

g / Les subventions aux prix. - Pour maintenir la stabilité des prix dans le circuit d'Etat, il est nécessaire d'attribuer au commerce d'Etat des subventions budgétaires qui peuvent parfois prendre la forme de manipulations des taux d'imposition indirecte.

il y a « inflation par les prix» lorsqu'elle se manifeste par une hausse de prix, cachée ou non, sur les marchés libres ou dans le circuit officiel. il y a, d'autre part, « inflation réprimée »lorsque les variations de prix ne suffisent pas à annuler la demande excédentaire. On peut donc distinguer :

- Inflation par les prix« ouverte» : Les prix officiels montent ouver­tement et cette hausse apparaît dans les indices de prix.

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18 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

- Inflation par les prix« cachée» : Les hausses de prix sont déguisées et n'apparaissent pas dans l'indice des prix.

- Inflation par les prix sur les marchés parallèles : Les prix d'Etat restent fixes et la demande excédentaire rejetée sur les marchés parallèles par la pénurie des circuits d'Etat y provoque une hausse des prix.

- Inflation « réprimée» : Tous les prix sont bloqués ou, du moins, n'augmentent pas assez pour résorber la demande excédentaire. L'affectation des biens ne se fait plus par les prix mais par d'autres procédures, ainsi que nous l'avons signalé.

Les économies socialistes connaissent chacune un mélange, variable selon les époques, des trois derniers types d'inflation et on peut donc parler d'inflation partiellement réprimée. L'inflation dans un pays est la somme de l'inflation par les prix et de l'inflation réprimée qui s'y manifestent.

II 1 L'INFLATION PAR LES PRIX

I / Indices et prix

Les annuaires statistiques des pays socialistes publient des indices des prix de détail et parfois de gros. L'annuaire statistique annuel des pays membres du Conseil d'Aide économique mutuelle donne maintenant les évolutions de prix de détail; malheureusement les données qu'il fournit ne sont pas toujours en concordance avec celles des annuaires nationaux (pour la Tchécoslovaquie et la Pologne, les divergences sont considérables).

Tous ces indices souffrent de défauts de construction déjà longue­ment développés par tous les manuels d'Economie des pays socialistes et qui interdisent de les comparer aux indices de prix courants publiés par les offices statistiques des pays capitalistes. Les indices des prix des pays socialistes visent à mesurer les changements dans les prix des articles, et non pas le coût de la vie, si bien que n'entrent pas en ligne de compte les prix des biens nouveaux même lorsqu'il s'agit de produits anciens dont seules les caractéristiques secondaires ont varié.

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LES DÉSÉQUIUBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS

Ces indices ne sont donc guère comparables à un indice « occi­dental }) du type de celui de l'INSEE en France qui intègre les change­ments dans la composition des achats des ménages.

La pauvreté statistique actuelle contraste avec la situation en URSS avant 1930, où paraissaient de nombreuses statistiques de prix d'origines différentes. A partir de 1930 un indice des prix de détail paraît régulièrement mais on ne publie de listes de prix que de façon discontinue. Les prix sur les marchés kolkhoziens font l'objet de publications partielles et intermittentes. Quant à l'indice des prix sur le marché kolkhozien, il n'est plus publié par l'annuaire statistique soviétique, mais il est possible de le reconstituer approximativement, comme on le verra plus loin.

On ne dispose pas de bons indices des prix de gros, c'est-à-dire des coûts de l'industrie, les statistiques soviétiques étant aussi défi­cientes que celles des autres pays socialistes. L'Office des Statistiques de l'URSS (CSU) calcule depuis 1961 un indice des prix de gros de structure inconnue!.

On peut remarquer qu'un indice des prix des biens de consom­mation n'est pas un indice satisfaisant d'inflation car il ne mesure que les prix courants de biens et services consommés alors qu'un indice d'inflation doit tenir compte des variations de prix des actifs. Une bonne mesure des variations des coûts nominaux d'un niveau d'utilité donné est en effet un indice de prix de la richesse et non pas seulement des biens consommés2• Le premier auteur, après 1. Fisher, à avoir souligné ce point est d'ailleurs l'économiste soviétique A. Konjus dans un article paru en URSS en 1924 puis repris et traduit dans Ecol1ometrÎca en 19393• Cette critique des indices de prix s'applique d'ailleurs aussi bien aux indices occidentaux qu'à ceux des pays socialistes.

1. Sur cette question, cf. M. BORNSTEIN, in TREML-HARDT. 2. A. ALCHIAN, B. KLEIN, On a correct Measure of Inflation, Journal of i\!oney fredit

and Banking, 1973/1. 3. A. KONJus (KôNUs dans la translittération américaine), The Problem of the Truc

Index of the Cost of Living, &onom,trka, 1939/1.

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20 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

2 / Les hausses de prix officielles : l'inflation par les prix « ol/verte »

A la lecture des indices officiels des prix, il n'est pas possible de nier l'existence de l'inflation dans les pays socialistes, depuis 1976 au moins.

Le tableau 1. l révèle, en effet, une structure de taux de hausses des prix comparables à celles des économies capitalistes des années 60, alors qu'on parlait d' « inflation rampante» (pour les taux inférieurs à 2 %) et d' « inflation galopante » (pour des taux qui, selon les auteurs, commençaient à 7 % ou 10 %).

Ces indices officiels sous-estiment la hausse réelle des prix. Ainsi des hausses de prix de biens réellement consommés sont inscrites dans l'indice mais y sont compensées par des baisses de prix de biens qui ne sont plus guère demandés, et les marchés paysans sont plus ou moins pris en compte dans les indices.

Il y a actuellement deux circuits commerciaux légaux dans les pays socialistes: les magasins d'Etat et des coopératives qui forment le « commerce socialiste» et les marchés kolkhoziens où les paysans viennent vendre les produits du lopin de terre qu'ils cultivent libre­ment dans le kolkhoze dont ils dépendent. De 1 9 3 5 à 1947, il n'y avait qu'un circuit socialisé en URSS; avant 1935, il existait cinq catégories de prix correspondant à cinq circuits du commerce de détail; prix de rationnement avec carte de rationnement, prix des magasins d'Etat, prix libres des marchés paysans, prix en roubles or pour les étrangers, prix des magasins coopératifs où étaient vendus des articles industriels aux paysans. Il subsiste, à l'époque actuelle, des magasins en devises et en « coupons » correspondant aux anciens roubles or et des magasins réservés aux dignitaires du Parti et de l'administration, mais les prix sur ces marchés ne font l'objet d'aucune publicité.

Les modifications de prix, dans les pays socialistes, se font par vagues. A certaines dates, un grand nombre de prix sont relevés; cette mesure s'accompagne généralement d'un abaissement de quelques prix ou d'une augmentation des salaires et des prestations sociales afin de compenser plus ou moins la hausse des prix. Ces modifications de prix surviennent lorsque l'Etat ne peut plus subventionner un écart croissant entre les coûts et les prix et parfois lorsqu'il veut

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LES

1955 195 6 1957 195 8 1959 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980

DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS 21

TABLEAU 1. 1. - Indice des prix de détail (taux de croissance annuel en %)

(7) (I) (2) (J) ( 4) ( J) (6) Tebéeo-Bu/garil Hongrie RDA Pologne Roumanie URSS .r/ovaquie

- 8,2 -0,6 -1,3 -1,0 - 1,8 0 -2,6 0,8 1,9 -0,8 6,9 7,2 0 -1,8

-0,3 0,6 -4,5 3,1 1,4 2,2 -0,1

- 1,4 - 1,3 -2,0 1,0 -1,4 -0,8 -2,5 -0,4 0,7 -1,2 1,8 -2,Z -0,7 -2,0

0,4 0,5 0,2 0,8 -1,6 -0,7 -0,4 3,5 0,6 0,2 2,5 -0,9 1,4 1,1 2,4 -0,6 0 0,9 0 0,8 0,5 0,3 0,6 -0,7 1,1 1,3 0 0,4

-0,5 1,3 0,5 0,8 0,3 -0,7 1,2 -0,2 1,8 0 1,3 0 -0,7 0,3

0,1 0,6 -0,1 1,5 -0,4 0 1,3 4,0 0 0,2 1,5 1,3 0,1 1,4

-0,1 1,2 -0,2 1,2 0,5 0,5 -0,4 1,1 -0,1 1,1 0,1 -0,2 1,7

0 2,3 + 0,3 0 0,8 -0,1 -0,4 0 2,9 -0,3 0 0 -0,2 -0,4 0,2 3,2 -1,0 2,8 0,6 0 0,2 0,5 2,2 -0,4 7,1 1,0 -0,1 0,5 0,4 3,6 -0,5 3,0 0,2 -0,1 0,5 0,2 5,1 0 4,4 0,7 0 0,8 0,4 4,1 0 4,9 0,5 0,3 1,3 1,5 4,9 0 8,1 1,5 0,7 1,6 4,6 9,7 0,2 7,0 1,0 1,3 3,9

13,9 8,9,. 0,7 7,8 1,9 1,0 1,8

Sources: Calculs effectués à partir des données des annuaires nationaux, de Statisticeskij ejegodnik slran-C/enov SEV (1980 et 1981) et de PORTES (Econo11lÎca, 1977) pour les données antérieures à 1968.

Les chiffres donnés par l'annuaire statistique du CAEM (S/a/is/iceskij ejegognik) ne correspondent pas toujours à ceux des annuaires nationaux (notamment pour la Bulgarie, la Pologne et la Tchécoslovaquie); ce sont ces derniers qui ont été choisis lorsqu'il a été possible dans : col. (1) : S/atis/iceski Godisnik, 1977, p. Hl; 1979, p. 358; 1980, p. 368; col. (2) : S/alis/ieal Yearboolr:, 1976, p. 337, et S/a/istilr:ai Evlr:iinyv, 1979, p. 337; col. (3) : Sial. ejegodnik; col (4) : RoCZllilr: Slatystycny, 1980, p. 344; col. Cs) : Anuarul Siatis/ie, 1979, p. 468; col. (6) : Sial. ejegodnilr: ei Nar-Khoz, 1979, p. 469; col. (7) : Sialisii/r:a Roecnlr:a CSR, 1971, p. 480; 1977, p. 239; 1979, p. 244, et 1980, p. 258.

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11 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

influencer la structure de consommation des ménages. Les deux motifs se confondent souvent (économies d'énergie). Ces modifi­cations de prix sont décidées par décret et publiées par la presse.

Relevons quelques étapes du mouvement récent des prix. - En URSS, le 5 janvier 1977, les prix de certains services (coif­

feurs, taxis), des transports et des textiles ont été augmentés sans que soit officiellement communiquée l'ampleur de ces variations1• Le 1er mars 1978, le prix de l'essence est doublé et celui du café triplé; les prix du chocolat, des vins et des parfums augmentent aussi consi­dérablement. En même temps certains prix sont abaissés : petits réfrigérateurs, téléviseurs en noir et blanc (- 30 %), tissus synthé­tiques (- 17 %)2. Le 1er juillet 1979, le prix des automobiles et des biens de consommation durable augmente ainsi que celui des meubles (+ 10 % pour les produits nationaux et + 30 % pour les meubles importés) et les tarifs des restaurants3•

Aux mouvements de prix du secteur socialisé, il faut ajouter la hausse régulière des prix sur les marchés kolkhoziens. li n'est plus publlé d'indice officiel des prix sur ces marchés mais il est possible de le calculer parce que l'annuaire statistique soviétique donne la part du marché kolkhozien dans le commerce de détail aux prix courants et aux prix du marché d'Etat.

Les prix courants sont les prix effectivement pratiqués sur le marché kolkhozien. Or, la part de ce marché dans le commerce de détail croît plus vite lorsqu'on l'exprime en prix courants que lors­qu'on la calcule aux prix du marché d'Etat, ainsi qu'en témoigne le tableau l . 1; cela signifie que les prix croissent plus vite sur le marché kolkhozien que sur le marché d'Etat. Ce raisonnement repose sur l'hypothèse, tout à fait légitime en l'occurrence, que la gamme des biens vendus sur le marché kolkhozien ne varie pas d'une année à l'autre. li est alors possible de calculer un indice d'évolution des prix sur le marché kolkhozien (tableau 1.1).

li est légitime de retenir l'évolution de Cf D comme représentant l'évolution réelle du prix des biens alimentaires sur le marché kol­khozien, ce qui donne une hausse des prix pour 1976, 1977, 1978

1. Pravda, 5-1-1977. z. Pravda, 1-3-1979. 3. Pravda, 1-7-1979.

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS

TABLEAU 1. 2. - Les prix sur Ics marchés kolkhoziens en URSS

Part du marçhé Part du marçbé kolkbozien Jans kolkhozien Jans le çommerçe de détail le çommerçe de détail Evolution des biens alimentaires Evolution (en %) des prix (en %) (1) des prix

sur le sur le aux prix marçbé aux prix marçbé

aux prix du marçhé kolkhozien QJlX prix du marçbé kolkhozien çOltranls d'Etat (évaluée çourants d'Etal ( éval:tée (A) (B) par AIB) (C) (D) par CfD)

1965 3,3 2,3 143 10 7,3 137 1970 2,6 1,7 153 8,5 5,5 154 1975 2,4 1,3 18 5 8,1 4,6 176 1976 2,6 1,3 200 8,8 4,8 183 1977 2,4 1,2 200 8,5 4,5 189 1978 2,5 1,2 208 9,1 4,6 198 1979 2,6 1,3 200 9,4 4,7 200 1980 2,4 1,2 200 9,8 4,7 209

(1) Pour des paniers de biens similaires sur les deux marchés.

Source des statistiques: Nar KhOZ. SSSR v, 1978, p. 432-433; 1979, p. 452-453, et 1980, p. 424-425.

et 1979 de 4 %, 3,3 %, 4,8 % et 1,0 % et un taux d'accroissement moyen de 1970 à 1979 de 4,6 % par an.

Les données de l'annuaire statistique soviétique sur les marchés kolkhoziens proviennent d'un échantillon de quelques centaines de marchés sur les milliers que compte l'URSS (en 1966 il Y avait 726o mar­chés kolkhoziens dont 3 883 ouverts tous les jours)!.

- En Bulgarie, les hausses importantes de prix sont un événe­ment assez récent ainsi qu'en témoigne l'indice des prix. Le 12 novembre 1979, les prix des biens de consommation sont tous largement révisés. Le prix des matériaux de construction augmente de 40 %, celui du pain, du bœuf et du porc de 40 % également, celui du veau de 90 %, etc. Le 1er janvier 1980, les prix des services et de l'énergie suivent le mouvement; ces ajustements sont présentés comme la conséquence des hausses de prix des matières importées2•

1. M. BORNSTEIN, in TRBI4L-HARDT, p. 378. 2. Cf. l'article de S. SIRAKOV, dans Zemedelsko Zna1lle, 6-12-1979.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

- En Hongrie!, les prix ont augmenté par étapes réguliè%es. Rappelons que depuis 1968 il existe en Hongrie trois sortes de prix.

- Les prix libres qui concernent les biens vendus entre firmes et certains biens de consommation. Ces prix peuvent varier librement.

- Les prix administrés (ou fixés) qui touchent la plupart des biens de consommation courante ainsi que les matières premiè%es et l'énergie. L'Etat décide, par décret, de leurs variations.

- Les prix limités : ils peuvent fluctuer entre des marges déter­minées à l'avance.

Le 1er septembre 1974, sont annoncées les premières hausses de prix officielles depuis 1965, elles affectent surtout l'énergie (essence + 40 %, charbon + 16 %, gaz + 20 %). En janvier 1975, un nouveau train de hausse des prix fixés concerne les produits indus­triels en métal (+ 1,2 %), les produits chimiques (+ 4,3 %), les meubles (+ 3,2 %), les pellicules photographiques (+ 35 %), les baignoires (+ IZ %), etc. En août 1975, il est procédé à une augmen­tation du prix des matériaux de construction (de IZ % à 40 %). En septembre 1975, le prix du sucre augmente de 50 %. Le 1er jan­vier 1976 les prix des matériaux de construction augmentent de zz % en moyenne, celui du papier de 10 % et celui des meubles de 3,4 %, etc. En janvier 1977, le prix des fruits, frais ou en conserve, s'accroît de 23 % en moyenne, celui du café de 30 %. Le 8 janvier 1979, une révision générale des prix affecte les biens de consommation durable ainsi que le papier et l'essence et, le 23 juillet 1979, les prix à la consom­mation subissent un relèvement général qui correspond à une hausse des prix à la consommation de 9 % et des biens alimentaires de 20 % en moyenne (pain + jO %, viande + 30 %, lait + 20 %, volaille + 8 %, etc.); le prix de l'électricité s'accroît de 51 %, celui du gaz de 20 % et celui de l'eau chaude de 40 %. Le 1er janvier 1980, les hausses officielles de prix entraînent une augmentation moyenne des prix à la consommation de 3,7 %; les prix des services croissant en moyenne de 20 %, ceux des biens durables domestiques de 3 % à 4 % et ceux des vêtements de 3 % à 30 % pour les vestes en laine2•

1. Sur les mouvements de prix en Hongrie, on consultera: E. BALOG, Preissteigerungen in Ungarn, Osteuropa Wirtuhaft, 1979/2.; E. THEVENON, Une explication des hausses de prix en Hongrie, Courrier des pays d, l'Est, nO 2.34, 1979/n.

2. Etui Will Tratll N,ws, 8-1-1980.

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS

La politique hongroise des prix de détail est claire. li faut rappro­cher les prix internes des prix mondiaux et stabiliser le niveau des subventions aux prix à la consommation.

- En Pologne, les trois quarts de l'agriculture appartiennent au secteur privé. L'Etat achète les biens agricoles au secteur privé et les commercialise en subventionnant les prix.

Les prix augmentent régulièrement en Pologne depuis 1973. Ainsi, en 1974, les prix des biens alimentaires sut: le marché « socia­lisé » ont augmenté de 3,9 % et sur le marché libre de 18,2 % (+ 60,7 % pour les légumes). Les prix des services privés ont cru dans les mêmes proportions (cordonniers + zz %, tailleurs + 36,4 %, coiffeurs + 28,8 %). Ce furent les premières hausses importantes depuis la tentative du 13 décembre 1970, où le kilogramme de porc était passé de 36 zlotys à 50, celui de bœuf de 26 à 40 et celui de veau de 40 à 60. Les émeutes qui avaient suivi avaient provoqué une révi­sion de ces hausses.

Les prix n'ont cessé d'augmenter après le premier train de hausses de 1974; d'ailleurs certaines firmes ont connu une chute de leurs ventes, dans les premiers mois de 1975, parce qu'elles avaient sous­estimé l'élasticité de la demande.

- En Roumanie, avant 1978, le mouvement des prix était lent et irrégulier mais en 1978 la hausse de la plupart des biens de consomma­tion a provoqué une augmentation de l'indice de 1,5 %1.

Cette inflation a persisté. En effet, le 2 mars 1979, les prix de biens industriels de consommation augmentent en moyenne de 28 % pour les articles suivants : produits en bois, en verre, en papier, produits chimiques (détergents) et biens de consommation durable; le même décret abaisse les prix des tubes en plastique, de la bonneterie en syn­thétique, des peintures, etc. La moyenne des baisses étant de zz %, la résultante de ces deux forces aurait dû être une faible augmentation des prix2, mais le décret du 13 mai 1979 a porté augmentation du prix

1. Z,Z % selon l'Economie SIITV~ of Bllrope in 11)78 de l'ONU; ce chiffre repris par bien des commentateurs (dont R. PORTES dans la Revue leonomique, 1979) ne correspond ni au chiffre de l'indice de l'annuaire roumain ni à celui de l'annuaire du CABY.

2. Romania Libera, 10-3-1919.

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26 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

de détail des fruits et légumes Gusqu'à 33 %)1 et les prix de l'essence et de l'énergie ont augmenté le 25 juillet 1979.

- En Tchécoslovaquie, les augmentations de prix ne font pas l'objet de publications officielles détaillées, sauf lors des « grandes vagues» de réajustement.

Ainsi, le 22 juillet 1977, la hausse des prix des biens de consomma­tion va jusqu'à 50 % (café), les vêtements et les biens de consomma­tion durables ayant été particulièrement touchés (+ 34 % sur les articles en coton et en laine). Le II novembre 1978, les prix des auto­mobiles augmentent de 3 à 7 % (la Tchécoslovaquie est le pays socialiste disposant du plus fort parc automobile par tête). Le 20 juil­let 1979, les hausses de certains prix de détail ont été particulièrement importantes: énergie, essence (+ 50 %), fuel domestique (+ 122 %), vêtements et en particulier vêtements pour enfants, qui ne sont plus subventionnés (cette mesure a été partiellement compensée par une augmentation des allocations familiales)2.

) 1 Les hausses de prix camouflées : l'inflation par les prix « cachée»

Les indices de prix n'enregistrent pas de changement quand un bien est remplacé par un autre de caractéristiques et de prix différents, car les produits nouveaux n'entrent pas en ligne de compte quel que soit leur degré de nouveauté. En URSS, quand l'automobile GAZ 21

(valant 5 500 roubles) a été remplacée par la GAZ 24 (9 150 roubles), l'indice des prix n'a pas varié. Cet exemple vaut pour des centaines de produits industriels de consommation et l'apparition de« faux» nou­veaux produits permet des hausses de prix qui n'apparaissent pas dans l'indice. Howard a essayé de calculer« l'inflation cachée» en intégrant dans un indice de prix les différences de qualité entre les produits anciens et leurs substituts nouveaux : il calcule un indice minimal et un indice maximal qui sont les limites entre lesquelles se trouve la hausse réelle de prix. Pour ce faire, il utilise les indices reconstitués par Bronson et Severin qui corrigent les données soviétiques offi­cielles mais les prennent pour base; il sous-estime ainsi le degré réel

1. Sânleia, 13-1-1979. 2. RmJI Prtll1O, 2.0-7-1979.

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS

d'inflation. Severin (1979) a d'ailleurs calculé un indice des prix réels sur les marchés kolkhoziens1 qui donne un taux moyen de hausse des prix de 2,7 % sur la période 1970-1977 alors que l'annuaire statis­tique de l'uRSS permet de calculer, ainsi que nous l'avons vu, une hausse des prix de 5,7 % par an sur cette période. L'explication de cette différence réside probablement dans le fait que les pondérations rete­nues par Severin sont celles de 1955, alors que celles de l'annuaire soviétique sont, semble-t-il, évolutives.

Quoi qu'il en soit, les résultats de Howard paraissent acceptables, la fourchette dans laquelle il situe l'inflation cachée est de 0,8-1,2 % sur la période 1955-1972, Schroeder et Severin arrivant à 1,3 % par an. Le ministre des Prix de Hongrie, Csikos-Nagy, estimait en 1974 que les hausses de prix cachées par de nouveaux produits étaient de 1 % par an en Hongrie2, ce qui est du même ordre de grandeur.

Il est certain que la Pologne a, en même temps que le plus fort taux d'inflation reconnue, le plus fort taux d'inflation cachée. Comme les hausses de prix brutales de 1970 ont entraîné des émeutes, les autorités s'efforcent, lorsqu'elles se sentent contraintes de rajuster les prix, de ne pas faire trop sentir ces hausses au consommateur. Ainsi un décret du 15 octobre 1973 porta modification de la teneur en viande des articles de charcuterie; ce décret et celui du 1er mars 1971 ont fait passer le contenu en viande d'un kilogramme de saucisson «kabanossi» de 1,85 kg à 1,56 kg, c'est-à-dire que de 100 kg de viande on peut désormais tirer 64 kg de kabanossi au lieu de 54 (la teneur en eau du saucisson augmentant corrélativement). De plus, la part de la viande de porc de première qualité passe de 40 % à 30 % dans le total de la viande utilisée. Ainsi les coûts et les prix du kabanossi ont baissé de 15,37 zlotys, ce qui correspond en réalité à une hausse des prix de 12,8 % à qualité constante3• On pourrait citer de nombreux exemples de l'ingéniosité des autorités polonaises en la matière comme l' « enrichissement » du beurre avec de la margarine. B. Schwartz estime le taux d'inflation cachée en Pologne à 1,6 % par an pour la période 1960-1965, 3 % par an pour 1966-1967 et plus de 3 % après 19674.

I. In ACEES (1979). z. B. CSIKOS-NAGY, in CESES (1974). 3. LAS KI, p. 44. 4. B. SCHWARZ, Inflation in Zentral-geleiteten Volkswirschaften, ilf WATR.lN,

SlruJ:lur und Slabililiits-po/iliube Probleme in allernaliven Wirlubaftuyslemen, Berlin, 1974.

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28 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

Le développement des hausses de prix cachées en Pologne pour les biens alimentaires s'explique aisément. Désireux d'accroître la productivité de l'agriculture et de favoriser la concentration de l'agri­culture privée, les gouvernements polonais ont dû accroître le revenu des agriculteurs pour leur permettre d'investir; achetant les biens à des prix croissants et les vendant aux consommateurs à des prix subventionnés, le circuit d'Etat de distribution est contraint d'élever ses prix, mais il faut éviter de donner à la population ouvrière des villes l'impression que son pouvoir d'achat se détériore trop par rap­port à celui des paysans; aussi fait-on plus de saucisses avec la même quantité de viande, plus de beurre avec la même quantité de lait, etc. C'est certainement le seul moyen de soutenir l'agriculture sans mécon­tenter trop les citadins, mais de tels expédients ne peuvent éviter les révisions périodiques des prix.

III 1 L'ÉCONOMIE PARALLÈLE

L'économie parallèle appelée aussi parfois « seconde économie» comprend toutes les activités de production et d'échange qui se déroulent en dehors des circuits officiels, c'est-à-dire en dehors des magasins et entreprises d'Etat et du secteur coopératif. Les activités de la « seconde économie» sont « non officielles» mais pas nécessai­rement illégales.

L'économiste soviétique Katsenelinboigen, enseignant maintenant en Pennsylvanie, a présenté une typologie des marchés en URSS selon leur degré de légalité. Nous allons reprendre ici sa classification.

Il y a trois types de marchés légaux :

- Marché rouge: les prix sont établis par l'administration centrale. - Marché rose: les participants à la transaction ont le droit de modifier

les prix administratifs. - Marché blanc : les participants à la transaction déterminent libre­

ment les prix.

Katsenelinboigen remarque que parfois les autorités tolèrent des transactions illégales et appelle « marché gris » ce marché semi­légal.

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS

Les marchés illégaux sont :

- Marché brun : la transaction est illégale mais n'est pas réprimée aussi sévèrement qu'un crime.

- Marché noir: la transaction est assimilée à un crime.

Les relations entre les entreprises sont soit plan.ifiées, soit consis­tant en des relations de marché sur un marché rouge ou gris. L'allo­cation planifiée des biens (par rationnement administratif) n'exclut pas un certain pouvoir de décision des entreprises quant au détail de la transaction; cela laisse à l'opération un parfum de marché (Katsene­linboigen et Levine disent « a touch of market atmosphere »)1.

Une entreprise peut, d'autre part, vendre certains équipements inutiles à des prix déterminés à l'échelon central et avec une autori­sation administrative (marché rouge). li peut aussi arriver qu'une firme, éprouvant des difficultés à réaliser son plan, achète directement des biens à d'autres entreprises ou les acquière par troc; ces arrangements, appelés « accords sous le plan », forment le marché gris entre entreprises.

Les relations entreprises-ménages sont très variées. Le marché rouge est celui des magasins d'Etat, le marché rose celui des reventes dans les magasins spécialisés dans l'achat et la vente d'occasion, le marché brun est celui des ventes sous le comptoir à des prix élevés de biens dont il y a pénurie, le marché noir correspond aux ventes d'objets qu'il est interdit de céder.

Les marchés de ménage à ménage sont surtout des marchés de service et le marché blanc des transactions sur biens alimentaires (marchés kolkhoziens). Les services de réparation, de plomberie, etc., sont considérés par Katsenelinboigen comme échangés sur un marché gris lorsqu'il s'agit de travail« au noir ».

Le degré de légalité des transactions a d'importants effets sur le prix et donc la forme du marché; ce point ne paraît d'ailleurs pas avoir retenu l'attention de Katsene1inobigen. En effet, le degré de légalité détermine la sanction et donc le risque pour l'offreur (et éventuelle­ment pour le demandeur). li paraît raisonnable de supposer que le prix inclut une certaine prime de risque mais l'effet le plus important

1. A. KATSENELINBOîGEN et H. LEVINB, p. 62..

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

du risque réside dans la nature de l'information qui va prévaloir sur le marché. Un marché très illégal est un marché à information impar­faite, le risque d'être pris incite à la discrétion. Le niveau de concur­rence sut un marché dépend du nombre d'offreurs et de demandeurs potentiels et de la qualité de l'information.

Si nous rangeons les marchés par ordre de concurrence décrois­sante, nous trouvons certains marchés au degré de concurrence assez élevé; il s'agit des matchés roses comme le marché formé par les magasins d'Etat spécialisés dans l'occasion ou comme le marché du travail pour certaines qualifications très demandées (il s'agit plutôt d'un marché gris dans certains cas) et du marché blanc des opérations entre ménages. li existe des marchés de concurrence imparfaite avec assez bonne information; ces marchés sont à peu près légaux mais il y a peu d'offreurs (marché rouge de revente d'entreprise à entreprise de machines anciennes, marché gris des services offerts« au noir»). Ensuite viennent les matchés où il y a peu d'offreurs et où l'informa­tion est mauvaise en raison de leur coefficient d'illégalité. Ces marchés peu transparents sont le marché brun des ventes « sous le comptoir» aux ménages et le marché noir des trafics entre particuliers (notam­ment de biens volés). li Y a oligopole sur le marché gris des transac­tions « sous le plan» entre firmes et sur le marché blanc des commandes spéciales de firme à firme que Katsene1inboigen ne mentionne pas dans sa typologie. Le marché est monopolistique dans la plupart des cas de ventes des entreprises aux ménages sut le marché noir ainsi que pour certaines commandes spéciales (matché blanc), il peut même alors s'agir d'un monopole bilatéral, c'est-à-dire d'un monopole du côté de la demande comme du côté de l'offre.

Certaines activités privées sont particulièrement florissantes dans les pays socialistes. C'est le cas du secteur du logement: même dans un pays comme l'URSS où la plupart des logements urbains sont des loge­ments d'Etat, un quart de la population urbaine et la moitié de la population totale résident dans des logements privés ou ccopératifs. En outre, en 1975, 30 % des surfaces nouvellement construites l'ont été par des personnes privées ou par des organismes coopératifs (kolkhozes)!. De telles constructions sont parfaitement légales mais ne peuvent être pratiquement menées à bien que par l'acquisition de

1. G. GROSSMAN (1977), p. 2.6.

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS

matériaux achetés sur le marché noir (ou volés)!, par le recours au travail noir et par l'utilisation irrégulière de véhlcules et camions appartenant à des administrations ou des entreprises d'Etat. On estime qu'à Moscou il est dépensé, chaque année, environ 1 j millions de roubles pour réparer les appartements dont 70 % sur le marché paral­lèle et 30 % seulement auprès des firmes d'Etat2• Ces pourcentages seraient de 98 % et 2 % en Georgie3•

Il y a un marché noir des appartements d'Etat qui s'appuie sur la corruption. La Pravda du 28 septembre 1978 cite le cas d'un médecin de Tashkent qui promettait des appartements contre des sommes de 3000 ou 4000 roubles et empochait l'argent sans fournir d'apparte­ment. Une telle escroquerie, doublée d'une telle tentative de marché noir, lui valut d'ailleurs une peine de dix ans de prison. Le « prix» d'un appartement d'Etat (à loyer très faible) semble bien être de 1 000

à 4 000 roubles au marché noir4• Les techniques employées sont variables; le plus souvent une personne occupe deux appartements d'Etat dont un avec son conjoint et met l'autre à la disposition de quelqu'un qui en a un besoin urgent. Il y a aussi la corruption de fonctionnaires des services de logement, qui semble correspondre aux prix du haut de la fourchette; ainsi à Ivano-Frankovsk un appar­tement obtenu par cette voie coûtait 2 JOO roubles5•

Tout à fait légale, quant à elle, la location ou la sous-location à des ménages qui attendent un appartement d'Etat ou à des étudiants est une activité très répandue : dans la région de Krasnodar, le secteur privé gagnerait annuellement j millions de roubles de loyer en logeant 25 000 étudiants6• Ces loyers libres peuvent être très élevés dans les grandes villes.

Parmi les activités privées qui ont fait couler beaucoup d'encre en URSS, citons les leçons particulières qui sont une industrie prospère: en 1969, 85 % des étudiants préparant le concours d'entrée à la Faculté de Mathématiques de Moscou prenaient des leçons particulières 7. Il

1. Cf. Pravda, 24-3-1975. 2. D. O'HEARN, p. 225.

3. Veéernaja Moskva, 6-II-1974, cité par D. O'HEARN. 4. Rappelons que le cours officiel du rouble est d'environ 6,4 F ct que le salaire

mensuel moyen en URSS est de 171 roubles en 1981. 5. Pravda, 20-1-1919. 6. Komsomo/skaja Pravda, 16-10-1975. 7. Komsomolskaja Pravda, 27-8-1969.

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32 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

est évident qu'on ne peut généraliser et que des mathématiciens ont plus de chances de donner des leçons particulières que des littéraires; mais le phénomène est assez important pour avoir donné lieu à une polémique en 1975 dans la Komsomols!eaja Prauda où certains lecteurs contestaient la légalité des leçons particulières et les qualifiaient de « spéculation sur le savoir». Ce n'est pas là le point de vue officiel puisque les professeurs peuvent très souvent utiliser les salles de classe pour leurs cours particuliersl • Selon une estimation soviétique, les leçons particulières ont, en cinq ans, « pris à nos familles huit milliards de roubles »2.

Les marchés d'occasion, légaux ou non, forment une partie impor­tante de l'économie parallèle, ils concernent surtout les biens durables (automobiles, équipement ménager, etc.), les vêtements et les livres. Les prix sont souvent très supérieurs aux prix du bien neuf qui, vendu à bas prix, a vite disparu des magasins. Ainsi les œuvres de George Sand en deux volumes sont vendues au prix officiel de 4 roubles mais valent 75 roubles d'occasion à Odessa, les Trois Mousquetaires de Dumas, officiellement à 1,7 rouble, atteignent 25 roubles d'occasion à Moscou3• De la même façon, le prix d'une automobile d'occasion en bon état dépasse souvent le prix du véhicule neuf. De 1974 à 1977, 26 000 automobiles ont été achetées d'occasion et conduites en Georgie; cela représente 64 % du nombre d'automobiles neuves vendues dans les magasins d'Etat pendant la même période en Georgie4•

Tout automobiliste, dans les pays de l'Est, est d'ailleurs un client assidu des marchés parallèles. Selon les Izuestija du 1er janvier 1975, plus du tiers des automobilistes en 1972-1973 achetaient leur essence sur les marchés parallèles. En 1975, au Kazakhstan, un cinquième seulement de l'essence utilisée par les automobIlistes privés était acheté officiellement dans les stations-service, le reste étant volé à des entreprises ou vendu illégalement par des gérants de stations-servicé. En 1977, dans cinq districts ruraux de Kaluga, il y avait 1 5 50 auto­mobiles privées et 5 612 autres véhicules qui roulaient alors qu'il n'y a pratiquement pas de stations-service; une enquête a montré que

J. D. O'!fEARN, p. 229. 2. Li/era/urnaja gaze/a, 191917. 3. Ces exemples sont tirés de D. O'HEARN, p. 224.

4. Pravda, 8-2-1918. ~. Socia/ù/eces/eaja za!t:onnos/', 1976/6.

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS

presque toute l'essence était achetée dans des circuits de marché noir assez complexes à des prix si bas qu'elle devait être volée à l'origine sans que personne n'ait l'impression de commettre un délit puisque les services d'Etat étaient défaillantsl • Dans la région de Moscou, des employés d'une station-service vendaient de l'essence volée au prix de 20 kopecks le litre2, et des chauffeurs de camions-citernes vendaient des tickets d'essence qui permettaient d'obtenir de l'essence auprès de pompes réservées à des véhicules d'Etats.

La corruption est sévèrement réprimée lorsqu'elle porte atteinte à la dignité du Parti ou du gouvernement" mais la « petite» corruption semble considérée avec indulgence probablement parce qu'elle remédie, à sa façon, à certaines lourdeurs administratives.

Que représente au total la « seconde économie » dans un pays comme l'URSS? Les évaluations sont difficiles. Selon B. Severin et D. Carey, dans un rapport présenté à la CIA, le secteur privé légal pro­duirait 10 % du Produit national (entendu au sens courant de valeur ajoutée), dont 76 % proviendraient de l'agriculture, 2Z % de la cons­truction et l'entretien des logements et 2 % des services. Cela repré­sente 31 % de la valeur ajoutée totale dans l'agriculture et le bâtiment et 5 % de celle des serviceso. Il faut ajouter les activités non légales (les marchés autres que le marché blanc) qui ne sont pas négligeables. Que l'activité soit légale ou non, les prix pratiqués et les revenus créés sont mal connus et très mal (sinon pas du tout) pris en compte dans les statistiques officielles. Il faut en conclure que les chiffres que nous pos­sédons sur la consommation et les revenus des ménages sont très insuf­fisants. La seconde économie représente au moins 15 %6 de la consom­mation totale des ménages, probablement plus de 20 % en y comptant les marchés d'occasion, les services au noir, etc.

Cette analyse qui se rapporte à l'URSS peut être transposée aux autres pays socialistes sans grande modification. Il existe partout des services offerts sur les marchés parallèles. Ce qui varie d'un pays

1. Se/'skaja Jizn', 8-2-1978. 2. Vecernaja Moskva, 24-4-1979. 3. Sovetskaja Rouia, 24-8-1979. 4. En juillet 1979, les ministres de la Santé, du Commerce et des Transports de la

république d'Azerbaïdjan ont été démis de leurs foncùons et accusés de cottupùon (Pravda, 19-7-1979).

s· Cité par G. GROSSMAN (1977), p. 35. 6. Chiffre proposé par G. GROSSMAN (1977).

F. SEUROT 2

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34 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

à l'autre, c'est le degré de légalité de chaque type de transaction et la part du secteur privé dans l'agriculture (elle est la plus élevée en Pologne). li en résulte que la part de l'économie parallèle dans le Produit national est plus forte en Pologne et en Hongrie qu'en URSS et du même ordre qu'en URSS dans les autres pays socialistes.

IV 1 L'ÉPARGNE FORCÉE ET LES SUBSTITUTIONS FORCÉES

li y a inflation réprimée lorsque les prix ne varient pas suffi­samment pour absorber l'excédent de demande des consommateurs. Une conséquence qui paraît logique de cet état de fait est l'accumu­lation de moyens de paiement inemployés par les ménages; on parle alors d'épargne forcée.

Deux questions se posent : y a-t-il épargne forcée dans les pays socialistes? L'épargne forcée est-elle une conséquence nécessaire de l'inflation réprimée?

La plupart des auteurs, y compris des pays socialistesl , admettent qu'il y a épargne forcée; mais quelques recherches économétriques menées aux Etats-Unis par J. Pickersgill2 pour l'URSS et en Grande­Bretagne par R. Portes3 pour les démocraties populaires sont venues jeter un doute; nous verrons pourquoi les tests statistiques, à partir des données disponibles, mènent à des conclusions contraires aux observations courantes.

li n'est pas évident, par ailleurs, que l'inflation réprimée débouche sur une épargne forcée, elle peut mener à des substitutions forcées dans la consommation, à une diminution de l'offre de travail des ménages, voire à une fuite devant la monnaie.

L'épargne dans les pays socialistes a crû à un rythme très rapide ainsi qu'en témoigne le tableau ci-contre (tableau 1. 3).

L'épargne déposée auprès des institutions financières, qui est celle que décrivent les statistiques, croît plus vite que les revenus ou que la consommation, mais à partir de quel seuil cette différence

1. Par exemple O. FIRFAROVA, Den'gi i kredil, 1975/3, et A. ZAiTSEV, Vopro!)' Ekol1o­miki, 1980/3, p. 59.

2.. J. PICIŒRSGILL (1976). 3. R. PORTES et D. WINTBR (1978).

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS 35

TABLEAU 1.3. - Dépôts des ménages dans les caisses d'éparou et 'es banques

(1970 = 100)

Bulgarie Hongrie RDA Pologne URSS T chiroslOlJaquie

1960 2.2. 1; 34 14 2.4 30 1965 45 49 60 45 40 56 1970 100 100 100 100 100 100 1971 Il5 Il5 107 Il6 Il4 Il6 1972. 134 130 Il5 145 130 135 1973 156 147 12.5 183 147 155 1974 177 168 135 2.2.7 169 169 1975 195 193 144 2.64 195 182. 1976 2.10 2.2.1 154 2.91 2.2.1 199 1977 222 25 6 165 323 25 0 216 1978 229 297 177 356 281 224 1979 247 323 186 398 314 23 1 1980 264 345 191 429 335 244

Sources : Calculs effectués à partir de S/a/is/iceskij ejegodnik slranClenotJ SEV, 1971, p. 53; 1975, p. 56; 1917, p. 55; 1980, p. 62; 1981, p. 60, S/a/islica/ Pockel Book of Hungary, 1974 et 1978.

implique-t-elle une épargne forcée? La réponse est arbitraire. Si on calcule, comme l'ont fait Pickersgill et Portes, des fonctions d'épargne, on trouve des propensions moyennes à épargner (part du revenu qui est épargnée) semblables à celles des pays occidentaux. Portes en déduit qu'on ne peut donc parler d'inflation réprimée (Pickersgill est plus prudente), car il n'y a pas de stocks de monnaie excédentaire, les agents pouvant toujours s'en débarrasser sur les marchés libres. Un tel argument n'est pas acceptable car il fait bon marché de l'inégalité des consommateurs face aux marchés libres; dans certaines villes, les marchés libres sont en effet inexistants. Par ailleurs, les analyses quantitatives calculent les taux d'épargne à partir des données disponibles sur l'épargne déposée dans les caisses d'épargne et les banques; or, il y a un stock de monnaie que les parti­culiers conservent sous forme de « bas de laine », notamment en URSS.

Pickersgill en convient d'ailleurs, mais elle juge que ce volume tend à diminuer en raison de l'urbanisation croissante!. Rien n'est moins

1. J. PICKERSGILL (1976), p. 142.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

sûr et même si cela. était vrai, cela fausse tous les calculs de propension moyenne à épargner. li semble qu'en URSS cette épargne liquide thésaurisée soit supérieure à l'épargne liquide déposée; l'économiste soviétique Khanelis, maintenant en Occident, estimait que 60 % de l'épargne liquide était thésaurisée!. De surcroît, ce volume est assez instable et n'a probablement aucune tendance à diminuer. En effet, le développement des réseaux des caisses d'épargne a d'abord fait baisser la part de l'épargne thésaurisée; mais, depuis 1972.-1975, ce réseau est assez développé en URSS pour attirer les liquidités que les ménages désirent y placer. Le volume de liquidités non « dépo­sables» reste important pour deux raisons: 1) Lorsque le consomma­teur envisage l'éventualité de tomber sur une bonne affaire à saisir, il désire garder une épargne très liquide chez lui; 2.) Une masse impor­tante de liquidités correspond à des revenus plus ou moins légaux dont on ne désire pas porter le montant à la connaissance des auto­rités. Les kolkhoziens gardent ainsi une bonne part de leurs revenus (légaux), soit pour échapper au fisc qui frappe plus durement les revenus non salariaux élevés que les salaires, soit pour ne pas faire connaître leurs ressources à leurs voisins, le secret des caisses d'épargne étant considéré comme relatif dans les petites communes. Cette importance de l'épargne thésaurisée est incontestable pour l'URSS, mais il semble qu'en Pologne et en Hongrie une part importante des encaisses soit déposée en caisse d'épargne.

Comment évaluer l'épargne monétaire thésaurisée hors du circuit des caisses d'épargne en URSS? Selon Khanelis l'épargne cumulée en URSS de 1965 à 1971 serait de 90 milliards de roubles dont seule­ment 35 se trouveraient en caisse d'épargne et 55 (soit 60 %) entre les mains de la population2• L'évaluation de Khanelis est peut-être un peu forte, mais le mode de calcul est intéressant et défendable. Khanelis calcule d'abord les revenus monétaires nets de la population en y intégrant une estimation des revenus sur les marchés libres (revenus des kolkhoziens, etc.) et, ensuite, par différence avec le chiffre d'affaires des secteurs libre et étatique du commerce de détail, il en déduit l'épargne monétaire des ménages; enfin, après déduction de l'épargne en caisse d'épargne, il obtient l'épargne thésaurisée.

1. J. KHANEL1S (1976/6), p. H. 2. J. KHANEL1S (1976/6), p. H.

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS 37

Même sans suivre Khanelis jusqu'au bout, on peut raisonnablement supposer que l'épargne monétaire thésaurisée représente un volume comparable à celui des dépôts en caisse d'épargne.

Pour porter un jugement sur la croissance de l'épargne, il convient, certes, de préciser à quels motifs correspondent l'épargne désirée et l'épargne forcée; mais il faut aussi déterminer s'il n'existe pas des facteurs de croissance autonome de l'encaisse déposée.

Ainsi un élément, oublié par la plupart des commentateurs, est la croissance mécanique des dépôts par paiements des intérêts non retirés. Selon Zaïtsev, les intérêts représentent, en URSS, le tiers des dépôts sur la période 1950-19771. Même si le calcul de Zaïtsev semble inexact, les données qu'il fournit ne correspondant pas à un pourcentage aussi élevé, il n'en demeure pas moins que ces intérêts posent un problème économique redoutable; le taux d'intérêt est égal au taux de croissance du salaire nominal (il est en effet de ; % sur les dépôts épargnés); il Y a, ainsi, création de revenus sans création de richesses puisque les dépôts d'épargne ne jouent aucun rôle dans le financement de l'investissement.

La croissance de l'épargne (thésaurisée et déposée) correspond partiellement à ce qu'on appelle épargne forcée. De 1965 à 1977, en URSS, le chiffre d'affaires du commerce de détail a été multiplié par 2,2 et celui de l'épargne liquide en caisses d'épargne par 6,2. Une partie importante de ces encaisses correspond à de l'épargne volontaire: elle garantit, pour les ménages, le financement ultérieur de grosses dépenses (voyages, achats d'automobiles, d'appartements, etc.) et répond à une double attente, d'abord attente que toute la somme nécessaire soit réunie et aussi attente que le bien soit disponible. Nous retrouvons bien l'épargne forcée; les retards dans l'achèvement des logements, par exemple, prolongent cette attente.

L'importance des dépôts d'épargne par rapport à la valeur des réserves des magasins et des circuits de distribution est un témoignage supplémentaire que toute cette épargne n'est pas « désirée ». Ce rapport est passé de 0,44 en 1960, en URSS, à l,55 en 1975 2• Cela peut aussi s'interpréter comme un rejet par la population de produits de qualité insuffisante, mais c'est là une forme d'épargne « forcée ».

J. A. ZAITSEV, p. ~6. 2. Calculé à partir de Nar KhOZ SSSR, J97~, p. 599 et 630.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

Les analyses en termes d'encaisse forcée présentent un vice fondamental; en effet la notion d'encaisse « forcée» est un concept ambigu1 car une encaisse n'est vraiment « forcée» que lorsque les agents ne veulent plus en être détenteurs. En effet, si l'utilité marginale de l'encaisse épargnée est négative, l'agent peut toujours jeter ou donner sa monnaie. L'épargne forcée n'a de sens qu'au niveau macroéconomique : cela signifie simplement que la part du revenu national qui est consommée est inférieure à ce qu'elle serait si le niveau global d'épargne était déterminé par les comportements spontanés des agents individuels, au lieu de l'être par les autorités politiques.

Au sens strict, l'encaisse individuelle n'est jamais forcée puisque l'agent peut toujours s'en défaire gratuitement. Ce que, dans une optique micro économique, on désigne improprement sous le nom d'épargne forcée est simplement l'encaisse qui reste dans les mains de l'agent, parce qu'il n'a pas trouvé, sur le marché, les biens qu'il désirait. Ainsi toute épargne qui n'est pas affectée à un achat futur spécifique est une « épargne forcée », y compris dans les pays capi­talistes, et cela n'a pas grand-chose à voir avec l'inflation dans bon nombre de cas.

En fait, s'il y a pénurie de biens désirés, il y a un ensemble de substitutions forcées, le consommateur achètera du porc au lieu de bœuf, etc.

L'encaisse « forcée» est une des substitutions forcées du consom­mateur. L'insuffisance d'offre de biens désirés aux prix courants provoque une réaffectation du revenu du consommateur entre des usages qui ne correspondent pas à ses désirs initiaux.

On peut en conclure que le concept d'épargne forcée est non mesurable et surtout inutile dans l'analyse de l'inflation réprimée. La thésaurisation est une des multiples substitutions forcées que provoque l'inflation réprimée. Il y a bien épargne non désirée dans les pays socialistes, bien qu'on ne puisse la mesurer. Il pourrait aussi y avoir fuite devant la monnaie, c'est-à-dire refus d'accepter des moyens de paiement et passage à des trocs ou paiement en nature. C'est, d'ailleurs, ce que l'on observe en Pologne; les autres pays en

1. Les différents concepts d'épargne forcée présents dans la littérature économique sont analysés par MACHLUP dans ses Essais de sl11lantiqu8lconomique.

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LES DÉSÉQUIUBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS 39

sont encore au stade de l'épargne accumulée, plus ou moins volon­tairement, et de l'acceptation sans discussion de la monnaie nationale.

- La demande excédentaire est-el/e mesurable en économie de pénurie? Les pénuries de biens ne provoquent pas seulement une substitution de l'épargne à la consommation, mais aussi des substitutions à l'inté­rieur de la consommation des ménages; ne trouvant pas de viande les ménagères achètent de la charcuterie, etc. Ces substitutions forcées sont courantes dans toutes les économies socialistes; elles existent aussi, à un degré moindre, en économie capitaliste : ne trouvant pas de Renault RS à quatre portes (ou devant l'attendre six mois), un acheteur se contente d'une deux-portes. L'économiste hongrois Kornai fait des substitutions forcées le mécanisme de base du marché des biens de consommation dans les économies socialistes1•

Kornai caractérise les économies socialistes comme des économies de pénurie, c'est-à-dire de demande excédentaire (ce qu'il appelle aussi« succion» dans son livre anti-Equilibrium) par opposition aux économies de surplus ou d'offre excédentaire (ou « pressure ») que seraient les économies capitalistes.

L'observation directe de la demande excédentaire est impossible et sa mesure est donc très délicate. Les difficultés ne tiennent pas au manque de statistiques (bien qu'elles manquent en effet) mais elles sont d'ordre théorique. Cet argument est très fort et suffit pour détruire les bases des tentatives de repérage économétrique de la demande agrégée, puisque la résultante macroéconomique observable statistiquement (si les données statistiques étaient bonnes) ne rend pas compte de toutes les substitutions dues aux pénuries chroniques, et donc à l'insuffisance d'offre globale. En d'autres termes, la demande excédentaire globale provoque d'abord des ajustements dans la struc­ture de consommation qui ne sont pas perceptibles statistiquement et, seulement ensuite, un solde qui est plus ou moins repérable statis­tiquement.

Kornai souligne, à juste titre, que la « succion» dans les marchés des biens de consommation est une inflation réprimée alors que la « succion» dans les marchés des biens de production est due à une erreur de planification de l'investissement, en l'occurrence un surin-

1. J. KORNAI (1976).

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

vestissement, par rapport à ce que l'économie peut absorber. TI faut remarquer que des déficits en biens de production et en

biens de consommation se traduisent différemment car les biens de consommation sont vendus sur un marché alors que les relations entre entreprises sont assez complexes et relèvent plus de l'allocation admi­nistrative des ressources que de l'échange volontaire.

Sur le marché, les files d'attente et les queues ne sont qu'un indice grossier et parfois trompeur de la pénurie. En effet, on ne peut observer de queue que pour des produits disponibles, en faible quantité certes, mais disponibles. La pénurie totale d'un bien ne se traduit pas par une queue mais, au contraire, par la disparition des files d'attente et par le transfert de la demande sur un autre bien, ou bien par un accroissement de l'épargne.

v 1 LES SUBVENTIONS BUDGÉTAIRES

POUR STABILISER LE PRIX DE DÉTAIL

Dans tous les pays socialistes les prix de détail du commerce d'Etat sont des prix administrés et ils ne correspondent pas aux coûts, sauf exception. S'ils sont supérieurs aux coûts (biens de luxe, etc.) la différence a la forme d'un impôt indirect; s'ils sont inférieurs aux coûts, la différence est une subvention d'Etat. Les subventions sont, au total, très élevées pour les biens de consommation courante.

Ces subventions peuvent prendre plusieurs formes juridiques1 :

Elles sont calculées comme un pourcentage du chiffre d'affaires (Pologne, Hongrie) ou comme une dotation globale. En Roumanie et en Bulgarie, ce sont les prix de gros qui sont subventionnés, le soutien aux prix de détail est donc indirect2. TI apparaît, en conclu­sion, qu'il est difficile de comparer directement les montants des subventions d'un pays à l'autre.

Sous ces réserves, on peut retenir les ordres de grandeur du tableau ci-contre (Tableau 1.4).

1. Sur les calculs et formes juridiques des subventions, cf. G. AR1STOV (1978). 2. C'est pourquoi les statistiques sur les subventions dans les pays de l'Est omettent,

en général, la Bulgarie et la Roumanie; les subventions aux prix de gros ne sont d'ailleurs pas publiées.

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LES DÉSÉQUILIBRES SUR LE MARCHÉ DES BIENS

TABLEAU 1.4. - Subventionl budgétaires pour stabiliser k.r prix (en pourcentage des dépenses en biens alimentaires de la population en 1918)

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41

Source : E,onomi, SUTlJey of Enropt in I978 (1), p. 148.

li n'est pas facile de connaître l'évolution exacte des subventions, car des variations du taux d'imposition indirecte des producteurs peuvent signifier une perte de recettes pour le budget d'Etat, ce qui est assimilable à une subvention. Ainsi, en Tchécoslovaquie, le taux moyen d'imposition indirecte des firmes productrices est tout autant un moyen d'action que la subvention au commerce de détail : ce taux est passé de 6;,6 % en 1965 pour le sucre et les confiseries à 40,8 % en 1972 ; pour les produits alimentaires courants de 29,8 % à 15 % et de ;8,1 % à 21,7 % pour les produits ménagers, etc.l •

Ces baisses des recettes budgétaires devraient, si on pouvait en calculer la valeur absolue, être ajoutées aux subventions pour mesurer l'ampleur des variations de l'aide publique nécessaire à la stabilité des prix.

La charge croissante des subventions à la consommation pro­voque, à partir de 1977, une remise en cause de leur principe même. En 1977, le Comité d'Etat aux prix en URSS révèle qu'en 1975 les subventions, pour maintenir les seuls prix de la viande et des produits laitiers, étaient de 19 milliards de roubles; cela est considérable puisque cela représente 25 % du total des dépôts d'épargne des ménages ou 7 % du total de leur consommation. En 1977, l'URSS a consacré une subvention de 22 milliards de roubles aux prix de la viande et des produits laitiers2• Le prix de détail de la viande de bœuf est de 1,65 rouble le kilogramme en moyenne alors que son coût est de ;,21 roubles. Les subventions étatiques sont de 1,;4 rouble pour chaque kilogramme de beurre, de 0,; 5 rouble par kilogramme de fromage blancS.

x. J. ADAMlCEK, Der Stellenwert der Verbrauchssubventionen in der Wirtschafts politik sozialistischer Lander, Os/europa Wir/sçhafl, 1977/3, p. 164.

2. A. DouMov, Les prix en URSS, L'EnrOp8 orien/ale, mai 1918. 3. G. P1SSAREVSKI, Pourquoi les prix sontstables en URSS, Açlua/il'lIo~i'tiqu8l, 6-1 -1978.

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42 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

En RDA, les subventions tendent à croître, elles sont passées de 26,9 % de la consommation alimentaire des menages en 1975 à 28 % en 1977; ce rythme s'accélère puisque leur montant serait de 15,5 milliards de marks en 1979, soit un accroissement de 9,3 % par rapport à 19781. La RDA est en tête des pays socialistes pour les subventions aux prix, ce qui lui a permis jusqu'ici d'être le pays où les prix ont été les plus stables et où la demande excédentaire non satisfaite (épargne forcée) est la plus forte selon les calculs de Portes2•

En Pologne, les subventions à l'alimentation ont cru de 1970 à 1975 à un taux annuel qui varia de 20 à 40 %. En 1975, elles étaient de 100 milliards de zlotys, soit 2 870 slotys par tête. Cela s'explique par l'accroissement de la consommation des ménages et surtout par la hausse continuelle des prix payés aux agriculteurs alors que les prix de détail sont maintenus à peu près stables. ]. Redlich souligne que ces subventions avaient un caractère social lorsque les revenus étaient bas mais qu'elles n' ont plus aujourd'hui que des aspects négatifs3•

Le 24 juin 1976, le Premier Ministre Piotr ]arosrewicz annonce une révision des prix des biens alimentaires accompagnée d'un ajustement des salaires. Devant les réactions du public, le gouver­nement retira son projet le 26 juin 1976.

Les subventions aux prix de la viande, des produits laitiers et des légumes verts ont atteint 105 milliards de zlotys en 1977 (soit 20 % des investissements planifiés). En 1980, les autorités polonaises pré­cisent que le total des subventions pour la stabilisation des prix de la viande et du fromage a atteint 91,4 milliards de zlotys en 1979, soit huit fois plus qu'en 1970; il devait s'élever à 100 milliards de zlotys en 19804. La presse polonaise s'est fait l'écho de l'inquiétude grandissante des économistes quant à la justice des effets d'une telle politique de subvention. Les hausses de prix de juillet 1980 et les grèves qui ont suivi ont marqué une nouvelle étape dans la recherche de la vérité des prix. TI semble que les autorités polonaises préféraient des prix moins subventionnés quitte à laisser s'accroître les salaires nominaux en proportion; on passerait d'une inflation partiellement réprimée à une inflation plus franchement déclarée.

1. Chiffre donné par T. GLOBOKAR dans Le Courrier des pays de l'Est, avril 1980, nO 2.39, P·45·

2.. R. PORTES (1978). 3. J. REOLICH, Doplaty z budZetu panstwa, Trybuna 11Idu, 2.6-6-1976. 4. East Wuf Trad, News, 2.8-~-I980.

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2

MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE

L'inflation réprimée se manifeste par des files d'attente et/ou de l'épargne forcée et/ou des marchés parallèles. Chacun de ces éléments, pris séparément, n'est ni suffisant ni nécessaire pour qu'il y ait inflation réprimée ainsi que nous l'avons vu. Ainsi, en Pologne, il y a une économie parallèle très florissante et assez peu d'épargne forcée; au contraire, en RDA, les marchés parallèles sont moins vivants mais le taux d'épargne liquide est le plus élevé des pays socialistes. La file d'attente est un indicateur ambigu car elle peut indiquer une structure inappropriée de la production de biens de consommation et même si on observe une queue pour tous les biens il est difficile d'en tirer un indicateur synthétique global.

La plupart des indices d'inflation réprimée analysent soit les marchés parallèles, soit l'épargne liquide des ménages et visent à mesurer l'excédent de demande globale des consommateurs à partir d'indicateurs d'encaisses ou de la comparaison entre les prix de l'économie d'Etat et ceux de la seconde économie.

I 1 INDICATEURS n'ÉCART

ENTRE LES PRIX SUR LES MARCHÉS LIBRES

El' LES PRIX nu MARCHÉ SOCIALISÉ

Ces indicateurs d'écart peuvent être bruts ou pondérés; l'indicateur brut met simplement en relation un indice des prix du circuit socialisé (c'est-à-dire magasin d'Etat et coopératives) et un indice des prix

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MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE 45

du marché libre, un indicateur pondéré tient compte du volume des ventes sur chaque marché.

L'indice brut le plus commode à construire et le plus significatif est le rapport :

Indice des prix du marché libre Indice des prix du marché « socialisé»

dont l'évolution fournit une indication de la croissance de l'écart entre les prix libres et les prix administrés; c'est donc un indice de la croissance de la demande insatisfaite sur le marché socialisé.

Pour construire un indicateur d'écart, il faut disposer de séries statistiques de prix sur les différents marchés. Seules les statistiques polonaises, bulgares et soviétiques sont relativement précises, mais il n'est pas certain que les biens retenus pour les indices soient les mêmes d'une année sur l'autre. Dans le cas de l'URSS, un indicateur brut se réduit à l'indice des prix du marché kolkhozien puisque l'indice des prix d'Etat reste constant. Les indices que l'on peut construire avec une certaine continuité sont ceux des prix des biens alimentaires, ce qui appauvrit le contenu de la demande excédentaire que l'on mesure.

Pour l'URSS, Holzman1 a présenté un indice de tension inflation­niste qui tient compte de l'évolution de la part de ce marché dans le commerce de détail.

où QK et PK représentent les quantités vendues et les prix sur le marché kolkhozien et QE et PEles quantités vendues et les prix des biens alimentaires dans le réseau de distribution d'Etat.

L'indicateur d'Holzman ne peut être considéré que comme un indice de demande excédentaire des biens alimentaires dans les magasins d'Etat; or la part de ces biens dans la consommation des ménages soviétiques a baissé depuis 195 5; cet indicateur reaète aussi bien les mauvaises récoltes que la demande excédentaire globale des ménages, c'est donc une assez médiocre mesure de l'inflation réprimée.

1. F. HOLZJ.UN (1960).

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

TABLEAU II.2.. - Indicateur d'Holzman (1)

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e) La série a été calculée de 1955 à 1971 par BRONSON et SÉVERIN et publiée par GARVY (1977) et de 1972 à 1978 par E. DIRKSEN de l'Université d'Amsterdam. Je le remercie d'avoir bien voulu me communiquer ses résultats.

Ses grandes tendances sont néanmoins intéressantes et la croissance régulière de l'indice, depuis 1974, révèle une tendance à l'accroisse­ment de l'inflation qui est confirmée par tous les autres indicateurs.

II 1 LES COEFFICIENTS D'ENCAISSES « FORCÉES»

Une des mesures possibles de l'épargne« forcée» est de supposer que l'encaisse liquide désirée est une proportion stable soit du revenu, soit des transactions et que l'encaisse restante est donc une encaisse involontaire.

l / Le coefficient-revenu

L'économiste britannique Gomulka1 a calculé un taux d'épargne forcée en Pologne. Il part de l'hypothèse que l'épargne liquide volon­taire représente 3 % du revenu disponible des ménages parce que c'était le taux observé en 1960. Cette hypothèse de stabilité du taux des encaisses désirées est arbitraire mais n'oublions pas que c'est sur une base identique que se fonde le Conseil national du Crédit, en France, pour distinguer entre les encaisses nécessaires et les encaisses thésaurisées. Il est alors possible de calculer un taux d'encaisse forcée qui est le rapport de l'épargne forcée accumulée depuis 1970

I. S. GmtuLKA (1978).

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MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE 47

sur le revenu annuel disponible, en monnaie et en nature, des ménages. Ce taux est passé, en Pologne, de 4,S % en 1972 à 15,2 % en 1975 et 14,4 % en 19781; en d'autres termes, les ménages polonais déte­naient, en 1978, une encaisse forcée équivalente à 14,4 % de leur revenu disponible.

L'indice de Gomulka ne peut être retenu sans réticences. La stabilité du taux d'épargne des ménages n'est pas une hypothèse réaliste si on l'applique à la période 1960-1980; le niveau de vie des Polonais a augmenté et leur taux d'épargne volontaire a certaine­ment suivi le même chemin. Cependant, il est également invraisem­blable que le taux d'épargne volontaire ait pu croître brutalement en 1973 et 1974; c'est pourquoi l'accroissement de l'encaisse monétaire des ménages ne peut s'expliquer que par un développement des encaisses non désirées.

2 1 Le coejjicient-transactions

L'économiste allemand (de RFA) Thieme distingue l'inflation pure, où les prix s'élèvent, de l'inflation « d'encaisse» qui se carac­térise par un gonflement des encaisses involontaires.

Pour mesurer les encaisses involontaires, Thieme fait l'hypothèse que l'encaisse « désirée» est une proportion stable des transactions.

• Soit M la masse monétaire et m son taux de variation. • Soit Q la production en volume et q son taux de variation. • Soit P le niveau des prix et p son taux de variation. • Soit V la vitesse de circulation de la monnaie. • Soit K le coefficient d'encaisses (= Il V) et k son taux de

variation.

L'équation de Fisher s'écrit MV = P.Q ou M = K. P .Q, ou en prenant les taux de variation :

111= k+ p+ q.

Si P > 0 il Y a inflation par les prix. Si k > 0 il Y a inflation « d'encaisses ». Si p > 0 et k > 0 il Y a inflation mixte.

1. Les résultats de 1912. et 1911 sont tirés de S. GOMULItA (1918).

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

Thieme fait l'hypothèse, contestable mais intéressante et défen­dable, que V est stable (c'est-à-dire k = 0) lorsque les tensions sur le marché se résorbent par des mouvements de prix. Si les fluc­tuations des prix sont contrariées, alors V varie pour compenser la rigidité des prixl; l'inflation réprimée se traduit par une dimi­nution de V(k > 0), les encaisses oisives augmentent.

Cette approche a le mérite de fourrur un indice d'inflation : p + k; elle est correcte dans la mesure où les habitudes de paiement varient peu et lentement, ce qui est la condition de stabilité « natu­relIe» de V et K. Cela n'est pas tout à fait le cas dans les pays socialistes mais il est cependant difficile d'affirmer qu'il y a de fréquentes révo­lutions dans les techniques de paiement. Une insuffisance plus grave de cette analyse réside dans l'accroissement de l'encaisse volontaire destinée à l'achat des biens durables; on peut supposer que cet accroissement est régulier mais lent.

Thieme affirme que son indice est théoriquement neutre car l'équation de Fisher est une identité ex post qu'il n'est pas besoin d'interpréter en lui donnant un sens causal. C'est exact mais supposer la stabilité « naturelle» de V est une autre chose. Certes, c'est une hypothèse vraisemblable que de poser que les mouvements de V (ou K) sont dus à la rigidité de P face aux déséquilibres de marché, mais c'est une hypothèse. Notons qu'avec cette approche il n'est plus besoin de parler d'épargne forcée; on substitue à ce concept la notion, plus nuancée, de ralentissement de la circulation monétaire ou d'accroissement du coefficient d'encaisses.

Les seuls pays dont les statistiques disponibles permettent de calculer k sont la Pologne, la RDA, la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Thieme lui-même n'a fait les calculs que sur les exemples polonais et allemand.

Le tableau II. 3 retrace les résultats qu'il est possible de calculer à partir des statistiques disponibles.

M K = -- où M représente le stock de monnaie utilisable dans le

P.Q commerce de détail et P.Q le chiffre d'affaires du commerce de détail.

I. C'est la théorie de l'économiste soviétique Strumilin en 1926. Cf. le chapitre suivant.

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MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE 49

li faut souligner que cet indice ne saurait être comparé à un indice construit de la même façon pour des pays capitalistes; les deux seuls emplois possibles de la monnaie en économie socialiste sont l'achat de biens de consommation (ce qui apparait dans le chiffre d'affaires du commerce de détail) ou la détention d'encaisses sous forme de dépôts d'épargne (D) ou d'encaisses conservées en espèces par le consommateur CB) alors que dans un pays capitaliste la monnaie reçue par les agents peut servir à acheter des biens de production, des terrains, des titres. Cependant, les ménages peuvent, dans tous les pays socialistes, acheter un appartement. Ces transactions n'appa­raissent pas dans le chiffre d'affaires du commerce de détail et c'est là un défaut, assez grave, du mode de calcul de Thieme.

li faut remarquer que M ne recouvre pas le stock de monnaie détenu par les particuliers car les entreprises d'Etat peuvent recourir au commerce de détail et elles disposent d'un volant de monnaie fiduciaire à cette fin; il faut temt: compte de cette encaisse si on veut confronter l'encaisse globale de chiffre d'affaires du commerce de détail. Thieme, dans son analyse, déclare s'en tenir à la monnaie détenue par les particuliers; mais ses estimations pour la RDA

retiennent le stock monétaire détenu par les particuliers et les entre­prises (monnaie fiduciaire) car c'est les seules données monétaires disponibles pour la RDA.

Nous avons, dans le tableau II. 3, retenu, dans la composition de la masse monétaire, les dépôts des ménages et la monnaie fiduciai1:e en circulation hors des banques, y compris celle qui est détenue par les administrations et les entreprisesl • En effet, ce gui nous intéresse, ce sont les transactions dans le commerce de détail et non pas la personnalité de leurs acteurs (consommateur ou administration); cela explique les différences qu'il y a entre les chiffres cités ici et les estimations de la masse monétaire utilisées généralement car ces dernières comptabilisent soit seulement la monnaie fiduciaire obtenue par les ménages, soit la monnaie en circulation (dans les ménages ou aussi dans le secteur public) sans comptet: les dépôts liquides.

Les résultats de nos calculs ne laissent place à aucune ambiguïté : K croît dans tous les pays mais à des rythmes variables. Le taux de

1. Pour la Hongrie, il n'a pas été possible, faute de statistiques précises, d'intégrer dans M la monnaie détenue par le secteur public.

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TABLEAU II. 3. - Coeffiâetlts d'el/caisse (I)

RDA Hongrie

l 2 ) 4 f 6 7 8 9 10

B D M P.Q K B D M P.Q K

1960 4,5 17,5 22 45,0 0,49 8,3 5,5 13,8 68,7 0,20

1965 5,2 31,2 36,4 51,1 0,7 1 10,0 20,4 3°,4 89 0,34 1966 5,5 35,0 4°,5 53,2 0,76 II,0 23,0 34 96,4 0,35 1967 5,8 39,0 44,8 55.2 0,81 12,3 24,8 37,1 106 0,35 1968 6,4 43,3 49,7 57,9 0,86 13,8 29,2 43,0 1I2,8 0,38 1969 7,0 48,1 55,1 61,4 0,9° 16,2 35,1 51,2 12.3,6 0,41

197° 7,4 p,2 59,6 64,1 0,93 18,6 42,1 60,6 140,6 0,43 1971 7,7 55,7 63,4 66,6 0,95 20,9 48,4 69,3 153,5 0,45 1972 8,8 59.9 68,7 7°,5 0,97 22,9 54,5 77,4 163,3 0,47 1973 9,2 65,1 74,3 74,6 1,00 26,1 62,0 88,1 178,7 0,49 1974 9,6 7°,2 79,8 79,2 1,01 29,9 7°,8 100,6 200,2 0,5° 1975 10,1 75,3 85,4 81,9 1,°4 34,7 81,2 1I5,9 220 0,53 1976 10,5 80,2 9°,7 85,7 1,06 234,6 1977 Il,3 86 97.4 89.4 1,°9 259,2 1978 Il,9 92 1°3,9 92,5 1,12 282,2

Pologne Tchécoslovaquie

II 12 1) 14 If 16 Il 18 19 20

B D M P.Q K B D M P.Q K

1960 26,3 17,0 43.3 200,4 0,22 7,3 19,6 26,9 94,5 0,28 1965 39,4 52,7 92,1 280,0 0,33 10,Z 35,9 46,1 lIl,8 0,40 1966 44,1 65,1 1°9,2 299,3 0,3 6 II,6 39,8 51,3 117,3 0,43 1967 48,4 78,9 127,3 321,9 0,4° 13,1 45,5 58,6 124,8 0,46 1968 53,3 91,1 144,4 348,8 0,41 16,2 49,4 65,6 142,2 0,46 1969 57,4 105,8 163,2 376,2 0,43 17,3 54,4 71,7 159,3 0,44 197° 58,6 Il 7,4 176,0 396,0 0,44 17,8 64,0 81,8 163,2 0,49 1971 67,3 136,5 20;,8 429,5 °.47 19,5 74,4 93,9 171,7 0,54 1972 78,2 169,9 248,1 484,5 0,5 1 22,0 86,2 108,2 180,1 0,59 1973 96,3 21 3,5 3°9,8 544,0 0,57 24,5 99,4 123,9 19°,9 0,6; 1974 117,2 264,2 381 ,4 612,0 0,62 25,9 108,2 134,1 2°5,2 0,64 1975 141,2 3°7,2 448,4 7°4.4 0,64 27,7 II6,6 144,3 212,2 0,67 1976 9II ,5 3°,3 220,2

1977 983,2 34.0 228,9 1978 241.4

(1) B, D et At sont exprimés cn milliards d'unités monétaires.

Sources: Col. l, 2. 3,4: S. RUDCENKO (jusqu'en 1975), et Statistiscbes Jabrbmb, 1979, p. 218, 253, 254; col. 6. 7 : S. RUDCENKO; col. 9 : Statis-ticeskij ejegodnik stran-llenov SE V, 1971-1975 et 1979; col. II, 12: S. RUD-CENKO; col. 14 : RoCZllik Statystyczny, 1979, p. 314; col. 16 : Statistika Rocenka; col. 17 : S. RUDCENKO; col. 19 : Statisliceskij ejegodnik stran-ë/enov SEV.

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MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE

croissance de K (c'est-à-dire k) est plus fort en Tchécoslovaquie et en Pologne qu'en Hongrie, il est faible en RDA. Cela semble indiquer que l'inflation était plus strictement réprimée en Tchécoslovaquie et en Pologne Gusqu'en 1976) qu'en Hongrie où les prix variaient plus librement et où l'inflation n'était donc pas réprimée (cf. le tableau 1. 1). Depuis 1976, l'inflation est devenue une inflation ouverte aussi bien en Pologne qu'en Tchécoslovaquie comme en témoigne le tableau 1. l du chapitre précédent.

III 1 INDICATEUR DE POUVOIR D'ACHAT INUTILISÉ

Khanelis définit l'inflation comme un excédent de liquidités dans les mains de la population et dans les entreprises dû non pas à un désir d'encaisses mais à un excès de la demande sur l'offre.

Soit D la demande potentielle de la population pendant une année, elle est égale à la somme des revenus monétaires et de l'épargne dispo­nible au début de la période, et soit ° le volume de l'offre de biens de consommation pendant la période considérée, il est égal à la somme du chiffre d'affaires du commerce d'Etat et du commerce privé et de la valeur des biens offerts mais non vendus.

L ,· di d d OCt) 10 ce e couverture de la deman e par l'offre est D(t) et

l'indice d'évolution du pouvoir d'achat, que retient Khanelis, est:

0,- 0, 1 D'_l -"--:=----':....-....:: X - I.

0'-1 Dt - Dt_1

Il est malheureusement très difficile d'estimer D. En effet, d'une part les revenus non salariaux (pensions, revenus kolkhoziens, cer­taines primes, revenus d'activités sur les marchés parallèles, etc.) ne sont pas connus et, d'autre part, les statistiques officielles sur les revenus sous-estiment les revenus monétaires de l'ensemble de la population car elles ne comptabilisent pas les revenus tirés du travail au noir ou sur les marchés parallèles.

De la même façon, l'offre du secteur privé est impossible à chiffrer et le volume de biens de consommation offerts mais non vendus est très difficile à mesurer.

Malgré ces difficultés, Khanelis, qui avait publié plusieurs études

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

sur ce sujet alors qu'il était encore en URSS, estime le revenu monétaire total des Soviétiques (impôts déduits) à 104,1 milliards de roubles en 1960 et 2.59,9 en 1973, ce qui est nettement supérieur à la plupart des évaluations proposées par les autres spécialistes. Cela donne une inflation réprimée sur le marché des biens de consommation (demande monétaire non satisfaite) assez élevée. Selon Khanelis, le pouvoir d'achat du rouble aurait baissé de 2.0,4 % de 1960 à 19731, la demande correspondant aux revenus ainsi calculés augmentant plus vite que l'offre de biens de consommation. Dans la sphère de la population, le pouvoir d'achat du rouble utilisé par les firmes pour leurs transac­tions entre elles aurait baissé pendant la même période de 40 %. Ces taux de baisse de pouvoir d'achat correspondent à des taux de hausse des prix de 2. 5,6 % sur le marché des biens de consommation et de 66,6 % sur celui des biens de production. Cela donne un taux annuel moyen d'inflation réprimée de 1,5 % environ sur le marché des biens de consommation qui s'ajoute aux hausses de prix cachées.

IV 1 CALCUL DES EFFETS DE LA PÉNURIE

DE BIENS DE CONSOMMATION

Un consommateur, qui désire acheter un bien et n'en trouve pas, subit une contrainte égale à la valeur de ce qu'il aurait acheté. Si on savait ce que les consommateurs achèteraient sous leur seule contrainte de budget, on disposerait ainsi de la valeur de la demande non contrainte du consommateur; la différence avec la demande effective peut servir d'estimation de l'inflation réprimée. Khanelis essaie, à partir de normes de consommation établies par des instituts sovié­tiques officiels, de calculer les effets de l'inflation réprimée.

Le déficit de biens alimentaires en URSS en 1973 est (aux prix pratiqués) de 196,9 roubles par tête, soit 9,2. milliards de roubles pour la population totale, c'est-à-dire 2.0 % du revenu monétaire net et 80 % de l'épargne des ménages.

Cet indice présente deux faiblesses : d'une part, les normes de consommation sont toujours incertaines, et, d'autre part, un tel indice ignore, par construction, les substitutions forcées: un consommateur

1. Pour le détail des calculs de Khanelis, cf. J. N. KHANELlS, 1976/23, p. 29.

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MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE 53

TABLEAU 11.4. - Déficit de biens de consommation en URSS

Norme Prix m'IYen th çonsom- ConIom- du kilo- Valeur motion mation gramme du défkit par tête rée"e (en (en (en kg) en I91J roublu) roub/eI)

Viande 82 H 2,6 75,4 Poisson 18 16,1 0,92 1,8 Produits laitiers 433 3°7 0,29 36,5 Œufs (en unités) 292 1°9 0,1 (Pièce) 9,7 Légumes 146 85 0,39 23,8 Fruits II2 4° 0,69 49,7

196,9

Source: J. N. KHANEL1S, 1976/23, p. 23, et 1976/6, p. 30.

privé d'œuf va acheter du lait, etc. Un rouble d'achat forcé de lait par quelqu'un qui aurait préféré un œuf apparaît dans la consom­mation de lait au lieu d'apparaître dans celle d'œufs mais ce rouble est compté dans la consommation de l'agent et n'entre pas dans le déficit total subi par l'agent, alors qu'il y a un déficit d'œufs pour un rouble.

v 1 COMPARAISON DE L'ÉVOLUTION

DU POUVOIR D'ACHAT DES MONNAIES

Laski a calculé un taux d'inflation réprimée pour la Pologne; il compare, sur la période 1964-1973, le taux officiel de hausse des prix (1 1,8 %) à celui de pays comme l'Autriche ou la France et vérifie si les variations de change du zloty en schillings ou en francs sont compatibles avec ces variations relatives de prix.

Ainsi, en 1964, 100 zlotys permettaient d'acheter en Pologne ce qui se vendait 98 schillings en Autriche selon des études sur la consommation dans les deux pays menées par la Commission écono­mique pour l'Europe. L'Office statistique de Varsovie a mené une enquête sur les prix en France et en Pologne, pour l'année 1972, ce qui permet de dire que 100 zlotys en 1972 représentaient un pouvoir d'achat équivalent à 25 FF; le cours moyen du franc par

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

rapport au schilling autrichien a été sur la période 1964-1973 de 100 sch = 23,S9 FF.

Si l'inconnue 7t est le prix, en 1973, d'un panier de biens valant 98 X 147,1 ..

100 zlotys en 1964, on a 100 zlotys = schillings en termes 1t

de parité des pouvoirs d'achat, et 100 zlotys = 25 X 100 schillings 23,59

en termes de taux de change; on en tire 1t = 136, soit un taux d'infla­tion moyen de 3,4 % par an au lieu de 1,1 % officiellement.

La formule de Laski repose sur l'hypothèse que les paniers repré­sentatifs de la consommation restent les mêmes dans chaque pays tout au long de la période envisagée.

Si le taux d'inflation polonais était réellement le taux officiel de variation des prix (II,8 % sur la période 1966-1973), le pouvoir d'achat du zloty par rapport au schilling aurait été de :

98 X 147,1 100 zl = = 128,9 sch.

II 1,8

C'est-à-dire qu'en 1964 100 zlotys représentaient le pouvoir d'achat de 98 schillings et auraient représenté en 1973 celui de 128,9 schillings; en fait ce pouvoir d'achat était de :

98 X 147,1 100 zl = = 104,8 sch,

13 6

soit une détérioration du pouvoir d'achat du zloty de 19,5 % en plus de celle que donne la hausse des prix avouée.

VI 1 ÉVOLUTION DES POUVOIRS D'ACHAT

DES MONNAIES ET DES TAUX DE CH.\NGE

AU MARCHÉ NOIR

li est possible de construire un indice en appliquant directement la théorie de la parité des pouvoirs d'achat. On suppose que le cours du « marché », c'est-à-dire en l'occurrence celui du marché noir (puisqu'il n'y a pas de marché libre des changes dans les pays socia­listes), reflète fidèlement le pouvoir d'achat du rouble (ou du zloty) par rapport à celui de la monnaie contre laquelle il est échangé. Les variations de ce cours sont principalement gouvernées par les varia-

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MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE 55

tions du pouvoir d'achat des deux monnaies. Si on dispose des variations du cours du rouble contre des dollars sur le marché noir et d'un indice des prix américains on peut en déduire les variations d'un indice idéal des prix soviétiques. Des modèles de ce genre ont été utilisés pour la Turquie, les Philippines et l'Inde où il y a (ou il y a eu) un marché noir des devises provoqué par un contrôle des changes assez rigoureux.

Le Pick' s Currency Yearbook donne des relevés périodiques assez précis du taux de change au marché noir du dollar us contre les mon­naies des pays socialistes à l'intérieur de ceux-ci.

Culbertson et Amacher calculent ainsi un premier indice implicite des prixl.

T ABLE_'>.U II. 5 . - Indices implicites des prix de Cu/bertson et Amacher

Tchéco-Bulgarie slovaquie RDA Hongrie Pologne Roumanie URSS

195 2 160,72 80,08 16,35 69,89 1953 85,82 146,86 83,5 1 19,24 68,82 1954 95,87 79,43 106,28 89,°0 3°,94 65,96 1955 100,08 89,9° 126,19 92,82 49,99 61,51 195 6 97,17 9°,02 107,62 1°9,5° 60.49 64,25 1951 121,17 II4,76 102,79 177,97 1°3,3 8 II9,5 2 195 8 100,00 100,00 100,00 100,00 100,00 100,00

1959 89,59 84,97 96,04 80,76 79,25 87,88 1960 94,76 83,60 97,01 81,86 77,16 128,01 1961 9°,3 6 68,93 124,7 2 83,63 64,89 101,95 1962 128,84 72,95 102,25 84,36 81,32 120,99 1963 125,32 87,60 92,69 93,96 82,94 87,82 119,7° 1964 1°3,34 94,22 77,°5 112,14 86,92 96,15 II4,07 1965 97,63 86,82 92,17 1°7,35 89,88 83,55 1°7,°3 1966 102,74 89,15 85,II 1°3,19 89.49 86,01 148,21 1967 1°4,95 99,28 9°,27 II 1,42 97,32 123,5 6 160,31 1968 126,72 122,27 108,07 128,16 123,35 126,36 208,67 1969 130,86 176,89 1I4,75 131,49 13°,10 125,98 223,29 197° 129,24 128,3° 1°7,48 124,81 134.89 134.35 25 6,07 1971 122.25 107,13 1I3.n 1°9.93 II4,83 142,36 245,°7 1972 II5.06 100,88 110,86 II 3,61 93,5° 144.°1 178.74 1973 108,83 94,°7 92•23 1°4,37 88,69 122,66 2°4,9°

Source: W. CULBERTSON et R. AMACHER. p. 387.

1. W. CULBERTSON et R. AMACHER (1978).

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INFLATION ET EMl'LOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

Cet indice est très grossier dans la mesure où il résulte de l'hypo­thèse que les variations relatives de pouvoir d'achat des monnaies des pays socialistes par rapport au dollar sont l'unique facteur de variation du cours du marché noir.

Bien d'autres variables sont essentielles, et notamment les condi­tions d'offre de devises sur le marché noir, c'est-à-dire le nombre de touristes, leur richesse et le désir qu'ils ont de disposer de roubles, zlotys ou forints pour faire leurs achats. Il paraît donc clair que le développement de magasins pour étrangers où les achats se règlent en devises est un facteur d'affaiblissement de l'offre. Pour accepter, du point de vue de l'offre de devises, le principe de l'indice de Culbertson et Amacher, il faudrait faire l'hypothèse que les conditions du tourisme, le nombre de touristes et leur désir d'avoir des roubles ont peu varié sur la période.

Du point de vue de la demande de devises, les conditions requises pour adopter l'indice de Culbertson sont aussi difficiles à retenir. La demande de devises dépend, bien sûr, des parités de pouvoir d'achat des monnaies mais aussi des conditions des transactions sur le marché noir; les pénalités, les sanctions et surtout la probabilité d'être puni ont varié assez fortement d'une année sur l'autre, ajoutant des « primes de risques» (importantes et variables selon les années) au cours « de marché ». Les coûts de transaction (risque, probabilité d'une sanction) sont inclus dans le prix des devises et sont instables. Cela seul suffit à faire considérer avec méfiance tout indice fondé sur la théorie de la parité des pouvoirs d'achat.

Conscients de ces problèmes, mais en en sous-estimant probable­ment l'importance, Culbertson et Amacher ont corrigé le calcul de leUl: indice à partir de l'expérience que donne le change au marché noir, en Yougoslavie, du dinar contre des Deutsche Mark. Comme le taux réel d'inflation de la Yougoslavie apparaît dans les statistiques de prix officielles, qui sont de bonne qualité, il est possible d'estimer le biais général que comporte l'indice brut de Culbertson et Amacher et de calculer un indice « corrigé» pour les pays socialistes autres que la Yougoslavie. Le principe de cet indice corrigé repose sur l'hypothèse que le biais est de la même nature qu'il s'agisse de la Yougoslavie ou de tout autre pays socialiste.

L'indice corrigé de Culbertson et Amacher donne de forts taux d'inflation pour tous les pays socialistes, supérieurs à ceux des pays

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MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE

TABLEAU II.6. - Indice co"igé Je Cu/ber/son e/ Amach6r (taux annuel moyen d'inflation, 1960-1970)

Bulgarie Tchécoslovaquie RDA

Hongrie Pologne Roumanie URSS

Yougoslavie

(1) Taux moyen de 1963 à 1970.

T allX o/!Ï&iel %

1,1 1,2

0,0 0,9 1,2

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57

Source: W. CULBERTSON et R. AMACHER, p. 393.

capitalistes à la même époque, ce qui n'est pas sûr mais pas totale­ment invraisemblable.

Ce qui est plus étonnant, c'est la structure des taux; l'URSS aurait un taux d'inflation moyen en 1960-1970 qui serait plus du double de celui de la Hongrie; la Roumanie aurait aussi un très fort taux d'infla­tion, supérieur notamment à celui de la Pologne!. li n'est pas accep­table de placer la Pologne derrière la Roumanie et l'URSS (par ordre de taux décroissants) ni de donner à l'URSS la place d'honneur. Toutes les estimations et toutes les observations empiriques tendent à placer l'URSS avec le peloton: Roumanie, Tchécoslovaquie, Hongrie. Le «faible» taux de la Pologne s'explique certainement par les conditions assez libérales du marché noir des devises et donc par le fait que les risques de transaction y sont faibles par rapport à ceux des autres pays où les risques encourus sont plus sérieux.

li paraît, en conclusion, que les indices implicites de prix, fondés sur la parité des pouvoirs d'achat des monnaies, sont très contes­tables. lis reposent sur des calculs faits à partir de données livrées par des marchés très étroits. Le marché noir des devises dans les pays socialistes est un marché restreint, très sensible à l'action d'un gros

1. L'ordre de grandeur des taux d'inflation de l'URSS et de la Roumanie est impossible, car ces taux seraient supérieurs aux taux de croissance du revenu nominal, ce qui n'est pas sérieux.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

offreur (ce qui est rare) ou d'un gros demandeur (ce qui est plus fréquent). Les coûts de transaction représentés par les primes sont trop importants et trop instables pour que l'on puisse considérer que le cours des changes sur le marché noir est principalement déterminé par la parité des pouvoh:s d'achat. La correction portée par Culbertson et Amacher à partir du cas yougoslave provient d'une base de calcul trop spécifique pour rassurer sur la valeur de l'indice corrigé.

Il n'en demeure pas moins que la construction de ces indices implicites de prix est une tentative intéressante; les résultats, c'est-à­dire les taux d'inflation calculés, ne sont pas acceptables à l'état brut mais certaines de leurs caractéristiques sont à retenir; en particulier la dispersion des taux d'inflation et le fait qu'aucun taux ne soit très bas paraissent plausibles et caractéristiques d'une période de forte croissance des revenus accompagnée d'une croissance moins soutenue de l'offre de biens de consommation.

VII 1 QUEL EST LE TAUX RÉEL D'INFLATION

DANS LES PAYS SOCIALISTES?

Il nous semble avoir amplement démontré l'existence d'une inflation ouverte, cachée et réprimée, dans les pays socialistes; mais il n'est pas possible de trouver de mesure correcte de l'ensemble du phéno­mène parce qu'il est impossible de proposer un indice d'inflation réprimée satisfaisant. Cette impossibilité a deux causes, l'une statis­tique et l'autre théorique; la première est que, même si on définissait un indice, on ne pourrait le calculer en raison du manque de données fiables. La seconde cause tient à ce que la théorie économique n'a pas réussi à identifier la caractéristique de l'inflation réprimée qu'il convient de retenir et de mesurer. Dans le cas d'inflation par les prix on retient un indice des prix de détail dont l'évolution mesure l'infla­tion; cet indice est lui-même théoriquement discutable comme en témoignent toute la théorie des indices de prix et l'argumentation, que nous avons analysée, de Konjus et Alchian. Pour l'inflation réprimée, les doutes sont encore plus grands: l'épargne forcée peut-elle servir à mesurer l'inflation réprimée? Dans ce cas, quel indice d'épargne retenir?

Comme nous l'avons souligné, l'épargne forcée n'est pas une carac-

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MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE 59

téristique nécessaire de l'inflation réprimée; les autres indicateurs sont encore plus douteux et surtout sont en général inutilisables compte tenu de l'état des données statistiques.

Une autre difficulté vient de ce que l'inflation réprimée n'est pas la seule forme d'inflation, elle coexiste avec une inflation cachée et une inflation ouverte. Dans ces conditions, comment obtenir un indice général d'inflation?

Toute réponse est arbitraire; on peut, sous cette réserve, se demander quel serait, pays par pays, le taux de hausse des prix vrai­semblable si la demande excédentaire se résorbait par des mouvements de prix: c'est un indice implicite de tension sur les prix. Remarquons qu'en France (au moins avant 1978) l'indice des prix (celui de l'INSEE ou tout autre indice) n'est pas un indice d'inflation mais un indice de coût de la vie en ce sens que certains prix, étant administrés, ne mon­tent pas spontanément pour résorber la demande excédentaire; les jours de hausse des tarifs publics, l'indice des prix fait un bond mais peut-on dire qu'il y a eu 3 % d'inflation tel jour et 0 % pendant les jours précédents? Un indice de coût de la vie et un indice de demande excédentaire ne sont pas la même chose même si à long terme leurs mouvements coïncident comme c'est le cas dans une économie capi­taliste avec contrôle des prix. Pendant les périodes de contrôle des prix l'indice d'inflation est supérieur à celui du coût de la vie et pen­dant quelques très brèves périodes (celles des ajustements de tarifs et de prix) l'indice de coût de la vie saute au-dessus de celui d'infla­tion. Sous toutes ces réserves, guels résultats très approximatifs tirons-nous des analyses des deux premiers chapitres?

L'inflation réelle est la somme de trois éléments: la hausse officielle des prix, les hausses de prix cachées et l'inflation réprimée. Si le taux officiel de hausse des prix est connu (notre tableau 1. 1), nous devons nous contenter d'approximations grossières en ce qui concerne l'infla­tion cachée et l'inflation réprimée.

A propos de l'inflation cachée, les analyses que nous avons men­tionnées font apparaître un taux annuel d'inflation cachée, pour la décennie 1970-1980, d'au moins 1 % en URSS et en Tchécoslovaquie, de plus de 2 % en Hongrie et en Pologne et de moins de 1 % en RDA. Nous n'avons pas de données comparables pour la Roumanie et la Bulgarie que nous pouvons ranger, un peu arbitrairement, avec le peloton « moyen}) formé par l'URSS et la Tchécoslovaquie.

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60 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

L'inflation réprimée ne peut, elle aussi, être mesurée directement, mais il est raisonnable de l'estimer, pour la même décennie 1970-1980, à au moins 1 % par an dans tous les pays socialistes, ce taux étant largement dépassé en Pologne, en URSS et en Hongrie.

Il est donc clair que pour obtenir des taux minimaux d'inflation réelle, il convient d'ajouter aux indices officiels de hausse des prix des taux annuels d'au moins 1,5 % (RDA), voire de 5 % (pologne). Cela donne ainsi, pour l'année 1979, des taux réels minimaux de 1,5 % en RDA, 6 % en Tchécoslovaquie, 10 % en Pologne, 12 % en Hongrie et 3,5 % en URSS.

On peut constater que la RDA est le pays où la seule forme d'infla­tion notable est l'inflation réprimée, c'est aussi le pays où les indices d'encaisse forcée montrent le plus fort taux de croissance et où les subventions aux prix sont les plus fortes, et donc où les prix de détail sont les mieux tenus; c'est le dernier pays à pratiquer une gestion à l'ancienne (ou à la Staline) de la demande excédentaire.

A l'issue de cette première approche, il apparaît que les principales caractéristiques de l'inflation dans les économies socialistes sont les suivantes:

1) Les taux d'inflation augmentent à partir de 1976 dans tous les pays. Les taux de la période 1965-1975 seraient nettement inférieurs aux estimations que nous avons données pour 1979,

2) Cette flambée inflationniste coïncide avec un ralentissement de la croissance dans tous les pays et avec l'abandon des objectifs ini­tiaux des plans quinqu~nnaux 1976-1980.

3) L'inflation touche aussi bien des pays exportateurs d'énergie (la Pologne) que des importateurs (RDA, Tchécoslovaquie).

4) Il Y a une forte dispersion des taux d'inflation, certains pays étant beaucoup plus atteints que d'autres.

5) La part de l'inflation réprimée dans l'inflation totale varie selon les pays et selon les périodes.

Il est incontestable que les quatre premières caractéristiques s'observent aussi dans les pays capitalistes; on est alors amené à se demander si ces mêmes effets proviennent des mêmes causes; c'est un des thèmes de recherche des chapitres suivants.

L'inflation socialiste présente néanmoins une spécificité essen­tielle : la part de l'inflation réprimée dans l'inflation totale. Cela laisse

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MESURES DE L'INFLATION RÉPRIMÉE 61

penser que l'inflation réprimée joue peut-être un rôle régulateur dans le fonctionnement d'une économie socialiste; cette question sera abordée dans le chapitre suivant.

Une autre constatation intéressante est l'instabilité relative de cette part de l'inflation réprimée. Une inflation ouverte élevée peut succéder à une forte inflation réprimée; c'est le cas lorsque le gouvernement révise les prix brutalement, la hausse des prix peut s'accompagner d'une baisse des achats de ménages et il est possible qu'une année de demande globale excédentaire soit suivie par une année d'offre excé­dentaire (aux nouveaux prix); on peut citer l'exemple de la Pologne en 1974.

Une théorie de l'inflation en économie socialiste doit donc expli­quer non seulement l'existence de l'inflation (c'est le plus facile), mais aussi les différences dans la structure de l'inflation totale, c'est-à-dire la « préférence» pour l'inflation réprimée dans certains pays, le biais vet:s l'inflation cachée dans d'autres et la résignation à l'inflation ouverte en Pologne et en Hongrie ainsi que le glissement vers ce troisième groupe de la Roumanie et de la Tchécoslovaquie.

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3

LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE

les inflations soviétiques, 1920-1940

L'objet de ce chapitre est de montrer que l'inflation réprimée n'est pas apparue par hasard ou par application d'une théorie soigneuse­ment mûrie par des doctrines académiques. L'inflation réprimée est l'aboutissement d'un processus assez long de tentatives variées de politique économique. Les années 1920 se sont caractérisées, en URSS,

par une forte inflation, ce qui a conduit les théoriciens à chercher des formes de calcul sans monnaie. Le développement des théories du socialisme sans monnaie coïncide avec les pics de l'inflation. D'autres chercheurs (ou les mêmes) et des hommes d'Etat ont cherché les règles d'une stabilisation monétaire : couverture-or ou converture­marchandises. Le choix, fait par Staline, d'une affectation planifiée des ressources à partir de 1928 a limité l'éventail des types d'institu­tions monétaires possibles et, à part l'impossible économie sans mon­naie, il ne restait qu'un mode d'institutions compatible avec la plani­fication impérative en volume; c'est celui-là qui a émergé des réformes monétaires de 1930 à 1947. Les idéologies, les doctrines abstraites n'ont eu aucune influence et ont été réinventées après coup.

En matière monétaire, les débats théoriques des années 20, guidés par l'expérience quotidienne des théoriciens et non par une idéologie préexistante, ont été d'une rare richesse, ils ne peuvent être comparés qu'à ceux qui avaient animé la vie intellectuelle et politique anglaise des années 1800 avec Ricardo, Torrens, Thomton, etc., et qui avaient débouché sur la théorie moderne du rôle de la Banque centrale. Les débats soviétiques sont mal connus, il n'existe aucune étude appro-

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

fondie sur la pensée monétaire soviétique de 1918 à 1947 (date de la dernière réforme monétaire importante) et pourtant on ne peut comprendre les institutions monétaires, le rôle des prix de détail, et l'inflation réprimée sans une connaissance historique sérieuse des origines de cette pensée monétaire.

1 1 INFLATION ET MONNAIE (1918-1923)

En décembre 1917, toutes les banques furent nationalisées et réunies en une banque du peuple (Narodnyj bank) chargée de gérer les fonds déposés obligatoirement par les secteurs nationalisés.

Pendant la guerre civile, les « communistes de gauche », suivant Preobrajenski, réclamaient une émission fiduciaire accrue; Schmidt dit au Congrès des Soviets de l'économie nationale du 19 mai 1918

qu'il ne faut pas craindre un excès de quantité de monnaie!. La perte de valeur de la monnaie affecterait en priorité la bourgeoisie et les paysans, les ouvriers et les soldats pouvant être payés en coupons de travail ainsi que le préconisait Rozentuk2• Atlas rapporte que des projets du même type étaient suggérés dans des revues provinciales (y compris du Turkestan)3.

En janvier 1920, la banque du peuple fut fermée et ses pouvoirs furent transférés au Commissariat du Peuple aux Finances. C'est après la fin de la guerre civile que le problème du choix entre une économie sans monnaie et une économie monétaire se posa. Lorsque Lénine trancha, en juillet 1921, en faveur d'un système d'échange monétaire il fallait mettre en place des institutions et trouver un personnel compétent. Lénine choisit la voie de la consolidation financière la plus traditionnelle et fit appel à des spécialistes bourgeois pour reconstituer un système bancaire. Ainsi Kutler, ancien ministre du Tsar, devint un des dirigeants de la Gosbank jusqu'à sa mort en 1924.

L'année 1920 vit se poursuivre la politique d'émission monétaire laxiste de la période de guerre. La circulation monétaire passa du 1er janvier 1920 au 31 décembre de la même année de 225 milliards à 1 169 milliards de roubles pendant que l'indice des prix passait

1. On trouve les débats de ce congrès dans Narodnoje Khozjajstvo, 1918/4. 2. Dans Izvestija vyûhego Jovela narodnogo Khozjajslva, 1918/6. 3. Z. ATLAS (1969), p. 90.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE

(1913 = 1) de 2. 420 à 168001 ; ce mouvement s'accéléra en 1921

(cf. tableau li) à tel point qu'une grosse partie des échanges se faisait sans monnaie et les trocs les plus variés se développèrent, notam­ment entre entreprises, et les entreprises d'Etat communiquaient finan­cièrement par des jeux d'écriture comptable. L'instauration de la NEp2,

en 192 l, fut une source de perturbation pour le secteur nationalisé qui, au lieu de ces jeux d'écriture, dut trouver de la monnaie pour payer des achats. Ainsi, l'émission monétaire fut accélérée et, d'octobre 1921

à avril 1922, la circulation monétaire s'accrut très rapidement. De décembre 1921 à mars 1922, le taux de croissance mensuel des émis­sions de la Gosbank était de 69 % et celui des prix de 102 %, et le mouvement ne cessa de s'amplifler.

En octobre 192 l, la Banque d'Etat (Gosbank) fut créée sans avoir le monopole d'émission fiduciaire; elle ouvrit, dès la fin 1921, des succursales dans toutes les villes importantes du pays. Les billets qu'elle émettait n'avaient pas un cours fixe en or et l'or fut thésaurisé tandis que la demande d'or croissait continûment; l'or circule d'ail­leurs pendant toute la période de la NEP sous forme de lingots ou de pièces anciennes. Les entreprises d'Etat elles-mêmes préféraient être payées en monnaie de l'époque tsariste ou en devises étrangères en raison de l'hyperinflation de 1922.

II 1 LES THÉORIES DE L'ÉCONOMIE SANS MONNAIE

1 / Les précurseurs : Boukharine et Preobrcdenski

Boukharine et Preobrajenski étaient, en 1917, les meilleurs écono­mistes marxistes bolcheviques (la nuance est importante compte tenu du nombre d'intellectuels mencheviques). lis furent chargés, pendant la guerre civile, d'écrire un manuel d'économie, compréhensible pour un non-universitaire, où seraient décrits les principes de fonctionne­ment de la société à construire. L'ouvrage appelé ABC dt, communisme témoigne d'une imagination et d'une rigueur de raisonnement qui

1. Cf. R. W. DAVIES, The Deve/opment of the soviet budgetary system, Cambridge, 1958, p. 31 •

z. La NEP (Nouvelle Politique économique) fut une période de restauration des échanges marchands et de réhabilitation de l'initiative privée.

F. SEUROT 3

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66 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

préfigurent la profondeur des débats économiques des années zoo On y trouve une description de la Banque centrale, devenue banque unique ayant un rôle comptable, qui évoque irrésistiblement la réforme de 1930; il est permis de dire que bien des principes de l'éco­nomie financière soviétique d'après 1930 se trouvent dans les écrits de guerre de Boukharine et Preobrajenski.

Dans L'ABC du communisme, les auteurs définissent la monnaie comme une traite sur un produit1. La circulation monétaire est donc une manifestation de la circulation des biens. Dans un Etat socialiste, le système bancaire doit être nationalisé et les opérations bancaires être monopole d'Etat. L'Etat doit conserver un système bancaire comme bureau des statistiques de production et comme appareil de financement.

Pour Boukharine et Preobrajenski, la banque doit finalement devenir unique et se transformer en un « bureau central de comptabi­lité de la société communiste ». C'est donc l'aspect reflet ou négatif (au sens photographique) de la circulation des biens qui doit subsister quand l'Etat ne sera plus qu'une administration économique.

Dans le régime communiste la monnaie doit disparaître, car il n'y aura aucun besoin de distribuer aux travailleurs des signes monétaires témoignant du travail qu'ils ont effectué. La monnaie ne sera plus nécessaire pour acheter un bien. L'échange ne sera plus marchand. En régime socialiste cependant, la monnaie reste nécessaire, ne serait-ce que pour les producteurs-acheteurs qui ne sont pas encore intégrés dans la communauté productive centralisée.

« Dès le commencement de la Révolution socialiste la monnaie perd peu à peu de sa valeur. Les entreprises nationalisées ont une caisse commune et ne procèdent à aucun échange monétaire. » L'échange direct supplante pro­gressivement l'échange monétaire dans le commerce privé et l'agri­culture. Le troc bilatéral devient la règle et est présenté comme un progrès car il limite l'échange. « L'acheteur ne peut recevoir du blé que contre des produits manufacturés »2. li faut que celui qui n'a rien produit ne puisse rien recevoir contre de la monnaie. La monnaie déperson­nalise l'échangiste et c'est ce qui est refusé. Ainsi, la monnaie disparaît progressivement au cours du développement de la société socialiste.

I. ABC du (OOlOlUllÙ0l8, « Petite Coll. Maspero », p. I50 sqq. 2.. ABC du (OOllllUnÙme, p. 152..

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE

2/ La reçherçhe J'unités Je travail non moné/aires

Après la guerre civile, l'hyperinfiation provoque un regain d'intérêt pour les théories du fonctionnement d'une économie non monétaire. C'est d'ailleurs ce débat qui marque les débuts de la carrière de Wein­stein, qui sera vers 1960 un des chefs de file de l'école d'économie mathé­matique après avoir passé plus de vingt ans de sa vie dans un camp de prisonniers en Sibérie. Weinstein1, en 192.0, prônait le calcul direct (sans monnaie) de coefficients d'efficacité pour les branches. Ces coeffi­cients exprimaient la quantité de ressources matérielles nécessaire pour la production d'une unité de bien, des coefficients pour chaque branche permettaient de comparer l'efficacité des diverses entreprises de chaque branche, mais pas de comparer les branches ni d'orienter l'activité générale.

Un important courant de pensée cherchait à définir une unité de mesure simple et générale pour orienter la planification; son repré­sentant le plus connu est Strumilin2•

L'objectif était de dégager des méthodes de planification et le recours à un système de prix monétaires paraissait inopportun à Strumilin« dans les conditions actuelles »3.

Cela ne signifie pas nécessairement que l'usage de la monnaie était récusé pour l'échange mais que les calculs des planificateurs devaient s'effectuer à partir d'un étalon de mesure du travail. Atlas interprète d'ailleurs largement la pensée de Strumilin et des défenseurs de l'étalon-travail de 192.1; il est convaincu que ces auteurs se seraient ralliés à un système de prix monétaires si la monnaie avait été stabi­lisée'. Les écrits postérieurs de Strumilin autorisent, sans aucun doute, cette interprétation.

Strumilin, en 192.1, proposait comme unité le « tred » (/ruJo­eJinÏGa) défini comme la valeur du produit de travail d'un travailleur normal de catégorie « un » accomplissant sa norme de travail et 1 000 treds font 1 kilotred. En fait les treds sont une forme de mon­naie-travail très proche de certHicats fiduciaires donnant droit à la

1. Ndrotinojl Khozjdjslllo, 191.0/15-16. 2. S. STB.UMILIN, Problemy trudovogo uéeta, in VlShÙJ: TrwI4, 1921, nO 1-2. 3. Problemy, p. 65. 4. Z. ATLAS (1969), p. 146. Z. Atlas a été un des principaux théoriciens soviétiques de

la monnaie.

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68 INFLATION ET E.,.\iPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

livraison de biens de consommation; ils sont assez éloignés de l'étalon de travail : unité de travail abstrait. lis expriment le travail concret d'une branche et d'une entreprise.

Le « tred » n'est pas une mesure générale de la valeur et le texte du projet de décret établissant le tred montre clairement que le tred était finalement une unité de salaire, plus ou moins arbitraire, et non le moyen de comparer les résultats de production des branches diffé­rentes. Les difficultés, soulevées par les différences de conditions techniques entre les entreprises, n'étaient pas résolues ni même aperçues. On avait simplement établi une nouvelle unité monétaire pour le paiement des salaires dans la mesure où ces treds prenaient la forme de papiers anonymes. En principe, les treds ne devaient pas être librement transmissibles et on pouvait envisager de leur donner l'aspect de carnets nominatifs; cela assurait la répartition des biens selon les efforts productifs de chacun. Les difficultés pratiques décou­ragèrent les courants les plus durs. Si les treds étaient des billets ano­nymes, quelles pourraient être la politique d'émission et la politique des prix exprimés en treds puisqu'en même temps circulaient des billets en roubles permettant d'acheter aussi des biens?

Il était clair que l'on était retombé dans des problèmes purement monétaires et qu'il était plus simple d'ajourner le projet pour se consacrer à la stabilisation monétaire; de toute façon le projet de loi établissant les treds fut achevé en mai 1921 alors que s'amorçait le passage à la NEP.

En juillet 192 l, Lénine dit dans un discours au Presidium du VSNKh (Comité de l'Economie nationale) : « Nous devons retourner à la forme monétaire d'échange. »

Des treds il est resté l'idée, reprise après la NEP, que l'on pouvait envisager un système dualiste où coexisteraient un secteur non moné­taire, où les prix des biens et les salaires seraient exprimés en unités de monnaie-travail, et un secteur libre, où les échanges se feraient en monnaie normale.

li faut souligner qu'à côté des courants idéologiquement parti­sans d'une économie sans monnaie de nombreux économistes, crai­gnant l'incertitude attachée au calcul monétaire par l'inflation, cher­chaient à définir des étalons stables de la valeur ou plus simplement des unités stables de salaire.

Durant la NEP, les trotskystes défendaient la thèse du dépérisse-

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE

ment de la monnaie et de l'affaiblissement de l'agriculture pad'inflation. Atlas fut, rétrospectivement, très sévère à l'égard de ces « a-moné­

taristes » et écrivit : « Aucun Etat, même prolétaire, ne peut se jouer du marché et on ne peut tromper les lois objectives de la circulatiolz IRonltaire »1.

Les théoriciens de l'économie sans monnaie perdirent, à la fin de 192.1, leur influence alors qu'à l'origine le courant inflationniste anti-monnaie était puissamment représenté au Commissariat du Peuple aux Finances, où Schmidt s'opposait ouvertement à la stabilisation monétaire, car l'émission abondante de papier-monnaie lui paraissait seule capable d'asseoir la dictature du prolétariat2• En janvier 192.2.,

Lénine éloigna Schmidt de la direction des Finances.

III 1 LES CAUSES DE L'INFLATION ET L~ DÉBAT

SUR LA COUVERTURE-OR DE LA MONNAIE

En 192.2., le système bancaire se développe. Une banque coopéra­tive de crédit, créée à la fin de 192.1, la Pokobank, s'élargit et devient la V sekobank tandis que naît une banque d'Etat de crédit à long terme, la Prombank. Par ailleurs, de nombreuses banques privées apparais­sent ainsi que des banques appartenant à des collectivités locales ou à des coopératives. TI devenait nécessaire de définir une politique d'émission de la monnaie.

Une polémique assez vive opposa Sttumilin au Commissariat aux Finances et à son chef Sokolnikov. Strumilin défendit l'idée d'une couverture-marchandises de la monnaie afin de stabiliser au lieu de chercher à retrouver une couverture-or. La thèse de Sttumilin était nouvelle pour les économistes russes et se nourrissait de l'exemple austro-hongrois qui montrait qu'une monnaie peut être stable sans circulation d'orS.

Sttumilin et Sokolnikov sont d'accord sur un point capital, l'émis­sion monétaire ne doit pas servir à couvrir le déficit du budget de l'Etat, mais ils s'opposent sur la couverture de la monnaie; pour

1. Z. ATLAS (1969), p. 154. 2. J. M. KEYNES voyait dans la politique d'émission soviétique la première tentative

volontaire systématique de financer la croissance par l'impôt qu'est l'inflation (prélèvement sur les consommateurs). Cf. A Tra&t on Monetary Riform, 1924, éd. McMillan, 1971, p. 38.

3. L'article de S. STRUMILIN est paru dans EIconomiëesleajd Jizn' du 1-6-1922. Il est repris dans Nd Planovom Frontje.

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INFLATION ET E.\iPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

défendre la couverture-marchandises Strumilin fait référence à Irving Fisher : « ... nos méthodes de stabilisation doivent être dans J'esprit des idées d'I. Fisher et de la politique autrichienne »1. La doctrine de la couverture­marchandises fit très vite son chemin dans les milieux académiques soviétiques où on insiste toutefois sur le fait que la couverture-mar­chandises n'implique pas la rupture de tout lien entre la monnaie etl'or.

En septembre 1922, le rouble s'effondre et fut dévalué fin 1922 au taux de 1 rouble 192; = 1 million de roubles 1921. Une nouvelle monnaie est créée: le« tchervonetz », sur la base de 1 tchervonetz = 10 roubles.

L'idée de nombreux responsables était de faire une monnaie gagée sur l'or quoique non librement convertible comme en témoigne l'importance de la contrepartie or de son émission à l'origine2• A l'automne 1922, la politique de crédit repose sur une comptabilité en or; les comptes se font partout en or, y compris ceux de la Gosbank pour les crédits aux exportations.

Le tchervonetz se substitua à l'or comme unité de compte dans les opérations de crédit. Aussi, lorsque le tchervonetz se dévalorisa en mai 192;, de nombreuses entreprises furent touchées; certaines branches de l'industrie légère obtinrent des prêts bon marché; ainsi le textile fut financé par un consortium bancaire (Gosbank, Prom­bank, Mosgorbank et Roskombank), le crédit bancaire resta favo­rable à l'industrie légère jusqu'à la fin de 192; où il se tourna vers l'industrie lourde. La sélectivité des crédits a été mise en cause, notam­ment par Falkner qui accusait les banques de favoritisme. L'opposi­tion était nette entre ceux qui défendaient une politique de crédit à court terme comme seul gage d'émission monétaire et les « indus tria­listes », plus nombreux, qui trouvaient le::. échéances du crédit trop courtes par rapport à la durée d'arrivée à maturité des investissements. Les premiers étaient, en général, favorables au crédit à l'industrie légère qui pouvait rembourser plus vite ses emprunts; les seconds craignaient une politique d'émission restrictive qui interdirait le finan­cement des investissements à long terme. Remarquons que le prin­cipal client des banques, l'industrie d'Etat, n'a pas fait montre d'une grande exactitude dans le paiement de ses dettes.

1. S. S'I'RUMILIN, Na Planal/om Fronfjl, p. 66. 2. L'émission de tchervonetz devait être couverte par des réserves d'or à concurrence

d'au moins 25 %.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE

Nous sommes bien renseignés sur cette période grâce à la qualité des statistiques produites. Groman, directeur de la section statistique et économique du Gosplan, organisa un travail considérable de collecte statistique, y compris de statistiques monétaires, qui s'ajoute aux recherches du Bureau central de la Statistique auprès du Conseil suprême de l'Economie publique; il y a d'ailleurs parfois des diver­gences entre ces deux sources de données.

il apparaît qu'au cours de l'hyperinflation de 1922 le stock réel de monnaie est resté assez stable; il a baissé de 18 % de janvier à décembre en utilisant comme déflateur l'indice des prix de l'Institut de Conjoncture de Bazarov et Kondratjev1• Cela signifie que la masse monétaire a augmenté moins vite que le niveau des prix.

Cette stabilité de MIP n'a pas été remarquée des observateurs soviétiques à l'exception de Derevenko et de Sttumilin2• Ce n'est que dans ses publications d'après guerre qu'Atlas la soulignera; mais Keynes en avait fait dans le Tract on Monetary reforlR (1924) un exemple de la stabilité de la masse monétaire en termes réels.

La baisse du tchervonetz s'explique par la baisse de sa couverture en or et en devises ainsi que par l'augmentation de la contrepartie titres au bilan de la banque centrale. Si les partisans de la couverture­or sortaient renforcés de l'année 1923, les théoriciens de la couverture­marchandises n'en furent pas ébranlés, car la plupart d'entre eux, comme Sttumilin, étaient des quantitativistes convaincus et pour eux la valeur de la monnaie dépend du rapport entre la quantité de marchandises disponible et la masse monétaire.

Le Commissariat aux Finances (c'est-à-dire le ministère dans la terminologie de l'époque) mena campagne à la fin de 1923, quand le sort du tchervonetz parut compromis, en faveur de la création d'un rouble-or. Toute la période qui précède la réforme de février-avril 1924 est marquée par une incessante polémique dans les revues Ekonomi­éeskaja Jizn' et EkonO!lJincskejc Obozrenijc3• La progressivité de la mise en place de la réforme permit à ces débats de se prolonger tout

J. Bazarov ainsi que Groman étaient des mencheviks qui mirent en place avec Kon­dratjev (non marxiste) les recherches macroéconomiques en URSS dans les années 2.0.

Kondratjev s'est, par ailleurs, rendu célèbre par sa théorie du cycle économique. 2.. Cf. N. DEREVENKO, dans Bk. Ob., I923/2.; la théorie de Strumilin est exposée

plus loin dans ce chapitre. 3. En abrégé Bk. Ob. et Bk. J.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

au long de l'année 1924 enrichis cependant d'une analyse de l'inflation de 1922-1923 appuyée sur les données statistiques de l'Institut de Conjoncture et du Bureau central de la Statistique.

IV 1 DÉVELOPPEMENT ET DÉCLIN

DE L'ORTHODOXIE MONÉTAIRE

LES GRANDS DÉBATS MONÉTAIRES, 1924-1929

l / La réforme de 1924 et la controverse Stlr la nécessité d'un rot/ble stable

Le décret du 5 février 1924 crée une nouvelle monnaie: le rouble­or émis par le Trésor sous forme de billets de l, 3 et 5 roubles-or non convertibles en or. Le cours du rouble-or fut fixé à 1 rouble-or de 1924 = 5°000 roubles 1923 (soit 50 millions de roubles 1921).

Le décret du 14 février 1924 arrête l'émission de sovznaks (cou­pures émises par le Trésor) et décide la destruction des réserves de sovznaks. Le 1er mars 1924, le volume des sovznaks en circulation était de 81 milliards de milliards de roublesl •

Les tchervonetz furent émis jusqu'en décembre 1924 au cours de 1 tchervonetz = 10 roubles2• En décembre 1924, fut menée une politique de déflation d'inspiration quantitativiste. L'émission des tchervonetz fut arrêtée et on retira 37 millions de roubles de la cir­culation. L'évolution de la circulation monétaire avait été la suivante: 130 millions de roubles au 1 er janvier 1923 (y compris les tchervonetz), 306 millions au 1er janvier 1934 (dont 237 millions en tchervonetz) et au 1 er janvier 1925 la circulation était de 750 millions de roubles-or3•

La suppression des sovznaks s'était accompagnée d'une création importante de roubles-or en 1924 mais ce n'était pas cher payer pour se débarrasser de ces 81 milliards de milliards de roubles-sovznaks.

Le débat sur les causes de l'inflation et les moyens d'en sortir opposa ceux qui, depuis 1920, réclamaient un rouble-or et eurent largement gain de cause lors de la réforme à ceux qui voulaient que le rythme d'émission soit réglé sur l'évolution de la production. Cette seconde école se subdivise entre les doctrinaires de l'équilibre budgé-

I. z. ATLAS (1969), p. 22).

2. z. ATLAS el al. (1947), p. 17).

3. Cf. N. LIOUBlMOFF (192). On n'inclut pas, bien sûr, les sovznaks.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE 73

taire qui voient dans le déficit budgétaire la principale cause d'inflation parce qu'il est financé par la création de monnaie (de sovznaks en particulier) et les théoriciens du système bancaire pour qui les méca­nismes d'escompte et le financement monétaire de crédits à moyen terme sont les responsables de l'inflation. Shanin1 exprime assez bien cette dernière position: il admet un certain taux d'inflation pour financer les dépenses publiques, mais, en dehors de cela, l'émission monétaire doit suivre la création de biens. Ce n'est pas le cas parce que la monnaie créée ne finance pas seulement des crédits vraiment productifs, il y a des biens qui ne seront pas vendus dans des délais rapides si jamais ils le sont. Shan in cite son expérience en Ukraine; d'octobre 1923 à février 1924, l'industrie charbonnière a multiplié par 24 son endettement sans accroître sensiblement sa production. Cette politique de crédit à l'industrie lourde de la fin 1923 avait donné satisfaction aux « industrialistes » qui rejetaient la priorité au crédit à court terme à l'industrie légère. Les excès des « industria­listes» alarmaient Shanin qui, toute sa carrière durant, mena une dure lutte contre les défenseurs de la priorité à l'industrie lourde. Ainsi, il met en cause la planification du crédit; le crédit accroît la demande, notamment de biens intermédiaires, sans accroître toujours l'offre de biens vendables. « Comment est construit le plan de crédit? De façon à accroître la prodttction des branches où on prévoit une insuJlisance de biens 011 pour pousser de façon chaotique les branches tfJant des stocks considérables? »2.

Ce point de vue est combattu par les défenseurs de l'industrie lourde qui refusent que la politique de crédit soit mise en cause; Radeckij, par exemple, nie qu'il y ait une relation entre le crédit et l'inflation car le crédit a un effet sur l'offre de biens3•

Le rôle du déficit budgétaire dans l'inflation et surtout celui de son financement par création monétaire ont été mis en relief par les économistes du Commissariat aux Finances: Henzel et Shaposhnikov (économistes « bourgeois », c'est-à-dire non marxistes). En face, les défenseurs du déficit font valoir qu'il est impossible de financer autrement que par création monétaire les grosses dépenses publiques.

Encore plus éloignés de l'orthodoxie budgétaire que les partisans du déficit, certains auteurs pensent que l'inflation n'est pas un si

I. L. SHANIN, Voprosy kredimogo plana, Bk. Ob., 1924/13. 2. L. SH.\NIN, Bk. Ob., 1924/13, p. 19. 3. F. RADECKI], Kredit j ceny, Bk. Ob., 1924/8.

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74 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIAUSTES

grand mal. li faut citer un curieux article de Blum1 paru dans Ekono­miceskoje Obozrenije avec une mise en garde de la rédaction qui précise qu'elle n'est pas d'accord avec l'auteur. Blum y souligne le rôle des anticipations dans l'inflation; pour se prémunir des hausses des prix futurs, les marchands augmentent leurs prix. Cette idée se trouvait déjà répandue parmi les économistes soviétiques; mais Blum en conclut que la réforme est condamnable, car elle impose des sacri­fices aux entreprises qui ont peu de liquidités pour faire face à ces anticipations pessimistes. Les causes de la hausse des prix résident plus, selon Blum, dans les coûts élevés dus au retard de l'URSS que dans la politique de crédit. Une politique déflationniste aura un effet dépressif durable, selon Blum, parce que les firmes ont « faim» de monnaie pour payer les coûts élevés d'industrialisation. Exprimée plus correc­tement, cette idée de financer par l'inflation une industrialisation rapide allait faire son chemin; elle avait déjà été exposée, sous une forme différente, par des communistes « de gauche» dès 192.0 et appliquée dans les faits, de 192.0 à 192.2..

La réforme de 192.4 n'alla pas jusqu'à créer un rouble convertible en or; pourtant le Commissariat aux Finances ne semblait pas y être hostile. Loevecki (économiste du Commissariat aux Finances) écrivit2 que, sans un véritable rouble-or, l'inflation ne pourrait être maîtrisée que par une administration des prix et que les prix non contrôlés augmenteraient très vite; cette prise de position lui valut une réplique cinglante de Strumilin3, vigilant gardien de la couverture­marchandises, qui trouvait ridicule de dire qu'il y aurait inflation sur le pain mais pas sur le sucre. Strumilin devait quelques mois plus tard améliorer son analyse de l'inflation réprimée. Le débat glissa aussi vers la controverse plus large entre partisans de la planification et partisans du marché. Une bonne partie des économistes du Commis­sariat aux Finances désiraient un rouble-or fort parce que c'était la condition d'un bon fonctionnement de marché. Ainsi, Volin qualifie toute tentative d'opposer le plan au marché de « très nuisible et très dangereuse alchimie planifiée », la fixation administrative des prix ne pouvant être l'alpha et l'oméga de la réforme monétaire; on ne peut, écrit-il, stabiliser le rouble d'un trait de plume. Les parti-

I. A. BLUM, Denejnaja reforma i promyshlennost, Bk. Ob., 1924/5. 2. Bk. J., 10-5-1924. ;. Bk. J., 4-6-1924.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE 75

sans du plan vont répondre à ces attaques en proposant une théorie de l'inflation réprimée et de la primauté du plan sur les rapports de marché!.

2 / La stabilité monétaire est-elle un obstacle à /'indtlstrialisation (Ij24-Ij26) ?

Le succès de la réforme de 19Z4 est incontestable; même si la stabilisation des prix de 19z4 à 19z8 est en partie due à des contrôles administratifs des prix et à la réduction du déficit budgétaire réclamée et obtenue par le Commissariat aux Finances, le rôle des facteurs purement monétaires ne peut être minimisé et le commerce intérieur prend un essor remarquable. Les années 19z5 et 19z6 marquent l'apogée de la NEP et de la libre entreprise en économie socialiste, la part du secteur privé dans le revenu national étant de 54,1 %2. A partir de 19z6, le secteur nationalisé entreprend d'ambitieux inves­tissements qui annoncent le premier plan quinquennal de 19z8.

Durant la période 19z4-19z8, Sokolnikov, commissaire du Peuple aux Finances jusqu'en 19z6, et son successeur Brijukhanov défendent le rouble avec les méthodes classiques de l'orthodoxie financière, proches par exemple de celles de Poincaré à la même époque. Sokolnikov privilégie une politique d'émission restreinte et réussit à empêcher, au moins jusqu'en 19273, que la création de monnaie finance les investissements à long terme. Le Commissariat aux Finances est toujours efficacement soutenu par l'Institut de Conjoncture de Kondratjev4 et par Shanin qui représente à cette époque le parfait financier classique et se refuse à tout risque d'un retour de l'inflation. En face, le Commissariat au Plan (Gosplan) demande que le plan ait la prééminence sur l'équilibre monétaire. Le 25 août 1925, le Présidium du Gosplan réclame le développement du crédit, à long terme comme à court terme, et exige que la circula-

1. Sur cette controverse, Cf. S. STRUMILIN, Bk. J., 31-7-1924. 2. Narodnoje Kboziajstvo SSSR (1932). 3. On attribue parfois à la « faiblesse» de Brijukhanov le retournement de 1927; mais

même si Sokolnokov était resté aux Finances, il n'aurait pu s'opposer au progrès de la thèse du développement planifié et de son financement par création de monnaie.

4. Kondratjev appartenait d'ailleurs au conseil du Commissariat aux Finances ainsi que Weinstein, Jurovskij et Litoshenko, tous économistes réputés à l'étranger et assez éloignés du Parti communiste; ce dernier fut peu représenté, jusqu'en 1928, au Commis­sariat aux Finances bien que Sokolnikov lui-même ait été un vieux compagnon de Lénine.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

tion monétaire soit soumise à l'impératif de la croissance du crédit. Un peu en retrait de cette position extrême du Gosplan, Sttumilin, lui-même du Gosplan, maintient la théorie de la couverture-marchan­dises qu'il conçoit comme une application de la théorie quantitative de la monnaie. li forge, pendant les années 1925-1926, sa théorie de l'inflation réprimée et de l'inflation en économie planifiée qu'il ne reniera jamais et qui reste remarquablement d'actualité!.

Strumilin souligne qu'il ne peut y avoir d'inflation ou de déflation en régime de monnaie-or; les mouvements de prix et de pouvoir d'achat ne s'expliquent que par des changements dans les conditions de production de l'or ou des biens (voire même seulement des biens entrant dans l'indice des prix). La même analyse s'applique, remarque­t-il, à une monnaie librement convertible en or à un cours fixe. Si la monnaie est inconvertible en or, l'inflation est possible. En effet, les billets n'ont pas de valeur propre, ils sont seulement des signes symbolisant la valeur.

Il ne fait aucun doute, selon Strumilin, que l'inflation a été causée, jusqu'en 1924, par une création monétaire excessive. Le meilleur indice en serait, écrit-il, la comparaison de la quantité de monnaie qui a circulé avec la quantité de monnaie-or qui eût été normalement suffisante.

« ActlfcllcJJJmt (Strumilin écrit en 1926, mais la situation est la même en 1981), lcs prix ne peuvent varicr libremmt. Que se passe-t-il s'il y a tin excès de mOl1naie ?» Cet excédent se résorberait automatique­ment en cas de monnaie-or, mais il se maintient en situation d'infla­tion réprimée. L'indice des prix, souligne Sttumilin, ne peut alors servir d'indice d'inflation ou de déflation. En 1926, une telle lucidité n'était pas fréquente et s'est perdue dans les écrits monétaires sovié­tiques jusqu'en 1970 environ. Comment mesurer l'inflation réprimée? Selon Strumilin, c'est le ralentissement de la vitesse de circulation de la monnaie qui est le seul indicateur d'inflation réprimée2 parce que la variable qui s'adapte n'est plus le niveau des prix mais la vitesse

1. Cf. Na plaliovo11l Frontje, p. 100 sq.; compte tenu du rôle de Strumilin dans la pens~c économique soviétique jusqu'en 1970, il nous a paru nécessaire de développer ses thèses.

2. Notons que c'est l'indicateur de Thieme (coefficient d'encaisses). Strumilin voyait dans le marché libre un bon indicateur conjoncturel des effets de l'émission monétaire; il confirme ainsi, avec cinquante ans d'avance, la validité des indicateurs d'écart entre marché libre et marché d'Etat. Cf. l'étude de ces indicateurs dans le chapitre précédent.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE 77

de circulation. Strumilin s'appuie sur Marx qui faisait dépendre, dans le tome l du Capital, la masse monétaire du mouvement des prix, du volume de biens échangeables et de la vitesse de circulation de la monnaie. Cette dernière est, pour Stromilin, de loin la plus stable spontanément des trois variables; seule une intervention admi­nistrative directe sur les prix peut rendre V (vitesse de circulation) instable. Cette hypothèse sur V est très quantitativiste et il faut souligner qu'elle émane d'un économiste toujours cité en URSS

comme représentant le courant marxiste le plus orthodoxe. Il est intéressant de rapprocher l'opinion de Stromilin de celle

de Keynes analysant les mêmes faits. Spectateur intéressé des pro­blèmes monétaires soviétiques, Keynes a vu dans la réalité des années 1920 une illustration de la théorie quantitative qu'il formule de la façon suivante : le volume de monnaie demandé par la popu­lation dépend du niveau des prix « en supposant les habitudes du monde des affaires et des banques établies »1. Si la production est fixe mais que les prix et les salaires doublent, la demande de monnaie double aussi. La valeur réelle agrégée du papier-monnaie en circula­tion reste à peu près la même quel que soit le nombre de ses unités en circulation. Pour Keynes, l'exemple soviétique est probant; si on accroît la masse monétaire nominale, il y a fuite devant la monnaie; « ce phénomène a atteint à Moscou une intensité fantastique »2, ce qui se traduit par un accroissement de la vitesse de circulation. Il n'est pas nécessaire de souligner la parenté entre cette thèse de Keynes et celle de Strumilin. L'histoire monétaire soviétique a exercé sur la pensée de Keynes une influence incontestable dont on trouvera plus tard des traces dans la théorie de l'inflation réprimée qu'il expose, en 1940, dans How to pqy for the war.

j 1 Le déclin des politiques de stabilisation monétaire (I 926- I9 29)

En 1926, le Commissariat aux Finances et la Gosbank résistèrent aux pressions des représentants de l'industrie et du Gosplan si bien que l'accroissement de la circulation monétaire d'octobre 1925 à octobre 1926 fut d'environ 20 % (soit moins de 300 millions de

1. J. M. KEYNES, A Tract on monetary reform, London, 1924; Œuvres de Krynes, Mac­millan, 1971, p. 38.

2. J. M. KEYNES (1924), p. 41.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

roubles1). Au printemps 1926, l'industrie subit durement les effets de cette politique restrictive et le présidium du Gosplan parla de « ration­nement de famine» et de « déviation de la politique financière». La Gosbank et le Commissariat aux Finances tinrent bon jusqu'en avril 1927, moment où les freins furent desserrés; le Parti ayant décidé le financement d'importants programmes d'investissement, les industries obtinrent alors ce qu'elles voulaient.

Afin de donner une base théorique à sa politique, le Gosplan crée, en 1926, une commission chargée d'étudier les avantages de l'inflation monétaire et de la déflation et de trancher sur l'opportunité d'une politique monétaire restrictive. La commission n'a pas pu trouver un accord sur une définition de l'inflation; pour les uns c'est un gonflement de la masse monétaire, pour d'autres une aug­mentation des prix, et pour une dernière tendance (Strumilin) un excédent de demande causé par un excès de monnaie, ou plus exac­tement « le processus par lequel, dans les canaux de circulation, se crée un excédent de monnaie par rapport aux besoins normaux de circulation »2.

Les quantitativistes soviétiques, en 1925, peuvent être divisés en une currenry school qui met l'accent sur les émissions de la Gosbank et qui trouve sa tendance la plus pure avec les partisans de la couver­ture-or, et une banking school minoritaire qui défend le rôle de l'escompte dans la création monétaire et souligne l'apparition des moyens de paiement non monétaires.

Le combat contre les quantitativistes (ceux de la couverture-or du Commissariat aux Finances ou ceux de la couverture-marchandises) fut mené sans répit par Preobrajenski qui, en 1924, commit d'ailleurs une erreur de prévision en annonçant l'échec de la réforme de 1924 ; pour lui la stabilisation du rouble passait par la planification. En 193 l, parut, sous la plume de Preobrajenski, l'article « Monnaie» de la grande encyclopédie soviétique; il s'y livre à une attaque en règle contre les quantitativistes : Marx, selon lui, aurait d'abord dans La misère de la philosophie commis les erreurs de Ricardo puis, s'étant repris, aurait enfin appliqué la théorie de la valeur à la monnaie.

Le passage de la NEP à une économie planifiée, en 1928, ne pouvait

1. Sur cette question cf. E. H. CARR et R. DAVIES, Foundation. of a planlled economy, Ed. Pelican, t. l, p. 820.

2. S. STRUMILIN, K Voprosu 0 denejnoj infljacii i defljacii, Plat/ovoje Khozjaj.tvo, 1926/6.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE 79

manquer de bouleverser les pratiques bancaires; la transition ne fut pourtant pas brutale, à tel point qu'il est difficile de préciser la date où s'achève la NEP. En 1931, fut fêté le dixième anniversaire de la NEP et on affirma même qu'elle était encore en vigueurl ; mais c'était, sans conteste, un abus de langage; depuis 1925, l'économie sovié­tique était une économie mixte où le rôle du secteur d'Etat croissait régulièrement. Le 1er Plan quinquennal (1928-1932) marque la fin du rôle régulateur du marché et, à partir de 1929, le secteur socialisé occupe plus des deux tiers du revenu national; en 1932, ce processus sera quasiment achevé, le secteur privé étant réduit à 9,3 % du revenu national. De même que la réforme de 1924, deux ans après le début de la NEP, avait été la traduction financière du retour à l'économie de marché, de même la réforme du crédit de 1930-1931 était rendue nécessaire par le passage à une économie planifiée.

il n'y avait plus, dès juillet 1926, de réelle couverture-or de la monnaie ni même de souci d'en maintenir la fiction. La victoire, en avril 1927, des représentants de l'industrie sur les« déflationnistes» de la Gosbank avait permis une accélération sensible de la création monétaire; entre le 1er juillet 1927 et le 1er octobre, la circulation s'accrut de 209 millions de roubles alors que l'accroissement qui avait été décidé au début du trimestre n'était que de 75 millions2•

Ces émissions n'ont pas été couvertes par une augmentation des réserves en or ni même des crédits à court terme, mais elles ont bien servi au financement de crédits industriels à long terme; à l'au­tomne de 1927, il est reconnu par tous que l'URSS est retombée dans l'inflation monétaire.

La solution proposée par le Commissariat aux Finances est celle, classique, de réduire les prêts à l'industrie en 1928 et de supprimer le financement de crédits à long terme par création de monnaie3•

Cette politique ne fut suivie que pendant quelques mois; ce fut le chant du cygne du Commissariat aux Finances et de la Gosbank. Le Gosplan proposa, pour 1928-1929, une augmentation de la masse monétaire de 300 millions de roubles. Les économistes du Commissa­riat aux Finances et Shanin annoncèrent alors une inflation catas­trophique. Cependant, le Conseil des Ministres ratifia toutes les

1. Cf.A. NOVE, An E&onomiG Hisloryoflhe USSR, p. 136. 2. Cf. A. ARNOLD, Banks, Credil and Money in So"iel Rmsia, 1937, p. 279, 3. Cf. L. ]UROVSKI}, Dmejnaja Polilika SOlJelskoj Vlasli, Moscou, 1928, p. 370 sq.

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80 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

propositions en termes physiques du Gosplan, se contentant de réduire à 200 millions de roubles la croissance de la masse monétaire, ce qui ne permettait pas de financer les investissements approuvés par ailleurs. L'accroissement réel de la circulation monétaire fut d'ailleurs de 671 millions de roubles!.

Le Commissariat aux Finances fut profondément transformé en 1928; Kondxatjev et Weinstein en furent chassés et remplacés par des « indmtrialistes » comme Pjatakov qui devint très vite pré­sident de la Gosbank.

En 1929, les débats théoriques, qui avaient animé les revues économiques, prirent fin et les divergences de points de vue ne don­nèrent plus lieu à des publications systématiques.

v 1 LA MONNAIE SOUMISE

ET L'INFLATION RÉPRIMÉE (1929-1940)

En juin 1929, les statuts de la Gosbank furent révisés; les nouveaux statuts garantissent mieux que les anciens, en apparence, l'indépen­dance de la banque. lis suppriment, en tout cas, sa dépendance offi­cielle à l'égard du Commissariat aux Finances; le résultat pratique était de remplacer le complexe assez fort (même s'il s'affaiblissait depuis 1927) Commissariat-Gosbank par deux organismes faibles, tout à fait incapables de tenir tête au Gosplan s'ils l'avaient désiré.

I / La réformc dc I9]0 et scs coméquetJces

Le 30 janvier 1930, un décret réforme les mécanismes de crédit; le crédit bancaire devient la seule forme de crédit autorisée dans le secteur socialisé, les opérations de crédit direct entre entreprises devenant illégales; l'essentiel du crédit à court terme passe dans les mains de la Gosbank. Le 1er janvier 193 l, les opérations de crédit à long terme à l'agriculture seront transférées à la Gosbank avant d'être remises, par le décret du 5 mai 1932, à une banque nouvelle­ment créée spécialisée dans le crédit agricole. La concentration du système bancaire réalisait le principe de la « mono banque » chargée

1. E. H. CARR et R. W. DAYIES, p. 82.6.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE 81

de contrôler l'activité des entreprises du secteur socialisé. La Gosbank, dès février 1930, ouvrit un compte à chaque client 0\1. furent inscrits tous les paiements reçus ou effectués par la firme.

En matière de crédit, l'arbitre final est le plan de l'entreprise qui permet de juger, en principe, du montant des actifs à mettre en compte. Le plan devient le maître du jeu, même si, dans les faits, les prévisions de dépenses du plan des entreprises sont souvent dépassées. La Gosbank finit (vers 1932) par n'accorder de dépassements de crédits qu'avec l'accord des autorités de tutelle de la firme (ministère ou planificateur), si bien qu'il n'y a plus de crédit décidé réellement par des instances financières et Kozlov est fondé de dire que la planifi­cation est une méthode d'abolition complète du créditl •

La réforme du crédit de 1930 a été plus qu'une concentration du système bancaire, elle a été une concentration des comptes des entre­prises dans les livres de la Gosbank; c'est le principe de la « mono­banque » qui rend possible le contrôle par le rouble.

En 193 l, la pièce est écrite, les rôles sont distribués; la croissance par inflation réprimée devient le modèle de développement socialiste qui sera appliqué sans modification aux pays d'Europe de l'Est après la guerre.

Le langage des théoriciens ne s'est pas réformé aussi vite que les institutions et les rappels à l'orthodoxie financière n'ont jamais cessé. C'est cependant la « doctrine Kozlov» qui sera appliquée sans défail­lance; selon Kozlov, la monnaie doit être créée pour financer l'inves­tissement, c'est le dogme implicite de la soumission de la monnaie au plan; la politique monétaire ne peut plus alors être utilisée pour la régulation de la demande. Kozlov écrivait que l'émission de monnaie pouvait dépasser les limites de la « quantité nécessaire» et se soumettre au plan au lieu de le dominer2• li faut souligner que si les mécanismes d'émission ont suivi la règle de Kozlov, la doctrine officielle a fluctué entre la couverture-marchandises et la couverture-or sans jamais avouer expressément que l'émission monétaire était soumise au plan de production des biens et, surtout, à celui des salaires.

I. In Problemy EkolWmiki, 1930/2. 2. G. KOZLOV, K voprosu 0 prirode deneg i zakonakh denejnogo obraScenija v

SSSR, Plan. Kboz, 1929/8. La « quantité nécessaire» est celle nécessaire aux échanges selon la loi de Marx (en un état donné des modes de paiement, il existe une quantité de monnaie nécessaire aux échanges).

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82 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

Pendant le plan quinquennal 1928-1932, le taux de croissance de la masse monétaire est proche de celui du fonds des salaires et de celui de l'investissement mais supérieur à celui de la production en volume. Atlas écrit, dans son Ilistoire monétaire qui fait autorité : « L'émission de monnaie a été dictée par la politique d'investissements et non par les variations de la quantité nécessaire aux échanges »1.

Le maximum de création monétaire est atteint en 1930, l'inves­tissement augmente de 66 % en un an et les crédits à court terme de la Gosbank passent de 5,1 milliards de roubles à 9,3 (soit une augmen­tation de 82 %) pendant que la circulation monétaire s'accroissait de 45 %. Dans la même année, la production agricole baissait de 5 % et celle de biens de consommation augmentait de 20 %.

En 1931, le revenu national s'est accru de 17 % (la moitié de ce qui était prévu), l'investissement de 75 % et la masse monétaire de 32,5 % (42 % en 1932). On a parfois insisté surie fait que l'émission monétaire et l'inflation de 1930 s'étaient produites alors que le budget n'était pas en déficit; mais si la création de monnaie n'apparaît plus comme une façon de combler un déficit, c'est parce que la comptabi­lisation de la création monétaire a changé; les budgets en excédent de la période 1930-1940 n'ont aucune signification économique car on ne sait pas où apparaissent les opérations de la Gosbank dans le budget.

2/ L'inflation de I9}O à I940

et les dernières tentatives de politique monétaire

On peut remarquer le strict parallélisme de l'évolution des transactions en valeur nominale et de celle de la masse monétaire, la hausse des prix absorbant les augmentations de salaires. Atlas écrit avec l'ironie voilée qui caractérise les derniers écrits de sa longue carrière : « Ai11si j'émission de mon11aie et les prix ont servi de moyen pour limiter la consommation des travailleurs, limitation 11écessaire pour réaliser la /ig11e générale dll Parti, qui avait refll l'approbation et le soutien actif de la masse de la population du pf!Ys »2. Selon ses calculs, en utilisant l'indice des prix de commerce d'Etat (qui croît moins vite que celui de

1. Z. ATLAS (1969), p. 2B ; ce passage est souligné ici parce qu'il se détache en ita­liques dans le texte.

2. Z. ATLAS (1969), p. 257. On peut vérifier l'exactitude de cette affirmation en consul­tant le tableau III., en annexe au présent chapitre.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE

commerce libre), le salaire moyen a baissé de 20 % en 1932; pour garantir un salaire réel minimal aux travailleurs des villes, il avait été créé en 1929 des cartes de distribution de biens à des prix fixés.

En 1929, on vit reparaître la théorie du dépérissement de la mon­naie. Nombre d'économistes pensaient que le système de cartes de rationnement et la réforme du crédit devaient aboutir à la disparition de la monnaie; citons A. Leontiev, Kozlov et le président du Gosplan, Krjijanovskij, qui reprend les idées de Strumilin sur l'unité de tra­vaill • La thèse du dépérissement progressif de la monnaie et des rela­tions marchandes gagne tous les auteurs marxistes jusqu'en 19342•

Ces recherches correspondaient aux directives du Parti en 1929-1930 ; les thèses les plus étranges étaient développées, certaines avaient trait au fonctionnement d'une économie d'échange direct (sans monnaie), d'autres au fonctionnement d'une économie à monnaie fondante.

Ce débat continua jusqu'à ce que Staline siffle la fin de la récréation lors du XVTIe Congrès du Parti en janvier-février 1934. « Il faut redresser des erreurs d'une autre nature. Je veux parler du bavardage gauchiste courant parmi certains d'entre nous, selon lequel il est maintenant nécessaire de procéder à l'organisation de l'échange direct des biens et de supprimer la monnaie ... Il faut observer que ce bavardage gauchiste - petit-bourgeois -est répandu non seulement chez certains professeurs rouges, mais aussi parmi ceux qui travaillent dans le [Jstème commercial. Il est bien sûr ridicule et drôle que ceux qui sont incapables d'organiser le plus simple commerce sovié­tique se disent prêts à organiser le commerce par échange direct, plus complexe et plus difficile. Mais les Don Quichotte sont les Don Quichotte parce qu'ils n'ont pas le moindre soupçon de ce qu'est la vie. Ces gens, qui sont aussi loin du marxisme que le ciel l'est de la terre, ne comprennent apparemment pas que nous continuerons longtemps à avoir de la monnaie jusqu'à ce que nous atteignions le premier stade du communisme »3.

En 1933, la masse monétaire diminua de 20 %; le volume de l'investissement décrut aussi et les prix eurent tendance à baisser. C'est dans ce contexte que le XVIIe Congrès du Parti semble marquer un retour à une plus grande discipline financière.

La déflation de 1933 ne contraria pas les échanges et ceci assura

1. Cf. le livre collectif en deux tomes publié en 1930 par l'Institut de Recherches éco­nomiques du Gosplan sous le titre: Na no/JOm ,tape socialistiéulr:ogo slroilelslpa.

z. Même le monétariste Z. Atlas n'a pas été épargné. Cf. Z. ATLAS (1930), chap. 18. 3. Staline, XVIIe Congrès, cité par V.IKONN1KOV.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

le triomphe des partisans d'une économie monétaire sur les thèses de l'abandon de la monnaie. Les défenseurs de l'échange monétaire connurent une autre petite victoire lorsque les cartes de rationnement furent supprimées en 1935 et 1936.

L'inflation soviétique des années 1930 s'explique assez bien par un accroissement de productivité du travail plus faible que ce qui avait été prévu par le plan. Les entreprises employaient une main­d'œuvre importante à des salaires supérieurs aux prévisions afin d'atteindre les objectifs du plan et d'obtenir des primes de dépassement du plan. Ce n'est qu'en 1939 que fut interdit tout dépassement du fonds des salaires qui ne correspondrait pas à un dépassement proportionnel du plan de production de l'entreprise (décret du 15 août 1939)'

En URSS, de 1928 à 1940, les salaires ont été multipliés par 6, les prix des biens de consommation par 12 (par 20 en ce qui concerne les produits des kolkhozes). Holzman explique cette hausse des prix par moitié en raison de la hausse des salaires et par moitié par le niveau des dépenses publiques d'investissementl •

Il semble bien que les planificateurs aient délibérément choisi de financer par l'inflation l'investissement rapide souhaité. Ainsi que le souligne Zaleski2, les principaux porte-parole du Parti au Gosplan (Strumilin, Krjijanovskij) semblaient accepter un certain degré d'infla­tion; d'ailleurs, jusqu'en 1939, les dépassements de salaire nécessaires ont été ratifiés par le gouvernement. Holzman pense au contraire que l'inflation n'était pas prévue car les premiers plans indiquent des prévisions de baisse de prix3• L'argument d'Holzman n'est pas décisif; quel que soit le contenu des plans publiés, il est certain que nombre d'économistes, y compris les plus écoutés du Parti, pré­voyaient une certaine inflation sans en être toujours angoissés4• Il faut reconnaître que ce qui n'était pas prévu, c'est le taux de produc­tivité assez faible du travail et la nécessité d'accroître les salaires aussi fortement5 ; le coût des investissements avait été également sous-

1. F. HOLZMAN (1960), p. 173. 2. E. ZALESK1 (1962), p. 64-67. 3. F. HOLZMAN (1960), p. 172. 4. A ce sujet Cf. E. ZALESK1, op. cit. 5. La productivité du travail n'aurait crû que de 67 % entte 1928 et 1940 selon

F. HOLZMAN.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE

évalué!. Le rythme prévu d'accroissement de productivité devait être égal à 2,4 fois celui des salaires; en fait c'est la croissance des salaires qui a été égale à 2,5 fois celle de la productivité2•

Les autorités soviétiques ont laissé croître les salaires jusqu'en 1939

en luttant contre l'inflation au moyen de la politique fiscale. De­puis 1939, en URSS le taux de base des salaires est fixé par décrets du Comité central du peus et du Conseil des Ministres de l'Union. Les entreprises doivent observer ces bases mais il est possible de tourner la règle en alléguant que sont rémunérées des qualliications nouvelles qu'il est légal de rémunérer sur le fonds de primes. TI vaut mieux pour une entreprise enfreindre la loi sur le dépassement des salaires que ne pas exécuter certains critères de performance; cela constitue une limite à la détermination ex ante des salaires.

Tous les auteurs qui défendent la thèse de l'inflation salariale soulignent, de ce dernier point de vue, le rôle des institutions moné­taires. La masse monétaire a crû très fortement en URSS de 1928

à 1940 ainsi que le crédit à court terme qui est explicitement incriminé par Holzman qui y voit, à juste titre, une condition permissive des dépassements du fonds des salaires3•

La croissance de la masse monétaire a accompagné la hausse des salaires tout en ayant, au moins jusqu'à la réforme de 1930, un rythme très saisonnier de croissance. Incontestablement, les facteurs monétaires sont indissociables de l'inflation soviétique d'avant guerre.

J / La pensée de Staline en matière de monnaie et d'inflation

La réforme du crédit de 1930 comme la déflation de 1933 et le choix d'une croissance inflationniste sont dus à Staline. TI est permis de penser qu'il n'adhérait à aucune doctrine monétaire particulière; il est revenu (parce que la déflation de 1933 avait réussi) à l'économie monétaire après avoir encouragé, en 1930, les recherches sur le fonc­tionnement d'une économie sans monnaie. Staline était plus pragma­tique que doctrinaire en matière financière. La seule idée qui soit demeurée constante chez lui est qu'il fallait que l'Etat ait la maîtrise

1. E. ZALESKI, p. 64. 2. S. SCHWARTZ, p. 202.

3. F. HOLZMAN (1955), p. 28; cf. aussi les tableaux III. 4 etIII. 5, en annexe.

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86 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

du crédit et de la gestion de l'épargne des ménagesl • Déjà, en 1924, il dit que le crédit est la plus grande force dans les mains de l'Etat2

et lorsque Sokolnikov affirma au XIVe Congrès du Parti que la Gosbank était une entreprise capitaliste d'Etat, il s'attira les foudres de Staline3•

Sur la couverture-or ou la couverture-marchandises, ses opinions étaient moins arrêtées sans qu'il donne l'impression de penser qu'il s'agissait de considérations techniques qui le concernaient peu. Le 13 avril 1926, il semble proche de la thèse de la couverture-or et devises du tchervonetz : « Si on a pu passer du sovznak à Itne devise forte c'est notanlment parce que nous avions alors un solde positif du commerce extérieur et une réserve de devises. Si nous voulons soutenir notre tchervonetz, alors nous devons soutenir le commerce extérieur de façon qu'il nous reste entre les mains une réserve de devises comme ttne des bases de notre tcher­vonetz »4. li faut noter que la situation de la monnaie, en 1926, justifiait un tel langage mais, du point de vue de la théorie monétaire, il y a un changement de tonalité dans sa position de 1933 après le 1er Plan quinquennal : « La stabilité de la monnaie soviétique est garantie avant tOtlt par ,'immense quantité de biens marcha1ltfs dans les mains de l'Etat et mis en cirmlation à des prix stables. Quel écononlÎste peut nier que cette garantie, existant seulement en URSS, est une pllls réelle garantie de stabilité d'une monnaie que n'importe quelle réserve d'or? »5. La réforme de 1947 laissera pourtant place à la thèse de la couverture-or, ce que confirmera la loi du 28 février 1950 qui fixe le contenu-or du rouble à 0,222168 g sans rendre cependant le rouble convertible en or6•

Quels que soient les flottements de la doctrine officielle en matière de couverture du rouble, la position de Staline quant à la planification

1. Cf. STALINE, 0 Khoziajstvenllom polojenii Sovetskogo Sojuza, Moscou, 1937, p. 9-15. 2. STALINE, Risulfafl du XIIIe Congrès du Parti, Moscou, 1924, p. Il. 3. De ce point de vue, SokoInikov représente la tendance la plus opposée à la pensée

de Staline; dans son cours de Science financière en 1930, Sokolnikov écrit que les relations entre le système soviétique de crédit et l'environnement marchand ont le caractère de relations capitalistes de crédit.

4. Cité par V. IKONNIKOV, p. 161. 5. STALINE, Œuvres complète; (en russe), t. 13, p. 205. 6. Après la guerre, quand il s'est agi de réformer la monnaie, deux courants se sont

manifestés. Les uns voulaient lier la monnaie à l'or, c'est ce qu'on a appelé la position « dorée» avec F. Mikhalevskij, Gatovskij, Zlobin, Gusakov et Z. Atlas les autres préfé­raient maintenir une couverture-marchandises implicite, il s'agissait de Ikonnikov, Batyrev et Kronrod notamment. Staline n'a pas tranché explicitement, mais définir un contenu-or au rouble permettait d'établir un taux de change officiel avec le dollar.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE

et à la politique conjoncturelle a reposé, de 1930 à sa mort, sur les mêmes principes; pour Staline, les prix et les quantités sont déter­minés séparément; cela explique pourquoi dans Les problèmes économiques du socialisme en URSS il rudoie, d'une part, ceux qui proposent pour le coton un prix équivalent à celui du blé alors que le coton est plus cher sur les marchés internationaux et, d'autre part, ceux qui veulent répartir la main-d'œuvre selon la loi de la valeur. li n'y a pas là de contradiction, contrairement à ce que pense Setonl • La pensée de Staline devient cohérente dès que l'on se rend compte qu'il raisonne en se plaçant en situation de demande excédentaire permanente. Tout s'éclaire, le prix est déterminé par la loi de la valeur et l'acheteur, en payant, fait un sacrifice équivalent à ce que cela coûte à la collec­tivité, mais les quantités sont décidées souverainement par le plani­ficateur, indépendamment des prix. On peut produire peu d'un bien cher et demandé; ce système fonctionne sans trop de gaspillage si les quantités produites sont absorbées par la demande en dehors de toute variation rééquilibrante des prix. Cela n'est conciliable qu'avec une demande globale des consommateurs sans cesse supérieure à l'offre.

Le calcul implicite est qu'un plan ambitieux ne peut être réalisé qu'en ({ tendant» toute l'économie, toutes ses ressources; la doctrine de la demande excédentaire est inhérente à celle du plan tendu. Une telle économie est nécessairement monétaire, un tel mode d'exécution du plan est inconcevable en économie du troc où il ne peut y avoir de demande excédentaire des biens. li faut qu'au niveau des consom­mateurs-travailleurs l'économie soit marchande. En effet, sans monnaie, le niveau de l'offre de travail serait différent, on ne pourrait payer avec des promesses sur le futur (ou alors on recréerait une monnaie) et le niveau de production aussi ainsi que la structure de la production. Pour faire travailler plus, au lieu d'accroître les salaires nominaux, il faudrait, dans une économie sans monnaie, produire plus de biens de consommation.

Les facilités de crédit accordées par le plan aux entreprises des secteurs prioritaires (en général les industries produisant des biens de production) provoquent une croissance déséquilibrée; il faut limiter la demande de biens de consommation afin de permettre le

J. F. SETON. p. 14.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

développement prioritaire du secteur de biens de production. Si les salaires s'accroissent, pour maintenir à un bas niveau la demande de biens de consommation il est nécessaire de contraindre le public à l'épargne. Ainsi, le capital réel nécessaire pour les investissements nouveaux est prélevé sur les consommateurs. Si ce prélèvement se fait par le biais de la hausse des prix, on se trouve devant les situations analysées par Hayek et connues sous le nom de théories de la surcapitalisation.

Le 1er Plan quinquennal a déjà fonctionné à peu près selon ce modèle; cela explique la volte-face de Staline et des responsables politiques en l 934 lorsque le Parti se prononce pour la monnaie, alors que, depuis I929, se multipliaient les écrits sur le dépérissement de la monnaie. Les grandes théories sur la valeur travail, l'échange direct et sur les bons de travail paraissent hors de saison lorsque la demande monétaire excédentaire des ménages permet de réaliser les objectifs du plan d'industrialisation.

ANNEXE STATISTIQUE

TABLEAU III. I. - Cirmlatiol1 monétaire et hausse des prix dans "et/semble de l'URSS (I92I-I922)

1- 1-1921 1- 7-1921 1-10-1921 1- 1-1922 1- 4-1922 1- 7-1922 1-10-1 922

Alonnaie en cirCII/ation CIl milliards de roubles Indice des prix I92I (I9IJ= I)

1 169 2347 4529

17538 8r 179

319949 851 486

19 200 80 500

88700

3 II 500

Source: R. W. DAV1ES (1958), p. 53.

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LE CHEMIN VERS L'INFLATION RÉPRIMÉE

TABLEAU III.2. - Prix dB détail (192)-1928) (en % d'augmentation par an)

Indice des prix de détail de l'Institut de Conjoncture

192 3-192 4 192 4-1925 1925-1926 1926-1927 1927-1928

+ 34,2 % + 3,1 -+ 8,9-+ 12,3 -- 0,4-

L'indice de l'Institut de Conjoncture était un véritable indice du coût de la vie établi à partir d'études sur la consommation des ménages. Les tame de ce tableau ont été calculés à partir de la série publiée dans Ekollomiceskoje obozrenije, 1929/6.

TABLEAU III. 3. - Indices des prix (1928-1940)

(1) Prix de détail du commerce socialisé 1927-1928 = 100

1928 100 1929 104,3 1930 108,7 193 l 137,0 193 2 255

1933 1934 1935 1936 1937 53 6 (870) (1) 193 8

1939 1940 637 (1096) (1)

( 2) Prix .fItr les marchés privés 1927-1928 = 100

100 126,2 23 1,1 409,0

(179,7) (2) (769,3) ca)

l 500-2000 1 200-1 680

900-1 470

700 700

1780

(;) Prix des marchés kolkhoziens 1928 = 100

100

63 0

3 000

(') Indice recalculé par J. CHAPMAN (indice de Paaschc). (2) Pour le premier trimestre 1932 (Z. ATLAS, p. 256). e) Pour le premier semestre 1932 (A. MALAFEEV, p. 402).

( 4) Prix de détail du commerce .rocialüé 1928= 100

(indice de Moorstein-Powell)

100 109 122 171

316

474 559 723 85 6 870 870 887

1096

Sources: col. l : Z. ATLAS (1969), p. 256 et 270; A. MALAFEEV, Istorija cenoobrazovanija v SSSR 1917-196;, Moscou, 1964, p. 407; col. 2 : Z. ATLAS (1969), p. 256; col. 3 : F. HOLZMAN (1960), p. 168; col. 4 : R. MOORSTEEN­POWELL, The Soviet Capital stock 1928-1962 (1966), p. 635-636.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

TABLEAU III. 4. - Taux des salaires en URSS (1923-1940)

Taux des salaires (roubles) Accroissellletli (en %)

Planifié Réalisé Planifié Réalisé

1928 690 703 1929 800

1930 93 6 193 1 94 1 1 127 7,1 20

1932 1427 2.7 1933 1 523 1 566 6,7 10

1934 1 625 1 858 3,8 19 1935 2031 2. 2.69 9,3 2.2.

1936 2. 465 2. 856 8,6 2.6

1937 2978 3 038 4,3 6

1938 3467 14 1939 3 867 Il

1940 4 069

Source: F. HOLZMAN (1955), p. 39·

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192 9

19

30

193

1 19

32

19

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1934

19

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1936

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1938

19

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1940

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4

LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI

Chômage déguisé, chômage structurel et chômage frictionnel

dans une planification de sur-emploi

L'objet de ce chapitre est de montrer la différence qui existe entre le niveau apparent d'activité et d'emploi et son niveau réel. TI est possible de résumer cette question en deux paradoxes. Le premier, que la presse polonaise appelle le paradoxe de l'emploi, est qu'il y a à la fois un besoin de main-d'œuvre pour réaliser le plan (planification de sur-emploi) et un excès de main-d'œuvre inemployée dans les entreprises (chômage déguisé). Le second paradoxe, qui est très rare­ment mis en évidence, est le développement dans les économies pla­nifiées du chômage structurel et frictionnel (volontaire ou non) dû, ainsi que nous essaierons de le montrer, à la politique de sur-emploi et à l'accroissement des revenus depuis 1965, tout autant qu'à des fac­teurs démographiques ou technologiques. Ces deux paradoxes s'obser­vent dans toutes les économies socialistes planifiées.

1 1 LA DEMANDE DE TRAVAIL

ET L'ÉCONOMIE DE SUR-EMPLOI!

La planification de sur-emploi est le terme retenu par Holzman2

pour qualifier le choix d'objectifs en volume irréalisables compte tenu des ressources effectives et des gains possibles de productivité.

1. Rappelons que l'entreprise demande du travail et offre un emploi alors que le travailleur offre du travail et demande un emploi.

2. F. HOLZMAN, Sorne notes on over-full employment Planning, short run balance and the social economic reforms, Soviet Stllliies, 1970/2.

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94 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

Tant que les entreprises sont en concurrence pour obtenir des facteurs de production, le planificateur reste le maître du jeu puisque c'est lui qui décide de l'affectation des ressources. TI est donc de son intérêt que les objectifs du plan des entreprises soient ambitieux; c'est à cette condition qu'il exerce un contrôle effectif sur l'activité des entreprises. TI en résulte un déficit en moyens de production, y compris en main-d'œuvre, eu égard aux objectifs initiaux. La technique des balances-matières et des balances-main-d'œuvre utilisée pour établir le plan n'assure que des équilibres prévisionnds, les balances n'étant que des bilans prospectifs équilibrant, bien (agrégé) par bien, les ressources et les emplois. Le recours à des coefficients d'input-output trop opti­mistes et à des prévisions irréalistes des gains de productivité permet un équilibrage artificid qui reflète les jugements et les espoirs du plani­ficateur plus que les possibilités réelles de croissance de l'économie.

Les réformes économiques avaient pour objet de réduire les diffé­rences entre les objectifs et les résultats du plan, mais dIes n'ont pas supprimé le principe général de la planification de sur-emploi, c'est-à-dire le fait, rendu évident par l'observation des statistiques, que pour atteindre les objectifs du plan il faudrait des ressources en biens et en hommes supérieures à celles dont on dispose.

La planification de sur-emploi est, en fait, la même chose que le principe de la demande excédentaire permanente. Sdon ce principe, appdée doctrine Mikojan par les Polonais, il faut une demande supé­rieure à l'offre pour mieux mobiliser les ressources; en d'autres termes, il faut demander trop pour obtenir le maximum. Une demande très forte de biens de la part du planificateur induit une demande très forte de facteurs, c'est-à-dire supérieure à l'offre potentidle.

TI peut paraître étrange que nous ne mentionnions guère le taux de salaire dans les déterminants de la demande de travail. La raison est simple: dans les pays socialistes, la demande de travail de l'entreprise dépend de ses objectifs de production et de son équipement!, elle est indépendante du salaire. Qudques rares auteurs2 estiment que le contrôle des salaires a été une limite effective à la demande de travail

I. La fonction de demande de travail de la firme est la fonction inverse de la fonction de production. Ln = /-1 (Ko, QO) Où Qo est l'objectif de production et KO le stock de capital.

2. Notamment M. NISSANKE dans The DesequilibriumModel in a conttoIIed economy, AmerjçalJ Etonomjç R.e~iell', septembre 1979.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI 95

des firmes. Cela n'a jamais été vrai; s'il y a eu impossibilité pour les firmes d'obtenir le travail qu'elles désiraient, ce n'est pas la perspec­tive d'un dépassement du fonds des salaires qui les a retenues mais tout simplement le manque de travailleurs qualifiés, ceux-ci étant soit en nombre insuffisant pour l'ensemble des firmes eu égard au plan de production, soit retenus par leur firme d'origine qui leur verse un salaire élevé (souvent en violation des règlements) pour les garder en réserve. Le travailleur qualifié désiré par la firme A a le choix entre aller en A pour un salaire élevé en travaillant sérieusement (si la firme a besoin de lui, elle a donc du travail à lui donner), ou rester dans sa firme B qui augmente son salaire pour le conserver sans lui demander plus de travail. Ceci est la description des situations où il y a pénurie de travailleurs d'une qualification donnée. Si la pénurie n'est pas aussi marquée, alors, très simplement, la firme demandeur offre des salaires élevés; les travailleurs quittent leur firme d'origine qui ne voit pas la nécessité d'élever les salaires pour les retenir et on se trouve alors en présence d'une forte mobilité des travailleurs sans qu'aucun contrôle des salaires ne viennent influencer vraiment la demande de travail de la firme; c'est la situation observée dans le cas général.

II 1 LE CHÔMAGE DANS LES PAYS SOCIALISTES

l / y a-t-il du chômage dans les économies socialistes?

La définition habituelle du chômage est la suivante : est chômeur toute personne qui, désirant travailler au taux de salaire courant, ne trouve pas d'emploi. Cette définition soulève deux types de problèmes. Le premier est que le« salaire courant» n'a pas de sens précis. En situa­tion d'information imparfaite et de multiplicité des taux de salaire entre firmes pour un même travail, quel est le salaire courant? Le second tient à l'absence de référence géographique et professionnelle de cette définition. S'agit-il de quelqu'un qui cherche un emploi correspondant à sa qualification ou n'importe quel emploi? Exige-t-il un emploi près de son domicile ou n'importe où sur le territoire national? En d'autres termes, comment distinguer le chômeur de celui qui préfère ne pas travailler plutôt que d'accepter ce qu'on lui offre; un ingénieur des Ponts et Chaussées de Metz qui refuserait un

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INFLATION ET ID.IPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

emploi de gardien de musée à Perpignan serait-il un chômeur ou, selon la terminologie des pays socialistes, quelqu'un qui se serait retiré de la force de travail? Des situations presque aussi caricaturales existent dans les pays socialistes; ainsi que nous le verrons, bien des ingénieurs sont embauchés comme ouvriers qualifiés et des Uzbeks sont invités à chercher un emploi très loin de leur terre natale. On trouve des problèmes analogues dans tout pays moderne où la struc­ture des qualifications offertes ne coïncide pas avec celle des qualifi­cations demandées par l'économie; rien de tout cela n'est spécifique au socialisme ou au capitalisme.

Pour caractériser avec plus de précision les situations de l'emploi, il convient de descendre dans le détail des formes de chômage.

Keynes considérait que le chômage involontaire était celui qui pouvait être résorbé par un accroissement de la demande globale. On peut alors considérer que, si la demande de biens est chroniquement excédentaire (cas des pays socialistes), tout chômage est volontaire. Admettons plutôt, avec J. Robinson, qu' « aucune signification précise ne petit être donnée à la notion de plein emploi, à moins de le d4finir comme lin état de l'économie où il n'existe pas de travail disponible non utilisé dans aucune région ni dans aucune branche »1.

Pour l'étude des pays socialistes, il paraît utile de reprendre la vieille distinction, si critiquée actuellement, entre chômage structurel et chômage frictionneF.

Le chômage structurel est le chômage causé par les différences entre la structure (géographique et professionnelle) de la demande de travail et celle de l'offre.

Le chômage frictionnel est celui que provoque le manque d'infor­mation sur le marché du travail; c'est celui des personnes cherchant un emploi mieu...'i: rémunéré ou plus intéressant.

Ces deux types de chômage ne peuvent être résorbés par une aug­mentation de la demande de biens et sont donc peu sensibles à la poli­tique conjoncturelle. Il est difficile de préciser dans quelle mesure il s'agit de chômage volontaire. Une très grosse part du chômage fric­tionnel est, à l'évidence, volontaire, mais il reste toujours un petit délai « involontaire» de recherche d'emploi, même si on est prêt à occuper

1. J. ROBINSON, Euay. in tbe Tbeory of Employment (1947), p. 41. 2. Les problèmes de définition des divers types de chômage sont très clairement

présentés et analysés par J.-P. F1TOUSS1 (1973), p. 138 sq.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI 97

la première place que l'on trouve. De même, le chômage structurel est en partie volontaire : lorsqu'un ingénieur refuse de se déqualifier et cherche un emploi d'ingénieur, n'est-ce pas un peu du chômage fric­tionnel ? Lorsqu'un Tadjik refuse de quitter sa région et cherche ou attend un emploi, n'est-ce pas aussi du chômage frictionnel? Ce sont des chômeurs volontaires en ce sens qu'ils ont refusé un emploi. Au vu de ces exemples, il est clair que les frontières entre chômage fric­tionnel et chômage structurel, d'une part, et entre chômage volontaire et chômage involontaire, d'autre part, sont aussi floues l'une que l'autre.

Le niveau de l'emploi dans les pays socialistes est très élevé. Si on compte les étudiants parmi les travailleurs, la quasi-totalité des per­sonnes en âge de travailler (et non handicapées physiquement) occupe un emploi : la planification de sur-emploi tend à mobiliser toutes les forces de travail et à encourager le travail féminin. Mais ce dernier aspect de la politique de l'emploi est parfois remis en cause au nom des politiques natalistes. Ainsi, en URSS, le taux d'activité parmi les personnes en âge de travailler est passé de 78 % en 1960 à 91 % actuellementl , et le plan 1976-1980 encourage le travail partiel des femmes ayant des enfants. Cette mesure visait à rétablir la natalité en Europe. Certaines entreprises de confection à Moscou ont offert du travail « à la maison » à des femmes; cet exemple a été suivi à Léningrad et à Tallinn2•

On pourrait en conclure que le chômage n'existe pas dans les pays socialistes. C'est là une pure question de définition. li n'existe pas de chômage dit keynésien, c'est-à-dire provoqué par une insuffisance de la demande de biens. Mais de même que l'on s'est aperçu que, dans les économies capitalistes, le chômage conjoncturel n'est qu'une compo­sante, pas toujours très importante, du chômage global, de même, dans les économies socialistes, il subsiste, malgré le sur-emploi, des désé­quilibres sur le marché du travail qui peuvent être qualifiés de chômage.

li y a dans les pays socialistes du chômage saisonnier dans l'agri­culture, du chômage frictionnel (temps passé à chercher un emploi notamment) et du chômage structurel parce que certaines qualifica­tions ne sont plus demandées ou parce que les zones de croissance

1. EKO, 1977/4. 2. LG, 16-5-1979, p. 13.

F. SEUROT 4

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

industrielles sont à des milliers de kilomètres des régions où des jeunes arrivent à l'âge de travailler. Il y a des travailleurs qui ne font rien et perçoivent un salaire (on peut alors y voir l'équivalent d'une alloca­tion chômage) et il y a des travailleurs qui perçoivent une forte allo­cation de départ pour quitter leur entreprise (c'est l'équivalent d'une allocation chômage ou d'une indemnité de licenciement)!.

Si on définit le sous-emploi comme la différence entre la force de travail et le niveau d'emploi, il y a un chômage important dans les pays socialistes comme partout ailleurs (avec cette définition, le taux de chômage dans les pays capitalistes est supérieur aux données statis­tiques, officielles ou non) ; et une bonne part, mais pas la totalité, de ce chômage apparaît comme du chômage volontaire.

L'économiste hongrois J. Timar2 a remis en cause la notion de plein emploi en économie socialiste; selon lui, le terme de plein emploi recouvre, dans la littérature socialiste, deux concepts différents.

Chez la plupart des auteurs, le plein emploi correspond à l'utili­sation totale de la force du travail disponible; cet « emploi maximum» est souvent présenté comme un objectif fondamental de politique économique ou même une caractéristique du socialisme.

D'autres auteurs considèrent le plein emploi comme un état parti­culier d'équilibre où tous ceux qui désirent travailler peuvent trouver un emploi, c'est-à-dire où il y a équilibre entre l'offre et la demande de travaiP. Dans un pays donné, cet équilibre peut se réaliser àdes niveaux d'emploi différents selon les étapes de son développement. Cet équi­libre sur le marché du travail peut être alors un objectif de politique économique parmi d'autres, plus ou moins compatibles entre eux. Comme tout équilibre est transitoire, le plein emploi ne peut être envisagé, en tant qu'cbjectif de politique économique, que comme une tendance.

Prenons l'exemple de la Hongrie, où les changements d'emploi affectent annuellement 20 % de la population employée". Sur une période assez longue le nombre de personnes cherchant un emploi serait, selon Timar, de 400 000 à 500000, dont un pourcentage élevé

1. Sur les problèmes de définition du chômage dans les pays socialistes, cf. P. W1LES (1972) et M. BOlL'<STE1N (1978).

2. J. TatAR (1969)' ,. Parmi les auteurs adoptant cette conception on trouve surtout des économistes

hongrois et polonais. 4. J. T1MAR, p. 172.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI 99

de femmes. Les registres des bureaux de l'emploi, en Hongrie, mon­trent que les femmes sans qualification représentent 80 à 90 % des chercheurs d'emploi inscrits depuis plu~ d'un mois. L'équilibre sur le marché du travail ne fe réalise donc pas spontanément, et le déséqui­libre est plus marqué pour le travail féminin et pour le travail peu qualifié. Cela correspond à ce que nous connaissons dans les pays occidentaux.

Comme l'écrit Timar : « Les affirmations comBle« le chômage a cessé « une fois pour totltes d'exister dans le socialisme» ou« le chômage n'apparaît pas et Ile peut apparaître dans le socialisme» sont incorrectes »1.

Le chômage dans les pays socialistes n'est pas ressenti de la même façon que le chômage conjoncturel des pays capitalistes; il prend assez rarement la forme de la perte d'un emploi et se présente beaucoup plus comme le refus de prendre certains emplois ou de travailler dans cer­taines régions.

Les licenciements pour raison économique existent dans la légis­lation des pays socialistes, mais ils sont ordinairement assortis de restrictions importantes. En général, l'employeur est tenu de proposer un emploi à peu près comparable dans la même région. Les licencie­ments économiques, sans ces garanties, ne sont admis que dans des situations particulières, lorsque l'exploitation de mines cesse par exemple. Au lieu de procéder à des licenciements, on préfère inciter les travailleurs à quitter leur emploi en leur donnant des « allocations de départ » importantes (ce qui correspond à une forte allocation chômage).

TI y a deux pays où le chômage (à l'exception du chômage déguisé) est réduit à un faible chômage frictionnel volontaire; il s'agit de la Bulgarie et de la Roumanie où la croissance, restée assez forte, exige une main-d'œuvre sans cesse plus nombreuse.

A Sofia, capitale de la Bulgarie, la pénurie de logements provoque une insuffisance de l'offre de travail de la population; c'est pourquoi le Conseil des Ministres a autorisé, en 1974, le retour à la semaine de six jours de travail à Sofia2, ce qui peut inciter certains habitants de Sofia à se retirer en province. Un autre décret a permis, en 1973, aux travailleurs s'engageant à travailler dix ans pour l'entreprise de

1. J. TIMAR, p. 17Z. z. Trud (Sofia), 13-4-1974, p. z.

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100 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

construction Sofstroi de s'installer à Sofia (ce qui n'est pas autorisé, en général, en raison de la pénurie de logements) ; leurs salaires ont, de plus, été majorés de 20 %1. Cette situation n'est pas incompatible avec un chômage volontaire non négligeable dans les grandes villes où les étudiants, par exemple, prolongent leur séjour plutôt que d'occuper un emploi en province.

2 1 Chômage structurel

Il Y a chômage structurel lorsque l'offre de travail ne correspond pas à la demande de travail pour des raisons géographiques ou parce que les qualifications offertes n'ont rien à voir avec celles qui sont demandées.

Le chômage structurel « géographique » est très important en URSS. On peut considérer que huit républiques, sur les quinze que compte l'URSS, connaissent une forte pénurie de travail alors que les sept autres souffrent d'un fort chômage structurel (Azerbaïdjan, Uzbe­kistan, Tadjikistan, Kirghizistan, Géorgie, Arménie et Turkme­nistan). Les raisons sont simples, ces républiques du Sud connaissent une forte croissance démographique alors que les centres de dévelop­pement et les ressources en matières premières sont situés à des mil­liers de kilomètres. Ce chômage atteint surtout les jeunes qui arrivent à l'âge de travailler et hésitent à s'expatrier: il est difficile pour un musulman asiatique de s'installer dans des régions de civilisation et de climat très différents. Ce chômage frappe aussi les femmes : le mari occupe un emploi sur place et la femme ne s'expatriera évidemment pas. De plus, les femmes musulmanes ne désirent pas occuper un emploi à temps plein qui les éloigne de leur famille (assez nombreuse en général). Ce qui est vrai des femmes musulmanes l'est aussi des Arméniennes ou Géorgiennes (athées ou de religion orthodoxe) qui, de ce point de vue, sont très orientales. Ainsi, en Géorgie, les femmes représentent 80 % des demandes d'emploi non satisfaites2•

Le chômage des jeunes devient sérieux en Turkmenistan; dans la région de Tashanz, il y a mille chômeurs, si bien que les autorités ont recommandé de créer des petites entreprises3• En Azerbaïdjan,

1. Kooperalivno Selo, 9-10-1973, p. 2. 2. Zarja Vos/oka, 12-1-1979. 3. Turkmenskaja Iskra, 21-12-1979.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI 101

2~ % de la population en âge de travailler ne le fait pas, tandis qu'en Arménie l'offre de travail serait de 20 % supérieure à la demande des entreprisesl •

La croissance démographique en Uzbekistan est telle que pour se maintenir au niveau actuel de remploi de 44-45 % de la population totale, il faudrait créer, de 1974 à 1990, 5 millions d'emplois2. Le chô­mage des diplômés risque d'être grave dans ces républiques où leur nombre s'est accru très vite.

Le taux réel d'activité le plus bas d'URSS est celui du Tadjikistan. Le pourcentage de personnes en âge de travailler qui n'occupent aucun emploi est égal à 2,5 fois la moyenne nationale3• 13 000 jeunes quittent chaque année les écoles techniques alors que seulement 6 à 7 000 emplois leur sont offerts. Cependant on observe que dans certaines villes de Tadjikistan les offres d'emploi restent supérieures à la demande.

Ce chômage structurel « géographique» conceme surtout, pour des raisons évidentes, l'URSS; une autre de ses causes réside dans la large différence de style de vie entre la ville et la province : les diplômés citadins refusent des emplois loin de leur domicile. Ce chômage structurel est d'ailleurs du chômage volontaire; la frontière entre les deux est très floue. Il existe, en RDA, une situation assez comparable, toutes proportions gardées, à celle de l'URSS; le déséqui­libre Nord-Sud et le refus de mobilité géographique de la main­d' œuvre provoquent une pénurie de main-d' œuvre dans les régions de Karl-Marx-Stadt et Leipzig qui sont des pôles de développement industriels alors qu'il y a tendance au chômage volontaire dans des zones moins industrielles'.

La meilleure méthode pour mesurer le chômage structurel serait de comparer systématiquement, région par région, la croissance de la population en âge de travailler et celle du nombre d'emplois occupés. La différence entre les deux, diminuée des migrations, donnerait le taux de chômage structurel (volontaire ou non). Au sens strict du terme, ce chômage structurel est toujours volontaire,

1. Business Week. z3-7-1979. z. Prauda Vastaka. u-8-1973. p. z. 3. SaçÎa/istiéeskaja Int1ustrija. Z5-1I-1978. 4. Cf. à ce sujet l'intéJ:essante étude collective Prab/cme der praportiana/illit zwiuhen

gm//schaft/ithem Arbeitwermligen und Arbcilsp/lilzen parue dans les rapports de recherche de l'Académie des Sciences de R.DA Berlin (Est). 1973. nO 3.

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102 INFLATION ET EMPLOI D.o\NS LES PAYS SOCIALISTES

car rien n'empêche, en théorie, une jeune Tadjike d'aller travailler à la chaîne en Estonie (où il ya un fort déclin démographique) ou un jeune Uzbek de s'installer en Sibérie, ce qui représente des dépla­cements de plusieurs milliers de kilomètres. Cette situation a plutôt tendance à se dégrader: entre le recensement de 1959 et celui de 1970, la Sibérie a perdu 924 000 habitants tandis que le Caucase du Nord en gagnait 897 000 et l'Asie centrale 458 0001 ; or, les exigences de la croissance industrielle voudraient que l'on crée plus d'emplois en Sibérie qu'en Asie centrale ou au Caucase.

Ces déséquilibres géographiques provoquent paradoxalement en Sibérie un chômage féminin induit. Les entreprises sibériennes embauchent des hommes pour des travaux qui sont pénibles, notam­ment pour des raisons climatiques. Les épouses de ces ouvriers et ingénieurs cherchent des emplois que le faible développement démo­graphique de la Sibérie ne permet pas de créer; il Y a un très fort taux de chômage féminin en Sibérie et des femmes médecins ou des ingénieurs acceptent des emplois de comptables ou d'auxiliaires de bureaux quand elles en trouvent2•

} / Chômage frictionnel et chômage volontaire

Il Y a dans tous les pays industriels un chômage frictionnel qui correspond au temps passé à rechercher un emploi; ce chômage est en général considéré comme volontaire dans la mesure où le « cher­cheur d'emploi » ne prend pas le premier emploi venu et préfère chercher une place convenant mieux à sa qualification ou mieux payée3• A l'époque stalinienne les bureaux de placement avaient été supprimés « puisqu'il n'y avait plus de chômage; ils ont été rouverts, en 1967, dans les grandes villes et ce système s'est révélé assez satis­faisant puisque 25 % de l'embauche est réalisée par l'intermédiaire de ces offices4, soit un pourcentage comparable aux performances des bureaux de l'Agence nationale pour l'Emploi en France.

1. Cf. J. L~RVCHETIE. z. LG. I97717. Cette déqualification des emplois, qui est une forme de chômage

déguisé, n'est pas propre à la Sibérie. 3. Il faut mettre à part le problème des étudiants ayant échoué à leurs examens et qui

cherchent un premier emploi ; ils restent fréquemment plus de trois mois sans trouver d'emploi (EKO, I978/2, p. 86, cité par LARUCHEITE).

4. Sodalistiéeskij Trud, I977/1.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI 1°3

Les bureaux de l'emploi du Kazakhstan, ouverts en 1972., ont permis, en un an, de réduire de moitié la période moyenne de recherche d'un nouvel emploi qui était auparavant de seize jours. L'économie réalisée est évaluée à 670 000 journées de travail1• Le bureau d'Odessa a orienté son activité de façon à ne servir que les « véritables cher­cheurs» d'emploi et non ceux qui désirent changer d'emploi: c'est une façon détournée de reconnaître l'existence du chômage fric­tionnel. Le bureau d'Odessa a été d'ailleurs, dès 1970, à la pointe du progrès en diffusant l'information sur l'emploi par tous les médias possibles (télévision, journaux, affiches, etc.)2.

En Pologne, selon les statistiques officielles, il y a régulièrement plus d'offres d'emploi que de demandes d'emploi non satisfaites; le chômage apparent est du chômage frictionnel qui ne dépasse pas 1 % de la population active3• On peut remarquer que certains auteurs polonais ont souligné qu'un chômage frictionnel de 3 à 5 % ne serait pas anormal4 ; c'est d'ailleurs le taux admis en Occident. li faut ajouter aux demandeurs d'emploi recensés ceux qui cherchent un emploi sans vouloir s'inscrire, afin de ne pas se voir offrir une place dans un lieu situé loin de leur ville d'origine ou une occupation différente de leurs souhaits; leur prise en compte ferait passer le taux de chômage de 1 % à 2. à 4 %5.

Toutes ces manifestations de chômage frictionnel sont parfai­tement normales dans une économie moderne et ne méritent d'être signalées que pour montrer que toutes les économies industrielles se trouvent, quel que soit leur système économique, dans une situa­tion de l'emploi caractérisée par un chômage volontaire important qui correspond aux délais d'attente sur le marché du travail lorsque les individus prennent le temps de chercher un emploi qui satisfasse leurs exigences.

Ce qui est spécifique aux économies socialistes, c'est le chômage frictionnel dans la « seconde économie », c'est-à-dire sur les marchés parallèles du travail. li ne s'agit pas seulement du travail « au noir », mais aussi du travail « libre » autorisé en dehors des heures de travail

1. Kozakhjkaja Pravda, 14-9-1973, p. 2.

2. Rad. Ukraj/l/l, 15-8-1973, p. 3. 3. U. Fox, Versteckte Arbeitslosigkeit in Poleo, OjJeuropa- Wirtuhaft, 1977/1. 4. L. SOBCIUK, Rynok pracy IP Poltce LlIIIolnj, Varsovie, 1970, p. 70, cité par U. Fox. 5. U. Fox, p. 7.

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104 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

et du travail des retraités. Ainsi, dans tOUi les pays socialistes, l'Etat encourage les retraités à travailler quelques années; comme bien des retraités sont encore assez jeunes et comme les retraites sont faibles, le taux d'activité des retraités est élevé et la perspective de cumuler une retraite et un salaire permet de trouver des postulants aux emplois les moins bien payés. En URSS, une enquête auprès des travailleurs s'approchant de l'âge de la retraite montre que 65,6 % désirent occuper un emploi après leur retraite (79,5 % des hommes et 61,3 % des femmes)1. Or, tous ces retraités ne trouvent pas néces~ sairement un emploi après leur retraite, même si certaines activités sont exclusivement le fait de retraités (tenir le vestiaire des restau­rants, des hôtels et des établissements publics ainsi que certains travaux administratifs). Il y a donc un chômage involontaire de ces retraités désireux de travailler, mais il est impossible de le mesurer.

Si le niveau des pensions de retraite s'élève, l'offre de travail des retraités diminue; c'est du chômage volontaire au sens strict. En Pologne, l'offre de travail s'est réduite lorsque les pensions de retraite ont été revalorisées; l'économiste polonaise Pierzchalska2

souligne cette conséquence de la croissance du montant des retraites plus rapide que celle des salaires; cette forme de chômage volontaire est assez récente en Pologne; c'est la première fois, selon Pierzchalska, que les départs réels à la retraite s'expliquent par des facteurs écono­miques et non démographiques. Il est possible que ces « retraités » désirent travailler dans l'économie parallèle, très florissante en Pologne dans les services et l'agnculture comme dans le bâtiment; dans ce cas, il n'y aurait pas chômage volontaire de la part de ces retraités, mais simple passage à l'économie parallèle dès l'âge (assez bas) où il est légalement possible de prendre sa retraite. La situation est identique en Hongrie où l'économie privée est très importante (1,8 million de firmes privées et près de 25°000 petites firmes indus-­trielles), si bien qu'il est difficile d'y mesurer le chômage volontaire des retraités.

1. Soâalistiéeskij Trud, 1978(10, p. 136. 2. P. P1EIlZCHALSKA, Dlaczego przestaja pracowac ?, Zycie gospodarçe, 1979, p. 50.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI 1°5

4 / La planification de sur-emploi : callSe du chôfJJage volontairs

L'offre de travail dépend du salaire et d'avantages en nature (logements ... ), ainsi que de la localisation de l'emploi: l'approvi­sionnement en biens de consommation des grandes villes les rend attrayantes au candidat à un emploi. Or, ainsi que nous l'avons vu, la planification de sur-emploi incite à la surembauche. Un travailleur sait donc que, le cas échéant, il n'aura pas de grosses difficultés à trouver un emploi s'il abandonne toute exigence quant à la locali­sation et aux avantages en nature. Cela rend le travailleur plus confiant et il peut ainsi consacrer du temps à chercher un « meilleur» emploi. Ainsi, paradoxalement, la planification de sur-emploi accroît le chômage frictionnel volontaire, d'autant plus qu'un travailleur qui s'estime peu satisfait de ses conditions de travail n'hésite pas à partir et à chercher une nouvelle place. Cela correspond au fait, observé également dans les pays capitalistes, que le taux de mobilité volon­taire s'accroît quand le chômage conjoncturel est faible.

La planification de sur-emploi est largement responsable de la mobilité des travailleurs et du développement du chômage frictionnel. Il est intéressant de noter que le taux de mobilité en URSS en 1975-1980 est le même que celui que les USA connaissaient avant la crise de 1974; la durée moyenne d'un emploi y était de 2.,7 ans1• Un autre facteur qui favorise le chômage frictionnel est la médiocre qualité de l'infor­mation sur le marché du travail; là encore, les mêmes causes produi­sant les mêmes effets, le rôle des bureaux de placement s'est vite accru en URSS et leurs responsables ont cherché à améliorer la trans­parence du marché du travail2• L'information que le chercheur d'emploi est disposé à accumuler dépend des dimensions du marché qu'il entend prospecter. Si personne, ou presque, n'étend ses ambi­tions à l'ensemble de l'URSS, il est néanmoins certain que l'étendue géographique de l'URSS peut inciter à une quête d'informations particulièrement longue; il n'est donc pas étonnant que le chômage volontaire de « recherche d'emploi» soit important en URSS.

I. Cf. J.-P. FITOUSSI, p. 128.

2. Rappelons ce que nous avons déjà signalé à propos du bureau d'Odessa qui a mis au point un système d'annonces dans les journaux et à la télévision.

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106 INFLATION ET EMPLOI DANS LES l>AYS SOCIALISTES

En dehors des problèmes d'organisation de l'information, le chômage de« recherche d'emploi» est donc d'autant plus fort que:

1) le marché est vaste; 2) les revenus précédents ont été élevés; 3) le chômage conjoncturel est faible.

La deuxième condition est assurée par l'inflation réprimée et la croissance de l'épargne liquide des ménages, la troisième par la planification de sur-emploi.

III 1 LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI

LE CHÔMAGE DÉGUISÉ

Le concept de chômage déguisé a été utilisé dans les années 1930 pour caractériser la situation des ingénieurs et cadres supérieurs qui, aux Etats-Unis, devenaient jardiniers, gardiens de musée, etc. La paternité de ce terme est attribuée à Joan Robinson. On étend la définition de chômage déguisé à l'emploi de travailleurs à des postes où ils n'ont aucun travail réel : les ateliers nationaux du XIXe siècle, en France, en sont un exemple. li est naturel d'appliquer alors le terme de chômage déguisé au maintien, dans les entreprises des pays socialistes, de travailleurs inutiles. L'existence de ce chômage déguisé n'est d'ailleurs pas niée par les responsables des socialistes même s'ils emploient une autre terminologie. Au XVe Congrès des Syndicats soviétiques, leur président, Shelepin, dit qu'il fallait « mobiliser» les travailleurs pour réaliser les plans de production sans accroître la force de travail. Le terme de « mobilisation du travail» est celui qui est couramment employé pour désigner la lutte contre le chômage déguisé, et celui de « réserves cachées de travail» (qu'il convient de mobiliser) qualifie le volume de chômage déguisé.

l / Forum de chômage déguisé

- Le sur-emploi dans les entreprises: La première forme de chômage déguisé est l'emploi par les entreprises d'un nombre de travailleurs supérieur à ce qui serait nécessaire, la diminution de la main-d'œuvre

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI 1°7

ne provoquant alors aucune baisse de production. Une telle situation est possible parce que les entreprises n'ont aucun intérêt à minimiser leurs coûts et que le gaspillage de ressources, en main-d'œuvre comme en matériel, leur est indifférentl ; les chefs d'entreprise reconnaissent d'ailleurs volontiers l'existence de ce chômage déguisé2, 3.

Ce phénomène n'est pas nouveau: en 1952, Malenkov souligna devant le XIXe Congrès du Parti communiste de l'URSS que de nombreuses entreprises n'exécutent pas le plan d'accroissement de la productivité et que les ministères déterminent le nombre de tra­vailleurs alloués aux entreprises sans avoir vraiment étudié la réalité des besoins en main-d'œuvre.

Le président du Gosplan, N. Baïbakov, en présentant la réforme économique, dans la Prauda du 22 août 1979, a souligné la tendance des entreprises à gonfler leurs effectifs en personnel; il a évalué l'excédent du nombre d'ouvriers et employés occupés dans l'industrie sur les besoins fixés par le plan à plus de deux millions, ce qui est d'ailleurs une évaluation modeste4• La solution préconisée est la fixa­tion de plafonds d'effectifs aux entreprises, ce qui résulte d'ailleurs en pratique de la réforme des salaires de 1979, En RDA, des« Combi­nats » « qui correspondent à des Unions d'Entreprises soviétiques) passent un accord, aux termes duquel chacun s'engage à ne pas embaucher de personnel en provenance d'un autre Combinat. De telles pratiques pourraient être envisagées en URSS.

Les autorités hongroises ne manquent jamais une occasion de rappeler que le maintien du plein emploi n'est pas de la responsabilité

1. On pourrait croire que les réformes économiques ayant réhabilité le profit en tant que critère de gestion,les firmes ont intérêt à minimiser leurs coûts. Il n'en est rien,le rôle du profit a bien reculé depuis 1970 environ et, de toute façon, la maximisation du profit n'inciterait pas les firmes à réduire leurs coûts. En effet, les prix sont calculés selon une formule: CM + a.CM où CM est le coût moyen et a. un taux de profit déterminé par l'Etat. Soit 1t" le profit, q la quantité, CT les coûts totaux etp le prix: 1t" = p.q - CT = (CM + a.CM) q - CM.q = a.CM.q. Comme a. et q sont fixés par l'administration centrale, l'entreprise maximisant son profit tend à maximiser ses coûts. Cette question est traitée en détail dans F. SEUROT (1981).

2.. Cf. LG, 1972./10. 3. « Le sentiment général est qu'un tiers de la main-d'œuvre totale pourrait être

licenciée sans diminution de la production », Po/ity/:a (Varsovie), 23-9-1978, p. 3. C'est la plus forte estimation du chômage déguisé que j'ai trouvée dans la presse officielle des pays socialistes.

4. En 1975, le volume de la main-d'œuvre employée dans l'industrie dépassait de 2,5 millions de personnes le chiffre prévu par le plan (cf. Courrier du pays de "Est, nO 234, nov. 1979. p. 10).

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108 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

des entreprisesl • Cette prise de conscience, qui se rencontre aussi en Pologne, est due, dans ces deux pays, à la nécessité d'améliorer la productivité afin d'exporter ce qui est nécessaire pour couvrir les importations de matières premières et de biens d'équipement. Les firmes hongroises ont des « réserves de travail inemployées» que l'on évalue à 15 % ou 20 % du total de l'emploi, soit 600 000 à 800 000 tra­vailleurs; 100 000 autres pourraient être avantageusement remplacés par des équipements peu coûteux, comme le remarque la presse hongroise2• A Gyor, en février 1979, le nouveau directeur de l'entre­prise Raba a transféré d'un atelier à un autre 340 travailleurs et licencié 480 autres (qui ont trouvé un emploi ailleurs) sur un effectif total de 2 500 travailleurs, la production de l'entreprise s'est accrue de 8 %. Cet exemple est souvent repris par la presse hongroise pour montrer la nécessité d'une réorganisation du travail et d'une compres­sion des effectifs dans les entreprisess.

En RDA, la pénurie de travail et le chômage déguisé sont impor­tants et le chômage ouvert est très faible. Il faut rationaliser l'utili­sation du travail dans les firmes et les investissements nouveaux doivent être utilisés sans main-d'œuvre supplémentaire. Ainsi l'entre­prise « Erich Weinert» de Magdeburg est citée en exemple pour avoir accru la productivité de ses ateliers de 3 7 % en réduisant le nombre de ses travailleurs4• En avril 1978, le directeur de la firme Zeiss d'Iéna avait déjà expliqué dans Neues Deutschland que les gains de pro­ductivité passent par une gestion plus rigoureuse de la main­d'œuvre.

Comment se traduit ce sur-emploi dans la structure du personnel de l'entreprise?

Le sur-emploi se manifeste, avant tout, par l'importance du secteur auxiliaire (personnel d'entretien, de surveillance, etc.).

La catégorie des travailleurs auxiliaires est très nombreuse dans l'industrie soviétique: pour 100 travailleurs à la production directe, il y aurait 85 auxiliaires (contre 38 aux Etats-Unis). Or, si la produc­tivité d'un « travailleur direct}) en URSS est de 70 % de celle de son

1. Cf. J'interview de K. MOGYORO de J'Institut d'Economie de J'Académie des Sciences, Heti Viloggazdasag, 28-7-1979, p. 30-31.

2. Népszabadsag, 2S·6-1976. 3· Magyar Szo, 24-7-1979; Magyar Ifjusag, 10-8-1979, p. 3-4. 4. Neue! Deul!çhlaJld, 6-1I-1979.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI

homologue américain, pour un travailleur auxiliaire ce pourcentage est de 20 à 25 %1.

En Tchécoslovaquie, la part des travailleurs auxiliaires dans l'industrie est comparable à celle que l'on observe en URSS. Ainsi dans l'industrie de construction de machines, pour 325 119 travailleurs directement affectés à la production il y en avait, en décembre 1978, 263 613 dans les services annexes2• La situation dans les autres pays socialistes est très comparable.

Le sous-emploi du personnel « occupé» dans l'entreprise est tel qu'il est possible à un travailleur de passer une part importante de son temps à travailler « au noir» ou à une seconde profession légale.

Cette structure des emplois dans l'entreprise correspond aux nécessités des années 193°-1950 où la main-d'œuvre non qualifiée était le facteur de production le plus abondant. Elle est, sans aucun doute, la cause la plus importante de la faible productivité des entreprises.

- La déqualification : Le concept de chômage déguisé avait été utilisé à l'origine pour qualifier la situation d'ingénieurs américains devenus manœuvres pendant la crise de 1929; cette anomalie de la structure d'emplois se rencontre dans les pays socialistes surtout depuis l'accroissement considérable du nombre de diplômés de l'enseignement supérieur.

En URSS, 25 % des ingénieurs dans l'industrie occupent un poste d'ouvriers qualifiés3 ; certains sont comptables ou secrétaires. « Lors­qu'un nouvel ingénieur a"ive, on lui demande s'il sait taper à la machine »4, et, dans une usine de tracteurs de Minsk, les techniciens nouvellement arrivés sont affectés automatiquement à des postes d'ouvriers spécia­lisés pour une période de trois anso.

En RDA, les travailleurs sont employés pour 30 % du temps de travail à des tâches inférieures à leur qualification6• Le chômage

1. Cf. M. FEsHBAcH, The Structure and Composition of the Soviet Industrial Labour Force, in L'URSS dans les années I980, Bruxelles, OTAN, 1978.

2. Planovane hospodarstvi, 1979/3, p. II-!7. 3. Courrier des pays de l'Est, Panorama de l'URSS, p. 112.

4· LG, 1969/9, cité par J. LARUCHETTE. S. LG, 1969/26, cité par J. LARUCHETTE. 6. E. STILLER, Aspekte des effektiven Einsatzes der Arbeitskrafte, Die Arbeit, 1971/3,

Berlin (Est).

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110 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

déguisé des diplômés en Pologne est aussi élevé qu'en URSS, 19 % des diplômés de l'enseignement supérieur ont un emploi qui n'a rien à voir avec leur formation (il s'agit surtout de diplômés en sociologie, en droit et en pédagogie); plus de 10 % des diplômés occupent d'ailleurs un emploi qui n'exige aucune formation universitaire!.

2 / Causes du chômage déguisé

Le chômage déguisé peut s'observer dans une économie capi­taliste, par exemple dans l'administration et lors d'une embauche massive dans la fonction publique pour diminuer le chômage appa­rent. Mais il s'agit de phénomènes limités et d'ailleurs caractéristiques du secteur « socialisé}) de l'économie; le nombre de travailleurs inemployés, mais présents, dans les entreprises japonaises relève de la même philosophie.

L'ampleur du chômage déguisé dans les économies socialistes soulève d'autres questions, car il semble être une des caractéristiques du système économique2• En économie planifiée, l'inflation réprimée crée un chômage déguisé selon le processus suivant : le gonflement de l'épargne monétaire des travailleurs les rend peu sensibles à une prime pour accroître leur rendement3 et la tendance des travailleurs à la mobilité incite les firmes à conserver une main-d'œuvre excéden­taire puisque, répétons-le, les indices de performance de la firme n'incluent pas une minimisation des coûts salariaux.

Si un travailleur devient inutile à la firme en raison d'un change­ment des techniques utilisées, elle doit l'employer à un autre poste ou lui trouver un emploi ailleurs. Le plus souvent, l'entreprise se contente de maintenir ce travailleur sur place quitte à ne lui trouver aucun travail réel à effectuer; cette solution a l'accord du travailleur et contente donc tout le monde, seule la productivité en souffre. Ainsi se développe un important chômage déguisé. Le chômage ouvert qui subsiste est donc souvent volontaire ainsi que tendent à le considérer les autorités, et accorder des allocations chômage ne

1. NOW8 Drogi, 1976/5, p. 130.

2. Cf. A. OXE."1FELDT et E. VAN DE."1 I-Ü-AG (1954).

3. En Tchécoslovaquie, il y a demande excédentaire de travail de la parr des entre­prises si bien que lcs travaiileurs, en position de force, refusent de plus en plus de travailler la nuit, ce qui perturbe certaines industries et réduit la productivité. Pravda (Brastislava), 20-2-1979, p. 4·

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI III

ferait, à leurs yeux, qu'accroître ce chômage en allongeant le temps de recherche d'un emploi.

Selon la belle formule de Feiwell, le mouvement de l'emploi et du fonds des salaires semble être une rue à sens unique. L'expansion des secteurs prioritaires est assurée par de nouveaux enttants sur le marché du travail plus que par des départs des secteurs non prioritaires.

Lorsqu'il ne reste plus de main-d'œuvre disponible dans l'agri­culture, on ne peut réaliser le développement d'un secteur qu'en faisant venir de la main-d'œuvre d'autres secteurs où elle est inem­ployée, ce qui provoque un chômage ouvert, plus ou moins temporaire.

} / Faut-il accepter un volant de chômage déclaré pour réduire le chômage déguisé?

En Occident, en France notamment, quelques économistes et de nombreux politiciens suggèrent de réduire le chômage en employant les chômeurs dans des administrations qui n'ont pas besoin d'eux; cela revient à déguiser le chômage. Inversement, dans les pays socia­listes, certains économistes jugent indispensable d'accepter un chô­mage ouvert, c'est-à-dire d'arracher au chômage son déguisement. Un certain chômage« limité» ou« planifié» permettrait de renforcer la discipline dans le travail et d'accroître la productivité. L'objectif est clair: il s'agit de rationaliser l'emploi de la main-d'œuvre. Dans cette perspective, on refuse d'adapter, coûte que coûte, la demande de travail des firmes et des administrations à l'offre des travailleurs; car, selon la formule de Timar, cela reviendrait à chercher à éliminer les contradictions entre l'offre et la demande de travail au mépris de la rationalité sociale2•

En Pologne et en Hongrie, des économistes officiels proposent de reconsidérer le dogme du plein emploi apparent s'il doit être atteint au prix d'une faible productivité3• Ce point de vue vient de se voir reconnaître droit de cité en URSS lorsque la Pravda, qui est le quotidien du Parti communiste, a publié, le 27 décembre 1980, un long article du pr Popov, de l'Université de Moscou, consacré à la rationalisation de l'emploi. Popov constate d'abord que certaines

1. G. FEIWEL (1974). 2. J. TIMAR, p. 172.. 3. Cf. Molnarne VENYIGB, dans Kozgazdofagi Szemle, 1979/5, p. 539-547.

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IIZ INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

régions et certaines entreprises manquent de main-d'œuvre alors que de très nombreuses entreprises paient des travailleurs inutiles : « On s'efforce partout de retenir un mauvais travailleur, il commence alors à dicter ses conditions et il exige un salaire suPérieur à ce qu'il mérite. Où prendre ces biens et ces avantages? Il faut parfois en priver ceux qui travaillent bien. Ainsi apparaÎt une égalisation qui réduit, chez les meilleurs travailleurs, l'incitation à une haute productivité »1.

A l'appui de son plaidoyer contre la tendance à l'égalisation des salaires, Popov cite Lénine qui « malgré le chômage de Ij2I» estimait « qu'il faut nou"ir seulement les bons travailleurs »2. Popov suggère de licencier la main-d'œuvre inutile; cela inciterait, selon lui, les tra­vailleurs à améliorer leur productivité par crainte d'un licenciement. Cette mesure dégageait une main-d'œuvre disponible dont une partie n'aurait d'autre ressource que de chercher du travail dans les régions déficitaires en main-d'œuvre. Popov propose de fixer l'indemnité qui serait versée à ces travailleurs licenciés au montant du salaire minimum légal (80 roubles, soit environ ~ 30 francs au cours officiel de 1980). « Il faut fixer les limites du droit au travail et du droit à un certain niveau de salaire. Celui qui part de l'usine conserve le droit au travail, mais personne n'est tenu de lui garantir plus que le minimum que peut se permettre aujourd'hui le pays »3.

Pour cette modeste rémunération (moins de la moitié du salaire moyen dans l'industrie), les travailleurs licenciés seraient employés à l'entretien des routes ou à la voirie municipale jusqu'à ce qu'ils trouvent un véritable emploi; ces travailleurs chercheraient, d'ail­leurs, activement un emploi qui corresponde à leur qualification.

Les propositions de Popov ne constituent pas le point de vue officiel du gouvernement ou du Parti; mais le fait que cet article soit paru dans la Pravda, en page Z et avec un large encadré, signifie, sans aucun doute, que le Parti communiste soviétique veut montrer qu'il est disposé à agir fermement pour restaurer la discipline dans le monde du travail.

Dans les faits, peu d'efforts ont été faits pour réduire réellement le chômage déguisé. Selon Peiwel, en Pologne, le plan 1971-1975, préparé sous Gomulka, prévoyait une rationalisation de l'emploi

J. G. POPOV, PravJa, 27-U-J980, p. 2.

2. G. POPOV, ibid. 3. G. PoPOv, ibid.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI

dans les entteprises et un chômage déclaré de s 00 000 à 700 000 per­sonnes en 1975 ; ce plan a été abandonné dès l'arrivée au pouvoir de Gierek en 1970, mais nombre d'économistes polonais ont recommandé de maintenir un petit volant de chômage déclaré, ne serait-ce que pour restaurer la discipline du travail dans les entteprises. Le Premier Ministte a donné, en janvier 1974, des insttuctions pour freiner la tendance à une hausse excessive du nombre de ttavailleurs employés par les fumes qui reçoivent l'ordre de réduire leurs effectifs au chiffre prévu par le pIanI.

En Hongrie, un débat sur les problèmes de main-d'œuvre a ras­semblé les représentants des ministères, des syndicats et du Parti, en janvier 1979. li en est ressorti que le plein emploi était obtenu parce que 2.0 % de la force de ttavail n'était pas réellement employée et que les entteprises refusaient de licencier ces 2.0 % pour des raisons humanitaires. La conclusion du débat a été que le maintien du plein emploi n'est pas du ressort des entteprises mais de l'Etat et qu'il faut redéployer la main-d'œuvre, ce que certaines fumes font d'elles­mêmes; ainsi 15 % des fumes de Budapest avaient décidé de réduire leur main-d'œuvre2• li paraît vraisemblable que l'alternative au chô­mage déguisé n'est pas un ttavail réel mais un chômage déclaré, car les ttavailleurs du secteur auxiliaire n'ont pas tous des qualifications réelles leur permettant d'occuper un poste de travail dans les secteurs prioritaires.

IV 1 L' « INDISCIPLINE» DANS LE TRAVAIL

Depuis l'été 1979, les discours officiels des responsables SOVIe­tiques insistent sur la nécessité de restaurer la discipline dans le travail. Ainsi Brejnev, dans son discours devant le plenum du Comité central du PCUS, le 2.7 novembre 1979, s'exprime ainsi en présentant les projets du Plan et du Budget 1980 : « Les ministères sont loin d'avoir partout réussi à surmonter la force de l'inertie, à mener à terme l'orientation du travail vers la qualité, à élever la productivité du travail ...

« Les fonds productifs ont crû sans inte"uption, de nouvel/es ressources

1. Zycil gospodarçze, 10-2-1974, p. 15. 2. NiPszabadsag, 25-2-1979, p. ,.

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114 INFL.HION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

Cil trat'ail ont été utilisées. Et voilà qu'en résultat flOUS recevons flJoins que nous aurions dû, moitis que le permettaient flOS possibilités. D'où des déficits, des déséqJtilibres, des réserves inSlljjisantes ...

« Il y a eu une mobilité du travail assez grande, parfois utile, parfois non. Le plus important c'est la désorganisation et l'irresponsabilité. D'où de grandes pertes de travail..., les chefs d'entreprise ont tendance à conserver CI1 réserve de la main-d'œuvre inutile ... De façon générale, la discipline et l'ordre sont tOlgolirs nécessaires »1.

N. Tikhonov, alors premier vice~président du Conseil des Ministres, soulignait dans Kommunist, la revue du Parti2, les problèmes d'organisation du travail dus à l'absentéisme d'une part, et à la mobi­lité des cadres d'autre part. Il appelait les entreprises à mener une survej}Jance plus étroite des manquements à la discipline. Il mettait en cause les dirigeants d'entreprises et les administrations qui octroient trop libéralement des congés.

Le communiqué du Comité central du PCUS, du presidium du Soviet suprême de l'URSS et du Conseil des Ministres sur le renfor­cement de la discipline dans les entreprises, est encore plus dur. « De grandes pertes de travail désorganisant l'activité des entreprises sont dues à l'alltorisation donnée par les firmes à des travailleurs de se déplacer ... De nombreux organismes sociaux organisent des réunions, séminaires, compétitions sportù1es, expositions artistiques, etc., pendant les heures de travail... Les organes dll Parti Ile prmnent pas tOlgours les mesures nécessaires à I/ne prise de conscience des dirigeants quant aux problèmes de discipline »3.

1 1 La Illobilité du trat'ail

La croissance médiocre de la productivité du travail dans les économies socialistes a provoqué, depuis 1974-1975, un débat sur les motifs des modestes performances des entreprises.

La cause la plus fréquemment soulignée par les autorités sovié­tiques est la mobilité des travailleurs, ainsi qu'en témoigne le discours de Brejnev précédemment cité.

Les nombreuses études faites par les sociologues soviétiques sur la mobilité du travail font ressortir que les conditions de logement

1. Ce discours est reproduit dans Ekoflomiëeskoja Gazeta, 1979, nO 49. 2. N. T1KHONOV, Pervejsaja zadaea organizacii tmda, Kommunist, 1980/3, p. 3-14. 3. Le texte du communiqué est publié par la revue Ekonomileskoja GazeJa, 1980, nO 3.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI IIj

expliquent largement la mobilité des travailleurs. L'ouvrier jeune qui épouse une ouvrière cherche un logement d'Etat à faible loyer et est donc prêt à abandonner son entreprise si nécessaire. En général, il est d'abord obligé de se loger chez un particulier (un premier chan­gement du lieu de travail en résulte souvent) avant que son tour ne vienne d'obtenir un logement d'Etat (deuxième changement du lieu de travail). Bien d'autres motifs, plus habituels, existent à la mobilité: salaires plus élevés, conditions de travail, etc.

La mobilité de la main-d'œuvre est considérable; selon un expert soviétique!, un ouvrier conserve en moyenne 3,2 ans sa profession et reste 3,3 ans dans la même entreprise. En 1974, 19,4 % des ouvriers de l'industrie et 24,3 % de ceux du bâtiment ont quitté leur entreprise2•

On explique parfois la mobilité du travail par le mécontentement des travailleurs. Ainsi Laruchette écrit que le travailleur soviétique, n'ayant pas le droit de grève et n'étant pas défendu par des syndicats libres, n'aurait qu'une arme: partir. Il est certain que bien des départs s'expliquent ainsi3, mais il est difficile d'évaluer la part qu'ils repré­sentent dans la mobilité totale; il Y a certainement d'autres motif~ importants.

En 1976-1977, une enquête fut menée sur la discipline du travail à Dniepropetrovsk; il en ressortait que la mobilité du travail est plus faible dans les entreprises à technologie élevée et dans celles où le salaire moyen est élevé. Il n'apparaît pas que la main-d'œuvre fémi­nine soit moins disciplinée (l'entreprise de chaussures qui a battu le record de discipline dans le travail a un personnel à 83 % féminin)4.

En résultat d'autres enquêtes similaires, il semble que la moitié des nouveaux arrivants en Sibérie repartent, au bout d'un an ou deux, à cause des conditions de travail plus que des conditions de vie5•

Une des causes de la mobilité du travail à Kichinev est « le chantage exercé par les travailleurs,. ils demandent un supplément de salaire ou 1111

nouve! appartement et quittent leur emploi en cas de refus »6. De façon générale, les taux de mobilité observés et les motifs que

1. V. S. NEMCENKO, directeur du Laboratoire central de Recherches sur la Main-d'Œuvre. Cf. Courrier des pays de l'Est, nO 2.34, p. 9.

2. Courrier des pays de l'Est, ibid. 3. LG, 1976/5, cité par J. LARucHETTE. 4· LG, 1978/3' 5. KOfllsomolskoja Prat'da, 30-6-1979, p. 2.

6. Sovjetskaja Moldavija, 28-2-1 974, p. 3.

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II6 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

l'on peut discerner n'ont rien de pathologique, ils sont les caracté­ristiques d'une économie industrielle moderne et les responsables des Etats socialistes se trompent de cible en faisant de la mobilité du travail une cause de la faible productivité.

Ainsi que nous l'avons déjà remarqué, de tels taux de mobilité sont tout à fait normaux dans une économie industrielle moderne et correspondent aux taux de mobilité aux Etats-Unis dans les années 1970. lis paraissent anormaux aux yeux des responsables des pays socialistes, parce que cette mobilité spontanée est un phénomène relativement récent. De 1940 à 1956, il était interdit d'abandonner son emploi et, depuis 1956, la mobilité du travail a d'abord été faible et considérée comme un bien en soi.

Les taux de mobilité dans les autres pays socialistes sont du même ordre. En Tchécoslovaquie, un quart des travailleurs de l'industrie change d'emploi chaque année!. Cette proportion est d'un travailleur sur huit en Pologne dans le secteur nationalisé, selon certaines sources2,

et d'un sur quatre, selon d'autres. En Hongrie, sur une population active de 6,4 millions de personnes, un million changent d'emploi chaque annéeS.

2 / L'absentéisme

Plus que la mobilité, l'absentéisme des travailleurs semble être une cause de la faible productivité des entreprises.

En URSS, le temps de travail perdu en 1979 est dû pour 54 % à des absences autorisées, pour 27 % à des absences non autorisées et pour 19 % à des pertes de temps dans l'entreprise; une entreprise de Taganrog a décidé de retenir 50 % du salaire des responsables qui couvrent les violations à la discipline du travail4•

Au Kazakhstan, le nombre de travailleurs qui s'absentent avec la permission de la direction de l'entreprise a augmenté de 25 % au cours de la période 1965-197° et, en 1971, un million de journées de travail ont été ainsi perdues6•

1. Svet prace, 22.8-1973, p. 2. 2. Glos Pracy, 18-9-1973, p. 3. 3. Agence MT! Hebdo, 20-6-1979. 4· lzvestija, 5-12-1979. ~. Kazakhs/eaja Pravda, 4-10-1973, p. 2.

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LE NIVEAU RÉEL DE L'EMPLOI

En Pologne, en 1977, la part du temps de travail perdu est de la % (9,5 % en 1976) alors que le nombre d'heures supplémentaires par travailleur s'est accru de 9 %1. Une loi en 1968 sur la discipline dans le travail précisa que les congés maladie ne pouvaient être accordés qu'avec un contrôle médical, car nombre de journées étaient accordées sans attestation d'un médecin (et étaient payées à 100 %). Le taux d'absentéisme n'a pourtant pas diminué puisque, de 1970 à 1973, 700 000 travailleurs s'absentent du travail chaque jour; cela représente pour 1972 une perte de 15 % du temps total de travail2• En 1973, la réforme du système de primes visait à sanctionner pécuniairement l'absentéisme : ainsi une absence injustifiée d'une journée faisait perdre 20 % de la prime annuelle, deux journées d'absence faisaient perdre 50 % de la prime et plus de deux jours supprimaient tout droit à la prime. Le résultat a été nul et la réforme peu appliquée; en 1974, 800 000 travailleurs se sont absentés quotidiennement et le nombre d'heures perdues s'est accru de 1,5 % dans l'industrie, de 2,4 % dans le bâtiment et de 4,1 % dans les transports.

Le Code du travail hongrois a été modifié le 1er janvier 1980 et comprend désormais des dispositions permettant à un chef d'entreprise d'infliger des sanctions sévères en cas d'indiscipline dans le travail.

En Tchécoslovaquie, selon les statistiques officielles, 30 % du temps de travail dans l'industrie (40 % dans la construction) est gaspillé par des interruptions non justifiées ou par un départ en week­end très tôt le vendredi; les pénalisations existantes sont jugées insuffisantes par la presses. La situation est semblable en RDA 4.

Il n'est pas vrai que l'absentéisme représente la totalité de ce gaspillage. Une bonne part du temps de travail perdu n'a rien à voir avec la discipline du travail mais est provoquée par des fautes d'orga­nisation (rupture des stocks de matières premières, pannes, etc.)5.

Il apparaît, pour conclure, qu'il est impossible de proposer sérieusement une évaluation globale du nombre de chômeurs (volon­taires ou non) dans un pays socialiste parce que la définition du

1. Zycie Gospodarçze, ll-IZ-1977, p. 15. 2.. Nowe Drogi, 1973/7, p. 32.. 3. Svet prace, 18-2.-1976. 4. Cf. Prob/eme der Proportionalitilt •.• , Ac. des Sciences Berlin-Est, op. cif., p. 60-61. 5. Cf. M. LAVIGNE (1979), p. 199.

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Ils INFLATION ET IThIPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

chômage est imprécise et parce que les données statistiques sont très mauvaises. Remarquons que déterminer le nombre des chômeurs volontaires en France soulèverait également de grosses difficultés.

De toute façon, notre objectif n'était pas de donner des chiffres mais de montrer l'importance de l'écart entre le niveau apparent de l'emploi et son niveau réel; cet objectif nous paraît atteint.

La relation entre le niveau réel de l'emploi et l'inflation apparaît alors dans toute son acuité. Le niveau apparent de l'emploi dans un pays socialiste gouverne le volume des revenus!, alors que le niveau réel d'activité détermine la production de biens et services.

L'écart entre l'emploi apparent et l'activité réelle risque de se traduire pat une différence entre la croissance des revenus et celle de la productivité réelle si des mécanismes d'ajustement ne sont pas mis en place. C'est bien là un processus foncièrement inflationniste.

Ces ajustements ne peuvent se faire que si le planificateur dispose de bons indices de productivité réelle. D'un autre côté, ces méca­nismes correcteurs doivent prendre la forme de liaisons automatiques entre la productivité réelle et la fixation des salaires. Il nous faut donc examiner de façon approfondie les relations entre la produc­tivité et la détermination des salaires.

1. Cf. chapitre suivant.

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5

SALAIRES ET PRODUCTIVITÉ

Nous examinerons dans ce chapitre les relations entre le taux de croissance des salaires et celui de la productivité. L'observation statistique, quelles qu'en soient les difficultés, montre que la croissance réelle de la productivité tend à se ralentir alors que les salaires semblent avoir une dynamique propre et ne réagir qu'avec retard à ce ralen­tissement. C'est la différence entre la croissance des revenus perçus et celle de la production de biens qui constitue la cause la plus immé­diatement perceptible de l'inflation. Le problème méthodologique le plus difficile qui se pose à ce niveau est celui de la mesure de la productivité. Nous commencerons notre étude par une discussion de la signification des indices de productivité brute utilisés dans ces pays socialistes, en nous concentrant sur l'exemple soviétique qui peut être généralisé aux autres pays, à l'exception de la Hongrie et surtout de la Pologne où on tend à user d'indices de valeur ajoutée qui seront présentés dans la section consacrée à la détermination des salaires en Pologne.

I 1 LES INDICATEURS DE PRODUCTION

ET LA MESURE DE LA PRODUCTIVITÉ

Au niveau de l'économie nationale, les principes théoriques de la détermination des salaires prévoient que la croissance de la masse des salaires est déterminée par celle de la productivité; nous verrons

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120 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

qu'il est apparu très difficile de respecter ces principes généraux. En tout cas, au niveau de la firme, on n'utilise pas d'indicateur de productivité pour fixer la variation des salaires versés par l'entre­prise. li est, en effet, impossible de construire un bon indicateur de productivité au niveau de la firme; les indices actuels de production brute par travailleur sont trop sensibles à la structure de la production de l'entreprise : il suffit qu'une entreprise, qui produit plusieurs biens, modifie faiblement la part relative de chacun de ces biens dans sa production totale pour que l'indice de production par travailleur varie considérablement. Ainsi s'explique le très modeste rôle des indices de productivité de la firme.

Les indices de production brute, établis au niveau de la branche ou de l'économie nationale, souffrent, eux aussi, de graves vices de cons­truction. Or, ces indices sont utilisés dans la planification globale des salaires. Certains facteurs de production sont comptés plusieurs fois et les prix utilisés comme coefficients de pondération sont plus ou moins arbitraires.

Les prix utilisés sont en général du type : coût moyen plus marge de profit (CM + a.CM) mais il peut s'y ajouter des subventions variables selon les années et le taux de profit a. lui-même est suscep­tible d'ajustement si bien que l'évolution des indices en valeur n'a aucune signification. Bien des indices dits en volume sont, en fait, des indices en valeur et le choix des prix de référence y joue un rôle déterminant; citons des indices des matériaux de construction, de l'industrie papetière, industrie légère, etc., où l'apparition périodique de produits nouveaux à prix élevés gonfle le taux de croissance de l'indice (sans accroître l'indice des prix qui ne comptabilise pas les produits nouveaux et qui d'ailleurs ne concerne que les biens de consommation).

Tous les indices de performance des entreprises et des branches sont des indices bruts, et ne sont pas des indices de valeur ajoutée. De tels indices sont totalement inadéquats et conduisent à des anomalies très graves: «plus la production revient cher, mieux c'est pour le Plan et le fonds des salaires », remarque D. Valovoj dans la Pravda du 24 mars 1980. li donne même un exemple: dans une entreprise de constructions mécaniques, en 1979, l'indice de production brute était de 276 millions de roubles, celui de la production marchande de 272

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SALAIRES ET PR.ODUCTIVITÉ 12.1

et celui de la production réalisée de 2.711, alors que la production nette (qui correspond à peu près à la valeur ajoutée utilisée par les comp­tables des pays de l'Ouest pour mesurer la production) était de 40 mil­lions de roubles. Le passage de l'indice de production brute à celui de la production réalisée ne fait pas un grand changement. La vraie réforme consisterait à retenir un indice de valeur ajoutée, ce qui est d'ailleurs officiellement envisagé, mais comment le construire en l'absence de prix de marché ?

Le problème des consommations intermédiaires comptées plu­sieurs fois est assez complexe. La production d'une branche (en volume ou en valeur) est, dans les pays socialistes, la somme des productions brutes déclarées par les entreprises. Les statistiques en valeur comptabilisent notamment les ventes d'une firme à une autre. Dans ces relations inter-entreprises, il y a les liaisons prévues par le plan et d'autres qui correspondent à des arrangements « sous le plan» conclus parfois grâce à des intermédiaires spécialisés : les to/ka! (catégorie qui officiellement n'existe pas); or ces accords « sous le plan» varient d'une année à l'autre et leur mode de comptabilisation (ou leur absence de comptabilisation) diffère d'une firme à l'autre si bien que la totalisation des consommations intermédiaires n'a pas le même sens d'une année à l'autre ni d'une firme à l'autre.

Lorsque les unions d'entreprises ont réalisé une certaine concen­tration verticale, des biens comptabilisés plusieurs fois ne le sont plus qu'une ou deux fois. C'est une des raisons de la baisse des taux de croissance affichés depuis que les statistiques de production sont de plus en plus calculées par les unions d'entreprises et de moins en moins par les firmes. Le ralentissement de la croissance est donc partiellement une illusion statistique due à une autre comptabilisation qui réduit le nombre de fois où on compte la même consommation intermédiaire.

Les indices de production de branche deviennent de plus en plus suspects dans la mesure où une union d'entreprises appartenant à une branche produit une gamme variée de biens. L'industrie lourde pro­duit une bonne part des biens de consommation. Tout calcul de pro­ductivité de la branche dépend du système des prix avec lequel on

1. Les indices de production marchande et de production réalisée sont des variantes de l'indice de production brute. Ils ont été introduits par la réforme de 1965 mais ils ne constituent pas un progrès sensible, ainsi qu'en témoigne l'exemple cité, dans la recherche d'indices réalistes de productivité.

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122 INFL.\TION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

agrège ces biens divers. Apprécier l'évolution de la productivité dans une branche devient acrobatique compte tenu des insuffisances du système des prix.

Le planificateur dispose des dizaines de milliers d'informations en volume que rassemble l'Office central des Statistiques (csu) qui les agrège et les valorise comme il peut. Les insuffisances méthodolo­giques deviennent de plus en plus criantes; ni les unions d'entreprises ni le csu ne produisent les informations nécessaires à une planification rigoureuse en volume et encore moins à une planification en valeur.

Il est prévu officiellement de privilégier désormais les indicateurs de valeur ajoutée pour la planification du travail et des salaires et aussi, ce qui était moins attendu, pour le calcul des prix de grosl . Le Gosplan doit établir des manuels méthodologiques de calcul de la valeur ajoutée; on les attend avec curiosité, s'ils paraissent un jour 1

On peut résumer le problème des indices de la façon suivante: l'utilisation d'indices bruts a mené à surestimer les gains de produc­tivité lorsque les entreprises utilisaient de plus en plus de matériaux coûteux. L'intégration verticale croissante depuis 1971 réduit pro­gressivement cette surestimation et donc mène à exagérer la chute des taux de croissance. Le passage à des indices en valeur ajoutée est nécessaire et souhaité par tous, mais dans une économie où les prix sont administrés et calculés en général comme un pourcentage (supé­rieur à 100) des coûts moyens on ne voit pas bien comment calculer des indices significatifs de valeur ajoutée.

II 1 CROISSANCE DES SALAIRES

ET PRODUCTIVITÉ RÉELLE

Comment vérifier si les salaires ont crû plus vite que la productivité réelle du travail ?

Les indices de productivité présentés par l'Office central de Statis­tiques de Moscou n'ayant pas une grande signification, il paraît plus intéressant de prendre comme indice de productivité globale le Revenu national produit par travailleur que l'on peut calculer à partir des statistiques de revenu national et de croissance de la population

1. Cf. l'article du président du Gosplan, N. BAïIlAKOV, dans la Pravda du 22-8-1979.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

active. Cet indice de productivité globale réelle n'est pas parfait, il n'est même pas bon dans la mesure où l'agrégat « Revenu national produit» ne comptabilise pas les résultats des branches « non productives ». Ce défaut peut être corrigé en prenant en considération l'augmenta­tion de la population active employée dans le secteur productif (qui comprend l'industrie, l'agriculture et le commerce) plutôt que celle de tous les actifs (tableau V. 1).

La croissance de la productivité sociale par travailleur (colonne 1) est le rapport de la croissance du RNP sur celle du nombre de travail­leurs. La croissance de la productivité sociale par travailleur employé dans le secteur productif est (colonne II) le rapport de la croissance du RNP sur celle du nombre de travailleurs employés dans le secteur productifl.

La diminution de la croissance de la productivité prend toute son importance lorsqu'on compare la croissance de la production prévue par le plan et les résultats de la production (tableau V. 2.). Or, les hausses de salaire sont déterminées par la croissance prévue plus que par la croissance effectivement réalisée.

Soulignons que l'année 1979 a été, pour l'URSS, particulièrement mauvaise selon les indices officiels de productivité dans l'industrie. La productivité est en chute dans l'industrie charbonnière (indice 97 avec une base 100 en 1978), l'industrie du papier (indice 94), l'indice des métaux non ferreux (indice 99,2.), l'industrie chimique (99.4), l'industrie de la viande et des produits laitiers (indice 99)2.

li apparaît clairement que le salaire nominal dans l'économie a crû plus vite que le Revenu national produit par travailleur depuis 1961. Cette tendance n'est donc pas récente mais elle s'est très nettement accentuée en 1978 et en 1979.

li Y a plusieurs causes à ce décalage entre la croissance des salaires et celle de la productivité réelle. D'abord les gains de productivité ont été surestimés parce que les indices officiels sont calculés à partir de la production brute, si bien que les autorités ont accepté des hausses de salaire sans se rendre compte qu'elles excédaient les accroissements de productivité. li faut ensuite souligner le rôle de la politique de réduction des inégalités de l'époque Brejnev; les bas salaires ont été

1. Les détails de construction de ces indices et les difficultés méthodologiques ren­contrées sont exposés en annexe à ce chapitre.

z. Ekonomiieskja Gazeta, 198oh.

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126 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

systématiquement augmentés plus que les hauts salaires et le salaire des agriculteurs a augmenté plus vite que le salaire industriel sans que la p.roductivité dans l'agriculture croisse réellement; le rattrapage des revenus agricoles n'est pas encore réalisé totalement mais, depuis 196h le niveau de vie des kolkhoziens s'est rapproché de celui des citadins.

Depuis 1976, les objectifs de production du Plan ne sont pas atteints (tableau V. 2.) et à cet égard la situation des démocraties popu­laires est comparable à celle de l'URSS. U faut souligner le cas de la RDA dont les espérances pour les années 1970 n'ont pas été réalisées et où les économistes se livrent à une analyse serrée de la productivité. Us mettent en cause la croissance trop rapide du secteur dit non productif. En 1960, sur 7,686 millions d'actifs, 1,191 million appartenaient au secteur non productif alors qu'en 1978 cette proportion est de 1,6 mil­lion sur 8,119 millions d'actifsl. Cette évolution ne paraît pourtant pas anormale compte tenu de l'évolution nécessaire du secteur des services. U semble plus justifié d'incrimint'-! la mauvaise répartition de la main-d'œuvre comme nous l'avons vu à propos du chômage déguisé. Ce qui est incontestable c'est que les accroissements prévus de productivité ne se sont pas produits. Si on compare les objectifs du Plan 1976-1980 avec les données du tableau V. l, il est évident que ces objectifs étaient très optimistes. Le Plan 1976-1980 prévoyait un accroissement de productivité dans l'industrie de 30 à 32. % et un accroissement de production de 34 à 36 %; le plan prévoyait, pour atteindre ces objectifs, une croissance de la main-d'œuvre de 0,6 % et une redistribution de cette main-d'œuvre au bénéfice de l'industrie et au détriment du commerce et de l'agriculture. L'économiste est­allemand Trost critique le concept même de productivité moyenne comme trompeur et affirme que les gains de productivité ne peuvent être acquis qu'en redistribuant plus largement la main-d'œuvre entre secteurs2•

Les chiffres du tableau V. 1 concernant la Pologne se passent de commentaire et mettent en relief l'écart entre la croissance de la pro­ductivité réelle et celle des salaires.

I. Neues Deuffchland. IS-I-1980. 2. H. TROST. Zu Entwiklungsproportionen zwischen Arbcitsproduktivitat und

Warenproduktion. WirlsçhafID'imnscbafl. 1979/7. p. 801-812.

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SALAIRES ET PRODUCTIVITÉ IZ7

III 1 LES HAUSSES DE SALAIRE

Nous avons vu que l'inflation réprimée s'est accrue à partir de 1976, au moins, sous l'influence de l'écart croissant entre les hausses de salaire et l'augmentation de la productivité. Les objectifs de pro­duction n'ont pas été atteints (tableau V. z) et les gains de productivité espérés n'ont pas été réalisés, mais les salaires ont crû fortement (tableau V.I). Pourquoi les hausses de salaire n'ont-elles pas été ajustées aux variations réelles de la productivité? Les mécanismes de détermination des salaires et des primes n'ont pas permis de mener une politique des revenus réaliste et c'est pourquoi, en 1979, ont été mises sur pied des réformes des salaires, notamment en URSS.

Les deux objectifs de la politique des salaires : stimulation du travail et régulation de la demande de biens de consommation sont en conflit permanent dans tous les pays socialistes et de façon parti­culièrement aiguë en Pologne (cf. tableau V. 1).

La régulation des salaires porte sur le fonds des salaires (volume de l'ensemble des salaires versés par l'entreprise) et sur le taux de salaire moyen. Si l'entreprise reçoit seulement un objectif de fonds global des salaires, elle peut maximiser les revenus versés en écono­misant du travail; si elle doit seulement respecter un taux de salaire moyen, le niveau de l'emploi lui est indifférent. Le système mixte qui prévaut a des effets assez complexes, variables avec les proportions du mélange et avec la nature des sanctions frappant un dépassement du fonds des salaires. En Hongrie, en 1968, certains exprimèrent la crainte que la régulation des salaires par le système de fonds des salaires ne provoquât du chômage; ils firent réintroduire un système de salaire moyen planifié alors que cette crainte ne s'était pas réalisée.

L'objectif de fonds des salaires qu'assigne le planificateur à l'entre­prise peut prendre deux formes, celle d'un montant monétaire global ou celle d'un pourcentage de la production vendue (ou d'un autre indicateur de performance similaire). La première méthode est la plus ancienne, elle date des techniques de contrôle des salaires d'avant guerre et elle est toujours en honneur en URSS et est également utilisée en RDA. Le fonds ({ réalisé» des salaires peut être supérieur au fonds « planifié » si l'entreprise a dépassé les objectifs de production du plan, mais en RDA le dépassement du fonds des salaires n'est pas auto­matique même si l'entreprise a dépassé certains objectifs du plan.

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12.8 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

Les réformes polonaise et surtout hongroise ont introduit une certaine flexibilité dans la détermination des salaires, mais dans les autres pays socialistes les entreprises sont tenues, en principe, de respecter des grilles de salaires déterminées au niveau du gouverne­ment central.

1 / Les principes de détermination des salaires en URSS

Jusqu'aux réformes de 1965, chaque entreprise avait, au moins, dans son plan de la force de travailles quatre objectifs suivants :

01 Nombre moyen de travailleurs employés réparti en plusieurs groupes : ouvriers, techniciens et ingénieurs, personnel admi­nistratif et employés.

01 Salaire moyen (pour chaque groupe précité). O2 Indice de croissance de la productivité. Da Fonds des salaires.

Ces quatre objectifs n'étaient pas indépendants; ainsi le fonds des salaires était le produit des indices 1 et 2. (04 = 01 X O2), Si 0 4 et Oz étaient peu dépendants de la gestion de l'entreprise et pouvaient donc être considérés comme des contraintes extérieures, il n'en était pas de même de O}> car les variations de production exigées par le planifi­cateur impliquent des modifications du volume et de la structure des emplois selon des modalités largement définies par la firme; quant à 0 3 , il était lié bien sûr aux résultats de la firme et à Dl"

Depuis 1966, le plan de l'entreprise n'a d'abord compris qu'un objectif de fonds des salaires, mais on a vu qu'il découlait de 01 et O2,

les autres indices (Ol> O2, 0 3) restant planifiés au niveau global et devant être calculés par les firmes; depuis 1973, l'indice 0 3 a été ajouté aux objectifs impératifs du plan de l'entreprise. On est donc, en fait, revenu à la gamme d'objectifs planifiés d'avant 1965 en ce qui concerne l'emploi et les salaires, à cette importante réserve près que le fonds de stimulation (qui finance les primes) dépend des résultats de l'entre­prise (ventes ou profits) et n'est plus planifié depuis la réforme de 1965.

Les échelles de salaires sont décidées par décret en Conseil des Ministres après avis du Comité d'Etat au Travail; c'est, en fait, le Politbureau du Parti qui prend les décisions essentielles.

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SALAIRES ET PRODUCTIVITÉ

Les entreprises tournent les grilles officielles des salaires en chan­geant la qualification de leur personnel; prenons l'exemple des secré­taires : elles sont peu payées selon l'échelle officielle des salaires, aussi les firmes déclarent-elles les secrétaires les plus compétentes comme exerçant une profession mieux payée; cela explique que les secrétaires soient peu nombreuses dans les effectifs officiels des entreprises.

Le contrôle des salaires versés par l'entreprise est difficile, c'est peut-être pour cela que le salaire au temps ne se généralise pas aussi vite qu'on l'avait pensé car son contrôle est plus malaisé que celui du salaire aux pièces. D'ailleurs les autorités centrales ne contrôlent pas réellement l'éventail des salaires alloués dans les entreprises mais elles peuvent limiter le total des dépenses salariales de la firme.

Le salaire effectif en espèces est formé, pour les deux tiers, du salaire tarifaire correspondant aux grilles de salaires valables pour l'ensemble de l'URSS et, pour le tiers restant, des primes pour le dépassement des normes qui sont financées sur le fonds des salaires de l'entreprise ou de l'union d'entreprises et de primes diverses financées soit sur ce fonds des salaires, soit sur le fonds de stimulation matériel qui est alimenté par les profits de la firme.

L'existence de grilles des salaires communes à toute l'URSS ne signifie pas que le salaire soit calculé de la même façon, pour la même tâche, dans deux entreprises. En effet, la proportion d'ouvriers payés aux pièces reste très importante (55 % environ) et le salaire est calculé à partir d'un accord sur le nombre de pièces à fabriquer. C'est le Comité local d'usine (FZMK) qui détermine à l'échelon de l'entreprise le travail à fournir concrèt~ment pour toucher le salaire donné par la grille. Au niveau du FZMK les syndicats jouent un rôle déterminant sur la fixation du nombre de pièces et sur le mode de calcul des primes.

Les salaires doivent-ils dépendre seulement de la productivité du travail ou peut-on en faire un instrument d'une politique sociale de redistribution des revenus et de réduction des inégalités?

L'opinion prédominante au Comité d'Etat au travail est que poli­tique des salaires et politique sociale doivent être clairement séparées et qu'il ne faut ni réduire l'échelle des salaires pour des motifs de redis­tribution, ni revoir les niveaux de salaires chaque fois que le coût de la vie varie. Ce point de vue n'a pas toujours été celui des dirigeants politiques. Ainsi, en 1968, les salaires furent modifiés à la suite d'une amélioration des informations sur le cOût de la vie, et l'éventail des

F. SEUROT 5

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

salaires en fut réduit. Cette politique de réduction des inégalités sala­riales s'est poursuivie dans les années 70, s'accompagnant d'une hausse des prestations sociales non salariales. Le choix, depuis 1965, se pose toujours dans les mêmes termes; faut-il réviser l'échelle des salaires pour réduire les inégalités ou pratiquer une politique de subventions sociales massives hors salaire? La deuxième possibilité a été écartée parce qu'on craignait, semble-t-il, que l'existence de revenus non sala­riaux pour les plus défavorisés décourage l'offre de travail en affai­blissant le rôle de stimulation au travail des salaires. Il est possible aussi que l'augmentation des bas salaires indépendamment de la producti­vité ait pu apparaître comme un moyen de faire arriver sur le marché du travail ceux qui hésitent à prendre un emploi (femmes, retrai-

. )1 tes, etc .. Du point de vue de la demande de travail par les entreprises, la

politique d'augmentation des salaires correspond aussi au désir de moderniser l'appareil productif. De nombreux économistes soviéti­ques dans les années 60 (notamment Kantorovitch et Liberman) pen­saient que l'accroissement du prix du travail inciterait les entreprises à utiliser des techniques plus capitalistiques, le prix du travail s'élevant relativement à celui du capital. Pour qu'un tel objectif soit réaliste, il auratt fallu que la réforme économique donne aux firmes une réelle autonomie dans le choix de leurs facteurs de production, ce qui n'a pas été le cas. Il est resté, cependant, de l'esprit d'une telle politique le désir d'accroître les salaires, surtout ceux des travailleurs les moins bien payés, et la conviction qu'une telle stratégie ne comportait pas de dangers.

D'un point de vue idéologique, la légitimité d'un large éventail des salaires repose, selon les spécialistes soviétiques, sur le fait que les différences de salaire sont déterminées en régime socialiste par le3 dif­férences de productivité alors qu'en régime capitaliste elles résultent des différences de coûts de reproduction de la force de travail selon les qualifications. Comme l'exploitation du travail en régime capita­liste tend à réduire les différences de coût, l'éventail des salaires devrait être plus large en système socialiste qu'en système capitaliste2, ce que ne confirment ni n'infirment les études statistiques.

1. Sur cet aspect, cf. A. 11cAuLEY (1979). 2. N. RABKINA et N. RlMASBVSKA]A (1972), p. 26-30.

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SALAIRES ET PRODUCTIVITÉ

La structure des salaires ne reflète celle des revenus que si les transferts monétaires sont négligeables, ce qui n'est plus le cas en URSS

et la croissance des salaires ne s'identifie plus à celle des revenus. Il est impossible d'utiliser la masse d'informations disponibles sur les revenus et dépenses des familles pour calculer, de façon satis­faisante, un revenu personnel moyen et encore moins pour estimer son évolution et surtout pour mesurer les écarts autour de la moyenne. Certains auteurs américains ont cependant essayé de reconstituer des statistiques de revenu monétaire disponible par tête. Le taux de croissance de ces revenus est nettement supérieur à celui des salaires qui forment moins des deux tiers du total des revenus personnels. Ainsi Schroeder et Severin1 trouvent pour la période 1971-1975

une croissance moyenne du revenu nominal par tête de 4,9 % par an alors que celle des salaires n'était que de 3,6 %. La croissance des revenus monétaires personnels est donc régulièrement supérieure à celle des salaires qui est elle-même supérieure à celle de la produc­tivité moyenne.

Cet accroissement des revenus est le résultat d'une politique sociale visant à réduire ces inégalités et les poches de pauvreté subsistant en 1960 en URSS. McAuley a calculé qu'en 1960, 40 % de la population soviétique vivait dans un état de pauvreté défini selon les critères de pauvreté retenus par les experts soviétiques2• Les pensions d'invalidité ont été revalorisées, les allocations maternité représentent l'équivalent du salaire de la femme; or les mères sont souvent de jeunes femmes à bas salaires, c'est-à-dire dont le salaire a augmenté plus vite que la moyenne. Les retraites ont été, elles aussi, revalorisées mais dans une moindre mesure afin d'inciter les retraités encore assez jeunes à exercer un emploi dans les secteurs où on manque de travailleurs3•

Il faut intégrer dans le salaire perçu les primes reçues par les travailleurs, une partie étant versée sur le fonds des salaires et l'autre sur le fonds de stimulation matérielle (fonds de l'entreprise alimenté par les profits) dans des proportions variables; en général, les primes tirées du fonds des salaires sont les plus importantes pour les ouvriers

1. G. SCHROEDER et B. SEVERIN (1976). 2. A. McAuLEY (1979). 3. Sur le détail des mesures sociales, cf. McAuLEY et Documentation française,

ColltTier des pays del'Esl, Panotama de l'URSS, février 1979, p. 205-218.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

et celles prélevées sur le fonds de stimulation matérielle pour les cadres et techniciens. Le volume des primes est planifié au niveau du Gosplan et des ministères; cependant il semble bien que les entre­prises parviennent à faire glisser des ressources du fonds socio­culturel ou du fonds d'investissement vers le fonds de stimulation matérielle de façon parfois légale! et la croissance des primes est plus rapide que celle de la productivité2•

2 / LA détertnination des salaires dans les démocraties populaires

Le système soviétique de fixation des salaires reflète largement les mécanismes des autres pays socialistes, sauf peut-être ceux qui pré­valent en Pologne et surtout en Hongrie. Nous allons signaler les quelques particularités que l'on peut noter dans la fixation des salaires dans les démocraties populaires en terminant par les cas hongrois et polonais.

- En Bulgarie, le décret du 1-2-1977 transforme la structure des salaires et remplace les 26 échelles de salaire par une échelle unifiée3•

Les salaires sont plus fortement diversifiés selon le niveau de respon­sabilité du travailleur; de plus un système de bonus a été introduit pour récompenser un long séjour dans la même firme.

La grille des primes va de 6 % du salaire pour une ancienneté de un à trois ans à 36 % pour une ancienneté de plus de vingt ans'; ce moyen de freiner la mobilité des travailleurs existe aussi, mais moins systématiquement, dans les autres pays socialistes.

Le 10 juillet 1978, le Conseil des Ministres de Bulgarie révise le mode de formation des salaires en reliant plus étroitement et le fonds des salaires de l'entreprise et le salaire moyen aux résultats effectifs de la firme. Ainsi, le salaire moyen doit diminuer si le plan n'est pas accompli; si le plan est dépassé, le fonds des salaires est augmenté de 0,8 % par 1 % de dépassement.

J. Selon T. ASIMBAEV (1980), le fonds socio-culturel au Kazakhstan est passé de 44,2 millions de roubles en 1967 à 7,1 en 1978.

2. T. ASIMBAEV (1980), p. 55. 3. TruJ (Sofill), 8-3-1977. 4. lkoflflmishlSJ:tJja misul, 1977/7, p. 3-9.

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SALAIRES ET PRODUCTIVITÉ

- En RDA, le nombre maximum de travailleurs employés et le fonds total des salaires sont, comme en URSS, des objectifs impératifs et le fonds des salaires peut être révisé en hausse si la productivité s'accroît; ces dépassements du fonds des slliaires sont fréquents dans les entreprises où le travail aux pièces est important. TI faut remarquer que, contrairement à ce que l'on observe dans les autres pays socialistes, la part des primes dans le salaire perçu diminue fortement, la prime est très nettement devenue une partie inaliénable du salaire plus que la récompense d'un effort particulier.

- En Roumanie, le montant total des salaires est un objectif impératif pour l'entreprise de même que le nombre de travailleurs à employer. Les fondements du système de détermination des salaires sont très proches de ceux de l'URSS. Les quota de fonds des salaires sont mieux respectés que ceux de main-d'œuvrel. Chaque ministre perçoit un fonds des salaires pour les « cols blancs » qui ne varie pas avec le degré d'exécution du plan alors que le fonds des salaires pour les travailleurs mllnuels change selon ce degré d'exécution. Le fonds des salaires prévu est en général mieux réalisé qu'en URSS et les dépassements du fonds des salaires sont plus rares. Mais les techniques utilisées pour tourner le plan sont les mêmes, les chefs d'entreprise attirant les travailleurs d'une qualification recherchée en les classant dans une catégorie mieux payée.

La Roumanie présente quelques traits originaux, les objectifs du plan sont moins ambitieux qu'en URSS, si bien qu'il n'est pas néces­saire de dépasser le fonds des salaires pour les atteindre ni d'offrir des primes très élevées2, et les fonds en réserve dans les ministères permettent de faire face à des pénuries sectorielles de travail qualifié par des modulations de salaires.

- En Tchécoslovaquie, depuis 1970 (le système mis au point en 1966 lors des réformes était très décentralisé, il survécut peu de temps à la chute de Dubcek), le fonds des salaires et le volume des primes sont déterminés par les autorités centrales en proportion des résultats obtenus par l'entreprise, et en particulier de la production

1. Cf. D. GRANICIt.

2. D. GRANICK. p. 69.

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INf'LATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

vendue. Ainsi un dépassement des objectifs de vente donne droit à un supplément de fonds des salaires. Les travailleurs ont intérêt à ce que la valeur des ventes soit élevée et donc à ce que les coûts en matières premières (intégrés directement dans la formation des prix) soient importants. Pour pallier cette anomalie, depuis 1972 les entreprises ne doivent pas laisser les coûts matériels dépasser certaines limites pour avoir droit à la totalité de leur fonds des salaires.

- En Hongrie, la détermination des salaires varie selon les branches. Dans la plupart des branches produisant des biens de production, les variations de salaire suivent celles de la productivité, mais dans les secteurs où les indices de productivité n'ont pas de signification précise, les salaires sont fixés de façon centralisée (mines, services, services publics ... ); on peut distinguer quatre modes de formation du salaire! :

CONTRÔLE DÉCENTRALISÉ DU SALAIRE MOYEN: L'entreprise accroît le salaire moyen lorsque augmente un indicateur des profits; le taux de croissance du salaire moyen est en général de 0,25 % pour chaque 1 % d'accroissement de l'indicateur de performance. Ces augmen­tations de salaire s'ajoutent à celles du salaire moyen garanti. Ce système est appliqué dans la métallurgie et la chimie notamment.

CONTRÔLE DÉCENTRALISÉ DU FONDS DES SALAIRES: L'entreprise doit payer l'ensemble des salaires de l'année précédente augmenté dans la proportion définie par le pouvoir central dans le cadre de la politique des revenus et à cela s'ajoute une augmentation de 0,4 % pour chaque 1 % de croissance de la valeur ajoutée; c'est le mode de détermination des salaires dans l'industrie légère, la construction et les industries agro-alimentaires.

CONTRÔLE CENTRALISÉ DU SALAIRE MOYEN : Les organes centraux déterminant le salaire moyen versé par l'entreprise (mines, services publics).

CONTRÔLE CENTRALISÉ DU FONDS DES SALAIRES : L'Etat déter­mine le total des salaires versés par l'entreprise qui peut augmenter

J. Cf. O. GADO (1976) et M. MARRESE, The Evolution of wage regulation in Hungary, l'<orthwestern Univ., 1979, Working Paper.

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SALAIRES ET PRODUCTIVITÉ 135

le salaire moyen si le nombre de travailleurs décroît; ce système est surtout employé par les organismes de gestion, de recherche et une fraction du secteur des transports et de celui de la métallurgie.

- En Pologne, un des premiers actes de Gierek a été de créer un Comité pour la modernisation du système de fonctionnement de l'économie; le 12 avril 1972, ce Comité présente un programme assez ambitieux dont la pièce maîtresse était la constitution de grandes unités économiques de production et donc une concentration indus­trielle rapide. Le Comité proposait aussi de prolonger la réforme en s'inspirant de l'exemple hongrois; ainsi le fonds des salaires devrait être relié à la valeur ajoutée par l'entreprise et la valeur ajoutée nette devenir (avec le profit) l'indice de performance essentiel. Le gouver­nement suivit sur tous ces points les avis du Comité.

Le fonds des salaires de la grande entreprise est lié à la valeur ajoutée selon des formules variées, mais les fonds des salaires ainsi calculés ne correspondent pas au total des salaires versés par la firme car la valeur ajoutée n'est connue qu'en fin de période. Dans les grandes entreprises, au moins le quart de la différence entre le fonds disponible et les salaires réellement versés est conservé comme réserve à la condition de ne pas dépasser 8,5 % du fonds des salaires prévu par le plan annuel de la firme. Le reste de la différence est utilisé librement par l'entreprise qui paie des primes, embauche ou relève l'ensemble de l'échelle des salaires1 • Les primes aux diri­geants des entreprises ne sont pas payées sur le fonds des salaires mais sur les profits.

Du point de vue de la prévention de l'inflation, la faiblesse de ce système, mis en place en 1973, réside dans le lien entre les salaires et le prix du produit, les manipulations de prix permettent d'accroître les salaires et, comme en URSS, tous les travailleurs trouvent avantage à un gonflement du prix de vente. En janvier 1976 et surtout en juin 1977, le gouvernement introduisit quelques modifications dans le mode de détermination des salaires afin de remédier à cette anomalie2 ; les profits tirés de hausses injustifiées du prix de vente ne doivent plus être comptés dans la valeur ajoutée et de façon

1. Cf. J. ADAM (1979)' z. Ces modifications sont exposées dans Zycie Gospodarcze, 1977/21.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

générale le contrôle de la banque centrale sur les dépenses salariales a été renforcél .

La forme des primes est une autre particularité polonaise; à l'inverse de ce que nous avons signalé pour la RDA, la prime est une gratification réelle et une part de la prime n'a rien d'automatique. Les autres pays socialistes, à cet égard, se situent entre la situation allemande et celle de la Pologne. li existe, en Pologne, des médailles du travail qui entraînent un accroissement de 25 % des retraites et, dans nombre de firmes, l'inscription au tableau d'honneur garantit l'admission dans une maison de vacances ou de repos2.

} / Les pressions à la hal/sse des salaires

Les mécanismes de formation des salaires que nous venons d'examiner semblent exclure le risque d'augmentations massives injustifiées. Mais les entreprises sont soumises à un plan de produc­tion et à un plan des salaires. La réalisation du premier importe plus pour elles que celles du second si bien que les entreprises n'hésitent pas à augmenter les salaires plus que ne le permettraient les gains de productivité lorsqu'elles y voient un moyen de réaliser leur plan de production et d'investissement. Cette violation du plan des salaires est possible si la Banque centrale octroie les fonds néces­saires et elle ne le fait qu'après l'accord du planificateur. Celui-ci doit donc trancher entre deux désirs contradictoires : d'une part, celui de stabiliser la demande de biens de consommation et donc limiter les hausses de salaires; et, d'autre part, celui d'aider les entre­prises à réaliser le plan de production et donc leur donner le moyen de stimuler les travailleurs.

Le premier objectif tend à l'emporter et c'est seulement lorsque l'inflation (réprimée ou non) devient très forte que l'on prend des mesures pour « restaurer la discipline des salaires ». Or, la pression à la hausse des salaires est très forte, en Pologne, en raison de la concurrence qu'exerce la seconde économie où les revenus versés sont élevés.

1. Cf. J. ADAM (1979), p. 147-149. 2. Sur le problème des primes, cf. M. LAVIGNE, La prime socialiste, in M. LAVIGNE

el al. (1981).

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SALAIRES ET PRODUCTIVITÉ

- En Pologne, en 1977, il fut procédé à un contrôle assez complet de la discipline des entreprises en matière de salaires et de travail. On a observé une tendance générale à accroître les salaires plus vite que la productivité. Pour des produits mal finis les salaires sont payés sans que soient opérées les retenues légalement prévues. Des heures supplémentaires sont faites sans nécessité ou parfois simplement parce que les machines, peu entretenues, fonctionnent malI.

Une enquête en 1978 menée dans un échantillon tiré au sort de 138 entreprises a montré que 40 % dépassaient frauduleusement les règles de fixation des salaires, les moyens utilisés étant2 :

- des accroissements injustifiés du nombre de cadres supérieurs; - des promotions irrégulières de travailleurs n'ayant pas les quali-

fications requises; - la non-application des sanctions pécuniaires prévues pour les

fautes professionnelles.

Le plan de 1978 prévoyait une hausse moyenne des salaires dans l'industrie de 0,48 % pour chaque 1 % de gain de productivité, ce taux étant de 0,33 % dans le bâtiment. En réalité, pour chaque 1 % de croissance de la productivité les salaires ont cru de 0,8 à 0,9 % dans l'industrie et de ç>,7 à 0,8 % dans le bâtiment. Le plan prévoyait une hausse des salaires de 2,8 % pour l'année; ce taux a été atteint en six mois3• Le système des normes de salaire a été réformé en mai 1978 pour éviter de tels dépassements, mais cette réforme a été modeste et n'a fait que préciser certaines normes de mesure du travail.

Les hausses de salaire correspondent souvent à un désir des entre­prises de favoriser certaines qualifications sans baisser le salaire des autres.

- En Bulgarie, le Conseil des Ministres décide, en novembre 1975, une augmentation des prix et des salaires. Cet accroissement des salaires, en moyenne de 25 % pour les cols blancs et 30 % pout les cols bleus, est la première révision généralisée des salaires depuis 1973 ;

1. Zycie Gospodareze, 29-1-1978, p. Il.

2. TrybHl/a Ludu, 7-3-1979, p. 3-4. 3. Trylnma LIIIiM, 28-8-1978, p. 3.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

les augmentations sont diversifiées selon les qualifications et consti­tuent les éléments d'une politique de réallocation du travail (les augmentations sont particulièrement fortes dans le textile et les mines), au moins autant qu'une compensation, d'ailleurs partielle, des hausses de prix décidées en même temps.

- En Tchécoslovaqllie, la discipline des salaires est assez sévère, alors que dans les autres pays socialistes les refus du planificateur de laisser croître les salaires sont rares si la réalisation du plan est en jeu. li faut donc souligner l'exception que constitue la Tchécoslovaquie où la croissance annuelle des salaires était de 3 % en 1976-1 978 et de 2,7 % seulement en 1979, Cela a été rendu possible par la sévérité des conditions d'accroissement du fonds des salaires de l'entreprise; ce fonds n'est augmenté que si tous les objectifs du plan ont été atteints, alors qu'avant 1979 il suffisait que l'indice général de perfor­mance ait été dépassé. Ainsi, depuis 1979, il faut notamment que la firme ait atteint son objectif d'investissement, quels que soient ses succès dans la production, pour obtenir un dépassement du fonds planifié des salairesl .

- En Hongrie, pour la première fois en 1979, des entreprises n'ont pu payer à leurs salariés les bonus calculés sur les profits parce qu'elles n'ont pas obtenu de monnaie, c'est-à-dire de crédit à court terme2 ;

Or, ces firmes avaient réalisé un profit important, en 1978, ce qui ouvrait le droit au versement de primes; n'ayant pas été payées par leurs clients, elles n'ont pu obtenir de crédit de la Banque centrale. C'est la première fois qu'une banque centrale en pays socialiste mène une politique systématique de rigueur monétaire.

De tels exemples de politique d'austérité sont rares et datent de 1978-1979, époque où l'inflation est devenue flagrante. De façon générale, pour la période 1965-1978 on peut retenir l'opinion de l'économiste bulgare Mateev qui écrit: « Par mon expérience person­nelle de la planification, j'ai été convaincu qu'un certain pourcentage de croissance du salaire par tête est imposé aux organes du plan central simple­ment comme tlne nécessité objective, par exemple pour élever la qualification

1. 1. BASTYR, in Praçe a MZda, 1979/2. 2. Nlp.zabaJiag, 6-4-1979.

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SALAIRES ET PRODUCTIVITÉ 139

moyenne des travailleurs ou changer la structure par branches de J'économie .•. Une autre part de la croissance thl salaire par tête est déterminée par les changements nécessaires dans les salaires relatifs... »1.

Ainsi, contrairement à l'opinion répandue parmi les économistes occidentaux, les Etats socialistes n'ont pas su maintenir une discipline des salaires très rigoureuse, ils ne l'ont d'ailleurs pas vraiment tenté dans la mesure où cet objectif leur paraît secondaire par rapport à celui de réalisation des objectifs du plan. L'Etat est donc amené à céder, au moins partiellement, à la pression ouvrière qui pousse à ajuster l'ensemble des salaires selon le rythme de croissance des salaires dans les branches d'avant-garde2• Ainsi l'augmentation des salaires nominaux n'est pas déterminée par la croissance de la produc­tivité mais par la structure industrielle et le besoin de travail des entre­prises prioritaires, les hausses de salaires accordées par celles-ci exerçant un effet d'entraînement sur l'ensemble des salaires. A long terme cette demande de travail des branches prioritaires est gouvernée par le taux et la structure de l'investissement. Le déséquilibre infla­tionniste qui en résulte consiste en une inflation par la demande et non par les coûts en raison du divorce entre prix et coûts. Il est aggravé par la politique de croissance des revenus non salariaux (transferts, pensions, bourses, etc.) qui depuis les années 1960 tend à assurer à ces revenus un développement plus rapide que celui des salaires.

ANNEXE

Méthode de calcul du tableau V. 1

Les calculs de l et II ont été effectués de la façon suivante : la croissance de la productivité sociale par travailleur (I) est le rapport du taux de crois­sance du Revenu national produit sur celui de la population active, celle de la productivité par travailleur employé dans le secteur productif (II) est le rapport du taux de croissance du Revenu national produit sur celui de la population active employée par le secteur productif. Ce secteur

1. CESES, 1974. p. 96. 2. Cette théorie a été développée par l'économiste polonais KUCHARSKI dans CESES

(1974).

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

comprend l'agriculture, l'industrie et le commerce et exclut les adminis­trations et les services; c'est sa production qui sert de base de calcul au Revenu national productif. li n'existe pas de bonnes données sur la crois­sance de la population employée dans ce secteur, il a fallu procéder à une estimation indirecte en multipliant les taux de croissance des actifs donnés par l'annuaire du CAEM (Statisti!eskij rjegodnik, 1981, p. 17 sq.) par la proportion de travailleurs employés dans le secteur productif (même annuaire, p. 403-406). Les approximations de ces taux de croissance se multiplient et ces résultats sont donc relativement grossiers, mais ils paraissent constituer une meilleure base de comparaison que les annuaires nationaux qui n'ont pas les mêmes bases de calculs des actifs (certains comptent les apprentis, d'autres non, etc.). Les résultats de ces calculs diffèrent sensiblement des taux de croissance du « Revenu national produit par personne employée dans la sphère de production matérielle» donné par l'annuaire du CAEM (Statisti!eskij rjegodnik, 1981, p. 17-34) dont la méthode de calcul n'est pas spécifiée.

Les statistiques du Revenu national produit diffèrent selon que l'on consulte l'annuaire statistique des pays du CAEM ou les annuaires nationaux. En l'absence d'indications méthodologiques satisfaisantes, il semble que l'on puisse faire l'hypothèse que les prix de base ne sont pas les mêmes.

Prenons par exemple le Revenu national produit de l'URSS en 1975 et en 1970 : selon l'annuaire statistique soviétique 1978, il était à prix courants de 363,3 milliards de roubles en 1975 et 289,9 en 1970, soit un accroissement de 25,3 % (Narodnoje Khozjajstvo SSSR, V, 1978, p. 385). Le tableau suivant de l'annuaire (même page) donne le taux de croissance du même agrégat « à prix comparables» et, avec 1970 = 100, il donne 1975 = 132, soit un accroissement de 32 %. L'annuaire des pays du CAEM

reprend ces dernières données. Le mode de calcul des « prix comparables» n'est pas précisé.

Pour la Tchécoslovaquie les calculs de croissance du Revenu national produit donnés par l'annuaire du CAEM correspondent aux données de l'annuaire tchécoslovaque aux prix de 1960 pour 1960-1967, aux prix de 1967 jusqu'en 1976 et aux prix de 1977 ensuite (1).

1. Cf. Statistiçka rocenka. 1979. p. 20-21.

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6

MONNAIE ET INFLATION

La réforme du crédit de 1930 en URSS a soumis les circuits moné­taires et financiers aux impératifs de la croissance industrielle telle que la détermine le plan central. Les institutions monétaires, gui découlent des choix de Staline, peuvent être résumées en un principe général: celui de la « monobanque». La banque centrale est la source du crédit à court terme et elle émet la monnaie fiduciaire. Ces attri­butions doivent lui permettre de jouer son rôle de « contrôleur» de l'activité des entreprises selon les modalités du contrôle par le rouble décrites dans le chapitre 3 de cet ouvrage.

Faut-il en conclure que la soumission de la monnaie au plan signifie gue la monnaie ne joue aucun rôle dans l'éguilibre économigue ?

Les théoriciens sont divisés sur cette question. POU1: ne citer gue les spécialistes occidentaux, Nove, Bergson, Montias, Grossman et Zaleski pensent que l'influence des facteurs monétaires sur le fonc­tionnement de l'économie soviétique est négligeable. Ames et Pickersgill, au contraire, soulignent les effets monétaires des mesures de politique économique qui ne sont pas d'origine financière ou monétaire. Holzman et Garvy, dans une position intermédiaire, considèrent que la politique des prix, la politique fiscale et la politique monétaire sont indissociables dans une économie de type soviétigue. Les auteurs socialistes se partagent selon les mêmes clivages et nous examinerons avec soin, dans ce chapitre, les théories monétaristes présentées par des auteurs socialistes, notamment soviétiques et roumains. Pour comprendre le développement de la théorie monétaire

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

soviétique, il est nécessaire de se rappder ses origines qui ont fait l'objet d'une étude détaillée dans le chapitre 3. Auparavant nous examinerons les caractéristiques du système monétaire et financier afin de dégager le cadre institutionnel dans lequel la monnaie exerce son rôle dans l'économie.

1 1 LES DEUX CIRCUITS MONÉTAIRES

l / Le rôle des deux circuits monétaires

li y a deux monnaies en circulation dans les économies socialistes. La première est réservée aux transactions où une des parties est un consommateur; la seconde sert aux paiements entre entreprises.

- La monnaie-consommateurs est surtout fiduciaire; mais comme elle peut être déposée en caisse d'épargne, il faut ajouter la monnaie scripturale correspondant aux virements qu'opèrent les caisses d'épargne pour le compte des ménages. Les salaires sont payés en billets ou, pour une partie, transférés directement sur le compte d'épargne du salarié.

- La monnaie-entreprises est exclusivement scripturale; elle se manifeste par les dépôts des entreprises à la banque centrale. Les ressources inscrites en dépôt ne confèrent aucun pouvoir d'option à l'entreprise car elles ne peuvent être utilisées que pour effectuer un paiement prévu par le plan, la banque centrale étant chargée de contrôler la conformité des paiements aux directives du plan. Pour établir un parallèle avec les institutions françaises, on peut comparer le rôle des agences de la Banque d'Etat auprès des entreprises à celui des agents comptables, en France, auprès des administrations.

Cette monnaie n'est pas dotée d'une véritable fonction monétaire car une monnaie, pour exercer le rôle d'intermédiaire des paiements, doit représenter un pouvoir d'achat indéterminé et doit en particulier conserver son pouvoir d'achat nominal si elle n'est pas utilisée. Ce n'est pas le cas des crédits ouverts aux entreprises, celles-ci perdant, en principe du moins, le bénéfice des ressources inutilisées par inexé­cution de transactions planifiées.

On peut faire un rapprochement entre ces deux monnaies et la distinction entre monnaie interne et monnaie externe développée par la théorie monétaire moderne.

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MONNAIE ET INFLATION 143

Nous appellerons monnaie interne la monnaie-entreprises car sa création correspond à de l'endettement des entreprises et sa quan­tité est déterminée par le processus de planification de la production. La monnaie-consommateurs est émise par l'Etat, en liaison plus ou moins étroite avec la planification des dépenses et des revenus; sa création et sa quantité sont déterminées de façon exogène au plan de production. La circulation de la monnaie interne reste interne au secteur productif alors que la circulation de monnaie externe passe par les mains des ménages.

A la différence de règles de création monétaire des pays occiden­taux, il n'y a pas de mécanisme liant le stock de monnaie externe à la création de monnaie interne. li n'y a pas de planification intégrée de la circulation monétaire des deux circuits.

2 / Le double circuit dans la pensée monétaire soviétiquel

Quelle est la réaction des économistes soviétiques devant les particularités du système monétaire instauré en 1930 ? Cette question est importante du point de vue de l'analyse monétaire, car elle se ramène à la discussion de fond suivante: la spécificité des institutions financières des pays socialistes a-t-elle donné naissance à une théorie monétaire nouvelle ou s'accommode-t-elle des théories déjà existantes?

Il existe deux grandes tendances dans l'analyse des institutions monétaires de type soviétique. Pour les uns, les deux circuits corres­pondent à deux monnaies de nature différente et seule la monnaie externe est vraiment de la monnaie. Face à ces « dichotomistes », les « unitaristes » affirment le caractère théoriquement unitaire de la circulation monétaire.

On ne peut distinguer « dichotomistes » et « unitaristes » selon un clivage entre traditionalistes et modernes. Des auteurs traditio­nalistes sont unitaristes (Batyrev, Kronrod), des auteurs « moné­taristes» modernes sont dichotomistes (Andrés) et la position moyenne est aussi bien défendue par des traditionalistes (Konnik) que par des monétaristes (Atlas). Il y a aussi une tendance unitariste d'avant-

1. Le lecteur peu intéressé par les développements de la théorie monétaire socialiste contemporaine peut passer cette section qui n'est pas indispensable à la compréhension de la suite de ce livre.

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144 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

garde qui suggère de planifier globalement la masse monétaire (Urickaja)l.

Un des meilleurs spécialistes soviétiques modernes, KonniP, réaffirme la position dichotomiste mais souligne que les sommes de monnaie scripturale détenues par les entreprises sont de la monnaie véritable, ce n'est pas seulement de la monnaie de compte. Pour un traditionaliste comme Kronrod, il n'y a pas de différence profonde entre les deux circuits monétaires; Kronrod représenterait la thèse « uni taris te » extrême.

La plupart des soviétologues occidentaux semblent attirés par les thèses unitaristes, peut-être parce qu'elles paraissent moins étran­gères à la théorie monétaire occidentale moderne.

L'observation de la réalité des pays socialistes et surtout de ceux dont le système monétaire est proche de celui de l'URSS laisse cepen­dant planer le plus grand doute sur la validité de la thèse de l'unité de la monnaie.

Actuellement, les deux circuits sont planifiés séparément. La circulation monétaire (fiduciaire) concerne les ménages et est planifiée en fonction des revenus et dépenses prévus par le plan; elle est un élément de la politique de pouvoir d'achat. La planification de la monnaie scripturale est, en fait, la planification du crédit; elle est un moyen de la planification de la production, au niveau des décisions d'Ï..'1vestissements et d'achats d'inputs aussi bien qu'à celui du contrôle des activités des entreprises (contrôle par le rouble).

Une thèse moyenne, souvent défendue par des auteurs socialistes (Steinsleiger) et reprise et amplifiée par des commentateurs occiden­ta.ux, est celle de la. perméabilité des deux circuits.

II ne faut pas exagérer cette perméabilité; certes les deux sphères de circulation ne sont pas étanches, la distribution de billets aux sala­riés par une entreprise correspond à un retrait sur un compte qu'elle tient à la Banque centrale et qui était alimenté par crédit budgétaire. La Gosbank dispose du plan des salaires de l'entreprise et ne délivre que la quantité de monnaie externe correspondant à ce plan. Les crédits ouverts pour payer des salaires en billets sont l'exécution du plan des salaires. Atlass montre que même si les crédits prévus par

1. Den'gi kredit, 1973/7. 2. Den'gj kredit. 1975. 3· Den'gi kredit, 1965/8.

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MONNAIE ET INFLATION

le plan sont excessifs, cela ne crée pas de pressions inflationnistes (ce que pense Kronrod) car la circulation fiduciaire dépend des salaires et ceux-ci du fonds planifié des salaires. li faut remarquer que si les deux circuits étaient très perméables, la Gosbank ne pourtait pas contrôler l'activité des firmes.

Si les deux circuits ne sont pas imperméables, ils restent tout à fait distincts même si certains gros paiements des ménages peuvent être faits par l'intermédiaire des caisses d'épargne (pas dans toutes les villes). Le système de caisses d'épargne est un pont entre les activités monétaires des ménages et la politique de crédit des autorités; mais il opère dans ce sens de façon négligeable. li faut souligner tou­tefois que c'est par l'intermédiaire des caisses d'épargne que se déve­loppe l'intégration des deux formes de monnaie en un moyen de paiement unifié; depuis 1976 environ, les individus peuvent se voir verser une part de leur salaire en caisse d'épargne; le paiement des salaires est donc devenu partiellement scriptural. Cela n'est pas un mouvement décisif vers l'effacement de la différenciation entre mon­naie scripturale et monnaie fiduciaire car le caractère scriptural de la monnaie est indifférent ici, c'est la nature de leur émission et des limites de leurs circuits qui est en cause. Les deux monnaies corres­pondent toujours à deux types de biens, dont l'un (biens de produc­tion) n'est pas alloué selon une procédure de marché.

Pour Staline!, les moyens de production ne sont pas des mar­chandises, ils ne se vendent pas. L'Etat en est au départ propriétaire et il le reste, il n'y a pas transfert de propriété. La monnaie utilisée par les entreprises n'est pas un intermédiaire des paiements mais un moyen de contrôle comptable, les flux monétaires sont le « négatif» (au sens photographique) de flux réels dont ils permettent de vérifier la fidélité aux directives du plan. Même si nombre d'auteurs socia­listes ont conféré par la suite le statut de biens marchands aux moyens de production, l'aspect de moyen de contrôle administratif de la monnaie-entreprises est resté primordial dans la pratique.

La monnaie fiduciaire est le moyen de paiement utilisé par les ménages, alors que les paiements entre entreprises se font par vire-

1. STALINE (1952) écrit: « Les directeurs d'entreprises qui ont reçu de l'Etat des moyens de production, non seulement n'en deviennent pas les propriétaires, mais, au contraire, sont les fondés de pouvoir de l'Etat soviétique pour l'utilisation des moyens de production, en accord avec les plans fixés par l'Etat. »

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146 INFL\TION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCL\.LISTES

ments inscrits sur les livres du système bancaire. Les deux monnaies ne sont pas substituables librement l'une à l'autre, cela est important et nécessaire au contrôle des activités des entreprises.

Ces deux circuits correspondent à deux marchés différents; une monnaie sert à acheter des biens de consommation, l'autre des biens de production. La séparation des flux de paiement permet un contrôle effectif sur les transactions des entreprises et donc sur les flux de biens à l'intérieur du secteur productif public. Les raisons d'une mauvaise exécution du plan ainsi que les goulots d'étranglement éventuels doivent ainsi pouvoir être aisément détectés.

La Banque centrale gère les deux types de monnaie, mais cela ne signifie pas, a priori, qu'elle ait une politique monétaire globale. Le concept même de masse monétaire n'est pas significatif si les deux types de flux monétaires sont isolés l'un de l'autre. On considère, en général, que la monnaie fiduciaire, agissant sur le marché des biens de consommation et y exprimant les arbitrages des ménages, a un rôle actif alors que la monnaie scripturale, servant de négnif aux transactions réelles entre entreprises, n'a qu'un rôle passif et est un instrument de contrôle (contrôle par le rouble).

J ! Le rôle de la monnaie interne et le « contrôle par le rouble })

Fondamentalement, la monnaie interne a une fonction de contrôle et non de paiement. Une des caractéristiques du contrôle par le rouble est que la Banque d'Etat dispose d'un droit de veto sur tout paiement inter-entreprises qui n'est pas conforme à la loi ou au plan. Cela ne signifie pas que la Banque d'Etat intervient dans les conditions et la légalisation de chaque transaction; une telle forme de contrôle financier est inapplicable et impossible à mener sauf si les opérations en cause impliquent un crédit. La Banque d'Etat peut et doit examiner les projets d'investissement du point de vue du financement. Le contrôle par le rouble est une forme de contrôle administratif mené du point de vue fmancier.

Un contrôle de ce genre est nécessaire dans la mesure où, dans une économie centralisée, il y a une mauvaise articulation des intérêts propres aux entreprises et des objectifs de l'Etat. Le contrôle des actions individuelles par la voie d'instruments financiers permet de

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MONNAIE ET INFLATION 147

guider l'activité économique selon les orientations souhaitées par l'Etat central.

Au niveau des agents de production, la monnaie est plus un moyen de contrôle administratif qu'un pouvoir d'achat indéterminé. Cependant, les entreprises, surtout depuis les réformes de 1964-1968, peuvent utiliser leur fonds de développement comme elles l'entendent si elles trouvent des biens de production à acheter. Dans le marché réduit des relations entre entreprises, la détention de monnaie interne (inscrite à la Gosbank dans un compte spécialement affecté au fonds de développement) permet des choix libres. Le pouvoir monétaire de la monnaie interne se réduit à ces transactions entre firmesl •

La plus grande partie des spécialistes polonais2, allemands3,

roumains4, etc., sont dichotomistes. La situation hongroise, où les relations de marché entre firmes sont importantes, justifie l'approche uni taris te des économistes hongrois.

La conclusion pratique de cette analyse est que la monnaie qui joue un rôle dans l'inflation et la demande des ménages est la seule monnaie externe dont la circulation est assez nettement isolée du circuit de monnaie interne.

Les pays socialistes se sont donné avec les institutions financières, issues de la réforme du crédit de 1930 en URSS et adoptées par les autres pays socialistes après la guerre, le moyen technique d'isoler le marché des biens de consommation et le circuit des biens de produc­tion. Le double circuit monétaire joue un rôle essentiel de ce point de vue et c'est pourquoi nous insistons tant sur son fonctionnement. Le circuit de production restera soumis au plan et préservé des perturbations du marché des biens de consommation tant que les deux circuits restent isolés l'un de l'autre. L'étanchéité des deux circuits monétaires est la condition institutionnelle du fonctionnement d'une économie planifiée de type soviétique.

1. Les relations de marché entre entreprises ne sont pas négligeables mais représentent une très faible part des activités des entreprises. Cf. F. SEUROT (1981).

2. Les spécialistes polonais, M. KUCHARSKI et Z. FEDOROWICZ, sont des dichotomistes modérés.

3. La pensée monétaire allemande est très dichotomiste, ce qui est normal eu égard au faible rôle des relations de marché entre firmes en RDA. Cf. W. EHLERT, D. HUNSTOCK et K. TANNERT, Berlin-Est, 1976.

4. Les théoriciens de la Banque de Roumanie, lorsqu'ils décrivent les flux monétaires, ne considèrent que la monnaie externe.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

II 1 L'OFFRE DE MONNAIE

La création de monnaie en système socialiste est difficile à appro­cher en raison de la double nature de la monnaie nouvelle. D'une part, une opération de crédit est à l'origine de toute création de monnaie et le volume de monnaie ne peut augmenter que s'il y a crédit nouveau1• D'autre part, la monnaie est créée par le budget; cela n'apparaît pas en tant que principe officiel mais le budget de l'Etat est bien la source initiale de monnaie. Les crédits permettant la création de monnaie sont inscrits dans le budget. Selon la doctrine héritée des réformes du crédit de 1930, la Banque centrale ne crée pas la monnaie mais utilise des ressources préexistantes pour ouvrir des crédits à des entreprises ou pour mettre en circulation de la monnaie fiduciaire. La monnaie fiduciaire était déjà en circulation ou elle est créée par action d'un crédit à une entreprise qui a besoin de billets pour payer des salaires. Seul le crédit est source de création de monnaie, et l'origine de ce crédit est budgétaire. Il n'y a pas de création autonome de monnaie par le système bancaire car il n'y a pas moné­tisation d'actifs non monétaires.

La circulation fiduciaire est commandée par la balance des recettes et dépenses de la population et de façon plus directe par le plan de caisse de la Banque centrale. Seul ce plan est impératif, mais il est contrarié par la liberté de choix du consommateur et notamment par les possibilités de thésaurisation et déthésaurisation et de façon générale par toute l'encaisse détenue hors du circuit contrôlable des caisses d'épargne; encore ces dépôts sont-ils assez volatils, ce qui explique la différence assez importante dans tous les pays entre les taux d'intérêt pour les dépôts à vue et ceux à plus de six mois. Le crédit à la consommation stabilise assez bien l'épargne (par les échéances de remboursement); c'est ce qui explique peut-être son développement malgré les réticences initiales des autorités.

La Balance des Revenus et Dépenses de la Population (BRDP) a été utilisée en URSS dès la réforme de 1930. C'est un bilan prospectif qui équilibre les dépenses, ventilées par grandes catégories de biens de consommation, et les revenus des ménages. Il est difficile de

1. Cf. M. KUCHAllSI!;I (1972), p. 106.

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prévoir avec précision la structure des dépenses des ménages et la croissance de l'épargne, si bien que nombre de postes de la BRDP

sont des prévisions très incertaines. En URSS, le solde de la BRDP est nul ; pour y parvenir on retouche

une rubrique ou une autre!; dans les autres pays, le solde n'est pas nécessairement nul et on admet une marge d'incertitude.

Le plan de caisse de la Banque centrale détermine la création de monnaie externe. Ces plans de caisse annuels et trimestriels sont établis à partir de la BRDP annuelle. En Hongrie et en Pologne, la Banque centrale peut mettre en circulation un volume de monnaie très supérieur aux prévisions du plan de caisse mais elle doit ensuite s'en expliquer devant le gouvernement. Les contrôles a posteriori sont un mode de régulation très courant dans ces deux pays. Les contrôles préalables sont, au contraire, la règle en URSS et surtout en RDA où les émissions trimestrielles de monnaie doivent strictement correspondre au plan de caisse annuel2• En Roumanie, la Banque centrale réussit à maintenir une certaine discipline des émissions malgré quelques dérapages depuis 1970. La situation en Bulgarie est identique et peut se définir comme un contrôle préalable atténué. Après l'abandon de la réforme en 1969, la Tchécoslovaquie a rejoint le camp des pays à contrôle préalable de l'émission de monnaie.

La Banque centrale ne peut émettre de monnaie que si un crédit s'inscrit à l'actif de ses livres de compte. La banque urilise les possi­bilités d'émission fiduciaire que lui a conférées le plan de caisse pour payer les salaires du secteur socialisé (Etat et coopératives). Le droit à recevoir de la monnaie externe naît dans les entreprises en résultat de la réalisation de leur plan de production.

Les firmes ont droit à un crédit spécial pour le paiement des salaires si elles prouvent qu'elles ont réalisé leurs objectifs de produc­tion. La Banque centrale vérifie si les salaires calculés par l'entreprise correspondent à ce que permettent leurs performances. Le fonds des salaires approuvé par les autorités hiérarchiques (ministères de tutelle ou office de plan) est confronté par les experts de la banque au degré d'accomplissement des objectifs de production. Si les objectifs sont dépassés, l'entreprise perçoit un fonds de salaires accru d'un pour-

1. z. ATLAS (1969), p. 362. 2. Pour une comparaison des modes de contrôle de l'émission monétaire, cf. Z. ATLAS

(1969), M. KUCHARSK1 (1972) et A. ZWASS (1979)'

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centage prédéterminé (en URSS ce coefficient va de 0,6 % à 0,9 % par 1 % de dépassement du plan de production)l. Le même mécanisme joue en sens inverse en cas de non-réalisation du plan, mais ces sanctions touchant le fonds des salaires ne sont pas toujours systéma­tiquement appliquées.

Lorsqu'une entreprise veut verser des primes ou des salaires en dépassement du fonds des salaires, elle doit d'abord convaincre son supérieur hiérarchique (le ministère de tutelle en général) qui dispose de fonds en réserve et peut s'en faire octroyer de nouveaux par le gouvernement. L'accord du ministère s'impose à la Banque centrale qui exécute alors les paiements, son plan de caisse trimestriel ayant été révisé si nécessaire. Il apparaît que le contrôle de la banque n'évite pas les dépassements de salaires et la création de monnaie suit passi­vement. Il est rare que la Banque centrale puisse s'opposer à des dépassements de son plan annuel de caisse initial (ce fut peut-être le cas en Roumanie en 1960-1970 et en URSS en 1936-1939)'

III 1 LA DEMANDE DE MONNAIE

La demande de monnaie des ménages apparaît comme une pièce importante de l'équilibre monétaire. Cette demande volontaire est faite de deux composantes interdépendantes : la demande à des fins de transaction immédiate et la demande à des fins d'épargne. Pour une même offre de monnaie externe, une demande volontaire impor­tante réduit l'épargne forcée.

1 / Demande de !l1ofllJaie et revenu

La demande de monnaie-transactions s'explique, en système socia­liste, par la nature des coûts de transaction. Les coûts essentiels sont les coûts d'information qui sont d'une nature très particulière. Le consommateur doit savoir où et quand se vendra tel type de bien rare (sur le marché libre, sur le marché noir, sur le marché officiel, mais alors quel jour sera-t-il disponible ?). Ce genre de coûts est indépendant du montant de la transaction, c'est donc un coût fixe

1. A. ZWASS (1979), p. 16.

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qui peut se ramener à un coût en capital dans la mesure où la structure d'information de chacun fait partie de ses actifs immatériels.

Selon la remarquable formule de Hicks, la fonction sociale de la liquidité est qu'elle donne le temps de penserl • La détention de monnaie économise des coûts de recherche d'information sur le marché des biens. Lorsque les revenus augmentent, les transactions supplémentaires envisagées nécessitent une information nouvelle. Très souvent, cette information complémentaire concerne des marchés que le consommateur n'avait pas prospectés lorsque ses revenus étaient plus bas; l'information est d'une nature nouvelle et frappée de plus d'incertitude qu'auparavant. La conséquence en est que la quantité de monnaie, qui permet de se passer d'informations précises, croît plus vite que le revenu.

2 / Demande de monnaie et taux d'inflation anticipé

Le taux anticipé d'inflation qui apparaît dans la demande indivi­duelle de monnaie est le coût d'opportunité de la détention de monnaie. La formation des anticipations n'est pas une donnée exogène; cela signifie que la forme d'anticipations retenue par les agents est celle qui correspond au minimum de coûts pour un niveau d'approximation donné. Dans une économie de type soviétique, la forme la plus « rationnelle », en ce sens, que prennent les anticipations est celle d'une simple extrapolation. Un consommateur pense que ce qui arrivera demain est identique à ce qui s'est passé hier. Ces anticipa­tions ne sont pas coûteuses à établir et donnent un niveau d'approxi­mation satisfaisant dans des économies où les prix augmentent assez peu et de façon régulière (inflation cachée) et où les rationnements quantitatifs se reproduisent de (courte) période en (courte) période sans grand changement. L'extrapolation doit être appliquée aux taux d'inflation (cachée, réprimée et ouverte) et non au niveau des prix. Si le tau.x de hausse des prix a été de 3 % en 1977, un consommateur anticipera une hausse des prix de 3 % pour 1978. Si les rationnements ont été sévères en 1977, le consommateur anticipera un rationnement équivalent en 1978.

Il est peut-être parfois préférable d'appliquer l'extrapolation aux

1. ]. HICKS, The crisù in Keylfuian EcOlwmiu, 1974, p. 57.

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taux d'accélération de l'inflation si celle-ci croît rapidement. Si le taux de hausse des prix en 1977 était de 3 % en 1977 et de 5 % en 1978, l'agent peut alors anticiper une hausse des prix de 7 à 8 % en 1979, Si les rationnements ont été plus stricts en 1978 qu'en 1977, l'agent anticipe un nouveau durcissement en 1979.

Les anticipations des consommateurs dans une économie d'infla­tion réprimée portent plus sur les contraintes quantitatives (prévisions de pénuries) que sur les hausses de prix; mais leur mécanisme de formation est le même.

Si l'inflation évolue très vite, les agents ne peuvent se contenter de simples extrapolations et forment leurs prévisions autrement, selon les rumeurs, les arguments des gouvernements, la presse, etc. C'est peut-être le cas en Pologne; mais l'anticipation-extrapolation paraît suffisante pour décrire les comportements des ménages dans les autres pays.

Si l'agent est pessimiste, ses anticipations sur les quantités de biens disponibles dans le futur sont telles qu'il préférera acheter tout de suite des biens qu'il n'achèterait pas autrement1• En d'autres termes, si l'inflation réprimée anticipée est plus forte que l'inflation réprimée actuelle il y aura un phénomène de dépense forcée, et une « désépargne forcée» peut même se produire.

L'inflation réprimée se traduira par une « épargne forcée» si l'agent anticipe une diminution de l'inflation réprimée et une désé­pargne forcée dans le cas contraire. On voit à quel point est insuffi­sante l'approche naïve selon laquelle l'inflation réprimée entraîne une épargne forcée.

) / Epargne liquide et marché des biens de consommation

Les conditions, actuelles et anticipées, de l'offre de biens de consommation expliquent-elles mieux que le revenu le niveau des encaisses monétaires des ménages?

La réponse ne peut être donnée qu'à l'aide de vérifications empi­riques; celles-ci sont malaisées en raison de la mauvaise qualité de l'information statistique tant en ce qui concerne les variables moné­taires que pour ce qui touche la situation sur le marché des biens.

1. J. KORNAI (1976) a remarqué la possibilité d'une dépense forcée.

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MONNAΠET INFLATION

J. Pickersgill a testé les relations entre l'épargne en URSS et le revenu permanent calculé comme une moyenne mobile des revenus des années précédentes. Les meilleurs résultats ont été obtenus en retenant comme mesure du revenu permanent la moyenne non pon­dérée des revenus de deux années. Cette corrélation et d'autres, cal­culées par le même auteur entre l'épargne monétaire et diverses mesures du revenu, semblent témoigner d'une relation stable entre le revenu par tête et l'épargne par tête dans la mesure où les statis­tiques disponibles sont acceptées.

Une autre façon d'étudier l'épargne est de la lier aux situations de marché et particulièrement aux stocks et aux déficits en biens de consommation: on considère alors que l'état du marché des biens de consommation est la meilleure explication de l'épargne dans les pays socialistes; ce point de vue est particulièrement développé par des économistes hongrois. TI peut y avoir ainsi épargne forcée s'il y a insuffisance de biens de consommation et épargne volontaire si les ménages ont la perspective d'acquérir des biens durables coû-teux. Dans les deux cas, il y a une épargne importante.

L'approche, en termes de biens durables, est celle de l'économiste hongrois Lack61 qui cherche à préciser les relations entre l'épargne et le marché des automobiles et celui du logement. Il conclut que l'épargne des ménages en Hongrie est largement influencée par les variations des conditions de ces deux marchés. Mais il faut remarquer que le revenu intervient dans les achats de biens durables, si bien que les forts taux de corrélation calculés par Lack6 ne sont pas très signi­ficatifs. Si les tests de Lack6 pouvaient être retenus, cela viendrait appuyer la présomption du rôle prédominant des anticipations sur le marché des biens.

Il est impossible de trancher entre les deux approches qui paraissent d'ailleurs plus complémentaires que contradictoires. On peut en conclure que la demande de monnaie épargnée peut s'analyser, de façon très classique, comme une fonction du revenu, du taux d'intérêt versé par les caisses d'épargne et des possibilités d'achat dans les périodes ultérieures. Les agents appréhendent ces possibilités d'achat à partir de leurs prévisions sur le niveau des prix et sur le degré de relâchement des contraintes liées à l'offre.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

IV 1 LE 1fONÉTARIS:\lE DANS LES PAYS SOCIALISTES!

l / La loi de Marx sur la « quantité de monnaie nécessaire »

Le principal message que Marx ait laissé en matière monétaire aux économistes socialistes est la loi de la quantité de monnaie néces­saire à l'échange qui s'interprète de façon très générale comme l'existence d'une quantité minimale de monnaie indispensable pour un volume donné d'échanges marchands. Si on veut définir avec plus de précision cette masse monétaire, il faut préciser quelles tran­sactions sont comptées dans ces « échanges marchands ».

Les économistes marxistes qui cherchent à régler l'offre de monnaie sur cette loi de Marx divergent quant à la définition de ces échanges selon qu'ils y incluent ou non les paiements des salaires. Il faut aussi choisir la définition de la monnaie à laquelle cette loi s'applique: monnaie externe ou monnaie externe et interne. Un dernier problème à résoudre est de savoir si cette loi s'applique à des stocks ou à des flux, c'est-à-dire si elle fait intervenir la vitesse de circulation. Cette dernière question, très rarement évoquée, est résolue implicitement par les auteurs qui raisonnent presque tous en termes de flux, ce qui peut paraître cohérent s'il s'agit de définir une offre de monnaie. C'est cependant esquiver la question de la nature de l'équilibre monétaire.

La quantité de monnaie « nécessaire» est-elle celle qui est nécessaire aux paiements sur le marché des biens (c'est-à-dire la monnaie demandée à des fins de transactions) ou celle qui est nécessaire aux paiements des salaires ?

Ce que Atlas appelle « la version marchandises)} est la thèse selon laquelle la loi de Marx correspond au volume de monnaie nécessaire sur le marché des biens. Cette thèse domine la littérature théorique (citons Z. Atlas, Andres, Kozlov, Kronrod, lkonnikov, Shvarc en URSS; Velov et Lazarov en Bulgarie; Elert en RDA; Bacskai en Hongrie; Patapievici, Chiklovan en Roumanie)2.

La « version revenus » considère que la quantité de monnaie

1. Nous déJinissons le monétarisme comme k courant de pensée qui insiste sur le role de la quantité de monnaie.

2. Cf. Z. ATLAS (1969). p. 353.

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nécessaire dont parle Marx est celle qui permet le paiement des revenus; cette version revenus de la loi de Marx n'a que quelques partisans parmi les théoriciens (Steinshleiger en URSS, Zwass en Pologne avant qu'il n'émigre). Cependant, au niveau des faits, la masse monétaire créée par la Banque centrale est bien celle qui est nécessaire au paiement des revenus. Remarquons que, dans cette analyse, on se réfère seulement à la monnaie externe.

2 / L'approche monétariste de l'inflation socialiste

La thèse centrale de ce chapitre est que la monnaie joue un rôle essentiel dans l'inflation des pays socialistes même si on peut ne pas y voir la cause profonde des déséquilibres observés. TI y a un niveau de circulation monétaire qui équilibre le marché des biens de consom­mation, mais il ne permet pas en général d'atteindre les objectifs du plan. TI y a un niveau de circulation monétaire qui correspond au fonds des salaires nécessaires pour réaliser le plan, mais il ne permet pas d'équilibrer le marché des biens de consommation. Pour que cette analyse soit pertinente, il faut supposer que la vitesse de circulation (ou plutôt le désir d'encaisses des agents) ne s'adapte pas spontanément.

Une telle perspective ne contredit pas une interprétation quanti­tativiste modérée puisqu'on peut souscrire aux propositions de base suivantes, caractéristiques du néo-quantitativisme1 :

a) La demande de monnaie est une fonction stable d'un nombre fini de variables;

b) Les facteurs qui influencent l'offre de monnaie sont différents de ceux qui déterminent la demande de monnaie; l'offre peut donc être considérée comme exogène;

c) La vitesse de circulation peut varier, mais ces variations de V sont prévisibles à partir de la forme de la fonction de demande de monnaie; c'est le point de vue que nous avons soutenu, l'argument essentiel de la fonction de demande de monnaie étant les anticipations des contraintes de rationnement sur le marché des biens.

Une telle approche monétariste ne paraît pas très éloignée des analyses des économistes soviétiques (les auteurs hongrois au contraire semblent privilégier des explications plus variées de l'inflation, en

1. Le terme de néo-quantitativisme n'est donc pas exactement synonyme ici de celui de monétarisme.

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raison peut-être de l'influence de la situation mondiale sur leur éco­nomie) puisque la plupart d'entre eux définissent la quantité optimale de monnaie comme celle qui équilibre les transactions sur le marché des biens et non pas celle qui permet de payer le fonds des salaires.

Or, il semble bien que, dans les faits, la quantité de monnaie externe ait été calculée de façon à financer le fonds des salaires, ce qui est contraire à la doctrine soviétique la plus répandue.

Même en Hongrie, où le monétarisme semble peu influent, des économistes soutiennent ces thèses. Ainsi, dans le débat sur l'inflation organisé en 1974 par le CESES, l'économiste hongrois Schmidt reproche au rapporteur polonais Kucharski d'avoir raisonné en termes réels dans son exposé sur l'inflation en Pologne sans préciser les relations existant entre variables réelles et variables nominales. Schmidt suggérait d'examiner le rôle des institutions et des mécanismes chargés d'assumer ces relations, il se range sans ambiguïté dans le camp des monétaristes lorsqu'il affirme que l'inflation est la consé­quence d'une offre excessive de monnaie, il conclut d'ailleurs que la lutte contre l'inflation passe par une certaine austéritél.

Comment en est-on arrivé à cette renaissance du monétarisme que l'on pouvait croire mort dans les années 1930 ?

La pensée monétaire soviétique des années 1920-1930 a été pro­fondément imprégnée de quantitativisme ainsi que nous l'avons vu. li en est resté un langage (le rouble vaut de l'or, etc.), mais on peut admettre que l'analyse monétariste de l'inflation en pays socialiste a presque disparu de 1935 à 1969, puisqu'il n'était pas admis qu'il pût y avoir inflation. Mais les experts en matière monétaire analysaient souvent l'inflation capitaliste avec les instruments de la théorie quanti­tative de la monnaie. Ce n'est que vers 1969 que reparut au grand jour une école de pensée reconnaissant la possibilité d'une inflation en économie socialiste et recommandant une politique monétaire res­trictive. Cette approche peut aller jusqu'à renverser le système moné­taire actuel; en effet, les théoriciens de la Banque nationale de Rou­manie confient la politique conjoncturelle à la Banque centrale, ce qui est incompatible avec les mécanismes actuels de planification du crédit.

li est plaisant de constater que les écrits d'exil de Trotsky préfi­gurent assez bien ce retour à l'orthodoxie monétaire.

1. CESES, p. 139-141.

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MONNAΠET INFLATION

} 1 Trotsky défenseur de J'orthodoxie monétaire

Trotsky s'est rarement exprimé sur les problèmes monétaires lorsqu'il exerçait des fonctions importantes dans l'Etat soviétique. Lorsqu'il se fut retiré au Mexique, il publia une série d'essais où il analyse la vie politique et économique de l'URSS, depuis la Révolution. Le principal de ses essais est Qu'est-ce que J'URSS et où va-t-elle? où il critique la gestion de Staline. Les éditions de Minuit ont publié, en 1963, un recueil d'essais de Trotsky sous le titre La Révolution trahie (titre d'un des essais de Trotsky) dans lequel on trouve la plu­part de ses réflexions sur la monnaie.

Bien des lecteurs seront surpris de voir à quel point Trotsky s'éloigne en matière monétaire des « communistes de gauche» comme Preobrajenski. Toute son œuvre mexicaine est une mise en garde contre les dangers d'une manipulation monétaire de l'Etat, il glorifie la stabilisation monétaire de la NEP et condamne les tentatives d'abolition de la monnaie qui lui paraissent prématurées tant qu'on n'aura pas atteint l'économie d'abondance.

« Dès les premiers succès, une nouvelle directive fut donnée: achever J'exé­cution du plan quinquennal en quatre ans. Les emPiriques bouleversés en arri­vaient à croire que tout leur était désormais possible. L'opportunisme s'était transformé, comme il arriva maintes fois dans J'histoire, en son contraire, l'esprit d'aventure. Le bureau politique, prêt en I92}-I928 à s'accommoder de la philosophie boukharinienne de « l'allure de tortue », passait aujourd'hui avec aisance de 20 % à }o % de croissance annuelle, en s'efforçant de faire de tout succès momentané une norme et en perdant de vue l'interdépendance des branches de l'économie. Les vignettes imprimées bouchaient les brèches finan­cières du plan. Au cours de la première Période quinquennale, le papier-mon­naie en circulation passa d, I,J milliard de roubles à!,! - pour atteindre au début de la deuxième Période 8,4 milliards. La bureaucratie n'avait pas seulement secoué le contrôle des masses pour lesquelles l'industrialisation à toute allure constituait une charge intolérable, elle s'était aussi émanciPée du contrôle automatique du tchervonietz. Le système financier affermi au début de la NEP fut de nouveau profondément ébranlél • »

La seule bonne monnaie pour Trotsky est celle qui échappe aux initiatives de l'Etat. li défend la couverture-or de la monnaie parce

1. L. TROTS KY (1936), Ed. de Minuit, 1963, p. 31.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

qu'elle assure la stabilité de la valeur interne de la monnaie et parce qu'elle en fait un moyen de paiement international.

« D'autre part, une édification socialiste couronnée de succès ne se conçoit pas sans intégration dans le !ystème planifié de l'intérêt personnel immédiat, de l'égoïsme dil producteur et dJl consommateur, facteurs qui ne peuvent se mani­fester tltilement que s'ils disposmt de ce nlOyuI cotltumier, sûr et souple, l'argent. L'augmentation du rendement du travail et l'alnélioration de la qualité de la production sont absolument impossibles sans IJn étalon de mesure pénétrant librement dans tous les pores de l'économie, c'est-à-dire sans une ferme IJnité monétaire. Il ressort clairemmt de là que, dans l'économie transi­toire comme en régime capitaliste, la seule nlonnaÎe véritable est celle qui se base sur l'or. Toute autre nlonnaie ne sera qu'un succédané. Il est vrai que l'Etal soviétiqlle est le maître à la fois des lJ1aSSeS de 1Jlarchalldises et des organes d'émission. lvIais cela fie change rien : les manipulations administra­tives concernallt les prix fixés des marchandises ne créent nullement une unité monétaire stable et n'y sllpplée11t pas davantage, ni pOlir le commerce inté­rieur, ni, à plus forte raison, pour le commerce extérieur.

« Privé d'ufJe base propre, c'est-à-dire d'/me base-or, le !ystème monétaire de l'URSS, comme celui de divers pcrys capitalistes, est nécessairement lm !ystème fermé ....

« L'économie sot'iétiqlle est précisément celle qui, traversant d'incessantes révollltioJ1S techniqlles et des expériences grandioses, a le pllls besoin d' Il11e cOllstante vérification ail IlIqJen d'tin étalon fixe de valellr. En théorie, on ne petit douter que, si l'URSS avait disposé d'lm rouble-or, le résllltat des plans quinquennaux eût été infiniment meilleur qu'à présent »1.

Quant à l'opinion de Trotsky sur l'inflation en URSS et ses origines, elle est tout à fait fidèle à la tradition classique.

« Dans les milieux dirigeants, l'opinion prévalut tout à fait que l'inflation !J'est pas à craif/d,'e dans IIne économie planifiée. Ce qui revient à peu près à

dire qU'1I1Ie voie d'ealt n'est pas dangereuse à bord, dt, moment qu'on possède lin compas. En réalité, l'inflation de la monnaie, conduisant inévitablement à celle du crédit, substitue des valellrs fictives aux valellrs réelles et dévore de l'intérieur l'économie planifiée »2.

Le style polémique de Trotsky étant suffisamment clair pour que ces citations se passent de paraphrase, on peut simplement souligner

I. L. TROTS KY, ibid., p. p. 2, L. TROTS KY, ibid., p, H.

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MONNAIE ET INFLATION

que la pensée de Trotsky (en 1936 au moins) est plus proche en matière monétaire de celle de Jacques Rueff que de celle des trotskystes avoués1•

4 / Le renouveau de la théorie quantitative de la monnaie en URS S2

Lorsque la réforme du crédit de 1930 change la forme des méca­nismes monétaires, commença à prévaloir la thèse que la monnaie socialiste n'est pas une véritable monnaie et donc qu'elle n'est pas soumise aux lois monétaires; le concept d'inflation n'est donc plus pertinent3• Ce point de vue devint très vite officiel et gouverna la pensée monétaire soviétique à l'exception de celle de quelques entêtés comme Strumilin.

En 1969, Atlas, spécialiste écouté, publia dans le Bulletin de l'Uni­versité de Moscou une étude intitulée le « Problème de l'inflation» où il affirme l'existence de l'inflation en économie socialiste et surtout où il précise les bases de ce qu'il est possible d'appeler le « monétarisme socialiste » qui est le retour à la tradition soviétique de fidélité à la théorie quantitative de la monnaie.

Pendant quarante ans (19z9-1969), les économistes soviétiques baptisèrent l'inflation en URSS de noms poétiques destinés à satisfaire le credo officiel : elle fut appelée « engorgement des canaux moné­taires », « excédent de monnaie ». Ainsi Kronrod, dans son traité de 1960, admet qu'il y a engorgement des canaux monétaires, mais que « d'un point de vue de classe, l'inflation n'exsiste pas en système socialiste »4. Mais, demande Atlas, comment résoudre la question « d'un point de vue qui n'est pas de classe », par exemple du point de vue de la consommation5 ?

La thèse centrale des quantitativistes soviétiques, de Strumilin à Atlas, est que l'inflation est un phénomène monétaire qui peut arriver dans toute économie, précapitaliste, capitaliste ou socialiste. Les deux seules conditions nécessaires sont l'existence d'échange marchand et le monopole d'Etat d'émission monétaire.

1. Dans les mêmes œuvres de Trotsky on trouve une intéressante réhabilitation de la vérité des prix et une critique virulente de la planification des prix (cf. L. TROTS KY, p. 56 à 5 8).

2.. Cf. sur cette question F. SEUROT dans L'E&onomique retroUfJée, p. 2.10-2.15. 3. Cette théorie fut codifiée par G. KOZLOV (192.9). 4. Ja. KRONROD (1960), p. 364. 5. Z. ATLAS, in Vestnilc Moslcovslcogo Universit8ta, 1969, p. 10.

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160 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

« La stabilité des signes monltaires, c'esf-à-dire la correspondance entre leur valeur réelle et leur valeur nominale, est soumise à la condition que la quan­titi de çes signes mise en drculation ne dépasse pas la quantité de monnaie néçessaire à l'échange. L'inflation est possible dans tous les systèmes sodo­économiques où il y a production marchande et échange monétaire et où l'Etat a le monopole de l'émission de monnaie à coursforcé»1.

Au niveau des causes, l'inflation socialiste ne se distingue pas de l'inflation capitaliste2 mais ses conséquences sont plus graves dans un pays capitaliste en raison des effets de redistribution.

Le refus d'admettre l'existence de l'inflation en économie socia­liste a empêché les autorités de mettre en place des mécanismes rigou­reux de contrôle de la demande.

« Les lecteurs de nombreux manuels et monographies ont eu l'impression inexacte que l'inflation est propre au mode capitaliste de productionS •.• Il ne faut pas exlure la possibilité de l'inflation non seulement dans les systèmes précapi­talistes... mais aussi dans les conditions d'échange marchand de la période de transition et en système soda/iste »4.

Atlas, dans son traité de 1969, cite la RDA comme un exemple de politique monétaire à suivre car la masse monétaire y a augmenté moins vite que le volume du commerce de détail (il cite aussi la You­goslavie comme exemple à ne pas imiter)5.

J / La théorie néo-quantitative de la Bat/que nationale de Roullianie

L'école de pensée la plus nettement néo-quantitativiste, dans les pays socialistes, est certainement celle de la Banque nationale de Rou­manie. La revue éditée par cette banque publie périodiquement des étqdes sur l'équilibre monétaire où l'émission de monnaie est rendue responsable des déséquilibres sur le marché des biens de consomma­tion ; les théoriciens de la Banque de Roumanie vont plus loin que leurs collègues soviétiques puisqu'ils suggèrent que la Banque cen­trale ait une politique monétaire active et la responsabilité de l'équi­libre conjoncturel. Il est d'ailleurs symptomatique que, pour eux, le premier rôle de la banque soit d'assurer la stabilité conjoncturelle, la

1. Z. ATLAS, ibid., p. 4. 2. Z. ATLAS, Infijacja, dans l'Ency&!opédie d'I,onomie politique (en russe), Moscou, 1973. 3. Z. ATLAS, Vestnik, p. 5. 4. Z. ATLAS, id., p. 9. 5. Z. ATLAS (1969), p. 26.

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MONNAIE ET INFLATION 161

fonction de distribution du crédit ne venant qu'en seconde positionl .

Cela est tout à fait inhabituel dans la littérature écono11Ùque socialiste. Dans l'ensemble les monétaristes roumains sont de fermes parti­

sans de la dichotomie monnaie interne - monnaie externe2• Munteanu, qui était conseiller de la Banque centrale, considère que la monnaie externe (qu'il appelle fiduciaire) est une richesse nette (ce qui va dans le sens des arguments qui ont été développés au début de ce chapitre) qui n'existe que dans la sphère de consommation. La monnaie qui est utilisée par les entreprises dans leurs relations planifiées n'est pas prise en considération dans l'analyse de l'équilibre monétaires.

L'équilibre monétaire est défini comme l'égalité entre l'offre et la demande de biens de consommation. li suppose l'existence d'une rela­tion étroite entre les processus réels et les processus monétaires4• Cela signifie que la production, les revenus disponibles et la masse moné­taire doivent croître au même rythme5• On ne peut être plus clairement adepte de la doctrine de Milton Friedman du contrôle de la croissance de la masse monétaire. L'é11Ùssion de monnaie doit être réglée sur l'évolution de la production de biens de consommation et non pas sur celle des revenus à payer. La Banque de Roumanie suggère explici­tement que la progression des salaires suive celle de la masse moné­taire et donc celle des biens de consommation6•

Le contrôle de la masse monétaire est un moyen suffisant car la vitesse de circulation est remarquablement stable en Roumanie malgré les transformations de la structure des dépenses.

Sur la base 1960 = 100 :

Année Ma.s.re monétaire

Vitesse de cirçulalion de la monnaie (en nombre de rotations par an)

10,39 II,14 10,12

Source: Studii (1972), p. 45.

1. Banca Nationale a Republica Socialiste Romania : J/lidii (1972), p. 28. 2. SaufPATAPIEVICl qui semble « unitariste». Cf. D. PATAPIEVICl (1973), p. 6. 3. M. Cf. M. MUNTEANU, p. 27 à 30. 4· Cf. D. PATAPIEVICl (1973), p. 5, et S/udii, p. 39. 5. S/udii (1972.), p. 131. 6. J/udii (1972), p. 42.

F. SEUHOT 6

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

li est aisé, selon les experts de Ia Banque de Roumanie, de faire croître la masse monétaire au même rythme que le Revenu national, il suffit que le plan trimestriel d'émission soit établi en fonction de la demande de biens des ménages. La comparaison entre le volume des achats désirés et le volume de biens disponibles permet de fixer la quantité de monnaie nécessaire en tenant compte des fluctuations saisonnières de la vitesse de circulation1• Techniquement, l'émission de monnaie doit se faire en contrepartie de crédits à court terme fondés sur l'existence de garanties matérielles et sur l'exigence du rembourse­ment effectif à terme échu2•

La crainte des experts de la Banque de Roumanie est que, dans les faits, s'accentue la tendance à faire créer de la monnaie autant qu'il est nécessaire pour payer les augmentations de salaires accordées par le gouvernement. Dans ce cas, les contreparties de la création moné­taire ne sont pas des crédits à court terme ayant une garantie en mar­chandises. Lorsque la crise de l'agriculture, à la fin des années 1960, a réduit la croissance de la production de biens consommables, la croissance des revenus s'est poursuivie et il a fallu une intervention assez ferme du Parti pour que soit limitée l'expansion de la masse monétaire3•

L'influence réelle des monétaristes de la Banque de Roumanie est assez limitée même si elle est plus forte que celles des monétaristes de tout autre pays socialiste. Leur analyse de l'équilibre monétaire et des moyens monétaires de l'assurer n'est pas critiquée, mais l'office du plan roumain n'accepte pas que la priorité soit donnée à l'équilibre conjoncturel et à la lutte contre l'inflation. Si des hausses de salaires paraissent nécessaires à la réalisation du plan de production, elles sont accordées en Roumanie comme ailleurs. Cependant, la Banque de Roumanie peut s'encrgueillir d'avoir su définir les règles d'une bonne gestion monétaire et de les avoir parfois fait prévaloir (dans les années 1960 notamment). Le débat sur le rôle de la monnaie en éco­nomie socialiste a mis la pensée économique roumaine en première ligne dans le conflit entre monétaristes socialistes et « pianistes ».

1. Studii, p. 52. z. Studii, p. 40. 3. Studii, p. 129.

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MONNAIE ET INFLATION

6 1 La porté, de l'approche monétariste : la régulation par la monnaie contre la régulation par le plan

Si on tire les conclusions, en matière de politique économique, de l'approche monétariste, on ne peut laisser au planificateur le soin d'assurer l'équilibre sur les marchés des biens de consommation. Le pouvoir du planificateur s'accompagnera d'une politique monétaire autonome susceptible de s'opposer au plan, dans le domaine des paie­ments des salaires notamment.

Deux solutions sont alors possibles :

1) Refuser cette régulation monétaire de la demande des ménages et donc abandonner toute recherche de l'équilibre sur le marché des biens. La monnaie reste soumise au plan et l'équilibre sur le marché des biens n'entre pas dans les préoccupations de l'Etat.

z) Accepter une régulation monétaire de la demande et doter la banque centrale de pouvoirs réels. TI faut alors inventer des règles de coexistence de la planification impérative et d'une politique monétaire active.

Ce dilemme est inévitable, la théorie monétaire socialiste en pose même les termes de façon claire.

Remarquons, en effet, que la version transactions de la théorie de Marx de la quantité de monnaie nécessaire aux échanges amène à recon­sidérer le rôle de la Banque centrale dans l'économie. Logiquement la, banque devrait être maîtresse de ses émissions indépendamment du plan des salaires (ce que revendique par exemple la Banque nationale de Roumanie).

TI est possible d'interpréter les analyses de la quantité de monnaie nécessaire de la façon suivante: il y a une masse monétaire demandée (MD) qui est la monnaie transactions. Si le volume de monnaie offert (Ms) est supérieur à la valeur d'équilibre MD' il y a pression inflation­niste. La monnaie nécessaire de la loi de Marx doit se comprendre comme la demande de monnaie.

Atlas attribue même à la loi de Marx un corollaire; dans un état donné des besoins en monnaie pour l'échange, la valeur réelle des signes monétaires dépend de leur quantitél. Observons que toutes ces réflexions portent sur le volume de monnaie externe.

1. Z. ATLAS (1969), p. 3-4.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

L'équilibre monétaire est un reflet de l'équilibre sur le marché des biens et l'équilibre dans le circuit de la monnaie externe est réalisé quand le total des salaires versés est égal à la somme de la valeur de la production des biens de consommation et des services et de l'épargne désirée. Le total des salaires versés correspond à la monnaie offerte, les transactions et l'épargne à de la monnaie demandée. Un déséqui­libre inflationniste se manifestera par une épargne non désirée, un déséquilibre déflationniste par un écoulement insuffisant des biens (ce que semblait craindre Staline dans les années 1930).

Si les déséquilibres inflationnistes se manifestent aussi bien au niveau des phénomènes réels qu'à celui d'un écart entre la monnaie offerte et la monnaie nécessaire, il se pose la question de savoir quel type de mécanisme ou quelle politique doit assurer le rééquilibre.

En suivant cette voie, on arrive à mettre en doute la primauté de la planification de la production sur toute autre forme de politique économique, notamment conjoncturelle. On retrouve bien le débat fondamental des années 1920 sur la soumission des lois monétaires à la planification. Ce débat est un des aspects de la controverse plus générale sur la neutralité de la monnaie dans une économie planifiée et sur son rôle dans la détermination des équilibres entre offres et demandes de biens. Les monétaristes des années 1975 comme ceux de 1920 doutent de la possibilité de lutter contre l'inflation par la seule planification de la production et croient en l'autonomie des lois moné­taires. Une telle position conduit à recommander le contrôle de la monnaie externe, c'est-à-dire une politique monétaire autonome vis-à-vis de la planification.

Un argument très fort en faveur de cette thèse « monétariste» est l'ampleur de la réforme monétaire soviétique du 14 décembre 1947 et son succès. 90 % des liq uidités détenues en dehors du système ban­caire ont été confisquées, il y eut une déflation générale dont l'influence se fit sentir dans les comportements puisqu'on a observé une offre de travail plus forte de la part des salariés poussés à chercher de nou­veaux roubles, les prix de détail ayant été augmentés parallèlement!.

Ainsi avait été résolu un des problèmes posés par l'inflation d'avant guerre : le marché du travail se caractérisait par une demande excé-

I. Sur cette question, cf. S. SCHWARTZ.

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MONNAIE ET INFLATION

dentaire; cela avait entralné une croissance rapide des salaires versés, qui n'était possible que grâce au laxisme financier et à l'impuissance de la banque centrale. Si le déséquilibre monétaire devient excessif aux yeux des autorités, il est toujours possible d'annuler les encaisses non désirées par une réforme monétaire. La réforme monétaire sovié­tique de 1947 a inspiré III réforme monétaire roumaine de janvier 1952, celle de la Bulgarie en mai 1952 et celle de la Tchécoslovaquie en 1953.

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7

L'ÉQUILIBRE MACROÉCONOMIQUE DANS UNE ÉCONOMIE PLANIFIÉE

Nous nous attacherons à montrer, dans ce chapitre, comments'arti­culent les déséquilibres partiels que nous avons recensés sur le marché des biens (chapitres 1 et 2), sur le marché du travail (chapitres 4 et 5) et dans les circuits monétaires (chapitre 6).

Dans une première section, nous analyserons les explications par­tielles de l'inflation socialiste en en soulignant les insuffisances, notam­ment lorsqu'elles ne mettent pas en relief le rôle des augmentations de salaire. Mais une approche en termes de salaires doit expliquer pourquoi l'Etat se trouve contraint d'accorder des primes et des hausses de salaire supérieures à la croissance de la productivité réelle. Une analyse de l'offre de travail de la part des salariés peut, seule, fournir la base d'une étude de l'équilibre macroéconomique à court terme en économie planifiée, c'est l'objet de la section II.

Comme notre objectif est de chercher les causes de l'inflation (réprimée ou non) et non de décrire toutes les variantes de déséqui­libres macroéconomiques abstraitement concevables, un cadre d'ana­lyse très dépouillé suffira à montrer les liaisons entre les phénomènes monétaires, le marché du travail et celui des biens de consommation.

1 1 LES THÉORIES DE L'INFLATION SOCIALISTE

La littérature économique des pays socialistes propose une grande variété d'explications de l'inflation (réprimée ou non) dans les pays socialistes. Les explications monétaristes ont déjà été analysées dans

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168 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

le chapitre précédent et les explications par les perturbations du marché mondial le seront dans le chapitre suivant.

Il reste une série d'analyses, en termes réels ou monétaires, dont la nature et la diversité rappellent la panoplie des causes de l'inflation capitaliste.

l J Inflation par les cotÎts

Selon Wiles, il n'y a pas inflation par les coûts parce que les syn­dicats sont trop faibles pour imposer des hausses de salaires et parce que les hausses de prix des importations ne se répercutent pas dans les coûts des entreprises en raison du système des prix. La seconde raison est exacte en général, mais la première appelle quelques commentaires.

Il est faux de croire que les salaires ne peuvent augmenter sous la pression des travailleurs même si les syndicats ne sont pas toujours le relais privilégié de transmission de cette pression; ce qui est vrai c'est que les hausses de salaires ne se répercutent pas directement dans les prix. Il n'y a pas inflation par les coûts tout simplement parce que les prix ne dépendent pas directement des coûts dans la réalité ou, pour être plus précis, parce que les variations de coûts ne se répercutent que tard et de façon variable dans les prix.

2 J Théorie du slirinvcstisscmmt

Dès les origines de la planification quinquennale, il y eut déséqui­libre conjoncturel à cause du surinvestissement systématique. L'infla­tion est liée au financement de cet investissement par création de crédit bancaire pour répondre aux demandes d'investissement. Ces demandes sont très élevées chaque fois que le plan fixe des objectifs ambitieux. C'est le principe du« plan tendu» joint au mode de finan­cement de l'investissement qui est probablement le premier respon­sable des fluctuations conjoncturelles des pays socialistes (c'est-à-dire des variations du volume de production). Par ailleurs, les auteurs polonais Sulmicki, Wakar et Beksiak ont développé le concept de « barrière inflationniste» qui est la limite que ne peut dépasser le taux d'investissement sans rendre la croissance inflationniste. Cette thèse est partagée par de nombreux spécialistes occidentaux. Gregory et Stuart attribuent l'inflation des années 192.0 à la trop grande part faite

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L'ÉQUILIBRE MACROÉCONOMIQUE

à des investissements dont le rendement était tardif. Bettelheim1 parle simplement de dépenses improductives trop élevées.

Tous les auteurs remarquent que ce surinvestissement a été rendu possible par des structures de financement ad hoc.

li faut remarquer, d'autre part, que la théorie du surinvestissement n'est qu'une variante des théories de l'inflation par la demande. La demande mise en cause est celle de l'Etat (demandeur de machines pour des entreprises et de biens collectifs civils et militaires). La théorie de Katsenelinboigen de l'inflation par excès de dépenses militaires n'est, elle-même, qu'une sous-variante de la théorie du surin­vestissement.

Dans ses multiples avatars la thèse de l'inflation par la demande publique est l'explication la plus répandue aussi bien parmi les économistes des pays socialistes (Beksiak, Wakar, Kucharski) que parmi les émigrés (Laski, Katsenelinboigen) ou les experts occi­dentaux (Wiles).

Remarquons qu'un partisan de la thèse du surinvestissement doit logiquement être amené à penser qu'une économie centralisée est plus sensible à l'inflation qu'une économie où le taux d'investisse­ment n'est pas centralement planifié. Rien ne permet, dans les faits, de confirmer une telle conclusion; ainsi, la Yougoslavie - économie socialiste très décentralisée - connaît une très forte inflation.

Conune l'a montré Holzman2, le surinvestissement n'est pas une condition nécessaire de l'inflation, il suffit que les entreprises aient des objectifs incompatibles avec leurs moyens, c'est alors le plan tendu qui est responsable; il peut y avoir inflation avec un taux d'investissement nul.

Une telle approche par le plan tendu est un progrès par rapport à la thèse du surinvestissement mais elle n'explique pas la surestimation des capacités des entreprises. li faudrait incriminer la mauvaise infor­mation du planificateur sur la fonction de production.

La théorie du surinvestissement et celle du plan tendu n'expliquent pas pourquoi la RDA, la Bulgarie et l'URSS ont eu des taux d'inflation beaucoup plus faibles que d'autres pays socialistes, le surinvestisse­ment y est pourtant plus marqué qu'ailleurs et le plan plus tendu.

J. Dans La luite des &lassu en URSS, t. II, Seuil-Maspero, 1977. 2. F. HOLZMAN (1970).

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170 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

La thèse de la mauvaise information du planificateur sur les capacités de production n'est pas plus solide. Dire que le plan est trop optimiste quant à la productivité du travail ne précise pas si le planificateur est optimiste par devoir (le mode de planification tendue l'exigeant) ou par naïveté. li faudrait que les planificateurs soient d'incorrigibles niais pour persévérer, depuis 1928, dans un optimisme sans cesse démenti. Le planificateur est plutôt optimiste par nécessité, il doit demander trop pour obtenir beaucoup et il faut qu'il affiche des gains probables élevés de productivité pour accorder les hausses de salaires exigées par les travailleurs sans perdre son autorité. li ne peut justifier les accroissements de revenu que par des prévisions délibérément gonflées quant aux gains de productivité. On peut donc rejeter la thèse de la naïveté héréditaire des planificateurs.

J / Thèse des « accidents»

Dans les pays socialistes planifiés, des perturbations « acciden­telles» extérieures ou intérieures peuvent rendre caduques les prévi­sions initiales du planificateur. Les ajustements se font partiellement et avec retard parce que la planification centralisée ne permet pas de mouvements spontanés des prix relatifs ou des salaires relatifs. li peut en résulter une demande excédentaire insatisfaite.

Parmi les « perturbations », si nous mettons à part celles qui proviennent des échanges internationaux que nous verrons plus tard, il en est deux qui peuvent provoquer de l'inflation: l'inachève­ment des investissements et les mauvaises récoltes.

Les retards de production des équipements et l'allongement des délais d'achèvement des chantiers sont des phénomènes incontes­tables. Les retards vont de 10 à 25 % des délais prévus. En URSS,

la valeur des projets inachevés s'est accrue de 20 % entre 1970

et 1973; en Tchécoslovaquie, 60 à 80 % seulement des projets d'investissement sont menés à bien dans les délais1•

li y a distribution de pouvoir d'achat parce que le plan des salaires n'est guère révisé à la baisse malgré ces retards alors qu'il n'y a pas eu création de biens. li faut remarquer que tout cela est

I. Cf. A. ZWASS (1979) et A. NOVE (1978).

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L'ÉQUILIBRE MACROÉCONOMIQUE

exact mais ne constitue pas une explication de l'inflation parce que les biens non produits sont avant tout des biens de production et surtout parce que l'élément intéressant est l'absence d'ajustement des salaires. Par ailleurs, ces retards ne sont pas accidentels; ils sont dus, en général, à l'ambition des programmes d'investissement et on rejoint la thèse du plan tendu et du surinvestissement.

La théorie des « accidents agricoles» explique, pour sa part, une insuffisance de l'offre de biens de consommation. Les récoltes et les résultats de l'élevage ont été décevants ces dernières années. Pendant le VIlle Plan quinquennal de l'URSS, le taux de croissance du produit agricole a été de 2. l % au lieu des 2. 5 % prévus par le plan. Certaines années, ces récoltes sont très mauvaises. Les stocks de biens alimen­taires et de viande en particulier paraissent être des variables stochas­tiques et les tensions sur ces marchés sont donc imprévisibles lors­qu'est déterminée l'évolution du fonds des salaires. Cette thèse, défendue par Laski et Bush notamment, est assez cohérente. L'offre de biens alimentaires ne varie pas parallèlement à la productivité générale, or cette dernière détermine les hausses de salaires et on ne peut éviter l'inflation réprimée (demande insatisfaite) si on n'accom­pagne pas cette hausse des salaires de modifications des prix relatifs où les prix des biens alimentaires varient selon les récoltes. La fai­blesse de cette thèse est que, justement, les prix relatifs sont assez flexibles. Sur les marchés kolkhoziens les prix s'élèvent dès que la récolte est mauvaise (cf. les tableaux du chapitre 1). Bien sûr cette flexibilité est limitée et les hausses des prix alimentaires entraînent une inflation ouverte ou cachée (mais pas une inflation réprimée) parce qu'aucun prix nominal ne baisse corrélativement. L'approche par « les accidents» paraît, au mieux, partielle.

4 / Inflation par les salaires

li est un facteur que nous avons rencontré dans toutes les expli­cations de l'inflation, c'est la hausse des salaires nominaux. li faut d'abord préciser que, en économie socialiste, les hausses de salaire ne provoquent pas une inflation par les coûts, mais une inflation par la demande puisque les prix sont dissociés des coûts.

Les revenus déterminent la demande des ménages, les politiques des revenus ont été généreuses depuis 1965 environ dans tous les

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172 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

pays socialistes et comme nous l'avons vu dans le chapitre 5, les salaires ont crû plus vite que la productivité.

On rencontre dans les pays socialistes ce que Hicks appelle « le théorème du salaire »1 : un accroissement général proportionnel des salaires nominaux a pour effet normal une hausse des prix dans la même proportion parce que l'offi:e de monnaie s'accroît dans cette même proportion. La seule condition est une stabilité des taux d'intérêt; comme ceux-ci ne jouent actuellement aucun rôle en économie socialiste et ne se modifient pas, le théorème de Hicks s'applique.

Une théorie de l'inflation par les salaires doit expliquer la demande de travail de la part des firmes. Cette demande de travail découle de la fonction de production et ne dépend pas du salaire. En effet, ainsi que nous l'avons déjà souligné, les firmes ne subissent aucune sanction, administrative ou économique, pour le maintien de travailleurs inutiles; l'entreprise n'est guère responsable des salaires versés et elle n'a aucun intérêt à minimiser ses coûts salariaux2•

II 1 CADRE D'ANALYSE MACROÉCONOMIQUE

D'UNE ÉCONOMIE DE TYPE SOVIÉTIQUE3

l / La sPécificité d'une écolJomie socialiste

On peut présenter, de façon très simplifiée, les caractéristiques d'une économie socialiste planifiée : le plan décide du volume et de la structure de production; le secteur productif demande du travail et produit les biens; les salariés offrent du travail et demandent des biens de consommation et de la monnaie; la seule épargne est celle des consommateurs et elle est exclusivement monétaire.

Une caractéristique essentielle de la planification des revenus et de celle de la production réside dans l'absence de relation mécanique

1. J. HICKS, Tbe crisis in kcynwcl/I uo/Zomiu, Oxford, 1974, p. 59-61. Hicks raisonne par référence aux économies capitalistes mais ses arguments s'appliquent autant (sinon mieux) aux économies socialistes.

2. 'Cf. supra chapitres 4 et 5, et F. SEUROT (1981). 3. Le lecteur peu habitué à l'analyse macroéconomique peut se reporter directement

à la conclusion de ce chapitre qui est un résumé des arguments présentés dans cette section.

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L'ÉQUILIBRE MACROÉCONOMIQUE 173

directe entre le salaire et la productivité. Le salaire est un stimulant donc il n'est pas indépendant de la productivité, mais c'est aussi un instrument de la politique du niveau de vie. De plus, en tant que stimulant à la production (par l'intermédiaire de primes), le salaire est parfois très supérieur à la productivité marginale.

Nous ferons les hypothèses suivantes sur les comportements macroéconomiques pour une période assez courte (le cadre du plan annuel par exemple) :

a) Le bureau du plan fixe le volume de la production X et la part des biens de consommation dans la production totale.

b) Les prix des biens de consommation sont fixes pendant la période, le planificateur n'est donc pas libre de fixer les prix. Cela a deux conséquences : - le niveau général des prix est constant; - on peut considérer tous les biens de consommation comme

un seul bien agrégé de prix p. c) Le travail est obligatoire, le chômage au sens de chômage social

n'existe pas, mais le salarié peut travailler avec plus ou moins de productivité. Cette hypothèse revient à prendre en considération le travail « efficace ». Dans les économies socialistes, le travail peut être inefficace en raison des difficultés qu'éprouvent les entre­prises à licencier un ouvrier, même en cas d'alcoolisme, etc. Le consommateur salarié offre donc du travail « efficace ». TI y a donc un marché du travail efficace.

d) Le consommateur choisit un niveau de consommation, il y a liberté de choix du consommateur, et celui-ci n'est jamais contraint de consommer.

2 / La production

Le planificateur détermine le volume de la production et la part des biens de consommation dans la production, soit X le volume global de production décidé par le planificateur et Xc celui des biens de consommation.

Ce volume X est donc la demande planifiée de biens aux entre­prises. Pour réaliser ce plan, les firmes ont besoin de travail dont le volume est donné par la fonction de production X = f(L) où L désigne la quantité de travail « efficace» exprimée en unités de travail

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174 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

X,Xc Xj--~----7C"

x

GRAPHIQUE VII. 1

x

« efficace ». Ce concept est nécessaire pour distinguer le volume de travail effectivement productif du niveau de l'emploi dans l'entre­prise. Nous avons souligné la part du travail improductif dans la main-d'œuvre présente au sein de l'entreprise, la firme doit « mobi­liser» une part plus ou moins grande de cette main-d'œuvre dispo­nible pour atteindre les résultats du plan.

La demande de travail « efficace » de la part de l'entreprise est donnée par la fonction inverse de la fonction de production Ln = rI (X) où Ln désigne la demande de travail efficace, on a donc Ln = rI (x) où Ln correspond au travail efficace nécessaire pour réaliser le plan X.

x X r-------~--------~~

GRAPHIQUE VII. 2

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L'ÉQUILIBRE MACROÉCONOMIQUE 175

J f Le marché du travail « efficace »

Les entreprises demandent d'abord du travail « efficace» à leur main-d'œuvre disponible. Les stimulants matériels (primes) jouent un grand rôle à ce niveau. L'offre de travail « efficace» de la part des trav'ililleurs est fonction du niveau des rémunérations offertes (salaires et primes) que l'on peut assimiler au salaire. Il n'y a pas lieu de considérer le salaire réel (wfP) puisque P est fixe.

Si Lü est l'offre de travail « efficace », Lü = g(w), où w désigne le taux de salaire (primes incluses).

w

GRAPHIQUE VII. 3

Remarquons que Lo(w) est une fonction croissante; en effet, la courbe d'offre de travail ne peut « se retourner» car L ne désigne pas le nombre d'heures de travail mais des unités de travail efficace. Pour une même durée de la présence sur les lieux de travail, le tra­vailleur travaillera d'autant plus efficacement que les primes de rende­ment sont plus élevées.

On pourrait supposer qu'un accroissement du salaire nominal n'incite guère le travailleur à travailler plus efficacement s'il estime qu'un accroissement de revenu nominal ne permet pas un accroisse­ment proportionnel des achats, en raison de la pénurie de biens de consommation. Avant de traiter en détail cette question importante, il faut remarquer qu'un accroissement proportionnel de tous les salaires a un effet redistributif car les possibilités de convertir le

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INF'LATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

revenu en biens et cn services diffèrent selon les conditions d'infor­mation des travailleurs (relations personnelles, lieu de résidence, capacité d'accès au marché noir ... ).

4 / Le marché des biens de consommation et l'épargne

Il est clair que pour l'ensemble des travailleurs, un accroissement des salaires ne représente pas un accroissement des possibilités d'acheter si l'offre des biens et services consommables est fixe. Mais ce qui est vrai pour la collectivité n'est pas vrai pour un agent : pour un travailleur donné, une augmentation de salaire nominal est un accroissement potentiel de son pouvoir d'achat individuel.

Il en résulte que chaque travailleur peut estimer avoir intérêt à gagner plus de monnaie pour la dépenser. Certains travailleurs ne pourront pas réaliser leur plan d'achat et auront une épargne forcée, mais on ne peut savoir à l'avance qui sera dans cette situation.

D'un autre coté, il y a une demande de plus en plus forte d'encaisse nominale épargnée. Il y a eu une période héroïque où les travailleurs ont offert du travail « efficace)} pour des salaires nominaux très rapi­dement croissants malgré la pénurie de biens de consommation (période d'illusion monétaire). Puis il a fallu intéresser les travailleurs à l'épargne pour qu'ils acceptent de fournir un effort soutenu, l'illusion monétaire s'étant dissipée. L'Etat a inventé des incitations à l'épargne: taux d'intérêt diversifiés ou perspectives d'achat de biens durables coûteux (dans ce cas, la demande de liquidités est un pont entre le comportement pendant la période envisagée et la demande effective pendant la période future). C'est ainsi qu'il faut comprendre le rôle du marché de l'automobile, du logement en copropriété et de l'épargne logement (en RDA, Pologne, Tchécoslovaquie et Hongrie).

Les fonctions de consommation et d'épargne en fonction du revenu se présentent alors de façon classique.

Le total des salaires et des primes qui permet d'obtenir le niveau

désiré de travail efficace est W. La plus grosse part du revenu des consommateurs est constituée par les salaires, si bien que la demande de biens de consommation peut être présentée comme une fonction du total des salaires versés. Comme le nombre d'heures travaillées est une donnée, à court terme, en économie planifiée (du moins au niveau de simplification où nous nous situons), on peut indifférem-

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L'ÉQUILIBRE MACROÉCONOMIQUE

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177

Epargne volontaire

Epargne forcée

ment porter en abscisse le taux de salaire moyen ou la masse des salaires. La fonction de consommation s'écrit alors C = C(W) et celle d'épargne volontaire S = S(W).

J / L'équilibre sur les marchés

L'équilibre sur le marché des biens de consommation se définit classiquement comme une demande excédentaire globale nulle.

Le plein emploi sur le marché du travail est une situation où tout agent désireux de fournir du travail efficace contre le salaire nominal en vigueur a la possibilité de le faire. TI y a offre excédentaire si le travailleur était prêt à travailler plus efficacement pendant son temps de travail contre une prime supplémentaire au taux habituel des primes.

Le quadrant Nord-Ouest est celui qui décrit la décision de pro­duction du planificateur; on a supposé, par commodité, que Xc était une droite, c'est-à-dire que le planificateur fixe une proportion entre la production de biens de production et celle de biens de consommation.

Pour produire X, il faut une quantité de travail efficace L D qui est demandée sur le marché du travail efficace, cette quantité est

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178

Epargne volontaire

Epargne forcée

INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

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GRAPHIQUE "'li. 5

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offerte pour le taux de salaire W. Ce taux ne correspond pas néces-sairement au taux de salaire (W) qui permet d'absorber Xc.

Si W> W· (c'est le cas de la figure VII. 5), il Y a demande excédentaire sur le marché des biens de consommation et équilibre sur le marché du travail efficace, le plan de production peut ainsi être exécuté. C'est la variante qui correspond à la doctrine de lvlikojan, c'est-à-dire à la stimulation de la production par un excédent de demande.

Le cadre décrit n'est pas un modèle d'explication de l'inflation, ce n'est qu'un cadre d'analyse des interdépendances entre marchés, qui permet de comparer les théories analysées dans la section précé­dente. On peut ainsi incriminer le bas niveau de production de biens de consommation, la demande excédentaire, le taux de salaire trop élevé, ou la logique d'une économie administrée (c'est-à-dire le fait que P et Xc soient déterminés à l'avance). Cette dernière expli-

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L'ÉQUILIBRE MACROÉCONOMIQUE 179

cation est, d'ailleurs, la réciproque exacte de la thèse des économistes des pays occidentaux qui jugent que l'inflation dans leurs pays est la conséquence de la logique du capitalisme.

Le rôle central de W ne doit pas laisser croire que le marché du travail est nécessairement celui d'où part l'impulsion inflation­niste. C'est le volume de production planifié qui détermine le niveau d'emploi et donc la demande excédentaire. Ainsi, les théories du surinvestissement analysées précédemment situent le déséquilibre initial dans le quadrant Nord-Ouest (X trop fort ou Xc trop bas). Mais il nous paraît essentiel de souligner le rôle stratégique de l'offre de travail (quadrant Sud-Est). Quelle que soit la cause profonde de l'inflation, la cause immédiate réside dans le total des salaires versés et celui-ci ne s'explique que par référence à une fonction d'offre de travail « efficace ».

CONCLUSION

La théorie à laquelle conduit notre étude de l'emploi de la produc­tion et des mécanismes de détermination des salaires est la suivante :

I) Il existe une fonction d'offre de travail efficace de la part des ménages, elle est une fonction croissante du salaire nominal.

2) Pour réaliser leur plan de production, les fumes sont prêtes à dépasser le fonds des salaires.

J) Dès que la hausse des salaires nominaux est acceptée par les supérieurs hiérarchiques de la fume (ministères ou bureaux du plan), il n'y a aucun barrage monétaire à franchir. La monnaie nécessaire est créée automatiquement sans que la Banque centrale exige des contreparties sérieuses.

4) L'Etat s'oppose mollement aux demandes des firmes de verser des primes supplémentaires voire de dépasser largement le fonds des salaires parce que, s'il se montrait intraitable, les objectifs de produc­tion du plan ne seraient pas atteints.

Si les deux premières phases du raisonnement découlent des chapitres 4 et 5, la troisième phase découle des résultats de l'étude du secteur bancaire (chapitre 6), la quatrième étape du raisonnement repose sur la constatation de la logique des choix du planificateur

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180 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

qui, depuis 1928, préfère réaliser ses objectifs de production plutôt que d'assurer l'équilibre sur le marché des biens de consommation (chapitre 3).

Cette situation crée une inflation parce qu'entre le niveau de salaires qui équilibre le marché des biens (W· sur notre graphique),

et celui qui permet d'exécuter le plan de production (IV), l'Etat choisit le second.

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8

LE RÔLE DES DÉSÉQUILIBRES EXTÉRIEURS

Les échanges internationaux des pays socialistes se font en majorité à l'intérieur du Conseil d'Aide économique mutuelle (CAEM appelé COMECON en anglais) et pour une moindre part avec les pays capi­talistes et avec les pays en voie de développement. Le CAEM n'a rien d'un marché commun car les flux y sont planifiés selon des quota d'importations et d'exportations; les échanges hors quota représentent une fraction assez faible du volume des échanges entre pays socialistes.

L'augmentation des prix sur les marchés internationaux a eu deux effets directs sur les pays socialistes :

- les termes de l'échange des pays socialistes avec le reste du monde se sont détériorés (sauf ceux de l'URSS et la Pologne) ;

- les termes de l'échange de l'URSS avec ses partenaires du CAEM se sont améliorés.

Le second effet est proche du premier, mais il est à souligner car il marque un renforcement de la prééminence de l'URSS dans le CAEM. Avant 1975, cette prééminence était politique; après 1975. elle est politique et économique.

Ces deux effets directs ont d'importantes conséquences:

- Endettement croissant envers les pays industrialisés. Ceux-ci, désireux de vendre leurs produits, ont accordé des crédits très avan­tageux aux pays du CAEM.

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182 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

Limitation des perspectives d'importations de matières pre­mières en provenance d'URSS.

- Ajustements (avec retard) de certains prix intérieurs pour compenser les hausses de coûts des matières premières importées.

Le ralentissement spectaculaire de la croissance des pays socia­listes (moins de 2 % par an sur la période 1976-1980 au lieu des 6 % prévus par les plans quinquennaux) et l'inflation croissante sont-ils dus à cette évolution des échanges internationaux et à la crise mondiale?

La réponse est difficile, il faut cependant observer que s'il y a une relation entre la crise mondiale et la situation des pays socialistes, cette relation est complexe car deux pays ont bénéficié de la crise mondiale: l'URSS et la Pologne; leurs termes de l'échange se sont améliorés, la hausse des prix des matières premières a accru la valeur de leurs richesses et ces deux pays sont aussi durement frappés que les autres pays socialistes par l'inflation et la stagnation. La Pologne est même l' « homme malade)} du CAEM.

li apparaît que les causes d'inflation et de médiocre productivité que nous avons dégagées dans les chapitres précédents, et qui sont des causes intérieures, sont une explication suffisante de la situation des pays socialistes. Le commerce extérieur et la crise mondiale ont été le révélateur des problèmes des pays du CAEM et non leur cause. lis ont été aussi un amplificateur des déséquilibres pour au moins deux pays: la RDA et la Hongrie.

L'augmentation des prix mondiaux n'a pas eu d'effet direct sur les prix internes des pays socialistes en raison du mode de détermi­nation des prix. Les prix intérieurs sont déconnectés des prix des importations et des exportations selon un système appelé le Preis­ausgleich. Les offices du commerce extérieur achètent aux producteurs les biens destinés à l'exportation à des prix définis dans la cadre de la planification intérieure et les vendent contre des monnaies étran­gères. Le rapport entre le prix d'achat et le prix de vente à l'expor­tation permet de définir un taux de change pour chaque bien exporté. De la même façon, les offices du commerce extérieur paient en devises les importations et les revendent aux prix intérieurs. Le Preisallsgleich peut être comparé à un système complexe de subventions et de taxes aux importations et aux exportations.

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LE RÔLE DES DÉSÉQUILIBRES EXTÉRIEURS

Le Preisallsglejçh permet d'isoler les prix intérieurs de l'inflation mondiale mais ne peut cacher ni atténuer la détérioration des termes de l'échange des pays du CAEM. TI permet cependant de retarder les ajustements que cette détérioration rend indispensables. Les pays socialistes ont ainsi tenté de maintenir leur croissance sans changer les prix intérieurs après le renchérissement des importations.

La Hongrie, depuis la réforme de 1968, a éliminé le Preisallsgleich et établi un système de taux de change pour convertir en prix inté­rieurs les prix pratiqués à l'intérieur du CAEM et les prix en devises du marché mondial.

1 1 LA CRISE ET LES ÉCHANGES COMMERCIAUX

l / Echanges Est-Ert

Jusqu'en 1975, les prix internationaux pratiqués dans les échanges intra-CAEM étaient fixés pour cinq ans sur la base de la moyenne des prix mondiaux des cinq années précédentes. Cette règle faisait que les pays socialistes subissaient les prix mondiaux sans contribuer à leur détermination même si des aménagements étaient possibles. Une autre conséquence importante de ce système était les retards d'ajustement des prix socialistes par rapport aux prix mondiaux.

L'inflation mondiale a poussé à redéfinir les prix un an avant le terme prévu. En janvier 1975, il a été décidé que les prix seraient toujours établis par des accords bilatéraux mais, chaque année, sur la base d'une moyenne mobile des prix du marché mondial des cinq années précédentes. Une dérogation spéciale à cette règle a été accordée pour 1975 où les prix sont fixés par référence aux prix mondiaux de la période triennale 1972-1974; cela a eu pour effet de répercuter sur 1975 les effets de la hausse mondiale des prix des biens primaires. L'inflation mondiale a eu pour conséquence de faire abandonner aux pays du CAEM le principe de stabilité des prix des échanges internationaux pendant une période quinquennale.

On ne connaît pas les prix réels pratiqués par l'URSS dans ses livraisons de pétrole brut au CAEM et comme ces prix sont exprimés en roubles transférables inconvertibles en devises, il est impossible de les calculer en dollars. On considère en général qu'il revient

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INFLATION ET E~IPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

moins cher aux pays du CAEM de s'approvisionner auprès de l'URSS que de recourir au marché mondial (si les règles du CAEM le permettaient).

Selon les estimations les plus courantes, le pétrole soviétique serait livré aux pays du CAEM à un cours inférieur de 1 ~ à 40 % au cours mondiaP. Cependant, le pétrole et les autres matières premières livrées, en sus des accords quinquennaux, par l'URSS à ses partenaires sont payés en devises occidentales (au moins en partie) et à un prix proche des cours mondiaux.

Les déséquilibres de paiement provoqués par l'augmentation du prix du pétrole et des matières premières ont été atténués par une intensification du crédit à long terme qui a étalé la charge de la dette et donne un répit pour procéder aux ajustements nécessaires.

Les modifications de prix, intervenues en I97~, ont mené à une amélioration des termes de l'échange de l'URSS envers les autres pays socialistes que l'on peut évaluer à 7 %. Le prix de l'énergie a augmenté en moyenne de 90 %, le prix du pétrole brut livré par l'URSS aux pays du CAEM augmentant en 1975 de 130 %.

2 / Echanges Est-Ollest

La crise mondiale de 1974 a frappé le commerce mondial à un moment où les échanges Est-Ouest étaient en rapide expansion : les importations du CAEM en provenance des pays capitalistes déve­loppés avaient quadruplé entre 1970 et 1975 et les exportations un peu moins que triplé2•

Dans la première moitié des années 1970, le commerce Est­Ouest s'est accru plus vite que la moyenne du commerce mondial. Les flux réels Ouest-Est croissant plus que les flux Est-Ouest, le déficit commercial des pays socialistes s'est accru. De 1976 à 1980, le commerce Est-Ouest a pris un rythme plus proche de la moyenne du commerce mondial et les pays socialistes ont sensiblement accru les liens commerciaux entre eux au sein du Conseil d'Aide économique mutuelle.

Si on analyse plus en détail l'évolution du commerce Est-Ouest, on s'aperçoit qu'elle a été irrégulière depuis la crise de 1974. Si les

1. Cf. M. LAVIGNE, dans M. LAVIGNE et al. (1980). 2. Cf. E. ZALESKI (1979).

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LE RÔLE DES DÉSÉQUILIBRES EXTÉRIEURS

prix ont suivi, à peu près, l'évolution des prix mondiaux; les volumes échangés ont subi des fluctuations brutales. Les exportations occi­dentales vers le CAEM ont augmenté de 15 % en 1975 et 1976 pour reculer en 1977 de 6,8 % et croître en 1978 de 7,5 %; les importa­tions ont eu un mouvement différent: recul en 1975, augmentation de 16,4 % en 1976, croissance réduite mais régulière de 1977 à 1979, Les exportations occidentales vers le CAEM ont cru nettement plus vite que les importations. Ainsi, même si on ne tient pas compte de l'évolution des prix et des termes de l'échange!, le déficit commercial des pays socialistes se serait accru.

Ces évaluations doivent être considérées avec prudence car les statistiques du commerce Est-Ouest sont presque aussi déficientes que celles du commerce Est-Est. Les données occidentales ne corres­pondent pas aux données des pays socialistes pour un même flux d'échanges. Ainsi, pour 1976, le solde des échanges entre les pays capitalistes développés et le CAEM est de 5,7 milliards de dollars selon l'OCDE; 8,1 milliards de dollars selon l'ONU; 9,9 selon le GATT; 10,2 selon les statistiques de la CNUCED et 10,7 selon celles du CAEM2•

Les raisons de ces divergences tiennent au mode de comptabilisation des flux (FOB ou CAF), aux différences de nomenclature et aux taux de change retenus3•

Quelles que soient les incertitudes statistiques, il est clair que la balance des paiements Est-Ouest montre un excédent d'exportation des pays occidentaux dans le commerce des biens et services aussi bien pour les marchandises (malgré les importations de matières premières) où cet excédent est dû aux mouvements de prix que pour les services où cet excédent (2,5 milliards de dollars en 1978) est imputable aux paiements d'intérêt et redevances de licence (tableau VIII. 1).

Le risque d'une détérioration des échanges Est-Ouest n'est pas négligeable. Le désir d'acquérir des technologies occidentales mène les pays socialistes à un endettement croissant alors que leurs capacités de remboursement s'effritent parce que leurs possibilités d'exporter

1. Les termes de J'échange des pays occidentaux se sont améliorés en 1975, 1977, 1978 et détériorés en 1976. Cf. R. PORTES (Rel'. Icon.) et Bulletin iconomiqtl8 pour /' Europe.

2. M. LAVIGNE, Les relations IconomiqutS Est-Ouest, Paris, PUF, 1979, p. 18. 3. Sur ce sujet, cf. Les divergences statistiques du commerce Est-Ouest, par A. TIRAS­

POLSKY, in M. LAVIGNE ,t al. (1980).

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LE RÔLE DES DÉSÉQUILIBRES EXTÉRIEURS

des matières premières et de l'énergie s'amenuisent. La solution la plus simple consiste pour les pays socialistes à réduire leur dépendance technologique à l'égard de l'Occident, quitte à retarder la moder­nisation de certaines branches. C'est vers cette solution que l'URSS pousse ses partenaires socialistes.

Il serait illusoire de la part des pays socialistes d'espérer vendre massivement aux pays capitalistes des produits manufacturés, même s'ils ont rencontré quelques succès dans les exportations d'automo­biles vendues à des prix de dumping.

En effet, les pays du CAEM sont concurrencés sur les marchés occidentaux par les pays en voie de développement qui disposent du même atout majeur: de faibles coûts en main-d'œuvre et qui, de plus, utilisent de plus en plus la technologie occidentale grâce à la diversification géographique de l'implantation des multinationales. En outre, les pays en voie de développement bénéficient de traite­ments douaniers préférentiels de la part des Etats occidentaux.

J 1 UI1C difliculté nouvelle : la capacité d'exportations de pétrole de l'URSS

Les experts sont partagés sur l'avenir des exportations de pétrole de l'URSS.

La CIA a estimé, en 1977, que la production soviétique de pétrole allait atteindre son point culminant en 1979-1980 avec une production de 600 millions de tonnes de pétrole (alors que le plan quinquennal soviétique prévoyait 640 millions de tonnes pour 1980) puis se réduire à 400-500 millions de tonnes vers 1985. L'estimation basse de la CIA conduit à des importations nettes de pétrole de 5 5 millions de tonnes en 1985 pour l'URSS et 130 millions de tonnes pour les autres pays du CAEM, soit un déficit pétrolier du CAE.\1 de 185 millions de tonnes en 1985.

Les évaluations de la CIA avaient été critiquées en Occident, notamment par des experts suédois et ouest-allemands, qui pensaient que l'URSS produirait 640 millions de tonnes en 1980 et 780 en 19851.

Même si ces évaluations paraissent forcées, leur pessimisme a été confirmé récemment par les résultats de la production en 1979 qui

1. Cf. Times du 2.6-7-1977.

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188 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

marque un ralentissement très net de la croissance de la production (520 millions de tonnes en 1976, 546 en 1977, 573 en 1978 et 586 en 1979)1. Les gisements du Caucase ont ralenti leur production et ceux de Sibérie voient leur part augmenter rapidement mais les objec­tifs du plan semblent loin d'être atteints, en raison du forage d'un trop grand nombre de puits dont l'e:lI.1'loitation de chacun est très coûteuse. L'embargo américain sur les machines de fabrication de trépans de forage ne peut que renforcer cette tendance.

Le plan annuel 1980 de production de pétrole est de 606 millions de tonnes, soit une révision de l'objectif 1980 fixé à l'origine par le Plan quinquennal qui était de 640 millions de tonnes.

En 198o, les prévisions pessimistes de la CIA se sont réalisées. Il est difficile d'en déduire que ses prévisions pour 1985 s'accompliront, mais l'optimisme des experts suédois et allemands n'est plus de mise.

Il faut souligner que le problème paraît d'autant plus sérieux que l'on sort d'une période où l'URSS avait libéralement exporté son pétrole vers les pays du CAEM. Les ventes de pétrole brut soviétique aux pays du CAEM ont cru, en volume, de 9,5 % par an en 1971-1975, soit plus que la production soviétique de pétrole (6,8 % par an)2. Les livraisons de pétrole soviétique ne pouvaient pas continuer à ce rythme, la croissance de la production s'est ralentie (+ 5,8 % en 1976, + 5,0 % en 1977, + 4,7 % en 1978, + 2 % en 1979)3.

Le problème de l'existence de réserves ne se pose pas, mais les ressources essentielles sont situées dans des régions de Sibérie et leur exploitation autant que la construction d'oléoducs exige une main-d'œuvre qualifiée et des techniques modernes; il n'est pas sûr que l'URSS puisse disposer de l'une et des autres dans un avenir proche.

Ajoutons que la Roumanie voit stagner sa production de pétrole et est devenue un importateur net. A part l'URSS, la Pologne est le seul pays du CAEM à être un exportateur net d'énergie et de matières premières (charbon, cuivre, soufre), ce qui lui a permis d'améliorer ses termes de l'échange. La balance énergétique des pays socialistes sera donc un problème grave pour les années 1980 alors qu'il n'y avait eu aucune difficulté de ce côté auparavant.

1. Petrolctl'" Ecof/omist, 1980/6, p. 215. 2. M. CROSNIER, dans Noteut Etudes t/oclU11enta;reI rnS:« L'Europe de l'Est en 1977 ». 3. 11. LAVIGNE, L'URSS dans le Comecon face à l'Ouest, ;f/ M. LAVIGNE, StratégieI •..

(1980), p. 40.

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LE RÔLE DES DÉSÉQUILIBRES EXTÉRIEURS

II 1 CONSÉQUENCES DE L'INFLATION MONDIALE

SUR LES PAYS SOCIALISTES

l / La croissatlce de l'etldel/emml etl devises

L'endettement net apparent des pays socialistes est égal à leur endettement brut diminué de la valeur des dépôts des pays du CAEM

dans des banques occidentales (tableau VIII. 2). Pour calculer l'endet­tement net réel, il faudrait, en plus, déduire la valeur des réserves

TABLEAU vrn. 2. - Endettement des P'!Ys socialistes (en milliards de dollars à la fin de l'année)

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Hongrie 2,3 3,2 3,4 4,1 8,0 Pologne 4,9 7,8 II,0 13,0 21,1

Roumanie 2,4 2,8 2,9 3,2 7,0 Tchécoslovaquie 1,1 1,5 2,2 2,9 4,0

Total CAEM sans l'URSS 16,0 22,6 28,4 33,2 54,7

URSS 5,9 II,4 14,1 16,3 17,2 Banques du CAEM 2,1 3,3 4,3 5,0 5,2

Total CAEM 24,0 37,3 46,8 54,5 77,1

Elldet/cmml 1181

Bulgarie 1,35 2,0 2,5 2,8 3,7 3,2 2,3 RDA 3,1 4,2 5,1 6,1 8,4 9,6 II,3 Hongrie 1,75 2,3 2,4 3,0 7,3 7,4 7,8 Pologne 4,4 7,1 10,2 12,6 20,0 22,1 22,4 Roumanie 2,2 2,3 2,5 3,0 6,7 9,1 9,6 Tchécoslovaquie 0,7 1,2 1,8 2,4 3,1 3,5 3,6

Total CAID.! sans l'URSS 13,5 19,1 24,5 29,9 49,2 54.9 57,0

URSS 3,0 8,4 10,3 12,0 10,2 13,5 19,5 Banques du CAEM 1,4 3,1 4,0 4,4 5,2 4,0 4,2

Total CAEM 17,9 3°,7 38,8 46,3 64,7 72,4 80,7

Source: 1) 1974 à 1977 : ASKANAS, FINK et LEVCIK (1979), p. 15; 2) Les données de 1979, 1980 et 1981 proviennent du Bullelin du FMI du 26-4-1982 et de l'International Herald Triblll1e, 26-6-1980.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

des pays socialistes en devises occidentales; mais le montant de ces devises est inconnu, on le considère comme faible.

La capacité d'endettement de l'URSS dépend aussi de ses réserves d'or. Les estimations divergent beaucoup. La CIA, en 1976, évaluait ces réserves à 1 870 t, d'autres spécialistes donnaient 2 330 t1•

Une partie de la dette en devises des pays du CAEM est rembour­sable en produits fabriqués grâce au crédit initial, cela représente environ 20 % du total de la dette en devises. Le service de la dette (paiements des intérêts et remboursements des crédits exprimés en pourcentage des exportations vers les pays capitalistes industriels) est élevé sans atteindre le niveau de certains pays asiatiques; la Pologne est le pays qui connaît, à cet égard, la position la plus difficile puisque le service de la dette représentait, en 1978, 54 % de ses recettes en devises d'exportation, sa situation s'est détériorée encore depuis 1978.

2 1 L'évollltion des terllleS de l'échange et les politiqtles commerciales

L'effet le plus sensible de la variation de la structure des prix mondiaux (variation répercutée avec retards dans les prix intra-cAEM) est la détérioration des termes de l'échange de tous les pays socialistes sauf la Pologne et l'URSS (les données statistiques roumaines sont trop peu précises pour qu'il soit possible de calculer les termes de l'échange de la Roumanie), ainsi qu'en témoigne le tableau VIII. 3.

Les démocraties populaires se dirigent vers un renchérissement de leurs importations en provenance d'URSS (pétrole, matières pre­mières); la détérioration de ces termes de l'échange accroît leurs difficultés à dégager un surplus exportable vers l'Occident pour résorber leur endettement. Les remboursements des crédits que l'URSS avait accordés à ses partenaires se sont traduits par une augmentation du volume des importations de l'URSS. L'excédent de la balance commerciale soviétique s'est ainsi réduit, passant de 1,9 milliard de dollars en 1977 (commerce intra-cAEM) à 0,3 milliard en 19782.

Quoique relativement favorisée par les changements de la struc­ture des prix mondiaux, la Pologne cherche à développer ses expor­tations, notamment vers les pays capitalistes. L'indicateur de perfor-

1. Cf. Soviet Eçonomiç Problems, Congrès des Etats-Unis, JEC, 1977, p. 23, et ASKANAS, FlNK et LEVCIK, p. 14.

2. ONU, Bulletin Içonomique pour l'Europe, vol. 3 Ill, p. H.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

mance « valeur ajoutée » est désormais calculé, pour les branches exportatrices, sur la base des prix pratiqués effectivement sur les marchés internationaux. Un tel mode de calcul a deux effets: d'abord, et c'était le but recherché, il incite les industries à chercher les débou­chés les plus rentables et, ensuite, il gonfle les profits du secteur d'exportation, ce qui a provoqué une augmentation des salaires et des primes dans ce secteur. Ce second effet a accru l'inflation interne.

La RDA a été touchée de plein fouet par la crise mondiale, sa crois­sance s'en est ralentie. A partir de 1978, les autorités est-allemandes ont limité la croissance de l'investissement car celui-ci s'appuyait sur des importations d'équipement occidental. La stabilisation du déficit commercial de la RDA n'a guère dépassé l'année 1978. Les termes de l'échange de la RDA évoluent défavorablement; selon le rapport Honecker à la XIe Conférence du Comité central du Parti, 1 mark de production intérieure a un rendement variant de 0,3 à 1,5 mark!, ainsi les exportations se font donc à perte dans bien des cas mais sont nécessaires pour obtenir des devises. Il en résulte un appauvrissement de la RDA. La situation s'aggrave avec la décision de l'URSS de ne pas ajuster ses livraisons de matières premières, durant le quin­quennal 1981-1985, aux taux de croissance de la demande proposés par la RDA2• Les quantités de charbon et de cuivre livrées par l'URSS seront, semble-t-il, les mêmes qu'en 1976-1980 et celles de pétrole n'augmenteront que de 8 %.

La RDA est dans une position encore plus difficile que les chiffres ne l'indiquent, car les prix 1979 pratiqués par l'URSS reposent sur les prix mondiaux 1974-1978 et l'URSS a consenti à la RDA des prix infé­rieurs de 40 % aux prix mondiaux de 1979, tout en lui accordant de larges facilités de crédit; cela a été une bouffée d'oxygène pour la RDA dont 38 % du commerce extérieur se fait avec l'URSS (et 10 % avec la RFA). La RDA ne pourra plus réduire le taux d'investissement comme elle l'a fait en 198o; c'est pourquoi il faut s'attendre dans les années 1981-1985 à un retard dans le développement de la consom­mation des ménages par rapport aux prévisions à long terme.

La Hongrie aussi a été largement atteinte dans sa croissance par la détérioration de ses termes de l'échange. Elle en a limité les effets

1. Net/es Deutschland, 18-5-1977. 2. Neu8S Det/tseh/and, 6-2-1980.

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LE RÔLE DES DÉSÉQUILIBRES EXTÉRIEURS

immédiats par un recours au crédit international plus que par une limitation de ses programmes d'importation. Contrairement à la RDA

et parce qu'elle est plus dépendante des échanges en devises occi­dentales, la Hongrie a utilisé une politique originale de taux de change pour absorber l'effet inflationniste de la hausse des prix des importations.

} / Inflation importée et politique des tatlx de change

La hausse des prix des importations provoque une augmentation des prix des matières premières utilisées. Un accroissement des prix intérieurs peut absorber une part du revenu national et réduire la demande d'autres biens, en ce sens la détérioration des termes de l'échange a un effet inflationniste interne. Une autre solution est de réduire le volume des importations. Si ces deux solutions paraissent impossibles, il ne reste que l'endettement qui a ses limites et la réévaluation de la monnaie nationale. Les subventions budgétaires aux entreprises importatrices, pour compenser leurs pertes, ne peuvent être qu'un palliatif provisoire, car le budget ne peut supporter un accroissement permanent de ses charges et parce qu'il est dangereux de laisser les prix diverger trop fortement des coûts. Ce dernier argument, très répandu en Hongrie, revient à dire qu'on ne peut permettre aux prix internes de cacher les hausses de coûts des impor­tations sous peine d'encourager des consommations coûteuses en devises.

L'économiste hongrois Szego a tenté, en 1971, de calculer les effets des variations des prix mondiaux sur la situation interne de la Hongrie. Ce qui paraît le plus inattendu est la relation que Szego a établie entte les échanges internationaux et la circulation monétaire hongroise. TI apparaît que, depuis les réformes de 1968 qui ont supprimé le Preisausgleich en Hongrie, les variations de la valeur des exportations et des importations provoquent des mouvements de la masse monétaire.

L'inflation mondiale, en plus des effets qu'elle exerce sur la masse monétaire hongroise, a un effet-revenu sur les pays où le commerce extérieur représente une part importante du revenu national. Cet effet-revenu se décompose en un effet d'exportation (surplus nominal de revenu apporté par les recettes d'exportation) et un effet d'impor-

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194 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

tation (absorption d'une part du revenu nominal correspondant au paiement des importations)1. Ces deux effets se compensent plus ou moins selon la structure de la balance commerciale.

La réévaluation de la monnaie nationale est une protection contre l'inflation importée, dans la mesure où elle maintient la stabilité du rapport de la valeur des importations sur le revenu tiré des exporta­tions. Mais elle ne permet pas d'éviter l'accroissement des coûts de production dû aux hausses de prix des importations; c'est pour­quoi la Hongrie, qui a procédé à de nombreuses réévaluations, a dû les accompagner de fortes subventions budgétaires aux entreprises utilisant des matières premières ou des machines importées. La Tchécoslovaguie, en 1974, a également réévalué sa monnaie mais a compensé la hausse du prix des importations par une réduction de la croissance de leur volume. Les effets bénéfiques d'une réévaluation dépendent de l'élasticité de la demande de biens importés.

Les exportations hongroises représentent près de 50 % du revenu national quoique cette évaluation dépende du taux de change retenu; la part réelle du commerce extérieur dans le revenu hongrois est peut-être inférieure, comme le suggère Dezsenyi-Gueullette2• Tout calcul est difficile puisque, de 1972 à 1979, le forint a été réévalué au moins quinze fois pour rééquilibrer la balance commerciale.

Cependant la Hongrie refusa de réévaluer suffisamment le forint pour compenser l'inflation à l'étranger, si bien qu'il fut inévitable d'augmenter les prix à la production. « Le renchérissement du forint par rapport au dollar a été très inférieur à l'augmentation des prix en dollars du commerce extérieur de sorte que le prix interne en forint des importations et des exportations a cru très substantiellement. Il en est résulté un décuplement des subventions à l'importation en I97 3-I97 4 et une augmentation corres­pondante des taxes à l'exportation »3. Pour réduire la croissance de ces subventions et de ces taxes, il a fallu augmenter les prix à la pro­duction en 1975-1976.

La politigue hongroise s'explique par la forte dépendance de la Hongrie à l'égard de ses échanges en devises. Une telle politique des changes ne peut être généralisée au CAEM. La convertibilité des monnaies nationales entre elles est difficile à envisager si les pays

J. Cf. F. SEUROT (J97~). 2. Cf. A. DEZSENYI-GUEULLETTE (1979)' 3. R. PORTES, in revue EJudes çomparalivu BIt-Ouest, 1979, p. 260.

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LE RÔLE DES DÉSÉQUILIBRES EXTÉRIEURS

membres du CAEM ont des taux d'inflation interne différents. Les taux de change devraient se modifier en fonction des différences de taux d'inflation, or ceux-ci sont difficiles à calculer. D'autre part, on ne peut imaginer un système de rééquilibre comparable à un marché des capitaux. Sans rééquilibre par les mouvements de prix ni par les taux d'intérêt, on voit mal comment se régleraient les compen­sations des échanges.

CONCLUSION

La hausse du prix des importations a eu un effet inflationniste sur les économies socialistes, que leur mécanisme de formation des prix établisse ou non une relation directe entre les coûts de production et les prix pratiqués. En effet, dans les pays où les prix des importations ne sont pas directement répercutés dans les coûts, les subventions de l'Etat aux entreprises doivent être accrues; l'inflation mondiale gonfle donc les dépenses budgétaires. li s'élève alors un conflit entre la stabilité de la structure des prix internes et l'équilibre budgétaire. Si les dépenses budgétaires nouvelles sont financées par le crédit, il y a inflation interne classique de type soviétique.

Comme le remarque Portes, les pays socialistes ont choisi de financer (emprunter) plutôt que d'ajusterl • S'adapter à une nouvelle structure des prix mondiaux et chercher une croissance moins orientée sur l'équipement lourd était très difficile. Ce choix a été favorisé par la facilité avec laquelle les pays occidentaux ont accordé des crédits à tout pays susceptible de leur acheter des équipements dont la crise mondiale avait provoqué la mévente.

Ne laissant pas les prix jouer leur rôle de rationnement des impor­tations, les autorités des pays socialistes ont probablement surestimé la rigidité de leur structure d'importations. lis considèrent que cer­taines importations sont indispensables au type de croissance retenu et qu'il faut en financer l'achat par des exportations. Ainsi est intro­duit un assez grand degré d'incertitude dans les calculs du plani­ficateur, car on ne peut prévoir rigoureusement la demande étrangère de produits exportables ni les prix mondiaux futurs. Cette incertitude

I. R. PORTES, Rel'. Icon., 1979, p. 1108.

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

est écartée artificiellement des relations économiques internes par une séparation étanche entre les prix de commerce extérieur et les prix internes. Un déséquilibre au niveau international ne se traduit pas immédiatement par des variations des prix internes, ce qui ne signifie pas qu'il ne va pas se manifester autrement et parfois de façon grave : rupture de stocks d'inputs, croissance vertigineuse des sub­ventions versées à certaines branches pour compenser les hausses de coût des importations.

Par ailleurs, les mouvements de prix sur le marché mondial ont eu une conséquence indirecte mais profonde que l'on omet souvent de mentionner. Ils ont fait avorter les tentatives d'extension des réformes économiques dans bien des pays du CAEM.

On aurait pu croire, à première vue, que les hausses des coûts des importations allaient entraîner la recherche de prix intérieurs « réalistes» qui seraient des indicateurs de rareté. En fait, transformer la structure des prix de production en y intégrant les variations des prix mondiaux provoquerait une instabilité chronique de la structure des prix de gros et donc affaiblirait le rôle régulateur de la planification.

Seule la Hongrie, contrainte par sa dépendance du commerce extérieur en devises, accepta le principe d'une révision régulière des prix industriels. Les réformes de 1968 et la diminution du rôle de la planification centralisée lui permettaient d'ajuster les prix de gros en fonction des prix mondiaux. Les autres pays socialistes s'orientent vers la recherche de mécanismes réglant les quantités plutôt que les prix et incitant à réduire la consommation de matières premières et d'énergie. Ces mécanismes, encore à inventer, relèvent plus d'une planification en volume renforcée que d'une extension du rôle des prix et de la décentralisation.

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9

POLITIQUE CONJONCTURELLE ET RÉFORMES STRUCTURELLES

On peut distinguer deux sources d'inspiration aux politiques d'amélioration de la productivité et de lutte contre l'inflation. D'une part, des politiques conjoncturelles visent à corriger, en dehors des procédures de planification, les déséquilibres sur le marché des biens et les déficits des paiements internationaux. Ces politiques sont la politique monétaire par action sur la masse monétaire et le crédit, la politique budgétaire agissant par l'impôt sur les revenus ou sur la dépense et la politique des changes qui ne peut réellement être envisagée que pour la Hongrie et dont nous avons déjà montré les limites. D'un autre côté, les réfonnes de structure cherchent à amé­liorer les mécanismes de gestion des entreprises et de détermination des salaires.

Les partisans des mesures structurelles sont d'abord ceux qui refusent d'opposer une régulation monétaire ou budgétaire à la planification centralisée; ils désirent laisser toute son importance au plan central et ne voient d'amélioration des mécanismes écono­miques que dans le perfectionnement des méthodes de la planification impérative. D'autres partisans d'une réforme de structure sont les théoriciens favorables à une extension du marché.

Deux facteurs contradictoires rendent complexe la lutte contre l'inflation dans le cadre d'une réforme des prix laissant une grande place aux relations de marché. D'une part, le marché ne se conçoit pas sans une certaine flexibilité des prix relatifs. D'autre part, la stabi-

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INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

lité du niveau général des prix est toujours considérée comme une base de l'économie socialiste!.

Cette contradiction rend peu probable le recours à la flexibilité généralisée des prix et des salaires qui est d'ailleurs incompatible avec la planification centralisée.

Les politiques des pays socialistes sont donc un mélange de mesures structurelles et de flexibilité limitée des prix et des revenus.

Avant d'approfondir les modalités des politiques conjoncturelles et structurelles, citons, en exemple, le « mélange hongrois» :

Devant le XIIe Congrès du Parti socialiste ouvrier hongrois, le 24 mars 1980, Janos Kadar a énuméré les principales lignes de force de la politique hongroise pour la période 1981-1985 qui peuvent être décrites comme une politique d'austérité. Il prévoit:

- une limitation des subventions aux prix, ce qui revient à augmenter de nombreux prix de gros et de détail ;

- une politique industrielle de renforcement de la productivité par abandon de productions déficitaires;

- des licenciements dans les branches non rentables et un ajustement des salaires selon le rendement. « Il faut mettre définitivement un terme à la pratique trop commode de l'égalitarisme. Le salaire n'est pas seulement la rétribution de la présence sur les lieux de travail »2.

1 1 POLITIQUE CONJONCTURELLE

MONÉTAIRE ET BUDGÉTAIRE

Il est possible de concevoir une politique monétaire active ayant pour but d'assurer la régulation de la demande des ménages et de corriger les erreurs du planificateur. Une telle politique revient à séparer le système économique en deux sous-systèmes, celui de la planification centralisée de la production et celui de la régulation de la demande des ménages. C'est à peu près ce que demandent les experts de la Banque nationale de Roumanie.

La masse monétaire serait le moyen d'action sur la demande, le volume de monnaie mis en circulation correspondrait à celui qui

1. Cf. B. CSIKOS-NAGY (1973), p. 162. 2. Cité par Le Mot/de, 26-3-1980.

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POLITIQUE CONJONCTURELLE ET RÉFORMES STRUCTURELLES 199

équilibre le marché des biens de consommation. n est même possible de concevoir des mécanismes automatiques d'émission de monnaie: c'est la couverture-or préconisée par une partie de la doctrine sovié­tique ou la croissance monétaire réglée sur la valeur des biens de consommation de la doctrine monétariste roumaine.

Institutionnellement, l'existence de deux circuits monétaires dis­tincts permet de passer assez vite à une telle régulation.

Il est peu vraisemblable qu'une telle politique monétaire se développe, non parce que son efficacité dans la lutte contre l'inflation est mise en doute par les experts des pays socialistes, mais parce qu'elle prive le planificateur d'un moyen d'action dont il a l'habitude: l'incitation à produire appuyée par une demande excédentaire des ménages (c'est-à-dire la doctrine Mikojan).

L'Etat peut agir sur les comportements des ménages de façon indirecte. De tous les actifs figurant dans la fonction d'utilité des ménages, la monnaie est le seul que l'Etat puisse créer à des coûts nuls. La monnaie est désirée par les ménages (même s'ils préféreraient la dépenser tout de suite) parce qu'elle permet, de toute façon, de faire des achats plus tard.

Nous avons vu que la demande d'encaisses monétaires des ménages est fonction de leurs anticipations quant aux possibilités futures d'achat. L'Etat peut agir sur les anticipations en annonçant la mise en construction de logements vendables à la population, d'automobiles et d'autres biens durables. La production de biens durables, les mises en chantier, les prévisions optimistes des gouver­nants influencent positivement le désir de détention de monnaie des particuliers. Ainsi, les travailleurs acceptent de travailler plus pour gagner des roubles qu'ils pensent pouvoir dépenser plus tard. Cette action sur les anticipations des agents est actuellement le seul instru­ment réel de politique « monétaire » utilisé dans les économies de type soviétique.

Certains auteurs préconisent une politique plus active, par exemple une action sur la rémunération de l'épargne pour inciter les ménages à détenir des encaisses. L'économiste soviétique Firfarova va très loin quand elle suggère que les crédits à court terme de la Banque centrale soient liés à l'épargne des ménages. n n'y a pas actuellement de mécanismes bancaires dans les économies socialistes permettant aux dépôts de « faire les crédits ». Si on admet que la Banque centrale

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200 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

règle le volume de ses crédits à court terme sur l'épargne spontanée des ménages, on est amené à conclure que pour avoir une politique volontariste d'émission et de crédit, elle doit mobiliser l'épargne privée. Firfarova est ainsi fondée à recommander une certaine flexi­bilité des taux d'intérêt pour attirer les liquidités oisives et une diversification des formes d'épargne. (D'ailleurs, certains pays socia­listes : RDA, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, connaissent des formes d'épargne spécialisées.) Il faut se rendre compte que dans une telle perspective le taux d'intérêt serait le prix qui égaliserait l'offre d'épargne des ménages et la demande de la Banque centrale en moyens de financement du crédit à court terme. Dans un tel système de crédit, le planificateur perdrait l'essentiel de son rôle d'affectation des ressources.

Sans aller jusqu'à une politique monétariste, il reste possible de mieux contrôler l'action de crédit.

Les dépassements de crédit sont fréquents; en Pologne les entre­prises sous-évaluent systématiquement les coûts des investissements nouveaux afin qu'ils soient inclus dans le plan, elles dépassent ensuite les prévisions de dépenses et demandent des rallonges de crédit sous peine de ne pouvoir accomplir leur plan de production. La situation n'est pas très différente dans les autres pays même si le phénomène a moins d'ampleur.

Si les autorités refusent le crédit, l'investissement déjà réalisé risque d'être perdu; si on accorde systématiquement les dépassements de crédit, il y a une affectation douteuse des ressources car ces crédits auraient pu être mieux employés par une autre entreprise qui n'avait pas sous-estimé ses coûts au départ.

Le contrôle du crédit passe par celui de l'investissement; on com­prend alors la position des économistes hongrois qui veulent que les entreprises soient responsables de leurs investissements et les finan­cent sur leur profits (actuellement 45 à 48 % de l'investissement des firmes hongroises est financé par le budget de l'Etat).

Remarquons que la politique du crédit relève autant de la poli­tique budgétaire que de la politique monétaire. Lorsque le système bancaire finance directement les investissements et les dépassements du fonds des salaires, le déficit budgétaire n'apparaît pas formelle­ment dans les documents budgétaires (il peut même y avoir excédent), il peut seulement se lire dans les comptes de la Banque centrale (qui ne sont pas publiés).

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POLITIQUE CONJONCTURELLE ET RÉFORMES STRUCTURELLES 201

La réforme économique a simplifié les circuits de financement en Hongrie et en Tchécoslovaquie en réduisant la part des crédits budgé­taires dans le financement des entreprises, mais on est encore loin d'employer activement la politique de crédit dans la lutte contre l'inflation. Pour Csikos-Nagy, Président de l'office des prix de Hongrie, la politique monétaire est une bonne arme conjoncturelle et il faut rythmer l'expansion du crédit selon les tensions inflationnistes1• C'est la limite extrême jusqu'où peut aller actuellement, dans les faits, la politique monétaire. Les thèses de la Banque de Roumanie n'ont aucune chance d'être mises en pratique, car cela sonnerait le glas de la pré­éminence du plan sur la monnaie.

Depuis 1930, en URSS et, depuis 1948, dans les autres pays socia­listes, la politique du crédit a pour objectif essentiel d'appuyer le plan de production et de soutenir la croissance rapide de l'économie.

La politique monétaire ne pouvant plus être utilisée pour com­battre l'inflation, il ne reste que la politique fiscale et la politique des revenus.

li est difficile pour un pays socialiste de résoudre le « gap» infla­tionniste (excès de la demande globale sur l'offre globale) par la voie budgétaire; comment envisager, par exemple, d'ajuster le taux d'impo­sition sur l'excès de demande globale? Comment réduire les dépenses publiques alors que le secteur public de production doit accomplir des objectifs de production et de distribution des revenus? D'un autre côté, il a été, jusqu'à présent, exclu de jouer sur les taux d'intérêt pour aligner l'épargne privée sur les besoins d'investissement. li faut souligner que le refus de politique budgétaire date des années 195 5 ;

car Staline avait, pour sa part, donné la préférence à la politique budgé­taire (impôts et emprunt) dans la lutte contre l'inflation: l'impôt sur le revenu a lourdement augmenté de 1926 à 1945.

Les impôts indirects furent très lourds en URSS avant guerre et frappaient plus durement le pauvre que le riche; en 1940, l'impôt sur le pain représentait 80 % de son prix de vente2• Le système financier soviétique fut entièrement orienté vers la lutte contre l'inflation et abandonna toute prétention à assurer la rationalité de la structure des prix des facteurs par une structure appropriée des impôts indirects.

1. B. Csnms-NAGY (1973), p. 163. :z. En fait, entIe 68 % et 86 % selon les calculs. Cf. F. HOLZMAN (1955), p. 202-219.

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zoz INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

La politique budgétaire de régulation de la demande des ménages prit ausi la forme d'emprunts d'Etat. Jusqu'en 1957, les salariés étaient incités à placer, annuellement, deux à quatre semaines de salaire. En général, cet emprunt était forcé et cette part des salaires était versée directement sous forme de bons. Cet emprunt obligatoire fut émis chaque année de 192.7 à 1957 et son remboursement fut ajourné jusqu'à 1977. La période de remboursement est 1977-1997.

Après la guerre, les impôts atteignaient environ 70 % des revenus personnels. On peut aussi se demander si les budgets d'après guerre n'ont pas eu un effet déflationniste; on observe, de 1946 à 1957, un excédent budgétaire cumulé de 2. 58,1 milliards de roubles, soit nette­ment plus que les crédits à court terme accordés aux entreprises sur cette période (184,1 milliards de roubles)1; or, ces années coïncident avec les débuts de l' « inflation contenue », c'est-à-dire de l'inflation sans hausse des prix. li semble qu'en fait le facteur d'assainissement ait été la progression modérée des crédits à court terme plus que l'excé­dent budgétaire; en d'autres termes c'est la politique monétaire plus que la politique budgétaire qui a contenu l'inflation si tant est que l'on puisse dissocier les deux dans le système financier soviétique où la création de monnaie est d'origine budgétaire. Une autre explication est aussi légitime, c'est la stabilisation relative des salaires qui a tari l'inflation. li faut alors savoir quelle politique a déterminé l'autre: la politique des salaires ou la politique du crédit. De toute façon, ces deux politiques sont liées et quand la Gosbank a strictement contrôlé les paiements de salaire supérieurs aux prévisions du plan, elle mainte­nait par là même le crédit à court temre dans les limites prévues par le plan.

II RÉFORMES ÉCONOMIQUES

ET LA POLITIQUE DES SALAIRES

Nous avons vu que la cause essentielle de l'inflation dans les pays socialistes était la croissance des revenus. Si nous laissons de côté les revenus de transfert et les retraites, la politique des revenus se ramène en système socialiste à la politique des salaires.

x. F. HOLZMAN (1960), p. 186.

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POLITIQUE CONJONCTURELLE ET RÉFORMES STRUCTURELLES 203

La plupart des pays socialistes ont pris des mesures pour mieux ajuster les hausses de salaires à celles de la productivité!. Il est néces­saire d'étudier dans ce cadre la réforme soviétique des salaires de 1979 qui doit être mise en application pendant le plan quinquennal 1981-1985.

l / La réforme des salaires de I979

Le Conseil des Ministres de l'URSS a adopté le 12 juillet 1979 une réforme des salaires qui, si elle était effectivement appliquée, provo­querait une transformation profonde de l'évolution des salaires plus que de leur mode de calcul.

Cette réforme s'inscrit dans un cadre plus large puisque le Conseil des Ministres institue dans le même texte2 toute une série de normes sur l'utilisation des matières premières et de l'énergie qui sont déter­minées comme des proportions de la valeur du produit fini variant par rapport à une année de base qui est la dernière année du plan quinquennal précédent. Les projets de normes sont élaborés par les ministères techniques et soumis au Gosplan sous la forme d'une évo­lution décennale éclatée en deux quinquennats, chaque prévision quinquennale étant éclatée en normes annuelles. Ces normes sont une programmation des baisses des dépenses en facteurs de production.

Le travail est traité d'une façon assez semblable; le système de calcul des salaires repose sur des « normes de salaire par rouble de production ». (Dans certaines branches, le système du fonds des salaires doit subsister.) Il s'agit de normes à long terme, les normes simples de travail (nombre de pièces par heure ... ) restent définies par le directeur de l'entreprise en liaison avec le comité syndical de l'entreprise et les grilles de salaire restent du ressort du Comité d'Etat au Travail. Les normes par rouble de production sont déterminées par les ministères et le Gosplan; ayant un caractère économique et non social elles échappent au Comité d'Etat au Travail.·

L'objectif de la réforme est clair, il est de relier le volume des

1. Les principales caractéristiques des politiques salariales des pays socialistes ont été exposées dans le chapitre 5. La réforme des salaires en URSS s'inscrit dans une réforme générale des mécanismes de gestion; c'est pourquoi nous la prenons comme exemple des politiques de structure.

z. Le texte est publié par Ekonomiénkaja Gaze/a, 1980, nO 10.

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Z04 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

salaires versés par la firme à celui de la production, le système du fonds des salaires s'étant révélé trop peu rigoureux à cet égard. En dehors de cet objectif général, il y a un objectif microéconomique de stimu­lation des travailleurs mais le contenu de la réforme n'apporte rien de réellement nouveau à cet égard alors que tout dans la réforme concourt à améliorer le contrôle administratif des dépenses salariales.

La norme se présente comme le rapport des dépenses en personnel productif sur le volume de production prévu par le plan. Les normes ne sont pas descriptives des techniques utilisées et ne peuvent donc résulter de la lecture des tableaux d'input-output mais elles doivent tenir compte des gains de productivité dus au progrès technique prévul .

Les salaires ainsi calculés ne doivent pas inclure les primes payées sur le fonds de stimulation et en principe ne doivent être compta­bilisées que les dépenses en travail réellement productif. Le fonds des salaires du personnel « non productif» est planifié, à part, avec des méthodes anciennes variables d'ailleurs selon les branches. Le fonds général des salaires de la firme est donc la somme du fonds des salaires du personnel productif (calculé selon les normes) et du fonds des salaires du personnel « non productif».

Les normes sont, en principe, valables pour la durée du quin­quennat et ne doivent être modifiées pendant cette période que pour des raisons sérieuses. Sont notamment interdites les modifications en raison d'une baisse de qualité de la production et seuls sont prévus des changements de normes dus à des variations des méthodes de pro­duction. C'est le ministère de tutelle qui est compétent pour apprécier la nécessité d'un changement et y procéder; pour cela les ministères disposent d'une réserve de z % du fonds des salaires calculé à partir des normes : c'est la seule souplesse que laisse, en principe, la réforme.

Le passage d'un indice absolu (fonds des salaires) à un indice relatif (norme par rouble de production) devrait, dans l'esprit de ses promoteurs, encourager les firmes à mieux gérer leur force de travail

1. Le texte officiel décrivant la méthode des normes est Dolgosroenye normativy zarabotnoj plat y ... Il est paru dans Eko11Omiceskaja Gazeta, 1979/45. Le spécialiste de ces normes au Gosplan est V. MOSKALENIW qui donne des « consultations scientifiques» aux revues économiques sur ce sujet; V. MOSKALENKO, Planirovanije zarabomoj platy po normativam, Ek. Gazeta, 1980/13; ID., Novoje v planirovanijc zarabotnoj platy, Plànovoje Khozjajsz'o, 1980/1, p. 106-109.

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POLITIQUE CONJONCTURELLE ET RÉFORMES STRUCTURELLES 205

et à plafonner leurs effectifs employés et il est aussi exclu de leur accorder des fonds salariaux supplémentaires à l'occasion, par exemple, de l'utilisation de matières premières plus chères. Tout cela témoigne des dépassements, dans le passé, du plan des salaires. Le succès du système des normes paraît, à cet égard, très problématique; une hausse des coûts en capital est répercutée dans le prix et donc dans la valeur de la production; le respect de la norme conduit à augmenter les salaires, seul le recours à des indices de production nette avec un autre calcul des prix permettrait d'éviter cette difficulté que Moska­lenko semble avoir aperçue; il reste à construire des indices de ce type, ce qui est une cause de retard vraisemblable de l'application des normes.

Sur la base des normes de salaire, l'entreprise détermine, elle­même, le fonds absolu des salaires du personnel productif; ces résultats sont transmis au ministère de tutelle qui contrôle s'ils corres­pondent aux indications du plan quinquennal de production. Moska­lenkoI donne l'exemple d'une norme de 67,23 kopecks par rouble de production en 1982: sUa production prévue parle plan est de 12,68 mil­lions de roubles, le fonds absolu des salaires du personnel de production est calculé par l'entreprise et le ministre par simple multiplication et est alors de 8,524 millions de roubles. Les moyens de paiement sont donnés par la Gosbank au vu d'un certificat de réalisation de la pro­duction dans le cadre d'un plan trimestriel de paiement. Si le plan est dépassé, on applique un coefficient, variable selon les branches, de dépassement du fonds des salaires.

Les normes ne varient trimestriellement que pour les entreprises ayant une activité à caractère saisonnier, mais les autres firmes sont soumises à des normes annuelles dont la valeur est prévue par le plan. n semble que les normes quinquennales soient une liste de cinq normes (une par année) de valeur décroissante.

Les économies réalisées dans le paiement des salaires par rapport à la norme vont à la fin de l'année dans le fonds de stimulation maté­rielle à condition qu'aient été réalisés les plans de production et de croissance de la productivité du travail.

n n'est pas impossible que les autorités soviétiques se soient

1. V. MOSKALENIW, Ek. Gaz., 1980/13.

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z06 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

inspirées du mode de planification des salaires utilisé en Tchéco­slovaquie où le fonds des salaires n'est pas une somme donnée mais un pourcentage de la production vendue. La Tchécoslovaquie est d'ailleurs, pour cette raison ou non, un des pays socialistes dont la hausse des salaires depuis 1971 a été inférieure à celle de la productivité.

Le nouveau système garantit à la firme que, si elle produit plus, elle aura un fonds des salaires plus élevé; cela devrait la stimuler à mieux utiliser les réserves qu'elle peut avoir en matières premières et en travail. Il faut pour cela que le niveau de la norme soit garanti; c'est ainsi que les normes sont données au début du quinquennat (avec une valeur différente pour chaque année). On n'admet pas le changement de la norme parce que l'entreprise aurait embauché du personnel en sus des prévisions du plan.

Un des principes de base de la réforme est d'écarter toute influence sur le fonds des salaires d'une année donnée du fonds de l'année précédente. Ainsi si la firme a économisé du travail une année, elle n'est pas pénalisée l'année suivante par une baisse du fonds des salaires. Une économie sur les salaires avec un niveau de production satisfaisant est versée en fin d'année au fonds de stimulation maté­rielle. D'ailleurs, depuis 1972, les firmes peuvent utiliser les économies de salaires, réalisées grâce à des réductions de personnel, à financer des stimulants matériels; il semble y avoir eu quelques exemples de réorganisation du travail utilisant cette disposition.

2 / Quels résultats petit-on espérer de la ré/arille?

La portée de la réforme des salaires ne peut être appréciée qu'en relation avec la réforme de la gestion opérée également en 1979. Or les objectifs des entreprises ou des unions d'entreprises n'ont pas été transformés profondément; les principaux indicateurs de performance planifiés sont :

- les indices de croissance de la production (en volume ou en valeur selon les branches);

- l'indice de croissance de la productivité du travail ; - le nombre de travailleurs employés; - les indices relatifs à l'investissement.

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POLITIQUE CONJONCTURELLE ET RÉFORMES STRUCTURELLES 2.07

L'expert en matière de réforme de gestion P. BuniCl compte 2.3 types d'indicateurs en regroupant sous une seule rubrique tous les objectifs relatifs au progrès technique.

Le moins que l'on puisse dire est que l'autonomie des entreprises n'est pas renforcée par la réforme de 1979, les firmes fixent les normes d'efficacité des investissements décentralisés (mais pas leur volume), elles fixent le prix des pièces détachées fabriquées en dehors des objectifs du plan central (mais pas leur quantité). Cela peut paraître aberrant; cependant, comme le remarque Bunie, plus basse sera la norme d'efficacité de l'investissement, plus forte sera la demande de biens de production, plus élevé sera le prix d'un bien, plus forte en sera l'offre. Le pouvoir d'initiative des firmes quant aux prix leur laisse une réelle influence sur les quantités de pièces détachées ; elles ne déterminent plus le volume des investissements décentra­lisés de façon directe mais indirectement par la fixation des taux de rentabilité.

La réforme de 1979 manifeste une certaine méfiance à l'égard des entreprises tout en cherchant à maintenir le rôle de certains mécanismes économiques spontanés. La réforme des salaires procède du même esprit, il n'est plus question de faire confiance aux entre­prises pour modérer les hausses de salaires ou les effectifs employés en fonction de la productivité.

Brejnev mentionne à peine l'usage de la politique des salaires à des fins de stimulation au travail. li ne faut pas se tromper, la réforme de 1979 ne vise pas à améliorer la productivité de ch-acun en définissant des stimulants nouveaux, elle a pour objectif de restaurer la discipline dans le travail en sanctionnant les absences et congés trop fréquents (ce qui a bien sûr un effet sur la productivité de l'ensemble des tra­vailleurs de la firme) et surtout de limiter la croissance des salaires dans les limites de la croissance de la productivité réelle.

La phrase de J. Kadar devant le Congrès du PC hongrois, en janvier 1980 : « Le salaire ne doit pas être la rétribution de la présence sur les lieux de travail », pourrait s'appliquer à la philosophie de la réforme Brejnev.

On ne croit plus à l'effet positif des hauts salaires sur la produc-

1. P. BUNIC, Planovye pokazateli, ekonomiceskye normativy i pravila, Vopro!.J Ekonomiki, 1980/2, p. H-45.

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208 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

tivité, Brejnev et Tikhonov disent clairement qu'on a accru le bien­être des travailleurs de façon importante y compris au niveau des conditions de travail et que le résultat est un relâchement de la discipline dans le travail, une irresponsabilité des entreprises en matière d'organisation du travail et une productivité du travail décevante.

Brejnev lui-même semble avoir toujours été prudent en ce qui concerne les augmentations de revenus. Dans son livre sur Le travail et le salaire en URSS, Volkov, qui était président du Comité d'Etat au Travail et aux Questions sociales, rappelle que Brejnev a écrit en 1972 : « Se soucier du bien-être des travailleurs ne signifie pas que nous devions jouer les tontons-gâteaux envers tous les travailleurs indépendamment de leur contribution à la production. Les salaires doivent être mérités par tous »1.

La réforme de 1979 n'est pas du tout une réforme des méca­nismes de stimulation visant à accroître la productivité; c'est une remise en ordre, les salaires croîtront moins automatiquement et moins vite. Le volume global des salaires versés par une firme dépendra plus étroitement de la productivité. Mais augmenter la productivité exigerait une autre réforme; notons toutefois que la réforme de 1979 incite les firmes à plafonner leurs effectifs. Il est significatif que la réforme salariale ne correspond pas à une géné­ralisation de la méthode dite de Scekino, du nom d'une entreprise chimique qui en onze ans a triplé sa production en réduisant ses effectifs ... La seule façon d'accroître la productivité des entreprises est de les rendre responsables du paiement des salaires (ce que fait partiellement la réforme) et d'autoriser les licenciements du per­sonnel inutile (entre 1971 et 1975, le ministère de la Sidérurgie de l'URSS a réduit le personnel des secteurs auxiliaires et l'administration de 350000 personnes sans affecter la production2).

Ce que l'on permet à quelques firmes (méthode de Scekino) n'est pas possible au niveau général sans entraîner un chômage considérable. On passerait d'une situation de chômage déguisé à un chômage déclaré; c'est un prix que les autorités soviétiques ne sont pas prêtes à payer pour une rationalisation de la production et

1. A. VOLKOV, Trl/d i zarabotnaja plata v SSSR, l\foscou, 1974, cité par A. McAuLEY, p. 364.

2. Courrier deI Pays de l'Est: Panorama de l'URSS, février 1979,

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POLITIQUE CONJONCTURELLE ET RÉFOlL\ŒS STRUCTURELLES 209

des salaires. TI faut donc prévoir que les effets de la réforme seront, dans le meilleur des cas, une police des salaires plus efficace et un ralentissement de l'inflation réprimée mais probablement pas une reprise sensible de la croissance. Bien sûr des facteurs conjoncturels favorables (récoltes, prix des matières premières) peuvent améliorer la situation par rapport à 1979 mais il ne faut pas attendre de progrès dans la productivité du travail.

Dans les faits, les politiques d'austérité sont moins énergiques que les déclarations officielles l'auraient laissé croire. Une telle situation est fréquente en Occident, où on l'attribue, à tort ou à raison, à la peur de l'impopularité d'un gouvernement soumis à des élections libres. Cette explication ne peut être proposée pour les pays socialistes. Or il semble que, paradoxalement, les politiques d'austérité y soient plus difficiles à mener que dans les économies capitalistes. Les autorités des Etats socialistes craignent qu'une baisse de salaires ou un ralentissement brutal de leur croissance provoque un accroissement de l'absentéisme et une baisse de la productivité. Comme l'expliquent les dirigeants d'entreprise, si on ne peut licencier les travailleurs paresseux, il faut pouvoir les inciter à plus d'ardeur dans le travail en leur offrant des primes. En d'autres termes, une politique d'austérité mal acceptée risque d'avoir pour conséquence une baisse de la productivité; c'est ce que l'on peut appeler l'effet pervers des politiques d'austérité en économie planifiée. Ainsi s'expliquent les longues campagnes de presse qui précèdent les mesures d'austérité: il faut convaincre les travailleurs de la gravité de la situation et leur faire accepter la nouvelle politique des salaires.

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CONCLUSION

L'inflation et la stagnation de la production sont deux phéno­mènes de causes différentes mais ils ont des conséquences qui se lient les unes aux autres et qui ont provoqué la crise économique des pays socialistes dans les années 1976-1980. Cette crise s'est manifestée par une relance de l'inflation, une stagnation de la produc­tion et des déficits des paiements extérieurs.

Toutes les théories réelles de l'inflation peuvent être acceptées mais il est difficile d'y déceler la nature de la cause de l'inflation de façon unique. Nul ne nie le rôle des salaires dans l'inflation soviétique des années 1930, ni l'aspect d'inflation importée des déséquilibres hongrois, ni le surinvestissement des périodes d'industrialisation.

Le dénominateur commun aux inflations socialistes est qu'elles ont été acceptées comme un moindre mal pour financer la croissance et pour faire face aux déséquilibres de la balance des paiements. Le système monétaire des pays socialistes transmet l'inflation et la transforme en demande rationnée plutôt qu'en hausse des prix. Une telle analyse est monétariste en ce sens qu'elle souligne le rôle des institutions monétaires dans l'inflation et notamment celui du double circuit monnaie externe - monnaie interne qui permet de détacher le financement des opérations de production du circuit monétaire où interviennent les comportements individuels. Cela ne signifie pas que les causes profondes de l'inflation sont monétaires mais simplement que, sans le relais constitué par les mécanismes monétaires des pays socialistes, il n'y aurait pas inflation.

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212 INFLATION ET EMPLOI DANS LES PAYS SOCIALISTES

L'Etat socialiste a été de ce point de vue un inventeur d'institu­tions rationnel et subtil. Il a créé des institutions financières qui permettent de financer la croissance par l'inflation lors des phases d'industrialisation puis de corriger les erreurs de la planification courante en maintenant une demande excédentaire inflationniste qu'il masque par une série de contrôles administratifs.

Le coût social de l'inflation paraît faible aux autorités puisque, si les contrôles sont efficaces, ce coût se résout en un accroissement de l'épargne forcée des ménages. Si cette épargne devient consi­dérable, une réforme monétaire annule ces encaisses accumulées. Pour différer cette échéance, les autorités économiques ont assorti les contrôles administratifs d'une série de soupapes visant à réduire l'épargne forcée. Elles concernent l'offre de biens (marché kolkhozien, tolérance d'un certain degré de marché noir, offre épisodique de biens étrangers à prix élevés) ou visent à susciter une demande volontaire d'encaisses (perspectives d'achat ultérieur de biens durables, intérêt assez élevé versé à l'épargne à plus de six mois).

L'inflation réprimée pouvait passer pour un « moindre mal » lié à la croissance lorsque le ralentissement de la croissance, à partir de 1970-1974 selon les pays, accompagna une aggravation des tensions inflationnistes. Les gouvernants des pays socialistes se trouvèrent devant une situation nouvelle comparable à la stagflation occidentale.

Lorsqu'on étudie la « crise» économique des pays socialistes, c'est-à-dire la réduction de la croissance, la non-exécution pes plans de production et pour certains pays le déficit de la balance commer­ciale, il convient de distinguer les pays qui sont touchés par la hausse des prix des matières premières et ceux qui ne le sont pas. Parmi ces derniers, l'URSS a une place privilégiée puisque les mouvements de prix, mondiaux et internes au COMECON, améliorent ses termes de l'échange. Pourtant l'URSS est touchée par la stagnation et, de l'aveu des responsables politiques, connaît les plus faibles taux de crois­sance qu'elle ait obtenus en période de paix.

L'explication que nous avons développée ici est plus structurelle que conjoncturelle: depuis 1956 et surtout depuis 1965, le niveau des revenus, salariaux et autres, a progressé de façon considérable. Le salaire minimum a cru régulièrement, les kolkhoziens ont obtenu des retraites et des couvertures sociales en cas d'accident. Tous ces progrès sociaux ont été financés par une croissance surestimée de la

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CONCLUSION 21 3

production. Mal informées par un appareil statistique aux concepts déficients, les autorités politiques de l'URSS ont cru que les gains de productivité compensaient et même dépassaient la croissance des revenus distribués. Une sous-estimation des coûts de la politique sociale et salariale, une surestimation des résultats de l'économie: voilà les causes profondes de la stagnation actuelle et voilà les raisons de la politique d'austérité que constitue la réforme des salaires du 12 juillet 1979 qui doit entrer en vigueur pendant le quin­quennat 1981-1985.

Par rapport à la situation économique d'avant 1970 et par rapport aux convictions qui dominaient alors la pensée économique des pays socialistes, la décennie qui vient de s'achever (1971-1980) a été marquée par deux changements très profonds.

Le premier est que le dogme de la stabilité des prix de détail est abandonné au moins depuis 1978.

Le second est que l'on peut se demander s'il n'y a pas contra­diction, dans une économie socialiste, entre la garantie de l'emploi, l'amélioration de la productivité et la croissance régulière des revenus et des avantages sociaux.

La question que l'on est amené à se poser devant la similitude des problèmes posés aux économies socialistes et aux économies capitalistes est même plus fondamentale : ne se dirige-t-on pas vers des économies industrielles modernes caractérisées par une inflation importante, réprimée ou non, et par un chômage volontaire crois­sant, déguisé ou non? Une chose est, en tout cas, incontestable, c'est que les politiques d'austérité menées actuellement à l'Est comme à l'Ouest présentent d'étranges ressemblances.

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Bibliographie

Les références faites au cours du texte à des quotidiens ou à des hebdo­madaires n'ont pas été reprises dans cette bibliographie sauf si leur intérêt est d'une portée générale.

Les abréviations utilisées pour désigner ces revues sont les suivantes:

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Imprimé en France Imprimerie des Presses Universitaires de France

73. avenue Ronsard, 41100 Vendôme Janvier Ig83 - N° 28468

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SBN 2 13037624 x IlSSN 0292"7020

Dépôt légal- Ir. édition : 1983. janvier

© Presses Universitaires de France, 1983 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paria

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LIBRE ÉCHANGE

Collection dirigée par Florin Aftalion et Georges Gallais-Hamonno

Ecrits par des auteurs français jeunes ou confirmés, ou traduits à partir d'œuvres étran­gères particulièrement importantes, les ou­vrages de cette collection auront les trois caractéristiques suivantes:

- Ils traiteront des grands problèmes de choix dans notre société, tels que : rôle et place de l'Etat, justice sociale, réglemen­tation du marché et du pouvoir politique, efficacité de la production et des échanges, formation des valeurs. Dans leurs analyses, ils feront souvent appel à la méthode économique, sans toutefois en présenter les aspects tech­niques. Ils défendront avant tout l'idée de liberté de l'individu, surtout lorsque celle-ci est menacée par l'emprise étatique.

Ils ne s'adressent donc pas exclusivement aux enseignants et aux chercheurs, mais aussi, de façon plus vaste, au public désireux de prendre part aux débats d'idées contempo­rains.

« Libre Echange » assure ainsi l'expression du point de vue authentiquement libéral en France.

OUVRAGES PARUS

Friedrich A. HAYEK, Droit, législation et liberté. Volume 1 : Règles et ordre. Volume 2 : Le mirage de la justice sociale.

Pascal SALIN, L'ordre monétaire mondial.

Serge-Christophe KOLM, Le bonheur - liberté.

François SEUROT, Inflation et emploi dans les pays socialistes.

OUVRAGES A PARAÎTRE

Friedrich A. HAYEK, Droit, législation et liberté. Volume 3 : L'ordre politique d'un peuple libre.

Frédéric BASTIAT, Œuvres économiques.

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