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1 L’INDIVIDU ET LA TRADITION L’Eglise Catholique à l’âge de la maturité « Voici enfin une Eglise romaine, dont la morgue et la sûreté d’elle-même ont exaspéré toutes les autres confessions chrétiennes, la voici donc en état d’humilité. » (Jean Daniel 1 ) Le christianisme agonisant (du grec « agônia » : lutte, angoisse ) caractérise la modernité. En France, en une génération, l’assistance régulière à la messe est passée de 30% à moins de 10%. Le nombre de prêtres diocésains est passé de 29 000 en 1983 à 21 000 en 1997 (et plus de 65% avaient plus de 65 ans). Pour les enfants, être catéchisés est devenu un choix volontaire. 86% l’étaient en 1965 ; 40% le sont en 2000. Le magazine « La Vie » vend deux fois d’exemplaires (210 000) qu’il y a 20 ans. Le quotidien « La Croix » vend 86 000 exemplaires. En rencontrant des Lefebvristes, j’ai compris le défi majeur que l’Eglise Catholique romaine doit relever. Comme nous venons de le voir, la relation de l’Eglise au « monde » a été bouleversée lors du siècle dernier. Autrefois omniprésente et omnipotente, l’Eglise a vu son emprise sur le monde réduite à une peau de chagrin. En 1978, Jean Delumeau écrit « Le Christianisme va-t-il mourir ? ».« Résumant d’une phrase l’argument central du présent livre, je dirai que le Dieu des Chrétiens était autrefois beaucoup moins vivant qu’on ne l’a cru et qu’il est aujourd’hui beaucoup moins mort qu’on ne le dit. » Effectivement, cette évolution est nécessaire et bénéfique. Comme celle des rapports parents/enfants au moment de l’adolescence. Pour des parents sincères et attentifs, la crise d’adolescence de leur enfants n’est-elle pas l’occasion de découvrir leurs propres failles ? Or la réaction de l’Eglise à la « crise d’adolescence du monde » (avec les problèmes de communication qui la caractérise) dépend beaucoup des personnes qui la dirigent. Compte tenu de la mission fondamentale de l’Eglise, il me paraît cohérent que ceux-ci soient de préférence issus des couches sociales les plus défavorisées. De plus, compte tenu de l’enjeu majeur actuel, il serait pertinent d’ajouter un critère de « représentativité conjoncturelle » : un bon pape devrait connaître le vécu des pauvres et des déshérités de son temps. Ainsi, idéalement, le prochain pape devrait être issu de la classe défavorisée d’un pays ultra- libéral. Léon XIII s’est attaché aux questions sociales, au monde ouvrier. Pie X est préoccupé par les déchirures produites au sein de l’Eglise Catholique face au monde moderne. Benoît XV (1914-1922) est en faveur de la paix. Impartial et neutre. La guerre est « un suicide de l’Europe ». Une guerre fratricide entre chrétiens. Et l’Empire d’Autriche-Hongrie (Catholique) disparaîtra deux ans plus tard… 1 In « Le Nouvel Observateur », hors-série n° 40, début 2000

L'individu et la tradition - oraetlabora.net · En 1978, Jean Delumeau écrit « Le Christianisme va-t-il mourir ? ».« Résumant d’une phrase l’argument central du présent

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L’INDIVIDU ET LA TRADITION • L’Eglise Catholique à l’âge de la maturité « Voici enfin une Eglise romaine, dont la morgue et la sûreté d’elle-même ont exaspéré toutes les autres confessions chrétiennes, la voici donc en état d’humilité. » (Jean Daniel1) Le christianisme agonisant (du grec « agônia » : lutte, angoisse) caractérise la modernité. En France, en une génération, l’assistance régulière à la messe est passée de 30% à moins de 10%. Le nombre de prêtres diocésains est passé de 29 000 en 1983 à 21 000 en 1997 (et plus de 65% avaient plus de 65 ans). Pour les enfants, être catéchisés est devenu un choix volontaire. 86% l’étaient en 1965 ; 40% le sont en 2000. Le magazine « La Vie » vend deux fois d’exemplaires (210 000) qu’il y a 20 ans. Le quotidien « La Croix » vend 86 000 exemplaires. En rencontrant des Lefebvristes, j’ai compris le défi majeur que l’Eglise Catholique romaine doit relever. Comme nous venons de le voir, la relation de l’Eglise au « monde » a été bouleversée lors du siècle dernier. Autrefois omniprésente et omnipotente, l’Eglise a vu son emprise sur le monde réduite à une peau de chagrin. En 1978, Jean Delumeau écrit « Le Christianisme va-t-il mourir ? ».« Résumant d’une phrase l’argument central du présent livre, je dirai que le Dieu des Chrétiens était autrefois beaucoup moins vivant qu’on ne l’a cru et qu’il est aujourd’hui beaucoup moins mort qu’on ne le dit. » Effectivement, cette évolution est nécessaire et bénéfique. Comme celle des rapports parents/enfants au moment de l’adolescence. Pour des parents sincères et attentifs, la crise d’adolescence de leur enfants n’est-elle pas l’occasion de découvrir leurs propres failles ? Or la réaction de l’Eglise à la « crise d’adolescence du monde » (avec les problèmes de communication qui la caractérise) dépend beaucoup des personnes qui la dirigent. Compte tenu de la mission fondamentale de l’Eglise, il me paraît cohérent que ceux-ci soient de préférence issus des couches sociales les plus défavorisées. De plus, compte tenu de l’enjeu majeur actuel, il serait pertinent d’ajouter un critère de « représentativité conjoncturelle » : un bon pape devrait connaître le vécu des pauvres et des déshérités de son temps. Ainsi, idéalement, le prochain pape devrait être issu de la classe défavorisée d’un pays ultra-libéral. Léon XIII s’est attaché aux questions sociales, au monde ouvrier. Pie X est préoccupé par les déchirures produites au sein de l’Eglise Catholique face au monde moderne. Benoît XV (1914-1922) est en faveur de la paix. Impartial et neutre. La guerre est « un suicide de l’Europe ». Une guerre fratricide entre chrétiens. Et l’Empire d’Autriche-Hongrie (Catholique) disparaîtra deux ans plus tard…

1 In « Le Nouvel Observateur », hors-série n° 40, début 2000

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L’idée d’une rébellion armée des Catholiques d’Irlande est perçue comme « moralement indéfendable », à la grande colère des nationalistes irlandais. Pie XI apparaît au balcon de St Pierre pour la prière pour la première fois depuis 50 ans en 1922. Les racines paysannes de Pie XI l’ancrent dans le passé. Face aux révolutions du XXè siècle, il réagit « à l’ancienne », comme un père autoritaire. Pie XII (1939) est issu de la bourgeoisie. Bon élève, bon Catholique, il devient un « père » raide, un peu autiste, déstabilisé par le monde qui gronde à sa porte. De ses origines, il a probablement hérité un fond d’antisémitisme. Quoi qu’il en soit, il manifeste des défauts de vision face au monde : myopie face aux nazis, aux franquistes et à ses voisins fascistes ; astigmatisme féroce devant les communistes… Toutefois « L’Histoire est-elle maîtresse d’expérience ? Si oui, alors la diplomatie vaticane est son meilleur élève », écrit Eric Lebec2. En 1944, une enseignante d’Agen envisage une croisade de prière pour la conversion de l’Allemagne, et crée Pax Christi. Avec la bénédiction de Pie XII, ce mouvement devient le fer de lance de la diplomatie vaticane dans l’Europe nouvelle de l’après-guerre. En 1950, le mouvement, qui s’est donné pour devise « Pax Christi in regno Christi », est représenté dans 11 pays européens. Ses réflexions vont directement inspirer les théoriciens de la démocratie chrétienne en Europe, et parmi eux, les pères du Traité de Rome : le Français Robert Schuman, l’Italien Alcide de Gasperi et l’allemand Konrad Adenauer. Ce sont tous trois de fervents Catholiques proches du Saint-Siège. Ils font le choix d’une Europe fédérale basée sur le principe de subsidiarité emprunté à l’organisation des dominicains au XIIIè siècle (en particulier à saint Thomas d’Aquin) et repris depuis par la doctrine sociale de l’Eglise. Ainsi le droit diplomatique moderne est-il directement inspiré par les travaux de l’Eglise. C’est elle qui a inventé le droit public non-territorial qui régit les organismes internationaux. A la mort de Pie XII en 1958, le conclave, perturbé par les échos assourdissants de l’idéologie matérialiste du monde, aboutit à un « compromis » en choisissant un cardinal (de Venise) de 77 ans, issu d’une famille de paysans très pauvres. Ces éléments a priori peu propices à la réduction du fossé entre l’Eglise et le monde ont été heureusement moins déterminants que la puissance, le dynamisme et la pureté de cœur de Jean XXIII. Car c’est vraiment le pape qui amorce la réconciliation3 (les traditionalistes diraient « la chute »). Conscient de ses faiblesses (sur lesquelles les prélats réactionnaires avaient misé), il recourt aux institutions ecclésiales et plus particulièrement aux évêques (du grec « episkopos = surveillant, gardien ; de « skopein » = examiner, observer et « epi » = sur) pour « mieux voir » le monde, et améliorer la fluidité des rapports entre ce monde et l’Eglise. Il y a un siècle, l’Eglise comptait 850 évêques, la plupart basés en Europe. Aujourd’hui, on en compte 5000. En convoquant le concile Vatican II, Jean XXIII amorce l’« aggiornamento »4 de l’Eglise romaine (« Administrer des remèdes avant que des symptômes apparaissent au grand jour »). Dans « Eglise qu’as-tu fait de ton concile ? », Henri Denis relate les propos échangés entre le cardinal Feltin, archevêque de Paris et le cardinal Siri, archevêque de Gênes, conservateur et papabile déçu : « - Ce concile n’est pas un concile. - Ah bon ! Pourquoi ? - Au concile de Trente, on condamnait les Protestants, à Vatican I, les rationalistes, les fidéistes et les antipapistes. Mais là, rien à condamner. Ce n’est pas un concile5. Je suis d’ailleurs allé trouver Jean

2 in « Historia », été 99 3 En 1960, Jean XXIII fait supprimer les expressions « juifs perfides » de la liturgie du vendredi saint, et « (je) prends en horreur la perfidie judaïque » dans la profession de foi du baptême. 4 Le Concile de Trente s’est réuni entre 1545 et 1563, en réponse au succès des réformateurs protestants : concile dit de la Contre-Réforme Catholique. Il a entraîné des bouleversements de fond, au point que l’on peut qualifier les deux conciles ultérieurs d’« aggiormanento ».

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XXIII et je lui ai dit : « Mais enfin, qu’est-ce qu’on va faire à ce concile ? » Vous savez ce qu’il m’a répondu ? Il m’a répondu : « On verra bien. » » En octobre 1962, dans son discours d’ouverture du 21ème concile, Jean XXIII explique aux 2500 évêques réunis : « Aujourd’hui l’Eglise préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner les erreurs, elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur la richesse de sa doctrine. » Ce pape est très énergique, voire un peu balourd, y compris dans sa démarche d’ouverture au monde. Mais son empressement fait suite à un repli de l’Eglise. Sa belle attitude est celle du père de la parabole du fils prodigue : il avance les bras ouverts. Le pape paysan y va franc du collier, au risque peut-être de s’oublier, d’oublier l’Eglise… Mais dans un geste beau et salutaire. Pour autant, la communication ne s’établit pas immédiatement : les hipppies ne sont pas touchés par ce pape débonnaire. Les visions utopistes du monde n’ont pas rejoint l’Image du Royaume des Cieux offert par la Bonne Nouvelle. Et le monde n’a toujours pas reconnu en lui, chez lui, le Juste et Saint…

Le premier geste de Paul VI a été de vendre sa tiare au profit des pauvres. Puis il a judicieusement mis un peu la bride à l’« aggiornamento ». Il s’est ainsi mis à dos les extrémistes : les traditionalistes, et ceux parmi les progressistes qui voulaient que l’Eglise s’adapte au monde. Toutefois, l’Eglise évolue et en 1965, un siècle après le « Syllabus », la constitution « Gaudium et spes » estime que le monde moderne possède des valeurs, certes laïcisées mais puisées à la source évangélique, et invite les chrétiens à l’espérance. Elu pape en 1978, l’archevêque de Cracovie Karol Wojtyla devient Jean-Paul II. C’est le pape qu’il nous fallait. Ses premiers mots adressés au monde remettent les choses à leur juste place : « N’ayez pas peur, ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes du Christ ! ». Issu d’un milieu ouvrier, il a été en prise directe avec les deux égrégors du XXème siècle : le capitalisme et le communisme. Tout le monde reconnaît aujourd’hui l’importance de son rôle dans la désagrégation du bloc communiste. En 1992, Mikhaïl Gorbatchev déclare : « Rien de ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait été possible sans la présence de ce pape, sans le grand rôle même politique qu’il a joué sur la scène internationale. » S’exprimant devant le parlement européen en décembre 1998, Jean-Paul II salue les progrès d’une construction européenne que le « Saint Siège n’a pas cessé d’encourager. » Aujourd’hui, ses efforts portent sur l’intégration des Etats d’Europe de l’Est, majoritairement Catholiques, à la Communauté européenne. N’a-t-il jamais cessé de penser et de dire que si le Saint-Esprit avait inspiré aux cardinaux d’élire un Slave, c’était pour lui confier une mission historique, celle de réunir les « deux poumons de l’Europe » ? Par là, il entend également catholicisme et orthodoxie. Mais outre les rapprochements politiques, cela implique des convergences dogmatiques… Nous verrons que c’est encore une autre affaire… « Dès 1980, à Mayence, En Allemagne, Jean-Paul II tient des propos qui balaient deux mille ans de théologie Catholique. Il déclare que l’Alliance de Dieu avec Israël n’a jamais été révoquée. Le discours du Pape annule la théologie Catholique de la substitution. Que disait-elle ? Puisque Dieu avait fait alliance avec les Nations sous la figure de l’Eglise, cela signifiait que l’Alliance avec Israël était rompue (…) Il y a eu une théologie chrétienne de la malédiction d’Israël et de son impossibilité à sortir de la situation de

5 En effet, Jean Delumeau rappelle que « dans les actes du concile du Trente, la formule « qu’il soit anathème », lancé contre quiconque rejetait l’une ou l’autre des affirmations doctrinales élaborées par les Pères conciliaires revient 126 fois. Vatican I ne l’employa que 18 fois. Vatican II ne l’a pas utilisée. » (« Le Christianisme va-t-il mourir ? », 1977)

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diaspora, considérée comme un châtiment divin sanctionnant la mise à mort de Jésus. Les Pères de l’Eglise l’ont écrit en toutes lettres. »6 En 1993, le Vatican établit des relations diplomatiques avec Israël. « Au cours de son pontificat, Jean-Paul II va esquisser une nouvelle géographie de l’Esprit Saint, comme elle apparaît dans son encyclique Redemptoris Missio. Son action n’est plus limitée aux seuls chrétiens . « L’Esprit Saint est à l’œuvre dans le cœur de tous les hommes », y affirme-t-il. »7 « C’est ainsi que Jean-Paul II a répété, au moins vingt fois, depuis 1981, que toute prière, même adressée au dieu inconnu, est inspirée de l’Esprit Saint (…) Rappelons enfin que Jean-Paul II a également approuvé le document Dialogue et Annonce publié en 1991 par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (…) Alors que traditionnellement la doctrine Catholique affirmait : « Hors de l’Eglise, point de salut », dans ce document il est dit que toutes les religions peuvent être des lieux de salut. »8 L’édition latine de référence du « Catéchisme9 de l’Eglise Catholique » a progressé entre la version de 1992 et celle de 1997 en ce qui concerne la peine de mort. La version de 1992 n’excluait pas l’usage de la peine de mort dans des cas « d’une extrême gravité »… En 1978, Jean Delumeau écrivait déjà : « Je crois que, maintenant, la plupart des Catholiques et des protestants sont conscients de la lourde erreur ainsi commise au long des siècles. Mais, pour qu’un nouveau dialogue s’engage avec ceux de nos contemporains qui sont maintenant sur la défensive par rapport au christianisme, il faut plus qu’un examen de conscience. Importe aussi la proclamation publique et sans équivoque de fautes qui n’ont été que trop publiques. (…) il serait essentiel que les Eglises se réclamant de Jésus déclarent une fois pour toutes –et de façon solennelle- qu’elles regrettent l’Inquisition, l’Etat pontifical, la conception totalitaire de l’évangélisation, le viol des consciences et tous les appuis demandés au bras séculier. Il faudrait qu’elles proclament à la face du monde qu’elles ont commis un péché contre l’Esprit en adoptant la formule de saint Augustin, compelle intrare, « forcez-les à entrer ». » Eh bien, dès 1994, dans sa lettre apostolique « Tertio millennio adveniente » (« A la veille du troisième millénaire »), Jean-Paul II déplore au sein de l’Eglise « le consentement donné, surtout en certains siècles, à des méthodes d’intolérance et même de violence dans le service de la vérité. » La même année, dans un message aux cardinaux, il est le premier pape à reconnaître que l’Inquisition est un épisode sombre de l’histoire du christianisme. En automne 1997, lors d’un colloque sur l’Inquisition, il demande que soit faite « sereinement la vérité sur un passé complexe ». A Saint-Pierre de Rome, le 12 mars 2000, premier dimanche de carême de l’année jubilaire10, a lieu une cérémonie pénitentielle pour « demander pardon pour les fautes historiques de l’Eglise ». Cette demande de pardon est adressée à toutes les églises et religions qui ont souffert des croisades, des guerres de religion et de l’Inquisition. Après l’homélie11 du pape, c’est sous la forme d’une prière universelle que sept cardinaux ou archevêques ont lu chacun à leur tour la confession de sept catégories de péchés commis par les chrétiens, et la demande de pardon à Dieu.

6 Dominique Cerlebaud, in « Actualités Des Religions », mai-juin 2003 7 Gilles Couvreur, ibid 8 Pierre de Béthune, ibid 9 C’est Luther qui invente le manuel du catéchisme en 1529 : Grand Catéchisme pour les pasteurs, Petit Catéchisme, avec demandes et réponses, pour les enfants… En 1542, Calvin publie un « Catéchisme de l’Eglise de Genève » et en 1555, le jésuite Casinius en propose un aux Catholiques… 10 Du « jobel » hébreu, la corne de bélier qui résonnait pour ouvrir l’année sainte, la 50ème année, consacrée selon la Bible, au redressement social, à l’effacement des dettes, à l’affranchissement des esclaves. 11 Du grec « homilia » : réunion, compagnie ; d’où « entretien familier ».

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Dans toutes les Eglises Catholiques, les fidèles se sont unis à cette prière en disant entre autres : « Seigneur, Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, nous te demandons pardon pour toutes les fois où certains de tes enfants ont manifesté mépris et hostilité à l‘égard des fils d’Israël, parfois même jusqu’à la persécution ; continue d’insuffler dans nos cœurs le sens de la fraternité qui aujourd’hui anime les chrétiens envers le peuple de l’alliance et des bénédictions. Seigneur, Dieu unique et trois fois saint, nous confessons les péchés qui ont déchiré l’unité du corps du Christ qui est l’Eglise. Nous nous sommes tant de fois divisés, condamnés et combattus ; fais nous le don de la réconciliation et de la pleine communion. Seigneur, Dieu de tous les hommes, à certaines époques de l’histoire, croyant servir la foi et la vérité, des fils de l’Eglise se sont laissés emporter par des sentiments d’intolérance et ont commis des actes de violence envers les frères qui professaient d’autres croyances religieuses ; pardonne-nous et enseigne-nous à annoncer la vérité dans la douceur et la charité. Seigneur, Dieu de la paix, nous nous repentons de n’avoir pas été toujours fidèles aux commandements nouveaux que tu nous as donnés dans l’Evangile ; en certaines circonstances beaucoup d’entre nous ont mis leur confiance dans le pouvoir et la force cédant aussi à la logique de la guerre ; montre-toi miséricordieux envers nous et pardonne-nous… » Amen. Et c’est le cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi - ex-Saint-Office, ex-Congrégation de l’Inquisition-, futur pape Benoît XVI, qui a exprimé un « nostra culpa » pour les chrétiens qui « ont eu recours à des méthodes non évangéliques en accomplissant leur devoir de défendre la vérité. » Sa Congrégation a également chapeauté la Commission théologique internationale qui a élaboré le document qui sous-tend théologiquement l’acte de repentance de l’Eglise, « Mémoires et réconciliation. L’Eglise et les fautes du passé. »

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ANNEXES • L’organisation de l’Eglise catholique romaine Dans l’Eglise Catholique, les ministères ordonnés sont : le diaconat, la prêtrise (six ans de séminaire, promesses de chasteté et d’obéissance, et non vœux), et l’épiscopat. Les diocèses les plus importants sont dits « archidiocèses », et leurs évêques ont le titre d’archevêque. Aux premiers siècles de l’Eglise, les évêques étaient désignés par le peuple. Au XIXè siècle, le Saint Siège a affirmé son droit exclusif aux nominations. L’évêque est donc généralement nommé par le pape. Mais en Suisse, dans certains diocèses, le pape choisit l’évêque parmi trois noms. Les cardinaux sont des évêques ou des prêtres choisis par le pape comme conseillers pour la gestion de l’Eglise. Ils forment le Sacré Collège, dont la mission première est d’élire le pape.

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• De l’institution à l’homme « Le Maître disait : Beaucoup se tiennent autour du puits, mais il n’y a personne pour y descendre. »

(Evangile de Thomas, logion 74) Ne vaut-il pas mieux, avec Gandhi, préférer "la vérité est Dieu" à "Dieu est la vérité" ? Aucune religion n'est plus grande que la Vérité. A partir là, si le désir de transmettre la Vérité est naturel, il faut veiller à ce que le mode de transmission ne la trahisse pas. Apôtres et autres boddhisatavas se doivent d’être vigilants vis-à-vis d’eux-mêmes et respectueux des autres. Toute conversion ne peut être que volontaire. Ni Noé, ni Job, ni Melchisédech, ni encore Lot n’appartiennent au peuple d’Israël… Jésus n’a eu de cesse d’annoncer la bonne nouvelle du salut à tous ceux qu’il rencontrait : la samaritaine, le bon samaritain, la cananéenne, le centurion Corneille etc… Mais le Christ n'a rien du militant. Lorsque Pierre tire son épée pour couper l'oreille d'un de ses assaillants, Il lui intime l'ordre de la remettre au fourreau. Mais elle était déjà sortie et a souvent été utilisée depuis. Si le meurtre est l’événement fondateur de toute institution, en particulier religieuse, l’effort religieux vise à maintenir la paix. Pour atteindre cet objectif de paix, pour sortir véritablement du cercle de la violence mimétique, il faut purifier de toute violence les moyens de l’effort religieux. C’est le chemin des Béatitudes révélé par le Maître : “Heureux les pacifiques, ils seront appelés Fils de Dieu !”12 Et nous sommes tous appelés à devenir Fils de Dieu. D’ailleurs, comme le note Desjardins, "les enseignements spirituels, même s'ils paraissent se contredire implacablement au niveau des dogmes, enseignent en fait le même chemin et les mêmes vérités (…) attribuent la même finalité à notre existence sur terre, à savoir la croissance intime de l'être (…) Quelle que soit la voie, l'essentiel demeure la transformation de chaque être humain et la découverte, au cœur de lui-même, d'une Réalité d'un autre ordre." L’irénisme est nécessaire. Dans chaque tradition, on retrouve le même symbole d'une eau source de vie, l'eau qui désaltère vraiment. Les contemplatifs, les ascètes, les mystiques de toutes les religions, sont penchés sur cette même source, tellement absorbés dans le fait d'en boire qu'ils n'ont pas le temps de discuter à son sujet. Et puis, suffisamment en retrait pour être sûrs qu'aucune gouttelette ne risque de les éclabousser, les théologiens de toutes les religions, sans avoir bu une seule gorgée de cette eau, discutent inlassablement pour savoir si elle est alcaline, minérale, sulfatée, magnésienne, ou si elle contient trop de nitrates… Or, comme le dit le grand sage soufi Jounayd au IXè siècle, « la couleur de l’eau, c’est la couleur de son récipient. » Un proverbe africain dit : « Dans la forêt, quand les branches des arbres se querellent, les racines s’embrassent. » Les racines, c’est ce qu’il y a de plus profond. La racine de toute tradition religieuse est l’expérience mystique de l’Alpha et Oméga. Ainsi, des racines au ciel, la sève religieuse peut circuler dans diverses branches. Comme le dit André Frossard à propos des trois branches du monothéisme, plus « elles échappent à l’obsession du quotidien pour s’élever dans l’ordre de leur spiritualité propre, plus elles tiennent le même discours, qui est celui de la louange de Dieu (…) La paix ne règne que sur les sommets »13

12 Evangile selon saint Mathieu, 5, 1-16 13 « Dieu en questions », 1990

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La compréhension des mécanismes mimétiques devrait étayer l’attitude irénique ; « dans le monde moderne, les différences n’ont plus lieu d’être des divisions mais sont sources d’une unité entre les hommes plus grande que ce qu’ils ont connu jusqu’à présent »14 L’irénisme implique un dialogue (interreligieux ou autre) exploratoire et non déclamatoire. Le dialogue a été et reste le chemin obligé de l’approfondissement de la foi. Non de sa dilution, comme d’aucuns le craignent. Le chrétien en particulier a tout à y gagner. Tout dépend de la qualité de l’être qui dialogue. Le chrétien se doit de dialoguer avec foi, espérance et charité. Pour cela, il lui faut renoncer aux trois tentations : l’intérêt propre, l’amour-propre et la volonté propre. Cette dernière condition est la plus fondamentale et la plus difficile. Or elle correspond justement à l’effort d’Obéissance. Obéissance au maître et à la Tradition. Lorsque nous dialoguons, notre volonté de grandeur obscurcit souvent le soleil de notre cœur. Mais, comme le note Desjardins, “Si, avant d’entamer un dialogue, nous reconnaissons les limites de notre savoir, plusieurs vertus peuvent s’épanouir. La première est la confiance. Nous ne craignons plus d’être manipulés ou endoctrinés. Nous pouvons alors abaisser nos défenses. Admettre notre inexpérience constitue donc nécessairement une des premières étapes de la non-violence. Mais l’humilité dans le dialogue a une autre vertu : elle libère la spontanéité. Débarrassés du besoin de montrer combien nous sommes intelligents et cultivés -la tentation des savants et des spécialistes- nous pouvons réagir avec fraîcheur d’esprit et immédiateté à ce qui se présente à nous. » L’Enfant de Dieu ne craint pas la vie du dialogue. Il sait au contraire qu’« Il faut s’y engager à fond, car il n’y a rien de mécanique dans son fonctionnement…” A chaque fois qu’elle refuse le dialogue, l’Eglise instituée refuse d’épouser le Fils de l’Homme. Au concile de Trente (1545-1563), contre la prétention protestante à « l’Ecriture seule », l’Eglise Catholique s’érige en maîtresse absolue de toute interprétation. Au XIXè siècle, dans l’encyclique « Mirari vos », le pape Grégoire XVI condamne « cette maxime absurde et erronée, ou plutôt ce délire, qu’il faut assurer et garantir à chacun la liberté de conscience. ». En 1864, dans son « Syllabus » -recueil de 80 propositions erronées et condamnées-, Pie IX récuse la liberté de culte pour les minorités non Catholiques, l’abandon de l’Etat confessionnel, la pleine liberté de presse et d’opinion, et la thèse selon laquelle le pape pourrait se réconcilier avec le progrès et la civilisation moderne ! En 1870, la constitution « Pastor Aeternus » de Vatican I proclame le dogme de l’infaillibilité papale. Qu’en est-il actuellement ? Depuis Vatican II, le droit canon de l’Eglise reconnaît aux fidèles le droit et même le devoir de dire ce qu’ils pensent à leurs pasteurs. Certains se plaignent du fait que le dialogue ne serait pas possible au sein même de l’Eglise. Ils prennent l’exemple du père Blasuriya, un théologien sri-lankais, excommunié en janvier 1997 par la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi présidée par le cardinal Ratzinger. Son ouvrage « Marie et la libération de l’homme » (1990) a été jugé hérétique au regard de la doctrine Catholique. Personnellement, je pense que sur le fond, l’Eglise a raison. Et sur la forme aussi. Balasuriya ne manifeste pas l’humilité et la miséricorde d’un théologien empreint de Sagesse… Le fond va avec la forme. En effet, un des reproches faits au théologien sri-lankais porte sur la manière qu’il a d’entamer le dialogue interreligieux, sans affirmer la supériorité de sa tradition. A priori, il semblerait que ce que l’Eglise lui reproche est justement ce qui fait la qualité de son 14 Père Laurence Freeman, « Le Dalaï-Lama parle de Jésus », 1996

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dialogue interreligieux. Alors où est le problème ? C’est que le père Blasuriya va jusqu’à remettre en question certains points de sa Tradition, parfois en les relativisant. En avril 2000, en écho à ce type de dérives, Jean-Paul II a mis en garde les membres de la Congrégation pour la doctrine de la foi contre la tendance de « certains milieux théologiques et ecclésiaux » à « relativiser la révélation du Christ et sa médiation unique et universelle en matière de salut (…) La thèse qui souligne le caractère limité de la révélation du Christ, qui trouverait un complément dans les autres religions non chrétiennes, est contraire à la foi. » Alors, comment le croyant peut-il vivre le dialogue, sans être transi de peur ni se barricader derrière l’orgueil ? Il y a deux modes de création : par opposition/destruction ou par développement. Autant le premier mode est à bannir, autant le second est à encourager. Car le puits de la Tradition abrite une Vérité sans fond, et nous sommes tous invités à y pêcher de nouvelles perles… Mais celles-ci ne s’offrent pas au premier venu. Il faut être, justement, initié… Balasuriya n’est pas Zundel. Et comme ce dernier, je crois en l’Eglise sacramentelle. Le 5 septembre 2000, le Congrégation pour la doctrine de la foi publie la déclaration « Dominus Iesus » sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus Christ et de l‘Eglise. Selon ce texte, les Eglises issues de la Réforme sont « déficientes » et ne peuvent être considérées comme des Eglises au sens propre parce qu’elles n’ont ni épiscopat ni eucharistie valides (…) « les éléments de sanctification et de vérité » qui subsistent chez les non-Catholiques dérivent « de la plénitude de grâce et de vérité » qui a été confiée à l’Eglise Catholique. La mission de l’Eglise Catholique est mise en péril par les théories relativistes qui veulent justifier le pluralisme, pas l’éclectisme. Jésus est l’unique médiation du salut. Les autres médiations tirent leur valeur de la sienne propre, qui est « exclusive, universelle et absolue ». Sont contraires à la foi Catholique l’idée que la révélation de Jésus-Christ complèterait les révélations présentes dans les autres religions, la tendance à survaloriser le « Royaume de Dieu » au détriment de l’Eglise et l’idée que la parité, dans le dialogue, signifie égalité. « J’approuve la déclaration « Dominus Iesus » dit René Girard15. La question essentielle est de savoir s’il existe une différence fondamentale entre le christianisme et le religieux en général. L’Eglise Catholique dit que le christianisme détient la vérité absolue. Toute la question est de savoir si c’est vrai ou si c’est faux (…) Je n’y vois pas un retour en arrière, mais plutôt un dépassement de cet état de crainte absolue devant les hystéries qui caractérisent notre époque : le politiquement correct. » L’inculturation est une bonne chose. Mais elle ne doit toucher que la composante sociale de la religion. Au XVIIIè siècle la Compagnie de Jésus a été supprimée à la suite d’une « querelle des rites » initiée un siècle auparavant : les partisans de l’évangélisation par la « table rase » militaient contre les pratiques d’inculturation inaugurées par les jésuites (Matteo Ricci en Chine, François Xavier puis Robert de Nobili en Inde). En 1999, la 68è congrégation de la Compagnie de Jésus, réunie à Rome, a décidé que le dialogue interreligieux sera l’une des missions prioritaires des jésuites dans le monde. Très bien, mais il faut une bonne compréhension du phénomène religieux pour être un prêtre Catholique dans les pays du tiers-monde. Face à la misère ou à la violence, la tentation est grande de faire passer le lien humain horizontal en premier… Les horreurs comme les besoins appellent à une vie réactive, très pragmatique. Ce qui peut entraîner un « désengagement vertical ». D’autant que dans ces contextes, l’absence et le silence de Dieu peuvent être difficilement acceptés. On appelle au secours un Dieu fort et on ne l’a pas. Le salut passe avant le Salut. Et la relativisation de l’importance du lien vertical va de pair avec la remise en cause de l’autorité de l’Eglise.

15 In « La Vie », 14/09/00

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L’Eglise peut être remise en question, mais par des saints, qui vivent l’alchimie de la Croix… Comme le pape Jean-Paul II… Jean-Paul II est un véritable militant du dialogue interreligieux. Il est le premier pape à demander à visiter une synagogue à Rome, en 198616. Il parle de la présence universelle de l’Esprit dans la vie religieuse des non-chrétiens. Pour lui, un des signes de cette présence est le besoin de prier, puisque toute prière authentique se trouve dans l’influence de l’Esprit. En dépit des réticences de certains membres de son entourage (la droite conservatrice qui défend un certain exclusivisme Catholique), il a tenu a organiser à Assise en octobre 1999 le sommet mondial des religions (13 ans après la première Journée d’Assise). « Aujourd’hui,le souci du dialogue interreligieux se popularise et pénètre toutes les religions. Je me souviens de la première assemblée de la Conférence mondiale des religions pour la paix (CMRP), il y a trente ans : l’interreligieux était une spécialité réservée à quelques personnalités extraordinaires, des sortes de prophètes en marge des courants dominants. » 17 Parallèlement, on note une évolution dans la manière dont la théologie Catholique aborde le mystère du salut. « Hors de l’Eglise, point de salut » disait Clément d’Alexandrie au IIIè siècle. Et en 1442, le concile œcuménique de Florence est allé jusqu’à décréter : « Tous ceux qui sont en dehors de l’Eglise Catholique, non seulement les païens, mais encore les juifs, les hérétiques et les schismatiques, sont exclus de la vie éternelle. Ils iront au feu éternel qui a été préparé par le diable et ses anges… Personne, si grande que soient ses aumônes et répandrait-il son sang pour le nom du Christ, ne peut être sauvé qui ne sera pas resté dans le sein et l’unité de l’Eglise. » Ainsi d’un discours très violemment « ecclésiocentrique », on est passé à une affirmation plus « christocentrique ». Au Colisée de Rome, le 7 mai 2000, 11 000 Catholiques ont été déclarés « nouveaux martyrs » du XXè siècle, au cours d’une cérémonie œcuménique présidée par le Pape. Jean-Paul II a tenu à associer à la célébration des martyrs durant l’année jubilaire tous ceux qui ont offert leur vie pour le Christ, quelle que soit leur confession dans la chrétienté. Le choix de retenir uniquement des martyrs Catholiques a été dicté par un souci œcuménique… certaines Eglises étant promptes à soupçonner Rome de « récupération » de leurs fidèles.

Par ailleurs, en 1995, dans son encyclique « Ut unum sint » (« Qu’ils soient un ! »), le pape a lui-même invité toutes les Eglises chrétiennes à un dialogue « fraternel et patient » sur le ministère pontifical, lançant un appel sans précédent à discuter, « au-delà des polémiques stériles » la fonction papale. Sa proposition étant quasiment restée sans effet, il l’a réitérée lors de son pèlerinage au Sinaï en l’an 2000. Quand on sait à quel point au sein même de l’orthodoxie, l’exercice de la simple primauté d’honneur du patriarcat œcuménique18 de Constantinople pose problème, on voit mal comment la proposition de Jean-Paul II pourrait trouver une réponse rapide. Le dogme de l’infaillibilité papale reste l’obstacle majeur du rapprochement entre orthodoxes et Catholiques. Il faut savoir que le pape n’a recouru solennellement à l’infaillibilité qu’une seule fois, en 1950, lorsque Pie XII a proclamé le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie. Quant à la querelle du filioque concernant le Credo - le Saint-Esprit procède-t-il du Père uniquement comme le prétendent les orthodoxes ou du Père et du Fils ?-, elle est en train de

16 Alors qu’au XVIè siècle, Paul IV et Pie V, avaient enfermé les juifs de la ville dans le premier ghetto du monde. 17 W. Vendley, Catholique, secrétaire général de la CMRP, in « Actualités des religions », 01/2000. 18 L’œcuménisme, au sens strict, est d’un usage limité au monde chrétien. L’« oikoumêné » : ensemble des terres habitées. Un concile œcuménique se distinguait d’un concile régional par le fait que tous les évêques du monde y étaient convoqués.

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s’éteindre. Depuis 1995, le Vatican reconnaît l’existence de deux approches différentes. Rappelons qu’à l’origine, les conciles de Nicée en 325 (composé à peu près exclusivement d’évêques orientaux) et de Constantinople en 381 avaient adopté la position actuelle des « orthodoxes » (littéralement : ceux qui s’en tiennent à l’enseignement conforme19)… Du point de vue rigoureusement dogmatique des orthodoxes, tous les hétérodoxes -ceux qui ont abandonné la vraie foi en se séparant de la véritable Eglise- sont des hérétiques. Ainsi pour eux, un baptême Catholique est invalide. De son côté, l’Eglise Catholique part de l’idée que la séparation de l’Orient et de l’Occident au XIè siècle n’a été, au fond, qu’une affaire de juridiction. Ceux qui ont quitté l’Eglise universelle (Catholique) ne sont donc pas des hérétiques mais des schismatiques. Les sacrements qu’ils administrent sont donc valides. Le dialogue n’est pas terminé. Mais il ne se force pas. Au souhait exprimé en 1999 par Jean-Paul II de se rendre en pèlerinage à Athènes, les moines du mont Athos ont répondu qu’ils le recevront « à condition qu’il devienne orthodoxe, qu’il renonce à sa primauté et à son infaillibilité, qu’il fasse pénitence et demande pardon pour la IVè croisade. » !… Avec les Luthériens, les Catholiques sont arrivés en 1999 à un « consensus différencié » sur le problème de la justification20.

« L’Eglise, » écrit Jean Laplace, « est préparée, durant des siècles d’attente, à vivre ce jour où l’Esprit s’emparant de ces nations diverses réunies à Jérusalem, en fait un seul peuple, parlant une seule langue. C’est pour rendre possible ce jour que le Fils de Dieu est venu parmi nous, pour « réunir les enfants de Dieu dispersés par tout l’univers » (Jean, 11,52) (…) C’est en ces noces que l’Eglise nous introduit, en nous plongeant dans le baptême (…) C’est de toujours que je t’ai aimée, peut dire Dieu à chacun de nous. Cette histoire ancienne te met au cœur du dessein universel de Dieu de ne pas laisser l’humanité – et toi avec elle-, à ses divisions et à son péché et de la réunir par Jésus dans son amour (…) Elle est l’Eglise des pécheurs, dont nous sommes et que Jésus ne cesse de sanctifier pour la conduire au Père. En elle, nous apprenons à attendre la fin des temps où les anges de Dieu, comme le dit la parabole de l’ivraie, feront le tri que nous voudrions voir réalisé sous nos yeux (…) Ce qui compte et ce qui réunit tous les croyants, au-delà des fonctions particulières, c’est que tous « aient leurs noms inscrits dans les cieux » (Luc, 10-16). Les fonctions passent. L’amour demeure. Il est pour tous. »21

19 Comme les premiers chrétiens, les orthodoxes peuvent recevoir la communion dès la naissance et devenir prêtres s’ils sont mariés. 20 L’accord a été signé à Augsbourg en Allemagne, la ville même où, en 1530, a été présentée « La Confession d’Augsbourg », l’un des grands textes symboliques de la foi luthérienne. La date (le 31 octobre) correspond au jour même où Luther est censé avoir affiché ses 95 thèses sur la porte d’une chapelle de Wittenberg. 21 « Passeur de l’autre rive », 2002

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ANNEXES

• Des Eglises catholiques orientales En 325, le concile de Nicée sanctionne trois primats de premier rang, dans l’ordre suivant : Rome, Alexandrie, Antioche. Jésus est reconnu pleinement Dieu. Pas encore reconnue pleinement homme. En 330, quand Byzance devient la nouvelle capitale de l’Empire sous le nom de Constantinople, elle s’impose comme la « Nouvelle Rome », venant immédiatement après la première Rome. Cela crée des rivalités : il faut rabaisser Alexandrie au troisième rang, et amputer le territoire d’Antioche. En 428, un moine d’Antioche, Nestorius, devient patriarche de Constantinople et prêche contre le titre de « Mère de Dieu » donné à Marie. C’est un scandale dans le peuple. Mais St Cyrille d’Alexandrie écrit au pape St Célestin. Nestorius aussi. Le pape approuve Cyrille. En 431, il convoque un concile à Ephèse. Nestorius est condamné. Alexandrie prend une sorte de revanche sur Constantinople. Nestorius n’eut guère de disciples dans son patriarcat. Mais les Syriaques de l’Est virent dans Ephèse une condamnation de leur doctrine concernant l’humanité du Christ. Des motifs politiques avaient déjà provoqué un schisme de fait. Une première Eglise séparée était née. En sont issues de nombreuses Eglises : Catholiques (comme la chaldéenne en Irak ou la syro-malabar en Inde) ; nestorienne (assyrienne en Irak)… Un moine de Constantinople prêche qu’il y avait deux natures, l’humaine et la divine, avant l’incarnation ; mais la nature humaine était ensuite absorbée par la divine. « Deux natures avant, une après », c’est le monophysisme. Ce moine (Eutychès) fut condamné à Constantinople. En 449, le patriarche d’Alexandrie prend son parti, convoque un nouveau concile illégitime à Ephèse et fait déposer Flavien de Constantinople qui meurt peu après. Le pape avait pris son parti avant sa mort. En 451, l’empereur réunit un Concile à Chalcédoine : le patriarche d’Alexandrie et le monophysisme sont condamnés. Mais les Egyptiens refusent de se soumettre, comme les Arméniens et beaucoup de Syriaques de l’Ouest. D’où la naissance de trois Eglises : l’Eglise copte, l’Eglise syrienne et l’Eglise arménienne. L’Eglise copte compte aujourd’hui 8 millions de fidèles. On compte également plus de 100 000 coptes Catholiques, avec leur propre hiérarchie. L’Eglise arménienne a, depuis le XVè siècle, deux catholicos indépendants (l’un en Arménie soviétique, l’autre au Liban). Les Arméniens sont peu pratiquants, et même peu croyants, mais demeurent presque tous profondément attachés à leur Eglise. Près de 5 millions de fidèles en tout, alors la branche Catholique compte environ 100 000 fidèles. Un groupe de Syriaques de l’Ouest avait accepté le concile de Chalcédoine. Ils étaient regroupés autour du monastère de St Maron en Syrie. Au milieu des désordres qui résultèrent des invasions arabes au VIIIè siècle, ils constituent une Eglise autonome, Catholique. Le Patriarcat maronite compte plus d’un million de fidèles au Liban et dans le reste du Proche-Orient et plusieurs millions d’émigrés sur les continents américains surtout.

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Ainsi, plusieurs Eglises orientales sont rattachées à Rome, et, comme telles, « catholiques », tout en conservant leur propre rite, leur discipline, et une certaine autonomie interne : maronite, melkite (« grec catholique »)… Dans ces Eglises uniates (réunies à Rome après en avoir été séparées), des hommes mariés peuvent et sont souvent ordonnés prêtres, le célibat n’étant obligatoire que pour les évêques et les moines. • Répartition des Chrétiens par confession

- plus d’un milliard de catholiques - 353 millions de protestants, dont 30% de pentecôtistes, 24 % de luthériens, 20% de réformés (calvinistes et presbytériens), 19% de baptistes et 7% de méthodistes. - 260 millions d’orthodoxes, dont 23% de non-chalcédoniens (qui n’ont pas accepté le IVè concile œcuménique de Chalcédoine en 451) : Arméniens, jacobites syriens, coptes égyptiens et Ethiopiens… - 54 millions d’anglicans22

22 Dans l’Eglise anglicane, il n’est pas rare de voir les pasteurs afficher leur athéisme ou leur agnosticisme ! Par ailleurs depuis 1994, des femmes peuvent être ordonnées pasteur. On en compte 1500 en l’an 2000. Elles ont été très bien accueillies par les non-pratiquants, de façon plus mitigée par les fidèles et très brutalement par le clergé. Selon un sondage réalisé par le département d’études religieuses de l’université de Bristol, 57% d’entre elles affirment avoir été malmenées par leurs homologues masculins et 68 % ont observé que certains fidèles refusaient de recevoir la communion des mains d’une femme.

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• La religion est une deuxième matrice « Face à la « concurrence » des vérités religieuses, je me retrouve dans la situation inédite de devoir décider quelle est la vérité à laquelle je veux adhérer. Et puisque toutes ces vérités offertes (…) se nient réciproquement et se relativisent, le seul critère certain auquel je puisse me référer, c’est ma conscience, mon vécu : la foi se privatise (…) Il y a pourtant quelque chose de positif dans cette nouvelle mentalité religieuse : la volonté de prendre ses distances par rapport à la dimension de violence sacrificielle qui couve dans chaque religion. L’idée que le sacrifice d’une victime et donc l’anathème des réprouvés, la punition des pécheurs et l’élimination des impurs sont nécessaires pour atteindre le sacré renaît un peu partout dans le monde sous forme de fondamentalismes et d’intégrismes. Fondés sur le refus du sacrifice, les nouveaux comportements religieux expriment, selon moi, le besoin positif d’une religiosité dénuée de toute violence. »

(Giampiero Comolli, in « Diario della Settimana », 07/99) A l'origine, le christianisme s'apparentait autant à une école de sagesse qu'à une doctrine théologique. L'"abba" -équivalent du gourou hindou- occupait une place éminente dans la communauté chrétienne des premiers siècles. Qui donc enseigne aujourd’hui aux Chrétiens les méthodes (dont l’étymologie signifie « mise sur la voie ») physiques, psychologiques, mentales qui leurs permettraient de sortir du fonctionnement pour être disciples de Jésus en esprit et en vérité ? N'ayons pas peur d'écouter ce qu'ont à nous dire les saints et les justes de toute confession. Dans l’évangile apocryphe de Thomas, Jésus répond aux disciples qui l’interrogent sur la nécessité du jeûne et lui demandent des conseils « techniques » sur la prière, l’aumône et diverses observances : « Arrêtez le mensonge, ce que vous n’aimez pas, ne le faites pas ; vous êtes nus devant le Ciel, ce que vous cachez, ce qui est voilé, tout sera découvert. » 23 De même, le Dalaï-Lama souligne la simplicité de l’essentiel : "Notre cerveau, notre cœur sont notre temple ; ma philosophie, c'est la bonté". Le seul lien religieux viable est l’amour. Quelles que soient les cultures, ce lien fondamental repose sur une expérience humaine universelle. Ainsi l’homme occidental perdu peut-il trouver un point de repère salutaire dans le souvenir de l’amour qu’il a pu recevoir un jour. Ce sentiment ravivé constitue un juste point d’ancrage qui remet sa quête métaphysique dans une perspective correcte. Car raviver ce ressenti, c’est reconnaître en soi le besoin d’amour, le désir d’Amour, l'amour de l'Amour. Ce sentiment devient moral dès qu’on le sait profondément partagé par tous. Il devient religieux quand on choisit d’orienter sa vie en fonction de l’origine de ce sentiment : l’amour, la bonté. C’est simplement une identification interne au positif plutôt qu’au négatif. Un souvenir d’enfance peut donc être le point de départ d’une nouvelle naissance, d’un choix clair de sortie du désir mimétique et du mal, de la domination, et de la destruction que ce désir engendre. A la fin des « Frères Karamazov », Aliocha laisse aux adolescents qui l’admirent ces paroles de sagesse : « Sachez donc qu’il n’est rien de plus noble, ni de plus fort, ni de plus sain, ni de plus utile dans la vie qu’un beau souvenir, surtout s’il remonte encore à l’enfance, à la maison paternelle. » La dernière phrase du "Pater Noster" résume la finalité du religieux : "Délivre-nous du mal". 23 Logion 6 de l’Evangile de Thomas.

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La première phrase rappelle le moyen des religions monothéistes : "Notre Père qui est aux cieux". Abba, gourou, maître, père… Le religieux n'est-il qu'une construction du psychisme de l'homme ? Le maître n'est-il pas toujours le substitut du père ? L'ensemble des disciples qui lui font confiance, qui sont liés par leur croyance dans sa Loi (les "Testamenta" : alliances), dans ses « sutras » (=fil), ou encore dans les « tantras » ( = trame, chaîne d’un tissu) ne forment-ils pas une famille ? Certes. On a vu comment les communautés humaines se fondent non seulement historiquement, mais Historiquement (dans une perspective chrétienne) sur et en fonction du sacré. Nous avons vu que ce phénomène est lié à des caractéristiques physico-psychiques liées au désir et à la peur. Or lorsque la peur s’insinue dans la religion, elle pervertit la symbolique paternelle (fondamentalement vraie puisque nous sommes des créatures) : la paranoïa projette l'idée d'un Dieu-Grand-Papa-qui-nous-protège-totalement-du-mal. Le toit (cf l’étymologie de “protection”) devient bouclier, comme dans certains psaumes ("Dieu est mon rempart"). Ainsi comme l’écrit Desjardins, "Nous sommes tous sur la Terre et notre Père est dans les Cieux, ce qui signifie que nous sommes psychologiquement situés au niveau Terre et que la rencontre avec le Père ne peut se faire qu'à un autre niveau psychologique de notre être appelé Cieux. L'obstacle majeur à la vraie prière, ce sont les émotions (…) Les émotions tirent leur origine de l'égocentrisme (…) un homme soumis à ses désirs et à ses peurs ne peut pas entrer en contact avec la réalité supérieure. Il peut l'imaginer, il peut chérir des opinions, les faits montreront qu'il retombe au niveau ordinaire après s'être illusionné un moment." Dès lors que nous reconnaissons notre état de créature, et que nous essayons d’améliorer nos relations entre frères et sœurs, n’est-il pas temps de dépasser les conflits religieux qui nous divisent ? Notamment l’opposition entre les conceptions de la Déesse-mère et celles du Dieu-père ? C’est contre la violence des religions du Dieu-père que se révolte Raoul Vaneigem. Ce qui explique que dans « Nous qui désirons sans fin » (1996), il tempête à la fois contre les méfaits de la violence de l’économie capitaliste (et de ses avatars) et contre la matrice violente des religions : « Ce qui a été bâti sur l’éternité et la puissance d’un Dieu inexistant l’a été par une imposture où le rayonnement vital s’est changé en radiation de mort. Nous voulons bâtir nos sociétés sur l’éternité de la vie, selon une confiance en l’enfant, qui arasant les obstacles que l’économie élève sur son chemin, lui permette d’accéder à l’autonomie et à la réalisation de soi ; au lieu de l’affaiblir dans la quête servile d’une destinée dont il s’interdit de recevoir les faveurs en les sollicitant d’autres que de lui-même. » En rejetant la relation à l’Autorité-Père, en appelant à une « nouvelle alliance » avec la Vie-Mère, Vaneigem refuse la relation d’obéissance et s’enferme dans l’amertume. « Seule la souveraineté de la vie déterminera le dépassement des religions. Que l’homme séculairement enchaîné au ciel, à l’au-delà, à l’Esprit, au Grand Objet Extérieur se relie enfin -selon cette religio dont nous n’avons connu que l’inversion- à lui-même, aux autres créatures à la terre. » Tout d’abord, si le Dieu des religions du Livre est masculin, c’est pour des raisons qui tiennent aux besoins de représentation du sacré, comme l’explique simplement Shafique Keshavjee : « Alors que le « Père » est clairement différencié de son enfant, une « Mère », du moins pendant la gestation, ne l’est pas. C’est pour préserver cette extériorité, cette sainteté de Dieu, qu’un langage masculin a été utilisé. »24 Par ailleurs tout se passe comme si Vaneigem ignorait la composante mystique, ésotérique de la tradition chrétienne. Le christianisme est la religion vivante de l’Esprit de Vie. Aux premiers temps de la chrétienté, le Saint-Esprit était présenté comme féminin (comme en hébreu)…

24 « Le roi, le sage et le bouffon », 1998

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Et pour désigner l’action de cet Esprit en nous, nous utilisons des noms féminins : la Grâce, la Providence… Ces mots appellent en retour de notre part, une confiance filiale. « La mesure de la Providence divine sur nous est la confiance que nous y avons » dit Saint François de Sales. Notre filiation ne devrait pas nous raidir, nous crisper. Au contraire, la Bonne Nouvelle suscite en nous la confiance. La confiance enfantine en l'amour miséricordieux d’un Père/Mère. "Complètement vrai, tel que je suis mais avec une confiance et un amour d'enfant qui sait qu'il ne sera pas rejeté, j'appelle (…) Si vous pensez qu'il n'y a aucune maman dans la pièce à côté, vous aurez beau faire semblant d'y croire, vous ne l'appèlerez pas et nulle réponse ne viendra".25 Contrairement aux apparences, l'aspect féminin de Dieu souligne notre liberté et notre responsabilité, comme l’explique Zundel : "Tant que nous nous plaçons devant Dieu comme devant une Loi, devant un commandement, devant une force et une puissance qui va nous écraser, devant une menace, devant un jugement à redouter, nous ne pouvons pas décoller de nous-mêmes puisque cette menace nous concerne, que nous sommes tous obligés de nous demander quel sera notre destin, ce qui nous arrivera ici-bas ou après la mort. Mais quand nous rencontrons la Fragilité de Dieu, nous ne pouvons plus penser qu'à une seule chose : c'est à la défendre, à la protéger, à veiller sur elle, à empêcher qu'elle ne soit en nous victime de notre égoïsme et de celui des autres." Sortir le religieux de l’institution c'est passer d’un sacré social et artificiel à un sacré individuel et vital. Cette libération offre à chacun la possibilité de devenir l’auteur de sa propre vie, et exige de chacun qu’il endosse la responsabilité de cette autorité. Pour le Chrétien, cette autorité est divine dès lors qu’elle rencontre l’objet de son désir : l’Autorité. Nous reviendrons sur ce point au chapitre suivant. Pour l’heure, retenons, que "Dans le contexte chrétien nous sommes tous prêtres, prophètes et rois par notre baptême. Prêtres, c'est-à-dire que nous avons à faire le pont entre le matériel et le spirituel ; prophètes, c'est-à-dire que nous avons à laisser venir une parole qui s'inscrive dans le présent et qui ouvre un avenir, permettant à l'autre de ne pas s'enfermer dans son passé ; rois, dans la mesure où nous avons tous à être maîtres de nos émotions, à offrir un autre règne à nos pensées que celui de notre inconscient ou de notre passé."26. La religion est faite pour amener l'être humain à la maturité, c’est-à-dire à l’autonomie et au choix de ses propres motivations. Ceci dit, cette individualisation du vécu religieux doit s’étayer sur la Tradition. Il ne s’agit pas de rejeter l’Eglise, de révolutionner la religion, mais de prendre son propre désir au sérieux. Zundel est membre de l’Elise Catholique romaine, et sa parole en constitue pour moi un de ses plus beaux flambeaux. Il dit pourtant : « Les Chrétiens en sont restés à la religion du groupe, à la religion sociale, à la religion qui s’impose dans une région, qui s’impose à une collectivité. Ils connaissent si peu cette religion dont la source est en nous, ils connaissent si peu cette religion qui est un dialogue d’amour, et qui permet à chacun, à chacun, de choisir un Dieu qu’il découvre au plus intime de soi et qui est justement Celui qui est la clef de sa liberté. » Zundel ne rejette pas en bloc l’aspect « communautaire » de la religion. Il assume cette composante et sait qu’elle peut être transfigurée par l’alchimie de la croix. Encore une fois, la vérité du regard implique la sublimation de la duplicité. Ainsi l’aspect horizontal des religions -les rites, les interdits-, n’est pas à rejeter, mais à relier à son origine verticale. Zundel est le jeune homme accompli qui conduit « Le Chariot », la 7ème lame du Tarot.

25 Arnaud Desjardins, « En relisant les Evangiles » 26 Jean-Yves Leloup, « L’art de mourir »

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Vivant selon le précepte Ora et Labora, il « a atteint une parfaite maîtrise en conciliant les deux grandes forces à l’œuvre dans l’univers : la lune et le soleil, le féminin et le masculin, la réceptivité et l’action. » 27 Ecoutons aussi le Père Monier : « le vieil Athénagoras insiste toujours : -Pour être chrétien, il faut premièrement être une personne libre, être soi-même. Et deuxièmement, savoir tendre la main à gauche pour recevoir et à droite pour donner. (…) le christianisme n’est pas une religion (…) Il n’y a qu’une chose qui plaise à Dieu : l’Homme (…) Le mot « Dieu », en grec, se traduit par « Zeus »… ce qui veut dire : la lumière… l’atmosphère lumineuse… Déjà les Grecs avaient pressenti ce qu’est Dieu (…) Voici la comparaison de Bergson : Je conçois l’Eglise comme un foyer. Le Christ est au centre, incandescent de toute l’incandescence de Dieu. Autour de Lui, ceux qui le touchent de près et brûlent du même feu que Lui… Ensuite, tout autour encore, d’autres sont liés à ceux qui sont liés à Jésus-Christ et brûlent alors du même feu (…) On demandait alors à Bergson : Où finit l’Eglise ? Elle finit où finit le rayonnement du foyer. Où ? Vous ne savez pas… (…) Gandhi ne se réclamait pas de Jésus-Christ. Oui, mais… il a joliment travaillé à Son compte ! (…) Saint Paul compare l’Eglise à un grand corps dont nous sommes les membres, ayant un rôle à jouer, non pas pour nous, mais pour le corps entier. »28

27 Claude Darche, « Pratique du tarot de Marseille, 1994 28 « Jésus-Christ tel qu’il est », 1975

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• 7, chiffre symbolique - ou ce qu'il faut garder du rite (de“ritus” = action correcte) « Le langage des âmes, c’est leur désir » (Saint Grégoire le Grand, « Morales sur Job », VIè siècle) Pour les bouddhistes, le refuge est en soi. L'homme est son propre maître et il n'y a pas d'être plus élevé, ni de puissance qui siège au-dessus de lui. Et pourtant il y a des maîtres et des rituels bouddhistes… "Le rite accompli influence l'état d'esprit de celui qui l'accomplit. La forme du rite n'est pas très importante" dit Taisen Deshimaru… Je ne suis pas d’accord avec la dernière phrase. Nous avons vu que le rite était la répétition du geste sacrificiel, acte fondateur des sociétés. Existe-t-il cependant des rites véritablement bénéfiques ? Des rites dont l'effet salvateur seraient au moins aussi efficace que les crises mimétiques, mais qui ne seraient pas fondés sur un sacrifice ? Et si LE rite29 par excellence était le mariage, Acte Fondateur de l'Humanité ? Pour Froger, "Le rite du mariage est en effet le paradigme de tous les rituels, car le mariage est la matrice de l'humanité de l'homme.". L’humanité de l’homme. Remarquons déjà que le mariage est un lien plus rationnel que le sacrifice. Le mariage est même le principe magique qui donne des ailes à l’intelligence et inspire la raison humaine. C'est l'enseignement de l'épreuve que subit Psyché lorsqu’elle se trouve devant un tas où elle doit trier 7 espèces de graines : dans l'unité confuse initiale, elle doit apprendre à distinguer l'unité de l'espèce, le transcendantal de l'un. Elle apprend du coup quelque chose sur la nature d'Aphrodite, qui a mis au monde ce qui la précède (Eros), comme la Vierge a mis au monde le Verbe divin qui l'a créé. Mais comment arriver au principe en passant par l'unité matérielle ? Autrement dit, comment trier une à une chaque graine ? La raison pure (les fourmis qui lui viennent en aide) va être providentiellement mue par l'amour (Eros). Ce mariage préfigure celui auquel sont promis Eros et Psyché ; « à ce moment de l'initiation, les sœurs jalouses qui figuraient les instances d'Anima et d'Animus se sont abîmées dans la mort (…) les facultés de la vie psychique ordinaire sont ainsi rendues de fait au service de Psyché et non plus en concurrence avec elle. Il n'y a plus de rivalité mimétique due à la prétention d'accéder à l'invisible par des raisons liées au monde visible." Au final, grâce à une raison divinement inspirée, cette épreuve apprend à Psyché à distinguer les sept étapes de l’Initiation. Elle découvre l’importance de la symbolique et en particulier des chiffres : Eros est à la base du calcul. Comme toute opération de l'âme, l'opération des fourmis est rituelle. Autrement dit, la raison est absolument nécessaire pour discerner les étapes du véritable rituel initiatique, et cette raison est inspirée par son substrat : le Désir, le Verbe, le Saint-Esprit… De même, le rituel du mariage opère de façon inverse au rituel sacrificiel qui part de l'homme et de son désir mimétique « horizontal » et qui s'accomplit dans une violence aveugle et aveuglante. Le mariage est un pacte (qui peut prendre la forme d'un contrat). Le péché originel, n'est-ce pas d'avoir momentanément rompu le pacte originel, en oubliant une de ses clauses ? Et la tâche de l'humanité n'est-elle pas de renouer les liens avec Celui qui nous a laissé libres sur terre ?

29 N'appelle-t-on pas les processus d'accouplement de certaines espèces, des "rituels" de pariade ?

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Notre vie ne relève-t-elle pas de l'épreuve initiatique qui comprend toujours la boucle du passage à l'origine, le "souvenir éclairant" à rapporter ? Les trois premières étapes de l'initiation ne sont-elles pas les fiançailles, la mise à l'épreuve et les noces ? Trois étapes avant la rencontre avec le Saint des Saint qui provoque le retournement rédempteur. Après, il faut faire le chemin inverse (vers la communauté humaine), sous un autre mode. 3+1+3 = 7. Ainsi la descente aux enfers de Psyché, son ultime épreuve avant son mariage, est en 7 étapes : l'entrée, l'obole à Charon, la boulette au chien Cerbère, la visite à Perséphone, et le retour (boulette, obole, sortie). 7 est le chiffre du changement après un cycle accompli, du renouvellement positif après le retour au centre, au Principe (commencement). C’est le chiffre de la totalité dynamique30 : - du temps31 : 7 jours de la semaine (un quartier dans le cycle lunaire de 4 x 7 jours) ; - de l'univers en mouvement : 4 (« la terre au carré32 », 2x2) + 3 (le ciel, qui contient la terre, le 1 précédant la polarisation des 2) - de la perfection humaine33 : la récéptivité « féminine » qui réalise l’autorité véritable (4) alliée à la mise en œuvre « masculine » de la révélation (3). L’Empereur (4) + L’Impératrice (3) pouvoir temporel Le Pape (5) + La Papesse (2) pouvoir spirituel = Le Chariot (7) : l'accomplissement Les 7 épreuves34 par lesquelles est passé le jeune homme du Chariot ont éveillé chez lui 7 états de conscience au niveau :

1) du corps physique désirs apaisés de façon élémentaire et brutale (pulsions) 2) des émotions + sentiments, imagination 3) de l’intelligence + classement, raisonnement 4) de l’intuition + perception des relations avec l'inconscient 5) de l’esprit + détachement de la vie matérielle 6) de la volonté + le savoir passe dans l'action 7) de la Vie = tout est dirigé vers le salut.

7 est le chiffre de l'initiation, de la révélation purificatrice, de la seule évolution révolutionnaire porteuse de vie. Sainte Thérèse d’Avila définit 7 degrés de l’oraison intérieure, les 7 « demeures » qui mènent de la périphérie du château à son centre35. Le cheminement de l’âme part du questionnement sur sa propre identité, passe par différents degrés (la concentration intérieure, l’«oraison de quiétude », « l’union »…) jusqu’au « mariage spirituel ».

30 7 têtes du Naja d'Angkor, 7 couleurs de l'arc-en-ciel (le blanc étant la 7ème couleur, absente), 7 péchés capitaux, 7 corniches sur la montagne du Purgatoire de Dante… 31 Les 49 (7x7) jours du Bardo Thödol, le »Guide des voyageurs dans l’au-delà » de la tradition tibétaine (VIIIè siècle). 32 Les 4 points cardinaux. 33 7 est le nombre de l'androgyne hermétique, des Jumeaux mythiques (en Afrique). 34 L’hermétiste réunit sainteté et initiation. Lorsque les 7 centres subtils du yoga (6 chakra + sahasrarapadma) sont mis à la disposition du ciel, le héros devient saint. Seul le centre frontal (lotus à 2 pétales) de l’initiative intellectuelle reste à la disposition de la liberté. 35 Au XVIème siècle, dans « Le Château de l’âme ».

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Dans l'Ancien Testament, où le chiffre 7 est utilisé 77 fois, il caractérise la perfection. « Le Livre de la Sagesse » (7, 22-23) énumère les 21 (3x7) attributs de la Sagesse : « un esprit intelligent, saint, unique, multiple, subtil, mobile, pénétrant, sans souillure, clair, impassible, ami du bien, prompt, irrésistible, bienfaisant, ami des hommes, ferme, sûr, sans souci, qui peut tout, surveille tout, pénètre à travers tous les esprits… » Concernant les premiers apôtres, le texte de Luc (10,1-9) précise : « le Seigneur en désigna encore 72 ». Avec les Douze déjà choisis, on obtient le chiffre de 84 envoyés, soit 7x12. L'Apocalypse nous révèle que 7 peut également être le chiffre de Satan (la bête à 7 têtes) qui singe Dieu. Il y apparaît 40 fois. 40 est un chiffre de purification. Il symbolise le temps dans lequel s’inscrit l’épreuve rédemptrice opérée par le rituel magique septenaire, les 7 miracles (dans l’Evangile de saint Jean) accomplis par le Sauveur sorti victorieux de l’épreuve des 40 jours dans le désert. Or le premier de ces miracles a lieu lors d’un banquet de noces, lui-même signe annonciateur des temps du Messie : « Il en va du royaume des Cieux comme d’un roi qui fit festin de noces pour son fils. »36 Investi de l’Autorité du Prêtre, du Prophète37 et du Roi, Jésus nous a aussi transmis 7 énoncés sur lui-même (selon saint Jean) :

« Je suis la résurrection et la vie. Je suis la lumière du monde.

Je suis le bon pasteur. Je suis le pain de la vie.

Je suis la porte. Je suis la voie, la vérité et la vie.

Je suis le vrai cep ». Enfin, comme le rappelle l’auteur anonyme, "La méditation chrétienne veut approfondir les deux révélations divines : l'Ecriture Sainte et la Création, mais elle le fait surtout en vue d'éveiller la conscience et l'appréciation plus complète de l'œuvre de la Rédemption de Jésus-Christ. Aussi culmine-t-elle dans la contemplation des sept évènements de la Passion : le lavement des pieds, la flagellation, la couronne d'épines, le chemin de la croix, la mise en croix, la mise au tombeau et la résurrection." Le rite est fondé sur la répétition. Nous verrons au chapitre suivant que la répétition a un effet psychologique rassurant en tant qu'il donne l'illusion d'une cohérence dans le temps. Ce qui distingue le bon rite du mauvais rite, c'est que ce dernier donne l'illusion d'une mémoire (en « oubliant » la violence de l'acte fondateur), et/ou qu'il fait appel à une mémoire purement "humaine" (psychique ou historique). Or la Révélation nous apprend que le premier rite, le premier signe, est produit au quatrième jour de la Création, "iom ehad", le "jour unique" de la Genèse : "Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit : qu'ils servent de signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années"38 Comme le fait remarquer Froger, "Sept jours est un cycle de cycles complet. Mais il faut distinguer les jours des uns des autres et les rassembler par "tas". Le premier va avec le septième, sinon il n'y aurait pas de cycle de cycles, pas d'espèce de jour ! Et donc il en va de même avec les autres : le second et le sixième, le troisième et le cinquième, le quatrième est seul de son espèce."

36 Evangile selon saint Mathieu, 22, 1. 37 Prophète : « qui parle au nom de… Dieu » 38 1, 14-15

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La mémoire, l'éveil et la naissance sont diurnes. L'oubli, le sommeil et la mort (ou la conception, c'est pareil) sont nocturnes. « Le vrai « culte » à rendre à Dieu est de réaliser le culte qu’Il rend à l’homme, de prendre conscience, de faire mémoire du don qu’Il nous a fait », dit Louis Evely. « Mais toute la différence entre un saint et nous, c’est qu’un saint est attentif à accueillir et à se remémorer les impressions qui lui viennent de Dieu. Nous, nous ne nous y attachons guère, et nous les oublions tout de suite. »39 Le rite primordial de la Genèse consiste en la répétition du quatrième jour, six fois pour donner sept jours. Le sabbat est le couronnement, l'achèvement de la création ; il en fait partie. C'est le jour du repos, où l'on cesse le travail pour se tourner vers l'Initiateur. Pour Alexandre Men, « nous oublions ce que le sabbat représentait pour l’homme de l’Antiquité. En réservant du temps pour la prière et la méditation, l’existence même de ce jour empêchait les occupations et les soucis quotidiens de suffoquer l’âme ; le sabbat assurait à tous une pause dans leur travail : aux citoyens libres et aux esclaves, ainsi qu’aux animaux domestiques. »40.

Le sabbat est le Graal de la quête initiatique hebdomadaire, le jour de l’union eucharistique. « En instituant l’Eucharistie, Jésus avait dit : « Ceci est le sang de l’Alliance nouvelle ». Jésus se réfère donc explicitement à l’Alliance ancienne, celle-là même que proclamait Moïse au Sinaï (…) La célébration de cette Alliance comporte d’une part la proclamation de la Parole et son acceptation par le peuple (…) Elle comporte d’autre part le sacrifice de l’Alliance (…) Comme dans l’Alliance du Sinaï, Parole et sacrifice sont intimement unis entre eux. Jésus meurt pour la Bonne Nouvelle qu’il proclame. »41 Dans « Joseph, gardien des secrets divins »42, André Doze fait une très belle analyse du 7ème jour. Dans la Genèse, l’homme est créé à la fin du 6ème jour, et c’est le couronnement de l’œuvre divine. « Ce qui est clair, c’est que la création du couple est un sommet, marqué par le superlatif « très bon », en face des autres jours qui n’étaient que « bons ». Mais le texte de la Genèse poursuit : « Dieu acheva au septième jour toute l’œuvre qu’il avait faite. » Et André Doze souligne que Dieu achève son travail en se reposant. Par ailleurs, il note que « ce jour est si grand, si différent des autres, que c’est le seul qui soit déclaré « saint » ou béni et cette bénédiction est mise directement en rapport avec le repos divin : « Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car il avait alors chômé de toute son action créatrice. » Et, au plan de l’histoire de l’humanité, « Le Fils « accomplit » notre rédemption par le grand travail de la Croix, le sixième jour, mais il « l’achève » dans cet extraordinaire « repos » du Samedi Saint qui correspond à la vie de son Eglise sur la terre (…) L’œuvre des six jours est accomplie. C’est l’œuvre du septième jour qui reste à accomplir et le plus souvent nous ne nous en doutons pas. Dieu se repose et c’est alors qu’il achève la création : tel est l’étonnant paradoxe dont l’action divine donne toutes sortes d’exemples. Ainsi, après l’épisode de la plus haute signification où, de sa croix, Jésus donne Marie pour mère à saint Jean et à l’humanité croyante, l’évangéliste souligne que tout est achevé. Juste après, en employant le même verbe grec, Jean ajoute que « pour que l’Ecriture soit accomplie jusqu’au bout, Jésus dit : J’ai soif » (Jean 19, 28). Tout est accompli, mais cependant il manque quelque chose. Quoi ? (…) c’est un immense désir humain. »

« Dieu, c’est toi mon Dieu, je te cherche ; Mon âme a soif de toi,

39 « La prière d’un homme moderne », 1969 40 « Jésus, le Maître de Nazareth », 1999 41 Lucien Deiss, « La messe », 1989 42 2006.

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Après toi languit ma chair, Terre sèche, altérée, sans eau. »43

« L’ « eau vive », c’est l’Esprit Saint, le don des dons (…) Le septième jour, le repos divin, est en fait le sommet de l’activité divine. C’est le jour où Dieu parfait son ouvrage au moyen de l’action irremplaçable de son Esprit Saint qui ne peut vraiment agir que ce jour-là (…) Dieu ne donne pas des indications, des ordres, des mises en garde, comme il le fait le sixième jour. Il ne parle même pas, comme il le fait dans chacun des jours précédents : c’est un jour où il se tait et où il se repose, tout simplement (…) A travers ce « frère qu’on voit » et les sentiments qu’il inspire, un monde nouveau se laisse deviner. « En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. » (1Jn 4,20), mais « si nous nous aimons les uns les autres », ce « Dieu que nul n’a contemplé… demeure en nous » (1Jn 4, 12). Voilà les secrets du septième jour ! » Ne serait-ce que pour situer ce jour en tant que Jour, il faut l’accès à la symbolisation, l’intelligence qui relie ce jour à l’évènement qu’il répète, et la conscience du temps, donc de la mort. Seul l’être humain cherche une signification à son parcours sur terre. Seul l’homme peut lire à travers l’histoire des signes astraux créés le quatrième jour la spécificité du quatre dans un cycle septennaire. Dans les "Dialogues avec l'ange", Gitta Mallasz interroge un ange sur la nature et la fonction des sept centres dans l'homme. L'ange lui répond : "Sept marches (…) Trois sont le Monde Créé. Trois sont le Monde Créateur. Au milieu le pont - mais ce n'est pas le savoir. Pierre - Herbe - Cheval. Ce qui vient après n'est pas l'homme, car L'HOMME est les sept ensemble. Je suis le Cinquième. La parole est sacrement, la quatrième manifestation. Le pont entre la matière et l'esprit : LE VERBE. (…) SEUL L'HOMME A LA PAROLE. A SA PLACE VOUS PARLEZ. (…) La terre est accomplie, mais le ciel ne brûle pas encore en toi, et tu n'as pas deux places, mais une seule : au milieu. Les degrés de la vie terrestre et de la vie céleste sont sept. Trois sont accomplis. Les trois autres sont au-delà des limites. mais le Quatrième les trouvera. Les "SEPT" seront : UN Et il n'y aura plus de péché (…) Dans le "Sept", le "Quatre" relie les deux "Trois". Je suis le « Cinq » » Au milieu du 7, l’être humain a vocation à devenir Homme, à relier le tout. Autrement dit par Jean Vernette : « pour le croyant, nous sommes situés ici à la charnière des « univers visible et invisible » dont parle le Credo des chrétiens. »44 Et pour Saint Paul, « ainsi désormais, les forces invisibles elles-mêmes connaîtront, grâce à l’Eglise, les multiples aspects de la sagesse de Dieu. C’est le projet éternel que Dieu a réalisé dans le Christ Jésus notre Seigneur. »45 Le quatrième jour de la Création institue le signe, la révélation de ce qui a été conçu le premier jour.

43 Psaume 63. 44 « Les mystères de l’occulte et de l’étrange », 1998 45 « Lettre aux Ephésiens, 3, 8-9

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L'important dans l'acte fondateur est le lien. Le langage (des hommes ou celui des animaux) est toujours un lien symbolique qui peut être répété. Pour Froger, "L'institution du signe lie deux ordres de réalités, il établit une corrélation fondée sur la mémoire (…) Le signe résulte de la réitération stable de la mémoire d'une comparaison (…) dans le rite, il y a toujours une efficacité sémiotique. Il s'agit toujours de redonner l'occasion de l'éveil -comme à la naissance- et tout rite se rapporte analogiquement à l'initiation, soit pour la donner en tant que premier acte laissant son empreinte dans la mémoire individuelle ou sociale, soit pour le revivifier dans une progression du dévoilement d'un enseignement." Le rituel, qui relève de l'action, est le langage religieux du corps. Et le langage lui-même, en tant qu'il est instrumentalisation du corps pour communiquer du sens, est un rite. Mais comme le souligne le psychanalyste Denis Vasse : « Le développement des sciences dite « de l’homme » montre chaque jour davantage que l’homme croyait posséder la parole, la maîtrise, l’avoir, et qu’il n’en est de fait que l’écho. L’homme est, dans son corps, parole qui se réfléchit et qui réfléchit la parole de l’autre. Il est le signifiant d’une parole qui existe avant lui et perdure après lui et que son corps ancre dans le monde. Il est le mouvement même de la prière (…) L’homme n’est pas, pour [la foi ], pure opération. Il est Opération de la Parole de Dieu, opération qui a un sens. Pour elle, cette Parole opératoire, le Verbe, se révèle dans le Christ. » Finalement à travers la prière et la méditation, le bon rite entame le dialogue avec le monde spirituel, il répète le lien fondamental de la parole du Père (Logos), alors que le mauvais rite répète celui de la conjuration et du meurtre du Père. Le bon rite fait usage de la logique morale qui est la réunion de la logique de la tête et du cœur. Le mauvais rite n'est fondé que sur une logique formelle, celle qui justifie par exemple le sacrifice ("la partie est moindre que l'entier"46)… celle qui aboutit à retirer aux gestes leur sens vertical -leur composante sacramentelle- pour n’en garder que la signification horizontale… Ainsi aux Etats-Unis et depuis peu en Allemagne, on peut louer des « prêtres indépendants » qui se proposent de bénir votre union47. Une seule contrainte pour les futurs clients de ces « mariages supraconfessionnels , chrétiens, modernes et individuels, » comme le précise le vicaire allemand Holzach dans sa brochure « Un désir nouveau d’éternité » : les fiancés doivent à la base, vouloir un mariage « chrétien » avec à la carte prière, sermon et bénédiction. Près d’un Allemand de moins de 30 ans sur deux déclare ne pas être hostile à ce que la bénédiction de mariage soit pratiquée par un homme qui n’appartienne pas à l’Eglise… A Los Angeles, la chapelle de Mme Richards est ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ! La « ministre du culte » fournit smoking, robe etc… en moins d’une heure… Coût du service : entre 240 F et 3 600 F. A ce prix, you got le parcours en limousine, l’usage de la chapelle, la musique traditionnelle, les photos, les fleurs, un gâteau de mariage, une cassette vidéo et une jarretière. Autrement, pour 3 600F, vous devenez le héros des « 7 mirages du mariage », un sous-produit hollywoodien. Avec le don d’observation d’une serveuse de « fast-wedding », Charlotte Richards témoigne, sans cesser de mâcher son chewing-gum : « Généralement ils prennent la route après le travail. Ils arrivent au bureau des certificats de non-opposition au mariage avant sa fermeture, à minuit, se marient, puis s’en retournent immédiatement à L.A. pour reprendre à temps le travail le lendemain matin. C’est apparemment la tendance du moment 48. 46 « Les axiomes mathématiques ne sont pas des axiomes d’une vérité générale. Ce qui est vrai d’un rapport de forme ou de quantité, est souvent une grossière erreur relativement à la morale, par exemple. Dans cette dernière science, il est très communément faux que la somme des fractions soit égale au tout. »

(Edgar Allan Poe, « La lettre volée », 1844) 47 Sur Internet : www.braut. 48 In « Los Angeles Times », 08/99

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Or, comme l’écrit Froger, "Le mariage est le rituel qui institue la "production" de l'homme en tant qu'homme, c'est-à-dire comme être de parole ; c'est pourquoi il est fondamentalement un contrat de parole dont le seul garant est la divinité, source de la parole. L'homme naît dans un langage qui doit être parole, c'est-à-dire beaucoup plus qu'un échange réciproque de signaux, mais précisément un rite initiant le petit d'homme à la relation au Créateur ; ce qui le différencie radicalement de l'animal." Un contrat dont le seul garant est la divinité. Rappelons que depuis le XIè siècle, l’engagement mutuel des époux chrétiens se fait devant l’Eglise, en présence de témoins. C’est chacun des époux qui est pour l’autre le ministre du sacrement. Oui, le mariage chrétien est bien un sacrement, un acte de « magie sacrée », qui relève du « faire » et non du « fonctionnement ». Acte qui nous engage à demeurer dans le « faire », c’est-à-dire dans le miracle de l’action par Lui, avec Lui et en Lui. Pour Saint Paul, le mariage est le signe de l’union du Christ et de l’Eglise, union qui est elle-même le modèle de la vie conjugale des Chrétiens. D’où l’obéissance de la femme à l’homme, calquée sur l’obéissance du corps à la tête, de l’Eglise au Christ. Saint Augustin loue l’attitude de sa mère, qui « obéit comme à son maître au mari qui lui fut donné, et travailla de tout son pouvoir pour vous l’acquérir, ô mon Dieu (…) Elle souffrit ses infidélités avec tant de douceur et de patience, qu’elle ne lui en fit jamais de reproches : car elle attendait l’effusion de votre miséricorde sur lui, et que venant à croire en vous, la grâce du saint baptême le rendit chaste. » Elle suivait en cela l’exemple de ses sœurs chrétiennes qui, « dès le moment qu’elles avaient entendu lire leur contrat de mariage, elles l’avaient dû considérer comme un titre qui les rendait servantes de leurs maris, et qu’ainsi se souvenant de leur condition, elles ne devaient pas s’élever contre leurs maîtres. »49 Cela peut nous sembler totalement dépassé, mais d’une part, n’oublions pas que Saint Paul écrit aussi : « Vous les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Eglise, il s’est livré pour elle… Il la voulait sainte et irréprochable. C’est comme cela que le mari doit aimer sa femme. 50 51» Et d’autre part, plus prosaïquement « Il y a un autre point sur lequel l’Evangile entre en confrontation avec l’Ancien Testament », nous rappelle Alexandre Men. « La Loi accordait au mari le droit d’abandonner sa femme pour n’importe quelle raison, même la plus insignifiante (…) Le mari était appelé « baal », seigneur, la femme était sa propriété au même titre que les serviteurs et les biens domestiques. » Les époux chrétiens trouvent dans leur union une vocation à la sainteté52. « Les époux sont « conjoints » » ou « conjugués », c’est-à-dire « unis sous le même joug ». Si le joug est celui de la chair, du plaisir, ou tout simplement celui du devoir, il devient bien vite lourd et insupportable. Jésus offre aux époux chrétiens qui vivent selon l’Esprit la possibilité de devenir « conjoints » dans un sens complètement différent : conjoints, puisque placés sous le même joug, celui de Jésus-Christ, le joug de son amour. »53

49« Les Confessions », IVè siècle 50 Lettre aux Ephésiens (5, 21-28). 51 « Jésus, le Maître de Nazareth », 1999 52 Chacun livre à l’autre la propriété de son corps. 53 Raniero Cantalessa, « La sobre ivresse de l’Esprit », 1994

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ANNEXES • Le mariage en faillite ? Avec près de trois femmes sur dix nées en 1965 restant célibataires, la France fait partie des pays où le mariage est devenu le plus rare en Europe, juste derrière la Finlande, la Norvège et la Suède. 39% des mariages se terminent par un divorce. Un quart des mariages impliquent au moins un divorcé. La part des naissances hors mariage est passée de 6% en 1967 à 40% en 1997. Plus de la moitié des femmes mettant au monde leur premier enfant ne sont pas mariées. « Le mariage à l’époque classique, était davantage un contrat alliant deux familles et aboutissant à une forme d’organisation assurant la procréation, la distribution du patrimoine et sa conservation, sans que pour autant les deux partenaires aient une très grande “obligation” de relations amoureuses. Seule l’obligation sexuelle faisait officiellement ou implicitement partie du contrat, telle que l’exprimait la morale courante jusqu’au début de ce siècle quand elle parlait du devoir conjugal. Le lien ne comportait pas nécessairement une union psychique profonde, comme on l’exige fréquemment aujourd’hui. Cela n’empêchait pas qu’elle se réalisât parfois chez un certain nombre de couples; mais la durée moyenne de vie du couple humain étant à peu près trois fois moindre il y a deux siècles, le problème de la persistance d’un lien d’une telle intensité psychique se posait donc peu à l’époque classique. De même, à propos du divorce : une quinzaine d’années de vie moyenne probable du couple avait peu de chances de le rendre nécessaire, d’autant moins qu’une coexistence sans lien psychique profond restait possible. »54

54 Jean-G. Lemaire, “Le couple : sa vie, sa mort”, 1979

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• « Le mariage », Xavier Lacroix, 1999 Alliance est le mot qui, dans le vocabulaire, désigne le plus fort des liens humains. Dans ses usages les plus anciens, le mot désignait un pacte guerrier. Elle était donc une solidarité « à la vie et à la mort » (…) L’alliance, c’est le don réciproque de deux libertés (…) Faire alliance, c’est donner naissance à une troisième vie qui grandit entre je et tu, à un nous qui résulte de l’union de nos deux libertés, tout en les dépassant. Tous ces petits (ou grands) renoncements sont une occasion sans pareille de dépasser la principale entrave à une liberté véritable : l’attachement à soi, c’est-à-dire la soumission à ses propres manies, penchants, habitudes. L’attachement à l’autre libère de la première prison, celle du moi. L’aimé(e) me tire en avant de moi-même. Le lien à l’autre me délie de moi-même sans pour autant m’aliéner. Au contraire, dans le don, je trouve la vraie vie ; dans l’amour, je me trouve en me quittant. Nous ne savons pas ce que sera notre avenir mais nous décidons qu’il sera commun (…) Il ne faut pas moins d’une vie entière pour apprendre à aimer (…) Les époux ne se promettent pas de réussir leur union, mais de prendre les moyens de la réussir, c’est-à-dire de la faire grandir. C’est bien parce qu’aujourd’hui ils connaissent la fragilité de leur amour qu’ils s’engagent à poser les actes quotidiens très concrets qui lui permettront de se consolider et de se réaliser (…) L’amour n’est pas seulement un sentiment, il est aussi une décision, une orientation, une priorité concrètement accordée à l’autre (…) Or il se trouve que cette volonté sera beaucoup plus forte si elle est capable de s’exprimer et de se rassembler dans une décision explicite, prenant alors la forme d’une promesse, c’est-à-dire d’une parole qui ouvre un avenir et devienne une référence, un point d’appui. (…) le facteur le plus déterminant (…) est dans la force de la résolution avec laquelle chacun s’engage dans une histoire désormais commune. Le sacrement est un geste ecclésial qui signifie et réalise l’entrée de l’homme dans le mystère du Christ. C’est au concile œcuménique de Lyon, en 1274, que, pour la première fois, le mariage a officiellement été mis au nombre des sept sacrements. Plus tard, à la suite de Luther et Calvin, les protestants refusent de lui accorder ce statut. Musterion (…) désignait la révélation d’un secret (…) Le mot vient d’un verbe qui signifie introduire. Ainsi donc, le mystère n’est pas le point où cesse toute compréhension mais le lieu où commence une compréhension nouvelle (…) Tout se passe comme si les conjoints, en consentant l’un à l’autre, étaient introduits dans une dimension nouvelle de l’amour (…) Il s’agit d’entrer dans un dynamisme qui dépasse les ressources du désir et de la volonté, de recevoir l’amour d’une source invisible, créatrice, divine. De découvrir que l’amour n’est pas seulement don mais donné. Que nous recevons le mouvement même par lequel nous nous donnons. La tradition chrétienne appelle Agapè ce pur mouvement de don qui vient de Dieu, qui est la vie divine elle-même (…) Dans le oui à l’autre vient se glisser le oui au Tout-Autre. Et dans le oui à Dieu, Dieu se donne. Le oui à Dieu est aussi oui de Dieu, qui vient habiter le consentement, lui donner vie et consistance. Dieu peut alors être reconnu comme le Tiers (le troisième) dans la relation (…) Lorsqu’il s’est agi de traduire musterion en latin, les auteurs occidentaux, Saint Augustin en particulier, ont trouvé un terme qui signifiait à la fois serment inviolable (…) et symbole sacré. Sacramentum était l’engagement du soldat dans la légion, sacramentum le sang du taureau sacrifié dont on s’aspergeait. Entre les deux significations, un point commun : l’idée de lien, entre les partenaires pour le serment, entre le visible et l’invisible pour le symbole. (…) à partir du XIè siècle (…) le sacrement n’est plus perçu seulement comme « symbole sacré », mais comme « signe efficace de la grâce »…

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(…) le mariage est scellé par l’échange des consentements mais il ne devient effectivement indissoluble que par la « consommation charnelle. » Mais les deux ou trois choses auxquelles nous accordons réellement notre foi resteront déposées en eux comme une semence et porteront du fruit, d’une manière que nous ne pouvons pas prévoir, quand Dieu voudra. Si la durée est une école de vérité, le quotidien est une école d’humilité. Plus on vit ensemble, plus on a de pudeur à exprimer ce qui tient à cœur. Accepter la non transparence, les limites des mots, le respect du secret de chacun (…) Autant il est nécessaire d’aborder les difficultés concernant la vie commune, autant il faut être modéré dans l’élucidation de ses propres difficultés personnelles, surtout passées.

M.D.Molinié :

Dans l’amour vrai, on est Un parce que l’amour nous unit ;

Deux parce que l’amour nous respecte ; Trois parce que l’amour nous dépasse.

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• « Aimer en actes et en vérité », Alphonse d’Heilly (1967) En effet, l’originalité du dessein de Dieu sur le chrétien marié, c’est l’interdépendance de l’amour humain et de l’amour de Dieu dans sa vie (…) La croissance de leur amour humain est le chemin de leur amour de Dieu. Si l’amour de Dieu ne passe pas par leur amour humain, il ne peut être que faux, il ne peut être que petit, il ne peut être que cérébral, selon les cas. Par ailleurs, le chemin de leur amour humain pleinement épanoui, c’est leur relation avec Dieu. Un chrétien marié devra dire : « Mon Père, je m’accuse de ne pas prier et de ne pas aider ma femme dans sa vie de prière ou dans son évolution spirituelle. » (…) dans n’importe quel domaine, le chrétien marié doit réagir en fonction des responsabilités qu’il a prises par rapport à son conjoint ; et c’est cela au fond la manière dont il doit se confesser. Cette manière dont il se confesse indique qu’il tient compte de la présence de son conjoint dans sa vie. Sinon, il se confesse en célibataire et en réalité il voit sa vie en célibataire. … aimer son conjoint et aimer Dieu, c’est une même réalité. … au contact d’un problème difficile, la synthèse sentimentalo-mystique s’effondre, elle apparaît dans tout son inanité (…) La synthèse de l’amour de Dieu et de l’amour humain est au terme d’un cheminement très austère ; elle est au terme d’une éducation qui se fait à longueur de vie et dans l’obscurité. L’amour de Dieu ou du prochain, c’est quelque chose qui se fait (…) Je suis dans l’amour de Dieu parce que j’accomplis ce qu’il me demande. Je peux bien me sentir sec, distrait dans mes prières, ennuyé par mon bréviaire. Je peux bien me sentir dans des dispositions décourageantes… si je fais ce que Dieu me demande, je suis dans l’amour de Dieu… Je fais des heures de travail, je suis attentif à mon prochain, je casse du bois, je fais la lessive, en un mot je fais ce que Dieu me demande, je construis l’amour de Dieu dans ma vie (…) lutter contre la prédominance des impressions, qu’elles soient favorables, ou qu’elles soient défavorables ; et puis nous mûrir dans cette certitude : « si j’accomplis ce que Dieu veut de moi, je suis dans l’amour de Dieu. » (…) Mais attention à la nuance ! Le comportement est adolescent s’il est dominé par les impressions. Cela n’empêche pas les impressions d’exister ; et même cela n’empêche pas les impressions d’avoir une signification (…) Si j’accomplis ce dont mon conjoint a réellement besoin, je suis dans l’amour de mon conjoint (…) Si je construis ma vie sur mes actions quotidiennes dans la fidélité à ce que l’autre attend de moi, je puis dire que je l’aime en toute sincérité. Ce qui se transforme, c’est tout ce qui est jeu de la sensibilité. Avec le temps, l’élan charnel n’est pas le même, l’attirance extérieure n’est pas la même, l’élan affectif se transforme tous le jours. Un jour on est fatigué ou bien on a des soucis différents. S’ils ne sont pas préparés à accueillir ces soubresauts et ces transformations, ils croient que leur amour, au lieu de grandir, est en train de s’amenuiser et même de disparaître (…) Or en réalité, qu’est-ce qu’aimer l’autre ? C’est le rejoindre dans ses besoins, quels que soient l’énervement, les perturbations, les crispations qui peuvent se produire. L’unité ne se fera jamais au niveau des sentiments et des émotions. L’unité se fera au niveau des actes. Le Sacrement est pris pour un moyen magique qui mettrait à l’abri des difficultés de la vie. Telle est l’interprétation adolescente, c’est-à-dire déterministe de la présence et de l’Action de Dieu dans ma vie (…) l’interprétation adulte (…) Dieu fait appel à moi pour que, Lui et moi ensemble, nous construisions quelque chose. Dieu m’appelle à construire mon amour avec Lui (…) Je dois croire à sa Providence, car Dieu est présent dans ma vie ; il agit dans ma vie. Mais croire à sa Providence ne me dispense ni de me servir de mon intelligence, ni de stimuler ma volonté (…) A travers tous les évènements de ma vie, Dieu me parle, Dieu est présent , Dieu agit, Dieu s’adresse à moi (…) Avoir des

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relations avec dieu, c’est nécessaire pour enrichir les relations que j’ai avec mon conjoint. Avoir des relations avec mon conjoint, c’est nécessaire pour que mes relations avec Dieu soient vraies (…) Quand je découvre les besoins de mon conjoint, c’est Dieu qui m’appelle. Quand je construis l’amour de mon conjoint, je fais ce à quoi Dieu m’appelle et je construis l’amour de Dieu en moi. Quand je fais un pas vers mon conjoint, je fais un pas vers Dieu. (…) il ne s’agit nullement du sentiment qu’un homme et une femme éprouvent l’un pour l’autre, mais c’est le don de soi, l’authenticité de leur amour, la volonté de s’appartenir l’un à l’autre totalement avec les actes et le genre de vie que cela entraîne. C’est le Mariage (…) faire du Sacrement du Mariage quelque chose de vécu tous les jours à la maison (…) la communauté conjugale n’est jamais construite ; elle est constamment soumise à des perturbations ou à des possibilités nouvelles. Et le mari sera fidèle à son engagement s’il s’efforce de ne jamais entretenir volontairement en lui des défauts qui feraient souffrir sa femme, mais s’il s’applique au contraire à faire tout ce qui est en son pouvoir pour l’épanouir. Et inversement pour la femme. Ce quelque chose de plus, vous l’attendez de l’Eglise pour qu’elle vous fasse franchir une étape, celle de la recherche du sens de votre amour, de votre libre engagement au service de la communauté chrétienne à travers tous les domaines, toutes les dimensions de votre vie conjugale (…) Cet amour, dit l’Eglise, nous vous aiderons à le construire, votre amour est une richesse pour l’Eglise ; il est l’objet de sa sollicitude, de ses soucis ; elle ne peut pas laisser dépérir cette richesse. Votre amour sera une source de croissance pour l’Eglise, non pas seulement parce que vous lui donnerez des enfants, mais parce que votre amour va être vécu avec la grâce du Christ et conformément à la volonté du Christ (…) L’Eglise se développe dans tous ses membres, par tous ceux qui se donnent au Christ, que ce soit dans le Sacerdoce, que ce soit dans un apostolat de célibataire, que ce soit dans la vie religieuse, que ce soit dans la vie conjugale vraiment chrétienne. Avons-nous suffisamment à l’esprit que la mission caractéristique de l’Eglise, c’est d’avoir reçu de son chef, le Christ, puissance de transformer le monde, de transformer tout ce qui est humain en divin, en Fils de Dieu ? L’amour que le mari a donc pour sa femme, c’est le Christ qui aime cette femme ; l’amour que la femme a pour son mari (…) c’est le Christ qui aime ce mari (…) De même c’est par l’Eglise que l’amour d’un homme et d’une femme devient l’Amour du Christ. Telle est la transformation radicale. L’amour du chrétien marié est constitué de trois éléments indissociables : l’amour de Dieu, l’amour du conjoint, l’amour du prochain. Si l’un de ces éléments vient à perdre de sa vigueur, automatiquement les deux autres se condamnent à la longue à la médiocrité. « Nous réfléchissons ensemble à la place que les autres doivent tenir dans notre communauté conjugale. » (…) « Pourquoi moi, homme, est-ce que je reçois tant de ma femme ? C’est pour que chacun d’entre nous, dans son contexte différent, nous aidions les autres et achevions l’œuvre du Christ dans le monde… » (…) « Pourquoi ai-je une femme ? Parce que l’amour que je reçois d’elle développe mes capacités d’aimer mon prochain. » (…) Dans votre vie, il n’y aura jamais d’amour conjugal trop grand, trop solide, trop objet de votre sollicitude ; mais votre amour conjugal ne trouve sa signification profonde que s’il vous met dans une disponibilité totale aux autres. » Ils se trouvent donc être, non pas les auteurs du Sacrement -Jésus seul est l’auteur du Sacrement- mais ses ministres. Le « oui » est le moyen par lequel le Christ agit en eux. Leur consentement mutuel a puissance sacramentelle parce qu’il est un geste de l’Eglise (…) L’homme et la femme ne sont mariés que grâce à la présence du prêtre et des témoins, représentant la communauté toute entière, celle-ci s’engageant à les soutenir dans la construction de leur communauté conjugale, de leur amour conjugal (…) Et supposons un homme et une femme vivant ensemble sans être mariés devant le prêtre et les

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témoins, ils auront beau se répéter cent fois : « Tu es mon mari… tu es ma femme », ils n’en seront pas plus mariés pour cela ; mais s’ils le disent devant la communauté, ils le sont (…) Les témoins ne sont pas ce que croient la plupart des gens ; ils ne sont pas les témoins des époux, ils sont les témoins de la communauté ; c’est tout à fait différent. Par eux, c’est l’Eglise qui est témoin de l’engagement pris d’une part par les époux entre eux et envers l’Eglise, et c’est aussi l’engagement pris d’autre part par l’Eglise… par la communauté de l’Eglise envers les époux (…) le couple devient mari et femme parce que leur amour, leur engagement mutuel, leur consentement, leur don mutuel ont été accueillis par la communauté. Les Epoux apportent leur amour à l’Eglise et c’est l’Eglise qui en fait l’amour du Christ (…) En fait, l’Eglise ouvre la capacité d’aimer des époux à l’intervention du Christ. Dans leur amour, il y aura toujours quelque chose qui sera d’eux et quelque chose qui sera de Lui. C’est là qu’est le grand mystère. C’est toujours leur amour et pourtant le Christ y travaille (…) l’amour des chrétiens mariés, qui était auparavant un amour personnel, est devenu par le Sacrement un amour communautaire (…) Ils entrent dans un amour qui est à la dimension du Christ (…) Et cette dimension, c’est d’être large et totale comme l’Eglise qui est son Corps. C’est cela qui est réalisé par le Sacrement de Mariage : l’engagement des époux devient une engagement communautaire, vis-à-vis de leurs frères. « Nous nous engageons à nous aimer de telle manière que nous soyons tous les deux pleinement épanouis et de telle manière que les autres trouvent en nous ce qu’ils attendent (…) Nous n’allons pas bâtir quelque chose pour nous deux ; nous allons bâtir quelque chose pour nous deux et les autres. » (…) il y a un seul « oui » et un seul amour. Il ne s’agit pas de dire : « Je m’engage avec ma femme », puis ensuite : « Je m’engage avec les autres. » (…) En effet, si le mari rend sa femme heureuse, le fait qu’elle soit heureuse et le fait qu’elle puisse aimer son prochain, c’est la même chose. Si la femme épanouit son mari et si son mari est utile aux autres, c’est la même chose (…) Pourquoi ? Parce qu’un foyer qui vit dans l’amour vit par le fait même dans la joie ; or la joie est quelque chose de communicatif. La fécondité de notre amour, c’est de créer un foyer accueillant, c’est la fonction municipale de l’homme, c’est le catéchisme que fait cette mère de famille, c’est telle période de pauvreté que nous avons acceptée ensemble dans la sérénité, c’est le nouveau-né qui est mort et que nous avons offert à Dieu (…) Comment pouvons-nous enseigner au couple que son amour doit porter du fruit, qu’il est une réalité permanente et que le fruit doit donc être permanent, si nous le réduisons au sens unique d’engendrer des enfants et à la rigueur de les éduquer ? (…) La réalité c’est que les époux ne s’aiment que lorsqu’ils sont féconds ; et ils ne sont féconds que lorsqu’ils s’aiment. Vous connaissez cette crainte, entre époux, de partager le plus profond d’eux-mêmes et qui les prive de la vraie signification : « Sommes-nous capables de rencontrer Dieu dans les bras l’un de l’autre ? » Je connais des couples qui le font. Bien comprendre que l’intimité charnelle est source d’amour pour le prochain, comme elle est source de l’enfant et comme elle est source d’amour dans le travail quotidien (…) Si j’ai éduqué en eux le sens de la fécondité complète (…) pendant les dix jours environ qui suivent l’ovulation, si je leur ai dit les conditions dans lesquelles ils doivent s’unir, alors leur union ne sera plus une union stérile. Leur union sera extrêmement féconde, car ils s’uniront pour mieux éduquer les enfants qu’ils ont déjà, pour mieux servir leur prochain, pour mieux accomplir la tâche que Dieu attend d’eux. (…) les gens mariés accueillent avec un grand cœur les exigences du dessein de Dieu, s’il y a quelqu’un qui leur dit de temps de temps que leur amour, c’est quelque chose de grand (…) dans la vie conjugale, tout doit être grand, même si apparemment ce ne sont que des choses petites. Ce mode de vie que nous appelons la continence périodique permet de VALORISER une donnée de la Création.

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Les gens mariés savent qu’aimer son conjoint est un travail de toute la vie et dominer la sexualité est un travail de toute la vie. Je ne peux ni comprendre, ni réaliser ce que Dieu me demande aujourd’hui, si je ne m’arrache pas à ce que Dieu me demandait hier (…) Voyez la gravité de cette petite constatation : « Tu n’es plus comme avant ». Cela veut dire : «Je n’ai pas essayé de t’aimer comme tu es aujourd’hui ; mais j’essaie de retrouver en toi un visage antérieur qui a été satisfaisant. » (…) aussi bien l’homme que la femme, ils ne s’aperçoivent pas qu’ils évoluent eux-mêmes. Ils s’aperçoivent seulement que l’autre a évolué. Et au lieu d’entrer dans cette adaptation très fatigante, ils veulent retrouver ce qui précède. Vous avez là une occasion de saisir ce que sont les arrachements. (…) les arrachements, c’est une disposition du cœur (…) Un couple doit se dire ceci : « Nous ne pouvons pas tenir nos engagements d’aujourd’hui, si nous ne sommes pas dans la disposition de quitter n’importe quoi de notre expérience antérieure, qui nuirait à ces nouveaux engagements. »