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Morphologie, 2004, 88, 171-175 © Masson, Paris, 2004 MISE AU POINT L’ONTOGENÈSE DU SYSTÈME HÉMATOPOÏÉTIQUE REVISITÉE F. CORTÉS, M.C. LABASTIE Institut de Formation Supérieure Biomédicale – PR2, Institut Gustave Roussy, 39 rue Camille Desmoulins, 94805 Villejuif Cedex. INTRODUCTION Les différents éléments figurés du sang dérivent de progéniteurs à potentialités de prolifération et de différenciation restreintes dont le renouvelle- ment est assuré par une rare population de cellules pluripotentes et capables de s’autorenouveler, les cellules souches hématopoïétiques (CSH) (figure 1). Chez les vertébrés supérieurs, les premières cellules sanguines apparaissent au sein du mésoderme extra-embryonnaire du sac vitellin, peu après la gastrulation. Ces cellules se différencient à partir de condensations cellulaires du mésoderme extra- embryonnaire appelées îlots sanguins [7, 9] ou îlots vasculoformateurs [4]. Ces îlots sont formés de cel- lules endothéliales qui délimitent des lumières contenant des cellules hématopoïétiques (figure 2). Cette première vague hématopoïétique est éphé- mère et presque exclusivement constituée d’érythro- cytes dits « primitifs » caractérisés par la persistance du noyau et la production d’hémoglobines em- bryonnaires. L’hématopoïèse intra-embryonnaire puis fœtale est ensuite établie successivement dans plusieurs organes, i.e. le foie, le thymus, la rate et la mœlle osseuse suivant une séquence très précise et spécifique des différentes classes de vertébrés (figure 3). Contrairement au sac vitellin, dans lequel les CSH émergent in situ, la mise en place de cette deuxième vague d’hématopoïèse, dite « définitive », dans les tissus sanguins de l’embryon nécessite leur coloni- sation préalable par des cellules souches extrinsè- ques circulantes [5, 6]. S’appuyant sur l’émergence plus précoce de l’hématopoïèse vitelline, et sur l’in- capacité des organes hématopoïétiques intra-em- bryonnaires à produire leurs propres cellules san- guines, Moore et Owen [6] ont formulé la théorie « hématogène » selon laquelle le système sanguin définitif dériverait entièrement des cellules souches provenant du sac vitellin. Cette théorie est lar- gement diffusée dans les livres d’embryologie hu- maine [4, 7]. Pourtant, cette théorie est désormais RÉSUMÉ SUMMARY Le développement de l’hématopoïèse est décrit classi- quement sous la forme d’étapes successives : la première a lieu dans le sac vitellin où naissent les îlots sanguins ; puis des cellules issues de ces régions colonisent les orga- nes hématopoïétiques transitoires comme le foie et la rate. Enfin, la dernière migration conduit à la mise en place de la mœlle osseuse hématopoïétique. Ce schéma présent dans presque tous les livres d’Embryologie Hu- maine ne correspond plus aux données modernes expéri- mentales. En effet, la pratique de chimère entre caille et poulet a démontré que le sac vitellin ne contribue pas à l’hématopoïèse définitive chez l’oiseau. Les cellules hé- matopoïétiques de l’adulte émergent d’une population associée à la paroi ventrale de l’aorte. Cette population peut donner naissance aux différents lignages hémato- poïétiques tant chez l’oiseau que chez les mammifères. Les foyers aortiques dérivent de la splanchnopleure para-aortique et de sa région dérivée, l’AGM (Aorte- Gonade-Mésonéphros). Ces données nouvelles éclairent différemment le processus de l’ontogenèse de l’hémato- poïèse chez l’embryon de vertébrés. The ontogenesis of the hematopoietic system revisited The ontogenesis of hematopoiesis is classically described as a series of successive steps: the first takes in the yolk sac where blood islands differentiate. Then, cells deriving from these structures migrate and populate the transient hematopoietic organs such as the liver and the spleen. At last, the eventual migration allows the establishment of bone marrow hematopoiesis. This theory described in almost all the textbooks of Human Embryology does not fit with recent experimental data. Indeed, the construction of quail-chick chimeras shows that the yolk sac does not contribute to the adult hematopoiesis in birds. Adult hematopoietic cells arise from a population located on the ventral side of the aorta both in birds and mammals. The aortic population derives from the para-aortic splanchno- pleura and its derivative, the so-called AGM (Aorta- Gonad-Mesonephros). These new data provide new concepts to understand the process of ontogenesis of the hematopoietic system in vertebrates. Mots-clés : cellules souches hématopoïétiques. sac vitellin. Splanchnopleure paraaortique. Aorte-Gonade- Mésonéphros. embryon humain. Key words: hematopoietic stem cells. yolk sac. para-aortic splanchnopleura. Aorta-Gonad-Mésonéphros. human embryo. Correspondance : M.C. LABASTIE, IFSBM, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected]

L’ontogenèse du système hématopoïétique revisitée

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Morphologie, 2004, 88, 171-175© Masson, Paris, 2004

MISE AU POINT

L’ONTOGENÈSE DU SYSTÈME HÉMATOPOÏÉTIQUE REVISITÉE

F. CORTÉS, M.C. LABASTIE

Institut de Formation Supérieure Biomédicale – PR2, Institut Gustave Roussy, 39 rue Camille Desmoulins, 94805 Villejuif Cedex.

INTRODUCTION

Les différents éléments figurés du sang dériventde progéniteurs à potentialités de prolifération etde différenciation restreintes dont le renouvelle-ment est assuré par une rare population de cellulespluripotentes et capables de s’autorenouveler, lescellules souches hématopoïétiques (CSH) (figure 1).Chez les vertébrés supérieurs, les premières cellulessanguines apparaissent au sein du mésodermeextra-embryonnaire du sac vitellin, peu après lagastrulation. Ces cellules se différencient à partir decondensations cellulaires du mésoderme extra-embryonnaire appelées îlots sanguins [7, 9] ou îlotsvasculoformateurs [4]. Ces îlots sont formés de cel-lules endothéliales qui délimitent des lumièrescontenant des cellules hématopoïétiques (figure 2).Cette première vague hématopoïétique est éphé-mère et presque exclusivement constituée d’érythro-

cytes dits « primitifs » caractérisés par la persistancedu noyau et la production d’hémoglobines em-bryonnaires. L’hématopoïèse intra-embryonnairepuis fœtale est ensuite établie successivement dansplusieurs organes, i.e. le foie, le thymus, la rate et lamœlle osseuse suivant une séquence très précise etspécifique des différentes classes de vertébrés (figure 3).Contrairement au sac vitellin, dans lequel les CSHémergent in situ, la mise en place de cette deuxièmevague d’hématopoïèse, dite « définitive », dans lestissus sanguins de l’embryon nécessite leur coloni-sation préalable par des cellules souches extrinsè-ques circulantes [5, 6]. S’appuyant sur l’émergenceplus précoce de l’hématopoïèse vitelline, et sur l’in-capacité des organes hématopoïétiques intra-em-bryonnaires à produire leurs propres cellules san-guines, Moore et Owen [6] ont formulé la théorie« hématogène » selon laquelle le système sanguindéfinitif dériverait entièrement des cellules souchesprovenant du sac vitellin. Cette théorie est lar-gement diffusée dans les livres d’embryologie hu-maine [4, 7]. Pourtant, cette théorie est désormais

RÉSUMÉ SUMMARY

Le développement de l’hématopoïèse est décrit classi-quement sous la forme d’étapes successives : la premièrea lieu dans le sac vitellin où naissent les îlots sanguins ;puis des cellules issues de ces régions colonisent les orga-nes hématopoïétiques transitoires comme le foie et larate. Enfin, la dernière migration conduit à la mise enplace de la mœlle osseuse hématopoïétique. Ce schémaprésent dans presque tous les livres d’Embryologie Hu-maine ne correspond plus aux données modernes expéri-mentales. En effet, la pratique de chimère entre caille etpoulet a démontré que le sac vitellin ne contribue pas àl’hématopoïèse définitive chez l’oiseau. Les cellules hé-matopoïétiques de l’adulte émergent d’une populationassociée à la paroi ventrale de l’aorte. Cette populationpeut donner naissance aux différents lignages hémato-poïétiques tant chez l’oiseau que chez les mammifères.Les foyers aortiques dérivent de la splanchnopleurepara-aortique et de sa région dérivée, l’AGM (Aorte-Gonade-Mésonéphros). Ces données nouvelles éclairentdifféremment le processus de l’ontogenèse de l’hémato-poïèse chez l’embryon de vertébrés.

The ontogenesis of the hematopoietic system revisited

The ontogenesis of hematopoiesis is classically describedas a series of successive steps: the first takes in the yolk sacwhere blood islands differentiate. Then, cells derivingfrom these structures migrate and populate the transienthematopoietic organs such as the liver and the spleen. Atlast, the eventual migration allows the establishment ofbone marrow hematopoiesis. This theory described inalmost all the textbooks of Human Embryology does notfit with recent experimental data. Indeed, the constructionof quail-chick chimeras shows that the yolk sac does notcontribute to the adult hematopoiesis in birds. Adulthematopoietic cells arise from a population located on theventral side of the aorta both in birds and mammals. Theaortic population derives from the para-aortic splanchno-pleura and its derivative, the so-called AGM (Aorta-Gonad-Mesonephros). These new data provide newconcepts to understand the process of ontogenesis of thehematopoietic system in vertebrates.

Mots-clés : cellules souches hématopoïétiques. sacvitellin. Splanchnopleure paraaortique. Aorte-Gonade-Mésonéphros. embryon humain.

Key words: hematopoietic stem cells. yolk sac. para-aorticsplanchnopleura. Aorta-Gonad-Mésonéphros. humanembryo.

Correspondance : M.C. LABASTIE, IFSBM, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected]

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abandonnée, suite aux résultats expérimentaux ob-tenus, tout d’abord dans les modèles de l’oiseau etde l’amphibien puis, plus récemment, chez la souriset l’homme. Quelques ouvrages récents font état dunouveau modèle de l’hématopoïèse [9].

ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA MISE EN PLACE DE L’HÉMATOPOÏÈSE DÉFINITIVE CHEZ LES VERTÉBRÉS

Modèle des oiseaux

L’hypothèse de Moore et Owen [6] fut infirmée dès1975 dans le modèle aviaire grâce à des expériencesbasées sur la production de chimères entre embryonsde caille et de poulet et l’utilisation du marqueur dit« caille/poulet » (le noyau interphasique des cellulesde caille et des cellules de poulet présentent une diffé-rence qui permet de les différencier en histologie).L’expérience classique consiste à greffer l’aire em-bryonnaire de caille sur l’aire extra-embryonnaire(sac vitellin présomptif) de poulet avant l’établisse-ment de la circulation sanguine entre ces deux terri-

FIG. 1. — Hiérarchie du lignage du système hématopoïétique. Toutes les cellules du système dérivent d’une cellule-souche autorenou-velable issue initialement du mésoderme.

FIG. 1. — Hierarchy of the lineage of the hematopoietic system.

FIG. 2. — Un îlot sanguin du sac vitellin de l’embryon de caille(stade 5 somites). Les îlots sanguins se forment dans le méso-derme extra-embryonnaire immédiatement au contact del’endoderme (End) du sac vitellin. Ils sont composés de cellulesendothéliales (flèches) qui délimitent une lumière contenantdes cellules hématopoïétiques (têtes de flèche).

FIG. 2. — A blood island in the yolk sac of a quail embryo (5-somite stage). Blood islands are forming in the extra-embryonicmesoderm at the close contact of the endoderm (End) of the yolksac. These islands are made of endothelial cells (arrows) thatdelineate a lumen containing hematopoietic cells (arrowheads).

FIG. 3. — La mise en place du système hématopoïétique chezl’homme.

FIG. 3. — The settlement of the hematopoietic system in humans.

Hématopoïèse définitive humaine 173

toires et déterminer la contribution respective destissus donneur et receveur aux cellules hématopoïé-tiques de l’animal chimère après l’éclosion. Il a ainsiété démontré que toutes les cellules sanguines présen-tes après l’éclosion étaient originaires de l’embryon, lacontribution du sac vitellin étant restreinte à la pro-duction de la première vague d’érythrocytes primitifs[1].

Quel est le territoire intra-embryonnaire à l’origine de l’hématopoïèse définitive ?

À l’issue de la délimitation, les deux aortes em-bryonnaires fusionnent pour former l’aorte dorsale(figure 4). Partant de l’observation selon laquelle lespremières cellules hématopoïétiques intra-embryon-naires apparaissent au 3e jour du développement sousforme d’agrégats associés à la paroi ventrale de l’aortedorsale, cette région a été considérée comme la sourceputative de l’hématopoïèse définitive. Une séried’études in vitro et in vivo des potentialités de ce ter-ritoire ont confirmé expérimentalement cette hypo-thèse et permis de conclure que, chez les oiseaux, lesystème hématopoïétique définitif dérive du mésoder-me spanchnopleural de la région aortique et non dusac vitellin [2].

Des expériences similaires de greffe réalisées quel-ques années plus tard chez les amphibiens ont démon-tré à l’identique que leur système sanguin définitif dé-rivait de la plaque latérale dorsale de l’embryon,l’équivalent dans cette espèce de la région aortique, etnon des îlots sanguins ventraux apparentés au sac vi-tellin. Dans cette espèce, il a de plus été démontré queles ilôts sanguins ventraux et la plaque latérale dorsaleétant originaires de blastomères différents.

Modèle des mammifères

La présence de foyers de cellules sanguines associésà l’endothélium ventral de l’aorte, à un stade équiva-lent du développement, a été rapportée dans un grandnombre d’espèces de vertébrés : requin, poissonzèbre, grenouille, tortue, souris, lapin, porc, chèvre,mouton, vache et, également, dans l’embryon humain(figure 5) [10]. Face à la conservation de ce phénomè-ne au cours de l’évolution et suite à la démonstrationde l’origine intra-embryonnaire de l’hématopoïèsedéfinitive chez les oiseaux et les amphibiens, de nom-breux efforts ont été consacrés à la mise en évidenced’un mécanisme équivalent chez les mammifères, lemodèle de choix étant la souris. Ces études se sontheurtées à deux sortes de difficultés expérimentales :1) le mode de développement de l’embryon de mam-mifère qui empêche la production de chimères par lagreffe ou l’échange de territoires précoces intacts ;2) la difficulté à mettre en œuvre le seul test véritable-ment fiable permettant d’identifier les CSH, i.e. lareconstitution à long terme (6 mois au moins aprèsl’injection) de l’ensemble des lignées hématopoï-étiques d’un receveur léthalement irradié.

La greffe à des receveurs immunodéficients ou lé-thalement irradiés de la région de la splanchnopleureparaaortique (Sp-P) d’un embryon au stade E8,5/9 ou

de son territoire dérivé un jour plus tard, l’AGM(pour Aorte-Gonade-Mésonéphros), a permis de dé-montrer pour la première fois en 1993 la présencedans l’embryon de progéniteurs multipotents myéloï-des et lymphoïdes avant la colonisation du foie. Lesnombreuses expériences réalisées depuis ont montré :(1) qu’une activité hématogène « définitive » (poten-tiel myéloïde et lymphoïde B et T) émerge dans leterritoire mésodermique de la Sp-P dès 7,5 jours degestation, alors que la circulation entre le SV et l’em-bryon n’est pas encore établie et qu’aucune activitéhématogène équivalente n’est décelable dans le sacvitellin du même stade ; (2) que les précurseurs héma-topoïétiques détectés à ce stade précoce sont dépour-vus d’activité de reconstitution à long terme (LTR) etnon encore identifiables histologiquement ; (3) qu’ilssubissent une maturation locale conduisant à la pro-duction, deux jours plus tard dans l’AGM, de CSHdouées d’activité LTR et identifiables sur la base decritères morphologiques et phénotypiques [3].

L’ensemble de ces résultats permet de conclure que,chez la souris comme chez les oiseaux et les amphi-biens, le mésoderme intra-embryonnaire de la Sp-P etson territoire dérivé l’AGM constituent un site ma-jeur et autonome de production et d’amplification decellules souches hématopoïétiques avant la colonisa-tion du rudiment hépatique. Bien que la non-partici-pation du sac vitellin à l’hématopoïèse définitive de lasouris n’ait été démontrée à ce jour et soit encorecontroversée, ces CSH sont généralement considéréescomme étant à l’origine de l’hématopoïèse définitivede l’animal adulte.

MISE EN PLACE DU SYSTÈME HÉMATOPOÏÉTIQUE CHEZ L’HOMME

Introduction

Chez l’homme, les premières cellules hématopoïé-tiques identifiables apparaissent vers le 18e jour degestation dans les îlots sanguins du sac vitellin. Cettevague hématogène précoce mène essentiellement à laproduction d’érythrocytes primitifs mais des progéni-teurs clonogéniques myéloïdes sont également pré-sents pendant cette période. L’activité hématopoïéti-que du sac vitellin chute à partir de la 5e semaine degestation (SG), coïncidant avec l’amplification initialede progéniteurs clonogéniques dans le foie. Au coursde la 7e SG, la différenciation en masse d’érythrocytesfœtaux dans cet organe est suivie de leur libérationdans le sang circulant, où ils deviennent majoritairesentre la 9e et la 10e SG. L’ébauche thymique est colo-nisée à la 8e SG et acquiert sa structure anatomique etfonctionnelle définitive pendant le 4e mois de gesta-tion. Dans la mœlle osseuse (qui restera le seul organehématopoïétique après la naissance) les premiersfoyers d’érythro- et de granulopoïèse apparaissent dès10,5 SG et les différentes populations de cellules myé-lolymphoïdes rencontrées dans la moelle adulte sontidentifiables avant la 20e SG (voir schéma récapitula-tif de la figure 3).

174 F. CORTÉS et al.

Mise en évidence d’un site intra-embryonnaire de production de CSH définitives

Aspects phénotypiques

À l’image de ce qui a été démontré dans les modèlesde l’oiseau et de la souris, le groupe de Bruno Péault acaractérisé chez l’homme un territoire intra-embryon-naire hématogène avant que ne débute la colonisationde l’ébauche hépatique. Il met tout d’abord en éviden-ce par immunohistochimie, dans l’embryon humain de5 SG (figure 4), des agrégats de plusieurs centaines decellules sanguines associées à l’endothélium ventral del’aorte et de l’artère vitelline [11] (figure 5). Ces cellulesprésentent toutes les caractéristiques phénotypiquesdes progéniteurs hématopoïétiques humains, i.e. la co-expression du marqueur de surface CD34, de l’antigènepan-leucocytaire CD45 et de la molécule d’adhérencePECAM-1/CD31 couplée à celle des facteurs de trans-cription SCL/Tal-1 c-myb et GATA-2. Leur caractèreimmature est confirmé par l’absence d’expression demarqueurs témoignant d’un engagement vers l’une oul’autre des différentes lignées hématopoïétiques, telsque les antigènes CD38, CD33 (myéloïde), CD68(macrophage), CD15 (granulocyte) ou la glycophori-ne A (érythroïde).

Comparativement à ce qui est observé dans le foieembryonnaire ou dans la moelle fœtale et adulte, oùles cellules CD34+ sont rares et disséminées, cesfoyers intra-vasculaires représentent la plus importan-te accumulation locale de progéniteurs sanguins ren-

contrée au cours du développement et après la nais-sance, et suggèrent qu’il s’agit d’un site uniqued’émergence et de prolifération de cellules souches.

Aspects fonctionnels

Des tests de culture in vitro pratiqués à partir des ter-ritoires embryonnaires de la Sp-P et de l’AGM entre la3e et la 6e semaine de développement révèlent l’émer-gence d’une activité hématogène dès le stade présomi-tique de 19 jour de gestation, soit avant l’établissementde la circulation entre les tissus extra- et intra-em-bryonnaire et huit jours avant l’apparition des premiè-res cellules hématopoïétiques CD34+ dans le territoiredérivé de l’AGM. Cette activité se traduit par la pro-duction, après co-culture sur une lignée stromale ap-propriée, de cellules CD34+ multipotentes douées d’unpotentiel myéloïde et lymphoïde B et T. En revanche,les cellules CD34+ amplifiées dans les mêmes condi-tions à partir du sac vitellin sont dépourvues d’activitélymphoïde B ou T à tous les stades étudiés, y comprisaprès la connexion des deux tissus par les vaisseauxsanguins. Par analogie avec les résultats précédemmentobtenus dans les différents modèles animaux, l’ensem-ble de ces données tendent à démontrer que les cellulessouches à l’origine de l’hématopoïèse humaine définiti-ve proviennent du territoire intra-embryonnaire de laSp-P/AGM et non du sac vitellin. Au sein de ce territoi-re intra-embryonnaire précoce, les précurseurs détectésdans la Sp-P au stade pré-somitique seraient incorporés

FIG. 4. — Coupe transversale d’un embryon humain de 5 semainesde gestation dans la région du tronc. Le tube neural et les gan-glions rachidiens (g) sont situés dorsalement au-dessus de lanotochorde (tête de flèche). L’aorte dorsale (a) est située sur laligne médiane ventralement par rapport à la notochorde.m : mésonéphros.

FIG. 4. — Transverse section of a human embryo (5th week ofgestation) in the trunk region. The neural tube and dorsal rootganglia (g) are located dorsally to the notochord (arrowhead)The dorsal aorta (a) is located on the midline ventrally to thenotochord. m: mesonephros.

FIG. 5. — Coupe transversale d’un embryon humain montrantles foyers aortiques ventraux. Les cellules endothéliales et lescellules des foyers hématopoïétiques sont marquées par l’anti-corps anti-CD34 (flèches). De plus, les cellules des foyers aorti-ques expriment le facteur de transcription c-myb (têtes deflèche).

FIG. 5. — Transverse section of a human embryo showing theventral aortic clusters. Both endothelial cells and the cells of theclusters are stained by the antibody raised against CD34(arrows). Furthermore, the cells of the clusters express the tran-scription factor c-myb (arrowheads).

Hématopoïèse définitive humaine 175

dans la paroi des artères troncales sous forme de cellu-les « endothéliales hématogènes », i.e. transitoirementcapables, sous l’influence du micro-environnement lo-cal, de générer les CSH visibles dans le plancher del’aorte et de l’artère vitelline entre les 27 et 40e jour degestation [8].

RÉFÉRENCES

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