23

Magazine Palais #18

Embed Size (px)

DESCRIPTION

PALAIS offre un regard enrichi sur les expositions et la programmation du Palais de Tokyo. Il donne une large place à la parole des artistes et invente des formats d'intervention, pour devenir un outil de saisie du présent.

Citation preview

Page 1: Magazine Palais #18
Page 2: Magazine Palais #18

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

10

raPHaël DeNIs

les Beaux-arts méNagers[2013]

eNcre sur PaPIer / INK oN PaPer 65 × 50 cm

Courtesy galerie Sator (Paris)[A good curator makes an ar tist shine like a housewife her copper pots.]

NavIN rawaNcHaIKul

hoW to Be a suCCessful Curator[2004]

© Navin Rawanchaikul

Page 3: Magazine Palais #18

PALAIS18

NOUVELLESVAGUES

Curatorial/ PostCuratorial 1

texte / textMarc BeMBekoff

en collaboration avec / in collaboration with

Jeanne Dreyfus DaBoussy

11

« On peut comparer les expositions d’art international à un zoo, où les cris de mille bêtes différentes atteignent simulta-

nément l’oreille du visiteur. Dans mon espace, les objets ne doivent pas submerger le spectateur. Si, ailleurs, le spectateur s’endort en passant devant des murs remplis de tableaux, notre conception doit rendre l’homme actif. Tel doit être le but de l’espace. »El Lissitzky, Demonstrationsraüme, 1926

« Je curate, tu curates, elle curate, nous curatons, vous cura-tez… » Soit autant de néologismes conjugués ayant fait leur appa-rition récemment, concomitants à la multiplication des curateurs dans l’écosystème de l’art. Si aux yeux du grand public, la figure du curateur demeure quelque peu ésotérique, cette dernière est désormais indissociable d’une relecture de l’histoire de l’art à tra-vers le prisme du médium de l’exposition. Quels sont les attributs d’un bon curateur ? Doit-il être respecté ou au contraire méprisé ? Est-il prescripteur des nouvelles tendances, garant du bon usage des œuvres et de l’espace où elles sont présentées ? On assiste depuis une décennie à une légitimation renforcée de la figure du curateur, du fait de ces derniers, mais aussi des structures à géo-métrie variable qui émergent dans cette complexe tectonique des plaques qu’est l’art contemporain.

uNe geNèse De l’exPositioNLe terme de curator renvoie, au Moyen Âge et à la Renaissance, à celui qui a le soin et la charge d’un monument : le curavit des inscriptions latines signe sur les édifices, non pas le créateur ini-tial, mais celui qui les répare, les réhabilite ou les achève, et en devient ainsi, pour partie, auteur. Lors de la cinquième édition de la documenta en 1972, un des artistes invités qualifie le com-missaire d’exposition Harald Szeemann (1933-2005) de « deus ex machina » 2. Il signifie par là qu’au désordre créé par les artistes-acteurs, le deus ex machina Szeemann, doué d’un pouvoir trans-cendant, viendrait apporter la cohérence d’une organisation. Comme deus ex machina, il fait lui-même partie de la pièce-expo-sition et peut donc être compté parmi les acteurs-artistes.

Dès l’origine du musée, héritier du projet encyclopédique des Lumières, apparaissent des figures œuvrant à la construction

“Great international exhibitions resemble zoos, where visitors are roared at by a thousand different beasts at the same time. In the

gallery the objects should not all suddenly attack the viewer. If on previous occasions in his march past in front of the picture walls and object rooms, he was lulled by painting into a certain passivity, now exhibition spaces should make the man active. This should be the purpose of the gallery.”El Lissitzky, Exhibition Rooms, 1926

“Je curate, tu curates, elle curate, nous curatons, vous curatez…” These are all conjugated neologisms that have recently made their appearance in French, in tandem with a great increase in numbers of curators in the art ecosystem. While the figure of the curator remains somewhat esoteric in the eyes of the public at large, he or she is now indissociable from a reinterpretation of art history through the prism of the exhibition as medium. What might the attributes of a good curator be? Is s/he to be respected, or on the contrary despised? Is s/he the inf luence behind new trends, the guarantor of the correct use of works and the space in which they are presented? For a decade we have witnessed an ever growing legitimation of the curator figure, because of the curators themselves, but also because of the diverse structures emerging in the complex plate tectonics of contemporary art.

The genesis of The exhiBiTion

In the Middle Ages and the Renaissance period the term curator refer-red to the person who took care of a monument and was responsible for it. The curavit of Latin inscriptions on buildings does not indi-cate their original creator but the person who repairs, refurbishes or completes them, thereby becoming their author to some extent. At documenta 5 in 1972, one of the invited artists described the exhibi-tion organizer Harald Szeemann (1933-2005) as a “deus ex machina”.2 By this he meant that the deus ex machina Szeemann, endowed with transcendent power, would bring coherence of organization to the disorder created by the artists/actors. As a deus ex machina, he him-self was part of the play/exhibition, and could therefore be included among those actors/artists.

From the origins of the museum, heir to the encyclopedic project of the Enlightenment, figures working to construct a discourse emerged.

• •

Page 4: Magazine Palais #18

PALAIS18

NOUVELLESVAGUES

23

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

Nouvellesvagues

au PalaisDe toKYoNouvelles

vaguesaT THePalaIs

De ToKYo

Page 5: Magazine Palais #18

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

22

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

Page 6: Magazine Palais #18
Page 7: Magazine Palais #18
Page 8: Magazine Palais #18

PALAIS18

NOUVELLESVAGUES

this house Curateurs / Curators

aNthea BuYs & miKhael suBotzKY

Avec / withalexanDra Makhlouf, gorDon MaTTa-clark, serge-alain niTegeka,

MagnhilD oen norDahl, anDré Tehrani

gorDoN maTTa-clarK

CoNiCal iNter-seCt[1975]

PHoTogramme / FIlm sTIll 17 mIN. 52 sec.

© Centre Pompidou, MNAM-CCI Distribution RMN-Grand Palais / Jean-Claude Planchet

66

Page 9: Magazine Palais #18

67

PALAIS18

NOUVELLESVAGUES

magNHIlD eN NorDaHl 7°

[2012]BoIs, PeINTure / wooD, PaINT

388 × 267 × 80 cm

aNDré TeHraNI

the letter v iN various meDia 1963-1998 [2012]

collage eT verNIs sur PaPIer ; cINq Images DaNs Des caDres

recTaNgulaIres, carré eT PolYgoNal avec Passe-ParTouT /

collage aND varNIsH oN PaPer; FIve Images mouNTeD

IN recTaNgular, square aND PolYgoNal Frames wITH PasseParTouT;

resPecTIvemeNT / resPecTIvelY 22,7 × 31,7 cm, 35 × 35 cm, 34 × 34 × 34 cm

Photo : Johanna Wulf f

mIKHael suBoTzKY

moses aND griffiths[2012]

FIlm DIFFusé sur quaTre écraNs / Four-cHaNNel FIlm

vue De l’INsTallaTIoN / INsTallaTIoN vIew, gallerY IN THe rouND (graHamsTowN), 2012

Courtesy de l’ar tiste / of the artist & Goodman Gallery (Johannesburg & Le Cap / Cape Town)

Photo : Mikhael Subotzky

Page 10: Magazine Palais #18

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

aDa Curateurs / Curators

KeN farmer & CoNraD shaWCross

Avec / withconraD shawcross

84

Page 11: Magazine Palais #18

85

PALAIS18

NOUVELLESVAGUES

Considérée par certains comme la pre-mière programmeuse en informatique, la mathématicienne victorienne Ada Lovelace a travaillé aux côtés de Charles Babbage, l’inventeur de la machine analy-tique. Cette immense et complexe machine ne fut jamais achevée de leur vivant, mais si elle l’avait été, l’ère informatique aurait bien pu commencer cent ans plus tôt. Lovelace perçut le potentiel de la machine, bien au-delà du simple calcul, préfigu-rant dans ses écrits la musique assistée par ordinateur : « Encore une fois, si l’on trouvait des objets susceptibles de s’adap-ter aux opérations de notation et au méca-nisme de la machine, et dont les relations mutuelles fondamentales pouvaient s’ex-primer par celles de la science abstraite des opérations, elle [la machine analytique] pourrait agir sur d’autres éléments que les nombres… En supposant, par exemple, que, dans l’harmonie et la composition musicale, les relations fondamentales entre les sons « pitchés », à hauteur prédé-finie, soient capables d’une telle expres-sion et adaptation, la machine pourrait composer des morceaux de musique pré-cis et scientifiques de n’importe quelle complexité ou longueur 1. »

L au r i e S p i e gel , c o m p o s i t r i c e e t informaticienne, publiait en 1980 The Expanding Universe, un album pionnier créé grâce à GROOVE, système hybride analogique et numérique conçu par Max Mathews et F. R . Moore, concepteurs chez Bell Laboratories. L’utilisation de GROOVE (un acronyme pour Generating Realtime Operations On Voltage-control-

led Equipment [Générateur d’opérations en temps réel pour synthétiseurs modu-laires]) par Spiegel marquait une avan-cée révolutionnaire dans l’association de l’interaction en direct avec une logique assistée par ordinateur, impossible jusque-là avec les synthétiseurs analogiques. Spiegel explique : « Le nombre était à l’or-dinateur ce que le voltage était au syn-thé analogique, mais avec les nombres, tout le potentiel musical de la logique et des maths s’ouvrait à nous 2. » Spiegel créa ensuite son propre logiciel, l’instru-ment intelligent Music Mouse (1986), pré-curseur de Ableton Live et de Max/MSP, qui ont désormais ouvert la voie de la composition assistée par ordinateur au grand public.

En hommage à l’héritage de Lovelace et à la clairvoyance de Spiegel, Holly Herndon – doctorante au CCRMA (Center for Com-puter Research in Music and Acoustics de Stanford) et compositrice centrale du pro-jet ADA – a, à son tour, revisité l’entretien réalisé par Spiegel avec elle-même pour le livret de The Expanding Universe. Cette jux-taposition de perceptions et de potentiels de la musique assistée par ordinateur offre un aperçu de l’évolution de la technologie et d’un infini de possibles à venir.ken farMer

les soNs « PitChés » DaNs l’harmoNie et

la ComPositioN musiCaleauTo-inTerview De laurie spiegel

(1980) revisiTée par

holly hernDon (2013)

Laurie Spiegel 1980C o m m e n t d é c r i r i e z - v o u s v o t r e musique ?

Laurie Spiegel 1980Je ne la décr iera is pas. L es gens me demandent souvent de le faire, et ça me semble impossible. La musique n’est ni ver-bale ni conceptuelle. J’essaie de m’appro-cher au plus près de certaines qualités, que je trouve dans une diversité de styles, mais dont j’ai aussi constaté qu’elles n’avaient pas forcément besoin de styles connus.

holly herndon 2013Je me dérobe toujours quand les gens me demandent dans quel genre je travaille – je joue à la limite et entre deux. Je m’intéresse au potentiel expressif de la musique assis-tée par ordinateur.

L.S. 1980Tu es assez évasive sur ce à quoi res-semble ta musique. Est-ce que cela aide-rait de te demander dans quelle école de composition tu as étudié ?

L.S. 1980Beaucoup de gens m’ont aidée à apprendre. John Duarte, avec qui j’ai étudié la guitare classique à Londres, a été le premier à me pousser à composer. Quand je lui ai dit que j’écrivais un peu de musique, il m’a dit qu’en ce cas, j’étais compositrice et que si je vou-lais parvenir à composer, il fallait m’entraî-ner à écrire une pièce par jour, quelles qu’en soient la longueur et la complexité. J’ai fait de mon mieux pour suivre cette règle. Com-poser est un travail actif, et non passif. Vous ne pouvez pas vous contenter d’attendre l’inspiration. Plus tard, à Juilliard*, j’ai été choquée de voir qu’on laissait les élèves travailler une année entière sur une pièce, alors que je payais mes frais de scolarité en composant une bande-son par mois pour des séquences de films éducatifs.Je ne me suis jamais vraiment sentie à l’aise dans l’atmosphère un peu « conser-vatoire » qu’il y avait à Juilliard. Les élèves de conservatoire sont toujours très jeunes. Ils sont trop souvent là parce qu’ils sont doués pour quelque chose, plutôt que parce qu’ils aiment ça et ont envie d’en apprendre autant que possible.

h.h. 2013J’ai grandi avec le chant, le piano et la gui-tare. J’ai découvert la musique en sortant en clubs à Berlin et en jouant dans des lieux expérimentaux. J’ai eu une formation plus académique au Mills College auprès des compositeurs des débuts de la musique assistée par ordinateur, John Bischoff, Maggi Payne, Fred Frith, Chris Brown et James Fei. Actuellement, j’étudie à Stan-ford avec Chris Chafe et d’autres.Pendant des années, avant d’étudier for-mellement la musique, j’ai joué et par-ticipé à diverses cultures musicales. Je trouve très étrange que beaucoup d’étu-diants en musique n’écoutent pas vrai-ment les musiques actuelles ou ne savent rien de ce qui s’est passé dans le domaine musical depuis 1960. Certaines personnes peuvent être très confiantes à cause de leur éducation formelle sans avoir pour autant

coNraD sHawcross

the aDa ProJeCt[2013]

roBoT eN mouvemeNT / roBoT IN moTIoN

La chorégraphie du robot, un bras mécanique détourné de son utilisation dans la fabrication automobile,

est établie grâce aux algorithmes de la machine analytique et conçue comme une métaphore de la vie d’Ada Lovelace. / The choreography of the robot—a cannibalized robotic arm

used in automobile production—is based upon the mathematics behind the Analytical Engine and

conceived as a reflection on the life of Ada Lovelace.

Page 12: Magazine Palais #18

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

la fiN De la Nuit (ParTIe 1)

Curatrice / Curatormartha KirszeNBaum

scénographe / exhibition designerMarianne zaMecznik

Avec / with

kenneTh anger, Brian BuTler, oskar fischinger,

karThik panDian, sTephen g. rhoDes, Jennifer wesT

KeNNeTH aNger à musso aND FraNK, HollYwooD BoulevarD, mars 2013 / KeNNeTH aNger aT musso & FraNK, HollYwooD BoulevarD, marcH 2013

Photos : Martha Kirszenbaum

114

Page 13: Magazine Palais #18

115

PALAIS18

NOUVELLESVAGUES

KeNNeth aNger: the DarK siDe of hollYWooDinTerview : kenneTh anger par

MarTha kirszenBauM

F ig u re de l’u nderg rou nd a mér ica in, Kenneth Anger (né en 1927 à Santa Monica, vit et travaille à Los Angeles) est une véri-table icône de la contre culture califor-nienne, créateur d’une quarantaine de courts-métrages incantatoires entre 1947 et 1980, parmi lesquels Puce Moment (1947), Inauguration of the Pleasure Dome (1954) ou Lucifer Rising (1980). En 1959, Hollywood Babylone, un recueil dans lequel il fait le récit des affaires, des scandales et des coulisses du « Tout-Hollywood » des années 1910 aux années 1950, est publié tout d’abord en France aux éditions J. J. Pauvert. Proche des courants surréalistes, et plus tard mystiques, fortement influencé par la magie noire, l’occultisme et le mage britannique Aleister Crowley, Anger s’est construit une identité visuelle en creux du Hollywood des années 1940-1950, à la fois rebuté et fasciné par son flamboie-ment et par sa décadence. Pour chacune de ses réalisations, Kenneth Anger soigne la bande-son avec une précision d’orfèvre. Il est par ailleurs un des premiers cinéastes à avoir représenté explicitement à l’écran les fantasmes homosexuels, plus d’une décennie avant Andy Warhol. Kenneth Anger inf luença non seulement d’autres cinéastes, mais également de nombreux artistes visuels et musiciens, en ce qu’il a su mêler dans ses films des éléments liés à l’art, à la musique, à la culture populaire, mais aussi au théâtre et à la psychanalyse. Rencontre à Los Angeles avec un cinéaste unique et une personnalité rare.

Martha kirszenbaumJ’aimerais tout d’abord vous deman-der, Mr Anger, si vous pouvez nous décrire l’endroit où nous nous trouvons aujourd’hui et ce que ce quartier en par-ticulier représente pour vous et pour vos films.

kenneth AngerNous sommes à Musso and Frank, un res-taurant ouvert en 1919 et qui est la plus vieille enseigne de ce que l’on peut nom-mer le cœur du quartier de Hollywood. J’y ai rencontré et côtoyé de nombreux réalisateurs et acteurs au fil des années. Ils étaient généralement installés dans

la salle du fond. Je fréquente cet endroit depuis mes années de lycée à Beverly Hills High School. Il existait à l’époque un tram-way rouge, qui a désormais disparu, et qui reliait Beverly Hills à Hollywood en vingt minutes. Je le prenais pour me rendre ici, y rencontrer mes amis et manger un mor-ceau. C’était un lieu de rendez-vous *.

M.k . Vous avez grandi à Beverly Hills dans les années 1940. Votre grand-mère semble avoir eu sur vous une influence certaine, d’autant qu’elle était créatrice de cos-tumes à Hollywood.

k.A . Non, elle était costume-mistress 1, c’est différent. Elle travailla notamment sur un film avec Rudolph Valentino intitulé L’Aigle noir et eut l’idée de dupliquer tous les costumes en cas de souillure ou de déchirure af in que l’acteur puisse tou-jours êt re impeccablement vêtu. Par exemple, Judy Garland possédait six robes vichy dans Le Magicien d’Oz au cas où l’une d’entre elles s’abîmerait. Cela semble évident aujourd’hui, mais cela n’était pas d’usage à l’époque. Ma grand-mère fut donc peut-être la première à concevoir la duplication de costumes au cinéma.

M.k . Vous avez d’ailleurs fait usage de cer-tains de ses costumes dans vos films, tels que Puce Moment ou Inauguration of the Pleasure Dome ?

k.A . Elle possédait en effet une collection de costumes des années 1920. La plupart de ceux que j’ai utilisés dans Puce Moment sont des robes à sequins ayant appar-tenu aux actrices Clara Bow et Barbara La Marr ou d’autres stars de l’époque. J’ai récemment fait don d’une partie de cette collection de costumes à la Cinéma-thèque française et l’autre partie se trouve à Londres.

M.k . Vous avez vécu à Paris dans les années 1950, puis à San Francisco dans les a n née s 19 6 0, ma is vou s avez tou-jours fini par retourner à Los Angeles. Quelles en sont les raisons ?

k.A . Peut-être car il s’agit de ma ville d’origine. J’ai beaucoup d’amis ici et certains projets dont j’espère qu’ils aboutiront.

M.k . Vous êtes en train de travailler sur la troisième partie de Hollywood Babylone.

k.A . Et bien ! J’attends que quelqu’un meure.

M.k . Il paraît que quelqu’un souhaite vous faire un procès.

k.A . J’aimerais en effet que Tom Cruise dispa-raisse dans un accident de voiture, comme ça je pourrais écrire sur lui et la sciento-logie. Si j’écris sur lui maintenant, les scientologues, qui sont une étrange secte de contrôle de l’esprit, vont probable-ment m’assigner en justice, ce dans quoi je ne peux m’empêtrer au vu du coût des avocats.

M.k . D’où vous vient cette fascination pour le côté obscur et scandaleux de Hollywood que vous décr ivez da ns Holly wood Babylone ?

k.A . J’ai grandi ici. À la Beverly Hills High School j’ai rencontré beaucoup d’enfants de producteurs de cinéma. Et puis le côté obscur de Hollywood est son aspect le plus intéressant. Il s’agit évidemment d’un mélange de bon et de mauvais… et puis des tragédies, des scandales, c’est ce qui le rend excitant.

M.k . Vous décla r iez récemment t rouver Hollywood ennuyeux aujourd’hui.

k.A . Ce n’est que mon opinion. Il se peut qu’il y ait de nos jours d’excellents acteurs, mais ils ne sont pas aussi hauts en couleur que leurs prédécesseurs et ils ne semblent pas savoir se comporter avec la même originalité.

M.k . Vous dépeignez cette « bohême hol-lywoodienne » dans Inauguration of the Pleasure Dome. Il y avait notamment un certain Samson de Brier.

k.A . C’était un personnage, un de mes amis, qui vivait sur Barton Avenue, un quar-tier de Hollywood plutôt mal famé. J’ai f ilmé les intérieurs de Puce Moment et Inauguration of the Pleasure Dome dans sa maison. Samson possédait un groupe d’amis formidables et hauts en couleur que j’ai inclus dans ce film, en particulier la célèbre écrivaine Anaïs Nin.

M.k . Samson de Brier possédait une collec-tion d’objets que vous avez utilisés dans vos films.

Page 14: Magazine Palais #18

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

memorial ParK Curatrice / Curator

haeJu Kim

Avec / withTheresa hak kyung cha, sora kiM, hwayeon naM

HwaYeoN Nam

ClosiNg hours[2012]

vues De la PerFormaNce / PerFormaNce vIews

« move: oN THe sPoT », NaTIoNal museum oF coNTemPorarY arT, Korea (seoul), 2012

Courtesy de l’ar tiste / of the artist

108

Page 15: Magazine Palais #18

109

PALAIS18

NOUVELLESVAGUES

espace spectralTexTe : haeJu kiM

« Suivre le jour jusqu’à la fin.du jourdix heures vingt-trois minuitsseize heures d’avance sur l’heuredix heures vingt-deux minuitsseize heures d’avance sur l’heuredix heures vingt et un minuitseize heures d’avance sur l’heure 1 »

En 1979, Theresa Hak Kyung Cha revenait pour la première fois en Corée, pays qu’elle avait quitté dix-sept ans plus tôt. De nom-breuses langues f lottaient et s’entremêlaient dans sa tête : le coréen qu’elle n’utilisait plus depuis l’âge de onze ans, l’anglais qu’elle avait appris après avoir émigré aux États-Unis et le français qu’elle avait appris toute seule. De retour de voyage, elle réalisa Exilée (1980), une vidéo dans laquelle on entend sa voix énumé-rer l’écoulement du temps, minute après minute. Accompagnée d’une série de photographies de nuages, cette pièce suit les seize fuseaux horaires qui séparent San Francisco et Séoul, évoquant l’infranchissable fossé qui l’éloigne de son pays. Un avion qui part de San Francisco à dix heures atterrit à Séoul à quatorze heures le lendemain, après un vol de douze heures. Entre temps, où sont passées les seize heures manquantes ?

La barrière de la langue contre laquelle butta Cha, quand, très jeune, elle partit vivre dans un pays étranger, est devenue la source de ses expérimentations sur le langage. Elle a inventé une nouvelle relation aux langues et à leur signification par la recherche d’une structure linguistique inhérente aux paroles, écrits, photographies, films et images, et par l’utilisation simul-tanée de leurs formes. « En tant qu’étrangère, apprendre une nou-velle langue a abouti au stade de l’isolement forcé et conscient, ouvrant sur une autre relation à la langue, à son analyse et à son expérience, au-delà de la fonction élémentaire du langage, la communication, commune à ceux qui utilisent cette langue 2 », affirme-t-elle. Pour elle, apprendre une langue étrangère est comme jouer avec des galets. Et c’est ainsi qu’elle crée des œuvres.

En juillet 2012, alors que l’été était exceptionnellement chaud, Hwayeon Nam transforma le National Museum of Contemporary Art, Korea en musée de nuit. Closing Hours ouvrit ses portes à l’heure de fermeture habituelle du musée. Un modeste bureau d’information, installé discrètement à l’intérieur du musée durant la journée, était déplacé devant la porte principale et bril-lait dans l’obscurité. Ceux qui lurent attentivement l’invitation qu’ils avaient reçue du musée de jour eurent la chance de pouvoir découvrir le musée de nuit, mais la plupart des visiteurs étaient habitués au fonctionnement classique du musée, qui dissociait le jour de la nuit. Que se passa-t-il dans le musée de nuit ? Malgré l’installation d’un simple dispositif luminescent, l’immense bâti-ment se trouvait plongé dans l’obscurité. Derrière le nouveau bureau d’information, le véritable musée se trouvait transformé en espace de stockage, illustrant la métaphore selon laquelle « le musée est le tombeau de l’art ».

Durant l’hiver dernier, particulièrement rigoureux, Sora Kim traça l’orbite des événements répétitifs du quotidien avec

A Circular Movement of One Point around Another. Un homme emprunta chaque jour le même chemin autour de l’ancien com-plexe de la gare de Séoul transformé en hall d’exposition. Qu’il pleuve ou qu’il vente, il effectuait ce trajet d’une heure : quit-tait l’espace d’exposition, marchait lentement, traversait la rue, heurtait un passant avant de revenir à son point de départ. Un an plus tôt, en 2011, on avait proposé à Sora Kim d’installer ses œuvres dans ce même espace d’exposition. Elle avait carte blanche : elle pouvait présenter n’importe quelle œuvre dans n’importe quel espace. Mais l’artiste, qui connaissait bien l’en-droit, décida, après mûre réflexion, de n’exposer aucune œuvre. À la place, elle imprima sur des feuilles la description d’un cer-tain nombre d’œuvres qu’elle avait l’intention de créer, avec pour titre Unrealized Works (2011), et les afficha au mur. Voici l’une d’entre elles : « Les œuvres se trouvent le plus souvent en situa-tion d’être montrées. Je me suis donc demandée ce qui se passe-rait si, au contraire, je réalisais une œuvre qui observe le public. Tout d’abord, il me faudrait dissimuler le corps de l’œuvre et, de ce fait, trouver un lieu approprié s’avérait primordial. Toutefois, ne parvenant pas à décider comment et avec quoi fabriquer la forme de son corps, cette œuvre est restée inachevée. »

Le terme de « performativité » est souvent associé à celui de « performance » et parfois considéré comme synonyme de ce der-nier. Un acte performatif, cependant, est plutôt un acte qui donne vie à une chose par la déclaration ou la mise en scène de cette chose. La théorie du discours (partie de la philosophie du langage) définit le performatif comme une expression qui ne se contente pas de décrire passivement une réalité donnée, mais vient modi-fier la réalité (sociale) qu’elle décrit. L’énonciation performative réalise le fait, changeant ainsi la situation par l’appréhension de son contexte ou le but de son énonciation, plutôt que par le juge-ment sur l’authenticité des faits. Le langage performatif est à la fois révélation et promesse. C’est une prophétie qui annonce ce qui va se passer et décrit le processus « à venir » dans le fait avéré lui-même.

Tout ce qui est dit se déroule dans le temps et s’écoule avec le temps. La mémoire retrouve son sens par des moyens linguis-tiques. Dès lors, la langue devient le fondement du mouvement qui régénère la mémoire. Langues étrangères incomplètes, écri-ture performative, partitions d’un mouvement répétitif, scénario des souvenirs, toutes ces propositions façonnent la carte instable de « Memorial Park ».

On trouve souvent dans les grottes un lac en formation, dans lequel vivent des poissons aux yeux atrophiés. « Memorial Park » existe dans un monde que nous ne voyons pas, mais où nous pouvons nager.Traduit par Aude Tincelin

1 Theresa Hak Kyung Cha, « Exilée », in Hôtel (Tanam Press, New York, 1980) p. 141. Ce texte correspond à la transcription de la voix off de la vidéo éponyme. L’artiste utilise sciemment le mot français « minuit » au lieu de « minute ». 2 Theresa Hak Kyung Cha, « Personal Statement and Outline of Independent Postdoctoral Project », c. 1978, Cha Archive.

Page 16: Magazine Palais #18

154

Page 17: Magazine Palais #18

17 ¹ ⁄² 7 ¹ ⁄²No. 7 ½

JourNal oN ExhibitioN MakiNg | CahiErs dE l’ExpositioN JuNE/JuiN 2013

THE

EXHIBITIONIST

155

Page 18: Magazine Palais #18

26

The Exhibitionist

Michel AphesberoLeaflets designed for Expo Johnny Hallyday, C.A.P.C., Bordeaux, France, 1979

182

Page 19: Magazine Palais #18

27

In November 1978, Jean-Louis Froment, director of the art center C.A.P.C. in Bordeaux, began a letter to Johnny Hallyday: “Monsieur, I don’t know if you are aware of the exhibition that we are preparing, and of which you are the subject?” The letter addressed the singer as “a societal catalyst” for a sonic and visual history that “belongs to the ‘history at large’ across which social movements—the fashions, the changes, the traditions—inscribe them-selves. Through your public work you embody many of these mirrors.”1 The “we” in the letter refers to Froment and the artist and graphic designer Michel Aphesbero; the two of them conceived the project in an unbridled moment. Expo Johnny Hallyday, which opened in January 1979, was their ambiguous homage to the icon. At the time, Hallyday had been in show business in France for 20 years. He was perceived as a legend, a cultural phenomenon. But he was, at that time, an unlikely subject for an exhibition. The high/low divide was still the institutional order of the day, and the performer in question wasn’t Bob Dylan or some other anti-establishment rock ‘n’ roller ripe for subcultural reappropriation. In the bigger picture, the idea of youth as a class had faded since May 1968, with youth culture becoming politically defused in the pro-cess. In terms of theory, new models for aesthetic analysis were unavailable, or didn’t yet resonate in France (Aphesbero and Froment were unfamiliar with cultural studies). It was the aftermath of punk, and not yet the 1980s. Hallyday himself was a chimerical sign, strange and Frenchy. He had appeared in the postwar era, when the national self-esteem grew as France became a nuclear state, and yet everything about him was traced from read-ily available Americana. Still, if Hallyday was not authentic, he was at least a national simulacrum and hence one with historical depth in an American century. Elvis cannibalized by French DNA. In the words of Véronique Mortaigne: “Behind the screen of his blue eyes, Hallyday hides a French unconscious.”2

bOP! ewOP! revisiting expO JOhnny hallyday

Lars Bang Larsen

1. Johnny Hallyday didn’t respond to Froment’s letter. One month after the exhibi-tion, Hallyday played a gig in Bordeaux. Aphesbero met him in a restaurant after the show and presented him with the exhibition’s idea. Hallyday replied, “If I’d known, I’d have lent you more things.”

2. Véronique Mortaigne, JH, le roi cache (Paris: Don Quichotte, 2009).

Lars Bang Larsen

183

Page 20: Magazine Palais #18

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

32

The Exhibitionist

« Monsieur, Je ne sais pas si vous avez été informé de l’exposition que nous préparons, et dont vous êtes le sujet ? » C’est ainsi que Jean-Louis Froment, directeur du centre d’art du CAPC de Bordeaux, commençait une lettre adressée à Johnny Hallyday en novembre 1978. La lettre parlait du chanteur comme d’un « catalyseur d’une société », racontant une histoire sonore et visuelle qui « demeure “de l’histoire tout court” à travers laquelle s’inscrivent les mouvements de société, les modes, les chan-gements, les traditions. Vous êtes par votre travail public beaucoup de ces miroirs

1. » Le « nous » de la lettre renvoie à l’institution qui l’invite, à Froment et à Michel Aphesbero, artiste et graphiste. Tous deux avaient conçu le projet dans un moment d’exalta-tion. Expo Johnny Hallyday, qui ouvrit ses portes en janvier 1979, représentait leur hommage ambigu à l’icône. À l’époque, Hallyday était dans le show-bu-siness français depuis vingt ans. Il était perçu comme une légende, un phénomène culturel. Mais il était aussi un sujet d’exposition assez improbable. La fracture entre haute culture et basse culture était encore constitutive de l’ordre institutionnel de l’époque, et cet interprète n’était ni Bob Dylan ni un autre rockeur contestataire propice à la réap-propriation culturelle. D’une façon plus générale, la notion de jeunesse en tant que classe avait perdu de sa force depuis Mai 68, la culture des jeunes s’étant depuis neutralisée politiquement. En termes de théorie, de nouveaux modèles d’analyse esthé-tique n’étaient pas disponibles ou n’étaient pas en-core répandus en France. (Aphesbero et Froment n’étaient pas encore familiarisés avec les études culturelles.) C’était les lendemains du punk, mais pas encore les années 1980. Hallyday lui-même était une représentation chimérique, étrange et frenchy. Apparu durant l’après-guerre, lorsque l’amour-propre national se rétablissait à mesure que la France s’imposait comme une puissance nucléaire, et pourtant tout chez lui était calqué sur ce qu’il y avait de plus im-

médiatement disponible dans la culture pop amé-ricaine. Cependant, si Hallyday n’était pas authen-tique, il n’en restait pas moins un simulacre national et possédait de ce fait une profondeur historique dans un siècle américain. Elvis cannibalisé par de l’ADN français. Selon l’expression de Véronique Mortaigne : « Derrière l’écran de ses yeux bleus, Hallyday cache un inconscient français

2. » Selon la scénographie pensée par Aphesbero et Froment, l’exposition se déployait en six galeries dans le CAPC, un vieil entrepôt pour les denrées colo-niales. Suivant une chronologie rock, l’exposition commençait avec le début des années 1960. Les galeries un et deux étaient conçues dans l’esprit du Golf Drouot, le premier lieu rock ’n’ roll mythique parisien. Sur fond de murs citron baignés d’une lumière jaune étaient installés des juke-box et des billards électroniques (cinq balles pour vingt cen-times), des guitares électriques suspendues (égale-ment à la disposition du public) ainsi que le fameux Scopitone, un juke-box qui associait l’image au son, apparu au début des années 1960 dans les bars et fêtes foraines et diffusant des films de rockers ve-nus du Royaume-Uni et des États-Unis

3. La galerie trois présentait les symboles repré-sentatifs de Johnny. Le photographe rock Jean-Ma-rie Perier prêta pour l’exposition une photo de fan de Hallyday

4. Elle fut placée dans une vitrine, dans laquelle un diorama à échelle un reconstituait les éléments de l’image : entre autres objets fétiches, une Harley Davidson (« l’amour de Johnny pour la vitesse »), une affiche de James Dean (« toujours son idole ») et le Coca-Cola (« sa boisson préférée

5 » . Il y avait également dans la galerie trois un tas de pommes de terre. « Johnny adore la purée ! » La galerie quatre portait sur les yé-yé, version francophone de « yeah yeah », et terme désignant la culture des jeunes qui s’était constituée autour du rock ’n’ roll, de la musique et de la mode, du début des années 1960. Toute la discographie de Johnny était affichée au mur peint en bleu, blanc, rouge. Au sol, un « tapis » de couvertures de journaux et de

bOP! ewOP! revisiter l’expO JOhnny hallyday

Lars Bang Larsen

188

Page 21: Magazine Palais #18

PALAIS18

NOUVELLESVAGUES

33

Lars Bang Larsen

magazines à sensation, présentant les aventures de l’avatar médiatique de Johnny le flamboyant. Galerie cinq : mythologies. Sur de vastes pan-neaux aux cadres pailletés étaient accrochées des affiches conçues par Aphesbero. Elles représen-taient des thèmes de la vie de Hallyday – la Cali-fornie, l’armée, le mariage et le flip (en référence à une tentative de suicide) – froidement ponctués d’onomatopoésie rock : « bop », « ewop », « tutti frutti ». Au milieu de la salle : des vitrines contenant des costumes de scène prêtés pour l’exposition par le plus important fan club de Paris. Une machine à fumée créait une atmosphère de club. Galerie six. Murs lamés argent, scintillants sous les stroboscopes et les lasers. Une exposition de disques d’or, prêtés par la maison de disque de Hallyday. Vingt-quatre moniteurs diffusaient le concert légendaire de 1976 au Palais des sports. Trente-deux grands panneaux en Plexiglas déli-mitaient le périmètre des galeries, présentant des collages avec des effets personnels de Hallyday : affiches, pochettes de disques, albums. Le jour du vernissage, voitures de sport et motos – de même modèle que celles appartenant à Johnny – furent garées à l’extérieur du CAPC

6. En somme : tout sur Johnny Hallyday dans un établissement artistique sans art et, bien sûr, sans Johnny lui-même. L’exposition se passait de théo-rie et de commentaire – et même de communiqué de presse. Un simple carton d’invitation, sur le de-vant duquel flottait la star de l’exposition avec des cheveux blonds criards. Selon le magazine d’ados Starstory – jubilant que Johnny soit désormais « comme la Joconde et Picasso » –, l’exposition attira durant les trois premiers jours d’ouverture plus de six mille visiteurs venus de la France entière et l’es-sentiel des fans de Hallyday à l’étranger. Comme l’écrivait un journal à propos de l’ex-position : « Ici, on ne démythifie pas

7. » Si Roland Barthes avait osé s’aventurer sur ce terrain, il aurait peut-être constaté que Hallyday appartenait à la même mythologie nationale joyeuse que le vin et le bifteck. En effet, le mythe était né indépendamment de l’homme qu’il était censé désigner. Les hymnes rock joués au CAPC résonnaient dans le silence d’un mausolée qui ne devait jamais être occupé par l’individu au centre du culte qu’il reproduisait. Une pure architecture privée de son essence, et d’autant plus évocatrice de ce fait. La mise-en-scène pince-sans-rire de Froment et Aphesbero semblait suivre l’orthodoxie du pop art. Mais ils manipulaient un signe qui était non

seulement suridentifié dans la culture populaire mais déjà incongru. Hallyday était un signe si éculé qu’il ne pouvait que se transformer en hiéroglyphe. Comme les fausses muséologies de Marcel Brood-thaers, Expo Johnny Hallyday provoquait un dépla-cement – entre la valeur culturelle et le signe, et entre l’institution et son objet – d’autant plus dyna-misé par le spectacle même de l’exposition. Frédé-ric Edelmann, journaliste au Monde, s’interrogeait sur la dimension ironique de l’improbable exposi-tion : « S’agit-il d’art, de musique pop, de sociologie ou de quelques autres ingrédients

8 ? » Écrivant quelques années plus tôt dans son livre séminal Inside the White Cube, Brian O’Doherty aurait pu définir ce sanctuaire à Hallyday comme un « geste » : une utilisation de l’espace d’exposition comme matériau artistique qui « n’est peut-être pas art mais presque-art et […] vit d’une presque vie qui tourne autour et à propos de l’art

9 ». Un même processus d’abstraction s’appliquait au modèle revendiqué par Aphesbero et Froment – modèle indifférent à l’espace du musée comme lieu hié-rarchique et transparent. Un geste curatorial, alors, qui manifestait un schisme culturel que l’institution n’avait pas encore formulé. En ce sens, la plaisanterie concernait autant le CAPC que Hallyday. Expo Johnny Hallyday transfor-mait délibérément le CAPC en « une attraction tou-ristique d’une certaine importance » sur laquelle Umberto Eco écrivit de manière extrêmement cin-glante, utilisant comme exemple les musées de cire américains

10 . Mais ce traitement de choc à coups de pure inauthenticité fut administré au white cube afin qu’il puisse démultiplier ses liens avec une réa-lité prête pour les archéologies de la culture popu-laire. Froment et Aphesbero réussirent-ils, alors, leur tentative de réorienter l’institution artistique vers la culture visuelle ? La puissance du geste tient dans le fait de son unicité. Comme une embuscade faite au white cube, il fonctionne grâce à la force de son caractère explosif et singulier. Mais c’est aussi là sa limite, car le savoir qu’il pointe se situe dans l’avenir. O’Doherty écrit que les gestes sont instinc-tifs ; « ils ne procèdent pas d’une pleine connais-sance de ce qui les motive

11 ». Parce qu’il dépend de la capacité des futurs lecteurs à transmettre un savoir encore indisponible, il est facilement mal interprété ou oublié. Il n’y eut aucune réponse critique dans les médias spécialisés. Pour Edelmann, l’un des rares commentateurs à considérer Expo Johnny Hallyday

189

Page 22: Magazine Palais #18

PALAIS18

NOUVELLESVAGUES

229

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

Nouvellesvagues

DaNs tout ParisNouvelles

vaguesall over ParIs

aveC le soutieNDu Comité ProfessioNNel

Des galeries D’artwiTh The supporT of

The coMiTé professionnel

Des galeries D’arT

Page 23: Magazine Palais #18

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18

228

NOUVELLESVAGUES

PALAIS18