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  • UNIVERSITE PARIS-VII VINCENNES ST-DENIS

    UFR ARTS, PHILOSOPHIE, ESTHETIQUE DEPARTEMENT DE MUSIQUE

    LA STRUCTURATION DU SOLO DE BATTERIE IMPROVISECHEZ MAX ROACH DANS LE CADRE DU QUINTETTE

    CLIFFORD BROWN-MAX ROACH(1954 56)

    MAITRISE PAR LAURENT BARON

    DIRECTEUR DE RECHERCHE : Monsieur Philippe MICHELANNEE UNIVERSITAIRE 2002-2003

  • Introduction

    Max Roach est sans doute le principal pivot de toute lhistoire de la batterie.Vers lui convergent lexactitude de Cozy Cole, la virtuosit de Gene Krupa, la souplesse deJo Jones, la sche nergie de Buddy Rich, la puissance et la finesse de Catlett dont il advelopp les conceptions mlodiques. 1

    Gomtre de la mesure, algbriste du rythme, Max Roach est le plus grand mathmaticiende la batterie de jazz. Mais cest un mathmaticien pervers, dont les dmonstrationsimplacables conduisent toujours au rsultat que lon nattendait pas.Par le vacarme, il sculpte le silence. A force dintelligence, il clbre la sensualit. Dans lafroideur, il met le feu aux poudres. Au bout du calcul, il trouve la dmesure. Au bout de laconnaissance, la draison. Mad Max. 2

    Passionn et lucide, confiant et insatisfait, Max Roach est au jazz ce que Ren Char est laposie : sa grandeur est fraternelle, son art, notre mesure. 3

    Max Roach batteur pote 4, Max le mlodiste 5, l algbriste 6, l architecte durythme , Max le rebelle 7, le rvolutionnaire 8, Mad Max

    Que de noms, que de surnoms sortis de limagination des spcialistes, critiques, journalistes etpotes du jazz ! Quon les prenne pour argent comptant ou quon en questionne la pertinence,ces mots rvlent plusieurs choses sur la perception de ce batteur unique quest Max Roach :le lyrisme, la passion, la rflexion et la construction, lengagement.Mais, au-del de ce prestige, quen est-il de Max Roach, vritablement ?Une consultation de louvrage chronologique Chronique du Jazz voit apparatre rgulirement

    1 REDA Jacques, Autobiographie du Jazz in Les gnies du jazz, vol 4, article Max Roach ,

    p. 1582 GERBER Alain, article Max Roach, "Algbriste du rythme" -le 3 festival de jazz de

    Paris , 30 octobre 1982, in Portraits en Jazz,, p. 262, ditions Renaudot et Cie, 3 JALARD Michel-Claude, Max Roach Paris un pote de la batterie , Jazz Magazine no

    58, avril 1960, p. 154 JALARD Michel-Claude, op cit, pp. 14-15

    5 PACZYNSKI Georges, Une histoire de la batterie jazz, -Tome 2, p. 87, ditions Outre

    Mesure6 GERBER Alain, Portraits en jazz, p.262

    7 BALEN Nol, Lodysse du Jazz,, ditions Fayard

    8 ROSSI Christophe, Max Roach le rvolutionnaire , Batteur Magazine no 20, mai-juin

    1989, pp. 46-47

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  • le nom de Max Roach partir de 1945 (1945, 47, 1952-53-56-57-58-60). On peut galement yvoir affirm qu entre les mains des Kenny Clarke et des Max Roach, les solos de batteriedeviennent des vnements labors, lgal des instruments mlodiques .Les sources dont nous disposons ici, en France, pour le jazz, et en particulier pour la batterie, la notable exception de George Paczynski, sont rarement des sources musicologiques, maisplutt journalistiques. Voyons ce que pense de Max Roach un musicien et batteur amricain,Kenny Washington : Le jazz est semblable une course de relais : un athlte court un touravant de passer le bton au prochain coureur, qui fait son tour de mme pour le prochain.Un grand batteur dcouvre quelque chose de musicalement unique, et peu aprs il le transmet(passe sa baguette) au prochain musicien inspir. Je suis bien plac pour le savoir. Je suis undes enfants de Max Roach. 9Il ajoute, plus loin, Max est, sans aucun doute, un des plus grand solistes de tous lestemps. Le critique amricain Rafi Zabor semble abonder dans cette direction quand il affirme aucun individu na eu sur aucun instrument une influence aussi dcisive que Max Roach surla batterie ces trente dernires annes. 10

    Max Roach, un des batteurs-cls de lhistoire du jazz

    Sans aller jusque-l, il faut avouer quil est difficile, si lon sintresse au be-bop, dignorer lenom de Max Roach. Ayant accompagn Charlie Parker, Dizzie Gillespie, Thelonious Monk,Miles Davis, Bud Powell, J.J. Johnson et dautres encore, il est un acteur essentiel de cettepriode et de ce milieu du jazz.Disciple de Kenny Clarke, il fut un des premiers batteurs faire du be-bop. Avec CharlieParker, il participa la diffusion du style lors de nombreuses sances denregistrement. Limportance de Max Roach est telle que le guitariste Barney Kessel affirme : Sid Catlettfut le dernier des batteurs de swing. Pour moi, Max Roach est le premier batteur de be-bop.Kenny Clarke fut le pont. 11

    Mais si Max Roach occupe une place importante dans lhistoire de la batterie et de la musiquede jazz, ce nest pas seulement parce quil a propag, lors denregistrements avec CharlieParker de 1945 1953 environ, le nouveau style daccompagnement et de fonctionnement dela batterie dans la section rythmique mis en place par Kenny Clarke. Lors de sa carrire, il agalement fait gagner au batteur une respectabilit et un statut de musicien part entire,capable de jouer de plusieurs instruments, de composer et darranger, matrisant les formes etlharmonie. Son travail au sein du quintette co-dirig avec Clifford Brown (1954-1956) estcrucial de ce point de vue : en plus dtre un accompagnateur puissant, Max Roach simposecomme un leader et un des solistes obligs de la formation, chaque morceau lui donnantloccasion dexposer et dexplorer un mode dimprovisation soliste qui, mon sens,nappartient qu lui.

    9 WASHINGTON Kenny, Notes de pochette du disque Alone Together The Best Of The

    Mercury Years ; Clifford Brown and Max Roach , 199410

    ZWERIN Mike, Max Roach: From Hip Hop to Bebop , 14 January 1999, sitewww.culturekiosque.co/jazz/miles/rhemile29.html11

    http://members.tripod.com/ ~hardbop/roach.html

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  • Confront la musique du quintette et au jeu de Max Roach il y a quelques annes, jaitoujours souhait, afin de mieux jouer moi-mme, en approfondir la connaissance et tenter demieux les comprendre. Cest pourquoi jai choisi de mintresser en particulier cette priodecratrice de Max Roach quest celle du quintette Clifford Brown - Max Roach.

    Mthodologie

    Parmi les principaux outils que jai employs, jai eu recours au corpus livresquejazzistique, cest--dire aux livres et magazines faisant mention de ou contenant une entrevuede Max Roach.Je dois ds lors prvenir que je fais un usage important de citations, en particulier de citationsde Max Roach, afin dillustrer laspect conceptuel -cadre et guide du geste musical- de sonjeu. Presque toutes ces citations sont postrieures la priode tudie, mais je considre, auvu de ce quoi elles renvoient, quelles sont gnralement plus des commentaires que desprojets. Max Roach est une force au prsent, et je fais lhypothse que si les ides quil abordentaient pas clairement formules lpoque, elles taient nanmoins bien prsentes dans sonjeu : quelques allers-retours entre les relevs et les citations permettent de valider cettehypothse.galement, tant donn la relative absence de biographe et danalyste, ainsi que le srieuxapparent, le ct rflchi, lexprience de lenseignement et les qualits danalyse et desynthse qui en dcoulent souvent - de Max Roach jai dcid, au vu de plusieursrecoupements probants, de faire de Max Roach ma principale source dinformation sur sa vie.Car mme sil peut dformer, oublier, mlanger ou manquer de cohrence -ce qui seraittonnant, car il travaille depuis plusieurs dizaines dannes sur un ouvrage caractreautobiographique-, - je nai trouv personne de mieux inform que lui. Par ailleurs, plutt que reformuler, et au risque daccumuler les citations, jai prfrconserver la lettre et lesprit des dclarations de Max Roach.

    Jai galement eu recours des mthodes et ouvrages traitant spcifiquement delhistoire et des techniques de la batterie, afin dapprofondir laspect conceptuel du jeu et demieux situer techniquement Max Roach dans lhistoire de la batterie de jazz.

    Jai consult autant denregistrements de Max Roach quil ma t possible de trouver,et cela avec divers artistes avant et aprs la priode tudie, ainsi, bien sr, quau sein duquintette Clifford Brown - Max Roach.Je me dois de souligner la source prcieuse dinformation quont t les pochettes de cesdisques, qui mont souvent apport des lments de contexte et des commentaires ou analysesinstructifs quant lenregistrement et lesprit qui y a prsid. Sans toutes les citer, et sanspouvoir toutes les rfrencer correctement, javoue quelles mont t une aide prcieuse.Au sujet des documents sonores, jaurais aim approfondir ltude des partenaires de MaxRoach de la priode (en particulier Clifford Brown et Sonny Rollins) au-del de lcoute et dela consultation de biographies et essais critiques, et ce afin de mieux comprendre lesinteractions de leur jeu avec celui de Max Roach. Jai dailleurs trouv sur Internet les relevsdes solos de Clifford Brown sur Parisian Thoroughfare et Joy Spring (master take) mais outre le fait que je sortirais probablement du cadre de mon sujet- mes qualifications enimprovisation mlodique tempre, mes connaissances relatives leurs instruments et mon

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  • aptitude moyenne de relev mlodique ne me permettraient pas dapprofondir vritablementltude de leur jeu. De ce fait, et comme aucune influence directe ne sest impose mesoreilles, je suis rest dans loptique de considrer les solos de Max Roach comme des objetsmusicaux complets et indpendants des autres improvisations.Dautre part, mes recherches denregistrements ont t limites quant aux priodes antrieureset postrieures celle tudie. Pour cette dernire (1954-56), je ne me suis pas intress enprofondeur la totalit des enregistrements du quintette, parfois pour des problmes deressources, parfois par choix.

    Enfin, jai eu recours un certain nombre de relevs de solos de Max Roach de lapriode tudie. La plupart des relevs sont de mon fait, mais jai recours certainestranscriptions effectues par George Paczynski (in Une histoire de la batterie de jazz Tome2 : le bebop : la voie royale et les chemins de traverse), qui sont clairement indiques quandjy ai recours. Jai le sentiment quun travail sur la structuration de limprovisation soliste chez Max Roachse doit de faire un usage extensif de relevs. Sans cet outil, on serait en effet condamn rester un premier niveau danalyse en grande partie biographique et conceptuel, dont lerelev est lindispensable complment. Les relevs permettent dapprcier, au niveau du gestemusical abouti, les lments caractristiques du jeu de Max Roach, tant du point de vue de lasyntaxe et du jeu sur la forme que du point de vue du vocabulaire et des matrices rythmiqueset mlodiques de celui-ci. Bien quil et t intressant de relever lintgrale des solos de batterie de Max Roach ce quiaurait cependant t long et fastidieux (les 4 minutes 30 de Mildama et les 6 grilles de SweetClifford viennent lesprit)- jai choisi de mattacher raliser un programme particulier, enoprant selon les principes mthodologiques suivants : . relever un solo au moins dans chacune des principales formes employes (32 mesuresAABA, 32 mesures AA, blues). avec et sans changes pralables (galement relevs, avec le rythme des interventions despartenaires de Max). divers tempi. diverses priodes de lexistence du quintette (1954, 55 avec Harold Land au saxophonetnor, 1956 avec Sonny Rollins sa place). en tenant compte des particularits du solo, quil sagisse dun usage (exceptionnel) desbalais (Joy Spring) ou des mailloches (Delilah) ou de modalits dimprovisation originales(par exemple dune improvisation caisse-claire grosse caisse sur la premire grille de SweetClifford , ou dune improvisation caisse-claire, cymbale et charleston sur la premire grille deLove Is a Many Splendored Thing). en comparant les solos de deux prises dun mme morceaux (ce qui ma permis, dailleurs,dtre sr que Max Roach improvise bien ses solos).Sans pour autant relever le dtail des solos, jai galement relev la trame dimprovisations(organisation, carrures et matriau) sur des formes plutt marginales, comme le 64 mesuresAABA (Cherokee), ou le 48 mesures ABA (3 fois 16) (Ill Remember April).Afin dapprcier le travail sur la forme, on trouvera en annexe, en complment des relevs desolos, des relevs de chaque thme (mlodie du thme et trame harmo-rythmique, issus dedivers Real books).Si on regarde la liste des relevs, il apparat que jai relev beaucoup de solos de la premire

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  • priode du quintette (1954-55), et ce pour plusieurs raisons : tout dabord parce que jaivoulu, afin de pouvoir constater lvolution, la continuit et loriginalit du jeu de Max, cernerles bases sur lesquelles il travaille avec une batterie avec toms et depuis ses enregistrementsavec Charlie Parker ; ensuite, parce que les tempi de la dernire priode sont souvent trslevs, ce qui rend la transcription difficile ; enfin, je dois lavouer, parce que ces solos de la premire priode mtaient plus familiers.Il est tout fait possible que ces relevs contiennent quelques imprcisions ou fautes, mais ilssont le rsultat dun travail long, systmatique et mticuleux. En tant quapproximations (cequest ncessairement un relev), ils se veulent de fiables approximations. Il va sans dire quilest crucial de se reporter aux enregistrements pour dcouvrir les solos dans toute leur richesse.

    Avant den arriver lexpos des rsultats de mon travail, je me dois de reconnatre que monapproche a ses limites. En effet, en ce qui concerne la structuration des solos de Max Roach,et pour le dire aussi platement que possible, je nai pu envisager que ce que ma propreexprience me permet denvisager : ce travail est le travail dun tudiant et apprenti batteur, eten ce sens est limit par la comptence et les conceptions personnelles de son auteur quant linstrument et les facteurs intervenant dans limprovisation. Comme je lai mentionn plushaut, jai indiqu dans la bibliographie quelques-uns des principaux ouvrages pdagogiquesme servant dans ma formation musicale la batterie. Dautre part, on peut noter que jai fait limpasse sur les solos de lalbum Sonny Rollins + 4,pourtant enregistr durant la priode tudie par les membres du quintette. Je lai fait, entreautres, afin dviter le solo de Valse Hot, le premier solo enregistr de Max Roach troistemps, car jestime que lusage des mesures trois temps et autres mesures impaires estdavantage rattache la suite de la carrire de Max Roach ; au vu de leur marginalit dans lapriode, jai donc prfr viter de les analyser.

    Dans une premire partie, jai dcid de mintresser tout ce qui pourrait nous aider comprendre la priode tudie. Dans cette optique, je commencerai par considrer la vie delartiste dans sa globalit, afin de mieux comprendre lhomme ainsi que le contexte et lesparticularits de la priode tudie ; puis je minterrogerai sur sa formation, ses influences,avant de tenter de dresser un portrait de sa personnalit musicale ; pour finir cette partiejessaierai de suivre la gense de son style, en mintressant son jeu en solo et sa place lorsdes enregistrements avec Charlie Parker.Dans une deuxime partie, je passerai la priode tudie et mintresserai plus en profondeurau groupe et ses ralisations avant dinterroger directement le jeu de Max Roach afin detenter den saisir les principes.

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  • I) PREMIERE PARTIE :ELEMENTS DE CONTEXTE

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  • A) lments de biographie

    Je me suis mari quatre fois. Jai vcu. Jai travaill avec les plus grands et ce ds monadolescence. Quand jai voulu enseigner, je lai fait. Jai toujours fait des choix, personne neme dit ce que je dois faire. 12Max Roach

    Pour raliser cette partie, jai dcid de mappuyer sur la biographie qui ma sembl la pluscomplte et synthtiquecelle du Dictionnaire du Jazz- en la corrigeant, ltoffant et laremaniant sur la base des autres biographies et citations caractre biographique que jai putrouver.Je permets de convoquer de multiples reprises le principal intress de cette biographie parle biais de dclarations recueillies dans divers ouvrages et magazines.

    1) Lenfance et les dbuts

    Bonjour. Mon nom est Max Roach et je suis n aux Etats-Unis dAmrique au cours delanne 1924. Ma famille a migr du Sud Profond plus prcisment la Caroline du Nord-vers New York plus prcisment Brooklyn. Et cest l que jai commenc prendre mesleons de musique et couter la musique qui ma prpare devenir ce que je suisaujourdhui.Ma mre est chanteuse de gospel, et ma tante pianiste dglise. Lappartement dans lequelnous avons emmnag New York avait un piano mcanique. Nous avons appris en faisantjouer des rouleaux, en utilisant les pdales, et en coutant ainsi la musique de gens commeJelly Roll Morton, Scott Joplin, Fats Waller, Willie The Lion Smith, etc 13

    Ses dbuts musicaux sont lis dabord aux activits de lEglise de la Concorde, puis cellesde lcole quil frquente. Son environnement familial favorise galement son apprentissage,et lui permet de voir la fois des concerts de jazz et de musique classique Europenne.Arthur Taylor : Comment as-tu commenc tintresser la musique ? Max Roach : Jai commenc la musique lEglise Baptiste de la Concorde. Cela sestpass durant les ts, alors que mes deux parents travaillaient. Cela ressemblait ce quilsappellent les aujourdhui les centres ars, mais ctait lglise qui soccupait des enfants.Cest l que jai commenc mintresser la musique, sept-huit ans. Il y avait une tantevivant la maison qui tait pianiste dglise. Elle nous a appris, mon frre et moi, laporte et lharmonie au clavier servant jouer de la musique religieuse (spiritual music).Cest dans cette mme glise que jai commenc mintresser la batterie, et jaicommenc tudier srieusement la musique. Puis jai pris la dcision de faire de la musiquema profession. Jai continu tout au long du lyce, avant daller la Manhattan School OfMusic. 14

    12 PEREMARTI Thierry Max Roach Free drum now suite Jazz Hot no 474, mai 1990, p.

    2413

    Vido Max Roach Jazz Collection, 198914

    TAYLOR Arthur, Notes and Tones-Musician to Musician Interviews, entrevue Max Roach,p. 113, ditions Da Capo Press

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  • Max est alors fascin par les big bands de Duke Ellington, Count Basie, Chick Webb.Sur les conseils de sa mre, aprs avoir pratiqu la clarinette, il abandonne le bugle pour labatterie. Mon premier instrument fut le piano, puis la trompette et la clarinette, et enfin la batterie.Jai grandi avec Bud Powell, alors pas question de jouer du piano ; aprs, jai rencontrDizzy Gillespie et Parker, Miles, mes espoirs de devenir saxophoniste ou trompettiste ont tbalays. Mais jadore la batterie, jy ai consacr tout mon temps . 15

    Il commence assez tt jouer dans les fanfares, comme on la vu dabord en qualit detrompettiste et de clarinettiste, puis enfin de batteur et percussionniste. lpoque, les colesdispensent des cours dinstrument aux lves, qui ont le droit de les ramener chez eux afin desentraner.Je pense quon peut dire que jai vraiment commenc jouer dans les fanfares lge dehuit, neuf ans cest--dire vers 1931,1932-33, et ce jusquau lyce, o jai commenc jouerla musique de Count Basie, Duke Ellington et dautres gens comme a, lcole. (appui)16

    Tout jeune, il frquente Bud Powell, qui est un de ses amis, et pratique une grande diversit destyles musicaux. Jazz Hot : Vous avez t un des premiers accompagner Bud Powell. Dans quellescirconstances ?Max Roach : On se connaissait tout gosse. On habitait Harlem. On jouait tous les deux dansles dancings o les filles distribuaient des tickets dix cents la danse. Les gens achetaientleurs tickets, les filles les ramassaient et ctait parti pour un tour. On jouait une chanson la minute, dans tous les styles de danses. Ctait de vrais petits jobs pour nous, on apprenaitcomme a un tas de choses. Toujours sadapter. Ctait une sacre cole. 17

    Il reoit sa premire batterie lge de douze ans avant de commencer des tudes depercussion classique, thorie musicale et composition la Manhattan School of Music.

    Son premier engagement vritablement professionnel lui est fourni par Louis Jordan au dbutdes annes 40 ; plus tard, Max se souvient de ses dbuts comme dune priode de grandeactivit, qui lui a permis daborder une grande diversit de styles musicaux. Tout jeune dj, je jouais avec des marching bands, des orchestres symphoniques. Jefaisais du rhythm and blues un soir, le lendemain jtais avec Louis Jordan, aprs je jouaisavec Coleman Hawkins pour passer ensuite au Dixieland et au New Orleans, sans compterles engagements avec les big bands. 18 lge de 16 ans, loccasion dune absence de Sonny Greer, il est amen prendreexceptionnellement la place de batteur dans lorchestre de Duke Ellington. Laissons-le enparler : Monsieur Monroe ma appel et ma dit M. Ellington a besoin dun batteur. Comme tusais lire la musique, pourquoi ne vas-tu pas l-bas pour remplacer le grand Sonny Greer ? ()Jy suis all, jai rencontr le grand homme, et puis je me suis rendu compte que M. Greer15

    PEREMARTI Thierry, op. cit., p. 23 16

    Vido Max Roach Jazz Collection17

    PEREMARTI Thierry,op. cit., p. 2418

    PEREMARTI Thierry, op. cit., p. 23

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  • navait pas de partitions sur scne. Jtais assis l, lair paniqu, et M. Ellington laremarqu. Il ma dit : Fils, garde un il sur moi et un il sur le spectacle ctait duvaudeville . Et je me suis rendu compte que ctait un chef fantastique.Et le lendemain, tout le monde parlait de ce gamin qui jouait avec Duke Ellington.19Il renouvellera lexprience plus tard avec lorchestre de Count Basie.

    2) La cinquante-deuxime rue : be-bop et swing

    Kenny Clarke, propos du jeune Max Roach : Les souvenirs amuss de ce dernier en disentlong sur limpatience du jeune Max, sa boulimie dapprentissage et sa candeur frntique : Un jour, jallais entendre Charlie Parker dans un endroit qui sappelait Monroes UptownHouse, et je me souviens du petit Max Roach, qui me disait Oui, je joue de la batterie, jecommence et je voudrais vous demander quelques trucs. Ce soir-l, jentendis Max nousfaire une drle de dmonstration : il jouait et sifflait en mme temps ce qui lui passait par latte, avec lair de se moquer pas mal de ce que faisait Parker. Il se servait seulement desbalais et, comme je lui demandais pourquoi il nutilisait pas les baguettes, il me rpondit : Parce que je nai pas encore appris.20Bien quattendrissante et rassurante pour les musiciens en cours de dveloppement, cetteanecdote a le dfaut de ne pas cadrer avec la chronologie : en 1942, alors quil rencontreGillespie qui lembauche dans son orchestre, Max a 18 ans et joue de la batterie depuis aumoins 6 ans, et avant cela du tambour dans les fanfares, soit une petite dizaine dannes depratique, ncessairement aux baguettes. Daprs le propre tmoignage de Max, ce dernierrencontra pour la premire fois Charlie Parker par lintermdiaire du trompettiste VictorCoulson, alors quil jouait dj avec John Birks Gillespie. Ce souvenir mu nest donc pas prendre pour argent comptant, bien quil puisse faire allusion une priode antrieure.

    En 1942, son nom devint associ ceux de Charlie Parker, Thelonious Monk et DizzyGillespie quand il devint le batteur attitr de la Monroes Uptown House, et quil participaitaux jam-sessions ce club et au fameux Mintons Playhouse, vritable laboratoire du be-bopo se retrouvaient Thelonious Monk, Charlie Parker, Dizzy Gillespie et Kenny Clarke. Max Roach : Ctait une poque formidable pour nous dans la 52 rue a ltait pourmoi, en tout cas, dbarqu l aux cts dun Parker, dun Gillespie, dun Thelonious MonkCes trois-l ont beaucoup dimportance pour nous. 21

    Il sinspire alors considrablement de Kenny Clarke, parti au service militaire en Europe, etdevient rapidement lun des batteurs prfrs des chefs de file du mouvement, Charlie Parkeret Dizzy Gillespie. Ainsi, Gillespie, aprs avoir entendu son drumming, lui dira : Tu peux ds prsent tevanter dtre dans mon groupe ; et si mme larchange Gabriel venait en personne tedemander de jouer avec lui, il faudrait que toi et ta batterie restiez avec nous. 22A propos de larchange auquel fait allusion Gillespie, cet engagement mne Max Roach bienloin de ses racines musicales Gospel.

    19 Vido Max Roach Jazz Collection

    20 BALEN Nol, op. cit., article Max Roach : le rebelle , p. 294

    21 Vido Tribute To Charlie Parker 1989, Feeling productions/La Sept/ Le Centre

    Audiovisuel de Paris (55)22

    Les gnies du jazz, vol 4, article Max Roach, p. 160

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  • Jai eu la chance de travailler avec Dizzy lorsque Kenny a migr en Europe. Sans a jenaurais sans doute pas avec lui car jai grandi dans un milieu musical diffrent New-York. 23

    En 1944, engag donc par Gillespie qui forme un quintette comprenant notamment OscarPettiford, il enregistre pour la premire fois, cette formation tant mise au service de ColemanHawkins que Max retrouvera vingt ans plus tard pour We Insist ! Freedom Now Suite.

    La carrire de Max est dsormais lance ; il pratique toutes sortes de musiques, met profitses talents de multi instrumentiste et frquente un autre grand batteur de sa gnration, ArtBlakey. Dj lpoque, il fallait jouer de plusieurs instruments, il marrivait daccepter desengagements en tant que pianiste o Art Blakey prenait la batterie. La semaine daprs, oninversait. 24

    Peu de temps aprs, il part en tourne avec le saxophoniste Benny Carter. De retour New York, il commence participer des enregistrements, bientt historiques, deCharlie Parker. lautomne 1945, avec le concours du jeune Miles Davis qui est venusadjoindre Gillespie, le quintette de Parker enregistre les clbrissimes Billies Bounce etNows The Time.

    Il est noter que le retour temporaire de Kenny Clarke aux Etats-Unis aprs la guerrenassombrit en rien la carrire de Max Roach ; ils partageront dailleurs les sessions Birth OfThe Cool de Miles Davis avant que Kenny nmigre en Europe et ne laisse dfinitivement lechamp libre une gnration laquelle il a ouvert la voie.Kenny fait les remarques suivantes sur Max lpoque : Quand jtais au Mintons aprs la guerre, Max y venait souvent et jouait avec un contrleet une technique incroyables il avait dvelopp une superbe main gauche. () ConnatreMax tait une exprience enrichissante. Ctait le batteur de la nouvelle gnration, trsintress par la technique, mais il tait aussi trs musical. 25

    De 1946 1949, Max appartient diverses formations diriges par Charlie Parker, participeen particulier lenregistrement de bon nombre de disques pour la compagnie Dial et, enjanvier 1949, en alternance avec Kenny Clarke, aux sances de lorchestre de Miles Davismentionnes plus haut et qui, malgr leur insuccs, marquent la naissance du jazz cool. GerryMulligan, dans la pochette du disque The Complete Birth Of the Cool, dclare qu son sens Max tait le batteur idal pour ces sessions ; il dclara plus tard quil en pensait galementle plus grand bien dans le contexte dun big band, nhsitant pas le qualifier de batteuridal pour un big band de par sa disposition mlodique .Durant cette mme anne 1949, il effectue une tourne en compagnie du All Stars du JATP(Jazz At The Philarmonic) de Norman Granz.

    Au dbut des annes 50, il enregistre de nouveau avec Parker, dsormais sous contrat avecVerve, mais aussi en trio avec Bud Powell en mai 1951 et avec le trio Thelonious Monk endcembre 1952.

    23 ROSSI Christophe, article Max Roach le rvolutionnaire , Batteur Magazine no 20,

    mai-juin 1989, p. 4624

    PEREMARTI Thierry, op. cit., p. 2325

    HENNESSEY Mike, Klook - The Story of Kenny Clarke, p. 64

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  • En 1952, il cre avec Charles Mingus une petite et phmre compagnie discographique,Debut, qui, en mai 1953, publie lenregistrement dun concert runissant Toronto Parker,Gillespie, Bud Powell, Mingus et Max Roach, baptis Jazz At Massey Hall -The Greatest JazzConcert Ever.En 1953, il remplacerecommand par celui-ci- Shelly Manne au Lighthouse All Stars, sousla direction du contrebassiste Howard Rumsey, en Californie. Plusieurs enregistrementsconservent la trace de cette collaboration.De faon plus anecdotique, il profite de son sjour sur la cte Est pour obtenir un petit rledans le film dOtto Preminger Carmen Jones, adaptation afro-amricaine (premier film dugenre, politique en ce sens) de Carmen, film que Parker, au seuil de sa mort, retournera voirplusieurs fois afin de ly apercevoir.Cest alors quen mai 1954, suite la proposition de Gene Norman, il cre le premier quintetteClifford Brown - Max Roach.

    3) Les dbuts en solo et le rve du batteur

    En 1954, Max Roach a 29 ans, et cest maintenant quil va donner toute sa mesure. Il cre lequintette Max Roach - Clifford Brown. Il a depuis longtemps lme dun leader.Il veut, selon ses propres termes, faire avec la batterie ce quils (les boppers) faisaient avecleurs cuivres . (Downbeat, avril 1954)26

    Le choix de Clifford Brown est loin dtre anecdotique ; les deux hommes se ressemblent etce nest pas la premire fois quils se rencontrent. Clifford a t signal Max Roach par lesplus grands. Sa rencontre avait marqu Dizzy Gillespie, ainsi quArt Blakey qui vient delavoir quelques mois au sein de son groupe.

    Aprs une premire et phmre mouture avec Teffy Edwards au piano, Carl Perkins lacontrebasse et Sonny Stitt au saxophone tnor, le quintette se stabilise avec Harold Land ausaxophone tnor, Richie Powell -le jeune frre de lami denfance de Max, Bud Powell- aupiano et George Morrow la contrebasse. Plusieurs enregistrements sont effectus pour GeneNorman et Mercury, qui seront publis par Em Arcy.

    Selon les termes de louvrage Les gnies du jazz, le groupe est exceptionnel non seulementpour les standards quil interprte, mais surtout par la faon de les traiter. 27Le quintette impose un style nergique et lyrique qui sera plus tard reconnu sous le nom de"hard bop". En trois ans, il connat plus de succs que lautre grande formation dans ce styledu moment, mene par lancien leader de Clifford et la connaissance de longue date de MaxRoach, Art Blakey.

    En janvier 1956, Sonny Rollins prend le poste vacant depuis peu de saxophoniste tnor.Rejoignant au dpart, selon Alain Gerber, le groupe en pensant faire un remplacement sansgrande consquence, les premiers concerts vont rapidement le faire changer davis ; toujoursselon Alain Gerber, grand solitaire, Sonny vient de faire la rencontre dune compagnie qui lemrite. Lexemple dune vie saine, studieuse et inspire, que lui fournit Cliffordlimpressionne et linspire. Le groupe acclre la frquence de ses enregistrements,enregistrant mme un album sous le nom de Sonny, qui regroupe des compositions de ce

    26 PACZYNSKI Georges, op. cit. (Tome 2), p. 102

    27 Les gnies du jazz, vol 4, article Max Roach , p. 163

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  • dernier.Cest alors que, juste aprs lenregistrement par Sonny Rollins en compagnie de Max delalbum Saxophone Colossus, la mort frappe Clifford, Richie et sa femme qui disparaissentdans un accident de voiture sur lautoroute de Pennsylvanie.Cest un traumatisme qui marquera jamais Max et Sonny. Jai reu un coup de fil de notre agent, qui ma inform que Clifford et Richard avaient ttus sur lautoroute de Pennsylvanie. Sonny Rollins, George Morrow le contrebassiste- etmoi-mme tions alors Chicago, et nous tions descendus dans un htel ; je les ai fait venirdans ma chambre et leur ai dit ce qui stait pass. Sonny est alors all dans sa chambre et jelai entendu jouer du saxophone toute la nuit il a simplement jou toute la nuit. Je pouvaislentendre de ma chambre, il na cess de jouer de son instrument.Je me suis abruti, je me suis saol. Et jai eu une hallucination dans laquelle Clifford,Richard et la jeune femme de ce dernier venaient moi Et dans mon hallucination, leurscorps taient en morceaux, car ils avaient chut du flanc dune montagne, et les portesleurs corps taient tombs hors de la voiture. Mais, quoi quil en soit, Clifford me dit : Netinquite pas, Max, tout va bien ! Tout cela dans une stupeur induite par lalcool. Je noublierai jamais latmosphre de ce jour. Mais de ce jour aujourdhui, Sonny Rollins-qui est ensuite parti de son ct- et moi navons jamais parl de a, nous navons jamaisparl de laccident. Sonny et moi, nous ne nous sommes jamais dit ne serait-ce quun mot propos de cet accident. 28

    Sonny part alors de son ct, Max accompagnant quelque temps son ascension qui se heurteraassez vite celle de son ami John Coltrane. Lincapacit de Sonny dintgrer un grand groupe,de crer un crin pour dvelopper ses ides et sa vision, comme la fait Coltrane, le pnalisera-selon certains- dans la suite de sa carrire.

    La mort de Bird, survenue en 1955, avait mis un terme lune des poques les plus animeset les plus passionnantes de lhistoire du jazz. Avec celle de Brownie et malgr lacollaboration de musiciens de talent tels que Kenny Dorham et Benny Harris, une autrepriode importante sachevait pour Max Roach. 29

    4) Le changement

    La mort de Brownie a vraiment port un sale coup Max Roach. Avec lui, ils avaient ungrand groupe. Richie et Brownie morts, Max la dispers. Quelque chose sest vraimentdchir dans la tte de Max et je ne crois pas quil ait jamais rejou de la mme faon. Brownie et lui taient faits pour sentendre, par leur faon de jouer : trs rapides, ilspouvaient vraiment salimenter lun lautre. Jai toujours eu le sentiment que les grandstrompettistes ont besoin de grands batteurs pour donner tout ce quils ont. Je sais que a atoujours t mon cas ; Max me disait combien il aimait jouer avec Brownie. Sa mort lavraiment touch, il a mis longtemps sen remettre. 30

    Miles Davis

    La perte si douloureuse de Clifford allait cependant faire natre une autre musique : Pendant28

    Vido Max Roach Jazz Collection29

    Les gnies du jazz, vol 4, article Max Roach , p. 16430

    DAVIS Miles et TROUPE Quincy, Miles, lautobiographie, Paris, Presses de laRenaissance, 1989, p. 175

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  • quelque temps je me suis senti dans un autre monde. Avec Sonny (Rollins) et George Morrow,nous avons fait quelques concerts prvus, sans Brownie et sans Richard. partir de cettetragdie et avec le trio qui tait un hommage ces deux musiciens fabuleux, Sonny et moiavons commenc nous adapter ce fameux "sound". Jai commenc travailler dunefaon diffrente. Cest comme a que Sonny a fait son premier Freedom Now Suite avecPettiford et moi. Ce ntait pas une formule nouvelle, Mulligan et Baker le faisaient dj surla cte Ouest, mais jy suis venu cause de ce drame. 31 Max RoachIl est noter que, dailleurs, ce sound connatra un bel avenir, car les formations sanspiano deviendront par la suite particulirement importantes dans la carrire de Max Roach.

    En effet, Max ne se laisse pas abattre : Si Hawkins, Dizzy, Parker, Clifford Brown ont t des tapes, cest parce que je navaisque le choix de jouer et davancer. Si les gens veulent toujours entendre la mme chose devous, alors il faut changer. Je crois quil ny a que les historiens et les critiques qui vousdisent votre vie sest arrte quand Charlie Parker est mort ou quand Clifford Brown estdcd. 32

    Cest sans doute cette dtermination qui fait dire a Alain Gerber Pour un artiste, enbref, peut-tre ne sagit-il pas tant dtre lavant-garde quau cur des batailles et de lesremporter lune aprs lautre, - avec cette audace sans ostentation qui ressemble dellgance. Avec mme, quelquefois, toutes les apparences de linfaillibilit. Si quelquuncorrespond ce portait, cest bien Max Roach. 33

    Mais, contrairement cette image de hros sans peur et sans reproche, Max fera face, denombreuses annes durant la suite de la mort de Clifford, de srieux problmesdalcoolisme et de drogue : () parce que durant cette priode de ma vie, je touchais un peu tout Cigarette, alcool, drogues, tout et nimporte quoi () Mais je traversais une priodetrs particulire. Aprs la mort de Clifford, jai eu de nombreuses phases durant lesquelles jemefforais de me retrouver, moi et ma sant mentale. 34Dans un premier temps, Max tente de retrouver la dynamique de son quintette avec Clifford :il remonte une formation similaire avec Kenny Dorham la trompette et Ray Bryant au piano(Max Roach plus Four octobre 1956). Trs actif, il enregistre en 1957 en tant que leader unalbum qui introduit une fois pour toutes les mesures 3 temps dans le jazz (Jazz In 3/4 Time),enregistrant par ailleurs en tant que sideman avec Charles Mingus, Thelonious Monk pourBrilliant Corners en 1956, et nouveau Sonny Rollins pour The Freedom Suite en 1958.Cette mme anne, Booker Little vient remplacer Kenny Dorham la trompette.Toujours attir par lexprimentation, il enregistre en aot 1958 avec le Boston PercussionEnsemble.

    Max se rend rapidement compte que des changements sont ncessaires. Il commence desexprimentations en solo et commence sengager politiquement.Mais aprs la mort de Clifford Brown, jai ralis que toute ma carrire tait. devaitchanger de direction. Jtais devenu indpendant de presque toutes mes influences. CharlieParker tait mort, Dizzy Gillespie tait parti de son ct, Miles tait parti de son ct, J.J.31

    Les gnies du jazz, vol. 4, article Max Roach , p.16432

    PEREMARTI Thierry, op. cit., p. 2433

    GERBER Alain, op.cit., article Max Roach joue et gagne (indit) , p. 30434

    Vido Max Roach Jazz Collection

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  • Johnson et tous les autres Alors jai commenc faire ce quon appelle de la percussionsolo () Ctait je, moi, et moi-mme, pour ainsi dire.Jai commenc faire des disques comme Deeds, not Words , jai commenc mimpliquer politiquement. Jai t impliqu aux cts de, bien sr, Martin Luther King,Malcom X, et tout le mouvement des droits civiques. Et la plus grande partie de ma musique apris un tour politique. Durant la carrire de Malcolm, il utilisait les artistes pour attirerdnormes foules, quoi que je vous fassiez (les artistes) et jcrivais de la musiquespcialement faite pour cadrer avec ce quil faisait.35Alors que les compositions de Max Roach prennent un tour politique, elles commencent intgrer la voix dAbbey Lincoln, qui devient rapidement son pouse. Les deux seront marisde 1962 1970.En septembre 1960, cet engagement culmine une premire fois avec lenregistrement, pour lafirme Candid, de We Insist ! Freedom Now Suite, avec Coleman Hawkins au saxophone tnor,Booker Little la trompette et Oscar Brown Jr qui rdige les textes de ce disque-manifeste.Max considre cet engagement quelque chose de logique :Batteur Magazine : Votre engagement politique a t une constante durant toute votrecarrire. Comment tait la lutte au dbut ? Max Roach : Dizzy et moi avons parl de ces premiers jours de lutte aujourdhui mme. Cenest pas facile dtre artiste, aujourdhui comme hier. Ce nest pas facile de vendre de laposie, de vendre des sons. Cest toujours une lutte. Pour tre un artiste il faut se dvouer cette lutte et ne pas vendre son art comme on vend de la confiserie ou du parfum. En tant qutre humain vivant dans une socit, je sais quil est difficile de vivre parfois,quon soit noir ou blanc. Je pense que si lon est adulte, responsable dune famille, on estdirectement concern par la politique. Dans mon pays, je me proccupe de savoir si chaqueindividu a une chance gale de vivre et dapprcier la vie. En Afrique du Sud la seule raisonqui fait que les Noirs soient malheureux cest quils nont pas le droit de profiter de la vie. Ilssont toujours en lutte. Les Franais ont lutt il y a deux cents ans. Lutter est une chosenaturelle. 36

    Il ajoute que sa lutte nest pas nouvelle, quelle a une longue histoire : Lorsque jai compos Freedom Now Suite ce ntait pas un cri de rvolte nouveau.Auparavant Duke Ellington avait crit Black, Brown and Beige , Bessie Smith avait fait Black Mountain Blues . Avant il y avait les vieux Negro spirituals, Let My People Go , Go Down, Moses . Cest une part de notre culture. 37

    Son engagement se prolonge quand, en 1960 il se joint Charles Mingus, Roy Eldridge, EricDolphy et Jo Jones pour enregistrer toujours pour Candid- Newports Rebels, qui prolongeleur mouvement de protestation contre le festival de Newport.En octobre 1961, Booker Little meurt dune crise durmie, et Max doit nouveau changer detrompettiste.

    Cette mme anne, lalbum Its Time, enregistr pour Impulse, tente de prolonger lexpriencede la Freedom Now Suite en incorporant seize choristes une nouvelle formation quicomprend notamment Clifford Jordan et Mal Waldron. Percussion Bitter Sweet (mme anne,mme compagnie) russit mieux ce projet grce la prsence dEric Dolphy. En septembre 1962, il participe avec Duke Ellington et Charles Mingus lenregistrement en

    35 Vido Max Roach Jazz Collection

    36 ROSSI, Christophe, op.cit., p. 50

    37 ROSSI, Christophe, op.cit., p. 50

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  • trio de lhistorique Money Jungle, qui fut pour Ellington un de ses grands momentsmystiques, o trois Muses se fondent en une seule entit 38.De mme que Mingus, il simpose comme lun des inspirateurs du free jazz naissant tout enrestant fidle sa propre esthtique profondment enracine dans le bebop. Cependant, de sonpoint de vue, il sagit de toujours faire de nouvelles choses, au-del des tiquettes et des courants .

    Il est noter que Max, du point de vue musical, ne cautionne pas le mouvement du free jazzdans son ensemble : Sous ltiquette free jazz, il y avait un groupe de musiciens dont je nai jamais pu accepterle fait quils naient jamais pris le temps dapprendre consciencieusement se servir de leurinstrument. Cecil Taylor, lui, sait. Il en a fait le tour. Anthony Braxton est un autre exemple, il est le plusproche de ce que Charlie Parker fut, sans jamais limiter. Il faut normment respecter lesmatres instrumentistes. Parker na jamais diminu limportance dun Johnny Hodges oudun Benny Carter, comme Coltrane na jamais diminu limportance dun Lester Young quina jamais diminu Coleman Hawkins. Ces gens-l ont apport des ides nouvelles parcequils taient avant tout des instrumentistes hors pair. Idem pour Art Tatum.Cest instrumentalement parlant que je ne pouvais pas traiter avec des musiciens dits de "freejazz". Par contre, au niveau des engagements socio-politiques, a collait. 39

    Mais son engagement politique nest pas sans consquences : il est mis sur liste noire parplusieurs grandes compagnies de disques. Cependant, il na aucun regret : Je ne pense pas que le fait davoir t un politique dans les annes soixante ait puaffecter ma carrire ou ce que je suis devenu. Aujourdhui jai toujours des problmes avecles maisons de disques, mais peut-tre est-ce mieux ainsi. Cela me permet de faire ce que jeveux et dtre avant tout moi-mme. 40

    Toujours dans un esprit dexprimentation, il est un des premiers batteurs essayer unebatterie lectronique :Batteur Magazine : A propos dlectronique, je me souviens vous avoir vu prsenter lestoutes premires batteries lectroniques la fin des annes 60, a ma frapp.Max Roach : Il sagissait dune batterie exprimentale de la marque Hollywood. Je laiutilise avec diffrents orchestres et mme au sein dun orchestre symphonique. Mais ctaittrs primitif. Il tait difficile de contrler le son et de lquilibrer avec les autres instruments.En revanche, cest trs intressant pour les solos. Ds que je jouais en orchestre, je revenaisau mode acoustique. 41

    5) Le quartet, les duos, lenseignement, la composition, MBoom et lesexprimentations

    A partir de 1966, il enregistre avec divers partenaires plusieurs albums pour Atlantic : DrumsUnlimited (1966) qui contient trois plages entirement solo (The Drum Also Waltzes, For BigSid, Drums Unlimited), renoue avec la formule du quintette, cette fois avec Freddie Hubbard38

    ELLINGTON Duke, Music Is My Mistress39

    PEREMARTI Thierry, op.cit., p. 2340

    PEREMARTI Thierry, op.cit., p. 2341

    ROSSI, Christophe, op.cit., p. 49

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  • (Lift Every Voice and Sing 1971) ; tente de nouveau dintgrer les interventions dun choeur un nouveau quintette qui comprend Cecil Bridgewater et Billy Harper, deux musiciens quicollaboreront rgulirement avec lui par la suite.En 1973, il fonde avec Roy Brooks, Joe Chambers, Omar Clay, Warren Smith et FreddieWaits lensemble de percussions MBoom Re : Percussion. Quoiqupisodique, cet ensemblese produit en concert et enregistre rgulirement au cours des annes 70 et 80.Batteur Magazine : La phase suivante de cette recherche fut votre groupe de percussions,MBoom.Max Roach : Oui ce fut une extension de ce concept avec toute la famille des instruments percussion : la batterie, le vibraphone, le marimba, les timbales de concert qui suggraientla ligne de basse et les instruments afro-cubains. 42

    Nous avons un orchestre complet, qui a tous les sons et mme plus. Pour MBoom, jairassembl plus de cent instruments diffrents. Nous nous sommes runis, nous sommes allsau studio et avons commenc exprimenter. Ce sur quoi jai insist tait que nouschoisissions un rpertoire qui reflte ce quoi les Duke Ellington, les Thelonious Monk et lesDizzy Gillespie et les Miles Davis et nous-mmes tions confronts. Et nous avons commenc travailler sur cette ide. Elle plut beaucoup tous et ils lapprcirent car, maintenant,nous tions la front line , nous tions devenus les solistes.Lorchestre ne cesse dexister. Nous nous runissons et nous crons, tout simplement. Nosrptitions sont amusantes, nos concerts sont amusants. Et cela fait 25 ans que nous jouonsensemble, vous savez.Et ctait notre attitude, qui ne ressemble celle daucun autre ensemble de percussion aumonde, quil soit Japonais, Europen ou Africain ou dailleurs Ctait juste simplementlide que nous allions nous-mme crer comme nous essayons de crer cet tre humain, auxEtats-Unis, cet tre humain qui a t compltement lobotomis et ne sait rien de son histoireou de nimporte quoi dautre. 43

    Pendant ces mmes annes, lactivit du batteur, qui est devenu enseignant plein temps auDpartement de Musique et Danse de luniversit du Massachusetts-Amherst, o il participe llaboration dun cursus en American Music , gravite essentiellement autour du quartettesans piano quil prsente rgulirement en tourne et dans de multiples enregistrementssouvent effectus en Europe. De temps autre, un quatuor cordes est adjoint ce quartette.Selon larticle Max Roach du Dictionnaire du jazz, le rsultat de cette tentativedinstrumentation originale nemporte pas cependant tous les suffrages, nettement moins entout cas que les duos que le batteur commence provoquer partir de 1976 avec desmusiciens aboutis instrumentalement et plus ou moins lis lesthtique free, tels quArchieShepp (Force, 1976 ;The Long March), Dollar Brand (Streams Of Consciousness, 1977),Anthony Braxton (Birth and Rebirth, 1978 ; One in Two, Two In One), Cecil Taylor (HistoricConcerts, 1979) ; en 1989, il retrouve Dizzy Gillespie pour un duo exceptionnel (Max &Dizzy, Paris 1989 A&M CD6404). Au cours de ces duos, et sans rien renier de sa proprehistoire musicale, le batteur fait preuve dune admirable capacit de renouvellement. Max affectionne particulirement cette formule du duo : Au festival de Bologne, jai fait la mme chose, jai jou en duo avec Wynton Marsalis.() Jaimerais faire un duo avec Sonny Rollins, un avec Miles Davis. 44

    42 ROSSI, Christophe, op.cit., p. 48

    43 Vido Max Roach Jazz Collection

    44 PEREMARTI Thierry,op.cit., p. 24

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  • En 1979, afin de renouer avec le milieu musical de New York, Max Roach obtient un poste de professeur adjoint , moins prenant que son ancien poste de professeur duniversit.

    En 1983, Max dfraie la chronique en jouant avec un jeune chanteur de rap. Mais pour lui, () travailler avec le rapper Fab Five Freddy na rien de surprenant. Je considre le rapcomme un art part entire, comme un phnix. Ces gens-l recrent leur manire lemouvement par le break dancing, lart pictural par le graffiti, la posie par le rap et le sonpar les disc-jokeys et leur tourne-disques. Tout est reprsent : danse, arts plastiques, posie,musique : je fais tout fait confiance ces jeunes, ils me rappellent Louis Armstrong etCharlie Parker. Sans ducation musicale particulire, ils crent quelque chose de neuf leurmanire. 45

    Tout en ne cessant de dvelopper la composition, Max continue de militer politiquement : en1985, loccasion dun concert-manifeste pour la libration du leader sud-africain NelsonMandela, il joue avec Eddy Louiss, Bernard Lubat, le saxophoniste Manu Dibango et lechanteur malien Salif Keita.La mme anne, il gagne un Obie Award pour la musique de trois pices de Sam Shepard quivenaient dtre remontes au Mama Theater de New York. Il collabore ensuite avec lechorgraphe Alvin Ailey sur le ballet Survivors, un hommage Willie et Nelson Mandela.Toujours attir par lexprimentation, il joue avec des ensembles de percussion africains,japonais, europens, improvise en direct avec une artiste de la vido et travaille avec le verbeparl en improvisant un solo de batterie sur le clbre discours du rvrend Martin LutherKing I Have A Dream.Compositeur prolifique, il a sign la musique du Songe dune nuit dt de Shakespeare, pourle San Diego Repertory Theater, et Toot Sweet, suite en cinq mouvement pour batterie etorchestre de chambre cre en 1988 Milan avec le compositeur comme soliste et chefdorchestre. Il a obtenu en 1988 une bourse nationale de la Mac Arthur Foundation dunmontant de 372 000 dollars, quil compte mettre profit en montant un programme dactionculturelle Bed-Stuy.En 1990, il travaille en tant que directeur musical dune pice de LeRoi Jones.Si les annes 90 sont moins actives, elles voient tout de mme Max Roach faire plusieurstournes avec une grande diversit de formations, dont son quartet, le double quartet, leChorus and Orchestra, MBoom et dautres encore.

    Max porte un regard optimiste sur la musique de cette fin du XX sicle : La musique de cette fin de sicle est trs fluide, trs dmocratique, ce nest pas de lamusique imprialiste. Chaque gnration essaie de tmoigner de son poque. 46

    Toujours actif jusqu la fin de sa carrire, Max cherche tmoigner de son poque enachevant et publiant une autobiographie quil a dbute il y a plus de 20 ans comme unebiographie de Charlie Parker.Il dclarait en 1990 :J.H. : O en est le livre que vous crivez depuis des annes ?M.R. : Je continue de lcrire. Jai normment dinformations. () a va tre aussi monhistoire, celle dun tre humain, au vingtime sicle, de race noire et qui se trouve tre unmusicien de jazz. Lhistoire de quelquun qui a voyag partout dans le monde et qui a trouv

    45 PEREMARTI Thierry,op.cit., p. 23

    46 ROSSI, Christophe, op.cit., p. 50

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  • sur son passage des gens comme Duke Ellington. () Mais avant tout, il sera question dtreNoir cette poque, la musique tant de lordre de lincident.Accidentellement, la musique ma certainement sauv. Jai eu de la chance, jaurais pumourir dans un caniveau comme beaucoup dautres. 47

    lheure o jcris ces lignes, ce livre nest toujours pas publi.

    47 PEREMARTI Thierry,op.cit., p. 25

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  • B) Les influences musicales du dbut de carrire

    Bien sr, jai beaucoup cout Sidney Catlett, Jo Jones, Chick Webb et Kenny Clarke. Maisje puis dire que je me suis form moi-mme mon propre style.Les premiers disques o je me retrouve, ce sont des sessions avec Coleman Hawkins en 1944,Dizzy Gillespie et les premires faces de Charlie Parker. Mais il est dlicat de dcider partir de quel moment jai t vraiment moi-mme car, lorsque jentends des gens qui font ceque je fais, je ne puis plus refaire la mme chose. 48

    Dans cette partie, jai choisi dexaminer, du plus lointain au plus proche, les influences lesplus importantes de Max Roach, afin de saisir comment il sest form et avoir ainsi unclairage particulier sur sa personnalit musicale.Comme nous lavons vu dans la biographie, il a t ds sa plus tendre enfance soumis lcoute des grands pianistes de ragtime, de la musique religieuse noire, des big-bands et duswing, de la musique classique Europenne, des danseurs de claquettes et des divers styles dedanse pratiqus dans les "dancings halls".Mais quels batteurs et musiciens en particulier lont influenc dans son dveloppement ? Cest cette question que je tenterai de rpondre dans cette partie.

    Max Roach : Jai toujours dtest lide que le batteur ne doive tre quunaccompagnateur soumis. Les gens qui mont rellement motiv taient ceux qui utilisaient lepotentiel musical de linstrument. 49

    1) Les "trois matres"

    Les trois matres Trois des matres il y a eu dautres batteurs, bien sr- qui simposent mon esprit sont Papa Jo, le grand batteur de lorchestre de Count Basie, dont jai toujoursdit mes tudiants que sur deux temps que nimporte quel batteur joue, trois appartiennenten fait Papa Jo Jones. Ctait une manire de dire que il a tout fait !Lautre batteur, bien sr, est Sidney Catlett, qui fut le batteur de Louis Armstrong unmoment. Et quand Gene Krupa a quitt lorchestre de Benny Goodman pour monter sonpropre groupe, Benny sest adress Sidney Catlett, et cest probablement une des trs raresfois o lintgration a triomph et le racisme a t mis mal, et cela cause du talent dunhomme comme Sidney Catlett. Qui, par la manire dont il se servait de cet instrument, sonsens de lhumour et ce quil pouvait faire avec cet instrument faisait que quelquun commeBenny Goodman se devait de prendre quelquun comme lui pour remplacer Krupa.Kenny Clarke mrite une place particulire car, de tous les batteurs modernes, ce quil a faitavec linstrument, la manire dont il a coordonn la grosse caisse et la hi-hat, et lutiliserainsi ctait incroyable.()La faon dont il grait ses quatre membres est impossible, quand on lentend et on voitcomment cela est fait. 50

    a) Cozy Cole

    Il peut sembler surprenant dinclure le batteur swing Cozy Cole dans la liste des influences de

    48 JALARD Michel-Claude, op.cit., p. 14

    49 ZWERIN Mike, op. cit.

    50 Vido Max Roach Jazz Collection

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  • Max Roach. En effet, ce dernier na jamais, ma connaissance, cit Cozy comme influence.La citation suivante de Philly Joe (Joseph) Jones clairera sans doute cette dcision : Avant de quitter New York je suis all voir Cozy (Cole). Max Roach tudiait avec lui lpoque. Mme Jo Jones passait le voir de temps en temps, alors je savais que Cozy tait unsacr professeur. Ctait un sacr type, et je lai toujours beaucoup apprci. Cela se passaitquand il tenait une cole sur la quarante-huitime rue. 51

    Si on croise cette information avec la date de dpart de Philly Joe Jones de New York pourWashington afin de jouer avec Ben Webster (1949), on en arrive la conclusion que, alorsquil finissait de se former et dveloppait ses conceptions solistes, Max tudiait avec CozyCole. Je pense quen regard de cette conjecture, on apprciera mieux le fait que jai incluscelui-ci dans la liste des influences de Max, alors que Chick Webb qui a sans douteinfluenc Max par le caractre flamboyant de son jeu tant en accompagnement quen soliste-ny figure pas.

    Cozy Cole inspirera ou confortera sans doute Max dans son attitude studieuse quant ltudede linstrument : Cozy Cole possdait un feeling tout fait extraordinaire. Il tudiait sansrelche et sa devise tait : Plus vous tudiez plus vous vous apercevez que vous ne savezrien, mais plus vous tudiez plus vous vous rapprochez du but. La batterie tait toute savie. 52

    Dautre part, Cozy personnifie, en tant que batteur et professeur, un aspect particulirementimportant du jeu de batterie jazz, auquel Max restera trs attach : Pour Cozy, comme pour les batteurs New Orleans et middle jazz, la grosse caisse est lefondement du tempo : La grosse caisse -rappelle Cozy- est llment primordial de labatterie. Quelle peut bien tre lutilit dun batteur qui nest pas capable de tenir un tempo ?Tenir un tempo, cela ne veut pas dire le marquer continuellement de manire mcanique,mais faire en sorte quil soit toujours prsent mme quand il est sous-entendu. Les bopperstels que Kenny Clarke ou Max Roach joueront eux aussi la grosse caisse sur tous les temps etelle demeurera une part essentielle de la batterie. 53

    Un autre facteur intervient qui sera dune grande influence sur Kenny Clarke donc,indirectement, sur Max Roach : Cozy a t lun des premiers batteurs se pencher vritablement sur le dveloppement dela coordination mains-pieds menant lindpendance des quatre membres. De ce point devue, il tait en avance sur son temps : ses recherches annonaient dj celles des batteursbop des annes 40. 54

    Cozy avait galement des convictions que partagera Max :Il estimait galement qu un batteur devrait aussi apprendre faire des arrangements, pasforcment pour devenir arrangeur lui-mme mais pour tre capable, sil prend un jour ladirection dun orchestre, de parler mtier avec larrangeur et de lui expliquer exactement cequil dsire. 55

    51 TAYLOR Arthur, op.cit., p. 43

    52 PACYNSKI Georges, Une histoire de la batterie de Jazz - Tome 1 : des origines aux

    annes Swing, ditions Outre Mesure, collection Contrepoints, p. 20453

    PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 1), p. 21154

    PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 1), p. 20555

    Les cahiers du jazz, no 10, 1964, pp. 75-76

    21

  • Enfin, Cozy tait daccord avec un point important de la pratique de la batterie de jazz, surlequel toutes les influences de Max sont unanimes : Au cours dune table ronde sur labatterie, il dit Art Blakey : Comme tu le dis toi-mme, Art, il ne faut jamais rien jouerquon ne sente pas vritablement. 56

    b) Poppa Jo Jones

    Batteur au swing infaillible, Jo Jones nest pas seulement batteur, il se familiariseeffectivement trs tt avec le piano, la trompette et le saxophone. Cet apprentissage pluri-instrumental saccompagne dune exprience extrmement propice au dveloppement dumusicien quil va devenir : il se joint une troupe ambulante dans laquelle il se produit entant que chanteur et danseur de claquettes. 57

    On trouve dans son jeu de nombreuses phrases de 3 temps dans du 4/4, son jeu de balais ainsique son jeu sur la charleston sont parmi les principaux modles du genre, et il arrive delentendre phraser avec la main gauche sur la caisse claire. De tous ces points de vue, il a sansdoute influenc Max.

    c) Sidney Catlett

    Sidney Catlett est remarquable car il est un des seuls batteurs de swing avoir su bien jouer la fois le style swing et le style be-bop. Son jeu prsente de nombreuses marques de modernitqui trouveront leur aboutissement dans le style daccompagnement be-bop : en croire Charlie Persip, le batteur bop, Sidney a t lun des premiers jouer la grossecaisse avec des accents et lancer ainsi des "bombes" technique que dvelopperont plus tardKenny Clarke, Max Roach et Art Blakey un trs haut niveau. 58

    Autre point important sur lequel Jo Jones et Sidney Catlett nauront pas quun peu influ, lacontrebasse tiendra une telle place dans lorchestre quun batteur ne pourra dsormais plusexister sans faire quipe avec un contrebassiste. Le tandem contrebasse-batterie constitueralun des piliers de toute lhistoire du jazz venir. () Sid coutait lorsquil jouait expliqueBilly Taylor. Il travaillait en troite collaboration avec le contrebassiste. Il se soudait lui ;tous deux fonctionnaient comme un attelage. Le pianiste dans un trio pouvait se lever et allerse promener. Je veux dire que le rythme tait bien l. 59

    Peut-tre parce quil a grandi avec Bud Powell, Max Roach, tout en faisant corps avec labasse (par la ride et les temps la grosse caisse), portera lui une grande partie de son attentionau jeu du pianiste, rpondant au soliste souvent en conjonction avec celui-ci, quand il ne faitpas cho son comping .Bien quil soit un batteur confirm, Sidney affirme : Je ne suis pas un technicien. Je joue ceque je sens et cela sort en gnral de la faon dont je lai dsir. 60, ce qui nous ramne lide de la musique avant la technique.Par ailleurs, Sidney a t un des premiers dvelopper un jeu mlodique en faisant usage destoms ; il emploie de faon extensive plusieurs des illusions auditives qui, selon George

    56 Les cahiers du jazz no 10, 1964, p. 62

    57 PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 1), p. 229

    58 PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 1), p. 248

    59 KORALL Burt in Drummin Men, pp. 176-177

    60 Down Beat, 24 mars 1966, p. 27. Interview ralise en avril 1941 par la revue Music and

    Rhythm

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  • Paczynski, traversent lhistoire du jazz, et marqueront Max.Le morceau solo For Big Sid issu de lalbum de Max Roach Drums Unlimited (1966)confirme linfluence de Sidney Catlett sur Max

    d) Kenny Clarke

    Kenny tait enthousiasm par quatre batteurs : Jo Jones, Big Sid Catlett, Cozy Cole etWalter Johnson Jo pour son attitude casse-cou, mais toujours correcte ; Big Sid pour son"timing and dynamics" ; Cozy pour son aisance aborder les problmes musicaux et Walterpour sa sret .61

    Tout comme Jo Jones, Kenny et Max Roach sont multiinstrumentistes, ce qui leur donne unevision globale de la musique quils jouent : Paralllement Kenny joue du piano, du vibraphone, du xylophone et mme du trombone ! Ilsait non seulement interprter des mlodies crites mais improviser en suivant les accordsdune grille. 62

    Max souligne galement ces faits, mais insiste galement sur les talents de compositeur deKenny Clarke : Et un autre aspect de Kenny : Kenny tait un merveilleux pianiste, unpercussionniste correct, un bon vibraphoniste, et un trs bon compositeur. Il a crit denombreux morceaux qui ont t enregistrs. 63La dimension compositionnelle sera, mon avis, omniprsente dans le jeu de Max Roach, etce avant mme quil ncrive rgulirement des morceaux pour les ensembles dont il ferapartie.

    Lapport capital de Kenny Clarke lhistoire du jazz est sans conteste le styledaccompagnement be-bop : tout en maintenant le tempo sur la grande cymbale ride, les 2 et4 temps la charleston, ainsi que tous les temps la grosse caisse, Kenny joue, de manirediscontinue et en complment du jeu des solistes, des ponctuations la main gauche, sur lacaisse claire, ainsi qu la grosse caisse, en alternance avec le tempo.Laissons-le en parler : Vers 1940, le jeu de batterie tait en gnral trop lourd pour coller systmatiquement avecla basse et le piano et crer rellement une section rythmique cohrente. Les batteurs avaientlhabitude de taper comme des sourds et je crois avoir t lun des premiers sentir lancessit de rendre ce jeu plus lger pour pouvoir lincorporer plus aisment dans larythmique. 64

    Loin davoir peur de se contredire, Kenny affirme plus tard : Je jouais comme cela pour moi, pas pour inventer quelque chose pour les autres ()Ctait une facilit que jai trouve et tout le monde a aim cela () Le rythme sur lacymbale, la grosse caisse pour les accents et des trucs comme cela, et la main gauche pour lacaisse claire ctait bien pour moi, mais les autres ont pens que ctait bien pour eux aussi.Et tout le monde a commenc jouer comme a.65

    Jai le sentiment que cest Georges Paczynski qui, dans Une histoire de la batterie de Jazz-Tome 2 : les annes bebop : la voie royale et les chemins de travers, nous livre la cl de cedveloppement :61

    HENNESSEY Mike, op. cit., pp. 188-18962

    PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 2), p. 5263

    Vido Max Roach Jazz Collection64

    PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 2), p. 5365

    PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 2), p. 53

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  • Contrairement tous les batteurs qui le prcdrent, ce nest pas un batteur qui influenaKenny et lui permit damliorer son style de batterie mais deux contrebassistes ! Kennyessayait en effet depuis 1931 un type de jeu nouveau en travaillant avec son frre, lecontrebassiste Frank Clarke qui lui fit dcouvrir un autre contrebassiste, Jimmy Blanton : Mon frre, le bassiste, avait achet un disque de Jimmy Blanton en solo. En lcoutant,nous emes la rvlation quil fallait changer quelque chose au jeu de batterie pour pouvoiraccompagner cette nouvelle faon de jouer la contrebasse. Mon frre et moi passmes desheures exprimenter cette nouvelle interpntration de la contrebasse et de la batterie etnous fmes des choses qui nous parurent trs intressantes je crois que cest partir de lque jai rellement commenc chercher dans une toute nouvelle direction. 66Kenny sattira des reproches de la part des contrebassistes dont il tait le partenaire, car,tout en jouant le cha-ba-da sur la cymbale, il continuait marquer les quatre temps lagrosse caisse. Quand jentends cette grosse caisse tout le temps lui lana lun deux- je nepeux pas me concentrer sur mon solo. (Modern Drummer, fvrier 1984, p. 20) Alors Kennydcida de marquer les quatre temps beaucoup plus discrtement avec son pied droit, tout enajoutant de temps en temps des accents.67

    Comme toutes les innovations, celle de Kenny nest pas immdiatement comprise niforcment apprcie, et cest cause delle quEarl Hines renvoie Kenny de son orchestre audbut de sa carrire. En fait, quand jtais au Mintons, personne na vraiment saisi ce que jtais en train defaire avec mon instrument. Je me souviens de Sid Catlett () il coutait et coutait. Il ditfinalement : Joues-tu la grosse caisse ? Je rpondis : Oui, mais je fais des accents endehors des quatre temps. Je ne pouvais abandonner cela et jouer sans grosse caisse. Lesaccents nauraient pas t en place. Big Sid dit : Oui, je comprends. 68

    Toutefois, Kenny na pas dvelopp son style hors de tout contexte. Ses partenaires de "jam-session" du Mintons Uptown House ne sont pas en reste : Aux dires du batteur, Thelonious Monk serait lorigine de son jeu de grosse caisse. Lephras du pianiste, surtout les accents, lauraient conduit jouer lui aussi des accents, mais la grosse caisse. 69

    Les thmes quil joue ds entre autres Charlie Parker- et leur vocabulaire rythmiqueoriginal constituera, selon George Paczynski, une influence importante : Grce un large ventail de thmes bop, le batteur va emmagasiner une srie de motifsrythmiques qui le doteront dun vritable vocabulaire et qui apparatront, sous une forme ouune autre, dans les thmes quil travaillera. Ils seront videmment placs des endroitsdivers, selon la structure du morceau. () Le batteur articulera alors ces cellules ossaturedauthentiques phrases musicales- non seulement lors des exposs, mais surtout au cours desimprovisations. Tout lart du musicien rsidera dans une vaste disponibilit auditive etgestuelle. Il ne sagira pas cependant pour lui de resservir telle ou telle formule retenuepar cur, mais au contraire de rpondre musicalement dune manire intressante, toujoursnouvelle et en totale dcontraction- au discours toujours renouvel de ses partenaires et desouligner, son got, certaines notes ou certains silences. 70

    Et si Kenny navait pas jou ainsi sans ses partenaires du Mintons, inversement le bop66

    Jazz Hot, novembre 1963, p. 2567

    PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 2), p. 5968

    PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 2), pp. 54-5569

    HENNESSEY Mike, op. cit., p. 4670

    PACYNSKI Georges, op.cit. (Tome 2), p. 60

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  • naurait pas t le mme sans lui ; ainsi commente Dizzy Gillespie le rle jou par KennyClarke : Tout le monde a jou un rle, et le sien a t aussi important que le mien, ou quecelui de Charlie Parker et de Monk. Sa contribution se place au mme niveau que celle desautres. Pas de prminence particulire. Il y avait une collaboration trs troite entre noustous. Par exemple, si javais une ide, je lexposais Klook au piano, et lui la batteriecherchait lencadrer ou la mettre en valeur par des figures rythmiques ; et, ce faisant, ilme suggrait dix autres ides. 71Comme on a pu le comprendre, la cl de ce nouveau style est la complmentarit et ladynamique de la relation entre les musiciens, section rythmique et solistes.Jouant galement avec Dizzy Gillespie, Thelonious Monk et Charlie Parker, Max subira aussilinfluences des partenaires de Kenny Clarke.

    Selon les mots dAlain Gerber propos de ce nouveau style, ainsi en va-t-il des inventions,quand elles sont vraiment capitales, elles dfinissent la nouvelle manire dtreconventionnel. 72

    Comme nous lavons vu, pour les batteurs qui ont prcd Kenny, lide doit passer avant latechnique. Kenny reprend cette ide, et va mme beaucoup plus loin : Je pense que nimporte quel musicien na besoin que suffisamment de technique poursexprimer ; je ne pense pas quon devrait aller au-del. Cela ne veut plus rien dire lorsquecela va au-del de ce quil ressent. Il est toujours bon davoir un peu de technique de ct (enrserve), mais je ne pense pas quil faille se focaliser uniquement sur la technique dans lamesure o on fait de la musique, et que la musique vient du cur ! Et cela na rien voiravec la technique telle quon lenvisage dhabitude. 73

    Max reconnat explicitement linfluence norme qua eu sur lui Kenny :Max Roach : Jai beaucoup appris de lui () Je parie que si javais eu un grand frre cett Kenny Clarke. Il avait une superbe coordination. Ses quatre membres travaillaientensemble en complte harmonie sans quaucun ne prenne le dessus. La plupart des batteurssont presque toujours off balance , Klook, lui () navait pas les dfauts habituels desautres batteurs. Tout tait quilibr. 742) Les danseurs de claquettes

    On oublie souvent qu une certaine poque de la Swing Craze , ctait les danseurs declaquettes, et non les batteurs qui tenaient le haut de la scne. Max nest pas sans avoir tinfluenc par ceux-ci :Jazz Magazine : Vous avez soulign lutilisation des pieds dans la batterie, ce qui faitsonger linfluence des grands danseurs de claquettes sur la batterie jazz. A mon sens, cesdanseurs ont eu un grand impact sur la batterie be-bop. Max Roach : Vous avez parfaitement raison. En fait, les premiers batteurs, Poppa JoeJones, Buddy Rich, etc. taient des danseurs de claquettes. Et des bons. Philly Joe enparticulier. Moi-mme, dailleurs (cest moi qui souligne) 75Max estime dailleurs que les claquettes et la batterie sont plus proches quon ne lestime

    71 BALEN Nol, op. cit., p. 292

    72 GERBER Alain, op. cit., article Kenny Clarke, batteur choc , 19 septembre 1982, p. 260

    73 TAYLOR Arthur, op.cit., entrevue avec Kenny Clarke, pp. 190-191

    74 HENNESSEY Mike, op. cit., pp. 248-249

    75 SIDRAN Ben, article Max : la tte et les jambes , Jazz Magazine no 370, avril 1988, p.

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  • gnralement : Les claquettes et la batterie (trap drumming) ont beaucoup de choses en commun, enparticulier le fait que les rythmes quemploie le danseur sont trs originaux, et aussi le faitquil doit utiliser tout son corps. Son langage corporel est en quelque sorte comme labatterie. Il y a toutes ces choses que nous faisons avec nos mains et nos pieds, eux doiventgrer leur corps et faire tout de mme des sons. Une des grandes influences de danse declaquettes sur ma vie est, bien sr, ce gentleman, M. "Baby" Laurence. 76

    3) Les ans et les partenaires musicaux

    Max a galement profit de la bienveillance de ses ans et de leurs encouragements, ainsi quede linfluence des nombreux partenaires dont il a crois la route au cours de sa carrire. DukeEllington est une rfrence qui revient souvent dans ses dclarations, tout comme ColemanHawkins, Charlie Parker, Bud Powell, Thelonious Monk et dautres encore.Ainsi, propos de Coleman Hawkins, durant lenregistrement de We insist ! Freedom NowSuite : Il fut le premier dans le studio denregistrement. Quand je suis arriv au studio avecles ingnieurs du son et dautres, M. Hawkins tait l, exactement comme Duke Ellington, cesgrands professionnels. Il tait l, testant des anches, schauffant, attendant quon arrive etpuis il la fait. (Quand) je lui ai expliqu ce dont la musique parlait, de la mme manire quefaisait Duke Ellington ()Il encourageait toujours les jeunes musiciens. Je sais que, pour moi, il a encourag macomposition, que je continue crire tout comme lavait fait M. Ellington. Et cest ainsi quelon continue voluer et progresser, grce aux encouragements et lattitude de gens commea. 77

    Charlie Parker et Bud Powell ont jou un rle important dans mon dveloppement.Thelonious Monk et Miles Davis aussi.Jai eu beaucoup de chance dtre associ avec des gens qui ntaient pas seulement desmusiciens et artistes de musique noire accomplis mais galement des tres aimables quipartageaient volontiers et gnreusement leur savoir. 78

    Charlie Parker

    Charlie Parker est un repre essentiel dans la carrire de Max Roach ; dans la citation qui suit,Max exprime de faon dtourne la nature de leur relation, lors dune question propos deJohn Coltrane :Batteur Magazine : Votre longue carrire est jalonne dexpriences diverses avec les plusgrands noms du jazz. Vous navez jamais jou avec Coltrane ? Max Roach : Si, avec le big band de Jimmy Heath, mais il ne prenait aucun solo, il lisaitseulement la partition. Ensuite loccasion ne sest pas prsente et lorsquil est devenuconnu, il avait un des plus grands batteurs du monde, Elvin Jones !Coltrane et Elvin Jones, ctait lalliance parfaite, comme Charlie Parker et moi. 79

    Max Roach : Vous pouvez dire que Bird est vraiment responsable de ma manire de jouerde la batterie (). Il choisissait des tempos tellement rapides quil tait impossible de jouer

    76 Vido Max Roach Jazz Collection

    77

    78 TAYLOR Arthur, op.cit, entrevue avec Max Roach, p. 107

    79 ROSSI Christophe, op. cit., p. 50

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  • un style simple daccentuation gale des quatre temps, la manire de Cozy Cole. 80

    Jouer bop, parce quil tait impossible de jouer autrement en prsence de Charlie Parker, voilune ide intressante. Max gardera par la suite ce got et cette habitude des tempi trsrapides ; de nombreux morceaux du quintette Clifford Brown - Max Roach refltent dailleurscette tendance.

    Un autre aspect du jeu de Max qui est tributaire de sa frquentation de Charlie Parker (et deses acolytes Dizzy Gillespie et Miles Davis) est cette habitude de ne pas jouer que le tempo,mais de contrecarrer la pulsation par des ponctuations et rpondre aux solistes.Max Roach : Ce quil y avait de magnifique dans le travail de Charlie Parker ctait quil yavait en lui ce que jappellerai larchitecture de la section rythmique, cest--dire que sansorchestre et sans section rythmique, vous pouviez entendre la pulsation. Toujours. () Ainsi,un batteur navait pas garder le tempo pour lui. Cest pourquoi vous pouviez jouer entre lesphrases. Vous pouviez faire ce que vous dsiriez faire avec lui. Cest ce quil y avait de beaudans le travail avec Dizzy, Miles, Charlie Parker et des gens comme cela. Vous ntiez pascontraint de ne faire que garder le tempo pour eux. 81

    Un autre apport de Charlie Parker Max a t sur le plan du phras et de la construction dudiscours :Dizzy Gillespie : Parce que Charlie Parker a t larchitecte dun style. Tout le monde, tousles jeunes musiciens voulaient jouer comme a ! Y compris moi, y compris Miles, etc Tous,nous avions le phras Cest le phras qui est le plus important dans la musique de CharlieParker. Si vous vouliez transcrire ce quil jouait, a ne sonnerait pas pareil. La faon quilavait dattaquer telle note, daller telle autre, de jouer li et puis dattaquer, dattaquer nouveau Sa faon de jouer, quoi. Cest pourquoi nous lappelions architecte. 82Je pense quavoir entendu Charlie Parker dvelopper ses ides et ses solos, soir aprs soir, napu que stimuler et inspirer Max Roach quant son propre discours, son articulation et ladcoupe de ses phrases.

    80 REISNER Robert, Bird, la lgende de Charlie Parker

    81 Modern Drummer, juin 1982, p. 58

    82 Vido Tribute To Charlie Parker -1989

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  • C) Max Roach : un portrait musical On dit, avec beaucoup de raison apparente, que la batterie, dans sa conception moderne,tient un rle presque mlodique. Je prfre cependant que lon emploie le terme lyrique .Il indique cette qualit de prsence, cette valeur potique que certains virtuoses prouvsnapportent jamais. Les grand jazzmen sont ceux qui ajoutent quelque chose de leur propreinspiration. () Quel que soit le type dart envisag, cest cette mme chaleur que,constamment, je recherche. 83

    1) Linstrument

    Vous savez, la batterie est probablement le seul instrument n de lexprience nord-amricaine. Trompettes, saxophones, violons, pianos et congas, tous les autres viennentdailleurs. Prenez la percussion, que ce soit en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient, enExtrme orient, en Amrique du Sud les batteurs ne jouent pas avec leurs pieds. Le batteuramricain, cest un orchestre lui tout seul. Et cet instrument, la batterie, est typiquementamricain. Il y a eu une sorte dvolution. Et puis, bien sr, il y a la composition sociologique despopulations. Nous utilisons les cymbales, qui sont orientales. Nous utilisons les toms desAfricains et des Indiens dAmrique. Les caisses claires et les grosses caisses europennes Prenons un orchestre symphonique : il y a quatre ou cinq personnes dans un ensemble depercussions, qui jouent les parties graves, les triangles et les cymbales.Prenons les ensembles de percussion africains : ils ont le tambour pre, la mre et le quinto,les petits tambours. Et il y a aussi quatre ou cinq musiciens. Ici, le batteur est homme-orchestre. 84 Jai toujours pens que la batterie tait un instrument part entire qui peut se suffire lui-mme, comme le piano ou la guitare. 85

    a) La technique

    Il y a un paradoxe Max Roach : Max est un des plus prodigieux techniciens de lhistoire dujazz mais il ne parle jamais de technique, pas mme son insu ; son intelligence musicale luipermet dassimiler et de faire revivre les formes les plus diverses, mais il ne sattache gure,chez un artiste, qu cet aspect irrmdiablement secret qui le spare de lui. 86 Kenny Clarke renchrit sur le sujet : il affirme que Max est lun des rares (batteurs) essayer de tirer un son musical de la batterie () sans tre distrait par un talage detechnique inutile. 87

    Le secret de Max Roach ? Surmonter la technique par le travail, afin de pouvoir entrer deplain-pied dans la musique en en saisissant toutes ses facettes :Max Roach : Il faut concentrer son effort pour dvelopper la technique sous tous sesaspects () Chaque batteur devrait jouer dun instrument mlodique un clavier de

    83 JALARD Michel-Claude, op. cit., p. 15

    84 SIDRAN Ben, op. cit., p. 26

    85 ROSSI Christophe, op. cit., pp. 47-48

    86 JALARD Michel-Claude, op. cit, p. 14

    87 Jazz Hot, mai 1990, p. 24

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  • prfrence et, bien sr, travailler lharmonie au piano 88

    Afin datteindre son niveau, Max a beaucoup travaill et est rest concentr sur sondveloppement : En 1942, il sort du Manhattan Conservatory of Music avec un diplme de percussion : Le travail mtait dfinitivement entr dans le sang confiera-t-il. 89 Max travaillait normment : Jai fait quatre ou cinq heures par jour pendant tantdannes. 90

    Arthur Taylor : Tu prfres jouer en concert ou en club ?Max Roach : Je pense que ce dpend du dveloppement dune personne. Alors quon sedveloppe, les clubs sont bons. Quand je voulais jouer tout le temps, je me fichais do jejouais du moment que je jouais, parce que je voulais apprendre. 91

    Quant au geste, Max se concentre afin deffectuer le minimum de mouvements ncessaires.(Et) lorsquun journaliste lui demande sil accorde une grande importance la position desmains et laction des poignets, il rpond sans hsiter quil porte toute son attention ne pasfaire de mouvement inutiles : Le mouvement inutile est un geste parasite. 92Sa posture, on peut sen rendre compte sur les documents photographiques et filmiquesdisponibles, correspond cet objectif dviter tout mouvement inutile : il est tranquille, ledos droit, les coudes au corps, ou peu sen faut () 93.

    Durant le jeu, il vite de penser la technique ; nen ayant pas besoin, il se concentre sur leson et sur la musique : Je ne pense jamais aux doigts. Jcoute seulement le son. Jentendsune certaine masse sonore dans une certaine masse spatiale, et ce que vous ralisez dans cetespace ne dpend pas ncessairement des doigts. 94 Max reste en effet fidle aux convictions de Cozy Cole, Sidney Catlett et Kenny Clarke : Une fois la technique domine, il faut jouer les ides que lon a dans la tte, de manirepotique. 95

    b) La technique et lapport de la Manhattan School Of Music

    De ce que jen sais, il y a en France plusieurs approches techniques li au son que lon veutobtenir. Alors que la technique classique consiste garder les baguettes le plus en lairpossible et obtenir le son le plus lger et staccato possible par une frappe et un relev rapides,la technique de la batterie jazz consiste garder les baguettes prs de la peau, en position derepos, de les relever juste avant lattaque et de les laisser retomber sur la peau et revenir saposition de dpart, ce qui rsulte en un son plus rond, plus portando. Bien que familiaris avecla technique Moeller , une des techniques les plus rpandues aux Etats-Unis (Gene Krupaprit dailleurs des leons avec Moeller lui-mme), je ne peux que faire lhypothse dune

    88 Georges Paczynski, op.cit., p. 130

    89 Georges Paczynski, op.cit., p. 88

    90 Georges Paczynski, op.cit., p. 131

    91 Arthur Taylor, op.cit., p. 111

    92 Modern Drummer, janvier-fvrier 1989, p. 22

    93 GERBER Alain, op.cit., article Max Roach, Algbriste du rythme -le 3 festival de jazz

    de Paris , 30 octobre 1982, p. 26294

    Modern Drummer, janvier-fvrier 1989, p. 1195

    ROSSI Christophe, op. cit., p. 49

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  • pareille dichotomie technique aux Etats-Unis ; que cela soit identique ce quil y a en Francene change rien au fait que, daprs Max Roach, il existe deux techniques bien diffrentes, unepour la musique classique europenne, et une pour la musique afro-amricaine :Peux-tu me parler de la technique que tu emploies sur ton instrument ?Je pense quil y a deux sortes de techniques, et je peux te raconter une histoire amusante cesujet : jallais la Manhattan School of Music et je travaillais en mme temps sur lacinquante-deuxime rue. Je gagnais de quoi payer mes frais de scolarit en jouant avec Birdet Coleman Hawkins. Le professeur de percussion Manhattan mavait demand de choisirla percussion comme spcialisation et me dit que la technique que jemployais taitincorrecte.Cela a fini par me faire changer ma spcialisation pour la composition. Si quelque chose nemarche pas, jessaie autre chose ; jai trouv a trs bnfique. Le professeur de percussionmavait dit : Cest ainsi quil faut jouer si tu veux tre percussionniste. Cette technique-l aurait t bonne si javais voulu faire carrire danse un grand orchestre jouant de lamusique europenne, mais elle naurait pas fonctionn sur la cinquante-deuxime rue, o jegagnais ma vie. Il y avait un conflit, jusqu ce que je me rende compte quil sagissait dedeux techniques diffrentes. Dun ct je jouais avec des gens comme Coleman Hawkins etCharlie Parker et jessayais dmuler des gens comme Jo Jones, le clbre batteur de CountBasie, Sidney Catlett, Chick Webb et Kenny Clarke. Dun autre ct, si je mtais conform la technique que le professeur de percussion voulait mapprendre Manhattan, celle-cinaurait pas t adapte la cinquante-deuxime rue. Rciproquement, la technique quejutilisais lpoque, que jutilise aujourdhui, que je mvertuais apprendre et que jecontinue approfondir aujourdhui, naurait pas t adapte la musique Europenne. Cestun vraie sgrgation : il y a une technique particulire pour faire de la musique noire, etjimagine quil y en a une autre pour faire de la musique europenne, quon apprend lcole. Les deux techniques sont diffrentes. Notre technique noire est difficile, et elle volue sans cesse. Cest le genre de musique quidveloppe ses propres techniques au fil du temps, en quelque sorte. Chaque gnration demusiciens lopportunit dy apporter quelque chose de nouveau, sil savent ce qui sestpass avant eux, bien sr.96

    On remarquera que Max confie avoir chang de spcialit au cours de ses tudes : le diplmequil obtiendra au sortir de la Manhattan School Of Music est un diplme de composition(spcialit cest moi qui souligne), percussion et thorie musicale. Limportance quaccordeun certain nombre de biographes aux tudes de Max dans cette institution rvle rarement cefait, et les observateurs tendent lier les comptences techniques de Max aux seules tudes depercussion. Or, mme si celles-ci ont leur importance, de laveu mme de Max la techniquequon voulait lui inculquer ntait pas celle de la batterie de jazz dont il se servait et acontinu se servir par la suite. Cest celle-ci quil a dveloppe, force de travail. Lapportprincipal de ses tudes nest, mon sens, pas ses cours de percussion (qui ont certes leurimportance), mais ses cours de composition. Ce sont eux qui, selon moi, clairent la fameusecitation de Max Je veux faire avec le rythme ce que Bach a fait avec la mlodie. surlaquelle je reviendrai plus loin.

    c) La conception de linstrument

    Si Max Roach tient une place aussi importante dans lhistoire de la batterie, cest que, selonles termes du Dictionnaire du jazz, () cest aussi la fonction de la batterie qui estchange : dinstrument pour la danse, elle devient instrument de concert. Avec Max Roach,

    96 TAYLOR Arthur, op.cit., pp. 115-116

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  • dailleurs, la batterie savoue plus encore instrument mlodique capable de phraser et demoduler les sons : il affranchit la batterie du carcan de la section rythmique et la fait voixmusicale mme de tenir et de dvelopper de longs discours. 97

    Pour Max, en accompagnement, linstrument sert, outre jouer le tempo, articuler lediscours : Tout est plus complexe aujourdhui. Un batteur a davantage de libert, mais il aaussi davantage de responsabilits. En plus de devoir tenir le tempo, il a lopportunitdajouter des ponctuations rythmiques. Pour moi, ce sont des virgules, des points, des pointsdexclamation et dinterrogation. () Un batteur peut ajouter beaucoup de savoir. 98

    Comme nous lavons dj vu, Max considre la batterie comme un instrument part entire.Au sein de cet instrument, il reconnat lexistence de diverses couleurs (combinaisonstimbrales) lies aux diffrents instruments dont est compose la batterie : Sachez aussiutiliser diffrentes couleurs. Comme le disait Jo Jones, chaque lment a sa propre couleur.Sachez en profiter et changez de couleur selon linstrument que vous accompagnez. 99 propos de ces couleurs, abordons maintenant le problme de laccord de linstrument.

    d) Laccord de linstrument

    Daucuns ont dit que le jeu de Max Roach sur linstrument tait mlodique . Sur cet aspectde son jeu, il convient dexaminer les sons dont il dispose, et plus particulirement les sons decaisses, employes majoritairement et donnant cette impression de mlodies .Mais, selon ses propres paroles, et contrairement un rapprochement possible avec lemploide timbales ( hauteurs dtermines), Max naccorde pas ses caisses de faon mlodique au sens tempr et diatonique du terme.

    Je traite la batterie comme un instrument de diapason indtermin. Je considre que lagrosse caisse constitue le plus grave. Je naccorde pas en quintes, quartes ou tierces,jadmets (italique) quil sagit dun instrument de diapason indtermin. Les bons batteurs savent comment jouer dans la cl (key : tonalit), utilise tout moment.Et dans ce domaine, Art Blakey se place devant tous les autres. Il peut monter sur scne avecla batterie de nimporte qui. Quon joue en fa, en sol, en si bmol et en mi bmol, sa batteriejoue toujours comme il faut. Cest a que servent loreille et la familiarit avec lestambours, les cymbales, etc. On va droit au but.Et puis, la plupart de ceux qui font a sont dexcellents musiciens. lorigine, Art Blakeytait pianiste, comme moi. Elvin Jones est un bon guitariste, Tony Williams aussi, tous cesgens sont des compositeurs Mais la plupart des batteurs le font, de toute faon.Linstrument le permet. 100Cette citation rappelle que, pour Max Roach, la batterie est un instrument complet, qui opredans un contexte musical que, pour utiliser linstrument musicalement, il faut connatre etcomprendre.

    galement, et de manire frappante dans les en