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Éditorial Maladie coronaire stable : avons-nous failli ? Stable coronary artery disease: have we failed? La maladie coronaire a une prévalence considérable dans tous les pays industrialisés. Bien qu’elle se manifeste sou- vent initialement par un accident aigu, les progrès de la prise en charge précoce transforment rapidement des patients « aigus » en « coronariens stables ». Il ne fait aucun doute que des progrès considérables ont été accomplis depuis 15 ans en terme de prévention secondaire : les antiagrégants et les bêtabloquants ont une efficacité démontrée, les premiers dans toutes les facettes de la maladie coronaire, les seconds essentiellement après infarctus et semblent agir en limitant les complications évolutives. Les statines et, plus récem- ment, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) admi- nistrés à forte dose paraissent avoir une action directe sur le cours évolutif de la maladie athéroscléreuse et la récente étude Reversal, présentée oralement lors du congrès de l’American Heart Association en novembre 2003, a pu mon- trer, grâce à l’échographie endocoronaire, une véritable sta- bilisation du processus athéroscléreux anatomique grâce à une statine administrée à forte dose et cela sur une période de suivi qui n’excédait pas 18 mois. Ainsi, grâce aux progrès de la prévention secondaire médicamenteuse (et peut-être aussi grâce à une meilleure connaissance des mesures de préven- tion secondaire non médicamenteuse : régime méditerra- néen, exercice physique régulier), la mortalité coronaire a considérablement diminué chez les coronariens stables, au point que la mortalité non cardiovasculaire représente main- tenant près de la moitié des causes de décès chez ces patients. Pourtant, les succès de la prévention secondaire nous ont peut-être trop fait oublier le traitement des symptômes, pour- tant essentiel pour la qualité de vie de nos patients. C’est d’ailleurs et malheureusement une tendance générale de no- tre système de santé que de négliger le traitement de la douleur (un de mes amis responsable du Samu me disait récemment qu’il était étonné de constater à quel point les antalgiques étaient sous prescrits au stade aigu de l’infarc- tus). Dans le domaine de la maladie coronaire stable, cette tendance se trouve sans doute renforcée par le fait que les cardiologues français ont souvent tendance à considérer que, grâce à l’angioplastie, les patients angineux n’existent plus. Les données de la littérature montrent cependant que, pour être le meilleur des traitements anti-angineux, la revasculari- sation myocardique n’est pas pour autant une panacée ; ainsi, dans l’étude RITA-2, qui comparait angioplastie et traite- ment médical dans la maladie coronaire stable, plus d’un patient sur deux est à nouveau angineux, cinq ans après le geste de revascularisation [1]. C’est le mérite de l’article de P. Meurin et C. Piot [2] que d’attirer notre attention sur le fait que l’angine de poitrine reste d’actualité au XXI e siècle et de démonter les mécanis- mes qui font qu’elle n’est pas près de disparaître. Alors, avons-nous failli ? Non, à l’évidence, si l’on consi- dère les progrès considérables accomplis en matière de pré- vention secondaire d’une part et dans le traitement des syn- dromes coronaires aigus d’autre part, et qui aboutissent à une véritable prolongation de l’espérance de vie des coronariens. Non, encore, si l’on considère l’amélioration de qualité de vie que peut apporter la revascularisation myocardique chez nos patients coronariens symptomatiques. Mais pourtant, oui, peut-être un peu quand même, si l’on veut bien se rappeler que la plus jeune des grandes classes de médica- ments anti-angineux, les antagonistes calciques, a mainte- nant 30 ans déjà... Il reste donc incontestablement des efforts à fournir pour, au-delà de la prolongation de la durée de vie, trouver les moyens d’améliorer la qualité de ces années « gagnées ». Références [1] RITA-2 trial participants. Coronary angioplasty vs medical therapy for angina: the second randomised intervention treatment for angina (RITA-2) trial. Lancet 1997;350:461–8. [2] Meurin P, Piot C. Y a-t-il encore des coronariens stables symptoma- tiques en France. Ann Cardiol Angéiol 2004. N. Danchin Département de cardiologie, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France Adresse e-mail : [email protected] (N. Danchin). Reçu le 6 février 2004 ; accepté le 10 février 2004 Disponible sur internet le 4 mars 2004 Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 53 (2004) 272 www.elsevier.com/locate/ancaan © 2004 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.ancard.2004.02.010

Maladie coronaire stable : avons-nous failli ?

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Page 1: Maladie coronaire stable : avons-nous failli ?

Éditorial

Maladie coronaire stable : avons-nous failli ?

Stable coronary artery disease: have we failed?

La maladie coronaire a une prévalence considérable danstous les pays industrialisés. Bien qu’elle se manifeste sou-vent initialement par un accident aigu, les progrès de la priseen charge précoce transforment rapidement des patients« aigus » en « coronariens stables ». Il ne fait aucun doute quedes progrès considérables ont été accomplis depuis 15 ans enterme de prévention secondaire : les antiagrégants et lesbêtabloquants ont une efficacité démontrée, les premiersdans toutes les facettes de la maladie coronaire, les secondsessentiellement après infarctus et semblent agir en limitantles complications évolutives. Les statines et, plus récem-ment, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) admi-nistrés à forte dose paraissent avoir une action directe sur lecours évolutif de la maladie athéroscléreuse et la récenteétude Reversal, présentée oralement lors du congrès del’American Heart Association en novembre 2003, a pu mon-trer, grâce à l’échographie endocoronaire, une véritable sta-bilisation du processus athéroscléreux anatomique grâce àune statine administrée à forte dose et cela sur une période desuivi qui n’excédait pas 18 mois. Ainsi, grâce aux progrès dela prévention secondaire médicamenteuse (et peut-être aussigrâce à une meilleure connaissance des mesures de préven-tion secondaire non médicamenteuse : régime méditerra-néen, exercice physique régulier), la mortalité coronaire aconsidérablement diminué chez les coronariens stables, aupoint que la mortalité non cardiovasculaire représente main-tenant près de la moitié des causes de décès chez ces patients.

Pourtant, les succès de la prévention secondaire nous ontpeut-être trop fait oublier le traitement des symptômes, pour-tant essentiel pour la qualité de vie de nos patients. C’estd’ailleurs et malheureusement une tendance générale de no-tre système de santé que de négliger le traitement de ladouleur (un de mes amis responsable du Samu me disaitrécemment qu’il était étonné de constater à quel point lesantalgiques étaient sous prescrits au stade aigu de l’infarc-tus). Dans le domaine de la maladie coronaire stable, cettetendance se trouve sans doute renforcée par le fait que lescardiologues français ont souvent tendance à considérer que,grâce à l’angioplastie, les patients angineux n’existent plus.Les données de la littérature montrent cependant que, pourêtre le meilleur des traitements anti-angineux, la revasculari-sation myocardique n’est pas pour autant une panacée ; ainsi,

dans l’étude RITA-2, qui comparait angioplastie et traite-ment médical dans la maladie coronaire stable, plus d’unpatient sur deux est à nouveau angineux, cinq ans après legeste de revascularisation [1].

C’est le mérite de l’article de P. Meurin et C. Piot [2] qued’attirer notre attention sur le fait que l’angine de poitrinereste d’actualité au XXIe siècle et de démonter les mécanis-mes qui font qu’elle n’est pas près de disparaître.

Alors, avons-nous failli ? Non, à l’évidence, si l’on consi-dère les progrès considérables accomplis en matière de pré-vention secondaire d’une part et dans le traitement des syn-dromes coronaires aigus d’autre part, et qui aboutissent à unevéritable prolongation de l’espérance de vie des coronariens.Non, encore, si l’on considère l’amélioration de qualité devie que peut apporter la revascularisation myocardique cheznos patients coronariens symptomatiques. Mais pourtant,oui, peut-être un peu quand même, si l’on veut bien serappeler que la plus jeune des grandes classes de médica-ments anti-angineux, les antagonistes calciques, a mainte-nant 30 ans déjà...

Il reste donc incontestablement des efforts à fournir pour,au-delà de la prolongation de la durée de vie, trouver lesmoyens d’améliorer la qualité de ces années « gagnées ».

Références

[1] RITA-2 trial participants. Coronary angioplasty vs medical therapyfor angina: the second randomised intervention treatment for angina(RITA-2) trial. Lancet 1997;350:461–8.

[2] Meurin P, Piot C. Y a-t-il encore des coronariens stables symptoma-tiques en France. Ann Cardiol Angéiol 2004.

N. DanchinDépartement de cardiologie,

hôpital européen Georges-Pompidou,20, rue Leblanc, 75015 Paris, France

Adresse e-mail : [email protected](N. Danchin).

Reçu le 6 février 2004 ; accepté le 10 février 2004

Disponible sur internet le 4 mars 2004

Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 53 (2004) 272

www.elsevier.com/locate/ancaan

© 2004 Publié par Elsevier SAS.doi:10.1016/j.ancard.2004.02.010