87
1 MANAGEMENT DE LA CONCEPTION & DÉVELOPPEMENT DURABLE MEMOIRE DU MASTER GENIE URBAIN : M2_DEVELOPPEMENT URBAIN DURABLE SOUS LA DIRECTION DE M.YOUSSEF DIAB, UNIVERSITE DE MARNE LA VALLEE MASTER GENIE URNAIN -2005 Étudiante : JOANA MONPLAISIR

MANAGEMENT DE LA CONCEPTION & …rhell.free.fr/Memoire/ManagementDeLaConceptionEtDeveloppement... · ... le management est-il compatible avec le ... Comment le management de la conception

Embed Size (px)

Citation preview

1

MANAGEMENT DE LA CONCEPTION & DÉVELOPPEMENT DURABLE

MEMOIRE DU MASTER GENIE URBAIN : M2_DEVELOPPEMENT URBAIN DURABLE

SOUS LA DIRECTION DE M.YOUSSEF DIAB, UNIVERSITE DE MARNE LA VALLEE

MASTER GENIE URNAIN -2005

Étudiante : JOANA MONPLAISIR

2

INTRODUCTION........................................................................................................................... 3

[METHODE DE LA METHODE] : DD une prise de conscience ethico-politique de la notion

de projet ........................................................................................................................................... 7

A. Une approche globale des interdépendances cognitives [savoir] et territoriales [pouvoir]....... 9

B. Une approche temporelle du projet : l’incertitude comme réponse à l’épreuve du temps....... 24

C. Une approche du principe d’incomplétude pour un au delà du technique vers le culturel ..... 31

[PRATIQUES] le management est-il compatible avec le développement durable ? ................ 38

A. Neo-urbanisme : lorsque la théorie assoit les pratiques du management urbain ..................... 38

B. De l’adaptabilité des pratiques professionnelles aux principes de l’économie de marché ...... 48

C. Analyse de la mise en œuvre du DD à Boulogne Billancourt : le DD comme stratégie de

gentrification............................................................................................................................... 57

[METHODOLOGIE] dispositifs postmanageriaux : du contrôle territorial à la gouvernance

environnementale .......................................................................................................................... 67

A. La gouvernance et le fantasme d’un pouvoir totalitaire.......................................................... 68

B. La gouvernance locale comme volonté de ménagement d’un espace-temps-connaissance. .. 75

CONCLUSION : DD, la condition du vivre-ensemble de manière désirable .......................... 81

BIBLIOGRAPHIE DU MEMOIRE ................................................................................................ 84

Ouvrages..................................................................................................................................... 84

3

INTRODUCTION La stratégie de projet dans ses formes managériales peut permettre de "gérer la complexité", dans le sens de la normalisation des opérations de conception, et parfois de leur automatisation, visant à lisser toutes formes de conflit qui apparaitraient comme un désordre, un chaos, une mauvaise maîtrise d’une situation, et non comme un contexte de négociation. La stratégie de projet opportuniste et parfaitement adaptée aux attentes libérales de la société capitaliste s’interdit alors toute dimension prospective et accompagne les processus entropiques avancés. La stratégie peut aussi travailler dans le sens d’agencements, de liens, de rapports transversaux qui permettraient d’adapter en toute intelligence des dispositifs cognitifs à la conception architecturale portant sur des enjeux d’intérêt général, telle que la durabilité des organisations urbaines, des établissements humains, de l’adaptabilité et de la désirabilité de l’habitat la désirabilité, des ambiances urbaines, etc. Face aux logiques de survie du présent, il n’est plus possible pour les architectes et les urbanistes de continuer à travailler sans se poser la question des enjeux contemporains de la pratique d’architecte, de l’agencement de ses pratiques et de son métier dans une dimension ouverte et globale du projet d’architecture et urbain. Il apparaît de plus en plus clairement que l’architecture dite « immatérielle », et non virtuelle, est porteuse d’un avenir plus durable, l’espace à venir serait avant tout une question de relations sociales dans lesquelles la question de la culture pourrait jouer un rôle prépondérant, y compris dans le développement de nouvelles filières industrielles, au point de rencontre avec la technique. Aller du développement durable au développement désirable constitue certainement l’un des enjeux de la refonte des villes et des banlieues. Cet objet ne doit plus constituer l’opportunité de dissoudre le sujet Homme dans des manoeuvres managériales ou processuelles. Plus que jamais une prise de conscience éthique et politique doit s’opérer chez l’ensemble des acteurs de la conception et de la construction pour rendre possible des lendemains plus désirables que les scénarios catastrophes diffusés par les médias de masse. Comment peut-on aujourd’hui repenser la notion de projet pour dépasser la gestion de la conception ? Quelles formes inventives et citoyennes d’interrelations entre les acteurs institutionnels et les habitants ? Quelles implications de l’architecte dans son rapport à la société ? Quelles idéologies, quelles doctrines, quelles méthodes partageables, quels outils d’anticipation, de mesure et de validation des actions présentes ? Comment projette t-on la ville de demain, et quelles pratiques post-disciplinaires pour la concevoir ? Quels seraient les enjeux et les objectifs d’une stratégie de projet spécifique au développement désirable sur un terrain spécifique ? Une doctrine de telles pratiques est-elle plausible ? La H.Q.E. est une approche constructive du développement durable à l’échelle du bâtiment, le développement durable est la stratégie de projet qui garantie au projet urbain une dimension territoriale complexe, sur des enjeux qualifiés et indissociables, interagissant entre eux (social – environnemental - économique), traités de manière spécifique pour le développement durable. Cette

4

stratégie autorise l’adaptabilité des objectifs, et des moyens pour y parvenir, qui agissent de manière concourante sur les trois piliers du développement durable dans le cadre de dispositifs coopératifs et ouverts aux principes de la négociation et de la démocratie participative.

5

La relation capitalisme / développement durable ( DD) est problématique en soi. Le rapport conflictuel se situe sur le terrain des enjeux et non sur celui des objectifs. Nous verrons en effet que les objectifs de développement durable peuvent très bien satisfaire une vision très libérale de la ville et de l’urbain, le développement durable pouvant offrir l’occasion de campagnes démagogiques ciblées sur l’individu consommateur, et dont les notions clefs reposent sur des questions de confort et de sécurité, induisant des processus d’individualisation (antinomiques à la protection de l’environnement) et à la CONCURRENCE entre les individus. Si le capitalisme impose des rapports de CONCURRENTIALITE, les enjeux du développement durable (DD) reposent sur le principe de la CONCOURANCE entre SOCIAL / ECONOMIQUE / ENVIRONNEMENTAL avec comme challenge L’EQUILIBRE entre le développement et la préservation. Le conflit entre développement durable & capitalisme se situe principalement sur la scène politique, la durabilité du projet urbain n’est pas autre chose qu’une question POLITIQUE trop souvent évacuée par les pratiques gestionnaires du management environnemental. Le capitalisme, et son bras armé, le management, compensent la crise du politique par la généralisation des outils de gestion. La GESTION s’oppose au POLITIQUE, le DD ne peut pas reposer sur des pratiques de management : le management environnemental [dont la H.Q.E. pour la dimension technique] donne l’image de toutes les bonnes intentions du monde, ciblées en fait sur l’individu-consommateur, autrement dit, en total accord avec les enjeux économiques du capitalisme dans la même logique de captation et de contrôle des flux. Il nous faudra donc interroger la place de la technique par rapport aux enjeux de CULTURE, et la nécessaire imbrication de l’échelle du BATIMENT [technique] et de celle du TERRITOIRE [politique]. Par soucis D’ETHIQUE, donc dans une démarche opérationnelle, nous devrons chercher les voies de pacification entre capitalisme et DD. Nous ne développerons pas ici un discours idéologique pro ou anti capitalisme, puisque nous sommes à l’heure (déjà même passée) de la nécessité de faire. Nous devrons interroger le faire avec qui peut, en dialogue avec les différents acteurs, conduire à la réactualisation des doctrines architecturales et urbaines. La relation capitalisme / développement durable peut évidement se prendre par le « haut », à l’échelle mondiales, c’est le combat utile des alter-mondialistes très largement médiatisé 1. Toutefois, la problématique du DD par rapport aux projet urbain et architectural ne peut se développer sur des concepts génériques et globaux, mais bien au contraires, CULTIVER l’expression des MULTITUDES. Nous pouvons aussi aborder le problème par le « bas », autrement dit, par la SINGULARITE, et faire appelle à des processus de re-politisitation de l’individu-consommateur. Le citoyen est un acteur de la ville et de son devenir et doit à ce titre, pour ne pas entretenir la crise grave du politique, être intégré aux processus de concertation et de décision, ce que le management, insidieusement, permet de contourner. Le développement durable est un cadre juridico stratégique qui doit poser la question suivante : Quelle ville désirons nous pour demain ? Et comment la concevoir ? Nous devrons replacer l’Homme au centre des enjeux, contre les forces du capitalisme, pour tendre du développement durable au développement désirable. Nous devons poser la question de l’échelle humaine, celle du piéton notamment, pour tenter d’identifier les conflits et les corrélations qui peuvent s’opérer entre capitalisme et développement durable sur le plan symbolique, comportemental, sur les usages, les modes de vie, etc. Par exemple, nous pouvons nous pencher sur les processus de marchandisation de la ville et de la dislocation de la notion D’ESPACE PUBLIC corrélé au droit commun, pour un espace dit public mais dont l’accès et le droit relèvent de la sphère privée, portant gravement et durablement atteinte au DROIT DU CITOYEN. Les enjeux du projet doivent porter sur la société elle-même et CEUX qui la compose, les individus, dans toute leur complexité que nous pouvons résumer par le conflit interne à chaque personne entre un comportement d’individu consommateur et celui qui tend à l’éco-citoyen. Nous devrons donc être particulièrement attentif sur la manière dont les établissements humains sont projetés dans le cadre de chartes de DD, sur les mixités sociales qui ne peuvent se corréler au phénomène de GENTRIFICATION ou de RESIDENTIALISATION et finalement sur la cinétique comportementale

6

de l’individu lui-même pour voir comment se traduit le désinvestissement de la chose publique au profit de la sphère privée, comment le citoyen en vient à appliquer lui-même les outils de gestion à son propre quotidien, étape sans doute décisive dans la dimension hégémonique de l’individu-consommateur dans le déni parfois de son moi affectif (il conviendra de prendre la mesure des conséquences de l’insignifiance contemporaine de l’homo sentimentalis sur le système des valeurs) et bien sûr de son propre corps, de son propre rythme, qui constitue tout de même l’interface avec l’environnement puisque tout être est aussi un individu biologique SINGULIER. Citoyen, gestionnaire, consommateurs, trois modes d’implications de l’être dans la scène sociétale, constituent les termes d’une cinétique comportementale qui marque un repliement sur soi, un désir de confort individuel, un objectif de pouvoir... d’achat qui accompagnent à l’échelle individuelle les mutations urbaines décrites ci-dessus. Ces questions doivent aboutir à une ACTION sur des dispositifs COOPERATIFS EXPERIMENTAUX qui donnent toute l’importance aux modes PARTICIPATIFS de la concertation. Contre toutes déviances COMMUNICATIONNELLES ou MARKETING, la PROSPECTIVE-ACTION semble plus que jamais nécessaire. Problématique Les pratiques du management de la conception soulèvent un certain nombre de questions contradictoires. Le projet urbain est soumis à différentes couches de complexités qui interagissent entre elles, et pourtant de l’articulation de ces couches contradictoires, dépend l’équilibre d’une écologie générale : le contexte social, économique, politique, juridique et environnemental, donnent l’impression d’un chaos et élèvent les outils disciplinaires et technologiques du management comme l’alternative qui permettrait de gérer ce chaos. Comment le management de la conception prend t-il une autonomie par rapport au management classique, bras armé du capitalisme avancé, pour négocier enjeux économiques et enjeux environnementaux ? Comment les enjeux du projet d’aménagement et de développement durable transforment les pratiques contemporaines du projet ?

7

[METHODE DE LA METHODE] : DD une prise de conscience ethico-politique de la notion de projet Nous pourrions aborder la définition de la notion de développement durable [DD] suivant ces deux options : 1) Nous pourrions [im]poser la définition irréductible et consensuelle du développement durable : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». 1987 - Mme Gro Harlem Bruntdland, Premier Ministre norvégien. Mais cette formule consensuelle tente sans doute de définir l’indéfinissable. Sans doute ne convient-il pas de débattre sur les mots, mais plutôt de s’entendre sur les principes d’immuabilité et d’incomplétude de DD, garant de la dynamique même qu’il induit tant au niveau de la refonte des savoirs que sur la concourrance des objectifs de production ou sur l’ouverture inédite et nécessaire des systèmes d’acteurs. 2) Nous pourrions aussi entrer dans le débat sur la notion même, très abondant et très largement médiatisé. Ce travail est animé notamment par les alter mondialistes et développe majoritairement une approche globale et mondiale du développement durable. Le débat porte sur le terme développement que l’on oppose par exemple à décroissance. Ce débat repose sur la critique de l’hégémonie du modèle Capitaliste et plus particulièrement sur les comportements de consommateurs. L’individu consommateur cristallise sans doute beaucoup de problèmes liés à l’environnement, nous tenterons plus loin une approche spécifique de cette question. D’autres débats portent sur la notion de durable. On lui oppose soutenable par exemple. Nous ne rentrerons pas dans ce débat idéologique préférant une autre méthode, spécifique à l’application de DD sur les territoires urbains, à savoir celle d’une pratique spécifique qui renseignera peut-être le débat idéologique. En ce sens nous rejoignons le parti de J. FOL et P. MADEC : Le temps n'est plus à douter de la valeur thématique du développement durable en classant ses acceptions courantes. C'est la tâche des philologues. Ne nous laissons pas déborder ; mais agir nourris d'éthique et, par leurs actions, aider aux définitions. La tenue environnementale que l'humanité adopte refond les savoirs, redonne sens aux actes, et place les établissements humains au cœur des enjeux. Nous vivons un moment considérable pour toutes les activités concourrant à la réalisation de ce qui est à tort réduit au " cadre bâti ". 2 Ce court passage dit beaucoup de choses : DD redonne sens aux actes 3. Il place d’abord l’éthique au centre de l’approche DD, autrement dit DD est avant tout un mode d’agir. AGIR recouvre actes et actions. DD a conscience de l’aspect différentiel des termes. ACTION est l’occasion d’une rationalisation « automatique », autrement dit d’un mode d’agir qui repose sur le management et la gestion contre tous possibles subjectifs qu’autoriseraient une plus grande confiance dans l’ACTE. En période de crise généralisée (crise de la représentation, crise symbolique, crise économique & politique, crise des idées, …), l’action compense l’acte qui n’offre pas la garantie d’un contrôle et d’une maîtrise parfaite des processus et des coûts. L’hégémonie de l’action, véhiculée par la généralisation de la voie managériale, est la manifestation sur le terrain du contrôle de l’acte. DD demande donc à ce que nous reprenions confiance en nous. A ce que les architectes-urbanistes défendent leurs idées, peut-être même à ce qu’ils refondent une doctrine sur les ruines de la modernité, à ce que les élus soient ambitieux dans leurs prises de décision, à ce qu’ils ouvrent des perspectives à la fois durables et désirables, sans 2 « Pour un projet culturel et politique : Passer de l'environnement au développement durable », Paru in Techniques&architecture n°176;465 (avril-mai 2003), avec le titre "Sur le qui-vive" pp.22-27, archivé sur : http://www.archi-art.net 3 cf. MENDEL, L’acte est une aventure…

8

craindre la prise de risque pour ne pas jouer la reconduction de son mandat, mais faire de son mandat un usage politique et non de la gestion du court terme. DD refond les savoirs, DD ne peut être cloisonné au disciplinaire ni même aux partages cognitifs de bon procédé entre CAMPS, sous contrôle universitaire, ce que l’on appelle l’interdisciplinaire. DD est POST-DISCIPLINAIRE, il est à la fois le produit de la société de contrôle, reposant principalement sur le contrôle des flux (énergie, circulation, capitaux, marchandise) et sur la nécessaire ouverture disciplinaire des savoirs. DD pose de manière fondamentale la question de l’agencement des savoirs, des modes de coopération, et des dispositifs participatifs ouverts. DD place les établissements humains au cœur des enjeux. DD ne recouvre aucune approche tentée de l’englober car les établissements humains constituent des enjeux différents des enjeux de territoire sur lesquels une vision technique et technocratique pouvait s’imposer. Les établissements humains sont par essence immuables, immatériels, réseaux et relations dynamiques. Toute tentative de mobiliser de manière exclusive et concurrentielle DD est la manifestation d’une volonté de prise de contrôle sur des processus urbains, appuyée par l’arsenal managérial (agence de marketing et de communication, bureau d’étude de management urbain, etc). La très stratégique pensée chewing-gum du management fait alors effet, les amalgames les plus courants apparaissent : on dit concertation pour des campagnes d’information plus ou moins propagandistes, reposant souvent sur des logiques de compromission. On confond volontiers H.Q.E et DD (nous reviendrons précisément sur ce point plus loin). DD ne peut-être l’affaire exclusive des experts, des techniciens et encore moins des manageurs qui n’ont que peu de choses à voir avec les processus utiles à la co-conception d’espaces urbains désirables… Ces approches tentent de définir DD dans une vision très limitée et figée. La technique par exemple voudrait faire croire que DD réside dans la mise en œuvre des énergies renouvelables. Or comme J. FOL et P. MADEC le soulignent, DD n’est pas limité au cadre bâti, mais s’intéresse principalement à des processus dynamiques immatériels : L’habitat est d’abord une question d’habitants, l’habitat est vivant, c’est un écosystème qui présente un biotope, une biocénose des êtres vivants, et comme il est vivant, il présente comme tous les êtres vivants un métabolisme. La ville ne doit pas être compacte ou diffuse, elle doit être intense. Le problème ne se pose pas en terme de formes, de mobilité urbaine, ou de technique de transports, il se pose en terme de relation, et la manière de saisir les relations c’est d’essayer de saisir l’intensité urbaine que l’on peut définir par la densité des évènements. L’éternel débat entre la compacité de la ville historique et de l’étalement urbain, la conception marxiste de l’opposition ville / campagne qui a été efficiente a un certain moment se déplace pour une relation espaces de vie / espaces naturels. 4 DD est politique dans le sens où il produit des attentes sur le long terme qui soient capables de répondre à une image désirée par les habitants et non démagogique. C’est à dire une représentation de l’avenir s’adressant davantage à l’éco-citoyen qu’à l’individu-consommateur cible des outils de marketing faisant pointer chez des auteurs comme F. ASCHER 5 des notions telles que l’urbanisme à la demande. DD demande un arbitrage politique centré sur le domaine public et sur des enjeux collectifs, ce qui demande beaucoup de courage dans la société de consommation. Nous allons donc tenter de développer une autre ligne de DD différente des deux premières annoncées en introduction dans le cadre d’une approche qui tire les conséquences de la cinétique cognitive et politique que DD semble induire. Nous axerons l’étude des conséquences de la refonte des savoirs et de la pratique de l’architecte sur la nécessaire re-subjectivation des processus de conception comme alternative à toutes volontés normatives d’une part, et nous soulignons l’importance qui commence à se dessiner, d’axer les enjeux de DD non pas sur les territoires, vision étatique de l’action urbaine allant dans le sens du durable, mais par une approche plus soucieuse de la culture, permettant sans 4 HYPOTHESES DE TRAVAIL DE L’EQUIPE GRAIN, A.O. FUTUR DE L’HABITAT, PUCA (pilote scientifique, J. FOL, Mandataire : Raymond GILLI, Prospective de l’habitat durable et désirable en Europe, Orléans, Freiburg, Isselstein, NL) 5 ASCHER, François, Les nouveaux principes de l’urbanisme, L’AUBE, essai, poche PARIS 2004, 1ère ed. 2001

9

doute de dépasser le durable pour tendre au désirable. C’est donc dans le sens d’une articulation plus que jamais nécessaire entre théorie et pratique que nous allons continuer à développer pour aboutir à une méthodologie d’une pratique qui doit donner tout son sens à la stratégie et au politique.

A. Une approche globale des interdépendances cognitives [savoir] et territoriales [pouvoir] DD repose sur trois piliers « officiels » (social – économique et environnement) et sur un quatrième qui entre dans les mœurs : culture. Regardons de plus près comment DD dynamise la notion de projet pour éclairer les méthodologies prospectives de DD. DD, l’occasion d’une refonte des savoirs : conséquences sur les pratiques et la notion de projet La notion de projet est essentielle pour comprendre la nature post-disciplinaire du développement durable et l’agencement des savoirs dans les dispositifs de conception que cela présuppose. Regardons avec Jean-Pierre BOUTINET 6 les différentes acceptions de la notion de projet pour tenter d’identifier plus précisément les conséquences sur la position spécifique dans la conception de ce double rapport savoir / action. Nous préférons parler ici des savoirs, et non de la connaissance, dans la mesure où nous différencions clairement les savoirs (savoirs fondamentaux, académiques, universitaires) sur lesquels reposent toutes les certitudes et les reproductibilités parfois inadaptées. Des savoirs qui se déclinent en savoir-faire dans le cadre d’un métier, et la connaissance de l’autre, qui nous paraît moins stable, en mouvement, sur laquelle s’appuie les pratiques. Les savoirs, état de l’art, constituent une base solide pour développer la connaissance. Le projet de développement durable s’appuie sur des savoirs existants, toutefois il exige aussi une dimension prospective qui donne toute son importance à l’intégration dans le projet des méthodes de recherche opérationnelle pour développer des connaissances dans le cadre d’une démarche de type recherche-action.

Projet d’aménagement spatial et projet de développement Pour commencer ce questionnement de la notion de projet, nous devons cerner de plus près les aspects différentiels entre la notion de projet d’architecture et la notion de projet de développement avec Jean Pierre BOUTINET. Cela nous permettra d’aborder la question du développement non pas dans son acception économico politique, mais d’un point de vu technique par rapport à la notion de projet. Nous découvrirons que le projet d’architecture correspond à une visions disciplinaire de la fabrication de la ville, contrairement au projet de développement qui dépasse la visée objectale s’attachant aux processus de mutations de la société.

Le projet d’aménagement spatial requiert l’anticipation nous dit premièrement l’auteur. Le projet doit être projeté, c’est à dire passer par la phase de la virtualité dans laquelle l’objet est conçu et modélisé avec les outils de projection. L’objet est donc représenté au travers d’un avant projet détaillé, puis d’un DCE, utilisant le plan, la coupe et les vues en perspectives et les axonométries, qui sont les bases de la descriptive. Puis la CAO permet de réaliser des opérations de calcul complexes, comme le calcul des ombres par rapport à la course du soleil, le calcul d’un parcours selon un point de vue donné. La CAO permet d’intégrer la quatrième dimension du projet, le temps. La modélisation graphique devient dynamique, la dimension temporelle peut-être représentée sur la base des données graphiques. Nous sommes là dans le domaine graphique de la représentation du projet d’architecture qui n’échappe pas,

6 Anthropologie du projet, pp 94-95

10

comme nous l’avons déjà vu, aux dérives communicationnelles de la société du spectacle et des enjeux de pouvoir. Toutefois, il nous semble que la notion d’anticipation sort très largement de la partie graphique du projet, c’est à dire du dessin, un au-delà qui tend au dessein. L’anticipation ne peut se résoudre à la communication d’un projet-objet pour « vendre » le produit, l’anticipation est aussi la possibilité de projeter dans le temps ce que sera l’objet, et de manière plus ouverte, l’interaction de l’objet vivant avec un environnement lui-même dynamique. La simulation graphique peut certainement être enrichie de manière à planter l’objet architectural dans son environnement, un paysage composé de données sociales, économiques, anthropologiques, etc… qu’il n’appartient pas à l’architecte de produire et qui conditionne pourtant le projet d’aménagement. Les temporalités du développement durable sont multiples, l’anticipation du projet signifie que le projet doit correspondre bien sûr aux besoins présents, mais il doit aussi viser les besoins futurs non déclarés dans le présent bien qu’ils soient conséquents d’actions passées. Nous verrons plus loin comment DD renouvelle cette notion d’anticipation en intégrant de manière beaucoup plus structurelle la part à l’incertitude que ce ne fut le cas dans les années soixante, très prolifiques en matière de prospective. Le second point pour J.P. BOUTINET qui caractérise le projet d’aménagement spatial est qu’il vise une appropriation collective de l’espace géographique par la médiation de réalisations techniques. Ce second point articule réalisations techniques et appropriation collective par le biais de la médiation. Le projet d’aménagement n’est pas un objet célibataire. Il est dépendant et conditionné au delà de son environnement naturel pour son environnement humain. L’appropriation collective pourrait sembler aller de soi, mais nous avons vu que l’urbanisation actuelle notamment par le biais des lotissements pavillonnaires qui poussent dans les champs de betterave accompagnent davantage des processus d’hyper-individualisation d’espaces privés interdisant la présence d’espaces publics structurants. La projection de l’en-commun est lié au projet de société, il s’agit de construire la cité. La plupart des projets urbains de promoteurs privés, qui se font sans le moindre investissement de l’état, ne remplissent pas les conditions du projet d’aménagement, et ne permettent pas de rendre viable l'habitat, le travail, les loisirs, les moyens de communication, qui sont les objectifs stratégiques du projet urbain et garants du DD : dans le cas des lotissements pavillonnaires qui foisonnent dans le tissu périurbain, la durée de vie de la maison est à peu près celle de la durée du crédit pour l’acquérir, ces zones sont de plus éloignées des bassins d’emploi pour trouver un foncier à bon marché, il n’y a aucun équipement intégré à ces aménagements, ni loisirs, ni commerces, ni administrations. Et souvent, ces zones raccordées à une bretelle d’autoroute ne sont pas desservies de manière régulière par les transport en commun. DD permettrait sans doute alors de constituer un garde fou pour les promoteurs sans scrupules afin de rééquilibrer les grands systèmes urbains dans le périurbain.

Les trois points clefs du projet d'aménagement spatial sont : la négociation permanente entre les différentes instances de la collectivité qui cherche à maîtriser son propre espace, le temps avec ses délais, son horizon indéterminé qui disqualifie tout ce qui est de l’ordre du ponctuel et de l’immédiat l’espace avec l’identification de contraintes, de possibles, et de tout ce qui constitue sa singularité. Le projet de développement, pour J.P. BOUTINET, au contraire subordonne les composantes techniques à une visée socio-économique. Précisons que pour la transformation du réel, les finalités constructives sont aussi importantes dans le projet de développement que dans le projet d’aménagement spatial. Toutefois les stratégies sont opposées selon que l’on se place du côté de l’aménagement de l’espace ou du côté du développement, la stratégie de projet ne travaille pas sur les même enjeux : le projet de développement peut avoir des points communs avec le projet d’aménagement ; mais ce dernier reste d’inspiration technocratique et dans sa conception valorise la rationalisation technique. Au contraire, le projet de développement insiste sur les aspects sociaux à travers la prise en compte de la position des différents acteurs 7. Ainsi un projet de développement

7 cf. Anthropologie du projet, p 95

11

prend très souvent les allures d’une réalisation coopérative mettant en branle différentes catégories d’acteurs tous engagés dans une perspective de recherche action où les concepteurs du projet et les acteurs sociaux destinataires, voire utilisateurs, se trouvent réciproquement impliqués. Nous nous risquons à penser que les pratiques du management dans les processus de conception travaillent sur des terrains intéressants lorsqu’elles touchent à la question du design bien qu’elles mettent aussi en œuvre des pratiques de pouvoir insidieuses par ailleurs. Lorsque le management est le recours à une situation de blocage et devient l’outil pour « gérer » ou prévenir les conflits, les outils de manipulation et de compromission empêchent toutes formes coopératives de travail. La concertation maquille alors des opérations de séduction qui relèvent du marketing urbain. Le management qui rappelons le encore, dans son acception première signifie « ménager », et se rapprochant en ce sens de DD, ouvre un espace pour la trans-disciplinarité et pour la co-conception (pour le management de la conception) et d’une réelle réflexion sur l’adaptabilité des outils d’analyse, de coopération et de représentation, chose que les architectes ont historiquement du mal à réaliser. Cependant nous voyons d’ores et déjà que le projet d’aménagement se range davantage dans une conception technique et technocratique, tandis que le projet de développement peut potentiellement ouvrir la voie de la culture qui permettrait peut être de dépasser l’aménagement durable géré par les institutions et souvent financé par les aménageurs privés, pour un développement plus désirable. D’une manière générale nous voyons dans l’intégration des pratiques du management dans la conception un avantage qui est celui d’un nouvel espace qui émerge par défaut face à l’impuissance des doctrines passées, et qui a l’avantage de s’imposer comme force opérationnelle autant qu’il est vide de tout à priori disciplinaire et avide de méthodes et de théorie pouvant le légitimer. Un espace transitoire donc, en devenir, qui nous permettrait, peut être, de penser l’architecture autrement que par une juxtaposition de sciences parcellaires s’excluant réciproquement ou négociant entre elles des modes de coopération limités, faisant parfois office d’alliance de pouvoir, au sein de l’espace dit interdisciplinaire. Prenons le cas de la gestion des conflits qui conduisent à des situation de blocage. La concertation est alors utilisée dans des logiques de compromission visant à contrôler la résistance démocratique qui s’organise contre la réalisation d’un projet. Les techniques de management de la concertation opèrent par un brouillage entre opération de communication, de marketing d’une part, et ce qui est de l’ordre de la parole citoyenne, de la participation d’autre part. De telles pratiques ont lieu dans le cadre du projet d’aménagement spatial, et ne peuvent s’exercer dans le cadre du projet de développement où les logiques d’implication sont préférées aux logiques de compromission. A la gestion du conflit au profit de la défense des intérêts de la maîtrise d’ouvrage, nous préférons une dynamique qui va orienter, polariser le développement et donc travailler sur sa durabilité. Nous verrons plus loin, lors de l’analyse de la mise en œuvre du DD à Boulogne Billancourt comment cela s’inscrit dans les textes officiels. Le projet de développement a aussi une finalité économique. Ne perdons pas de vue qu’aux yeux de la loi SRU, le projet d’aménagement et de développement durable est l’équilibre entre la protection de l’environnement, et la préservation des espaces naturels avec le développement économique et social. Le challenge du projet de développement n’est pas d’assurer un développement économique de telle ou telle localité, mais de veiller, dans le temps présent et dans le temps futur, à la préservation de l’équilibre entre les domaines économiques et sociaux. Les trois points clefs du projet de développement sont : Un aspect technique de réalisation d’un nouvel aménagement Un aspect social de valorisation tant des acteurs qui participent au projet que des destinataires de ce projet, dans le meilleur des cas, les acteurs étant eux-mêmes les destinataires ; Un aspect économique de plus-value apportée sous forme d’avantages, de production de nouveaux moyens, de nouveaux biens ou services, en contrepartie des coûts engagés et hypothéqués par le projet.

12

Le projet d’aménagement et de développement durable se déduit quasi-naturellement du projet d’aménagement spatial et du projet de développement. Relevons les caractéristiques de ces deux notions de projet qui concernent le projet d’aménagement et de développement durable. Comme le projet d’aménagement spatial, le projet de développement durable requiert l’anticipation. Une anticipation qui retrouve une épaisseur méthodologique dans la pratique du projet de développement durable. Comme nous le développerons dans un chapitre dédié à une proposition de méthodologie urbaine pour la réhabilitation d’un ensemble de logement social, l’anticipation relève d’une méthode spécifique alliant théorie, pratique et une grande amplitude temporelle : la prospective. Nous devons être attentifs aux écueils d’une telle méthode qui n’est certes pas nouvelle mais tout à la fois pertinente par rapport aux enjeux du XXIème siècle. La projection temporelle du projet de développement durable est beaucoup plus complexe que dans le projet d’aménagement spatial : il s’agit de penser et d’articuler le court, le moyen et le long terme, 5, 10, 30, 50, 100 ans alliant à la fois une dimension sociétale immatérielle pour tracer des devenirs possibles avec une exigence de production physique présente héritant d’une situation passée. Edgar MORIN dans le chapitre « Où va le monde ? »8 précise la question de l’interdépendance passé / présent / futur et tire les leçons de la prospective des années soixante fondée selon l’auteur sur une pensée techno-bureaucratique assurée que l’avenir se forgeait dans et par le développement des tendances dominantes de l’économie, de la technique, de la science. 9 L’auteur pousse la critique des prospectivistes de ces années en affirmant qu’ils avaient alors édifiés un futur imaginaire à partir d’un présent abstrait. […] Les outils grossiers, mutilés, mutilants qui leur servent à percevoir, concevoir le réel les a rendus aveugles non seulement à l’imprévisible, mais au prévisible. 10 L’auteur attire ici notre attention sur l’importance de la compréhension du présent pour penser l’avenir, une compréhension aidée par la connaissance du passé et par une réflexion sur les outils d’analyse adaptés au présent. E. MORIN et J.P. BOUTINET se retrouvent sur les termes technocratiques qualifiant l’interventionnisme étatique dans une conception du projet trop fermée, signifiant une volonté excessive de maîtrise et de contrôle de manière totalement contradictoire avec son impuissance réelle à financer notamment. Nous devons donc reposer sérieusement le terme d’anticipation afin de voire dans quelle mesure celui-ci peut être convoqué dans le dessein d’une durabilité non désirable pour l’intérêt public. Nous devons ici tirer les conséquences de la nature même de DD, c’est à dire son principe d’interdépendance territoriale, cognitive et temporelle interdisant tout processus ouvrant le chemin de la réglementation, de la normalisation ou de la certification. Le principe d’interdépendance dynamique oblige à laisser une large part à l’incertitude, le futur sera un cocktail inconnu entre le prévisible et l’imprévisible, nous dit E. MORIN 11. Puis l’auteur continue sur le principe de l’interdépendance temporelle qui dévoile la nullité des prospectives et futurologies qui prétendaient se fonder sur le socle du présent : […] le futur est nécessaire à la connaissance du présent. C’est lui qui va opérer la sélection dans le grouillement d’actions, interactions, rétroactions qui constituent le présent. C’est lui qui nous dévoilera les vrais opérateurs du futur. C’est à la lumière du futur devenant présent et faisant du présent un passé, que les acteurs principaux du présent rentrent dans l’ombre, deviennent des comparses, des utilités, tandis que sortent de l’ombre, de la coulisse, de sous les tables, de derrière les rideaux, les joueurs véritables du temps. 12 Le futur est le facteur temps discriminant qui valide ou non les objectifs mis en œuvre dans le projet donnant toute son importance aux sciences spécialisées capables de prédire par exemple les grandes pénuries à venir dans les prochaines décennies telle que la fin du pétrole. Toutefois ces sciences parcellaires qui informent la prospective ne peuvent la gouverner, le principe polycausal inhérent au DD ne peut se développer que sur un territoire post-disciplinaire, c’est à dire au-delà des disciplines parcellaires. La question méthodologique centrale pour les Hommes de projet est de savoir comment penser notre présent sans

8 MORIN, Edgar, Pour entrer dans le XXIe siècle, Points / essais, SEUIL, PARIS, 2004, 1ere ed : Pour sortir du XXe siècle, NATHAN, PARIS, 1981, pp 320-359 9 ibid, p 320 10 idem 11 ibid, p 322 12 idem

13

vouloir contrôler le futur mais en aménageant le principe d’incertitude qui nous oblige à "rester sur le qui-vive" pour reprendre l'expression de P. MADEC et de J. FOL. 13 La seconde caractéristique soulevée par J.P. BOUTINET concernant le projet d’aménagement spatial concerne aussi le projet de développement durable : le projet de développement durable aboutit à des réalisations techniques. Des réalisations techniques qui s’articulent avec la méthode dont nous parlerons plus loin, la prospective, puisque l’innovation technique est importante dans le cadre de tels projet. Toutefois la prospective n’initie pas seulement un mouvement vers l’avant, elle peut aussi réactiver des techniques antérieures parfois oubliées. Le développement durable peut aussi constituer un retours aux sources, à la tradition constructive par exemple, qui pourra être adaptée au présent ou au futur. L’appropriation collective de l’espace géographique est un enjeux majeure du développement durable. Les processus d’individualisation de l’utilisation de l’espace et des technologies accompagnant les processus marchands de privatisation de l’espace sont une aberration du point de vue du développement durable. La question de la société, de la reconquête des espaces collectifs, du vivre ensemble, dans la sphère domestique et publique, constituent des axes centraux aux manière de concevoir la ville de demain. Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, la poly-causalité du projet d’aménagement spatial définit par J.P. BOUTINET recouvre en partie le projet d’aménagement et de développement durable tel qu’il est définie dans la loi S.R.U. Ainsi il s’agit de rendre viable l’habitat, le travail, les loisirs, les moyens de communication. Une partie de la complexité du projet de développement durable se dessine ici : il s’agit bien d’aboutir à un objet architectural ou urbain, conditionné de manière déterminante par le processus qui lui est concourant. Le projet de développement durable empreinte au projet de développement sa visée socio-économique. C’est ainsi que le projet d’aménagement et de développement durable s’ancre véritablement dans son environnement économique, politique, social, urbain, géographique, etc. Le projet d’aménagement et de développement durable ne peut être conçu uniquement dans des problématiques plastiques de génération des formes par exemple. Souvent d’ailleurs, l’importance donnée à de telles méthodes compensent un refus ou une incapacité à s’inscrire dans le réel. Le projet d’aménagement et de développement durable ne peut se défaire des rapports de pouvoirs, toutefois de tels principes ne peuvent l’emporter sur l’intérêt général qui doit rester son point focal. Ainsi toutes les mises en œuvre du projet coopératif doivent se développer afin de constituer le terrain de la négociation dans une dynamique qui serve un processus stratégique d’ensemble. Le projet coopératif élimine instantanément l’ensemble des pratiques de management insidieuses. L’écueil du projet coopératif est sa ressemblance avec les modèles du management d’entreprise : effacement de la figure de l’autorité, illisibilité et donc report sur l’ensemble des acteurs des responsabilités, de manière parfois incohérente avec les fonctions exercées. Ainsi il n’est pas si aisé de remettre en cause le système des acteurs hiérarchique. Quelles sont les conditions de la coopérations ? Comment s’organise la prise de décision, la question de la validation des choix ? Le projet d’aménagement et de développement durable peut-être davantage encore que le projet de développement demande une réelle réflexion sur la conception des dispositifs de conception. L’adaptabilité des dispositifs de conception est essentielle dans la mise en œuvre d’une stratégie de terrain. La coopération et le partage des connaissances s’avère nécessaire mais cela n’est pas sans poser des problèmes du point de vue économique. Comme nous l’avons vu dans la première partie de cette étude, le capitalisme cognitif est la crise du capitalisme 14 étant donné qu’il tend à une économie de la gratuité et vers des formes de production, de coopération, d’échanges et de consommation fondées sur la réciprocité et la mise en commun […]. Or le problème fondamental pour une organisation

13 voir : http://www.archi-art.net/revue_automatique/article.php3?id_article=81 14 « Le capital immatériel, Connaissance, valeur et capital », in L’immateriel, p 47

14

professionnel sur le modèle du general intellect reste son financement. Comment financer les revenus des acteurs sur un tel modèle pourtant souhaitable du point de vu de la conception architecturale et urbaine dans le cadre du développement durable ? Cette réflexion sur la rémunération du travail invisible est engagée par différents auteurs15. De tels dispositifs remettent fondamentalement en question les dispositifs de conception concurrentiels existants tels que les concours. Sans doute devrons nous tendre dans les prochaines décennies à un rapprochement entre la recherche opérationnelle et les pratiques de projet pour faire face aux enjeux du développement durable. Le projet d’aménagement et de développement durable se situe sur le terrain théorique et sur le terrain de la pratique. Il constitue l’espace de la nécessaire réconciliation professionnelle entre pratique et théorie. Car un tel projet ne peut-être uniquement le résultat de l’application d’un savoir-faire. Les savoir-faires et les doctrines constituent le corps du métier de l’architecte. Nous nous situons ici dans les pratiques de l’architecte et de l’architecture. Des pratiques en mouvement, non figées, dans une dynamique cognitive nécessaire à l’adaptabilité selon des sites et des situations singuliers. Ainsi comme pour le projet de développement, le projet d’aménagement et de développement durable est le fruit d’un travail de recherche-action. Les méthodes classiques de projection de l’architecte ne sont pas nécessairement obsolètes par rapport au développement durable pourvu qu’elles se remettent en mouvement. Le dessein et le dessin doivent s’articuler, les pratiques communicationnelles sont importantes dans des dispositifs appelés à intégrer l’hétérogénéité. Cela ne va pas sans dire qu’une réflexion de fond sur les conditions de la pratique de l’architecte doit être engagée. Comment donner le temps à l’architecte d’investir dans la recherche, dans la partie la plus prospective du travail conceptuel ? Nous savons qu’aujourd’hui le temps de conception est très dévalorisé, il est donc quasiment impossible pour un architecte de prendre son temps pour concevoir. Comment rapprocher les moyens de la recherche avec les pratiques opérationnelles de projet ? La pratique du projet d’aménagement et de développement durable demande du temps pour que le travail de conception puisse embrasser toute la complexité du projet, une complexité qui ne relève pas nécessairement du dessin, mais du dessein lui-même et du principe de poly-causalité détaillé plus loin. Enfin, notons que le projet d’aménagement et de développement durable et le management de la conception peuvent se retrouver de manière féconde sur la question du design. Il s’agit alors de penser l’intelligence entre une forme, des matériaux, des mises en œuvre industrielles de façonnage ou de sérialisation de la production, des conditionnements, des procédés d’assemblage et de construction sur le chantier, etc. La maison PHENIX par exemple pose une réelle question de développement durable que des architectes comme J. FERRIER traitent actuellement. Ainsi la négociation, le temps, l’espace, mais aussi les aspects, sociaux, économiques, environnementaux et culturels renseignés par la technique constituent les clefs de voûte du projet de développement durable rendant incontournable l’expression claire de la ville désirée afin d’expliciter les tenants et les aboutissants de l’en devenir établi par les actions présentes sur des questions telles que la place ménagée pour les pauvres, le choix entre la mixité sociale induite par un traitement des territoires ou une stratégie sur la mobilité sociale et spatiale des multitudes, la place réservée à l’espace public et l’action publique par rapport au phénomène de marchandisation et de privatisation de l’espace urbain, etc. Telles sont les questions certainement spécifiques d’une démarche de projet qui aille au delà de la condition disciplinaire de l’architecture. Le projet au-delà de sa condition disciplinaire : pour un projet de synthèse Nous venons de voir que le projet d’aménagement et de développement durable est un projet complexe qui intègre des critères du projet d’aménagement et des critères du projet de développement.

15 cf: « Un salaire social pour le tiers secteur », in La fin du travail, J. RIFKIN, pp 338-350 ; « Le revenu d’existence : deux conceptions », pp 30-33, « Fondements du revenu d’existence », pp 99-105, in L’immateriel, A. GORZ

15

Nous devons donc éclaircir les conséquences d’un tel projet sur la condition disciplinaire de l’architecture. Henri LEFEBVRE en 1968 fait un point sur cette question dans un chapitre intitulé « les sciences parcellaires et la réalité urbaine » 16. L’auteur apporte une critique sur les dispositifs cognitifs d’analyses du présent opposant l’approche analytique de la réalité urbaine et l’approche globale. Pour expliciter l’approche analytique, l’auteur prend cet exemple : Dans l’analytique de la réalité urbaine, le géographe, le climatologue, le botaniste interviennent. L’environnement, concept global et confus, se fragmente selon des spécialités. L’approche analytique de la réalité urbaine est une approche disciplinaire. Chaque discipline apporte un point de vu expert sur la réalité. L’auteur souligne que ces approches ne manquent pas de rigueur mais qu’il s’agit d’analyses fragmentaires parce que fragmentantes. L’approche analytique réussit au mieux à rassembler un grand nombre de données, une somme d’indices, de variables, de paramètres, de corrélations mais qui restent éparses. L’approche globale cherche pour LEFEBVRE à atteindre une démarche qui rappelle étrangement celle des philosophies quand elle n’est pas ouvertement philosophique. Pour l’auteur il y a deux approches du global : la première est disciplinaire, en partant d’extrapolations au nom d’une discipline. La seconde est interdisciplinaire, c’est à dire par une démarche qui transcende les découpages. Plus loin LEFEBVRE définit le terme « interdisciplinaire » par rapport à l’urbanisme : il s’agit de la confrontation et de la communication des experts, celui de la réunion des analyses parcellaires. En somme, il s’agit de la zone de recouvrement entre plusieurs disciplines. Pour LEFEBVRE, nous avons d’un côté un concept sans contenu [avec l’approche globale], et de l’autre du contenu ou des contenus sans concept [avec l’approche analytique]. FOUCAULT et DELEUZE nous ont appris la fin de l’ère disciplinaire substituée par la société de contrôle. Ainsi si au début des années 70 « l’interdisciplinaire » était encore un espace d’ouverture et d’expérimentation, nous pensons que la société de contrôle à relégué l’interdisciplinaire au rang des disciplines ne garantissant plus les possibilités d’un espace de synthèse nécessaires au développement durable. A l’heure où tout le monde se dit interdisciplinaire, il est frappant de constater la puissance de lobbies, des corporatismes, la généralisation du management, et le militantisme étudiant pour préserver un modèle universitaire qui résiste contre la refonte des savoirs qu’exige le développement durable n’a rien d’autre à proposer en la matière que du management urbain, ou de la gestion environnementale. L’avènement post-disciplinaire devrait accompagner le projet d’aménagement et de développement durable et pourrait configurer des nouvelles relations entre les disciplines intégrant davantage leurs interdépendances sur un territoire donné. Notons que les remarques de LEFEVBRE sur l’aspect épars des connaissances produites et la fragmentation des modèles d’analyses est aussi déploré par E. MORIN 17. Ce dernier reproche aussi aux sciences parcellaires de simplifier la compréhension de la réalité et n’hésite même pas à souligner avec ironie que les experts bâtissent finalement un présent abstrait et sont rendus aveugles par des outils grossiers, mutilés, mutilants, qui leur servent à percevoir, concevoir le réel 18. Empreintant le chemin tracé par LEFEVRE et MORIN, nous allons tenter de schématiser la condition disciplinaire de l’architecture par le biais du projet d’aménagement et de développement durable en tirant l’ensemble des conséquences de ce que nous avons vu des caractéristiques d’un tel projet. L’objet de ces schémas est de montrer comment la connaissance et la pratique s’articulent, comment les connaissances s’agencent entre elles. Bien sûr nous pourrons aussi tirer les conclusions de ces nouvelles configurations par rapport à la question de l’enseignement du projet d’architecture.

16 cf. Le droit à la ville, p 45 17 cf. La méthode, Introduction à la pensée complexe. 18 cf. Pour entrer dans le XXIe siècle, p 320

16

La discipline : Quatre zones représentent les 4 piliers du développement durable : l’économie, le social, l’environnement, la culture. Ces zones sont clairement limitées, il s’agit de champs disciplinaires qui éclairent chacun de manière spécifique et parcellaires la réalité urbaine. L’interdisciplinarité : Entre ces zones, nous sommes dans l’interdisciplinarité qui opère par recouvrement de deux champs minimum entre lesquels il peut y avoir hybridation ou simple juxtaposition, sans modifier structurellement l’une ou l’autre des disciplines. Nous montrons par ce dessin que l’approche socio-culturelle ou la management environnemental ne constituent pas des approches qui permettent de penser le problème urbain dans sa totalité. Il s’agit de coopérations ou d’alliance entre deux disciplines mais qui bien souvent excluent une partie des phénomènes urbains, étudiée par une discipline non alliée. La post-disciplinarité : La zone grise est l’espace de la synthèse de l’ensemble des approches disciplinaires et interdisciplinaires. Cet espace n’est pas le lieu de l’expertise mais de la synthèse. Cet espace est le lieu des stratégies urbaines, de la définition des objectifs selon les enjeux décidés et selon l’adaptabilité des moyens à mettre en œuvre dans le cadre d’une écologie urbaine et sociale. Par écologie nous entendons la recherche d’un équilibre entre développement et protection de l’ensemble des réalités urbaines, sociales, économiques, environnementales et culturelles. Au centre de cette aire post-disciplinaire, le projet de développement durable.

ECONOMIE

CULTURE

SOCIAL

ENVIRONNEMENT

PROJET

DEVELOPPEMENT

DURABLE

SOCIO-ECONOMIE

SOCIO-CULTURELMANAGEMENT-

ENVIRONNEMENTAL

?

17

Ce dessin montre que nous ne plaçons pas le projet de développement durable dans une case disciplinaire spécifique : le projet de développement durable n’est pas une spécialisation du projet d’architecture ou urbain qui mobiliserait une technologie spécifique. Le développement durable ne peut-être une discipline en soit, il est l’espace politique du projet, l’espace de discussion, de négociation, et de production d’une connaissance trans-disciplinaire dans un cadre éthique visant à construire le projet de société au-delà de sa propre survie. Ce dessin montre aussi que nous ne plaçons pas les termes architecture ou urbanisme. Les pratiques architecturales et urbaines sont dans la vie professionnelle cloisonnées. Il s’agit même de deux métiers différents parfois. Dans les processus de conception, celui qui fait le programme ne peut prétendre à construire ensuite. Dans le cadre du projet de développement durable, les échelles sont imbriquées et interagissent entre elles. Comme le fait remarquer J. PEZEU-MASSABUAU 19, du voisinage à la ville, il n’y a qu’un pas… L’architecture n’apparaît pas dans le dessin, elle ne s’agence pas parmi les disciplines. Cette position instaure instantanément des rapports de forces et de concurrentialité qui ne correspondent pas aux caractéristiques d’ouverture et de coopération nécessaires au projet d’aménagement et de développement durable. L’architecture est le projet post-disciplinaire. Nous faisons donc l’hypothèse que le projet, qu’il soit à l’échelle de l’architecture ou de l’urbain ne se pose plus dans le cadre de la discipline, sa condition disciplinaire est dépassée par les enjeux sociétaux contemporains. Le projet est à la croisée des chemins. Comment le projet d’architecture ne peut-il aujourd’hui correspondre aux exigences de la durabilité ? Cette conception de la notion de projet peut paraître surprenante voir déconcertante et pourtant ce schéma n’efface pas la place de l’architecture comme discipline légitime mais bien au contraire affirme que le projet urbain est l’espace de la synthèse d’une conception de l’urbain que les sciences spécialisées se sont acharnées à dépecer en savoirs parcellaires et non reliés. Nous allons développer maintenant cette hypothèse et tenter une seconde modélisation de l’agencement des dispositifs cognitifs post-disciplinaires. Les sciences spécialisées : Les sciences spécialisées ont émergées dans le courant du XIXème siècle pour proposer une approche fragmentaire de la réalité urbaine selon des prismes spécifiques. Cette méthode analytique s’oppose à la méthode de la philosophie qui visait davantage à saisir la globalité de la réalité urbaine. L’espace de l’interdisciplinarité est l’endroit où se rencontrent et dialoguent des disciplines spécifiques. Cette surface a des limites claires, elle est contenue et contrôlée par les disciplines mères. Le projet de synthèse : Cet espace englobe les disciplines et les interdisciplinarités. Si l’espace [inter]disciplinaire est souvent celui de la concurrence, il est important de penser à dégager un autre espace, celui de la synthèse et de la concourance. Nous différencions donc dans ce dessin interdisciplinarité et post-disciplinarité en leur donnant des positions opposées : l’interdisciplinarité est contenue par les disciplines elles-mêmes tandis que la post-disciplinarité propose un aménagement cognitif décloisonné de l’intégration des disciplines dans le projet. Cet espace serait la tentative de la reconquête d’une approche philosophique de l’urbain. Henri LEFEVBRE souligne fin 1960 la nécessité de revenir à une conception moins morcelée de la réalité urbaine : Le philosophe et la philosophie tentent de retrouver ou de créer la totalité. Le philosophe n’admet pas la séparation ; il ne conçoit pas que le monde, la vie, le cosmos (et plus tard l’histoire) puissent ne plus constituer un Tout 20. Cet espace est sans doute celui du projet. Un espace qui peut faire peur, c’est celui de la prise de risque, de la décision, de la responsabilité, du choix, de l’éthique, bref, l’espace de la stratégie. C’est donc un espace en devenir. Les espaces disciplinaires sont figés, établis, les territoires , régions, départements et autres sous-divisions sont marquées, les frontières sont gardées, les contenus établis,

19 Cf. La maison, espace social, pp 173-185 : L’homme habitant entre la norme et le rêve individuel 20 in Le droit à la ville, p 38

18

et le devenir contrôlé. Le projet, comme la philosophie se réalise dans l’espace post-disciplinaire. LEFEBVRE nous dit d’ailleurs qu’il y a pour Hegel, comme l’énoncera Marx, à la fois devenir philosophie du monde et devenir monde de la philosophie. Il en tire ensuite les deux conséquences suivantes : il ne peut plus être question d’une scission entre la philosophie et la réalité (historique, sociale, politique) d’une part et le philosophe n’a plus d’indépendance ; il accomplit une fonction publique, comme les autres fonctionnaires d’autre part. Ces deux conséquences sont plus que jamais d’actualité dans le cadre du projet de développement durable qui constitue l’espace du projet où l’on tente de saisir une Totalité, qui comprend le présent mais aussi l’en devenir de la société. Un tel projet aujourd’hui est clairement de la compétence de la philosophie. Le projet philosophique contemporain ne peut être éloigné, semble t-il, des préoccupations inhérentes à l’en devenir de la planète, et de la société qui transcendent très largement les découpages disciplinaires universitaires. Ainsi se pose rapidement la question de la crise de l’institution universitaire qui trouve sans doute une cause dans la crise des disciplines elles-mêmes. Dans quelle mesure le projet de synthèse est-il compatible avec l’institution ? Comment faudra t-il adapter l’institution universitaire pour enseigner et former au projet post-disciplinaire qu’est le projet d’aménagement et de développement durable ?

Nous venons de montrer dans quelle mesure le projet d’architecture et le projet urbain dépassent tout cloisonnement disciplinaires et les champs qui s’opposent dans des rapports de savoir-pouvoir. Au savoir inter-disciplinaire qui se fige en savoir-faire et en métier, nous préférons aborder le projet sous l’angle d’une pratique dynamique animée par une stratégie. La connaissance déduite dans l’espace post-disciplinaire n’a de légitimité que si elle permet de développer une force de production, du projet. Tant que le projet était soumis à une législation qui imposait l’approche réglementaire du projet, il était très difficile de mettre en oeuvre une stratégie de projet. Le règlement dictait le possible et l’impossible de manière équivalente selon toutes les situations. L’architecte pouvait alors se reposer

19

sur des textes qui renvoyaient dos à dos les différentes administrations concernées par un projet d’ensemble. En 2000, la loi SRU retouche l’article L. 300-1 en réponse à la critique que l’ aménagement foncier était définit par les procédures et non par les objectifs, tentant ainsi d’insuffler une conception moins réglementaire en introduisant pour la 1ère fois dans le code de l’urbanisme la notion de projet urbain : Article L300-1 du code de l’urbanisme : Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objet de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. L'aménagement, au sens du présent code, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. Cet article a été retouché par la loi SRU pour introduire la notion de « projet urbain » comme constituant une nouvelle finalité et donc un motif juridique suffisant pour les actions et opérations d’aménagement dans lequel actions et opérations d’aménagement seraient à distinguer 21. Sans doute pouvons nous voir dans cette différenciation entre actions et opérations une volonté d’affirmer que le projet si il a bien une finalité constructive, objectale, ne peut se passer d’une stratégie d’ensemble et d’un processus sans doute bien plus complexe que le montage de l’opération elle-même. L’article L. 300-1 énumère les objectifs des grandes opérations d’aménagement de la manière la plus extensible possible. La concertation est le principe méthodologique qui conduit de tels projets, une concertation dont les conditions doivent être définies par le conseil municipal. Nous voyons ici la complexité du projet d’aménagement tel qu’il est définit dans le code de l’urbanisme, les temporalités et les objectifs sont imbriqués : le projet ne se réduit pas à la construction de l’objet d’architecture, il s’agit aussi de travailler dans l’existant, aussi bien sur des objectifs de mise en valeur du patrimoine que sur la question de l’insalubrité des logements par exemple. Les objectifs concernent le développement du pôle économique via les commerces ou le tourisme, mais ce développement ne doit pas se faire au détriment de la sauvegarde du patrimoine bâti ou non bâti et des espaces naturels. Pour montrer comment DD redéfinie la notion de projet en l’ouvrant au delà de ses aspects matériels à une immatérialité qui semble échapper très souvent à la profession des architectes urbanistes. L’idée de DD est que le projet urbain et territorial doit avant tout répondre de l’interdépendance des invariants universels de DD, le projet tient dans l’approche globale de la mise en relation entre ECONOMIQUE, SOCIAL et ENVIRONNEMENT. Regardons de plus près le Projet d’Aménagement et de Développement Durable [PADD], document composant le PLU depuis la loi SRU. Ainsi développement et sauvegarde doivent s’articuler dans le projet urbain. Il s’agit bien de toute la problématique du projet d’aménagement et de développement durable [PADD], que la loi SRU a introduit constituant un véritable outil stratégique de conception. La loi SRU comme nous allons le voir maintenant est cohérente avec les caractéristiques du projet post-disciplinaire que nous avons vu plus haut. Voici un extrait de l’article L 122-1 du code de l’urbanisme qui explicite de manière très claire les enjeux du PADD. Le PADD s’inscrit dans le cadre de la loi SRU (Solidarité Renouvellement Urbain) dont le principal mérite aura été de tenter une nouvelle approche du droit de l’urbanisme corrélée aux enjeux

21 Giani et Lenée, Actions et opérations d’aménagement. Phémolant, Les outils de l’urbanisme pour le renouvellement urbain

20

contemporains en matière de Renouvellement Urbain et de Solidarité. Le mot Solidarité propose de dépasser la technique pure pour intégrer l’humain, ainsi l’approche réglementaire et normative traditionnelle a été remplacée par une approche beaucoup plus opérationnelle. Le code de l’urbanisme ne donne plus un cadre figé, les textes reposent sur la nécessité de mettre en œuvre des STRATEGIES urbaines dans le sens de l’adaptabilité singulière et non normées des dispositifs à même de répondre aux objectifs déduits des enjeux économiques, politiques, sociaux, environnementaux et culturels. La loi SRU en précisant pour la première fois la notion de projet dans le code de l’urbanisme affirme que cette notion ne repose pas seulement sur la constructibilité et sur les aspects techniques, mais qu’il s’agit de la conception des INTERDEPENDANCES entre les trois piliers universels du DD : économique, social, environnemental auxquels nous pouvons rajouter le culturel. Cette mise en relation signifie que nous sommes dans le cadre d’une conception complexe du projet, sur un modèle cognitif croisé (transdisciplinaire, ou post-disciplinaire), sur un système des acteurs en réseau. Le modèle réticulaire global affirme qu’il ne peut y avoir de méthodes ou de définitions figées pour DD. Bien au contraire, DD est une dynamique qui oblige à redéfinir et à traiter chaque termes selon ses enjeux spécifiques. DD devrait requalifier par exemple les pratiques de bailleurs sociaux. Regardons de près l’article L122-1. Cet article est l’un des plus complets de la loi SRU qui définit le projet d’aménagement et le projet de Développement Durable dans le cadre du Schéma de Cohérence Territorial : Les schémas de cohérence territoriale exposent le diagnostic établi au regard des prévisions économiques et démographiques et des besoins répertoriés en matière de développement économique, d'aménagement de l'espace, d'environnement, d'équilibre social de l'habitat, de transports, d'équipements et de services. Dès ce premier paragraphes les trois piliers de DD apparaissent : ENVIRONNEMENT – ECONOMIQUE – SOCIAL. Mais au delà des ces trois enjeux qui constituent les invariants du PADD, cet article nous renseigne sur la nature des relations entre les termes : Concernant l’économique et l’aménagement de l’espace, le PADD doit aller dans le sens du DEVELOPPEMENT, concernant le social, le PADD prescrit l’EQUILIBRE. Nous verrons plus loin que la problématique de l’équilibre est centrale dans l’approche du PADD. Ainsi, du point de vu méthodologique, cet article définit le DIAGNOSTIC comme la conception de interdépendances entre les trois termes du DD,: le développement économique doit répondre aux BESOINS REPERTORIES quant à l’évolution démographique, l’aménagement des espaces, l’environnement (non qualifié de naturel), et autoriser l’équilibre social dont on souligne la teneure : habitat, transports, équipements et services. Nous soulignons enfin le mot PREVISIONS qui montre l’incompatibilité du PADD avec des dispositifs de management et de gestion du quotidien. DD ne peu se faire dans l’urgence, l’anticipation et la prospective de ce qui relève des grandes lignes politiques sur 10 à 20 ans est un travail qui exige un soucis particulier quant à ses procédures : Ils présentent le projet d'aménagement et de développement durable retenu, qui fixe les objectifs des politiques publiques d'urbanisme en matière d'habitat, de développement économique, de loisirs, de déplacements des personnes et des marchandises, de stationnement des véhicules et de régulation du trafic automobile. Ce chapitre précise que le PADD relève des politiques publiques et énoncent les points que cette politique publique doit traiter. Pour mettre en oeuvre le projet d'aménagement et de développement durable retenu, ils fixent, dans le respect des équilibres résultant des principes énoncés aux articles L. 110 et L. 121-1, les orientations générales de l'organisation de l'espace et de la restructuration des espaces urbanisés et déterminent les grands équilibres entre les espaces urbains et à urbaniser et les espaces naturels et

21

agricoles ou forestiers. Ils apprécient les incidences prévisibles de ces orientations sur l'environnement. Ce chapitre énonce clairement que d’un point de vu juridique le mot environnement ne recouvre pas la notion d’espaces naturels. Utiliser le mot environnement pour justifier un projet de végétalisation est donc un abus, les espaces naturels font partis de l’environnement mais cette dernière notion reste suffisamment ouverte pour autoriser d’autres possibles. Nous lisons que L’ESPACE URBAIN (qui intègre l’espace à urbaniser) est opposé aux ESPACES NATURELS, termes sur lesquels l’intervention est possible dans le respect de l’équilibre de l’autre. Le retours d’une approche partielle sur une approche globale prospective est évoquée clairement : par exemple, une décision d’action sur une forêt doit être étudiée en elle-même mais aussi au niveau de l’impact prévisible sur l’ensemble de l’écosystème (urbain + espaces naturels) qui compose l’environnement. A ce titre, ils définissent notamment les objectifs relatifs à l'équilibre social de l'habitat et à la construction de logements sociaux, à l'équilibre entre l'urbanisation et la création de dessertes en transports collectifs, à l'équipement commercial et artisanal, aux localisations préférentielles des commerces, à la protection des paysages, à la mise en valeur des entrées de ville et à la prévention des risques. Cet article précise les objectifs d’intervention du PADD : pour l’habitat : CONSTRUCTION de logements sociaux ; DESSERTES EN TRANSPORTS COLLECTIFS, EQUIPEMENT COMMERCIAL et ARTISANAL, PAYSAGES, MISE EN VALEUR DES ENTREES DES VILLES, PREVENTION DES RISQUES. Au delà de ces objectifs précis, cet article montre tout l’enjeu méthodologique du PADD : il s’agit d’articuler DEVELOPPEMENT (économique), EQUILIBRE (social), PROTECTION (des paysages) : Ils déterminent les espaces et sites naturels ou urbains à protéger et peuvent en définir la localisation ou la délimitation. Nous pourrions donc définir le PADD comme étant la conception systémique des interdépendances entre social, économique et environnemental visant à l’équilibre durable des écosystèmes. Ils peuvent définir les grands projets d'équipements et de services, en particulier de transport, nécessaires à la mise en oeuvre de ces objectifs. Ils précisent les conditions permettant de favoriser le développement de l'urbanisation prioritaire dans les secteurs desservis par les transports collectifs. Ils peuvent, le cas échéant, subordonner l'ouverture à l'urbanisation de zones naturelles ou agricoles et les extensions urbaines à la création de dessertes en transports collectifs et à l'utilisation préalable de terrains situés en zone urbanisée et desservis par les équipements. Les schémas de cohérence territoriale prennent en compte les programmes d'équipement de l'Etat, des collectivités locales et des établissements et services publics. Ils doivent être compatibles avec les chartes des parcs naturels régionaux. Lorsque le périmètre d'un schéma de cohérence territoriale recouvre en tout ou partie celui d'un pays ayant fait l'objet d'une publication par arrêté préfectoral, le projet d'aménagement et de développement durable du schéma de cohérence territoriale tient compte de la charte de développement du pays. Pour leur exécution, les schémas de cohérence territoriale peuvent être complétés en certaines de leurs parties par des schémas de secteur qui en détaillent et en précisent le contenu. Les programmes locaux de l'habitat, les plans de déplacements urbains, les schémas de développement commercial, les plans locaux d'urbanisme, les plans de sauvegarde et de mise en valeur, les cartes communales, les opérations foncières et les opérations d'aménagement définies par décret en Conseil d'Etat doivent être compatibles avec les schémas de cohérence territoriale et les schémas de secteur. Il en est de même pour les autorisations prévues par les articles 29 et 36-1 de la loi nº 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat.

22

L’analyse des enjeux que portent ces mots nous permet de comprendre un aspect de la complexité du projet urbain : il s’agit d’assurer à la fois le développement social et économique, en phase avec la hausse démographique et la nécessité à créer des bassins d’emploi avec l’implantation d’activités tout en préservant les espaces naturels, en intégrant les risques technologiques et la protection de l’environnement. La notion d’équilibre entre protection et développement constitue un enjeu public et collectif du projet, incontournable pour un développement durable et désirable de la société. Ainsi la législation en matière d’opération d’aménagement évolue d’un urbanisme réglementaire vers un urbanisme opérationnel. L’urbanisme opérationnel se déploie dans le cadre de l’aménagement de quartiers nouveaux apparus avec le lotissement d’initiative privée à l’origine, mais contrôlé par l’Administration depuis deux lois anciennes de 1919 et de 1924. Cet urbanisme se déploie aussi dans le cadre de réaménagement de quartiers anciens, ainsi les problématiques de rénovation urbaines et de construction dans l’existant constituent des préoccupations majeures au même titre que la démolition - reconstruction. L’urbanisme réglementaire qui constitue une stratification de règles et de contraintes formelles ne peut répondre aux enjeux du développement durable. Cette vision technocratique de l’aménagement urbain interdit toute mise en œuvre d’une stratégie de terrain, elle renvoie la pratique du projet dans ses retranchements disciplinaires. Il s’agit de repenser les fondements de l’organisation et de la mise en œuvre du projet qui ne peut plus être soumis à des règles générales mais que l’on doit analyser dans la singularité de chaque situation. La loi SRU tente de faire évoluer les pratiques du projet d’aménagement pour tendre au développement durable. Un développement durable qu demande la mise en place d’une réelle stratégie de projet, permettant de définir des objectifs clairs, d’adapter les moyens circonstanciés propres à atteindre les objectifs visés. Un processus qui doit se faire non seulement dans un esprit de négociation entre les différents acteurs du projet, mais en intégrant les dispositifs de la concertation pour intégrer la population concernée par le projet. Nous avons vu que la concertation est parfois faussée par des pratiques manageriales qui constituent de réelles dérives. L’approche de la concertation relève de l’autorité municipale, son approche peut aller du pédagogique à l’informatif en passant par les logiques de compromission ou d’intoxication. Il apparaît que le projet d’aménagement et de développement durable est avant tout une question de bonne volonté qui ne laisse que peu de place à la corruption, aux intérêts privés, au contentement de tel ou tel ego, ou aux tactiques à court terme. Or il semble que cette pratique opérationnelle du projet pose problème à certains acteurs du projet. Ce blocage qui vient peut-être d’une remise en question des méthodes et des formes de travail est particulièrement présent chez les architectes. Le passage d’un métier et de ses savoir-faire stabilisés à une pratique dynamique est difficile, l’architecte doit se repositionner par rapport à l’ensemble des acteurs. Traditionnellement au centre d’un dispositif, entre la maîtrise d’ouvrage et les entreprises, une dynamique de projet complexe implique davantage une structure en réseau dans laquelle l’architecte ne siège plus à la place hiérarchique et symbolique la plus élevée. L’architecte doit faire d’humilité et apprendre à travailler avec les outils et les méthodes de la complexité, et comme nous l’avons déjà vu, sur un mode coopératif. Une réflexion s’impose alors sur l’évolution souhaitable des pratiques de l’architecte, et sur l’état actuel des professionnels du projet qui adaptent leur pratique à une logique « par projet ». Pour conclure ce chapitre sur la dimension cognitive du projet post-disciplinaire, nous soulignons que les dispositifs cognitifs sont dynamiques, c’est à dire qu’il n’échappent pas aux rapports de savoir-pouvoir qui sont peut-être intrinsèques à toute stratégie. Il ne faudrait pas imaginer que les dispositifs post-disciplinaires échappent aux conflits qui peuvent émerger de la négociation et de la coopération. Tentons de modéliser dans le schéma suivant ses rapports de forces en donnant une dynamique à nos schémas précédents : l’espace disciplinaire est contenu dans un cercle inscrit dans le cercle de l’espace post-disciplinaire.

23

Contrairement à nos autres schémas, les disciplines chevauchent les deux espaces car nous pouvons penser que les spécialistes, les experts ou tous autres représentants du corps disciplinaire doivent bien sûr apporter les éléments de leur expertise dans l’espace de la synthèse. Par contre les disciplines ne peuvent revendiquer une attitude hégémonique dans l’espace de la synthèse et de la négociation qui correspond clairement à l’espace de mise en œuvre de la stratégie, l’espace de l’arbitrage et de la prise de décision éclairé et équilibré. Pourtant ce schéma montre que les disciplines ne pèsent bien sûr pas de manière équivalente. Les objectifs économiques prévalent trop souvent sur les autres objectifs, mais en plus la discipline économique rayonne sur les autres disciplines : ainsi se développent des interdisciplinarités à partir de l’économie comme le socio-économique ou le management environnemental. Nous pouvons aussi penser que l’environnement est un pôle appelé à se développer et à s’hybrider notamment sur le pôle social et le quatrième pilier du développement durable qu’est la culture. Cette dernière semble aujourd’hui assez isolée dans un tel dispositif face aux 3 piliers légitimés par la législation. Loin d’une volonté de mobiliser les pratiques manageriales, et bien au contraire, dans une volonté d’offrir les outils stratégiques à l’aménagement urbain, le PADD n’introduit pas moins la notion de projet complexe. Contrairement au management, il qualifie le projet complexe, il en fixe les objectifs. Toutefois nous verrons plus loin, sur le cas de la mise en œuvre du DD à Boulogne Billancourt que les objectifs DD peuvent aussi recouvrir les enjeux du développement d’une économie marchande libérale, et que le management peut se saisir de l’aspect complexe du PADD et de la notion de DD pour s’immiscer dans les processus et appréhender les objectifs DD sur les enjeux capitalistes.

environnement

économie

culture

social

Projet d’aménagementet de développement durable

Post-disciplinaire

Interdisciplinaire

Disciplinaire

24

B. Une approche temporelle du projet : l’incertitude comme réponse à l’épreuve du temps Le projet projet-processus vers un nouvel espace de valeurs ? Le contexte économique est aride, l’architecte est soumis a de fortes pressions et à un contexte de concurrence effrénée, la logique du concours participe à la dévalorisation du temps imparti à la conception. Nous ne pouvons faire autrement que de souligner le contexte dans lequel émerge la pensée architecturale pour comprendre comment la médiatisation, le marketing, la gestion peuvent s’imbriquer dans le travail de conception et apparaissent comme des solutions à court terme qui permettent simplement de survivre. Quels sont les dispositifs de conception qui permettent de revenir sur les enjeux d’intérêt général et de ré-orienter les pratiques actuelles vers un développement de la société plus désirable ? Les enjeux du projet-objet ne peuvent plus se situer uniquement au niveau de l’intérêt d’un maître d’ouvrage ou au niveau des intérêts capitalistes d’une société qui consomme à grande vitesse ses dernières ressources. Ils ne peuvent plus porter non plus sur l’ego d’un architecte star, ou sur la relation narcissique d’un auteur à son œuvre, ou sur la position doctrinale ou dogmatique à priori. La pertinence du projet-processus réside sûrement dans la réflexion sur l’adéquation entre la présence d’un terrain, des enjeux sur lesquels porte le projet, et la réalité de l’agence et des formes de travail développées par les professionnels qui leur permettront ou non de développer des pratiques (théorie, méthodes, outils) en corrélation avec la réinvention nécessaire d’un état existant, qu’il soit juridique, urbain, culturel, etc, à des fins qualitatives capables d’entraîner les volontés vers une prise en compte des problèmes écologiques environnementaux, sociaux, urbains, etc. Le projet-processus est le terrain sur lequel se développe les pratiques managériales les plus flagrantes, mais ce terrain peut constituer un terreau fertile à une ré-orientation des outils numériques, des principes de conception de la globalité, d’une application opérationnelle de la pensée complexe, et d’une modélisation des phénomènes complexes et singuliers qui dépasse la production médiatique de ce qu’on a appelé par ailleurs le projet-image . Le projet-processus est éminemment connecté aux principes de réalité, il ne saurait se réfugier dans le monde virtuel du projet qui héberge finalement du projet de projet. Le processus d’un projet concerne les modalités d’intégration, de prise en compte et de connexion du projet à son environnement qui lui assure une pertinence par rapport à l’ecosystème dans lequel il s’inscrit. F. GUATTARI (2) nous aide à voir comment le projet-processus pourrait correspondre au moment clef d’un mouvement collectif de « réorientation des finalités technologiques, scientifiques, économiques » qui permettrait de se dégager « d’un faux nomadisme qui nous laisse en réalité sur place, dans le vide de la modernité exsangue, pour accéder aux lignes de fuite du désir auxquelles les déterritorialisations machiniques, communicationnelles, esthétique nous convient. » Il s’agit bien de prendre conscience de la disqualification des anciennes doctrines, dont la dérive economico-esthétisante n’a fait qu’accompagner un nomadisme bohème bourgeois qui n’offre aucune alternative à la logique de survie. Penser et concevoir le désirable nous oblige à prendre conscience dans un premier temps du dégât que la « grande machine mass-médiatique » à opéré sur les subjectivités car le désirable ne saurait suivre le chemin de l’enviable : l’envie est le moteur de la consommation, c’est la cible de la publicité, le désirable est tout autre chose. Le désirable s’oppose à une froide rationalisation de la conception, l’action ne peut alors se substituer totalement à l’acte, il passe par l’expression d’une singularité quelconque , pour reprendre l’expression d’AGAMBEN (1), réactivée par un « processus de subjectivation » qui constitue pour GUATTARI l’un des trois registres de l’écologie, au côté de l’écologie environnementale et de l’écologie sociale. Cette « Cité subjective » comme la nomme FG demande à « reconquérir le regard de l’enfance et de la poésie aux lieu et place de l’optique sèche et aveugle au sens de la vie de l’expert et du technocrate. » D’un point de vue pragmatique et opérationnel, notons alors que le projet-processus correspond à une phase du projet qui permet de développer une stratégie et un dispositif cognitif que les ingénieurs,

25

depuis Midler avec L’auto qui n’existait pas , appellent concourant, mais que nous pouvons aussi qualifier de collaboratif, d’ouvert ou de transversal ; non pas animé par un soucis de gestion, mais recadré par un désir de travailler collectivement pour le bien de la collectivité ( general intellect ). Pour réaliser les objectifs qui correspondent à de tels enjeux, cela demande une revalorisation du temps imparti à la conception, cela demande un agencement plus ouvert des compétences liées au projet mixant davantage les spécialistes, les experts, les politiques, les usagers, etc autrement que dans des logiques de compromission comme tournent souvent les dispositifs de concertation. Un tel dispositif peut se rapprocher du general intellect et l’on voit immédiatement la difficulté de lui donner une opérationnalité face aux réalités économiques et aux dispositifs concurrentiels d’accession à la commande. Une dimension importante du projet-processus serait la pratique d’une stratégie qui consisterait à adapter l’état existant pour rendre possible un travail qui joue sur des enjeux qui dépassent l’individu tout en repartant de lui. L’approche post-disciplinaire du projet-processus La qualité architecturale et environnementale ne peut-être exclusivement l’objet de spécialistes car nous assisterions au même processus de territorialisation et d’approche exclusive que nous reprochons aux méthodes marketing. Il s’agit au contraire d’envisager l’aspect global du projet, les interactions entre des phénomènes hétérogènes qui appartiennent à des champs différents, à des disciplines spécifiques. Car la qualité d’un objet architecturale n’est pas seulement une qualité intrinsèque dont seul l’architecte serait maître. L’objet architectural répond à des contraintes extérieures comme le climat, rendant le même objet très pertinent sur un site et absolument inadapté sur un autre terrain. L’objet crée aussi du sens, des usages, il s’intègre dans un écosystème présent en rupture, en continuité, ou en complémentarité, il peut aggraver ou rééquilibrer des phénomènes présents qu’ils soient sociaux, économiques ou environnementaux. L’objet dessine l’espace publique, il est éminemment politique. La démarche qualité fondamentale est celle qui s’inscrit dans une prise en compte globale du projet, hors la globalité est prise à bras la corps par trop peu de professionnels et certainement pas par les architectes qui ont l’impression de perdre là leur objet. Pourtant les architectes, comme les urbanistes, les politiques, pourraient inventer des dispositifs de co-conception dans une logique opposée à la concurrence ce qui suppose une réflexion importante sur les domaines de compétence, sur l’agencement des savoirs, et les méthodes pour relier les savoirs et produire de la connaissance au delà de la cartographie universitaire des disciplines ou des conflits corporatistes qui peuvent aboutir à des situations de blocage. L’approche post-disciplinaire pose aussi des questions liées à la mise en œuvre pratique de la pensée complexe, il s’agit là de questions méthodologiques voir organisationnelles qui doivent se réarticuler à la question des outils. Par outils nous n’entendons pas simplement l’utilisation de l’informatique même si nous savons que les dispositifs numeriques_physiques peuvent jouer un rôle important dans la production et la modélisation des connaissances, mais aussi des outils institutionnels ou juridiques. Comme nous le verrons plus loin, les enjeux liés au développement désirable ne peuvent trouver d’aboutissement dans une vision réglementaire de l’urbanisme, seule une visée opérationnelle capable d’articuler les enjeux aux objectifs, et à décliner les méthodes nécessaires à une rétroaction sur les appareils institutionnels nous semble aller dans le sens d’une réelle stratégie de projet comme l’autorise la loi SRU dans le cadre du Projet d’Aménagement et de Développement Durable. Nous avons vu précédemment qu’Henri LEFEBVRE oppose le projet de synthèse de l’examen de l’analytique. Nous tenons ici à souligner cette opposition qui pour l’auteur doit être franche : Le rejet des propositions synthétiques basées sur le résultat de ces sciences spécialisées, particulières et parcellaires, permettra de mieux poser – en termes politiques – le problème de la synthèse. Réfléchissons à cette phrase par rapport à l’hypothétique émergence d’une condition post-disciplinaire du projet en général. Nous avons vu que l’espace de la synthèse ne peut se poser dans le terrain disciplinaire ni même, sans doute, dans celui de l’interdisciplinarité. Le terrain de la synthèse

26

ne peut exclure la moindre discipline puisqu’il s’agit d’un espace de recomposition de l’ensemble des parties selon une question donnée qui est politique. Le terrain de la synthèse est donc relié avec l’ensemble des parties et sous-parties aussi parcellaires soient-elles. Et notons d’ailleurs que d’une manière générale, plus une discipline est spécialisée, plus son champs d’investigation est serré, plus les connaissances produites sont précises et fiables. Or, l’espace de la synthèse est en soi vide, c’est le travail effectué dans les espaces disciplinaires qui nourrissent l’espace de la synthèse. Ne dit-on pas que la base de la stratégie militaire est le renseignement ? Le projet politique et les stratégies de projet ne peuvent se passer des travaux scientifiques. Ainsi l’expression rejet des propositions synthétiques est sans doute excessif dans le cadre de dispositifs post-disciplinaires dont l’enjeux est davantage l’intégration de ces savoirs. Toutefois, nous pouvons lire dans cette affirmation, une volonté de montrer que la dimension politique du projet est incompatible avec les propositions disciplinaires. Les disciplines spécialisées ont morcelées la réalité urbaine, les savoirs pointus sont autant essentiels qu’incomplets puisqu’ils considèrent une réalité complexe par un seul prisme. Or le projet politique rejoint le projet philosophique, il s’agit de considérer l’urbain comme un tout. Cette approche de la globalité est la garantie de ne pas retomber dans un bricolage urbain qui n’est autre, comme nous l’avons vu précédemment, que de la gestion d’un état problématique présent à traiter en urgence. Par exemple des assistantes sociales peuvent colmater la misère en distribuant des aides ponctuelles, mais en aucun cas elles peuvent agir sur les causes de cette misère. Les causes sont conséquents à des processus économiques qui dépassent bien le champs du social. La pauvreté est un problème global, chaque domaine, qu’il soit économique ou social ne peut que proposer une réponse partielle. Soulignons aussi que cette approche globale n’est pas non plus à l’abri des dérives managériales. Si dans le premier cas, nous risquons d’obtenir une accumulation de données et de connaissances sans concepts, nous risquons dans le second cas de donner de l’importance à un concept sans contenus : Nous avons déjà démontré que nous devons nous méfier du mot complexité, terme passe partout au top 10 de la langue de bois du manager. Nous devons toujours nous interroger sur le contenu que nous donnons à cet espace post-disciplinaire, le sens n’est pas induit par la rencontre des disciplines, il ne peut être que déduit. L’écueil le pire serait sans doute celui de la gestion de la complexité et du hold-up de cet espace de liberté par des stratégies qui visent le pouvoir personnel, l’ambition. L’espace post-disciplinaire doit être celui de la poïesis, de l’imagination, de la liberté, de la rencontre et du dialogue. Il est aussi espace de pouvoir et de savoir bien sûr, mais ce pouvoir doit-être celui du pouvoir-faire, pouvoir-changer, pouvoir-trancher, bref, celui de la mise en œuvre opérationnel du projet politique. Car la finalité de l’espace de la post-disciplinarité doit être la transformation du réel, par le biais de la réalisation concrète. Le projet urbain doit plus que jamais être pensé comme une totalité, un tel projet rencontre le projet philosophique. Mais le projet urbain ne saurait être contraint au monde des idées et des concepts, les enjeux du projet sont bien physiques. Nous avons dit à plusieurs reprises que la dimension politique du projet de société s’est substitué à la pratique de la gestion. Le projet de société a de moins en moins la capacité de se projeter dans le futur, il se limite à l’instant présent. Hors la projection dans le futur en appel au pouvoir contrairement à la gestion qui ressemble davantage à un renoncement de l’exercice de ce pouvoir. Hugues de JOUVENEL remarque que les décideurs affirment régulièrement « Je fais ceci car je n’ai pas le choix. » Or l’auteur nous dit que si les décideurs étaient honnêtes, ils diraient « je fais ceci car je n’ai plus le choix », sous entendu « j’ai laissé la situation dériver ». La capitalisme est un rouleau compresseur qui a broyé l’exercice du pouvoir politique, les hommes politiques incarnent toujours l’institution, mais leur réalité est toute autre : se sont des managers qui empreintent les boîtes à outils communes du management. Le capitalisme n’a pas intérêt à ce que se développe l’intérêt de l’anticipation, le management est sans doute l’ennemi juré de la prospective. Le futur est domaine de pouvoir, c’est aussi le domaine de la volonté. Le projet de synthèse inhérent au développement durable pose donc le problème du couple pouvoir / savoir. Le domaine de la post-disciplinarité est un domaine de pouvoir, c’est le lieu où le projet peut reconquérir une dimension politique en se donnant la capacité de se projeter dans le futur. A ce titre la prospective nous semble incontournable du point de vue méthodologique.

27

Réhabiliter la prospective est sans doute un programme qui colle au nécessaire et vital chantier du développement durable. Comment poser la question de la durabilité, de la pérennité de l’évolution de la société sans se soucier du point de vue méthodologique et théorique de la capacité à projeter sur 10, 30, 50, 100 ans. Les hommes de gestion qu’ils soient décideurs, politiques, ou autres agents du capitalisme considèrent la prospective comme une discipline subversive nous dit Colin BLACKMAN dans « La réhabilitation de la prospective » 22. La prospective n’est pas nouvelle, pour ses détracteurs, la prospective des années 60 et 70 a produit les problèmes urbains contemporains. La prospective aurait autorisé des urbanistes à programmer des villes entières, à projeter sur le papier de nouveaux modes de vie, de nouveaux usages formalisés notamment dans les villes nouvelles. Toutefois la prospective d’hier ne saurait être semblable à la prospective d’aujourd’hui. Il nous faut réactualiser cette méthode par rapport aux enjeux et aux stratégies de la société contemporaine : il ne s’agit plus de faire sortir des villes entières des champs de betteraves, il ne s’agit plus de promettre bonheur et confort pour tous. La prospective doit être la méthode post-disciplinaire qui se penche sur le développement durable et le renouvellement urbain. Le projet urbain et architectural doit aujourd’hui faire avec l’existant et questionner l’en devenir des lieux. Dans un texte intitulé « Quel futur pour le futur ?», Hugues de JOUVENEL, Colin BLACKMAN, Souleymane BACHIR DIAGNE, Thierry GAUDIN et Pentti MALASKA affirment que c’est justement par rapport à cet état présent qu’intervient la prospective, qui, à défaut de prédire ce que sera demain, s’efforce, par un exercice de réflexion et d’imagination transdisciplinaire intégrant les savoirs scientifiques de pointe, d’anticiper ce qui peut advenir, de détecter dans le présent les germes des futures possibles, et de bâtir l’avenir en le préparant aujourd’hui.23 Nous soulignons que les auteurs parlent bien d’un exercice transdisciplinaire, mot que l’on retrouve aussi chez GUATTARI dans Les trois écologies. Cet exercice ne relève pas du management cognitif, du traitement des connaissances ou autre outil de gestion, mais relève de l’imagination. Ainsi la prospective n’est pas une discipline scientifique, sans doute correspond-elle parfaitement à la zone de la post-disciplinarité que nous avons dessiné au centre de notre cercle dans le schéma plus haut. La prospective serait sans doute la méthode de l’intégration des champs disciplinaires et inter-disciplinaires, de l’hybridation entre des savoirs pointus d’experts et des connaissances plus abstraites ou théoriques qui visent un point focal identique : préparer le futur. La prospective est un mouvement dans le temps. Nous avons le choix : nous pouvons adopter la méthode de la prospective du présent, ou de la prospective du futur. Dans les deux cas, il ne s’agit pas de prédire l’avenir, mais de questionner avec l’humilité qu’impose l’inconnu, et les incertitudes du présent ce futur, pour, au mieux, anticiper ce qui peut advenir dans les prochaines décennies. Regardons les deux mouvements. La prospective du présent se nourrit du monde contemporain. Cette méthode part du principe que le futur se joue ici et maintenant, que le futur est en germe dans ce présent et qu’ avec une bonne acuité, il est possible de lire les tendances qui émergent de ce présent et qui peuvent avoir un effet sur l’avenir. Cette méthode décrite par Hugues de JOUVENEL semble séduisante pour des architectes ou des urbanistes habitués à travailler sur le terrain, sur l’état des lieux présents. Toutefois nous pouvons formuler deux objections à cette méthode : d’une part l’analyse du présent n’est certainement pas suffisante dans le cadre des stratégies liée au développement durable car cette méthode omet l’analyse des actions passées, dépassées par le présent mais dont les conséquences se feront jour dans le futur. Autrement dit, le futur est certainement en germe dans le présent, mais il l’est aussi dans le passé. Par exemple, l’unité temporelle de l’inertie des bouleversements climatiques conséquents à l’émission des gaz à effets de serres est de un siècle. Même si les voitures disparaissaient de la planète, les conséquences de la pollution émise dans le passé seraient encore présentes un siècle après. D’autre part l’analyse du présent est clairement incontournable, toutefois elle seule risque de ne pas échapper

22 in Les clefs du XXIème siècle, p. 26 23 cf. Les clefs du XXIème siècle, pp 20-25

28

aux forces du court terme, du besoin immédiat, de la gestion de l’urgence, de la pression des revendications des habitants ou des élus, des impératifs économiques, etc. Un autre mouvement d’étude consiste à se projeter directement dans le futur pour éclairer le présent. Il s’agit d’ un travail d’expertise qui à partir de données objectives comme des statistiques démographiques ou des imageries climatiques, permettent de simuler des évolutions sur quelques décennies afin de valider ou d’invalider les opérations de conception présentes. Cette méthode présente aussi des défauts. Elle mets à une place centrale les experts prévisionnistes qui vont produire un ensemble de données parfois totalement contradictoires les unes avec les autres qu’il sera difficile ensuite d’intégrer dans le projet. Le projet de développement durable ne peut être l’apanage des experts, un tel projet doit être mené dans toutes les dimensions de sa complexité. Dans le cadre du projet d’aménagement et de développement durable, la prospective semble particulièrement adaptée pour assurer une articulation entre spatialité et temporalité. Prospectivistes et prévisionnistes ne s’exclut pas dans les dispositifs post-disciplinaires. L’opposition que semble faire Hugues de JOUVENEL entre sujet agissant (prospectiviste) et sujet connaissant (prévisionniste) ne nous semble pas opportune puisque le projet de développement durable relève à la fois du sujet agissant, il s’agit de transformer le réel, et du sujet connaissant dont l’implication dans la recherche opérationnelle est précieuse pour le sujet agissant. Il s’agit de projeter dans le projet, de réaliser des mouvements circulaires entre le passé, le présent et le futur. Les deux méthodes ne s’excluent pas, le projet ne peut se déconnecter du présent, toutefois se décaler de se présent peut aussi lui permettre d’en décoller. « Tout événement est causé par un événement qui le précède, de sorte que l’on pourrait prédire ou expliquer tout événement […] Par ailleurs, le sens commun attribue aux personnes saines et adultes la capacité de choisir librement entre plusieurs voies d’action indistinctes… » Karl POPPER p 13 Les enjeux du projet-processus pour le développement durable Concevoir les dispositifs garants de la durabilité Les pratiques du projet-processus imbriquent les méthodes, les technologies et la théorie des sciences de la gestion. Toutefois il intègre aussi la pensée et la modélisation du complexe et du global, et constitue aussi le terrain fertile de l’émergence de dispositifs post-disciplinaires sans doutes incontournables pour penser et construire de manière opérationnelle le développement de la société. Aménager l’espace de la négociation, de la concertation, et de la participation Le contexte économique est aride, l’architecte est soumis a de fortes pressions et à un contexte de concurrence effrénée, la logique du concours participe à la dévalorisation du temps imparti à la conception. Nous ne pouvons faire autrement que de souligner le contexte dans lequel émerge la pensée architecturale pour comprendre comment la médiatisation, le marketing, la gestion peuvent s’imbriquer dans le travail de conception et apparaissent comme des solutions à court terme qui permettent simplement de survivre. Quels sont les dispositifs de conception qui permettent de revenir sur les enjeux d’intérêt général et de ré-orienter les pratiques actuelles vers un développement de la société plus désirable ? Les enjeux du projet-objet ne peuvent plus se situer uniquement au niveau de l’intérêt d’un maître d’ouvrage ou au niveau des intérêts capitalistes d’une société qui consomme à grande vitesse ses dernières ressources. Ils ne peuvent plus porter non plus sur l’ego d’un architecte star, ou sur la relation narcissique d’un auteur à son œuvre, ou sur la position doctrinale ou dogmatique à priori.

29

La pertinence du projet-processus réside sûrement dans la réflexion sur l’adéquation entre la présence d’un terrain, des enjeux sur lesquels porte le projet, et la réalité de l’agence et des formes de travail développées par les professionnels qui leur permettront ou non de développer des pratiques (théorie, méthodes, outils) en corrélation avec la réinvention nécessaire d’un état existant, qu’il soit juridique, urbain, culturel, etc, à des fins qualitatives capables d’entraîner les volontés vers une prise en compte des problèmes écologiques environnementaux, sociaux, urbains, etc. Le projet-processus est le terrain sur lequel se développe les pratiques managériales les plus flagrantes, mais ce terrain peut constituer un terreau fertile à une ré-orientation des outils numériques, des principes de conception de la globalité, d’une application opérationnelle de la pensée complexe, et d’une modélisation des phénomènes complexes et singuliers qui dépasse la production médiatique de ce qu’on a appelé par ailleurs le projet-image. Le projet-processus est éminemment connecté aux principes de réalité, il ne saurait se réfugier dans le monde virtuel du projet qui héberge finalement du projet de projet. Le processus d’un projet concerne les modalités d’intégration, de prise en compte et de connexion du projet à son environnement qui lui assure une pertinence par rapport à l’ecosystème dans lequel il s’inscrit. F. GUATTARI24 nous aide à voir comment le projet-processus pourrait correspondre au moment clef d’un mouvement collectif de « réorientation des finalités technologiques, scientifiques, économiques » qui permettrait de se dégager « d’un faux nomadisme qui nous laisse en réalité sur place, dans le vide de la modernité exsangue, pour accéder aux lignes de fuite du désir auxquelles les déterritorialisations machiniques, communicationnelles, esthétique nous convient. » Il s’agit bien de prendre conscience de la disqualification des anciennes doctrines, dont la dérive economico-esthétisante n’a fait qu’accompagner un nomadisme bohème bourgeois qui n’offre aucune alternative à la logique de survie. Penser et concevoir le désirable nous oblige à prendre conscience dans un premier temps du dégât que la « grande machine mass-médiatique » à opéré sur les subjectivités car le désirable ne saurait suivre le chemin de l’enviable : l’envie est le moteur de la consommation, c’est la cible de la publicité, le désirable est tout autre chose. Le désirable s’oppose à une froide rationalisation de la conception, l’action ne peut alors se substituer totalement à l’acte, il passe par l’expression d’une singularité quelconque, [AGAMBEN] 25 , réactivée par un « processus de subjectivation » qui constitue pour GUATTARI l’un des trois registres de l’écologie, au côté de l’écologie environnementale et de l’écologie sociale. Cette « Cité subjective » comme la nomme FG demande à « reconquérir le regard de l’enfance et de la poésie aux lieu et place de l’optique sèche et aveugle au sens de la vie de l’expert et du technocrate. »

D’un point de vue pragmatique et opérationnel, notons alors que le projet-processus correspond à une phase du projet qui permet de développer une stratégie et un dispositif cognitif que les ingénieurs, depuis Midler avec L’auto qui n’existait pas, appellent concourant, mais que nous pouvons aussi qualifier de collaboratif, d’ouvert ou de transversal ; non pas animé par un soucis de gestion, mais recadré par un désir de travailler collectivement pour le bien de la collectivité (general intellect). Pour réaliser les objectifs qui correspondent à de tels enjeux, cela demande une revalorisation du temps imparti à la conception, cela demande un agencement plus ouvert des compétences liées au projet mixant davantage les spécialistes, les experts, les politiques, les usagers, etc autrement que dans des logiques de compromission comme tournent souvent les dispositifs de concertation. Un tel dispositif peut se rapprocher du general intellect et l’on voit immédiatement la difficulté de lui donner une opérationnalité face aux réalités économiques et aux dispositifs concurrentiels d’accession à la commande. Une dimension importante du projet-processus serait la pratique d’une stratégie qui consisterait à adapter l’état existant pour rendre possible un travail qui joue sur des enjeux qui dépassent l’individu tout en repartant de lui.

24 GUATTARI, Felix, Les trois écologies , Galilée, 1989 25 AGAMBEN, «La communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque » : http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=488

30

La qualité architecturale et environnementale ne peut-être exclusivement l’objet de spécialistes car nous assisterions au même processus de territorialisation et d’approche exclusive que nous reprochons aux méthodes marketing. Il s’agit au contraire d’envisager l’aspect global du projet, les interactions entre des phénomènes hétérogènes qui appartiennent à des champs différents, à des disciplines spécifiques. Car la qualité d’un objet architecturale n’est pas seulement une qualité intrinsèque dont seul l’architecte serait maître. L’objet architectural répond à des contraintes extérieures comme le climat, rendant le même objet très pertinent sur un site et absolument inadapté sur un autre terrain. L’objet crée aussi du sens, des usages, il s’intègre dans un écosystème présent en rupture, en continuité, ou en complémentarité, il peut aggraver ou rééquilibrer des phénomènes présents qu’ils soient sociaux, économiques ou environnementaux. L’objet dessine l’espace publique, il est éminemment politique.

La démarche qualité fondamentale est celle qui s’inscrit dans une prise en compte globale du projet, hors la globalité est prise à bras la corps par trop peu de professionnels et certainement pas par les architectes qui ont l’impression de perdre là leur objet. Pourtant les architectes, comme les urbanistes, les politiques, pourraient inventer des dispositifs de co-conception dans une logique opposée à la concurrence ce qui suppose une réflexion importante sur les domaines de compétence, sur l’agencement des savoirs, et les méthodes pour relier les savoirs et produire de la connaissance au delà de la cartographie universitaire des disciplines ou des conflits corporatistes qui peuvent aboutir à des situations de blocage. L’approche post-disciplinaire pose aussi des questions liées à la mise en œuvre pratique de la pensée complexe, il s’agit là de questions méthodologiques voir organisationnelles qui doivent se réarticuler à la question des outils. Par outils nous n’entendons pas simplement l’utilisation de l’informatique même si nous savons que les dispositifs numeriques_physiques peuvent jouer un rôle important dans la production et la modélisation des connaissances, mais aussi des outils institutionnels ou juridiques. Comme nous le verrons plus loin, les enjeux liés au développement désirable ne peuvent trouver d’aboutissement dans une vision réglementaire de l’urbanisme, seule une visée opérationnelle capable d’articuler les enjeux aux objectifs, et à décliner les méthodes nécessaires à une rétroaction sur les appareils institutionnels nous semble aller dans le sens d’une réelle stratégie de projet comme l’autorise la loi SRU dans le cadre du Projet d’Aménagement et de Développement Durable. S’investir dans un travail pédagogique local sur les questions de développement durable L’écosophie [GUATTARI], une définition philosophique et opérationnelle du projet-processus Guattari dans Les trois écologies énonce parfaitement les enjeux contemporains du projet d’architecture avec le concept de « l’écosophie ». Dans son article « Pratiques écosophiques et restauration de la citée subjective » GUATTARI 26 énonce clairement une pratique opérationnelle possible pour le projet d’architecture qui réoriente les méthodes et les outils que nous connaissons sur des enjeux d’intérêts généraux : « On ne peut espérer recomposer une terre humainement habitable sans la réinvention des finalités économiques et productives, des agencements urbains, des pratiques sociales, culturelles, artistiques et mentales. La machine infernale d’une croissance économique aveuglément quantitative, sans souci de ses incidences humaines et écologiques, et placée sous l’égide exclusive de l’économie de profit et du néo-libéralisme, doit laisser place à un nouveau type de développement qualitatif, réhabilitant la singularité et la complexité des objets du désir humain. Une telle concaténation de l’ écologie environnementale, de l’écologie scientifique, de l’écologie économique, de l’écologie urbaine et des écologies sociales et mentales, je l’ai baptisée : écosophie. Non pour englober tous ces abords écologiques hétérogènes dans une même idéologie totalisante ou totalitaire, mais pour indiquer, au contraire, la perspective d’un choix éthico-politique de la diversité, du dissensus créateur, de la responsabilité à l’égard de la différence et de l’altérité. »

26 GUATTARI F., « Pratiques écosophiques et restauration de la cité subjective », publié sur Multitudes, le 23 octobre 2004 http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=1678

31

On cerne mieux l’importance d’une démarche processuelle du projet d’architecture par rapport à des enjeux qui échappent autant à l’individu qu’à l’objet. Comment un seul individu pourrait-il à lui seul mettre en marche un mouvement de réorientation d’un état existant à des fins qui vont contre l’intérêt de cet état existant ? Un tel dessein dans le projet d’architecture s’inscrit forcément dans une dynamique cohérente avec la mise en œuvre opérationnelle d’une pensée complexe. Notons qu’Edgar MORIN, le père de la pensée complexe27, s’est mobilisé sur les enjeux environnementaux28 et dédie le volume 6 de La Méthode à la question de l’éthique. R.P. DROIT29 souligne que « la pensée complexe se découvre éthique dans sa démarche même puisqu’elle a pour caractéristique essentielle de relier et de rassembler ». Or cette réflexion multidimensionnelle ne saurait être étrangère à l’architecte-urbaniste dans le cadre du projet. Aux trois dimensions spatiales du projet doivent s’ajouter la dimension temporelle et la dimension cognitive. L’architecte et l’urbaniste sont sans doute compétents pour ré-investir l’espace lié à la complexité du projet et à une approche globale participant à la mise en place de dispositifs opérationnels qui relèvent de la prospective-action. Une telle démarche demande une réflexion de fond sur les pratiques de l’architecte indispensables à l’exercice d’un travail de conception sur un tel projet. Il s’agit de réfléchir à l’adaptabilité des pratiques opérationnelles de l’architecte pour qu’elles soient en phase avec les avancées juridiques les plus récentes du code de l’urbanisme définissant enfin la notion de projet. Recherche / action : pour une acculturation des pratiques du management Tirons en les conséquences sur les pratiques professionnelles de l’architecte : Le développement durable exige une approche pluridisciplinaire du projet opérant non pas par juxtaposition ou stratification mais par intégration. Le développement durable est le produit des enjeux sociaux, économiques, environnementaux, et culturels, imbriqués de manière à constituer un projet prospectif qui réponde aux besoins du présent et qui anticipe sur ceux du futur. C’est donc un projet politique dont les acteurs sont impliqués comme professionnels mais aussi comme citoyens dans un processus de négociation propre à la configuration de dispositifs post-disciplinaires. Le management spécule sur le postulat d’une complexité légitimant les outils et un savoir-pouvoir organisationnel propre à l’intervention sur le réel sans se donner finalement les moyens d’analyser ce réel. Le développement durable constitue la complexité, et devient par conséquent un terrain fertile pour les pratiques managériales. Toutefois le management rend hégémonique les outils de gestion alors que le développement durable est éminemment politique. Si aujourd’hui la gestion et la politique se recouvre quasiment intégralement, tant dans les méthodes marketing que médiatiques ou participatives, etc. nous devons ici analyser dans quelle mesure le management constitue à la fois un blocage mais aussi un potentiel pour les pratiques de projets de développement durable. Aménager un dialogue entre « les hommes de science » et « les hommes d’action » :

C. Une approche du principe d’incomplétude pour un au delà du technique vers le culturel

27 MORIN, Edgar, Introduction à la pensée complexe , ESF éditeur, PARIS, 1990 28 « Un appel international contre les dangers des pollutions chimiques », LE MONDE, ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.05.04 29 « L'éthique des incertitudes selon Edgar Morin », LE MONDE, ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 05.11.04

32

Entre le développement durable et le développement désirable, il n’y a pas un simple jeu de mot, ou des querelles sur la thématique que serait censée recouvrir la notion DD. Il y a en fait deux approches différentes de DD qui s’opposent tout en se complétant. Le développement durable est un moyen, un cadre méthodologique pour aller vers le développement désirable. Voici de manière synthétique les caractéristiques du développement durable et du développement désirable que nous allons développer maintenant : DEVELOPPEMENT DURABLE DEVELOPPEMENT DESIRABLE 1992 : sommet de Rio : DD = social & économique & environnemental

2002 : sommet de Johannesburg DD = social & économique & environnemental & culturel

Approche technique et constructive Approche culturaliste Politique de la ville (France) Mode d’action sur le territoire (place strategy)

Politique de la ville (E.U.) Mode d’action sur les gens (people strategy)

Réglementation / Normalisation / Certification Processus de re-subjectivation Etat, approche technocratique Multitudes, Singularités quelconques Management & marketing Méthodes participatives, artistiques, … Gestion Conscience ethico-politique Action Acte Pensée écologique en environnementale Pensée écosophique Technicisation de DD et management environnemental Le développement durable comme nous l’avons vu porte une dimension politique très importante. Toutefois cette dimension politique n’a pas la même portée en ce début de XXIème siècle héritier de la crise générale. Les institutions politiques, l’Etat, sont le principal vecteur de la récupération des enjeux de développement durable avec toute la démocratie participative que cela pourrait induire par les pratiques du management, efficience du bras armé du Capital et de l’économie de marché. Le développement durable devient alors l’occasion de justifier des méthodes aptes à gérer la complexité, en effet, le management est à l’aise sur le terrain des incertitudes et de la complexité. La nature même du développement durable semble à justifier l’approche managériale qui vise finalement à la fois à rassurer et à donner l’image d’une maîtrise des processus, mais qui permet aussi de faire passer insidieusement des choix politiques pas forcement désirables ou rangés du côté de l’intérêt collectif. Le management entraîne dans son sillage toutes les approches techniques qui loin d’être inutiles au développement durable, puisqu’il s’agit tout de même d’agir dans le sens de l’amélioration qualitative du cadre de vie, ne peuvent constituer la structure de l’approche globale. Et pourtant, l’une des manifestations courante des dérives du management est d’entretenir la confusion entre développement durable et Haute Qualité Environnementale. Notons que pour P. MADEC et J. FOL, la H.Q.E. ouvre la voie aux dimensions culturelles et politiques du projet, tout en marquant la limite de l’approche technique : Malgré ces manques, la H.Q.E. n’est pas exempte de propos culturels et politiques. Culturels parce qu’elle pointe l’harmonie, cultive un discours des dispositions architecturales et de leurs correspondances esthétiques, se situe dans une histoire, celle contemporaine d’une société et de sa prise de conscience environnementale, celle plus ancienne de l’hygiénisme et du rationalisme architectural. Politiques parce qu’elle engage les relations de l’édifice à la ville, comprend des directions sociétales, dont le désir de développement durable, s’appuie sur l’incertain statut de l’homme forgé à la fin du XXe -un individu isolé et aliéné-, véhicule le principe de la construction d’un intérieur sain face à un extérieur pollué, position proche d’un versant du mouvement sociétal (se protéger de l’extérieur) politiquement lourd de conséquence.... Aux architectes de dire s’ils se satisfont des aspects culturels et politiques charriés par la H.Q.E. Peuvent-ils accepter sans

33

l’interroger le rôle que leur offrent les tenants de la technique : “ maître d’œuvre de bâtiment environnemental ” ? 30 Le management véhicule une idéologie qu’il prend soin de ne jamais expliciter mais que l’on observe dans les documents graphiques des projets. Et cette idéologie du management urbain se retrouve sur les objectifs du développement durable : il s’agit de produire la ville et le cadre bâti uniformisé dédié à l’individu consommateur, autrement dit, une ville nettoyée, sécurisée, protégée, confortable conduisant dans le temps à des processus d’exclusion, de recul du droit commun et de la citoyenneté, et du retournement complet de la sphère public vers la sphère privée, du collectif vers l’individualisation. Autant d’aspects parfaitement contraire aux enjeux du développement durable mais qui s’instaurent et se légitiment par lui-même , d’où la nécessité urgente de penser développement désirable. La Haute Qualité Environnementale évolue logiquement dans le sens réclamé par les lobies, c’est à dire vers la voie de la certification. La H.Q.E. pensée par des ingénieurs correspond totalement aux caractéristiques des pratiques du management : les cibles sont cernées et définies, pas de place ici pour un principe d’incomplétude. L’approche se fait par la matérialité, c’est la cible numéro un, l’éco-construction. Rappelons que nous avons vu plus haut que DD est par essence axé sur l’immatérialité, c’est à dire sur des relations dynamiques. La seconde cible est l’éco-gestion. Là aussi nous sommes dans le quantifiable, il s’agit de contrôler l’énergie, l’eau, les déchets d’activités et l’entretien et la maintenance. La troisième cible s’adresse tout spécifiquement à l’individu consommateur : elle est dédiée à la question du confort, dont nous pouvons d’ores et déjà poser la problématique que cela soulève par rapport à la surconsommation en général et à celle de l’énergie en particulier illustré par le problème majeur que pose le rejet de CO2 produit par les climatisations augmentant la température dans la canopée urbaine et générant une consommation exponentielle en électricité jusqu’à la saturation annoncée des réseaux. Enfin, la quatrième cible concerne les cibles de santé, conditions sanitaires des espaces, qualité de l’air ambiant, qualité de l’eau. Jac FOL et P. MADEC soulignent la contradiction majeure des cibles H.Q.E. qui se veulent très globales, et pourraient en ce sens faire croire qu’elles recouvrent le développement durable, alors qu’elles omettent la dimension sociale, pilier fondamentale du développement durable, arrangeant bien les visées d’élitisation de la ville des politiques de management urbain. La position des rédacteurs des 14 Cibles de la HQE et des écrits d’accompagnement est sereine et honnête. Ils “ se sont attachés à ne jamais employer le mot “ architecture ”. Ils s’en sont tenus à celui de “ bâtiment ”. Cette résolution, est confirmée lorsqu’ils ajoutent en note de conclusion que l’un des avantages de la H.Q.E. réside dans ce qu’elle “ est très globale ” et, précisent-ils, que “ seules les questions de pérennité, de sécurité, de confort psychosociologique, de confort spatial et de confort d’activité en sont exclues. ”. C’est-à-dire une large part de ce qui fait l’architecture ” . Sans entrer dans le détail, on peut dire qu’en France, l’approche environnementale des établissements humains par la technique (H.Q.E.) ignore les dimensions sociales, historiques, politiques et culturelles de l’acte de bâtir. De la sorte elle dit le retard des tenants d’une pensée non spécialisée des établissements humains et les engage à assumer leur devoir vis-à-vis de la société. Par là, les impasses de la H.Q.E. sont utiles. 31 Signalons l’actualité relative au débat sur H.Q.E. Patrice GENET, Président de la commission Développement durable du Conseil National de l’Ordre des Architectes a répondu à F. ASCHER sur les valeurs qui fondent la charte des architectes pour inscrire la profession au cœur du développement durable 32.

30 Paru in Techniques & architecture n°465 (avril-mai 2003) avec le titre « Sur le qui-vive » pp. 22-27 31 op. cit. 32 “S’appuyer sur des valeurs et des bonnes pratiques plutôt que sur des critères techniques” - HAUTE QUALITÉ ENVIRONEMENTALE - Publiée le : 21/06/2005 - propos recueillis par Françoise Ascher, http://www.actu-environnement.com/ae/interview/interviewHQE-patrice_genet.php4

34

Par leur approche globale de la Cité et de l'habitat, les architectes jouent un rôle central dans la conception et la mise en œuvre de projets répondant aux enjeux du développement durable, c’est-à-dire aux quatre piliers culturel, social, environnemental et économique. Notons ici que le pilier culturel entre dans le langage courant tandis que les pratiques elles semblent toujours laisser la part belle aux politiques d’uniformisation et aux processus autoritaires. P. GENET confirme : Cette démarche implique naturellement de promouvoir des pratiques visant avant tout, la qualité de la performance de réponses également respectueuses des exigences réglementaires ou normatives. Nous considérons en effet, que les formes architecturales et urbaines existantes - les matériaux et les savoir-faire - constituent des repères essentiels de notre histoire et de notre inconscient collectifs, signant l’ancrage culturel et du développement économique local. Les pratiques continuent donc à se conformer aux exigences normatives ou réglementaires comme si sans prescriptions extérieures au projet il était impossible de concevoir. Les savoir-faire sont fondamentaux, et constituent certes des repères, toutefois le projet de développement durable n’est pas une pratique artisanale, les mots prospective, recherche ou connaissances manquent cruellement et sont justement compensés par la demande d’une extériorité technique à laquelle se conformer. Les pratiques de l’architecte et de l’urbaniste démissionnent encore de leur implication sociétale et politique, d’une fonction d’éclaireur que l’ordre semble pourtant affirmer par ailleurs. Et pourtant, la bonne volonté est affirmée : Initialement conçue comme un support de réflexion pour développer et promouvoir la qualité environnementale et le management environnemental de toute opération de construction, l’Association HQE cible principalement son action sur le volet environnemental. D’où une ignorance des aspects culturels, sociaux et économiques, qui conditionnent la fabrication de tous espaces à vivre ! Ainsi, observe-t-on un glissement progressif vers une interprétation technicienne et technocratique du développement durable, couronnés par la création d’une certification HQE pour les bâtiments tertiaires et pour les immeubles d’habitations. Dans sa conception actuelle, la démarche HQE se révèle tout à la fois réductrice, minimaliste, technicienne et castratrice, au regard des enjeux de développement durable ! Nous complèterons cette observation en disant que c’est précisément l’approche par la qualité environnementale et le management environnemental qui empêche et empêchera une véritable connaissance des aspects culturels, sociaux et économiques dans leurs interrelations et traités chacun d’eux spécifiquement par rapport au DD. Réductrice, car elle ne porte que sur l’un des aspects de notre responsabilité sociale, la préservation de l’environnement au sens strict. Minimaliste, car il suffit de satisfaire trois des quatorze cibles pour qu’un ouvrage puisse être identifié comme répondant à la norme HQE. Or, nous savons tous que l’optimum global recherché ne résulte pas de la simple somme des optima partiels ! Technicienne, car elle entretient l’illusion du tout mesurable et du tout normatif. Castratrice enfin, car elle ne voit d’avenir que dans le développement de la norme. Alors que ce qui nous singularise et nous légitime en tant qu’architectes du développement durable, c’est de nous appuyer sur des valeurs et des bonnes pratiques plutôt que sur des critères techniques ! Vers le culturel : des singularités quelconques et des processus de subjectivation

Il convient ici de se poser la question du sujet de DD. Il apparaît de plus en plus clairement que DD doit être centré sur l’Homme et qu’il s’agit là de la condition sine qua non pour évoluer du développement durable au développement désirable, et finalement de l’environnement à l’écosophie.

35

Felix GUATTARI 33 apporte une contribution importante au débat qui nous occupe ici. L’auteur déplore comme beaucoup d’autres que nous avons cités jusqu’ici l’impuissance de la classe politique et des institutions à appréhender la problématique de l’altérité dans l’ensemble de ses implications. Bien qu’ayant récemment amorcé une prise de conscience partielle des dangers les plus voyants qui menacent l’environnement naturel de nos sociétés, [les formations politiques et les instances exécutives] se contentent généralement d’aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, uniquement dans une perspective technocratique, alors que, seule, une articulation éthicopolitique – que je nomme écosophie – entre les trois registres écologiques, celui de l’environnement, celui des rapports sociaux et celui de la subjectivité humaine, serait susceptible d’éclairer convenablement ces questions. 34 F. GUATTARI trace ici le programme qui ouvre la voie au développement désirable et que nous opposons à ce qui nous est proposé par ailleurs, c’est à dire au management urbain et environnemental qui constituent aujourd’hui des pratiques exclusives. L’écosophie s’oppose à tout processus communicationnel, à toute action de masse, il s’agit de reconstruire l’ensemble des modalités de l’être-en-groupe […] par des mutations existentielles portant sur l’essence de la subjectivité. 35 Nous commençons là à toucher à du projet de développement désirable, la question des modalités du vivre-ensemble cible les enjeux sur les habitants et se fonde sur le pilier culture qui englobe certainement les trois autres. Bien sûr le management, gardien du Capitalisme, veille : F. GUATTARI nous montre comment l’économie de profit interdit de tels processus et y oppose ses boites à outils : A l’évidence, une prise en charge et une gestion plus collective s’imposent pour orienter les sciences et les techniques vers des finalités plus humaines. On ne peut s’en remettre aveuglément aux technocrates des appareils d’Etat pour contrôler les évolutions et conjurer les risques dans ces domaines, régis, pour l’essentiel, par les principes de l’économie de profit. 36 Il nous apparaît de plus en plus clairement que si le développement durable se joue dans les institutions mondiales, alter-mondiales, nationales, alter-nationales, ou locales et alter-locales, le développement désirable lui mobilise à la fois le collectif et les singularités quelconques, il ferait sortir l’individu-consommateur de sa torpeur pour redynamiser le citoyen assoupi. La subjectivité humaine concerne autant les habitants eux-mêmes que les acteurs et les concepteurs du projet, les processus de re-singularisation induits par l’écosophie s’accordent sur une volonté ethique et esthétique de développement d’une énergie créatrice renversant ouvrant le chemin d’une ère post-médiatique et post-managériale fondées sur le principe d’incomplétude. Du technique et du culturel dans la généalogie de la politique de la ville. Accepter le principe d’incomplétude du développement durable permet aussi de prendre position par rapport au people versus place debate dont Jacques DONZELOT retrace la généalogie dans Faire société. Le cadre de la politique de la ville oppose deux conceptions opposées de l’approche urbaine pour traiter ce que l’on désigne en France comme la fracture sociale ou fracture urbaine et ce que l’on désigne aux Etats-Unis par la société de séparation et qui se résume ainsi : Puisque la fracture sociale apparaît en raison de la déqualification des lieux où se concentre la pauvreté et du souci de s’en éloigner manifesté par tous ceux qui le peuvent, il doit être possible d’enrayer celle-ci de deux manières : soit en traitant les lieux en question, par un apport de ressources qui fasse contrepoids à leur appauvrissement, soit en s’occupant des gens qui s’y trouvent confinés, de façon à ce qu’ils suivent un chemin identique aux classes moyennes dans des territoires plus favorisés et accèdent aux mêmes possibilités d’emploi, de scolarité, de logement. Ces deux réponses ont étés homologuées, dans le langage anglo-saxon, sous les appellations de « place » pour la première et de « people » pour la seconde. […] Inauguré dans les années soixante, le people versus

33 Les trois écologies 34 ibid, p 12 35 ibid, p 22 36 ibid, p 33

36

place debate n’a rien perdu de sa pertinence… 37 Nous ne développerons pas ici l’historique comparatif auquel se livre J. DONZELOT. Nous soulignerons par contre certains aspects de ce travail qui peuvent éclairer la pertinence de la réactualisation de ce débat dans le cadre de la politique de la ville confrontée au développement durable pour montrer que le développement durable est du côté de l’incomplétude qui laisse ouvert le champs des multitudes contrairement à une vision plus étatique et technocratique qui préfère bien souvent la norme aux singularités culturelles. Or la culture, ne l’oublions pas, constitue le 4ème pilier du DD qui semble entrer dans les mœurs. Ainsi, aux Etats-Unis, l’accent est mis sur l’option people pour permettre aux gens de franchir les barrières qui s’opposent à leur mobilité, que celles ci soient externes, ou internes, produites par la désintégration sociale et la culture de la dépendance. Dans leur optique, la ville, avec ses partages, joue le rôle d’un révélateur des problèmes de la société : elle matérialise les limitations apportées au mouvement des individus, à leur désir de rejoindre le mainstream (c’est à dire le courant dominant de la société, le mode de vie des classes moyennes). Cette approche présente l’intérêt de remettre au cause la mixité sociale prônée par la loi SRU et critiquable en tant qu’elle traite la question sociale (people) par l’intervention sur le territoire (place) générant une juxtaposition de catégories socio-professionnelles opposées. DONZELOT nous dit clairement que le refus de tenir compte de cette réalité est stérile, voire dangereux.38 Les effets pervers d’une telle politique se résument par une opposition des habitants des quartiers défavorisés qui se voient exclus au profit de la classe moyenne ou supérieure (gentrification) tandis que dans les quartiers riches on dénonce une paupérisation. L’approche américaine que DONZELOT résume par remettre les gens en marche est une approche « par le bas », autorisée par une intervention étatique très modérée (pour ne pas dire démissionnaire) sur la prise en compte des caractéristiques ethniques ou raciales des populations vivant des ces ghettos, sur les "communautés" qu'elles forment et qui définissent leur identité bien plus que le territoire.39 Cette politique trouve ses limites dans la montée des communautarismes. Toutefois la question d’une cinétique sociale qui ferait de la ville non plus un monstre d’exclusion et de ghettoïsation mais une occasion pour les classes inférieures, par des processus solidaires et d’acculturation de ne plus être assignée à une catégorie socio-professionnelle et à son espace urbain associé, mérite d’être remise à l’ordre du jour dans le cadre du développement durable qui ne peut reconduire éternellement de manière autiste l’idéologie bien pensante d’une mixité sociale dont personne ne veut et qui ne fonctionne pas. Accepter l’incomplétude des processus urbains, c’est accepter une vision moins technocratique de la pensée urbaine illustrée par l’interventionnisme étatique français qui agit à priori « par le haut » dans une démarche de normalisation et d’homogénéisation qui réfute les identités plurielles des multitudes. Le principe d’incomplétude autorise la considération des singularités quelconques comme énergie productive dynamique qui s’oppose en tout point à ce que DONZELOT définit comme l’idée de restaurer ou d’instaurer, selon les lieux, une continuité de l’espace, une homogénéité de la ville […] de « refaire la ville sur place » selon une formule qui s’est affirmée lors du vote de la dernière loi sur la ville : la loi de Solidarité et de Renouvellement urbains. 40 En France le débat people versus place se cristallise dans les années 80 entre deux groupes, « Banlieues 89 » partisans d’un désenclavement et d’un embellissement des quartiers d’habitat social et ceux du programme dit de « Développement Social des Quartiers » (DSQ), qui mettaient surtout l’accent sur la mobilisation des habitants et l’amélioration de leurs capacités personnelles. 41 Il est frappant de voir comment le groupe « Banlieues 89 » s’aligne finalement sur une démarche de projet d’aménagement, avec toute la dimension technique et technocratique que cela induit tandis que

37 J. DONZELOT, Faire société, p 55 38 ibid, p 110 39 ibid, p 101 40 ibid, p 103 41 ibid, p 57

37

le groupe qui adopte une démarche davantage culturaliste en est venue à l’idée d’un projet de développement, axé sur le social. Ce travail de mobilisation des habitants se rapproche de fait avec les processus de re-singularisation que nous pouvons espérer dans le cadre de l’écosophie : Tandis que « Banlieues 89 » annonce vouloir « des banlieues aussi belles que les villes », l’objectif du rapport Dubedout ne consiste pas du tout à « en finir avec les grands ensembles ». Il n’envisage pas une rénovation totale des lieux mais une réhabilitation du bâti et, surtout, pour que celle-ci soit menée à bien, de l’appuyer sur les habitants, faisant pour le coup de ceux-ci la cible principale de l’action. Soit une option qui se rapproche beaucoup de celle du développement communautaire, cette people place-based strategy. 42 Contrairement à « Banlieues 89 », nous observons que dans le cadre d’une réhabilitation de logements sociaux, la démarche proposée par le rapport Dubedout intègre des notions présentes dans le DD. La notion de développement social, comme conception active, induisait déjà une refonte des catégories et commençait à esquisser l’interdépendance aujourd’hui de mise entre le social et l’économie. De plus cette notion s’appuie très largement sur la notion de culture, sans doute devrons nous conserver la mémoire de cette proposition et de ce débat historique qui éclaire d’un autre jour les actions politiques présentes : « La notion de développement social n’entre dans aucune de ces catégories. Elle s’en distingue en mettant l’accent sur une conception « active » du social que suggère son association avec le terme de développement, qui laisse bien entendre qu’il ne s’agit pas d’imposer, de compenser ou de redistribuer mais de produire. De produire quoi ? Un enrichissement des rapports sociaux, une extension de leur quantité et de leur qualité. Il y avait bien une démarche de ce type avec l’animation socio-culturelle mais, justement, il s’agissait d’attribuer quelquechose - la culture - à la faveur de la création d’une dynamique sociale. [...] Le terme de développement social suggère qu’il pourrait en aller du social comme de l’économique, que l’on pourrait accroître sa productivité intrinsèque tout comme on augmente celle de l’économie. »43 Pour conclure, nous déduisons de cette étude les axes qui pourront nous guider dans le cadre d’une proposition de méthodologie urbaine axée sur le DD :

- Le développement durable doit être axé sur l’Homme ; ce qui permet de développer le quatrième pilier de DD, la culture, levier incontournable pour passer du développement durable au développement désirable.

- Le développement durable repose sur trois principes, celui d’incomplétude, d’immuabilité et d’interdépendance. Contre toute logique occidentale, DD n’a aucune vérité intrinsèque, DD est une mise en relation irréductible entre des enjeux SOCIAUX, ECONOMIQUES et ENVIRONNEMENTAUX eux-mêmes non figés qu’éclaire particulièrement bien l’approche culturaliste et qui devra, pour que la démarche DD soit valide, aboutir à un traitement spécifique [politique ?] des questions sociales, économiques et environnementales.

- Le développement désirable est écosophique ; l’écologie environnementale, les rapports sociaux et la subjectivité constituent les trois piliers garants d’une méthodologie qui préfère les processus de re-singularisation aux processus de normalisation et d’uniformisation, qui préfère les multitudes au traitement des masses.

42 ibid, p 109 43 ibid, p. 111

38

[PRATIQUES] le management est-il compatible avec le développement durable ? La question de la contradiction des enjeux du capitalisme avec ceux du développement durable est une question majeure et complexe qui détermine les modalités et les faisabilités de l’intégration de stratégies urbaines qui visent une politique de développement durable. Le développement durable ne peut s’opposer systématiquement aux intérêts économiques de la société capitaliste, d’ailleurs son projet est davantage dans la prise en compte et l’intégration des différentes composantes de la société, dont la protection de l’environnement conditionne le développement et la pérennité du système économique qui peuvent autoriser un développement social et une meilleure répartition des richesses. Mais ce projet est-il compatible avec les pratiques managériales qui semblent avoir intégré la conception et les processus décisionnels ? Nous allons lire attentivement le texte de François ASCHER, Les nouveaux principes de l’urbanisme pour voire l’analyse que l’auteur fait des mutations urbaines, les transformations des pratiques de conception et la place qu’il consacre au développement durable. François ASCHER est professeur à l’Institut Français d’Urbanisme (université Paris VIII) et à la faculté d’Architecture de l’université de Genève. Il préside aujourd’hui le comité scientifique et d’orientation de l’Institut pour la Ville en Mouvement (fondation créée par le groupe PSA Peugeot-Citroën pour favoriser les innovations en matière de mobilité urbaine). Cet essai a été salué par la critique pour la mise en œuvre d’une volonté d’articuler la réflexion théorique aux pratiques des urbanistes pour Thierry PAQUOT 44, un essai que Transport public qualifie d’impertinent, constituant une analyse fine de la société.

A. Neo-urbanisme : lorsque la théorie assoit les pratiques du management urbain

Quelle est l’assise de la théorie du neo-urbanisme ? François ASCHER construit la théorie du neo-urbanisme sur une approche évolutionniste linéaire, opposant les trois ages de l’urbanisme dont le dernier, le neo-urbanisme, fonctionne par opposition au deux premiers. Nous pouvons craindre que cette catégorisation temporelle ne pèche par une vision trop linéaire à l’heure où les discours un peu prospectifs sur l’évolution urbaine préfèrent parler de boucles récursives ou itérations ? entre passé - présent – futur. Au contraire, F.A. renforce et cloisonne ses 3 catégories sur le schéma suivant :

- L’age du paleo-urbanisme : la ville de la Renaissance et des Temps modernes - L’age de l’urbanisme : La ville de la révolution industrielle - L’age du neo-urbanisme, notre contemporanéité.

Ce schéma, d’une logique implacable semble pourtant figer les âges, et par la construction d’un modèle qui fonctionne par oppositions réciproques semble nier les interactions certaines entre les différentes périodes concernées. L’approche historicisante n’est pas doublée d’une problématisation qui permettrait d’effectuer des plis temporels par rapports à des manifestations semblables. Par exemple, un cycle linéaire d’histoire de l’art linéaire pourrait commencer par l’enseignement de l’age préhistorique et terminer par l’art moderne et contemporain. Mais une approche plus problématisée, et non moins nourrie d’histoire et d’anthropologie, pourrait juxtaposer dans un chapitre « art pariétale » la grotte de Lascaut et Basquiat. Pour donner un exemple lié aux mutations urbaines, nous pourrions de la même façon étudier l’urbanisme et l’architecture romaine, plusieurs mois après, la Grèce antique pour terminer, une fois le parcours initiatique académique assimilé sur notre contemporanéité. Cette approche linéaire de l’histoire passerait à côté de l’essentiel, s’interdirait de comprendre notre présent 44 T.P., pour la revue urbanisme, critique reproduite en 4eme de couverture de l’ouvrage

39

de manière éclairée par notre passé alors que sous un seul et même chapitre il serait très intéressant d’étudier l’arène romaine et le stade contemporain qui met en scène, par exemple, les Jeux Olympiques 45. Si des auteurs comme E. MORIN théorisent sur des schémas un peu abstrait sur cette question, c’est Peter SLOTERDIJK 46 qui nous éclaire par cet exemple précis. Le coeur de l’industrie romaine de la culture, c’étaient les images cruelles du cirque ; on pourrait dire que ses articles les plus vendus étaient des snuff movies live. On n’a pas suffisamment tenu compte du fait que le symbole et le média le plus fort de la culture de masse antique, je veux parler de l’arène romaine, n’ont fait leur retour qu’au XXe siècle, et sous une forme architecturale et dramaturgique. Les connaissances historiques que nous en avons de la Rome antique nous permettent sans doute de comprendre d’un point de vue critique et distancié ce qui se joue dans les Jeux Olympiques aujourd’hui, aussi bien dans le stade que dans l’arène médiatique. La médiologie de l’arène développée par P. SLOTERDIJK nous permettrai de prendre avec un peu plus de circonspection une volonté d’organiser des J.O. Mais voilà, l’industrie de contrôle des masses fait son travail et la pensée unique s’emballe. Une conception dynamique du temps devient plus prospective qu’une catégorisation linéaire qui pose un certain point de vue, opérant par une sélection des faits historiques et leur donnant une interprétation orientée. Autrement dit, le management serait la seule manière d’expliciter en toute transparence les processus de décisions qui permettent à posteriori donc de conférer à telle ou telle décision un caractère d’intérêt général. Or un sujet est d’intérêt général ou non avant même que n’importe quelle décision ne soit prise, c’est la nature même du sujet qui lui confère son intérêt général, sur le plan juridique, symbolique ou autre. Le processus peut en effet participer ensuite à l’élaboration d’une décision et à la mise en œuvre de processus démocratiques mais nous avons vu que de tels enjeux ne semblent pas la préoccupation première du néo-urbanisme ou du moins, qu’ils seraient contradictoires avec ce qui a été dit avant. Le management, cette pratique parfaitement adaptable s’avère aussi opérationnelle pour compenser la crise de l’autorité des figures symboliques comme le prêtre ou le père qui pouvaient réguler de manière spécifique des groupes sociaux hétérogènes. Le management urbain se propose de traiter le problème des singularités en s’appuyant sur des logiques « technico-economiques privées » dont l’auteur tait les objectifs et les moyens possibles. Une chose est sûr, vu l’objet de ces mesures et leur type, nous ne pouvons qu’exprimer des craintes et souligner à nouveau une approche qui se fait sur le mode économique quasi exclusivement : Le néo-urbanisme est confronté à des groupes sociaux diversifiés, à des individus multi-appartenants, à des territoires socialement et spatialement hétérogènes, à une vie associative proliférante mais souvent éphémère, à l’affaiblissement des médiateurs locaux qu’étaient les instituteurs, les prêtres, les commerçants de quartier, les concierges, etc. Il doit s’appuyer sur des logiques technico-économiques privées qui diffèrent assez profondément des cultures et des façons de faire publiques. 47 Quels seraient les enjeux de la théorie des trois âges ? La théorie des trois ages permettrai de construire un discours qui mélange les genres entre l’historique et le théorique, le factuel et l’interprétatif, voir l’idéologique, dont il faudra décrypter la nature. Un discours construit sur le modèle analytique qui fonctionne par oppositions binaires, tandis qu’il a été 45 Voir sur ce sujet l’article « La médiologie de l'arène ou la fonction symbolique des JO » par Sebastien MANIGLIER, 1er juillet 2005 http://www.archi-art.net/revue_automatique/article.php3?id_article=117 46 Ni le soleil ni la mort, La médiologie de l’arène, p. 139 47 op. cit. p 97

40

démontré par ailleurs que ce modèle n’est plus opérant dans l’analyse des phénomènes urbains contemporain. Ainsi, Henry LEFEBVRE a bien montré dans différents ouvrages48 que l’on ne pouvait plus comprendre la ville sur des oppositions binaires et qu’il fallait par conséquent adopter une approche dialectique construite sur trois termes. A noter d’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, que la construction à trois termes est la base de la notion de développement durable [économie<>social<>environnemental]. Pourquoi alors rester camper sur des propositions binaires ? L’approche linéaire et binaire permettrai t-elle justement de légitimer une certaine idéologie en cherchant à prouver la permanence très discutable des mécanismes urbains pour légitimer, par la suite, des actions normées. Autrement dit, nous pouvons nous demander si la fonction des deux premiers ages n’est pas d’asseoir scientifiquement le neo-urbanisme, qui fonde le « traité » des principes du nouvel urbanisme et de la conformité des pratiques. Un discours qui d’induit chez le lecteur une sorte de fatalisme, comme si finalement ce qui est dit n’était rien d’autre que la description d’un processus inéluctable sur lequel les acteurs auxquels s’adresse cet ouvrage étaient quoi qu’il en soit impuissants. L’approche critique manque cruellement à un texte qui pourrait être interprété comme très libéral. A noter, sur le plan méthodologique, qu’il est très étrange qu’un ouvrage qui ne se propose pas moins de constituer un manuel du nouvel urbanisme ne soit, à notre ère, composé que par un auteur acteur dans l’enseignement et dans l’industrie automobile alors que par ailleurs, comme au PUCA, un appel d’offres de recherche se termine par un ouvrage collectif. Comme nous l’avons vu, le discours managerial à la particularité d’entretenir les confusions et de citer la complexité sans jamais vraiment qualifier la réalité physique de ce mot, puisque cette complexité entretien une opacité qui permet de justifier les outils de la transparence, fond de commerce qui permet au management d’imposer son arsenal de boites à outils. Finalement, le management produit lui-même l’environnement qui est favorable à son développement. L’approche du réel et l’analyse du présent pourrait être déformée pour préparer le terrain aux mesures qui s’imposent alors… Par exemple, pour justifier une politique répressive et sécuritaire, on n’hésitera pas à utiliser les médias pour amplifier l’événement qui justifierai une telle politique. Ainsi, comme si il s’agissait d’une étude de marché, l’analyse de F.A. définissant le nouvel urbanisme se construit sur des observations « factuelles » qui justifient des objectifs de production industriels clairs. Le neo-urbanisme est induit par une société plus rationnelle, plus individualiste et plus différenciée, l’émergence de la société hypertexte, et la mutation du capitalisme industriel au capitalisme cognitif. Nous adhérons bien sûr à cette réalité mais il faudrait la compléter et surtout ne pas la prendre comme un fait acquis à laquelle se conformer, mais comme un processus problématique avec lequel composer pour inventer et concevoir les actes et les actions pour agir sur une évolution plus désirable et soucieuse de l’intérêt public. Au lieu de cela, F.A. décrit ce que nous qualifions de dérives du capitalisme, à savoir l’économie de marché et une vision libérale de la ville qui se développe progressivement sur le terreau du capitalisme avancé pour le maintenir en SUR-vie. Les propositions de l’auteur aggravent des processus comme la SUR-consommation inhérente à une vision de plus en plus individualiste du savoir vivre ensemble, du faire société. La troisième modernité et sa révolution urbaine ont commencé à faire émerger de nouvelles attitudes vis-à-vis de l’avenir, de nouveaux projets, des modes de pensée et d’action différents : c’est ce que dorénavant nous qualifierons de « nouvel urbanisme »49. Peut-être faudrait-il accepter et intégrer la post-modernité au lieu de parler de troisième modernité pour ensuite adopter une vue à plus longue portée qui intègre l’impossible durabilité d’un Capitalisme à bout de souffle et se retournant contre lui-même puisque même sa fonction noble, le maintien de la paix, n’est plus 50. Le neo-urbanisme ne peut reproduire à l’infini un état de crise généralisée. Et pourtant F.A. semble résigné à rendre opérant le jeu des oppositions pour justifier ce que devra être demain à partir de ce qui est aujourd’hui et n’hésite pas à annoncer que le contenu objectif des enjeux et des espaces publiques

48 cf. Rythmanalyse ou L’espace politique 49 op.cit. p 57 50 Citer Eve Chiappello artistes versus managers

41

(et politiques) deviennent discutables dans le cadre du neo-urbanisme. Il continue en affirmant que la légitimité publique s’est déplacée du contenu au processus. Si par processus l’auteur entendait un travail de conception des dispositifs de démocratie participatives ou même d’ingénierie concourante ouvert sur l’ensemble des disciplines concernées par le développement durable, nous serions moins inquiets, or il apparaît que nous sommes dans une conception totalement différente du « processus », mot valise courant dans la langue de bois managériale. De l’intérêt général substantiel 51 à l’intérêt général procédural 52 – L’urbanisme moderne s’est construit sur des conceptions substantielles de l’intérêt général ou de l’intérêt commun. Il faut entendre par là que les décisions publiques, les plans avec leurs obligations et leurs interdictions, les réalisations publiques, les exceptions au droit d’user librement de sa propriété (servitudes), les expropriations, les impôts, étaient légitimés par des intérêts collectifs admis comme supérieurs aux intérêts individuels. La société hypertexte, faite de multi-appartenance, de mobilités et de territoires sociaux et individuels à géométrie variable, confronte le neo-urbanisme à une diversité mouvante d’intérêts et à une complexité d’enjeux qui se concrétisent de plus en plus difficilement dans des intérêts collectifs stables et acceptés par tous. Les élus locaux, l’Etat, les urbanistes et les experts de toutes sortes, peuvent ainsi de moins en moins prétendre fonder leurs actions et leurs propositions sur un intérêt général ou commun objectif et unique. [...] Une décision ne peut plus être considérée comme étant d’intérêt général ou commun du seul fait de sa substance objective. C’est la manière, la « procédure » selon laquelle elle a été élaborée et éventuellement coproduite par les acteurs concernés, qui lui confère in fine son caractère d’intérêt général. 53 Le neo-urbanisme est-il un parti pris pour l’économie de marché ou ouvre t-il la voie du développement durable ? En regardant de plus près les considérations faites sur le développement durable et sur ses effets envisagés sur l’évolution du neo-urbanisme, nos doutes ne sont pas levés, bien au contraire. Il apparaît que le Développement Durable n’est pas envisagé comme un processus axial, ouvert et coopératif comme il se doit dans une approche d’objectifs concourants à la fois économiques, sociaux, environnementaux et culturels, mais davantage comme une contrainte technique, donc à la fois extérieure et limitée dans son champs d’action alors que le développement durable devrait être l’intériorité même du projet, son énergie, sa cause interne. Soulignons, et nous le vérifierons dans l’étude de cas qui suit 54, que la volonté de confondre le développement durable avec la technique est une manifestation et une dérive des pratiques managériales qui veulent par là désamorcer la portée éthique et politique que pourrait engendrer un processus prospectif animé de durabilité et de désirabilité. Pour limiter la portée du développement durable, sans le dénigrer, est d’affirmer ses fonctions matérielles corrélées si possible aux objectifs du management lui-même, c’est à dire à la volonté d’une complétude, d’une maîtrise et d’un contrôle de l’ensemble du projet, dans ce cas il est courant de substituer la Haute Qualité Environnementale au Développement Durable. Chez F.A. les objectifs ne sont pas critiquables, il s’agit des patrimoines naturels et culturels, de la lutte contre l’effet de serre, d’une rationalisation de l’utilisation anticipant sur l’épuisement du foncier en milieu urbain : Les contraintes durables et non circonstancielles d’économie des ressources non renouvelables, de préservation des patrimoines naturels et culturels et de lutte contre l’effet de serre créent également des externalités qui modifient les calculs économiques et les choix urbains, et qui joueront probablement progressivement sur les formes urbaines favorisant les réaffections d’usage, une réutilisation plus intensive des zones déjà urbanisées, et une maîtrise plus grande de la consommation d’espace. 55

51 substantiel : qui appartient à la substance, à l’essence, à la chose en soi. 52 procédural : qui permet de décomposer un programme en modules, en procédures, c’est-à-dire en manière de procéder pour aboutir à un résultat dans la conduite d’une opération complexe. 53 op. cit p 90-91 54 mise en place d’une stratégie de DD à Boulogne Billancourt. 55 op. cit. pp 85-86

42

L’objection que nous pouvons formuler est davantage dans l’assujettissement de ces contraintes à ce que l’auteur appelle les calculs économiques et les choix urbains laissant supposer la généralisation d’une politique de la ville compensant l’ affaiblissement du politique par une approche de gestion spatiale, pour que l’action urbaine se limite à une place strategy (excluant une fois de plus une people strategy). Or nous vérifions que dans de telles procédures technocratiques, la validité des critères de choix est principalement économique avec comme seule inflexion possible, l’obligation réglementaire ou normative de contraintes techniques. Or si le développement durable dépasse très largement le champs de la technique, c’est précisément qu’il n’a aucune visée réglementaire ou normative mais qu’il est, bien au contraire, l’occasion d’une stratégie d’adaptabilité des différents outils technocratiques, administratifs ou juridiques au projet lui-même. Le projet doit être moteur et son inspiration politique et non déduit par une extérioté technique qu’il faudrait gérer, n’en déplaise aux acteurs qui s’appuient sur le marketing politique ou le management urbain… Le parti pris défendu par F.A. est de plus en plus claire, à l’émancipation des multitudes autorisée par les mécanismes d’une politique axée sur la mobilité sociale et spatiale, sur l’étude des caractéristiques culturelles et sociales et sur tous autres critères immatériels relatifs à l’organisation des établissements humains, l’auteur défend les objectifs à priori où le culte de la performance et de la compétitivité, justifient un discours dont le double système reste opérant : 1) par l’analyse historico-théorique : sur un mode toujours binaire l’évolution de l’urbanisme vers le neo-urbanisme s’oppose en ces termes : des règles exigencielles56 (urbanisme) aux règles performancielles57 (neo-urbanisme) : le néo-urbanisme privilégie les objectifs, les performances à réaliser, et laisse voire encourage les acteurs publics et privés à trouver les modalités de réalisation de ces objectifs les plus efficients pour la collectivité et pour l’ensemble des intervenants. Cela nécessite de nouveaux types de formulation des projets et des réglementations. 58 2) et par l’analyse d’un présent re-présenté sous l’angle de la complexité l’auteur enchaîne une série de contradictions, sans lesquelles le discours du management ne serait pas aussi efficace. En effet l’auteur juxtapose l’argument que l’urbanisme performantiel se doit d’adapter la complexité des normes à la complexité de l’environnement du projet pour atteindre des objectifs qualitatifs et que pour résoudre cette complexité crée, l’urbanisme performantiel doit produire des règles : Cette complexification des normes est rendues particulièrement nécessaire par la diversité croissante des territoires et des pratiques urbaines, par l’augmentation des exigences qualitatives, par la difficulté grandissante à appliquer des démarches égalitaires et la nécessité de les remplacer par des approches plus subtiles et moins figées, fondées sur des principes d’équité. Les plans d’urbanisme dits « qualitatifs » s’inscrivent dans cette nouvelle perspective de règles qui privilégient le projet plus que les moyens, y compris du point de vue architectural et paysager. Cet urbanisme performanciel doit s’efforcer de produire des règles. 59 Il y a là une première contradiction qui est celle de vouloir traiter la complexité par la voie réglementaire qui justement est réductrice, simplificatrice, inadaptée et inopérante sur les spécificités de chaque contexte puisque la règle uniformise. L’autre contradiction est dans la volonté de démarches égalitaires et d’approches subtiles et moins figées auxquelles on oppose instantanément la voie réglementaire et une stratification complexe de normes ! Nous pouvons craindre que la démarche égalitaire ne soit finalement un autre mot pour dire uniformisation et standardisation, justifiant le développement de pratiques autoritaires privées appliquant non pas une pensée complexe, mais produisant de la complexité pour légitimer une pensée simpliste. Enfin, la dernière contradiction et non des moindres tient dans l’affirmation que l’urbanisme performantiel privilégie le projet plus que les moyens alors que finalement on voit bien qu’il s’agit, au nom des simples enjeux économiques, de produire une rationalisation technique et normative qui n’a rien à voir avec les terrains et les préoccupations culturelles ou sociale. Sans doute, sans une volonté démagogique, les contradictions relevées n’auraient-elles pas raison d’être. Le neo-urbanisme a t-il une visée politique ?

56 qui relève d’une exigence, c’est-à-dire qui est imposé par une discipline, une soumission, un ordre, un loi. 57 qui s’attache à la performance, c’est-à-dire au résultat optimal qu’une machine, un être vivant ou une organisation peut obtenir. 58 op. cit. p 84 59 ibid.

43

Le politique c’est avant toute chose de placer dans la durée une vision désirable pour la majorité ce que sera la ville. Il y a donc l’idée que le politique peut agir sur le cour des choses, les pouvoirs publics devraient avoir la puissance et les appareils nécessaires à la préservation du droit commun et de l’intérêt public. F.A. fait le constat de la poursuite de la concentration des richesses humaines et matérielles dans les agglomérations les plus importantes. L’auteur signifie par là que les évolutions urbaines se calent sur des enjeux capitalistes devenant ainsi un facteur d’exclusion et de fracture sociale et spatiale puisque dans des processus uniquement marchands, seules les agglomérations les plus importantes sont concernées par la captation des richesses et leur accumulation. L’auteur prend la mesure de l’impact sur le quotidien de l’économie de marché qui a pour effet la dilatation des territoires urbains pratiqués usuellement par les citadins affaiblissant les plus démunis, mais dissolvant aussi les liens de proximité, le lieu d’intégration des relations amicales, familiales, professionnelles, civiques ; les voisins immédiats sont de moins en moins des amis, des parents, des collègues, sauf dans quelques ghettos de riches et de pauvres, nous confirme l’auteur. 60 De là à affirmer que le développement social passe par les territoires qui maintiennent ses liens justifiant la guettoïsation, et tous les processus protectionnistes de privatisation de l’espace ou de résidentialisation, il n’y a qu’un pas. Or il nous paraît difficile d’imaginer un modèle de nouvel urbanisme qui se base sur un développement élitiste produisant des zones sinistrées sur le plan économique. Les petites et moyennes agglomérations sont-elles destinées à dépérir au profit de quelques centralités hors d’échelle au nom d’une attitude passive justifiée par un neo-urbanisme dans lequel la finalité libérale justifierait les moyens ? La dynamique de projet n’est rien moins que la concentration des appareils administratifs, juridiques, techniques, à même d’agir sur les territoires. La dynamique de projet dans le cadre du DD ne peut plus être assujettie à une technique mais doit adapter la technique comme l’ensemble des autres outils disponibles aux objectifs définis qui traitent des interactions de manière spécifique des composantes du DD. Ainsi DD n’est pas l’application des cibles H.Q.E. dont plus d’un voudraient les voir évoluer en normes puis en règles 61. DD est l’expression concertée d’une volonté politique de transformation et d’évolution à long terme du territoire. La dimension politique du projet ne recouvre que partiellement l’institution politique car si la politique met en scène les représentants, le politique pourrait bien repartir de la base, des singularités quelconques. Le neo-urbanisme ne semble pas faire grand intérêt d’une telle pensée. Le neo-urbanisme est-il en mesure de proposer une alternative aux dérives libérales appliquées à l’espace public ? La conséquence directe de l’absence de visée politique de la notion de neo-urbanisme défendue par F.A. est son placement dans la continuité du présent tel qu’il est analysé, dans des processus capitalistes avérés sur lesquels les concepteurs devraient déclarer forfait tant ils échappent finalement à l’humain. L’auteur fait le constat des effets de la globalisation et de l’autorité du modèle hégémonique qu’est le capitalisme. Les puissances politiques et leurs instances internationales semblent rangées au service de l’économie de marché qui démantèle pourtant par pans entiers l ‘équilibre précaire de l’organisation territoriale. La fracture sociale risque de s’étendre à une fracture territoriale à plusieurs vitesses. Aux mutations contemporaines des relations mondiales entre Nord (vieille Europe / Sud (Afrique) ; Est / Ouest (Chine) ; s’installe progressivement à l’échelle nationale la radicalisation d’une organisation sociale dans laquelle les classes moyennes tendent à disparaître générant une exclusion de plus en plus importante des pauvres éloignés de toutes centralités faisant du peri-urbain l’un des enjeux les plus importants à prendre en compte dans les mutations de l’urbanisme : On peut définir la métropolisation comme la poursuite de la concentration des richesses humaines et matérielles dans les agglomérations les plus importantes. C’est un processus avéré dans tous les pays développés, même s’il y prend des formes diverses qui tiennent aux spécificités

60 op.cit. p 61 61 voir par exemple la position du CSTB sur cette question

44

régionales et nationales. Il résulte principalement de la globalisation et de l’approfondissement de la division du travail à l’échelle mondiale, qui rendent nécessaires et plus compétitives les agglomérations urbaines capables d’offrir un marché du travail large et diversifié, la présence de services de très haut niveau, un grand nombre d’équipements et d’infrastructures, de bonnes liaisons internationales. 62 Or si l’évolution urbaine se concentre principalement sur le péri-urbain, il n’est pas évident que le neo-urbanisme tel qu’il est envisagé par F.A. se donne les moyens de générer un territoire en phase avec des habitants déjà mis au banc. Les processus urbains devront être les garants de méthodologies participatives pour travailler dans le sens du vivre ensemble, de la citoyenneté et des conditions pour l’épanouissement des organisations sociales relatives à la constructions des équipements publics suffisants, trop souvent empêchés par les considérations économiques en terme de rentabilité exacerbées par l’obession de la performance au mépris de l’équilibre et de l’harmonie. Le neo-urbanisme loin de faire l’éloge de la lenteur, le temps c’est de l’argent, semble manquer d’une dimension éthique et politique et trop peu exigeant quant à des processus de subjectivation pour réunir sur la voie du changement, c’est à dire n’allant pas forcement de manière exclusive dans le sens du développement de la société de la consommation. Et pourtant F.A. s’empresse de nous rappeler le monde dans lequel on vit, déclinant le culte de la performance et de la compétitivité aux objectifs d’innovation technologique, de surproduction et de la surconsommation puisque l’individu-consommateur, malgré la crise économique, doit s’adapter au rythme effréné d’une fabrication sérielle d’objets de haute technologie individualisés et jetables. Ainsi le neo-urbanisme se justifie aussi par des innovations d’une grande importance dans la vie urbaine […], comme les magnétoscopes, le téléphone mobile, les ordinateurs individuels et Internet. La diffusion de la seconde automobile et des TGV contribuent également à modifier profondément les territoires. 63 La modification est certaine, nous préférons l’envisager sous l’angle de l’altérité conséquente à la production industrielle et à la surconsommation qui annonce le danger d’un tel rythme plutôt que sous l’angle des flux communicationnels immatériels, propres, visant au contrôle des masses. Le neo-urbanisme justifie t-il le développement de la société de la consommation et des processus d’individualisation qui lui sont inhérents ? L’évolution technologique constitue le facteur le plus important des nouveaux principes de l’urbanisme qui fondent le neo-urbanisme. Si nous regardons de plus près les innovations évoquées, nous voyons bien qu’elles appartiennent pratiquement toutes à la sphère de la consommation et que leur cible est bien l’individu-consommateur. Or lorsque nous avions évoqué cette problématique, nous avions vu comment l’individu-consommateur s’articule aux processus d’individualisation étant liée à la question d’un confort « à la demande » peu compatible avec les préoccupations environnementales. F.A. évoque ces processus d’individualisation pour montrer comment « l’exigence d’autonomie » devient une condition sine qua non pour améliorer l’habitabilité des territoires reculés : L’accentuation de l’individualisation entraîne des changements dans les manières dont les citadins organisent leurs territoires et leurs emplois du temps. Ils s’efforcent de maîtriser individuellement leur « espace-temps » et, pour ce faire, utilisent de plus en plus intensivement tous les instruments et technologies qui accroissent leur autonomie, qui leur ouvrent la possibilité de se déplacer et de communiquer le plus librement possible. Les moyens de transport individuels (automobile, deux-roues, rollers, etc.) expriment chacun à leur manière cette exigence croissante d’autonomie et de vitesse. Les objets portables et, en premier lieu, les téléphones, témoignent de cette même recherche du « où je veux, comme je veux ». Cette exigence d’autonomie devient aussi une obligation dans la mesure où la société s’organise sur la même base de cette individualisation. L’histoire récente du téléphone mobile en témoigne : peu à peu, il devient indispensable pour participer à la vie urbaine, et ceux qui souhaitaient s’en passer sont obligés progressivement d’en acquérir un. La flexibilité et la

62 op.cit. p 59 63 op.cit. p 57

45

personnalisation croissante des horaires de travail illustrent également la façon dont la société s’organise aujourd’hui sur la base d’une individualisation croissante, y compris pour maximiser les performances économiques. 64 L’analyse est juste, toutefois comment s’appuyer sur un tel état existant pour formuler l’expression de l’adaptabilité d’un nouvel urbanisme ? F.A. affirme que l’habitant développe une attitude de consommateur vis-à-vis de son propre territoire qu’il résume avec l’expression lapidaire du où je veux, comme je veux, puis pratiquement sans transition, il affirme que les exigences de l’individu-consommateur deviennent une obligation puisque la société s’organise sur cette base. Sous couvert d’une analyse des mutations sociétales, l’auteur explicite la voie d’une réflexion sur la manières d’adapter les pratiques de l’urbanisme au service d’un capitalisme avancé, et pour accompagner les processus exponentiels liés à l’individu-consommateur comme la privatisation générale de la chose publique altérant de manière significative le faire-société qu’un DELEUZE avait bien diagnostiqué comme un effet de la société de contrôle 65. L’individualisation de la vie urbaine provoque aussi une crise dans la conception et le fonctionnement des équipements et services publics. [...] Le cas des transports publics illustre particulièrement cette crise et la nécessité de développer de nouvelles conceptions. Dans les métapoles en effet, les citadins se déplacent de plus en plus en tous sens, à toute heure du jour et de la nuit, de façons différentes et changeantes selon les jours et les saisons. Les déplacements pendulaires domicile-travail sont devenus minoritaires, de même que les déplacements radioconcentriques. Or, les transports publics, trains, tramways, bus classiques, ont étés conçus sur le modèle « fordien », c’est-à-dire sur un principe répétitif, de production de masse et d’économies d’échelle : le même transport, sur le même itinéraire, pour tous, et en même temps. Ce type de transport reste performant, y compris du point de vu écologique, dans les zones denses et sur les grands axes. Mais cela ne représente qu’une part minoritaire et décroissante des transports. Les habitants des métapoles qui n’ont pas de moyens de transports individuels, et en particulier pas d’automobile, sont donc de plus en plus handicapés, parce ce que la ville leur est de moins en moins accessible avec les transports collectifs classiques, alors qu’elle leur est de plus en plus indispensable. La diminution des besoins en mobilité par le retour aux proximités des villes anciennes étant peu probable pour la plus grande partie de la population, il est nécessaire de développer des services publics de transport plus individualisés, desservant l’ensemble des territoires métapolitains, combinant les divers modes de transport et utilisant les possibilités qu’offrent les TIC, de façon à se rapprocher d’un service en « porte-à-porte » qui est, aux transports ce que le one to one est au marketing. 66 La réalité des processus d’individualisation de la vie urbaine est indiscutable mais elle est convoquée pour mettre en place un système de raisonnement qui d’une manière quasi implacable en arrive à la conclusion aberrante de l’individualisation des services publics sur le modèle marketing du one to one, autrement dit, du transport collectif à la demande. Le raisonnement et les solutions proposées relèvent tout à fait du management, un type de discours décrypté par des auteurs comme Luc BOLTANSKY et Eve CHIAPELLO 67 qui montrent la nature flexible et adaptable de véritables discours vidés de toute idéologie, assumant ses contradictions.

64 op.cit. P 65 65 in Pourparlers, « post-scriptum sur les sociétés de contrôle », p 240-241 66 op. cit. pp 68-69 67 L. BOLTANSKI, E. CHIAPPELO, Le Nouvel Esprit du Capitalisme

46

Ainsi l’individu-consommateur fondamentalement solitaire reconstitue la communauté en montant des murs, c’est la logique du camp qui annonce, à l’image de la construction du modèle de F.A. une société fonctionnant par exclusions. Nous pouvons craindre le développement d’une volonté exigeant en même temps protection, sécurité, confort individuel qui, se corrélant à la dissolutions du faire-société, risque de donner des paysages largement développés dans la fiction d’anticipation, puisque, sans doute, l’acmé de l’individu-consommateur est le cyborg 68. I Des stratégies qui confirment la toute puissance de l’individu-consommateur : En avançant cette analyse de texte, les intentions de l’auteur à peine masquées se font de plus en plus précises. L’analyse qui se présentait comme « objective » s’avère avoir préparé le terrain à des prescriptions équivoques : Le néo-urbanisme et les services publics urbains doivent aujourd’hui prendre en compte le processus d’individualisation qui marque l’évolution de nos sociétés. La diversification des situations et des besoins rend ainsi nécessaire une plus grande variété et une personnalisation des solutions. [...] Cette personnalisation des services nécessite des réseaux et des systèmes techniques plus complexes qui recourent de façon déterminante aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Tous les équipements collectifs traditionnels ne deviennent pas obsolètes (universités, hôpitaux, stade, etc.), mais ils doivent intégrer de façon nouvelle cette notion de service individualisé et s’appuyer sur les techniques avancées de transport et de télécommunication. Cela engendre de nouveaux dispositifs complexes, comme en témoigne par exemple le système associant, grâce à un usage intensif des transports et des télécommunications, des centres hospitaliers regroupant toutes les disciplines à un haut niveau de spécialisation, les hôpitaux de proximité, l’hospitalisation à domicile, les services de soins ambulants, les SAMU, les dispensaires et la médecine dite de ville. Dans le domaine des transports, se développent également des « centrales de mobilité », qui collectent et mettent à la disposition des citadins une information en tant réel sur les horaires des transports collectifs, les disponibilités des taxis, des transports à la demande, des parcs de stationnement, l’état du trafic, les tarifs, etc. Ces dispositifs ouvrent les possibilités de choix des individus et rendent possibles de nouveaux types de services adaptés à une grande variété de situations. 69 Nous voyons bien comment les pratiques du management urbain conditionnent le type de solutions envisagées. Du management au marketing il n’y a qu’un pas que l’absence d’une conscience éthique permet de franchir allégrement. Car l’air de rien F.A. propose ici d’adapter les services publics et les transports en communs à la toute puissance de l’individu-consommateur. La personnalisation des services hospitaliers par exemple sous-tend une idéologie ultra-libérale où le malade serait considéré comme un client qui pourrait disposer d’un ensemble de services à la carte mettant fin à la relative équité que le service public garantit encore en France. De telles logiques sous-tendent aussi une traçabilité accrue, et renforce la présence et l’omniscience des technologies de contrôle. De plus, nous voyons bien que le développement durable, lorsqu’il n’est pas récupéré ou détourné de ses enjeux pour devenir de simples nouveaux moyens de parvenir à la rentabilité, lorsqu’il n’est pas corrompu dans sa définition, disparaît totalement des formulations proposées pour préparer un avenir. Il ne constitue absolument pas une force contradictoire opposables aux forces du capitalisme dans les nouveaux principes de l’urbanisme tels que nous les décrit F.A. Il est évident que la généralisation dans les services publics des procédés marketing « à la demande » auraient des conséquences graves en terme environnemental. De plus, de telles stratégies vont à l’encontre des processus de re-politisation qui impliquent une intégration active de l’individu citoyen dans les décisions relatives à la chose publique. Car la

68 cf Neuromancer de M. GIBSON, l’inventeur du mot « cybermonde », La ville territoire des cyborgs, A. PICON 69 op. cit. p 88

47

contrepartie de l’hégémonie accordée à l’individu-consommateur est bien celle de l’abandon symbolique de sa citoyenneté. L’individu-citoyen est potentiellement un acteur qui peut s’opposer aux logiques dominantes de la promotion privée par exemple et aux processus de marchandisation de la ville en général tandis que l’individu-consommateur est dans le public, il regarde la scène se jouer et se laisse plus ou moins séduire par le spectacle qui a été conçu selon les désirs que l’on a projetés sur lui. Répondre à la variété des goûts et des demandes, d’une architecture fonctionnelle à un design urbain attrayant – [...] Le néo-urbanisme admet en revanche la complexité et doit proposer une variété de formes et d’ambiances architecturales et urbaines à une société de plus en plus différenciée dans sa composition, ses pratiques, ses goûts. Confronté à une ville de plus en plus mobile, dans laquelle les acteurs peuvent de plus en plus choisir leurs lieux, le néo-urbanisme doit séduire. Il s’efforce de proposer une sorte de ville à la carte, qui offre des combinaisons variées de qualités urbaines. [...] Le néo-urbanisme essaie autant que possible d’utiliser les dynamiques du marché pour produire ou conserver les valeurs symboliques de la ville ancienne. 70 Comment le neo-urbanisme gère t-il les forces contradictoires entre une gestion du présent et les visées DD ? Les principe du neo-urbanisme défendent finalement l’idéologie capitaliste de l’économie de marché qui n’est pas à même de respecter les grands équilibres nécessaires dans le DD. C’est d’une manière très cohérente avec cette économie de marché que le neo-urbanisme participe au recul de l’espace public et de la citoyenneté, privatise le droit commun, et abandonne toutes dynamiques politiques au profit d’une adaptabilité des pratiques de l’urbanisme aux exigences du Capitalisme, sur lesquelles viennent s’exercer les pressions du marché du travail, la concurrence mondiale (orient/occident), l’hyper-spéculation sur un foncier en voie de saturation, et la crise économique en général. Nous ne pouvons que pointer l’aspect problématique de tels processus par rapport aux enjeux du développement durable et de l’épanouissement de l’Homme. Anticipant peut-être les objections à ce nouvel urbanisme, F.A. traite la question du Développement Durable qui ne constitue pas pour lui une question centrale, mais traitée davantage dans une logique de récupération et d’intégration à une place « aménagée », la rendant présente mais limitant instantanément sa portée. En effet, pour l’auteur le DD appartient au champs de la prévention et de la gestion des risques appliqué principalement au milieu urbain qui constitue selon lui le territoire anxiogène de toutes les peurs, c’est à dire l’expression d’une manifestation des conséquences que nous pouvons craindre si une telle approche de l’urbanisme se généralise. L’auteur devance les objections et les reporte sur un objet qui n’est pas le sien, le développement durable et lui confère des visées sécuritaires ! Si comme l’affirme le dicton médiéval « l’air de la ville rend libre », la contrepartie est que la ville est aussi le lieu de tous les périls, physiques et moraux. De fait, les villes ont toujours étés ambivalentes du point de vue de la sécurité, assurant à la fois des protections diverses, mais suscitant également toutes sortes de dangers. [...] Le risque, qui est une notion caractéristique de la modernité, envahit aujourd’hui toutes les pratiques sociales et donne naissance à une « société du risque » : tant les individus que les acteurs économiques et sociaux font en effet du risque une question clé et permanente de leur vie et de leurs actions.71 L’auteur va plus loin dans le dénigrement de cette notion en prétendant que la risquisation de la société répond à un sentiment d’insécurité lié à la fois aux incertitudes quant à l’avenir, à la volonté de maîtriser l’avenir corrélée à une volonté de réaliser des projets et de mettre en œuvre des stratégies. Autrement dit, F.A. tente ici une critique des problématiques de Développement Durable en reprenant quasiment mot pour mot les critiques que BOLTANSKI ou LE GOFF font des pratiques du

70 op. cit. p 94 71 op. cit. p 75

48

management et de l’analyse qu’il fait de la société pour légitimer ses pratiques, pratiques que nous commençons à mettre à jour tant sur le fond que sur la forme du texte que nous analysons. Ces nouveaux rapports au risque, à l’incertitude, à l’avenir, fondent en grande partie le succès des problématiques en termes de développement durable. [...] La risquisation de la société, c’est-à-dire la place grandissante prise par les préoccupations en terme de sécurité physique, économique, sociale, familiale, résulte donc à la fois de la croissance des incertitudes de toutes sortes, et de l’ambition toujours plus grande de réaliser des projets, de mettre en oeuvre des stratégies, de maîtriser l’avenir. De ce fait, les individus comme les acteurs sociaux et économiques sont de plus en plus à la recherche de tout ce qui peut assurer, rassurer, produire de la confiance. C’est dans ce cadre qu’il faut situer le « principe de précaution », qui connaît aujourd’hui un succès tel que sa mise en oeuvre en devient particulièrement difficile. Le principe de précaution surgit en effet lorsqu’il y a incertitude sur les conséquences possibles d’une décision, soit parce que l’on n’arrive pas à les connaître ou à les mesurer, soit parce que les experts ne sont pas d’accord. 72 Nous pouvons lire dans cette citation un autre point qui nous pose problème avec tout ce que nous avons dit plus haut : F.A. affirme que le développement durable qu’il qualifie donc de principe de précaution intervient lorsqu’il y a incertitude sur les conséquences possibles d’une décision ou lorsque les experts ne sont pas d’accord. Nous pouvons formuler deux objections à cet argument : d’une part le développement durable à ceci de différent d’un simple principe de précaution qu’il n’impose aucune norme, et encore moins des règles. Le développement durable ne peut donc pas être sorti de la manche comme la carte Joker en cas de conflit puisque le développement durable relève de manière intrinsèque de la négociation entre les acteurs et des modalités d’hybridations transdisciplinaires. D’autre part, cette carte Joker qui s’imposerait pour « pacifier » les contextes de conflits est dans la réalité professionnelle une véritable fonction du management lui-même. La gestion des conflits constitue une branche de la discipline management qui permet de « gérer » les conflits sans les traiter sur le fond, grâce aux boîtes à outils et de techniques passe-partout. Rappelons que BRETON dans l’utopie de la communication nous dit que les formes communicationnelles contemporaines cherchent l’harmonie, un monde consensuel, un idéal pacifié qui finalement renvoie sur le terrain du chaos, de la violence et du désordre destructeur toute forme de conflit 73. Or la volonté de maîtrise, d’ordre et de rationalisation est bien une préoccupation première du management tandis que la dimension politique du développement durable ouvre davantage sur le terrain de la négociation et des incertitudes.

B. De l’adaptabilité des pratiques professionnelles aux principes de l’économie de marché f) L’accès à la commande est-il compatible avec une vision prospective du projet ? Lorsque l’auteur affirme que les professionnels de l’urbanisme seront conduits à développer dans leurs propres pratiques l’usage de ces nouveaux modèles de performance, et à utiliser les potentialités des TIC dans leurs propres activités 74, il confirme et signe les intentions de son double discours. Il y a effectivement nécessité pour les professionnels à adapter leurs pratiques aux exigences en terme de durabilité, de désirabilité d’un lendemain de plus en plus compromis dans ses équilibres élémentaires. Mais l’auteur récupère cet état de fait pour le service de l’économie de marché, passant au nom de la performance à la trappe toute visée prospective dans la pratique de projet pour le respect d’un équilibre entre développement, protection, préservation, prévention. La question de la commande et des stratégies professionnelles opportunistes

72 op. cit. pp 76-77 74 ibid.

49

Dans la dernière partie de son essai consacrée aux nouveaux principes de l’urbanisme, F.A. annonce d’entrée le renoncement d’un travail de conception qui relève de la stratégie pour une adaptabilité des pratiques qui collent « à la demande », autrement dit, par des pratiques marketing qui abandonnent toute capacité à produire une proposition, une offre, un projet : La troisième révolution urbaine moderne qui s’esquisse, avec la nouvelle phase de modernisation des sociétés occidentales, engendre des mutations profondes dans les modes de conception, de réalisation et de gestion des villes. L’évolution des besoins, des façons de penser et d’agir, des liens sociaux, le développement de nouvelles sciences et technologies, le changement de nature et d’échelle des enjeux collectifs, donnent ainsi naissance peu à peu à un nouvel urbanisme que nous qualifierons de néo-urbanisme pour le distinguer du paléo-urbanisme de la première révolution urbaine moderne, et de l’urbanisme dont le concept lui-même a été inventé à l’occasion de la deuxième révolution moderne. 75 L’absence de toute idéologie, de toute doctrine étant, la société éprouvant de grandes difficultés à porter un autre projet que celui de la société de consommation et de la communication, nous voyons que les mutations urbaines accompagnent les dérives du capitalisme à l’opposé de toutes considérations motrices sur la durabilité de la société. Ce mouvement accompagne des professionnels mis face à leur propre logique de survie. Ainsi l’Homme de projet n’a plus d’autres choix que d’entrer dans des logiques de résistance si il ne veut pas devenir un manager. Car le néo-urbanisme mobilise toutes les bonnes intentions, puisque c’est dans sa nature de ne rien imposer, de ne pas s’engager justement, et de gérer la crise avec les techniques du management urbain : f’’) Comment les pratiques professionnelles s’adaptent-elles à l’économie de marché ? De telles conceptions du projet d’architecture, qui cherchent à séduire en proposant une ville à la carte, composée de combinaisons variées peuvent mener aux plus graves dérives de la pratique architecturale. En effet, nous ne sommes plus sur le terrain de l’architecture mais sur celui du marketing. Sauf que dans le cas que nous sommes en train de commenter, nous pouvons imaginer une génération d’architectes qui se mettent à appliquer de telles stratégies commerciales en fabriquant par exemple une unité d’habitation de base customisée à la demande sur catalogue de la même manière que l’on choisit les options pour sa voiture. Une telle démarche « d’en plus » est à l’opposé d’une démarche de qualité architecturale où la question de l’intégration reste primordiale et, sauf erreur, s’oppose à la logique « optionnelle » qui permettrai que l’on vende des maisons en pièces détachées. L’architecte ne peut totalement se dédouaner de la question de la forme, du choix et de la responsabilité en utilisant une machine à concevoir où seul le client, en remplissant un formulaire, fournirait les données à la machine pour calculer la forme du produit et son coût. Le travail de conception est forcement un aller/retours entre la demande du client, ses besoins, ses désirs, la culture de l’architecte, son savoir-faire, bref, un travail de dialogue et de négociation qui ne correspond absolument pas aux logiques combinatoires qui se traduisent toujours par une accumulations de formes pauvres donnant au final une pauvre maison, informe et infirme. L’architecture combinatoire et le marketing à la demande viennent d’une volonté d’arriver à concevoir « sans se mouiller », autrement dit, il s’agit de logiques d’implications du client pour prévenir tout conflit. Ainsi la subjectivité du concepteur est reléguée au profit de l’automatisation de la machine à calculer qu’est l’ordinateur, méthode corrélée à une conception économétrique de la création architecturale qui correspond avec les outils informatique de gestion intégrés capables de calculer des formes suivants des paramètres et des procédures programmées, mais aussi les surfaces, le métré, etc pour réaliser un urbanisme « à la carte». L’affirmation de l’individu-consommateur est une manifestation symptomatique de la déperdition symbolique notamment sur la notion de l’intérêt général comme élément fédérateur partageable dans la société. F.A. nous explique en effet que la procédure, c’est à dire le processus d’élaboration lui confère in fine son caractère d’intérêt général :

75 op. cit. p 79

50

f’’’) Le management urbain autorise t-il l’architecte à dépasser la commande ? La vision du « néo-urbanisme » de F.A. semble déduite directement des mutations sociétales observées, et du même coup, semblent échapper complètement aux professionnels de la conception architecturale et urbaine, les principaux acteurs du projet urbain. Nous allons ici dans le sens de Bernard REICHEN76 lorsqu’il parle de l’obligation de l’architecte à dépasser la commande. La commande correspond pour lui au moment d’une histoire, d’un bâtiment ou d’un projet, mais la commande ne doit pas empêcher l’architecte ou l’urbaniste de la dépasser pour aller vers d’autres notions qu’elles se situent en amont ou en aval. Cette vision des pratiques de projet est sans soute beaucoup plus volontariste que la vision d’un F.A. qui semble beaucoup plus opportuniste. Lorsque les pratiques marketing imortées par le management intègrent les pratiques de la conception, il y a une déperdition évidente de la force de proposition qui serait capable d’aller au-delà de la demande. F.A. nous fait la démonstration que dans le « néo-urbanisme », l’effet de feed-back n’est pas celui opéré par des professionnels du projet qui dans une démarche prospective modifient les termes de la commande mais au contraire, une pratique de l’urbanisme adaptée au contexte de crise qui retro-agit sur la définition des objectifs du projet comme si les objectifs étaient déterminés et indiscutables en raison des méthodes et des outils mis en œuvre dans le projet. f’’’’ Intégration et généralisation du management dans l’enseignement du projet d’architecture Conséquences dans l’enseignement et sur les pratiques Bien sûr, un tel travail de re-définition des pratiques de l’urbanisme ne saurait se faire sans une assise universitaire garantissant l’enseignement de ce qui se révèle finalement bien comme une doctrine que nous pouvons sans doute qualifier maintenant de libérale. Ainsi les pratiques du management s’intègrent dans l’enseignement à l’Institut Français d’Urbanisme parmi deux autres « noyaux » de compétence : l’étude et la conception. L’étude concerne notamment la préparation des documents de planification et des projets d’urbanisme ou dans l’élaboration des stratégies de développement territorial. Le management concerne l’ensemble des compétences qui s’applique dans la direction de projet comme dans la gestion des espaces ou équipements urbains. La noyau « conception » ne concerne pas seulement l’architecture ou l’aménagement de l’espace, mais aussi les nombreuses démarches de « design » - y compris institutionnel ) qui interviennent dans la production de la ville. 77 La présentation des enseignements de l’IFU est claire : le management exclut le domaine de l’étude et de la conception, un « néo-urbanisme » axé sur les pratiques du « management urbain » laisse donc la pote ouverte à toutes les dérives et à toutes les conséquences graves aussi bien sur le plan environnementale, que social ou culturel même peut-être économique si l’on considère le moyen et le long terme. Ainsi cet enseignement invoque « la complexité des opérations urbaines » pour asseoir la diffusion des compétences en gestion, une gestion bien sûr nécessaire mais étrangement déconnectée du travail d’étude et de conception. Un complexité donc qui engendre des évolutions notamment en terme de « planification » requalifiant les pratiques et les compétences en « stratégie métropolitaine ». Avec le texte que nous venons de lire, nous voyons bien le contenu idéologique et politique qu’il y a derrière ce terme qui désigne le programme méthodologique, les moyens, sans qualifier les finalités qui pourtant redéfinissent « des savoirs nouveaux » qui bien évidemment appartiennent au champ économique pouvant servir aux enjeux parfois inavouables de telles pratiques.

76 voir « Mutation des pratiques : les grands enjeux », texte intégral du colloque des Rendez-vous de l’architecture tenus les 2 et 3 octobre 1997 à PARIS. 77 cf site Internet de l’IFU, « présentation de la formation » : site

51

« Opérateurs urbains » Enseignants responsables : François ASCHER, Alain BOURDIN et Alain SINOU Les métiers classiques auxquels préparaient les instituts d’urbanisme, en particulier ceux de la planification, sont en pleine évolution. C’est à cette évolution que veut répondre la spécialité « stratégie métropolitaine ». Mais on voit également l’importance nouvelle prise par des métiers de la commande qui doivent développer des savoirs nouveaux. Aujourd’hui, les responsables opérationnels des collectivités ou des organismes qui leurs sont liés (SEM notamment) conduisent des opérations urbaines complexes qui nécessitent la coopération de disciplines très diverses dans des systèmes d’acteurs très instables et régulés par des dispositifs financiers et juridiques sophistiqués, essentiellement à base contractuelle.

En même temps, les centres d’échange, les espaces publics, les ensembles résidentiels sont de plus en plus objets de gestion et l’urbaniste ne peut plus s’en désintéresser. Il doit au

contraire acquérir des compétences en gestion. C’est ce type de professionnels que veut former cette spécialité. Les débouchés envisagés sont l’ensemble des métiers de la maîtrise d’ouvrage et du management des opérations urbaines (et des projets urbains), des territoires et des services urbains. Les services de l’État et surtout des collectivités territoriales sont certes concernés, mais la formation vise d’abord les divers opérateurs (publics ou privés) qui produisent ou gèrent la ville, l’habitat et les territoires pour le compte des collectivités ou de l’État ou pour le compte d’acteurs privés : SEM, organismes d’habitat social, GIP, entreprises publiques,

promoteurs et opérateurs divers, prestataires de services (génie urbain), associations supports de dispositifs… La formation vise également les bureaux d’études ou cabinets de concepteurs qui sont amenés à travailler dans des logiques de projet où l’étude et la planification, la conception, la réalisation et la gestion se trouvent en interaction. La tonalité fondamentale est opérationnelle.

Pour conclure, nous avons vu comment le management impose sa vision du réel pour désarmorcer le potentiel politique du développement durable qui pourrait arbitrer la définition des objectifs économiques, sociaux et environnementaux pour tendre à un équilibre que le marketing urbain ne vise pas. Nous pourrions affirmer que le développement durable et le management urbain ne sont pas compatibles. Toutefois nous prenons acte de leur intégration dans les nouvelles pratiques de l’urbanisme, et avec le recul nécessaire, nous ne pouvons ignorer l’efficience des pratiques du management et du marketing urbain qui semblent bien avoir des positions hégémoniques qui nous obligent sans doute, dans un soucis d’opérationnalité, à tenter un au-delà prospectif d’intégration du développement durable dans les pratiques du « neo-urbanisme » décrit par F.A. L’auteur décrit ici une situation post-disciplinaire de pratique stratégique du projet urbain. Post-disciplinaire puisqu’il s’agit finalement d’une vision de l’urbanisme portée par la loi SRU qui tente d’aménager les pratiques stratégiques en remplaçant une vision très réglementaire par une visée plus opérationnelle qui se donne les moyens de produire des normes. Avant la loi SRU, les règles d’urbanisme imposaient un cadre disciplinaire surveillé par les institutions, avec la notion de PADD, nous entrons en effet dans des considérations qualitatives. De manière assez étrange, l’auteur ne relate pas ce contexte juridique et préfère utiliser des termes relativement compliqués pour désigner avec des écarts importants, l’état existant. Ces mots compliqués permettent en effet à l’auteur de ne pas citer le plus grand apport de la loi SRU dans le cadre de la mise en plus d’outils juridiques pour une approche stratégique et opérationnelle : la définition de la notion de projet, une première dans le code de l’urbanisme. La notion de Projet d’Aménagement et de Développement Durable définit très clairement que le projet doit répondre au développement social et économique tout en garantissant la protection et

52

la préservation des espaces naturels. Ainsi les stratégies ne se jouent pas forcement sur le terrain de la performance comme voudrait nous le faire croire F.A., à moins de soustraire le contexte juridique aux nouvelles pratiques de l’urbanisme, mais davantage sur le terrain complexe de l’équilibre entre développement d’une part, et protection et préservation d’autre part. Nous notons également une confusions étrange pour cet auteur entre la notion de règle et la notion de normes. F.A. nous dit que l’urbanisme performanciel doit s’efforcer de produire des règles. Or cette phrase est complètement en contradiction avec ce que l’auteur définit lui-même en opposant un urbanisme exigenciel qui opère par l’autorité réglementaire d’un pouvoir établit à priori du projet et un urbanisme performanciel ouvert sur une stratégie qui cherche à obtenir un résultat optimal par rapport aux enjeux fixé. Ainsi l’urbanisme performanciel devrait développer un urbanisme réglementaire sur les nouvelles bases pro-libérales du néo-urbanisme ? Un nouvel urbanisme assujétie au marché : la ville dédiée à l’individu-consommateur Il apparaît clairement que le néo-urbanisme intègre de manière intrinsèque les pratiques du management, constituant à la fois un prisme déviant ses visées libérales et imposant du même coup les outils pour y parvenir sous couvert d’une bonne gestion d’un contexte donné. Une telle vision des pratiques de l’urbanisme n’accompagne t-elle pas les dérives du capitalisme avancé vues précédemment ?

53

Une collaboration management / DD est-elle possible ?

différencier management / mmareketing / management de la conception g) Le management s’oppose t-il à la démocratie participative ? Le neo-urbanisme s’appuie sur des démarches plus réflexives, adaptées à une société complexe et à un avenir incertain. Il élabore une multiplicité de projets de nature variée, s’efforce de les rendre plus cohérents, construit une démarche stratégique pour leur mise en oeuvre conjointe, et tient compte dans la pratique des événements qui surviennent, des évolutions qui s’esquissent, des mutations qui s’enclenchent, quitte à réviser si nécessaire les objectifs qu’il a arrêtés ou les moyens retenus initialement pour les réaliser. Il devient un management stratégique urbain qui intègre la difficulté croissante de réduire les incertitudes et les aléas d’une société ouverte, démocratique et marquée par les accélérations de la nouvelle économie. Il articule de façon nouvelle par des va-et-vient multiples, le long terme et le court terme, la grande échelle et la petite, les intérêts les plus généraux et les intérêts les plus particuliers. Il est à la fois stratégique, pragmatique et opportuniste.78 La négociation nous l’avons dit est un élément incontournable du développement durable, toutefois nous savons que de la concertation aux logiques de compromission, ou aux campagnes promotionnelles qui tourne parfois à la propagande et à la désinformation, il n’y a qu’un pas que le management de la crise et le marketing urbain aident à sauter. A la question LE "MANAGEMENT PUBLIC" S'OPPOSE-T-IL À LA "DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE" ?, Georges GONTCHAROFF répond : Je crois qu'il y aurait intérêt à distinguer les motivations de type "manageriales". C'est une méthode de gouvernement qui diminue les conflits, qui intériorise les contraintes, qui permet de savoir à l'avance quels sont les désirs des futurs usagers des services publics locaux. Bref, c'est du management, ce n'est pas de la démocratie 79. Lorsque F.A. nous parle d’aller et retours entre les intérêts généraux et les intérêts les plus particuliers, et enchaînant sur l’opportunisme du modèle stratégique, nous ne pouvons que signaler l’aspect équivoque de certaines pratiques professionnelles qui constituent de véritables dérives par rapport à l’objet de départ. Nous voyons aussi dans ce chapitre comment le management récupère tout le discours développé par Edgar MORIN sur la pensée complexe alors que celui-ci achève bien son travail par la question de l’éthique dans le dernier volume de La Méthode, dont il annonce le contenu écologique dans Pour entrer dans le XXIe siècle où l’on pourra lire dans le chapitre « L’interdépendance passé / présent / futur » 80 ainsi que dans Introduction à la pensée complexe ce qui suit : Le neo-urbanisme bouleverse ainsi les anciennes chronologies qui enchaînaient le diagnostic, l’identification des besoins et l’élaboration éventuelle de scénarios, la programmation, le projet, la réalisation et la gestion. Il remplace cette linéarité par des démarches heuristiques, itératives, incrémentales et récurrentes, c’est à dire par des actes qui servent en même temps à élaborer et tester des hypothèses, par des réalisations partielles qui réinforment le projet et rendent possibles des démarches plus précautionneuses et plus durables, par des évaluations qui intègrent les feed-back et se traduisent éventuellement par la redéfinition d’éléments stratégiques. Le management stratégique urbain n’est donc pas un urbanisme allégé à pensée faible ; il est à l’opposé des thèses spontanéistes, des postulats du chaos créatif, des idéologies simplistes du « tout-marché ». Mais il s’efforce d’exploiter les événements et les forces les plus diverses de façon positive par rapport à ses objectifs stratégiques. 81 i) Le management peut-il redonner sens aux actes ?

78 op. cit. p 81 79 Construire un projet de territoire : quelles méthodes et quels outils pour impliquer tous les acteurs? Table ronde du 28 Novembre 2000 : http://www.iaurif.org/fr/savoirfaire/etudesenligne/democratie_participative/construire_projet.htm#c3 80 op. cit. pp 319-327 81 op. cit. p 82

54

De la même manière que F.A. désactive les critiques en glissant le terme de développement durable dans son texte, après avoir pris le soin d’en limiter la portée, il nous parle ici « d’actes » alors qu’il faut très certainement lire action, termes qui comme nous l’avons vu dans un chapitre précédent ne se recouvrent pas puisque l’un des objectifs du management est bien d’évacuer l’acte avec tous ses potentiels sensibles, ses possibles imprévisibles, ses conséquences non calculées au profit d’une « rationalisation douce ». Puis l’auteur nous précise que le management urbain, puisqu’il prend en compte la complexité, ce qu’il fait indéniablement, ne peut tomber dans les idéologies simplistes du « tout-marché ». Or nous pouvons objecter que le management urbain prend en compte la complexité dans ses méthodes, et dans les moyens mis en œuvre, les outils informatiques notamment, mais que sur le plan théorique et idéologique le management est tout à fait sec, et que souvent, les professionnels du management, ne sont pas dans des démarches culturelles. Le management peut tout à fait mobiliser des technologies pour traiter la complexité d’objectifs focalisés sur des enjeux simples, comme des objectifs exclusifs de rentabilité et de performance économique. j) Un management prospectif est-il possible ? Le management et le déni de la prospective Cf. Philosophie de la ville et idéologie urbanistique pp 49, le droit à la ville Pourquoi la prospective : vers un projet désirable Philosophie, attitude d'esprit proposée par Gaston Berger, eu égard aux changements rapides en cours dans le monde moderne et s'adressant aux personnes ayant à prendre des décisions importantes dans la société ou dans les entreprises. Note(s) : La méthode préconisée par l'auteur part des considérations suivantes : les changements doivent être considérés à intervalles plus lointains que le futur immédiat ainsi que dans leur interrelations avec les autres domaines en transformation; leurs conséquences ne peuvent jamais faire perdre de vue leur influence sur l'homme. La prospective ne vise pas à tracer des plans précis mais à analyser les tendances en profondeur de manière à conduire vers des directions générales d'action. Economie politique et sociale, étude des conditions qui détermineront l'avenir. Note(s) : Elle suppose que le futur (qui est l'avenir considéré de façon abstraite) se trouve dans le prolongement de ce qui a été. En anglais : futurology Gestion, planification, Méthode de prévision, d'exécution et de contrôle qui a pour objet la réalisation optimale des objectifs fixés. Opération ((qui)) consiste à faire l'appréhension des objectifs et la reconnaissance des cheminements logiques qui les concrétisent. Planning en anglais Urbanisme, recherche visant à déterminer l'évolution probable ou possible des phénomènes et par suite à estimer qualitativement et quantitativement les changements susceptibles d'intervenir, plus ou moins sûrement, plus ou moins rapidement, dans le ou les domaines considérés. Perspective planning en Anglais. Protection de l’environnement, Ensemble des recherches visant à formuler des futurs possibles de façon à permettre aux responsables de mieux définir leurs objectifs et les moyens de les atteindre Nous nous sommes proposés de travailler sur l’ambivalence des pratiques managériales, faisant l’hypothèse que si de telles pratiques sont dans l’état actuel des chose au service du capital, elles constituent néanmoins un objet à fort potentiel quant à la question des mutations des pratiques de l’architecte. Le management, dans ses formes déviantes a réduit cette approche à la plus simple pratique de la gestion. Nous tenterons ici d’insuffler à cette notion la dimension mise à l’écart par le capitalisme, celle du ménagement des dispositifs de travail. En effet le management tel qu’il a été développé par l’ingénierie a le mérite de développer des notions comme l’ingénierie concourante, et expérimente de manière pragmatique et opérationnelle des dispositifs de co-conception. De telles notions révèlent au moins une possible attitude d’ouverture qui pourrait être le levier d’un au-delà des corporatismes et du carcan disciplinaire qui constituent souvent de véritables blocages dans les projets complexes. Cette ambivalence du management pourrait, en cultivant sa propre auto-critique réévaluer

55

les enjeux sur lesquels portent ses technologies. Mais pour cela il faudrait que le management abandonne sa servilité au capital, il faudrait que le management réinvestisse une certaine éthique. Autrement dit, nous n’axons pas notre démonstration sur un discours lié aux outils et autres moyens de concevoir, tactique éprouvée pour échapper au réel du terrain, mais bien sur les objectifs et les enjeux, c’est à dire sur la dimension politique et culturelle du projet. Le Management évoque l’idée d’aménager et de ménager disions nous avec Vincent de GAULEJAC, cherchons de manière concrète dans le cadre du développement durable, quels seraient les dispositifs de projet qui nous permettraient d’allier aménagement et ménagement de l’espace, de l’environnement, des usages, brefs, des invariants d’un projet complexe. Lorsque le futur compromet la validité des objectifs du management urbain Pour conclure cette analyse qui nous montre de manière exemplaire comment le Développement Durable et les enjeux du Capitalisme peuvent se rencontrer sur la notion de prospective que nous allons développer plus loin comme approche spécifique qui articule de manière théorique et opérationnelle les différentes temporalités et leurs interactions. De manière contradictoire avec l’ensemble de son propos, l’auteur dénigre la prospective qui pourtant constitue la méthode la plus appropriée quant aux annonces méthodologiques sur le traitement de la complexité du néo-urbanisme, notamment dans sa dimension temporelle. Il s’agit d’identifier ces tendances le plus précisément possible, non pas pour prévoir l’avenir ou décider du futur, ce qui serait illusoire, mais pour évaluer les types d’impacts qu’elles sont susceptibles d’avoir sur les villes et les modes de vie urbains, et pour élaborer en conséquence des instruments susceptibles d’aider à gérer au mieux ces évolutions structurelles. 82 Cette phrase lève les doutes qui pourraient rester quant au point de vu critique que nous avons tenté. L’analyse de l’auteur ne sert absolument pas une démarche prospective, l’auteur dénigre même cette méthodologie ce que l’on comprend puisque nous avons bien vu que les intérêts défendus sont ceux du capitalisme avancé qui sont totalement contradictoires aujourd’hui avec une amélioration de l’à venir. Ce texte est bien une étude d’impact dont la finalité est l’aide à la gestion, et la mise en place d’outils adéquats donc une action qui reste dans la temporalité du présent et qui se garde bien d’avoir la moindre portée politique, c’est à dire qui dans le cadre d’une action stratégique, n’apporte finalement rien à la question des enjeux, instruit à la limite la question des objectifs et nourrit principalement la question des moyens mis en œuvre, des outils. Management et prospective industrielle pour le DD L’objet architectural : un produit de consommation ? Cf ethique, technique et design : élément de problématique et de méthodologie, p 301, PROST Etude critique de la conception de produits p 189, PROOST Le management comme il investit la vie domestique, les relations interpersonnelles, ou la « gestion » de sa propre vie, occupe une place plus ou moins importante et insidieuse dans les pratiques du projet d’architecture. Ne pensons pas que seul le projet-processus est enclin aux logiques du management car la pratique qui serait la plus noble de l’architecte et qui colle à l’image populaire du métier d’architecte, « faire des maisons », n’échappe pas à la logique marketing. Regardons par exemple comment Apollonia 83, après avoir perdu des parts de marché à cause de l’impact déplorable de ses réalisations sur le paysage, et sur l’image des communes, redore son blason

82 ibid. 83 Voir le texte de Soline NIVET publié sur le site du PUCA -> http://www.archi.fr/PUCA/article.php?sid=209

56

en faisant signer ses façades par Yves Lion, architecte Chevalier des Arts et des Lettres en 1983, Équerre d’Argent en 1989, "Marble Architecture Award" en 1993, Grand prix national de l’urbanisme en 2001 et médaille d’Architecture décernée par l’Académie d’Architecture en 1994. Seule restriction pour l’architecte de renom, l’interdiction de toucher au plan rationalisé par les spécialistes en économie et en marketing. Cette collaboration inédite entre un promoteur et un architecte est le fruit d’une initiative du promoteur « pour la qualité architecturale » comme le souligne Soline Nivet dans une présentation au PUCA signée du 9 mai 2003 : Promoteurs - concepteurs - vendeurs - acquéreurs : la qualité architecturale relayée par les acteurs de la promotion privée. Or nous devons revenir ici sur la réalité de la démarche qualité, surtout lorsqu’il s’agit d’une initiative d’un promoteur privé qui, d’après ce qui est rendu public, n’abandonne pas ses objectifs de rentabilité dont la loi est souvent la recherche du moins disant et non du mieux disant. Ainsi la collaboration avec Yves Lion se fait bien dans une démarche qualité limité à l’enveloppe du « produit ». Ne s’agit-il pas d’un travail de packaging visant à retravailler sur l’image de marque et l’identité visuelle des produits Appolonia plutôt que d’une réelle démarche qualité qui nous semble mobiliser davantage des méthodes d’intégration plutôt que de juxtaposition. Un tel dispositif de conception relève d’un processus de compromission qui vise l’intérêt privé en terme de profit et qui entérine, avec la signature de l’architecte, une conception de l’objet architectural tel qu’un banal objet de consommation, qui s’assure un retours sur investissement rapide. Il s’agit d’une logique marchande qui dans les cas les plus grossiers sera empreinte de qualités « à la demande » optionnelles puisque non intégrées et non structurelles, adaptables en fonction des capacités financières des clients. De pauvres pauvres maisons pour les gens modestes et de pauvres chères maisons pour les gens aisés serait-elle la loi du marché que les architectes doivent suivre ? La qualité à la demande est visible puisqu’elle est « pluggée » sur le plus petit dénominateur standard, mais cette démarche marketing qui témoigne d’une parfaite mise à jour des exigences technico-commerciales telle que la flexibilité, condition sine qua non de la réactivité « en temps réel » de l’adaptabilité du produit par rapport au marché, ne saurait constituer une base méthodologique pour un réel processus qualité. Comment imaginer produire de la qualité architecturale à partir de l’unique grille économique ? Le système de valeurs économique et les techniques de gestion dans la conception architecturale correspondent à une logique de survie, survie économique pour l’architecte produisant l’image d’un scénario tourmenté et en aucun cas d’une amorce de stratégie de développement durable ou désirable comme nous l’a illustré l’exposition Architectures Non Standard. Toutefois soulignons que la collaboration entre promoteurs et entre architecte, tout comme entre investissements privés et investissements publics constitue sans doute une étape incontournable aussi bien dans la politique de la ville que dans le développement durable

57

C. Analyse de la mise en œuvre du DD à Boulogne Billancourt : le DD comme stratégie de gentrification

58

Le Projet d’Aménagement et de Développement Durable, caution d’une approche hygiéniste et élitiste de la ville Nous allons analyser les objectifs retenus et inscrits dans le PADD de Boulogne Billancourt 84. Nous avons choisi ce site pour plusieurs raisons :

- la mairie annonce un projet exemplaire qui sera la vitrine du développement durable - ce projet se situe sur un site sensible au moins sur le plan social (anciennes usines Renault) et

sur le plan environnemental (Rives de Seine, Ile SEGUIN) - les atouts sont réunions pour mettre en place une stratégie de développement durable qui

équilibre développement et protection : le patrimoine avant la mise en œuvre du projet est intact, les espaces naturels sont pollués mais pas d’une manière définitive, la commune n’a pas de crise sociale et économique à gérer qui rendrait difficile l’accomplissement d’un des trois piliers du DD.

La question qui traverse cette analyse est le traitement spécifique par rapport à une démarche de développement durable des trois piliers admis qui le compose : social & économique & environnemental. Nous serons très attentif sur l’application du & méthodologique qui valide la démarche de développement durable et tenterons de décrypter la stratégie annoncée, en explicitant les objectifs, les enjeux et les moyens, et si possible, l’idéologie sous jacente à la mise en œuvre du développement durable à Boulogne Billancourt et dans le cas de la ZAC SEGUIN – RIVES DE SEINE plus spécifiquement. Toutefois, étant donné qu’il est précisé dans le préambule du PADD de Boulogne que celui-ci présente le projet communal à un horizon de 15 à 20 ans, nous tenterons d’esquisser des scénarios prospectifs possibles pour décrypter les développements projetés aujourd’hui sur l’avenir de la ville. Présentation du terrain étudié Notre attention se portera plus précisément sur le projet d’aménagement du 8ème quartier de Boulogne-Billancourt : la Zone d’Aménagement Concertée Seguin – Rives de Seine. La ZAC a été crée en Juillet 2003 sur délibération du conseil municipal, elle inclut 4 secteurs géographiques sur un périmètre total de 74 ha :

- le quartier du Trapèze - le quartier et l’échangeur du pont de Sèvres - l’île Seguin - les îlots épars sur Boulogne-Billancourt

L’opération d’aménagement prévoit la construction de 905 000 m2 de surface hors œuvre nette, répartie en 50% de logements, 30% de bureaux et 20% d’activités, commerces et équipements publics. L’opération d’aménagement devra être conforme au PADD et à la charte d’objectifs pour le développement durable de la ZAC Seguin – Rives de Seine qui affirme dans ses objectifs la volonté d’une logique d’exemplarité en matière de développement durable et de qualité environnementale.

84 Cette analyse repose sur le PADD non opposable intégré au PLU de BB et diffusé à cette adresse : http://www.boulognebillancourt.com/PLU/

59

Les intentions politiques annoncées

« Je rêve d'un projet où on ferait le plus beau jardin du monde, un bijoux ! » Nicolas Sarkozy, "Ile Seguin : Nicolas Sarkozy rêve", Le Parisien, dimanche 03 juillet 2005. (Au sujet de l'Ile Seguin) “ Un jardin très pensé, avec des sculptures venant du monde entier disposées au milieu. En sous-sol, on pourrait se consacrer à la muséographie. “ ( Nicolas Sarkozy 05/07/2005 ) “ Le premier problème de la vie politique, c'est l'ennui fondamental qu'elle génère (..) par ses discours sirupeux. Réveillez-vous, arrêtez le conformisme !" ( Nicolas Sarkozy 10/07/2005 ) "La déception des Jeux olympiques doit nous amener à nous poser des questions sur la façon dont nous défendons les dossiers, dont nous présentons nos idées" ( Nicolas Sarkozy 10/07/2005 ) " Il y a t'il une chance que la France résolve les problèmes de 2005 avec les idées d'il y a 50 ans ? Ces idées-là ont été utilisées 100 fois, et 100 fois ça a raté." ( Nicolas Sarkozy. 10/07/2005 ) L’approche globale du PADD de BB Dans le préambule, il est annoncé que le développement de la commune s’appuie sur trois points :

- Accessibilité. - Environnement naturel. - Opportunités foncières sans égales.

Fort de ses trois points hérités d’une situation géographique « idéale », renforcée par la division sociale entre l’est et l’ouest parisien, suivi d’un contexte économique favorable auquel s’ajoute la vente des terrains Renault qui conférait jusque là le caractère social et industriel d’une ville en voie de gentrification progressive grâce à l’installation de l’industrie audio-visuelle et du rayonnement du XVIè arrondissement de Paris, la municipalité place les enjeux du PADD sur la garantie d’un cadre de vie agréable et du respect des grands équilibres de l’ouest parisien, mobilisant les outils de la maîtrise des aménagements urbains basés sur les principes du projet d’aménagement et de développement durable. Plus loin dans le préambule, l’approche stratégique est explicitée et nous pouvons dire, qu’en sommes, tous les mots clefs y sont : Le PADD intègre les nombreuses composantes de la dynamique urbaine (logement et population, commerce, patrimoine, déplacements), exposés dans le diagnostic du rapport de présentation et analyse leurs interactions sous l’angle de la durabilité (spatiale, environnementale, économique, sociale et culturelle). Ce chapitre, lu de manière isolé est parfait, nous pouvons noter qu’il intègre même la 4ème pilier de la notion de développement durable qui commence à peine à rentrer dans les mœurs, la culture. Toutefois, au chapitre suivant on se rend compte que les moyens mis en œuvre semblent ne pas correspondre tout à fait au cadre général annoncé : Le PADD se traduit enfin par des dispositions

60

réglementaires énoncées dans le règlement. Cette première phrase nous pose problème car elle annonce des méthodes administratives et le renforcement d’une vision d’un urbanisme réglementaire qui était justement ce que la loi SRU avec le PADD notamment voulait dépasser pour tendre à un urbanisme opérationnel et stratégique. Il apparaîtrait que le PADD cautionnerait une nouvelle batterie des règlements scellés pour la durée du PADD. Ce type de dispositions ne sont pas compatibles avec une stratégie de développement durable qui par essence obéit au principe d’incomplétude conséquente à l’interactions de phénomènes immuables. Le cadre général du développement durable, ce que nous pourrions définir comme la méthode de la méthode est un ensemble vide au contour flou, permettant de donner les grandes lignes stratégiques tout en autorisant une adaptabilité des objectifs, et des outils. Ainsi énoncer le cadre général partagé par l’ensemble des démarches de développement durable ne revient pas à dire le projet qu’il y a derrière. Le projet se lit dans la mise en pratique des critères de développement durable, et des critères de choix. La mairie de Boulogne-Billancourt annonce ces orientations qui doivent être un guide et une motivation partagée dans la recherche de l’efficacité, de l’économie de moyens et de la performance. Si la volonté de concilier économie, social et environnemental est affirmée, les critères de choix n’en restent pas moins axés sur une vision libérale de la ville laissant voire l’importance qui sera donné dans le processus au pilier économie. Les trois approches (sociale, economique et environnementale) sont explicitée ensuite en quatre points :

- l’approche économique - le principe de gestion économe des ressources et de l’espace - le principe de précaution - le principe de solidarité et d’équité.

Soulignons que le mot approche n’est utilisé que pour le pilier économique, les deux autres piliers (social et environnemental) sont distillés dans des principes généraux qui ne constituent donc pas une approche spécifique mais peut-être quelque part dans le processus des critères de choix discriminants. L’approche économique soutient un projet lié à l’implantation des entreprises d’excellence (technologies innovantes et multimédia) et favorisera la mise en réseau des différents acteurs du développement économique (recherche / formation / entreprise) soumettant les améliorations d’accessibilités, de services et d’opérations immobilières à ses objectifs. Pour être complet, rapportons le soucis d’une répartition économique équilibrée sur le territoire. Le principe de gestion économe des ressources et de l’espace repose principalement sur la veille du respect de la démarche H.Q.E. et à la réalisation de nouveaux équipements, tant au niveau de la maîtrise d’œuvre que de la maîtrise d’ouvrage privée. Une volonté de gérer les eaux pluviales et l’exploitation des ressources énergétiques est annoncée. Le principe de précaution garantie la prise en compte des risques et propose des solutions compensatoires. Il assure la dépollution des sols sur les terrains Renault et des règlements spécifiques pour les constructions situées dans les zones à risques d’inondations pour le même quartier. Enfin le principe de solidarité et d’équité repose sur deux idée fortes : le développement des services urbains (équipements, espaces verts, commerces, transports en commun) et la diversification du parc de logement permettant de s’engager durablement dans un processus de mixité urbaine et sociale qui tient compte de l’ensemble de la population. L’approche globale du projet de charte d’objectifs pour le développement durable de la ZAC Seguin – Rives de Seine (document de Janvier 2005) Le texte du projet de charte trace les objectifs généraux de l’application d’une démarche de développement durable pour la ZAC Seguin – Rives de Seine : Pour les futurs habitants et usagers du

61

quartier et pour les générations à venir, l’opération doit se traduire par la mise à disposition d’un cadre de vie de qualité, à la fois respectueux de la mémoire du lieu et innovant sur le plan environnemental, architectural et paysager. Les axes thématiques sont :

- assurer une croissance équilibrée, équitable et respectueuse du site - utiliser les ressources naturelles de façon rationnelle et réduire les pollutions et les nuisances

dans le souci du confort et de la santé des habitants. - Diversifier et faciliter les modes de déplacements et maîtriser la circulation automobile.

Les axes transversaux sont :

- concerter, informer et communiquer - mettre en œuvre, suivre et évaluer la charte d’objectifs.

Notons d’ores et déjà deux remarques :

- les trois axes thématiques correspondent bien aux trois premiers axes du PADD (l’approche économique, le principe de gestion économe des ressources et de l’espace et le principe de précaution). Toutefois le quatrième axe du PADD, le principe de solidarité et d’équité n’est pas retranscris dans les axes thématiques du projet de charte pour le développement durable.

- D’autre part, concernant les axes transversaux, notons un début d’amalgame entre concertation,

information et communication. Le texte met ses trois mots sous le même tiret laissant entendre qu’une réunion d’information publique ou qu’un article dans le bulletin municipal vaudrait concertation. Nous devrons donc vérifier la volonté politique de négociation et l’exemplarité des dispositifs de concertations qui constituent un axe majeur à la démocratie participative et donc au développement durable.

Le projet de développement durable caution du projet d’aménagement Une fois le projet de développement durable décrit de manière générique, comme on pourrait le lire dans n’importe qu’elle introduction de PADD un peu renseigné sur ce type de méthodologie, que reste t-il ? LES OBJECTIFS DU PADD Les objectifs axiaux relèvent du développement économique. Le développement économique dans le PADD est la seule approche induite explicitée, les autres domaines étant des principes déduits du développement économique. Contrairement à ce qui est dit dans la méthode de la méthode, le développement économique n’est pas pensé en interaction avec le pilier environnemental et le pilier social. Le développement économique constitue la locomotive, de ce point de vue il n’y a aucune prise en compte de la méthode de développement durable énoncée. Du coup, les objectifs du projet d’aménagement correspondent aux objectifs de développement économique et de la création d’un pôle d’excellence dans l’industrie des hautes technologies et de l’image. Les opérations liées à l’accessibilité, aux services, et à l’utilisation du foncier visent à augmenter l’attractivité pour les entreprises, et à créer de la taxe professionnelle au détriment d’opérations d’aménagements axées sur un projet politique social et environnemental. Le fait de considérer l’économique comme le pilier qui permettra aux autres de se développer risque de provoquer des incompatibilités avec des enjeux importants sur les deux autres piliers, qui ne sont pas projetées dans la mise en pratique de la stratégie. Les objectifs reposant sur un seul pilier qui concrètement ouvre la voie à une démultiplication des mètres carrées de bureaux par exemple oublie de laisser une petite place à l’incertitude liée au marché et à la crise économique actuelle qui n’a peut-être pas finie de créer des secteurs sinistrés. Il est à craindre que le manque d’hétérogénéité des objectifs annoncés n’envisage qu’un avenir très proche du développement de la ville qui en cas de faillite du développement économique risque de se trouver en difficulté.

62

LES OBJECTIFS DE LA CHARTE POUR LE DD DE LA ZAC SEGUIN – RDS Les objectifs DD des trois piliers recouvrent les enjeux du développement économique SOCIAL & ENVIRONNEMENTAL : Article 1er, assurer une croissance équilibrée, équitable et respectueuse du site. Article 2, utiliser les ressources naturelles de façon rationnelle et réduire les pollutions et les nuisances dans le souci du confort et de la santé des habitants Article 3, diversifier et faciliter les modes de déplacements et maîtriser la circulation automobile Article 4, Concerter, informer et communiquer MANAGEMENT Article 5, Mettre en œuvre, suivre et évaluer la Charte d’objectifs : cet article, qui est le dernier de la charte, annonce les objectifs en terme de suivi des processus. L’ampleur et la durée du projet conduisent les partenaires à promouvoir une démarche opérationnelle responsable en termes de développement durable. Dans ce cadre, les partenaires s’engagent à mettre en place les outils permettant de structurer l’approche environnementale (démarche H.Q.E., Système de Management Environnemental, label qualité…). La démarche globale d développement durable, et les objectifs ciblés, semblent justifier et rendre nécessaire les outils du management. Le management semble impossible à remettre en cause tant il correspond aux objectifs précités. LES MOYENS MIS EN ŒUVRE – Efficience des outils du management - : DANS LA STRATEGIE : une stratégie auto-légitimante. DANS LE DISCOURS : absence d’idéologie, absence de doctrine, discours gestionnaire et organisationnel. L’analyse détaillée du texte nous permet de relever des contradictions dans le discours conséquentes à une volonté d’articuler des objectifs très louables qui ne correspondent pas avec les critères annoncés : la mise en œuvre d’une vision plus opérationnelle du développement et du renouvellement urbain est une phrase qui correspond totalement à la dynamique initiée par la loi SRU qui abolit la vision réglementaire d’un urbanisme soumis à des contraintes bureaucratiques qui empêchent toute opérationnalité et toutes démarches stratégiques. Car les règles préexistent à toutes formes d’action. En abolissant les idées de POS et de COS il s’agissait d’ouvrir le champ des possibles en faisant sauter les verrous réglementaires. Une telle démarche autorise des processus plus imaginatifs, plus créatifs où il s’agit de concevoir à la fois le processus et le projet de manière adaptée et circonstanciée, ce que règles et normes interdisent. Mais le pouvoir politique ayant peut être senti une perte de contrôle bureaucratique corrèle immédiatement la maîtrise des processus avec les principes du développement durable. Cela se traduit instantanément par la démarche réglementaire, contresens absolu qui touche à l’intégrité de la démarche de développement durable qui se voit flanquée de l’attirail managérial dont l’efficience se vérifie dans le texte lui-même avec l’expression effacée de ce type de contradictions. DANS LES PROCESSUS : manipulation de la représentativité http://www.mairie-boulogne-billancourt.fr/documents/projets_urbain/concertation/ LES ENJEUX – Les objectifs qui ne sont pas présents – la démarche globale … Nous pouvons ainsi déduire les enjeux qui animent la mise en œuvre du développement durable à Boulogne-Billancourt. les objectifs correspondent clairement à ceux de l’économie de marché

63

Une politique patrimoniale comme discriminant d’une politique sociale Chap 1 : « L’identité de Boulogne-Billancourt repose à la fois sur la richesse de son patrimoine et sur son fort potentiel d’évolution. C’est pourquoi la municipalité souhaite mettre en valeur, dans un souci d’équilibre général et de développement durable, la diversité géographique, sociale et patrimoniale qui la caractérise. […] La diversité sociale s’exprime au travers d’une offre variée de logements tant en taille qu’en modes de financements. […] La diversité patrimoniale est assurée par une bonne intégration des constructions récentes aux côtés d ‘un patrimoine architectural de qualité. Une politique de renforcement des liens physiques entre les quartiers existants et à venir favorisera une évolution qualitative des tissus urbains. Deux axes ont été ainsi retenus afin de mettre en application cette politique :

- Préserver les acquis - Garantir une croissance équilibrée.

Ainsi la préservation des acquis de la ville constitue un chapitre entier de la politique mise en œuvre dans le PADD. Les objectifs sont :

- la valorisation du parc ancien - la preservation du patrimoine architectural et urbain - l’insertion des ZAC dans le tissu urbain environnant.

Une patrimonialisation sélective : Les objectifs patrimoniaux servent les enjeux définis politiques sous-jacents de la mairie. Ainsi en observant la carte « préserver les acquis de la ville », on observe que la notion de patrimoine concerne principalement l’architecture des années 30 développées à Boulogne-Billancourt. Ce patrimoine est aujourd’hui très largement valorisé au travers du parcours des années 30 qui traverse et Boulogne-Billancourt et par le musée LANDOWSKI dédié à l’art des années 30 où l’on retrouve la mémoire des architectes modernes qui ont laissés leur empreinte dans la ville. A contrario, nous notons l’absence sur cette carte de considératon patrimoniale pour les terrains Renault et l’île Seguin en particulier. Cela dénote d’une réelle difficulté à intégrer le patrimoine industriel dans une politique patrimoniale.

64

65

En conclusion du PADD on peut lire : « L’urbanisation des terrains Renault constitue pour Boulogne-Billancourt une extraordinaire occasion de déployer une politique volontaire dans de nouvelles directions. […] C’est aujourd’hui à des retrouvailles avec le méandre de la Seine, longtemps soustrait à la vue et peu propice à la promenade, que le projet urbain de Billancourt et de l’île Seguin invite. S’il … » Lorsque le PADD assure finalement la réalisation d’une vieille volonté politique On peut parfois reprocher à une politique de patrimonialisation une volonté de muséifier la ville, de justifier, au nom du respect à la vieille pierre, un immobilisme qui vise à ne pas remettre en cause les acquis de la population présente. A Boulogne-Billancourt nous ne sommes pas tout à fait dans ce cas de figure.

Cet article publié sur le site officiel de la mairie de Boulogne-Billancourt rapporte une déclaration du Sénateur-Maire Jean-Pierre FOURCADE, lors de la livraison de la première opération sur les terrains Renault : « L’industriel a vendu le terrain ‘Q11’ à Meunier Promotion qui, aujourd’hui, livre la première réalisation immobilière sur les anciens terrain Renault. Cette opération est le premier maillon d’une grande chaîne qui, à terme, fera de Boulogne-Billancourt la ville que nous avons décidé d’en faire il y a dix ans. » Rappelons que le PADD indique en préambule qu’il a pour fonction de « présenter le projet communal à un horizon de 15 ans à 20 ans. » La déclaration victorieuse du Sénateur-Maire montre finalement l’absence d’une volonté

prospective, d’une volonté de concertation, et invalide de ce fait les processus qui allaient dans ce sens, puisqu’il s’agissait, avant tout, de réaliser de vieux à priori. Bien sûr une telle déclaration laisse perplexe par l’abyme qu’elle crée entre le discours d’intension sur le projet et le discours politique. Cela montre la dissociation assez grave entre le politique (le projet dans sa temporalité) et la politique (la gestion du pouvoir et de sa longévité). Bien sûr cela pose des problèmes fondamentaux sur l’espace laissé à l’expression de la citoyenneté dans la vie publique de la commune. Cette déclaration pourrait être entendue comme une forme d’arrogance du pouvoir pour les citoyens qui se sont impliqués dans les réunions publiques, dans la concertation. Cela illustre le déficit démocratique à l’échelle de la commune qui constitue un terrain impossible pour le développement de la démocratie participative. Nous pouvons tirer plusieurs enseignements d’une telle déclaration qui n’a jamais été démentie :

- La concertation peut-être mise en scène autant que l’on veut. Si il n’y a pas d’instances pour prendre acte des décisions multilatérales entre élus, représentants et habitants, puis pour en vérifier l’intégration dans les documents référentiels, la concertation ne sert à rien, elle est démagogique et constitue davantage une occasion d’informer.

- Le projet d’aménagement et de développement durable devrait être l’occasion de mettre en marche une stratégie spécifique pour traiter de manière concourante du social & de l’environnemental & de l’économique par rapport aux mutations contemporaines de la ville. Il n’en est rien. Le PADD a été l’occasion d’écrire dans un document officiel les objectifs qui

66

correspondent à la réalisation d’un projet vieux de dix ans. Le PADD autorise et protège donc de bâtir une ville sur un modèle tourné vers le passé, et d’assurer l’avenir non pas de la ville, mais de la réalisation de la vieille projection de quelques uns.

- Une telle déclaration fonde le questionnement sur les manières possibles de réorganiser les villes et les banlieues et plus précisément sur les possibilités de le faire de manière institutionnelle. Certains avancent déjà de sérieux doutes sur cette question 85.

85 Cette question a été formulée par Raymond GILLI, mandataire de l’équipe GRAIN « Prospective de l’habitat durable et désirable en Europe, Orléans, Freiburg, Isselstein » dans le cadre de l’AO du PUCA « Futur de l’Habitat », 20 avril 2005

67

[METHODOLOGIE] dispositifs postmanageriaux : du contrôle territorial à la gouvernance environnementale Sous le chapitre de la gouvernance, nous allons tenter une proposition qui vise à la re-politisation des processus de conception du projet urbain tout en veillant à ne pas entretenir les amalgames courants sur cette question en dissociant les simulacres de la démocratie participative qui se développent avec le management et les pratiques davantage innovantes axées sur la co-conception et la co-décision. Bien entendu, nous marquerons les limites et les travers de tels dispositifs. La gouvernance un terreau des dérives démocratiques Dans leurs études sur les enjeux, les impensés et les questions récurrentes de la démocratie participative, des auteurs comme Loïc BLONDIAUX ou René RIESEL soulignent l’importance des enjeux de la question et le consensus sur une notion qui brille pourtant, en France, par la pauvreté des concepts, des cadres théoriques et processuels dont disposent les acteurs. Toutefois la démocratie participative devient incontournable dans l’état de crise du politique, la gouvernance s’impose dans un paysage ou les légitimités et la représentativité deviennent des questions incertaines. Mais comment croire qu’après quarante ans de mise en œuvre sur le terrain, les zones d’ombre, les ambiguïtés et les amalgames qui subsistent ne soient pas entretenus par la classe politique pour que puissent s’y développer des pratiques inavouables. Si la gouvernance nous apparaît aujourd’hui indissociable du développement durable, nous allons voir comment elle entraîne aussi avec elle des pratiques de simulacre de la démocratie mises en scène par les managers soutenus par un discours environnemental politique démagogique. C’est pourquoi nous développerons dans une première partie les dérives de la gouvernance comme exercice d’une volonté de non partage du pouvoir et de la décision. GESTION du système des acteurs versus CONCEPTION d’un processus démocratique. L’inscription politique du projet d’aménagement et de développement durable doit être affirmée et nous devons en tirer les conséquences au-delà de ce que voudraient bien voir les décideurs sur le terrain : une stratégie de développement durable ne peut faire l’économie de la mise en œuvre réelle de nouvelles formes du débat public, et cela pose directement le sujet et l’objet des formes de pouvoir et des puissances publiques. Nous devons intégrer cette notion développée par les sciences politiques au centre des stratégies de projet qui valide, mais sous un autre jour, le thème de la refonte du système des acteurs avancé par le management de la conception. La refonte et l’horizontalisation du système des acteurs abordé par la théorie des systèmes et autres disciplines technico-organisationnelles produisent in fine l’environnement qui justifie le recours systématique au management, avançant les principes de transparence, et de bonne gestion d’un ensemble complexe dans lequel les TIC constituent un outil de contrôle et de validation des flux. Nous préférons, à cette approche gestionnaire, un réel travail de co-conception du processus démocratique. Il s’agit de mettre au point sur le terrain les processus d’implication et de participation des acteurs dans toute leur hétérogénéité, ménageant les richesses sociales et les valeurs propre à l’homo sentimentalis. Bien sûr cela pose le problème de la volonté du pouvoir à gouverner la gouvernance et des modalités d’emergence de processus déduits ou d’innovation ascendante. C’est pourquoi nous développerons dans la seconde partie l’hypothèse que la gouvernance constitue l’espace du projet post-disciplinaire à même de ménager l’espace-temps-connaissance adéquat.

68

A. La gouvernance et le fantasme d’un pouvoir totalitaire La gouvernance dans un contexte d’émergence idéal pour l’application des boîtes à outils managériales Loïc BLONDIAUX fait la généalogie de la notion de gouvernance pour montrer que le contexte politique et législatif est favorable à cette notion : depuis trente ans le terrain législatif tente de faire évoluer les pratiques du pouvoir vers plus de partage quant aux décisions qui engagent les populations, et sur le plan de la politique internationale, PORTO ALEGRE et l’expérience sur le budget participatif a dynamisé les processus participatifs. Il est toutefois troublant d’observer que l’émergence des expériences participatives se réalise dans un paysage global plutôt neo-libéral et pro-managerial, et la qualification de best-practice pour l’expérience de budget participatif à PORTO-ALEGRE a été donnée par la Banque Mondiale, nous devons retenir et analyser cet indice : les pratiques de gouvernance se déclinent selon un processus hiérarchique descendant, de PORT-ALEGRE les pratiques participatives ont été adoptées par la Banque Mondiale, puis par les forums sociaux, par la gauche radicale et se décline maintenant à l’échelle des communes. Ce processus descendant se fonde sur un à priori qui est la nécessaire institutionnalisation de la gouvernance. Or nous verrons que la gouvernance institutionnelle est très souvent suspecte et les enjeux de développement durable sont souvent très imbriqués à des stratégies inavouables. Autrement dit, la généralisation et le consensus qui se fait sur la gouvernance pourrait constituer un indice de la victoire du management, bras armé du Capitalisme avancé, sur la critique et la refonte d’un système de valeurs préoccupés de la durabilité du genre humain, et de la désirabilité de son évolution. Et comme nous l’avons vu, l’une des caractéristiques du management est d’articuler les contraires, nous regarderons donc les chemins de la gouvernance s’ouvrir sur le territoire français et s’inscrire dans la législation avec beaucoup de circonspection. L.B. nous trace les avancées legislatives en matière de gouvernance : - La loi d’Orientation sur la ville en 1991 a posé en principe la nécessité d’une concertation préalable pour toute action ou opération de politique de la ville modifiant substantiellement les conditions de vie des habitants du quartier. - La loi sur l’administration territoriale de février 1992 reconnaît le droit des habitants de la commune à être informés et consultés. Cette loi accouchera cependant d’une souris juridique, les dispositions qu’elle porte en matière de participation restant extrêmement timides. - La loi Barnier du 2 février 1995 invente le « débat public » à la française […] obligeant à la concertation pour tous les grands projets ayant des incidences sur l’environnement. Cette série de textes fait apparaître les principes de consultation, d’information et de concertation, constituant des avancées importantes par rapport à l’état des pratiques courantes dans cette période. La généralisation de la concertation s’appuie sur les textes suivants : - La loi Voynet pour l’aménagement du territoire et le développement durable de juin 1999 introduit les conseils de développement dans le cadre de la mise en place des pays et auprès des agglomérations. Ces conseils de développement auxquels participent les membres de la « société civile » ont vocation notamment à être associés à l’élaboration des chartes de Pays. - La loi sur la solidarité et le renouvellement urbain de décembre 2000 prévoit quant à elle une concertation obligatoire dans le care de l’élaboration des plans locaux d’urbanisme (PLU). - La loi Vaillant du 27 février 2002 traite notamment des conseils de quartier et du débat public. Elle oblige à la création de tels conseils dans les villes de plus de 80 000 habitants et donne à la Commission nationale du débat public le statut d’autorité administrative indépendante.

69

Ces dispositions législatives engagent plus en profondeur l’implication des habitants dans les processus de projet. La politique de la ville et récemment le plan BORLOO 86 tendent à la multiplication et à l’émergence de pratiques exemplaires en matière de concertation corrélées à un professionnalisme croissant du milieu associatif. Des dilemmes persistants à la gouvernance demeurent, il sont pointés dans la conclusion de L.B. et constituent pour nous un point de départ de notre réflexion sur l’adaptabilité des dispositifs de gouvernance pour le développement durable, puisque ces points valident nos hypothèses de l’efficience du management dans la sphère de la conception visant un contrôle politique insidieusement autoritaire et la volonté de maîtrise totale sur processus qui s’ensuit. Des points qui constituent autant d’indices sur le contrôle de masse pour contenir les multitudes et les débordements démocratiques sur la politique. Autant de points qui témoignent des dérives du politique dans le capitalisme avancé et qui mettent en question l’étrangeté de la relation entre gouvernance et pouvoir étatique. Efficience du management dans les dispositifs de gouvernance : la gouvernance comme outil de gestion du processus démocratique pour l’exercice d’un pouvoir non partagé Sans doute ne faut-il pas oublier trop vite l’ingéniosité de la société de contrôle pour déployer dans ses exigences croissantes de transparence des zones d’ombres qui constituent le véritable terrain de l’exercice du pouvoir. La série de textes des années 90 a posé les principes de la consultation, de l’information et de la concertation avec les habitants. Toutefois ces textes qui marquent l’émergence institutionnelle de la démocratie participative se sont arrêtés au niveau des principes, L.B. indique que seul le débat public répond à des exigences procédurières. L’absence de contrainte juridique aurait pu participer à l’émergence de l’innovation de dispositifs ouverts et coopératifs et de démocratie délibérative, mais au lieu de cela, ce sont les pratiques du management qui se sont engouffrées dans la brèche pour imposer leurs délires organisationnels appuyés par une volonté politique de limiter le débat par sa neutralisation. Autrement dit, on feint de ne pas voir les différences fondamentales entre consultation, information et concertation pour entretenir un amalgame qui aurait pu être assez vite levé par la classe politique, et à commencer par celle soucieuse de démocratie participative. La volonté de maîtrise des processus de prise de décision permettent de protéger des dispositifs technocratiques qui se ferment au fur et à mesure de la croissance de la crise de la légitimité de l’institution et de la représentation. Cette fermeture qui se traduit par une rigueur zélée de la bureaucratie qui abouti à une dissociation conjoncturelle entre la sphère décisionnelle et les habitants, entre la politique et le politique, aggravant finalement le déficit démocratique que ces pratiques étaient censées surmonter. Ainsi, de cette réelle volonté de contrôle naît une impossibilité fondamentale de traduire en acte un idéal de démocratie. Mais dans le contexte de crise et de sa conversion instantanée en complexité et en slogan, on s’emploie à donner une image contraire à ce qui se pratique. Seules les actions et le discours du management peuvent résoudre de telles contradictions, on valorise et l’on fait la promotion de la transparence pour entretenir les opacités croissantes qui cachent parfois de véritables délits comme en témoignent la recrudescence des scandales judiciaires pour abus de biens sociaux par exemple. Alors, les boîtes à outils communicationnelles font leur travail et donnent naissance à une conception de la concertation qui se rapproche bien plus de campagnes d’information et d’ opérations séductions qui visent à partager à tout prix la responsabilité tout en affirmant dans les actes le déni d’un partage possible du pouvoir de la décision. L’habitant est assigné à concerter, mais cette concertation tourne très vite à des logiques de compromission qui permettent de valider des choix non remis en question sur le fond, mais d’en reporter une partie de la responsabilité sur acteurs de la

86 cf. annexes, LE MONDE, édition du 18.11.03, Politique de la ville, "Le gouvernement prévoit la démolition de 40 000 logements par an"

70

concertation qui ont discutés démocratiquement du mode opératoire. Autrement dit, il s’agit de pratiques autoritaires et parfois totalitaires lorsque les pressions sont formulées et adressées aux individus sommés de garder le silence, visant à dissoudre la responsabilité politique dans le cadre de dispositifs qui se veulent horizontaux. Cette absence de hiérarchie explicite renforce en fait les pressions sur l’habitant assigné non seulement à s’exprimer, mais en plus à manipuler un niveau de connaissance qui ferait de lui un expert. Il est évident que de tels dispositifs imaginés par des professionnels du management et du marketing sont formatés pour obtenir les résultats attendus. Les textes à partir de la fin des années 90 sont décrits par Loïc BLONDIAUX comme allant dans le sens d’un renouvellement des formes de la démocratie contemporaine, qu’illustre également la multiplication des dispositifs de concertation qui se mettent en place aujourd’hui dans les collectivités locales ou tendent à accompagner de manière de plus en plus systématique les grands projets d’aménagement 87. Nous prendrons donc de la distance avec cette hypothèse car il semble, selon l’auteur lui-même, que la relation des dispositifs de gouvernance à une forme de gouvernement pose quelques sérieux dilemmes qui ne semblent pas résolus aujourd’hui et sur lesquels nous devons nous pencher de plus près : - les dilemmes de la représentativité :représentativité statistique ou représentativité politique ? - les dilemmes de l’égalité : lieux d’intégration ou fabriques d’exclusion politique ? - le dilemme de l’échelle : politique de proximité ou incitation à la montée en généralité ? - le dilemme de la compétence : argumentation rationnelle vs expertise profane - le dilemme du conflit : fabriques de consensus ou lieux de controverse ? - le dilemme de la décision : leurres démocratiques ou partage des responsabilités ? Dans son inventaire des formes contemporaines de la participation, L. B. distingue trois familles de procédure que nous allons tenter d’éclairer dans leur relation aux pratiques managériales. - La participation des habitants aux affaires locales se matérialise sous la forme d’assemblées ou de conseils qui empruntent aux formes les plus traditionnelles de la démocratie locale. - Les dispositifs de consultation accompagnant un projet d’aménagement ou la création d’une infrastructure susceptible de menacer l’environnement - Des constructions démocratiques plus originales, pour la plupart issues directement ou indirectement des sciences sociales, à l’instar des Jurys de citoyens, issus d’une innovation allemande née dans les années 70 et mis au point par le sociologue Paul DIENEL, de la conférence de consensus née au Danemark et intruduite timidement en France ou du sondage délibératif. L’auteur attire notre attention sur le point fondamental qui différencie ses trois grandes familles de dispositifs et qui réside dans leur degrés de formalisation et d’institutionnalisation. On peut ainsi différencier : - le dispositif ad hoc, il est lié à une opération donnée ou à une controverse particulière, et prend la forme d’un débat public, d’une concertation ou de jurys de citoyens, de sondages délibératifs, de conférences de consensus - le dispositif qui cherche au contraire à institutionnaliser la participation ou la délibération en relation avec un territoire (conseils de quartier, conseil de développement), un service public ou un ensemble d’équipements (commissions locales de l’eau ou des services publics). Il apparaît que la nature du dispositif change selon que l’on se situe dans un contexte conflictuel ou non et l’auteur s’interroge sur le sens de formes démocratiques qui chercheraient à pérenniser la participation sans relation avec un projet, une controverse ou un conflit particulier. Il nous paraît important de souligner que le conflit paraît nécessaire à la mise en œuvre du débat démocratique or, le management travaille bien à pacifier les contextes ce qui rend inopérant toute forme de réelle participation. Il est troublant de constater que plus un dispositif entretien une relation étroite avec l’institution, moins l’expression de la citoyenneté est possible et plus le management est efficient pour

87 cf. L. BLONDIAUX, Y. SINTOMER, « L’impératif délibératif », Politix, n° 57, 2002, p 17-35

71

pérenniser une situation sous contrôle. Il devient alors très difficile de produire du jugement dans un tel cadre. La notion émergente de « démocratie délibérative » 88 n’échappe pas aux pratiques du marketing urbain mais, dans ce cas précis, les choses sont moins insidieuses, ses trois principes étant :

- un principe d’argumentation - un principe d’inclusion - un principe de publicité ou de transparence

Le dernier principe a le mérite d’être très clair et associe d’ailleurs l’exigence de transparence au souci de publicité. Les habitants sont au moins prévenus, un tel dispositif repose bien plus sur un processus marchand que sur un principe de négociation ou de co-décision. La publicité autorise alors toute sorte d’action événementielle propre à la société du spectacle. Il nous paraît nécessaire d’indiquer que les dispositifs de concertation et la gouvernance en général tendent à horizontaliser les relations, à pacifier les conflits, à créer du consensus, etc, autrement dit, à effacer la figure du pouvoir et à modérer la responsabilité du pouvoir politique puisque la co-responsabilité est mise en scène sur des logiques de compromission confisquant au fond les arguments même d’une opposition. Or le principe de la gouvernance devrait être la confrontation et l’émergence du dissensus et non la gestion du conflit et les actions qui visent à réduire au silence toute forme d’expression dissidente. Lorsque le management intègre les dispositifs de gouvernance en leur sein, elle constitue le terrain le plus dangereux de la société de contrôle puisque le simulacre de démocratie réduit au silence les plus volontaires des citoyens. Ce masque de l’idéal démocratique peut cacher les dérives totalitaires d’un règne sans partage, selon les préceptes de la Barbarie douce 89. Pour aller au fond des choses, rappelons que nous avons déjà montré comment le management compense le déficit d’une pensée politique impuissante dans l’inscription de la société dans le temps long du projet. Bien sûr cette hypothèse défendue au début de ce texte est lourde de conséquence puisque la gouvernance elle-même subit les affres de « l’impensé politique » si bien qu’il apparaît clairement sur le terrain que la gouvernance cautionne des pratiques inavouables comme nous l’affirme d’une manière claire L.B. La question qui semble aujourd’hui poser le plus de problème reste la suivante : quels sont les objectifs poursuivis par les élus au travers de ces expériences de démocratie participative ? S’il existe bien sûr des objectifs inavoués et inavouables : quadriller le terrain, recruter d’éventuels sympathisants, pratiquer le « néo-clientélisme » sur une autre échelle… les intentions affichées oscillent le plus souvent entre trois registres argumentatifs.90 Il peut arriver que l’élu assigne clairement des objectifs manageriaux et se situe ainsi de plein pied dans le cadre d’une bonne gestion publique ou de ce que l’on nomme aujourd’hui le « nouveau management public ». Selon cette perspective il est indispensable pour un prestataire de service public de prendre en compte l’avis des usagers et des consommateurs. Il convient aussi de savoir anticiper les conflits et de garantir une meilleure acceptation de la décision. Dans d’autres cas, il s’agira de faire pression sur les services techniques pour les rendre plus réactifs et efficaces, via les habitants. On cherchera enfin, à prendre en compte l’ « expertise d ‘ usage» des habitants afin de concevoir de meilleurs projets. Nous sommes ici dans l’ordre de la gestion publique, nous ne sommes pas forcement dans l’ordre de la démocratie. Mais pour être complet et impartial, après avoir montré comment la gouvernance est détournée par une approche très libérale qui prend corps sur des terrains bourgeois ou en voie de gentrification, nous devons aussi souligner avec L.B. qu’elle est soumise à des dérives tout autant tendancieuses sur le terrain social.

88 Notion développée à partir des réflexions de J. HABERMAS et J. RAWLS 89 Cf. J.P. LE GOFF, La barbarie douce 90 Cf. M-H. BACQUE, Y. SINTOMER, « L’espace public dans les quartiers d’habitat social », op. cit., pp 115-148

72

Nombreux sont les élus en France qui n’hésitent pas à afficher des objectifs sociaux et politiques infiniment plus ambitieux et moins réalistes. Selon une thématique très répandue dans la politique de la ville, la participation aurait vocation à créer du « lien social », à animer les quartiers, à rapprocher les citoyens entre eux. Selon d’autres discours, la participation aurait vocation à lutter contre la «crise de la représentation » en rapprochant cette fois les élus du citoyen. Pour d’autres enfin, la discussion démocratique serait susceptible de fabriquer de « meilleurs citoyens », selon l’expression de Jane MANSBRIDGE. Mais s’il est évident que certains élus voient dans la participation une manière d’élargir leur base de légitimité, fortement ébranlée au cours de ces dernières années, ils sont nombreux également à concevoir ces arènes comme des lieux de pédagogie politique au travers desquels il s’agirait tout simplement de continuer le jeu de la représentation par d’autres moyens, au risque de singer les institutions représentatives et d’éloigner de ces forums les citoyens que l’on croyait attirer et séduire. Nous ne sommes pas non plus, dans ce cas de figure, dans le cadre d’un renouvellement démocratique. Loïc BLONDIAUX assoit cette analyse assez sévère pour les bonnes consciences « citoyennistes » sur l’expérience de terrain qu’il décrit après avoir travaillé sur les conseils de quartier du XXè arrondissement à PARIS entre 1995, l’année de leur existence et 2001 91, qui correspond aux élections municipales. L’auteur nous rapporte le contexte particulier de l’expérience participative qui éclaire sur la relation ambiguë entre la gouvernance et l’institution (en l’occurrence la mairie d’arrondissement) et montre que « l’impératif délibératif » peut servir à récupérer les énergies associatives. D’une part les conseils de quartier s’imposent comme des outils de négociation, dans le cadre d’une relation de pouvoir asymétrique entre la mairie de Paris et les mairie d’arrondissement marginalisée, comme toute municipalité d’arrondissement, par la loi du 31 décembre 1982 dite PARIS-LYON-MARSEILLE. Et d’autre part, certaines associations de quartier furent reconnues par le Maire de PARIS comme légitime et dénoncèrent alors les conseils de quartier comme une tentative de contrôle du foisonnement associatif. L’auteur montre comment un tel dispositif est doublement limité, par la stratégie politique de la Mairie du XXè d’une part et par le droit d’autre part puisque la Mairie du XXè prend sous sa tutelle la concertation alors que ses propres pouvoirs sont infinitésimaux). Il nous semble que cet exemple illustre des logiques de compromission puisque les associations participants aux conseils de quartier participent au fait à donner un poids politique à l’opposition sans forcément vouloir jouer cette fonction. La gouvernance ne peut être mobilisée par une institution à bout de souffle, il nous semble que la puissance des multitudes ne peut s’exercer que dans le cadre d’une démocratie directe, c’est à dire complètement libérée de la tutelle de l’institution politique. A ce titre nous devons invalider tout processus de « démocratie de proximité » qui mobilise les arguments démagogiques de la proximité pour contenir l’échelle et les sujets traités au micro-local d’une part et pour conférer une fonction consultative et non délibérative à ce type de démocratie managée. Il apparaît clairement que le garant du niveau de viabilité de la gouvernance dans un processus de développement durable ne provient pas de l’idéologie politique sur la citoyenneté pour l’approche sociale ou de l’idéologie organisationnelle sur la transparence pour l’approche managériale, mais dans son rapport distancié à l’institution. Or c’est bien sur cette question que nous butons puisqu’il est très clair qu’il n’est pas dans la tradition politique française de prendre le retrait suffisant pour que puissent se développer des processus ascendants, quels que soient les bords politiques. La technocratie est la montagne qu’il faudrait soulever pour que puisse se généraliser une gouvernance digne de ce nom en France, et l’on a certainement tord de développer cette question sur les axes organisationnels ou politiques, car sans doute, ne s’agit-il plus de rechercher le pouvoir à tout prix, mais d’essayer de faire émerger la puissance des multitudes. Un tel constat renforce l’impression que la gouvernance, comme le développement durable, peuvent produire dans leurs dérives de véritables courants idéologiques basés sur le populisme et le protectionnisme d’un individu-consommateur qui, dans un système clientéliste, exige l’adaptabilité de

91 « Publics imaginés et publics réels, la sollicitation des habitants dans une expérience de participation locale », in op. cit pp 313-325

73

la ville à son niveau de confort croissant, reléguant aux questions subsidiaires la question de l’intérêt général et du collectif. On peut alors comprendre les positions idéologiques les plus dures contre le « citoyennisme », et qui ne peuvent à ce titre être intégrées au développement durable, mais que nous devons ne pas ignorer. La critique du « citoyennisme » Le néologisme « citoyennisme » est utilisé par René RIESEL dans du progrès dans la domestication, ouvrage dans lequel l’auteur développe une critique très vive des dispositifs de gouvernance rencontrant l’un des auteurs de la critique du management, Jean-Pierre LE GOFF. Tous deux s’accordent sur un avis critique et une distanciation de l’alter mondialisme en général. Cette critique repose pour J.P. LE GOFF sur le constat que finalement les mouvements alter-mondialistes ne fondent pas un nouveau modèle d’analyse de la société et assoient leurs revendications sur les critères du Capitalisme lui-même et de l’économie de marché, cautionnant donc un système de valeurs qu’il faudrait améliorer. René RIESEL, après avoir été secrétaire général de la confédération paysanne 92, marque une rupture avec le syndicalisme et dénonce deux postures rivales d’acceptation de la soumission de l’Homme au diktat de l’économie totalitaire : celle qui rêve d’adapter les hommes à l’enfer moderne en dénaturant les génomes [industriels] et celle qui souhaite discuter démocratiquement des modalités de cette adaptation [confédération paysanne] 93. Autrement dit, ce n’est pas tant le capitalisme qui est en crise que sa critique. Et il n’est pas impossible d’y voir l’un des effets de l’efficience du management qui vise à pacifier [gérer] les milieux conflictuels, cherchant le consensus par défaut d’opposition grâce à la neutralisation des énergies contradictoires. L’enjeu des méthodes de pacification du management [gestion des conflits par exemple] n’est-il pas la conquête de la passivité et de la docilité, dressage moderne du corps au travail ? 94 Et si la critique du Capitalisme est désamorcée, nous pouvons y voir un signe supplémentaire de l’efficience du pouvoir de normalisation du management fonctionnant tel un outil de destruction massive de la subjectivité. Si nous ne pouvons adhérer complètement aux assertions défendues par RIESEL, nous soulignons tout de même un propos très dur rejoins par les actes conséquents qui pointent les pratiques managériales de ceux qui défendent l’action citoyenne. RIESEL démontre dans les actes, chez ceux qui défendent la citoyenneté, l’articulation d’une volonté communicationnelle médiatique n’hésitant pas à mobiliser la désinformation 95 ; la mobilisation du lobbying, dont on a vu à quel point il est intégré à la logique ultra-libérale sur le dossier des JO 2012 ; les amalgames et abus de langage, présentant une opération de sabotage comme une « action citoyenne » ; et un double discours, opérant par la dénégation du pouvoir hiérarchique et l’affirmation de la figure de l’autorité. C’est ainsi que RIESEL se désolidarise lors de son procès avec J. BOVE de la confédération paysanne refusant d’être associé au détournement de la mise en scène judiciaire en talk show [22 novembre 2001] et assure ne pas autoriser une organisation quelconque à quémander une grâce en son nom revenant à reconnaître l’autorité de l’Etat [20 novembre 2002] d’une part et à solliciter l’état d’exception permanent contre un « état de droit » dont il rappelle la mission non médiatique de répression des délits. Nous reconnaissons dans les pratiques avouées par l’ancien compagnon de la confédération paysanne des pratiques typiquement managériale qui interdisent toute critique et refonte du système capitalistique et qui aboutie, en toute logique, à une pensée qui se range dans le camp des fossoyeurs moribonds de l’ancien mouvement social. 96). La critique du citoyennisme repose sur l’idée que les dispositifs de concertation constituent une résignation et visent à ménager la condition de l’homme dans l’enfer moderne. Nous prendrons un peu de distance avec ce propos en soulignant que l’opérationnalité impose le passage d’une position idéologique à la refonte de doctrines partageables et efficientes dans le sens d’un développement durable et désirable. Par conséquent, il s’agit de « faire avec » le Capitalisme, et cela représente bien

92 (communiqués dans le monde de RR) 93 op. cit. p 82 94 cf. Richard SENETT, Le travail sans qualités 95 op. cit. p 84 96 idem.

74

des écueils dans lesquels sont peut-être tombés certains mouvements alter-mondialistes accompagnant malgré eux les dérives du Capitalisme. Il s’agit donc de rester sur le qui-vive et de ne jamais perdre du vue que les impératifs de transparence reflètent souvent une volonté de contrôle, de maîtrise, d’orientation et de captation des flux, réflexe de survie d’une économie de marché en respiration artificielle. Eclairée dans ces dérives les plus marquées, la gouvernance nous apparaît comme un coup de maître impulsé par le neo-management puisque après avoir montré comment la relation de dépendance réciproque du management et de la gouvernance, le premier constituant la méthode du second et le second légitimant le premier. Car, sans doute, les managers ne pouvaient pas rêver mieux que la gouvernance pour désamorcer toute forme de conflit, d’opposition et finalement tout processus démocratique. En effet, la gouvernance est la forme ultime de la rationalisation des pratiques de pouvoir qui semble avoir gagné le premier round sur son pire ennemi : le contre-pouvoir.

75

B. La gouvernance locale comme volonté de ménagement d’un espace-temps-connaissance. Nous avions conclu précédemment avec H. LEFEBVRE sur la nécessité de considérer les termes de développement durable non plus selon des rapports binaires et contradictoires, qui relèvent souvent d’oppositions simplistes sur lesquelles se fondent par exemple les assertions du neo-urbanisme, terrain d’émergence du neo-management, mais de redonner sens à la complexité selon des rapports dialectiques entre les termes qu’il faudra définir. Sur la question de la gouvernance qui nous occupe ici, dont nous avons montré le rapport ambiguë avec le Capitalisme, il nous semble opportun d’opposer aux dérives managériales une volonté de ménagement d’un espace-temps-connaissance conformément à nos avancées sur la question des dispositifs cognitifs post-disciplinaires [premier chapitre de cette partie]. Nous formulons l’hypothèse que la gouvernance, à condition que son cadre soit viable, c’est à dire dégagé de la tutelle des gouvernements mondiaux, nationaux ou locaux, constituent le terrain de l’émergence des dispositifs post-disciplinaires, transversaux, ouverts et coopératifs qui convertissent sur le terrain la volonté de refonte de la théorie et de la pratique sur des enjeux inhérents à la durabilité. Cette hypothèse ouvre le chemin de la désirabilité que nous développerons dans la troisième partie, puisque l’enjeux de l’inscription dans le territoire, dans le temps et dans la connaissance des dispositifs décisionnels et délibératifs correspondent bien à garantir la désirabilité du développement social et urbain. La gouvernance comme mode actif d’ inscription dans la connaissance > Les dispositifs de gouvernance assujettis à l’institution, l’héritage culturel de la mondialisation et de l’anti-mondialisation Avant d’aborder la question de l’espace, du temps et de la connaissance dans les dispositifs de gouvernance, nous devons poser le problème préalable déduit de ce que nous venons de voir précédemment : Souhaite-on réellement un partage du pouvoir et de la décision politique ? Loïc BLONDIAUX voit dans l’évolution législative française un contexte politique favorable aux dispositifs de gouvernance mais il pointe aussi la pauvreté du cadre théorique et pratique qui subsiste. Or nous avons bien vu que le flou juridique qui règne sur les processus de la consultation corrélés à une volonté d’institutionnalisation de ses dispositifs aboutissent à des impasses démocratiques. Pourtant la politique de la ville en France ne cesse de renforcer l’assujettissement de la gouvernance à la tutelle institutionnelle. Dans le cadre du développement durable, la refonte de l’institution elle-même nous semble pourtant incontournable. L’adaptabilité de l’université à la nécessaire ouverture du champs disciplinaire est une question fondamentale pour le développement durable. Comment enseigner le développement durable sous l’autorité de la gardienne des disciplines et de leurs arrangements interdisciplinaires. Un département post-disciplinaire paraît un moyen utile de dépasser les carcans académiques et traditionnels pour constituer l’espace de la synthèse des sciences parcellaires. [LEFEBVRE, MORIN] L’adaptabilité des institutions politiques pose le même problème de l’espace d’arbitrage entre la raison du marché et les intérêts privés et la raison social&économique&environnemental calés sur l’intérêt général. Un tel terrain d’arbitrage, d’orientation et de prescription pourrait éviter que l’économie de marché ne soit élevée à la raison d’Etat et pour contrer de telles dérives de l’intérieur, il nous paraît incontournable que soit fondé un réel ministère du Développement Durable qui n’aurait rien à voir avec le ministère de l’écologie actuel. Notons d’ailleurs que l’écologisme est doublement en retard

76

puisqu’il est aujourd’hui débordé par le champs plus ouvert de l’environnemental lui-même réarticulé au fait humain dans le cadre du développement durable. L’heure n’est plus à compter les pâquerettes dans les prés, le domaine d’action et les moyens d’un tel ministère ne peuvent continuer sérieusement à se réduire. Nicolas HULOT97 affirme dans les colonnes du Monde que l’architecture gouvernementale, en l’absence d’une autorité interministérielle du développement durable, dotée par exemple d’un ministre d’Etat spécifique empêchera toute possibilité de développer les stratégies qui s’imposent. L’adaptabilité étatique que nous évoquons concerne aussi les institutions territoriales. Le cloisonnement administratif français empêche toute transversalité constituant un élément de blocage majeure pour la mise en œuvre de stratégies de développement durable et des dispositifs de gouvernance associé. C’est pourquoi nous pouvons émettre de sérieux doutes sur les modes interventionnistes traditionnels de l’Etat et que nous insistons sur la nécessaire refonte de partenariats entre le public et le privé, entre les institutions et les habitants, visant à intégrer des dispositifs de gouvernance dans les systèmes décisionnels officiels et démocratiques. L’Etat conscient de la nécessité d’ouvrir ses dispositifs administratifs, mobilise les outils du management sur le thème de la proximité dans une volonté d’amélioration de la gestion et de modernisation de l’administration locale98 . Ainsi la gestion rapprochée des services urbains travaillant avec les habitants serait plus efficace car mieux adaptée aux spécificités des populations et des territoires concernés, s’accompagnant du principe de transversalité ou comprehensiveness visant à dépasser les modes d’interventions parcellisés portés par les administrations publiques. Il apparaît que le management pourrait constituer le terrain de l’adaptabilité des institutions à des procédures plus ouvertes et coopératives, mais de là à imaginer un potentiel démocratique au sein même des pratiques de management, il y a encore du chemin à faire. Ce chemin prendrait la voie de l’autonomie institutionnelle pour s’inscrire dans le temps long, que n’autorise pas le rythme électoral, dans le territorial, contraint par les limites administratives des mandats politiques, et dans champs de savoirs dynamiques et prospectifs limités par les dérives partisanes et idéologiques qui renforcent le management comme idéologie de l’action. Finalement, il s’agit de rompre fondamentalement avec la culture technocratique des processus induits de la concertation qui fédèrent l’ensemble des institutions au delà de toutes oppositions, ONG, Banque Mondiale, Sommets sociaux, etc si l’on souhaite réellement ménager le temps, l’espace et les savoirs dans les dispositifs de gouvernance. > Processus induits versus processus déduits Le management se base sur un système qui valorise l’extériorité de causalités et produit des contraintes qui imposent une bonne gestion de cette extériorité. Cette approche autorise des méthodes de gestion, et des processus d’élaboration rapides justifiés par l’urgence d’une situation donnée que l’on traite le plus souvent par la technique. Une telle stratégie s’inscrit dans le court terme et génère souvent des calendriers qui visent à produire l’état d’urgence, empêchant toute réelle réactivité des acteurs partenaires, comme nous l’avons vu sur la mise en œuvre de la charte de développement durable pour la ZAC SEGUIN - RdS. (Le management comme pratique de contrôle et de maîtrise interdit tout processus déduits et survalorise les processus induit non spécifiques. Un autre processus induit remit en cause par la gouvernance est celui de l’interventionnisme public étatique. Comme nous l’avons vu précédemment avec DONZELOT, les stratégies urbaines peuvent s’apparenter à deux axes principaux : la place strategy, développée en France et qui favorise l’autorité technocratique et une politique de planification et une people strategy, développée aux Etats-Unis, est davantage axée sur une approche sociale et culturelle du faire société. La première gère l’espace principalement dans sa matérialité selon un système hiérarchique pyramidale institutionnel, l’Etat étant au sommet du système décisionnel, tandis que la base, pourtant concernée par une volonté de concertation, se retrouve complètement en aval du processus, si bien que la réalité de la concertation se traduit souvent par des campagnes informatives, telles que des réunions ou des expositions. Dans le cadre d’une people strategy Donzelot nous a montré que les processus sont nettement moins

97 « Le ministère de l’écologie est de plus en plus étriqué », LE MONDE, 19/07/2005, par Nicolas HULOT 98 M.H. BACQUE, op. cit. pp 25-28

77

dépendants de la volonté étatique autorisant davantage, dans un dispositif davantage horizontal et coopératif, des processus décisionnels déduits d’une réelle concertation, consultation ou participation entre les acteurs avec les citoyens. La gouvernance est sans doute le dispositif adéquat à l’émergence de décisions collectives et de consensus délibérés publiquement dans un soucis de respect des multitudes et des spécificités culturelles. > Conséquences méthodologiques de l’institutionnalisation de la gouvernance : heuristique n. f. : Méthode de recherche empirique qui a recours aux essais et erreurs pour la résolution de problèmes. empirique adj. : Se dit de ce qui manque de rigueur scientifique, qui procède par tâtonnements, au coup par coup. Développer méthodes empiriques versus management – caractère heuristique de la gouvernance – processus déduits et processus induits. > L’incertitude ménagée au cœur des dispositifs de gouvernance Les dispositifs de gouvernance pourraient, d’une manière assez saine, obliger les acteurs à des attitudes plus ouvertes. Il est probable que la dimension dialectique d’un tel processus de production de savoirs permet de modérer les idéologies souvent trop dogmatiques pour être constructives dans le cadre de l’élaboration de stratégies de DD. Nous l’avons déjà vu, il s’agit d’intégrer le principe d’incertitude comme donnée structurelle à tout dispositif décisionnel. Sans doute les querelles d’experts sur la validation des études prospectives du collègue ne sont pas très productive en elle-même. Que les conséquences sur des actions passées arrivent dans dix ou trente ans n’a en fait que peu d’importance en soit puisque le long terme envisagé va bien au delà. Il s’agit par contre de formaliser les incertitudes sans forcement chercher à les résoudre et de les intégrer dans la conception du projet. Bien sûr intégrer le probable et le principe d’incomplétude est certainement une aberration voir un acte irrationnel pour les professionnels de la gestion. Là encore, une assemblée suffisamment hétérogène et ouverte permettrait de faire émerger l’incertitude que la petite famille manageriale s’acharne à vouloir effacer du champs du projet. 99 > L’homo communicans véritable sujet du DD La gouvernance répond aussi à une nécessité de revenir à des processus de ré-humanisation du travail. Le travail automatique porté par les procédures managériales n’est plus valide dans les dispositifs de gouvernance qui demandent une mobilisation personnelle et subjective de chacun. La fonction normalisante de la machine n’est plus effective dans les procédures d’émancipation du débat politique. Un dispositif de gouvernance délié de l’institutionnel favorisant une people strategy se rapproche très certainement des dispositifs de general intellect tel qu’ en parle André GORZ 100 par exemple. Ainsi, pour reprendre la thèse de GORZ, le capitalisme cognitif, se présentant comme la crise du capitalisme, préfigurerait un autre modèle de société. Or certainement, le développement durable est-il en soit la méthode de la méthode pour bâtir cet autre modèle. Si le capitalisme avancé produit le sur-consommateur, marquant le net recul de toute possibilité citoyenne de masse, il n’en demeure pas moins qu’il produit aussi l’homo communicans, cet à dire le travailleur en réseau adapté au capitalisme cognitif et du processus d’auto-production que François

99 100 A. GORZ, Recension. Misères du présent, richesses du possible

78

CHESNAIS appelle « l’auto-exploitation » ou « servitude volontaire » pour COMBRES et ASPE 101. A ce titre l’homo communicans est une victime du capitalisme cognitif, toutefois les formes de production de soi continuelle dans l’économie en réseau, d’auto-organisation et de concertation continuelle le détache du principe contractuel de dépendance à l’entreprise et le forme aussi comme acteur potentiel d’une communauté libre de production de savoirs non assujettie aux processus marchands. Et d’une telle dissidence, il y a sans doute une énergie créative et poétique en puissance : La dissidence numérique détourne délibérément contre le capitalisme une manière de produire devenue propre et indispensable au capitalisme. Elle permet aux communautés virtuelles du « libre » d’ouvrir un front de lutte, de faire apparaître des enjeux politico-culturels d’une portée universelle. Mais elle ne permet dans les conditions actuelles qu’une émancipation symbolique du travail immatériel vis-à-vis des rapports sociaux de capital, non une émancipation réelle. Elle explose comme un défi dans un contexte où les firmes sont parfaitement conscientes qu’elles ne réussiront la mobilisation totale de toutes les énergies de leurs « collaborateurs » que si elles réussissent la subsomption totale de leurs ressorts psychiques les plus intimes : les membres du personnel doivent être amenés à trouver leur gratification suprême dans l’auto-exploitation et la servitude volontaire. Le contrôle total de l’esprit des collaborateurs et de leur temps devient un enjeu central […] Quand l’auto-exploitation acquiert une fonction centrale dans le processus de valorisation, la production de subjectivité devient un terrain du conflit central. Dans ce contexte les pratiques auto-organisées du prolétariat du numérique et la dissidence qu’ébauche le communisme objectif des logiciels libres acquièrent une importance stratégique. Des rapports sociaux soustraits à l’emprise de la valeur, à l’individualisme compétitif et aux échanges marchands font apparaître ceux-ci, par contraste, dans leur dimension politique, comme des extensions du pouvoir du capital. Un front de résistance totale à ce pouvoir s’ouvre. Il déborde nécessairement du terrain de la production de connaissances vers de nouvelles pratiques de vie, de consommation, d’appropriation collective des espaces communs et de la culture du quotidien. « Reclaim the Streets » en est une des expressions les plus réussies 102. André GORZ nous dit bien la portée politique d’un general intellect et l’on comprend mieux l’enjeu fondamental de la critique managériale de la gouvernance. Car c’est au management que reviens la lourde tâche de contrôle totale de l’esprit de l’individu. Il est à craindre en effet que les candidats à la prothèse communicante (individu-communiquant-consommateur) ne soient les candidats à cette emprise totale. Toutefois l’actualité nous montre que si la classe politique et la société en général relativise voir déconsidère le débat d’idée sur Internet, elle est vite rattrapée par la réalité d’un activisme numérique et d’un post-media qui commence à concurrencer sérieusement les mass-media 103. Un general intellect concourant à un dispositif de gouvernance représente une organisation politique nouvelle qui pourrait constituer le terrain de veille du respect des équilibres et de la validité des critères de choix de DD. Un tel dispositif de production de savoirs entre les acteurs autorise le renouvellement du rapport complexe entre le pragmatisme stratégique et les nouvelles modalités et valeurs de la décision collective : On peut analyser la gouvernance comme de l’action publique en réseaux, comme une pratique relationnelle de coopérations non pré-définies et toujours à réinventer, à distance des armatures historiques du passé et des procédures routinisées. J.C. GAUDIN, 2002 104 Sans doute, l’intégration de dispositifs de gouvernance non institutionnels permettrait de constituer une vigilance non discriminatoire, sous la forme d’un auto-contrôle peut-être, sur les comportements des différents acteurs et les motivations de la décision défendue par chacun dans l’espace de

101 cité par GORZ dans "Économie de la connaissance, exploitation des savoirs", Entretien réalisé par Yann Moulier Boutang et Carlo Vercellone, Mise en ligne le jeudi 3 juin 2004 sur MULTITUDES 102 idem 103 Des observations sur ce sujet ont été formulées lors de la victoire du NON au projet de traité pour une constitution européenne malgré la diffusion massive d’un mot d’ordre unique, le OUI. 104 Christophe BEAURAIN, op. cit.

79

conception d’une stratégie par exemple. Autrement dit, il s’agit en axant la gouvernance sur le pilier CULTURE de faire front aux valeurs économistes et à l’analyse coût avantage traditionnelle. Le pilier CULTURE dans un dispositif de gouvernance n’est certainement plus relégué en bas de page sous une forme atrophié mais au contraire, devient l’axe fédérateur d’une adhésion collective au savoir produit évitant toute dérive procédurale autour des thèmes classiques de la société du risque, vision du développement durable opportuniste et défendu par les ténors du management urbain, comme nous l’avons vu dans l’analyse du texte de F. ASCHER sur les principes du neo-urbanisme. La gouvernance comme mode d’ inscription dans le temps > Pour un ménagement du temps long : enjeux durables et dispositifs d’acculturation Le premier facteur d’incompatibilité du management aux processus du développement durable est l’impossibilité pour le management de considérer le temps long. Le temps long c’est le domaine du politique, parfois conflictuel avec la politique… Un principe de gouvernance à l’échelle locale serait un acte fort dans le sens politique annonciateur d’une volonté de prendre le temps et de donner le temps, bien au delà des mandatures. La complexité inhérente au DD est d’articuler les contraintes à court terme qui relèvent parfois de l’urgence, sans hypothéquer le temps long de l’intergénérationnel. Pour cela le travail de coordination est essentiel dans les dispositifs de gouvernance pour autoriser l’ajustement des comportements des acteurs dans le soucis du ménagement du temps long. De tels mécanismes constitutifs de la gouvernance s’appuient sur les bases du management et mettent en œuvre les outils de gestion du temps. Des outils qui vont permettre de garder la mémoire des processus et des phases opérationnelles dont ne pourrait se passer un travail d’évaluation par exemple. La gestion du temps doit être pensée à deux niveaux au moins en terme stratégique :

- sur les critères de choix, il s’agit de vérifier si les objectifs annoncés pour un projet d’aménagement correspondent à des enjeux en terme de durabilité

- sur le processus lui-même, il s’agit aussi de ménager des acteurs qui peuvent avoir un différentiel important sur le plan de la culture, du professionnalisme ou de l’expertise d’une part et d’autre part, il s’agit de contrer la contamination à l’urbanisme des processus industriels d’obsolescence programmée.

Nous savons maintenant que le temps ne travaille pas en la faveurs des dérives gestionnaires du projet qui misent souvent sur des discours démagogiques pour faire passer des mesures difficiles à assumer publiquement. Ainsi des objectifs écologiques peuvent aller à l’inverse des enjeux du développement durable, lorsque par exemple, le discours écologique est mobilisé pour cautionner des mesures sécuritaires à court terme. Sur le processus lui-même, nous voulons souligner l’importance de l’approche de la gouvernance par la CULTURE puisqu’il ne s’agit pas moins d’envisager des dispositifs d’acculturations réciproques sur un mode relativement horizontal puisque l’expert aurait autant à apprendre de l’habitant. Une telle conception de la gouvernance permet de dépasser la simple gestion de la connaissance et des modalités d’accès à la connaissance car il s’agit de mettre au centre du processus la question du projet en terme d’habité et d’habitants. Les enjeux quant à l’acculturation réciproque sont fondamentaux et structurels puisqu’il s’agit d’amener l’expert par exemple sur le terrain du local et du specifique et l’habitant sur une compréhension du global pour obtenir une pensée complexe et des accords partagés sur les phénomènes de polycausalités necessaires à la co-conception d’une stratégie globale. Sur le processus, il s’agit aussi d’opposer une méthodologie de projet aux pratiques industrielles qui trop souvent, ne s’inscrivant que dans la temporalité du court terme qui est celle de l’entreprise, engendre des processus de conception qui intègrent le principe d’obsolescence programmée. Les industriels impliqués dans le développement durable ne peuvent transposer un tel concept pourtant structurel de la société de la consommation. La matérialité du développement durable doit répondre a

80

des exigences de qualités sur le long terme et s’inspirer par exemple des matériaux traditionnels tels que la brique ou la chaux qui présentent encore aujourd’hui des qualités mécaniques, chimiques, esthétiques et qui correspondent à des savoir-faire locaux. Il faut donc non seulement donner le temps aux processus de conception mais aussi aux phases opérationnels pour que puisse se développer et s’intégrer de la recherche et développement industrielle et que les chantiers ne soient pas soumis à des contraintes temporelles excessives empêchant toute innovation sans prise de risque maximale sur des malfaçons.

81

CONCLUSION : DD, la condition du vivre-ensemble de manière désirable Les pratiques de l’architecte sont variées, aucune échelle n’échappe au domaine d’activité de l’architecte, l’architecte-designer-paysagiste-urbaniste est sur tous les terrains. L’architecte quelque soit son genre est homme de projet, c’est entendu. Mais quelle notion de projet appliquent dans leurs pratiques ceux qui ont la responsabilité de concevoir demain ? Une entente tacite sur la notion de projet liée aux savoir-faire du dessin et de l’espace plane dans son enseignement. Le projet d’architecture en se réduisant à la pratique objectale accompagne le processus de marchandisation de l’objet architectural. La représentation du projet, intégrant les techniques marketing, alimente le flux médiatique qui constitue un contrôle de masse sur les consciences sans précédent. Il efface toute dimension au désirable au profit du besoin et de l’envie. Autrement dit la conscience subjective, éthique et politique est balayée par l’hégémonie d’une approche économique. Un processus global de substitution se met en place : la pauvreté du projet, résultant des pratiques de gestion et d’une économie calculant au moins disant est compensé par la capacité de l’image à illusionner et séduire pour convaincre. Le dessin assisté (par ordinateur) compense l’impossible dessein, la stratégie de projet est stratégie de médiatisation, ses enjeux portent sur l’image et non sur le réel. A cela s’ajoute la question esthétique en mal de doctrine face à une industrie de masse, compensée elle par les systèmes experts, autrement dit, la décision assistée par ordinateur. Pourtant l’objet architectural ou urbain est bien l’objectif de production de l’architecte, mais plus que jamais, le travail de conception du projet ne saurait s’isoler de son écosystème sur lequel porte les enjeux de développement. La stratégie de projet doit se redéployer dans la pratique du projet d’architecture à partir d’une conscience éthique et d’un réinvestissement de l’espace public et politique. Félix GUATTARI dans les trois écologies développe le concept d’écosophie qui ouvre la voie d’autres possibles de la pratique de l’architecte dans un autre univers de valeurs basé sur une écologie sociale, environnementale et sur des processus de subjectivation. Les pratiques du projet-processus ont ouvert la voie à l’intégration du management dans la conception, toutefois il intègre aussi la pensée et la modélisation du complexe et du global, et constitue le terrain fertile propice à une ouverture post-disciplinaire du travail et à l’émergence de dispositifs plus collaboratifs entre les domaines de l’expertise et du global, de la technique et des sciences humaines, etc. « L’écosophie » de GUATTARI, une définition opérationnelle du projet-processus Guattari dans Les trois écologies énonce parfaitement les enjeux contemporains du projet d’architecture avec le concept de « l’écosophie ». Dans son article « Pratiques écosophiques et restauration de la citée subjective » 105 GUATTARI énonce clairement une pratique opérationnelle possible pour le projet d’architecture qui réoriente les méthodes et les outils que nous connaissons sur des enjeux d’intérêts généraux : On ne peut espérer recomposer une terre humainement habitable sans la réinvention des finalités économiques et productives, des agencements urbains, des pratiques sociales, culturelles, artistiques et mentales. La machine infernale d’une croissance économique aveuglément quantitative, sans souci de ses incidences humaines et écologiques, et placée sous l’égide exclusive de l’économie de profit et du néo-libéralisme, doit laisser place à un nouveau type de développement qualitatif, réhabilitant la singularité et la complexité des objets du désir humain. Une telle concaténation de l’ écologie environnementale, de l’écologie scientifique, de l’écologie économique, de l’écologie urbaine et des

105 GUATTARI F., « Pratiques écosophiques et restauration de la cité subjective », publié sur Multitudes, le 23 octobre 2004

82

écologies sociales et mentales, je l’ai baptisée : écosophie. Non pour englober tous ces abords écologiques hétérogènes dans une même idéologie totalisante ou totalitaire, mais pour indiquer, au contraire, la perspective d’un choix éthico-politique de la diversité, du dissensus créateur, de la responsabilité à l’égard de la différence et de l’altérité. On cerne mieux l’importance d’une démarche processuelle du projet d’architecture par rapport à des enjeux qui échappent autant à l’individu qu’à l’objet. Comment un seul individu pourrait-il à lui seul mettre en marche un mouvement de réorientation d’un état existant à des fins qui vont contre l’intérêt de cet état existant ? Un tel dessein dans le projet d’architecture s’inscrit forcément dans une dynamique cohérente avec la mise en œuvre opérationnelle d’une pensée complexe. Notons qu’Edgar MORIN, théoricien de la pensée complexe, s’est mobilisé sur les enjeux environnementaux 106 et dédie le volume 6 de La Méthode à la question de l’éthique. R.P. DROIT 107 souligne que « la pensée complexe se découvre éthique dans sa démarche même puisqu’elle a pour caractéristique essentielle de relier et de rassembler ». Or cette réflexion multidimensionnelle ne saurait être étrangère à l’architecte-urbaniste dans le cadre du projet. Aux trois dimensions spatiales du projet doivent s’ajouter la dimension temporelle et la dimension cognitive. L’architecte et l’urbaniste sont compétents pour ré-investir l’espace lié à la complexité du projet et à une approche globale participant à la mise en place de dispositifs opérationnels qui relèvent de la prospective-action. Une telle démarche demande une réflexion de fond sur les pratiques de l’architecte indispensables à l’exercice d’un travail de conception sur un tel projet. Il s’agit de réfléchir à l’adaptabilité des pratiques opérationnelles de l’architecte pour qu’elles soient en phase avec les avancées juridiques les plus récentes du code de l’urbanisme définissant enfin la notion de projet. ********************** L’objet d’architecture est ancré dans un écosystème complexe et interagit avec lui, il participe aux phénomènes urbains pouvant équilibrer, diminuer au amplifier des processus antérieurs à lui. Le projet se joue bien sûr sur le plan esthétique et formel, que l’on peut appeler la causalité interne, toutefois il ne saurait se replier sur lui-même dans un autisme dont la conséquence serait un mutisme des formes et des pratiques de l’architecte. Le projet d’architecture est aussi éthique. Ethique parce qu’il s’inscrit dans l’intérêt général, ses dimensions cognitives sont bien au delà de sa propre condition disciplinaire dont les objectifs visent un équilibre entre développement, protection, préservation et prévention. Les pratiques de l’architecte s’inscrivent donc dans une visée politique, c’est à dire comme un projet global, et donc forcement complexe, qui prend place dans les processus imbriqués du développement urbain. Esthétique, éthique et politique constituent les trois dimensions d’une stratégie de projet dont les enjeux travaillent sur la durabilité et la désirabilité et les objectifs sur une approche écologique sociale, environnementale et économique. La durabilité parce que les processus de développement du capitalisme avancé produisent la dégénérescence irréversible de son propre système. La désirabilité parce qu’aucun projet, même environnemental, ne peut prolonger les conditions de survie et d’asservissement à une société de contrôle dans le mépris du genre humain. Faire avec amour est peut-être le moyen de produire plus de bonheur.

106 Un appel international contre les dangers des pollutions chimiques, LE MONDE, ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 08.05.04 107 L’éthique des incertitudes selon Edgar Morin, LE MONDE, ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 05.11.04

83

La notion de projet est en question, elle articule une réflexion sur ses invariants (enjeux / objectifs / méthode / fiction / théorie) et sur ses pratiques. La pratique de l’architecte est conditionnée par son propre environnement professionnel et aux contraintes exercées par une société qui, dans une volonté délirante de maîtrise et de contrôle, de rentabilité à court terme et de profit, valorise les pratiques de gestion au détriment de la conception. L’environnement professionnel de l’architecte est imbriqué aux dérives mass-médiatiques du capitalisme avancé mais il est aussi déconnecté de la réalité de ce capitalisme avancé : L’idéologie moderne, avec les outils qui lui sont associés, est toujours enseignée en ce début de XXI ème siècle. L’univers fictionnel du projet se replie dans sa virtualité et peine à faire évoluer son propre environnement technologique, méthodologique et théorique vers un principe de réalité. Comment les pratiques de l’architecte peuvent-elles converger avec la nécessaire pratique du projet dans ses réalités multi-dimensionnelle, multi-temporelle et multi-disciplinaire, autrement dit, avec le projet complexe ? Les pratiques de l’architecte et non de l’architecture, parce qu’il s’agit d’une réflexion sur les mutations et le devenir d’une profession, celle d’architecte, prenant en compte de sa spécificité dont l’assise est le projet dans ses dimensions culturelles, théoriques et techniques. Les pratiques de l’architecte et non les métiers, parce qu’il s’agit de penser la profession non pas comme un ensemble de savoirs faire à priori transmis par la tradition orale (l’enseignement), mais comme une dynamique de projet qui intègre une démarche stratégique lui assurant un rapport dialectique avec les mutations sociétales. Si le développement durable nous paraît indissociable des dispositifs de négociation, et, dans l’objectif du passage de l’idéologique au doctrinale nous semble devoir articuler des dispositifs d’émergence du disensus et de la différencialité inhérente à tout établissement humain, il nous paraît aussi fondamental d’avoir conscience que ce sont ces mêmes dispositifs qui, récupérés par le Capitalisme, fondent des pratiques de pouvoir totalitaire basés sur :

- l'amalgame volontaire entre information, consultation et concertation selon une idéologie de la transparence qui entretient soigneusement les zones d’ombre nécessaires.

- « l’injonction participative » et l’exigence de l’inaccessible niveau de professionnalisme assigné aux singularités quelconques sur des domaines induits.

- des logiques de compromission des acteurs pris dans un dispositifs de validation totalement géré pour aboutir aux résultats attendus.

- le déni de la responsabilité politique reportée, par le processus du partage, sur les acteurs de la concertation.

- la validation et l’obtention d’un consensus par la neutralisation des énergies contradictoires dans un processus descendant se donnant l’air d’un processus ascendant.

- la récupération d’un idéal démocratique démagogique pour faire avancer les pratiques de management et de marketing urbain, de management et de marketing politique dans une société où l’offre précède la demande, faisant de l’adaptabilité de l’homme aux conditions imposées l’enjeu des techniques de dressage.

Sur la méthode de la méthode du DD et de la gouvernance, retenons le caractère heuristique comme fondement méthodologique pour éviter tout dérive de contrôle. Nous préférerions les processus déduits qui se fabriquent dans un temps long et qui apprend de ces erreurs à une logique induite par un pouvoir insidieux, aveugle et totalitaire.

84

BIBLIOGRAPHIE DU MEMOIRE

Ouvrages ADORNO, Theodor, Minima Moralia, réflexions sur la vie mutilée, PETITE BIBLIOTHEQUE

PAYOT, 2001, PARIS, 1ère édition SUHRKAMP VERLAG, FRANKFURT am MAIN, 1951

ANDREANI, Tony, Un être de raison, critique de l’homo oeconomicus, Ed. SYLLEPSE, PARIS,

2000

ARGAN, Giulio Carlo, Projet et destin, Art, architecture, urbanisme, LES EDITIONS DE LA

PASSION, PARIS, 1993, ed. originale : Progetto e destino

ASCHER, François, Les nouveaux principes de l’urbanisme, L’AUBE, essai, poche PARIS 2004,

1ère ed. 2001

BACQUE, Marie-Hélène (dir), et alii, Gestion de proximité et démocratie participative, une

perspective comparative, LA DECOUVERTE/RECHERCHES, PARIS 2005

BELLIER S., et alii, Le e-management, vers l’entreprise virtuelle ?, L’impact des TIC sur

l’organisation et la gestion des compétences, coll. Entreprise et carrières, ed. LIAISONS, CEGOS,

PARIS, 2002

BERDOULAY Vincent, SOUBEYRAN Olivier, L’écologie urbaine et l’urbanisme, aux fondements

des enjeux actuels, préf. De M. RONCAYOLO, ed LA DECOUVERTE, PARIS, 2002, 268 p

BINDE, Jérôme (sous la direction de), Les clés du XXIè siècle, SEUIL, éditions UNESCO, PARIS,

avril 2000

BOLTANSKI, Luc et CHIAPELLO, Eve, Le Nouvel Esprit du Capitalisme, GALLIMARD, 1999

BONNEWITZ, Patrice, Classes sociales et inégalités, stratification et mobilité, ed. BREAL, coll.

Thèmes & débats, ROSNY, juillet 2004, 127 p

BOULLIER, Dominique, L’urbanité numérique, essai sur la troisième ville en 2100,

L’HARMATTAN, PARIS, 1999

BOUTINET, Jean-Pierre, Anthropologie du projet, Editions QUADRIGE Manuels / PUF, PARIS 2005, 1ère

ed. PUF, 1990

CASTELLS, Manuel, La société en réseaux, Fayard, 1998, PARIS, 1ere éd : The Rise of the Network Society,

Blackwell Publishers, Oxford, 1996

CEFAÏ Daniel, PASQUIER Dominique (dir), Les sens du public, Publics politiques, publics

médiatiques, CURAPP/PUF, 2003

CHIAPELLO, Eve, Artiste versus Manager, METAILIE, 1998, PARIS

DAVIS, Mike, City of Quartz, Los Angeles, capital du futur, LA DECOUVERTE / POCHE, PARIS,

2000

DE GAULEJAC, Vincent, La société malade de la gestion, idéologie gestionnaire, pouvoir

85

managerial et harcèlement social, coll. Economie humaine, SEUIL, PARIS, janvier 2005

DEBORD, Guy, La société du spectacle, GALLIMARD, Folio, PARIS, 1992, 1ere éd : Editions Champ

Libre, PARIS, 1971

DELEUZE, Gilles, Foucault, EDITIONS DE MINUIT, 1986, PARIS

DELEUZE, Gilles, Pourparlers, EDITIONS DE MINUIT, 1990, PARIS

DONZELOT Jacques, et alii, Faire société, la politique de la ville aux Etats-Unis et en France,

SEUIL, coll. La couleur des idées, PARIS, Janvier 2003

EHRENBERG, Alain, La fatigue d’être soi, dépression et société, Editions ODILE JACOB, 1998

FITOUSSI, Jean-Pierre ; ROSANVALLON Pierre, Le nouvel âge des inégalités, Points / essais,

SEUIL, avril 1996

FOUCAULT, Michel, Surveiller et Punir, naissance de la prison, GALLIMARD 1998, 1ère édition,

Gallimard 1975

FOUCAULT, Michel, Histoire de la sexualité I, La volonté de savoir, GALLIMARD 2003, 1ère édition,

Gallimard 1976

FRIEDMAN, Yona, Utopies réalisables, pour la nouv. ed : L’ECLAT 2000, PARIS, 1ère ed : 1974

FRIEDMAN, Yona, L’architecture de survie, une philosophie de la pauvreté, L’ECLAT, 2003,

PARIS

GUATTARI, Felix, Les trois écologies, GALILEE, 1989, 1ère édition

GORZ, André, L’immatériel, GALILEE, PARIS, 2003

HABERMAS, Jürgen, Raison et légitimité, problèmes de légitimation dans le capitalisme avancé, PAYOT,

PARIS, 1978

HABERMAS, Jürgen, La technique et la science comme idéologie, GALLIMARD, PARIS, 1973.

1ere ed : Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1968

JANCOVICI, Jean-Marc, L’avenir climatique, quel temps ferons nous ?, Points, SEUIL, PARIS,

2002

KLEIN, Naomi, No Logo, la tyrannie des marques, ed. BABEL, ACTES SUD, PARIS, 2002, traduit

de l’anglais par Michel Saint Germain, titre original : No Logo, ed. Alfred A. Knopf Canada, Toronto,

2000

KUNDERA, Milan, Le rideau, essai en sept parties, GALLIMARD, PARIS, 2005

LEFEBVRE, Henri, Le droit à la ville, suivi de Espace Politique, coll. Points, ed. ANTHROPOS,

1968

LEFEBRE, Henri, Vers le cybernanthrope – Contre les technocrates, coll. Médiations, DENOEL /

GONTHIER, PARIS, 1967-1971.

LEFEBRE, Henri, éléments de rythmanalyse – Introduction à la connaissance des rythmes,

SYLLEPSE, PARIS, 1992

LEFORT, Claude, Essais sur le politique, XIXe – XXe siècles, Points / essais , SEUIL, PARIS, 1986

LE GOFF, Jean-Pierre, La Barbarie Douce, La modernisation aveugle des entreprises et de l’école , La Découverte,

86

PARIS, 1999

LE GOFF, Jean-Pierre, La démocratie post-totalitaire, LA DECOUVERTE / Poche, PARIS, 2002

LEVY, Pierre, L’intelligence collective, pour une anthropologie du cyberspace, LA DECOUVERTE /

Poche, PARIS, 1997

MARCON, Christian et MOINET Nicolas, La stratégie-réseau, essai de stratégie, ed. 00h00.com, ,

PARIS, 2000

MATTELART, Armand, L’invention de la communication, LA DECOUVERTE / POCHE, coll. Sciences

humaines et sociales, 1997, 1ère édition, 1994

MENDEL, Gérard, L’acte est une aventure, du sujet métaphysique au sujet de l’actepouvoir, éd. LA

DECOUVERTE, PARIS, 1998

MORIN, Edgar, Relier les connaissances, SEUIL, PARIS, 1999

MORIN, Edgar, Introduction à la pensée complexe, ESF éditeur, PARIS, 1990

MORIN, Edgar, Pour entrer dans le XXIe siècle, Points / essais, SEUIL, PARIS, 2004, 1ere ed : Pour sortir

du XXe siècle, NATHAN, PARIS, 1981

NEGRI, Antonio et HARDT, Michael, Empire, 10/18, PARIS, 2000, traduit par D.A. CANAL, ed. orig,

HARVARD UNIVERSITY PRESS, 2000

PAUGAM Serge, Les formes élémentaires de la pauvreté, PUF, coll. Le lien social, PARIS, mars

2005, 276 p

PEZEU-MASSABUAU, Jacques, La maison espace social, coll. Espace et liberté, ed. PUF, PARIS,

1983

PILLON, Véronique, Normes et déviances, ed. BREAL, coll. Thèmes & débats, ROSNY, janvier

2005, 125 p

POPPER, Karl, La connaissance objective une approche évolutionniste, Champs, FLAMMARION,

PARIS, 1991, ed originale : Objective Knowledge, 1972

PROST, Robert, Inventer, Concevoir, Créer, L’HARMATTAN, coll. Villes et entreprises, PARIS,

1995

RIESEL, René, Du progrès dans la domestication, Ed. DE L’ENCYCLOPEDIE DES NUISANCES,

PARIS, 2003

RIFKIN, Jeremy, (préface de Michel ROCARD), La Fin du Travail, LA DECOUVERTE / Poche,

PARIS, 1996. 1ere ed : The End of Work : The Decline of the Global Labor Force and the Dawn of the

Post-Market Era, P. Tarcher / G.P. Putnam’s Sons, N.Y., 1995

SCHNAPPER, Dominique, Qu’est-ce que la citoyenneté ?, GALLIMARD, coll. Folio actuel, PARIS, 2000

SENETT, Richard, Le travail sans qualités, les conséquences humaines de la flexibilité, A. Michel,

10/18, PARIS, 2000, ed orig. : 1998

SFEZ, Lucien, Critique de la communication, SEUIL, coll. La couleur des idées, PARIS, 1990, 1ère

éd. 1988.

SLOTERDIJK, Peter, Ni le soleil ni la mort, jeu de piste sous forme de dialogues avec Hans-Jürgen

87

Heinrichs, HACHETTE Littératures, 2003, PARIS, 1ère édition : Die Sonne und der Tod. Dialogische

Untersuchungen, SUHRKAMP VERLAG FRANKFURT am MAIN 2001

SLOTERDIJK, Peter, Règles pour le parc humain, MILLE ET UNE NUITS, PARIS, 2000

SLOTERDIJK, Peter, La mobilisation infinie, vers une critique de la cinétique politique, Seuil, 2000. 1ere ed : Eurotaoismus, Zur Kritik der politischen Kinetik, SUHRKAMP VERLAG, FRANKFURT am MAIN, 1989