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Manifestations cutanées des leucémies Skin manifestations in leukemias S. Mansouri, S. Aractingi * Unité de dermatologie, Hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France MOTS CLÉS Hémopathies malignes ; Manifestations cutanées ; Leucémie ; Lésions spécifiques ; Syndromes myélodysplasiques ; Dermatoses neutrophiliques ; Sweet ; Vasculite ; Infections cutanées KEYWORDS Skin manifestations; Leukemia; Specific skin manifestations; Myelodysplastic syndrome; Angeitis; Neutrophilic dermatoses; Sweet; Cutaneous infections Résumé Les manifestations cutanées associées aux hémopathies malignes sont extrême- ment diverses. Leur reconnaissance par le dermatologue ou le médecin traitant a un double intérêt. D’une part, elles permettent parfois le diagnostic d’une hémopathie méconnue et d’autre part, certaines lésions cutanées peuvent signifier un tournant pronostique de l’hémopathie maligne. Ces manifestations cutanées sont classées en quatre catégories : les lésions spécifiques, les lésions dites « satellites » ou paranéopla- siques, les infections cutanées, et les lésions secondaires aux chimiothérapies. La présentation clinique, histologique et immunohistochimique de ces manifestations est d’une extrême richesse. Les lésions spécifiques sont souvent de diagnostic facile, mais elles peuvent revêtir parfois un aspect trompeur, surtout dans les syndromes myélodys- plasiques. Les manifestations « satellites » sont dominées par les dermatoses neutrophi- liques et les vasculites. Les infections cutanées se présentent souvent de façon atténuée à cause de la neutropénie. Il ne faut pas hésiter à multiplier les biopsies pour examen histologique, bactériologique, virologique et mycologique chez les patients présentant une hémopathie maligne. © 2003 Publié par Elsevier SAS. Abstract Skin manifestations in patient with malignant hematology diseases are very diverse. Knowledge of these manifestations is important in clinical practice. On one hand, it permits the diagnosis of an unknown malignant hematology diseases, and on the other hand, certain skin lesions can alter the prognosis or therapeutic approach in known disease. These skin manifestations can be split into four categories : specific skin lesions, “satellite” or paraneoplastic lesions, skin infections, and skin lesions induced by chemo- therapy. The clinical, and histological aspects of these manifestations are very rich indeed. The specific skin manifestations are often easily diagnosed, but can be mistaken for cases of myelodysplastic syndromes. The satellite manifestations are characterized by neutrophilic dermatoses and vasculitis.The skin infections may be misleading as a result of the neutropenia. Skin biopsy should be repeat for histological, bacteriological, virolo- gical, and mycological examinations in patient with malignant hematology diseases. © 2003 Publié par Elsevier SAS. Introduction Les manifestations cutanées associées aux hémopa- thies malignes ne constituent pas une rareté réser- vée aux seuls centres hospitaliers ou aux spécialis- tes. En effet, plusieurs types d’hémopathies tant myéloïdes que lymphoïdes (leucémie lymphoïde chronique, anémie réfractaire...) sont surveillées par les médecins en ambulatoire. La bonne connais- sance de ces manifestations cutanées est intéres- sante pour deux grandes raisons. D’une part, cer- taines lésions cutanées peuvent révéler une * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Aractingi). EMC-Dermatologie Cosmétologie 1 (2003) 87–96 www.elsevier.com/locate/emcdc © 2003 Publié par Elsevier SAS. doi: 10.1016/j.emcdc.2003.11.003

Manifestations cutanées des leucémies

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Manifestations cutanées des leucémies

Skin manifestations in leukemias

S. Mansouri, S. Aractingi *Unité de dermatologie, Hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France

MOTS CLÉSHémopathiesmalignes ;Manifestationscutanées ;Leucémie ;Lésions spécifiques ;Syndromesmyélodysplasiques ;Dermatosesneutrophiliques ;Sweet ;Vasculite ;Infections cutanées

KEYWORDSSkin manifestations;Leukemia;Specific skinmanifestations;Myelodysplasticsyndrome;Angeitis;Neutrophilicdermatoses;Sweet;Cutaneous infections

Résumé Les manifestations cutanées associées aux hémopathies malignes sont extrême-ment diverses. Leur reconnaissance par le dermatologue ou le médecin traitant a undouble intérêt. D’une part, elles permettent parfois le diagnostic d’une hémopathieméconnue et d’autre part, certaines lésions cutanées peuvent signifier un tournantpronostique de l’hémopathie maligne. Ces manifestations cutanées sont classées enquatre catégories : les lésions spécifiques, les lésions dites « satellites » ou paranéopla-siques, les infections cutanées, et les lésions secondaires aux chimiothérapies. Laprésentation clinique, histologique et immunohistochimique de ces manifestations estd’une extrême richesse. Les lésions spécifiques sont souvent de diagnostic facile, maiselles peuvent revêtir parfois un aspect trompeur, surtout dans les syndromes myélodys-plasiques. Les manifestations « satellites » sont dominées par les dermatoses neutrophi-liques et les vasculites. Les infections cutanées se présentent souvent de façon atténuéeà cause de la neutropénie. Il ne faut pas hésiter à multiplier les biopsies pour examenhistologique, bactériologique, virologique et mycologique chez les patients présentantune hémopathie maligne.© 2003 Publié par Elsevier SAS.

Abstract Skin manifestations in patient with malignant hematology diseases are verydiverse. Knowledge of these manifestations is important in clinical practice. On one hand,it permits the diagnosis of an unknown malignant hematology diseases, and on the otherhand, certain skin lesions can alter the prognosis or therapeutic approach in knowndisease. These skin manifestations can be split into four categories : specific skin lesions,“satellite” or paraneoplastic lesions, skin infections, and skin lesions induced by chemo-therapy. The clinical, and histological aspects of these manifestations are very richindeed. The specific skin manifestations are often easily diagnosed, but can be mistakenfor cases of myelodysplastic syndromes. The satellite manifestations are characterized byneutrophilic dermatoses and vasculitis.The skin infections may be misleading as a resultof the neutropenia. Skin biopsy should be repeat for histological, bacteriological, virolo-gical, and mycological examinations in patient with malignant hematology diseases.© 2003 Publié par Elsevier SAS.

Introduction

Les manifestations cutanées associées aux hémopa-thies malignes ne constituent pas une rareté réser-

vée aux seuls centres hospitaliers ou aux spécialis-tes. En effet, plusieurs types d’hémopathies tantmyéloïdes que lymphoïdes (leucémie lymphoïdechronique, anémie réfractaire...) sont surveilléespar les médecins en ambulatoire. La bonne connais-sance de ces manifestations cutanées est intéres-sante pour deux grandes raisons. D’une part, cer-taines lésions cutanées peuvent révéler une

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(S. Aractingi).

EMC-Dermatologie Cosmétologie 1 (2003) 87–96

www.elsevier.com/locate/emcdc

© 2003 Publié par Elsevier SAS.doi: 10.1016/j.emcdc.2003.11.003

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hémopathie méconnue permettant un diagnosticprécoce et donc une prise en charge adéquate.D’autre part, chez un malade ayant une hémopa-

thie connue, certaines de ces manifestations doi-vent faire rechercher un tournant évolutif de l’hé-mopathie, ce qui implique un pronostic plus sombrenécessitant parfois une modification de l’attitudethérapeutique. Les manifestations cutanées asso-ciées aux hémopathies malignes peuvent être clas-sées en quatre catégories que l’on conservera ici :

• les lésions spécifiques ;• les lésions « satellites » ou lésions paranéopla-siques ;

• les lésions secondaires aux chimiothérapies ;• les lésions infectieuses.

Lésions spécifiques

Elles sont définies par la présence à l’examen his-tologique cutané d’un infiltrat de cellules hémato-poïétiques malignes dans le derme, l’hypodermeet/ou l’épiderme.

Hémopathies myéloïdes

Formes typiquesElles sont caractérisées par des tumeurs, des nodu-les ou papulonodules ou par des plaques infiltrées,à surface lisse et de couleur rosée (Fig. 1). Leurnombre et leur localisation sont variables en fonc-tion du type et de la gravité de la maladie .9

Parfois, les lésions sont encore plus particulièresavec comme exemple typique la leucémie aiguëmyélomonocytaire (LAM 4) où il existe dans près de80 % des cas une hyperplasie gingivale diffuse liée àune infiltration maligne. Devant tous ces aspects,le diagnostic de lésions tumorales est facile à évo-quer. Si l’hémopathie était connue, l’histologieconfirme le diagnostic en mettant en évidence uninfiltrat dermique modéré ou dense de cellulesavec un aspect cytologique identique à celui del’hémopathie myéloïde déjà connue. Cet infiltratprédomine souvent au niveau périvasculaire et pé-riannexiel et épargne le derme papillaire sus-épidermique. Si la biopsie est profonde, une at-teinte hypodermique est souvent notée. Sil’hémopathie n’était pas connue, la biopsie peutêtre difficile à interpréter. Le diagnostic reposealors sur les immunomarquages qui permettront demieux préciser l’origine de l’infiltrat. L’expressionsimultanée des marqueurs CD45, CD43, CD74, lyso-zyme, et myéloperoxidase est fortement évoca-trice du diagnostic de lésions spécifiques d’uneleucémie myéloïde.8

Formes atypiquesLa difficulté provient malheureusement des formescliniques atypiques. Celles-ci sont plutôt l’apanagedes hémopathies myéloïdes, au cours desquellespeuvent survenir des lésions spécifiques qui n’ontpas l’aspect classique de tumeurs mais parfois debulles (Fig. 2) de nécrose, de nouures, de prurigo,de cutis verticis gyrata, de purpura ou d’hémato-mes. Parfois, le tableau clinique est celui d’uneéruption maculopapuleuse disséminée pouvant si-muler une éruption virale ou une toxidermie.8 Lediagnostic peut alors longtemps errer, surtout sil’hémopathie était inconnue ou bien contrôlée dansla moelle et le sang circulant. La fréquence desformes spécifiques cliniquement trompeuses estparticulièrement élevée dans les localisations cuta-nées des syndromes myélodysplasiques.2 La mise enévidence de lésions cutanées spécifiques est pour-tant très importante dans les myélodysplasies carelles sont quasiment toujours annonciatrices detransformation aiguë dans les 3 mois suivants etreprésentent donc un symptôme à savoir prendreen compte.2 Savoir répéter les biopsies et se méfierde lésions cutanées d’allure banale ou pseudo-infectieuse est donc une règle de bonne pratiqueclinique à garder à l’esprit chez des patients avecune myélodysplasie.De même, dans les syndromes hyperéosinophili-

ques primitifs, des lésions spécifiques trompeuses

Figure 1 Localisations spécifiques d’une leucémie aiguë myélo-monocytaire (LAM) avec multiples tumeurs cutanées.

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ont été décrites, notamment à type de vasculite oud’érosions pluriorificielles.3 Il faut donc être avertide la possibilité que des lésions de présentationdiverse et inattendue révèlent des hématodermieset envisager une biopsie avec immunomarquage.14

Hémopathies lymphoïdes

Les localisations cutanées des hémopathies lym-phoïdes se présentent pour l’immense majoritéd’entre elles comme des tumeurs. Parfois, le cen-tre de celles-ci peut se nécroser. Néanmoins, deuxtypes cliniques de localisations particulières d’hé-mopathies lymphoïdes méritent d’être soulignés.Tout d’abord celle de l’atteinte cutanée des lym-phomes T de type lymphadénopathie angio-immunoblastique (LAID). Des lésions cutanées spé-cifiques sont en effet présentes dans 40 % des LAID.Il s’agit certes d’un lymphome rare, mais la peau yest annonciatrice du diagnostic dans un tiers descas de cette maladie ; faisant du dermatologue l’undes médecins principaux dans la reconnaissance decette affection. Or, l’aspect n’est pas celui detumeurs, mais d’un exanthème maculopapuleuxmorbilliforme, infiltré, pseudotoxidermique(Fig. 3). La particularité de cette éruption devantfaire évoquer le diagnostic est qu’elle se prolongesans qu’il y ait de cause médicamenteuse, avec

apparition progressive de signes généraux. Il fautalors songer à cette hypothèse afin d’alerter l’ana-tomopathologiste qui lira la biopsie cutanée car lesaspects initiaux sont trompeurs, mettant en évi-dence un infiltrat lymphoïde et une hyperplasievasculaire. La seconde localisation cutanée d’hé-mopathie qu’il faut connaître est celle de la leucé-mie lymphoïde chronique B qui se caractérise parune curieuse infiltration violine des oreilles et dunez secondaire à l’envahissement tumoral duderme.Reconnaître une localisation cutanée spécifique

a deux intérêts. Tout d’abord, celui d’identifierune hémopathie jusque-là inconnue devant le déve-loppement de lésions cutanées (exemple : unepseudoectodermose révélant un syndrome hyper-éosinophilique inconnu ou un exanthème permet-tant d’identifier une LAID). Mais la prise en charge,et donc éventuellement le traitement de maladesayant une hémopathie déjà connue, peuvent êtremodifiés par le diagnostic et la reconnaissance delésions cutanées spécifiques. Cela est vrai dans lecas des hémopathies myéloïdes puisque la survenuede lésions cutanées spécifiques est alors synonymed’une aggravation majeure du pronostic (avec parexemple une survie deux fois plus courte pour desLAM s’il y a une atteinte cutanée spécifique).13

Cette gravité fait proposer à certains auteurs destraitements différents en cas de LAM avec lésionscutanées tumorales. Enfin, il faut savoir que leslésions cutanées spécifiques des LAM sont souvent

Figure 2 Bulles spécifiques d’une leucémie aiguë myélomonocy-taire (LAM). L’histologie met en évidence un œdème intense à lajonction dermoépidermique avec de manière sous-jacente denombreux myéloblastes.

Figure 3 Exanthème maculopapuleux trompeur spécifiqued’une lymphadénopathie angio-immunoblastique.

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plus résistantes à la chimiothérapie que l’atteintemédullaire, et peuvent être source d’échec théra-peutique et de rechutes.

Lésions satellites

Le terme de « satellite » est utilisé ici pour décriredes lésions qui surviennent plus fréquemment encas d’hémopathie maligne, quel que soit leur profilévolutif. En effet, le terme de syndrome paranéo-plasique évoque plus précisément des lésionsd’évolution parallèle à l’hémopathie. Comme pourles lésions cutanées spécifiques, les lésions satelli-tes peuvent révéler une hémopathie inconnue etpermettre donc un diagnostic précoce. Mais ellespeuvent aussi révéler une modification de l’allureévolutive de l’hémopathie, ce qui peut déboucherparfois sur des modifications thérapeutiques. Lesdifférentes lésions cutanées satellites sont classéesselon le Tableau 1.

Dermatoses neutrophiliques

Elles regroupent essentiellement le syndrome deSweet, le pyoderma gangrenosum, l’hidradéniteeccrine neutrophilique, l’erythema elevatum diuti-num et le syndrome de Sneddon-Wilkinson.5 Toutesces maladies sont caractérisées par la présence àl’examen histologique d’un infiltrat dermique quasiexclusivement constitué de polynucléaires neutro-philes matures, sans cause infectieuse sous-jacente. Leur pathogénie est inconnue, mais desthéories nouvelles ont été proposées (cf. infra). Lesdermatoses neutrophiliques peuvent s’observer endehors de toute association morbide, mais leursurvenue est plus fréquente au cours des hémopa-thies myéloïdes (leucémie aiguë myéloblastique,syndromes myéloprolifératifs, syndromes myélo-dysplasiques). Lorsque l’hémopathie est une myé-lodysplasie, il a été montré que les dermatosesneutrophiliques étaient prédictives d’une aggrava-tion du pronostic avec une évolution sévère dans les7 mois.

Syndrome de SweetHuit à 13 % des syndromes de Sweet sont associés àune hémopathie myéloïde.5 Dans 11 % des cas, cesyndrome précède l’hémopathie, ce qui démontrel’importance de son diagnostic précoce. Dans laforme classique, les lésions cutanées sont consti-tuées de papules ou de plaques œdémateuses etérythémateuses, infiltrées, dermiques et hypoder-miques, bien limitées, à extension centrifuge. Ceslésions sont douloureuses, uniques ou multiples etsiègent préférentiellement sur le visage, la nuque,

la face postérieure des avant-bras, le dos des mainset des doigts, les membres inférieurs, le thorax ousur des cicatrices. Une fièvre est souvent contem-poraine. Dans le cas d’un syndrome de Sweet asso-cié à une hémopathie, le tableau clinique peut êtremoins franc, avec parfois la présence de lésionsbulleuses et/ou pustuleuses ou ulcérées, notam-ment aux membres supérieurs, et l’absence defièvre. Une anémie y est très fréquente. L’examenhistologique est indispensable et confirme le dia-gnostic en retrouvant un œdème et un infiltratneutrophilique dermique sans vasculite.

Devant un syndrome de Sweet chez un individun’ayant pas d’hémopathie connue, la recherche decelle-ci doit être systématique. Enfin, il faut signa-ler que des syndromes de Sweet induits par desfacteurs de croissance ou des rétinoïdes ont étérapportés chez des patients ayant des hémopathiesmyéloïdes. L’hypothèse proposée est la mobilisa-

Tableau 1 Dermatoses « satellites » des hémopathies.

Dermatoses neutrophiliquesSweetHidradénite eccrine neutrophilique (HEN)Pyoderma gangrenosumErythema elevatum diutinumSneddon-WilkinsonManifestations vasculairesVasculitesLivedoÉrythromélalgiePhlébites superficiellesUlcères de jambeLividiose acraleCoagulation intravasculaire disséminée (CIVD)Polychondrite chronique atrophianteAutres manifestations de mécanisme inconnuPrurit et prurigoIchtyosePemphigus paranéoplasiqueHyperpigmentationÉrythème noueuxÉrythème annulaire centrifugeMucinose papuleuse et sclérœdème de Buschke (myélome)Syndrome POEMSXanthogranulome nécrobiotiqueManifestations liées au dépôt d’une immunoglobulinemonoclonaleAmylose cutanéeCryoglobulinémiesDépôts de chaînes légères : RandallHyperkératose folliculaire des extrémités (myélome)Manifestations liées aux activités anticorps d’une immu-noglobuline monoclonaleXanthomes normolipémiquesBulloses auto-immunesSyndrome de Schnitzler

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tion des précurseurs des neutrophiles par le facteurde croissance.10

Plusieurs publications récentes ont porté sur desobservations de malades ayant une hémopathiemyéloïde et des dermatoses neutrophiliques oùl’infiltrat n’était pas constitué que de neutrophilesmatures. Il y avait en effet dans ces cas la présencede cellules myéloïdes à plusieurs âges allant decellules jeunes au polynucléaire neutrophile. Enoutre, il a été rapporté des observations de derma-tose neutrophilique avec la même anomalie caryo-typique dans les neutrophiliques que celle retrou-vée dans les blastes. Enfin, la clonalité desneutrophiles a également été montrée dans un cas.Tout cela laisse penser que dans les leucémiesmyéloblastiques, les dermatoses neutrophiliquespourraient être la conséquence d’une différencia-tion clonale des myéloblastes tumoraux. Les cellu-les neutrophiles, issues de cette différenciation,garderaient le même tropisme pour la peau que leslignées blastiques.

Hidradénite eccrine neutrophilique (HEN)Cette maladie est significativement associée à laprésence d’une hémopathie myéloïde. La plupartdes cas rapportés ont été observés chez des pa-tients traités par cytarabine pour une LAM. Ellesurvient habituellement dans le cadre d’une LAMconnue et a pour particularité de se développerélectivement en période d’aplasie post-chimiothé-rapie ; si bien qu’il existe un paradoxe inexpliquéde voir se développer dans le derme des infiltratsstériles à polynucléaires neutrophiles chez des pa-tients profondément neutropéniques. L’hidradé-nite eccrine se caractérise par des plaques ou desnodules érythémateux et œdémateux uni- ou bila-téraux fréquemment périorbitaires (Fig. 4). Cepen-dant, l’HEN et le syndrome de Sweet peuvent avoirdes aspects cliniques identiques. L’examen histolo-

gique, là encore indispensable, permet le diagnos-tic en démontrant que les neutrophiles sont dispo-sés électivement autour des canaux et des glandessudorales eccrines. L’évolution est spontanémentfavorable en 1 à 2 semaines. Enfin, il est à noterque des HEN ont été rapportées avec d’autres typesde tumeur que des hémopathies et avec d’autreschimiothérapies (bléomycine, cyclophosphamide,anthracyclines).

Pyoderma gangrenosum (PG)À la différence des syndromes de Sweet et de l’HENqui sont essentiellement associés à des hémopa-thies myéloïdes, le pyoderma gangrenosum peutêtre associé à des hémopathies myéloïdes et lym-phoïdes. Cinquante pour cent des PG sont associés àune autre pathologie dont ils sont parfois révéla-teurs, essentiellement des leucémies aiguës, dessyndromes myélodysplasiques et myéloproliféra-tifs, des dysglobulinémies monoclonales à IgA, avecou sans myélome et plus rarement des lymphomes.La forme typique est caractérisée par une ulcéra-tion superficielle, à fond sale, avec une bordurecirculaire d’aspect inflammatoire et ferme, tailléeà pic, et creusée de petits clapiers pustuleux. L’ul-cération s’étend de façon centrifuge et l’évolutionse fait vers une lente et inesthétique cicatrisationen plusieurs mois. L’examen histologique est là peuspécifique.

Erythema elevatum diutinumIl s’agit d’une maladie très rare mais qui peutnéanmoins être associée aux hémopathies myéloï-des ou à certains myélomes à IgA. Les lésions clini-ques sont très évocatrices du diagnostic, caractéri-sées par des papulonodules siégeant électivementsur le dos des articulations des doigts des mains, lescoudes et les genoux. L’examen histologique estassez spécifique, montrant un infiltrat dermique depolynucléaires neutrophiles, de la nécrose fibri-noïde et une vasculite.

Syndrome de Sneddon-Wilkinson (pustulosesous-cornée de Sneddon-Wilkinson)Le syndrome de Sneddon-Wilkinson est une derma-tose neutrophilique fréquemment associée à unegammapathie monoclonale à IgA pouvant corres-pondre parfois à un authentique myélome. Il n’y apas d’association entre cette dermatose et deshémopathies myéloïdes. Cliniquement, il s’agit delésions pustuleuses de grande taille, localisées pré-férentiellement sur le tronc et en particulier dansles gros plis. À l’intérieur de chaque pustule, leniveau de pus est horizontal et bien visible (« pus-tule à hypopion »). Les pustules évoluent en sedesséchant vers la formation de croûtes mélicéri-

Figure 4 Placards inflammatoires périorbitaires évocateursd’une dermatose neutrophilique particulière, l’hidradénite ec-crine neutrophilique.

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ques puis vers des cicatrices pigmentées. L’examenhistologique montre une pustule amicrobiennesous-cornée remplie de polynucléaires neutrophileset de quelques éosinophiles qui surmontent un épi-derme non modifié.Le traitement de ces dermatoses neutrophiliques

dépend de leur étendue, des symptômes générauxassociés et de leur évolution, mais repose souventsur une corticothérapie générale.

Manifestations vasculaires

Elles sont essentiellement l’apanage des hémopa-thies myéloïdes.

LivedoIl s’agit de marbrures roses ou violacées ressem-blant aux mailles d’un filet et associées fréquem-ment aux thrombocytémies et aux polyglobulies.

ÉrythromélalgieIl s’agit d’un trouble vasomoteur paroxystique sur-venant à la chaleur et se manifestant par la surve-nue de rougeurs des extrémités accompagnées debrûlures et de douleurs pulsatiles. Elle peut êtreidiopathique mais après 40 ans, elle doit faire re-chercher un syndrome myéloprolifératif, en parti-culier une polyglobulie (27 % des polyglobulies) ouune thrombocytémie.

Phlébites superficiellesElles peuvent se voir dans les polyglobulies (6 % descas).

Ulcères de jambeCertains ulcères de jambe peuvent se voir dans laleucémie myéloïde chronique.

Lividiose acraleIl s’agit d’une manifestation exceptionnelle qui secaractérise par des plaques nécrotiques, en parti-culier des extrémités. Elle est consécutive à desthrombi de cellules myéloblastiques qui sont descellules peu déformables. Elles sont donc parfoisobservées dans des LAM très hyperleucocytaires(> 100 000 blastes/mm).

Lésions cutanées de coagulation intravasculairedisséminée (CIVD)Elles se manifestent par des plaques nécrotiques encarte de géographie. La CIVD est souvent associéeaux LAM 3.

VasculitesLes vasculites constituent un cadre important desmanifestations satellites des hémopathies bien

qu’un certain nombre de questions sur la réalité deleur association soient encore posées. Dans unerevue de la littérature que firent Greer et al. en1988, 41 cas de vasculites furent mis en évidencepour 75 000 hémopathies alors qu’il n’y avait que11 rapportés pour 889 000 tumeurs solides, mon-trant ainsi que les hémopathies malignes étaientbien plus associées aux vasculites que les cancerssolides.7 Les lésions cutanées sont de trois types :purpura infiltré (Fig. 5), tableau de type périarté-rite noueuse (PAN) avec nodules sous-cutanés ouune urticaire fixe. En histologie, la vasculite estleucocytoclasique dans les neuf cas de cette sériede 13,7 dans tous les cas d’une série11 de 17 et enfindans 18 sur 44 cas de vasculite associée à unemyélodysplasie dans une revue de littérature effec-tué par Pirayech12 en 1997. Des formes granuloma-teuses et des images de vasculite mononucléée sontrapportées moins souvent. Dans leur majorité, lesvasculites associées aux hémopathies précèdent lediagnostic de l’hémopathie. Le délai de précessionest de 2 mois à 3 ans dans la série de Paydas.11 C’estpour cette raison qu’une hémopathie maligne doittoujours être recherchée en cas de vasculite sansétiologie évidente. Dans les syndromes myélodys-plasiques, la présence d’une vasculite est associéeà un pronostic foudroyant.11,12 Dans la littérature,les hémopathies les plus inductrices de vasculitesont la leucémie à tricholeucocytes (18 % des leu-cémies à tricholeucocytes comporteront une vascu-lite) suivie des syndromes myélodysplasiques. Dansune série personnelle, nous avons également cons-taté une nette prédominance des hémopathies lym-phoïdes B (62,5 % de nos 16 hémopathies avecvasculite), de l’image de vasculite leucocytoclasi-que (13 sur 16). De plus, des lésions de vasculiteextracutanée étaient présentes dans un tiers descas. Néanmoins, il faut signaler que dans 88 % desleucémies à tricholeucocytes avec une vasculite,une infection à mycobactéries est retrouvée. Cerésultat, lorsqu’il est mis en parallèle avec le faitque dans toutes les séries publiées, la vasculite

Figure 5 Vasculite purpurique au cours d’une leucémie lym-phoïde chronique.

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n’évolue habituellement pas parallèlement à l’hé-mopathie, fait s’interroger sur le mécanisme de cesvasculites. Ces vasculites sont-elles liées à l’hémo-pathie ou alors, intriquées avec des facteurs infec-tieux ou médicamenteux chez ces individus immu-nodéprimés recevant de nombreux médicaments ?La réponse à cette question reste en suspens.

Polychondrite chronique atrophiante (PCA)

C’est une maladie systémique rare, caractériséepar l’inflammation récidivante du cartilage desoreilles, du larynx, de l’arbre trachéobronchique etdu nez.Elle est associée à des manifestations dermato-

logiques dans 20 à 40 % des cas selon les séries.6 Ceslésions sont dominées par les aphtoses buccales, leslésions nodulaires, le purpura infiltré ou nécroti-que. Les lésions cutanées résultent le plus souventd’une vasculite leucocytoclasique ou d’une throm-bose.6 Dans la série de Francès6 91 % des PCA avecmanifestations cutanées sont associées à une myé-lodysplasie, surtout chez des patients âgés de plusde 60 ans. D’où la nécessité de rechercher unsyndrome myélodysplasique en répétant la numéra-tion formule sanguine devant toute PCA associée àdes lésions cutanées chez un sujet âgé.

Autres manifestations de mécanismeinconnu

Prurit et prurigoIl s’agit d’un symptôme important, parfois associé àune hyperéosinophilie et qui peut révéler une mala-die de Hodgkin ou d’autres lymphomes. Le pro-blème vient du fait que le prurit est un symptômetrès fréquent, le plus souvent isolé, et qu’il estimpossible d’aller rechercher systématiquementdes lymphomes chez tous les malades ayant unprurit ou un prurigo. Il n’y a pas de recette miraclepour résoudre cette difficulté mais l’expériencepragmatique des auteurs est, lorsqu’ils sont face àun malade ayant un prurit :

• d’interroger ces malades sur l’existence desymptômes associés évocateurs de lymphome(amaigrissement, fièvre, sueurs nocturnes) ;

• d’examiner soigneusement à la recherche deganglions et d’hépatosplénomégalie ;

• de faire une radiographie du thorax.La réapparition d’un prurit chez un malade en

rémission complète d’un lymphome doit faire pra-tiquer des investigations complètes à la recherched’une récidive débutante.

Ichtyose acquiseElle est habituellement généralisée, d’intensité va-riable, et confère parfois une certaine odeur âcre à

la peau, siège d’une diminution des sécrétions su-dorales et sébacées. Elle peut être associée avec unlymphome ou un myélome.

Pemphigus paranéoplasiqueIl s’agit d’une maladie bulleuse auto-immune d’in-dividualisation récente, qui reste rare.1 Il s’agitnéanmoins d’un syndrome paranéoplasique associéaux hémopathies lymphoïdes B notamment leucé-mie lymphoïde chronique (LLC), lymphome maisaussi parfois maladie de Hodgkin ou même tumeurde Castleman. Cette maladie est caractérisée pardes lésions vésiculobulleuses érosives et nécroti-ques associées à des lésions maculopapuleuses,parfois en cible et à des papules lichénoïdes dissé-minées. Il existe fréquemment des érosions mu-queuses avec notamment une conjonctivite pseu-domembraneuse. L’examen histologique montreune acantholyse intraépidermique et une vacuoli-sation ou une nécrose des cellules basales. L’immu-nofluorescence (IF) cutanée directe met en évi-dence un dépôt d’IgG et de C3 à la fois au sein del’épiderme et à la jonction dermoépidermique. L’IFcutanée indirecte retrouve la présence d’anticorpsantiépiderme reconnaissant divers substrats dont lapeau humaine, l’œsophage de rat et la vessie hu-maine. L’étude en immunotransfert du sérum desmalades montre la présence d’anticorps reconnais-sant un complexe de quatre antigènes caractéristi-ques. L’évolution est habituellement mortelle mal-gré les traitements.

Manifestations liées au dépôtd’une immunoglobuline monoclonale

Elles sont essentielles à reconnaître dans les hémo-pathies lymphoïdes B. La plus fréquente est de loinl’amylose.

Amylose cutanéeL’atteinte clinique cutanée est présente dans 29 à40 % des cas.4 Les principaux signes cliniques sont lepurpura prédominant au niveau des plis (Fig. 6), despapules cireuses et la classique macroglossie. Maispeuvent exister d’autres signes plus rares telsqu’une fragilité cutanée, des bulles, une alopécie,des placards sclérodermiformes, une onychatro-phie. L’examen histologique cutané retrouve àl’aide des colorations spéciales (rouge Congo, vio-let de Paris, thioflavine T) des dépôts amyloïdesautour des vaisseaux et/ou dans le derme superfi-ciel. Il faut insister sur l’importance de la peaucomme outil diagnostique puisque au-delà de si-gnes cliniques, l’examen de biopsie cutanée ou dela graisse sous-cutanée en peau saine, permet lediagnostic dans 40 et 90 % des cas respectivement.

93Manifestations cutanées des leucémies

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CryoglobulinémiesLes cryoglobulinémies monoclonales de type I(composant monoclonal pur) et de type II (mixtesdont l’un des composants est monoclonal) peuventêtre associées aux syndromes lymphoprolifératifs.Les principales manifestations cutanées sont soitdes signes vasculaires des extrémités (acrocyanose,phénomène de Raynaud voir de véritable nécrosedes extrémités) soit des signes de vasculite (pur-pura vasculaire, nodosités, urticaire, livedo, ulcè-res de jambe...).

Manifestations liées aux activités anticorpsd’une immunoglobuline monoclonale

Il s’agit de manifestations très rares, rencontréesdans certaines hémopathies lymphoïdes B.

Xanthomes normolipémiquesCe sont des maladies exceptionnelles caractériséespar des xanthomes plans associés au myélome no-tamment avec une immunoglobuline monoclonalecapable de se lier à certaines lipoprotéines par sonsite anticorps aboutissant à des complexesimmunoglobuline-lipoprotéines qui peuvent se dé-poser anormalement dans les tissus.

Bulloses auto-immunesCertaines maladies bulleuses auto-immunes de lajonction dermoépidermique ont été démontréesêtre liées à la production par des hémopathies Bd’immunoglobuline monoclonale anti-peau (mala-dies de Waldenström, lymphomes B et LLC).

Syndrome de SchnitzlerIl est caractérisé par une urticaire souvent fixe etdes douleurs osseuses chez des personnes présen-tant une IgM monoclonale avec ou sans macroglo-bulinémie de Waldenström. Une fièvre est possible.En histologie, il existe une vasculite modérée. Lascintigraphie montre une hyperfixation osseuse. Lemécanisme de ces lésions n’est pas encore compris.

Manifestations cutanées secondaires autraitement des hémopathies

Les chimiothérapies ont de fréquents effets secon-daires. Les tissus à renouvellement rapide commela peau, les muqueuses et les phanères sont parti-culièrement concernés. Il s’agit donc de manifesta-tions très fréquentes et les accidents cutanés destraitements sont souvent des diagnostics différen-tiels discutés lors de l’examen d’un patient ayantune hémopathie. Les manifestations cutanées lesplus fréquentes sont les mucites et l’alopécie. Pourles mucites sévères, des préparations locales à basede vitamine E se sont montrées efficaces sur ladouleur. Si l’alopécie et les stomatites sont les pluscourantes, d’autres effets secondaires doivent êtreconnus (Tableau 2).

Lignes de Beau

Ce sont des petites dépressions blanches unguéa-les, transversales, qui sont la conséquence de l’ar-rêt de la synthèse de la kératine de l’ongle lors des

Figure 6 Purpura des paupières au cours d’une amylose.

Tableau 2 Accidents cutanés induits par les traitements deshémopathies.

Accidents liés à la cytotoxicité des traitementsAlopécieStomatite, muciteOnycholyse et lignes de BeauDécollements cutanésAccidents d’hypersensibilitéAnaphylaxie et réactions anaphylactoïdes (asparaginase)- érythème polymorphe- exanthème maculopapuleux- urticaire (asparaginase dans un tiers des cas)Accidents de mécanisme inconnuÉrythème acralHyperpigmentation diffuse ou serpigineuse (bléomycine,cyclophosphamide, fluoro-uracile)Accidents plus spécifiques de certaines moléculesBléomycine : nécroses digitales, toxidermie flagelléeHydroxyurée : ulcères de jambe, pseudodermatomyositeInterférons : nécroses au point d’injection, psoriasis induitsG-CSF : syndrome de Sweet, vasculites, prurit généraliséGM-CSF : exanthèmes maculopapuleux

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traitements par chimiothérapie. Il n’est donc pasrare de voir des sujets avec plusieurs lignes de Beausuccessives sur la totalité des ongles qui sont cha-cune le témoin d’un cycle de chimiothérapie.

Érythème acral

Il s’agit de nappes érythémateuses, œdémateuses,douloureuses, bien limitées, survenant aux paumeset aux plantes, très faciles à reconnaître. Elles sontsouvent accompagnées de douleurs et de dysesthé-sies très gênantes, notamment pour l’utilisationdes couverts lors des repas. Les lésions peuventrester localisées aux extrémités ou se disséminersecondairement avec développement d’un exan-thème. Les molécules les plus fréquemment encause sont l’aracytine, la doxorubicine et le fluoro-uracile. Son incidence est très élevée, variant entre6 et 42 % des séries. Le mécanisme est inconnu. Ceteffet secondaire est dose-dépendant. La réactionest plus sévère et le délai d’apparition plus courtavec les chimiothérapies courtes par rapport auxperfusions continues. Le traitement repose sur lesémollients, le froid, la surélévation. Les dermocor-ticoïdes ont un effet variable.

Hyperpigmentations

Elles peuvent être diffuses ou localisées, toucher lapeau mais aussi les phanères. Elles résultent d’unesynthèse accrue de mélanine par les mélanocytes.Les molécules les plus fréquemment incriminéessont les alkylants et les antibiotiques, en particulierla bléomycine qui donne des pigmentations dans30 % des cas. Les pigmentations flagellées sontpathognomoniques de la bléomycine, mais cettemolécule peut aussi donner des pigmentations dif-fuses ou des pigmentations en plaque au niveau deszones de pression (épaules, genoux, fesses).

Infections cutanées chez les patientsayant une hémopathie maligne

Du fait de l’immunodépression, les infections cuta-nées sont particulièrement graves dans cecontexte. Les patients ayant une hémopathie - afortiori si celle-ci est traitée et qu’ils sont en apla-sie - sont hautement susceptibles de s’infecter.Soixante-huit pour cent des infections cutanéessont primitives, alors que 26 % sont secondaires àune septicémie et 4 % surviennent par contiguïté.Les infections cutanées primitives sont donc trèsfréquentes et ceci pour plusieurs raisons :15

• l’atrophie cutanée et le retard de cicatrisationinduits par les corticoïdes et la chimiothéra-pie ;

• l’occlusion sous des pansements ou les sitesd’appui chez des sujets longtemps alités ;

• la présence d’effractions cutanées par desvoies veineuses et les cathéters ;

• la modification de la flore saprophyte « protec-trice » de la peau par des antibiothérapies àlarge spectre initiées tôt.En raison du déficit immunitaire profond induit

par un nombre croissant de chimiothérapies agres-sives, les infections opportunistes sont de plus enplus fréquentes. Les aspects cliniques des infec-tions cutanées peuvent être très trompeurs du faitde la neutropénie qui diminue la réponse inflamma-toire. La sémiologie clinique classique devient donchasardeuse, ce qui implique souvent de biopsier leslésions et de mettre en culture les biopsies pourune recherche bactériologique, virologique et my-cologique. En revanche, l’ecthyma gangrenosumest typiquement dû à une infection à Pseudomonasaeruginosa. Il est caractérisé par des bulles hémor-ragiques à évolution rapidement nécrotique sur uneplaque érythémateuse à bordure annulaire, habi-tuellement localisé à l’aine, à la région périanaleou au creux axillaire. Les dermohypodermites in-fectieuses aiguës (cellulites) sont le plus souventdues à des cocci Gram + (staphylocoque, streptoco-que), mais parfois aussi à des agents opportunistes.

Conclusion

Cet aperçu mesure la complexité et la richesse desmanifestations cutanées au cours des hémopathiesqui pour leur reconnaissance et leur prise en chargefont donc intervenir une collaboration entre der-matologues et hématologues.

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