6
Rev Rhum [bd Fr] 2000 ; 67 : 349-54 Cervical spine manipulation and the precautionary principle -Joint Bone Spine 2000 ; 67 (in press) 0 2000 editions scientifiques et medicales Elsevier SAS. Tous droits r&erv& REVUE Manipulations cervicales et principe de prhcaution Philippe Vautravers’, Jean-Yves Maigne2 ‘Service de mkdecine physique et de &adaptation, hdpital de Hautepierre, CHU de Strasbourg, avenue MO/i&e, 67098 Strasbourg cedex ; 2service de mbdecine physique, h&e/-Dieu, 1, place du Pan/is de Notre-Dame, 75181 Paris cedex 04, France (ReCu le 4 octobre 1999 ; accept6 aprks r6vision le 29 dkembre 1999) FiBsum - Les manipulations cervicales (MC) sont responsables d’accidents graves d’ordre neurologique. Ils sont rarissimes et le plus souvent imprevisibles. Pour repondre aux principes de prevention et de pre- caution, il nous parait judicieux de diminuer le nombre de MC pratiquees. Cinq recommandations consen- suelles peuvent Btre edictees : recherche d’accidents meme minimes lors dune manipulation precedente qui contre-indiqueraient toute nouvelle manipulation ; examen clinique prealable, en particulier neurolo- gique ; respect des contre-indications et indications reconnues ; exigence d’une competence affirmee du medecin manipulateur ; prudence quant aux manipulations cervicales de premiere intention. Rev Rhum [Ed Fr] 2000 ; 67 : 349-54. 0 2000 Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS chiropraxie / cervicalgies / complications graves / manipulations vertbbrales / ostt?opathie / principe de pr&aution Summary - Cervical spine manipulation and the precautionary principle. Cervical manipulations can cause severe neurological complications, which are both exceedingly rare and generally unpredictable. To meet the requirements of the principles of prevention and precaution, we believe the number of cervical manipulations should be reduced. To this end, we suggest that five recommendations developed by consen- sus be followed: unwanted effects, however minor, of previous manipulation should be looked for routinely and taken as absolute contraindications to further manipulation; a thorough physical examination, including a neurological evaluation, should be performed prior to manipulation; all known contraindications and indi- cations should be followed; manipulation should be performed only by physicians experienced in this tech- nique; and special caution should be exercised when performing first-line cervical manipulation. Joint Bone Spine 2000 ; 67 (in press). 0 2000 Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS chiropractic / major complications / neck pain / osteopathy / prevention / spinal manipulative therapy Les manipulations vertebrales (MV) se distinguent des autres therapies manuelles (massages, mobilisa- tions, techniques neuromusculaires) par l’impulsion manipulative qui entraine les surfaces articulaires au- dela de leur jeu physiologique habituel. Les tech- niques habituellement utilistes en France sont ostto- pathiques, B bras de levier long. Les manipulations vertebrales constituent une the- rapeutique trts communtment employee. Elles sont indiqutes dans les (( dysfonctions )) verttbrales segmentaires, douloureuses, benignes, reversibles, mtcaniques ou reflexes denommees derangement intervertebral mineur (DIM) par R. Maigne. Sa tra- duction est purement clinique : contractures muscu- laires, raideurs et douleurs spontantes ou provoquees par les manoeuvres d’examen, locales ou projetees. Dans le domaine cervical, les indications prefe- rentielles sont la cervicalgie commune mtcanique, la cervicobrachialgie en dehors de tout conflit radi- culaire (syndrome cellulo-t&o-myalgique, syndrome myofascial... [l]), 1 cervicale [ 1, 21. a ctphalee posttrieure d’origine Les contre-indications (CI) sont cliniques et tech- niques. Les CI cliniques absolues sont les cervicalgies

Manipulations cervicales et principe de précaution

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Manipulations cervicales et principe de précaution

Rev Rhum [bd Fr] 2000 ; 67 : 349-54

Cervical spine manipulation and the precautionary principle -Joint Bone Spine 2000 ; 67 (in press)

0 2000 editions scientifiques et medicales Elsevier SAS. Tous droits r&erv& REVUE

Manipulations cervicales et principe de prhcaution

Philippe Vautravers’, Jean-Yves Maigne2 ‘Service de mkdecine physique et de &adaptation, hdpital de Hautepierre, CHU de Strasbourg, avenue MO/i&e, 67098 Strasbourg cedex ; 2service de mbdecine physique, h&e/-Dieu, 1, place du Pan/is de Notre-Dame, 75181 Paris cedex 04, France

(ReCu le 4 octobre 1999 ; accept6 aprks r6vision le 29 dkembre 1999)

FiBsum - Les manipulations cervicales (MC) sont responsables d’accidents graves d’ordre neurologique. Ils sont rarissimes et le plus souvent imprevisibles. Pour repondre aux principes de prevention et de pre- caution, il nous parait judicieux de diminuer le nombre de MC pratiquees. Cinq recommandations consen- suelles peuvent Btre edictees : recherche d’accidents meme minimes lors dune manipulation precedente qui contre-indiqueraient toute nouvelle manipulation ; examen clinique prealable, en particulier neurolo- gique ; respect des contre-indications et indications reconnues ; exigence d’une competence affirmee du medecin manipulateur ; prudence quant aux manipulations cervicales de premiere intention. Rev Rhum [Ed Fr] 2000 ; 67 : 349-54. 0 2000 Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS

chiropraxie / cervicalgies / complications graves / manipulations vertbbrales / ostt?opathie / principe de pr&aution

Summary - Cervical spine manipulation and the precautionary principle. Cervical manipulations can cause severe neurological complications, which are both exceedingly rare and generally unpredictable. To meet the requirements of the principles of prevention and precaution, we believe the number of cervical manipulations should be reduced. To this end, we suggest that five recommendations developed by consen- sus be followed: unwanted effects, however minor, of previous manipulation should be looked for routinely and taken as absolute contraindications to further manipulation; a thorough physical examination, including a neurological evaluation, should be performed prior to manipulation; all known contraindications and indi- cations should be followed; manipulation should be performed only by physicians experienced in this tech- nique; and special caution should be exercised when performing first-line cervical manipulation. Joint Bone Spine 2000 ; 67 (in press). 0 2000 Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS

chiropractic / major complications / neck pain / osteopathy / prevention / spinal manipulative therapy

Les manipulations vertebrales (MV) se distinguent des autres therapies manuelles (massages, mobilisa- tions, techniques neuromusculaires) par l’impulsion manipulative qui entraine les surfaces articulaires au- dela de leur jeu physiologique habituel. Les tech- niques habituellement utilistes en France sont ostto- pathiques, B bras de levier long.

Les manipulations vertebrales constituent une the- rapeutique trts communtment employee. Elles sont indiqutes dans les (( dysfonctions )) verttbrales segmentaires, douloureuses, benignes, reversibles, mtcaniques ou reflexes denommees derangement

intervertebral mineur (DIM) par R. Maigne. Sa tra- duction est purement clinique : contractures muscu- laires, raideurs et douleurs spontantes ou provoquees par les manoeuvres d’examen, locales ou projetees. Dans le domaine cervical, les indications prefe- rentielles sont la cervicalgie commune mtcanique, la cervicobrachialgie en dehors de tout conflit radi- culaire (syndrome cellulo-t&o-myalgique, syndrome myofascial... [l]), 1

cervicale [ 1, 21. a ctphalee posttrieure d’origine

Les contre-indications (CI) sont cliniques et tech- niques. Les CI cliniques absolues sont les cervicalgies

Page 2: Manipulations cervicales et principe de précaution

350 I? Vautravers, J.Y. Maigne

non mdcaniques, symptomatiques d’une affection rachidienne non commune (fracture, tumeur, infec- tion, malformation, inflammation.. .), viscCrales (sphtre ORL, pulmonaire.. .) ou vasculaires (insuffi- sance vertdbrobasilaire.. .).

Les CI cliniques relatives sont la dtmintralisation osseuse, I’lge, les troubles de la erase sanguine, l’anti- coagulation, l’existence clinique et/au paraclinique d’un conflit discoradiculaire B fortiori si l’examen constate un d&it neurologique, moteur, sensitif ou rtflexe m&me minime. Pour certains auteurs, neuro- chirurgiens [3], la hernie discale cervicale constitue, en elle-m&me, une contre-indication, surtout s’il existe un canal rachidien ttroit ou r&r&i.

Les CI techniques sont likes B l’impossibilitt de res- pecter (( la r&gle de la non-douleur et du mouvement contraire )), B l’absence de trois directions libres sur le schema des amplitudes du rachis de Maigne et Lesage [ 11, A I’absence de competences validees du mCdecin pratiquant la MV.

Le risque d’accidents graves apr&s une telle thCra- peutique est extr&mement rCduit mais rdel. Le prin- cipe de precaution qui s’ttend aujourd’hui ?t la majo- ritC des activitCs humaines, en particulier medicales, peut remettre en cause ce type de pratique dans la mesure oh le rapport b&&e/risque des manipula- tions cervicales peut &re discutC et que la probabilitk d’un accident grave est tres difficile B mesurer.

MtTHODE

Pour prtciser les complications cervicales et leur frC- quence, nous nous sommes fond& sur l’analyse de la 1ittCrature mtdicale scientifique ; la recherche biblio- graphique s’est faite B partir de la base de don&es Medline de 1966 B 1998 en utilisant les mots cl& sui- vants : manipulation verttbrale, ostCopathie, chiro- practie, accidents verdbrobasilaires, dissection des art&es verttbrales. Les don&es bibliographiques pr& sentPes dans les articles ainsi que les connaissances personnelles de la IittCrature en langue fran$aise des auteurs ont complete! cette recherche. Les complica- tions sont souvent rapportees sous forme de cas isol& par certains auteurs, regroupCes puis analystes en d&ail par d’autres.

R&ULTATS

Complications neurologiques

Les accidents osteoarticulaires sans signe neurolo- gique, les fractures, luxations, entorses, les incidents...

font plus volontiers I’objet de dtclarations auprPs des assurances que de publications [4, 51. 11 en est de m@me des complications les plus frCquentes des MV que sont la transformation d’une cervicalgie en nCvralgie cervicobrachiale, ou celle d’une radiculalgie en paralysie radiculaire. Ces aggravations de la symp- tomatologie initiale sont le plus souvent regressives sous traitement ne faisant ainsi pratiquement jamais l’objet de litiges mtdicoltgaux.

Les accidents graves, B l’origine de sPquelles et d’une invaliditt dtfinitive, rapport& dans la lit&a- ture peuvent &tre estimCs actuellement aux alentours de 200. Ainsi, Acker cite par Gross et al. [6] recense 134 accidents publi& dans la litterature anglo- saxonne. Assendelft et al. en trouvent 182 [7] jus- qu’en 1993 in&s. Enfin, Hurwitz et al. [8] rappor- tent 118 publications angle-saxonnes d’accidents VertCbrobasilaires entre 1966 et 1996.

La plupart des accidents aprtts MC sont d’ordre vasculaire. Le plus souvent il s’agit d’accidents dans le territoire vertkbrobasilaire (AVB) : 165 observations ont Ptt rappordes. Treize accidents cPrCbraux autres que verttbrobasilaires ont et& Cgalement d&rits. Enfin, quatre hernies cervicales devenues symptoma- tiques sont citdes. Les don&es de la litttrature per- mettent de dCgager plusieurs ClCments.

L’Age moyen des patients est de 38 ans, avec une pro- portion plus importante du sexe fiminin La plupart des patients consultent pour une douleur et/au une raideur de nuque. 11 faut toutefois souligner que dans certains cas le diagnostic n’est pas connu, que le patient est asymptomatique ou que l’indication de la manipula- tion cervicale est fantaisiste (rhume des foins...).

Pour Assendelft et al. [7], 92 des 165 AVB (56 %) sont survenus aprPs des MC realistes par des chiro- practeurs, 15 (9 %) p ar d es medicaldoctors, huit (5 %) par des doctors of osteopathy, six (3,5 %) par des kin& sithkrapeutes, dix (6 %) par d’autres personnes et 34 observations ne sont pas ddtailltes. Sur les 13 acci- dents vasculaires non vertibrobasilaires, neuf sont survenus aprts chiropractic.

Hurwitz et al. dans leur sCrie plus courte (118 cas), mais regroupant vraisemblablement les m&mes patients, constatent que 73 % des accidents survien- nent aprks MC effect&es par des chiropracteurs, 7 % par des ostiopathes, 4 % par des medical doctors et 16 % par d’autres personnes.

Dans 55 observations publites, la technique mani- pulative est d&rite ; la manceuvre responsable de l’ac- cident s’est faite en rotation dans 82 % des cas [8].

Selon Assendelft et al. [7], 25 % des AVB sont des syndromes de Wallenberg, 46 % des infarctus

Page 3: Manipulations cervicales et principe de précaution

Manipulations cervicales 351

cerebelleux ou du tronc cerebral, 19,5 % sont lies a une dissection ou un spasme de l’artere verttbrale. Trois pour cent des AVB sont des Locked-in syndromes auxquels il faut ajouter deux cas publits en France, en 1992, par DuPont et al. [9]. 11 s’agit dun ramollisse- ment bilateral protuberantiel au tours duquel les se& mouvements volontaires restants sont ceux de la ver- ticalite du regard.

Les premiers symptomes cliniques de l’insuffisance verttbrobasilaire apparaissent pendant la manceuvre manipulative ou immtdiatement aprts la manipula- tion (quelques secondes) dans 69,5 % des cas. Dans 30 % des cas, les patients sont devenus symptoma- tiques 24 heures ou plus apres la manipulation.

L’tvolution des 165 AVB est souvent defavorable : 29 sont d&cedes, 86 sont atteints de stquelles neuro- logiques definitives, 44 ont g&i ; l’kolution de six patients n’est pas precisee. Les dtcts et sequelles neu- rologiques graves auraient vraisemblablement pu &tre prkenus par un diagnostic et un traitement precoces de I’AVB [lo].

FRklUENCEDESACClDENTS

L’incertitude est grande en ce qui concerne, d’une part, le nombre de manipulations effect&es par les medecins et par les non-medecins et, d’autre part, le nombre reel d’accidents : en effet, ceux-ci sont t&s surement superieurs aux cas publits. Robertson [ 1 l]

estime, en 198 1, que 360 cas d’AVB postmanipulatifs n’ont pas ttt rapport&. Shekelle et al. [ 121 en 1991, pensent qu’aux Etats-Unis, un accident sur dix est publie. La publication de Lee et al. [I31 con&me cette impression.

Lecocq et Vautravers [4, 141 ont tentt d’estimer la frequence des accidents postmanipulatifs en France. D’apres les donntes syndicales et celles des differents annuaires existants, 1 000 B 3 000 personnes prati- quent cinq a 15 manipulations par jour. Ainsi, l’esti- mation minimale du nombre de manipulations effec- t&es (500 medecins et 500 non-mtdecins effectuant cinq manipulations par jour, cinq jours par semaine, 45 semaines par an) est de un million de manipula- tions verttbrales par an. L’estimation maximale (1 500 mtdecins, 1 500 non-medecins pratiquant 15 manipulations par jour, 250 jours par an) est de 11 millions de manipulations vertebrales par an. Les manipulations cervicales reprtsentant, en pratique, environ la moitie des manipulations vertebrales reali- sees, leur nombre a ete estime par les auteurs a cinq millions de manipulations cervicales par an, en France. L’analyse de la litterature medicale faisant

ressortir un accident vasculaire postmanipulatif par an, la frequence de ceux-ci a ete ainsi estimee a 1 acci- dent (publie) pour cinq millions de MC.

Dans la litterature, les don&es sont .&parses. Haynes [ 151 constate moins de cinq accidents pour

100 000 MC. Michaeli [ 161 rapporte un AVB pour 228 050 manipulations. Gutmann [17] estime a 2-3 le nombre d’AVB pour un million de MC. Hen- derson et Cassidy [ 181 font une estimation de un acci- dent pour un million de MC. Dvorak et al. [I91 ne constatent, en Suisse, aucune complication neurolo- gique grave dans la pratique de 460 specialistes ayant effect& 150 000 manipulations, dans une ptriode don&e. 11s estiment le risque a un accident grave pour 400 000 a un million de MC.

TrPs informatives et prtcises sont les donnees cana- diennes, puisque le nombre d’actes manipulatifs des chiropracteurs est connu en raison d’un systtme d’as- surance obligatoire de ces praticiens. Ainsi, en cinq ans, 13 AVB ont CtC rapport&s. Ceci permet a Carey [2O] d’estimer la frtquence des accidents a un pour 3,85 millions de MC, en cinq ans. Si la definition des manipulations est moins large, excluant toutes formes de mobilisation, il l’estime B un accident pour deux millions de MC.

Shekelle et Brook [ 121, tous accidents confondus, estiment la frtquence des accidents a un pour un mil- lion de MC. Les complications graves sont de six pour dix millions de manipulations, les de& sont infe- rieurs a trois pour dix millions de manipulations.

DISCUSSION

A la lumiere des don&es de la litttrature, s’il est pos- sible de donner une estimation de la frequence des accidents graves apres manipulations cervicales, celle- ci se situe vraisemblablement aux alentours d’un acci- dent pour moins d’un million de MC.

Rapport risque/btn&ce

11 faut certes tvaluer la frequence des accidents apres MC, mais il serait inttressant de mieux apprecier le ratio risque/b&r&e des manipulations.

Dans ce domaine, Powell et al. [3], ainsi que Barr [21], pensent que ce ratio est acceptable pour la lom- balgie aigue et qu’il ne lest pas au niveau cervical. Lee et al. [ 131, neurologues, confirment cette ntces- saire grande prudence dans le domaine cervical ; ces auteurs ont interroge, par questionnaire, 486 neuro- logues californiens. Cent soixante dix sept d’entre eux, soit le tiers, ont rtpondu avoir constate dans les

Page 4: Manipulations cervicales et principe de précaution

352 I? Vautravers, J.Y. Maigne

deux an&es precedentes (I 990-9 I) 9 I accidents sur- Venus dans les 24 heures suivant une manipulation chiropractique ! I1 s’agissait de 56 accidents vasculaires (53 AVB), 13 myelopathies et 22 radiculopathies ! Certes, les biais methodologiques de cette etude sont reels (biais de selection, absence d’informations concernant l’etat anterieur des patients, la raison de la manipulation, la technique employee...) 11 n’en demeure pas moins qu’elle montre que le nombre d’accidents postmanipulatifs parait largement sous- estime dans la litttrature et certains auteurs [22] sont favorables B leur interdiction.

A l’oppost, il faut rappeler que les autres traite- ments utilises dans les cervicalgies sont responsables de nombreux accidents ; ainsi, les anti-inflammatoires non sttroydiens (AINS) sont responsables de 3,2 acci- dents (hemorragie, perforation, ulcere, decks) pour 1 000 patients de plus de 65 ans et de 0,39 accidents pour 1 000 patients de moins de 65 ans. Tous ages confondus, les AINS dtclenchent un accident grave pour 1 000 patients [23] et sont responsables de 16 500 decks par an aux Etats-Unis ! [24].

11 faut souligner que la chirurgie cervicale est res- ponsable, egalement, d’un grand nombre d’accidents neurologiques et de d&s [8].

C’est pourquoi, pour Waddell [25], le ratio ef&a- cite/risque est nettement en faveur des manipulations cervicales.

Facteurs prCdisposants

Dans la litterature, les accidents vertebrobasilaires postmanipulatifs, les plus frequents, surviennent plu- tot chez le sujet jeune, de sexe feminin, sans anttct- dent particulier. L’arthrose, en particulier, n’augmen- terait pas le risque. L’accident survient souvent lors d’actes manipulatifs oh existe une importante compo- Sante rotatoire de la MC, qui met directement en ten- sion l’artere vertebrale. De plus, la manipulation est le plus souvent chiropractique sans que l’on puisse affirmer, actuellement, que la sptcificitt de ce type de techniques soit la cause de I’accident.

Lors des tests vasculaires proposes pour dtpister une insuffisance verttbrobasilaire, I’impulsion mani- pulative ne peut etre reproduite ; de plus, il existe des faux negatifs. Les accidents vertebrobasilaires peuvent ainsi etre parfaitement imprtvisibles, alors que les accidents vasculaires non verttbrobasilaires, ainsi que les autres accidents cervicaux semblent etre le plus souvent lies B une negligence, B la mtconnaissance d’un &tat anttrieur, ou au non respect d’une des nombreuses contre-indications [ 1, 4, 71.

Principe de p&caution

La loi fransaise de 1995 sur le renforcement de la pro- tection de I’environnement precise que (( I’absence de certitude ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnees visant B prevenir un risque de dommages graves et irreversibles pour l’en- vironnement. )) Ceci d&nit le principe de precaution. La prevention est une demarche rationnelle, adapt&e B la nature, a la gravite et B la probabilite des risques connus et identifiables. La precaution est une demarche irrationnelle, rtpondant aux (( probables )), a l’hypothetique, B I’imponderable, et a I’absence de preuve de risque. Pour le Conseil d&at, la notion de responsabilite est la suivante : (( Celui qui introduit le risque doit le prtvoir et en ne prenant pas suffisam- ment de precaution, en particulier d’abstention, il peut &tre declare responsable. )) Le praticien est ainsi tenu, vis a vis de son patient, B une obligation de stcu- rite de resultat. Dans le domaine des thtrapeutiques manuelles cervicales, les principes de prevention mais aussi, et surtout, de precaution s’averent souhaitables en tant que nouveaux standards de comportement [26]. Dans cette optique, constatant l’absence de valeur des differents tests de posture premanipulatifs dans la prevention de ces accidents, I’un de nous (Jean-Yves Maigne) a propose une voie nouvelle : diminuer le recours aux manipulations cervicales dans certaines situations precises. 11 a prtsente 5 recom- mandations, reprises, compkttes et officialistes par la Societe francaise de medecine manuelle orthopedique et osttopathique (SOFMMOO). Ces cinq recom- mandations g&n&ales se surajoutent aux indications et contre-indications habituelles [27, 281. Elles visent en particulier les femmes jeunes, principales victimes de ce type d’accident.

Recommandations de la SocittC fran+se de mCdecine manuelle orthoptdique et ostkopathique

Ire recommandation

L’interrogatoire prtmanipulatif doit s’enqutrir de manifestations indesirables (vertiges, Ctat nauseeux...) ayant suivi une eventuelle premiere manipulation et ayant regress6 spontanement. Cette constatation, pouvant temoigner d’un accident ischtmique de tres petite taille, voire d’un simple spasme vasculaire, doit avoir une valeur d’alerte et contre-indiquer formelle- ment toute manipulation cervicale.

Page 5: Manipulations cervicales et principe de précaution

Manipulations cervicales 353

2e recommandation

L’examen neurologique est indispensable avant tout acte manipulatif cervical afin d’eliminer, entre autres, un accident verttbrobasilaire ischemique en voie de constitution, pouvant se reveler par des cervicalgies aigues entrainant la consultation.

3e recommandation

Les indications des manipulations cervicales ainsi que les contre-indications techniques et medicales, relatives et absolues, doivent imptrativement &tre respecttes.

4e recommandhion

L,e medecin manipulateur, diplomt, doit etre techni- quement tres competent. Un an d’exercice continu des techniques manipulatives apres l’acquisition du diplome universitaire parait un minimum indispensable.

P recommandfztion

Au tours de la premiere consultation, il n’est pas recommande de recourir aux manipulations cervi- tales. Les traitements mtdicamenteux classiques ainsi que les traitements manuels depourvus de danger doi- vent &tre privilegies. Ce n’est qu’en cas d’echec, aprb evaluation lors d’une deuxieme consultation, qu’une manipulation cervicale peut etre pratiquee ; dans ce cas, il ne faut manipuler qu’avec l’accord eclairt du patient a qui on explique de man&e simple, loyale et intelligible en quoi consiste la MV.

La preference doit &tre donnee aux manceuvres limitant au maximum la rotation. La manceuvre, precedee des tests premanipulatifs habituels et com- portant une mise en tension cervicale, doit etre r&a- Ii&e avec le maximum de douceur et de (( doigte )j. La possibilite de vertiges et de maux de t&e aprb le traitement doit entrainer un contact immtdiat avec le mtdecin.

CONCLUSION

Le risque d’accidents apres manipulations cervicales est extremement faible. Toutefois, la gravite de ceux-ci et les stquelles neurologiques doivent faire reserver ce type de therapeutique B des indications trts precises relevant de medecins praticiens chevronnes, seuls en mesure den poser les indications et den respecter les multiples contre-indications en fonction de I’anamnese et dun indispensable examen clinique strict et rigoureux.

Les recommandations de la SOFMMOO permet- tent de repondre a l’indispensable devoir de prudence et de precaution dans la rtalisation des manipulations cervicales.

RtFtRENCES

1 Maigne R, td. Diagnostic et traitement des douleurs com- munes d’origine rachidienne. Une nouvelle approche. Paris : Expansion Scientifique Francaise ; 1989.

2 Vautravers P Pourquoi je manipule ? Presse MCd 1993 ; 22 : 689.

3 Powell FC, Harrigan WC, Oliver0 WC. A risk/benefit ana- lysis of spinal manipulation therapy for relief of lumbar or cervical pain. Neurosurgery 1993 ; 33 : 73-8.

4 Lecocq J, Vautravers I? Les complications des manipulations verttbrales. Frequence, aspects cliniques, pathogtniques et therapeutiques. Prevention. Ann Readapt M&d Phys 1995 ; 38 : 87-94.

5 Senstad 0, Leboeuf YC de, Borckgrevink C. Frequency and characteristics of side effects of spinal manipulative therapy. Spine 1997 ; 22 : 435-41.

6 Gross AR, Aker PD. Quartly Caroline. Manual therapy in the treatment of neck pain. Rheum Dis Clin North Am 1996 ; 2 : 579-99.

7 Assendelft WJJ, Bouter LM, Knipschild PG. Complications of spinal manipulation. A comprehensive review of the litera- ture. J Fam Pratt 1996 ; 42 : 475-80.

8 Hurwitz EL, Aker PD, Adams AH, Meeker WC, Shekelle PG. Manipulation and mobilization of the cervical spine.

Spine 1996 ; 21 : 1746-60.

9 DuPont C, Poirot VI, Boisson D, Eysette M. Locked-in syndromes apres manipulation cervicale. A propos de 2 cas. Ann Readapt Med Phys 1992 ; 35 : 101-4.

10 Terret A. Misuse of the literature by medical authors in discussing spinal manipulative therapy injury. J Manipul Physiol Ther 1995 ; 18 : 203-10.

11 Robertson JT. Neck manipulation as a cause of stroke. Strocke 1981 ; 12 : 260-l.

12 Shekelle PG, Brook PH. A community based study of the use of chiropratic services. Am J Public Health 1991 ; 81 : 439-42.

13 Lee KP, Carlini WG, Cormick GF, Albers GW. Neurologic complications following chiropractic manipulation: a survey of Californian neurologists. Neurology 1995 ; 45 : 1213-5.

14 Lecocq J, Vautravers I! Frequence des accidents des manipu- lations vertebrales. Ann Readapt Med Phys 1996 ; 39 : 398.

15 Haynes MJ. Stroke following cervical manipulation in Perth. Chiropratic J Aust 1994 ; 24 : 42-6.

16 Michaeli A. Reported occurence and nature of complications following manipulative physiotherapy in South-Africa. Aust Physiother I993 ; 39 : 309-l 5.

17 Gutmann G. Verletzungen der Arteria Vertebralis durch Manuelle Therapie. Manual Medizin 1983 ; 21 : 2-14.

18 Henderson DJ, Cassidy JD. Vertebral artery syndrome. Part A: vertebrobasilar accidents associated with cervical manipulations. In: Vernon H, ed. Upper cervical syndrome: chiropractic diagnosis and treatment. Baltimore: Williams and Wilkins; 1998. p. 194-206.

Page 6: Manipulations cervicales et principe de précaution

354 I? Vautravers, J.Y. Maigne

19 Dvorak J, Baumgartner H, Brun L, Dalgaard J, Enevaldsen E, Fossgreen J, et al. Consensus and recommendations as to the side-effects and complications of manual therapy of the cervi- cal spine. Manual Medizin 1991 ; 6 : 117-8.

20 Carey PF. A report on the occurence of cerebral vascular accidents in chiropractic pratice. J Can Chiroprac Assoc 1993 ; 37 : 104-6.

21 Barr JS. Point of view. Spine 1996 ; 21 : 1759-60. 22 Auquier L. Les complications neurovasculaires des manipula-

tions du rachis cervical. Point de vue d’un expert judiciaire. Rev Med Orthop 1998 ; 52 : 14-5.

23 Gabriel SE, Jaakkimainen L, Bombardier C. Risk for serious gastrointestinal complications related to use of non steroidal anti-inflammatory drugs: a meta-analysis. Ann Intern Med 1991 ; 115 : 787-96.

24 Singh G, Triadafilopoulus G. Epidemiology of NSALD induced gastrointestinal complications. J Rheumatol 1999 ; 26 Suppl 56 : 18-24.

25 Waddell G. Evidence for manipulation is stronger than that for most orthodox medical treatments. Br Med J 1999 ; 318 : 262.

26 Conseil National de 1’Ordre des Medecins. Reflexions sur le principe de precaution. Rapport presente a la 221e session, avril 1999.

27 Maigne JY, Berlinson G, Joseph P, Mezzana M, Rime B. La prevention des accidents vasculaires selon les differentes ecoles manipulatives. Rev Med Orthop 1998 ; 52 : 12-3.

28 Maigne JY, Vautravers Ph. SociCte francaise de medecine orthopedique et therapeutiques manuelles. Table ronde des Xes Actualites medicales du rachis, Paris, juin 1997. Rev Med Orthop 1998 ; 52 : 16-7.