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Marc Riboud, "Pour faire de bonnes photos, il faut avoir surtout de bons souliers" Né le 24 juin 1923 à Saint-Genis-Laval (Rhône) et mort le 30 août 2016 à Paris,

Marc Riboud · l'avènement de Mao. Henri Cartier-Bresson avait laissé le pays en plein chaos en 1949. Riboud en montre les nouveaux héros, ouvriers et paysans. Et les enfants qu'il

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Présentation1

Un grand humaniste "Il était le trait d'union entre deux styles, le photographe humaniste et le

photojournaliste pur et dur",

un photographe qui, contrairement à beaucoup de ceux de cette génération, prenait

réellement le temps de prendre des images"

Dans ses photos, il y a beaucoup d'amour pour les gens. Même dans un moment de

contestation, il va chercher une image de paix. Il a d'ailleurs toujours refusé de

photographier la guerre

Un "géomètre" Henri Cartier-Bresson, l'appelait "le géomètre"

"Quand il regardait un tirage, il le retournait, pour s'assurer que même à l'envers, son

image ait du sens",

Marc Riboud était ainsi devenu un maître de la composition, "grâce à l'attention

particulière portée aux formes, aux ronds notamment".

Sans rejeter absolument la couleur, Marc Riboud est aussi resté fidèle à la

photographie en noir et blanc, dans laquelle la composition est capitale.

Un poète La photo du Peintre de la tour Eiffel, "c'est la naissance du grand photographe Marc

Riboud

Si la photo prête à sourire, elle est aussi empreinte de tendresse. La "formidable

poésie" de Riboud, qui se retrouve aussi dans La jeune fille à la fleur.

Un "promeneur" "Pour faire de bonnes photos, il faut avoir surtout de bons souliers"

1 D’après Alain Genestar, directeur de publication du magazine de photojournalisme Polka, dont le photographe

était l'un des parrains

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Famille, enfance et jeunesse Marc Riboud est le cinquième enfant d'une fratrie de sept. Il est élevé dans une famille bourgeoise lyonnaise.

Il est le frère des industriels Antoine, président du groupe Danone et Jean Riboud, président de Schlumberger.

C'est son père qui lui a offert son premier appareil photo, en 1936. Un Vest-Pocket utilisé dans les tranchées de la Grande Guerre. Marc a alors 13 ans. « Je ne sais pas pourquoi c'est moi qui en ai hérité, se demande-t-il encore aujourd'hui. Peut-être parce que j'étais le plus timide de ses six enfants. Mon père était un banquier lyonnais atypique, anglophile quand l'anglophobie était de mise dans son milieu, souscrivant à l'emprunt Léon Blum alors que ses collègues s'effrayaient de l'arrivée au pouvoir du Front populaire. »

Comme son frère Jean, Marc Riboud est résistant. Son frère est arrêté de déporté à Buchenvald, Marc participe aux combats du Vercors, qu'il rejoint avec le fiancé de sa sœur Françoise. Celui-ci fut abattu par les forces d'occupation, lui s’en tire miraculeusement, sa famille le croyait mort et à fait dire une messe pour lui, une expérience qui l'a marqué à vie et déterminera sa vocation, ( voir son témoignage en annexe )

Il termine la guerre sur le front des Alpes au sein du 6ème BCA

Après la Libération, il étudie à l'École centrale de Lyon de 1945 à 1948.

1951-1954 :Les débuts de photographe professionnel En 1951, alors ingénieur à Villeurbanne, il « oublie » de rentrer d’un congé pris pour photographier le festival de Lyon.

Son frère Jean, alors banquier à New York, appelle en désespoir de cause son ami Henri Cartier-Bresson pour s'occuper du « petit ».

« Henri a été un tyran bienvenu, reconnaît Riboud. Il me disait quoi penser, quoi dire, quoi lire, quoi voir, quoi faire et comment le faire. » Grâce à lui, il rejoint l'agence Magnum, qui parvient à placer dans Life Magazine sa désormais célèbre photo de Zazou, peintre de la tour Eiffel en équilibre au-dessus de Paris, son pinceau à la main. Un sens inné de la composition, des lignes claires, une grâce aérienne, beaucoup de malice... Le portrait de Zazou porte déjà la patte du jeune photographe

Cette photographie sera sa première publication dans Life et son ticket d’entrée à Magnum Photos.

Il fait son premier reportage en Yougoslavie

En 1954, Sur les conseils de Robert Capa, il part un an en Grande-Bretagne et photographie Londres et Leeds qui se relèvent lentement de la guerre

Comme dans cette série réalisée en Grande-Bretagne où le jeune photographe est envoyé en 1954 par Robert Capa - cofondateur de Magnum avec Henri Cartier-Bresson, David Seymour et George Rodger - « pour apprendre l'anglais et rencontrer des filles ». Ses photos de la foule de Liverpool rappellent celles du couronnement de George VI saisies en 1937 par Cartier-Bresson. Marc Riboud traque aussi l'« instant

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décisif » si cher à ce dernier. Ce moment rare, court et précis qu'il faut savoir saisir au vol parce que la forme se combine au fond, concentrant ainsi l'essence d'une situation. Il surprend, par exemple, une bonne soeur se mirant dans un rétroviseur du côté de Notre-Dame de Paris... Certaines vues urbaines de Leeds, enfin, témoignent de la rigueur géométrique aux lignes coupantes érigée par son mentor en dogme absolu de la photographie.

C'est pour ses jugements durs qu'Henri était bien. Il m'a engueulé, mais il a aussi été d'une grande

générosité avec moi. Et puis il engueulait tout le monde. Sa dureté, c'est sa force. Ça vient de sa

fréquentation des surréalistes, de vrais sectaires qui brûlaient tout." Pendant deux ans, HCB n'a pas

adressé la parole à Riboud. Pourquoi ? "J'ai oublié." Mais il a cette phrase en retour : "Henri, longtemps, a

vibré avec le monde, avant de finir dans un classicisme figé."

1955-1958 Premiers voyages en Asie

Pour son premier grand voyage, en 1955, Riboud choisit l'Asie.

Il prend la route à Istanbul (avec la Land Rover de George Rodger, photographe de guerre britannique, co-fondateur de Magnum) et traverse l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan pour atteindre l'Inde. Il y séjourne une année avant d’obtenir son visa pour la Chine où il fait en 1957 son premier long séjour

Il montre une Chine au quotidien, plutôt sympathique. Mais ne voit pas les atrocités du régime de Mao. "Je venais de passer un an en Inde, où j'avais vu la pire des pauvretés, alors qu'en Chine, je voyais des gens travailler. J'étais tout seul, je marchais, je n'avais pas le droit d'aller chez un Chinois, mais comme je ne parlais pas la langue... Je ne savais pas que, au même moment, il y avait un million de morts dans le sud du pays.

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Chantier Naval à Istambul

Inde :

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Chine :

En 1958 il termine son voyage en Extrême-Orient par un séjour au Japon qui sera avec Women of Japan le sujet de son premier livre (avec un texte de Christine Arnothy). Il reprend à nouveau la route à partir de l’Alaska en hiver 1958 jusqu’à Acapulco.

1960-1962 : Séjour en URSS et indépendances africaines , Après un séjour de 3 mois en URSS, Marc Riboud photographie les indépendances africaines, fait plusieurs séjours en Algérie et photographie la liesse de l’indépendance en juillet 1962.

1965, retour en Chine En 1965, il retourne en Chine et photographie les prémisses de la révolution culturelle ; il publie Les Trois Bannières de la Chine aux éditions Robert Laffont.

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1967 :La fille à la fleur En 1967, à Washington lors d'une manifestation contre la guerre au Viêt Nam, il photographie une militante qui tend une fleur aux soldats. Cette photographie, La Fille à la fleur deviendra une icône de la paix. En 1968, il photographie les manifestations étudiantes de mai à Paris et voyage au Nord et au Sud Viêt Nam. Il retourne au Viêt Nam en 1969, en 1972 et aussi en 1976 ; il photographiera la rééducation forcée des cadres par le pouvoir communiste.

1970-2010 : autres voyages

Au cours des années 1970, il retrouve la Chine où il retournera régulièrement pour suivre son évolution et ses transformations jusqu’à son dernier séjour à Shanghai en 2010.

En 1973, il couvre le procès du Watergate à Washington.

Il se rend plusieurs fois à Prague pour soutenir les signataires de la Charte 77 et surtout son amie Anna Farova, historienne de la photographie.

En 1979, il est à Téhéran lors de la prise d'otages de l'ambassade des États-Unis et pour photographier les foules en délire fêtant le retour de l'ayatollah Khomeiny.

En 1980, il se rend en Pologne pour un long reportage sur les débuts de Solidarnosc.

En 1987, il photographie à Lyon le procès de Klaus Barbie.

À partir de 1986, sur les conseils de son ami le peintre Zao Wou-Ki, il découvre Huang Shan, et est fasciné par la beauté de ces montagnes qui ont inspiré les peintres chinois. Il fait aussi plusieurs séjours à Angkor, amoureux de ces temples envahis par les racines et les arbres séculaires.

Dans les années 1990, il accompagne ses expositions à travers le monde et s’attache à publier des livres. En 1998, après l’apartheid, il va en Afrique du Sud, à Johannesburg, à Soweto et dans des villages éloignés de la capitale.

En 2008, il se rend à New York pour photographier la victoire de Barack Obama.

En 2009, il publie des photos du Tibet dans Les Tibétains avec les textes d'André Velter qu'il a rencontré pour ce livre comme il le relate lors de leur entretien dans l'émission Sagesses bouddhistes en novembre de la même année3.

En 2010 il fait un dernier voyage à Shanghai pour inaugurer une exposition. Sa santé fragile le contraint à rester à Paris jusqu'à sa mort, le 30 août 20164,5.

En 2011, Marc Riboud fait une dation au Musée national d’art moderne (Centre Georges Pompidou) d’un ensemble de 192 tirages originaux réalisés entre 1953 et 1977.

La conception de Marc Riboub du métier de photographe

Mais Riboud étouffe en Europe. « J'avais l'impression de me noyer dans le bouillon de culture dans lequel je baignais. Et j'avais envie de voyager, ce qui nous avait été interdit pendant la guerre. » Alors, en 1955, il met le cap sur la Chine, où il arrive deux ans plus tard, après être passé par la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan et l'Inde.

Plus le photographe avance dans son périple, plus il se libère des préceptes de Cartier-Bresson, perfectionnant au fil des kilomètres cette écriture si particulière qui est la sienne. Ses lignes se font plus souples, plus sensuelles. Les accents surréalistes des débuts laissent place à une poésie du quotidien. Comme pour ce paon dédaigneux, rivalisant d'élégance avec deux habitantes de Jaipur

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(1956) qui ne lui prêtent pas un regard. Ses « instants décisifs » sont presque toujours drôles. « Henri vivait dans un monde imaginaire, souligne la photographe Martine Franck, l'épouse de ce dernier. Il cherchait la photo unique. Marc est plus dans la réalité. Il raconte une histoire. »

La photo devient surtout pour lui une façon de communiquer avec les peuples qu'il rencontre, de transmettre son amour des autres, un sentiment de fraternité. Il est sensible à la marche des hommes et témoigne vite d'un vrai sens de l'Histoire. « Parfois même avec un déclic d'avance », poursuit Jean-Luc Monterosso, le directeur de la Maison européenne de la photographie à Paris, qui l'a plusieurs fois exposé. Il est ainsi le premier photographe occidental à pénétrer en Chine après l'avènement de Mao. Henri Cartier-Bresson avait laissé le pays en plein chaos en 1949. Riboud en montre les nouveaux héros, ouvriers et paysans. Et les enfants qu'il photographie ne sont finalement pas si différents de ceux croisés en Europe.

On le retrouve plus tard dans des pays en plein conflit. L'homme refuse cependant de monter au front pour photographier les horreurs d'une guerre qu'il a vue de trop près dans le Vercors. Mais jamais l'esprit de la Résistance ne le quitte. En 1962, il est aux premières loges de l'indépendance algérienne pour cueillir la joie éclatante des Algérois. Sept ans plus tard, lui, jadis qualifié de terroriste par les nazis et Vichy, s'en va à la rencontre des habitants du Nord-Vietnam, alors considérés comme l'incarnation du mal par les Américains. Pratiquement aucun photoreporter ne s'y était aventuré avant lui. Et ses photos, loin de diaboliser l'ennemi, témoignent de la dignité et de la force tranquille du peuple vietnamien.

« Les images de Marc Riboud, beaucoup moins cérébrales que celles, virtuoses, d'Henri, sont en prise directe avec l'inconscient collectif, résume Jean-Luc Monterosso. Ce qui explique que plusieurs d'entre elles soient devenues des icônes. Le portrait de cette fille offrant une fleur à des soldats en armes à Washington (1967) symbolise le désir de paix de toute société. Zazou, qui danse du haut de la tour Eiffel au-dessus des abîmes, est une métaphore de la condition humaine. »

« J'écris ton nom, liberté », signait Paul Eluard. Au fond, Marc Riboud n'a pas fait autre chose de sa vie, de ses photographies. S'en allant exercer son art au bout du monde alors qu'il commençait à peine à se faire un nom, s'affranchissant des dogmes de Cartier-Bresson pour décorseter le photojournalisme des règles établies, quittant en 1979 l'aristocratique agence Magnum après en avoir été le président, épousant en premières noces - lui, le fils de bonne famille lyonnaise - une Afro-Américaine, témoignant du besoin d'indépendance des peuples du monde.« J'ai horreur de l'embourgeoisement », souffle-t-il en guise d'explication.

« La fille à la fleur » de Marc Riboud (1967) Cette photographie a été prise lors de la guerre du Vietnam qui a duré de 1964 à 1975. Les Etats-Unis, pays engagé dans le conflit, a été témoin de nombreuses manifestations pacifiques et de marches pour la paix. Marc Riboud saisit ce moment unique à celle d’octobre 1967, lorsque les manifestants envahissent, à Washington, le Pentagone. Description de l'oeuvre :

On peut observer, à droite de l’image, une jeune femme seule, de profil, une fleur à la main dans une attitude d’offrande. Elle se trouve face à une rangée de soldats casqués, pointant leurs fusils à baïonnette. La fleur et les baïonnettes créent une antithèse visuelle très forte. De part et d'autre s'opposent la jeune femme dans une attitude d'offrande qui exprime la piété, le calme, la paix et l’amour contre les hommes-soldats uniformisés, qui eux expriment une violence et une agressivité injustifiée.

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La photographie a été prise en angle de vue normal, avec un cadrage rapproché intensifiant la confrontation. Marc Riboud a « mitraillé » l’événement (6 images en tout) en utilisant différents cadrages, puis a choisi le cliché qui offre le plan le plus rapproché afin d’ignorer la foule et le contexte. Le visage de la jeune femme, la fleur, et la baïonnette, au premier plan sont nets. L’arrière-plan et les autres soldats sont flous, les rendant anonyme. La photo respecte la règle de composition des tiers (voir définition) : Verticalement, les soldats au tiers gauche et la jeune fille au tiers droit. Horizontalement, le regard de la jeune femme et la fleur, ainsi que la baïonnette, au premier plan, se trouvent aux intersections des lignes de force (lignes visibles qui structurent la composition d'une image). Les baïonnettes et l’orientation du regard font le lien La lumière est légèrement en contre-jour, venant de la droite, créant comme une aura (halo de lumière) autour de la fleur et accentuant les silhouettes des soldats, de la jeune femme et des baïonnettes. Cette photographie non retouchée est en noir et blanc et contribue à la rendre intemporelle.

Conclusion : Cette photographie prend une dimension politique et poétique. Isolée, la jeune femme va symboliser l’ensemble des manifestants, c’est-à-dire la jeunesse américaine et la génération hippie qui prône le mouvement « Peace and Love », la paix et l’amour contre la guerre. Le point de vue du photographe semble neutre car il se trouve face à deux symboles opposés et non dans l’un ou l’autre camp. Mais à travers de cette image, il fait un choix et nous incite à faire de même, celui de préférer la paix à la guerre et de protester contre la guerre du Vietnam. L'argument de la paix contre la guerre utilise l'antithèse pour nous convaincre. Le succès de cette photo s'explique parce qu'elle conjugue une puissante charge symbolique et les critères esthétiques d'équilibre qui procurent un plaisir visuel au spectateur.

Quand Marc Riboud livrait à GEO ses souvenirs de résistant dans le Vercors MARC RIBOUD (TÉMOIGNAGE) / GEO HISTOIRE - MERCREDI 31 AOÛT 2016

Le géant de la photo Marc Riboud est mort, ce mardi, à l'âge de 93 ans. Il a notamment couvert la guerre d'Algérie, fut l'un des rares à suivre la guerre du Vietnam (au Nord et au Sud), s'est rendu au Bangladesh, en Chine, au Cambodge, au Tibet... Durant la Seconde Guerre mondiale, Marc Riboud a également pris les armes, côté maquis. En 2009, il livrait à GEO Histoire ses souvenirs de jeune résistant dans le Vercors. Un témoignage palpitant que nous vous proposons de (re)découvrir ici.

"Je n’aime pas beaucoup les histoires d’anciens combattants, et pourtant, j’étais heureux de retourner dans le Vercors. J’ai aimé y marcher, revoir et photographier les prairies et les

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falaises. La nature y est si belle et si paisible, mais les cœurs et les corps sont toujours marqués par la violence des morts et de la torture.

Le maquis, pourquoi ? Le choix était simple. La voix de de Gaulle y était pour quelque chose. Le bruit des bottes allemandes sous nos fenêtres, à Lyon, y était pour beaucoup. Les chants à plusieurs voix des SS étaient beaux mais leurs pas cadencés étaient terribles. Refuser le STO était évident. Un frère, des amis arrêtés et emmenés dans les camps. Oui, le choix était simple : je me suis laissé aller comme l’eau suit la pente.

Je suis parti pour le maquis avec trois amis de Lyon qui, comme moi, allaient à la Maison des étudiants catholiques, la MEC (ma mère l’écrivait "la Mecque" !). C’était un foyer de résistance, et un des pères jésuites nous a donné un (faux) nom sur un papier comme laissez-passer à montrer aux maquisards. C’est ce que nous avons fait.

J’avais 20 ans, j’étais un gamin, je n’avais aucune idée de la guerre ni des risques que je prenais. Nous sommes partis en mai ou juin 1944, d’abord en train jusqu’à Valence, puis en autobus et à pied, à partir d’un village au pied du massif. L’Armée secrète nous a pris en charge. Je me suis retrouvé volontaire dans un bataillon de chasseurs alpins.

Les soldats allemands tiraient sur tout ce qu’ils voyaient

Le 14 juillet, je me souviens d’un parachutage massif par les Américains. Nous avions besoin d’armes, et dans les paquets, nous avons trouvé des chaussettes, des souliers dépareillés, des chewing-gums, etc. Les Allemands ont été les premiers à repérer où ils tombaient. Et quelques jours plus tard, dans la plaine de Vassieux, sur le grand terrain d’atterrissage préparé par les Français, ce sont une quarantaine de planeurs allemands qui sont arrivés. Les soldats allemands tiraient sur tout ce qu’ils voyaient : femmes, enfants, animaux. Ils ont encerclé toute la plaine avec de très gros moyens.

J’étais à Valchevrière, au "belvédère", une espèce de terrasse dominant la seule route d’accès, là où il y a eu le plus de morts. Nous étions encerclés. Le capitaine Chabal nous a dit : "Nous allons faire Sidi Brahim !", c’est-à-dire se battre jusqu’à la mort. J’étais serveur à la mitrailleuse américaine Remington. Elle a tant chauffé que la balle ne pouvait plus passer, et sans eau, on n’avait plus qu’à pisser dessus, sans succès. On était des amateurs, et en face, c’étaient de formidables guerriers.

Au cœur de l’action, on ne voit rien. On ne voit pas l’ennemi, et mon copain m’avait prévenu : "Ne t’en fais pas, quand on entend les balles siffler, c’est qu’elles sont passées." Il y a eu des tirs de mortiers, de mitrailleuses, de canons. Le bruit de la bataille a été si fort que je suis devenu sourd pendant trois jours.

Je me suis dit : "Quelle photo !"

Puis est venu l’ordre de se replier en direction de la ferme d’Herbouilly (le PC de Jean Prévost). C’est ici que je me suis séparé de mon copain Albert Potton, avec qui j’avais été volontaire pour toutes les missions depuis le début de la bataille. Chacun est parti de son côté. Et je n’ai revu Albert que plus d’un mois après, je ne savais pas alors s’il était mort ou vif. Il fallait traverser une combe éclairée par la pleine lune, et je me suis dit qu’on allait être abattu comme des lapins. J’ai préféré partir dans la direction opposée et passer la nuit caché dans les fourrés. Les Allemands mettaient le feu à tous les hameaux, brûlaient les maisons isolées pour que le maquis ne se reforme pas. Les toits de chaume se consumaient avec d’immenses flammes. J’ai franchi un petit vallon et vu l’ombre projetée par l’incendie. Je me suis dit : "Quelle photo !"

Pour éviter les Allemands, je suis monté en haut d’une falaise. Il y faisait encore nuit, il y avait de la brume et je ne voyais rien. Epuisé, j’ai dormi une heure et j’ai cherché un passage pour

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descendre de l’autre côté. Dans le noir, j’ai jeté de grosses pierres en différents points de la falaise. Là où la pierre faisait de longs rebonds en chute libre, je devinais un à-pic, et puis une pierre a fait des rebonds réguliers et rapprochés me signalant que je pouvais passer par là. Après la Libération, j’ai appris que le Pas du Fouillet était le seul passage sur des kilomètres pour franchir la falaise, et je l’avais découvert, grâce à mon instinct de survie et à mes grosses pierres.

Arrivé en bas sur la route, j’ai croisé un type du pays et je lui ai dit que j’arrivais de Valchevrière. "Un survivant !" s’est-il exclamé. Il savait déjà que la bataille avait été terrible. Je lui ai demandé si les Allemands étaient arrivés. "Non, pas encore, mais ils ne vont pas tarder, m’a-t-il répondu. Au prochain village, demandez monsieur Bonnard. Dites-lui que son neveu est vivant." J’ai marché jusqu’au hameau, trouvé monsieur Bonnard et fait passer le message. Il m’a donné un morceau de pain et de jambon et m’a dit : "Cachez-vous dans la grotte, au pied de la falaise. Quand il n’y aura plus d’Allemands, on mettra un grand linge blanc à notre fenêtre." Six jours sont passés et toujours pas de linge blanc. J’avais très faim et très soif. Les Allemands surveillaient les points d’eau, je pressais de la mousse pour en faire sortir quelques gouttes. N’y tenant plus, à minuit j’ai frappé à la fenêtre du "père Bonnard". Je l’ai appelé. Pas de réponse, et après un long silence, il a murmuré derrière son volet : "Partez ! Les Allemands sont dans la ferme. Venez demain au champ, près des faux qu’on aiguise." Si la sentinelle m’avait pris en train de parler au père Bonnard, il aurait été fusillé sur le champ avec moi pour avoir aidé un "terroriste". Ce qui nous a sauvés, c’est la fontaine qui coulait en permanence, comme dans toutes les fermes du Vercors. Grâce à ce bruit, j’ai pu passer par miracle entre deux sentinelles.

Les soldats allemands suivaient la lisière de la forêt où j'étais caché

Le lendemain, je me suis approché des faucheurs, et j’ai vu une petite troupe de cinq soldats allemands sur des mulets qui se dirigeaient vers moi. Ils suivaient la lisière de la forêt où j’étais caché. Je me suis mis à plat ventre et j’ai vu les soldats passer à quelques mètres. Je voyais le dessous de leurs bottes. Quand ils sont partis, on m’a donné à manger et j’ai appris que les Allemands se retiraient.

Ma famille me croyait mort, on a même donné une messe pour moi. Pour rentrer, j’ai d’abord fait quelques kilomètres dans un camion de lait, le seul qui passait, puis une longue marche à pied, en évitant la grande route. J’ai traversé une partie du Vercors et vu, dans les villages détruits, les inscriptions des SS : "Français, traîtres à l’Europe !" J’ai stoppé un autre camion. Le chauffeur m’a caché sous une bâche. Au barrage, le soldat, paresseux, ne l’a pas soulevée. Arrivé à la maison, je me suis changé (j’étais encore en tenue de chasseur alpin) et j’ai décidé d’aller chez le coiffeur, place Bellecour, où je me suis retrouvé assis à côté d’un officier allemand ! Quinze jours plus tard, Lyon était libéré. Harcelée, l’armée allemande a vite décampé. Les maquis y ont été pour quelque chose. J’ai rejoint le 6e BCA sur le front des Alpes, à la frontière italienne.

Avec le recul, cette période a été l’une des plus belles de ma vie. J’en ai vécu peu d’aussi exaltantes. L’argent ne servait à rien. Les affections, les amours, les amitiés, la culture, rien n’était vicié, il y avait une sincérité, une pureté, une intensité exceptionnelles dans les relations humaines. J’ai retrouvé un peu tout cela à Prague et en Pologne, sous l’occupation soviétique. Ceux qui résistaient, comme Anna Farova, l’une des premières signataires de la Charte 77, survivaient grâce à leur culture, à leurs valeurs, à l’amitié."

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Œuvres[modifier | modifier le code]

Photographies célèbres[modifier | modifier le code]

• Photographie en noir & blanc du Peintre de la Tour Eiffel, publiée dans Life en 1953 : « Zazou », le seau de peinture accroché en contrebas, ouvrier en équilibre sur la structure métallique, peint la tour au-dessus de Paris.

• La Fille à la fleur : la photographie d'une jeune femme, Jane Rose Kasmir, une fleur à la main face aux lames des fusils à baïonnettes des soldats de la garde nationale près du Pentagone, fixant un militaire dans les yeux, pendant une marche contre la Guerre du Viêt Nam, le 21 octobre 1967, est l'une des plus célèbres images de lutte contre la guerre.

Publications[modifier | modifier le code]

Les photographies de Marc Riboud ont été publiées dans de nombreux magazines dont Life, Look, Le Nouvel Observateur, Paris-Match, Géo, Stern. Il a remporté deux fois le Overseas Press Club Award (en 1966 pour The Three Banners of China et en 1970 pour Face of North Vietnam). Il a reçu à New York le prix de Leica Lifetime Achievement en 2001.

En 2012, son livre Vers l'Orient, publié aux éditions Xavier Barral, qui rassemble une sélection de photographies prises lors de son voyage de jeunesse à travers le Moyen-Orient et l'Asie, est récompensé par le prix Nadar.

• Women of Japan, texte de Christine Arnothy, éd. André Deutsch, Londres et Bruna & Zoon, Utrecht, 1959

• Les Trois bannières de la Chine, texte de Han Suyin, éd. Robert Laffont, Paris, 1966

• Face of North Vietnam, texte de Philippe Devillers, éd. Holt, Rinehart & Winston, New York, 1970

• Marc Riboud, texte de Jean Dieuzaide, galerie municipale du Château d'Eau, Toulouse, 1977

• Chine: Instantanés de Voyage, éd. Arthaud, Paris, 1980

• Images de Villeurbanne, texte de Christian Caujolle, éd. Fondation nationale de la Photographie, 1985

• Marc Riboud : photos choisies, 1953-1985, éd. Musée d'art moderne de la Ville de Paris, 1985

• Journal, textes de Claude Roy et Marc Riboud, éd. Denoël, Paris, 1986

• L'embarras du choix, éd. Centre national de la Photographie, Paris, 1988

• Marc Riboud, Photo Poche n°37, éd. Centre national de la Photographie, Paris, 1989 et Actes Sud, Arles, 2004, 2005, 2011 et 2015

• Huang Shan, éd. Arthaud, Paris, 1990

• Angkor, sérénité bouddhique, textes de Jean Lacouture, Jean Boisselier, Madeleine Giteau et Marc Riboud, éd. Imprimerie nationale, Paris, 1992

• Quarante ans de photographie en Chine, éd. Nathan, Paris, 1996

• In China, éd. Thames & Hudson, Londres, 1997 (ISBN 978-0-500-54205-7)

• 100 photos pour défendre la liberté de la presse, éd. Reporters sans frontières, Paris, 1998

• Istanbul, texte de Jean-Claude Guillebaud, éd. Imprimerie nationale, Paris, 2003

• Huang Shan, Les montagnes célestes, éd. Flammarion, Paris, 2004 (ISBN 978-2-08-011317-7)

• Demain Shanghai, texte de Caroline Puel, éd. Delpire, Paris, 2003

• 50 ans de photographie, éd. Flammarion, Paris, 2004

• Sous les pavés, éd. La Dispute, Paris, 2008, (ISBN 978-2-84303-167-0)

• L'instinct de l'instant, 50 ans de photographie, textes de Michel Frizot, Jean Lacouture, Daniel Marchesseau et André Velter, catalogue d'exposition Paris Musées, Paris, 2009

Page 13: Marc Riboud · l'avènement de Mao. Henri Cartier-Bresson avait laissé le pays en plein chaos en 1949. Riboud en montre les nouveaux héros, ouvriers et paysans. Et les enfants qu'il

• Les Tibétains, éd. Imprimerie nationale, textes d'André Velter, Paris, 2009, (ISBN 978-2-7427-8472-

1)

• Algérie Indépendance, texte de Jean Daniel, Malek Alloula et Seloua Luste-Boulbina, éd. le Bec en l'air, Manosque, 2009

• Montagnes célestes de Huang Shang, paysages d'Angkor, éd. Gourcuff Gradenigo, Paris, 2010 (ISBN 978-2-35340-094-2)

• I comme Image, éd. Gallimard Jeunesse / Les Trois Ourses, Paris, 2010

• 1. 2.. 3... image, éd. Gallimard Jeunesse / Les Trois Ourses, Paris, 2011

• Choses vues, texte d'André Velter, éd. Imprimerie nationale, Paris, 2012 (ISBN 978-2-330-00664-8)

• Paroles d'un taciturne, entretiens avec Bertrand Eveno, éd. Delpire, Paris, 2012

• Vers l'Orient, éd. Xavier Barral, Paris, 2012 (ISBN 2-915-17384-2) (Prix Nadar)6

• Marc Riboud, texte de Quentin Bajac, éd. Centre Pompidou, 2013

• 60 ans de photographie, éd. Flammarion, Paris, 2014

• Alaska, catalogue d'exposition de Chanel Nexus Hall, Tokyo, 2015

• Cuba, texte de Jean Daniel, préface de Wim Wenders, Éditions de La Martinière, Paris, 2016 (ISBN 978-2-73247-249-2)

Expositions[modifier | modifier le code] Années 1960

• 1963 : Marc Riboud, Institut d'art de Chicago, Chicago

• 1966 China, Asia House, New York

• 1966 China, Institute of Contemporary Arts, Londres

• 1967 China, The Photographers' Gallery, Londres

• 1967 Chine, galerie Delpire, Paris

Années 1970

• 1974 Marc Riboud, The Photographers' Gallery, Londres

• 1975 Marc Riboud, Centre international de la photographie, New York

• 1977 Marc Riboud, Château d'eau, Toulouse

• 1978 Marc Riboud, galerie Agathe Gaillard, Paris

Années 1980

• 1981 From China & Elsewhere, Gallery Photograph, New York

• 1981 China, The Photographers' Gallery, Londres

• 1982 China, Galerie Le Trépied, Genève

• 1984 Hommage à Marc Riboud, Centre d’action culturelle, Angoulême

• 1985 Marc Riboud, rétrospective, musée d'art moderne de la ville de Paris, Paris

• 1985 Photographes photographiés, musée Nicéphore-Niépce, Chalon-sur-Saône

• 1988 Marc Riboud : l'embarras du choix, galerie Agathe Gaillard, Paris

• 1988 : Lasting Moments 1953-1988, Centre international de la photographie, New York

Années 1990

• 1990 Huang Shan, Centre culturel français, New York

• 1996 40 ans de photographie en Chine, Centre national de la photographie, Paris ; Barbican Centre, Londres ; Centre international de la photographie, New York ; musée des beaux-arts, Pékin

Page 14: Marc Riboud · l'avènement de Mao. Henri Cartier-Bresson avait laissé le pays en plein chaos en 1949. Riboud en montre les nouveaux héros, ouvriers et paysans. Et les enfants qu'il

• 1997 Marc Riboud, Howard Greenberg Gallery, New York

Années 2000

• 2001 Marc Riboud, Leica Gallery, New York

• 2003 Shanghai, demain, musée Carnavalet, Paris

• 2004 50 ans de photographie, rétrospective, Maison européenne de la photographie, Paris

• 2005 Marc Riboud, rétrospective, Kahistukan-Kyoto Museum of contemporary Art, Kyoto

• 2008 Mai 68, présentation de photographies en plein air, place de la Sorbonne et hall du lycée Louis-le-Grand, Paris

• 2009 Marc Riboud, l'instinct de l'instant, musée de la vie romantique, Paris

• 2009 Leeds 1954-2004, Historical Museum, Leeds

Années 2010

• 2010 Au jardin de Krishna Riboud, musée national des arts asiatiques - Guimet, Paris

• 2010 The Instinctive moment, musée des beaux-arts, Pékin ; musée des beaux-arts, Shanghai ; Wuhan Art Museum, Wuhan ; Macau Museum of Art, Macao ; consulat de France, Hong Kong...

• 2010 I comme Image, un abécédaire photographique, Maison européenne de la photographie, Paris et Quinzaine de la Photographie, Cholet

• 2011 Histoires du quotidien en Chine de 1957 à 2011, Quais Hennessy, Cognac

• 2012 Algérie, théâtre Liberté, Toulon

• 2012 Marc Riboud, mairie de Saint-Genis-Laval

• 2013 Vers l'Orient, galerie Camera Obscura, Paris

• 2014 Longues marches en Chine, Base sous-marine, Bordeaux

• 2014 De grâce, un geste ! Musée d'art moderne Richard Anacréon, Granville

• 2014 Marc Riboud - Premiers Déclics, Le Plateau, espace exposition du siège du conseil régional de Rhône-Alpes7, Lyon

• 2014 Witness at a Crossroads, photographer Marc Riboud in Asia, Rubin Museum of Art, New York

• 2014 Marc Riboud, l'alphabet du monde, Multimedia Art Museum, Moscou

• 2015 Alaska, Chanel Nexus Hall, Tokyo et festival Kyotographie, Kyoto

• 2015 L'Un pour l'autre, une sélection de Michel Frizot, Polka galerie, Paris

• 2016 : Cuba 1963, Fondation Brownstone, Paris8

Références Site officiel : http://marcriboud.com/