135
1 Mathias PIGEAT « La Corruption et les Contrats Publics Internationaux » Master 2 Recherche DROIT PUBLIC ÉCONOMIQUE Année 2006-2007

Master 2 Recherche DROIT PUBLIC ÉCONOMIQUE … · Celle-ci affecte tous les domaines ... Les affaires, en l’espèce, sont ... l’existence d’un droit spécifique aux contrats

  • Upload
    vunhu

  • View
    216

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

1

Mathias PIGEAT

« La Corruption et les Contrats Publics Internationaux »

Master 2 Recherche DROIT PUBLIC ÉCONOMIQUE Année 2006-2007

2

SOMMAIRE INTRODUCTION Page 4 Première Partie – Les réponses au phénomène de la corruption dans les Contrats Publics Internationaux : Page 14 Chapitre 1 - La corruption, un terme pluridisciplinaire à la qualification difficile : Page 14 Section 1 – L’approche économique de la corruption : Page 14 Section 2 - L’appréciation juridique d’un phénomène économique : Page 20 Chapitre 2 - La lutte contre la corruption dans les contrats publics à l’échelle internationale et nationale : Page 29 Section 1- Les initiatives internationales : Page 29 Section 2- La dimension nationale de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 52 Deuxième Partie - La mise en pratique de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 61 Chapitre 1 - Les moyens de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux, de la prévention à la répression : Page 61 Section 1- Les moyens en amont, la prévention de la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 62 Section 2- Les moyens en aval, la répression dans la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 78 Chapitre 2 - Les limites et perspectives de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 85 Section 1- Les limites et obstacles de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 85 Section 2- Les solutions pour relancer et rendre plus efficace la lutte contre la corruption : Page 92 CONCLUSION Page 101

3

TABLE DES SIGLES ET DES ABREVIATIONS :

AMP : Accord sur les marchés publics pris dans le cadre de

l’organisation mondiale du commerce. BM : Banque Mondiale. CNUDCI : Commission des Nations Unies pour le droit commercial

international. FCPA : Foreign Corrupt Practices Act, réglementation américaine sur la

corruption d’agents publics étrangers. FMI : Fonds Monétaire international GRECO : Groupe d’États contre la corruption mis en place dans le cadre

du Conseil de l’Europe. Ibid : Dans le même ouvrage ou article que la référence précédente. INT : Département intégrité dans le cadre de la Banque Mondiale. IPC : Indice de perception de la corruption. NAFTA : North American Free Trade Agreement, ALENA en français

pour accord de libre-échange nord américain. OCDE : Organisation de coopération et de développement économique. OMC : Organisation Mondiale du Commerce. ONU : Organisation des Nations Unies. Op. Cit. : Ouvrage cité auparavant RFFP : Revue Française des finances Publiques. TI : Transparency International. UE : Union Européenne.

4

INTRODUCTION

Sur l’ensemble de la planète, la corruption atteindrait une centaine de milliards

de dollars par an. Les enjeux sont énormes. Sur 4000 milliards de dollars dépensés par

les gouvernements pour les contrats publics, les sommes perdues en pot-de-vin lors de

la passation des marchés représenteraient au moins 40 milliards de dollars chaque

année. Par ailleurs, celle-ci a pour effet d’entraîner un surcoût de 20% à 25% dans les

marchés de fournitures.

La corruption est un phénomène global. Celle-ci affecte tous les domaines

d’activité, privés comme publics, à toutes les étapes de la formation d’un contrat

public, que ce soit lors de la passation ou lors de l’exécution, et concerne tous les pays

qu’il s’agisse des pays émergents, les plus fortement touchés, mais aussi les pays

développés. Les scandales récents qui touchent des multinationales, comme dans

l’affaire Total dans un domaine aussi sensible que l’affaire « pétrole contre

nourriture », démontrent qu’il s’agit d’un problème d’envergure aux conséquences

importantes, voire dramatiques.

Enfin, la polémique qui touche Paul Wolfowitz, le directeur de la Banque mondiale,

et les méthodes qu’il utilise pour lutter contre la corruption, en excluant certains pays

des programmes d’aides, est une preuve supplémentaire de la complexité du sujet.

Selon Hervé Landau, la pratique de la corruption est d’autant plus aisée à

réaliser que les échanges se mondialisent, que les frontières s’ouvrent et que des

techniques nouvelles de communication se développent. Les activités de corruption

« utilisent pleinement la dérégulation et la numérisation de l’économie ». 1

Il s’agit généralement d’un phénomène transnational, qui doit, donc, être

appréhendé et combattu à l’échelle de la planète, par les autorités publiques.2

1 Hervé LANDAU, Pratique de la lutte anti-blanchiment, Revue Banque Edition, Paris, 2005, P.80 2 Philippe MONTIGNY, L’entreprise face à la corruption internationale, Edition Ellipses, 2006, p.209

5

La corruption est une notion extrêmement commune qu’il est très difficile de

cerner. C’est une notion pluridisciplinaire, à la fois, économique, philosophique et

juridique, qui est devenue un phénomène à la mode et qui, par conséquent, se noie

dans l’esprit du temps et connaît des acceptions différentes selon les cultures.

Pierre Lascoumes, directeur de recherche au CNRS et auteur de plusieurs

ouvrages sur la corruption et la délinquance, relève la polysémie du concept. Selon lui

le terme de corruption est « victime des ambiguïtés du sens commun »3.

En outre, son caractère occulte et secret la rend particulièrement difficile à

appréhender. « Le secret qui entoure sa mise en œuvre ne facilite pas son étude

objective » et « ouvre la porte à toutes les rumeurs, voire à tous les fantasmes ». 4

Dans son sens premier, la corruption, « corrumptio », signifie simplement

altération du verbe « corrompere » rompre ce qui était uni et joint ensemble.

La corruption peut être définie comme « un détournement ou un trafic de la

fonction »5, ou comme « la violation par le coupable des devoirs de sa charge »6.

Selon Transparency International, une organisation non gouvernementale très

active en matière de corruption, « la corruption désigne un comportement des agents

publics, qu’ils soient élus ou fonctionnaires, par lequel, ils, ou ceux qui leur sont

proches s’enrichissent de façon indue et illégale en utilisant de façon détournée le

pouvoir public qui leur a été confié ». 7

Cependant, aborder la notion de corruption sans prendre en considération sa

dimension morale serait une erreur. Ainsi, le terme de corruption renvoie à une autre

notion qui semble être son opposé et le fondement de sa réprobation, la notion

d’éthique.

3 Pierre LASCOUMES, « Percevoir et juger la corruption politique», site du CEVIPOF, http://www.cevipof.msh-paris.fr/dossiersCev/projmaj/20032006/02-RFSP.pdf, p.4 4 Philippe MONTIGNY, op. cit., p.263 5 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, P.U.F., 8éme édition, Avril 2007 6 A.VITU, « Corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique», Jurisclasseur Droit Pénal n°31, Novembre 1993, p.4 7 Jeremy POPE, Confronting Corruption: The Elements of a National Integrity System, TI Source Book 2000, Transparency International, 2003, 3e ed., 394 p.

6

Elle recouvre l’ensemble des principes moraux qui sont à la base du

comportement de l’individu.8

Cependant, si l’éthique a déjà pénétré le droit des affaires, elle tend à avoir

une influence de plus en plus importante dans le droit des contrats publics.

Ainsi, il est important de noter que si la corruption a été, pendant longtemps,

appréhendée sous l’angle de la philosophie, de la sociologie, de la science

administrative et de l’économie, il n’en reste pas moins que ce sujet pluridisciplinaire

a une dimension juridique très importante et tend à s’affirmer comme une notion

importante du droit.

Bruno-André Pireyre retient que la corruption est avant tout « un

comportement infractionnel »9, strictement défini par le droit pénal français, « lequel,

dans le respect du principe de légalité des délits et des peines, en fixe les conditions

d’incrimination et en prévoit la répression ».

Il relève que son champ d’incrimination n’a cessé de s’élargir depuis le milieu

du siècle dernier, jusqu’à connaître son paroxysme avec les conventions

internationales.

Ainsi, la corruption détourne les contrats publics de leur fonction première,

celle de répondre à un besoin public et à l’intérêt général, les rendant ainsi totalement

inefficaces. Cela a pour conséquence de geler toute possibilité de développement

économique et social, en particulier dans les pays en voie de développement.

De manière générale, on entend par contrats publics internationaux, les

contrats conclus par un État ou un organisme multilatéral avec une entreprise

étrangère ou une autre entité publique étrangère. Cette dénomination désigne

également les contrats conclus dans le cadre des opérations financées par des

organismes multilatéraux.

Ces contrats sont un terreau particulièrement favorable au développement des

pratiques corruptrices. Ainsi, selon une enquête menée par le cabinet Kaufmann en 8 RICHARD V., Incidence des changements de l’organisation du travail et du management par les pratiques de l’éthique relationnelle, thèse d’habilitation à diriger des recherches, Université de Paris IV-Sorbonne, CELSA, 1994, p. 35-36 9 PIREYRE Bruno-André, « Corruption et trafic d’influence :l’approche du droit pénal », Revue Française de Finances Publiques, n°69, Mars 2000, p.33

7

2006, auprès de dirigeants d'entreprises multinationales pour le forum de Davos

(Forum Mondial Économique), il ressort que ce sont les marchés publics qui sont le

plus fréquemment à l'origine d'actes de corruption10.

La question des contrats publics et, plus précisément des procédures de

passation de la commande publique, représentent, donc, un enjeu capital dans la lutte

contre la corruption. C’est en effet dans ce domaine que le risque de détournement

d’argent, de pot-de-vin ou de tout autre avantage au profit d’un intérêt privé et aux

dépens de l’intérêt collectif peut se manifester.

Les affaires, en l’espèce, sont légions et sont extrêmement médiatisées. Elles

contribuent à entretenir un climat de méfiance à l’égard de l’administration et des

politiques en matière de gestion et d’achat public.

Ces cas de corruption sont donc un problème majeur car il représente non

seulement un coût financier pour les contribuables qui voient leurs participations

utilisées à mauvais escient, mais aussi une sanction morale et médiatique pour

l’administration qui perd avec ces pratiques la confiance des contribuables dans ses

institutions.

Mais pourquoi les contrats publics internationaux sont-ils un domaine si

sensible ? Plusieurs raisons expliquent cette prédisposition.

Selon Hervé Isar, on peut trouver deux raisons principales à cette

tendance11. Tout d’abord, en raison de la quantité de contrats publics qui sont passés

chaque année et qui a augmenté de manière considérable portant le chiffre à plusieurs

milliers de contrats publics par an. Puis, par la qualité des contrats publics, car ceux-ci

« impliquent nécessairement l’intervention de la puissance publique » et donc des

« hommes de l’État » que notre culture a souvent « sanctuarisé », conduisant à un

sentiment d’impunité et aggravant les effets de « la rencontre entre corruption et

marchés publics ».

Selon lui, l’existence d’un droit spécifique aux contrats publics est une des

sources de ces nombreuses difficultés. Il pointe, ainsi, « l’équivoque calcul des

seuils », les responsables publics cherchent par tous les moyens à passer en dessous

10 Voir annexe 2. 11 Hervé ISAR, « Corruption et marchés publics : une analyse juridique », in Jean-Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, p 249-251

8

des seuils et ainsi ne pas être soumis à des procédures trop formelles et

contraignantes.

Puis, il retient « la suspecte mobilisation des procédures d’exceptions », où

même si « les espaces réglementaires sont plus étroits », « de nombreux responsables

ont souvent recours à des procédures d’exception en dehors des hypothèses

limitativement prévues ».

Il relève également la schizophrénie des réglementations en vigueur, qui est

une source supplémentaire de difficulté. Celles-ci, qui exigent une très grande

précision dans la définition des besoins tant techniques que financiers, se montrent

méfiantes envers les rédactions trop précises. Il en conclut que ces réglementations

aux « prétentions prométhéennes génèrent en quelque sorte leurs propres

faiblesses ».

Une autre explication, plus économique, retient « la médiation ou

l’intermédiation de la puissance publique », source de distorsion, comme la faiblesse

des contrats publics. Cette intervention de l’autorité publique conduit à une

« séparation entre besoin et demande qui entraîne un risque d’inadéquation de

l’offre». Celle-ci entraîne, de plus, « un défaut de responsabilité économique du

décideur public » et a comme conséquence principale un « risque de gaspillage » très

important12.

La faiblesse des contrats publics en matière de corruption tiendrait alors au

caractère étatique de ceux-ci. Un économiste américain aurait, ainsi, dit

« débarrassez- moi de l’État, et je fais disparaître la corruption ». Cette formule

apparaît fausse car elle laisse à penser que la corruption ne peut pas exister sans l’État

or la corruption existe aussi dans le secteur privé. Cependant, elle est vraie en ce

qu’elle indique que les activités de l’État, par leur nature même, présentent un risque

spécifique de corruption.

En outre, plusieurs obstacles viennent ralentir les efforts menés pour

combattre la corruption et représentent de nombreux enjeux pour l’avenir.

12 Sylvain TRIFILIO et Momtchil I. KARPOUZANOV« Corruption et marchés publics : une analyse économique » dans Yves NAUDET La corruption Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur 2005 p.267

9

La première difficulté porte sur les effets supposés bénéfiques ou négatifs de

la corruption. Pendant longtemps, de nombreux économistes ou chercheurs ont tenu,

ou tiennent encore, des théories selon lesquelles la corruption permettrait de mettre de

« l’huile » dans les rouages des systèmes trop bureaucratiques ou trop administratifs.

Il a donc été particulièrement difficile pour les acteurs de la lutte contre la

corruption de parvenir à réaliser un consensus sur la nécessité de faire de celle-ci un

objectif majeur du développement. Sur ce point, le nombre de conventions

internationales signées ces dernières années est pour le moins significatif du

changement de mentalité en la matière. (1996 : Convention des États américains,

1997 : Convention de l’Union Européenne, 1997 : Convention de l’Organisation de

Coopération et de Développement Économique (OCDE), 1999 : Conventions civiles

et pénales du Conseil de l’Europe, 2003 : Convention de l’Union Africaine dites de

« Maputo » et 2003 : convention des Nations Unies dites de « Mérida »).

En somme « les filets sont posés et les mailles se resserrent

inexorablement »13. La quantité de conventions sur ce sujet confirme que la lutte

contre la corruption n’est pas « une simple traînée de poudre mais une réalité

nouvelle que les entreprises ne peuvent plus ne pas prendre en compte dans leur

stratégie de développement »14.

Le second problème important que rencontre la lutte contre la corruption est

celui du critère de la territorialité. Le fait que certains pays ne fondent la compétence

de leurs tribunaux que sur le critère de la territorialité, à l’exclusion du critère de la

nationalité, est de nature à favoriser la corruption transnationale et à limiter les efforts

mis en place pour lutter contre elle.

La dernière entrave majeure à une réglementation efficace contre la corruption

dans les contrats publics internationaux est celle de la coopération judiciaire, car

l’incrimination et la sanction des faits de corruption est tributaire de l’état de la justice

dans les pays étrangers. Par conséquent, sans coordination entre les juridictions tout

effort pour endiguer la corruption internationale semble vain.

Les enjeux de la lutte contre la corruption dans les contrats publics

internationaux vont résider dans l’échelle à laquelle sont passés ces contrats. Les

13 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 85 14 ibid., p. 118

10

pratiques corruptrices vont toucher plusieurs systèmes juridiques, rendant plus

difficile les efforts pour les endiguer, et vont avoir des conséquences plus importantes

à une telle dimension.

Les contrats publics ont un but d’intérêt général dans la plupart des cas et vont

viser dans le cadre des contrats publics internationaux des objectifs de

développement économique et de lutte contre la pauvreté.

La corruption dans le secteur public a, donc, des effets d’autant plus néfastes

qu’elle renvoie à la bonne gestion des deniers publics, la recherche de l’intérêt

général, mais aussi à la garantie d’efficacité de l’action publique et de l’aide au

développement.

La lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux renvoie à

la protection de la morale publique « indispensable au bon fonctionnement du contrat

social », les pratiques corruptives ont, en l’espèce, un coût en termes de confiance

dans la capacité de gestion et l’intégrité des pouvoirs publics.

Un autre élément intéressant est, comme nous l’avons vu les théories selon

lesquelles la corruption peut agir quelquefois comme un catalyseur de l’activité

économique15. Elle permettrait de dynamiser une économie officielle réglementée à

l’extrême et de lubrifier une administration sclérosée.

Le point le plus important que représente la corruption dans les contrats

publics internationaux semble être économique, il s’agit de l’efficacité de l’aide au

développement en faveur des pays émergents et de la question des investissements

dans ces pays. Le risque de pratiques corruptives réduit l’efficacité des aides et des

investissements ce qui rend le développement économique plus difficile à réaliser.

Le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale ont pris

conscience de la nécessité de lutter contre ce problème considéré comme étant à

l’origine de l’avortement des tentatives d’ajustements structurels pour le FMI et des

politiques de développement économique de la Banque Mondiale.

15 Carole DOUEIRY « Ethique corruption et clientélisme : le cas du liban » dans Yves NAUDET La corruption Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur 2005 p.108

11

Le quatrième rapport stratégique sur les exportations américaines contre la

corruption estime à 64 milliards de dollars le montant des commissions versées sur

169 contrats internationaux. 16

La lutte contre la corruption est donc capitale pour les pays émergents qui sont

le plus durement touchés par ce phénomène. Ainsi pour Dieter Frisch, « les effets de

la corruption sont beaucoup plus dévastateurs dans les pays disposant de peu de

ressources que dans des pays riches qui peuvent à la limite se permettre un certain

gaspillage ». 17

Mais c’est aussi un enjeu très important pour les entreprises dans la mesure où

la corruption est constitutive d’une distorsion de concurrence en attribuant le contrat

public, non pas à l’entreprise la plus compétente, mais à l’entreprise qui permettra à

l’agent public de tirer les plus grands avantages illicites du marché.

Pour Jean Cartier-Bresson, la corruption crée une distorsion dans l’allocation

des ressources publiques parce qu’elle affecte la structure des dépenses publiques en

faveur des programmes facilitant le prélèvement de pots-de-vin aux dépens des

secteurs prioritaires18. L’exemple type est ce que l’on appelle couramment les

« éléphants blancs », ce sont des projets sans valeur sociale, surdimensionnés,

inadaptés et jamais aboutis qui tendent à se multiplier si aucune lutte contre la

corruption n’est organisée.

Les pratiques corruptives déforment le rôle redistributif de l’État, les

programmes de lutte contre la pauvreté s’en trouvent totalement dénaturés et

l’efficacité de l’aide et du financement international est fortement réduite. Cette

situation est favorable au camp des partisans de la réduction de l’aide au

développement.

Selon Transparency International, la corruption est « sans doute le principal

obstacle au développement des pays et des populations les plus pauvres et à la

16 The national export strategy (Trade Promotion Coordinating Committee), Washington DC, octobre 1997 17 Dieter FRISCH, « La corruption obstacle majeur au développement économique et social », in La corruption nous concerne tous, Cahiers de l’institut d’études sur la justice, éd. Bruylant, 2002, p.44 18 Jean CARTIER-BRESSON « L’analyse économique de la corruption », RFFP, Mars 2000, n° 69, p.22

12

réalisation des objectifs du millénaire en matière d’éducation, de santé publique et

d’accès aux services essentiels à la vie »19.

La corruption apparaît donc comme un obstacle qu’il faut combattre pour

parvenir à une concurrence efficace, une maximisation de l’aide et du financement

international, une croissance et un développement plus rapides pour les pays

émergents.

Cependant toutes les solutions ne sont pas bonnes et certaines peuvent

entraîner des effets pervers.

Ainsi une multiplication des normes et une complexification des règles de

passation sont un terreau favorable à la corruption. Il convient donc de réfléchir à

l’efficacité des normes existantes, à la question de leur suivi et contrôle, à la question

des solutions envisageables pour l’avenir, et pour rechercher de nouveaux outils et

pour ceux existant de les améliorer.

Enfin la méthode à utiliser est en elle-même problématique, certains auteurs

considèrent que la corruption est un moindre mal voire un mal nécessaire dans les

pays émergents pour leur développement. Une réflexion est donc nécessaire tant sur

l’appréhension du problème de la corruption en lui-même (mal ou simple symptôme)

que sur la démarche à suivre (une plus grande répression comme le souhaite la

Banque Mondiale ou une prévention plus efficace comme le souhaite Transparency

International ou l’absence de contrôle et de répressions pour éviter un risque de

crispation éthique comme le craignent certains).

Un autre point important est celui de l’articulation entre les deux axes majeurs

de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux. La prévention,

qui passe par la mise en place de certains contrôles et des procédures de passation

plus transparentes. Et la répression qui passe par des sanctions et des condamnations

des actes de corruption. Il est intéressant de voir de quelle façon est mise en place la

lutte contre la corruption autour de ces deux points.

Nous verrons donc dans une première partie, de quelle façon a été abordé le

problème de la corruption, par les économistes comme un obstacle à la concurrence

19 Lettre trimestrielle d’information de transparence- international (France), n° 31, Décembre 2006, p. 2

13

tout d’abord, puis par les juristes, comme une infraction pénale (chapitre 1 ). Nous

étudierons ensuite comment s’est mise en place la lutte contre la corruption dans les

contrats publics internationaux, par la multiplication de traités et par la prise de

conscience des organismes internationaux des enjeux de la corruption, mais

également à l’échelle nationale, par le mise en place de réglementations novatrices

comme cela a pu être le cas aux Etats-Unis ou par la transposition des conventions

internationales (chapitre 2).

Puis, dans une deuxième partie, nous étudierons plus précisément les moyens dont

disposent les acteurs pour mener à bien ces politiques anti-corruption dans les contrats

publics internationaux. Premièrement nous analyserons les moyens de la prévention,

grâce à la transparence, principe fondamental des procédures de passation des contrats

publics internationaux, mais aussi par la création d’outils de responsabilisation morale

et juridique comme les codes de bonne conduite ou le système d’alerte éthique, sans

oublier le rôle croissant des autorités administratives indépendantes. Et sur le plan de

la répression, sur lequel ils passent classiquement par les sanctions pénales mais

apparaissent plus novateur dans les contrats publics internationaux avec le

développement des sanctions commerciales et des mécanismes de liste noire (chapitre

1).

Enfin, nous nous consacrerons à l’examen des limites, propres à la corruption

et liées aux politiques, et des perspectives des politiques de lutte contre la corruption

dans les contrats publics internationaux. Celles-ci passent par une modernisation et

une réflexion sur les procédures de passation, notamment par une recherche de

rationalisation et de simplification, mais aussi par un renouvellement des rapports

entre les acteurs des contrats publics internationaux avec le développement d’une plus

grande coopération (chapitre 2).

14

Première Partie – Les réponses au phénomène de la corruption dans les

Contrats Publics Internationaux :

Comme nous l’avons vue la corruption est un problème complexe et

particulièrement difficile à cerner dans les contrats publics internationaux. Il sera

donc question, tout d’abord, d’étudier les différentes approches de la corruption,

économique comme juridique, qui sont la base d’une lutte contre la corruption

efficace. Puis nous verrons de quelles façons la lutte contre la corruption s’est mise en

œuvre au niveau international et au niveau interne.

Chapitre 1 - La corruption, un terme pluridisciplin aire à la qualification

difficile :

Pour lutter efficacement contre le phénomène de corruption, la première étape

consiste à tenter d’en définir les contours et les limites. L’objet de cette première

partie sera donc d’analyser les effets de la corruption et de définir une typologie de la

corruption dans les contrats publics internationaux. Il s’agit de comprendre comment

la lutte contre la corruption a été mise en œuvre et sur quelles bases elle repose.

Dans une première partie, nous étudierons l’aspect économique de la

corruption car il s’agit d’un phénomène essentiellement économique qui a un coût

pour tous les acteurs des contrats publics internationaux. Puis, nous étudierons

l’approche juridique pour tenter de comprendre le phénomène de la corruption dans

les contrats publics internationaux.

Section 1 – L’approche économique de la corruption :

L’étude économique si elle peut sembler ne pas intéresser directement le

juriste, présente un intérêt pour cette problématique, car la corruption est un

phénomène qui s’explique par des raisons économiques. Si ce concept peut connaître,

15

comme nous l’avons vu, une approche pluridisciplinaire, il n’en reste pas moins un

problème essentiellement économique. Il sera donc question dans cette partie de

s’intéresser aux aspects économiques négatifs qui ont permis une mise en lumière et

ont apporté une explication de la corruption. Ces Raisonnements ont servi de base au

juriste pour mettre en place des normes, nationales comme internationales, efficaces

pour y remédier. Pour Hervé Magnouloux20, la corruption possède une importante

dimension économique parce qu’elle découle d’un comportement rationnel dans

l’allocation des ressources rares, « la corruption est un délit calculé et non-

passionnel » rappelle Klitgaard.

A - La corruption, un dysfonctionnement politique et administratif au coût

économique négatif :

Pour les économistes, la corruption se développe par la mise en contact des

marchés politiques, bureaucratiques et économiques.

Le travail de référence en la matière est celui de Susan Rose-Ackerman21. Elle

propose une série de modèles sur la corruption qui démontrent que des opportunités

existent à tous les niveaux, que la corruption soit politique ou administrative.

Pour Benoît Chevauchez, directeur d’étude de Finances Publiques à l’Institut

d’Etudes Politiques de Paris dans un article intitulé « corruption et gestion

publique »22, « la corruption n’est pas seulement un problème moral, elle est aussi

révélatrice d’un dysfonctionnement politique aux conséquences économiques

néfastes ».

Elle conduit à une perte d’efficacité de l’action administrative et en matière

d’achats publics, elle entraîne un mauvais usage des fonds publics puisque l’achat

qu’il décide n’est pas le meilleur au meilleur prix. Par conséquent, l’acheteur public

en préférant son intérêt personnel à l’intérêt général détourne les deniers publics de

20 Hervé MAGNOLOUX, « l’analyse économique de la corruption », in Jean-Yves NAUDET, op. cit., p. 51 21 ROSE ACKERMAN Susan, “Corruption : a study in Political Economy”, Academic Press, New York, 1978 22 Benoît CHEVAUCHEZ, « Corruption et gestion publique », RFFP n°69, mars 2000, p. 87

16

leur fonction première et créé un coût supplémentaire pour l’ensemble des

contribuables.

La corruption a une conséquence sur la redistribution des ressources

publiques, elle facilite la fraude fiscale et la fuite des capitaux.

Ainsi à terme, les pratiques corruptrices font peser sur les contribuables des

prélèvements plus importants qui déforment le rôle redistributif de l’État. La

redistribution ne profitera plus à l’ensemble des citoyens mais aux corrompus eux-

mêmes.

Enfin, la corruption a un coût socio- politique, la baisse de la légitimité et de la

crédibilité de l’action publique qui relève davantage d’une approche morale.

Robert Klitgaard résume le problème en une équation, corruption = monopôle

+ pouvoir discrétionnaire - responsabilité. Cette équation politique de la corruption est

le résultat de l’analyse des systèmes politiques.

Le dernier point, celui de la responsabilité, renvoie à la notion anglaise

d’ « accountability » qui signifie « avoir à rendre des comptes » ou « être redevable

de »23. Ce terme renvoie au tiers extérieur (inspection administrative, commission

parlementaire, société civile…), tiers à qui l’on doit rendre des comptes.

La conclusion de Robert Klitgaard est que la corruption tend à se développer

dès qu’une minorité d’individus a un pouvoir discrétionnaire de décision, sans

contrôle des administrés ou des électeurs.

B - La problématique du coût positif de la corruption :

Pour certains économistes, la corruption peut avoir certaines conséquences

favorables sur l’économie, la croissance et le développement des pays.

Ainsi, depuis les années soixante, un débat n’a cessé d’être alimenté sur les

effets supposés toniques ou toxiques de la corruption.

La corruption aurait deux atouts principaux complémentaires. Tout d’abord,

elle permettrait de fluidifier les procédures d’attribution des contrats publics quand

23 Philippe MONTIGNY, op. cit., p.278

17

celles-ci sont trop lourdes ou quand le système administratif est trop lent. Puis, elle

permettrait de retrouver des résultats équivalents, en termes de coûts et de prix de

marchés, à ceux d’une situation de concurrence.

Ainsi le courant fonctionnaliste voit dans la corruption une façon de

« graisser » le système face à une bureaucratie envahissante, une réglementation

pesante et à un système juridique ou politique étouffant24. Certains auteurs y voient

aussi un moyen efficace pour accélérer les procédures administratives.

En outre, la corruption n’exprimerait qu’un prix d’équilibre du marché, une

sorte de paiement de compensation.

Benoît Chevauchez soutient que la corruption ne serait que la volonté des

agents privés de récupérer la liberté qu’ils ont perdu du fait de l’intervention publique,

elle serait la traduction d’une « revanche du marché sur l’État »25.

Aucun véritable élément ne vient prouver que la thèse défendue par Susan

Rose-Ackerman selon laquelle le prix réel rehaussé par le prix de la corruption

correspond au prix du marché, en particulier en raison des rapports de force sous-

jacents et du secret qui entoure la corruption.

Cependant de nombreux auteurs relèvent que les cas de corruption positive

sont extrêmement rares et s’accordent à penser que la corruption a un coût négatif sur

l’allocation des ressources.

Ainsi les coûts de transaction de l’échange illégal sont importants dans le but

de préserver le secret. De plus, le marché de la corruption est rarement concurrentiel.

Shang-Jing Wei a ainsi démontré dans une étude économétrique que plus la

corruption est répandue dans un pays, plus les entreprises passent de temps à traiter

avec les fonctionnaires26.

24 Jean CARTIER-BRESSON, « Elément d’analyse pour une économie de la corruption », Revue Tiers Monde, n° 131, 1992, pp. 581- 609 25 Benoît CHEVAUCHEZ, op. cit., p. 87 26 Shang-Jing WEI, « Does grease money speed up the wheels of commerce ? », Communication AEA, 1998

18

Les aspects positifs de la corruption, s’ils existent, ne sont pas assurés sur le

long terme. Au contraire, la corruption va apparaître comme un frein et non un

stimulant à l’activité économique.

Enfin, d’après Hervé Magnouloux, « intuitivement, il est notoire que si la

corruption était facteur de croissance, l’Afrique, l’Amérique Latine et l’Asie

devraient avoir des performances supérieures à celles des économies développées »27.

C - L’appréciation de la corruption comme une pratique anticoncurrentielle :

Les travaux économiques consacrés aux marchés publics sont généralement

réalisés dans une perspective de préservation de la concurrence. Ils cherchent à

dégager les moyens d’éviter les ententes entre candidats au marché28. La corruption

est alors vue prioritairement comme un simple instrument de l’entente ou comme son

complément naturel29.

Ainsi, pour nombre d’économistes, la corruption ne peut exister qu’en

situation de concurrence imparfaite. Dans l’hypothèse d’une concurrence pure et

parfaite ou du moins effective, la transparence empêche la corruption.

Ils relèvent que les pratiques corruptives dans les marchés publics sont des « atteintes

à la libre concurrence » et la cause d’ « un gaspillage » considérable des ressources

publiques.

Le préambule de la Convention anti-corruption de l’OCDE précise que la

corruption « fausse les conditions internationales de la concurrence ».

En outre, on peut relever que l’une des raisons pour lesquelles les Etats-Unis

ont souhaité une convention internationale de lutte contre la corruption est qu’il

existait une distorsion de concurrence entre les entreprises états-uniennes et les

entreprises européennes qui ne connaissaient aucune incrimination pour corruption

d’agents publics étrangers et pouvaient sans avoir à se cacher, corrompre librement

ceux-ci pour obtenir des contrats publics.

27 Hervé MAGNOULOUX, op. cit., p. 60 28 Momtchil I. KARPOUZANOZ et Sylvain TRIFILIO, op. cit., p. 265 29 Bernard CAILLAUD, « Ententes et capture dans la commande publique : un point de vue d’économiste », Revue de la concurrence et de la consommation, n°129, 1990

19

La corruption implique que ce ne sont pas les acteurs les plus performants qui

vont être sélectionnés, ce qui conduit à une mauvaise allocation des ressources.

D - La corruption, un obstacle aux investissements et à la croissance économique :

Dans une contribution, Shang-Jin Wei montre que la corruption agit comme

une taxe sur les investissements directs à l’étranger, à la différence que ce

prélèvement ne poursuit aucun but d’intérêt général30.

Selon Paolo Mauro, il existe une forte relation entre les niveaux élevés de la

corruption et les niveaux faibles de croissance et d’investissement31.

Carole Doueiry a comparé l’indice de perception de la corruption (IPC) à

l’indice de développement humain (IDH). L’IDH prend en compte le Produit Intérieur

Brut réel par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’instruction. Si

l’on reprend ses travaux, on se rend compte que le premier a un effet certain et

significatif sur le second.

Il existe donc un rapport négatif entre corruption et niveau de développement

d’un pays. La corruption peut avoir un impact macroéconomique négatif, réduisant

l’efficacité des politiques économiques, encourageant le travail dans des secteurs non-

officiels exempts de tout prélèvements et décourageant les investissements32.

Paolo Mauro retient en dernier lieu que les pratiques corruptives modifient

l’environnement institutionnel et informationnel ce qui peut être préjudiciable à long

terme sur les conditions de croissance33.

Notons, comme le souligne Jean Cartier-Bresson, que ces approches

économiques ont le mérite de sensibiliser le législateur à l’ambiguïté du phénomène et

30 J.- S. WEI, « How taxing is corruption on international investors ? », NBER Working Paper, n° 6030, Mai 1997 31P.MAURO, « La corruption: causes, conséquences et voies à explorer », Finances et développement, mars 1998, pp 11 à 14 32 Carole DOUEIRY, op. cit, p. 79 33 P. MAURO, Op. Cit., p.13

20

l’obliger à s’intéresser en priorité à la corruption qui a le coût le plus fort, c’est-à-dire

la grande corruption34.

Section 2 - L’appréciation juridique d’un phénomène économique :

Cette partie s’intéressera dans un premier temps à la typologie de la corruption

au regard du droit français et international. Puis nous étudierons les impacts de cette

typologie sur l’incrimination et la lutte contre la corruption dans les contrats publics

internationaux.

A - La typologie de la corruption :

Généralement le droit sanctionne de la même façon toutes les formes de

corruption. Il ne s’embarrasse pas des distinctions et ne vise qu’un seul type

spécifique de corruption, comme c’est le cas pour la convention de l’OCDE qui ne

vise pas la corruption passive d’agents publics étrangers.

Cependant une typologie de la corruption n’est pas, d’un point de vue

juridique, inutile. Celle-ci permet, en effet, une lutte plus efficace contre ce

phénomène, des sanctions plus adaptées et une meilleure compréhension du problème

en l’abordant sous toutes ses formes35.

1- La petite et la grande corruption :

La première distinction qu’il convient de faire concerne la petite et la grande

corruption.

D’un point de vue juridique, l’infraction de corruption est constituée quel que

soit le montant tout du moins en droit pénal. Cependant, selon David Dommel, ancien

président de Transparency International (TI) France, la grande corruption mérite une

attention prioritaire et justifie une sévérité particulière.

34 Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., p. 22 35 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 261 et s.

21

En effet, il s’agit de la corruption qui concerne les grands marchés d’armes,

les grands marchés de travaux publics, d’équipements industriels ou les grands projets

de développement.

Elle apparaît comme financièrement plus dommageable du fait de l’ampleur

des commissions en jeu, principalement, parce qu’elle détourne des ressources

publiques vers des emplois contraires à l’intérêt général, détournements dont les

retombées peuvent êtres dramatiques quand elle touche des pays en voie de

développement dont les revenus sont extrêmement faibles36.

Cette corruption nous intéresse particulièrement dans le cas des contrats

publics internationaux car les opérations financées par les organismes multilatéraux

et les contrats publics internationaux relèvent très souvent de ce type de corruption.

L’affaire « Pétrole contre Nourriture » démontre la nécessité de s’attaquer en priorité

à cette corruption et les conséquences qu’elle peut avoir. En l’espèce, il s’agit d’un

programme lancé en 1996 lorsque l’Irak a été touché d’embargo après son invasion du

Koweit. Il devait permettre à l’État irakien d’échanger du pétrole brut contre des

denrées de premières nécessitées sous le contrôle de l’Organisation des Nations

Unies. Le programme aurait, ainsi, permis à l’Irak d’exporter pour 60 milliards

d’euros de pétrole. En janvier 2004, un scandale de corruption a éclaté et a débouché

sur la mise en place d’une commission d’enquête indépendante dite « commission

Volcker » qui a débouché sur des retombées très importantes et a permis l’inculpation

de hauts fonctionnaires des Nations Unies pour corruption.

La petite corruption vise, quant à elle, le simple agent de police ou des

douanes. Elle correspond plus à une corruption de survie qui vise à pallier un manque

de rémunération. Elle est, par conséquent, souvent considérée avec plus d’indulgence

car elle est moins nocive et ses conséquences sont moins dramatiques.

Ainsi, les Etats-Unis ou l’OCDE autorisent les paiements de « facilitations »

qui ont pour objet d’inciter les agents publics à exécuter leurs fonctions.

Cependant de nombreux auteurs soulignent la nécessité de porter remède aux

circonstances qui l’encourage.

36 Entretien avec David DOMMEL, président de TI France, « Corruption : le constat », RFFP, n° 69, Mars 2000, p. 7

22

En droit public, la situation sur la question de cette distinction est particulière.

Dans les procédures de passations des contrats publics et notamment en ce qui

concerne les exigences de transparence et de mise en concurrence, la petite corruption

semble tolérée pour les marchés à faible voire très faible montant.

Ainsi la plupart des pays prévoient non seulement des réglementations plus

souples pour les achats publics de faibles montants mais aussi des procédures

d’exceptions comme la procédure négociée. Dans le cadre de ces procédures, les

acheteurs et les demandeurs peuvent négocier librement et les exigences en matière de

publicité sont plus restreintes. Ces procédures spéciales exigent moins de formalise et

font, par conséquent, diminuer le risque judiciaire et la responsabilité du corrupteur.

En France, le code des Marchés Publics 2006 prévoit aux articles 28 et 29,

entre autres, un assouplissement des exigences de publicité et de mises en

concurrence pour les petits marchés publics inférieurs à 80 000 euros pour les

marchés de services et fourniture et de 100 000 euros pour les marchés de travaux. En

outre, en dessous de 4000 euros les marchés sont dispensés de ce formalisme et de ces

obligations.

Une situation comparable existe aux Etats-Unis, ceux-ci prévoient pour les

micro- achats, l’absence complète de procédure de publicité ou de mise en

concurrence.

Il n’est pas question, bien évidemment, d’autoriser la corruption, aussi petite

soit elle, celle-ci reste formellement prohibée. Mais il s’agit de permettre que ces

achats, qui sont généralement des achats courants, se fassent rapidement pour éviter

des gaspillages et une mauvaise gestion des deniers publics. Et ce n’est alors

qu’indirectement que la petite corruption peut sembler autorisée dans ces petits

marchés.

2- Corruption publique et privée :

Une autre distinction importante est celle qui porte sur la différence entre la

corruption publique de la corruption privée.

La corruption privée vise la corruption qui peut s’établir entre deux agents

privés, par exemple entre deux employés de deux entreprises. Ce pacte de corruption

se fait au détriment de l’entreprise ou de son pacte social.

23

Mais, c’est la corruption publique qui nous intéresse en l’espèce. Elle renvoie

au pacte qui s’établit entre un agent public (fonctionnaires, personnalités politiques

élues ou non, en charge des affaires publiques) et un agent privé. Ce pacte se faisant

au détriment de la mission de l’agent public et, donc, de l’intérêt général.

L’enjeu principal de ce type de corruption est la question des principes de

gouvernance publique. Il est clair que dans les pays où ces principes ne sont pas

suivis, la corruption publique sera plus développée.

Les autres enjeux sont les questions de contrôle administratif et démocratiques

de ses agents publics et du respect des normes publiques37.

Cette question nous intéresse tout spécialement car la plupart des conventions

internationales visent la corruption publique. Ainsi les banques de développement

comme la Banque Mondiale, la Banque Asiatique de Développement et la Banque

Africaine de Développement condamnent la corruption publique en soulignant son

caractère politico- économique.

La Banque Mondiale donne de la corruption une définition clairement orientée

vers le secteur public ; « l’abus d’une fonction publique en vue d’un gain privé ».

Quant à la banque Africaine de Développement retient quant à elle, l’ « usage pour un

agent public d’une position de force pour chercher ou extorquer un avantage »38.

3- Corruption nationale et internationale :

On distingue également la corruption nationale de la corruption internationale.

S’il apparaît que les affaires de corruption les plus importantes et les plus néfastes

sont des affaires de corruption transnationales et que, avec la globalisation des

échanges, ce type d’affaire tend à se développer. Le véritable enjeu de cette

distinction en matière de contrats publics est la différence entre la corruption d’agents

publics nationaux et celle d’agent public internationaux.

Cette distinction est révélatrice de l’évolution dans la perception de la

corruption, notamment de la part des principaux pays exportateurs. Ceux-ci

37 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 265 38 African Development Bank, “Fostering Good Governance in Africa”, Report 2001, P. 118

24

condamnaient tous la corruption d’agents publics au niveau national, mais toléraient

la corruption d’agents publics étrangers au point, même, de prévoir une possibilité de

déduction fiscale au titre des commissions versées à l’étranger pour obtenir des

marchés.

Il a fallu attendre la Convention de l’OCDE de 1997 sur la corruption active

d’agents publics étrangers pour que ce problème soit pris en considération par les

pays.

Cette multiplication des traités est le signe que la lutte contre la corruption à

l’échelle internationale est, de plus en plus, perçue comme une nécessité.

4- Corruption active et passive :

La dernière distinction est la plus importante pour comprendre la logique de la

lutte contre la corruption au niveau international. Il s’agit des notions de corruption

passive et active.

Elle permet de faire la différence entre celui qui reçoit un avantage indu et

celui qui le donne. Il s’agit pour une entreprise par exemple de verser une commission

indue (corruption active) et pour un agent public de la solliciter (corruption passive).

Cette distinction permet de comprendre le fonctionnement de la corruption et

comment la lutte contre ce phénomène s’est mise en place.

Le problème de la corruption est donc perçu de manière binaire, d’un côté

l’entreprise à l’origine de la corruption active qui versera une rémunération

quelconque en échange d’un avantage indu, et de l’autre, l’agent public qui recevra la

rémunération et offrira ses services.

Cette distinction est fondamentale dans la lutte contre la corruption, c’est la

seule typologie qui figure dans le Code Pénal français au niveau interne et c’est la

distinction que l’on retrouve le plus souvent au niveau international.

Enfin, on peut la rapprocher de la distinction entre corruption et extorsion.

Encore une fois le Code Pénal ne s’embarrasse d’aucune distinction en la matière, le

risque de sanction est donc identique. L’extorsion vise les demandes de commissions

faîtes par l’administration en vue d’obtenir un marché. On trouve plusieurs types

d’extorsions : menaçantes (pression de menaces physiques), quotidiennes (demande

25

d’argent sous des prétextes fallacieux), administrative organisée (lors d’opérations

administratives obligatoires où l’on exploite des imprécisions réglementaires),

commerciale (demande d’argent dans le cadre d’un marché où l’administration

dispose d’un pouvoir réglementaire)39.

Après avoir fait une typologie juridique de la corruption, il est intéressant de

voir de quelle manière celle-ci a servi de base pour qualifier les faits de corruption et

mettre en place la lutte contre la corruption.

B - La qualification juridique de la corruption :

Cette typologie est essentielle pour comprendre le mécanisme de la lutte

contre la corruption. Si au niveau national, ces distinctions n’ont qu’une importance

limitée. Elles ont, pour des raisons politiques et de droit, une importance tout autre sur

le plan international.

1- La qualification juridique de la corruption au niveau interne, le cas de la France,

une approche pénale :

Il est intéressant tout d’abord de partir du niveau interne et plus

particulièrement du cas de la France pour voir de quelle façon cette typologie a trouvé

à s’appliquer. Comme nous l’avons vu le code pénal ne fait de très peu de distinction

dans la qualification de la corruption. Il ne fait aucune distinction entre petite et

grande corruption, extorsion et corruption ne distinguant que la corruption active de la

corruption passive.

En matière de droit pénal, deux approches de la corruption sont envisageables.

Le premier système répressif caractérise le délit de corruption comme un tout,

l’infraction provenant d’une entente, « d’un concert frauduleux » entre corrupteur et

corrompu. Cette approche débouche sur une qualification du corrompu comme auteur

principal et du corrupteur comme son complice40.

39 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 294 et s. 40 Bruno- André PIREYRE, « Corruption et trafic d’influence », RFFP, n°69, mars 2000, p. 37

26

Dans le second, au contraire, les faits de corruption sont analysés en deux

infractions bien distinctes. Celles-ci sont désignées sous les vocables de corruption

active à l’article 433-1 du code pénal (œuvre du corrupteur) et de corruption passive

à l’article 432-11 du même code (œuvre du corrompu).

Le droit pénal français a, pendant longtemps, mêlé les deux conceptions.

Cependant, il tend depuis une cinquantaine d’années à faire prévaloir très largement la

seconde. Celui-ci traite les faits du corrupteur et du corrompu de manière distincte et

autonome. La répression de l’un n’est pas subordonnée à la sanction de l’autre et

l’amnistie de l’un ne vaut pas pour l’autre.

Si le droit pénal français ne retient désormais que cette dichotomie entre

corruption active et passive, il existe cependant plusieurs incriminations possibles

(corruption active, passive, de fonctionnaires, de magistrats…).

Néanmoins, les articles du code pénal concernent, dans les deux cas, des

personnes dépositaires de l’autorité publique, ce qui démontre que le droit pénal vise

a sanctionner plus sévèrement la corruption publique41.

La corruption apparaît comme une notion éclatée avec de nombreuses

infractions voisines (abus de biens sociaux, favoritisme, concussion, la prise illégale

d’intérêt, détournement de biens publics et trafic d’influence) que le droit pénal

différencie de la corruption au sens strict mais qui relève d’une même unité sur le plan

de l’infraction comme sur celui de la sanction.

2- La qualification juridique de la corruption au niveau international :

On retrouve sur le plan international, comme nous le verrons plus précisément

dans une partie ultérieure, une approche assez similaire.

Ainsi, la convention de l’OCDE de 1997 ne visait que la corruption active

d’agents publics étrangers en faisant peser sur les entreprises uniquement le risque de

corruption dans les contrats publics internationaux.

41 Philippe BONFILS professeur à l’université d’Auvergne- Clermont I, « La corruption en droit pénal », in J.-Y. NAUDET, op. cit., p. 223

27

Il convient de relever ici, que cette qualification extrêmement restreinte des

faits constitutifs de corruption avait une raison juridique. Il s’agissait, au vue du droit

international, de ne pas autoriser les États à inculper le fonctionnaire étranger qui

avait bénéficié de l’avantage indu. Elle aurait constitué une ingérence par le pays du

fonctionnaire.

Cependant, cette situation laissait un vide important et faisait peser sur les

entreprises une responsabilité trop forte alors que celles-ci étaient souvent victimes

d’extorsions.

Le droit international a donc généralisé la qualification de la corruption,

notamment en condamnant la phase active et la phase passive de la corruption et en

affinant sa typologie.

Il reste un point supplémentaire à relever sur la lutte contre la corruption dans

les contrats publics internationaux. Ce phénomène peut être abordé de deux façons :

Une approche répressive qui consiste à édicter des conventions internationales pour

parvenir à une harmonisation et une globalisation de l’incrimination de la corruption

dans les contrats publics. Une deuxième approche touche plus à la question de la

passation, dont l’objectif est de lutter contre la corruption et de favoriser la

transparence dans les procédures de passation de ces contrats publics par la mise en

place de mesures de publicité et de concurrence.

Or il est intéressant de relever que depuis la commission Bouchery et la loi

« Sapin » de 199342, il y a eu une prise de conscience au niveau interne de la nécessité

d’améliorer les procédures de passation pour parvenir à une lutte efficace contre la

corruption. À la différence du droit interne, la majorité des conventions

internationales qui traitent de ce problème retiennent essentiellement une approche

répressive du phénomène et ne cherche pas à instaurer plus de transparence et une

plus homogénéité dans le droit de la commande publique. Ainsi, comme nous le

verrons, sauf initiatives des organismes internationaux pour les opérations qu’ils

financent eux-mêmes, les conventions internationales anti-corruption se consacrent

42 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

28

essentiellement à l’incrimination de la corruption sans évoquer la transparence ou de

manière très partielle.

29

Chapitre 2 - La lutte contre la corruption dans les contrats publics à l’échelle

internationale et nationale :

La lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux peut se

faire à deux échelles : sur le plan international, en sensibilisant, en édictant des

normes et en prenant des mesures commerciales contre ces pratiques, ou au niveau

interne, en adoptant des réglementations et en transposant les normes internationales.

Dans les deux cas, le but est de parvenir à une lutte efficace contre la

corruption, qui, comme nous l’avons vu, a un coût économique négatif sur les

dépenses publiques.

Dans le premier cas, il s’agira de parvenir à harmoniser les réglementations en

la matière et de contrôler la bonne application des normes que les organismes

édictent.

Dans le second, il sera question pour les pays de mettre en place une

législation efficace tout en veillant à l’intérêt de leurs entreprises et leur économie.

Section 1- Les initiatives internationales :

Cette partie sera consacrée à une étude des différentes initiatives de lutte

contre la corruption. Nous verrons que celles-ci sont variées et semblent couvrir de

manière exhaustive la notion et les implications de la corruption.

Cependant, édicter des normes à l’échelle internationale ne semble pas

suffisant. Une application efficace de celles-ci impliquant que l’on veille à leur suivi

et à leur application.

A- Transparency International et la sensibilisation au problème de la corruption

internationale :

La première initiative à relever est celle de Transparency International (TI).

Il s’agit d’une organisation non gouvernementale fondée en 1993 par Peter Eigen,

un ancien cadre de la Banque Mondiale. Sa mission est de sensibiliser les acteurs

concernés par la corruption, que ce soit les gouvernements, le secteur privé, les

médias, ainsi que les diverses organisations de la société civile et de contrôler la

mise en œuvre des mesures.

30

Son action s’inscrit dans une démarche de valorisation de la transparence,

de l’éthique et de la morale dans la gouvernance publique. Elle vise non seulement

la mise en place de moyens coercitifs, mais aussi l’élaboration d’une politique

d’influence consensuelle avec les Etats et les entreprises.

Pour parvenir à ses objectifs, TI dispose d’outils novateurs. Ce sont, ainsi, les

premiers à avoir lancé un programme d’évaluation de la corruption dans le monde,

l’idée étant de permettre à la société de pouvoir juger l’ampleur du phénomène.

La mesure la plus emblématique lancée par TI est sans aucun doute son indice

de perception de la corruption. C’est un indice composite faisant appel à des données

sur la corruption tirées de sondages d’experts réalisés par divers organismes dignes de

confiance43. Il permet de classer les pays en fonction du degré de corruption perçue

dans les administrations publiques et la classe politique44.

La note de 10 indique l’absence de demande de pot-de-vin et celui de 0, une

corruption systématique.

Sa première publication date de 1995. Et il est important de noter qu’aucun

pays n’y est inclus sans que l’on ait obtenu les résultats d’au moins trois enquêtes.

L’idée est de recueillir l’opinion de chefs d’entreprises, de fonctionnaires, et

de magistrats afin de pouvoir donner un éclairage intéressant sur l’état de la

corruption dans le monde.

Cet indice est aujourd’hui cité par les médias du monde entier comme la

principale mesure d’évaluation concernant la corruption.

Suite au succès de son premier indice et à la demande des pays émergents qui

apparaissaient souvent comme les plus corrompus, TI l’a complété par l’indice de

perception de la corruption des pays exportateurs.

Il est également le résultat d’enquêtes, dont la dernière a été conduite en 2002,

dans quinze pays émergents, auprès de 835 spécialistes des affaires.

43 À titre d’illustration, notons les principaux: Columbia University, Economist Intelligence Unit, International Institute for Management Development Lausanne, World Economic Forum. 44 Voir annexe 3

31

Il classe les pays en fonction du degré selon lequel ils sont perçus comme les

hôtes de sociétés versant des pots-de-vin.

En 2002, selon les cadres d’entreprises et les autres professionnels des affaires

des principaux pays en développement, c’est dans le secteur des marchés publics de

travaux et de construction, suivi de l’industrie de l’armement, que la corruption active

par des entreprises étrangères a été la plus répandue.

TI souligne que ces sociétés qui versent des pots-de-vin compromettent les efforts des

pays en voie de développement et participent donc à l’entretien du cercle vicieux de la

pauvreté.

Les personnes interrogées dans les pays d’Afrique, économiquement les plus

faibles, ont désigné les sociétés françaises et italiennes comme le plus souvent à

l’origine de ces pratiques. Or, ces pays de l’OCDE expriment un attachement fort au

respect de la législation, ce qui est l’illustration d’une certaine hypocrisie.

La troisième mesure-phare de TI est le baromètre mondial de la corruption.

C’est une enquête réalisée auprès de 55 000 personnes dans soixante-dix pays par

l’institut Gallup45 et qui a pour objet « de comprendre dans quelle mesure et de quelle

manière la corruption affecte la vie des gens ordinaires en donnant une idée de la

forme et de l’étendue que prend la corruption du point de vue des citoyens du monde

entier ».

En plus de sa mission de sensibilisation, Transparency International, cherche,

par son action de lobbying, à avoir un rôle dans la construction du droit des contrats

publics internationaux. TI a une volonté de participer et d’influencer l’action

internationale en matière de lutte contre la corruption en droit des contrats publics

Le rôle de TI dans cette optique est celui de consultant, expert et partenaire

dans la construction du droit des contrats publics. Son expérience depuis 1993 lui

donne une part importante dans des négociations internationales.

À titre d’exemple, TI a joué un rôle dans la rédaction de la convention de

l’OCDE, dans celle de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou encore de l’Union

Européenne (UE). Pour ce qui est de l’OCDE, la mission de TI aura été de superviser

45 Institut de consulting, basé à Washington

32

par le biais de ses sections nationales, la bonne application de cette convention par les

Etats signataires. Pour l’ONU, TI a agi en tant qu'observateur et a pu faire valoir son

point de vue auprès de diverses délégations nationales. Enfin, en amont des initiatives

de l’Union Européenne, il y a eu très souvent des mémorandums de Transparency

International, soumis aux institutions européennes sous la responsabilité de TI

Bruxelles. Le premier datait de novembre 1995 « La lutte contre la corruption

internationale : ce que l’Union européenne peut faire », le deuxième de novembre

1999 « Lutter contre la corruption : ce qui reste à faire au niveau de l’Union

européenne ».

Transparency a publié dans les dernières semaines de l’année 2006 ses trois

principaux indices qui retracent l’évolution de la perception de la corruption dans le

monde.

Daniel Lebégue, actuel président de TI France, souligne que dans la plupart

des régions du monde, les progrès enregistrés sont très modestes dans la lutte

effective contre la corruption et cela en dépit de la multiplication des conventions et

des engagements pris par les acteurs publics et privés. Il lui apparaît plus difficile de

faire évoluer les comportements que les règles de droit, mais la persistance d’un écart

aussi manifeste entre les uns et les autres est inquiétante et est de nature à ruiner les

efforts engagés par la communauté internationale depuis dix ans46.

L’action de TI a permis à l’opinion publique et à la communauté

internationale de prendre conscience de la nécessité d’adopter des mesures contre la

corruption, particulièrement dans les contrats publics internationaux.

B- La mise en place d’un cadre légal de condamnation de la corruption par les

conventions des organisations internationales : La convention de l’OCDE :

La convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption des agents publics

étrangers signée à Paris le 17 décembre 1997 représente la première initiative

internationale de lutte contre la corruption.

46 Lettre de transparence, n° 31, Décembre 2006, p.1

33

C’est une convention internationale relativement classique, semblable à de

nombreux textes conçus et négociés dans les enceintes internationales. Son apport

principal est de faire appel au droit pénal des pays qui y ont adhéré à l’encontre

d’entreprises ou de ressortissants ayant commis des actes de corruption à l’étranger, et

cela même dans des pays où ces actes bénéficient d’une immunité.

Nous aborderons la présentation de cette convention sous cinq points. Tout

d’abord nous nous attacherons à faire une présentation rapide de l’OCDE et de sa

mission.

Puis, dans les points suivants nous étudierons plus précisément la convention

en elle-même, et nous détaillerons ses apports et préciseront ses conditions

d’applications.

Enfin, nous relèverons les limites de cette convention, en particulier le fait que

cette convention ne vise pas la corruption passive d’agent public étranger et fait peser

l’entière responsabilité du fait de corruption sur l’entreprise.

1- L’organisation de coopération et de développement économique :

L’OCDE est une organisation internationale issue de la seconde guerre

mondiale. Son ancêtre est l’Organisation Européenne de Coopération Économique

(OECE) qui fut instituée par la Convention de Coopération Économique Européenne

signée le 16 avril 1948 dont l’objectif était de stimuler la coopération entre les États

membres européens. En juillet 1960, sous l’initiative américaine, l’OECE est devenue

OCDE.

Ses objectifs étaient la coopération et le développement économique des pays

qui s’opposaient à la zone d’influence soviétique.

Le fonctionnement au sein de l’OCDE prévoit que les décisions sont adoptées

selon le principe du consensus. En outre, le principe-clé de son fonctionnement est

l’« évaluation par les pairs » des politiques. Ainsi pour s’assurer que les politiques

économiques de chaque pays correspondent bien au modèle de l’économie de marché,

elles sont régulièrement examinées selon ce procédé. Il consiste tout d’abord en un

rapport rédigé par le secrétariat général de l’Organisation, rapport qui servira de base

pour un examen mené par un groupe d’experts issus de l’administration de deux

34

autres États membres qui rendront à leur tour un rapport. Ces deux rapports sont

ensuite présentés devant l’ensemble des pays membres.

2- La convention de lutte contre la corruption des agents publics étrangers :

Ce sont les Etats-Unis qui sont à l’initiative de la convention bien qu’ils ne

souhaitaient, à l’origine, qu’une simple déclaration. Celle-ci n’aurait alors eu aucune

force contraignante, mais aurait permis à l’Organisation de souligner, pour la

première fois au niveau international, l’importance de lutter contre la corruption

Suite à une réaction hostile de la France suivie par de nombreux autres pays,

ce projet de déclaration est devenu un projet de convention. Le principal argument de

la France pour condamner cette déclaration était que l’OCDE n’avait pas les moyens

de rendre cette condamnation effective et que par conséquent, consacrer des moyens à

ce projet serait du gaspillage.

Les premiers textes adoptés en la matière par l’OCDE ont d’abord pris la

forme de recommandations. Une première, en 1994, relativement vague, condamnait

la corruption d’agents publics étrangers. Puis une seconde en 1996, qui portait sur la

déductibilité fiscale des pots-de-vin versés à l’étranger.

Enfin la convention fut signée le 21 novembre 1997 par les trente États

membres plus cinq autres (Argentine, Bulgarie, Brésil, Chili et Slovénie) et adopté par

le conseil de l’Organisation le 17 décembre 1997.

Elle s’inscrit dans la droite lignée du Foreign Corrupt Pratice Act américain,

mis en place en 1977 et marque le début de la prise en compte de la lutte contre la

corruption dans les contrats publics internationaux.

Il s’agit d’un texte court qui ne comporte que 17 articles qui couvrent

l’infraction de corruption d’agents publics étrangers, les délits subordonnés ou

connexes, l’entraide judiciaire et les sanctions apportées à la nouvelle incrimination.

3- Les apports de la convention de l’OCDE :

35

Le premier est le traitement de la corruption à l’intérieur et à l’extérieur des

frontières47. Ce principe consiste à exiger des pays signataires qu’ils incriminent la

corruption d’agents publics de façon identique, sur leur territoire comme à l’étranger.

Il s’agit d’une évolution importante pour le droit, qui remet en question le principe de

territorialité du droit.

D’après Philippe Montigny, c’est un point important car dans la majorité des

pays émergents la corruption est, sinon acceptée, du moins tolérée ou considérée

comme non-condamnable48. Grâce à cette disposition, la corruption apparaît

condamnable même dans le cas de pays l’autorisant.

Le champ d’application de cette convention est donc extrêmement large et

l’incrimination de la corruption devient mondiale, ce qui est très novateur et ne

concernait jusqu’à présent que quelques délits particulièrement graves (relations

sexuelles avec des mineurs, pollutions graves, …).

En outre les notions de pots-de-vin, d’agents publics et leur champ de

responsabilité ont été élargis dans l’article 1 de la Convention.

Ainsi, la notion de pots-de-vin est définie comme « tout avantage indu,

pécuniaire ou non ».

La notion même d’agent public a été renouvelée. Le terme désigne, désormais,

« toute personne qui détient un mandat législatif, administratif ou judiciaire dans un

pays étranger, qu’elle ait été nommée ou élue ». La convention vise les personnes

physiques ou morales, nommées ou élues qui détiennent un pouvoir décisionnel ou

d’influence sur la vie publique que ce soit au niveau local ou national.49

Enfin la responsabilité de l’agent public est devenue plus importante. Celui-ci

ne doit plus avoir joué un rôle actif dans l’opération de corruption pour être incriminé.

Le simple fait pour lui d’avoir eu connaissance de l’opération et de s’être abstenu

suffit à le rendre coupable de corruption.

En outre, il suffit que l’avantage indu soit conféré « directement ou par des

intermédiaires » pour que la responsabilité de l’individu puisse être mise en cause,

47 Article 1 alinéa 2 de la Convention OCDE 48 Philippe MONTIGNY, op. cit., p.66 49 Philippe FONTANA, « La convention de l’OCDE », RFFP, n° 69, mars 2000, p. 125

36

l’objectif étant qu’aucune personne pas même un chef d’entreprise ne puisse se

soustraire à sa responsabilité, en évoquant par exemple le fait d’une filière.

La convention vise une définition universelle de la responsabilité et du devoir

de l’agent public, qui n’est pas liée aux situations particulières de chaque pays. En ce

sens participe à une efficacité accrue de la lutte contre la corruption dans les contrats

publics internationaux.

4- Les conditions d’application de la convention :

La convention met en place le principe d’ « équivalence fonctionnelle ».

L’originalité de la convention est de considérer que le traitement, l’incrimination et la

sanction d’une infraction de corruption d’agent public doivent êtres comparables d’un

pays à l’autre.

Comme nous l’avons vue, la corruption est un phénomène global et

particulièrement en matière de contrats publics internationaux, le risque d’atteinte à la

concurrence et de ne traiter que partiellement ce problème est trop important pour

qu’elle ne soit pas condamnée de manière homogène et à une échelle internationale.

Les divergences qui peuvent exister, entre les pays, doivent êtres résolues pour

parvenir à une harmonisation et une compatibilité des réglementations. La convention

prévoit, par conséquent, que les États signataires par leur coopération parviennent à

des conditions équivalentes d’incrimination.

Puis elle prévoit un mécanisme de suivi et d’examen par les pairs en deux

étapes. La première est celle de l’examen par les pairs de l’adaptation du cadre légal

national. Ce contrôle est appelé phase 1 et permet de contrôler que les pays-parties à

l’accord transposent les conditions de la convention et remplissent leurs obligations.

La seconde étape concerne l’examen par les pairs de l’application de la

Convention. Il s’agit de la phase 2, qui va s’atteler à rencontrer les acteurs pour

évaluer la réalité de la mise en œuvre de la convention.

Ces deux phases sont essentielles en ce qu’elles posent la question du suivi de

l’application de la convention. Il s’agit d’éviter les simples effets d’annonces ou que

37

celle-ci se révèle être une déclaration d’intention. Son but est de faire respecter

l’esprit du traité tout en permettant l’efficacité de la convention50.

5- Les questions d’avenir de la lutte contre la corruption par l’OCDE :

Jacques Terray, vice-président de TI France, relève les différentes limites dans

l’application de la convention51. Il note, dans un premier temps, le manque de

qualification du personnel et la faiblesse structurelle des services consacrés à la lutte

contre la corruption qui sont souvent débordés et souffrent d’un manque de

centralisation des informations comme c’est le cas en Allemagne ou en Angleterre.

Il relève que la brièveté du délai de prescription et l’absence de protection

efficace des dénonciateurs sont des obstacles importants à l’efficacité du traitement de

la corruption par la convention.

Le système de suivi prévu par l’OCDE, présente lui-même des difficultés.

Malgré son efficacité et il est très lent à mettre en place et des retards sont à signaler

par rapport au programme initial.

Enfin la limite principale de la Convention est le fait que celle-ci ne fasse pas

de distinction entre corruption active et passive. Or, selon Philippe Montigny, cette

forme de corruption est fréquente dans la réalité52.

La raison pour laquelle cette distinction n’est pas présente dans la convention

est le risque d’ingérence dans la vie politique de pays non-membres de l’OCDE que

représenterait une telle disposition.

C- La mise en place d’un cadre légal de condamnation de la corruption par les

conventions des organisations internationales : La convention des Nations Unies

contre la corruption :

Un des arguments avancé par la France pour s’opposer au projet de

recommandation sur la corruption souhaitée par les Etats-Unis était de dire qu’un tel

projet ne pouvait avoir un sens que dans une enceinte où tous les pays seraient

50 Marc FRILET, « L’impact de la mondialisation », Contrats Publics, n°57, juillet/août 2006, p.33 51 Jacques TERRAY, « Qu’est-ce qui entrave l’application de la convention OCDE ? », La Lettre de Transparence N°19, octobre 2003, p 3. 52 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 88

38

représentés et non dans un forum limité à vingt-quatre membres comme cela était le

cas pour l’OCDE.

La lutte contre la corruption au sein des Nations Unies s’est faite lentement.

Ainsi, dans les années 1990- 1991, le sujet figurait déjà parmi les résolutions de

l’Assemblée Générale qui ont conduit à l’adoption de la résolution de l’assemblée

générale des Nations Unies du 12 décembre 1996 sur la corruption.

Par la suite, les Nations Unies ont adopté une convention contre la criminalité

organisée, le 29 septembre 2003.

Puis, après des travaux préparatoires en 2001, a eu lieu à Mérida, au Mexique,

le 9 décembre 2003, la cérémonie de signature de la convention anti-corruption qui

couvre un grand nombre de pays, quasiment tous les pays membres de l’ONU étant

parties à cette convention.

Elle est entrée en vigueur le 14 décembre 2005

Comme nous le verrons, il s’agit d’un texte très ambitieux qui couvre presque

tous les aspects de la corruption et qui est à l’échelle internationale le texte le plus

complet sur ce sujet (1).

Cependant, comme Stéphane Bonifassi le souligne, « la lecture de cette

convention peut être source d’espoir comme de déception »53 tant cette convention

s’avère lacunaire sur certains points (2).

1- Les principales dispositions de la convention des Nations Unies :

Contrairement à la convention de l’OCDE, la convention de l’ONU est un

texte volumineux qui contient soixante et onze articles répartis en six chapitres.

Le premier chapitre reprend les dispositions générales et fixe les objectifs de

la convention ; prévenir et combattre la corruption, promouvoir la coopération

internationale et promouvoir l’intégrité, la responsabilité et la bonne gestion des

affaires publiques.

53 Stéphane BONIFASSI « la convention des nations unies contre la corruption : une machine

puissante ou poussive ? » la lettre de la transparence N° 21, Avril 2004, p. 1

39

Le deuxième chapitre énumère les pratiques préventives nécessaires à une

lutte efficace contre la corruption. On trouve notamment l’exigence d’adopter un

cadre législatif et réglementaire pour garantir la transparence et l’équité, qu’il

s’agisse des procédures de passation des contrats publics ou d’accès aux fonctions

publiques (article 9).

Le troisième chapitre vise, quant à lui, l’aspect répressif de la lutte contre la

corruption. Il prévoit les conditions d’incrimination, la détection et la répression des

pratiques corruptrices. Il demande, de plus, aux États d’établir un régime de

responsabilité pénale des personnes morales impliquées dans la corruption.

À la différence de la convention de l’OCDE, celle de l’ONU vise la corruption

passive et active d’agents publics nationaux, étrangers ou d’organisations

internationales publiques. Elle couvre un champ plus large et semble plus complète

que la convention de l’OCDE. Pour Philippe Montigny, la convention des Nations

Unies devrait représenter un net progrès par rapport à la convention de l’OCDE en

faisant porter sa charge répressive sur les entreprises comme sur les administrations.54

En ce sens, sa vocation apparaît plus universelle que la convention de l’OCDE.

Dans le quatrième chapitre, la convention vise la coopération internationale,

notamment en détaillant les obligations d’assistance mutuelle entre les États en

matière pénale. Plus précisément, elle reprend les exigences sur les questions

d’extradition, d’entraide judiciaire ou en matière d’enquête.

Le chapitre cinq concerne la question du recouvrement des avoirs. Disposition

qu’exigent depuis des années les pays émergents qui sont les principales victimes de

la corruption et qui jusqu’à présent ne récupéraient que dans des cas exceptionnels les

deniers publics détournés.

Le sixième chapitre concerne les mécanismes d’application. La convention de

l’ONU prévoit l’organisation d’une conférence des États-parties un an après l’entrée

en vigueur de la convention et convoquée périodiquement. Mais ne prévoit aucun

véritable mécanisme de suivi ou de contrôle de la transposition et du respect des

obligations que la convention fait naître.

54 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 135

40

Ainsi, bien que la convention anti-corruption de l’ONU couvre un champ plus

vaste que la convention de l’OCDE et que son application semble moins élitiste que

cette dernière, il n’en reste pas moins que de nombreuses lacunes, notamment sur la

question de son suivi, posent la question de son efficacité.

2- « une machine puissante ou poussive ? »55 :

Stéphane Bonifassi note que la diversité et l’étendue des sujets traités peuvent

être source d’espoir. Il relève ainsi que « tout ce qui touche de prés ou de loin à la

corruption semble avoir été abordé tant au niveau des mesures préventives que des

incriminations, des questions relatives à la confiscation et à la saisie, à la

coopération internationale, à la restitution des fonds détournés…. »

Cependant il note que les nombreuses précautions de vocabulaire semblent

retirer toute force contraignante à cette convention.

Il note que dès l’article 4 apparaissent des dispositions sur la protection de la

souveraineté, rappelant les principes d’intégrité territoriale et de non-intervention

dans les affaires intérieures d’autres États. Ces dispositions ont pour effet de réduire

son champ d’application, la convention ne présentant pas un caractère véritablement

contraignant pour les pays signataires.

Enfin le problème majeur semble être l’absence de mécanisme de suivi.

Même si en raison du nombre d’États participants cette surveillance aurait soulevé des

problèmes matériels et techniques, ne prévoir aucun mécanisme de veille pour

contrôler la bonne application de la convention en fait un simple de guide de bonne

conduite dont la fonctionnalité et l’effectivité restent à démontrer.

Si cette convention reste un pas en avant dans la lutte contre la corruption, il

faudra, pour les États comme pour les Organisations Internationales, fournir de grands

efforts pour parvenir à la rendre efficace.

55 Stéphane BONIFASSI, op. cit.

41

D- Le rôle des Banques de développement dans la lutte contre la corruption dans les

contrats publics internationaux ; le cas de la Banque Mondiale :

L’actualité de la Banque Mondiale (BM) est extrêmement agitée et les affaires

qu’elle connaît remettent en question sa légitimité et sa crédibilité. Il n’en reste pas

moins cependant que la Banque Mondiale, en tant que plus gros bailleur de fonds de

l’aide multilatérale au développement, a un rôle très important dans la lutte contre la

corruption et un pouvoir contraignant que peu d’organisations internationales peuvent

prétendre avoir.

Selon Raphaël Apelbaum dans un article sur « les contrats conclus dans le

cadre des opérations financées par la Banque Mondiale », la BM finance près de 1400

projets et a investi en 2005 plus de 22 milliards de dollars dans l’aide aux pays les

plus pauvres et ceux dits « à revenu intermédiaire »56. Elle est, à ce titre, le principal

acteur dans le financement du développement de notre planète et l’un des principaux

acteurs des contrats publics internationaux.

Sur la question des contrats publics dans le cadre des opérations de la Banque

Mondiale, deux précisions doivent êtres apportées. Tout d’abord les opérations sont

financées par la BM, mais ne sont pas exécutées par elle, c’est l’emprunteur qui sous

le contrôle de la Banque sera chargé de l’exécution. La BM n’est donc pas signataire

desdits contrats. Cependant, et c’est le deuxième point important à noter, même si

l’exécution est à la charge de l’emprunteur, celui-ci est étroitement encadré par les

règles de la BM.

Les milliers de contrats publics internationaux que passe la Banque chaque

année représentent un risque élevé de corruption, notamment lorsque certains des

pays concernés souffrent eux-mêmes d’une corruption endémique.

Il s’agit d’après Philippe Montigny d’un engagement véritablement politique

qui consiste à pouvoir assurer aux pays actionnaires de la Banque que les projets

qu’elle finance sont exempts de corruption57.

56 Raphaël APELBAUM « Les contrats conclus dans le cadre des opérations financées par la Banque Mondiale », Revue contrats publics n°51 janvier 2006, p. 41 57 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 152

42

En matière de lutte contre la corruption, la BM ne relève d’aucune convention

internationale.

La lutte contre la corruption dans les contrats financés par la Banque Mondiale

a été mise en place durant la présidence de James Wolfensohn, président de la Banque

de 1995 à 2005. Il a fait de la lutte contre la corruption un des axes majeurs de sa

politique en faveur du développement. À ce titre, il prît l’initiative de faire adopter

dans le cadre de la stratégie globale de lutte contre la corruption, un certain nombre de

mesures visant à sanctionner les entreprises et les individus qui se rendraient

coupables de fraudes ou de corruption dans les projets financés par la BM.

Il est intéressant de relever sur ce sujet, une évolution dans l’approche de la

lutte contre la corruption par la Banque Mondiale. Jean-Jacques Verdeaux, Senior

Counsel au Legal Department de la Banque Mondiale, analyse que, pendant des

années, la Banque a tenté d’endiguer ce risque de corruption en adoptant des règles de

passation particulièrement transparentes et en établissant un contrôle a priori58. Et

dans les cas où la procédure de passation n’était pas respectée la Banque se contentait

d’annuler le prêt ou le don pour l’opération.

Cependant suite à plusieurs cas avérés de corruption dans les années 90, la

Banque a adopté une attitude plus agressive et répressive envers la corruption et a pris

des mesures individuelles contre les entreprises suspectées de corruption en leurs

notifiant une interdiction de soumissionner à de nouveaux marchés financés par la

Banque.

Enfin, la Banque Mondiale, et particulièrement sous l’influence de son dernier

président Paul Wolfowitz à la tête de l’organisation depuis 2005, a intensifié sa lutte

contre la corruption au point qu’elle soulève de nombreuses interrogations sur les

méthodes qu’elle emploie et sa légitimité à agir.

1- L’enjeu des directives verte et rouge :

58 Jean-Jacques VERDEAUX, « La lutte contre la corruption dans les marchés financés par la Banque Mondiale », Revue contrats publics n°51, janvier 2006 p. 50

43

Comme nous venons de la voir la Banque Mondiale a fait, dans un premier

temps, de la transparence dans les procédures de passation des contrats publics, le

meilleur outil de lutte contre la corruption.

Cette initiative, au vu des autres organisations internationales, est relativement

exceptionnelle tant la BM a défini précisément ses exigences dans ses directives verte

et rouge. Elle participe activement au processus de globalisation du droit des marchés

publics par le biais des « directives Marchés Publics ».

Selon Raphaël Apelbaum, l’élaboration de ces directives ne repose pas sur un

souhait d’harmonisation juridique, mais reflète plutôt le souci du préteur de voir son

argent correctement utilisé par l’emprunteur.

Dans sa lutte contre la corruption, il est alors indispensable pour la BM de

s’assurer que l’ensemble des fonds prêtés est exemplaire sur le plan de la transparence

et de la non-discrimination. La Banque impose ainsi des règles communes de

passation quand elle estime que les règles nationales ne sont pas capables d’assurer la

transparence et la compétition nécessaire ou quand les règles n’existent pas.

Ces directives s’appliquent aujourd’hui dans la grande majorité des opérations

financées par la BM.

Il existe, de plus, une assistance juridique dispensée par la Banque qui est

chargée d’élaborer ou de renforcer les législations existantes (« capacity building »).

Cependant ces opérations prennent du temps et dans la majorité des cas, la solution

reste d’utiliser la réglementation de la Banque en matière de marchés publics.

Cette réglementation apparaît, aujourd’hui, comme « un des modèles les plus

aboutis en matière de passation de MP dans le domaine du développement »59.

2- La mise en place d’institutions chargées de la lutte contre la corruption au sein de

la Banque Mondiale :

Le processus de sanction a été présenté au conseil d’administration de la

Banque en janvier 1996 et mis en œuvre par un « operational memorandum » de

janvier 1998.

59 Raphaël APELBAUM, op. cit., p. 42.

44

Parallèlement, des dispositions en matière de fraude et corruption étaient

introduites dans les directives Marchés Publics de la BM prévoyant notamment des

sanctions d’exclusion à période déterminée ou indéfinie aux marchés de la Banque

pour les auteurs de fraude ou de corruption, ainsi que dans les accords de prêts où la

possibilité d’annuler pour fraude ou corruption était introduite.

La procédure conduisant à la prise de telles sanctions était elle-même définie

dans le mémorandum. Cependant elle se distinguait de ce qui avait cours à la BM

jusqu’à présent, par la création de dispositions institutionnelles spécifiques,

notamment la création du Comité des Sanctions. La création de ce comité constituait

une véritable institutionnalisation de la lutte contre la fraude et la corruption au sein

de la Banque.

En 2001, cette procédure a fait l’objet d’aménagements qui visaient à

formaliser un certain nombre de comportements qui s’étaient fermement établis dans

la pratique et à clarifier certains aspects du mémorandum de 1998.

Le but était de préciser le fonctionnement du système de sanction de

l’organisation et le rôle d’une nouvelle entité en charge des enquêtes, devenue depuis

le département intégrité (INT).

À la base, l’INT ne devait être qu’une simple unité d’enquêtes créée en 1998

au sein du département Audit de la BM. Mais, en 2001, cette section est devenue un

département autonome dépendant directement du président de la Banque60.

3- La réforme institutionnelle de la lutte contre la corruption au sein de la BM :

Dans un rapport remis à la Banque en 2002, la commission conduite par

Richard Thornburgh a conclu à la nécessité de refonte des aspects institutionnels de la

lutte contre la corruption au sein de la Banque.

Pour ce qui est de la réforme du comité des sanctions, sa configuration initiale

était adaptée au peu de cas de corruption que le comité avait à traiter. Cependant, avec

la hausse croissante de cas, le comité a très vite été dépassé.

60 J.-J. VERDEAUX, op. cit., p.51

45

Parallèlement, les cas soumis se sont révélés de plus en plus complexes et ont

nécessité une disponibilité beaucoup plus grande de la part des responsables qui

assuraient, par ailleurs, les fonctions les plus hautes de l’institution.

Le Comité n’apparaissait plus comme adapté pour mener à bien cette mission

de lutte contre la corruption. C’est la raison pour laquelle la Banque a choisi de revoir

la composition de cette institution et de la doubler d’un niveau de première instance

représenté par un « officier évaluateur ».

Celui-ci est nommé par le président de la BM et est chargé de réexaminer les

cas soumis par le département intégrité. Si l’infraction lui semble constituée, il doit

prendre une sanction d’exclusion. Celle-ci donne le plus souvent lieu à une

suspension temporaire de participation conduisant à une sanction définitive en

l’absence d’appel à l’instance de second niveau appelée le « Sanction Board ».

Cette nouvelle instance d’appel vient remplacer le comité des sanctions et est

composée essentiellement d’éléments extérieurs.

Cette réforme apparaissait comme nécessaire tant l’équité de la procédure de

sanction était remise en cause par les entreprises impliquées. En effet, la Banque

apparaissait comme juge et partie et le risque de conflit d’intérêt semblait trop

important.

Désormais cette institution prend elle-même les décisions de sanctions

définitives. Le président de la Banque se trouve dorénavant exclu de l’ensemble de la

procédure de décision.

4- Les limites et les perspectives de l’action de la Banque Mondiale :

D’après un article paru dans Le Monde, selon un rapport interne rendu public

le 6 février 2007, la BM a écarté, pour Fraude et Corruption, 112 entités des projets

qu’elle finance au cours des deux dernières années61. Pendant son activité fiscale 2005

et 2006, elle a mené à bien prés de 441 enquêtes extérieures qui l’ont amenée à

exclure de ses marchés 58 entreprises et 54 particuliers pour pratiques de fraude et de

corruption. Depuis 1999 et les premières mesures de lutte contre la corruption interne,

la BM a sanctionné 338 entreprises et individus.

61 « La Banque Mondiale a intensifié sa lutte contre la corruption », Le Monde, 6 février 2007.

46

Pourtant, malgré le bien fondé de cette lutte, les conditions et les méthodes de

l’intervention de la Banque Mondiale sont problématiques.

Ainsi, sur le plan de la méthode, la direction de la Banque a suspendu de son

propre chef, parfois pendant de nombreux mois, les prêts à une longue liste de pays en

donnant peu de justifications à ces choix et sans discuter a priori de ces décisions avec

le conseil d’administration.

En outre, Paul Wolfowitz a signifié sa volonté de renforcer encore la lutte

contre la corruption, alors que les craintes se multiplient sur le risque que cet objectif

ne devienne plus important que la mission première de l’institution, l’aide au

développement.

Un débat vigoureux s’est engagé entre le Président de la Banque et ses

actionnaires entre novembre 2005 et avril 2006, et l’adoption d’une nouvelle stratégie

s’impose comme une nécessité.

Les critiques principales portent sur le fait que la stratégie ne peut être définie

et mise en œuvre dans le cadre du mandat de la BM à savoir le financement du

développement et la réduction de la pauvreté.

Pour beaucoup, cette stratégie de lutte contre la corruption ne doit pas être un

élément de conditionnalité supplémentaire et ne doit pas conduire à changer les

critères d’allocation des financements.

Enfin, les actions menées par la BM doivent êtres fondées sur le principe de

bonne gouvernance de la BM elle-même, et sa stratégie doit être concertée avec celles

d’autres institutions qui luttent contre la corruption.

Pierre Duquesne, administrateur pour la France à la BM et au FMI et président

du comité d’audit de la Banque, après la présentation du projet de la direction de la

Banque sur la gouvernance et la lutte contre la corruption devant le comité du

développement du 18 septembre 2006 à Singapour, a relevé les pistes qui lui semblent

nécessaire pour l’avenir62.

Il souligne la nécessité d’imposer une mise en œuvre effective du principe de

réalisme en luttant contre la corruption non seulement dans les pays emprunteurs mais

aussi dans les pays exportateurs et de retenir le principe d’équité dans le traitement

62 Compte-rendu de la conférence de Pierre DUQUESNE, La lettre de transparence, n° 31, Décembre 2006, dossier spécial sur la politique anti-corruption de la BM, p. 4.

47

des pays pour éviter le cas par cas. Il milite, de plus, pour faire appliquer un principe

d’équilibre entre répression et prévention. Pour lui, dans les pays qui connaissent une

forte corruption, un renforcement de la politique de prévention de la corruption est

préférable au retrait de la BM.

Enfin, la Banque a mis en place depuis 1996 des indicateurs de gouvernance

pour mesurer les efforts réalisé par les pays. Ces indicateurs constituent l’une des plus

grandes bases de données qui existent sur la gouvernance. L’étude est basée sur les

réponses obtenues de plus de 120 000 citoyens, entreprises et spécialistes du monde

entier, telles que fournies par 25 différentes organisations. Les réponses sont à leur

tour utilisées pour établir les indicateurs de gouvernance mondiale. Ils mesurent six

composantes de la bonne gestion des affaires publiques, à savoir : la représentativité

et la responsabilité qui mesure les droits politiques, civils et de l’homme ; la stabilité

politique et l’absence de violence qui vise la probabilité de menaces de violence, y

compris le terrorisme ; l’efficacité du gouvernement ; la qualité de la réglementation ;

la primauté du droit et la lutte contre la corruption.

E- Les initiatives de lutte contre la corruption à l’échelle européenne :

La corruption dans les contrats publics internationaux apparaît comme un

enjeu majeur au niveau européen. Ainsi le Conseil de l’Europe comme l’Union

Européenne, qui cherchent a améliorer la performance économique des pays membres

et du marché européen, doivent mener des politiques pour combattre ce problème s’ils

souhaitent y parvenir.

À l’échelle de l’Europe, on peut, donc, relever deux initiatives distinctes dans

la lutte contre la corruption.

Une initiative large qui concerne un grand nombre de pays et dont l’objectif

est de garantir la démocratie.

Et une initiative plus restreinte qui s’adresse, uniquement, aux pays membres

de l’Union européenne et dont l’objectif est de garantir une concurrence plus effective

sur le marché communautaire et une meilleure utilisation des deniers publics.

En ce sens, dans un cas comme dans l’autre, la corruption semble

incompatible avec leurs objectifs.

48

1- Le Conseil de l’Europe et la lutte contre la corruption :

Le Conseil de l’Europe est une organisation basée à Strasbourg dont la

mission principale est de : « défendre les droits de l’homme et la démocratie

parlementaire et d’assurer la primauté de l’État de droit ; de conclure des accords à

l’échelle du continent pour harmoniser les pratiques sociales et juridiques des États

membres ». Elle comprend 46 États membres et couvre un champ géographique

beaucoup plus large que l’Union Européenne, et cinq États, dont le saint siége, les

Etats-Unis, le Canada, le Japon et le Mexique ont un statut d’observateur au sein du

conseil.

La corruption, en ce qu’elle est dommageable à la démocratie, s’inscrit dans sa

mission, et c’est en ce sens que parallèlement aux Nations Unies ou à l’OCDE, le

Conseil de l’Europe s’est saisi de ce phénomène.

C’est en 1994, lors de la 19e conférence des ministres européens de la justice

que le conseil a institué un Groupe Multidisciplinaire sur la Corruption (GMC) chargé

de déterminer les mesures qui pourraient êtres incluses dans un programme d’action

international contre la corruption. Le travail de ce groupe a abouti à la rédaction de

vingt principes directeurs de la lutte contre la corruption en 1997, puis sur un projet

de convention pénale adoptée en novembre 1998 et sur un projet de convention civile

adopté en 1999.

La convention pénale vise à incriminer un large éventail de conduites de

corruption et à améliorer la coopération internationale afin d’accélérer la poursuite

des corrupteurs et des corrompus. Les États sont tenus des prévoir des sanctions et des

mesures efficaces et dissuasives incluant des sanctions privatives de liberté pouvant

donner lieu à l’extradition.

Elle intègre la corruption passive et étend l’incrimination de la corruption au

secteur privé.

Cette convention élargit de manière très importante l’incrimination de la

corruption de même que la notion d’agents publics qui s’étend désormais aux agents

publics nationaux et étrangers (articles 3 et 5).

49

La convention civile, quant à elle, est le seul texte international ayant pour

objet de traiter la question de la corruption par le droit civil en considérant que la

corruption permet l’obtention d’un avantage indu par des voies illicites pouvant

donner lieu à des dommages et intérêts.

En outre, le Conseil de l’Europe prévoit un processus de surveillance mutuelle

efficace avec la création du Groupe d’États contre la Corruption (GRECO).

Ce groupe de 37 pays membres est chargé de veiller au respect des

dispositions des conventions en matière de lutte contre la corruption. Les pays

membres du GRECO sont ceux qui participent au processus d’évaluation mutuelle et

qui acceptent de faire l’objet d’évaluations. De plus, un Etat qui devient partie à la

convention pénale ou civile ou tout autre instrument juridique du conseil de l’Europe

devient automatiquement membre du GRECO.

Son objectif est de suivre par le biais d’un processus d’évaluations et de

pressions mutuelles, l’application des principes directeurs pour la lutte contre la

corruption et la mise en œuvre des instruments juridiques internationaux adoptés en

application du programme d’action contre la corruption63.

Des groupes Ad hoc d’experts sont organisés pour étudier l’organisation

générale de la lutte contre la corruption sur le territoire.

La France a fait l’objet de deux évaluations en 2001 et 2003 pour le premier

cycle puis d’une troisième pour le second cycle. Le résultat des évaluations est positif.

Enfin l’objectif du GRECO est aussi l’harmonisation des pratiques

d’incrimination de la corruption pour protéger les règles de concurrence loyale entre

les entreprises.

2- La lutte contre la corruption au sein de l’Union Européenne :

En matière de lutte contre la corruption, l’Union Européenne reprend

sensiblement les mêmes principes que les conventions internationales de l’ONU et de

l’OCDE.

Ses objectifs sont d’appliquer une politique de « tolérance zéro» à l'égard de

63 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 129

50

la corruption au sein des institutions européennes et de poursuivre rigoureusement les

personnes ou organisations qui tentent d'obtenir illégalement des fonds

communautaires.

En outre, elle veut favoriser le rapprochement entre les législations pénales

des différents États membres. Cela comprend l'adoption de définitions,

d'incriminations et de sanctions communes.

Il s’agit de mettre en place une stratégie globale en matière de prévention des

pratiques corruptrices dans une série de domaines comme notamment l'adjudication

des marchés publics64.

Pour parvenir à ses fins, elle dispose de divers instruments. Le premier

d’entre eux est le protocole à la Convention sur la protection des intérêts financiers

des Communautés européennes adopté le 27 septembre 1996. Ce protocole

criminalise la corruption tant passive qu'active des fonctionnaires nationaux ou

européens, lorsque la corruption concernée nuit, ou a de fortes chances de nuire, aux

intérêts financiers de l'Union.

Puis, le 26 mai 1997, l'UE a adopté un second instrument avec la Convention

relative à la lutte contre la corruption des fonctionnaires des Communautés

européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'UE. Elle fait de la

corruption, active ou passive, une délit punissable, même en l'absence d'impact

financier négatif pour l'Union. Elle couvre la responsabilité pénale des chefs

d'entreprises, et contient des dispositions sur les juridictions, l'extradition et la

coopération internationales.

Le 19 juin 1997, un deuxième protocole à la Convention sur la protection des

intérêts financiers a été adopté. Ce protocole contient des dispositions qui

criminalisent le blanchiment de l'argent provenant de la corruption.

En outre, la démission collective de la Commission en 1999, soupçonnée de

corruption, a servi de détonateur à la prise de conscience de la nécessité de lutter

contre ces pratiques à l’intérieur des institutions de l’UE. Ainsi, un Office de Lutte

Anti-fraude (OLAF) a été créé, ce qui démontre l’importance de ce thème dans la

politique européenne.

64 « Poursuivre la criminalité en col blanc sur le marché unifié de l'Union européenne », http://ec.europa.eu/justice_home/fsj/crime/economic/fsj_crime_economic_fr.htm

51

Enfin, le 22 juillet 2003, l’UE a approuvé une décision cadre par laquelle les

États membres s’engagent à ériger en infraction pénale la corruption active et passive

entre personnes privées qui, en violation de leurs obligations professionnelles donnent

ou acceptent un avantage indu.

Celle-ci prévoit l'application par les États membres de peines effectives,

proportionnées et dissuasives, et l'incrimination et les sanctions des personnes

morales.

Sur la question des mécanismes de suivi et d’évaluation, la commission ne

souhaite pas à ce stade instituer un système de suivi spécifique à l’UE, pour éviter des

conflits avec les mécanismes de l’OCDE et du GRECO.

Cependant les efforts de l’UE en matière de corruption se révéleraient

sûrement inefficaces en l’absence d’une telle procédure. Une surveillance attentive

semble particulièrement importante dans le cadre actuel d’élargissement de l’union,

avec l’entrée des anciens pays soviétiques souvent très gravement touchés par la

corruption.

Spécifiquement en matière de passation, l’Union Européenne a déjà pris de

nombreuses initiatives, notamment sur les questions de transparence, de publicité et

de mise en concurrence dans les procédures. Ceci est illustré par les directives

« marchés publics » n° 2004/ 17 et 2004/ 18, que nous aurons l’occasion de voir

ultérieurement.

Les programmes d’aide extérieur offrent, également, d’autres perspectives de

lutte contre la corruption pour l’Union Européenne, tant dans la gestion même de

l’aide, que dans les mesures de prévention qu’elle peut financer65.

65 Dieter FRISCH, « Nouvelle communication de la commission européenne sur une politique globale de l’union contre la corruption », http://www.transparence-france.org/wpolitgloblunioneurctrecorrup.htm

52

Section 2- La dimension nationale de la lutte contre la corruption dans les contrats

publics internationaux :

À ce niveau, l’enjeu pour les pays est double, faire en sorte que leurs

entreprises ne se retrouvent pas victimes de concurrence déloyale pour l’obtention des

contrats publics et veiller à ce que les deniers publics ne soient pas détournés de leurs

fonctions initiales, en instaurant un système de lutte contre la corruption en

conformité avec les conventions internationales.

Nous reprendrons ces deux axes dans cette partie. Tout d’abord nous nous

intéresserons au cas des Etats-Unis, qui ont été les premiers, après avoir constaté le

nombre de marchés qui échappaient à leurs entreprises pour cause de corruption, à

mettre en place une politique anti-corruption pour leurs entreprises avec le « Foreign

Corrupt Practices Act » de 1977 (FCPA).

Puis nous nous pencherons sur le cas de la France et la question de l’impact

des lois de transpositions sur le droit interne.

A- Le cas des Etats-Unis : exemple le plus abouti d’incrimination de la corruption

internationale :

Les Etats-Unis se présentent comme l’exemple le plus abouti pour une raison

simple, ils sont les premiers à avoir pris conscience de la perte économique que

représentait la corruption et par conséquent, les premiers à avoir mis en place une

législation interdisant et incriminant la corruption d’agents publics étrangers.

Ainsi dès 1977, le FCPA a été mis en place, celui-ci a fortement inspiré la

convention de l’OCDE.

Les raisons de cette législation sont simples. Le congrès américain estimait

dans le quatrième rapport stratégique sur les exportations américaines66, que la

corruption était un frein au développement du commerce américain, au

66 The national export strategy (trade promotion coordinating committee), Washington DC, Octobre 1997

53

développement économique des pays émergents et un obstacle à l’obtention de

contrats publics par les entreprises américaines dans des situations de concurrence.67

Avec 30 ans d’ancienneté en matière de lutte contre la corruption, les Etats-

Unis ont une grande expérience des avantages et des inconvénients des politiques

liées à celle-ci. Expérience qui peut être très bénéfique aux autres pays dans la lutte

contre la corruption dans les contrats publics internationaux.

1- Les caractéristiques du FCPA et son champ d’application:

Le FCPA se compose de deux volets, le premier traite des dispositions qui

concernent la corruption proprement dite, le second vise les livres et documents

comptables ainsi que les contrôles internes68.

Cette présentation permet à la justice d’aborder le problème de la corruption

sous deux aspects. Selon la procédure pénale habituelle, en recueillant des

informations par des dénonciations et des enquêtes, ou bien selon l’examen des livres

comptables, c’est-à-dire par le contrôle de la comptabilité des entreprises américaines

qui s’est développé de manière très importante ces dernières années aux USA.

Cette dichotomie est reprise dans l’organisation fonctionnelle de la lutte contre

la corruption. Le volet anti-corruption du FCPA est mis en place par le Ministère de la

justice, tandis que le volet comptable relève de la Commission des Opérations

Boursières.

En outre, suite aux nombreux scandales qui ont touché les grandes entreprises

américaines dans la fin des années 1990, comme l’affaire « Enron », le contrôle sur

leur bonne santé financière s’est accru dans le dessein d’assurer une plus grande

transparence dans le milieu des affaires. Ainsi, depuis 2002, la loi Sarbanes- Oxley

impose aux sociétés américaines cotées en bourse, d’évaluer les contrôles internes

dans leurs communications financières, notamment par le biais d’une déclaration

engageant la responsabilité de la direction quant à la mise en place et au maintien de

mesures rigoureuses de contrôle interne.

67 Philippe FONTANA, op. cit., p. 122 68 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 145.

54

Le FCPA s’applique à toutes les personnes morales enregistrées aux Etats-

Unis (entreprises, associations, ONG). D’après Philippe Montigny, une lecture stricte

de la loi exclut les filiales étrangères des sociétés américaines de son application69.

Cependant, la responsabilité de la société-mère peut être engagée si « elle a

autorisé ou commandé une filiale étrangère en vue de la commission d’un acte de

corruption »70.

2- La mise en œuvre du FCPA :

Il existe, donc, deux approches différentes de la lutte contre la corruption dans

le FCPA, une approche pénale et une approche civile.

L’approche pénale vise la condamnation des faits de corruption, à proprement

parler.

Puis, cette incrimination est suivie d’une enquête menée par le service des

fraudes de la Direction des Affaires Criminelles du ministère de la justice qui, depuis

1994, a la responsabilité de la poursuite des délits de corruption d’agents publics

étrangers.

Les sanctions prévues par le FCPA visent aussi bien les personnes physiques

que les personnes morales. Pour les personnes morales, l’amende peut atteindre 2

millions de dollars et pour les personnes physiques, elle peut aller jusqu’à 100 000

dollars et peut s’accompagner d’une peine d’emprisonnement de cinq ans.

Comme le souligne Philippe Montigny, le FCPA reste beaucoup moins sévère

que la législation américaine en matière de corruption de fonctionnaires américains,

qui peut faire encourir à son auteur jusqu’à quinze ans de prison. Bien qu’en pratique,

les affaires relevant du FCPA aient été jugées plus sévèrement que celles qui relèvent

de la corruption interne.

69 Ibid., p. 146. 70 Rapport de la phase 2 sur l’application de la convention contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales sur les Etats-Unis, OCDE, Octobre 2002, Paragraphe 17.

55

Du point de vue civil, le FCPA impose certaines obligations comptables.

L’idée de cette réglementation est que le fait de corruption se traduit généralement par

une irrégularité comptable mise en place afin de le dissimuler.

Ces obligations consistent en la conservation de pièces justificatives qui

doivent précisément rendre compte des transactions ou encore de l’obligation pour les

entreprises de procéder à des contrôles internes pour prévenir et détecter la corruption.

Cependant, bien que ce système apparaisse comme un outil efficace de lutte

contre la corruption, il connaît certaines limites. Les obligations de vérification

comptable ne concernent pas toutes les entreprises, elles sont limitées aux entreprises

cotées en bourse, et aux filiales contrôlées uniquement. Ainsi certaines entreprises

même de dimension internationale ne sont soumises à aucune obligation comptable

particulière.

3- Les apports et innovations du FCPA :

Outre ces systèmes extrêmement poussés de contrôle comptable, un apport

intéressant qui pourrait être repris en France est le programme dit de « vigilance des

entreprises ».

Le FCPA encourage ainsi les entreprises à se doter d’un « Compliance

Program », qui sont des programmes de mise en conformité afin de contrôler le

respect des exigences du FCPA.

Il revient, donc, à l’entreprise de veiller elle-même au respect du FCPA par

ses services.

L’objet de ce programme est de rendre plus efficace le système anti-

corruption, tout en donnant la possibilité aux entreprises de bénéficier de

circonstances atténuantes si elles le mettent en place.

De plus, un apport intéressant de la justice américaine est la possibilité de

plaider coupable pour les faits de corruption, soit dans le cadre d’une coopération

entre entreprises et autorités fédérales en vue d’obtenir un allégement de peine, soit

dans le cadre d’une dénonciation volontaire qui peut être suivie d’une coopération

avec des enquêteurs fédéraux.

56

Enfin Philippe Montigny, note que les peines relativement légères prononcées

par la justice américaine jusqu’à présent ont conduit les entreprises à intégrer dans

leurs stratégies une politique de dénonciation volontaire quasi systématique. Mais que

cette situation change, avec un durcissement des sanctions financières prononcées par

la justice américaine au cours des années 2004 et 2005 qui ont conduit les juristes

américains à se poser la question de l’utilité du recours à la dénonciation volontaire 71.

B- La Transposition des conventions internationales en Droit interne, le cas de la

France :

« Une convention vaut ce que valent les lois de transpositions qui la traduisent

dans le droit interne de chacun des États signataires »72.

L’enjeu de cette partie est, donc, d’étudier les impacts des transpositions des

règles des conventions internationales en droit interne, et particulièrement en France,

pour constater le suivi national des politiques de lutte contre la corruption.

Jusqu’à la fin des années 1990, la France ne connaissait aucune législation qui

interdisait ou sanctionnait la corruption dans les contrats publics internationaux.

La Commission Bouchery et la loi Sapin de 1993 ont apporté les premières

initiatives en matière lutte contre la corruption dans les procédures de passation des

contrats publics en posant des exigences de transparence, de publicité et de mise en

concurrence.

Mais il faudra attendre les conventions internationales et notamment la

convention de l’OCDE pour que la France prenne réellement conscience de l’enjeu de

la corruption dans les transactions internationales. Et les efforts consentis dans

l’assainissement des procédures de passation sont, essentiellement, le fait de

l’influence communautaire.

Nous verrons donc dans cette partie les conséquences que ces différentes

conventions ont eues sur la lutte contre la corruption en France. En consacrant une

71 Philippe MONTIGNY, Op. cit., p.148 72 Daniel DOMMEL, « La transposition de la convention OCDE dans les législations nationales », Revue prospectives stratégiques, n° 10, juin 2002

57

première partie à la convention de l’OCDE qui a eu le plus d’impact en France. Puis

en reprenant les autres normes internationales.

1- L’impact de la transposition de la convention de l’OCDE en droit français :

Les transpositions de la convention de l’OCDE sont, dans l’ensemble, assez

fidèles au texte d’origine grâce aux phases de suivie prévues.

Daniel Dommel note que la plupart des pays ont repris les prescriptions de la

convention et que les discussions entre pays adhérents ont permis de résoudre les

divergences de points de vue.

La convention est entrée en vigueur le 29 septembre 2000 et a été transposée

en droit français par la loi de transposition du 30 juin 200073. L’objet de cette loi est

double, elle a, ainsi, permis d’introduire en droit français la convention anti-

corruption de l’OCDE mais également la convention relative à la lutte contre la

corruption impliquant des fonctionnaires des communautés européennes ou des

fonctionnaires des États membres de l’union européenne signée le 26 mai 1997.

Son apport principal est la prise en compte par le droit pénal français de la

corruption d’agents publics étrangers et la qualification plus aisée des faits de

corruption.

La grande différence entre le droit pénal français et la convention de l’OCDE

est la notion de pacte de corruption qui vise l’alliance entre un corrupteur et un

corrompu. Pour caractériser un fait de corruption, le pacte de corruption doit être

démontré dans son ensemble. L’article 432-11 vise ainsi la corruption passive des

personnes exerçants une fonction publique et les articles 433-1 et -2 qui portent sur la

corruption active des particuliers mettent en place une égalité de traitement des délits

de corruption.

Grâce à la loi de transposition, qui comprend aussi les directives

communautaires et les conventions du Conseil de l’Europe, cette distinction est

73 Loi n°2000-595 modifiant le code pénal et le code de procédure pénale relative à la lutte contre la corruption

58

étendue aux « fonctionnaires des communautés européennes, des Etats membres de

l’union européenne ou des institutions des communautés européennes ».

Le pacte de corruption français, contrairement à la convention de l’OCDE,

vise une symétrie et une équité de traitement, de l’incrimination ainsi qu’une égalité

de peine entre fonctionnaire et responsable de l’entreprise.

Cette distinction ne figurant pas dans la convention de l’OCDE, seuls les

fonctionnaires européens sont visés par la notion de corruption passive. Ainsi, le code

pénal ne retient dans son article 435-4 pour les Etats étrangers autres que les Etats

membres de l’UE, que la notion de corruption active.

De plus, la définition de la notion d’agent public se trouve élargie à tous les

agents publics des États étrangers et des organisations internationales (article 435-3).

Enfin l’article 435-5 prévoit les sanctions. Corrompre un agent public étranger

expose pénalement le coupable à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros

d’amende. Peine qui peut être accompagnée d’une privation de droits civiques, civils

et familiaux.

Le fait de céder à un chantage ou un racket ou une extorsion n’est pas

constitutif d’une circonstance atténuante.

La personne morale incriminée peut également subir des sanctions

commerciales (article 435-6) comme la fermeture de l’établissement pour cinq et plus,

l’interdiction d’exercer l’activité économique ou sociale, ou plus intéressant,

l’exclusion des marchés publics.

Le suivi de la transposition de la convention de l’OCDE en droit français a

donné lieu à deux examens. Le premier, le 16 mai 2001, portait sur la façon dont la

France a adapté sa législation et qui correspond, selon la terminologie de l’OCDE, au

rapport de la phase 1. Puis, le second, le 22 janvier 2004, s’intéressait à « évaluer la

façon dont la France détecte, poursuit et sanctionne le délit de corruption d’agents

publics étrangers ».

À l’issue de ceux-ci, le groupe de travail de l’OCDE a semblé satisfait des

progrès réalisés par la France en matière de lutte contre la corruption internationale.

59

2- L’impact de la transposition des autres conventions :

La convention du Conseil de l’Europe est entrée en vigueur le 1er juillet 2002

après avoir été ratifié par quatorze pays, mais n’a été ratifiée par la France qu’en date

du 11 février 2005.

Le retard de la France, qui a mis six ans pour ratifier ces conventions, ne serait

dû, d’après Philippe Montigny, qu’à la volonté de vérifier la cohérence des divers

engagements pris par la France dans ce domaine74.

Elle a fait l’objet de deux évaluations en 2001 et 2003 et le résultat est encore

à son honneur, ce qui signifie que la surveillance exercée sur les entreprises françaises

est forte75. Ainsi, ils jugent très développé l’appareil juridique et l’appareil

institutionnel de la France en matière de lutte contre la corruption dans les contrats

publics internationaux.

Le député Marc Reymann a repris très précisément les obligations qui

découlaient de la transposition des conventions civiles et pénales du Conseil de

l’Europe76.

La convention pénale n’apporte aucune nouveauté majeure par rapport à la

convention de l’OCDE, le progrès qu’elle représente est la reconnaissance de la

corruption passive au niveau international à un niveau plus large que celui de l’Union

Européenne.

Quant à la convention civile, le seul élément vraiment novateur qu’elle

apporte est la possibilité pour les entreprises de demander des dommages et intérêts à

des entreprises concurrentes qui auraient versé des pots-de-vin pour obtenir des

contrats publics.

Pour ce qui est de la convention de Nations Unies, la France l’a ratifiée le 11

juillet 2005 et est le premier État du G8 à l’avoir fait. Celle-ci n’apporte pas de

nouveautés majeures par rapport aux autres conventions. En outre, la conception de la

74 P. MONTIGNY, op. cit., p. 123 75 Rapport du GRECO sur la France « La corruption vue par le Conseil de l’Europe », la lettre de transparence, N° 12, janvier 2002 76 Rapport n°1424, Assemblée Nationale, 11 février 2004

60

lutte contre la corruption retenue par l’ONU est très proche de la conception française

et reprend très clairement la distinction entre corruption active et passive77.

Pour Jean-Pierre Vidon, ambassadeur chargé de la lutte contre le crime

organisé pour la France, « la coopération internationale française accorde à la lutte

contre la corruption une place importante parmi les défis auxquels elle ambitionne de

répondre à travers son soutien à la gouvernance démocratique »78.

Ainsi, en plus des efforts qu’elle fournie dans la réalisation des conventions

internationales, la France mène une action bilatérale. « Elle organise des séminaires

qui rassemblent magistrats et fonctionnaires dont bénéficient l’Europe orientale,

l’Afrique, l’Amérique Latine, le Moyen-Orient et l’Asie »79.

Cependant si l’on reprend l’indice de perception de la corruption de 2006, la

France se place à la dix-huitième position avec un indice de 7,4 sur 10, derrière les

pays du nord de l’Europe (Scandinavie, Pays-Bas, Allemagne et Royaume-Uni).

Bien qu’elle se situe devant les pays du sud de l’Europe, la France est encore

perçue comme un pays qui connaît une importante corruption et est désignée dans

l’indice de perception de la corruption des pays exportateurs comme l’un des pays

dont les entreprises ont le plus recours aux pratiques corruptives.

On peut donc se demander si la multiplication des conventions internationales

est vraiment porteuse d’amélioration et si les moyens mis en œuvre pour lutter contre

la corruption dans les contrats publics internationaux sont vraiment efficaces.

77 Rapport n° 2417 de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale présentée le 29 juin 2005 par Geneviève Colot, Députée 78 J.-P. VIDON, « La France engagée dans la lutte contre la corruption internationale», in P. MONTIGNY, op. cit., p. 138 79 Ibid

61

Deuxième Partie - La mise en pratique de la lutte contre la corruption

dans les contrats publics internationaux :

Comme nous venons le voir dans en première partie, la corruption fait

aujourd’hui l’objet d’un large consensus et de nombreux textes à portée normative

sont venus encadrer les politiques en la matière pour tenter d’enrailler ce problème.

Cependant, en dépit du nombre croissant de législations, l’indice de perception

de la corruption publiée par TI en 2006 montre que les progrès réalisés sont très

faibles et que les contrats publics internationaux restent encore un domaine fortement

touché par la corruption.

Il convient donc désormais de s’interroger sur les moyens concrets mis en

place pour lutter contre ce gaspillage de deniers publics, mais également sur leurs

limites et sur les pistes proposées par les différents acteurs pour poursuivre la lutte

contre la corruption.

Chapitre 1 - Les moyens de la lutte contre la corruption dans les contrats publics

internationaux, de la prévention à la répression :

Si l’on reprend les conventions internationales précédemment étudiées, on

peut constater qu’il existe deux façons de lutter contre la corruption, selon une

approche répressive et selon une approche préventive. Or les textes consacrés à la

corruption mettent surtout l’accent sur l’incrimination et la sanction des faits de

corruption et moins, voire quasiment pas, sur les mesures qui en amont pourraient

permettre de limiter le nombre de cas.

La raison en est simple, un dispositif de prévention de la corruption a un coût

et il est tentant pour les autorités de ne pas y recourir. Ainsi, pour le traitement de la

corruption, la répression semble à de nombreux égards la solution la plus efficace par

son effet dissuasif. Cependant, elle trouve ses limites dans la multiplication des

irrégularités et leur réitération.

62

« Répression sans prévention ou prévention sans répression, la carence est

identique »80.

L’enjeu de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux

est donc double.

Il s’agit, d’une part, de mettre en place des systèmes en amont pour prévenir la

lutte contre la corruption, en mettant en place des outils pour traiter cette question à sa

source en responsabilisant et en renforçant le contrôle des acteurs des contrats publics

internationaux et en veillant à une meilleure transparence et concurrence dans les

procédures de passation.

D’autre part, l’enjeu est de faire en sorte que le système de sanction soit

suffisamment efficace pour dissuader les actes de corruption, tant sur la question des

sanctions pénales que commerciales.

Section 1- Les moyens en amont, la prévention de la corruption dans les contrats

publics internationaux :

Les contrats publics internationaux sont par nature un domaine extrêmement

sensible et sujet à corruption.

Cependant, très peu d’initiatives sont prises en la matière pour prévenir ce

risque.

S’il apparaît une certaine homogénéité et une certaine récurrence sur la

nécessité d’assurer une véritable mise en concurrence et une transparence dans

l’attribution des contrats publics, la plupart des conventions manquent de précision

sur ce point et ne donnent pas les moyens nécessaires aux administrations pour les

mettre en œuvre. Les quelques démarches significatives dans ce domaine sont à

mettre à l’actif d’organismes multilatéraux comme la BM, le FMI et l’Organisation

Mondiale du Commerce (OMC) ou sur le compte de politiques régionales comme le

fait l’Union Européenne.

D’autres outils sont également envisageables en matière de prévention et

tendent à avoir une place importante dans le processus de lutte contre la corruption.

80Josette HERVET, « Corruption et marchés publics : connivence et compérages sur la base de fonds publics », RFFP, n°69, Mars 2000, p. 55

63

On trouve, notamment, le système d’alerte éthique ou les codes de bonne conduite,

d’éthique ou de déontologie.

Enfin, la présence d’autorités administrative indépendante est extrêmement

bénéfique dans la lutte contre la corruption, si l’on en croit l’exemple français du

Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC). Elles permettent un contrôle

accru des entreprises et des services administratifs, une sensibilisation au phénomène,

et surtout remplissent une mission de centralisation des informations.

Les trois points essentiels en matière de prévention dans les contrats publics

internationaux sont donc la nécessité d’imposer de la transparence dans l’utilisation

des deniers publics, de responsabiliser les acteurs, entreprises comme administrations

et de renforcer leur contrôle et la centralisation des informations.

A- La transparence dans les procédures de passation des contrats publics

internationaux, un moyen efficace de lutte contre la corruption :

La transparence est une notion complexe qui recouvre plusieurs réalités. Elle

découle des notions de bonne gouvernance et de bonne gestion publique.

En ce sens, pour parvenir à mettre en place une transparence effective,

plusieurs outils sont disponibles. Elle passe par une publicité accrue, une plus grande

mise en concurrence et le respect du principe d’égalité d’accès à la commande

publique et de non-discrimination.

En somme, la finalité de la transparence est la recherche de la plus grande

effectivité de l’utilisation des deniers publics en évitant le risque de gaspillage et de

détournement de l’intérêt général au profit de l’intérêt privé.

En outre, en matière de contrats publics internationaux, l’exigence de

transparence renvoie à une réalité bien concrète. Il s’agit de l’édiction de procédures

de passation claires, précises, qui permettent aux entreprises de s’informer des appels

d’offres, des critères de sélection et une fois le contrat attribué des motifs de son refus

ou de son acceptation et aux administrations d’apprécier les offres en toute

impartialité. L’administration veille aussi à ce que les informations soient

communiquées à tous les candidats et qu’il y ait une égalité de traitement de ceux-ci,

dans la communication des critères et dans l’appréciation des candidatures.

64

Le moyen pour y parvenir est souvent de privilégier la procédure de l’appel

d’offre aux procédures négociées et l’adjudication qui prévoit l’attribution du contrat

au moins disant, avec comme critère unique celui du prix même si ce système est très

contesté.

On a pu assister, au niveau interne comme au niveau international, à de

nombreuses initiatives sur ce point. Dans le cas de la France, la préoccupation en

matière de transparence dans les contrats publics s’est développée après des scandales

de la fin des années 1980, grâce au rapport de la commission Bouchery aboutissant à

la loi du 29 janvier 199381, première étape de cette prise de conscience pour les

conventions de délégation de service public. Pour les marchés publics, la création de

la mission interministérielle d’enquête sur les marchés et le délit d’avantage injustifié

(loi du 3 janvier 1991) a été à l’origine de la mise en place de procédures de passation

strictes qui ont été affinées par les différents Codes des Marchés Publics de 1964 à

2006. Enfin, la loi portant « Mesures Urgentes de Réformes à Caractère Économique

et Financier » (MURCEF) du 11 décembre 2001 a achevé le cadre réglementaire

national.

Mais, c’est, véritablement, sous l’influence communautaire que s’est imposée,

en France, cette exigence de transparence dans les contrats publics internationaux,

illustrée par la volonté d’assurer des passations plus objectives avec des critères

d’attribution précis.

Sur le plan international, on a assisté à deux initiatives différentes, l’apparition

de recommandation, de communication ou de références à la notion de transparence

dans les conventions internationales, et le développement d’exigences de transparence

dans les procédures passées directement ou financés par des organismes

internationaux, comme l’ONU, la BM ou le FMI.

1- Les exigences de la transparence, une voie très prometteuse dans la lutte contre la

corruption :

81 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques

65

Le rapprochement dans l’article 1er de la loi de 1993 relative à la prévention

et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques entre, les délits

de corruption et assimilés et les principes fondamentaux de la libre concurrence, n’est

pas anodin.

La lutte contre la corruption dans les contrats publics s’est développée en droit

interne, essentiellement, autour de la notion de transparence dans les procédures de

passation des contrats publics82. L’exemple de la France n’est pas une exception, au

contraire, il est représentatif des efforts qui ont été consentis pour assainir l’attribution

de ces contrats.

Ainsi, Josette Hervet, juge que la recherche et l’amélioration de la

transparence doivent être des démarches permanentes du législateur. Celle-ci doit être

à l’origine de toutes les dispositions apportées aux procédures des contrats publics83.

Elle souligne que celles-ci doivent êtres claires. Si elles devaient être sujettes à

interprétations, le risque serait double pour les contrats publics. Tout d’abord, le

manque de clarté ne peut qu’être source d’insécurité juridique. Et ensuite des

procédures qui n’imposeraient pas clairement des obligations en termes de

transparence seraient un foyer à corruption et à fraude.

Cette exigence de transparence impose aux organismes internationaux à veiller

à ce que les règles de passation ne soient ni trop complexes ni trop simplistes. En

effet, comme nous l’avons vu, des dispositions trop complexes favorisent la

corruption en laissant des zones d’ombres propices à la fraude.

Un autre point fondamental en matière de transparence est l’exigence de

publicité des procédures de marchés. Le but est de permettre une meilleure

information des entreprises et de s’assurer que chaque étape de la procédure, du

lancement à la signature du contrat, soit soumise au contrôle public.

82D. LINOTTE et R. ROMI, Services publics et droit public économique, Litec édition du jurisclasseur, 2003, 5éme édition, p. 380 83 J. HERVET, op. cit.

66

En outre, il s’agit de rendre les informations plus accessibles à tous, pour

limiter le risque d’avantage dont pourraient bénéficier certaines entreprises et réduire,

ainsi, le risque de clientélisme.

Toute information sur l’offre est génératrice de distorsion de concurrence en

donnant un avantage certain à celui qui l’obtient pour préparer son dossier de

candidature. C’est en ce sens, que ces informations représentent un danger susceptible

de donner lieu à corruption.

Les entreprises évincées doivent également pouvoir apprécier les raisons pour

lesquelles elles n’ont pas été retenues. La publicité et la communication doivent êtres

étendues au maximum.

Enfin, favoriser la collégialité, prévoir une possibilité de recours efficace en

cas de doute sur l’attribution du marché comme le référé précontractuel, améliorer le

conseil technique et juridique ou la formation des fonctionnaires sont également des

moyens pour parvenir à la transparence.

Pour Benoît Chevauchez, la transparence est une voie très prometteuse.84Tout

d’abord, elle favorise la pression du citoyen et de l’opinion publique sur

l’administration, ce qui tend à la responsabiliser dans ses choix et donc représente un

outil efficace de lutte contre la corruption.

Son deuxième atout est de faciliter le travail de répression en permettant à

toutes les décisions d’apparaître clairement.

Enfin, elle oblige l’administration à adopter sa décision sur la base de critères

objectifs comme le prix, la qualité des matériaux ou encore les exigences de

développement durable. Elle permet, donc, une gestion plus efficace et plus efficiente

des deniers publics.

Ainsi, tout le processus d’adoption de la décision doit être transparent en

incluant les études et réflexions préalables, la décision, ses motivations et

justifications.

84 Benoît CHEVAUCHEZ, op. cit., p. 93

67

Cependant des conséquences négatives de transparence existent, notamment,

la pression des medias qui peut altérer la pertinence des comportements et décisions

des gestionnaires publics, ou encore le risque de procédure trop longue et complexe à

mettre en œuvre.

Quoi qu’il en soit, selon Benoît Chevauchez, la transparence permet de « lier

éthique et modernité » dans les procédures de passation des contrats publics

internationaux.

Cependant, pour que la transparence ait un impact sur la lutte contre la

corruption dans les contrats publics internationaux, il faut nécessairement développer

une harmonisation des règles de passation au niveau international.

2- Les exigences de transparences au niveau international :

À la différence du droit international privé qui a multiplié les efforts et qui a

mis en place un cadre juridique pour la formation de contrats privés à échelle

internationale, aucune harmonisation du droit des contrats publics n’a permis de

parvenir à un cadre juridique international sur les procédures de passation des contrats

publics internationaux.

Quelques initiatives existent, cependant. Ainsi, depuis 1993, l’ONU, grâce aux

travaux de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international

(CNUDCI), a mis en place une ébauche de cadre pour accompagner la passation des

contrats publics internationaux. En outre, l’OCDE organise régulièrement des tables

rondes autour du thème de l’achat public.

On peut relever trois formes d’initiatives en matière de droit des contrats

publics internationaux, chacune relevant de réalités juridiques différentes.

La première initiative est celle des grandes organisations internationales

(ONU, OCDE et OMC). Elles ont cherché à instaurer un cadre juridique et une

harmonisation des procédures de passation, mais cette tâche semble compliquée à

réaliser en raison, comme nous le verrons, de l’absence de caractère contraignant de

ces réglementations.

68

La deuxième démarche relève de la même logique, mais a une portée moins

universelle. Il s’agit des initiatives régionales d’harmonisation des règles de passation

qui visent, à un niveau local, à la création d’un cadre juridique, première étape vers

une équivalence internationale des procédures.

Enfin le troisième point concerne les exigences des organismes de

financements dans les procédures des opérations qu’ils financent comme c’est le cas

des opérations de la BM.

a) Les initiatives des organisations internationales :

Outre le fait que les conventions anti-corruption soulignent de manière

succincte la nécessité de mettre en place des procédures transparentes, deux

dispositions d’envergure en la matière méritent d’êtres relevées. Ce sont l’accord sur

les marchés publics de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et les loi-types

de la CNUDCI. L’OCDE joue également un rôle dans cette volonté d’instaurer une

plus grande transparence dans les procédures de passation en veillant par son action à

ce qu’elle soit respectée.

La CNUDCI a adopté le 16 juillet 1993, une première loi type sur les marchés

publics de fourniture et de travaux, celle-ci a été modifiée le 15 juin 1994 pour y

intégrer spécifiquement les marchés de services. Son objet est d'aider les États à

réformer et moderniser leurs législations sur les procédures de passation des marchés.

Elle contient des règles procédurales conçues pour assurer la concurrence, la

transparence, l'équité et l'objectivité dans le processus de passation des marchés, et en

accroître, ce faisant, l'économie et l'efficacité. Son objectif est de permettre aux États

ne disposant pas de législation de passation de prendre exemple sur celle-ci.

Enfin des sessions sont organisées régulièrement au sein de la CNUDCI pour

apporter des révisions à ce texte, la dernière en date est la onzième session, elle s’est

tenue à New York du 21 au 25 mai 2007

Pour ce qui est de l’Accord sur les Marchés Publics (AMP), il faut tout

d’abord relever que les contrats publics n’ont, pendant longtemps, pas fait partie des

priorités de l’OMC.

69

Cependant s’étant aperçue des effets restrictifs sur les échanges internationaux

du caractère discriminatoire des procédures de passation, l’organisation est intervenue

pour y remédier.

C’est lors du Tokyo Round qu’ont été entreprises des négociations

commerciales en vue d’appliquer aux marchés publics des règles convenues au niveau

international. Le premier accord sur les marchés publics est entré en vigueur en 1981.

Il a par la suite été modifié par une nouvelle version entrée en vigueur en 1988.

Enfin, durant le Cycle d'Uruguay, les Parties à l'Accord ont mené des

négociations pour étendre la portée et le champ d'application de l'Accord. Celles-ci

ont donné lieu à l’adoption de l'Accord sur les Marchés Publics (AMP) signé à

Marrakech le 15 avril 1994 et entré en vigueur le 1er janvier 1996. Il est, pour l’heure,

en phase de renégociations, un projet a été édité et la version définitive devrait bientôt

être rendue publique.

L'AMP est l'un des accords plurilatéraux signifiant que seules les parties

l’ayant ratifié y sont tenues.

Cet accord, s’il ne vise pas directement le problème de la corruption, établit un

cadre convenu de droits et d'obligations, dont le but est un traitement non

discriminatoire et transparent des candidatures dans les marchés publics, il y fait donc

référence indirectement.

Ainsi, par exemple, pour ce qui est des marchés visés par l'Accord, les

gouvernements-parties sont tenus d’accorder aux produits et services de toute autre

Partie à l'Accord et à ses fournisseurs, un traitement "qui ne sera pas moins favorable"

à celui qu'elles appliquent à leurs produits, services et fournisseurs nationaux et de ne

pas exercer de discrimination (article III:1).

L'Accord attache, en outre, une grande importance aux procédures destinées à

assurer la transparence des marchés publics. Il contient un certain nombre

d'obligations détaillées en matière de procédure que les entités contractantes sont

tenues de respecter pour garantir l'application effective de ses principes fondamentaux

(articles VII à XVI). Il s’agit d’obligations en termes de publicité (publication d’un

avis d’appel d’offre), de délai ou de forme, par exemple, l’adjudication du marché ne

pourra se faire que sur la base de critères préalablement établis.

70

Cependant, l’AMP rencontre de nombreuses limites. Son champ d’application

est variable et dépend de la volonté des États-parties. Ceux-ci en déterminent les

conditions d’application, en fixant les seuils ou en posant des réserves à son

application, comme c’est le cas des Etats-Unis avec la discrimination positive des

petites entreprises.

Enfin, comme Rahaël Apelbaum le souligne, l’AMP ne regroupe aujourd’hui

presque que des pays du Nord, les pays émergents semblent encore réticents à ouvrir

leurs marchés publics et à signer cet accord, ce qui ne lui donne qu’une portée

limitée85.

Le renforcement de la transparence fait également partie des objectifs de

l’OCDE dans sa lutte contre la corruption en mettant l’accent sur la notion de bonne

gouvernance. Pour parvenir à cette fin, elle a mis au point un guide pratique pour

aider les organismes publics à prévenir et détecter les actes de corruption dans le

processus de passation des marchés publics. Son but est d’améliorer les normes de

transparence et de responsabilité. En fait, les parties membres à la convention de

l’OCDE examinent les conditions de passation des appels d’offres et les sanctions

dont sont passibles les attributions frauduleuses et des tables rondes sont

régulièrement organisées sur ce sujet.

Ces trois initiatives si elles représentent une étape importante dans

l’instauration de procédures de passations transparentes restent, cependant, limitées

dans leur portée et aucune de ces démarches n’a véritablement de caractère

contraignant. C’est donc au niveau régional que cette quête de transparence dans les

procédures de passation des contrats publics internationaux semble devoir se faire.

b) Les initiatives de transparence dans les procédures de passation des contrats

publics au niveau régional :

85 Raphaël APELBAUM, op. cit., p.42

71

L’ALENA qui est un accord établi entre le Canada, les Etats-Unis et le

Mexique en 1992 comprend un chapitre entier consacré aux marchés publics86. Mais,

c’est surtout l’Union européenne par l’application de ses directives qui a l’impact le

plus important sur les procédures de passation et donc sur la lutte contre la corruption.

Ainsi, la Communauté Européenne s’est dotée d’une législation visant à

coordonner les règles nationales, et a imposé des obligations concernant la publicité

des appels d’offres et l'objectivité des critères d'examen des soumissions.

Son objectif est de tendre à la simplification et à la coordination des

législations relatives aux marchés publics. Elle est parvenue à imposer une certaine

harmonisation en adoptant, tout d’abord, quatre directives (92/50/CEE, 93/36/CEE,

93/37/CEE et 93/38/CEE). Puis trois de ces directives ont été fusionnées aux fins de

simplification et de clarification dans la directive 2004/18/CE sur les marchés publics

de travaux, de fournitures et de services, et dans la directive 2004/17/CE, modifiée

par la directive 2005/75/CE, sur les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et

des services postaux.

Les procédures de passation des États membres doivent respecter les principes

du droit communautaire en matière de transparence, de non-discrimination, de

concurrence, de libre circulation, de confidentialité et d'efficacité.

La jurisprudence communautaire a également joué un rôle important dans

cette perspective avec notamment l’arrêt « Teleaustria » du 7 décembre 2000 de la

Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) en déclarant que, même en

dessous des seuils d’appel d’offres, les entités adjudicatrices devaient respecter les

règles fondamentales des traités, parmi lesquelles figure le principe de non-

discrimination et l’obligation de transparence87.

Ces dispositions sont le seul exemple de législation internationale ayant réussi

de manière concrète à imposer une procédure transparente dans les contrats publics

internationaux.

c) Les apports des organismes d’aide au développement et de financement en matière

de transparence :

86 Chapitre 10 du NAFTA 87 AJDA 2001, pp. 110 et s.

72

On peut citer, tout d’abord, le cas du FMI. Celui-ci, tout en restant axé sur les

aspects de la gestion publique qui pourraient avoir une incidence macroéconomique

importante, agit pour promouvoir le plus possible de transparence dans les contrats

publics internationaux.

Cependant, l’initiative la plus aboutie de promotion de la transparence est

celle de la Banque Mondiale qui a mis en place une réglementation précise et efficace

pour les opérations qu’elle finance.

La Banque par ses directives « marchés publics » veille à imposer des règles

communes de passation lorsqu’elle estime que les règles nationales ne sont pas aptes

à assurer suffisamment de transparence. Ainsi sa réglementation est appliquée dans la

grande majorité des opérations qu’elle finance et elle met en place une assistance

juridique pour veiller à leur application et améliorer les législations existantes dans

ces pays.

Les objectifs de la Banque mondiale sont la non-discrimination, l’équité et la

transparence.

Grâce à sa directive verte (directive consultant pour les services de prestations

intellectuelles) et à sa directive rouge (directive marchés pour les biens, travaux et

simples services), la banque mondiale a réussi à imposer « une réglementation claire,

succincte et efficace pour assurer la transparence dans la passation des marchés

publics »88.

Elle a mis en place un appel d’offre international qui prévoit une procédure

précise dans l’opération d‘achat public, mais a également prévue des procédures plus

restreintes (appel d’offre international restreint ou national, procédure de consultation

des fournisseurs). De plus, elle encourage l’attribution à « l’offre évaluée globalement

comme la moins disante » avec une prise en compte de critères non financiers.

Enfin, outre l’efficacité et la nécessité d’une plus grande transparence dans les

procédures de passation des contrats publics, d’autres outils ont été développés pour

prévenir la corruption.

88 Raphaël APELBAUM, op. cit., p.43

73

B- Les outils de responsabilisation par l’éthique des acteurs des contrats publics

internationaux :

On peut relever principalement deux outils « éthiques » qui se sont développés

en matière de corruption et qui touchent le domaine des contrats publics.

1- Les codes d’éthique ou de bonne conduite, des outils de responsabilisation :

La première tendance est celle du développement des codes dits d’éthique ou

de bonne conduite. Ainsi, depuis quelques années, on a pu voir les grandes

organisations internationales adopter des documents en matière de contrats publics

internationaux qui consacraient une part importante à l’éthique.

Cette préoccupation répond à la volonté de responsabiliser le comportement

des individus en s’engageant à faire respecter certains grands principes moraux

comme l’éthique, la justice, la transparence ou le refus de la transparence.

Ces objectifs sont consignés dans des chartes, des guides de bonnes pratiques

ou des codes de bonne conduite, mis en œuvre au sein d’entreprises privées comme

publiques ou au sein d’organismes internationaux.

Avant de se développer dans le secteur public, cette démarche avait trouvé

écho dans les entreprises du secteur privé qui démontraient, avec ses codes, leurs

volontés d’intégrer une plus grande éthique dans le milieu des affaires.

Si, comme Jean-Pierre Bueb le souligne, on peut avoir certains doutes sur la

réelle motivation des entreprises qui ont adopté ces codes et sur leur efficacité, le fait

même que ces codes visent un assainissement des relations commerciales peut être

perçu comme un progrès plutôt que comme un inconvénient89.

En outre, ces codes sont vus par les organisations internationales comme un

moyen efficace pour informer, sensibiliser et responsabiliser les responsables aux

enjeux de leurs prises de position. Elles font donc une promotion importante de ceux-

ci auprès des entreprises internationales qui ont tout intérêt à les adopter pour

89Jean-Pierre BUEB, « Commande publique et code d’éthique, de déontologie ou de conduite », p. 28, Contrats publics, n° 57, juillet/ août 2006

74

convaincre leurs partenaires et leurs consommateurs de leur honnêteté et de leur

intégrité.

En matière de commande publique, les codes de bonne conduite s’inscrivent

dans la tendance vers plus de responsabilisation des acteurs des contrats publics. Ils

permettent de rappeler aux agents publics les exigences en termes de transparence,

d’objectivité et de recherche de l’intérêt général, tout en les responsabilisant plus

personnellement.

En ce sens l’OCDE définie les bonnes pratiques et élabore des normes pour

doter les pays d’une «infrastructure éthique solide ». Ainsi, une recommandation de

1998 concerne l’amélioration des comportements éthiques dans le service public, et

une recommandation de 2003 porte sur les lignes directrices pour gérer les conflits

d’intérêts dans le service public. Depuis l’adoption de cette dernière, 23 des 30 pays

membres de l’OCDE ont amélioré les normes prévues par leurs lois et leurs codes de

conduite et ont renforcé les mesures d’application visant à prévenir les conflits

d’intérêts.

En outre, Marc Frilet, indique que la Banque Mondiale souhaite dans le cas de

Madagascar que les personnes membre d’une commission d’appel d’offre respectent

un code d’éthique. Elle précise qu’ils doivent remplir leurs missions avec intégrité,

impartialité et indépendance. Le but est d’éviter tout risque de conflit d’intérêt entre

l’agent public et le candidat90.

2- Le système d’alerte éthique, un outil efficace à l’application délicate :

Le second moyen qui trouve à s’appliquer de façon croissante est le

mécanisme d’alerte éthique. Sujet particulièrement d’actualité car, en décembre 2005,

la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a accepté la

validité de ce dispositif après d’importants débats sur la conformité en droit français

d’un tel dispositif.

Le système d’alerte éthique renvoie en fait à la notion américaine de

« Whistleblowing», il s’agit d’un mécanisme de dénonciation imposé aux entreprises

90 Marc FRILET, op. cit., p. 32

75

américaines pour que les employés qui ont connaissances de malversations puissent

prévenir les autorités compétentes.

Plus précisément, c’est la loi Sarbanes-Oxley du 30 juillet 2002 qui impose

aux sociétés cotées aux Etats-Unis et leurs filiales étrangères de mettre à la disposition

des salariés un dispositif de dénonciation des délits comptables et financiers dont ils

ont connaissance. En contrepartie de cette dénonciation, le salarié dispose d’une

certaine immunité dans le cadre des ses rapports avec son employeur

La question de la conformité du droit français avec un tel mécanisme s’est

posée après qu’une ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de

Libourne du 15 septembre 2005 ordonne le retrait de ce dispositif au motif que « les

faits susceptibles d’être dénoncés n’étaient pas seulement de nature comptable ou

financière »91. En outre, la CNIL avait à juger de la conformité des mécanismes

d’alerte éthique mis en place dans les entreprises françaises par la loi informatique et

libertés.

Pour répondre à ces diverses interrogations, une mission a été lancée par

Gérard Larcher, Ministre délégué à l’emploi de l’époque. Celle-ci a donné un rapport

dit « Antonmattéi- Vivien » qui a été rendu public le 6 mars 2007 et qui en conclu que

ces mécanismes étaient acceptables.

Les interrogations qui entourent ce débat relèvent de profondes différences

culturelles entre la France et les Etats-Unis.

Cependant en dehors de ces différences culturelles, d’un point de vue plus

technique de nombreuses limites appellent des interrogations quant à la viabilité de ce

système. Ainsi, comme le fait remarquer Jean Pierre Bueb, l’absence de vraie garantie

pour l’informateur et pour l’accusé et le risque de calomnie et de faux témoignages

qui sont courants dans les milieux d’affaires sont les faiblesses de ce mécanisme92.

Le dispositif de Whistleblowing nécessite donc de fortes mesures de

protection. Paul-Henri Antonmattéi relève que ces systèmes ne sont ni juridiquement

ni moralement condamnables, mais qu’ils ne doivent demeurer qu’un moyen

91« Le whistleblowing, à propos de la licéité des système d’alerte éthique », La semaine juridique du droit social, n° 17, 18 octobre 2005 92Jean Pierre BUEB et Arnaud MAILLE, « Le service central de prévention de la corruption », contrats publics n° 57, juillet/ août 2006, page 53

76

complémentaire de collecte d’information93. Il est, ainsi, nécessaire de prévoir un

cadre juridique efficace et de limiter ce mécanisme à la dénonciation des actes les

plus graves. Enfin, il propose d’intégrer des dispositions protégeant le donneur

d’information en droit français.

En outre, l’administration française dispose déjà d’un mécanisme comparable,

l’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale qui fait effet de dispositif de

dénonciation en posant une obligation pour les agents publics d’informer le procureur

de la République des faits délictueux dont ils ont connaissances.

La loi du 15 novembre 2001 dite « loi relative à la sécurité au quotidien » a

fait rentrer dans notre droit le mécanisme de dénonciation anonyme (articles 706-57 à

706-60 du code de procédure pénale) pour les crimes et délits punis d’au moins trois

ans d’emprisonnement (loi Perben II) ce qui est le cas de la corruption.

Ce type de système tend, donc, à se développer et a déjà été mis en place par

le Département Intégrité de la Banque Mondiale qui encourage les dénonciations

anonymes par téléphone, téléfax ou mail.

Après une phase d’expérimentation, un programme de « repentance » ou

« révélation » volontaire (Volontary Disclosure System) a été mis en place le 1er août

2006 par la Banque Mondiale. Il consiste à suggérer à des entreprises, des

organismes, des individus associés à la réalisation des projets financés par la Banque,

d’avouer leurs pratiques frauduleuses ou corruptrices et de les astreindre au respect

d’un code de bonne conduite en échange de la levée des sanctions auxquelles leurs

comportements les exposeraient.

C- L’importance des autorités administratives indépendantes dans la lutte contre la

corruption :

En matière de prévention une initiative efficace et qui devrait tendre à se

généraliser au niveau international est celle du service central de prévention de la

corruption instaurée par la loi du 29 janvier 1993 dite loi sapin.

93Entretien avec Paul-Henri ANTONMATTEI « Whistleblowing : la publication du rapport antonmattéi-vivien », lettre de la transparence, n°32, mars 2007, p.5

77

Le service central de prévention de la corruption (SCPC) est une particularité

française, sa mission consiste à prévenir et endiguer le phénomène de corruption.

Le SCPC est un service interministériel (police judiciaire, chambre régionale

des comptes, impôts, douane, concurrence, justice, corps préfectoral, gendarmerie)

qui est dirigé par un magistrat de l’ordre judiciaire. Ses membres sont liés par le

secret professionnel.

Ses trois missions sont la centralisation des informations concernant les faits

de corruption, l’apport aux autorités judiciaires de son concours pour constituer des

dossiers et donner des avis à diverses autorités administratives. En outre, il forme à la

prévention de la corruption et à la détection des infractions liées à la corruption.

Sur le plan international, il participe activement à la lutte contre la corruption.

Enfin il travaille au développement d’une politique de sensibilisation auprès des

entreprises.

Il répond à des avis, participe à des groupes de travail sur la lutte contre la

corruption ou sur la fonction d’acheteur public, et travaille en étroite collaboration

avec les fonctionnaires des différents services.

Cependant, il ne dispose pas de pouvoirs d’investigation jugés

inconstitutionnels par le Conseil Constitutionnel, c’est donc un service dédié à la

prévention de la corruption.

Selon Jean Pierre Bueb et Arnaud Maillé, le SCPC est de plus en plus sollicité

à l’étranger comme en France, et fort de son expérience, il est devenu un véritable

laboratoire du phénomène de corruption94.

Le rôle de ce service peut être apparenté à celui que remplit l’ONG

Transparency International, et l’on trouve également une Autorité Administrative

Indépendante (AAI) chargée de la lutte contre la corruption au Canada avec le

commissaire à l’éthique.

Cependant, à part de manière exceptionnelle dans le cas du scandale pétrole

contre nourriture, pour lequel une commission d’enquête indépendante présidée par

Paul Volcker, ancien Président de la Federal Reserve des Etats-Unis, avait été

94 J.-P. BUEB et A. MAILLÉ, op. cit., page 52

78

instaurée, très peu de cas d’autorités administratives indépendantes ont été mis en

place au niveau international.

On peut, donc, regretter qu’il n’y ait pas, au niveau international comme au

niveau national, une généralisation et une institutionnalisation de cette démarche.

Section 2- Les moyens en aval, la répression dans la lutte contre la corruption dans les

contrats publics internationaux :

Après avoir étudié les différents moyens qui sont mis en place en amont pour

prévenir la corruption, nous étudierons dans cette partie les moyens en aval qui sont

utilisés pour réprimer la corruption.

On trouve plusieurs types de sanctions, des sanctions pénales, des sanctions

civiles ou commerciales.

Dans les marchés publics, les principales sanctions sont souvent limitées à

l’annulation du contrat en cours et à l’obligation de procéder à une nouvelle

consultation, dans les cas seulement où la réalisation du contrat n’est pas trop

avancée. Celles-ci ne présentent pas un risque majeur pour les entreprises incriminées,

c’est pourquoi les incriminations pénales ont tendu à se développer.

Les sanctions pénales prévoient généralement des amendes importantes et des

peines privatives de liberté. Elles sont, par conséquent, très efficaces et constituent,

comme nous l’avons vu, le centre d’attention de la plupart des conventions

internationales anti-corruption. Les efforts d’harmonisations des incriminations et des

sanctions pénales à l’échelle internationale sont donc bien engagés.

Ainsi les conventions de l’OCDE ou la convention du Conseil de l’Europe

sont très précises sur le processus d’incrimination des pratiques corruptives, et les

sanctions prévues tendent à êtres de plus en plus sévères et vont, dans certains cas,

jusqu’à sanctionner l’intentionnalité de la corruption.

Cependant, les sanctions pénales présentent de nombreuses difficultés de mise

en œuvre. Les procédures sont longues, complexes et se heurtent au problème de leur

application à ce phénomène transnational. Ainsi se posent les questions de

l’extradition ou encore de leur application à l’étranger en raison du critère de

territorialité du droit. En outre, la mise en œuvre de ces sanctions souvent privatives

79

de libertés nécessite certaines compétences et prérogatives judiciaires que la plupart

des organisations internationales n’ont pas.

Si les sanctions pénales apparaissent comme un excellent outil de lutte contre

la corruption au niveau interne, le résultat est différent au niveau international où elles

ne semblent pas êtres aussi efficaces.

Une solution intéressante semble être celle des sanctions commerciales.

Celles-ci consistent, non pas à s’en prendre aux droits civiques du corrupteur mais à

ses droits « commerciaux ».

Elles se traduisent souvent par une exclusion de l’entreprise de la procédure de

passation et par son inscription sur une liste noire qui lui interdira de se porter

candidate aux prochains appels d’offre.

Ces types de sanctions sont particulièrement intéressants dans les contrats

publics internationaux car les sommes en jeu sont très importantes.

Ces sanctions ne nécessitent pas de détenir de prérogatives judiciaires, ainsi

des organismes internationaux qui en sont complètement dépourvus peuvent prendre

ces sanctions en décidant d’exclure les entreprises de leurs contrats.

Si pour ces organismes multilatéraux le choix ne s’est pas véritablement posé,

ceux-ci n’ayant aucune compétence ni légitimité judiciaire pour prendre des mesures

d’ordre pénal, ces sanctions commerciales se sont montrées être d’excellents outils de

traitement de la corruption.

Le système de sanction commerciale le plus abouti en matière de lutte contre

la corruption dans les contrats publics internationaux est celui qui a été mis en place

par la Banque Mondiale. Nous consacrerons donc une première partie au détail du

fonctionnement de ce système.

Puis nous étudierons un aspect bien particulier des sanctions commerciales

mises en place au niveau des contrats publics internationaux avec la question des

listes noires qui sont un moyen de plus en plus usité pour sanctionner et prévenir le

risque de corruption.

A- La mise en œuvre des sanctions commerciales contre la corruption dans le cadre

de la Banque Mondiale :

80

La lutte contre la corruption dans le cadre de la Banque Mondiale a commencé

de manière concrète en 1996. C’est à ce moment-là qu’a été mis en place le premier

système de sanction commerciale contre les entreprises à l’origine de faits de

corruption.

Le cas de la BM est très intéressant car il s’agit du système le plus complet de

sanction de la corruption à l’échelle internationale.

1- Le processus de sanctions commerciales de la Banque Mondiale :

Le processus de sanction normalisé en 2001 prévoit qu’à l’issue d’allégations

de fraude ou de corruption, le Département Intégrité conduit une enquête qui pourra

aboutir, si les allégations se confirment à la transmission au secrétariat du Comité des

sanctions d’un « avis d’ouverture d’une procédure d’exclusion ».

Le secrétariat après l’avis du Président du Comité des Sanctions et du General

Counsel transmet l’avis aux personnes visées.

Après avoir connaissance de l’avis, les personnes concernées disposent d’un

délai de recours de 90 jours pour contester les faits et fournir les éléments pour les

disculper.

La réponse du département intégrité se fait en 30 jours. Enfin l’avis et les

éléments fournis sont transmis au Comité des sanctions.

L’entreprise visée dispose d’un droit de s’exprimer devant le Comité des

sanctions, elle dispose également de la possibilité de se faire représenter.

Puis le Comité des sanctions examine à huis clos les différents éléments, enfin

il propose au président de la Banque une sanction d’exclusion temporaire ou

définitive et dans les cas les moins graves une simple lettre de réprimande.

Le président était auparavant libre de suivre la recommandation.

Ce système initial a été réformé en 2002, par le biais des directives sur la

passation des marchés financés par la Banque. Désormais c’est l’officier évaluateur et

le Sanction Board qui sont compétents pour déterminer les sanctions qui doivent

s’appliquer.

2- Les apports de la réforme du processus de sanction :

81

En 1996, la Banque avait identifié deux types d’infractions, la corruption et les

manœuvres frauduleuse. Et en 2004, elle a décidé d’élargir le champ d’incrimination

de ces deux notions.

Ainsi les définitions de fraude et de corruption ont été étendues aux cas

indirects (par exemple par l’intermédiaire d’un proche). Enfin sont désormais

assimilées à de la fraude les collusions entre soumissionnaires ainsi que les pressions

et les menaces sur les personnes en vue d’influer sur le cours de la passation.

La banque a procédé à un durcissement des sanctions en étendant également

leur champ. Ainsi, une entreprise qui sera exclue du processus de passation des

marchés de la Banque le sera pour toutes les institutions de la Banque.

En outre, Jean-Jacques Verdeaux relève que des enquêtes ont démontré une

différence de degré d’implication et de responsabilité dans les différents cas de

corruption qui n’était pas répertoriée dans l’échelle de sanction95.

Dans ce cadre a été prévue la possibilité pour certaines personnes poursuivies

à un moindre degré de responsabilité de se « racheter ». Il s’agit du principe

« d’exclusion probatoire », en somme l’exclusion ne s’applique qui si la personne

concernée ne prend pas immédiatement de mesures correctives appropriées.

Une autre disposition permet désormais de réduire la période d’exclusion si

l’entreprise en question démontre qu’elle a pris toutes les mesures pour que les actes

qui lui sont reprochés ne puissent plus se reproduire. Et il peut également être

demandé à la partie poursuivie de restituer les fonds à la victime, disposition

qu’exigent depuis quelques temps les pays en voie de développement.

Les sanctions prononcées par la Banque Mondiale ne sont que des sanctions

commerciales et en aucun cas des sanctions pénales, on aurait pu alors se poser la

question de leur efficacité. Cependant les retombées d’une exclusion sont très

importantes, quand on relève le montant des marchés.

Enfin, il est intéressant de noter que la Banque tend à avoir de plus en plus les

caractéristiques d’un pouvoir judiciaire.

95 Jean-Jacques VERDEAUX, op. cit., p. 53

82

B- Le mécanisme de la liste noire et ses limites :

Une autre sanction de type commercial, imaginée pour lutter contre la

corruption, et qui rejoint le principe d’exclusion des procédures de passation, est

l’inscription des entreprises coupables sur une « liste noire ».

Les entreprises ainsi désignées sont écartées des consultations et ne peuvent

plus obtenir de marchés publics pendant une durée déterminée. Généralement pour

une durée de trois à cinq ans.

Cette mesure a pour principal objet d’augmenter les risques encourus par les

entreprises qui commettent des actes de corruption pour obtenir des contrats publics et

ainsi dissuader les corrupteurs.

Outre le fait qu’elle sont des mesures extrêmement dissuasives, elle présente

l’avantage de pouvoir être communiqué et ainsi de faire une publicité négative aux

entreprises.

Une des difficulté majeures de la lutte contre la corruption est que les

entreprises ont souvent tendance à ne pas s’engager véritablement dans la lutte contre

la corruption mais multiplient les effets d’annonce pour tenter de donner une image

intègre d’elles-mêmes à leurs actionnaires et leurs clients. Ce problème se retrouve à

tous les niveaux de la lutte contre la corruption et les codes d’éthiques ne sont souvent

que prétextes pour rassurer et présenter l’entreprise sous un jour favorable. La liste

noire est une solution à ce phénomène en présentant un coût financier considérable et

un coût important en termes d’image pour l’entreprise incriminée.

1- Un outil qui tend à se généraliser :

Les listes noires font l’objet d’un consensus important en matière de lutte

contre la corruption. En ce sens, on peut par exemple, noter le cas du Groupe de

travail de l’OCDE sur les crédits et garanties de crédit à l’exportation (GCE) qui, en

novembre 2003, a publié un ouvrage sur « Les meilleures pratiques de dissuasion et

de lutte contre la corruption dans les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien

public ». Il s’agit d’un document qui relève les meilleures pratiques de lutte contre la

corruption. Une des mesures conseillées était d’exiger des sociétés qu’elles déclarent

83

si elles avaient été inscrites sur liste noire par une organisation multilatérale ou si elles

ont été jugées coupables de corruption par un tribunal.

Les listes noires sont une notion à la mode et tendent donc à se multiplier. Les

premiers cas viennent des Etats-Unis et ont montré des résultats très convaincants en

termes d’efficacité. En outre plusieurs organismes internationaux ont repris ce

mécanisme pour les marchés qu’ils passent comme c’est le cas pour la banque

mondiale.

2- Les limites et risques des systèmes de liste noire :

Selon Jean-Pierre Bueb, le système de liste noire présente des inconvénients.96

Tout d’abord il fait reposer sur l’entreprise des risques très importants alors que, dans

50 % des cas de corruption ayant donné lieu à une enquête, l’entreprise est plus une

victime d’une extorsion que l’instigateur de la fraude.

De plus, il relève que la notion d’entreprise à inscrire sur la liste noire diffère

d’un pays à l’autre, ainsi en Europe, toutes les entreprises participantes à la holding

peuvent être condamnées alors qu’aux Etats-Unis, seules les filiales à plus de 50%

dont le siége social est aux Etats-Unis peuvent l’être.

Enfin, il note que cette sanction débouche très souvent sur la liquidation de

l’entreprise dont le coût le plus lourd à supporter revient aux salariés qui perdent leurs

emplois alors qu’ils sont rarement responsables de la corruption.

Il en arrive à la conclusion que le système de liste noire est une fausse bonne

idée car, n’étant pas d’application suffisamment harmonieuse et précise, il ne s’en

prend pas de manière efficace aux auteurs du pacte de corruption.

Les listes noires présentent donc de nombreux effets pervers qui peuvent

présenter plus d’inconvénients pour la lutte contre la corruption que les avantages

qu’elles apportent.

96 Jean-Pierre BUEB, « La lutte contre la fraude et la corruption dans les marchés publics », Forum mondial de l’OCDE sur la gouvernance, « Partager les enseignements de la promotion de la bonne gouvernance et de l’intégrité dans les marchés publics », document de séance, 30 novembre- 1er décembre 2006 , p. 40

84

Ce dernier cas pose le problème de la difficile recherche de proportionnalité

entre la prévention et la répression de la corruption dans les contrats publics.

En outre, on peut s’interroger sur les limites de ces politiques de lutte contre la

corruption et le risque d’effets contre-productifs qu’elles présentent.

Enfin, Gary Becker dans sa théorie d’économie du crime a mis en avant une

difficulté supplémentaire à la présence d’une sanction en cas de manquement aux

règles d’attribution des contrats97.

Il a démontré que le prix de la sanction va déterminer le coût de transgression

de ces règles positives.

En somme pour qu’il y ait corruption, il faut que le profit de celle-ci soit plus

important que le coût de la sanction. Ce coût est fonction de la sévérité et de

l’effectivité des sanctions.

La création d’une sanction doit, par conséquent, être appréhendée avec

beaucoup de précautions, particulièrement en matière de sanctions commerciales. Si

celles-ci sont trop basses, le risque est que le coût de la corruption soit trop faible et

donc que la corruption soit favorisée. Il s’agira alors de fixer des sanctions qui, tout en

restant proportionnelle aux faits incriminés, soient suffisamment élevées pour êtres

efficaces.

97 G. BECKER, « Crime and punishment, an economic approach », Journal of political economy, n°76, 1968, pp. 169-217

85

Chapitre 2 - Les limites et perspectives de la lutte contre la corruption dans les

contrats publics internationaux :

À la lecture des indices de perception de la corruption de TI pour l’année

2006, on peut se demander si la lutte contre la corruption dans les contrats publics

internationaux n’est pas dans une impasse.

En effet, comme nous l’avons déjà relevé, les progrès enregistrés sont

extrêmement faibles et cela en dépit de la multiplication des initiatives et d’une

médiatisation très importante du phénomène.

Ils existent de nombreuses raisons qui expliquent ces blocages dans les efforts

de lutte contre la corruption. Des raisons structurelles qui tiennent plus au phénomène

de la corruption en lui-même et des raisons fonctionnelles, qui proviennent des

politiques mises en place.

Cependant, même si la lutte contre la corruption apparaît dans une phase

critique de son développement, il existe encore de nombreux efforts à fournir et de

nombreuses perspectives pour la rendre plus efficace.

En effet, il ne faut pas oublier que la lutte contre la corruption dans les

contrats publics internationaux est extrêmement récente et qu’il convient dès lors de

s’interroger sur les moyens de la relancer.

Section 1- Les limites et obstacles de la lutte contre la corruption dans les contrats

publics internationaux :

De même que la corruption est un phénomène complexe à aborder, les limites

et obstacles rencontrés relèvent de réalités diverses et variées.

On peut tenter de les classer en deux catégorie ; Les limites de fond, celles

inhérentes à la corruption et aux contrats publics internationaux et les limites que la

lutte contre la corruption, dans ces contrats, génère d’elle-même, qui sont les risques

d’effets pervers de ses initiatives.

86

Ainsi la corruption dans les contrats publics internationaux présente des

caractéristiques qui font que la lutte contre ce phénomène doit être abordé avec

beaucoup de précautions.

A- Les limites inhérentes à la corruption dans les contrats publics internationaux :

Une des limites importantes de la lutte contre la corruption dans les contrats

publics internationaux tient au caractère public des contrats dans lesquels ce

phénomène se développe. Ainsi le fait que ces contrats soient conduits par des

personnes publiques et soient un moyen d’exercice du pouvoir politique, conduis à les

considérer avec précaution car ils touchent au caractère souverain de l’Etat. Le fait

pour celui-ci d’autoriser l’intervention d’organismes internationaux ou de conventions

internationales est alors perçu comme une intervention extérieure qui ôte toute liberté

au « souverain » pour prendre les mesures qu’il juge utiles. Souvent ces politiques de

lutte contre la corruption sont considérées comme une forme d’ingérence.

En outre, accepter l’application de normes internationales signifie que l’État

accepte d’être lié par une règle juridique venant de la sphère supranationale.98

Un des premiers obstacles contre lequel il faut lutter est cette réticence des

Etats à mettre en place des outils de lutte contre la corruption et leur volonté de

conserver une souveraineté érigée au travers du principe d’ingérence.

Une illustration de ces difficultés est les précautions de vocabulaire qui ont été

prises dans la rédaction de la convention de l’ONU et qui semblent lui retirer toute

force contraignante: « d’une manière compatible avec les principes fondamentaux de

son système juridique », « dans toute la mesure possible dans le cadre de son système

juridique interne ». En outre, les dispositions qui apparaissent dès l’article 4 sur la

protection de la souveraineté, rappelant avec vigueur les principes de l’égalité

souveraine, de l’intégrité territoriale et de la non-intervention dans les affaires

intérieures d’autres États, révèlent les difficultés que peut rencontrer la lutte contre la

corruption dans les contrats publics internationaux.

98 Raphaël APELBAUM, op. cit.

87

Un autre élément démontre la mauvaise volonté des États et la difficulté de

l’aspect souverain de l’attribution des contrats publics99. Jean-pierre Bueb argue que

si le cadre juridique et les législations existent, deux raisons explique la faiblesse des

progrès réalisés.

La première explication tient à la faiblesse des effectifs et le peu de moyens

mis en place par la plupart des pays pour combattre la corruption. La raison à ce

premier phénomène est que de nombreux États ne souhaitent pas mettre en place une

transparence totale de peur des retombées, des révélations qui pourraient être faîtes ou

encore de par les enjeux importants de ces contrats publics internationaux. L’affaire

récente de British Aerospace (BAE) en est un excellent exemple. En effet, le 15

décembre 2006, l’Attorney General de la Grande-Bretagne, Sir Peter Goldsmith, a

brusquement interrompu l’enquête judiciaire du Serious Fraud Office sur les

versements présumés de pots-de-vin par BAE Systems à la famille royale saoudienne

dans le cadre d’un contrat d’armement. En l’espèce la raison évoquée par le

gouvernement britannique est l’intérêt général. Comme le souligne Transparency

International dans sa dernière lettre de Transparence, cette décision a été prise en

dépit de la convention de l’OCDE dont la Grande-Bretagne est signataire.

Le risque pour les Britanniques de voir ces contrats remis en question

représente un enjeu financier trop important pour accepter de soumettre la totalité de

leurs contrats publics à un contrôle anti-corruption.

La seconde raison évoquée par M. Bueb, va dans le même sens, il relève ainsi

le manque de coopération entre les services et entre les pays pour échanger des

informations et combattre de manière efficace la corruption transnationale. Encore

une fois, on peut penser que les États ne sont pas enthousiastes à l’idée de voir des

juristes étrangers s’intéresser de trop prés aux attributions de contrats publics.

Enfin Sylvain Trifilio et Momtchil I. Karpouzanov font remarquer que les

contrats publics présentent une faiblesse très importante, la faiblesse des coûts de la

transaction corruptive par rapport aux coûts de monitorage100. Ainsi, selon eux, la

transaction corruptive présente un coût global, composé d’un coût d’information

99 Jean-Pierre BUEB, op. cit. , p. 40 100 Sylvain TRIFILIO et Momtchil I. KARPOUZANOV, op. cit., pp. 277 et s

88

(connaissance du marché, de la nature et de la qualité du service demandé et des

parties aux contrats) et d’un coût de dissimulation (coût du secret).

Or dans le cas des contrats publics, qu’il s’agisse de l’information ou de la

dissimulation, les coûts sont plus faibles qu’ailleurs ; les besoins sont clairement

identifiés et publiés et généralement les agents publics restent de manière stable au

même poste ce qui favorise les relations régulières. Le coût de la corruption serait

alors moins important dans les contrats publics, quant à l’inverse, la surveillance de

ces contrats serait extrêmement coûteuse en raison de leur nombre et de leur

complexité.

B- Les limites liées aux politiques de lutte contre la corruption :

Le premier effet pervers des moyens mis en place tient au fait que les

entreprises les détournent de leurs fonctions premières et les utilisent comme des

moyens pour lutter contre la concurrence.

Cet inconvénient se retrouve dans de nombreux domaines, ainsi en droit de la

concurrence, il n’est pas rare de voir des entreprises faire de fausses déclarations pour

porter atteinte à l’image de leurs concurrents et obtenir ainsi des contrats. Mais le

risque d’abus de ces mesures est accru dans un domaine comme les contrats publics

pour lesquels l’attribution doit se faire dans un délai très court.

Le professeur Laurent Richer a soulevé ce point dans le cas français avec la

question de l’utilisation du référé précontractuel dans les procédures de passation des

contrats publics. En effet, cet outil efficace pour prévenir les risques de fraude est

souvent détourné par les entreprises ayant perdu un marché pour retarder la

procédure, obtenir des informations sur les offres des concurrents et tenter par un

ultime moyen de remettre en question la passation en cherchant à la faire annuler.

On retrouve le même type de situation avec le mécanisme de whistleblowing,

souvent sujet à fausse dénonciation anonyme qui fait perdre du temps et de l’argent

aux organismes chargés de la lutte contre la corruption et qui nuît toujours même si

les déclarations sont fausses envers l’entreprise accusée.

89

La guerre économique que se livrent les entreprises est si importante que de

fausses preuves et de fausses déclarations sont souvent utilisées pour déstabiliser les

concurrents 101.

En outre, nombreuses sont les entreprises qui se servent des moyens de lutte

contre la corruption pour se donner une image positive sans pour autant joindre

l’action à la parole. On assiste ainsi à un vrai décalage entre le discours et la pratique.

Les démarches éthiques engagées par les grands groupes avec les codes de

bonne conduite sont en fait le prétexte à une publicité positive et à une mise en valeur

de l’activité de l’entreprise et sont un moyen de conserver ou d’acquérir de nouvelles

part de marché, sans donner lieu, forcément, à une véritable lutte contre la

corruption102.

De plus, ces codes sont un moyen efficace pour une entreprise de se

déresponsabiliser des faits de corruption que ses employés pourraient commettre.

Ainsi, en interdisant la corruption, la direction fait peser toute la responsabilité

de cette fraude à celui qui en a donné l’ordre ou à celui qui l’a exécuté sans que

l’entreprise en elle-même ne soit remise en question. Les entreprises sont alors de

plus en plus difficilement condamnables et leur responsabilité morale est très difficile

à mettre en jeu.

La détermination du choix des indices de perception de la corruption est lui

aussi problématique. Bien qu’il s’agisse d’un excellent moyen de mise en lumière du

phénomène de la corruption, la difficulté provient de la mauvaise utilisation qui

pourrait en être faîtes.

Victime de son succès, l'IPC fige les situations. Les pays bien classés vivent

souvent sur leur réputation. Par contre, les pays où sévit la corruption, mais qui

s'engagent dans des politiques volontaristes, avec les répercussions médiatiques qui

les accompagnent, peuvent donner l'impression que le phénomène est encore plus

grave qu'initialement.

101 Jean-Pierre BUEB, op. cit., p. 42 102 Jean-Pierre BUEB, « Commande publique et codes d’éthique, de déontologie ou de conduite », Contrats Publics, n° 57, juillet août 2006

90

En fait, un mauvais classement est un signal peu favorable vis-à-vis de la

communauté internationale, des investisseurs et des bailleurs de fonds institutionnels.

Enfin, la mauvaise interprétation par les médias de l'indice et du classement

plaide pour leur révision, afin qu'ils deviennent un outil vraiment utile à la lutte contre

la corruption.

Bien que dans un souci de transparence TI accompagne la publication de l'IPC

et de son classement d'un document expliquant la manière de les lire, le traitement

médiatique de l'événement tient rarement compte de ces précautions. Ainsi l'indice de

perception devient un indice de corruption. Par ailleurs, même en donnant les

informations sur la méthodologie et certaines sources, le contenu de l'indice demeure

pour le moins obscur pour de nombreux spécialistes.

De même, la variation de l'indice d'une année à l'autre pour un pays donné ne

permet pas de savoir s'il y a eu plus ou moins de corruption dans ce pays pendant

l'année écoulée, mais peut s'expliquer par une variation dans l'intervalle de la

confiance.

Ainsi Pierre-Christian Soccoja souligne que l'IPC simplifie à l'excès un

phénomène complexe et que le classement s'avère donc peu significatif103. Il estime,

en outre, que si l'IPC a été au début un formidable coup médiatique pour faire

connaître l'ONG et sensibiliser la communauté internationale sur les ravages

qu'engendre la corruption, le moment est peut-être venu de le repenser.

Un autre élément contre lequel se doivent de combattre les acteurs de la lutte

contre la corruption est le risque de complexification du droit applicable dans les

procédures et de passation et du risque d’illisibilité des différentes initiatives.

Le droit des contrats publics est complexe par nature en raison des enjeux dont

il est porteur. Or la complexité favorise les possibilités de fraudes. En multipliant les

normes au niveau international sans chercher à une refondation complète du droit des

contrats publics, le risque est grand de favoriser la corruption plutôt que de la

combattre.

De plus, pour parvenir à une lutte efficace contre ce phénomène, les agents

publics chargés d’appliquer ces procédures doivent êtres particulièrement bien

103 Christian SOCCOJA, « Un palmarès de la corruption ?», Le Monde, 6 novembre 2005

91

informés. La multiplication des règles applicables n’en favorise pas la compréhension

et la lisibilité, un effort semble donc devoir être consenti sur ce point.

La mise en place de celles-ci se heurte à un problème matériel. En raison du

peu de temps dont disposent les agents publics pour passer les contrats, les procédures

prévues sont alors très difficiles à respecter, ce qui semble encore favoriser des zones

d’ombres et présente un risque au regard d’infraction comme le délit de

« favoritisme ».

Ce dernier point nous renvoie à une autre problématique, le risque de voir

certaines infractions devenir criminogènes comme le délit d’avantage injustifié,

couramment appelé « délit de favoritisme ».

Ce délit a été instauré en droit français par l’article 7 de la loi n° 91-3 du 3

janvier 1991 sur la transparence et la régularité des procédures de marchés. Il prévoit

des peines allant jusqu’à deux ans de prison et 200 000 euros d’amendes pour le fait

que toute personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de

service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant une fonction de

représentant, administrateur ou agent public à porter atteinte aux règles garantissant

l’égal accès aux contrats publics sans qu’elle ne soit justifiée.

Hervé Isar soutient que « tout est trop vague, trop large ou inversement trop

précis ou trop étroit » dans cette infraction pénale104. Il met en doute l’efficacité

criminologique de cette infraction et pointe en outre le fait que celle-ci puisse devenir

« une fabrique à délinquants » en ayant transformé des irrégularités administratives

en infractions pénales et que la complexité des règles de passation et d’exécution des

contrats publics transforme chaque opérateur public « en délinquant qui s’ignore ».

Les pouvoirs publics doivent donc faire extrêmement attention, dans l’édiction

des sanctions, à respecter un principe de proportionnalité et à ne pas créer des

situations de corruption là où elles n’existent pas. Le risque étant de rendre la lutte

contre la corruption inefficace et illégitime.

Enfin il reste une dernière limite à la mise en place d’une lutte contre la

corruption, celle du risque de crispation éthique. Ainsi, Monsieur Jean-François

Mattéi, au cours d’un colloque organisé par la Faculté Aix-Marseille 3, a soulevé le

104 Hervé ISAR, op. cit., p.260

92

risque de crispation éthique d’une lutte contre la corruption en prenant pour exemple

le risque pour le patient en cas d’abus de médicament105.

Cette réflexion est intéressante car elle est représentative des réflexions

actuelles sur la lutte contre la corruption qui révèlent le risque d’un trop plein de

réglementation. On peut, également penser en ce sens aux multiples débats, qui ont

émaillés la vie de la Banque Mondiale sur les méthodes qu’elle utilise.

Cependant, s’il est vrai que l’on peut légitimement s’interroger sur l’avenir et

sur la tournure à donner à ce combat, nous verrons qu’il existe de nombreuses

réponses possibles et que ce risque de trop plein n’est pas partagé par tous.

Section 2- Les solutions pour relancer et rendre plus efficace la lutte contre la

corruption :

Des solutions pour l’avenir existent et certaines ont déjà été évoquées,

notamment avec le développement de sanctions commerciales ou d’outils de

prévention.

Transparency international joue un rôle très actif en la matière en proposant de

nouvelles pistes et soulignant les points qui restent à améliorer.

Ainsi, par exemple sur la question de la transparence, elle milite ardemment

pour instaurer une plus grande collégialité dans l’attribution des marchés pour

augmenter le nombre de décideurs et ainsi augmenter le coût de la corruption et

limiter les risques de collusion.

En outre, elle est à l’origine de nombreuses publications sur l’exigence de

traçabilité des flux financiers internationaux pour tenter d’enrayer leur fuite vers des

paradis fiscaux et permettre leur récupération, enjeux d’envergure pour les pays

émergents.

Parmi toutes les propositions qui sont faîtes pour améliorer la lutte contre la

corruption, nous en retiendrons deux qui semblent très importantes dans la recherche

d’efficacité. La première concerne l’amélioration, la modernisation et la

105 Intervention de J. F. MATTEI, in J.-Y. NAUDET, op. cit., p. 194

93

simplification des procédures de passation en vue de rendre leur application plus

rationnelle et plus rapide.

L’objet de cette démarche est d’optimiser les réglementations pour assainir les

relations contractuelles entre l’Administration et les entreprises.

La seconde peut apparaître comme le prolongement de la première et concerne

le développement plus accru de la coopération entre les acteurs des contrats publics

qui passe par un vrai travail de fond pour mettre en place de vrais partenariats entre

les entreprises et les organismes chargés de la lutte contre la corruption et des

échanges plus importants entre ces différents services.

A- La recherche de modernisation des procédures de passation :

Si l’on étudie les procédures d’achat public aux Etats-Unis ou à la Banque

Mondiale, on se rend compte qu’elles apparaissent bien plus simples et légères que la

réglementation française en matière de contrats publics. Or ces procédures n’en sont

pas moins exigeantes en matière de transparence, de non-discrimination et de respect

de la concurrence.

Raphaël Apelbaum, souligne ainsi que « moins de formalisme ne rime pas

forcément avec moins de clarté »106. On peut en déduire que moins de formalisme ne

rime pas automatiquement avec plus de corruption. Il relève que ces réglementations

rationalisées sont d’aller à l’essentiel sans s’embarrasser du superflu.

De plus, Florian Linditch argue que le respect nominal des textes organisant la

mise en concurrence n’a jamais garanti l’impartialité des décisions. Il dénonce ainsi la

tentation forte de pratiquer «le fétichisme procédural », c’est-à-dire de se considérer

en règle au motif d’avoir satisfait les exigences procédurales107.

Il convient donc de s’interroger en France et plus généralement en Europe sur

les moyens en œuvre pour simplifier le droit.

Ces nouveaux contrats et ces nouvelles approches du droit des contrats publics

peuvent êtres très bénéfiques pour la lutte contre la corruption et sont une solution très

106 Raphaël APELBAUM, op. cit., p. 50 107 Florian LINDITCH, Le droit des Marchés Publics, connaissance du droit Dalloz, 2006, 4éme édition, pp. 27-28

94

intéressante à développer si elles permettent de simplifier son application et de mieux

contrôler l’utilisation qui est faîte des deniers publics.

Cette préoccupation s’est cristallisée avec l’émergence de nouvelles formes

contractuelles dont l’objet est la rationalisation de l’achat public. On trouve, par

exemple, les partenariats publics privés, les marchés à bon de commande, le dialogue

compétitif, ou les nouvelles procédures électroniques de passation comme les

enchères électroniques ou les systèmes de qualification ou d’acquisition dynamique.

En outre des formes de groupement de commande se sont développés avec les

centrales d’achats, ou les procédés de coordination des achats au sein d’un pouvoir

adjudicateur ou entre plusieurs pouvoirs adjudicateurs.

En effet, un large consensus s’est formé autour de la nécessité de simplifier les

procédures de passation, de mieux définir les besoins, d’éviter les gaspillages et les

zones d’ombre et ainsi faciliter la lutte contre la corruption.

Il sera donc question d’étudier cette volonté de simplification des procédures

de passation et en quoi elle peut être porteuse de progrès dans la lutte contre la

corruption.

Puis, il conviendra de s’attarder sur les partenariats public privé, qui, parmi

tous les « nouveaux » contrats proposés, apparaissent comme une forme

particulièrement porteuse pour la lutte contre la corruption.

1- Une volonté de simplification et de rationalisation de l’achat public :

Cette quête passe par plusieurs solutions. Ces mesures visent une meilleure

définition des besoins et de nombreux mécanismes sont mis en place pour rendre

l’achat public plus transparent.

La première démarche concerne une volonté de mieux définir les besoins. En

dehors des initiatives visant à une meilleure formation des fonctionnaires ou à une

modernisation du fonctionnement de l’administration, une solution développée est la

mise en place de contrats ne définissant pas les besoins.

Le constat a été que dans certains cas, les besoins ne pouvaient pas êtres

quantifiés et que les exigences de l’article 5 du code des marchés publics de 2006 qui

prévoit une obligation de définition précise par le pouvoir adjudicateur de ses besoins

ne pouvaient pas être remplies. La volonté a donc été de prévoir des contrats publics

95

qui répondraient certes à certaines exigences de formes et de publicité, mais

permettraient à l’Administration dans un cadre déterminé de passer des marchés ou

des commandes au fur et à mesure.

On peut ainsi penser aux marchés à bon de commande, aux accords-cadres,

aux centrales d’achats, aux groupements de commande ou aux systèmes d’acquisition

dynamique. L’objet de ces contrats est d’encadrer des passations pour lesquelles les

caractéristiques quantitatives et qualitatives de l’achat public ne sont pas clairement

déterminées et de permettre aux personnes publiques de s’approvisionner plus

rationnellement par une massification et une standardisation de l’achat public et de

gérer, ainsi, l’incertitude financière ou technique.

Ces types de contrats imposent une certaine transparence et permettent non

seulement d’économiser de l’argent, mais aussi une plus grande rapidité

d’approvisionnements.

Cette démarche qui ne concerne pas directement la question de la corruption

est intéressante en ce qu’elle vient s’inscrire dans un processus global de

modernisation et de clarification de ce droit souvent opaque.

Une autre solution concerne la question de l’informatisation des procédures de

commande publique. Les objectifs de la dématérialisation des procédures de passation

sont triples ; permettre une réduction des délais, permettre les enchères électroniques

et mettre en place des systèmes d’acquisition dynamique.

Ce recours aux ressources électroniques soulève de nombreuses interrogations,

certains la considèrent comme trop élitiste, les moyens pour la mettre en place de

manière fiable étant très coûteux. Il est vrai que l’on peut se poser des questions sur

son application dans les pays en développement.

En outre de nombreuses questions restent en suspend, notamment sur la

question de la signature électronique.

Pourtant malgré ces réticences, ces procédures sur l’effet de textes

internationaux comme l’AMP tendent à se développer, preuve s’il en est de cette

volonté de reforme du droit des contrats publics internationaux.

Le droit des contrats publics tend à s’affiner et à poser un contrôle accru du

respect de la transparence et du principe d’égal accès à la commande publique, tout en

prévoyant des procédures plus efficaces, plus simples et plus rapides.

96

Enfin, on peut noter que cette démarche, sous l’influence des directives

communautaires 2004/17 et 2004/18, s’est imposée en France et s’est cristallisée

avec la mise en œuvre du code des marchés publics de 2006 qui vise des objectifs de

performance et d’efficience de l’achat public (art. 8 et 9) et normalise le recours à ce

type d’outils108.

Celui-ci impose dans son article 1 des principes généraux de la commande

publique. Il s’agit de la liberté d’accès, la transparence et l’égalité de traitement ;

Ceux-ci doivent permettre de répondre aux exigences communautaires en termes de

concurrence et de non-discrimination et ceci même en dessous des seuils de publicité.

En outre, comme nous l’avons vu, le droit communautaire, par la

jurisprudence « Teleaustria » impose une obligation de non-discrimination qui trouve

à s’appliquer également en dessous des seuils communautaires.

Ces principes généraux du droit marque le passage d’une obligation de moyen

(le respect des procédures) à une obligation de résultats (créer les conditions d’accès

optimales à la commande publique). Pour Florian Linditch, la modernisation de la

commande publique passe non pas dans le perfectionnement constant des

« procédures reines », mais dans la consolidation des principes fondamentaux de

l’achat public109.

2- Les Partenariats Public Privé, un outil d’amélioration des relations contractuelles

bénéfique à la lutte contre la corruption :

Une question intéressante sur ce point est l’impact des partenariats Public-

Privé sur la lutte contre la corruption. Nous l’avons vue, la Commission Européenne

est très active sur ce point et la rationalisation des procédures de passation en vue de

les simplifier et de les harmoniser dans l’espace communautaire est une de ses

priorités.

Cette volonté s’est matérialisée en France avec la loi du 2 juillet 2003

habilitant le gouvernement à simplifier le droit. Celle-ci a donné la possibilité à la

France de « créer de nouvelles formes de contrats conclus par des personnes

publiques ou des personnes privées chargées d’une mission de service public pour la

108 « Code 2006 des marchés publics, Panorama de la réforme », Revue Contrats Publics, septembre 2006, numéro spécial 109 Florian LINDITCH, Op. Cit., p. 28

97

conception, la réalisation, la transformation, l’exploitation et le financement

d’équipements publics, ou la gestion et le financement de services, ou une

combinaison de ces différentes missions ».

C’est ainsi qu’ont été introduits en droit français les partenariats Public- Privé

(PPP), ceux-ci ont fait l’objet d’une réglementation d’ensemble avec l’ordonnance n°

2004-557 du 17 juin 2004 prise en vertu de cette loi.

Ce système s’inspire du système de PFI (« Private Finance Initiative ») en

vigueur en droit anglo-saxon et dans de nombreuses organisations multilatérales

comme l’Organisation des Nations Unies.

L’objet de ces contrats est de confier au cocontractant une mission globale et

de lui faire supporter le financement d’équipements publics.

Ces derniers répondent parfaitement à la volonté actuelle d’associer plus

profondément les entreprises privées à la réalisation des contrats publics et s’inspirer

des méthodes du privé pour améliorer l’efficacité de l’achat public.

En outre, ils sont bénéfiques en ce qu’ils s’inscrivent dans la volonté de

s’appuyer davantage, à l’avenir, sur les acteurs privés pour lutter efficacement contre

la corruption.

B- La recherche de coopération accrue entre les acteurs des contrats publics

internationaux : la notion d’auto régulation :

Si les entreprises ne sont pas seules responsables de la corruption dans les

contrats publics internationaux, le rôle qu’elles tendent à tenir est de plus en plus

important.

Ainsi, du point de vue du secteur public, le cadre juridique de lutte contre la

corruption achève de se mettre en place et même si comme nous venons de le voir des

améliorations restent encore possibles et que les programmes lancés sont loin d’avoir

aboutis, c’est vraisemblablement aux entreprises qu’il reviendra de faire des efforts

pour parvenir à une lutte efficace contre la corruption.

1- Les initiatives de coopérations entre l’Administration et le secteur privé :

98

Ainsi depuis le début des années 2000, un ensemble d’initiatives du secteur

privé, visant à réduire la corruption est venu compléter les dispositifs publics en la

matière.

Ce phénomène vise en fait la notion d’autorégulation, il s’agit d’une forme

hybride de lutte contre la corruption qui consiste à plus responsabiliser les entreprises

et à en faire des acteurs et non plus des spectateurs de la lutte contre la corruption.

Ces initiatives s’appuient sur divers documents comme les règles de conduite

de la Chambre de Commerce International (ICC) ou le partenariat contre la corruption

du Forum Économique Mondial.

L’initiative la plus marquante en la matière est le Global Compact Act que le

Secrétaire général des Nations Unies a initié en 1999 à Davos en invitant les

entreprises à le signer. Ce texte est un pacte mondial, par lequel elles s'engagent à

observer neuf principes touchant aux droits de l'homme, au travail et à

l'environnement. Au mois de mars 2005, ce pacte avait été signé par plus de 2000

entreprises, dont quelque 370 entreprises françaises.

Suite à la convention signée à Mérida et à l'occasion d'une visite à Paris de

Kofi Annan en janvier 2004, une réunion des entreprises adhérentes a été convoquée

pour débattre des améliorations possibles de ce document. Il en est sorti la proposition

d'inclure un dixième principe, selon lequel " Les entreprises sont invitées à agir contre

la corruption sous toutes ses formes, y compris l'extorsion de fonds et les pots-de-

vin". Proposition qui a été approuvée par la suite par l'assemblée générale des

signataires du pacte le 24 juin 2004 à New York.

Par ce document, les entreprises ont signifié leur volonté de s’engager auprès

des organisations internationales et des États pour combattre la corruption.

Une autre initiative est celle qui a été lancée par TI, il s’agit du pacte

d’intégrité. C’est un document qui a été mis en place par TI au cours des années 90

pour permettre aux gouvernements, aux entreprises et aux organisations de la société

civile qui sont disposés à lutter contre la corruption, de pouvoir mener ce combat dans

le domaine des marchés publics.

Dans les faits, il s’agit d’un accord entre une administration publique et tous

les soumissionnaires aux appels d’offre publics, qui prévoit des droits et obligations

99

visant à prévenir tout risque de corruption. En outre, ce pacte prévoit des sanctions

qui vont de la perte du marché, de la perte de la caution de soumission au paiement de

dommages et intérêts et la mise sur la liste noire et des sanctions pénales et

disciplinaires pour les agents publics. L’avantage de ce pacte est d’être suffisamment

souple pour qu’il s’adapte à de nombreux contextes juridiques.

La grande innovation de ce texte est de recourir à l’arbitrage national et

international plutôt qu’aux tribunaux pour résoudre les contentieux. Le but est de

dépasser la difficulté de la territorialité du droit, et de gagner du temps sur la mise en

œuvre des procédures judiciaires en privilégiant les modes alternatifs de résolution

des conflits.

Le pacte connaît un franc succès puisque 14 pays dont l’Argentine,

l’Allemagne et l’Indonésie l’ont appliqué.

Mark Pieth, relève que les normes et les standards conçus par le secteur public

sont nécessaires pour augmenter la pression sur les entreprises et leur direction, mais,

que pour êtres efficaces, ils doivent encore être mis collectivement en œuvre par les

entreprises et par les concurrents dans le but de garantir une concurrence loyale et

exempte de corruption dans l’attribution des marchés110.

2- Une volonté de coopération accrue de tous les acteurs des contrats publics

internationaux :

Si la coopération entre entreprises et acheteurs publics est importante, ce n’est

pas la seule coopération nécessaire à endiguer le problème de la corruption.

Une meilleure coopération entre les juridictions à l’échelle internationale

apparaît elle aussi comme vitale à la lutte contre la corruption.

La corruption s’inscrivant dans un cadre transnational, il est nécessaire pour la

combattre efficacement d’établir des relations entre les juges en organisant des

réunions et des forums régulièrement.

En effet, ces réunions formelles sont souvent pointées du doigt en raison de

leur lenteur et de leur inefficacité.

110 Mark PIETH, « influer sur le comportement des entreprises : le rôle des partenariats Public- Privé contre la corruption », in P. MONTIGNY, op. cit., p. 79

100

Pourtant si les rencontres officielles ne semblent pas porter leurs fruits, une

solution semble être le développement de la coopération informelle.

Ainsi, la plupart des magistrats soulignent le bon fonctionnement des contacts

informels par lesquels ils échangent des données lorsqu’elles ne relèvent pas d’une

instruction en cours ou quand les deux interlocuteurs sont saisis de plaintes sur les

mêmes faits.

Jacques Terray, vice-président de TI France, dans un article « La loi existe où

sont les plaintes ? »111, note que le procureur fédéral américain en charge de la lutte

contre la corruption a recueilli l’adhésion unanime en proposant des réunions de

magistrats qui auraient lieu deux fois par an sans témoins extérieurs et sans ordre du

jour pour faciliter les contacts officieux.

Enfin, pour Transparency International, il est important que tous les acteurs

soient formés et informés des dernières politiques menées, ceux qui les appliquent,

ceux qui les « subissent », les acteurs non-gouvernementaux comme les entreprises,

mais aussi le public qui doit être considéré comme un acteur à part entière de la lutte

contre la corruption.

L’opinion publique par les moyens de pression qu’elle représente a vocation à

jouer un rôle phare dans la lutte contre la corruption dans les contrats publics

internationaux.

Ceux sont donc tous les acteurs du droit des contrats publics internationaux

qui doivent prendre conscience des dangers de ce phénomène et accepter de jouer un

rôle plus actif dans ce combat.

111 J. TERRAY, op. cit., p. 3

101

Conclusion

La corruption n’a jamais était aussi importante et le nombre d’affaires relevant

de ce problème a été croissant depuis une dizaine d’années. Elle touche les pays

développés qui ont mis en place des procédures pour l’endiguer comme les pays

émergents, et des entreprises qui avaient pourtant signé le Global Compact Act des

Nations Unies et s’étaient déclarées hostiles aux pratiques corruptrices dans les

contrats publics internationaux se sont vues incriminées pour des faits de corruption

comme cela a pu être le cas dans l’affaire « pétrole contre nourriture ».

Dans le même temps, la lutte contre la corruption n’a eu de cesse de se

développer, les règles relatives à ce sujet se sont multipliées et les acteurs disposent

désormais d’outils efficaces pour lutter contre ce phénomène .

Ces deux constats appellent des interrogations pour la suite de la lutte contre la

corruption dans les contrats publics internationaux. La première est essentielle peut-

on éradiquer la corruption ?

Il ne s’agit pas d’une question de pure rhétorique, mais elle vise plutôt, au vue

des efforts mis en œuvre, la question de savoir si la communauté internationale a les

moyens pour enrayer ce phénomène, et de déterminer s’il s’agit d’un vice inhérent

aux contrats publics internationaux ou d’une maladie qu’il est possible de soigner.

Comme le fait remarquer John Fawcett, responsable des questions de politique

internationale au sein du cabinet new-yorkais Kreindler and Kreindler, la réponse à

cette question se trouve dans l’évolution de la perception du problème de

corruption112.

Pour lui la difficulté vient du fait que si la corruption n’est jamais apparue

aussi importante, c’est parce que ce phénomène n’a jamais était aussi médiatisé. Cette

sur-médiatisation donne, ainsi, l’illusion que le problème s’aggrave, alors qu’au

contraire elle devrait être source d’espoir. En effet, elle est le signe que la prise de

conscience des effets négatifs de la corruption s’est faîte et que celle-ci s’inscrit au

même titre que la lutte contre la pauvreté ou l’environnement parmi les grands enjeux

de notre époque.

112 Voir annexe 6

102

Il ne s’agit donc pas de remettre en question le processus de lutte contre la

corruption dans les contrats publics internationaux, ni de prétendre que la corruption

est un mal que l’on peut éradiquer mais simplement de faire le constat que des

moyens existent et qu’ils commencent à porter leurs fruits.

Les efforts entrepris dans les contrats publics internationaux doivent donc

êtres poursuivis, cependant se pose une seconde question, celle de la méthode utilisée.

En effet, la difficulté majeure de la lutte contre la corruption dans les contrats

publics internationaux est de parvenir à mettre en place au niveau international des

procédures simples, claires et efficaces qui assurent la transparence, la non-

discrimination et le libre jeu de la concurrence.

Nous l’avons vu le risque de complexification de ces procédures est, en dépit

des efforts consentis, toujours présent et surtout les efforts d’harmonisation sont très

limités.

Sur ce point se pose d’ailleurs un autre problème, celui du choix entre plus de

formalisme ou vers une « déritualisation » du droit des contrats publics comme c’est

le cas au Etats-Unis. Sur ce point, les nouvelles procédures prévues tendent vers une

simplification des procédures de passations, épurées de tout formalisme superflu,

mais respectueuses des principes généraux de la commande publique.

En outre, comme l’analyse Josette Hervet, le fait qu’une procédure soit

exposée à des risques forts de corruption ne remet pas en cause, ipso facto, le bien

fondé de cette procédure ni même le choix et la mise en œuvre de ses modalités

d’application. Il serait dangereux de penser qu’une lutte efficace contre la corruption

dans les contrats publics internationaux passerait par une déréglementation

inconsidérée de ceux-ci113.

L’objectif est donc de rechercher un compromis entre les procédures

existantes et une modernisation de celles-ci compatible avec l’objectif de lutte contre

la corruption.

113 Josette Hervet, corruption et marchés publics : connivences et compérages sur la base de fonds publics, RFFP n°69, mars 2000, p. 48.

103

Sur la question de la méthode, les différents exemples de conventions

internationales, leur manque de caractère contraignant et la difficulté du contrôle de

leur application laissent penser que cette forme de lutte est arrivée à son terme. Ceux

sont donc les acteurs locaux qui doivent mettre en place au niveau national un cadre

juridique de lutte contre la corruption qui la condamne au niveau national et

international.

Il semble, enfin, qu’un consensus se soit formé sur la nécessité d’être

intransigeant avec les pays qui se rendent coupables de corruption et ne mettent

aucune législation en œuvre pour lutter contre ce problème. Cependant les principes

de proportionnalité et de réalisme imposent de ne pas se montrer trop radical face à

ces attitudes au risque de laisser ces pays souvent très pauvres dériver vers des

situations dangereuses.

Il reste, néanmoins, que juridiquement le juste milieu est très difficile à

trouver.

L’intensification de la lutte contre la corruption est donc nécessaire, mais elle

doit passer par des initiatives locales et une meilleure sensibilisation et formation aux

conséquences de la corruption.

L’avenir de la lutte contre la corruption dans les contrats publics

internationaux passe par la promotion d’un cadre légal, réglementé et cohérent et le

respect des notions de bonne gouvernance et de responsabilité sociétale.

La notion de bonne gouvernance consiste en la recherche de systèmes de

direction et de contrôle qui concilient au mieux efficacité, sécurité, collégialité et

transparence. Quant à la notion de responsabilité sociétale, elle renvoie aux initiatives

volontaires des acteurs des contrats publics internationaux qui souhaitent aller plus

loin que le simple cadre juridique posé par la loi.

Enfin, il faut relever le peu de jurisprudence qui existe en matière de contrats

publics internationaux. Ainsi, alors que le nombre d’affaires a augmenté, le nombre

d’entreprises condamnées est resté très faible.

104

En effet, s’il existe quelques cas de condamnation pour des faits de corruption

interne, très peu d’entreprises sont inculpées pour des affaires de corruption

internationale. La seule entreprise qui, en France, pourrait être condamnée pour

corruption d’agents publics étrangers est l’entreprise Total pour son rôle dans l’affaire

« pétrole contre nourriture ». Cependant l’affaire BAE system, que nous évoquions

ultérieurement, reste symptomatique des limites de la lutte contre la corruption dans

les contrats publics internationaux. Celle-ci touche des domaines souvent stratégiques

et sensibles comme la défense, l’énergie ou la santé. Les pays voient, alors, dans le

respect de ces réglementations une remise en cause de leur souveraineté et une

atteinte à des domaines vitaux pour leur économie.

De plus, le secret des affaires vient s’ajouter à ce problème et remet en

question les efforts fournis depuis ces dernières années.

On ne peut que constater que si la réglementation est là, c’est aux

gouvernements, aux entreprises et à la société civile de prendre le relais de la lutte

contre la corruption.

105

BIBLIOGRAPHIE

Doctrine : Ouvrages : CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, P.U.F., 8éme édition, Avril 2007 1024 pages LANDAU Hervé, Pratique de la lutte anti-blanchiment, Revue Banque Edition, Paris, 2005, 127 pages LINDINTCH Florian, le Droit des Marchés Publics 4ème Edition 2006 Connaissance du Droit Dalloz, 129 pages MONTIGNY Philippe, L’entreprise face à la corruption internationale, Edition Ellipses, 2006, 771 pages NAUDET Jean-Yves, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, 388 pages POPE Jeremy, Confronting Corruption: The Elements of a National Integrity System, TI Source Book 2000, Transparency International, 2003, 3e ed., 394 pages. RICHER Laurent, Droit des contrats administratifs, L.G.D.J, 4éme éd., juillet 2004, 677 pages. ROSE ACKERMAN Susan, Corruption : a study in Political Economy, Academic Press, New York, 1978 Thèse : RICHARD Véronique, Incidence des changements de l’organisation du travail et du management par les pratiques de l’éthique relationnelle, thèse d’habilitation à diriger des recherches, université de Paris IV-Sorbonne, CELSA, 1994 Articles : ANTONMATTEI Paul-Henri,« Whistleblowing : la publication du rapport antonmattéi-vivien », Lettre de la transparence, n°32, mars 2007, p.5 APELBAUM Raphaël, « Les contrats conclus dans le cadre des opérations financées par la Banque Mondiale », Revue contrats publics, n°51, janvier 2006, p. 41

106

BECKER Gary, « Crime and punishment, an economic approach », Journal of political economy, n°76, 1968, pp. 169-217 BONFILS Philippe, « La corruption en droit pénal », in J.-Y. NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pages 223-240 BONIFASSI Stéphane, « la convention des nations unies contre la corruption : une machine puissante ou poussive ? », La lettre de la transparence, N° 21, Avril 2004, p. 1 BUEB Jean-Pierre, « Commande publique et code d’éthique, de déontologie ou de conduite », p. 28, Revue Contrats publics, n° 57, juillet/août 2006 BUEB Jean-Pierre, « La lutte contre la fraude et la corruption dans les marchés publics », Forum mondial de l’OCDE sur la gouvernance, « Partager les enseignements de la promotion de la bonne gouvernance et de l’intégrité dans les marchés publics », document de séance, 30 novembre-1er décembre 2006, p. 40 BUEB Jean-Pierre et MAILLE Arnaud, « Le service central de prévention de la corruption », Revue contrats publics, n° 57, juillet/août 2006, page 53 CAILLAUD Bernard, « Ententes et capture dans la commande publique : un point de vue d’économiste », Revue de la concurrence et de la consommation, n°129, 1990 CARTIER-BRESSON Jean, « L’analyse économique de la corruption », RFFP, Mars 2000, n° 69, p.19-32 CARTIER-BRESSON Jean, « Elément d’analyse pour une économie de la corruption », Revue Tiers Monde, n° 131, 1992, pp. 581- 609 CHEVAUCHEZ Benoît , « Corruption et gestion publique », RFFP n°69, mars 2000, p. 87-94 COMMISSION EUROPÉENNE, « Poursuivre la criminalité en col blanc sur le marché unifié de l’UE ». http://ec.europa.eu/justice_home/fsj/crime/economic/fsj_crime_economic_fr.htm, juillet 2003 DOMMEL Daniel, président de TI France, « Corruption : le constat », RFFP, n° 69, Mars 2000, p. 7-18 DOMMEL Daniel, « La transposition de la convention OCDE dans les législations nationales », Revue prospectives stratégiques, n° 10, juin 2002 DOUEIRY Carole, « Ethique corruption et clientélisme : le cas du Liban », dans Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pages 79-118

107

DUQUESNE Pierre, La lettre de transparence, n° 31, Décembre 2006, dossier spécial sur la politique anti-corruption de la Banque Mondiale, p. 4 FONTANA Philippe, « La convention de l’OCDE », RFFP, n° 69, mars 2000, p. 121-134 FRILET Marc, « L’impact de la mondialisation », Revue contrats publics, n°57, juillet/août 2006, p.33 FRISCH Dieter, « La corruption obstacle majeur au développement économique et social », in La corruption nous concerne tous, Cahiers de l’institut d’études sur la justice, éd. Bruylant, 2002, p.44 FRISCH Dieter, « Nouvelle communication de la commission européenne sur une politique globale de l’union contre la corruption », lettre de la transparence, n°19, Octobre 2003, p.5 HERVET Josette, « Corruption et marchés publics : connivence et compérages sur la base de fonds publics », RFFP, n°69, Mars 2000, p. 47-60 ISAR Hervé, « Corruption et marchés publics : une analyse juridique », in Jean-Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pp. 249-264 LASCOUMES Pierre, « Percevoir et juger la corruption politique», site du CEVIPOF, http://www.cevipof.msh-paris.fr/dossiersCev/projmaj/20032006/02-RFSP.pdf, 2006 LA SEMAINE JURIDIQUE DU DROIT SOCIAL, « Le whistleblowing, à propos de la licéité des système d’alerte éthique », La semaine juridique du droit social, n° 17, 18 octobre 2005 LE MONDE, « La Banque Mondiale a intensifié sa lutte contre la corruption », Le Monde, 6 février 2007. MAGNOLOUX Hervé, « l’analyse économique de la corruption », in Jean-Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pages 51-78 MAURO Paolo, « La corruption: causes, conséquences et voies à explorer », Finances et développement, mars 1998, pp 11 à 14 OCDE, « La corruption dans les marchés internationaux », http://www.oecd.org/topic/0,2686,fr_2649_34855_1_1_1_1_37447,00.html, 2007 PIETH Mark, « influer sur le comportement des entreprises : le rôle des partenariats Public- Privé contre la corruption », in P. MONTIGNY, L’entreprise face à la corruption internationale, Éditions Ellipses, 2006, p. 78

108

PIREYRE Bruno-André, « Corruption et trafic d’influence : l’approche du droit pénal », RFFP, n°69, Mars 2000, pp. 33 à 46 REVUE CONTRATS PUBLICS, « Code 2006 des marchés publics, Panorama de la réforme », Revue Contrats Publics, septembre 2006, numéro spécial SOCCOJA Christian, « Un palmarès de la corruption ?», Le Monde, 6 novembre 2005 TERRAY Jacques, « Qu’est-ce qui entrave l’application de la convention OCDE ? », La lettre de transparence, N°19, octobre 2003, p 3 TRANSPARENCY INTERNATIONAL, « Rapport du GRECO sur la France : La corruption vue par le Conseil de l’Europe », La lettre de transparence, N° 12, janvier 2002, p.6 TRIFILIO Sylvain et. KARPOUZANOV Momtchil I., « Corruption et marchés publics : une analyse économique », in Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pp. 265-293 VERDEAUX Jean-Jacques, « La lutte contre la corruption dans les marchés financés par la Banque Mondiale », Revue contrats publics, n°51, janvier 2006 p. 50 VIDON J.-P., « La France engagée dans la lutte contre la corruption internationale», in P. MONTIGNY, L’entreprise face à la corruption internationale, Edition Ellipses, 2006, p,136-139 VITU André, « Corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique», Jurisclasseur Droit Pénal, n°31, Novembre 1993, p.4 WEI Shang-Jin, « How taxing is corruption on international investors ? », National Bureau of Economic Research, Working Paper,, n° 6030, Mai 1997 WEI Shang-Jing, « Does grease money speed up the wheels of commerce ? », http://siteresources.worldbank.org/INTWBIGOVANTCOR/Resources/grease.pdf, 1998 Documents : Sources Françaises : ANTONMATTEI Paul-Henri, VIVIEN Philippe, « Chartes éthique, Alerte professionnelle et Droit du travail français : état des lieux et perspectives », 6 mars 2007 ASSEMBLÉE NATIONALE, Rapport n°1424, 11 février 2004

109

ASSEMBLÉE NATIONALE, Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Rapport n° 2417, 29 juin 2005 CODE DE PROCEDURE PENALE, Dalloz, 48éme édition, 2007 CODE DES MARCHES PUBLICS 2006, le Moniteur, Octobre 2006 CONSEIL D’ETAT, Rapport public, « Collectivités publiques et concurrence », Etudes de documents, n°53, la documentation française, 2002 LOI n° 91-3 du 3 janvier 1991 sur la transparence et la régularité des procédures de marchés LOI n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. LOI n°2000-595 modifiant le code pénal et le code de procédure pénale relative à la lutte contre la corruption LOI n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à « la sécurité au quotidien » LOI n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant « Mesures Urgentes de Réformes à Caractère Économique et Financier » (MURCEF) LOI n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite loi Perben II ORDONNANCE n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat Sources de l’Union Européenne : CONVENTION relative à la lutte contre la corruption des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'UE, mai 1997 DIRECTIVE 92/50/CEE, du Conseil du 18 juin 1992 portant. coordination des procédures de passation des marchés publics. DIRECTIVE 93/36/CEE, du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures DIRECTIVE 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux DIRECTIVE 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications

110

DIRECTIVE 2005/75/CE, du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2005 rectifiant la directive 2004/18/CE sur les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux. DIRECTIVE n° 2004/ 17/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux DIRECTIVE 2004/ 18 /CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services dites directives « marchés publics» Sources internationales : AFRICAN DEVELOPMENT BANK, “Fostering Good Governance in Africa”, Rapport 2001 CNUDCI, loi type sur la passation de marchés de biens, de travaux et de services, 16 juillet 1993 CONGRÉS AMÉRICAIN, Loi du 31 Juillet 2002 dite loi Sarbanes- Oxley CONSEIL DE L’EUROPE, Conventions civile et pénale, 1999 INTERNATIONAL TRADE ADMINISTRATION, « The national export strategy », Washington DC, octobre 1997 NATIONS UNIES, convention dites de « Mérida », 2003 OCDE, convention sur la lutte contre la corruption des agents publics étrangers, 17 décembre 1997 OCDE, Rapport de la phase 2 sur l’application de la convention contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales sur les Etats-Unis, Octobre 2002, Paragraphe 17 OMC, accord sur les Marchés Publics (AMP) du 1er janvier 1996, en cours de révision UNION AFRICAINE, convention de « Maputo », 2003 Jurisprudence : TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LIBOURNE, ordonnance de référé, 15 septembre 2005 COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, « Teleaustria », 7 décembre 2000

111

Ressources électroniques : BANQUE MONDIALE, http://www.banquemondiale.org/ CNUDCI, http://www.uncitral.org/uncitral/fr/index.html FMI, http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/govf.htm GRECO, http://www.coe.int/t/dg1/greco/default_fr.asp OCDE, http://www.oecd.org/home/ OMC, http://www.WTO.org/ ONU, http://www.un.org/french/ TRANSPARENCY INTERNATIONAL FRANCE : http://www.transparence-France.org/ TRANSPARENCY INTERNATIONAL : http://www.transparency.org/ US DEPARTMENT OF STATE, « la corruption, obstacle au développement », http://usinfo.state.gov/journals/ites/1198/ijef/frtoc.htm, 1998

112

TABLE DES MATIÉRES

SOMMAIRE P.2

TABLE DES SIGLES ET DES ABREVIATIONS P.3

INTRODUCTION P.4

Première Partie – Les réponses au phénomène de la corruption

dans les Contrats Publics Internationaux : P.14

Chapitre 1 - La corruption, un terme pluridisciplin aire à

la qualification difficile : P.14

Section 1 – L’approche économique de la corruption : P.14

A - La corruption, un dysfonctionnement politique

et administratif au coût économique négatif : P.15

B - La problématique du coût positif de la corruption : P.16

C - L’appréciation de la corruption comme une pratique

anticoncurrentielle : P.18

D - La corruption, un obstacle aux investissements et

à la croissance économique : P.19

Section 2 - L’appréciation juridique d’un phénomène économique : P.20

A - La typologie de la corruption : P.20

113

1- La petite et la grande corruption : P.20

2- Corruption publique et privée : P.22

3- Corruption nationale et internationale : P.23

4- Corruption active et passive : P.24

B - La qualification juridique de la corruption : P.25

1- La qualification juridique de la corruption

au niveau interne, le cas de la France, une approche pénale : P.25

2- La qualification juridique de la corruption au niveau international : P.26

Chapitre 2 - La lutte contre la corruption dans

les contrats publics à l’échelle internationale et nationale : P.29

Section 1- Les initiatives internationales : P.29

A- Transparency International et la sensibilisation

au problème de la corruption internationale : P.29

B- La mise en place d’un cadre légal de

condamnation de la corruption par les conventions

des organisations internationales : La convention de l’OCDE : P.32

1- L’organisation de coopération et de développement économique : P.33

2- La convention de lutte contre la corruption des agents publics étrangers : P.34

3- Les apports de la convention de l’OCDE : P.34

4- Les conditions d’application de la convention : P.36

5- Les questions d’avenir de la lutte contre la corruption par l’OCDE : P.37

C- La mise en place d’un cadre légal de condamnation

de la corruption par les conventions des organisations

internationales : La convention des Nations Unies contre la corruption : P.37

114

1- Les principales dispositions de la convention des Nations Unies : P.38

2- « une machine puissante ou poussive ? »: P.40

D- Le rôle des Banques de développement dans la lutte contre

la corruption dans les contrats publics internationaux ;

le cas de la Banque Mondiale : P.41

1- L’enjeu des directives verte et rouge : P.42

2- La mise en place d’institutions chargées de la lutte contre la

corruption au sein de la Banque Mondiale : P.43

3- La réforme institutionnelle de la lutte contre la corruption

au sein de la BM : P.44

4- Les limites et les perspectives de l’action de la Banque Mondiale : P.45

E- Les initiatives de lutte contre la corruption à l’échelle européenne : P.47

1- Le Conseil de l’Europe et la lutte contre la corruption : P.48

2- La lutte contre la corruption au sein de l’union européenne : P.49

Section 2- La dimension nationale de la lutte contre la

corruption dans les contrats publics internationaux : P.52

A- Le cas des Etats-Unis : exemple le plus abouti d’incrimination

de la corruption internationale : P.52

1- Les caractéristiques du FCPA et son champ d’application: P.53

2- La mise en œuvre du FCPA : P.54

3- Les apports et innovations du FCPA : P.55

B- La Transposition des conventions internationales en

Droit interne, le cas de la France : P.56

1- L’impact de la transposition de la convention de l’OCDE en droit français : P.57

115

2- L’impact de la transposition des autres conventions : P.59

Deuxième Partie - La mise en pratique de la lutte

contre la corruption dans les contrats publics internationaux : P.61

Chapitre 1 - Les moyens de la lutte contre la corruption dans les

contrats publics internationaux, de la prévention à la répression : P.61

Section 1- Les moyens en amont, la prévention de la corruption

dans les contrats publics internationaux : P.62

A- La transparence dans les procédures de passation des contrats

publics internationaux, un moyen efficace de lutte contre la corruption : P.63

1- Les exigences de la transparence, une voie très prometteuse dans

la lutte contre la corruption : P.64

2- Les exigences de transparences au niveau international : P.67

a) Les initiatives des organisations internationales : P.68

b) Les initiatives de transparence dans les procédures de passation

des contrats publics au niveau régional : P.70

c) Les apports des organismes d’aide au développement et de

financement en matière de transparence : P.71

B- Les outils de responsabilisation par l’éthique des acteurs

des contrats publics internationaux : P.73

1- Les codes d’éthique ou de bonne conduite, des outils de responsabilisation : P.73

2- Le système d’alerte éthique, un outil efficace à l’application délicate : P.74

C- L’importance des autorités administratives indépendantes dans la

lutte contre la corruption : P.76

116

Section 2- Les moyens en aval, la répression dans la lutte contre

la corruption dans les contrats publics internationaux : P.78

A- La mise en œuvre des sanctions commerciales contre la corruption

dans le cadre de la Banque Mondiale : P.79

1- Le processus de sanctions commerciales de la Banque Mondiale : P.80

2- Les apports de la réforme du processus de sanction : P.80

B- Le mécanisme de la liste noire et ses limites : P.82

1- Un outil qui tend à se généraliser : P.82

2- Les limites et risques des systèmes de liste noire : P.83

Chapitre 2 - Les limites et perspectives de la lutte contre la

corruption dans les contrats publics internationaux : P.85

Section 1- Les limites et obstacles de la lutte contre la corruption

dans les contrats publics internationaux : P.85

A- Les limites inhérentes à la corruption dans les contrats publics

internationaux : P.86

B- Les limites liées aux politiques de lutte contre la corruption : P.88

Section 2- Les solutions pour relancer et rendre plus efficace

la lutte contre la corruption : P.92

A- La recherche de modernisation des procédures de passation : P.93

1- Une volonté de simplification et de rationalisation de l’achat public : P.94

2- Les Partenariats Public Privé, un outil d’amélioration des

relations contractuelles bénéfique à la lutte contre la corruption : P.96

117

B- La recherche de coopération accrue entre les acteurs

des contrats publics internationaux : la notion d’auto régulation : P.97

1- Les initiatives de coopérations entre l’Administration et le secteur privé : P.97

2- Une volonté de coopération accrue de tous les acteurs des

contrats publics internationaux : P.99

CONCLUSION P.101 BIBLIOGRAPHIE P.105 ANNEXE P.118

118

ANNEXES

ANNEXE N° 1 : Carte de la Corruption dans l’espace de l’Union Européenne et de la

Turquie en 2003 : (source : Transparency International France)

119

ANNEXE N°2 : Graphique des fréquences de corruption par région et par secteur

d’activité, 2006 : (Source : OCDE)

- Connecting to utilities : Service Public (Électricité, gaz, eau, systèmes

d’assainissement).

- Taxation : Secteur fiscal

- Procurement : Achat Public

- Judiciary : Secteur Judiciaire

- State Capture : Notion de « main mise sur l’État », Le « détournement de

l‘Etat » désigne la capacité des entreprises à subordonner

le processus politique dans son ensemble dans le but de

faire adopter des mesures et des règlements qui favorisent

leurs intérêts commerciaux.

120

ANNEXE N°3 : Tableau récapitulatif des résultats de l’Indice de perception de la

corruption 2006 :

(Source : Transparency International)

121

ANNEXE N° 4 : Entretien avec Daniel Le Guillou, membres de l’ONG Transparency

International France :

1- Pensez-vous que les réglementations internationales en matière de lutte contre

la corruption soient réellement efficaces quand, selon la lettre de la transparence

de décembre 2006, les indices démontrent « la modestie des progrès enregistrés

en dépit de la multiplication des conventions internationales »? Quelle est la

prochaine étape ? Que manque t-il au niveau international pour parvenir à un

système efficace de lutte contre la corruption ?

Les engagements internationaux en matière de lutte contre la corruption qui se sont

multipliés depuis une dizaine d’années (Convention de l’OCDE de 1997 ; conventions

régionales : Conseil de l’Europe, Organisation des Etats américains, Union

africaine ; Pacte mondial des Nations Unies signé par plus de 3000 entreprises du

monde entier ; Convention des Nations Unies de 2003…) ont profondément modifié le

cadre légal de lutte contre la corruption. C’est sans aucun doute une première étape

indispensable, et en ce sens un véritable progrès : en effet comment penser que la

corruption puisse être efficacement combattue si elle n’est pas légalement condamnée

et condamnable ? Ces nouveaux textes créent des fenêtres d’opportunités pour les

acteurs de la lutte anti-corruption pour dénoncer de mauvaises pratiques et se

pourvoir en justice. Pour exemple, c’est la signature de la Convention de l’OCDE par

le Royaume-Uni qui place les autorités britanniques dans une position internationale

délicate dans l’affaire BAE. Il nous apparaît donc fondamental de ne pas sous-

estimer l’importance des réglementations internationales et de continuer à pousser à

l’amélioration et l’approfondissement de celles-ci.

Néanmoins, bien entendu, ces avancées en terme de réglementations internationales

ne font pas tout et ne doivent pas être prises au pied de la lettre lorsque l’on cherche

à appréhender l’état réel de la corruption dans le monde. La fracture entre les textes

et les pratiques est toujours très importante. En ce sens, oui, toutes les enquêtes

montrent « la modestie des progrès enregistrés en dépit de la multiplication des

conventions internationales ».

122

Dans la Lettre de Transparence de septembre 2006 (n°30), Daniel Lebègue,

Président de TI France expliquait « cet écart inquiétant entre la règle de droit

proclamée et l’application qui en est faite » par les raisons suivantes :

« - la lenteur des procédures de ratification et de transposition dans le droit interne

des conventions internationales : cinq des pays du G8 (Allemagne, Canada, Italie,

Japon, Etats-Unis), n’ont pas encore ratifié la convention des Nations unies et, plus

grave, quatre d’entre eux (Canada, Italie, Japon, Royaume-Uni) n’ont toujours pas

pris les mesures nécessaires pour mettre en œuvre de manière effective la convention

de l’OCDE. La présidente de TI a fermement rappelé à leur devoir les grands pays du

G8 lors du sommet de Saint Petersbourg en juillet dernier : « assez de paroles, des

actes ».

- les progrès encore très insuffisants de la coopération judiciaire internationale, y

compris au sein de l’Union européenne. Les magistrats témoignent des difficultés

qu’ils rencontrent pour obtenir l’exécution d’une commission rogatoire dans des

centres offshore – dont la moitié, 18 sur 36 sont situés en Europe – mais aussi dans

de grands pays comme le Royaume-Uni.

- la présence, dans les échanges internationaux, d’acteurs (asiatiques, russes, moyen-

orientaux) qui échappent encore à la règle internationale.

- d’une manière générale, l’inertie des mauvaises pratiques et des comportements de

benign neglect de la part d’acteurs (publics et privés) qui en tirent avantage au

détriment de l’intérêt public de leurs pays ou de l’intérêt social de leurs entreprises. »

Nous vous envoyons en document attaché la Lettre de Transparence citée.

2- Doit-on intensifier la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de

« crispation éthique » de la société ?

Il faut intensifier la lutte contre la corruption. Il faut tout faire pour que les textes et

réglementations déjà en vigueur soient concrètement appliqués. Il s’agit également,

bien évidemment, de compléter l’arsenal juridique. Au-delà, la lutte et la

sensibilisation doivent s’atteler à changer les comportements (et donc les

mentalités) : en ce sens la dimension éducative de ce combat s’affirme comme

primordiale.

123

La grande majorité des sociétés sur notre planète nous apparaissent encore bien loin

de l’état de « crispation éthique »… Toutes les enquêtes sérieuses, au premier rang

desquelles les indices de TI, montrent clairement la persistance (pour ne pas dire la

multiplication dans certains secteurs et domaines) des phénomènes de corruption, les

dégâts qu’ils provoquent parmi les populations (et en premier lieu les plus fragiles) et

l’impunité dont jouissent encore de trop nombreux acteurs de ces circuits

corrupteurs.

3- Quelle est la légitimité des organisations internationales pour agir et pour

sanctionner au titre de la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de

saper les initiatives locales ou de voir ces organisations s’éloigner de leurs

missions premières comme on a pu le reprocher à la Banque Mondiale ?

La légitimité des organisations internationales en matière de lutte contre la

corruption n’est pas de nature différente que dans leurs autres domaines d’action

(maintien de la paix…). Les organisations internationales tirent leur légitimité de leur

représentativité et de leurs membres.

Les organisations internationales engagées dans des actions de lutte contre la

corruption doivent bien évidemment essayer de travailler au maximum en

collaboration et en synergie avec les initiatives locales. Poursuivant les mêmes

objectifs il nous semble que les risques de saper les initiatives locales de lutte contre

la corruption ne soient pas importants. Au contraire les échelles différentes

auxquelles sont prises ces initiatives font qu’elles ont tendance à se renforcer.

D’autre part le lien entre corruption et pauvreté/sous-développement ayant

clairement été mis en lumière par de nombreuses études (dont celles de TI), il

apparaît naturel que les organisations internationales de lutte contre la pauvreté et

de promotion du développement économique cherchent à agir dans la lutte contre la

corruption.

4- Quelle approche doit-on adopter, selon vous, face à la corruption, une position

ferme comme celle que prône Monsieur Paul Wolfowitz dans le cadre de la

Banque Mondiale, qui consiste à bloquer l’aide aux pays corrompus, doit-on

124

considérer que la corruption n’est pas un mal mais un symptôme qui disparaîtra

avec le développement du pays?

Il est évident que les politiques d’aide au développement doivent intégrer la

dimension de lutte contre la corruption. Comme nous l’avons déjà souligné, le lien

entre corruption et pauvreté est mis en avant dans toutes les enquêtes de TI. Il s’agit

donc d’encadrer et de contrôler le plus rigoureusement possible l’utilisation des aides

attribuées aux pays en voie de développement. Le problème d’une politique

d’exclusion des pays « trop » corrompus de la liste des pays pouvant bénéficier

d’aide (Cf. en effet la Banque Mondiale) est, bien évidemment, celui des critères

retenus (comment les déterminer ? Comment éviter les effets de seuil ?...) et de la

fiabilité de ces critères. Néanmoins il apparaît important que les bailleurs

internationaux renforcent les procédures d’attribution des aides et surtout les

procédures de monitoring d’utilisation de celles-ci. L’importance des évaluations

post-projets apparaît en ce sens également fondamentale. Les bailleurs se doivent

d’obtenir des engagements fermes et réels des pays bénéficiaires en matière de lutte

contre la corruption.

La corruption est en même temps un mal et un symptôme du sous-développement :

selon les résultats des enquêtes de TI les pays pauvres sont en moyenne en effet plus

corrompus que les pays riches (même si le lien direct entre richesse et corruption

n’est qu’une dimension explicative du phénomène : en effet on peut aussi évaluer la

corruption selon d’autres variables : éducation, système politique…). Néanmoins,

malheureusement, les études montrent également que la corruption ne disparaît pas

nécessairement avec le développement.

5- Doit-on interdire le risque que représente le lobbying ou les actions

commerciales, véritables foyers de la corruption?

L’objectif réaliste en matière de lobbying et d’actions commerciales nous semble de

rechercher à promouvoir un encadrement légal, réglementé, cohérent et respecté de

ces pratiques, et d’arriver à modifier les comportements des acteurs en les poussant

notamment à s’engager sur des pactes de transparence et le respect des « meilleures

pratiques ».

125

6- Doit-on remettre en question à terme les MP pour lutter efficacement contre

la corruption comme le souhaite ceux qui pointent du doigt le lien entre

corruption et interventionnisme ?

Les MP doivent avant tout être encadrés de façon plus rigoureuse et contrôlée. Les

parties prenantes aux MP doivent également être poussées à s’engager sur des pactes

de transparence et le respect des « meilleures pratiques ». Au vu des enquêtes de TI le

lien entre corruption et interventionnisme public n’est pas si évident. En grande

majorité, les pays qui ressortent comme les moins corrompus des enquêtes de TI sont

des pays où l’État peut être considéré comme « bien présent » (démocraties

scandinaves et nordiques, Singapour…). Au contraire, de nombreux pays « mal

classés » se caractérisent par une situation où l’absence d’État est notable.

7- Sur le plan des contrats publics à proprement parler, ne pensez-vous pas que

la lutte contre la corruption risque d’amener à une complexification du droit

applicable, nuisible à terme ? Comment pensez-vous que l’on puisse y remédier ?

L’objectif de la lutte contre la corruption est de rendre les marchés publics plus

transparents. Un des leviers de cette lutte se traduit en effet par des amendements ou

compléments juridiques. Néanmoins, l’intégration de nouvelles règles et normes ne

représente pas forcément une complexification du droit applicable. De plus, pour de

nombreux acteurs, la transparence simplifie aussi grandement la lisibilité des

procédures.

126

ANNEXE N°5 : Entretien avec Maître Marc Filet, avocat au barreau de Paris, chargé

de cours « investissements internationaux » dans le master 2

professionnel Droit des affaires internationales à Paris V :

1- Pensez-vous que les réglementations internationales en matière de lutte contre

la corruption soient réellement efficaces quand, selon la lettre de la transparence

de décembre 2006, les indices démontrent « la modestie des progrès enregistrés

en dépit de la multiplication des conventions internationales »?

Quelle est la prochaine étape ? Que manque t-il au niveau international pour

parvenir à un système efficace de lutte contre la corruption ?

Les réglementations internationales ne sont pas suffisantes stricto sensu, elles doivent

être accompagnées d’une moralisation (au sens éthique) croissante des divers acteurs

participants aux contrats internationaux.

Les grandes multinationales, les conseils divers et les avocats intervenant sur les

grands projets doivent prendre conscience qu’il faut lutter contre la corruption car

elle fragilise à long terme le développement de leur propre pays.

Pour plus d’efficacité il est envisageable de compléter la réglementation

internationale par des incitations extérieures. Par exemple la Banque Mondiale

exclut de ses projets les entreprises ayant commis des actes de corruption. Le manque

à gagner pour une entreprise exclut des marchés publics financés par la Banque

Mondiale peut être très important. Ce type de sanction a certainement plus d’impact

qu’une hypothétique sanction pénale prononcée par un tribunal national.

Toutefois les « guidelines » de la Banque Mondiale peuvent sembler excessives et trop

rigides. Leur application peut parfois avoir un impact négatif sur le développement

du pays. Ainsi le refus de financer des projets dans des pays fortement corrompus a

nécessairement un impact et la population est alors sacrifié au nom de la lutte contre

la corruption.

127

2- Doit-on intensifier la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de

« crispation éthique » de la société ?

La lutte contre la corruption est une des grandes batailles du 21ème siècle, les méfaits

de la corruption notamment dans les infrastructures de service public n’est plus à

démontrer (atteinte à la sécurité de l’infrastructure, constitution d’une élite

despotique,…).

Malheureusement la corruption est inhérente au développement des relations

transnationales et à la dilution du capital.

De nombreux textes ou conventions ont été ratifiées afin de mettre un terme à la

corruption tel que la convention OCDE du 17 décembre 1997 (entré en vigueur le 15

février 1998), le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) adopté en 1977, ou encore le

Sarbanes-Oxley Act de 2002.

Ces textes étaient nécessaires pour mettre en exergue les problématiques de

corruption et attirer l’attention des professionnels sur ce problème, malheureusement

ils n’empêchent pas les dérives.

On peut envisager de lutter contre la corruption non par un arsenal juridique mais en

accentuant la responsabilisation individuelle des divers acteurs économiques

internationaux, par exemple en les sensibilisant aux risques pris sur le long terme ou

en envisageant d’autre forme d’incitation non juridique (sanction sociale, exclusion

d’une profession). L’éthique personnelle doit être valorisée et incitée.

3- Quelle est la légitimité des organisations internationales pour agir et pour

sanctionner au titre de la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de

saper les initiatives locales ou de voir ces organisations s’éloigner de leurs

missions premières comme on a pu le reprocher à la Banque Mondiale ?

Les organisations internationales ont une légitimité certaine à agir pour sanctionner

la corruption au niveau des grands projets internationaux.

128

En effet, ces projets sont très propices au développement de la corruption. Les

institutions internationales sont donc les mieux à même de réguler ce fléau de part

leur domaine d’intervention supranational.

En tant que bailleur de fonds internationaux (Banque Mondiale, FMI, Banque de

développement,…), les institutions internationales se doivent de prendre en compte ce

phénomène et de mesurer son impact.

En revanche l’intervention des organisations internationales dans des projets locaux

et ne faisant pas intervenir d’éléments d’extranéité est plus discutable. La lutte contre

la corruption au niveau local devrait être le fait des Etats (principe de subsidiarité).

La population locale étant mieux à même d’intégrer des normes nationales plutôt que

celles émanant d’une institution dont la légitimité n’est pas entièrement acceptée.

4- Quelle approche doit-on adopter, selon vous, face à la corruption ? Une

position ferme comme celle que prône Monsieur Paul Wolfowitz dans le cadre de

la Banque Mondiale, qui consiste à bloquer l’aide aux pays corrompus ? Ou doit-

on considérer que la corruption n’est pas un mal mais un symptôme qui

disparaîtra avec le développement du pays ?

Une position ferme sur la corruption peut sembler séduisante au premier abord car il

est certain que la corruption est un frein au développement de nombreux pays.

Mais la position consistant à bloquer l’aide aux pays corrompus est manifestement

excessive car c’est la population qui souffrira des fautes commises par son

administration.

Il convient de nuancer cette position et d’adapter les sanctions à la réalité socio-

économique du pays en gardant à l’esprit que la sanction ne doit pas causer un

préjudice supérieur à celui provoqué par la corruption.

Il n’est peut-être pas souhaitable d’avoir une définition uniforme de la corruption, il

faudrait sans doute appréhender la notion de corruption en tenant compte des

spécificités sociaux-culturelles propres à chaque pays. En effet de nombreuses

129

cultures notamment en Afrique sont centrées sur la notion de cadeau et de don. Une

vision ethnocentriste de cette réalité sociale peut conduire à analyser comme

corruption ce qui n’est qu’un mode de fonctionnement traditionnel d’une société.

Il ne doit donc pas exister une notion unique de corruption mais diverses approches

fondées sur la finalité plutôt que sur la matérialité de la chose remise.

5- Doit-on remettre en question à terme les Marchés Publics pour lutter

efficacement contre la corruption comme le souhaite ceux qui pointent du doigt le

lien entre corruption et interventionnisme ?

La corruption dans les marchés publics est exacerbée par l’ampleur des sommes

mises en jeux et parce qu’elle fût/est un mode notoire de financement des partis

politiques de tout bord. Pour autant mettre un terme au marché public semble

illusoire car l’Etat est devenu un acteur incontournable des relations économiques

internationales.

De plus, même si elle est moins médiatique, il existe également une corruption dans

les marchés privés, comme en témoigne la récente réforme du code pénal français qui

a correctionnalisé la corruption active ou passive de salarié d’une entreprise privée.

La dichotomie de traitement entre les marchés publics victime de la corruption et les

marchés privés exempts de corruption est une image d’Epinal qui ne reflète en aucun

cas la réalité du monde économique international.

6- Sur le plan des contrats publics à proprement parlé, ne pensez vous pas que la

lutte contre la corruption risque d’amener à un complexification du droit

applicable, nuisible à terme ? Comment pensez-vous que l’on puisse y remédier ?

On assiste à une sophistication de l’arsenal de surveillance et de répression en

matière d’achat public. Mais la lutte contre la corruption n’est pas la seule cause de

l’intensification du formalisme et de la complexification des modes de passation.

L’éclatement des sources juridique et notamment en Europe l’immixtion à grande

130

échelle du droit communautaire ultra formaliste est également à l’origine de cette

complexification.

La financiarisation accrue de la vie économique apparaît également comme un

facteur de développement de la corruption. En effet les possibilités matérielles de

satisfaire rapidement l’avidité ont décuplé ces dernières années, dès lors qu’avec le

développement de la sphère financière des capitaux circulent en masse à l’affût

d’opportunités.

Il faut sans doute retourner à l’élaboration de règles simples, cohérentes et

suffisamment souples pour englober diverses situations plutôt que de tout vouloir

réglementer. De plus le changement de nature de la croissance économique implique

sans doute un changement de nature de la problématique de la corruption. De

pathologique, celle-ci est devenue structurelle.

8- Pensez-vous que les partenariats Public-Privé puissent être un outil efficace

dans la lutte contre la corruption ? Pourquoi ?

Les partenariats publics privés ne sont pas un outil plus efficace que les autres de

lutte contre la corruption. Même s’ils impliquent une plus forte collaboration entre

l’entité publique et l’entité privée, il est toujours possible de mettre en place des

mécanismes de corruption que ce soit dans la phase du dialogue compétitif ou lors de

l’attribution du contrat de partenariat.

Malheureusement, il n’existe pas de remède miracle pour lutter contre la corruption,

en revanche une des solutions envisageables est la moralisation des rapports

transnationaux en sensibilisant et responsabilisant les acteurs économiques

internationaux.

La corruption comme d’autres maux n’est que le reflet d’une perte des valeurs

morales qui ont fait la force du capitalisme et d’une banalisation de ses

comportements sans véritables sanctions sociales.

131

ANNEXE N°6 : Entretien avec John Fawcett, responsable des questions de politique

internationale au sein du cabinet d’avocats new-yorkais Kreindler

and Kreindler :

1- Pensez-vous que les réglementations internationales en matière de lutte contre

la corruption soient réellement efficaces quand, selon la lettre de la transparence

de décembre 2006, les indices démontrent « la modestie des progrès enregistrés

en dépit de la multiplication des conventions internationales »?

C’est très difficile de déterminer dans quelle mesure les réglementations sont

efficaces. D’une part il y a clairement plus de corruption de nos jours qu’il n’y en a

jamais eu mais il y a aussi beaucoup plus de transactions internationales,

d’investissements, et de projets de développement qu’auparavant. Il y a aussi plus de

contrôle par la presse l’opposition politique ou les ONG. Les réglementations

internationales donnent une opportunité d’action aux gouvernements en leur

permettant de prendre des mesures s’ils le souhaitent.

Le problème est que très peu d’états interviennent effectivement pour adopter ce

genre de mesures.

Un autre problème que soulève l’existence d’un cadre réglementaire international est

que celui-ci donne une illusion de progrès.

2- Quelle est la prochaine étape ? Que manque t-il au niveau international pour

parvenir à un système efficace de lutte contre la corruption ?

Je ne vois aucune institution internationale qui puisse être établie ou renforcée pour

offrir un système efficace de lutte contre la corruption.

Comme pour les autres mécanismes mis en place au niveau international soit ils

souffrent de la lenteur administrative soit ils connaissent une efficacité limitée du fait

du manque de mesures concrètes.

C’est à l’échelle nationale que doivent être prises des lois qui prohibent la corruption

au niveau internationale.

Un domaine auquel il faudrait porter une plus grande attention est l’établissement de

paradis fiscaux comme les îles vierges britanniques, Chypres, le Liechtenstein etc.…

132

Ils se situent presque tous dans les pays occidentaux ou en sont très proches.

Un des plus grands remèdes à la corruption serait donc la disparition de ces paradis

fiscaux et la levée du secret bancaire encore en vigueur dans certains pays comme la

Suisse.

Selon moi l’industrie qui entoure le blanchissement d’argent est autant responsable

de la corruption que les leaders corrompus eux-mêmes.

3- Doit-on intensifier la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de

« crispation éthique » de la société ?

Oui, elle doit être intensifiée et même s’il y a des risques, non seulement éthique. Par

exemple en Arabie Saoudite qui est un pays dirigé par des Kleptocrates, les

allégations de corruption sont une arme puissante pour l’opposition dans le but

d’affaiblir le régime. Le problème est que l’opposition est constituée par des membres

ou sympathisants d’Al Qaeda. Le risque à ne pas traiter le problème de la corruption

est qu’il se disperse au-delà des frontières nationales. Prenons par exemple, l’affaire

« pétrole contre nourriture » dans laquelle 2000 entreprises issues de 100 pays se

sont retrouvées impliquées. Au cours des années 90, pendant que les échanges se

globalisaient rapidement, le programme de lutte contre la corruption des Nations

Unies était également florissant, et pas uniquement dans les pays émergents mais

également dans des douzaines de pays industrialisés. La corruption peut être perçue

comme un vice aussi bien que comme une maladie.

4- Quelle est la légitimité des organisations internationales pour agir et pour

sanctionner au titre de la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de

saper les initiatives locales ou de voir ces organisations s’éloigner de leurs

missions premières comme on a pu le reprocher à la Banque Mondiale ?

La légitimité provient des accords internationaux, traités et conventions, que les pays

ont signé et ratifié. Mais avoir la légitimité ne se traduit pas forcément par la

possibilité d’agir. C’est l’hypocrisie du système international. Je reviens sur ma

réponse au sujet de l’illusion de progrès. La plupart sinon tous les leaders politiques

nationaux aiment avoir des réglementations nationales en vigueur qui sont très

faiblement appliquées. Ainsi, ils peuvent prétendre avoir agit même si ces

133

réglementations ne sont pas suivies d’actes. La force provient des actions au niveau

national et non international. Cela peut être soit des réglementations contre les

citoyens d’un Etat ou des mesures prises par un Etat contre un autre. Je penses que la

plupart des gouvernements voient dans les réglementations internationales la

possibilité pour un Etat d’agir contre un autre mais pas la possibilité pour une

organisation internationale d’agir en leur nom.

5- Quelle approche doit-on adopter, selon vous, face à la corruption ? Une

position ferme comme celle que prône Monsieur Paul Wolfowitz dans le cadre de

la Banque Mondiale, qui consiste à bloquer l’aide aux pays corrompus ? Ou doit-

on considérer que la corruption n’est pas un mal mais un symptôme qui

disparaîtra avec le développement du pays ?

Je tend à être d’accord avec la ligne dure de la lute contre la corruption. Du moins

dans la plupart des pays subsaharien, il ne semble y avoir aucune limite à

détournement d’argent public vers la Suisse. En d’autres termes, il semble qu aucun

pays ne puisse se développer sans corruption. Cependant la Chine et l’Inde sont des

cas différents. Je n’en sais pas assez à leur sujet, mais allons-nous nous réveiller dans

20 ou 30 ans avec ces énormes et riches pays comme plus grands exemples de règles

de droit commercial, ou est-ce que l’économie globale connaîtra autant de corruption

que ce que connaît l’économie chinoise actuellement ?

6- Doit-on remettre en question à terme les Marchés Publics pour lutter

efficacement contre la corruption comme le souhaite ceux qui pointent du doigt

le lien entre corruption et interventionnisme ?

Certainement. Les seuls contrats américains en Irak sont emprunts de corruption, qui

sont autant de possibilités pour les détracteurs de critiquer le régime américain. Les

accords entre l’Angleterre, la France et l’Arabie saoudite sont de notoriété publique.

Les contrats de défense, qui parmi les différentes catégories de contrats d’ Etat sont

probablement les plus emprunts de corruption. Cependant les seules organes qui

peuvent remettre ceux-ci en question sont les gouvernements eux-mêmes.

134

7- Sur le plan des contrats publics à proprement parlé, ne pensez vous pas que la

lutte contre la corruption risque d’amener à un complexification du droit

applicable, nuisible à terme ? Comment pensez-vous que l’on puisse y remédier ?

Encore une fois, je ne penses pas que le renforcement des réglementations

internationales soit désirable ou possible. Mais les réglementations sont essentielles

pour l’action des gouvernements nationaux. Sans celles-ci nous serions probablement

en guerre à chaque désaccord.

135

Mathias PIGEAT

« La Corruption et les Contrats Publics Internationaux »