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Dimanche 1 er - Lundi 2 novembre 2015 - 71 e année - N o 22019 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur : Jérôme Fenoglio Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA jean-pierre léaud trône avec sa royale perruque sur un lit à baldaquin et dans le film de l’extravagant cinéaste catalan Albert Serra, héritier autoproclamé de Salvador Dali. Le film devrait s’appeler La Mort de Louis XIV, un premier rôle pour Jean-Pierre Léaud, qui n’en avait plus tourné depuis 2001. Accepter le rôle n’allait pas de soi : à l’origine, Albert Serra voulait installer le lit du Roi-Soleil dans une cage en verre suspendue dans le Centre Pompidou, Léaud a d’abord refusé. Le projet a évolué en court- métrage, puis finalement en long-métrage, mais qui a été tourné dans un temps extraordinairement court : deux semaines. A la fin du tournage, l’acteur de 71 ans a avoué à son agent avoir retrouvé l’énergie qu’il avait sur Les 400 Coups. A Versailles, une exposition spectaculaire met elle aussi en scène jusqu’au 1 er janvier les funérailles de Louis XIV, le 9 septembre 1715, dans une scénographie de l’architecte Pier-Luigi Pizzi, qui avoue s’être « amusé avec beaucoup d’ironie ». Le roi de 77 ans avait au mois d’août ressenti une vive douleur à la jambe gauche ; trois semaines plus tard, la gangrène avait gagné le corps entier. L’exposition fait avec faste et minutie le tour de la question, autopsie comprise. LIRE PAGES 18-19 Versailles nous est conté Jean-Pierre Léaud tourne « La Mort de Louis XIV », que Versailles enterre dans une belle exposition La guerre oubliée du Soudan du Sud Le Soudan du Sud n’est indépendant que depuis quatre ans, mais un quart de la population a déjà été déplacée de force ; la moitié est menacée de famine L’espérance de vie dans le plus jeune Etat du monde ne dépasse pas 55 ans, le taux d’alphabéti- sation est le plus bas de la planète Au moins 50 000 per- sonnes ont été tuées dans la guerre civile entre ethnies, 12 000 enfants ont été enrôlés de force dans les groupes armés 110 000 personnes vivent avec 80 g de céréales par jour dans le camp de Bentiu, le plus grand marécage du monde REPORTAGE DE BRUNO MEYERFELD P. 2-3 Le crépuscule des glaciers alpins Les relevés du glaciologue Olivier Sanchez sur le Taconnaz, en Haute-Savoie, le 14 octobre. BRUNO AMSELLEM/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » La mer de Glace a perdu 3,50 m d’épaisseur en un an La fonte des glaciers menace désormais les vallées LIRE PAGES 8-9 NOTRE-DAME-DES-LANDES LES TRAVAUX RELANCÉS À LA VEILLE DE LA COP21 LIRE PAGE 11 DE L’INDÉPENDANCE AU CAUCHEMAR LIRE PAGE 26 BRUNO LE MAIRE « NOUS AVONS ÉCHOUÉ À RÉSOUDRE LES PROBLÈMES » LIRE PAGE 10 RUGBY JULIAN SAVEA, L’ATOUT MAÎTRE DES ALL BLACKS LIRE PAGE 14 ils avaient tenté d’importer de la cocaïne du Chili en Europe dans des conteneurs de calamars congelés… Une brochette de dé- linquants aux cheveux blancs est jugée depuis lundi 26 octobre et jusqu’au 6 novembre par le tribu- nal correctionnel de Marseille. Parmi eux, aux côtés de figures du banditisme méridional, deux anciens « chimistes » et passeurs de l’âge d’or de la « French con- nection » de la fin des années 1960, aujourd’hui septuagénai- res, Laurent Fiocconi et Jo Signoli. Le procès de cette « papy connec- tion », dont la plupart des quinze prévenus ont dépassé les 65 ans, donne au tribunal des airs de maison de retraite : semi-surdité, arthrose… Un accusé s’appuie sur sa canne pour gagner la barre des prévenus, l’autre s’excuse de ses « besoins pressants ». Un troi- sième ne quitte pas son respira- teur et sa bouteille d’oxygène. luc leroux LIRE LA SUITE PAGE 12 LES PAPYS DE LA « FRENCH CONNECTION » FAISAIENT DANS LE CALAMAR PROCÈS Le déclin des crématoriums ÉCONOMIE L es crématoriums se sont multipliés en France. Ils n’étaient que neuf en 1980, contre 176 aujour- d’hui. Et une trentaine d’autres sont en projet. Les incinéra- teurs sont pour la plupart gé- rés par le privé, mais tous s’in- quiètent aujourd’hui pour leur équilibre financier. « Il faudrait peut-être se calmer, reconnaît la Fédération française de cré- mation, on a ce qu’il faut pour les besoins actuels. » La vague de la crémation semble en effet avoir atteint ses limites. L’incinération, qui ne représentait que 1 % des ob- sèques en 1980, en représente aujourd’hui le tiers – et même 47 % à Paris –, mais le chiffre est aujourd’hui stable. Le taux de crémations est passé de 34,1 % à 34,5 % en 2014. Le retour du religieux expli- que en partie le phénomène, mais pas seulement : 60 % des moins de 35 ans opteraient plu- tôt pour une inhumation, con- tre 50 % en 2007, selon un son- dage Ipsos de juillet. CAHIER ÉCO PAGE 4 TÉLÉVISION LE PASSIONNANT FACE-À-FACE PARIS-BERLIN SUR ARTE LIRE PAGE 21

Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

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Page 1: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

Dimanche 1er - Lundi 2 novembre 2015 ­ 71e année ­ No 22019 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

jean-pierre léaud trône avec sa royale perruque sur un lit à baldaquin et dans le film de l’extravagant cinéaste catalan Albert Serra, héritier autoproclamé de Salvador Dali. Le film devrait s’appeler La Mort de Louis XIV, un premier rôle pour Jean­Pierre Léaud, qui n’en avait plus tourné depuis 2001.

Accepter le rôle n’allait pas de soi : à l’origine, Albert Serra voulait installer le lit du Roi­Soleil dans une cage en verre suspendue dans le Centre Pompidou, Léaud a d’abord refusé. Le projet a évolué en court­métrage, puis finalement en long­métrage, mais qui a été tourné dans un temps extraordinairement court : deux semaines. A la fin du tournage, l’acteur de 71 ans a avoué à son agent avoir retrouvé l’énergie qu’il avait sur Les 400 Coups.

A Versailles, une expositionspectaculaire met elle aussi en scène jusqu’au 1er janvier les funérailles de Louis XIV, le 9 septembre 1715, dans une scénographie de l’architecte Pier­Luigi Pizzi, qui avoue s’être « amusé avec beaucoup d’ironie ». Le roi de 77 ans avait au mois d’août ressenti une vive douleur à la jambe gauche ; trois semaines plus tard, la gangrène avait gagné le corps entier. L’exposition fait avec faste et minutie le tour de la question, autopsie comprise.

→ L IRE PAGES 18-19

Versailles nous est conté▶ Jean­Pierre Léaud tourne « La Mort de Louis XIV », que Versailles enterre dans une belle exposition

La guerre oubliée du Soudan du Sud▶ Le Soudan du Sud n’est indépendant que depuis quatre ans, mais un quart de la population a déjà été déplacée de force ; la moitié est menacée de famine

▶ L’espérance de viedans le plus jeune Etatdu monde ne dépasse pas 55 ans, le taux d’alphabéti­sation est le plus bas de la planète

▶ Au moins 50 000 per­sonnes ont été tuées dans la guerre civile entre ethnies, 12 000 enfants ont été enrôlés de force dans les groupes armés

▶ 110 000 personnes vivent avec 80 g de céréalespar jour dans le camp de Bentiu, le plus grandmarécage du monde→ REPORTAGE DE BRUNO MEYERFELD P. 2-3

Le crépusculedes glaciers alpins

Les relevés du glaciologue Olivier Sanchez sur le Taconnaz,

en Haute-Savoie, le 14 octobre.BRUNO AMSELLEM/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

▶ La mer de Glace a perdu 3,50 m d’épaisseur en un an ▶ La fonte des glaciers menace désormais les vallées→ LIRE PAGES 8-9

NOTRE-DAME-DES-LANDESLES TRAVAUX RELANCÉS À LA VEILLE DE LA COP21→ LIRE PAGE 11

DE L’INDÉPENDANCE AU CAUCHEMAR→ LIRE PAGE 26

BRUNO LE MAIRE« NOUS AVONS ÉCHOUÉ À RÉSOUDRE LES PROBLÈMES »→ LIRE PAGE 10

RUGBYJULIAN SAVEA, L’ATOUT MAÎTREDES ALL BLACKS→ LIRE PAGE 14

ils avaient tenté d’importer de la cocaïne du Chili en Europe dans des conteneurs de calamars congelés… Une brochette de dé­linquants aux cheveux blancs est jugée depuis lundi 26 octobre et jusqu’au 6 novembre par le tribu­nal correctionnel de Marseille. Parmi eux, aux côtés de figures du banditisme méridional, deux anciens « chimistes » et passeurs de l’âge d’or de la « French con­nection » de la fin des années 1960, aujourd’hui septuagénai­res, Laurent Fiocconi et Jo Signoli. Le procès de cette « papy connec­tion », dont la plupart des quinze prévenus ont dépassé les 65 ans, donne au tribunal des airs de maison de retraite : semi­surdité, arthrose… Un accusé s’appuie sur sa canne pour gagner la barre des prévenus, l’autre s’excuse de ses « besoins pressants ». Un troi­sième ne quitte pas son respira­teur et sa bouteille d’oxygène.

luc leroux

→ L IRE L A SUITE PAGE 12

LES PAPYS DE LA « FRENCH CONNECTION »FAISAIENT DANS LE CALAMARPROCÈS

Le déclin des crématoriums

ÉCONOMIE

L es crématoriums se sontmultipliés en France. Ilsn’étaient que neuf

en 1980, contre 176 aujour­d’hui. Et une trentaine d’autressont en projet. Les incinéra­teurs sont pour la plupart gé­rés par le privé, mais tous s’in­quiètent aujourd’hui pour leur équilibre financier. « Il faudraitpeut-être se calmer, reconnaîtla Fédération française de cré­mation, on a ce qu’il faut pour les besoins actuels. »

La vague de la crémationsemble en effet avoir atteintses limites. L’incinération, qui ne représentait que 1 % des ob­sèques en 1980, en représente aujourd’hui le tiers – et même 47 % à Paris –, mais le chiffreest aujourd’hui stable. Le tauxde crémations est passé de 34,1 % à 34,5 % en 2014.

Le retour du religieux expli­que en partie le phénomène, mais pas seulement : 60 % des moins de 35 ans opteraient plu­tôt pour une inhumation, con­tre 50 % en 2007, selon un son­dage Ipsos de juillet.

→ CAHIER ÉCO PAGE 4

TÉLÉVISIONLE PASSIONNANTFACE-À-FACEPARIS-BERLINSUR ARTE→ LIRE PAGE 21

Page 2: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

2 | international DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

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Des déplacés cherchent des membres de leur famille sur un registre de la Croix-Rouge.

Les récits hallucinés de l’enfer sud-soudanaisA Bentiu, les Nations unies ont ouvert un camp où survivent des dizaines de milliers de réfugiés, dans un dénuement absolu

REPORTAGE

bentiu (soudan du sud) - envoyé spécial

Nykume joint ses mains der­rière la tête. Allongée, l’ado-lescente au regard doux sou-rit, paisible, dans sa petite

robe noir et blanc. Elle s’évade, pense àson village, dans le comté de Guit : ce là-bas, perdu dans le nord du Soudan du Sud, où « l’herbe est très verte », où « il y a beaucoup de vaches ». A 13 ans, Nykume a beaucoup de rêves et une cicatrice laisséepar une balle dans la jambe.

La jeune fille n’a plus pour horizonqu’une tente en toile, cinglée par la pluie, salie par la boue. Elle vit dans un hôpital de fortune, en bordure du camp de dépla-cés de Bentiu, glauque mouroir d’enfants,de malades et de blessés. A l’intérieur de l’abri, il fait 40 degrés.

Nykume, connaissait-elle ses as-saillants ? Non. « Ils avaient des pistolets.On rentrait à la maison en famille, quand ils nous ont tiré dessus. Mon frère a été tué,je me suis évanouie », raconte la jeunefille. Quel âge avaient-ils ? « Pas loin dumien. » Peut-être 15 ans. Pas plus de 18.

« Welcome to Paradise », ironise un sol-dat de l’ONU. Bienvenue au Soudan du Sud, où des adolescents tirent sur des gamines. Bienvenue dans le plus jeune Etat du monde, indépendant depuis seu-lement 2011, où un quart de la populationa déjà été déplacé de force, la moitié me-nacée de famine, avec une espérance devie de 55 ans et le taux d’alphabétisation le plus bas de la planète.

Bienvenue à Bentiu. Depuis décem-bre 2013, et le début de la guerre civile, la

petite ville pétrolière, capitale de la pro-vince d’Unité, est devenue l’un des pointsbrûlants du conflit qui oppose les rebellesfidèles à l’ancien vice-président Riek Ma-char, majoritairement issus de l’ethnienuer, aux forces du chef de l’Etat Salva Kiir, de la communauté dinka. La Missiondes Nations unies au Soudan du Sud(Minuss) y a ouvert son plus grand camp de protection des civils, accueillant danssa base militaire des dizaines de milliersde Nuer, fuyant l’offensive des troupes dugouvernement.

Depuis le ciel, vu des hélicoptères del’ONU, le camp ressemble à un vaste cime-tière. Baraques et tentes gisent comme des tombes allongées au milieu de l’infiniverdoyant du Sud, le plus grand marécageau monde, où se perdent la moitié des eaux du Nil, et les espoirs du plus jeune pays du monde.

« Beaucoup de gens ont faim »

« Si nous n’avions pas ouvert ce camp, je nesais pas ce qu’il se serait passé », souffleNuma Shams, coordinateur canado-ban-gladais de la Minuss pour l’Etat d’Unité. Ces camps de protection des civils, ou PoC, ont été créés afin d’éviter un nou-veau Rwanda ou une répétition du mas-sacre de Srebrenica, en Bosnie-Herzé-govine. Mais « il n’y a pas de route, tout doit venir par avion. C’est très compliqué et très cher », déplore le coordinateur.

Les réseaux mobiles et Internet fontégalement défaut. On vit là dans l’oubli,cerné par le bruit des climatiseurs, les re-gards inquiétants des marabouts et le cla-potement des trous boueux, où s’entas-sent les blindés et les conteneurs rouillés de l’ONU. Bentiu hurle la solitude, la para-noïa. En février, une humanitaire cana-dienne y a été violée.

L’après-midi, un soleil blanc, brûlant,s’abat sur le camp. En quelques semaines,la population y a doublé, passant de50 000 à plus de 110 000 déplacés. Depuisle mois de juin, Médecins sans frontières (MSF) a traité près d’un tiers du camp contre le paludisme. Entre les baraques detôles et de bois, le long des pistes blanchesrectilignes et des chemins de boue, des enfants miséreux, innombrables, jouent, se baignent dans les tranchées, errent sans but ou s’effondrent au sol, inanimés.

L’eau manque, la nourriture aussi.« Beaucoup de gens ont faim, il n’y a pres-que rien à manger », explique Matiek, grand Nuer de deux mètres, arrivé au camp il y a un an et demi, et qui tient uneéchoppe sur le marché du camp. Sa belle-sœur a débarqué le jour même, avecses cinq enfants. Il va falloir les nourrir : ça l’ennuie beaucoup. « On n’a le droit qu’àun gros sac de sorgho par mois, quicontient à peine plus de 80 grammes decéréale par personne par jour : et c’est tout.Quand tu entres chez des gens ici, tu nevois jamais de nourriture. »

La nuit, des coups de feu résonnent en-core à l’intérieur du camp. MSF recueille en moyenne deux femmes violées cha-que semaine. « Mais vu l’humiliation et la stigmatisation que cela représente dans laculture locale, nous ne recevons qu’unetoute petite partie des femmes ayant survécu à des violences sexuelles, se désoleLuigi Pandolfi, le coordinateur de MSF pour Unité. La plupart ne viennent pas nous consulter. »

Pour mener son offensive dans l’Etatd’Unité, l’armée fidèle au président Salva Kiir, la Sudan People Liberation Army (SPLA), s’est alliée à une tribu nuer de la région, qui lui est restée fidèle : les Bull Nuer. « Ils sont tous passés devant le cample 16 juin, se souvient un humanitaire, encore sous le choc. Ils étaient 6 000, des enfants, entre 13 et 25 ans, armés de lances,de pistolets, et quelques AK-47. Ils occu-paient toute la route. Ils étaient si nom-breux qu’ils ont mis deux heures à passer. »

Joli collier, petites boucles d’oreille,Martha est un peu l’élégante du camp. Sur ses ongles, elle a mis du vernis rose,écaillé par la marche pieds nus et la pous-sière brûlante. Son village, dans le comté de Koch, à une centaine de kilomètres au sud de Bentiu, a été attaqué au début de l’été par l’armée gouvernementale. « Les soldats de la SPLA tiraient sur tout lemonde, sans distinction, même sur des en-fants de 3 à 5 ans. Ils ont brûlé toutes lesmaisons, ils poussaient les gens dedans,avant d’y mettre le feu. » Martha comptesur ses doigts : elle a perdu ses trois frères.En une seule journée.

Juchées sur des blindés, aidées par lesenfants soldats Bull Nuer, les troupesgouvernementales ont poursuivi les ha-bitants du village, qui tentaient de fuir dans les marécages. « Le jour de l’attaque,

mon fils gardait les vaches », raconte Mary, une amie de Martha, elle aussi originaire de Koch. « Quand les SPLA ontattaqué, il a essayé de protéger le troupeauet de s’enfuir. Les soldats l’ont poursuivi, l’ont tué, et ont emporté le bétail. » Pours’assurer de bien avoir achevé les enfants,les blindés roulaient sur les cadavres après leur avoir tiré dessus. « Il avait10 ans », murmure Mary.

Martha pointe le sol du doigt. « Ils te di-saient de t’allonger par terre, devant toutle monde. Ils violaient les femmes en pu-blic. Si tu refusais, on te tuait », raconte-t-elle. Ni les fillettes ni les grands-mères n’ont été épargnées. « Il y avait même des femmes qui étaient là, les épouses des mili-taires. Elles dépouillaient les cadavres,

prenaient leurs vêtements et les objets de valeur. Les corps étaient laissés nus »,raconte Martha.

Les massacres ont payé : le gouverne-ment a progressé dans le nord de l’Etat,vidé de sa population. Les Bull Nuer ont eu droit de pillage, emportant des vaches par milliers, mais aussi des enfants, utili-sés comme porteurs ou esclaves, et des femmes, emmenées de force dans des camps. Les chanceux ont rallié à pied le camp Bentiu, au bout de trois, quatre,cinq, parfois neuf jours de marche. Lesautres, par milliers, se cachent encore dans le « bush », se nourrissant de nénu-phars et de fleurs sauvages, lapant le marécage et attendant avec angoisse les largages de nourriture des humanitaires, délivrés par avion, qui tombent souventdirectement dans l’eau.

Violence incrustée dans le crâne

Où étaient les combattants rebelles pour protéger les villages de Koch et de Guit ? Où étaient les hommes ? Partis. Dès qu’elles ont appris l’offensive, les troupes rebelles se sont retirées dans les marais. AUnité, la SPLA n’a d’ailleurs pas le mono-pole des atrocités. En mai 2014, la rébel-lion massacrait à Bentiu plus de 200 per-sonnes, réfugiées dans l’hôpital et lamosquée de la ville, laissant, selon les

« Les soldats

de la SPLA ont brûlé

toutes les maisons,

ils poussaient les gens

dedans, avant

d’y mettre le feu »

MARTHA

réfugiée au camp de Bentiu

LES CHIFFRES

11,5 MILLIONS d’habitants

c’est la population de l’Etat le plus jeune du monde, qui a proclamé son indépendance en juillet 2011. Depuis 2013, le pays est plongé dans un état de guerre quasi permanent.

ENTRE 2 ET 2,5 MILLIONSde déplacés

c’est le nombre de personnes contraintes au déplacement par le conflit. Près de 650 000 ont dû quitter le Soudan du Sud.

12 000enfants

c’est l’estimation du nombre d’enfants qui auraient été enrôlés comme soldats par des groupes armés.

50 000morts

c’est le nombre officiel de victi-mes du conflit. Mais les humani-taires sur le terrain estimentqu’il pourrait être bien supérieur.

Des mères et leurs enfants attendent de consulter à la clinique installée par Médecins sans frontières, dans le camp de Bentiu. PHOTOS DIANA ZEYNED ALHINDAWI

POUR « LE MONDE »

L’ E F F O N D R E M E N T D U S O U D A N D U S U D

Page 3: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 international | 3

« L’indépendance n’a pas été un décollage, mais un crash »

juba (soudan du sud) -

envoyé spécial

Le ministre s’excuse :« Nous n’avons pas d’élec-tricité aujourd’hui. »Kuong Danhier Gatluak,

chargé des routes et du transport au sein du gouvernement sud­soudanais, n’a droit, pour tra­vailler, qu’à la blanche lumière du soleil de Juba. Dans ses bureaux, ilmanque des pieds aux chaises, lesmurs craquent… Quatre ans aprèsl’indépendance, le pouvoir est toujours hébergé dans des préfa-briqués. Les rares fonctionnaires s’ennuient, s’en vont chez eux ou font la sieste dès le début del’après-midi.

« Mon budget a baissé des troisquarts en deux ans, se lamente le ministre. Je n’ai pas assez d’argent pour construire de nouvelles rou-tes ni même pour entretenir cellesqui existent. » Derrière une porteen verre, trône la statue de John Garang, le père de la nation, dis-paru dans un accident d’hélicop-tère en 2005. Une effigie couverte de poussière, oubliée de tous.

« L’indépendance, le 9 juillet 2011,n’a pas été un décollage, mais uncrash », explique Edmund Yakani,le directeur du CEPO, une organi-sation œuvrant pour la réussite du processus de paix à Juba. De-puis décembre 2013, le Soudan du Sud est ravagé par la guerre civile, opposant les troupes du présidentSalva Kiir, d’ethnie dinka, aux par-tisans de son ancien vice-prési-dent, Riek Machar, d’ethnie nuer,et tenu à bout de bras par 12 000casques bleus de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (Minuss) et des dizaines d’ONG.

Pour beaucoup, dont Médecinssans frontières, le Soudan du Sud est la plus grosse opération hu-manitaire du moment, dépassantmême la Syrie. Dans les rues de la capitale slaloment d’innombra-bles véhicules d’humanitaires, dévalant les rues en direction de l’aéroport. Là-bas les attendentun véritable pont aérien, une ar-mada d’avions et d’hélicoptères, emmenant humanitaires, vivreset militaires aux quatre coins du pays. Juba 2015, comme un air de Berlin 1948.

Il y a urgence. Près d’un quart dela population a dû fuir sa maison, la moitié est menacée de famine,et davantage encore dépend de l’aide humanitaire. Un accord de paix a pourtant été signé le26 août. « Mais il n’y a aucune chaîne de commandement et les ordres ne sont pas suivis d’effetssur le terrain », explique EdmundYakani. Au Soudan du Sud, on se bat, cessez-le-feu ou pas : dans la ville de Leer, dans le nord du pays,que la Croix-Rouge et MSF ont dû évacuer en urgence début octo-bre ; à Malakal, au nord-est, dansl’Etat du Nil Supérieur, que l’ar-mée gouvernementale a bom-bardé en septembre ; et même à Western Unity, dans le sud, pour-tant préservé jusqu’à présent.

Dans le camp de protection descivils (PoC) de l’ONU, de Juba, dis-simulé derrière les collines, s’en-tassent toujours 28 000 civils, majoritairement issus de l’ethnienuer. Dès le matin, un petit groupe se forme autour d’une ta-ble, où un téléphone portable per-met à quelques dizaines de per-sonnes d’appeler leurs proches, perdus à l’autre bout du pays : trois minutes maximum. Une jeune femme, dents du bonheurmais sans sourire, ressort sou-cieuse : « Je n’ai pas réussi à joindre

ma famille, mes cinq enfants et magrand-mère qui sont dans les ma-récages, vers Leer. Ils n’ont pas de nourriture. Je n’ai aucune nouvelle depuis le mois d’août. »

Sept journalistes assassinés

Le gouvernement, contraint de si-gner l’accord de paix sous les me-naces de sanctions internationa-les, traîne des pieds, et l’arméesud-soudanaise du SPLA ne sem-ble pas pressée de quitter la capi-tale, comme l’exige pourtant le texte. Le 2 octobre, Salva Kiir a an-noncé le passage du nombre d’Etats du pays de dix à vingt-huit,ruinant le compromis trouvé avec les rebelles, négocié à partir de la carte administrative actuelle du Soudan du Sud. « Je n’ose pas sortir du camp, explique Moses Kuet, Nuer ayant trouvé refuge au PoC Juba, frissonnant au souvenir des massacres commis par les Dinka dans la capitale, en décembre 2013.Dehors, on n’a aucune protection. J’ai peur. La nuit, on peut se faire en-lever et même se faire tuer. » De-puis le début de l’année, sept jour-nalistes ont également été assassi-nés au Soudan du Sud.

L’économie nationale, qui re-pose exclusivement sur le pétrole,est à la dérive. La plupart des puits,situés dans les zones de combat, sont aujourd’hui à l’arrêt. Avant la guerre, le gouvernement tirait quelque 200 millions de dollars mensuels (182 millions d’euros) dela vente de l’or noir, selon le jour-nal spécialisé MEES. Aujourd’hui, ses revenus issus du pétrole tour-neraient autour de 28 millions.

Au marché de Konyo Konyo, àJuba, les oignons viennent de Tan-zanie, les haricots d’Ouganda, les cigarettes de Khartoum. « Ce pays ne produit rien ! », s’énerve Felix Lasu, qui vend de gros sacs de fa-rine de maïs. « La livre sud-souda-naise s’échange à un peu plus de 3 dollars au taux officiel, contre cinqfois plus sur le marché noir. Et comme je dois acheter toute ma marchandise à l’étranger en dol-lars, tout est hors de prix ! » L’infla-tion a atteint les 60 % au mois d’août. « Ce pays n’a pas de route, pas d’argent, plus de pétrole, pas de consommateurs. Ce n’est pas juste que l’économie s’écroule : il n’y a pasd’économie ! », dit le commerçant.

Menacées par le gouvernement,attaquées par des bandes armées à Juba, les ONG perdent patience.Certaines envisagent même departir. Les Sud-Soudanais peu-

vent-ils au moins s’en remettre à Dieu ? Le révérend William Mou Deng, qui officie à l’église épisco-pale de Juba, n’en est même plustrès sûr. « Ceux qui se sont enrichis depuis l’indépendance, au lieu d’aider le pays, volent davantage encore depuis qu’ils sont au pou-voir. » L’homme de foi le rappelle :soixante années de guerre, contrele Nord, puis entre sudistes, ontravagé les esprits d’une popula-tion sans information et sans éducation, dont à peine un quart des membres sait lire et écrire. « Nous aimerions construire des écoles mixtes, dinka et nuer, mais, aujourd’hui, c’est impossible », s’attriste-t-il. La pluie passée, le ré-vérend raccompagne le visiteur. L’œil incertain, il souffle : « Dans ce pays, vous savez, il n’y a plus beaucoup de morale. » p

b. me.

Bor

Guit

Koch

Leer

Malakal

ÉTHIOPIE

RÉPUBLIQUE

CENTRAFRICAINE.

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE

DU CONGOOUGANDA

KENYA

SOUDAN

250 km

SOUDAN DU SUD

Juba

Nil B

lan

c

Bentiu

Un soldat de la Minuss, qui compte 12 000 casques bleus.

La plupart des

puits de pétrole,

situés dans les

zones de combat,

sont aujourd’hui

à l’arrêt

mots mêmes de l’ONU, des « piles de corps » derrière son passage.

« C’était pour nous venger des autresmassacres ! », réagit Koang. Ce combat-tant rebelle de 39 ans est arrivé récem-ment au camp de Bentiu, marchant de-puis Leer, la ville natale de Riek Machar, au centre de l’Etat, où les combats entregouvernement et rébellion font toujours rage, afin de soigner sa femme enceinte, qui perdait du sang depuis plusieurs semaines. « C’est le gouvernement qui acommencé à nous attaquer. Ils nous tuent,car nous sommes fidèles à Riek Machar.D’ailleurs, à Leer, le jour de l’accord de paix,ils ont tué au moins quatre personnes »,enrage-t-il.

Koang sourit en parlant des ruines, despendus, des cadavres. La souffrance n’est pas une idée neuve au Soudan du Sud, oùl’on se bat quasiment sans interruption depuis le milieu des années 1950. Elle est inscrite dans la chair même de Koang, dont le front est zébré de six scarifica-tions rituelles des Nuer. Une violence intégrée au corps, incrustée dans le crâne.« Dès que ma femme ira mieux, je retour-nerai me battre », assure le combattant. Unité sera-t-il l’Etat de la désunion ? « Les Dinka et les Nuer ne peuvent plus vivre ensemble. » p

bruno meyerfeld

FINALISTE DU

GONCOURTTOBIE NATHANCe pays qui te ressemble

«Une truculente liberté. »Eglal Errera, Le Monde des livres

«Un récit captivant. »Mohammed Aïssaoui, Le Figaro littéraire

«On est ensorcelé. »Patrick Williams, Elle

«Une fresque haute en couleurs,en saveurs, en odeurs. »

Claire Lesegretain, La Croix

«Des talents de conteurs. »Jeanne de Ménibus, Le Figaro Magazine «Tobie Nathan est

le scribe et le poète. »Frédéric Pagès, Le Canard enchaîné

« Des pages enflammées,réminiscences des grands poètes arabes. »

Marc Séfaris, Transfuge

«Une saga historique dense et intense. »Christine Ferniot, Lire

«Le plus beau livre de Tobie Nathan. »Christian Makarian, L’Express

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4 | international DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

A Cizre, les Kurdes prêts à la guerre contre ErdoganA la veille des élections turques, la région menace de s’embraser

REPORTAGE

cizre (turquie) - envoyé spécial

Dans la nuit humide, enhaut d’une rue ruisse-lante de boue, unjeune homme monte

la garde. Armé d’un fusil d’assaut,arborant un manteau militaire et un gilet de combat alourdi dechargeurs à trente coups et de gre-nades, il tient le point de contrôle qui barre l’une des entrées du quartier de Cudi, sur les hauteurs de Cizre, dans l’est de la Turquie.

Sous le drapeau rouge du Partides travailleurs du Kurdistan (PKK), adossé à une casemate aux épais murs de sacs de sable, où une mitrailleuse légère et un lan-ce-roquettes sont entreposés dans des couvertures à fleurs, le jeune milicien inspecte chacune des automobiles qui se présentepour s’assurer de l’identité des oc-cupants. Si, sur les avenues du centre-ville tout proche, les véhi-cules blindés des forces de sécu-rité turques patrouillent sans dis-continuer, les rues de Cudi appar-tiennent aux combattants kurdes.A la veille des élections législati-ves anticipées turques, qui ont lieu dimanche 1er novembre, rè-gne dans cette partie de la villeune atmosphère d’avant-guerre.

Cinq mois après les élections du7 juin, marquées par la percée du Parti démocratique des peuples(HDP, gauche, prokurde) et par l’affaiblissement du Parti de la justice et du développement (AKP,islamo-conservateur), au pouvoir

depuis treize ans, le retour aux ur-nes, consécutif de l’échec des ten-tatives de formation d’un gouver-nement de coalition, intervient dans une Turquie au bord duchaos. Avec l’éclatement du pro-cessus de paix lancé en 2013 entreAnkara et PKK, et la reprise des hostilités fin juillet, s’est installé dans les régions kurdes un état deviolence qui s’est manifesté à Ci-zre avec une intensité singulière.

Parsemés d’impacts de balle,éventrés par des trous d’obus etpar des roquettes, les murs du quartier de Cudi portent encore les stigmates des combats qui y ont opposé, du 4 au 12 septembre, les forces de sécurité turques, ap-puyées par l’armée, aux militants kurdes qui s’y étaient retranchés.Au cours de ce siège de neuf jours où la population a été privée de nourriture, d’eau et de d’électri-cité, seize civils ont trouvé la mort, dans une ville de 145 000 habitants alors coupée dureste du monde.

Des barricades aux fortifications

« Quand l’ennemi a attaqué, nousn’étions pas assez préparés », re-connaît Ahmet, un commandantlocal chargé d’un des secteurs de Cudi. « Elections ou pas, nous som-mes maintenant prêts à menerune bataille de grande ampleur. L’Etat ne reviendra plus dans nos rues pour arrêter nos camarades et tuer nos familles. »

Depuis la fin du siège, les jeunesmilitants issus des quartiers deCizre ont été rejoints en masse par

renforcé. Quel que soit le résultatdu vote, l’issue la plus probable,c’est la guerre », prévient un com-battant répondant au nom de code de « Bager ». Le constat que fait ce jeune commandant de la guérilla, qui affirme avoir com-battu au sein des forces kurdes af-filiées au PKK affrontant l’Etat is-lamique dans la Syrie voisine,

avant d’être déployé dans le quar-tier de Cudi, est largement par-tagé par les responsables politi-ques et par les habitants de la ville. A Cizre, où le HDP a obtenu 92 % des voix, le 7 juin, le mouve-ment kurde espère cependantune participation massive de lapopulation et une augmentation de son score.

« Nous participons aux électionspour montrer notre poids, mais, ici, nous ne reconnaissons plus la République turque. Nous savonsqu’au fond l’Etat veut la guerre, et s’il veut la guerre, nous la voulonsaussi », explique une responsablelocale du HDP. De fait, le mouve-ment kurde a déjà proclamé une des nouvelles institutions « auto-nomes » chapeautées par une « as-semblée du peuple ». Etablies dans plusieurs quartiers de la ville ettenues par des cadres politiques

du mouvement venus de l’exté-rieur, elles sont calquées sur cellesmises en place dans les régions kurdes de Syrie par le PKK.

Dans le centre-ville, encoreépargné par ces préparatifs insur-rectionnels, Yakup, qui travaille au lycée de Cizre, a perdu espoir. « Cela fait trente ans que nous, les Kurdes, sommes pris entre le PKKet l’Etat turc. Je crains que cela con-tinue et que ce soit pire qu’aupara-vant car, maintenant, la guerre est entrée dans les villes, et les civils sont directement impliqués. »

Entre les fantasmes guerriers desplus jeunes, la colère qui croît face à un Etat perçu par beaucoup comme une force d’occupation et les ambitions du mouvement armé, les habitants de Cizre crai-gnent de se trouver emportés dansune mécanique irréversible. p

allan kaval

Des membres du YDG-H, la guérilla urbaine du PKK, le 30 octobre, à Cizre. EMILIEN URBANO/MYOP POUR « LE MONDE »

« L’AKP ne pourra plus gouverner seul »A Eskisehir, en Anatolie centrale, le clientélisme des islamo-conservateurs a excédé les milieux industriels, proches des kémalistes

eskisehir (turquie) -

envoyée spéciale

V ille de l’Anatolie centralesituée à 320 km d’Is-tanbul, Eskisehir est sus-

pendue à ce qui va se passer après les législatives de dimanche 1er no-vembre. Administrée par les ké-malistes du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche, laï-que), Eskisehir sait que le règne des

islamo-conservateurs du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002, touche à sa fin. « La période de l’AKP comme maître incontesté du jeu politique est terminée. Il ne pourra plus gouverner seul, il vaêtre obligé de composer », expliqueKazim Kurt, maire du quartier his-torique d’Odunpazari. Crédités de 37 % à 43 % des voix, les islamo-conservateurs devront former une

coalition. Le scénario le plus pro-bable, celui d’un attelage AKP-CHP,risque néanmoins d’être de courtedurée : « La coalition pourrait se défaire assez vite, parce que l’AKP n’a jamais été un parti démocrati-que, ses membres n’ont aucun sens de la négociation, sa culture politi-que est fondée sur la soumission auchef. Voilà pourquoi je pense qu’il n’y a pas de coalition possible avec l’AKP », déplore le maire, assis sous un portrait d’Atatürk.

Il en est sûr, « tout est possible, carle but poursuivi par M. Erdogan est d’effacer le scandale de corruption qui a éclaboussé son entourage en décembre 2013 ». A l’époque, cin-quante-trois suspects avaient été interpellés lors d’un vaste coup de filet anticorruption, qui avait ébranlé l’ensemble du gouverne-ment, y compris le premier minis-tre de l’époque, Recep Tayyip Erdo-gan, aujourd’hui président.

Située sur le trajet du train rapideIstanbul-Ankara, Eskisehir tire sa prospérité de son dynamisme in-dustriel et des cours par corres-pondance dispensés par ses uni-versités à 1 400 000 inscrits. Avec ses espaces verts, ses canaux et sesponts, son opéra, son orchestre symphonique, la ville a un petit airde Venise de l’Anatolie.

« La Turquie doit regarder versl’Ouest », assure le maire de la « grande ville », Yilmaz Büyüker-sen. A 77 ans, cet universitaire, éco-nomiste de formation en est à son quatrième mandat. C’est à son ini-tiative que la cité est devenue une ville dynamique où il fait bon vi-vre. Les Ankariotes aiment à y faire

halte, l’été, pour goûter la fraîcheurdes parcs ou se prélasser sur la vaste plage artificielle aménagée à la périphérie.

Le maire et professeur Büyüker-sen espère que les élections ver-ront la fin de l’impasse politique dans laquelle le pays est plongé de-puis que l’AKP a perdu sa majorité parlementaire aux législatives du 7 juin. « Le message envoyé alors par les électeurs était clair, ils vou-laient une coalition, malheureuse-ment l’AKP et le président ont tout fait pour ne pas comprendre cette réalité, ils ont ramené la Turquie à des élections qui n’avait pas lieu d’être », assure-t-il.

Un vent d’optimisme

Le gouvernement accumule les bourdes : « Ils effraient les milieux d’affaires en utilisant les impôts comme une épée de Damoclès, la li-berté de la presse est bafouée, le sys-tème judiciaire a besoin d’une sé-rieuse réforme, tout comme l’édu-cation, et la politique étrangère doit changer de A à Z. On a bien vu qu’ils essayaient de faire de la Tur-quie un pays du Moyen-Orient, un pays arabe. »

Forte de la présence de 650 entre-

prises (textile, électroménager, composants pour l’industrie aéro-nautique, agroalimentaire) la zoneindustrielle fait la fierté de la ville. Comme toujours en Turquie, tout repose sur les PME. A l’usine de jantes JMS, les affaires marchent. Robotisée, modernisée, l’usine a ses carnets de commandes bien remplis. La dépréciation de la livre turque, qui a perdu 30 % par rap-port au dollar depuis le début de l’année, n’a eu aucun effet sur elle, car l’essentiel de sa production est exportée vers l’Europe, les Etats-Unis et l’Australie.

Lorsque le directeur technique,Ertugrul Zeytinoglu, a été embau-ché à l’usine en 1994, « [il n’y

avait] qu’un seul client, une entre-prise de camions située à Izmir.Aujourd’hui, les commandes af-fluent du monde entier ». Lui aussicroit aux vertus d’une coalition.

« Deux partis aux manettes, c’estmieux qu’un. Il y a moins de déri-ves possibles, car ils se surveillent mutuellement », renchérit Ali Ih-san Karamanli, directeur du cen-tre pour les innovations techno-logiques de la zone industrielle. « Nos politiciens ont bien comprisce qui avait été perdu entre le 7 juinet le 1er novembre. En tant que pré-sident de la chambre de commerced’Eskisehir, je suis moi aussi favo-rable à une coalition », assure Me-tin Güler.

La fin de l’hégémonie de l’AKP estvécue comme un véritable soula-gement par les milieux d’affaires, mécontentés par le clientélisme des islamo-conservateurs et la propension de l’homme fort du pays à imposer son projet d’« hy-perprésidence ». Ce petit ventd’optimisme a permis à la livre tur-que de gagner 4 % en octobre par rapport au dollar.

A Eskisehir, les hommes d’affai-res veulent en finir avec le « sys-tème AKP ». « Ne me citez pas, ils se-raient capables de me coller un con-trôle fiscal. Au début ils géraient bien, mais désormais ils n’ont plus qu’un seul souci : préserver le royaume ! », confie un entrepre-neur prospère, soucieux d’anony-mat. Et si la coalition s’avérait im-possible ? Irait-on vers un troi-sième scrutin ? « Ce serait la mort de l’AKP », prévient-il. p

marie jégo

des cadres et des combattants aguerris du PKK, qui patrouillent avec eux dans les rues, kalach-nikov en bandoulière. A Cudi comme dans d’autres quartiers passés sous le contrôle du PKK, leur armement et leur équipe-ment sont ceux d’une milice ur-baine prête à défendre son terri-toire. Les barricades qu’ils oppo-saient cet été à la police se sont transformées en fortifications. Aux points stratégiques, deux à trois barrages de sacs de sable, hauts de plus de deux mètres, ren-forcés par des blocs de béton etéquipés de postes de tir, ver-rouillent les accès.

« Si nous entrons au Parlement,Recep Tayyip Erdogan nous atta-quera à nouveau, car il n’accepterajamais de quitter le pouvoir. Sil’AKP gagne des voix, il nous atta-quera aussi puisqu’il en sortira

SYRIE IRAK

IR

Mer Noire

Mer

Méditerranée 200 km

Istanbul

Ankara

GÉORG.

RUSSIE

BULG.

ARM.

Cizre

TURQUIE

Eskisehir

Sanliurfa

Zones de peuplement kurde

« On a bien vu

qu’ils essayaient

de faire de la

Turquie un pays

du Moyen-Orient,

un pays arabe »

YILMAZ BÜYÜKERSEN

maire d’Eskisehir

Deux hommes décapités à Sanliurfa

Un jeune militant syrien hostile au groupe Etat islamique, Ibra-him Abdelkader, et un de ses amis, Farès Hamadi, ont été retrou-vés décapités vendredi 30 octobre dans une maison à Sanliurfa, dans le sud de la Turquie, a annoncé à l’Agence France-Presse le groupe « Rakka se fait massacrer en silence », qui répertorie les abus de l’EI dans son fief syrien. Tous deux étaient âgés d’une vingtaine d’années et étaient originaires de Rakka.

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0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 international | 5

A Vienne, le sort d’Assad divise les puissancesLes participants au sommet de vendredi se sont entendus sur plusieurs points, sans masquer leurs désaccords

vienne - envoyée spéciale

L’issue politique de laguerre qui fait rage enSyrie depuis plus dequatre ans est encore

lointaine. Mais vendredi 30 octo-bre, dans les salons de l’hôtel Im-périal à Vienne, en Autriche, un petit espoir est né de voir un pro-cessus débuter. La présence iné-dite de l’Iran pour échanger avecson rival saoudien et quinze autres pays, ainsi que l’Union européenne (UE) et les Nations unies, a été jugée en soi « posi-tive ». « Il y a des points de désac-cord, mais nous avons suffisam-ment avancé pour que nous nous retrouvions dans la même confi-guration, dans deux semaines », a commenté le ministre françaisdes affaires étrangères, Laurent Fabius.

Les participants se sont enten-dus a minima sur plusieurs points : le respect de l’unité de laSyrie, l’intégrité de ses institu-tions, un cadre pour l’instaura-tion d’un cessez-le-feu, la relance de négociations entre le gouver-nement et l’opposition et la tenuede nouvelles élections. Sur l’es-sentiel, en revanche, le sort duprésident Bachar Al-Assad, lesEtats-Unis, la Russie et l’Iran « se sont mis d’accord pour être en dé-saccord », a concédé le secrétaire d’Etat américain, John Kerry.

Une semaine après la réuniondu 23 octobre entre les Etats-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite et la Turquie, M. Kerry est revenu àVienne avec un projet de commu-

niqué détaillé. Parmi les partenai-res occidentaux et proche-orien-taux de l’opposition syrienne convoqués vendredi matin avantla plénière par M. Fabius, l’accueil a été plus que réservé. « Les com-mentaires ont été aimables mais fermes pour dire qu’ils n’accepte-ront pas n’importe quoi des Russes et surtout des Iraniens », indique un diplomate. L’Arabie saoudite, leQatar et la Turquie ont argué de l’impossibilité d’imposer à l’oppo-sition un accord qui ne prévoirait pas le départ de M. Assad. Seule in-flexion depuis le début de l’inter-vention russe en Syrie, fin septem-bre : le départ du président syrien n’est plus requis comme un préa-lable. « Il faudra à un moment ou à un autre qu’il ne soit plus dans cetteposition », dit-on côté français.

« Echanges virils »

M. Kerry a eu beau rappeler la fer-meté de la position américaine envers le président Assad, beau-coup redoutent que Washington cède. « Comme toujours, les Améri-cains sont prêts à tout lâcher. Ils veulent négocier et convaincre les autres que “ça va marcher” », criti-que un diplomate. La crainte de-meure que Washington et Mos-cou décident seuls. « Les modali-tés définies à Vienne sont telles quecela ne sera pas possible », assure-t-on. Un accord est illusoire sansl’aval de l’Iran, qui apporte un sou-tien direct à Damas, et de l’Arabie saoudite, principal soutien desgroupes rebelles. Réunis pour lapremière fois autour d’une mêmetable à Vienne, Riyad et Téhéran

ont eu des « échanges virils, com-mente un diplomate. Ils n’ont pasmis leur drapeau dans leur poche, mais c’est bien qu’ils se parlent. »

Pendant sept heures, les partici-pants ont échangé jusqu’à arrêter un communiqué, évasif et suc-cinct, sur des points d’accord. Levice-ministre iranien des affaires étrangères, Hossein Amir Abdol-lahian, s’est félicité que Téhéran ait réussi à empêcher l’inclusion d’un calendrier de départ pour Bachar Al-Assad. L’Iran a laissé en-tendre qu’il accepterait une pé-riode de transition politique desix mois suivie d’élections dansles dix-huit mois pour décider deson sort. Dans l’autre camp, on se targue d’un « accord obtenu au forceps » pour confier aux Na-tions unies, et non à M. Assad, le

soin d’organiser les élections. L’ONU se verra également confier la tâche de définir la liste des orga-nisations terroristes.

Les régime de Damas et l’opposi-tion syrienne devraient rapide-ment rejoindre les négociations. Tout à leur ambiguité, les Russes s’y sont dits favorables mais ont

éludé la question des frappes con-tre l’opposition modérée.

A Vienne, certains n’ont pasmanqué de pointer aussi la « co-responsabilité » de Moscou dans les violences du régime envers sa population. Vendredi, des bom-bardements ont fait au moins91 morts, dont 57 dans des tirs de roquettes sur un marché deDouma, a annoncé l’Observatoire syrien des droits de l’homme(OSDH). De son côté, la France s’est dite déterminée, malgré le veto agité par Moscou, à présenterune résolution devant le Conseilde sécurité contre le siège des po-pulations et les bombardementsaux barils d’explosifs.

Aucune percée n’est escomptéeavant « des mois » mais, un accord n’est pas jugé insurmontable.

Aucune percée

n’est escomptée

avant

« des mois »,

mais un accord

n’est pas jugé

insurmontable

« Sur la question d’Assad, ça peutbouger si les Russes et les Iranienssentent que la pression est forte »,estime une source occidentale. OrMoscou semble plus enclin à né-gocier : « Assad a pris fait et cause pour les chiites, ce qui fait que des sunnites ont déclaré le djihad con-tre la Russie. C’est très dangereux pour Moscou, qui craint aussi despertes sur le terrain et une guerre coûteuse », pointe une source oc-cidentale. Les parrains régionauxde l’opposition syrienne ont accruleur aide pour contrer l’interven-tion russe, mais beaucoup regret-tent que les Américains ne veuillent pas s’investir davantage.« Ils font dix fois moins de frappesque les Russes, pointe un diplo-mate. Ça va peut-être changer. » p

hélène sallon

le nombre est symbolique mais il ne constitue pas moins une première entorse aux assurances données par le président des Etats-Unis lorsqu’il avait dévoilé sastratégie contre l’organisation Etat islami-que (EI), il y a un peu plus d’un an. Avec l’annonce de l’envoi d’un nombre réduit deforces spéciales américaines (moins de50 hommes) en Syrie, vendredi 30 octobre,dans la partie contrôlée par des combat-tants kurdes, dans le nord-est du pays, Ba-rack Obama se résigne à autoriser la pré-sence de troupes au sol. La Maison Blanches’est efforcée de camper sur une autre « li-gne rouge » avancée par M. Obama en assu-rant que ces forces spéciales se limiteraientà encadrer les miliciens kurdes et ne pren-

draient pas part aux combats contre l’EI.Comme l’a montré la mort du premier sol-

dat américain sur le sol irakien depuis le dé-but de l’opération contre les djihadistes, le 22 octobre, la différence peut être ténue en-tre le conseil et la pratique. Joshua Wheeler aété tué alors qu’il accompagnait un groupe de combattants kurdes irakiens lors d’un raid contre une prison de l’EI qui a permis, selon Washington, la libération de 70 pri-sonniers promis à une exécution. Ce renfor-cement pourrait s’accompagner de déve-loppements similaires côté irakien. Aucune limite dans le temps n’a été fixée pour lecontingent qui va être envoyé en Syrie et le nombre des soldats pourra évoluer en fonc-tion des résultats obtenus sur le terrain.

Cette inflexion, qui pourrait se traduire àterme par une offensive contre le bastion djihadiste de Rakka, en Syrie, découle du bilan jugé insatisfaisant de la campagne debombardements des positions de l’EI. Elleintervient également après le renonce-ment du Pentagone à un programme vi-sant à constituer une force d’auxiliaires syriens limitée au combat contre l’EI. Cet envoi coïncide enfin avec l’engagement de forces russes aux côtés de l’armée syriennealors que des discussions diplomatiques viennent de reprendre afin de tenter de parvenir à une solution politique pour mettre un terme aux combats en Syrie. p

gilles paris

(washington, correspondant)

Washington envoie des forces spéciales en Syrie

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6 | international DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

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Idolâtré hier, Lula da Silva est devenu un repoussoirL’ancien président brésilien est cerné par les affaires, tandis que le Parti des travailleurs est discrédité

PORTRAIT

sao paulo - correspondante

Pour ses 70 ans, mardi27 octobre, l’ancien pré-sident brésilien (2003-2010) Luiz Inacio Lula da

Silva a reçu les félicitations de Ni-colas Sarkozy. L’ex-président fran-çais dit espérer un jour retra-vailler avec son « ami Lula ». Maisles chances de l’un comme de l’autre de gouverner de nouveausont bien incertaines.

« La probabilité même que Lulase représente en 2018 est très mince », estime Joao Augusto deCastro Neves, directeur pour l’Amérique latine du groupe Eura-sia, cabinet réputé pour ses pro-nostics politiques. « Pour des rai-sons personnelles et rationnelles », dit-il. Au-delà de ses soucis de santé (un cancer du larynx dé-tecté en 2011), le président vou-drait préserver son « mythe ». Ou ce qu’il en reste.

« Acharnement »

Le « père du peuple », hier adorédes classes populaires brésilien-nes, a perdu de sa magie au sein d’un Parti des travailleurs (PT, gauche), usé par douze années au pouvoir et sali par les affaires. Les scandales de corruption qui se-couent le monde politique brési-lien cernent le PT et se rappro-chent de l’ancien président.

Lundi 26 octobre, les bureauxde l’entreprise de marketing sportif de l’un de ses fils, Luis Claudio Lula da Silva, ont été per-quisitionnés dans le cadre d’une enquête sur des fraudes au fisc.Lula s’estime victime d’un « acharnement ». Avant de met-tre en cause son cadet, sa belle-fille et l’aîné de Lula, Fabio Luis, dit « Lulinha », ont été mention-nés dans des affaires avant que Lula lui-même ne soit soupçonnéde trafic d’influence.

L’intéressé en plaisante. Lorsd’une réunion du PT à Brasilia, le

29 octobre, il a ironisé en évo-quant sa famille nombreuse, ses trois autres enfants que la justice n’intéresse pas encore et ses sept petits-enfants pour en déduire :« Cela ne va jamais s’arrêter ! Et en-core, j’ai une belle-fille enceinte. »

Mais ce trait d’humour masqueune gêne certaine. A son arrivée au pouvoir, Lula, porte-voix des travailleurs et des gens ordinai-res, a dû pactiser avec les milieux d’affaires. Divers membres du parti se sont laissés tenter par des pots-de-vin. La presse, peu tendre avec l’ancien président, n’a pas

d’Etat surgit le politicien », ob-serve Stéphane Monclaire, pro-fesseur de sciences politiques à laSorbonne et fin connaisseur duBrésil.

Lula est conscient du désarroi deses électeurs. A Brasilia, le 29 octo-bre, il a admis que son parti avait été élu sur un discours qu’il n’avaitpu assumer une fois au pouvoir. L’ancien président s’adressait à ces militants meurtris par la poli-tique de rigueur mise en œuvre par le gouvernement de Dilma Rousseff, à 180 degrés de ses pro-messes de campagne.

Divisé, affaibli, le PT, hier aimantélectoral, est devenu un repous-soir. Les prochaines élections mu-nicipales, en 2016, donneront la mesure de sa disgrâce. Déjà 69 des 619 maires élus sous l’étiquette PT,soit 11 %, ont lâché le parti de gau-che pour se donner des chances degagner, rapportait le quotidien Folha de S. Paulo, le 25 octobre.

Selon une étude de Ibope, pu-bliée le 27 octobre, Lula suscite le plus fort rejet de la part des élec-teurs, 55 % affirmant qu’ils ne vo-teraient « en aucun cas », pour l’ancien président.

Mais ce discrédit ne profite guèreà ses adversaires. Ni à Aécio Neves, du Parti social-démocrate brési-lien (PSDB, dans l’opposition), re-poussé par 47 %, ni même à Ma-rina Silva, à la tête du parti écolo-giste Réseau durable, étoile filante de la campagne de 2014 (50 % de re-jet). « Lula perd, personne ne ga-gne », résumait José Roberto de To-ledo, dans un éditorial du quoti-dien de Sao Paulo, le 26 octobre.

« La fin d’un cycle »

Bien que Lula exaspère une partie des électeurs, il garde cette capa-cité à captiver les foules, cette habi-lité à utiliser de mots simples pourparler aux humbles tout en sa-chant amadouer les cols blancs. « Lula est le seul à tenir un véritable discours social », estime le politolo-gue Roberto Romano.

Le PT déçoit, mais aucun autreparti n’est assez exemplaire pour le remplacer, laissant les Brési-liens écœurés. « Nous sommes à lafin d’un cycle. Après la dictature, Fernando Collor a été élu en pro-mettant plus d’éthique. Il a échoué », estime Fernando Ga-beira, écrivain et ancien député duparti Vert. En 1992, il a en effet été destitué après un scandale de cor-ruption. « Puis le PT a promis plus d’éthique et a échoué à son tour, note-t-il. Les Brésiliens ont perdu leurs illusions. » p

claire gatinois

La présidente brésilienne, Dilma Rousseff, lors des 70 ans de Lula da Silva, le 27 octobre, à Sao Paulo. INSTITUTO LULA/RICARDO STUCKER/HO/AFP

Chute du gouvernement moldave, miné par les scandalesLes socialistes et les communistes soutenus par Moscou demandent l’organisation d’élections législatives anticipées

bucarest - correspondant

L e gouvernement moldaven’aura finalement pas ré-sisté aux scandales finan-

ciers et aux manifestations qui secouent le pays depuis plusieurs mois. Jeudi 29 octobre, à l’occa-sion d’un vote de confiance de-mandé par l’opposition de gau-che, le gouvernement proeuro-péen du premier ministre Valeriu Strelet a été destitué, par 65 voix sur 101.

Valeriu Strelet, 45 ans, avait éténommé premier ministre enjuillet. Issu du Parti libéral-démo-crate de Moldavie (PLDM), il s’estretrouvé à la tête d’une coalitionde partis proeuropéens soutenue jusqu’à jeudi par les communis-tes. « Les caisses sont vides, le sys-tème bancaire est au bord de l’ef-fondrement, la criminalité a at-

teint des niveaux jamais vus, la corruption et le népotisme fleuris-sent », a déclaré Violeta Ivanova, laprésidente du groupe commu-niste au Parlement, pour justifier son revirement.

« Je suis profondément inquietpour la Moldavie, qui risque desombrer dans le chaos », a de soncôté déclaré Valeriu Strelet aprèssa destitution. Son prédécesseur,Chiril Gaburici, n’avait résisté que quatre mois à la tête du gouverne-ment et avait été obligé de démis-sionner en juin à la suite d’accusa-tions selon lesquelles il avait falsi-fié un de ses diplômes.

« Vol du siècle »

Le sort du gouvernement Strelet s’est quant à lui noué autour duscandale de la disparition mysté-rieuse d’un milliard de dollars(900 millions d’euros) des coffres

des trois principales banquesmoldaves, soit 15 % du PIB.

Le « vol du siècle », c’est ainsi quela presse avait qualifié cette af-faire, douloureuse dans un pays où le salaire moyen est de 200 euros. L’annonce de la dispa-rition de ce pactole début avrilavait provoqué d’importantes manifestations de protestation dans la capitale, Chisinau.

« Nous avons besoin d’une alter-native politique basée sur la trans-parence, l’intégrité et le profession-nalisme, a déclaré après le vote au Parlement Andrei Nastase, l’undes organisateurs de ce mouve-ment de protestation. La classe politique actuelle est impopulaireet vole ses citoyens. »

Les partis proeuropéens n’ontpas été à la hauteur des attentes. Le PLDM a été secoué le 15 octobrepar l’arrestation de son président

Vlad Filat, premier ministre de 2009 à 2013. Celui-ci est accusépar les procureurs d’avoir ponc-tionné 250 millions de dollars sur le milliard parti en fumée.

Accord d’association avec l’UE

La corruption est monnaie cou-rante en Moldavie, mais l’arresta-tion d’un ancien premier minis-tre a été un tournant pour ce pays qui a signé en 2014 un accord d’association avec l’Union euro-péenne. L’indépendance de la jus-tice était notamment l’une desconditions que Bruxelles avait imposées à la Moldavie avantd’ouvrir le robinet des finance-ments européens.

Les principaux gagnants de lacrise politique sont les socialistes et les communistes prorusses. Le président Nicolae Timofti disposedésormais de quarante-cinq jours

pour nommer un nouveau pre-mier ministre, mais les prorusses ne veulent pas d’un proeuropéen à la tête du futur gouvernement et veulent profiter de la situationpour obtenir l’organisation d’élec-tions anticipées.

Déçus par l’incapacité des partisproeuropéens à remettre le pays sur les rails, les Moldaves sont deplus en plus sensibles aux promesses d’une gauche qui al’appui de Moscou.

« Si on se retrouve avec ungouvernement de gauche pro-russe, nos relations avec les orga-nisations financières internatio-nales seront bloquées, affirmel’économiste Roman Chirca. La Moldavie entrera dans une crise sans issue, les réformes seront blo-quées et le projet européen serasuspendu. » p

mirel bran

manqué pas de souligner cettemétamorphose.

« De zéro faim à zéro scrupule »,titrait, le 7 octobre, le magazineIstoé, évoquant la fin de l’ère desconquêtes sociales, acquises lorsdu premier mandat du présidentPT. « Après le scandale du “mensa-lao” [« grosse mensualité », une affaire de corruption datant de2005 et portant sur l’achat de vo-tes des députés alliés], le PT est devenu un parti comme les autres,voire pire que les autres. Lula faitpreuve d’un cynisme de plus enplus explicite. Derrière l’homme

ÉGYPTEUn avion russe s’écrase dans le Sinaï avec 224 personnes à bordUn avion de ligne russe s’est écrasé dans le centre de la péninsule égyptienne du Si-naï, samedi 31 octobre, a an-noncé, dans un communi-qué, le bureau du premier ministre égyptien, Chérif Ismaïl. L’incertitude a régné pendant plusieurs heures sur le sort de cet Airbus A-321 de la compagnie Koga-lymavia, disparu à l’aube des écrans radar égyptiens et dont la présence a été signa-lée alternativement dans les espaces aériens chypriote puis turc.L’appareil reliait Charm El-Cheikh à Saint-Pétersbourg, en Russie, et transportait 217 passagers, pour la plu-part des touristes russes, ainsi que sept membres d’équipage. Le pilote aurait signalé des problèmes tech-niques rapidement après le décollage, à 5 h 51, heure lo-cale. – (AFP.)

Le Parti des

travailleurs déçoit,

mais aucun autre

parti n’est assez

exemplaire

pour le remplacer,

laissant

les Brésiliens

écœurés

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Page 8: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

8 | planète DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

PARIS CLIMAT 2015REPORTAGE

pierre le hir

photos : bruno amsellem

pour « le monde »chamonix-mont-blanc (haute-savoie) -

envoyés spéciaux

Une chape de brume recou-vre la vallée de Chamonix,ce matin d’octobre au leverdu jour. Ciel plombé, pla-fond bas. Sur l’héliport d’Ar-gentière, le pilote lève les

yeux, jauge la visibilité. Impossible de décol-ler. L’heure tourne, la journée va être perdue.Une trouée dégage enfin l’horizon. « Ça se lève,c’est bon ! » Lesté de dizaines de kilos de maté-riel scientifique, l’hélicoptère s’arrache de lacouche nuageuse. Ciel limpide, grand bleu,grand blanc.

En quelques tours de rotor, l’appareil gagnela jonction des glaciers des Bossons et de Ta-connaz, à 2 589 m d’altitude, où il se pose sur un promontoire rocheux. Le panorama est grandiose, déployant, sur 360 degrés, arêtesminérales et champs de glace. Face à nous, l’aiguille du Midi, le dôme et l’aiguille du Goûter, avec, en arrière-plan, la coiffe du mont Blanc que le soleil embrase mainte-nant. De l’autre côté de la vallée, la chaîne desAravis et les aiguilles Rouges semblent flottersur la mer de nuages. Un glacis de neige fraî-che s’est déposé durant la nuit. Pas un bruit, pas un souffle. Calme trompeur.

Un grondement sourd roule soudain sur lesBossons, soulevant un tourbillon de poudreblanche. Un sérac s’est détaché sous le refugedes Grands Mulets. Un bloc de glace de quel-ques dizaines de mètres cubes, trois fois rien en comparaison des packs de plusieurs cen-taines de milliers de mètres cubes qui déva-lent parfois le versant. C’est ce phénomène etson amplification attendue sous l’effet du ré-chauffement climatique que sont venus étu-dier Christian Vincent et Olivier Sanchez,chercheurs au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement de Greno-ble (CNRS-université Joseph-Fourier).

Le poste d’observation est idéal. A deux ki-lomètres en amont se découpe, comme une balafre, un mur de glace haut de 100 m et large de 600 m à 700 m : la zone de chute deséracs de Taconnaz, formée par une brusquecassure de pente. « En hiver, avec des accumu-lations de neige importantes et un manteau instable, le vêlage, ou rupture de séracs, peut déclencher d’énormes avalanches qui parcou-

rent toute la langue terminale du glacier, pro-che des zones habitées de la vallée », rapporte Christian Vincent. Par le passé, des couléesont rasé des chalets entiers dans le hameaude Vers-le-Nant et, malgré les paravalanches,ont balayé une piste de ski, heureusement sans faire de victimes.

Depuis bientôt deux ans, toutes les trois se-maines, les chercheurs font ici les mêmes mesures. Les gestes sont rodés. Sur une dalle de granit, Olivier Sanchez pose un gros boî-tier orangé : un lidar à longue portée qui en-voie un faisceau laser, à raison de dix mille impulsions à la seconde, vers la zone de frac-ture. « Nous obtenons ainsi un modèle numé-rique de terrain, explique-t-il. En comparant les données au fil du temps, nous pouvons dé-terminer l’avancée ou le recul de la barre de sé-racs, le volume des chutes et leur fréquence. »

LES BOSSONS ONT PERDU 1 000 MÈTRESLa série de relevés est encore trop courte pouren tirer des prévisions certaines. Mais, avertitChristian Vincent, « la base du Taconnaz, qui est aujourd’hui à une température de – 2,5 °C,pourrait devenir tempérée – à 0 °C – dans les prochaines décennies ». Le glacier suspendu,qui adhère pour l’instant à son lit rocheux,glisserait alors sur son socle comme sur un toboggan. « Ce qui nous inquiète, c’est de sa-voir s’il décrochera morceau par morceau, oubrutalement, d’un seul coup. Les volumes de glace en jeu sont gigantesques – des millions de mètres cubes –, ce qui pourrait générer une catastrophe. »

Le laser est à présent en place. La science estparfois artisanale : il faut chauffer les batteriesavec une bouillotte pour mettre l’instrument en route, puis dégager à la pelle les repères peints sur des rochers – des cercles blancs sur fond noir –, afin de l’orienter correctement. Elle est aussi affaire de patience : la « manip » prendra quatre heures. L’après-midi est déjà

bien avancé, il est temps de plier bagage.En bas, la brume ne s’est pas dissipée. Le pi-

lote hésite à s’y aventurer. Il va falloir redes-cendre à pied avant la nuit, en portant à dosd’homme les équipements – le lidar a coûté 180 000 euros. Une éclaircie, un minuscule point sombre se rapproche au-dessus desnuages, l’hélicoptère est passé. Le retour se fera en lacets serrés, comme à la godille, en survolant les moraines, ces pierres charriéespar les langues glaciaires et laissées à décou-vert par leur retrait.

« Les glaciers, dit Christian Vincent, sont lessentinelles du climat. » Et les nouvelles ne sontpas bonnes. Elles sont même calamiteuses. De septembre 2014 à septembre 2015, le bilan de masse des glaciers alpins, soit la différenceentre ce qu’ils ont gagné par accumulation grâce aux chutes de neige hivernales et cequ’ils ont perdu par ablation du fait de la fonte estivale, affiche « un déficit record sur lescinquante dernières années ». L’emblématiquemer de Glace, le plus grand glacier du massif du Mont-Blanc, a perdu 3,5 m d’épaisseur.

La faute à « un hiver assez peu enneigé »,note Météo France, mais surtout à un été « aussi chaud qu’en 2003 ». L’isotherme zéro degré, ligne de démarcation entre les tempé-ratures positives et négatives, a même flirtéavec le sommet du mont Blanc (4 808 m au dernier pointage effectué, en septembre, parune expédition de géomètres experts).

Spectaculaire cette année, ce reflux s’inscritdans un recul amorcé depuis 1850, à la fin du petit âge de glace. Les domaines englacés des Alpes y ont laissé près de la moitié de leur su-perficie. La mer de Glace, qui venait lécher le fond de la vallée jusqu’au hameau des Bois arégressé de 2,3 km. Les gravures de l’époque lareprésentaient sous les traits d’un dragon dé-vorateur. Aujourd’hui, pour approcherl’icône pâlissante, les touristes empruntant letrain à crémaillère du Montenvers doivent descendre un escalier métallique, auquel ilfaut, année après année, ajouter des paliers.

Depuis trente ans, le repli se fait à marcheforcée. Sur ce très court laps de temps, la mer de Glace est remontée de 650 m, le glacier d’Argentière de 700 m, celui des Bossons de 1 000 m. Sur la seule décennie écoulée, les gla-ciers alpins ont fondu quatre fois plus vite quela moyenne de leurs homologues du globe.

En est-ce alors fini, dans les Alpes, des nei-ges éternelles ? A l’horizon de la fin du siècle,la colonne de mercure, qui a déjà grimpé ici de 1,5 °C au cours du siècle passé (deux foisplus que le réchauffement global de la pla-nète), devrait monter de 4 °C à 5 °C. Et le nom-bre de journées caniculaires devrait quintu-

pler. A ce régime, les glaces du mont Blancpourraient encore diminuer de 50 % à 90 %.« Avec une hausse des températures de 3 °C, tous les glaciers en dessous de 3 500 m dispa-raîtront, surtout en face sud », pronostiqueChristian Vincent. Ne demeureront,veilleurs solitaires et efflanqués, que les plushaut perchés.

« CIMENT DES MONTAGNES »Pour les vallées alpines, cette débâcle est an-nonciatrice de périls en cascade. Non seule-ment de ruptures de séracs, mais aussi d’ef-fondrements de roches. Un danger qu’appré-hendent les alpinistes qui, sur la voie classi-que de l’ascension du toit de l’Europe, doivent franchir, entre le refuge de Tête-Rousse et celui du Goûter, un « couloir de la mort ». Chaque été, des grimpeurs y sont em-portés par des chutes de pierres : de 1990 à 2011, soixante-quatorze y ont perdu la vie.

« Avec le réchauffement, on observe une aug-mentation de la fréquence et du volume desécroulements rocheux », rapporte Ludovic Ra-vanel, chargé de recherche au laboratoire En-vironnements, dynamiques et territoires dela montagne (université de Savoie-CNRS). Encause, la dégradation du permafrost, c’est-à-dire des terrains habituellement gelés en per-manence : parois abruptes, éboulis, morai-nes ou encore glaciers rocheux, ces couléesde cailloux et de graviers congelés. « La glace du permafrost est le ciment des montagnes et, lorsqu’elle fond, les versants se désagrègent », explique le chercheur. Depuis le début del’été, il a recensé, dans le massif du Mont-Blanc, « plus de 160 écroulements supérieurs à100 mètres cubes, contre quelques dizaines en moyenne les années précédentes ».

Autre menace, la brusque vidange de lacsnés du retrait des glaciers que retiennent desdigues de moraines instables. Ou encore celle des eaux accumulées à l’intérieurmême des glaces. Voilà cinq ans, la décou-verte, dans le ventre du glacier de Tête-Rousse, d’une poche de 65 000 mètres cubesd’eau, a réveillé le spectre de la tragédie qui,en 1892, avait fait cent soixante-quinzemorts dans la vallée de Saint-Gervais, dévas-tée par l’épanchement d’une immense cavitédu même glacier. Il a fallu purger d’urgence,pomper encore en 2011, pomper toujoursen 2012. Depuis, Tête-Rousse, où de nouvellespoches, plus petites, se sont reconstituées,reste sous surveillance.

Ce n’est pas tout. Les eaux de fonte des gla-ciers, quand elles se cumulent à de violentsorages, gonflent les torrents qui alimentent l’impétueuse rivière de l’Arve arrosant la val-

« LE GLACIER DÉCROCHERA-T-IL

MORCEAU PAR MORCEAU

OU BRUTALEMENT, D’UN SEUL COUP ? »

CHRISTIAN VINCENT

chercheur en glaciologie et géophysique à Grenoble

Dans les Alpes,les scientifiques surveillent

les glaciers, sentinellesdu climat. Leur fonte accélérée

menace les valléeset bouleverse l’équilibre fragile

du milieu montagnard

Les aiguilles Rouges(à gauche) vuesdu glacierdes Bossons,le 14 octobre.

Le crépuscule des géants blancs

Page 9: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 planète | 9

lée. Des crues torrentielles en résultent.Comme celle qui, en juillet 1996, a fait sortir le cours d’eau de son lit, submergeant plu-sieurs quartiers de Chamonix-Mont-Blanc.

Ces débordements vont-ils se multiplier ?C’est la crainte du maire (UDI) de la com-mune, Eric Fournier. « Les glaciers sont le ther-momètre de la planète, et il est en train de se détraquer, soupire ce Chamoniard de nais-sance, fils d’un cristallier guide de haute mon-tagne et lui-même montagnard chevronné. Ici, le choc émotionnel est terrible. Le change-ment climatique, nous le vivons au quotidien. »Alors qu’une nuit pluvieuse tombe sur Cha-monix, dans son bureau de l’ancien Hôtel Im-périal, aujourd’hui l’hôtel de ville, il s’inter-roge : « Nos modèles hydrologiques sont-ils en-core adaptés ? Faut-il construire des digues de protection, aménager de nouvelles zones de di-vagation naturelle de la rivière ? »

L’économie locale, tout entière tournéevers le tourisme, avec 4,7 millions de nuitéespar an pour 14 000 résidents, résistera mieuxque d’autres aux aléas du climat, grâce à son domaine skiable de haute altitude et à ses prestigieuses voies d’alpinisme. Pour autant,dit l’élu, « l’adaptation au changement clima-tique est le principal enjeu de mon mandat ».Il « rêve d’une station postcarbone exem-plaire » avec transports collectifs gratuits, bus électriques ou hybrides, rénovation ther-mique de l’habitat, promotion de l’énergiesolaire, du bois et de la géothermie, tourisme« écoresponsable »…

LA BIODIVERSITÉ MENACÉEIrriguée par des torrents tumultueux, la val-lée n’a pas à redouter un tarissement de ses ressources en eau. Mais le recul de la mer de Glace a mis à mal la centrale hydroélectrique souterraine des Bois qui, depuis les années1970, turbine les eaux de fonte de la neige re-couvrant le glacier, pour produire l’équiva-lent de la consommation de courant d’une ville de 50 000 habitants de la taille d’Annecy.En 2009, le captage aménagé sous la langue glaciaire s’est retrouvé à l’air libre, obstrué par des chutes de moraines. EDF a investi 25 millions d’euros pour le déplacer de prèsd’un kilomètre en amont. « D’après les études scientifiques, nous devrions être tranquilles pour une vingtaine d’années », avance Cyrille Périer, directeur du groupement d’exploita-tion hydraulique Savoie - Mont-Blanc.

Au-delà de ce cas particulier, EDF se préoc-cupe de l’impact du réchauffement sur ses quelque cinq cents usines hydroélectriques,approvisionnées par les eaux pluviales maisaussi, dans les Alpes comme dans les Pyré-

nées, par la fonte des neiges et des glaces. « Nous avons lancé un programme de recher-che sur ce sujet majeur, indique Claude Na-hon, directrice du développement durable. Ilest trop tôt pour savoir si le reflux des glaciersaura une incidence sur le volume global d’eaudisponible. Mais, avec des fontes plus préco-ces au printemps et des débits plus faibles en été, nous devrons peut-être gérer différem-ment les stocks. Et arbitrer entre les usages denos barrages : électricité, agriculture, eau po-table et loisirs. »

paysage subalpin, remplacé peut-être par lepin sylvestre ou le hêtre. »

Poussée par la hausse des températures, laflore doit gagner des étages plus élevés pour retrouver l’environnement auquel elle est ac-climatée, et son espace vital rétrécit. « Unecourse effrénée vers les sommets est engagée.Certaines espèces seront capables de coloniser de nouveaux territoires, d’autres n’y parvien-dront pas. Les plantes qui vivent déjà dans leslimites supérieures, comme la renoncule des glaciers, sont les plus en danger. Au final, il y aura une perte de biodiversité. »

DÉCLIN IRRÉVERSIBLEIl suffit de musarder sur les sentiers pour voirdes houppiers mordorés, précédés de bruyè-res et de rhododendrons, gravir la rocaille laissée à nu par la déprise glaciaire. On pour-rait imaginer que la faune va tirer profit de cette végétation grimpante, en même temps que de températures plus clémentes. Il n’en est rien. « Pour le chamois ou le bouquetin, ex-plique l’écologue, l’herbe la plus calorique est celle qui pousse juste après la fonte des neiges. Ces animaux pouvaient jusqu’à présent en brouter toute la saison, en montant de plus en plus haut. Une fonte estivale trop rapide ap-pauvrit leur alimentation. » La marmotte n’estpas mieux lotie. Protégée du froid durant sonhibernation par le manteau neigeux, elle épuise plus vite ses réserves de graisse quand il s’effiloche, ce qui entraîne davantage de mortalité chez les jeunes. Parmi les oiseaux,le lagopède alpin et le tétras-lyre, habitués à creuser des abris dans la neige, deviennent des proies plus faciles. La grenouille rousse etle triton alpestre, eux, pâtissent de l’assèche-ment des mares où ils se reproduisent.

Comme les hommes, bêtes et plantes de-vront, de gré ou de force, s’adapter. Pour les glaciers alpins, il est déjà trop tard. Leur dé-clin est irréversible. « Ils sont en déséquilibreet, même si les conditions climatiques res-taient stables dans le futur, ils continueront àreculer », annonce Christian Vincent. L’heure est venue du crépuscule des géants blancs. p

pierre le hir

La nature, elle, va connaître un bouleverse-ment. « Nous avons ici une très grande va-riété d’espèces animales et végétales façon-nées par les climats extrêmes, décrit AnneDelestrade, écologue et directrice du Centre de recherches sur les écosystèmes d’alti-tude, à l’origine d’un atlas scientifique en li-gne du Mont-Blanc. Elles sont particulière-ment vulnérables. Nos modèles montrentqu’à la fin du siècle l’habitat des plantes dehaute montagne sera réduit de moitié. Et l’épicéa ne sera plus l’arbre dominant dans le

mont Blanc

4 808 m

Mer d

e G lace

Glacier des B

ossons

Glacier de Taconnaz

Glacier d’Argentière

FRANCE

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MONT-BLANC

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ITALIE

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Mas

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Mont-Blanc

Glacier du Tour

Le chercheur Christian Vincent installe un instrument de télédétection par laser pour scanner la barre de séracsdu glacier de Taconnaz.

La végétation recolonise les zones de moraines laissées à nu par le retrait du glacier du Tour.

La mer de Glace, icône du massif du Mont-Blanc, a reculé de 650 mètres depuis trente ans.

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« Désormais, c’est nous ou les extrêmes »Bruno Le Maire, candidat à la primaire de la droite, veut porter « le renouveau radical de la politique française »

ENTRETIEN

Bruno Le Maire estl’homme qui a créé lasurprise en obtenantprès de 30 % des voix

face à Nicolas Sarkozy, lors du votede militants UMP en novem-bre 2014. Depuis, le député del’Eure, âgé de 46 ans, sillonne le pays pour préparer la primaire de 2016 qui fera émerger le candidat de la droite à l’élection présiden-tielle. Inquiet de la radicalité du pays, l’ancien ministre reconnaîtque la droite a déçu.

Le Front national est très haut dans les sondages. Pourquoi la droite peine-t-elle autant à incarner l’alternative ?

Nous payons un système politi-que à bout de souffle. Depuis qua-rante ans, droite et gauche confon-dues, nous échouons à résoudre les problèmes des Français. Chô-mage de masse, dette, déficit, rien ne change. Les Français changent,

mais la classe politique bloque le changement : toujours les mêmes visages, les mêmes slogans, tou-jours les mêmes faux débats qui cachent les vraies questions.

On croirait entendre du Marine Le Pen !

La responsabilité qui pèse surnos épaules, nous, les représen-tants de la droite et du centre, est écrasante : désormais, c’est nous

ou les extrêmes. Plus personne ne croit François Hollande. Plus per-sonne ne fait confiance au pouvoirsocialiste, qui gère sa petite bouti-que au lieu de redresser la maison France. Le laisser-aller est partout.

On me fera difficilement croireque les forces de sécurité ne peu-vent pas rétablir l’ordre quand les gens du voyage se font justice eux-mêmes ou quand les mafiaset les trafics prolifèrent dans la« jungle » de Calais. Est-ce délibéréde la part de François Hollandepour faire monter le FN ? Je me pose la question. En tant que chef de l’Etat, il est le premier respon-sable de cette impuissance publi-que qui insupporte les Français.

Vous accusez François Hol-lande de faire monter le FN, mais vous-même, lorsque vous réclamez le rétablissement de la double peine ou l’expulsion de tous les étrangers qui ont purgé une peine de terrorisme, ne relayez-vous pas les thèmes de l’extrême droite ?

Vous croyez que des personnali-tés comme Michel Barnier, Yves Jégo, Salima Saa, me soutien-draient si tel était le cas ? Je main-tiens chacune de mes proposi-tions et je récuse cette idée de droitisation de mon discours. La double peine existait jus-qu’en 2003, sous les présidents Mitterrand et Chirac ! Les idées que je défends sont les mêmes de-puis des années. La refonte ducode du travail ou l’indemnisa-tion du chômage, je les portais déjà en 2011 quand je travaillais auprojet de l’UMP. La restauration de l’autorité de l’Etat, je l’ai tou-jours demandée. Je crois à la cohé-rence et à la constance des idées.

Nous en sommes arrivés à un telpoint qu’il nous faut réinventer la France. Le combat est d’abord cul-turel, ce sera la vraie bataille de2017 : porter le mérite contre l’éga-litarisme de la gauche, rappelerque les religions se soumettent àl’Etat, défendre notre langue pourrenforcer notre nation, réaffirmerque celui qui travaille doit vivre mieux que celui qui ne veut pas travailler.

Vous prônez aussi la rupture ?Non, je ne crois pas au recyclage

en politique. Nous n’avons cesséde parler de rupture, pour finale-ment agir dans la continuité des décennies passées. Au bout du compte, nous avons déçu. Il nous faut parler moins haut et agir plusvite et plus fort. La méthode estaussi importante que les proposi-tions. Nous devons savoir ce que nous voulons faire, mais surtout comment le faire. En Europe, lesgouvernements qui ont tenuleurs engagements de campagneont été réélus. Le renouveau, cesont des priorités assumées, une méthode claire, un cap ferme. Lerenouveau est le meilleur rem-part contre le FN.

Qu’est-ce que cela veut dire concrètement le renouveau ?

Avant tout, changer le fonction-nement de notre démocratie. Le pouvoir politique et syndical est devenu la Cité interdite. Il faut ouvrir les portes. C’est notre der-nière chance de réconcilier lesFrançais avec la politique.

Cela passe-t-il par un référen-dum ?

Oui. Au peuple de trancher la ré-duction du nombre des parle-mentaires, la limitation du cumuldes mandats dans le temps,l’ouverture de la représentation syndicale, l’obligation pour leshauts fonctionnaires qui font de la politique de démissionner de lahaute fonction publique.

Croyez-vous à la théorie des cent jours, tout faire dans la fou-lée de l’élection présidentielle ?

Il faudra décider vite, recouriraux ordonnances, revenir sur la loi de 2008 qui privilégie la négo-ciation avant toute décision so-ciale, raccourcir les navettes entre les deux assemblées. Mais pour réinventer la France, cent jours nesuffiront pas. Nous devons ins-crire notre action dans le temps.

Etes-vous adepte du gouverne-ment autoritaire ?

Je suis adepte du gouvernementefficace.

Vous pensez que l’onction du suffrage universel suffit à légitimer l’action ?

Evidemment que je crois au suf-frage universel ! Quelle autre légi-timité en démocratie ? Mais pourrefermer la coupure entre gouver-nants et gouvernés, nous devons changer radicalement notre exer-cice de pouvoir : assumer des choix clairs, rendre des comptesen permanence, suivre les mesu-res dans le détail.

Combien de grands projets ontéchoué faute de préparation sur lapartie informatique comme ledossier médical personnel ou le système de paiement de soldes Louvois ? La politique ne peut pas tout. Faisons plus confiance à laresponsabilité individuelle et aux initiatives des Français. Disons-leur clairement ce que nous fe-rons et ce que nous ne ferons pas. Pourquoi promettre de revenir sur le mariage pour tous alors quenous ne le ferons pas ?

Marine Le Pen désigne l’Europe comme la principale entrave à la souveraineté nationale. Vous, l’Européen convaincu, où en êtes-vous sur le sujet ?

L’Europe doit changer sous l’im-pulsion de la France pour enfin devenir une puissance politique capable de défendre nos intérêts. C’est une urgence absolue.

Au prix d’un bras de fer avec Mme Merkel ?

Oui. Je reste profondément atta-ché au couple franco-allemand. Mais sur la question des réfugiés,

AGNES DHERBEYS

POUR « LE MONDE »

« Le renouveau,

ce sont

des priorités

assumées, une

méthode claire,

un cap ferme.

C’est le meilleur

rempart contre

le Front national »

François Hollande aurait dû défen-dre une position différente de cellede Mme Merkel : l’Europe ne peut pas accueillir des millions de réfu-giés. La voix de la France a man-qué. Comme elle manque dans le combat contre Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islami-que] en Syrie : la France aurait dû proposer une coalition internatio-nale avec des troupes au sol pour éradiquer Daech, plutôt que de laisser la Russie, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et la Turquie né-gocier sans nous. Nous sommes la cible prioritaire des islamistes. Avons-nous si vite oublié Charlie ?

Jusqu’à présent, vous faisiez figure de troisième homme dans la primaire derrière Nico-las Sarkozy et Alain Juppé, maisFrançois Fillon a publié son livre « Faire » (Albin Michel, 320 p., 20 euros) et revient dans le jeu. Cela vous inquiète-t-il ?

Cela n’a aucune importance. Jedéfends mes convictions, mesidées. Le renouveau radical de lapolitique française est indispen-sable. Je le porterai avec tous ceuxqui refusent le fatalisme, et avec une détermination totale.

Nicolas Sarkozy souhaite don-ner les investitures aux législa-tives avant la primaire de 2016. Comment réagissez-vous ?

Le seul moyen de ne pas déce-voir de nouveau les Français en 2017 est de donner à celui qui sera élu les moyens d’agir vite etfort. Les investitures aux élec-tions législatives qui feront la pro-chaine majorité sont une condi-tion du succès pour celui ou celle qui sera élu. Par conséquent, elles doivent être faites après la pri-maire de 2016 et non avant. Pen-sons aux Français avant de penserà nous-mêmes, raisonnons en termes d’intérêt général au lieu decéder aux petits calculs politi-ciens qui font la ruine de la vie po-litique depuis quarante ans. La primaire de 2016 doit être un grand succès démocratique, pour reconstruire un espoir. p

propos recueillis par

françoise fressoz

« Au peuple

de trancher

la réduction

du nombre des

parlementaires,

la limitation

du cumul

des mandats

dans le temps »

NICOLAS HULOTEnvoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète

répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),

Sophie Malibeaux (RFI), Stéphane Foucart (Le Monde).

Diffusion sur les 9 chaînes deTV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr

Cedimanche à 12h10

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Le député « frondeur » Pouria Amirshahi veut créer un lobby citoyenL’élu socialiste lance le 8 novembre le « Mouvement commun » pour tenter de réconcilier société civile et politiques

L e constat n’est plus à éta-blir : dans le monde politi-que, personne ne conteste

que le fossé se creuse chaque jour un peu plus entre les citoyens et leurs représentants. Mais, sur lesréponses à apporter, les idées dif-fèrent et c’est au tour du députésocialiste Pouria Amirshahi d’avancer maintenant la sienne, avec le « Mouvement commun »qu’il va lancer le 8 novembre.

« L’opinion publique pense queles gouvernements sont soit inca-pables, soit pas sincères et les gens finissent par baisser les bras. L’idée de ce mouvement c’est de se dire : “puisque les politiques n’y arrivent pas, alors faisons sans’’. C’est un ap-pel à ne pas se laisser faire », expli-que l’élu des Français de l’étranger.Travailleur social de formation, ilveut promouvoir « ceux qui sont

dans la production d’idées, dans l’action concrète » et pour cela mé-langer monde politique et mouve-ment social pour créer une sorte de grand lobby citoyen, de « plate-forme pour faire contre culture et s’imposer dans le débat d’idées ».

« Le temps est venu de reprendreen main notre destin, de créer et d’organiser ensemble le monde dans lequel nous aspirons à vivre », peut-on lire dans le texte fonda-teur du « Mouvement commun », signé par près de 1 000 personnes. Dans la liste, des chefs d’entreprise,des ouvriers, des ingénieurs, des étudiants mais aussi des représen-tants de mouvements associatifs qui « signent tous en leur nom pro-pre », insiste Pouria Amirshahi. Parmi eux, Bocar Niane, de « Cité en mouvement », ou encore Sa-muel Churin, porte-parole de la

coordination nationale des inter-mittents. Quelques hommes et femmes politiques ont également décidé d’accompagner ce « mou-vement », mais il n’est pas pour autant question d’en faire des « tê-tes de gondole », explique le dé-puté, qui a tenu à ce que la liste soitprésentée par ordre alphabétique, sans différenciation.

On y retrouve des élus de la ga-laxie des frondeurs socialistes, comme le député Laurent Baumel

(Indre-et-Loire) ou la sénatrice Ma-rie-Noëlle Lienemann (Paris). Maisaussi l’ancien ministre Benoît Ha-mon ou encore le député de Cô-te-d’Or, Laurent Grandguillaume, d’ordinaire plutôt discret. « Les lieux de débat et d’animation politi-que sont importants, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout », justifie le jeune député, qui sou-tient que si les gens se désintéres-sent des hommes et des femmes politiques, ils gardent un intérêt pour le sujet.

Comme lui, le sénateur et secré-taire national du Parti commu-niste, Pierre Laurent, le député du Mouvement républicain et ci-toyen, Jean-Luc Laurent, ou encoreles écologistes Noël Mamère et Sergio Coronado ont signé l’appel, attirés par cette « volonté de cons-truire des passerelles, de créer un

lieu de discussion libre de toute dis-cipline de parti », comme l’expli-que M. Coronado. « On a besoin de se parler, de faire tomber les barriè-res artificielles entre militants, élus et citoyens. Il faut se substituer aux vieux clivages droite-gauche et haut-bas », appuie le porte-parole d’EELV, Julien Bayou, qui a égale-ment rejoint le mouvement.

« Reconquête culturelle »

Si le « Mouvement commun » ar-rive à fédérer avant même son lan-cement officiel, c’est aussi grâce à la personnalité de son fondateur. Pour Julien Bayou, « la sincérité de Pouria et son humilité mettent en confiance ». « Il est libre, ouvert, ne cherche pas à se mettre en avant », poursuit Sergio Coronado. L’inté-ressé assure avec force que cette nouvelle formation n’est pas

« son » truc et prévoit, pour le ren-dez-vous du 8 novembre qui se tiendra à Montreuil, des « ate-liers » pour « construire ensemble le Mouvement commun ». Sera aussi présentée une « Web TV », qui sera notamment le lieu de dé-bats contradictoires ou d’un « journal des bonnes nouvelles » sur les expériences concrètes qui marchent. Et après ? Certains anti-cipent déjà la suite, à l’instar de Ju-lien Bayou, qui imagine une « phase de concrétisation » avec une « primaire ouverte » dans l’ob-jectif de la présidentielle. Mais Pouria Amirshahi lui ne veut pas en entendre parler et assure vou-loir « prendre le temps » pour cons-truire la « reconquête culturelle » de la gauche, même si cela impli-que de passer outre 2017. p

hélène bekmezian

Notre-Dame-des-Landes : l’Etat relance les travauxLa secrétaire nationale d’EELV, Emmanuelle Cosse, dénonce un acte de « mépris pour tous les écologistes »

Le gouvernement a fait unpas supplémentaire versle démarrage prochain duchantier de l’aéroport de

Notre-Dame-des-Landes, à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes. Dans un communiqué du vendredi 30 octobre, le préfet de la région des Pays de la Loire, Henri-Michel Comet, précise que « l’Etat a demandé aux maîtres d’ouvrage de la future plate-forme et de sa desserte routière de mettre en œuvre les démarches qui per-mettront de démarrer les travaux ».

Cette demande vient concrétiserla volonté maintes fois affichée par le premier ministre de mener à bien le chantier de la future pla-te-forme aéroportuaire, un projet très controversé, et de libérer, pour ce faire, la ZAD, la zone d’aménagement différé devenue zone à défendre, occupée par plu-sieurs centaines d’opposants. Le 20 octobre, devant les députés, Manuel Valls affirmait ainsi « l’en-gagement du gouvernement et donc de l’Etat pour la mise en œuvre de ce projet et pour que ces-sent ces mises en cause de l’autoritéde l’Etat de la part d’une minorité violente ».

Gêner la droite locale

A un mois de l’ouverture de la con-férence mondiale sur le climat, la COP21, à Paris-Le Bourget, et à cinqsemaines du premier tour des élections régionales, cette accélé-ration peut surprendre. Alors que les écologistes ont fait du rejet du projet de Notre-Dame-des-Landes un marqueur de leur relation avecle Parti socialiste, l’annonce du préfet ne semblait pas constituer,vendredi soir, un sujet de crainte majeur à l’Elysée, où l’on affichaitle plus grand détachement :« L’exécutif a toujours dit qu’il lais-sait les processus se dérouler.Quant au timing exact, il ne nous appartient pas. Le jeu administra-tif se poursuit, indépendamment d’autres calendriers. »

« On laisse l’affaire suivre soncours. Le processus avance, on ne met pas de coup de frein », souligneun proche du président, qui « ne croit pas qu’il y aura d’actes con-crets sur le terrain », d’ici au scrutinrégional, susceptibles de relancer la mobilisation des opposants, et, au-delà, de causer des dégâts poli-tiques. Au contraire, sans doute. L’annonce de la préfecture vient à point nommé pour gêner la droitelocale qui fait campagne sur l’inac-tion de l’Etat.

Aussitôt le communiqué de lapréfecture connu, la secrétaire na-tionale d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Emmanuelle Cosse, tweetait : « L’exemplarité de la France vole en éclats à un mois de la COP21. Reprendre les travaux à NDDL : mépris pour le climat et tous les écologistes. » Et Cécile Du-flot, coprésidente du groupe éco-logiste à l’Assemblée nationale, ex-primait sa « consternation ».

Les élus écologistes locaux, eux,ne semblent guère émus par l’an-nonce préfectorale. « Il n’y a rien deneuf. Ils veulent montrer que le pro-jet n’est pas mort et rassurer leurélectorat de centre droit, veut croire Christophe Dougé, con-seiller régional EELV. On verra bien si, au soir du premier tour, un ac-cord de majorité est possible. »

De fait, aucune opération d’éva-cuation de la ZAD n’est en cours, etdu côté de la préfecture, on préfère

tégée, le campagnol amphibie, ce qui devrait être fait avant la fin 2015. Ce texte sera aussitôt con-testé en justice par les opposants. Des fouilles archéologiques, préa-lables à tout grand chantier, doi-vent aussi être menées sur la zone du barreau routier qui desservirale futur aéroport.

Sur le terrain, les opposants dé-noncent « l’hypocrisie flagrante du gouvernement quant à ses préoc-cupations environnementales à la veille de la COP21 ». Dans un com-muniqué, « les habitant-e-s de la

ZAD » rappellent les engagements du gouvernement de ne pas débu-ter les travaux avant l’épuisement de tous les recours juridiques dé-posés. Les différents contentieux, aux niveaux national et européen,ne sont pas épuisés, estiment-ils. Et de souhaiter « bien du courage àtoutes les entreprises gagnantes de l’appel d’offres ».

Le porte-parole de l’Associationcitoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport, Julien Durand, estime qu’il s’agit d’une « véritable

provocation ». « Cela ne signifie pasle début du chantier, mais cela montre la volonté politique du gou-vernement de reprendre les tra-vaux interrompus à l’hiver 2012, à la suite de la mobilisation contre l’opération “César”, qui visait à éva-cuer la ZAD. » L’inquiétude règne sur la ZAD. Lundi, les huissiers sont venus remettre des avis d’ex-propriation dans cinq exploita-tions, des jugements qui remon-tent au 18 décembre 2012. p

rémi barroux

et david revault d’allonnes

s’en tenir aux termes du commu-niqué. Il s’agit, précise-t-on, de re-prendre les « relations avec les en-treprises » et de lancer « les mar-chés spécialisés », soit un appel d’offres pour les opérations de dé-broussaillage, préalables au début du chantier des dessertes routiè-res, publié lundi au Bulletin offi-ciel des annonces de marchés pu-blics. Ces travaux devraient être engagés « à partir de 2016 ».

Pour que le chantier débute, ilfaut encore que la préfecture pu-blie un arrêté sur une espèce pro-

Aucune opération

d’évacuation

de la ZAD n’est

en cours. Selon

la préfecture,

il s’agit de

reprendre les

« relations avec

les entreprises »

Si le mouvement

arrive à fédérer,

c’est aussi grâce

à la personnalité

de son fondateur

A Notre-Dame-des-Landes, en janvier 2014. NICOLAS MESSYASZ/HANS LUCAS

PRIX NOBEL DE L

ITTÉRATURE 2015

ÉVÈNEMENT

Svetlana Alexiev

itch

LE LUNDI 2 NOVE

MBRE

DANS LES MATINS

DÈS 7H40

ET EN PUBLIC À L’

ODÉON -THÉÂTRE

DE L’EUROPE À 20

H

franceculture.fr

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Calamars, savon et cocaïne au procès de la « papy connection »Quinze prévenus sont jugés à Marseille pour avoir tenté d’importer de la cocaïne du Chili

suite de la première page

Pour raisons médicales, le prési-dent du tribunal Patrick Ardid a dispensé Savellin Savelli de com-paraître, avec une recommanda-tion : « Prenez bien vos médica-ments ! »

Savelli, un Corse de 71 ans avaitété arrêté, en 2012, à Buenos Aires avec 6 kg de cocaïne dans sa valise.Il sera interrogé depuis sa cellule des Baumettes. Avec ses copréve-nus, il est accusé d’avoir organisé un trafic de cocaïne entre l’Améri-que latine et l’Europe. L’achemine-ment de la drogue dans les cala-mars surgelés ayant été vite aban-donné – les douanes espagnoles avaient ouvert, en août 2011, le conteneur-test, parti de Valparaiso(Chili) vers Valence (Espagne) –, les trafiquants s’étaient rabattus sur un mode opératoire plus classi-que : des valises transportées par des « mules ».

« Dans la gueule du diable »

L’un de ces transporteurs, Jacky Slovinsky, 61 ans, a été interpellé le26 novembre 2012 à sa descente d’un vol en provenance de Lima alors qu’il récupérait un sac conte-nant 22 pains de cocaïne de 24,5 kgau total, pour une valeur mar-chande de 4 millions d’euros. « Je suis tombé dans la gueule du dia-ble », explique cet homme, inva-lide depuis 1977, appâté par le « sa-laire » de 50 000 euros.

Disséquant des heures d’écoutesréalisées par l’équipe commune d’enquête créée entre les services antidrogue français et espagnol, le président Patrick Ardid dessineune association entre plusieurs bandes historiques du grand ban-ditisme méridional. A la manœuvre, avec semble-t-il 450 000 euros à investir dans le trafic, Raymond Mihière, dit « le Chinois », 64 ans, une figure du milieu marseillais : extorsions, machines à sous, stupéfiants… « C’est quand même quelqu’un, re-lève le président. Il est connu, et passeulement à Marseille. »

L’autre star du procès, LaurentFiocconi, 74 ans, a raconté dans un livre (Le Colombien : des parrainscorses aux cartels de la coke, édi-tions du Toucan) ses premiers pas dans la « French connection », épo-

la prison de New York, cinq ans plus tard, pour se réfugier en Co-lombie, « avec toutes les polices derrière [lui] ». Modeste, il démentà la barre la légende qui lui prête un rôle de lieutenant de Pablo Es-cobar. « Il était venu me voir tra-vailler, mais je n’avais pas une rela-tion d’amitié. »

« Rangé des voitures »

Rattrapé par la police américaine dans une cellule brésilienne où il aété jeté pour l’usage d’un faux pas-seport, « Charlot » purge quinze ans de prison aux Etats-Unis. En 2000, retour à Pietralba (Haute-Corse) après trente ans d’absence au village. Il se prétend « rangé des voitures » : « Je n’ai joué aucun rôle dans aucune affaire car j’en avaismarre, de cette vie-là. »

Soupçonné d’avoir mis son car-net d’adresses colombien au ser-vice des Marseillais, il justifie ses

rencontres avec Raymond Mihièrepar un commerce de savons. En master 2 d’école de commerce, sonfils – né dans une prison brési-lienne où était incarcérée sa mère colombienne – montait une sa-vonnerie en Corse. C’est auprès de Valérie Hachimi, la compagne de Raymond Mihière, que Fiocconi père et fils avaient trouvé leur fournisseur, celle-ci gérant Fra-gancias de Costa Brava, une fabri-que de savon située en Espagne.

Savons, calamars, lampes LED,boissons énergisantes ou chaudiè-res ioniques : tels sont les com-merces pour lesquels ces chevaux de retour prétendent avoir voulu s’associer. « Mais c’est bien 25 kg de cocaïne qu’on a saisis, rectifie le président, pas 25 kilos de savons. »

A 78 ans, Joseph – dit « Jo « – Si-gnoli jure lui aussi qu’il en a fini avec sa carrière de voyou com-mencée dans la « French connec-

tion ». Retraité de la marine mar-chande – « J’ai aussi navigué en eaux propres » –, le papy que les po-liciers observent chaque matin jouant au rami dans un bar du boulevard de Strasbourg, dément avoir financé le billet d’avion de la mule. Il cantonne son rôle à celuide « médiateur » entre son beau-fils et ceux avec qui il est en affai-res, tout en déplorant : « Malheu-reusement, mon nom est respecté dans le milieu, vu mon passé. »

« Mais vous avez quel âge ? Vousvous calmez un peu, aujourd’hui ? », tance le président Ardid. Jo Signoli réplique, gogue-nard : « J’ai passé 78 ans. Je suis très en forme, le Bon Dieu m’a donné la santé. J’espère atteindre les 100 ans et passer dans les journaux pour ça. » Pour l’heure, voilà cinquante ans qu’il ne quitte pas la rubrique faits divers. p

luc leroux

Jo Signoli, ancien de la « French connection », au tribunal de Marseille, le 26 octobre. NOSETTO PATRICK/MAXPPP

« Vous réduisez la pièce à des cheveux entre les fesses »Poursuivi par une association, le directeur du Théâtre du Rond-Point, Jean-Michel Ribes, a défendu « Golgota Picnic »

L’ avocat en est spontané-ment convenu : son client,l’Alliance générale contre

le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif), est souvent débouté. A tel point que lorsque l’Alliance lui si-gnale des faits, « les neuf dixièmes du temps, on ne poursuit pas », a re-connu Me Jérôme Triomphe. L’audience, qui se tenait vendredi 30 octobre, à la 17e chambre correc-tionnelle du palais de justice de Pa-ris n’a pas laissé présager une issueplus heureuse pour cette associa-tion qui combat « le racisme enversles Français et les chrétiens ».

« Messie du sida »

Proche des milieux catholiques traditionalistes d’extrême droite, elle poursuivait le directeur géné-ral du Théâtre du Rond-Point, Jean-Michel Ribes, pour provocation à la haine et à la violence pour avoir programmé, en décembre 2011, la représentation de Golgota Picnic. Cette œuvre du dramaturge argen-tin Rodrigo Garcia met en scène une métaphore de la Cène présen-tée comme le dernier repas de l’humanité.

Dans les dix-huit passages incri-minés, la pièce évoque la figure du Christ, tantôt qualifié de « vani-teux », de « foutu démon », de

« meneur d’une poignée de fous » ou encore de « Messie du sida ». « Ilétait nul dès qu’il s’agissait de parlerde foot. Incapable d’aller boire desbières », dit encore le texte qui pré-sente Jésus-Christ comme un ins-tigateur du mal parce qu’à l’origined’une « iconographie de la ter-reur », d’« une propagande pour la perversion ».

A l’époque des représentations,plusieurs centaines de personnes avaient manifesté leur opposition devant le théâtre parisien. « J’avais reçu 180 lettres d’amis de [l’organi-sation catholique intégriste] Civi-tas, un flot de menaces de mort, a rappelé Jean-Michel Ribes à la barre. Des cutters ont été répandus dans le théâtre avec “Christ” écrit sur les lames en rouge sang. » M. Ribes a aussi évoqué une repré-sentation au cours de laquelle des militants avaient, grâce à l’emploi de vomitifs, régurgité sur une ran-gée de spectateurs.

Pendant l’audience, Me Triom-phe, juriste connu des milieux ca-tholiques traditionalistes, a ré-prouvé un « théâtre contemporainqui devient intouchable » et a in-sisté, dans sa plaidoirie, sur la miseen scène, évoquant des scènes de nudité, une « femme singeant la crucifixion » ou une couronne d’épines représentée sur un cas-

que de moto. « Je trouve honteux que vous réduisiez la pièce de Ro-drigo Garcia à des cheveux entre lesfesses », s’est indigné Jean-Michel Ribes. Le directeur du Rond-Point s’est montré très prolixe pendant l’audience, tant il avait à cœur de réhabiliter sa conception du théâ-tre comme un « espace de liberté où les poètes s’expriment : Rodrigo Garcia a fait une satire. Il y a là l’en-vie de s’en prendre à ce qui le cho-que, mais il le fait plus avec humourqu’avec une détestation pro-fonde ».

Citée comme témoin par la dé-fense, Agnès Tricoire, déléguée de l’Observatoire de la liberté de créa-tion, créé en 2003 par la Ligue des droits de l’homme, a jugé que « l’intrusion dans l’art » avait pris une nouvelle ampleur ces derniè-res années.

« C’est toujours la vieille musiquedu blasphème qu’on nous ressert aujourd’hui », s’est affligée l’avo-cate de la défense, Me Brigitte Ri-chard. Le parquet a quant à lui rap-pelé que Golgota Picnic est une œuvre de fiction, et qu’à ce titre elle devait être appréhendée avec la « distanciation nécessaire », et qu’en tout état de cause les chré-tiens n’y étaient pas pris pour ci-ble. Il a donc requis la relaxe. p

julia pascual

que à laquelle l’héroïne raffinée à Marseille inondait le marché nord-américain, jusqu’à sa vie dans la jungle colombienne, où lesIndiens l’appelaient « El Mago » (le magicien), admiratifs de ses ta-lents de chimiste.

« Si on vous donne des feuilles decoca, vous pourriez nous faire du chlorhydrate de cocaïne ? », inter-roge le président. Le septuagénaireprovoque l’hilarité : « Avec plaisir ! »Surnommé « Charlot », Laurent Fiocconi savoure le récit que le ma-gistrat fait de sa vie, résumée dans une note de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stu-péfiants : orphelin à 3 ans, élevé par un oncle parrain corse, une éducation dans le quartier de Pi-galle à Paris et ses premiers hauts faits – vols, extorsions – avec son ami, le Toulonnais Jean-Claude Kella. En 1969, il est extradé d’Italievers les Etats-Unis mais s’évade de

L’acheminement

de la drogue

dans les calamars

surgelés a été

vite abandonné.

Les trafiquants

se sont rabattus

sur des valises

transportées

par des « mules »

L’HISTOIRE DU JOURLe double agenda de Nicolas Sarkozy

L a semaine passée a été très internatio-nale pour Nicolas Sarkozy. Accompagnéde journalistes, le président du parti Les

Républicains (LR) a rendu visite à Vladimir Poutine, jeudi 29 octobre. Un déplacement trèsmédiatique inscrit à l’agenda officiel. Mais se-lon nos informations, il s’est aussi rendu aux Etats-Unis, lundi 26 octobre, avant de rentrer en France mardi. Lors de ce voyage qui ne figu-rait pas à son programme public, l’ancien pré-sident de la République a rencontré le maire deChicago, Rahm Emanuel, ancien directeur de cabinet de Barack Obama à la Maison-Blanche.Cet homme a également été très proche de BillClinton. C’est lui qui avait organisé la collectede fonds destinée à financer la première cam-pagne de M. Clinton en 1992 avant de devenir un conseiller de son administration.

Lors de cette journée, M. Sarkozy a déjeunéavec une dizaine de chefs d’entreprise améri-cains comme Christopher Kennedy, fils de Ro-bert Kennedy, ou encore John Rowe, dirigeant d’Exelon, un groupe spécialisé dans l’énergie. Ce repas a été organisé par William Daley, lui aussi ex-directeur de cabinet de M. Obama. M. Sarkozy a ensuite participé à une confé-rence rémunérée, un des buts de ce voyage.

Personne n’ose vraiment lui dire

Depuis son retour, M. Sarkozy n’a pas renoncé à ces conférences privées, une activité qu’il avait débutée en 2012 lors de son retrait de la vie publique. Le 28 août, il en avait déjà donné une en Argentine. Certaines ont eu des consé-quences politiques. Comme celle d’Abou Dhabi, le 2 février 2015, révélée par l’hebdoma-daire Marianne. Ce jour-là, son parti était sous tension à cause d’une législative partielle dansle Doubs où la droite était éliminée face au PS et au FN. Dès le dimanche soir, les ténors LR se prononçaient tous en ordre dispersé sur la

consigne de vote à donner. Son absence avait fait désordre. Aujourd’hui, si personne n’ose vraiment lui dire, certains de ses proches sont sceptiques sur le fait qu’il poursuive cette acti-vité en 2016, année de la primaire. Ils craignentque les montants de ses rémunérations, usuel-les pour un ancien chef d’Etat, choquent l’opi-nion et rappellent la période bling-bling qui luiavait tant coûté au début de son quinquennat.

Lorsqu’il est interrogé sur ce sujet, le prési-dent des Républicains assume. Il explique que ces moments lui permettent de croiser des di-rigeants mondiaux et d’enrichir sa réflexionloin des petites batailles de la politique fran-çaise. Le directeur général du parti, Frédéric Péche-nard, argue, lui, que l’an-cien chef de l’Etat a parfai-tement le droit d’exercer unmétier. Ces conférences ne sont en revanche jamais annoncées car elles relè-vent d’un agenda « privé », selon son entourage, qui s’agace que la presse se fo-calise sur son cas alors que d’autres hommes politi-ques font de même.

Au-delà de ces conférences, l’ancien prési-dent de la République a un carnet de rendez-vous confidentiel très rempli. Sauf exception,son équipe ne lui programme ainsi jamais d’activités officielles les lundis soir et les ven-dredis. Il consacre ces moments à des entre-tiens privés. Dernièrement, il a, par exemple, participé à des déjeuners-débats avec des chefs d’entreprise, des avocats ou encore des agriculteurs. Un agenda officieux destiné à ali-menter sa réflexion et à préparer des échéan-ces plus personnelles. p

matthieu goar

M. SARKOZY N’A PAS RENONCÉ À CES CONFÉ-RENCES PRIVÉES, UNE ACTIVITÉ COMMENCÉEEN 2012

Page 13: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 france | 13

L’hébergement d’urgence sous pressionLes 5 000 nouvelles places d’accueil ne suffisent pas aux besoins des sans-abri et des migrants

A la veille de l’entréedans l’hiver, l’Etat,chargé de l’héberge-ment des sans-abri, ac-

croît son effort en augmentant lescapacités d’accueil de 5 000 placesdans toute la France. « En Ile-de-France, où, chaque nuit, sont abri-tées 75 000 personnes, nous ouvri-rons 2 500 nouvelles places, dont 1 195 à Paris, plus les 700 de l’année

dernière désormais pérennisées », détaille Jean-François Carenco,préfet d’Ile-de-France. Il se félicite que les moyens financiers arri-vent : « Vendredi 23 octobre, le dé-cret de paiement de 130 millions d’euros a été publié. »

Son autre objectif est de réduirele recours à l’hôtel, quitte à rache-ter des établissements (quatre projets sont en cours) : « Nous par-viendrons, cette année, à stopper l’augmentation et à rester à 32 000 nuitées d’hôtel, ce qui estdéjà pas mal, et surtout nous sou-haitons mieux répartir l’effort sur le territoire et épargner la Seine-Saint-Denis », ajoute-t-il. La clien-tèle des sans-abri occupe, à elleseule, 15 % de la capacité hôtelière francilienne.

Afin de faire contribuer desquartiers et des banlieues aisées,300 places en foyer sont en cours d’autorisation d’ouverture dans le quartier de la Muette (16e arron-dissement de Paris) et dans l’Hô-tel de l’Artillerie (7e arrondisse-ment). « Cette année, à l’occasion de cette mise à l’abri hivernal, outre un diagnostic social, nous souhaitons ajouter une consulta-tion médicale, car l’état de santé des personnes à la rue s’aggrave », annonce Sophie Brocas, secré-taire générale de la préfecture d’Ile-de-France.

Sur le terrain, l’enthousiasmeest plus nuancé. La pression sur les SAMU sociaux ne faiblit pas,au contraire. Selon la Fédération nationale des associations d’ac-cueil et de réinsertion sociale (Fnars), début octobre, chaque

jour, 430 personnes (dont 20 % de femmes) ayant appelé le 115 (nu-méro d’urgence des sans-abri) de Paris n’ont pas obtenu d’héberge-ment. Même absence de solution pour 350 personnes chaque jour en Seine-Saint-Denis, 270 dans le Val-d’Oise, 200 à Toulouse (Haute-Garonne) et, sur les quinze der-niers jours de septembre, 850 en Isère et 2 010 dans le Rhône.

Dans les Hauts-de-Seine, des fa-milles restent à la rue, faute de budget pour les nuits d’hôtel. Dans le Val-d’Oise, « deux structu-res ont fermé pour travaux et nousmanquons cruellement de placespour des hommes seuls », alerteValérie Pélisson, directrice du 115 de ce département où seules 44 % des demandes sont satisfaites.

« L’Etat fait des efforts, c’est cer-tain, mais pas à la hauteur de la de-mande qui croît avec la crise éco-nomique et la précarité, analyseBruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité. Ainsi, dansle bois de Vincennes, il y a plus de monde que l’année dernière et ils ont plus de problèmes, notam-ment de santé mentale. » Sans

compter les expulsions qui se multiplient, alerte l’association Habitat et humanisme.

Mais ce qui inquiète les associa-tions, c’est la juxtaposition et peut-être la concurrence des filiè-res d’accès aux centres d’héberge-ment. Depuis juin et l’afflux des migrants, notamment dans la ca-pitale, en plus des plates-formes du 115 destinées aux sans-abri, descapacités d’accueil ont ainsi été réservées aux réfugiés attendus dans le cadre de l’accord de répar-tition européen (passés par Mu-nich) et les sorties de campe-ments de migrants qui se sont installés dans les rues de Paris.

Centre vide à Suresnes

Pour ces derniers, la préfecture et ses partenaires ont fait des mira-cles ; onze évacuations ont permisde mettre à l’abri 3 664 migrants, dans 45 centres, en trois mois. Rien que pour celle du lycée Jean-Quarré (19e arrondissement), le 23 octobre, ce sont 1 200 person-nes qui ont pu être hébergées, jus-que dans l’Allier, alors que 700 à900 étaient attendues.

Concernant les réfugiés arrivésà Munich, seuls 526, sur les 1 000 attendus, ont choisi de gagner laFrance, à tel point que certaines structures sont vides. C’est le cas d’un bâtiment de Suresnes (Hauts-de-Seine) où, depuis le 1er octobre, tout était prêt, les lits faits, le personnel recruté et les re-pas commandés. Mais personnen’est venu. Il n’est pas question,pour le maire (LR) de la ville, Christian Dupuy, d’ouvrir le lieu à

d’autres publics, comme des sans-abri : « La ville s’est portée candi-date pour accueillir les victimes de la terreur de Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique], et il fautgarder cette capacité. » « Je ne peuxpas outrepasser les vœux des mai-res », se résigne le préfet Carenco.

D’autres villes se sont montréesplus souples et ont ouvert les por-tes des centres pour réfugiés sy-riens aux migrants venus d’ailleurs – Erythrée, Soudan, So-malie – et issus des campements, notamment celui du lycée Jean-Quarré : c’est le cas de Bonnelles etMézy-sur-Seine (Yvelines), Boulo-gne-Billancourt ou Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine).

« Face à cette organisation en fi-lières distinctes et quasi imper-méables, il faudrait redonner aux plates-formes du 115 leur rôle cen-tral de régulation, avec toutes les places d’hébergement au potcommun », plaide Eric Pliez, prési-dent du SAMU social de Paris etdirecteur général d’Aurore, asso-ciation gestionnaire de centred’hébergement. p

isabelle rey-lefebvre

Une Marche de la dignité à Paris contre les violences policièresPorté par un collectif de femmes, le rassemblement de samedi marque un renouveau et une radicalisation de l’antiracisme

D ouze ans plus tard, ellesveulent encore marcher.Un collectif de femmes

organise une Marche de la dignité,samedi 31 octobre, à Paris, afin de remettre la question des violencespolicières au cœur du débat politi-que. Se revendiquant petites sœurs de celles et de ceux qui ont participé à la Marche pour l’égalitéet contre le racisme en 1983 – elle aussi mue par la dénonciation descrimes policiers dans les ban-lieues –, mais aussi héritières des révoltes urbaines de novem-bre 2005, ces femmes vont tenter de faire défiler, entre Barbès et Bastille, les collectifs et les réseauxdes quartiers populaires.

Tout est parti d’un appel lancé,en mai, par Amal Bentounsi, sœur d’un homme de 29 ans tué d’une balle dans le dos par un policier unsoir d’avril 2012, à Noisy-le-Sec (Sei-ne-Saint-Denis). La jeune femme entendait mobiliser contre l’« im-punité » dont bénéficieraient selonelle les forces de l’ordre quand ils poursuivent des Noirs et des Ara-bes. Depuis quelques années, une série de collectifs militants, tels Stop contrôle au faciès ou la Bri-gade antinégrophobie, se sont mo-bilisés contre les contrôles poli-ciers discriminants, faisant écho à un ras-le-bol de plus en plus palpa-ble parmi la jeunesse. La relaxe, le 18 mai, des deux fonctionnaires poursuivis après la mort de Zyed et Bouna, qui avait déclenché les émeutes de 2005, a ravivé un senti-ment d’injustice à fleur de peau.

L’initiative de Mme Bentounsi esttombée à point et a réussi à fédérerune soixantaine de femmes, mili-tantes, sociologues, artistes ou blogueuses, qui ont à leur tour lancé un appel à manifester. « Nous voulons valoriser les fem-mes des quartiers, ces figures qui

portent depuis des années les luttespour l’égalité. C’est aussi une ma-nière de prendre le contre-pied des clichés sur la femme soumise aux hommes noirs ou musulmans », explique Sihame Assbague, une des organisatrices de la marche. « Les femmes sont en première li-gne quand leur frère ou leur père estvictime de la police ou d’un règle-ment de compte », renchérit Moha-med Mechmache, coprésident de la coordination Pas sans nous.

Après des mois de travail, les or-ganisatrices sont parvenues à fé-dérer des associations, des collec-tifs des quartiers, jusqu’alors trèséclatés, et à être soutenues par de nombreux chercheurs, artistes, rappeurs ou slameurs. Un concert réunissant Kery James, Médine, Disiz ou Princess Erika doit se tenirplace de la Bastille à l’issue du dé-filé. Reste à savoir si la marche va parvenir à mobiliser les quartiers populaires. Depuis trente ans, tou-tes les tentatives de fédérer les ré-seaux militants ont échoué à constituer une voix unie des ban-lieues, se heurtant aux divisions politiques et aux batailles d’ego.

Mettant l’accent sur la mémoiredes luttes de l’immigration, la mo-bilisation se veut pourtant fonda-trice d’un nouvel élan, à l’initiatived’une nouvelle génération. En s’inspirant du cri de ralliement

« Black lives matter » (« les vies noi-res comptent ») des manifestants de Ferguson, aux Etats-Unis, les mots d’ordre ont pris des accents radicaux. Il s’agit de parler au nom de toutes les « minorités raciali-sés », mêlant victimes du racisme anti-Noirs, islamophobie, romo-phobie, comme la stigmatisation des populations des quartiers, et de revendiquer leur autonomie : « Nous allons faire une déclaration d’indépendance par rapport aux organisations de gauche et aux syndicats qui ont parlé en notre nom et confondu alliance et subor-dination », insiste la sociologue Nacira Guénif.

Rupture avec la gauche

L’initiative devrait ainsi marquerune rupture avec les organisationsdes droits de l’homme et la gauchetraditionnelles, qui avaient placé la lutte contre le racisme sur le ter-rain de la morale et des valeurs. Defait, en dehors de la gauche radi-cale et des écologistes qui défile-ront en queue de cortège, peu de partis soutiennent la marche.

Le ton sera particulièrement cri-tique à l’égard du gouvernement. Pour toute cette mouvance asso-ciative, l’abandon du récépissé lors des contrôles de police ou du droit de vote des étrangers, le vide des mesures en faveur des quar-tiers populaires depuis l’élection de François Hollande, ont signé la rupture avec la gauche gouverne-mentale. La décision de l’Etat, le 13 octobre, de se pourvoir en cassa-tion contre un jugement qui le condamnait pour « faute lourde »après des contrôles d’identité au faciès, a acté définitivement le di-vorce. « L’heure de nous-mêmes asonné », assure Fania Noël du col-lectif afro-féministe Mwasi. p

sylvia zappi

Les organisatrices

sont parvenues

à fédérer des

associations

et des collectifs

jusqu’alors

très éclatés

Dans les

Hauts-de-Seine,

des familles

restent à la rue,

faute de budget

pour les nuits

d’hôtel

LE CONTEXTE

TRÊVE HIVERNALELa trêve hivernale interdit l’exécution des décisions judiciaires d’expulsions des locataires. Elle va du 1er novem-bre au 31 mars (son terme a été porté du 15 au 31 mars par la loi Alur du 24 mars 2014).Cette protection ne s’applique pas aux squatteurs, et n’arrête pas les procédures : elle suspend seulement leur exécution.C’est aussi durant cette période de cinq mois que les préfets ouvrent des centres d’héberge-ments temporaires pour mettre à l’abri les personnes à la rue, soit environ 5 000 places ouver-tes quelle que soit la tempéra-ture, afin de mettre fin à la « gestion au thermomètre ». En cas de grands froids, de nou-veaux lieux sont proposés (type gymnases), et refermés quand le temps se radoucit, mais cela de-vrait rester l’exception.

CORRESPONDANCESUne lettre d’Air CaraïbesA la suite de la parution de l’arti-cle « “Air Cocaïne” : comment les pilotes ont regagné la France » (Le Monde daté 30 octobre), nous avons reçu de la direction de la compagnie Air Caraïbes ce courrier.

« Air Caraïbes tient à démentir lesinformations parues dans l’édi-tion du Monde en date du 30 oc-tobre. Après enquête interne, les passagers mentionnés dans votre article ont emprunté un vol ré-gional de la compagnie Air Caraï-bes entre Saint-Martin (partie française) et Fort-de-France. Les billets ont été réservés, achetés et payés en toute légalité auprès d’une agence de voyages basée en région parisienne et émis à leurs noms respectifs. »

Une lettre de Romainville Habitat

A la suite de la publication, le 21 octobre, sur Lemonde.fr, de l’ar-ticle « A Romainville, mobilisation des habitants pour une famille nombreuse à la rue », nous avons reçu d’Asma Gasri, présidente de Romainville Habitat, ce courrier.

« Il est faux d’insinuer que “le bailleur multiplie les évacuations manu militari”. Des procédures d’expulsions suivent normale-ment leur cours sans la présence importante de forces de l’ordre. Romainville Habitat accompa-gne de nombreux ménages qui ont des retards de loyers. Pour corriger vos chiffres qui sont faux, il y a aujourd’hui 1 150 mé-nages qui ont un plan d’apure-ment sur les 3 500 ménages habi-tant le parc social de l’office. »

Ce qui inquiète

les associations,

c’est la

concurrence des

filières d’accès

aux centres

d’hébergement

Mardi

dans LeMonde.fr

L’hommage d’Art Basel

La Foire d’art contemporain de Bâle

met à l’honneur

des artistes que lemarché n’a pas r

econnus à leur

juste valeur. PLAIS IRS | PAGE 10

Ménageà trois

é d i t o r i a l

A lire les enquêtes sur la fa­

çon dont les couples gè­

rent leurs finances, tout

irait pour lemieux dans le

meilleur desmondes. Dans

l’étude du Crédoc «Comment se

prennent les décisions au sein

des

couples?» (mars 2015), 97% des

personnes interrogées se dise

nt

satisfaites de leur organisation

fi­

nancière. Une telle unanimité fe­

rait chaud au cœur si elle ne son

­

nait faux. Comme souvent dans

ce type d’étude, les sondés rép

on­

dent en renvoyant une image

idéalisée du foyer, qui se révèle

souvent bien loin de la réalité.

Dans leménage à trois que

constituent lecouple et l’arge

nt,

l’équilibre est précaire. Si discu

­

ter desmenues dépenses qui

rythment le quotidien est d’une

banalité sans nom, réfléchir aux

conséquencespatrimoniales de

la vie conjugale est quasi tabo

u.

Comme si évoquer des questions

térielles pouvait compromet­

Lecouple

à l’épreuvede l’argent

Lesconséquencespatrimonialesdelavie

àdeuxsonttropsouventpassée

ssoussilence…

jusqu’àcequelesdifficultésécla

tent.Ilestpossibled’agiravantq

u’ilnesoittroptard.

PAGES 4­7

Lemythe des placements plaisir

Aristophil, Marble Art Invest... malgré des scand

ales à

répétition, lesoffres de produ

its atypiques continuent

de fleurir, notamment sur Interne

t. ÉPARGNE | PAGE 9Lematch de

s sites de location

de vacancesFace à la domination

d’Airbnb, les concurrents prop

osent

des tarifs plusattractifs et éto

ffent

leurs services.IMMOBIL

IER | PAGE 8

La noblesse deFrance à vendr

e

Sotheby’s et Christie’s s’apprêt

ent à disperser

des objets qui rythmaient le quotid

ien de la famille

d’Orléans et deMarie­Antoinette

. PLAIS IRS | PAGE 11

Lemythede lapropriété

é d i t o r i a l

A chaque rentrée, lesmaga­

zines fleurissent de

«unes» consacrées à l’im­

mobilier et, quelque soit le cycle

dumarché, c’est toujours lemo­

ment d’acheter. Ces sujets à répé

­

tition illustrent la passion iné­

branlable des Français pour la

pierre. Dans unmonde anxio­

gène, où la France peineà sortir

de la crise, où l’incertitude sur

le niveau futur des retraites an­

goisse l’opinion, l’immobilier est

perçu commeun gage de sécurité.

Devenir propriétaire est aussi

unmoyen d’accéder à unstatut

social, de luttercontre le décla

sement qui hante les classes

moyennes. Cetteaspiration a de

tout temps été encouragée par les

pouvoir publics à coups de dis

po­

sitifs défiscalisants, de prêts

bonifiés et de slogans politiqu

es.

A l’heure où le logement consti­

tue le premier poste de dépenses

desménages et engloutit 20%

des revenus d’un foyer sur deux

,

il est insupportable pour les

locataires de jeter chaquemois

un loyer par la fenêtre. Autant

rembourser un crédit pour bâtir

ce patrimoine que l’on pourra

ensuite transmettre.

Une évidence quimérite toute­

fois d’être relativisée. Bénéfici

er

d’un apport suffisant pour se

lancer n’est pasdonné à tout le

monde. Dans lesvilles où les

loyers sont élevés comparative­

ment au prix dumètre carré,

comme à Reims, auMans ou

auHavre, acheterun bien se ren­

tabilise en quelques années;mais

d’autres paramètres – hormis les

prix bien sûr – entrent ligne de

pl xifient l’équa­

Immobilier

LeprixdurêveLapassiondesF

rançaispourlapierre,synonym

edesécurité,nesedémentpas.Maispassionn’es

tpasforcément

raison:tropdecandidatsàlapro

priétéacceptentd’importantssacrifi

cesetsous­estimentlescoûtsind

uits

PAGES 4­10

Bourse: etmaintenant?

Le spectre de laremontée des taux

de la Fed

va continuer de planer sur de

smarchés déjà rendus

fébriles par le ralentissement chinois. ÉP

ARGNE | PAGE 3Partager po

ur payermoins d’impôt

Donner la nue­propriété d’un

bien

a beau être couramment utilisé,

les conséquences de ce geste s

ontmal

appréhendées.FAMILLE

| PAGE 2

Le nouveau réalisme à l’encan

Une vente disperse desœuvres accumulées

par Pierre Restany, le critique

d’art inventeur

de ce courant né en 1960. PLAI

S IRS | PAGE 10

Dommagescollatéraux

é d i t o r i a l

L’ idée est séduisante:

permettre à l’ensemble

des salariés debénéficier

d’une complémentaire santé d’en­

treprise, cettemutuelle financé

e

en partie par l’employeur. Un

avantage courant dans les gran

ds

groupes,mais peu répandudans

les petites structures. Comment

ne pas y voir unprogrès social

pour les quatremillions de sala­

riés qui ont dûsouscrire un

contrat individuel pour faire f

ace

à leurs dépenses de santé et,

surtout, pour les 400000 qui n

e

sont pas du tout couverts ? Fra

çois Hollande n’avait­il pas pro

­

mis, en octobre 2012, de réduire

les inégalités dans l’accès aux

soins et de permettre à tous les

Français de bénéficier d’une

couverture complémentaire ?

Des contrats au rabais

Oui,mais voilà, cette réforme,

qui entre en vigueur le 1

er janvier

2016, présentequelques effets

indésirables. Les salariés risque

nt,

tout d’abord, dese voir propose

r

des contrats aurabais. Le panie

r

de soinsminimum, imposé par

la loi, couvre les plus gros risq

ues,

mais compense peu les dépenses

onéreusesmal prises en charge

par l’Assurance­maladie. Et il ne

protège pas automatiquement

les conjoints oules enfants. Ceu

x

qui n’ont pas demutuelle ou ont

souscrit une offre très basique

y

gagneront au change, puisque

au

moins lamoitié de la cotisation

est prise en charge par l’em­

ployeur.Mais tous les autres

serontmoins bien protégés. Po

compléter, ils devront alors ajou­

ter une troisième couche à leur

couverture santé en souscriva

des surcomplémentaires, qui,

elles, ne serontpas sponsoris

par l’entreprise.

Cette réforme est susceptib

d’entraîner d’autres dommag

collatéraux : enrenforçant la

mentation dumarché de l’assu­

rance entre contrats collectif

individuels, lestarifs des seco

risquent d’augmenter. Dommag

pour les non­salariés qui en

équipés. Ce fractionnemen

protection sociale pourrait

encore amplifié, puisquele

vernement souhaite que de

contrats spécifiques aux pl

l’Etat,

Quel plan B pour vos liquidité

s ?

Face à un tauxdu Livret A anémique, il existe

encore quelques alternatives p

our améliorer

la rémunération de vos économies. ÉPARGNE | PAGE 9

Déshériter ses enfants, c

’est

presque possible.Divers p

rocédés

légaux permettent de favoriser un

tiers au détriment de sa progé

niture.

Ambiance... FAMILLE | PAGE 2

LeguèrepayantAu1er janvier20

16,touslessalariésbénéficieron

td’unemutuelled’entreprise.

Seront­ilspourautantmieuxprotégés ?

Pasforcément.

PAGES 4À 7

Une autre inance enmouvementK Les lauréats des Grands Prix de la inance solidaire 2015

K Livret, assurance-vie... les pistes pour donner du sensà ses placements

K Epargne solidaire : comment les banques utilisent vos fonds

Un supplément dans Le Monde, à découvrir dèsmardi 3 novembre

VOTRE SUPPLÉMENT

Page 14: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

14 | sports DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

londres - envoyé spécial

A quoi ressemble un busde 10 tonnes lancé àpleine puissance surun terrain de rugby ?

Réponse samedi 31 octobre, à Twickenham, lors de la finale de lahuitième Coupe du monde entrela Nouvelle-Zélande et l’Australie. Cette image hardie est utilisée parun physicien de l’université d’Auc-kland, Geoff Willmott, pour dé-crire « l’énergie cinétique » du rug-byman néo-zélandais Julian Sa-vea. Pleine d’à propos, la compa-raison justifie le surnom attribué au joueur (« le Bus »). Mais nerend pas forcément compte de l’autre atout de l’ailier gauche de plus de 100 kg : sa vitesse. Savea parcourt, en effet, 7,5 m par se-conde soit l’équivalent de 13 se-condes sur un sprint de 100 m.

Laissons de côté ces calculs dephysicien. Depuis le début de la compétition, les performances de Julian Savea entretiennent surtoutun fantasme bien particulier. Celuide voir en lui le futur successeur deJonah Lomu, première grande star du rugby professionnel et incarna-tion des All Blacks à partir du mi-lieu des années 1990. Et l’une des seules, encore à ce jour à avoir mar-qué les esprits au-delà des simples connaisseurs de ce sport.

Le sélectionneur Steve Hansenestimait même, en 2014, que Sa-vea deviendrait « probablement meilleur que Lomu ». Flatteur mais plutôt gênant pour le jeune homme de 25 ans, plein de défé-rence à l’égard de « ce joueur lé-gendaire, [son] idole » : « Il chan-geait les matchs à lui tout seul et a inspiré de nombreux enfants,donc, pour moi, personne nepourra pas être meilleur que lui. »

« Extraterrestres »

Né de parents samoans, Savea re-flète lui aussi la richesse de cette Nouvelle-Zélande aux influencesplurielles, tout comme Lomu, ori-ginaire des Tonga, pays voisin du Pacifique, le faisait en son temps. S’il a aujourd’hui renoncé à l’idée d’arborer une houppette brune

sur un crâne rasé (« j’avais sa coupe de cheveux quand j’étais pe-tit »), il continue toutefois de luirendre hommage dans l’art brutaldu raffut. Même aisance, même puissance, lorsqu’il s’agit d’en-voyer valdinguer tout promeneurqui aurait la malencontreuse idée d’obstruer la route.

Samedi 17 octobre, le XV deFrance a très bien saisi le concept.

Au Millennium de Cardiff, JulianSavea reçoit un ballon sur l’aile gauche. Face à lui, trois Bleus se re-laient. A eux trois, Noa Nakaitaci,Scott Spedding et Rabah Slimanidépassent les 300 kilos. Insuffi-sant, à l’évidence, pour stopperl’homme du match. Ce soir-là, enquart de finale, Julian Savea signe trois des neuf essais néo-zélandais (62-13). Alors, lorsque le trois-quarts centre français Wes-ley Fofana qualifie ses adversairesd’« extraterrestres », facile d’ima-giner à qui il songe en particulier.

D’autres nations peuvent com-patir à la détresse tricolore. Julian Savea a également sévi à deux re-prises contre la Namibie et troisfois contre la Géorgie. Ce qui portedéjà son bilan à huit essais en cette seule Coupe du monde, re-cord que se partageaient jusque-làle Sud-Africain Bryan Habana (2007) et… Jonah Lomu (1999).

« Julian commence à avoir beau-coup d’expérience internationale

maintenant, apprécie le troisiè-me-ligne Victor Vito, à propos de son coéquipier, qui cumule déjà38 essais en 40 matchs chez les AllBlacks depuis 2012, un ratio en-core supérieur à celui de Lomu. Deson propre aveu, il était un peu endessous de son niveau au début de la saison. Il est redevenu cette bête de compétition que l’on connaît tous […]. C’est un joueur taillé pour les grands matchs et on en a vrai-ment besoin. »

Reste à justifier toutes ces pro-messes. La demi-finale du sa-medi 24 octobre, remportée de justesse (20-18) face à l’Afrique duSud, a montré qu’il restait encoredu travail. Ce jour-là, le « Bus » néo-zélandais a le moteur enpanne. Face à des Springboks,autrement plus coriaces que laFrance, aucun moyen de franchirla ligne d’en-but.

En préambule de la finale, cematch aura au moins eu le mérited’inciter à la modestie. Il rappelle

aussi que la carrière de Savea adéjà connu, il est vrai, plusieurs freins : de légers écarts avec la dié-tétique, une tendance au surpoids(1,92 m pour 106 kilos en temps normal), mais surtout, une plainte pour violences conjuga-les. En 2013, le joueur échappe de justesse à une condamnation pour avoir levé la main sur la mère de sa jeune fille, Cora. Un anplus tôt, le même homme posait pourtant pour une campagne de

lutte contre les violences familia-les, sous le slogan « It’s not OK. » (« Ce n’est pas bien »)…

A l’issue d’une thérapie « in-croyablement utile », le joueur dé-clare désormais avoir « pris toutesles dispositions pour changer de comportement ». Sur le plan spor-tif, un sacre en Coupe du monde consacrerait aujourd’hui une forme de rédemption. Sous con-trat avec la Fédération néo-zélandaise pour les quatre saisonsà venir, le joueur des Wellington Hurricanes figure également parmi les six nominés pour le ti-tre de meilleur joueur du monde sur l’année écoulée. Cette récom-pense individuelle s’ajouterait à celle de meilleur joueur junior ob-tenue en 2010. Cette année-là, Sa-vea remportait le championnatdu monde des moins de 20 ans et finissait meilleur marqueur d’es-sais. L’adversaire en finale ? L’Aus-tralie, déjà. p

adrien pécout

La dernière ruade des vieux buffles sud-africainsLes Springboks finissent sur la troisième marche du podium après leur victoire (24-13) contre l’Argentine

londres - envoyé spécial

L e match pour la troisièmeplace a été probablementinventé pour faire de la fi-

nale un climax. Celui du vendredi 30 octobre, qui a vu la victoire de l’Afrique du Sud sur l’Argentine (24-13), n’a pas dérogé à la règle. Les tribunes avaient commencé à se vider quand le pilier Juan PabloOrlandi a inscrit l’unique essai desPumas dans les dernières secon-des de la partie. Puis, c’est dans uncratère aux deux tiers désert que les médailles de bronze ont été re-mises aux vainqueurs. L’enceinte était d’ailleurs indiquée pour de telles récompenses : le Stadeolympique, construit pour lesJeux de Londres. Mais si l’alliagedu cuivre et de l’étain a une valeur

inestimable aux JO, il n’en va pasde même pour les Mondiaux des sports collectifs. Là, il s’agirait presque d’un prix en carton.

La « petite finale » peut avoirune vertu : offrir du beau jeu, enl’absence d’enjeu. Cela n’a mêmepas été le cas vendredi malgré laprésence des Argentins, une des plus séduisantes équipes du tour-noi. Ils avaient la possibilité de terminer en beauté en égalant leur exploit de 2007, une troi-sième place lors de leur campagnede France. Les Sud-Africains leur ont refusé cette satisfaction, comme ils les avaient privés àl’époque d’une finale – ce qui étaitautrement dramatique.

Il faut dire que les hommes deHeyneke Meyer n’avaient pas in-térêt à prendre ce match à la lé-

gère. En montant sur le podium, les Springboks reviennent de loin,depuis l’humiliation du 19 sep-tembre à Brighton, une défaitecontre le Japon, qui demeure la plus grande surprise de l’histoire du rugby. Menacés de rentrer pré-maturément au pays, ils se sontvengés sur les Samoans, les Ecos-sais et surtout les Américains, pul-vérisés 64-0. « Le minimum qu’on puisse faire désormais, c’est de ga-gner la Coupe du monde », avait annoncé le capitaine Jean de Vil-liers, qui n’a pu participer à la re-conquête, à cause d’une mâchoirefracturée dès le deuxième match. L’objectif n’a pas été rempli, par la faute des Néo-Zélandais en demi-finale, mais l’honneur est sauf.

C’est qu’il y avait des réputa-tions à défendre : celle de huit

champions du monde de 2007 (neuf en comptant de Villiers). LesSpringboks se sont présentés cetautomne avec quelques jeunes antilopes et surtout une escouadede vieux buffles, un peu fourbusmais toujours redoutables quand il s’agit de foncer dans le tas. L’un d’eux a fait ses adieux à la sélec-tion : le doyen de la compétition, le deuxième-ligne Victor Matfield(38 ans), qui aura régné sur les tou-ches internationales pendant quatorze ans.

Glorieuse génération

Capitaine pour sa dernière appa-rition, il part avec un record dans son pays de 127 capes. Ses compa-gnons d’armes n’ont pas pris de décision définitive, mais il est peuprobable que l’on revoie au Japon,

en 2015, ces vétérans aux noms poétiques que sont le pilier Janniedu Plessis et son frère talonneur Bismarck, le troisième-ligne Schalk Burger, les demis de mêlée Fourie du Preez et Ruan Pienaar, tous âgés de 31 ans au minimum.C’est toute une glorieuse généra-tion qui a sans doute tiré sa révé-rence au Stade olympique.

Reste le cas des ailiers. En 2007,JP Pietersen était un gamin de21 ans. A 29 ans aujourd’hui, il aencore de beaux jours devant lui.C’est moins évident pour Bryan Habana mais deux défis pour-raient le motiver à jouer les pro-longations. A 32 ans, le joueur de Toulon ne se trouve qu’à dix uni-tés de Matfield. Et contre l’Argen-tine, il était au centre de l’atten-tion. Auteur d’un essai, il serait

devenu le premier finisseur de l’histoire de la Coupe du monde avec seize réalisations, en dépas-sant le légendaire Néo-ZélandaisJonah Lomu. Rien n’y a fait, mal-gré l’aide de ses camarades. A la10e minute, l’arrière Lucas Gonza-lez Amorosino a trouvé le moyen d’aplatir le ballon dans l’en-but avant lui. Ensuite, Habana a été sanctionné pour deux en-avant alors qu’il filait vers son but. Les Boks ont bien inscrit deux essais, mais par Pietersen et Eben Etze-beth – servi par Habana. Le pire est qu’un autre joueur pourrait s’emparer de la couronne de Lomu, samedi à Twickenham :l’Australien Drew Mitchell, en réa-lisant un doublé en finale contre les All Blacks. p

bruno lesprit

Les Français,incapables de stopperle Néo-Zélandais Julian Savea lors des quartsde finale, à Twickenham, le 17 octobre.LOIC VENANCE/AFP

Savea continue

de rendre

hommage

à Jonah Lomu

dans l’art brutal

du raffut.

Même aisance,

même puissance

Julian Savea, l’atout maître des All BlacksL’ailier néo-zélandais de 25 ans est annoncé comme le joueur décisif de la finale, samedi, contre l’Australie

En quête d’un titre historique

Inédite par son affiche, cette huitième finale de la Coupe du monde l’est aussi par son enjeu : la Nouvelle-Zélande et l’Austra-lie, qui ne s’étaient encore jamais rencontrées à ce niveau, joue-ront chacune pour remporter un troisième titre et devenir la na-tion la plus titrée de la compétition. Se superposent aussi des défis propres aux All Blacks : en cas de victoire, samedi 31 octo-bre, sous le ciel londonien de Twickenham, la sélection néo-zélandaise deviendrait la seule à conserver son titre d’une édi-tion sur l’autre. Autre source de motivation, un sacre en Angleterre vaincrait la malédiction selon laquelle l’équipe à la fougère argentée ne soulève le trophée Webb-Ellis que lorsqu’elle joue à domicile (1987 et 2011).

Page 15: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 enquête | 15

isabelle mandraud

moscou - correspondante

Opérateur en chef de l’inter-vention militaire en Syrie, lapremière lancée par la Russiehors de son pré carré soviéti-que depuis l’Afghanistanen 1979, et maître d’œuvre de

l’annexion de la Crimée, Sergueï Choïgou mène la campagne poutinienne sur tous les fronts. Y compris en allant renouer les fils de lacoopération militaire avec l’Iran, où aucun deses prédécesseurs ne s’était plus rendu depuis quinze ans. En le nommant ministre de la dé-fense, le 6 novembre 2012, Vladimir Poutinelui a prodigué ce conseil, pour ne pas perdre devue l’essentiel : regarder House of Cards et Boss, deux séries américaines dans lesquelles pouvoir, cynisme et intrigues se mélangent auplus haut niveau dans la vie publique des Etats-Unis – le modèle et l’adversaire en titre.

Cette anecdote savoureuse, rapportée parMikhaïl Zigar, rédacteur en chef de la télévi-sion indépendante Dojd et auteur du livre Les Hommes du Kremlin (non traduit), qui vient deparaître en Russie, donne le ton. La guerre froide avec l’ennemi d’hier se réchauffe et Ser-gueï Choïgou, 60 ans, y joue un rôle de pre-mier plan en dressant un « bouclier », selon son expression, contre l’OTAN, l’alliance atlan-tique redevenue, dans la doctrine militairerusse, la principale « menace ».

Jamais, depuis la chute de l’URSS, il n’y avaiteu autant d’exercices militaires, de l’Antarcti-que à Vladivostok, mis en scène comme des superproductions dignes d’Hollywood. Cet été, 95 000 soldats, 170 avions et 20 naviresont manœuvré. Des entraînements spéciaux contre les « révolutions de couleur » sont orga-nisés, des bases réaménagées autour des fron-tières. Un nouveau QG opérationnel modernede l’armée, qu’il a présenté lui-même à l’en-semble des attachés militai-res étrangers, a ouvert ses portes face au parc Gorki, le long de la Moskova. Dans le contexte morose de l’écono-mie russe, plombée par la chute des cours du pétrole et les sanctions occidenta-les, ce ministre-là ne con-naît pas la crise. Son budget,en hausse de 33 %, a atteint 3 287 milliards de roubles (46,5 milliards d’euros) en 2015, plus de 20 % des dé-penses du pays.

Jamais avant lui, non plus, un responsablemilitaire de ce niveau n’avait enlevé sa cas-quette pour effectuer un signe de croix, de-bout dans une Zil noire décapotable, figé dans son uniforme, alors qu’il s’apprêtait à pénétrersur la place Rouge, le 9 mai, pour le défilé mili-taire du 70e anniversaire de la victoire soviéti-que sur le régime nazi, véritable démonstra-tion de force boudée par les Occidentaux. Reli-gion et patriotisme : les deux piliers du Kremlin sont respectés à la lettre. Sergueï Choïgou bâtit le troisième, la « guerre de l’in-formation », décrétée par Poutine. Ses services inondent le réseau Twitter d’images de piloteset de frappes aériennes en Syrie, façon Top Gun. Une adaptation russe inspirée tout droit du film culte de l’américain Tony Scott (1986) àla gloire des aviateurs de l’US Navy.

PIÈCE MAÎTRESSE DU KREMLINAffable à ses heures, l’homme au visage rond originaire de Touva, une pittoresque républi-que russe à l’extrême sud de la Sibérie, aux confins de la Mongolie, s’impose aujourd’hui comme l’une des pièces maîtresses de l’échi-quier du Kremlin. « Si Poutine pensait sérieuse-ment à un successeur, il serait le mieux placé », assure Alexandre Goltz, un expert militaire qui l’a bien connu par le passé. A contrario, en

cas d’échec ou de grave revers sur le terrain, Choïgou pourrait tout aussi bien devenir le premier sacrifié.

Le ministre russe de la défense ne vient pasdu « clan » de Saint-Pétersbourg. Il n’a pas fait ses classes au KGB, comme le président et le premier cercle du pouvoir, pas plus qu’il n’est issu du sérail militaire. Diplômé de l’institut polytechnique de Krasnoïarsk, il a commencé comme fonctionnaire du Parti communiste dans la construction, avant de devenir, la tren-taine à peine dépassée, patron de plusieurs usines en Sibérie. Mais dès 1990, sa promotioncomme adjoint au président du comité d’état sur l’architecture lui permet de rejoindre l’or-bite de l’ancien président Eltsine, quand Vladi-mir Poutine était encore adjoint du maire de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sobchak.

Rapidement, Choïgou, marié à une femmed’affaires et père de deux filles, se hisse dans lahiérarchie du Kremlin. Chef du département des situations d’urgence à 37 ans, et, à ce titre, médiateur dans le conflit entre l’Ossétie du Nord et l’Ingouchie en 1992, il devient deux ans plus tard le premier locataire du tout nou-veau ministère des situations d’urgence (MSU), spécialisé dans les crises et catastro-phes en tout genre. Il y restera douze ans, re-cord inégalé de longévité pour un ministre

russe, resté populaire de surcroît, malgré les crises successives. « C’était quelqu’un de plutôt charismatique et ouvert, qui nous recevait faci-lement en disant : “de quoi tu as besoin ?”. Je n’aurais pas imaginé qu’il deviendrait ce géné-ral croulant sous les médailles ! », se remémore un journaliste qui l’a souvent interviewé.

« A l’époque de la création du MSU, on y en-voyait tous les déchets de l’armée, les alcooli-ques, les indisciplinés, les fins de carrière, mais en trois ans la métamorphose du ministère a été fantastique », affirme Alexandre Goltz, qui se souvient d’avoir assisté à une scène surpre-nante. Accompagnant en plein hiver des ca-mions remplis de radiateurs pour secourir les habitants d’une ville de l’extrême-est russe en panne de chauffage, le ministre, après avoir constaté que le personnel pour le décharge-ment n’était pas au rendez-vous, avait tombé lui-même la veste, contraignant des généraux à faire de même. « Choïgou, souligne l’expert, est un des rares dirigeants russes efficaces en même temps qu’un très bon personnage de la cour de Byzance. Il comprend très bien Poutine, ils sont de la même génération, du même type de pensée soviétique. »

Loyal, Sergueï Choïgou l’est jusqu’au bout deson uniforme. C’est lui qui dirige le parti Unité,créé de toutes pièces en 1999 par l’ancien oli-

garque Boris Berezovski et Alexandre Volo-chine, alors chef de l’administration présiden-tielle, pour mener Vladimir Poutine tout droit au Kremlin. L’opération, qui aboutira plus tardà la naissance du parti au pouvoir, Russie unie,est un succès, mais ses promoteurs n’en récol-tent aucun dividende. Poursuivi pour fraude fiscale, Berezovski se voit contraint de s’exiler à Londres, où il décédera en 2013 ; Volochine doit abandonner ses fonctions en 2003 et Choïgou la présidence de son parti la même année, sous la pression. Pire, des rumeurs sur des faits de corruption commencent à se ré-pandre autour de ce dernier à la faveur des en-quêtes menées par le MVD (ministère de l’in-térieur) sur des proches collaborateurs. « Sa seule possibilité de ne pas tout perdre a consistéà garder et à préserver un accès direct à Pou-tine », note l’homme de la télévision, MikhaïlZigar. Le futur chef de la guerre s’y emploie, endevenant le meilleur compagnon de chasse et de pêche du président, et son premier agent en communication.

VÉRITABLE « SPIN DOCTOR » Dès 2007, les deux hommes prennent l’habi-tude de s’échapper dans la taïga et les monta-gnes de Touva, la région natale de Sergueï Choïgou. C’est là que seront réalisées les pho-tos du chef du Kremlin nageant la brasse pa-pillon dans les eaux glacées de la rivière Khen-chik, chevauchant torse nu un cheval ou em-brassant un gros brochet, chapeau de cow-boy sur la tête, qui feront le tour du monde. Discret pour ce qui le concerne, déclinant toute rencontre avec la presse occidentale – comme avec Le Monde, dont la demande d’en-tretien a été courtoisement écartée –, Sergueï Choïgou se révèle un véritable spin doctor dès lors qu’il s’agit du « chef », même en dehorsdes périodes électorales. C’est encore lui qui a organisé la petite virée de Vladimir Poutine, le18 août, à bord d’un bathyscaphe dans la merNoire à la recherche « d’épaves byzantines ».Succès international garanti. Le « tour-opéra-teur » de ces escapades n’est autre que la pres-tigieuse Société géographique de Russie, l’unedes plus anciennes du monde, fondée par letsar Nicolas Ier en 1845. Choïgou en a pris les commandes en novembre 2009. Un an plustard, Poutine est devenu président de son con-seil d’administration.

En 2012, l’alerte est chaude cependant. Subi-tement, l’inamovible ministre des situations d’urgence se voit écarté et nommé gouver-neur de la région de Moscou, un poste moins prestigieux. Mais l’exil ne dure que six mois avant qu’il ne soit promu, tout aussi rapide-ment, ministre de la défense, à la place d’Ana-toli Serdioukov, haï par les généraux, écla-boussé par un scandale de corruption et li-mogé. Deux ans plus tard, Choïgou fait partie des quatre collaborateurs présents autour du chef du Kremlin dans sa résidence de Novo-Ogarevo avec Nikolaï Patrouchev, président duConseil de sécurité de Russie, Alexandre Bort-nikov, patron du FSB (ex-KGB), et Sergueï Iva-nov, chef de l’administration présidentielle, lorsque la décision est prise, une nuit de fé-vrier 2014, d’envoyer les parachutistes de la 76e division de Pskov prendre possession de la

Crimée. L’envoyé spécialdu président chargé depréparer le volet politi-que, Oleg Belaventsev, estdéjà sur place et s’occupede remplacer les élitesukrainiennes par desprorusses patentés. Cetancien diplomate, ex-pulsé de Grande-Breta-gne en 1985 pour espion-nage, inscrit en 2014 surla liste européenne despersonnalités russes vi-sées par les sanctions, est

un proche de Choïgou. Il a été plusieurs an-nées sous ses ordres, au MSU, puis au gouver-norat de la région de Moscou.

Cette nuit de février, tandis que le ministrede la défense pilote la rocambolesque exfiltra-tion de l’ancien président ukrainien Viktor Ia-noukovitch, transporté en Russie à bord d’un hélicoptère, dix avions convoient furtivementà Sébastopol les « petits hommes verts », comme la population les a surnommés, des militaires sans insigne, qui prennent posses-sion de tous les sites stratégiques de la pénin-sule ukrainienne, sans rencontrer de résis-tance. « Comme on dit dans ce genre de situa-tion, rien n’est laissé au hasard (…) les gars étaient bien au courant qu’il leur fallait être po-lis, se tenir correctement car l’objectif n’était pasd’occuper mais de protéger », fanfaronne le mi-nistre dans le film de propagande Crimée, re-tour à la patrie, mis au point après coup. « Hommes polis » : l’expression lancée comme un label pour désigner le nouveau visage de l’armée russe a d’abord fait irruption sur les tee-shirts à la mode en Russie, avant de deve-nir le titre d’un manuel du ministère à usage des militaires et de leurs familles. Le disciple de Poutine a ensuite fixé ses radars et lancé sesSoukhoï sur la Syrie, nouvelle terre de con-frontation indirecte avec les États-Unis. p

RITA MERCEDES

« CHOÏGOU COMPREND TRÈS

BIEN POUTINE,ILS SONT DE LA

MÊME GÉNÉRATION, DU MÊME TYPE

DE PENSÉE SOVIÉTIQUE »ALEXANDRE GOLTZ

expert militaire

L’homme des guerres

de Poutine

Annexion de la Crimée, intervention en Syrie, coopération militaire avec l’Iran : Sergueï Choïgou, le ministrede la défense russe, mène la campagne poutinienne sur tous les fronts. Originaire de Sibérie,ce fidèle du président est aussi son meilleur agent en communication

Page 16: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

16 | débats DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

¶Emmanuel

Hirsch

est professeur

d’éthique

médicale

à l’université

Paris-Sud

Marquons les limites précisesentre sédation et euthanasie

par emmanuel hirsch

L e 6 octobre 2015, l’Assembléenationale a adopté endeuxième lecture la proposi-

tion de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des person-nes en fin de vie. Ce texte institue no-tamment la mise en œuvre d’« une sé-dation profonde et continue (SPC) pro-voquant une altération de la cons-cience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de main-tien en vie ». Le 29 octobre, les séna-teurs ont estimé important de délimi-ter de manière stricte l’indication de laSPC afin d’éviter une dérive euthana-sique de son usage : « 1. Lorsque le pa-tient atteint d’une affection grave et in-curable, dont le pronostic vital est en-gagé à court terme et qui présente une souffrance réfractaire à tout autre trai-tement, exprime la volonté d’éviter toute souffrance » ; « 2. Lorsque le pa-tient est hors d’état d’exprimer sa vo-lonté et sauf si ses directives anticipées s’y opposent, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie au titre de l’obstination déraisonna-ble et que la souffrance du patient est jugée réfractaire. »

La sédation a pour seule visée desoulager le patient, tout en intégrant le risque de provoquer ou de hâter le décès. Il s’agit du « double effet ». Elle tient compte de la volonté du patient, de son évolution ne serait-ce qu’au re-gard de sa situation clinique. Cet ajus-tement proportionné permet d’adap-ter le traitement et d’éviter une partie des effets secondaires indésirables. Contrairement à l’euthanasie ou au suicide médicalement assisté, la séda-tion préserve la possibilité de réversi-bilité. La personne peut ainsi confir-mer son consentement à la poursuite

ou non de la sédation. Elle peut égale-ment décider de sa durée au regard dutemps d’éveil qu’il lui importe de maintenir afin de favoriser sa vie rela-tionnelle.

Pour ce qui la concerne, la sédationprofonde et continue abolit inten-tionnellement les critères de réversi-bilité et de proportionnalité incompa-tibles avec son caractère constant et ir-révocable. L’acte médical a pour fin d’altérer de manière irréversible la conscience de la personne en vue d’une mort « apaisée ». Certains auteurs l’assimilent dès lors à une euthanasie. Contrairement aux repré-sentations sollicitées pour rendre ac-ceptable la SPC, elle ne saurait être considérée comme « mourir dans sonsommeil ». A la limite, il s’agirait plus d’un « mourir en coma ». Cette procé-dure relève plutôt de notions commela rupture relationnelle, voire la mort sociale, aucune forme de présence ne subsistant. Le temps limitatif de sur-vie n’est plus attesté que par des critè-res d’ordre physiologique.

MALTRAITANCE

A ces quelques considérations s’ajoute la complexité de la mise en œuvre d’une SPC. En effet, le législa-teur fait intervenir une modalité sup-plémentaire, dès lors que « la nutritionet l’hydratation artificielles constituentun traitement ». Cette disposition est susceptible d’opposer le point de vue des familles, qui, bien qu’acceptant la demande de SPC, pourraient considé-rer certaines de ses conséquences comme une forme de maltraitance, pour ne pas dire d’irrespect (ne se-rait-ce que du fait de la symbolique dulien entre l’eau et la vie et des altéra-tions physiques provoquées), à celui des équipes soignantes constatant les effets secondaires d’un traitement quide surcroît ne procure plus de béné-fice à la personne en fin de vie.

L’arrêt systématisé de l’alimenta-tion et de l’hydratation, considéréescomme de l’obstination déraisonna-ble, en phase initiale de SPC pourrait être assimilable à une pratique d’euthanasie passive. Abolir la cons-cience d’une personne et ne plus l’hy-drater a pour conséquence directe la fin de sa vie cognitive et biologique. Une dérive possible est évoquée par les soignants : ne plus accorder l’atten-tion nécessaire aux approches antal-giques alternatives, ne serait-ce que

dans le cadre d’une sédation « classi-que », et opter d’emblée et de manière routinière, sur simple demande de « lapersonne malade ou en fin de vie », pour une SPC. Cette proximité entre SPC et euthanasie pourrait être tem-pérée par les indications spécifiques et limitatives que l’on avait jusqu’à présent du recours à la sédation.

L’atténuation jusqu’à sa disparitionde la souffrance constitue le critère su-périeur de recevabilité, y compris lors-que aucune étude rétrospective ne permet d’évaluer si la personne sous SPC n’éprouve absolument aucune forme d’émotion, comme si elle était effectivement déjà morte. Les obser-vateurs avertis insistent toutefois sur la distinction évidente qu’il y a entre « sédation pour détresse en phase ter-minale », une situation exception-nelle, et la formulation de la proposi-tion de loi qui instaure le recours pos-sible à la SPC « à la demande du pa-tient d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie ». Cette conception de la SPC relève à la fois de la précaution, de la prévention,d’une certaine appréciation de la vieestimée selon son « utilité », enfin du respect, sans autre forme de délibéra-tion, de l’autonomie reconnue à la personne d’anticiper le terme de son existence afin « d’éviter toute souf-france » en sollicitant une « assistance médicalisée ».

L’évocation du sommeil, pourtantinadéquate dans la mesure où l’on ne s’en réveille pas, voire de l’anesthésie, apparaît plus rassurante pour les per-sonnes malades, les professionnels du soin et les proches, que celle du coma, de l’état de mort clinique, voire que l’euthanasie. La SPC peut de la sorte être envisagée comme une phase de transition terminale, sans souffrance, respectueuse de la per-sonne, entre fin de vie et mort. Les professionnels de santé y préserve-ront leur intégrité morale, n’injectant en rien un produit directement létal mais seulement un sédatif « profond et continu ».

C’est ainsi que cette conception du« bien mourir » imposera demain des normes, un « bien faire », un usage de l’art de soigner qui aboliront toute exigence de questionnement et ins-taureront le cérémonial « apaisé » d’un dispositif sédatif ultime encadré par la loi. Il est évident qu’à défaut de créer de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie cette nouvelle législation de la « mort sous sédation » ajoutera à nos vulnérabilités d’autres souffrances et d’autres indignités insurmontables. C’est probablement ainsi que se refon-dent aujourd’hui les valeurs compas-sionnelles de notre démocratie… p

La répression dans les stades porte atteinte aux libertés fondamentalesLes supporteurs sont avant tout des citoyens, les autorités l’oublient trop souvent dans leur volonté de respecter à la fois les libertés et l’ordre public

par pierre barthélemy

L a Division nationale de luttecontre le hooliganisme(DNLH) est un département

du ministère de l’intérieur crééen 2009 qui a pour mission de per-mettre aux supporteurs d’assisterpaisiblement aux manifestationssportives. Mais elle confond hooli-gans et supporteurs. A l’entendre, les supporteurs ne sont pas des ci-toyens comme les autres. Se rendre au stade ne serait pas une libertéfondamentale. Pire, elle conçoit la prévention par l’interdiction de dé-placements de supporteurs : treize fois plus d’interdictions en 2014 qu’en 2011. Juridiquement, elle s’égare. Pour un passionné de sport, c’est une hérésie.

Selon la DNLH, « se déplacer pouraller supporter une équipe n’est pasune des libertés fondamentales ». Leslibertés d’aller et venir, d’associa-tion, de réunion et d’expression neseraient donc plus fondamentales lorsqu’elles sont revendiquées par des supporteurs. Cette conviction subjective gouverne son action ob-jective. « Nous préférons qu’il y ait une restriction, voire une interdic-tion de déplacement de supporteursplutôt que de constater des incidents pourtant prévisibles », dit-elle. Avecun écho auprès de la Ligue de foot-ball professionnel (LFP) : « Une seule solution : la répression. (…) Si nous n’arrivons pas à régler ce problème,cela finira par une interdiction systé-matique des déplacements. »

CARACTÉRISER DES INCIDENTSLa DNLH croit que sa seule finalité est d’empêcher les incidents par tous les moyens. La liberté devrait céder au nom de la préservation de l’ordre public. Pourtant, en Ligue 1,le dernier recensement publié évo-que 282 incidents par saison dont 142 (50 %) pour fumigènes mais « seulement » 32 (11 %) pour violen-ces ou dégradations. On touche ici àla matière particulière de la policeadministrative dont la DNLH pro-pose une lecture biaisée. Le prin-cipe est de garantir l’exercice des li-bertés fondamentales des citoyensen déployant les moyens requispour permettre la bonne tenue des manifestations. Mais il y a une ex-ception selon laquelle l’autorité de police doit corrélativement garantir la préservation de l’ordre public. En dernier recours, elle est donc fon-dée à restreindre les libertés s’ilexiste des risques de troubles gra-ves. Ces menaces doivent être d’unegravité telle que les autorités de po-lice ne puissent pas y faire face pardes mesures adaptées.

Concernant les déplacements desupporteurs, le code du sport auto-rise le ministre et les préfets à « res-treindre la liberté d’aller et de venir des [supporteurs] sur les lieux d’une manifestation sportive, dont la pré-sence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre pu-blic ». La loi consacre les libertésfondamentales des supporteurs. Ce que reconnaissait pourtant laDNLH auparavant : l’interdiction gé-nérale des déplacements « ne tien-drait pas, aller et venir librement fait partie des libertés de chacun ». Sim-ple oubli ?

Pour garantir à la fois les libertéset l’ordre public, le Conseil d’Etat aencadré l’action des pouvoirs pu-blics. Toute restriction aux libertés doit être fondée sur des circonstan-ces particulières de temps et delieu, et doit être nécessaire. En ma-tière de déplacements de suppor-teurs, le Conseil d’Etat a jugé « qu’ilappartient aux autorités de l’Etat d’assurer la préservation de l’ordrepublic et sa conciliation avec les li-bertés fondamentales que sont no-

tamment la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion et la liberté d’ex-pression ». Il n’est possible d’inter-dire le déplacement des suppor-teurs qu’en présence d’un violent contentieux entre eux. Il faut carac-tériser des incidents d’une gravité croissante et un « climat de repré-sailles assorti d’actes de violence [créant] un risque élevé d’incidentsgraves ». De surcroît, il faut que lesauteurs des actes violents n’aientpas pu être identifiés.

Une autre circonstance peut justi-fier l’interdiction de venue des sup-porteurs : l’absence de tribune réser-vée aux visiteurs dans le stade alors qu’il y a des risques de violence. Les autorités de police n’ont donc pas lesmains libres. Le droit des suppor-teurs à se déplacer, contrairement aux dires de la DNLH, relève des li-bertés fondamentales. La DNLH a donc oublié son devoir : faire le né-cessaire pour préserver les libertés et l’ordre public. Invoquer l’insuffi-sance des forces de police ne consti-tue pas une justification proportion-née en soi.

La DNLH dispose de nombreuxoutils. Le principal est le dialogue avec les associations de supporteurs. Les rapports parlementaires et le mi-nistère des sports ne cessent d’invi-ter la DNLH à ce dialogue. Surtout, la France a ratifié un traité européen de 1985 lui imposant d’encourager la coordination des déplacements avec les supporteurs organisés.

Une politique sans résultats est unéchec. Le tout-répressif de la DNLH est un échec. Trois interdictions de déplacement en 2011, 39 en 2014. Cette inflation traduit une démis-sion. Le choix est clair : piétiner les li-bertés pour n’avoir pas à assurer la sécurité des supporteurs. C’est la po-litique du chiffre mais d’un seul chif-fre, celui des incidents comptabiliséssans prendre en compte un autre chiffre : celui du nombre de citoyens dont les droits sont méprisés. Si la politique de la DNLH fonctionne, pourquoi ce besoin croissant de res-treindre les libertés ?

Corrélativement, pourquoi refuserde communiquer depuis 2011 les chiffres des incidents en tribunes ?La transparence innerve pourtant le modèle britannique que la DNLH aime à invoquer. Des parlementairesl’ont interrogée sur ce point. Sans ré-ponse. Veut-elle cacher que ces inci-dents sont surtout liés aux fumigè-nes contre lesquels une fouille garantit davantage les libertés qu’une interdiction de déplace-ment ? Veut-elle cacher que l’infla-tion de mesures n’a aucune in-fluence sur le nombre d’incidents ? Veut-elle cacher que la quasi-totalité des mesures individuelles qu’elle prend et qui sont attaquées sont an-nulées par le juge ? Il n’y a ni dialo-gue ni transparence, rien ne s’amé-liore. Il y a seulement l’affirmation que le supporteur n’est pas un ci-toyen doué de libertés. La DNLH connaît ses missions et ses pouvoirs.Elle devrait se rappeler qu’elle a sur-tout des devoirs. p

¶Pierre Barthélémy

est avocat au barreau de Paris

La proposition de loi créant de nouveaux droits sur la fin de vie, loin d’en créer de nouveaux pour les malades, risque d’habituer à des souffrances et à des indignités insurmontables

L’ATTÉNUATION JUSQU’À

SA DISPARITIONDE LA SOUFFRANCE

CONSTITUE LE CRITÈRE SUPÉRIEUR

DE RECEVABILITÉ

Chine : usine à bébés | par serguei

SI LA POLITIQUEDE LA DNLH

FONCTIONNE, POURQUOI CE

BESOIN CROISSANT DE RESTREINDRE LES LIBERTÉS ?

Page 17: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 carnet | 17

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Le Carnet

AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Mme Martine Ally,sa ille

Et M. Philippe Coustou,M. (†) et Mme Maurice Ally,

son frère et sa belle-sœur,Mlle Florence Ally,

sa nièce,ont la très grande tristesse de faire partdu décès de

M. Guy ALLY,survenu à Paris, le 28 octobre 2015.

La cérémonie religieuse sera célébréele mardi 3 novembre, à 10 h 30, en l’égliseSainte-Odile, 2, avenue Stéphane-Mallarmé, Paris 17e, suivie de l’inhumationà 14 heures, au cimetière de Jouars-Pontchartrain (Yvelines).

4, rue Jules-Bourdais,75017 Paris.

Mme Marie-France Sarion-Bourdon,son épouse,

Mme Anne-Claire Pilling,sa illeet son époux,

Mme Violaine Huguenin-Virchaux,sa illeet son époux,

M. Emmanuel Bourdon,son ilset son épouse,

Ses petits-enfants,Parents et alliés,

ont la douleur de faire part du décès deM. Jacques BOURDON,

professeur éméritede l’université Aix-Marseille,

survenu le vendredi 30 octobre 2015.Un hommage lui sera rendu le mardi

3 novembre, à 9 h 30, en la salle decérémonie de la maison funéraire Saint-Pierre, 429, rue Saint-Pierre, Marseille 5e.

Luc, Anne et Eve,ses enfants

Et ses petits-enfants,

ont la tristesse d’annoncer le décès de

Claudine CHAULET,née GUILLOT,

sociologue, professeur d’université,combattante pour l’indépendance

de l’Algérie,

survenu le 29 octobre 2015, à Alger.

La levée de corps aura lieu à 14 heures,à son domicile, 8, rue du Hoggar, à Hydraet l’inhumation au cimetière chrétiend’El Madania, ce samedi 31 octobre.

« ... nous voulons marcher tout le tempsla nuit et le jour, en compagnie

de l’homme, de tous les hommes. »Frantz Fanon.

M. Rolland Daval,Le docteur Gérard Daval,

ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Suzanne DAVAL,née BOUCGNIEAU,

survenu le 29 octobre 2015.

Un hommage lui sera rendu en l’égliseSainte-Germaine de Cachan, le mardi3 novembre, à 14 h 45.

Gelos (Pyrénées-Atlantiques). Paris.Saint-Palais-sur-Mer

(Charente-Maritime).

Anne-Lise Francq, Marie-Élia Francq-Marcon, Natalie Francq,ses illes,

Monique Arnoux et Janine Devinot,ses sœurs,

Ses petites illesEt ses arrière-petits-enfants,Les fami l les Deyzieux , Géas ,

ChurleaudEt les amis de l’Arche,

font part, avec émotion, du décès de

Simone FRANCQ-BERRAN,survenu chez elle, à Gelos,dans sa cent unième année.

L’inhumation aura lieu le lundi2 novembre 2015, à 11 h 30, au cimetièrede Courlay, Saint-Palais-sur-Mer.

Sa familleEt ses proches.

Le 1er mai 2015,

Jean-Paul GARDINIERnous quittait, à l’aube de sa quatre-vingt-quatorzième année.

C’était un visionnaire humanistequi avait la passion du développementde l’humanité à travers la diversitédes cultures vers l’Universel.

Christian H. Lourdeau,exécuteur testamentaire,

55, rue de l’Université,75007 Paris.

Philippe GAUGUETa décidé de partir dans la dignité,le 21 octobre 2015, à son domicilede Nice, en refusant tout acharnementthérapeutique, entouré de ses enfants,Arthur et Léonard Gauguet et de sacompagne, Clotilde Galy.

Sa crémation a eu lieu dans l’intimité.

Fernande,son épouse bien-aimée,

Yvon, Isabelle, Dominique,ses enfants,

Ses cinq petits-enfantsEt ses quatre arrière-petits-enfants,

ont le regret d’annoncer à sa demandele décès dans sa quatre-vingt-quinzièmeannée de

François HELFT,F.F.L. 1940-1945.

Homme de bonne volonté. Père defamille consciencieux. Philosophe.

S’étant toujours demandé ce quesigniiait la vie dans ce monde, il espéraitqu’à ce stade, rassasié de jours, expériencefaite, Dieu lui ferait connaître la réponse.

L’enterrement aura lieu au cimetièredu Montparnasse, Paris 14e, le mercredi4 novembre 2015, à 15 heures.

Ni pleurs ni couronnes,une pensée bienveillante.

José et Michel,ses enfants,

Renée et Tania,ses belles-illes,

Karine, Sandra, Estelle, Noémie,Mathias et Dan,ses petits-enfants,

Ses arrière-petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décès de

M. Bernard WEINGROD,

dans sa quatre-vingt-huitième année.

L’ inhumat ion aura l i eu lund ile 2 novembre 2015, à 11 heures, aucimetière du Montparnasse, 3, boulevardEdgar-Quinet, Paris 14e.

Ni leurs ni couronnes.

Remerciements

Daniel Barroy,président,

Gilles Paillard,directeur général,

L’ensembledu conseil d’administrationet des équipes deSOS Villages d’Enfants,

ont une profonde reconnaissance et unepensée toute particulière pour les généreuxtestateurs disparus en 2015, qui ontchoisi de faire un legs à l’association oude la désigner bénéiciaire d’une assurance-vie.

Leur générosité en faveur des enfantsaccueillis dans les villages d’enfants SOSrestera à jamais gravée dans notremémoire.

Grâce aux dons, legs et assurances-vie,SOS Villages d’Enfants redonne à desfrères et sœurs, orphelins, abandonnésou séparés de leurs parents, le bonheurde grandir ensemble dans la chaleur etla sécurité d’une vie familiale.

SOS Villages d’Enfants,6, cité Monthiers,75009 Paris.www.sosve.org

Anniversaires de décès

Le 1er novembre 2000,

Bertrand COLINnous quittait.

Ensemble, souvenons-nous.

« Les morts sont invisibles,ils ne sont pas absents. »

Saint Augustin.

[email protected]

Le 2 novembre 2006, il est parti.

Adrien DOUADY,mathématicien fascinant.

Tout de beauté et de bonté, vit en sonœuvre et dans nos cœurs.

Souvenirs

Il y a dix ans, le 31 octobre 2005,

Chantal de CAMBRONNE,nous a quittés,doucement, sans faire de bruit.

Tu restes dans nos cœurs.

Gilles.

Il y a vingt-cinq ans,

Marc PAOLOZZInous quittait.

Que ceux qui l’aiment aient une penséepour lui.

En ces temps de mémoireet de recueillement,

les petits frères des Pauvres

ont une pensée pour tous ceux qui les ontquittés : fidèles bienfaiteurs, personnesaccompagnées, bénévoles et salariés.

Leur souvenir nous guide pour continuerà agir auprès des personnes âgées,vulnérables et démunies.

64, avenue Parmentier,75011 Paris.

2 novembre 1998.

Pierre SORIA.

Les saisons passent,Pierre est toujours avec nous.

Hommage

La Fondation de France

salue la mémoire de

M. Bernard LEBERT,

décédé le 1er janvier 2015,dans le Val-de-Marne

et lui exprime toute sa reconnaissancepour son généreux legs.

Communications diverses

La Fondation de l’Avenir

souhaite faire part de sa profondegratitude envers les personneslui ayant fait un legs en 2015.

Elle rend hommage à ces personnes,aujourd’hui disparues, qui rendent

possible la poursuite des recherchesmédicales appliquées.

Fondation de l’Avenir,255, rue de Vaugirard,Tél. : 01 40 43 23 77.

Médecins du Monde,le docteur Françoise Sivignon,

présidenteet l’ensemble

des personnels et bénévoles,tiennent à honorer ici la mémoire

de celles et ceux qui,au cours de l’année écoulée,

ont, par un legs,permis de soigner ceux que le monde

oublie peu à peu.

Médecins du Monde,62, rue Marcadet,

75018 Paris.Tél. : 01 44 92 14 36.

Heureux ceux qui ont contribuéà rendre notre monde plus juste

et solidaire. Ils ont fait de l’Humanitétout entière leur héritière.

Le Comité catholique contre la faimet pour le développement,CCFD-Terre solidaire,

souhaite rendre ici hommageaux femmes et aux hommes qui,

à travers un legs, une assurance-vieou une donation, ont contribué

à construire durablement un mondeplus juste et solidaire.

Qu’ils restent dans nos cœurs à jamais.

L’Institut Pasteurtient à rendre hommage aux bienfaiteursaujourd’hui disparus qui, par leurs legs,

donations et assurances-vie,ont contribué personnellementà l’avancée des connaissancesmédicales et à l’amélioration

de la santé des hommes.

Leur mémoire continue d’être honorée.Qu’ils soient ici à nouveau

sincèrement remerciés.

Institut Pasteur,25-28, rue du Docteur-Roux,

75724 Paris Cedex 15.Tél. : 01 40 61 32 03

[email protected]

Soutenance thèse

Au Laboratoire d’Océanographiede Villefranche-sur-Mer, le jeudi5 novembre 2015 à 14 heures par RobinFaillettaz « Estimation des capacitéscomportementale des larves de poissonset leurs implications pour la phaselarvaire : un cas d’étude des espèces deMéditerranée Nord-Occidentale ».

Page 18: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

18 | culture DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

UNE PRISEN’EST JAMAIS

« REFAITE »,ELLE EST FAITE DIFFÉREMMENT

Le soleil noir du roi Léaud

Dans le prochain film d’Albert Serra,

actuellementen tournage,

l’acteur incarne Louis XIV

rongé par la maladie à la toute

fin de sa vie

REPORTAGE

hautefort (dordogne)

Le 13 octobre, au premier étage duchâteau de Hautefort, ancienneforteresse médiévale surplom-bant les coteaux vert profond dela campagne dordognaise, Jean-Pierre Léaud trônait en robe de

chambre dorée, coiffé d’une perruque royale, sur un lit à baldaquin couleur bordeaux.

A la demande de l’extravagant Albert Serra,cinéaste catalan et héritier autoproclamé de Salvador Dali, qui revisite, film après film, en les dépouillant jusqu’à l’os, les plus grands mythes de l’Occident (Don Quichotte dans Honor de Cavalleria en 2007, les rois mages dans Le Chant des oiseaux en 2009, Casanovaet Dracula dans Histoire de ma mort en 2013), l’icône de la Nouvelle Vague a pris ses quar­

tiers dans une chambre redécorée dans un style « Versailles » pour endosser le rôle du Roi­Soleil à l’agonie dans un film qui devrait s’appeler La mort de Louis XIV.

Dans une ferveur ascétique teintée de foliedouce s’affairaient à son chevet, ce jour­là, unécrivain français grimé en curé (Jacques Hen-ric), une collaboratrice d’Albert Serra de la première heure (Montse Triola, la coproduc-trice espagnole), reconnaissable à la fine moustache que lui avait confectionnée pourl’occasion le perruquier, l’inoubliable Sancho Pança de Honor de Cavalleria, Lluis Serrat, maçon de profession, qui était chargé de la fi-nition des décors, et toute une petite troupe dévouée corps et âme au cinéaste…

Moustache impeccablement taillée, cos-tume bleu nuit tendance officier de marine, bagues serties de grosses pierres sur prati-quement chaque doigt, ce dandy provoca-teur, qui dit être devenu cinéaste « pour

l’idée très concrète de la gangrène, de la mort physique…), dont doit jaillir « la présence pure ». Une prise n’est jamais « refaite », elle est faite différemment, en laissant libre coursà l’improvisation. « Je déteste répéter deux foisune même chose. Je veux vivre le présent. Il se trouve que ça s’accorde bien à l’esprit libre et aucaractère, un peu anarchique, de Jean-Pierre. »

Un casting crucial

Pour saisir les moments où l’alchimie opère, trois caméras tournent en permanence – il y en aurait plus si la lumière et les ombres por-tées n’imposaient pas leurs lois. Ce qui fait direau producteur et coscénariste du film, ThierryLounas, fondateur de la société Capricci : « Al-bert ne tourne pas un scénario, il fabrique une matière. » Laquelle se trouvera désossée, et en-tièrement transformée au montage (y com-pris les dialogues qui, chez Serra, ne sont ja-mais ceux du tournage), clé du processus créa-tif où l’œuvre prend son autonomie.

Le casting, dans ce processus, est crucial.Serra recrute ses acteurs parmi les gens qu’il aime, ou qu’il rencontre au hasard. Dans les bars de la région de Bordeaux, il a ainsi trouvé« des physiques archaïques » qui pourraient être ceux « d’un film de l’époque de Louis XIV

échapper à l’ennui », reprend volontiers pour se décrire les trois adjectifs rassemblés par leDaily Telegraph au début de la nécrologie deKadhafi : « idéaliste, opportuniste, éruptif ». Ce qui ne l’empêche pas de distiller autour de lui,y compris dans l’économie à l’os qui est celle de ce film, un calme et une maîtrise qui for-cent le respect. Quand on a réalisé, comme lui, un film de 101 heures sur Goethe, Hitler etFassbinder (Les Trois Petits Cochons, présenté sous forme d’installation à la Documenta de Kassel en 2012), la contrainte est plus qu’une habitude, c’est un choix.

Albert Serra conçoit ses tournages commedes performances, au sens que l’art contem-porain a donné à ce terme. Des expériences de collusion entre « l’artifice absolu » (le my­the de Louis XIV, les ors de Versailles, le ma­quillage, la fumée blanche, la lumière crépus­culaire…) et « l’organique sauvage » (la chair des acteurs, leur personnalité, mais aussi

le grand théâtre de la mort servi par une mise en scène extravagante, portée par les tambours et les hautbois de la Mar-che funèbre d’André Danican Philidor. A Versailles, une exposition spectaculaire raconte les funérailles de Louis XIV (1638­1715). Avec exactitude, documents à l’ap­pui – plans, maquettes, manuscrits, gravu­res, tableaux, dessins –, la scénographie, signée Pier­Luigi Pizzi, rend compte de la tragédie jouée voilà trois siècles.

L’architecte italien, qui avoue s’être« amusé avec beaucoup d’ironie », a re-constitué, grandeur nature, la chapelle ar-dente qui trônait dans la nef de Saint-De-nis, conçue en toute hâte par l’atelier des Menus Plaisirs du roi, chargé des décors éphémères pour les fêtes royales, et jus-qu’aux pompes funèbres. C’est dans cette chapelle provisoire qu’était placé le cer-cueil, en attendant l’arrivée du cénotaphe de 30 mètres de haut réalisé lui aussi par les Menus Plaisirs et que M. Pizzi a repro-duit, au 1/5e, en résine de verre.

Le visiteur est accueilli au pied de l’esca-lier monumental de Crimée par un « Im-mortali Memoriae Ludovici Magni », écrit en lettres d’argent sur fond noir, et par

deux pylônes portant des têtes de mort. L’art baroque fait fureur au XVIIe siècle. Enhaut des marches, la chapelle ardente est éclairée par seize girandoles, selon l’exacte « Représentation de l’endroit où a été déposé le corps de Louis quatorze, Roy de France, dans l’Eglise de S. t Denis, le 9 septembre 1715 ». La gravure au burin, éditée par Arnould Millot en 1715 et mon-trée dans l’exposition, permet d’en juger.

A la lueur des fausses bougies, la pièce,aux murs tendus de drap noir brodé d’ar-gent, portant des écussons dorés aux ar-mes et chiffre du roi, éblouit autant qu’elleglace. Sous un immense dais doublé de fausse hermine, piqué de fleurs de lis et delarmes argentées, repose le cercueil sur le-quel sont posés la couronne, le sceptre et la main de justice. Quatre squelettes mé-talliques encadrent le mort. Ils soutien-nent une immense couronne dorée, tout en exhibant la faux et le sablier. La Justice et la Force sont, elles, représentées en pleureuses voilées de blanc.

Le 10 août 1715, revenant de Marly, le mo-narque de 77 ans ressent une douleur ful-gurante à la jambe gauche. Il reçoit une dose d’opium. Trois semaines plus tard, la

gangrène a gagné le corps entier. Souf-frant le martyre, le roi soupe pour la der-nière fois, le 13 août, au Grand Couvert. Le 25, il quérit l’extrême-onction du cardinal de Rohan. Le 1er septembre 1715, c’est la fin,« sans aucune agitation, ni convulsion », sur son lit, rapporte le Journal des An-toine, officiers de la chambre du roi.

Pièces à convictionAu terme d’un règne de soixante-douze ans, le plus long de la monarchie, le Roi-Soleil est Louis le Grand. Il n’est plus l’Apol-lon dansant la bourrée vêtu d’une résille d’or comme à 16 ans, mais sa manière théâtrale demeure intacte. A une excep-tion près, il n’a rien prévu pour ses funé-railles. Son atelier des Menus Plaisirs prend les choses en main.

Le spectacle est rejoué au château. Rienn’est épargné jusqu’à l’autopsie. Avec la décomposition des chairs, l’opération presse. Le maître des cérémonies, Michel Ancel Desgranges, dépêche un carrosse à l’Ecole de médecine de Paris, le 2 septem­bre à l’aube. Dans une vitrine, scies, ci­seaux, pots à aromates utiles à l’embau­mement témoignent.

Il y a séparation du corps en trois parties,chacune conservée dans un coffrage de plomb. Le cœur va chez les jésuites de la rue Saint­Antoine, les entrailles à Notre­Dame de Paris, le corps à Saint­Denis. Le cercueil sera profané, en octobre 1793, jeté dans la fosse commune. On retrouve laplaque de cuivre qui l’identifie dans une auberge de Saint­Denis. Elle est exposée.

C’est un des rares objets témoins,comme les deux étendards au soleil brodéd’or et d’argent, et les gantelets de cuivre. Béatrix Saule l’affirme : « Il ne reste rien. Tous les décors des Menus Plaisirs étaient éphémères, du carton-pâte et des habits de deuil en drap bon marché à détruire. Les manufactures de Lyon se plaignaient de ne plus vendre leurs soieries », lance la conser­vatrice générale directrice des musées de Versailles, co­commissaire avec l’historienGérard Sabatier, qui a travaillé cinq ans à réunir les documents.

La force du récit tient aux pièces à con­viction : le testament de Louis XIV, le jour­nal du marquis de Dangeau, courtisan as­sidu, le procès­verbal de l’autopsie, l’éti­quette du deuil, les maquettes des pom­pes funèbres. Ou encore le visage en cire

du roi, à 68 ans, avec sa perruque grison­nante et sa peau grêlée par la variole.

La grande affaire fut le convoi nocturneen musique, quittant Versailles, le 9 sep-tembre, à 19 heures pour arriver à l’abbayede Saint­Denis à 7 heures le lendemain. Le cercueil, monté sur un char drapé de noir, est suivi par un cortège de 1 000 person­nes, dont 800 à cheval. 400 pauvres ha­billés de drap gris marchent en tête. Avecles Parisiens, quelque 2 500 personnes dé-filent, selon le maître des cérémonies.

Les funérailles auront lieu quarante-trois jours plus tard. Le temps de monter le décor. La basilique est tendue de noir, des tribunes sont aménagées comme au théâtre. Des centaines de cierges illumi-nent le répertoire macabre des crânes, ti-bias, larmes, squelettes se pressant autourdu cénotaphe monumental. Faste et va-nité pour un opéra funèbre. p

florence evin

« Le roi est mort », jusqu’au 1er janvier 2016, château de Versailles (Yvelines), tous les jours de 9 heures à 17 h 30, sauf le lundi. De 13 euros à 15 euros. Chateauversailles. fr

L’opéra funèbre de Louis XIV remis en scène à Versailles, entre faste et vanité

Page 19: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 culture | 19

Jean-Pierre Léaud et Albert Serra sur le tournage de « La mort de Louis XIV ». RODOLPHE ESCHER POUR « LE MONDE »

Portrait de Louis XIV à 68 ans, par le peintre Antoine Benoist.RMN GRAND PALAIS/CHRISTOPHE FOUIN

Adoubant les partenaires qu’il juge dignes de ses improvisations (il faut pouvoir répondre àune question comme « les anguilles ont-elles une âme ? »…), dédaignant ceux qu’il juge tropvulgaires (« un cochon celui-là ! »), il fait sa loi avec un plaisir enfantin, n’hésitant pas à dé-créter, s’il ne la sent plus, que la séquenced’improvisation prévue le lendemain matin ne se justifie plus, et qu’il ne la jouera pas…

Tourné en deux semaines

Jean-Pierre Léaud n’avait plus joué un pre-mier rôle depuis Le Pornographe de Bertrand Bonello, en 2001. Accepter celui-ci n’allait pas de soi. Dans la première version du projet, une performance imaginée pour le CentrePompidou où Albert Serra voulait installer son lit dans une cage en verre suspendue dans le vide, il a d’abord refusé. Mais l’idée a évolué. Elle s’est transformée en un projet decourt-métrage. Le temps a fait son œuvre et, par l’entremise de Thierry Lounas, la con-fiance s’est installée entre l’acteur et le ci-néaste. Et le court est devenu long.

Mais un long tourné en deux semaines.C’est extraordinairement peu. Cependant,pour un acteur fragilisé par les épreuves de la vie, à qui l’on demande d’incarner, en puisantdans son expérience intime, un homme agressé par la douleur – et la puanteur – d’unejambe rongée par la gangrène, poussé à faire son testament politique et son examen de conscience, c’est beaucoup.

« Je suis arrivé à ce moment de sa vie où l’ondoit se dire “je suis vieux”, assène Jean-PierreLéaud, entre deux prises. C’est l’aboutisse-ment où m’a conduit ce film. Avec ces trois ca-méras qui scrutent mon visage en perma-nence… Avec ces longs silences qui permettentune sorte d’éclosion… C’est usant moralement. On n’en sort pas intact. »

S’il se prête au jeu, c’est qu’il reconnaît enSerra l’esprit des cinéastes de la Nouvelle Va-gue et de leurs héritiers, qui ont fait éclore songénie. Et que ce film, loin d’en chanter l’hal-lali, en célébrerait au contraire, à ses yeux, la vitalité. Leur relation, selon lui, relève moins du rapport de force que d’une collaboration fructueuse, nourrie d’une culture commune, d’une forte complicité, d’un sentiment de joiepartagée. « Albert est très cinéphile, et il a beau-coup d’humour. Cette histoire de mort au fondde la caméra, c’est une blague entre nous – l’idée que le cinéma, c’est la mort au travail. Ona beaucoup parlé aussi de cette phrase de Jean-Luc [Godard], qui dit que le cinéma, c’est la vé-rité 24 images par seconde… Bref, on s’entend très bien. » A la fin du tournage, Jean-Pierre Léaud aurait dit à son agent avoir retrouvé l’énergie qu’il avait sur Les 400 Coups. p

isabelle regnier

sans costume ». Léaud est l’exception, le seulprofessionnel avec lequel il ait jamais tourné. Sa « folie », justifie le cinéaste, était nécessaire au film. « Sans elle, le rôle n’aurait pu qu’être ennuyeux. » S’il assume la dimension méta-phorique que l’acteur apporte à son film, dans lequel on pourra voir un commentaire sur l’agonie de la liberté créatrice des années1960 et 1970, elle n’a jamais été détermi-nante : « J’essaye de créer des images, je ne tra-vaille pas avec des idées. »

« Je joue beaucoup l’incommunicabilité.Aussi bien avec les acteurs qu’avec les techni-ciens. Pour moi, le tournage, c’est comme une sortie le samedi soir. Je cherche l’hétérogène,des choses qui me sont étrangères… Mes idées, je les connais, ça ne m’intéresse pas de les re-trouver sur le plateau. » Pas de combo (ce petitécran qui permet de contrôler l’image pen-dant qu’elle se tourne). Serra laisse le cadre à ses opérateurs.

Son dispositif à trois caméras, dont la con-trainte est encore resserrée par les troisgrands miroirs qui encadrent le lit du roi, son goût pour les plans fixes interminables, son attrait pour les visages lui permettent de délé-guer en confiance. Ce qui l’accapare, c’est le rythme, l’action, le bras de fer qu’il ne relâche jamais avec Jean­Pierre Léaud. Comme un dompteur aux aguets, il séduit son acteur, le provoque, le pousse dans ses retranche­ments, l’épuise jusqu’à ce qu’il ne puisse plus émettre qu’un râle…

« Maintenant, tu fixes le fond de la caméra,Jean-Pierre, ordonne­t­il, avec son fort accentcatalan. C’est la mort qu’il y a au fond de la ca-méra, tu la regardes en face, Jean-Pierre. » Unmasque de poudre blanche sur son visage émacié, l’acteur, 71 ans, fixe la caméra, le re­gard dur. Une minute passe, deux… « Jean-Pierre, tu regardes au fond de la caméra. C’est ta carrière qui est au fond de la caméra ! » L’ex­pression change, plus introspective, les yeux toujours rivés dans l’objectif. Il y a quelque chose de warholien dans cette manière de faire : « Je crois dans le fait de tourner beau-coup, ne pas penser, suspendre son jugement sur ce qu’on est en train de faire. » Et de fait, plus on observe la petite troupe du cinéaste,plus on a l’impression d’avoir rallié une ver-sion arte povera de la Factory, une mythologieunderground perpétuellement régénérée parla grâce de ses superstars.

Au centre, Jean­Pierre Léaud trône. Entouréde Brigitte Duvivier, pétulante professeure dephilosophie à la retraite qui partage sa vie et grand-mère du petit Aksil, 5 ans, venu la veillejouer le Dauphin ; de Bernard Belin, son coachdepuis quelques années, qui joue aussi un pe-tit rôle dans le film ; il se comporte, à l’imagede son personnage, en monarque absolu.

« Mein Kampf » continue d’inquiéterLes projets de réédition du manifeste écrit par Adolf Hitler, qui tombera dans le domaine public le 1er janvier 2016, soulèvent une vive controverse

ÉDITION

L e 1er janvier 2016, MeinKampf, le seul livre écrit parAdolf Hitler, tombera dans

le domaine public, soixante-dix ans après la mort de son auteur, conformément à la loi. Le Land deBavière, qui en détient les droitsdepuis le décès d’Hitler, mort sanshéritier, ne pourra plus s’opposer à de nouvelles éditions et traduc-tions.

Cette perspective nourrit des in-quiétudes et est source de polémi-ques. Plusieurs personnalités po-litiques, dont, en France, le chefdu Parti de gauche Jean-Luc Mé-lenchon, s’en sont émues et ont exhorté à ne pas republier Mein Kampf, alors que des éditions cri-tiques du livre sont en projet ou en cours d’élaboration. En Alle-magne, une édition critique de2 000 pages devrait voir le jour le11 janvier 2016, réalisée sous l’égide de l’Institut d’histoire con-temporaine de Munich (IFZ). En France, ce sont les éditions Fayardqui envisagent une édition scien-tifique du texte d’Adolf Hitler. L’éditeur en étudie les modalités, un groupe d’historiens a été cons-titué, mais aucune date de paru-tion n’a été donnée.

Ecrit par Adolf Hitler en prison,publié en deux tomes en juillet 1925, puis en décem-bre 1926, ce manifeste, qui énonceles bases idéologiques du pro-gramme nazi et propage un dis-cours antisémite, a été par la suitesouvent revu et corrigé. Menson-ger et outrancier, Mein Kampf a « une composante fortement fan-tasmatique », selon l’expression de son traducteur Olivier Man-noni.

En 1945, on estimait à 12 mil-lions le nombre d’exemplaires quiavaient été écoulés. Le livre était souvent offert en cadeau de ma-riage par les dirigeants du IIIe

Reich – et les fonctionnaires étaient obligés de l’acheter. De-puis cette date, sa publication àl’état brut est interdite en Allema-gne et aux Pays-Bas, mais pas en France, où le livre n’a cependant pas le droit d’être exposé en vi­trine d’une librairie.

Sa première édition française re-monte à 1934, par les Nouvelles Editions latines (NEL), qui étaient

proches de l’Action française deCharles Maurras. C’est cette édi-tion qui continue d’être publiéeaujourd’hui par NEL. Elle se vend« entre 600 et 700 exemplaires, chaque année » selon cette mai­son d’édition. L’institut GfK es­time à 2 500 le nombre d’exem-plaires vendus chaque année en France. Depuis un arrêt de la cour d’appel de Paris en 1979, le livre doit toutefois être accompagné d’un avertissement de huit pages,pour rappeler l’incompatibilité totale entre les thèses racistesqu’il développe et les valeurs de laRépublique.

Disponible sur Internet

Le livre d’Hitler, qui compte envi-ron 800 pages, est également dis-ponible sur Internet, mais là sans aucune mise en garde. « Toute per-sonne qui veut se procurer Mein Kampf peut le faire sans difficulté, sur le Net, mais cela s’adresse à un public restreint et ce n’est pas un best-seller en France », assure M. Mannoni.

Comme le rappelle le traduc-teur, « Mein Kampf comprend deux dimensions. La première est

Depuis 1945,

sa publication

à l’état brut

est interdite

en Allemagne et

aux Pays-Bas,

mais pas

en France

biographique et totalement men-songère ; Adolf Hitler y raconte savie en se présentant comme un hé-ros. La seconde est une exaltationde la suprématie de l’Allemagne et contient des invectives raciales, à l’égard de tous les pays voisins, sauf l’Angleterre. Adolf Hitler ex-prime un délire complotiste à l’égard des juifs, qu’il accuse de tout contrôler ». Dans son livre dé-lirant, au sens propre, Adolf Hitlerapparaît en quelque sorte commeun « héros » wagnérien, pathéti-que, fou et dangereux.

Reste que dans de nombreusesparties du monde, notamment en Amérique latine, au Brésil,dans les pays arabes, au Proche-Orient et en Afrique du Nord, Mein Kampf est un livre lu ou entout cas consulté sur Internet, car il existe de nombreuses versionspirates dans presque toutes leslangues. Les Etats-Unis n’échap-pent pas à la règle, la version nu-mérique de Mein Kampf, dans sa version anglaise, fait aussi recette sur Internet.

Dans ces conditions, publierune version retraduite, annotée et expliquée de ce livre qui a mar-qué au fer rouge l’histoire du XXe siècle paraît le meilleur anti-dote à son contenu. En France, un groupe de jeunes historiens a d’ailleurs émis l’idée d’une édi-tion en ligne, accompagnée d’ap-pareils critiques des chercheurs. La réédition des Décombres de Lu-cien Rebatet, en collection « Bou-quins » (Ed. Robert Laffont, 1 152pages, 30 €) par Bénédicte Vergez-Chaignon et Pascal Ory, saluée unanimement par la critique, peut aussi servir d’exemple. p

alain beuve-méry

« Le Journal d’Anne Frank »ne tombera pas dans le domaine publicContrairement à Mein Kampf, Le Journal d’Anne Frank ne tombera pas dans le domaine public au 1er janvier 2016, comme le voudrait le droit de la propriété intellectuelle en France, a révélé, le 6 octobre, Livres Hebdo. Le Fonds Anne Frank de Bâle, en Suisse, a expliqué que l’œuvre écrite par la jeune fille juive allemande de 13 ans, entre juin 1942 et août 1944, puis déportée à Bergen-Belsen où elle a trouvé la mort en mars 1945, répondait à une exception. « Si la règle générale est celle des soixante-dix ans post mortem auctoris, de nom-breuses exceptions existent, telles que celles relatives aux œuvres pos-thumes ou aux œuvres composites », a expliqué l’organisme. Il s’est déjà vendu plus de 30 millions d’exemplaires du livre, et le Fonds Anne Frank espère en conserver les droits exclusifs jusqu’en 2030.

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20 | culture DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

Châlons-en-Champagne refait son cirqueLe Centre national des arts du cirquea déployé ses nouveaux espaces non loin de son site historique,sur un ancien terrain agricole

ARCHITECTURE

châlons-en-champagne (marne)

Le Centre national des artsdu cirque (CNAC), inau-guré par Jack Langen 1986, a troqué son cos-

tume bigarré contre une tenue moins voyante. Installée à Châ-lons-en-Champagne (Marne) non loin de son siège historique – son architecture fin XIXe siècle, sa fa-çade vieux rose et blanche, ses or-nements ocre jaune –, la nouvelle extension vient d’être livrée. Elle se pare des atours de l’ancienne coopérative agricole dont elle réin-vestit le site de deux hectares en bordure de canal.

Les agences Caractère spécial etNP2F, chargées de la réhabilitation de ce lieu de formation supérieure et de recherche dépendant du mi-nistère de la culture, ont voulu conserver la dominante grise des bâtiments originels. La métamor-phose sera-t-elle perçue par les automobilistes qui empruntent la route surplombant sur sa lon-gueur le nouveau haut lieu de l’es-prit circassien en France ?

S’il devait se poser la question,l’artiste Malte Martin, retenu pour y réaliser un projet dans le cadre du « 1 % artistique » (part du bud-get d’un chantier culturel dévolu à l’installation d’une œuvre d’art), leur a répondu par un jeu de mots en grandes lettres capitales. Blan-che le jour, lumineuse la nuit, l’ins-cription « Quel cirque ?» s’affiche progressivement sur la façade

principale, soulignée, in fine, par lasuperposition de points d’interro-gation et d’exclamation.

« Le site du CNAC a la beauté brutede son ancien usage, indique le fondateur de l’agence Caractère spécial, Matthieu Poitevin. Ce dé-cor ne triche pas. » On éprouve d’emblée une sensation de rete-nue face à cet agencement de bâti-ments d’apparence austère, inté-gralement revêtus de plaques on-dulées en fibre-ciment. Il n’y a ici aucune volonté de racolage. Tout ce gris – les chapiteaux installés dans l’enceinte n’y échappent pas – répond au cadre environnant du site, à la lisière de la ville.

Une certaine sérénité

A y regarder de plus près, le dessin de l’ensemble des volumes, de partet d’autre du trait routier, répond àune logique géométrique qui ne manque ni d’élégance ni d’équili-bre. D’un côté, par un jeu d’ombreset de lumières auquel se mêle l’ef-fet d’ondulation du bardage, les angles des toits et des murs de hauteurs et de tailles variables des-sinent une variété de gris. De l’autre, les deux chapiteaux sont galbés d’un dégradé couleur bé-ton. Entre les deux, posé à l’ombre,le coffrage de bois ayant servi de moule à l’escalier extérieur en por-te-à-faux du nouveau bâtiment, seule concession à la courbe dans le tracé architectural.

Une certaine sérénité se dégagede cet ensemble d’une étendue gé-néreuse malgré le passage, peu as-

diants, le « bâtiment école » s’est inséré dans les interstices laissés vacants par l’ancienne coopéra-tive. Il abrite les trois grands espa-ces mitoyens dévolus aux exerci-ces d’acrobatie, au sol ou aérienne.Quinze mètres de hauteur et de large, c’est le centre de gravité des lieux. Vu d’en bas, l’entrelacs des voûtes en béton qui soutiennent la charpente, mêlé de câbles et de cordages, évoque Piranèse ; des an-gles à la place des arcs. Vu d’en haut, il prend des airs de gymnase.

« On a voulu trouver un systèmepour répondre à un programme, explique Matthieu Poitevin. Com-ment faire entrer la lumière entre l’ancien et le contemporain. » Il parle de « vernaculaire contempo-rain ». L’exercice est d’autant plus important qu’ici, lors des entraîne-ments au trapèze, sous peine d’éblouir les acrobates en action, toute lumière directe est bannie.

« C’est non seulement magnifiquemais très fonctionnel pour les artis-tes, se réjouit le directeur du CNAC,Gérard Fasoli. Ces nouveaux espa-ces permettent de recentrer les acti-vités de l’école. » Grâce à un sys-tème de pendrillons (des rideaux de théâtre de faible largeur), les trois grands studios peuvent être séparés ou rassemblés. « Les plan-chers sont chauffants, ce qui est vraiment un confort pour les acro-bates », se félicite cet ancien volti-geur, complice, entre autres, d’Ar-chaos et du metteur en scène Christophe Huysman.

« Parallèlement à la créationd’une salle polyvalente, d’un studio de danse, il y a celle d’une boîte noire, laboratoire destiné à la ma-gie nouvelle, dit Gérard Fasoli. Cettepratique récente, qui rencontre un grand succès, a été placée sous la di-rection de Raphaël Navarro. » Ce jongleur, magicien et metteur en scène défend, aux côtés de choré-graphes, une écriture dramaturgi-que de la magie.

Si le CNAC doit poursuivre samutation en investissant de nou-veaux espaces, les anciens locaux, dans le siège historique du cirque municipal de Châlons-en-Cham-pagne, accueilleront la formation continue des professionnels. Le chapiteau sédentaire maçonné et l’ancien manège à chevaux seront mis à disposition de l’association Furies, dans le cadre de l’activité duPôle national des arts du cirque en préfiguration. p

rosita boisseau

et jean-jacques larrochelle

Les nouveaux bâtiments du Centre national des arts du cirque s’étendent sur deux hectares. CNAC

Gilles Barbier enfin prophète en sa FricheA la Belle-de-Mai à Marseille, « Echo système » présente une rétrospective de l’artiste, qui a fait du jeu et du hasard les principes de son œuvre

ARTS

marseille

A la Friche Belle-de-Mai,Gilles Barbier ne se cacheplus dans son atelier.

L’exposition « Echo système »,programmée jusqu’en jan-vier 2016 par le complexe culturel marseillais, prend, pour le travail de cet artiste plasticien, des allu-res de révélation. Une rétrospec-tive imposante, pensée par lecommissaire Gaël Charbau et re-groupant plus de 200 œuvres, de 1992 à 2015. Une monographie inédite qui, par sa diversité for-melle, son ingéniosité et son hu-mour, bluffe les visiteurs.

« Je travaille ici depuis vingt-cinqans, mais mon activité se déroule plutôt ailleurs, reconnaît Gilles Barbier, quand il débarque, en-core incognito, au bar de la Friche,crâne rasé, short, tee-shirt blanc etlunettes de soleil. Ma galerie, Val-lois, est à Paris, mes collection-neurs dans d’autres villes. Je n’avaisjamais vraiment exposé à Mar-seille et je suis quelqu’un de discret.D’où, peut-être, l’effet de surprise. »

« Planqué dans l’atelier » est lenom que l’artiste, 50 ans pile, a d’ailleurs donné à l’une de ses sé-ries exposées à la Belle-de-Mai : des photos de son lieu de travail,dans l’ancienne Manufacture des tabacs, prises au fil des mois. Dansces grands formats, le jeu consisteà le trouver, caché sous une table

ou derrière un tableau. « Au début,c’était une réponse à cette mode qui voulait que tout art soit rela-tionnel, social, hors les murs, rap-pelle-t-il. Après, j’ai continué. »

La série et le jeu. L’art de GillesBarbier s’articule autour de ces deux mots. Dans le grand cubetranslucide du Panorama, sur letoit de la Friche, l’installationCheckers en est la preuve mou-vante. Devant une immense baievitrée, deux dizaines de statues derésine se font face comme deux armées de nains en guerre. Des ré-ductions grimaçantes et costu-mées de l’artiste lui-même, qui sont autant de pions d’une partie de dames bien réelle.

Gros travailleur

Le soir de l’inauguration, Gilles Barbier a lancé l’affrontement surun logiciel en ligne. Depuis, il transpose quotidiennement les coups de l’ordinateur. « Je suis fas-ciné par la pensée cybernétique »,glisse-t-il, en déplaçant à bras-le-corps « Le Diable », son mini-dou-ble avec cornes et pieds de bouc, éliminé du jour.

Quand il arrive à la Fricheen 1992, le jeune Barbier sort desBeaux-Arts de Marseille (« Pas un très bon souvenir », élude-t-il). Jus-qu’à 20 ans, il a grandi au Va-nuatu, en Océanie. « Expérience marquante » dont il garde une fas-cination pour les tongs, « véhicu-les primitifs », qui, comme les ba-

nanes, sont des figures récurren-tes de son œuvre. Nourri des des-sins de Crumb, Moebius et d’unesprit bande dessinée qui dé-borde encore de tout ce qu’il fait,Gilles Barbier connaît alors une autre obsession : The Dice Man (L’Homme-dé), roman écrit par George Cockcroft, dont le héroslaisse au hasard les grands choix de son existence.

« J’étais aussi déprimé et perduque lui, raconte-t-il. Je me deman-dais pourquoi et comment faire del’art. Alors je me suis dit, je vais écrire tout ce qui me passe par la tête sur des bouts de papier et je lestirerai aux dés. Sans le savoir, j’ai construit une machine à pro-duire… » Les énoncés sont simpleset drôles – « travailler le diman-che », « dessiner des super-héros dans des corps qui ont l’âge de leurcopyright »… – et libèrent la créati-vité. « Au bout de six mois, j’étais désinhibé de tout rapport freudien avec l’art, rit Gilles Barbier. Je n’uti-lise plus les dés, mais aujourd’hui encore, ce jeu reste une référence conceptuelle. »

Dans l’exposition « Echo sys-tème », ses « énoncés » sont par-tout. Mots d’ordre que l’artiste,gros travailleur et fou de techni-que, interprète à sa guise : « Des-sins, sculptures en cire ou en résine,gouaches sur toile, photos, mais ja-mais de peinture », précise-t-il. De la fascinante « Copie du diction-naire » sur des planches de 2,10sur 2,15 mètres débutée en 1992 –« J’en suis à la lettre M », assure-t-il – aux « Visions de l’avenir », pho-tos floues qui se suivent sans seressembler.

Apogée de l’exposition mar-seillaise, la « Boîte noire », quitrône dans l’autre partie du Pano-rama, est peut-être la clé secrète pour pénétrer la pensée de l’ar-tiste marseillais. Quatre tourni-quets monumentaux se dépla-cent et présentent 96 dessins defaçon totalement aléatoire. Tou-tes les 36 minutes, la « boîte »prend forme pourtant, et des dip-tyques apparaissent fugitive-ment. « C’est ce petit interstice que je courtise, dit Gilles Barbier en souriant. Quand le temps est sus-pendu. » p

gilles rof

Echo système, exposition monographique de Gilles Barbier. A la Friche Belle-de-Mai,41, rue Jobin, Marseille(Bouches-du-Rhône).Jusqu’au 3 janvier 2016. www.lafriche.org

Gilles Barbier

se nourrit

des dessins de

Crumb, Moebius

et d’un esprit BD

sourdissant, des voitures en sur-plomb. Ces mouvements aléatoi-res posés sur la longue bande d’as-phalte donnent son tempo et sa mesure à ce lieu atypique. Il n’y a pas que de sombres fatalités au pied des ponts autoroutiers.

Pour réaliser leur projet, les ar-chitectes ont été soumis à « des contraintes budgétaires et techni-ques plus importantes que d’habi-tude ». Le programme de construc-tion, qui n’a duré que dix-huit mois, devait intégrer une surface de 5 500 m² de plancher pour un coût à peine supérieur à 5 millions d’euros. Un ratio particulièrement bas pour de tels travaux. Les volu-mes de béton nécessaires aux charpentes – posées en quatre mois –, et aux fondations, ont été tels que le précieux liquide a été préparé et coulé sur place. On ap-pelle cela le « béton forain ».

Parmi les nouveaux venus, dontun immeuble de treize studios abritant des logements pour étu-

GA

LE

RI

ES CHRISTIAN BOLTANSKI

Galerie Marian GoodmanDeux installations suffisent à Christian Boltanski pour démontrer combien il sait métamorphoser les lieux les plus ordinaires, en espaces pour l’émotion et la réflexion. La première, La Traversée de la vie, est un quadrillage de voiles suspendus, entre lesquelles on peut se glisser. Sur ces tissus flottants sont imprimées des photographies, dans des gris à peine perceptibles. Ce sont celles de L’Album de la famille D., la première grande œuvre de Boltanski, montrée à la Documenta de Cassel (Hesse), en 1972. Empruntant les photos de famille d’un ami, Michel Durand-Dessert, Boltanski s’inventait alors une autre enfance et une autre généalogie, qui n’auraient pas été marquées par la mémoire de la Shoah. Aujourd’hui, ces images sont devenues spectrales. Elles revien-nent du fond du passé, comme ce passé lui-même revient, han-tant le présent français. La deuxième pièce, Animitas, tient de la poésie bucolique et de la vanité à la fois. Au sous-sol de la galerie, Boltanski a étendu un tapis d’herbes et de fleurs coupées, comme il l’avait fait en 1997 au château de Plieux (Gers). Les unes sèchent, les autres fermentent, une odeur de foin monte du sol. Sur le mur du fond est projetée la vidéo de l’installation réalisée, en 2014, au Chili, dans le désert d’Atacama. Des centaines de tiges portant, chacune, une petite clochette japonaise, sont plantées dans le sol, entre les pierres sombres. Leur disposition dessine la carte du ciel le jour de la naissance de Boltanski. Mais, ignorerait-on cette pré-cision, et que Boltanski séjournait alors près de l’Observatoire du Cerro Paranal, le son des clochettes agitées par le vent du désert suffirait à évoquer quelque musique des sphères. Comme souvent dans l’œuvre de l’artiste, la pensée du temps et de la mort n’est pas tout à fait absente de la création. p philippe dagen

« Faire part », Galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, Paris 3e.Du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu’au 19 décembre.

MATHIEU K. ABONNENCGalerie Marcelle AlixEtre sujet face à l’Histoire : chacun des projets de Mathieu K. Abonnenc met en scène cette problématique, fouillant l’histoire du colonialisme à partir de sa propre biographie, de la maison familiale de Guyane à l’Afrique de ses ancêtres. En toile de fond, l’écrivain et ethnologue Michel Leiris, qui hante le film projeté à la galerie Marcelle Alix. Il tourne autour de l’histoire d’une jeune chercheuse qui se sent toujours « ou trop loin, ou trop près » de son objet d’étude, l’histoire de l’ethnographie française et de la mission Dakar-Djibouti. Soumise à ses hallucinations, frustrée de ne parler qu’à des objets morts, elle dit se sentir « toujours au bord du monde ». C’est de là, sans doute, que Mathieu K. Abon-nenc nous écrit. p emmanuelle lequeux

« Chimen Chyen », de Mathieu K. Abonnenc, galerie Marcelle Alix,

4, rue Jouye-Rouve, à Paris 20e. Jusqu’au 7 novembre.

Les architectes

ont été soumis à

« des contraintes

budgétaires

et techniques

plus importantes

que d’habitude »

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Les amours contrariées de deux capitalesUn face-à-face historique passionnant entre Paris et Berlin qui fait la part belle à l’architecture et à l’urbanisme

C’est un grand projet auquels’est attelé le documentaristeFrédéric Wilner. Comment ar-ticuler les liens et les tensions

ayant permis à Paris et Berlin, après plus detrois siècles de face-à-face, de devenir les deux villes que l’on connaît. Produite par Arte France, Iliade Productions et Les Filmsde l’Odyssée, cette enquête historique enquatre épisodes diffusée sur deux semai-nes fait la part belle à l’architecture et à l’ur-banisme. C’est une réussite. Même si le trai-tement de notre époque, qui donnerait, se-lon l’auteur, un avantage à la capitale alle-mande, en laissera plus d’un(e) sur sa faim. Quid du projet du Grand Paris ou de sa fu-ture nouvelle Métropole ?

L’ensemble est fractionné en quatre par-ties de 52 minutes : « Les Frères ennemis » (1650-1789), « La Course à la modernité »(1806-1870), « Face à face » (1870-1920) et « Le Choc » (1918-2015). A noter l’effet detuilage sur la période 1918-1920. Une ma-nière pour Frédéric Wilner de s’attarder surle passage à la modernité, réussi, selon lui,outre-Rhin, et raté le long de la Seine. Ceque personne ne contestera. La premièrediffusion, samedi 7 novembre au soir, cou-vre les deux premières séquences. De l’arri-vée au trône de Louis XIV à la Révolution française, puis de la victoire des troupes na-poléoniennes à Iéna jusqu’à la proclama-tion de l’Empire allemand (le Kaiserreich)en 1871.

A Berlin, on se défie du dogme français

Outre la qualité des intervenants, françaiset allemands, et du commentaire lu par Fré-déric Wilner, la série, accessible au plusgrand nombre, exploite sans excès les res-sources de la 3D animée ; celle du plan Voi-sin de Le Corbusier mérite le détour. L’his-toire commence ainsi. En 1650, Louis XIVarrive sur le trône de France pour soixante-cinq ans. Si l’on ignore la petite ville de Ber-lin et ses 15 000 âmes, Paris continue demener son Grand Siècle. La ville (350 000 habitants) illumine l’Europe. Le18 octobre 1685 à Fontainebleau, la révoca-tion de l’édit de Nantes, qui accordait unecertaine liberté de culte aux protestants, jette hors du pays 200 000 huguenots.

Berlin tire profit de la situation. Dans lesjours qui suivent, l’édit de Potsdam, signépar le Grand Electeur de Brandebourg etduc de Prusse, Frédéric-Guillaume 1er, offre aux exilés un accueil privilégié. « On leur a fait un pont d’or », souligne l’historien Etienne François. Les protestants disposentde capitaux, de savoir-faire industriels et artisanaux. Dorothée, l’épouse du duc,pare, dit-on, la ville d’une allée de tilleuls.Unter den Linden, un des axes historiquesde Berlin, vient de naître.

Pendant ce temps-là, Louis XIV réformel’urbanisme parisien. Suffisamment pro-tégé par l’étendue de son territoire, il dé-sarme sa capitale. Il abandonne la logique des cercles concentriques et ses inévitables

murailles. Les fortifications de 1670 sont supprimées. Le cours Royal, qui ceint la ville, deviendra les Grands Boulevards. Pa-ris est certes une ville ouverte, c’est une première en Europe, mais le roi veut aussi la restreindre, craignant le développement anarchique des faubourgs nouvellement créés. Berlin, au contraire, accélère son ex-pansion. La capitale française est encore la grande référence.

Autre transformation importante à Paris :le roi, le plus souvent à Versailles, va devoir y exister à travers des représentations.« Chaque statue et l’espace qui l’entoure se-ront conçues par la même personne », indi-que l’historien de l’architecture Alexandre Gady, conseiller artistique de la série. Ledôme des Invalides – plus de cent mètres dehaut –, dernière grande œuvre de Louis XIV,incarnera sa présence physique, même après sa mort. Pour la première fois, la villes’étend loin de son cœur historique.

A Berlin, on se défie du dogme français, etde la personnalité de Louis XIV. Frédéric II,

dit Frédéric le Grand, fait construire une place sans statue car « la grandeur n’en a pasbesoin ». Et surtout, le Palais de Potsdam, « un château qui ne sert à rien, dit le com-mentaire. Un pied de nez à l’Europe coali-sée. » En 1784, Paris double sa superficie. Ony dessine une nouvelle enceinte, non pasmilitaire mais fiscale, le mur des Fermiers généraux, dont le tracé parcourt les actuelsboulevards de Belleville, Barbès et Pigalle, l’Etoile, ainsi que les places Denfert-Roche-reau et d’Italie.

Un personnage à la fois génial et ingéra-ble réalise le projet : Claude Nicolas Ledoux.L’architecte fait bâtir quarante-trois portes.Quatre subsistent, dont la rotonde de la Vil-lette, un monument majeur de Paris. Déjà, derrière ces murs, murmure la Révolution. En 1788, Berlin construit la porte de Brande-bourg. Accueilli à Berlin en libérateur en 1806, Napoléon devient l’occupant etimpose ses exigences. Le vol du quadrige qui coiffe la porte de Brandebourg est perçucomme un acte d’humiliation symbolique pour les Berlinois. La belle et jeune reine Louise ne peut faire infléchir Napoléon. Ellemeurt en 1810 et reçoit la première Croix defer de l’histoire. « Une sorte de tradition in-ventée », précise l’historienne et écrivaineKirstin Buchinger.

L’objet est dessiné par l’architecte néo-classique Karl Friedrich Schinkel, artisan des futures grandes transformations de la ville. Au sommet de la porte de Brande-bourg, la déesse qui mène le quadrige le portera. La déesse de la paix devient celle dela victoire. Bientôt de la guerre. Au lende-main des grands travaux entrepris par le baron Haussmann, les troupes prussien-nes victorieuses célèbrent, à Versailles, lavictoire de 1870 et la naissance de l’Empire allemand. Paris, où la Commune sourd,n’est plus le modèle à suivre. p

j.-j. l.

Paris Berlin, destins croisés, de Frédéric Wilner (Fr., 2015, 4 × 52 min).A partir du 7 novembre sur Arte à 20 h 50.

En haut à gauche :maquette de laville de Berlin.

Ci-dessus :statue du château

de Charlottenburgà Berlin.

ILLIADE PRODUCTIONS

Outre la qualité

des intervenants,

et du commentaire

du réalisateur, la série,

accessible à tous,

exploite sans excès

les ressources

de la 3D animée

« Une ville est un objet que l’on peut lire et comprendre »ENTRETIEN

L e documentariste Frédéric Wilner,auteur de la série « Paris-Berlin, des-tins croisés », dit « s’intéresser à l’ar-

chitecture et à la ville par sensibilité per-sonnelle ». Il est aussi l’auteur du Trésor enfoui de Saqqara (2004), des Secrets du trésor enfoui de Saqqara (2005) et d’An-gkor redécouvert (2013).

Quelle est l’origine du projet de « Paris-Berlin » ?

L’idée vient de Vincent Meslet [anciendirecteur éditorial d’Arte France et, depuis fin août, directeur de France 2]. Il avait à l’esprit une confrontation entre les villes. Il était parti sur un spectre large qui en-

globait notamment Londres. Pour nous,l’intérêt pour Paris et Berlin s’est imposé.

Dans un premier temps, on lit beau-coup. Ce n’est qu’ensuite que l’on choisit les interlocuteurs pour construire unpuzzle. C’est tellement large. Il nous a fallu du temps pour le délimiter. L’idéecentrale est que cette vie de compétition et d’émulation va générer une bonne partie de la forme des deux villes. Le motcentral, c’est l’ellipse. On a dû faire milleellipses pour pouvoir relier l’ensemble.

Comment avez-vous conçu le découpage des quatre épisodes ?

Cela a été élaboré comme un roman,mais chaque épisode est unique. C’estune histoire que beaucoup de monde

connaît, ou croit connaître. Les grands faits historiques sont restés dans la mé-moire collective.

A qui vous adressez-vous ?J’aimerais parler à tout le monde. Je

voulais montrer à chacun que même uneville est un objet que l’on peut lire et comprendre, à travers son architectureet son urbanité. Ce qui se passe ici s’adresse à tous. Aujourd’hui, la relationentre Berlin et Paris résonne particuliè-rement. L’effet de balancier, qui a animé la dualité historique entre les deux capi-tales pendant quatre siècles, fait égale-ment écho à notre présent.

Au terme de cette saga de quatre heu-

res, vous semblez dire que, finalement, c’est Berlin qui gagne. Pourquoi ?

J’espère que la fin de la série ne donnepas l’impression qu’une ville « gagne » plutôt que l’autre… Je pense simplement qu’il y a un curieux retournement de l’Histoire : Berlin, la ville détruite, la villedivisée, la ville pauvre – c’est la grande ville la plus désargentée d’Allemagne – se réinvente peu à peu. Tandis que Paris, vic-time de « la maladie du centre », est resté cerné dans des limites d’un autre âge, Ber-lin, par la force de la tragédie de l’Histoire,est devenue une « ville archipel », une ville déconcentrée. Cela lui donne, aujourd’hui, une plus grande souplesse. p

propos recueillis par

jean-jacques larrochelle

Ci-contre : maquette de la ville de Paris.ILLIADE PRODUCTIONS

Ci-dessous : Notre-Dame etla tour Eiffel, en septembre 2015. FLORIAN DAVID/AFP

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22 | télévisions DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

Yves Bigot, d’enfant du rock à patron de TV5 MondeProducteur, animateur, programmateur, journaliste... cet homme-orchestre autodidacte « aime prendre des risques »

RENCONTRE

Il occupe un bureau de pa-tron dans un arrondisse-ment parisien (le 17e) plusbourgeois que bohème, que

lorgnaient de nombreux candi-dats. En effet, diriger TV5 Monde n’est pas n’importe quoi. Etqu’Yves Bigot ait obtenu ce poste en janvier 2013 n’est pas si éton-nant. Outre ses affinités franco-phones (marié à la fille d’un ban-quier suisse, patron des program-mes de la RTBF devenu bruxellois d’adoption, producteur d’artistes québécois), l’intéressé est sans doute le seul patron du PAF à avoirtouché à autant d’expériences ar-tistico-culturelles : « J’ai été entre autres animateur, programma-teur, producteur, journaliste. Et au fil du temps, je me suis aussiplongé dans les problématiques ju-ridiques et financières », lance-t-ilen souriant.

Cela fait longtemps que l’ex-en-fant du rock a laissé place au pa-tron. Mais lorsqu’on le traite avec un zeste d’ironie de notable du PAF, la réaction fuse : « Je suis plu-tôt un survivant ! La télé a toujoursété un univers dur. A part la boxe etla politique, je n’en vois pas de plusrude. La pression est énorme,même sur le service public. Quand j’étais responsable des program-

mes à France 2, je risquais mon jobtous les matins à 9 h 04 lorsqu’arri-vaient les audiences. Le durcisse-ment que l’on observe dans l’audiovisuel, à Canal+ ou ailleurs,est celui de la société. Partout, tout est plus agressif. »

Dans un univers qui n’a jamaisété tendre, Yves Bigot le touche-à-tout s’est forgé de solides amitiés : producteurs, animateurs, auteurs,nombreux sont celles et ceux quiapprécient de travailler avec cet autodidacte doté, selon l’une de ses collaboratrices, d’« un esprit desynthèse phénoménal et d’unegrande rapidité d’exécution ».

Né à Limoges mais ayant passéson enfance et son adolescence à Saint-Tropez, il a tout connu : Bar-dot au quotidien, les vedettes du rock au plus près, la télé, la radio etl’industrie musicale dans tous leurs états. Il a rencontré pas mal de succès, des échecs aussi. Mais

ou Bern qui considèrent que tra-vailler avec moi, ce n’est pas simal… »

Débarqué en 1973 à Paris, lejeune Tropézien fan de rock dé-bute comme assistant-réalisateur à Europe 1, une maison qu’il ne quitte qu’en 1990. Ce qui ne l’em-pêchera pas de multiplier parallè-lement les expériences : des li-

vres, des articles, de la télé. Bouli-mique ? « Je marche au plaisir. A l’époque, je mutualisais certains reportages. Lorsque j’interviewaisPeter Gabriel par exemple, j’en fai-sais un papier dans Libé, un repor-tage télé, un sujet radio. » S’il existe un homme pour lequel lePAF n’a pas beaucoup de secrets, c’est bien lui. « Je connais mon job.

C’est à la fois la télé, la radio, la presse, l’édition ! J’aime prendre des risques, je m’ennuie vite. Dans la vie, il ne faut pas avoir de regrets.Rien n’a jamais été calculé dans mon parcours. Je ne savais même pas que le poste à TV5 Monde étaitlibre. J’étais très bien sur RTL. »

On peut le croire, ou pas. Tou-jours est-il que son arrivée à la têtede TV5 Monde marque une étape importante : « Plus complexe, cela n’existe pas ! Un budget modeste,des programmes sous-titrés enquatorze langues et des sensibili-tés différentes à gérer avec nos par-tenaires belges, suisses et québé-cois. Il m’a fallu un mois et demi deréflexion pour donner un sens à notre ligne éditoriale. Contraire-ment aux autres chaînes interna-tionales qui sont sportives, musi-cales ou axées sur l’info, TV5Monde est une généraliste, un dif-fuseur culturel avec des films, desséries, des jeux, de l’info, qui se doitde proposer des regards croisés. »

« Exigence absolue »

Certaines de ses expériences pas-sées lui ont été utiles. Ainsi la pro-duction de « Rapido », pour la BBC,composée de trente minutes de programmes originaux délivrés chaque semaine entre 1988 et 1992. « A la BBC, l’exigence est abso-lue, le moindre détail compte. Celavous apprend vraiment à faire de latélé ! » Ou encore son expérience à la RTBF : « Les Français et les Belges n’ont pas la même approche de la télé, notamment le rapport à la hié-rarchie qui n’est pas le même. Bruxelles m’a beaucoup appris. »

A TV5 Monde, Bigot a imprimésa marque en lançant le « 64 mi-nutes », un long JT quotidien fabri-qué par la soixantaine de journa-listes maison : « J’en suis fier. Il ex-prime notre ADN, c’est vraiment lejournal de la francophonie et cela nous a permis de redevenir un ac-teur majeur de l’actualité. » Autreprogramme lancé : « 300 millionsde critiques », magazine culturel présenté par Guillaume Durand. Quant au « JT Afrique », rendez-vous stratégique qui existait avantl’arrivée de Bigot, il est passé de douze à dix-huit minutes quoti-diennes. La suite ? Un sourire. Rienn’est calculé. p

alain constant

CHRISTOPHE GUIBBAUD/TV5MONDE

Repositionnement raté pour NRJ 12Malgré l’embellie des audiences sur Chérie 25, le pôle TV du groupe NRJ reste en difficulté

S on come-back va être ob-servé sous toutes les coutu-res. Non pas pour scruter si,

comme l’affirmaient les rumeurs, Evelyne Thomas a eu recours à la chirurgie esthétique (elle vient de confesser qu’elle avait simple-ment fait quelques injections de Botox), mais pour examiner les audiences de sa première émis-sion. Lundi 2 novembre à 17 heu-res, l’animatrice fait son grand re-tour sur le petit écran. Et pas avec n’importe quel programme puis-qu’elle va présenter « C’est mon choix », le talk-show sulfureux dif-fusé sur France 3 au début des an-nées 2000, qui l’a fait connaître dupublic.

Une fois de plus, un diffuseur,Chérie 25 dans le cas présent, dé-cide de remettre à l’antenne un programme qui a fait jadis les bel-les heures de la télévision. Cette émission, où M. et Mme Tout-le-Monde venaient déballer leurs petits secrets devant un public prêt à donner son avis, réunissait,en début d’après-midi, plus de 1,5 million de téléspectateurs jus-qu’en 2004. Un niveau qui com-blerait aujourd’hui n’importequelle chaîne de la TNT en pre-mière partie de soirée.

Pourtant, ressusciter un pro-gramme n’apporte pas la garantied’un succès. NRJ 12, qui appartientau même groupe que Chérie 25, en a fait l’amère expérience encette rentrée. En effet, la chaîne adû déprogrammer, après moins

de deux mois de diffusion, une resucée du jeu d’Antenne 2, vieux de trente ans, « L’Académiedes 9 », présentée par Benjamin Castaldi.

Depuis plusieurs saisons, leschaînes de la TNT du pôle TV deNRJ connaissent des résultats en berne. Chérie 25, née en décem-bre 2012, a longtemps figuré en queue de peloton des canaux de laTNT HD. Depuis l’automne cepen-dant, elle enregistre des audien-ces en progression grâce à une nouvelle grille qui fait la part belleaux longs-métrages et aux séries vintage comme « Pour l’amour durisque », pourtant créée à la findes années 1970 ! Mercredi 28 oc-tobre, avec Amoureuse, un télé-film où figure Julie Gayet, Ché-rie 25 a atteint son record histori-que d’audience, attirant 439 000téléspectateurs en moyenne avec 1,7 % de part de marché. La chaîne s’est même payé le luxe de battresa sœur aînée, NRJ 12.

Pas aux mieux

Il faut dire que le douzième canal de la TNT n’est pas au mieux de saforme. Après une embellie au printemps, celui-ci vient d’es-suyer une série de déconvenues.Outre « L’Académie des 9 », NRJ 12 a dû déprogrammer précipitam-ment « Les Ieuvs », une émission de téléréalité qui mettait en scènede jeunes danseurs et une « bande de vieux » partie créer ungroupe de rock à Las Vegas.

L’émission scientifique et de di-vertissement présentée par Valé-rie Damidot a connu des débuts décevants. Pour son premier nu-méro, « Le Labo de Damidot » n’a attiré que 123 000 téléspectateurs,dimanche 25 octobre à 17 h 55. Il est vrai que l’émission était en concurrence avec la demi-finale de la Coupe du monde de rugby Australie-Argentine. Résultat, la part d’audience de NRJ 12 est tom-bée pendant la semaine du 19 au25 octobre à 1,5 %.

Bien que Bruno Fallot, le direc-teur des programmes, soit an-noncé sur le départ au sein de la chaîne, on préfère voir le verre à moitié plein. Cela fait des années que la case de l’access prime time est sinistrée, plaide-t-on. Jean-Marc Morandini puis Cauet s’y sont cassé les dents, en raison no-tamment de la montée en puis-sance de Touche pas à mon poste sur la rivale, D8. Malgré tout, à NRJ 12, on pointe les résultats en-courageants enregistrés depuis la rentrée.

La chaîne compte sur Jean-MarcMorandini qui, avec « Crimes »,

attire en première partie de soiréejusqu’à 700 000 téléspectateurs. Elle espère aussi que son talk-show, « Face à France », diffusé lemardi en deuxième partie de soi-rée, trouve son public, même siles audiences du deuxième nu-méro ont été quelque peu déce-vantes. Là encore, la chaîne re-passe de vieux plats puisque « Face à France » est une nouvelle mouture d’un programme datantdes années 1980 animé alors par Guillaume Durand.

Si NRJ 12 se satisfait égalementdes résultats de « SOS ma famille a besoin d’aide », le douzième ca-nal de la TNT mise beaucoup sur « Mission plus-value », l’autre émission de Valérie Daminot qui, le 20 novembre, retrouvera le ter-rain de la décoration. Désormais,l’ex-animatrice de « D & Co », surM6, porte sur ses seules épaules lerepositionnement de la chaîne sur une cible plus familiale, après la quasi-disparition de BenjaminCastaldi de la grille.

Connue pour ses shows de télé-réalité comme les « Anges »,NRJ 12 a cependant perdu pour lemoment son public ado, parti sui-vre « Secret story » sur NT1, « LesCh’tis vs Les Marseillais » sur W9 ou Cyril Hanouna sur D8. Pour lesfaire revenir, la chaîne de la TNTdevra patienter jusqu’au début del’année prochaine où « Friendstrip » puis les « Anges » devraient faire leur retour à l’antenne. p

joël morio

Au sein

de la chaîne,

on préfère

voir le verre

à moitié plein

8,1 MILLIONSLe nombre de téléspectateurs réunis jeudi 29 octobre devant

les deux derniers épisodes d’« Une chance de trop » sur TF1.

Dès ses débuts, le 15 octobre, la mini-série écrite par Harlan Cobenet portée par Audrey Lamy – excellente –, avait enregistré de très bonsscores, avec 7,6 millions de téléspectateurs en moyenne, soit le meilleur lancement que TF1 ait connu depuis « Doc Martin » en 2011.De son côté, France 2 peut se féliciter également des belles audiences enregistrées depuis trois semaines, le mercredi soir, par « Dix pour cent ». La mini-série conçue par Dominique Besnehard a rassembléen moyenne 4,4 millions de téléspectateurs, avec un lancementau-dessus de la barre des 5 millions.

SPORTCanal+ lance le « CRC »Tout juste la Coupe du monde de rugby terminée, Canal+ reprend la balle au bond pour lancer dès le di-manche 1er novembre à 18 h 15 le « Canal Rugby Club ». Au poste d’animatrice du jeu, on retrouvera Isabelle Ithurburu, épaulée dans sa tâche par Sé-bastien « Rrrrrrrrr » Chabal. A la suite de l’affiche du Top 14, tous les dimanches, le maga-zine proposera une revue complète de l’actualité de l’ovalie à travers des reporta-ges, des portraits, des duplex et des pastilles humoristi-ques signées Philippe Guillard, dit « La Guille ». Comme dans son pendant footballistique, le « CRC » ac-cueillera un invité chaque se-maine. Pour la première, il s’agit de Frédéric Michalak, qui reviendra sur le matchde son équipe, Toulon contre Grenoble (16 h 15) ainsi que sur le parcours de l’équipede France.

RADIOLes 60 ans du « Masque et la plume »Vendredi 20 novembre, France Inter célébrera les 60 ans du « Masque et la plume », la plus ancienne émission en Europe, avec une déclinaison de « l’esprit » du « Masque et la plume » dans plusieurs émissions dont le « 7/9 » de Patrick Cohen. En-suite, le dimanche 22 novem-bre, de 20 heures à 22 heures, Jérôme Garcin présentera une émission spéciale avec de nombreuses archives et trois plateaux où, sur le thème de la critique criti-quée, des metteurs en scène de théâtre (Jean-Michel Ri-bes), des réalisateurs (Xavier Giannoli, Catherine Corsini), des écrivains (Marc Dugain, Pierre Jourde) et Bartabas ré-pondront à leurs détrac-teurs… L’émission sera enre-gistrée le jeudi 19 novembre à 20 heures à la Maison de la radio. Réservations : www.maisondelaradio.fr

plus de quarante ans après ses dé-buts à Europe 1, le bilan est solide. « Les honneurs, je m’en moque », affirme celui qui fut décoré cheva-lier des Arts et Lettres en 2006. « Ce qui m’importe, c’est la recon-naissance de mes pairs : un Bayon à Libé, une Michèle Cotta à France Télévisions, un Christopher Bal-delli à RTL, des Drucker, Ardisson

« La télé a

toujours été

un univers dur.

A part la boxe

et la politique,

je n’en vois pas

de plus rude »

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0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 télévisions | 23

Poutine-Le Pen, front contre frontEnquête sur les relations – notamment financières – entre le Kremlin et le FN

CANAL+LUNDI 2 – 22 H 40

MAGAZINE

Il fut un temps où le Particommuniste français (PCF)était la seule force politiquefrançaise qui était accusée

d’être « l’œil de Moscou ». Mais, la chute du mur de Berlin, le 9 no-vembre 1989, a rebattu les cartesgéostratégiques et politiques. Cesont désormais les partis d’ex-trême droite émergents à travers toute l’Europe qui intéressent lesdirigeants du Kremlin. Jugé « in-fréquentable » par les Européens,Vladimir Poutine s’est choisi denouveaux alliés qu’il entretient pour être ses relais en Europe.

Parmi eux, se retrouve toute lafine fleur de l’extrême droiteeuropéenne qui, face à la montée de l’islamisme, voit dans le prési-dent de la Fédération de Russie leseul homme capable de sauver l’Europe « blanche et chrétienne ».En contrepartie, Moscou n’hésite pas à aider financièrement tousces partis politiques, dont le Frontnational qui, pour son allégeance envers Moscou, aurait reçu 11 mil-lions d’euros par le biais de prêtsbancaires comme l’a révélé, en 2014, le site Mediapart.

Echanges de bons procédés

C’est ce que nous montre RaphaëlTresanini dans son enquête surles dessous de cette alliance quisera diffusée dans le cadre du ma-gazine « Spécial investigation » sur Canal +. Malgré le refus de Ma-rine Le Pen de répondre à ses questions, le journaliste retrace avec précision les différentes éta-pes du rapprochement entre leFront national et les amis politi-ques de Vladimir Poutine.

Une histoire qui a démarréen 2011 lorsque, contre toute at-tente, l’actuelle présidente duFront national vanta, dans le quo-tidien moscovite Kommersant, les mérites de l’ancien chef du KGB devenu président de la Rus-sie : « Je ne cache pas que, dans unecertaine mesure, j’admire VladimirPoutine », déclarait-elle. De son

côté, Jean-Marie Le Pen, que lejournaliste a filmé clandestine-ment à Moscou où il rencontre – valise en main – la garde rappro-chée de Poutine, exprime lui aussison « admiration » pour ce der-nier qui, selon lui, est « une chancepour la paix dans le monde ».

Depuis, les échanges de bonsprocédés se sont succédé entre leFront national et le Kremlin qui envoie ses dignitaires dans lesmeetings du FN (comme lors du congrès du parti en novem-bre 2014 à Lyon). De son côté, Ma-rine Le Pen, qualifiée par les hom-mes du Kremlin comme « la meilleure propagandiste de Rus-sie », est régulièrement invitée surles plateaux des télévisions russes

national était représenté par Ay-meric Chauprade et Marion Maré-chal-Le Pen, qui, malgré le témoi-gnage d’un des participants, nies’y être rendue.

Reste que, comme le montre Ra-phaël Tresanini, certains élusfrontistes commencent à s’in-quiéter de cette dépendance deleur parti vis-à-vis du Kremlin. Ils y voient le risque d’être, un jour, phagocytés par un Poutine tout-puissant. Mais, pour le moment, cela n’a pas l’air d’effrayer les diri-geants du Front national. p

daniel psenny

Front national, l’œil de Moscou, de Raphaël Tresanini (Fr., 2015, 52 min).

L’Anvers du tableauVoyage didactique et ludique dans « Le Peseur d’or et sa femme », allégorie morale de Quentin Metsys

ARTEDIMANCHE 1ER – 12 H 05

SÉRIE DOCUMENTAIRE

D epuis plus de cinq centsans, ils comptent leurssous, ou plutôt les pè-

sent, mais c’est bien la première fois qu’on voit pencher leur ba-lance : Le Peseur d’or et sa femme, un tableau peint par Quentin Metsys, à Anvers, en 1514, etaujourd’hui conservé au Musée du Louvre, inaugure une nouvellesérie diffusée par Arte et copro-duite par la Réunion des muséesnationaux (RMN) intitulée Les Pe-tits Secrets des grands tableaux.

Son originalité ? Son réalisateur,Carlos Franklin, utilise des procé-dés d’animation – sans toutefois en abuser – pour raconter l’his-toire de l’œuvre et le contextedans lequel elle a vu le jour, met-tant en mouvement la ville d’An-vers au XVIe siècle grâce à d’autresimages, contemporaines, ou qui, parfois – hélas –, le sont moins. S’ilpeut faire tiquer les historiens, le résultat est ludique et devrait plaire aux enfants.

Imaginé par la journaliste Elisa-beth Couturier, qui s’appuie sur l’historienne d’art Cécile Maison-neuve, le texte dit par ClémentineCélarié est clair, didactique,même s’il n’évite pas quelques anachronismes : ainsi, dans ce

cas, l’évocation de la Révolte des gueux. Certes, l’iconoclasme cal-viniste et la guerre que mena Phi-lippe II d’Espagne en Flandres ont leur importance, mais les faits se déroulèrent un demi-siècle après et n’ont rien à voir avec ce ta-bleau-là.

En revanche, le commentaireexplique très justement l’impor-tance du change – et le développe-ment de la lettre du même nom, ancêtre du chéquier et astucieux moyen de percevoir des intérêts, pratique condamnée par l’Eglise –à l’époque où Anvers est une pla-que tournante du commerce in-ternational, et où les monnaies peuvent avoir été frappées à Lon-dres comme en Sicile – n’avoirdonc ni le même poids ni la même valeur –, mais aussi ses am-biguïtés dans une société alors ca-tholique où la banque est un mé-tier qui sent le soufre.

Modération chrétienne

Metsys (1466-1530), un des grands artistes de son temps, ami et por-traitiste d’Erasme, en rendcompte de la manière la plus sub-tile qui soit : la lumière du tableaulaisse l’or dans la pénombre, mais éclaire la Vierge à l’Enfant qui en-lumine le bréviaire de l’épouse duchangeur. On pourrait croire que l’artiste dénonce la cupidité : ce n’est pas faux, même si c’est mal

connaître la profession (saint An-tonin de Florence dénonçait déjàl’avidité des peintres au siècle pré-cédent). Metsys le fera d’ailleurs bien plus clairement six ans plus tard dans un autre tableau aux personnages grotesques, intitulé Les Usuriers…

Mais là, il s’agit d’abord de rap-peler les hommes d’argent à la loi divine : la balance, qui évoque aussi la pesée des âmes, le miroirconvexe posé sur la table, qui re-flète le beffroi de la cathédrale, la bougie éteinte, qui est un me-mento mori, bon nombre d’élé-ments concourent à faire de cette œuvre moins une représentation exacte de la profession de chan-geur qu’une allégorie voulant in-citer les banquiers à une modéra-tion chrétienne, voire eras-mienne, dans la pratique de leurs affaires. Le regard de la femme,qui se détourne de son bréviairepour se poser sur le tas de mon-naies, est à cet égard éloquent. Untableau moral, donc, dont on de-vrait afficher la reproduction dans toutes les salles de marché. p

harry bellet

Les Petits Secrets des grands tableaux, série écrite par Elisabeth Couturier et Thomas Cheysson et réalisée par Clément Cogitore et Carlos Franklin (Fr., 2015, 10 x 26 min).

DIMANCHE 1ER NOVEMBRE

TF1

20.55 La Cage dorée

Comédie de Ruben Alves(Fr.-Port., 2013, 110 min).22.45 Les Experts

Série policière crééepar Anthony E. Zuiker (EU, saison 7, ép. 10 et 20/24 ; S6, ép. 7 et 8/24).France 220.55 Elle s’appelait Sarah

Drame de Gilles Paquet-Brenner(Fr., 2010, 105 min).22.45 Un jour, une histoire

Présenté par Laurent Delahousse. Simone Veil, l’instinct de vie.

France 320.50 Les Enquêtes de Murdoch

Série créée par Maureen Jennings (Can., S8, ép. 14/18 ; S6, ép. 5 et 6/13, S2, ép. 3/13).

Canal+

21.00 Football

Nantes-Marseille : 12e journéede Ligue 1.France 520.45 Le canard,

une volaille qui vaut de l’or

Documentaire de David Corre et Julien Daguerre (Fr., 2015, 45 min).22.25 Les Rebelles

du 11 novembre 1940

Documentaire de Georges-Marc Benamou (Fr., 2013, 55 min).Arte20.45 Rencontres

du troisième type

Film de Steven Spielberg(EU, 1977, 135 min).23.00 Jacques Higelin

par Sandrine Bonnaire

Documentaire de Sandrine Bonnaire (Fr., 2015, 55 min).M620.55 Capital

Présenté par François-Xavier Ménage. Guerre des marques : elles se

battent pour équiper votre maison.23.00 Enquête exclusive

Présenté par Bernard de La Villardière.

LU N D I 2 N OV E M B R ETF120.55 Joséphine, ange gardien

Série (Fr., 2015, 115 min).22.50 New York, unité spéciale

Créée par Dick Wolf (EU, S16, ép. 6/23 ; S15, ép. 8/24 ; S13, ép. 14 et 15/23).France 220.55 Castle

Créée par Andrew W. Marlowe(EU, S7, ép. 10 et 11/23 ; S5, ép. 17/24).23.05 Un œil sur la planète

Magazine présenté par Etienne Leenhardt. Le Miracle suisse.

France 320.50 Alain Delon, cet inconnu

Documentaire de Philippe Kohly(Fr., 2015, 95 min).22.25 Romy Schneider,

à fleur de peau

Documentaire de Bertrand Tessier (Fr., 2013, 55 min).Canal+21.00 Panthers

Série créée par Jack Thorne(GB-Fr., S1, ép. 3 et 4/6).22.40 Spécial investigation

Présenté par Stéphane Haumant. Front national : l’œil de Moscou.

France 520.40 Les Misérables

De Josée Dayan (Fr., 2000, 2/4).22.25 C dans l’air

Magazine présenté par Yves Calvi.Arte20.55 Cotton Club

Drame de Francis Ford Coppola(EU, 1984, 125 min).23.00 Lady Snowblood

Film d’action de Toshiya Fujita(Jap., 1973, 95 min).M620.55 Red

Film d’action de Robert Schwentke (EU, 2010, 130 min).23.05 Maison à vendre

Magazine animé par Stéphane Plaza.

La présidente du Front national, Marine Le Pen, devant la Douma, à Moscou, en mai. KIRILL KUDRYAVTSEV/AFP

inféodées au pouvoir. Ses pro-ches, comme le député européen Aymeric Chauprade, rencontrent souvent de très riches industriels aux profils sulfureux dépendantsde Vladimir Poutine, comme l’oli-garque Konstantin Malofeev, in-terdit de sol par l’Union euro-péenne.

Au cours de son enquête, le jour-naliste revient aussi longuement sur cette réunion « privée » quieut lieu à Vienne, en Autriche, le 31 mai 2014, réunissant la plupart des dirigeants de l’extrême droite européenne sur le thème de« L’avenir des valeurs fondamen-tales de la civilisation chrétienne en Europe ». Aux côtés de partisnéonazis et populistes, le Front

« Je ne cache

pas que, dans

une certaine

mesure, j’admire

M. Poutine »

MARINE LE PEN

présidente du Front national

Nettoyeurde restes humainsPlongée dans une PME chargée d’assainirles lieux où se trouvent des cadavres

FRANCE 4LUNDI 2 – 23 H 25

DOCUMENTAIRE

I l l’indique très modestement :« On est aux balbutiements decette activité. C’est un métier

nouveau. » Christophe Mercier, àla tête de Groupe Vita, dans la ban-lieue lyonnaise, ne se réfère pas, ici, à l’ensemble de sa PME, mais à l’activité de l’une de ses filiales, dénommée Requiem.

Cette filiale, comme les autresdans le groupe, propose des servi-ces dans le domaine de l’hygièneet de l’assainissement, mais elle a la particularité de passer un coup d’éponge dans les lieux où la morta frappé. Une idée suggérée par un ami policier. « Auparavant, ex-plique Christophe Mercier, on for-çait la main aux entreprises de net-toyage pour qu’elles le fassent… Oubien c’était à la famille de le faire. »

« Un peu comme “Dexter” »

« Des fois, on se compare un peu à “Dexter”, reconnaît le frère du PDGde Vita, Emmanuel Mercier, un desspécialistes de la filiale Requiem. Quand on voit plein de sang dans lasalle de bains, dans le couloir et qu’on sait que la personne a été re-trouvée morte dans son fauteuil, onest forcément amené à imaginer ce

qui s’est passé… » Et de préciser : « Quand on sait quand et commentla personne est décédée, on oublie moins de taches. Parce que, si ça s’est fait à l’arme à feu, on sait que ça va rebondir dans tous les sens. » Il faut dire que l’on fait appel à cettecellule de nettoyage particulière pour moitié après une mort vio-lente et, pour l’autre, après la dé-couverte d’un corps se décompo-sant depuis une semaine, un mois,voire un an et demi…

Les amateurs de « Dexter » ou en-core ceux de la série « Spotless » (créée par Canal+ et Tandem, met-tant en scène deux frères qui, pré-cisément, exercent ce métier de nettoyeur de restes humains) se-ront sans doute moins surpris par la vue du sang post mortem que montre ce documentaire que par toutes les activités annexes qu’im-plique le nettoyage de l’apparte-ment d’une personne morte dans la solitude depuis longtemps (voire atteinte du syndrome de Diogène, c’est-à-dire qui ne jette rien de rien, même pas le contenu de ses toilettes…). p

martine delahaye

Post mortem et autres petits tracas, produit par Vice Media France, réalisé par Gabrielle Culand (2015, France, 52 min).

V O SS O I R É E S

T É L É

Page 24: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

24 | télévisions DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

HORIZONTALEMENT

I. Vous n’en viendrez donc jamais à

bout. II. Garantit la garantie. Au large

en Charente-Maritime. III. Gonlé et

insubmersible. Supprimerai. IV. Réali-

sent. V. Engagées dans la Résistance.

Descendue par le greier. Ile de

France. VI. Fabrique de belles toiles.

S’épanouit comme le blé. VII. Grandes

pages de notre histoire. Quart de

tour. Espion pour Louis XV. VIII. Dans

les petites mesures. Cours d’Espagne

en v.o. Grande voie. IX. Découpage du

temps. Nymphe des ruisseaux et des

cours. X. Ne pourront donc pas être

repoussés.

VERTICALEMENT

1. Se pose les questions après coup.

2. Soutenir une fois de plus. 3. Plein

de délicatesse. Tell Muqayyar au-

jourd’hui. 4. La famille a beaucoup

aidé les artistes italiens. Aluent du

Rhône. 5. Belle chevronnée. Bonne

prise. Pas facile à clouer. 6. Dans le

tutu. Faire le bon poids. 7. On s’y re-

trouve sur les talons. 8. Pompage à la

source. Cours du Nord. 9. Virgile en a

fait un héros. Dit tout sur votre

compte. 10. A quitté les voiles hollan-

daises pour celles de Louis XIV. On s’y

fait poursuivre. 11. Fixa solidement.

Grande en Amérique. Cube chifré.

12. Intraitables.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 257

HORIZONTALEMENT I. Peinardement. II. Omnibus. Aa. III. Dao. Estimait.

IV. Ci. Pré. Nenni. V. Alpes. Atre. VI. Slip. Ode. Sal. VII. Téléphage. Eo.

VIII. Irise. GR. Gin. IX. Nie. Aviation. X. Gérontologue.

VERTICALEMENT 1. Podcasting. 2. Emaillerie. 3. Ino. Pilier. 4. Ni. Pépés.

5. Abers. Péan. 6. Ruse. Oh. Vt. 7. DST. Adagio. 8. Intégral. 9. Mimer. To.

10. Anes. GIG. 11. Nain. Aeiou. 12. Tatillone.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

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VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 258

PAR PHILIPPE DUPUIS

L I T T É R AT U R E

Les Matins

France Culture met à l’honneur les Prix Nobel de littérature. Ainsi, après Patrick Modiano en 2014, la station consacre une journée spéciale à la lauréate 2015, la Biélorusse Svetlana Alexievitch. Lundi 2 novembre, cette voix de la dissidence, saluée par l’académie suédoise pour son œuvre atypique, sera l’invitée de Guillaume Erner dans « Les Matins ». Avant d’être, à 20 heures, l’hôte de « Liv(r)e, un auteur, une œuvre » – cycle de conférences coproduit par le Théâtre de l’Odéon, à Paris –, animéepar Sylvain Bourmeau.Lundi 2 novembre – France Culture – 7 h 40MusiqueLes Mercredis du jazz

Les 13 et 14 juillet 1988, Miles Davis, entouré, entre autres, de Kenny Garrett, Robert Irving, Adam Holzman, Ricky Wellman donnaient deux concerts mémorables. Cette pépite sonore conservée à l’Institut national de l’audiovisuel – l’enregistrement n’a fait l’objet d’aucun disque – sera intégralement diffusée dans l’émission de Jérôme Badini. A noter, pour des raisons de droits, qu’il n’y aura aucune réécoute possible sur le site de la station.Mercredi 4 novembre – France Musique – 20 heuresAnthropologieAutour de la questionAuteur d’une monumentale biographie de Claude Lévi-Strauss (Flammarion, « Grandes Biographies », 910 p., 32 euros), Emmanuelle Loyer est l’invitée de Caroline Lachowsky. Ensemble, elles évoqueront le parcours de l’auteur de Tristes Tropiques (Plon, 1955) et ce travail biographique de longue haleine.Vendredi 6 novembre – RFI – 16 h 10

Mehdi Ahoudig, une écoute sensibleLe réalisateur signe un documentaire sur la consommation d’héroïne dans la Meuse

Et de trois ! Arte radiovient d’être couronnéedu prix Europa 2015 dumeilleur documentaire

pour Poudreuse dans la Meuse, de Mehdi Ahoudig. C’est la troisième fois que le reporter reçoit cette prestigieuse distinction après son documentaire radio Qui a connuLolita et son webdocumentaire A l’abri de rien, et la cinquième foispour la webradio.

C’est dans le département dunord-est de la France que Mehdi Ahoudig est allé promener son micro. Ce coin de France connu pour ses champs de bataille de la première guerre mondiale est aussi celui où l’on consomme le plus d’héroïne. Une particularité qui s’explique par sa proximité avec les Pays-Bas. Les trafiquantspeuvent s’y fournir en poudre blanche en moins de deux heures.

« C’est un hasard. Je travaillaissur un film de prévention contre la drogue dans le département. Lors du tournage, nous avons rencon-tré le procureur Yves Le Clair, un personnage haut en couleur, qui m’a interpellé », raconte Mehdi Ahoudig. « Je voulais faire une en-quête sensible, pas uniquement journalistique avec des chiffres à l’appui, ou un reportage qui fasse une description des trafics entre Maastricht et la Meuse », explique-t-il encore.

Un résultat saisissant

Mehdi Ahoudig qui a passé son enfance à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), où les seringues traî-naient parfois par terre, voulait comprendre comment, dans un département rural, très éloigné des centres urbains, la consom-mation de l’héroïne s’était répan-due. « La question de l’addiction estuniverselle ainsi que celle du plai-sir. Je voulais ramener ça à quelquechose de plus humain », observe-t-il.

Son introduction auprès du pro-cureur Yves Le Clair lui a permis derentrer facilement en contact avectous les acteurs, juges, policiers, médecins, addictologues. La tâchea été un peu plus difficile auprès des consommateurs. « Je les ai beaucoup rencontrés dans le cadrede la justice ou des soins qu’ils ont souvent l’obligation de suivre. Ils sont très sympathiques et très ave-nants, vous fixent rapidement un

rendez-vous, mais disparaissent ensuite. Ils sont dans des universdont le journaliste ne fait pas par-tie. Ils sont essentiellement à la re-cherche du produit. C’était d’autant plus problématique que jesouhaitais les rencontrer en dehorsdes institutions, car je me doutais que j’allais avoir une parole diffé-rente », raconte Mehdi Ahoudig.

Le résultat est saisissant, pre-nant. Dès les premières secondes, on est plongé dans un univers glauque. Des bruits stridents oude voitures perdues sur une route en pleine campagne vous emmè-nent dans une région où le moin-dre village est pollué par la dro-gue. « Dans le son, il y a une puis-sance d’évocation qui est mille fois plus forte que n’importe quelle sé-quence vidéo », explique le docu-mentariste.

Linda raconte comment, sans lesavoir, elle a consommé de l’hé-roïne que lui proposait un copain. Et puis, c’est devenu une habitude pour calmer les bobos de la vie, se

procurer un peu de plaisir, et fina-lement sombrer dans un som-meil qui permet de tout oublier.

Avec lucidité, les consomma-teurs décrivent comment ils sont devenus accros. Drogués, person-nels de santé, juges et policiers se connaissent de façon intime. Toussavent que le chemin sera long et tortueux pour ceux qui veulent sesortir de la dépendance. Une fois de plus, Mehdi Ahoudig, en don-nant la parole à ceux que l’on en-tend rarement, nous fait partager leur existence.

Cela fait déjà plus d’une dizained’années que Mehdi Ahoudig réa-lise des documentaires qui sont autant de voyages dans des uni-vers inconnus, mais parfois très proches. « J’aime ouvrir des portes qu’on n’a pas l’habitude d’ouvrir », résume-t-il. Il a une façon particu-lière de faire parler ses interlocu-teurs, de percevoir ce qu’ils res-sentent. « Je rentre facilement en contact avec les gens. La radio aune bonne image, même dans les

quartiers populaires. C’est moins intrusif que la télévision ou même la presse écrite. Avec un micro, la frontière est beaucoup plus floueentre le tournage et le non-tour-nage. La principale difficulté c’estde mettre en forme tous ces mo-ments de vie. Je me méfie de l’em-pathie que j’essaye d’enlever au montage pour rendre la matière objective », explique-t-il.

Comme ses documentaires, leparcours de Mehdi Ahoudig estatypique. Diplômé en chimie, il refuse à 22 ans d’intégrer le Com-missariat à l’énergie atomique où

« J’aime ouvrir

des portes

qu’on n’a pas

l’habitude

d’ouvrir »

MEHDI AHOUDIG

documentariste

Mehdi Ahoudig, dansles locaux d’Arte Radio,

à Issy-les-Moulineauxle 10 novembre 2014.

JULIEN DANIEL/M.Y.O.P.

il ne se voyait pas « accomplir des projets de recherche un peu mono-maniaque ». Objecteur de cons-cience, le voilà affecté à la Direc-tion régionale des affaires cultu-relles d’Ile-de-France. Il s’intéresseau théâtre, suit une formationpour devenir ingénieur du son. Pendant dix ans, il travaille dans les salles de spectacles. Au débutdes années 2000, il réalise des do-cumentaires pour la petite stationDroit de cité à Mantes-la-Jolie (Yvelines) avant de rejoindre Arte Radio. En 2007, Ma cité va parler, où il donne le micro à ses copains d’enfance de Garges-lès-Gonesse,le fait remarquer. Depuis, grâce à Arte Radio, il continue de faire partager son regard bienveillant sur notre monde. p

joël morio

Poudreuse dans la Meuse, de Mehdi Ahoudig, mise en ondes, musique originale et mixage de Samuel Hirsch (France 2014, 39 minutes) Arteradio.com

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Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania Avenue, mardi 20 janvier, se dirigent vers la Maison Blanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERSa Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObamaen2008, et de nouveau

pendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo.Pages 6-7 et l’éditorial

page 2a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviews page 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtesà venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44eprésidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquête page 19

GAZAENVOYÉSPÉCIAL

D ans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds. « C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mièrefoisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.MichelBôle-RichardLire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTONCORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, BarackObama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscoursne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvellegénération s’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformation a commencé.Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-cain-américain de 47 ans.

Lire la suite page 6Corine LesnesEducation

L’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre expliquecomment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

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0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ansà compter du 15 décembre 2000.Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00Abonnements par téléphone :de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;par courrier électronique :[email protected] 1 an : Francemétropolitaine : 399 ¤Courrier des lecteursblog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;Par courrier électronique :[email protected]édiateur :[email protected] : site d’information : www.lemonde.fr ;Finances : http://inance.lemonde.fr ;Emploi : www.talents.fr/Immobilier : http://immo.lemonde.frDocumentation : http ://archives.lemonde.frCollection : Le Monde sur CD-ROM :CEDROM-SNI 01-44-82-66-40Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60

La reproduction de tout article est interditesans l’accord de l’administration. Commissionparitaire des publications et agences de pressen° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037

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Présidente :Corinne Mrejen

Page 25: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

enlevez-moi ce lambris

et mettez des bougies !Popularisé par des émissions de télé, le « home staging » – l’art de redécorer un appartement avant de le vendre – est devenu un business. Qui entre aussi dans les mœurs des propriétaires

C’est à ce momentprécis que l’on me-sure le profession-nalisme. « Et ce ta-

bleau, vous l’emportez ? » Le tonest neutre, l’air dégagé, comme sila réponse importait peu. On se doute pourtant qu’un pan demur blanc ne serait pas du luxe,dans ce salon qui fait aussi cui-sine, salle de jeux, bureau et stu-dio de musique. « Oui, oui », l’abs-traction violacée partira avec sa propriétaire.

Alexia Rhodier sourit. La déco-ratrice d’intérieur est venue po-ser un diagnostic de « home sta-ging », fournir les clés d’une mise en valeur de l’appartement avant sa vente. Sa cliente, une trente-naire sur talons compensés bien-tôt installée au Canada pour affai-res, et moins d’impôts, a comprisque son F3 quasi neuf de proche banlieue ne déclenchait pas lecoup de cœur suffisant pour unevente rapide à prix un tantinet surévalué. En tombant sur la dé-sormais émission-culte « Mai-sons à vendre », animée par Sté-phane Plaza sur M6, cette créa-trice de start-up a eu la révélationhome staging.

Deux clics plus tard, elle trou-vait dans son quartier une profes-sionnelle indépendante qui, pour390 euros les deux heures, pou-vait suggérer toutes les améliora-

tions à apporter, et, pour 3 000 euros supplémentaires, lesmettre en œuvre dans la foulée. Inventé aux Etats-Unis dans les années 1970, ce marketing déco-ratif prospère depuis 2008 sur leterreau de la crise immobilière.Désormais plus nombreux queles acheteurs, les vendeurs doi-vent convaincre.

La difficulté à se projeterAu printemps, alors même que des agences immobilières fer-ment de partout, Stéphane Plaza lançait un nouveau réseau natio-nal de franchises – 3,2 millions in-vestis, avec M6 et les deux fonda-teurs de Laforêt immobilier. L’animateur voit grand, table sur500 ouvertures d’ici à 2020. Enpoussant la porte de Stéphane Plaza immobilier, les clients-té-léspectateurs s’attendent à enten-dre parler de home staging. Le « chevalier blanc qui vole au se-cours des propriétaires découra-gés », dixit la télé, les a familiarisésavec la « difficulté à se projeter » del’acquéreur trentenaire plongé dans un intérieur rustique.

« Les gens s’endettent sur vingtans, ils ont besoin d’être rassurés,croit-il. Et comme les biens sont chers, ils doivent être impeccables, on doit pouvoir s’y installer sans travaux. » Deux grandes franchi-ses de home stagers (Avéo, Home

tatent les home stagers. Tropd’affect entre en jeu. En France,où l’on déménage bien moinsfréquemment qu’aux Etats-Unis,l’habitation symbolise à ce pointla famille que la transformer enappartement témoin équivaut àune trahison. Ceux-là mêmes quiont le réflexe d’ôter de leur voi-ture le siège bébé et ses miettesde gâteau avant de la vendreouvrent à la visite leur apparte-ment dans son « jus » le plus quo-tidien : toilettes douteuses, dres-sing en bazar, étendoir à linge aumilieu du salon…

Le home stager intervient aussilorsque les biens immobiliers sont présentés vides à la vente :avec des meubles qu’il loue, par-fois gonflables ou en carton, il re-donne des repères visuels per-mettant de saisir les dimensions.Quand bien même l’apparte-ment vaut 3 millions d’euros…comme ceux dont Sandrine Kretz, de l’agence Kretz & Par-tners, fait « remeubler les piècesmaîtresses, après des départs à l’étranger pour raisons fiscales ». « Si nous avons l’exclusivité de lavente, dit-elle, nous pouvons prendre en charge la location de10 000 euros de meubles et objets design pour six mois. Il nous arriveaussi de conseiller l’installationd’une cave à vin ou d’une piscinesur la terrasse. Ce n’est rien,50 000 euros de dépenses, quandon s’apprête à vendre un bien200 000 euros de plus. »

Et le résultat est garanti, pro-mettent ces pros du relooking immobilier. Qui surenchérissent dans les exemples de maisons vieillottes en vente depuis un an« parties en une visite et au prix »avec peinture taupe et rideaux enlin. Chez Avéo, réseau de franchi-ses créé à Saint-Etienne (Loire) en 2008, on va même jusqu’à pro-poser une « garantie vendu en moins de trois mois », contre envi-ron cent trente jours en moyennenationale. « Et la négociation duprix de vente du bien ne sera quede 3 % en moyenne après notre in-tervention, contre 10 % en règlegénérale », assure Sylvain Rey, le patron.

C’est ce qu’explique à tous sesproches Jean-Philippe Causse,dont la maison mitoyenne, en première couronne toulousaine, s’est vendue en deux visites 20 000 euros plus cher qu’espéré.Pour un quart de cette somme, ladécoratrice Katia Janowski, du ré-seau Home-Staging Experts, « luiavait donné une âme, une vie », sesouvient-il. « Au départ, je me di-sais que les travaux ne servaient àrien, qu’on ne vendrait pas plus cher. Pourtant, cela a été d’une ef-ficacité redoutable. » Dans lesagences immobilières, on nedoute guère de cette plus-value.Demeure néanmoins la peur de vexer le client qui, à entendre lemot « home staging », revoit im-médiatement les intérieurs hi-deux relookés à la télé. C’est simoche que ça, chez moi ? p

pascale krémer

MATHILDE AUBIER

staging experts) et une centained’indépendants captaient déjà cette demande en expansion. Des partenariats se sont désormais noués avec les grands réseaux im-mobiliers, conscients qu’offrir cette mise en beauté d’avant-vente permettait de récupérer desmandats exclusifs.

En silence, cahier en mains,Alexia poursuit son repérage mi-nutieux dans le trois-pièces. Ilfaudra des suspensions pour ha-biller toutes ces ampoules nues, un coup de peinture sur les pre-mières fissures apparues aux murs, un portant design à la placede la grosse penderie… Dans le sa-

lon, où tout est carré, on installeraune petite table ronde et on remi-sera le piano numérique pour fluidifier la circulation, tout enajoutant rideaux et coussins pourréchauffer le tout. On placeraquelques serviettes pliées sur les étagères de la salle de bains pourque passe ce message subliminal :vous êtes attendus. « Et côté tiroirsde la cuisine, tout fonctionne ? in-terroge-t-elle, tentant d’en ouvrir un. Un bouton mal fixé, et le visi-teur percevra l’ensemble comme bringuebalant… »

Une manière de cacher la mi-sère ? Parfois un peu. Mais il s’agit surtout de mettre en valeur l’exis-

tant, d’exhiber les mètres carrés, la luminosité, dans une harmoniedécorative suffisamment neutre pour que rien ne détourne l’atten-tion du potentiel de l’apparte-ment. Formée aux Etats-Unis, lahome stageuse Yasmine Medicis avait l’habitude de « dresser la ta-ble de la salle à manger comme pour la communion du petit ». Elle a cessé. « Contrairement aux Amé-ricains qui aiment qu’on leur en mette plein la vue, les Français se demandent ce qu’on leur cache, si on ne fait pas ça pour leur vendreplus cher. » « Un bon home staging ne se voit pas, appuie FranckyBoisseau, de Home-Staging Ex-perts. Et on ne demande pas aux propriétaires si les modifications envisagées leur plaisent. Le but est que cela corresponde à la façon de vivre du plus grand nombre. »

Peinture taupe et rideaux en linRien que du bon sens, finale-ment. De la psychologie de l’acheteur appliquée à l’immobi-lier. A écouter les tenants de cenouveau métier qu’aucune for-mation d’Etat ne valide encore – ce qui peut laisser cours à quel-ques escroqueries –, on se ditqu’il n’est pas besoin d’eux pourdésencombrer, dépersonnaliseret donner un coup de frais. Cer-tes, mais l’immobilier échappeétrangement au bon sens, cons-

ON SE DIT QU’IL N’EST PAS BESOIN DES « HOME

STAGERS » POUR DÉPERSONNALISER UN APPART. MAIS

L’IMMOBILIER ÉCHAPPE ÉTRANGEMENT AU BON SENS…

Un avant/après virtuel

Depuis 2014, Century21 offre à ses clients exclusifs de mettreen ligne une version 3D rénovée de leur bien (élaboréepar la société Rhinov pour quelque 300 euros la pièce). De lavalorisation immobilière virtuelle et gratuite, en quelque sorte.Même service chez Stéphane Plaza Immobilier. La première agence, ouverte dans le 11e arrondissement parisien, s’organise autour d’une vaste pièce, parée de ce qu’il faut de carreaux de ci-ment et verrières d’atelier pour rappeler les préceptes décoratifs dispensés à la télé. Sur grand écran, on y projette au client une version numérique améliorée du bien qui l’intéresse, afin qu’il en perçoive tout le potentiel. Il s’y balade en immersion, comme dans un jeu vidéo, peut choisir ici sa couleur de mur, là sonmobilier. Les vidéos (de MyCloud3D) seront bientôt accessibles sur le site de l’agence, sur une nouvelle chaîne YouTubeet encore sur tablette lors des visites.

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Page 26: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

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0123

Ce n’est plus l’Est contrel’Ouest. Ce n’est plus leNord contre le Sud. Le cli-vage qui fracture l’Eu-

rope aujourd’hui, c’est celui de l’universalisme contre le repli sursoi. L’histoire, dont le politologue américain Francis Fukuyama, eni-vré par la fin de la guerre froide, annonçait la fin il y a vingt-cinq ans, est repartie. L’universalisme est de nouveau en danger : ce sont des Russes qui vous le disent – et ils savent de quoi ils parlent.

Pour adresser ce message à leursamis européens, ces Russes-là ont dû sortir de chez eux. Des Alle-mands – encore eux ! – leur ont of-fert l’hospitalité. Par un étrange re-tournement, ce sont les Russes quiont fini par supplier les Occiden-taux de ne pas renoncer à l’héri-tage des Lumières.

Cet épisode, tellement révélateurd’une Europe un peu perdue, s’est déroulé cette semaine à Berlin, dans l’enceinte de la Fondation Ro-bert-Bosch. Philanthropique et apolitique, la fondation ac-cueillait, pendant deux jours, les travaux de l’Ecole d’éducation civi-que de Moscou. Pourquoi Berlin etpas Moscou ? Pour comprendre, il faut remonter à 1992, dans la cui-sine d’un appartement moscovite.

En Russie, beaucoup d’idées sontnées dans ces petites pièces où l’omniprésence de l’Etat poussait les gens à se réfugier, pour débat-tre sans fin, serrés autour d’une ta-ble. A la sortie du soviétisme, la cuisine de Lena Nemirovskaïa et Iouri Senokossov, intellectuels moscovites bon teint, fonctionne à plein rendement. Les nouvelles élites russes, se désolent cette his-torienne de l’art et son mari philo-sophe, manquent cruellement de culture démocratique. Et l’Etat russe, héritier de l’URSS, est mal outillé pour la dispenser.

C’est ainsi que naît l’idée d’uneONG qui organiserait des séminai-res à l’intention de jeunes déci-deurs pour leur apporter les bases du fonctionnement d’une société libérale. Offrir « à la société civile une éducation civique éclairée », ditLena Nemirovskaïa. L’école d’Etu-des politiques de Moscou voit donc le jour en 1993, sous la prési-dence Eltsine. A ce jour, quelque 20 000 jeunes cadres locaux sont passés par ses séminaires.

« Agents de l’étranger »

Le financement est venu de ceux qui croyaient à l’utilité de ce genre de mission : l’indispensable George Soros, l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski – avant qu’il ne soit jeté en prison –, puis le Conseil de l’Europe, dont la Russie n’était, à l’époque, pas encore membre. Plu-sieurs gouvernements européens ont aussi mis la main à la poche. Jusqu’à ce que le président Pou-tine, en 2012, demande aux ONG bénéficiant de financements exté-rieurs de s’enregistrer comme « agents de l’étranger ». En décem-bre 2014, l’Ecole d’études politi-ques, rebaptisée entre-temps Ecole d’éducation civique de Mos-cou, tombe à son tour dans la liste des « agents de l’étranger ».

Fonctionner en Russie dans detelles conditions devient trop dif-ficile ; la plupart des ONG étrangè-res ont plié bagage. Le modèle de l’Ecole de Moscou, pourtant, a fait recette ; sous la houlette du Con-

seil de l’Europe, à partir de 2005, un réseau d’une vingtaine d’Eco-les d’études politiques similaires a émergé, de la Biélorussie au nord àla Tunisie au sud.

Lena Nemirovskaïa n’a pas voulurenoncer à la mission de l’éduca-tion civique des Russes. Et c’est comme ça que, avec l’aide du Con-seil de l’Europe, d’institutions comme la Fondation Bosch, l’Insti-tut des sciences humaines de Vienne ou l’Institut norvégien des affaires internationales, son école tient désormais ses réunions à l’étranger. A Tbilissi, à Berlin, à Ox-ford… Les élèves, forcément, sont moins nombreux. Mais à défaut de former des centaines de jeunes cadres russes, elle entretient la flamme.

« Démons du XXe siècle »

Le paradoxe, aujourd’hui, c’est quela flamme ne faiblit plus seule-ment dans l’espace postsoviéti-que : elle vacille aussi dans les dé-mocraties libérales, celles-là mê-mes où, il y a vingt ans, l’Ecole de Moscou trouvait son inspiration. Comme si, soudain, les Lumières devenaient d’une brutale actua-lité. A Berlin, tous les participants, sans exception, d’Est, d’Ouest, du Nord ou du Sud, ont exprimé la même préoccupation.

C’est Frank-Walter Steinmeier, leministre des affaires étrangères al-lemand, venu à pied en voisin ouvrir les travaux de la confé-rence, qui a parlé d’optimisme, mais au passé : l’optimisme « dont nous étions remplis » il y a vingt ans, qui a survécu « à l’horreur des guerres des Balkans », mais qui n’est plus de mise. « Aujourd’hui, l’ordre européen est remis en ques-tion », s’est inquiété le chef de la di-plomatie allemande : « Plus qu’unecrise politique, l’annexion de la Cri-mée est une violation du droit inter-national et un dangereux précé-dent. »

C’est Catherine Lalumière, ex-se-crétaire générale du Conseil de l’Europe, qui a constaté le recul de « la philosophie humaniste » face àl’émergence, « progressivement et subrepticement, d’une philosophiepolitique différente ». L’esprit d’ouverture qui a fondé le projet européen, dit-elle, est menacé par « l’esprit de fermeture, le repli sur soi, l’égoïsme et l’absence de soli-darité ».

C’est un participant russe quipense que l’affrontement ne se si-tue plus entre deux systèmes de valeurs mais « entre un ensemble de valeurs et l’absence de valeurs ». Entre des politiciens qui acceptent les règles et ceux qui les rejettent, quel que soit leur pays. C’est un autre qui ne peut pas comprendre que l’UE, une communauté de 500 millions d’habitants, se dise incapable d’absorber 1 million de réfugiés. Comme en écho, deux jours plus tard, un dirigeant fran-çais nous confiera son inquiétudesur cette Europe où « l’Allemagne qui a voulu, par un geste de généro-sité, laver le XXe siècle, se voit rattra-pée par les démons du XXe siècle ».

« Je ne crois pas que le monde soitaussi sombre que vous le décrivez, ironise Solomon Guinzbourg, un élu local russe : il est bien pire. » Unmonde qui menace « de nous ren-voyer dans nos cuisines, trente ans après », ajoute un universitaire ukrainien, Mikhaïl Minakov. p

[email protected]

Q ui pourra stopper la spirale infer-nale qui entraîne le Soudan du Sudvers la guerre civile et la famine ?En juillet 2011, une certaine

euphorie accompagnait la création du plus jeune Etat du monde. On se prenait alors à rêver. C’en était terminé des décennies deguerres fratricides qui avaient laissé plu-sieurs millions de morts dans leur sillage.

Las. Depuis la célébration de l’indépen-dance du Soudan du Sud gagnée sur leNord, le bilan est catastrophique. Dans ce pays grand comme la France, la guerre ci-vile qui s’est allumée en décembre 2013 a déjà tué des dizaines de milliers de person-nes, déplacé 2,2 millions d’autres (sur 11,5 millions de Sud-Soudanais), tandis que la famine menace. L’Union africaine (UA),

qui n’assiste pas là à sa première guerre sale, s’en est émue il y a quelques jours. Sonrapport d’enquête décrit l’indicible : civils contraints par les combattants de l’autrecamp de boire le sang et de manger de lachair humaine brûlée des victimes de leur ethnie, massacres d’enfants, viols en masseet autres « actes inhumains d’une extrêmecruauté » contre les populations.

A ce jour, les médiations internationalesn’y ont rien fait. Huit cessez-le-feu ont été conclus en quatorze mois de conflit. Le der-nier engagement des « semeurs de mort » remonte au mois d’août. Il s’agissait d’un « accord de paix » prévoyant un cessez-le-feu « permanent », un partage du pouvoiravec les rebelles, la démilitarisation de la capitale… En vain

Pourquoi tant de violences ? Le jeu des so-lidarités régionales, tribales et claniques,oppose les membres de la communautédinka du président Salva Kiir aux Nuer de Riek Machar, son ancien vice-président, de-venu son pire ennemi et principale figure de la rébellion. Pour autant, ce conflit « n’a pas commencé comme une guerre tribale », rappelle le chercheur Andrew S. Natsios.

The Sentry, une organisation non gouver-nementale de lutte contre la corruption,décrit comment le Soudan du Sud, à peine né, a été détruit de l’intérieur par un « ré-gime kleptomane ». Ses élites – Salva Kiir et Riek Machar à leur tête – ont siphonné les

milliards de dollars d’aides internationales et du pétrole, source quasi unique de re-venu du pays. Cette guerre est donc égale-ment un conflit d’ego, d’argent et d’inté-rêts, plus que d’objectifs politiques natio-naux dont on pourrait chercher vainementles contours.

Les raisons sont aussi à rechercher dansles ambitions de puissants voisins – Ethio-pie, Ouganda, Soudan –, qui règlent leurs comptes ou nourrissent leurs ambitionssur le dos meurtri des Sud-Soudanais. Elles résident également dans le désintérêt rela-tif du parrain américain, sans lequel l’indé-pendance n’aurait sans doute pas eu lieu en 2011.

Il n’existe pas de recette miracle pour sau-ver le Soudan du Sud contre la volonté deses dirigeants, rebelles ou non. Mais on ne peut croire que les pressions réunies de l’ONU, de l’UA, de l’Union européenne, de laChine et des Etats-Unis – qui ont tous sou-tenu la création du pays et œuvré pour mettre un terme aux guerres précédentes –ne soient pas capables de stopper les com-bats. A condition de s’y atteler. Certes, les risques de débordement du conflit sont li-mités. Les Sud-Soudanais n’alimentent pas (pour l’instant) les flots de migrants versl’Europe. Ce n’est pas une raison pour lais-ser perdurer les souffrances d’une popula-tion qui est déjà parmi les plus pauvres de la planète. p

L’UNIVERSALISME EST DE NOUVEAU EN DANGER : CE SONT DES RUSSES QUIVOUS LE DISENT

SOUDAN DU SUD : DE L’INDÉPENDANCE AU CAUCHEMAR

L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE

par sylvie kauffmann

A la recherche des Lumières perdues

Tirage du Monde daté samedi 31 octobre : 278 131 exemplaires

« JE NE CROIS PAS QUE LE MONDE SOIT AUSSI SOMBRE QUE VOUS LE DÉCRIVEZ. IL EST BIEN PIRE »SOLOMON GUINZBOURG

élu local russe

& CIVILISATIONS

&CIVILISATIONS

N° 11NOVEMBRE 2015

PALMYRELE JOYAUBRISEDEL'ANTIQUITE

LAVALLEEDES INCASRITUELETPOUVOIR

AUCŒURDESANDES

CHATIMENTSMEDIEVAUXHOMMESETFEMMES

FACEÀLA JUSTICE

L’AGED’ORDESFAITSDIVERSL’ESSORDELAPRESSE

AUXIXE SIÈCLE

CALIGULAL’EMPEREURQUIVOULAIT ÊTREDIEU

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CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

Chaque mois, un voyage à travers le tempset les grandes civilisations à l’origine de notre monde

Page 27: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

Cahier du « Monde » No 22019 daté Dimanche 1er - Lundi 2 novembre 2015 - Ne peut être vendu séparément

JEUX VIDÉOLES COMPÉTITIONSFONT FUREURCHEZ LES « GAMERS »→ LIRE PAGE 7

PLEIN CADRELA CHINE, THÉÂTREDU COMBAT QUI OPPOSE UBER À DIDI KUAIDI→ LIRE PAGE 2

VU DE NEW DELHI

L’Inde désavouée par le Nobel d’économie

La croissance indienne est-elle aussi éle-vée que les chiffres le disent ? AngusDeaton en doute. Le Prix Nobel d’éco-nomie 2015, qui a effectué de nom-

breux travaux en Inde, s’est penché sur les sta-tistiques nationales. Il s’interroge sur les diver-gences entre les enquêtes sur la consomma-tion des ménages menées par legouvernement et les mesures officielles decette même consommation, qui entrent en considération dans le calcul du produit inté-rieur brut (PIB). « Les enquêtes “trouvent” un chiffre moindre que les statistiques nationales »,écrit l’économiste de l’université américainede Princeton dans un article publié le 17 octo-bre par le quotidien The Hindu.

Comment expliquer de tels écarts ? L’América-no-Britannique pointe un gonflement des chif-fres officiels. « Ce qui est particulièrement inquié-tant avec les statistiques, c’est que la croissance est devenue un drapeau qui donne des ailes auxrécents gouvernements indiens », s’alarme-t-il.

La croissance du PIB est devenue le symbolede l’orgueil national. En février, un simple changement du mode de calcul de cet indica-teur avait propulsé l’Inde au rang de première croissance mondiale. La nouvelle méthode est si savante que la plupart des économistes nel’ont pas comprise. Sceptique, le gouverneur dela banque centrale indienne, Raghuram Rajan, a très poliment jugé « prématuré d’adopter uneopinion arrêtée » fondée sur les nouveaux chif-fres. L’économiste en chef auprès du gouverne-ment s’est, lui, dit « perplexe ».

La tentation est grande de gonfler les statisti-ques. Or en Inde, la pauvreté est endémique et les inégalités s’accroissent. La pauvreté se me-sure à travers l’alimentation, les revenus, l’illet-trisme et la santé. Seules des statistiques fia-bles permettent de mieux la jauger, la com-prendre, et donc la combattre. Si l’on rapporte le PIB au nombre d’habitants, l’Inde est l’un despays les plus pauvres du monde. Les 1 % les plusfortunés possèdent 53 % du patrimoine, contre36,8 % en 2000, selon une récente étude de Credit suisse, et la malnutrition infantile y est plus élevée qu’en Afrique subsaharienne.

Pas de progrès sociaux

Un autre Prix Nobel d’économie, Amartya Sen, avait déjà critiqué cette obsession indienne. « Il n’y a probablement pas d’autre exemple, dans l’histoire mondiale, d’une économie qui con-naisse une croissance aussi rapide, aussi longue, avec des résultats aussi limités en termes de pro-grès sociaux », écrivait le professeur d’Harvard dans le magazine indien Outlook en 2011. D’autres pays moins riches que l’Inde, comme le Népal ou le Bangladesh, enregistrent de bien meilleurs indicateurs sociaux. « Des statistiquesde qualité, ouvertes, transparentes et non censu-rées sont nécessaires au renforcement de la dé-mocratie », rappelle Angus Deaton dans sa tri-bune. Mais « peut-être que personne ne veut prendre le risque d’un changement qui dimi-nuera le spectaculaire (au moins dans la manièredont il est mesuré) taux de croissance ? » p

julien bouissou

Paradis fiscaux : la transparence progresse

la barbade - envoyée spéciale

C’ est un joli coup politi-que qu’a réussi, ven-dredi 30 octobre, à

La Barbade, petite île des Caraïbes où était organisée sa réunion an-nuelle, le Forum mondial pour la transparence et l’échange de ren-seignements à des fins fiscales (le Forum fiscal mondial).

Après trois jours de débats, cetteinstance, adossée à l’Organisation de coopération et de développe-ment économiques (OCDE) et vouée à la mise en place d’une coo-pération fiscale entre Etats, a ob-tenu l’engagement du Panama et des îles Cook de passer à l’échange automatique de données en 2018.

Il s’agit d’une annonce majeure :le Panama est considéré comme l’un des paradis fiscaux les plus opaques de la planète, l’un des centres financiers les plus rétifs auchangement, où vient se cacher, dans des sociétés offshore fictives,l’argent du crime et de la fraude.

Or, ce mode d’échange systéma-tique de renseignements sur lescontribuables, qui doit se substi-tuer au mode d’échange actuel « à la demande » (déclenché sur de-mande de pays tiers), est perçu comme le meilleur moyen de lut-ter contre la fraude et l’évasion fis-cales. Sa mise en place est érigée au rang de priorité par le G20.

anne michel

→LIRE L A SUITE PAGE 3

96C’EST LE NOMBRE D’ÉTATS QUI

ÉCHANGERONT LEURS DONNÉES

FISCALES DE FAÇON AUTOMATIQUE

À L’HORIZON 2017-2018

J OR | 1 142 $ L'ONCE

j PÉTROLE | 49,56 $ LE BARIL

j EURO-DOLLAR | 1,1007

J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 2,14%

j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,87 %

VALEURS AU 31/10 - 9 H 30

Airbus parie sur la Chine pour écouler ses avions et hélicoptères

La crémationconcerne plus d’untiers des obsèques,contre 1 % en 1980.

Ici, à Mulhouse.JF FREY/PHOTOPQR/MAXPPP

▶ Pékin a annoncé,vendredi 30 octobre,une commande de100 hélicoptères civilsà l’avionneur,pour 750 millions d’euros

▶ Ces appareils légerset polyvalents serontassemblés sur place,dans une nouvelle usineque le géant européen doit inaugurer d’ici à 2018

▶ La Chine est un marché stratégique pour Airbuset Boeing : plus de 6 000 avions et 3 000à 5 000 hélicoptères y se-ront vendus en vingt ans

▶ Airbus accepte de plus en plus de délocalisersa production, en Chineet au Brésil, et peut-être bientôt en Pologne→ LIRE PAGE 3

L’essor contrarié des crématoriums▶ Le taux d’inciné-rations augmente de moins en moins vite en France▶ Devant l’envolde cette pratique, de nombreuxcentres avaient ouvert. Certains ne sont pas rentables

→LIRE PAGE 4

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Page 28: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

2 | plein cadre DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

LE CHAMPION CHINOIS MÈNE

LA PARTIE EN ÉTANT DANS 360 VILLES,

ALORS QUE L’AMÉRICAIN N’ENA INVESTI QUE 17

shanghaï - correspondance

C’est un choc de titans quise joue à coups de mil-liards et se déroule auc œ u r d e l adeuxième économiemondiale. En Chine, la

bataille qui fait rage entre services de voitu-res de transport avec chauffeur (VTC) a at-teint une rare intensité. Le combat oppose le prétendant occidental, Uber, convaincu qu’il parviendra à s’imposer sur un marché de l’Internet chinois qui n’a jamais réussi à ses compatriotes de la Silicon Valley, de Face-book à Google en passant par eBay, tous sor-tis de piste, soit pour s’être mis le gouverne-ment à dos, soit pour n’avoir pas su s’accli-mater aux spécificités des consommateurs.De l’autre côté du ring, un géant local, Didi Kuaidi, né de la fusion en février de sociétés concurrentes, Didi Dache (« tut tut héler un taxi ») et Kuaidi Dache (« héler un taxi en ex-press ») qui proposent toutes deux des appli-cations permettant aux clients d’enchérir pour convaincre les chauffeurs de taxi de ve-nir à leur rencontre.

Didi et Kuaidi – car les deux applicationscontinuent de coexister malgré leur fu-sion – proposent également les services de chauffeurs privés et de particuliers ama-teurs à la manière d’Uber et d’UberPop. Surces segments, Didi Kuaidi domine le mar-ché à plus de 80 %, tandis qu’il est seul en lice pour ce qui est des applications de réser-vation de taxi.

En mars, Qian Hongqiang, 48 ans, est venugrossir les rangs des nouveaux chauffeurs privés du service haut de gamme, Yihao (« numéro un »), proposé par Didi Kuaidi.M. Qian a acheté lui-même sa voiture, une 550 hybride de la marque Roewe, héritière deRover après son rachat par le grand construc-teur automobile étatique de Shanghaï. M. Qian porte des gants blancs, car « le ser-vice est primordial ». Si le client lui en laisse letemps, il sort pour lui ouvrir la portière et esttoujours d’une politesse irréprochable. La

courtoisie, M. Qian en a indéniablement lesens. Mais le mécanisme de rémunérationde Didi Kuaidi pour ce service premium l’y incite également. Au bout de dix courses, la société lui reverse 120 yuans (soit 16 euros) etpour 20 trajets il se voit attribuer 27 euros. Mais qu’un seul de ces usagers, par son vote, fasse connaître son insatisfaction et ce dé-compte repart de zéro.

SERVICES SUBVENTIONNÉSYihao est directement inspiré d’UberBlack, le service haut de gamme de l’entrepriseaméricaine. Mais sur le sol chinois, la firmede Travis Kalanick a encore beaucoup àfaire. Le champion chinois mène la partie en étant présent dans 360 villes, alors qu’Uber de son côté ambitionne d’être pré-sent dans seulement une centaine de villes dès 2016, contre dix-sept en Chine conti-nentale aujourd’hui. Pour assumer cetteambition, la société californienne est parve-nue, en septembre, à lever l’équivalent d’unpeu plus d’un milliard d’euros auprès d’in-vestisseurs chinois.

taxi. Il ne se passe presque plus un jour sans un débrayage, dans une bourgade ou une autre, de chauffeurs de taxis disposant de li-cences contre les véhicules opérant sans, et dénichant leurs clients grâce à ces nouvelles applications. Le 1er octobre à Wenzhou sur la côte est, le 25 septembre dans la petite ville de Kaiyuan, au Yunnan, le 24 à Guang’an, auSichuan, le 23 à Luoyang, au Henan…

Pour endiguer le mécontentement, les in-terventions des autorités se déclinent à plu-sieurs niveaux. La métropole de Shenzhen,15 millions d’habitants, a ainsi déclaré illéga-les les applications mettant en contact lesconducteurs de véhicules privés avec de po-tentiels clients – suscitant aussitôt un sit-inde ces chauffeurs privés devant le Bureau de l’administration des transports.

Finalement, Pékin s’apprête à fixer un ca-dre à l’échelle nationale. Un projet de texteprésenté le 10 octobre par le ministère destransports et qui pourrait entrer en vigueurd’ici à la fin de l’année contraint notammentles sociétés mères de ces applications à de-mander une licence équivalente à celles descompagnies de taxi – Didi Kuaidi en a déjàobtenu une pour la ville de Shanghaï. Iloblige par ailleurs à localiser en Chine les ser-veurs, ce qu’Uber avait fait par anticipation.

Il est également question d’imposer uncontrat de travail entre le chauffeur et la compagnie, un dispositif qui, s’il venait àêtre adopté, mettrait à mal le service « Ren-min Youbu », « Uber populaire », le surnomd’UberPop en Chine en référence à la Répu-blique populaire. « Mettre en place une telleréglementation fracasserait le modèle écono-mique dit du partage », juge Zhang Xu, con-sultant chez Analysis, cabinet spécialisé dans l’économie d’Internet en Chine. M. Zhang relève que cette prohibition aurait,elle aussi, des conséquences sociales, susci-tant le vif mécontentement des conducteursqui en ont fait leur gagne-pain et n’hésite-raient pas à se faire entendre. p

harold thibault

L’as chinois a, de son côté, annoncé, le 7 sep-tembre, avoir obtenu l’équivalent de 2,6 mil-liards d’euros de ses soutiens pour assurer sondéveloppement. Didi Kuaidi et ses deux puis-sants parrains que sont les géants du Web Tencent et Alibaba avaient quelques mois plus tôt joué la carte de la provocation, en pre-nant chacun une participation dans Lyft, le principal concurrent de Uber aux Etats-Unis.

Une réponse aux ambitions du même Uberqui avait reçu, en décembre 2014, un investis-sement d’un montant inconnu de Baidu. Le moteur de recherche phare du Web chinois aintégré le service de l’américain à son outilde cartographie, car il ne désire pas rester en marge face à ses rivaux Tencent et Alibaba.

Pour tous, la stratégie est la même : déve-lopper d’abord une clientèle la plus vastepossible, même à perte, dans l’espoir de la monétiser par la suite. Pour attirer des chauf-feurs, les rivaux n’hésitent pas à subvention-ner ces derniers en leur offrant des bonus re-présentant plusieurs fois le prix de la course acquittée par le passager. Sur le même mo-dèle de services subventionnés, le Wall StreetJournal a raconté comment l’application,Car8, proposait des lavages de voitures pour10 yuans malgré un coût réel de la prestationde 17 yuans, avant de mettre la clé sous la porte en juillet.

Dans les comptes, cette stratégie se voit.Didi Kuaidi a accusé une perte de 500 mil-lions d’euros sur les cinq premiers mois de 2015. Et Uber a admis développer sa couver-ture de la Chine à perte. En interne, le but fixéest d’atteindre la rentabilité dès 2016. De laréussite de cet objectif dépendra en grandepartie le calendrier de la date d’introduction en Bourse du géant américain.

Cette bataille avait dans un premier tempslaissé indifférent l’Etat chinois. Mais la multi-plication des grèves de chauffeurs de taxis, concurrencés par le succès croissant des VTC,l’a contraint à passer à l’action. En Chinecomme en France, l’irruption des nouvellestechnologies a sévèrement secoué la planète

Une borne Uber,à Canton, dans la provincedu Guangdong, dans le sud de la Chine.LIU JIAO/IMAGINE CHINA

En Chine, le match Uber versus Didi

A l’issue du combat, il n’en restera qu’un. Qui de l’américain Uber ou du chinois Didi Kuaidi parviendra à s’imposer

sur le marché des voitures de transport avec chauffeur ?

vous entrez dans votre smartphonevotre destination et votre positionne-ment. L’application cherche le pre-mier chauffeur de taxi disponible. Ap-paraissent alors son nom, sa photo,son numéro de téléphone et le temps qu’il mettra à vous rejoindre. Uber ?Non, Kakao Taxi, une application gra-tuite qui séduit plus de 2,5 millions d’utilisateurs en Corée du Sud et qui générait, à la date du 29 octobre,500 000 demandes quotidiennes.

Le projet Kakao Taxi a été lancé enmars par Daum Kakao, devenu fin sep-tembre Kakao. Cette société sud-co-réenne est née en 2014 de la fusion duportail Internet Daum et de l’opérateurde la messagerie Kakao Talk.

Kakao Taxi a dû, avant de prospérer,convaincre les taxis. Comme dans d’autres pays, l’arrivée d’Uber en Coréea suscité la méfiance et une réponse ferme des autorités : UberX et Uber-Black ont été déclarées illégales à l’été 2014 par la ville de Séoul.

« Ça n’a pas été facile au début »La capitale a privilégié la création d’un service alternatif local à l’application californienne. « Nous avons décidé que la solution passait par la fourniture de données aux concepteurs d’applica-tions », fait-on savoir à la mairie.

Un accord a été signé avec l’associa-tion des taxis de Séoul. « Au début, ça n’a pas été facile, se rappelle John Jung,

chargé des plates-formes à la demandechez Kakao. Beaucoup de chauffeurs nesont pas familiers des technologies de l’information. » Aujourd’hui, 70 % des 70 000 taxis de Séoul sont connectés, 55 % des taxis sud-coréens. Kakao a né-gocié avec Korea Smart Card, la société qui gère les cartes de transport du mé-tro de la capitale. L’opérateur a accès aux informations en temps réel sur l’usage de ces cartes. Un moyen d’in-former les chauffeurs de taxi des lieux où la demande est la plus forte.

Gratuite, l’application améliore la vi-sibilité d’autres services de Kakao en Asie, comme la messagerie instanta-née Kakao Talk ou ses jeux Kakao Game. Pour Kakao Taxi, la prochaine

étape est la rentabilité, laquelle passepar la diversification dans des services premium. Pour cela, Kakao a acquis le 20 mai pour 62,6 milliards de wons (50 millions d’euros) Loc & All, un ser-vice sud-coréen connu pour son appli-cation de navigation Kimgisa (le « chauffeur Kim »), qui compte 8 mil-lions d’utilisateurs.

Le groupe a lancé le 31 octobre KakaoTaxi Black, une offre payante avec ser-vices exclusifs, chauffeurs formés par High End, filiale de Korea Smart Card spécialisée dans le haut de gamme et les berlines allemandes. Le tout négo-cié avec l’association des taxis. p

philippe mesmer

(séoul, envoyé spécial)

La Corée du Sud roule en Kakao Taxi

Page 29: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 économie & entreprise | 3

Des Airbus de plus en plus « made in China »L’européen va construire une nouvelle usine d’assemblage d’hélicoptères civils dans l’empire du Milieu

Après les avions, les hé-licoptères. Dix ansaprès avoir annoncéson intention d’instal-

ler en Chine une usine d’assem-blage de ses moyen-courriers A320, en fonctionnement depuis2008, Airbus récidive pour son H135. Il s’agit d’un hélicoptère lé-ger polyvalent, destiné aux se-cours, aux forces de l’ordre ou à ladesserte d’installations en mer, pouvant transporter jusqu’à sept passagers. Une lettre d’inten-tion a été signée, vendredi 30 oc-tobre, à l’occasion du voyage de lachancelière allemande, Angela Merkel, en Chine. Ce projet s’ac-compagne de la vente de 100 ap-pareils, pour un montant de 750 millions d’euros, qui seront assemblés sur place.

Si rien n’est encore définitive-ment acté, l’idée est que le pre-mier hélicoptère H135 d’Airbus sorte de cette future chaîneen 2018. Cette usine sera contrô-lée par le constructeur européen, contrairement à une autre instal-lation, située à Harbin, au nord du pays. Fruit d’un accord de coo-pération signé en 2005 entre Air-bus Helicopters et le chinois Avi-copter, cette chaîne d’assemblage flambant neuve doit sortir d’ici à quelques semaines son premier exemplaire de H175, un hélicop-tère plus gros, destiné au trans-

port et aux missions vers des ins-tallations offshore.

Jusqu’ici fabriqués à Marignane(Bouches-du-Rhône) sous le nom de H175, ces appareils seront com-mercialisés sous l’appellationAC352 à Harbin. Les premiers exemplaires fabriqués en Francesont entrés en service au débutde l’année. Les appareils destinés au marché chinois et assemblés dans le pays feront leur premiervol d’ici à la fin de l’année.

Boeing joue les partenariats

Ce principe de coopération, avecdes implantations locales, fait partie de la politique de dévelop-pement de l’hélicoptériste. L’ex-Eurocopter compte déjà des ins-tallations au Brésil, aux Etats-Unis, en Australie et a un accordde coproduction en Corée du Sud.L’entreprise européenne tente également d’emporter un mar-ché d’hélicoptères militaires Ca-racal en Pologne, pour lequel elle est s’est engagée à fabriquer50 exemplaires sur place.

Cette stratégie a permis augroupe franco-allemand de ren-forcer sa présence en Chine, en s’affirmant comme le premier ac-teur sur le marché des hélicoptè-res civils à turbines, avec 150 ap-pareils actuellement en vol. Au vude la taille du pays et des besoins, le nombre d’appareils en circula-

tion est très faible. Cela tient en grande partie à la réglementation aérienne, qui privilégie les vols militaires, laissant peu d’espace aux vols civils. Cette limitation va progressivement s’estomper et lenombre de machines d’ici à vingt ans va décupler, pour repré-senter de 3 000 à 5 000 appareils, selon les spécialistes.

La même politique est menéepour les avions : Airbus avait choisi la Chine pour ouvrir sa pre-mière usine d’assemblage hors d’Europe, avant d’en installer une autre cette année aux Etats-Unis àMobile (Alabama), sur les terres même de son rival Boeing. Bien lui en a pris : la part de marché de l’avionneur en Chine est passéede 7 % en 1995 à environ 50 %. Ilest au coude-à-coude avec Boeing.

Présent depuis plus de qua-rante ans en Chine, l’avionneur américain a une autre stratégie. Il préfère multiplier les partenariats plutôt que d’ouvrir des usines ailleurs qu’aux Etats-Unis, et ce

quelle que soit la région du monde. En septembre, il a franchi une étape en décidant d’implanteren Chine un centre de finition (aménagement de cabine) de ses avions moyen-courriers B737 des-tinés aux compagnies aériennes locales, en partenariat avec le constructeur Comac. Une répliqueà Airbus, qui avait annoncé une installation analogue à côté de sonusine de Tianjin, pour aménager ses long-courriers A330.

Pour les deux avionneurs, l’en-jeu est de taille. Le marché aérien

chinois est appelé à se développer rapidement. En l’espace de cinq ans, le nombre d’aéroports est passé de 175 à 230, et le trafic passager devrait progresser de 400 millions de passagers cette année à 1,3 milliard d’ici à 2034. Aucours des vingt prochaines an-nées, les besoins sont évalués à 6 330 nouveaux appareils, pour une valeur estimée à 950 milliardsde dollars (860 milliards d’euros).

Sur ce nombre d’avions, l’essen-tiel des commandes portera sur des mono-couloirs A320 ou B737. D’où les annonces de commandesimpressionnantes du duopole. En septembre, les Américains ont si-gné pour 300 appareils. Lors de la visite de Mme Merkel, les Euro-péens ont vendu 130 avions.

La bataille du moyen-courrierentre les deux groupes est mon-diale, et chacun revendique la première place pour son best-sel-ler. Boeing est en tête pour le nombre d’avions commandés et livrés : l’Américain revendique

12 968 exemplaires de B737 contre 12 239 A320 pour l’Européen. Mais Airbus garde la pole position pourle nombre d’appareils restant à li-vrer : il revendique 5 502 A320 contre 4 243 pour le Boeing 737.

Pour répondre à la demande, lesdeux groupes sont obligés d’aug-menter leur cadence de produc-tion. Après Boeing, Airbus a an-noncé, vendredi 30 octobre, queson appareil phare sera produit à 60 exemplaires par mois à partir de mi-2019, contre un peu plus de42 actuellement. « La bonne santé du marché de l’aviation commer-ciale, la robustesse de notre carnetde commandes et les capacités de notre chaîne d’approvisionne-ment nous permettent d’augmen-ter la cadence de production desavions mono-couloirs », s’est ré-joui Tom Enders, le président exé-cutif du groupe. Reste à s’assurer que les sous-traitants d’Airbus comme de Boeing réussissent à suivre cette accélération. p

dominique gallois

Au cours des

vingt prochaines

années,

les besoins

de la Chine

sont estimés

à 6 330 avions

Paradis fiscaux : Panama promet la transparenceRéuni à La Barbade, le Forum fiscal mondial a aussi retiré le Luxembourg de la « liste grise »

suite de la première page

Le ralliement du Panama avait étérécemment promis par le gouver-nement de ce petit Etat d’Améri-que centrale. Il se voit aujourd’huiofficiellement confirmé, même sicet engagement à échanger sesdonnées fiscales doit encore faire l’objet d’une signature officielle etêtre bien sûr, in fine, réellementappliqué par les autorités pana-méennes et leur secteur financier (avocats, banques, etc.).

Grâce au ralliement du Panama,des îles Cook et de plusieurs autresparadis fiscaux importants, le Fo-rum fiscal mondial peut désor-mais se prévaloir d’un large réseaude 96 pays prêts à échanger leurs données de façon automatique à l’horizon 2017-2018, dont 74 ont pris des engagements écrits…

Un réseau suffisamment densepour être efficace contre la fraude,en tout cas sur le papier, puisquetous les centres financiers ma-jeurs sont désormais enrôlés (outre les juridictions des Caraï-bes, la Suisse, le Luxembourg, Sin-gapour, etc.). Le Forum compte129 membres au total.

A Bridgetown, capitale de La Bar-bade, le secrétariat général du Fo-rum fiscal mondial a promis d’aider les pays qui en feront la de-mande à mettre en place la tech-nologie qui permettra de telséchanges. Il contrôlera la mise en œuvre réelle de tous les engage-ments pris après 2018.

Le sommet de La Barbade a aussipermis d’apaiser quelques gros-ses tensions diplomatiques. En ef-fet, en plus d’organiser la coopéra-tion fiscale entre ses membres, le Forum fiscal mondial a pour rôle d’évaluer la qualité de cette coopé-ration et de noter les pays, dans le cadre d’une évaluation dite « parles pairs » (les pays s’évaluant en-tre eux). Ce qui ne va pas sans sus-citer des grincements de dents…

Or, vendredi, trois pays ontquitté le Forum particulièrementsatisfaits : le Panama, dont l’éva-

luation, totalement arrêtée du faitde son refus antérieur de coopé-rer, va pouvoir reprendre ; maisaussi le Luxembourg et le Liech-tenstein, deux pays dont le cadre légal en matière d’échanges de données était jugé conforme mais pas la pratique. Leurs notes,dans ce domaine, ont été rééva-luées, les deux Etats étant à pré-sent considérés comme « large-ment conformes ».

« Nous entrons dans un nouveaumonde, celui de la transparence, et tout le monde est à bord », se félici-tait, vendredi, Monica Bhatia, la chef du secrétariat du Forum fis-cal. « Les évaluations vont se pour-suivre, ajoute-t-elle, et nous met-trons l’accent sur un point central : la possibilité de connaître l’identitédes bénéficiaires réels des avoirs lo-calisés dans les centres offshore. »

« Il faut mesurer le chemin par-couru, renchérit Pascal Saint-Amans, directeur du centre de po-litique et d’administration fisca-les de l’OCDE. L’échange automati-que est désormais accepté par tous. On va pouvoir aller de l’avantet y voir plus clair dans le monde de l’offshore. » De son côté, Katja Gey, directrice du bureau des af-faires financières internationalesdu Liechstentein, se disait « heu-reuse et soulagée d’une notationreconnaissant la conformité [deson] pays aux standards en ma-tière de lois et de pratique ».

« Le Forum mondial a fait desprogrès en termes de méthode et de gouvernance, il a travaillé de fa-çon professionnelle », estime-t-elle, ajoutant qu’« il reste de grandsdéfis à relever pour l’avenir »… p

anne michel

Des contrôles de

la mise en œuvre

des engagements

pris auront lieu

après 2018

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Page 30: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

4 | économie & entreprise DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

L’essor contrarié des crématoriums en FranceLa pratique de l’incinération ne progresse plus dans l’Hexagone. Certains sites déposent leur bilan

Faut-il vraiment cons-truire un deuxième cré-matorium à Paris, en plusdu Père-Lachaise, comme

l’a promis la maire, Anne Hi-dalgo ? Celui en projet à Réty (Pas-de-Calais) se justifie-t-il, alors qu’un tout neuf existe à 17 kilo-mètres de là ? Depuis des années, les installations de crémationpoussent à travers la France tels des champignons en automne. A présent, les professionnels s’in-terrogent.

« Il faudrait peut-être se calmer »,reconnaît Jo Le Lamer, le présidentde la Fédération française de cré-mation. « On a ce qu’il faut pour les besoins actuels », appuie Jean Ruel-lan, un des dirigeants d’OGF, le lea-der français du secteur sous les marques PFG, Roblot, Borniol… A la veille de la Toussaint, deux étu-des tendent à montrer que l’im-pressionnant essor de la créma-tion en France atteint ses limites.

La première émane de la Fédéra-tion française de crémation elle-même. Chaque année, ce regrou-pement d’associations recense les décès à l’issue desquels le corps a été incinéré. En une génération, cette pratique est devenue un phé-nomène de masse. Elle concerne désormais plus d’un tiers des ob-sèques, contre 1 % en 1980. A Paris,le taux de crémation atteint même47 %. Mais cette ascension se ré-vèle de moins en moins rapide. En 2014, la part des crémations dans l’Hexagone est modeste-ment passée de 34,1 % à 34,5 %, la plus faible hausse depuis des dé-cennies. « Le mouvement se tasse »,constate M. Le Lamer, qui s’atten-dait à un chiffre supérieur.

Retour du religieux

Le deuxième signal provient du dernier sondage d’Ipsos sur les Français et la mort. « Pour vos pro-pres obsèques, que préféreriez-vous ? », demande régulièrement l’institut aux Français. Depuis quelques années, la part de ceux penchant pour une crémation sta-gne autour de 51 %. Et la dernière vague, réalisée en juillet auprès de 1 010 personnes, marque une nette remontée de la préférence

pour l’inhumation dans deux ty-pes de populations. Parmi les moins de 35 ans, 60 % sont désor-mais tenants de l’enterrement, contre 50 % en 2007. Leur part est passée dans le même temps de 72 % à 80 % au sein des croyants et pratiquants.

L’explication de ce mouvementinattendu ? Elle tient sans doute auretour du religieux, sensible en France comme ailleurs. « Pendant des décennies, on a assisté à un as-souplissement des pratiques cul-tuelles, décrypte François MichaudNérard, le directeur général des services funéraires de la Ville de Paris, commanditaire du sondage. Depuis quelques années, c’est l’in-verse. La pratique religieuse se re-formalise, les rites sont plus suivis. »

Une évolution enregistrée chezles chrétiens comme chez les juifs et surtout les musulmans, dont le nombre va croissant. Or les gran-des religions monothéistes ne sont guère favorables à la créma-tion. Le Consistoire l’interdit, de même que l’Eglise orthodoxe et les responsables de l’islam. L’Eglise catholique la tolère depuis 1963, tout en recommandant l’en-terrement. Seuls les protestants s’y montrent plus ouverts.

Ce retour du religieux freine ledéveloppement de la crémation, porté jusqu’à présent par la vo-lonté de plus en plus de Français dene pas constituer une charge pour leurs proches et de maîtriser leur corps, même post-mortem. Dans ces conditions, certains s’alar-ment de la construction un peu anarchique de crématoriums. Le premier du pays a été installé en 1889 à Paris, au Père-Lachaise.

Résultat : au moins 700 à800 crémations par an sont néces-saires pour amortir un four. Un seuil qu’un tiers des installations n’atteint pas. Surtout dans les zo-nes où la concurrence fait rage. A Roanne et Mably, deux crémato-riums situés à quelques centaines de mètres sont en rivalité directe. « Avec 420 crémations chacun en 2014, aucun n’est en mesure d’être rentable », commente un professionnel.

Situation voisine autour deMeaux, où deux sites sont sortis de terre en deux ans. En Haute-Sa-voie, celui de la Balme, concur-rencé par deux autres, a même dé-posé son bilan. Après dix-huit mois de restructuration, ses diri-

geants espèrent bien que leur plan de continuation sera validé par le tribunal le 17 novembre.

Des pertes à n’en plus finir, c’estbien ce que veut éviter Patrick Go-mel, le directeur du crématorium de Boulogne (Pas-de-Calais). Ouvert par les collectivités locales en 2013, cet équipement s’achemi-nait doucement vers l’équilibre fi-nancier au bout de cinq ou six ans.Une perspective chamboulée par la création d’une unité concur-rente à Réty, à quinze minutes en voiture, par le principal entrepre-neur local de pompes funèbres. « Iln’y a pas la population suffisante pour deux crématoriums, peste M. Gomel. Si ce projet voit le jour, il ne pourra pas trouver les recettes

nécessaires et notre activité s’effon-drera. C’est un non-sens qui risque de coûter cher à tout le monde ! » Tous ses espoirs reposent désor-mais sur la préfète du Pas-de-Ca-lais, appelée à donner ou non son feu vert à la création du site.

Au-delà, nombre de profession-nels aimeraient que les régions se dotent de schémas directeurs pourque les implantations soient mieux réparties. C’est ce que sug-gère depuis longtemps le sénateur (PS) Jean-Pierre Sueur. Sa proposi-tion en ce sens a été adoptée à l’unanimité par le Sénat en mai 2014. L’Assemblée nationale ne paraît pas pressée de lui donnerforce de loi. p

denis cosnard

Crématorium de Châlons-en-Champagne. REMI WAFFLART/MAXPPP

Le gouvernement étend le prêt à taux zéro pour relancer l’accès à la propriétéLe dispositif sera élargi à l’ancien et aux revenus moins modestes à partir du 1er janvier 2016

L e président de la Républi-que, François Hollande, aannoncé, lors de son dépla-

cement à Nancy, jeudi 29 octobre, des mesures « pour permettre au plus grand nombre de Français de devenir propriétaires ». Le chef de l’Etat a pris garde de se démarquer du slogan sarkozien « la France de propriétaires », en précisant qu’il agissait ainsi « non pas parce que l’on considérerait qu’être proprié-taire est finalement un but dans la vie, mais c’est une sécurité et aussi une fierté ».

Sans attendre que tous les arbi-trages soient rendus, M. Hollande a annoncé un renforcement signi-

ficatif du prêt à taux zéro (PTZ), in-venté en 1995 par Pierre-André Pé-rissol, alors ministre du logement dans le gouvernement d’Alain Juppé. Ce vieil outil a fait ses preu-ves pour doper l’achat, par des mé-nages aux revenus modestes ou moyens, de leur premier loge-ment. Autre avantage : il suffit d’un décret pour en modifier les paramètres, avec une application rapide, en l’occurrence dès le 1er janvier 2016.

Accordé par les banques, le PTZest réservé aux primo-accédants pour l’achat de leur résidence prin-cipale et consenti sans intérêt, le capital étant remboursable sur des

durées variées, selon cinq tranchesde revenus des emprunteurs. Plus ceux-ci sont modestes, plus long est le prêt, jusqu’à 21 ans.

« Une excellente nouvelle »

Quatre améliorations sont envisa-gées. D’abord, le PTZ permettra d’acheter un logement ancien à condition d’y réaliser des travaux d’une valeur de 25 % du prix d’achat. Cet élargissement à l’an-cien avait été amorcé en septem-bre 2014, mais réservé aux acquisi-tions réalisées dans 6 000 puis 30 000 communes rurales (dites de la zone C). Le nombre de PTZ estpassé de 44 000, en 2014, à 65 000, en 2015. Bientôt éligible à « la qua-si-totalité du territoire », comme l’a annoncé le chef de l’Etat, sans plus de précision, il devrait concerner aussi les zones urbaines.

Le montant prêté, dans le neufcomme l’ancien, sera aussi aug-menté, jusqu’à 40 % du prix d’achat, alors qu’il est plutôt, en 2015, de 13 % à 26 % d’un mon-tant moyen de 37 000 euros, pour une acquisition de 190 000 euros, soit 20 % de l’achat. Autre bonifica-tion, tous les ménages éligibles bé-néficieront de cinq ans de différé de remboursement, jusqu’ici ré-

servé aux accédants des tranches de revenus les plus basses. Il est aussi envisagé de relever les pla-fonds de ressources des emprun-teurs qui concernent déjà les deux tiers de ménages français.

Ces aides peuvent être facile-ment absorbés par le budget de l’Etat, et la dépense, contenue grâce aux faibles taux d’intérêt, ne se fera sentir qu’en 2017, car l’Etat compense le manque à gagner des banques avec un an de décalage. Dans les budgets 2015, il était prévu une enveloppe d’un milliardd’euros, qui n’a été consommée qu’à hauteur de 600 millions d’euros (pour 65 000 PTZ). Avec les nouvelles mesures, ce montant devrait plus que doubler.

Les professionnels de l’immobi-lier se réjouissent de ces annonces.« C’est une excellente nouvelle, se félicite Bernard Cadeau, président du réseau d’agences ORPI, même sinous regrettons que la mesure n’aille pas aussi loin qu’espéré. » En solvabilisant beaucoup d’acqué-reurs, le gouvernement compte redonner le moral à la filière bâti-ment mais le risque, à trop distri-buer de crédits, est de relancer l’in-flation des prix des logements. p

isabelle rey-lefebvre

Neuf étaient recensés en 1980. Ils sont 176 à présent, avec le tout der-nier inauguré fin septembre à Or-chies (Nord). « Une trentaine est en projet », selon M. Le Lamer.

Gérés pour les trois quarts d’en-tre eux par des opérateurs privés dans le cadre de délégations de ser-vice public, tous n’ont pas trouvé leur équilibre financier. Avec les nouvelles normes sur le traite-ment et la filtration des fumées,l’investissement de départ est de plus en plus élevé. De l’ordre de 3 millions d’euros. D’autant que lescrématoriums ne sont plus de simples sites techniques pour brû-ler des corps, mais deviennent des lieux de cérémonie, ce qui néces-site des locaux assez spacieux.

Le premier

crématorium

a été installé

en 1889 au Père-

Lachaise. Neuf

étaient recensés

en 1980. Ils sont

176 aujourd’hui

Paris : reprise des ventes dans l’ancien

Dans leur note de conjoncture du vendredi 30 octobre, les notaires franciliens confirment l’activité soutenue du marché du logement ancien, avec un rebond de 18 % du nombre de ventes entre juin et août, comparé à la même période de 2014. La grande couronne de Paris est particulièrement dynamique (+ 23 % de transactions), la petite couronne aussi (+ 17 %). Paris se redresse également (+ 8 %). Les prix sont, toujours en juin et août mais comparés au trimestre précédent, globalement en légère hausse, de + 0,9 % pour les mai-sons et + 0,1 % pour les appartements, en données corrigées des variations saisonnières. A Paris, le prix moyen du mètre carré at-teint, fin août, 8 000 euros et est attendu à 8 010 euros, fin décem-bre. Les notaires ne pronostiquent donc pas de flambée des prix.

PRESSELe belge Nethys entre au capital de La ProvenceLa société belge Nethys est entrée, par sa filiale Avenir Développement, à hauteur de 11 % dans le groupe La Pro-vence, éditeur des quotidiens La Provence et Corse Matin. Le pôle multimédia de Nethys est actif en Belgique, notamment dans la presse de proximité, avec 9 éditions ré-gionales et 37 éditions locales gratuites. – (AFP.)

TOURISMEFram en redressement judiciaireLe voyagiste Fram a été placé, vendredi 30 octobre, en re-dressement judiciaire, pour une période de six mois, par le tribunal de commerce de Toulouse. Le seul candidat ac-tuel à son rachat, Karavel-Pro-movacances, s’est dit prêt à reprendre les trois quarts des effectifs. L’administrateur ju-diciaire, Christian Caviglioli, a estimé le montant du passif de Fram « autour de 14 mil-lions d’euros ». Le tribunal a fixé au 18 novembre la tenue d’une audience sur la ou les offres de reprise.

INDUSTRIELiquidation judiciaire pour l’ex-usine FagorBrandt de LyonLe tribunal de commerce de Lyon a prononcé, vendredi 30 octobre, la liquidation ju-diciaire de Cenntro Motors

France, laissant 382 salariés sur le carreau après le retrait de son propriétaire sino-amé-ricain, qui avait repris cette ancienne usine de lave-linge FagorBrandt en 2014. Le tribu-nal a jugé irrecevables trois offres de reprise partielle for-mulées à la dernière minute. L’usine lyonnaise devait être reconvertie dans les véhicules électriques, mais la produc-tion n’avait jamais démarré.

Porsche rappelle 60 000 voitures dans le mondeLe constructeur automobile Porsche a annoncé, vendredi 30 octobre, rappeler par pré-caution 58 881 exemplaires de son modèle Macan dans le monde, du fait d’un risque de fuite dans l’alimentation du moteur essence. – (AFP.)

FINANCENouvelles propositions de la Fed sur la faillite des banquesLa Réserve fédérale améri-caine a proposé, vendredi 30 octobre, que les huit plus grandes banques des Etats-Unis se voient imposer un matelas de sécurité corres-pondant à 18 % de leurs actifs à risque, afin d’éviter leur sauvetage sur fonds publics. Elles devront émettre 120 milliards de dollars (109 milliards d’euros) de dette à long terme, que leurs détenteurs pourront conver-tir en actions dans l’hypo-thèse d’une faillite. – (AFP.)

Page 31: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 bourses & monnaies | 5

19 083,10 POINTS4 897,66 POINTS 17 663,54 POINTS6 361,09 POINTS10 850,14 POINTS 5 053,75 POINTS3 418,23 POINTS

TOKYOPARIS NEW YORKLONDRESFRANCFORT NASDAQEURO STOXX 50

– 0,53 %CAC 40 DOW JONES

– 1,29 %FTSE 100

+ 0,52 %DAX 30 – 0,22 % + 0,43 %

+ 1,37 %NIKKEI

+ 0,10 %

Bourse : dégringolade en été, rebond frileux à l’automneLe mois d’octobre a vu les indices mondiaux repartir à la hausse après deux mois consécutifs de repli. Mais le malade n’est pas guéri…

G are à ceux qui voudraientprofiter trop vite du re-bond boursier. Vendredi

30 octobre, le vestiaire en ligne Showroomprivé en a fait les frais,perdant presque 10 % à l’issue de sapremière journée de cotation. L’ac-tion a terminé la séance à 17,62 euros, en deçà du point bas desa fourchette d’introduction.

Deux jours avant, c’était le pion-nier du streaming musical, Deezer, qui était contraint de reporter son entrée en grande pompe sur lesmarchés, craignant que les inves-tisseurs ne croient pas en sa capa-cité de rivaliser avec Apple. « Certai-nes entreprises devraient aller cher-cher des liquidités en dehors des marchés financiers plutôt que de se coter en Bourse trop rapidement », commente Alexandre Hezez, direc-

teur de la gestion collective chez Auris gestion privée.

A première vue, le contexte bour-sier est favorable. Octobre a vu les indices mondiaux rebondir aprèsdeux mois consécutifs de repli : àNew York, le Dow Jones et le S&P 500 ont gagné presque 9 % sur lemois. Durant la même période, le Nikkei a progressé de presque 10 %.Sur le Vieux Continent, l’indice Eurostoxx des 50 premières va-leurs européennes a grimpé de presque 10 %.

A Paris, le CAC 40 a pris plus de9 % et approche des 4 900 points. Il« s’apprête à signer sa meilleure per-formance mensuelle depuis le point bas des marchés en 2009 », soulignedans une note Nicolas Chéron, stra-tégiste chez CMC Markets France, qui qualifie ce record de tout bon-

nement « hallucinant ». Pourtant,les investisseurs ne se sont pas par-ticulièrement rués sur les actions, c’est en fait « le soutien des banquescentrales [qui] a une nouvelle fois suffi à empêcher la baisse », souli-gne l’analyste.

Successivement, en dix jours, laBanque centrale européenne (BCE),la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque du Japon (BoJ)ont envoyé des signaux qui ont ras-suré les investisseurs quant à leurvolonté de poursuivre leur soutien à l’économie. « Mario Draghi est ap-paru plus sûr de lui, et la position de la Fed, moins floue », résume Alexandre Hezez. Enfin, si la Ban-que du Japon a décidé vendredi de maintenir en l’état sa politique mo-nétaire, elle ne s’est pas interdit de« procéder à des ajustements si né-cessaire ». Bref, « le message des banques centrales est plus clair de-puis la semaine dernière, alors qu’enseptembre il avait généré de la con-fusion et de l’incertitude », estime Laurent Inglebert, gérant actions européennes chez Aberdeen Asset Management. « La fin d’année seraprobablement plus sereine. »

Ralentissement chinois

En août et septembre, les investis-seurs ont dû digérer la mauvaisenouvelle du ralentissement chi-nois. En revoyant à la baisse ses pré-visions de croissance, la Chine a in-quiété les investisseurs sur les con-séquences pour l’économie mon-

diale de sa « panne de moteur ». L’incertitude a repoussé les déci-sions d’investissement et les liqui-dités ont fui les marchés. Le rebondboursier est donc en partie dû à un effet de rattrapage.

Mais comme souvent, les premiè-res bénéficiaires sont les plus gros-ses capitalisations boursières, plus sécurisantes. Et ce, malgré des per-formances économiques pas tou-jours au rendez-vous. Plusieursgrandes entreprises ont fait état de résultats trimestriels décevants, comme TF1 ; et certaines ont pré-venu qu’elles n’atteindraient pas leurs objectifs annuels de profita-bilité, comme Schneider ou Saint-Gobain. Le marché les a pourtantpeu sanctionnées. « On est prêt àpayer plus cher pour quelque chosede stable, avec une meilleure visibi-lité », explique Laurent Inglebert.

A l’inverse, pour les petites et

moyennes capitalisations, les mauvais résultats sont immédiate-ment suivis de sévères corrections en Bourse. Par exemple, mercredi,le titre de l’équipementier aéro-nautique anglais Meggitt a perduun cinquième de sa valeur à Lon-dres, après des résultats en deçà des attentes. « Des difficultés étaient attendues, mais l’absence decroissance de sa division la plus ren-table a peut-être effrayé certains in-vestisseurs ayant un horizon à court ou moyen terme », commentele gérant.

Le retour à meilleure fortune desmarchés en octobre a réveillé l’ap-pétit pour la Bourse de certaines entreprises, comme l’ont montré, avec des résultats contrastés, Dee-zer et Showroomprivé. D’autresopérations encore plus importan-tes s’annoncent avec Amundi. Etquand la Bourse est encore jugéetrop risquée pour croître, les entre-prises savent ce qui leur reste à faire : avaler un concurrent. D’après une étude publiée lundi26 octobre par le cabinet de conseilet d’audit EY, 59 % des entreprisesont des projets d’acquisitions dans les douze prochains mois, soit laproportion la plus élevée depuis six ans. Là aussi, la recherche de rentabilité ne se fait pas sans unegrande prudence : 73 % des diri-geants reconnaissent s’être retirés d’opérations au cours des douze derniers mois. p

jade grandin de l’eprevier

« C’est le soutien

des banques

centrales

qui a, une

nouvelle fois, suffi

à empêcher

la baisse »

NICOLAS CHÉRON

Stratégiste chez CMC Markets France

« Délits d’initiés » à Johannesburg

Le gendarme de la Bourse de Johannesburg a annoncé, ven-dredi 30 octobre, qu’il allait enquêter sur de « possibles délits

d’initiés » au sein de l’opérateur mobile sud-africain MTN, qui vient de recevoir une amende de 4,7 milliards d’euros du régu-lateur des télécommunications au Nigeria. La nouvelle de cette amende infligée au plus gros opérateur télécoms du con-tinent africain a été révélée dès lundi 26 au matin dans la presse nigériane, entraînant dans la foulée une vente massive d’actions MTN. La société sud-africaine a officialisé la nouvelle auprès de ses actionnaires, plus tard dans la journée. La loi sud-africaine exige que les entreprises avertissent immédiate-ment leurs actionnaires de toute information susceptible d’in-fluer sur le cours de l’action. Depuis lundi matin, l’action MTN a perdu 17 % de sa valeur à la Bourse de Johannesburg.

MATIÈRES PREMIÈRES

Trop de grain à moudre pour le blé

Q uand le blé est récolté, ilfaut le vendre… Une lapa-lissade, direz-vous. Maisqui n’est pas sans préoc-

cuper les esprits sur les quais de laPallice, à La Rochelle, deuxièmeport céréalier français, derrière Rouen. Pour l’heure, la France est en retard dans ses livraisons mondiales. Une bonne nouvelleest tombée vendredi 30 octobre.Les épis tricolores ont décroché une commande de 120 000 ton-nes de l’Egypte, premier importa-teur mondial de blé. Le reste de l’appel d’offres, d’un volume équi-valent, a été partagé entre la Polo-gne et la Roumanie.

« La baisse de l’euro face au dollara favorisé les blés européens », es-time Alexandre Boy, analyste ducabinet de conseil Agritel. Une manière d’endiguer le flot ininter-rompu de céréales déversé par les

pays de la mer Noire. Depuis le dé-but de la saison, en juillet, la Rus-sie a écoulé 1,4 million de tonnes vers le Nil. Croquant avec gour-mandise près des deux tiers du gâ-teau. Un succès qui devrait contri-buer à faire du pays des « tcherno-zioms », les terres noires, grasses et fertiles, le premier exportateurmondial de blé en 2015, devant les Etats-Unis. L’Ukraine et la Rouma-nie en ont vendu 350 000 tonneschacune et la France, 60 000 ton-nes, avant la nouvelle commande.

La guerre est rude

Pour autant, les marchés tradi-tionnels du blé français sont l’Al-gérie et le Maroc. En 2014, l’abon-dance de blé germé, peu propice à la panification, lui avait fait per-dre des parts de marché. En 2015, malgré des épis capables de pas-ser sous les fourches Caudines des

boulangers, la France n’a pas re-pris ses positions en Algérie. « Juillet et août ont été bons, mais la France n’est plus qu’à 50 % de part de marché », affirme M. Boy.

Il est vrai que les silos débordent.Hormis au Canada, les moissons se sont transformées en corne d’abondance. Les récoltes mondia-les de céréales devraient atteindre leur plus haut niveau depuis vingt-neuf ans. Le Conseil interna-tional des céréales estime qu’elles devraient représenter 454 mil-lions de tonnes cette année, en progression de 1,6 % par rapport à 2014, selon les chiffres publiés jeudi. Pour la troisième année con-sécutive, la production devrait êtresupérieure à la consommation.

La guerre est donc rude entre ré-gions céréalières. Même l’Iran s’estmis sur les rangs des pays exporta-teurs. La France, gratifiée elle aussid’une collecte record, chiffrée à 41 millions de tonnes, doit ba-tailler ferme. L’atlas de la compéti-tion ne cesse de s’étendre, de laRussie à l’Ukraine, de la Roumanie à la Pologne en passant par les paysbaltes et l’Allemagne. D’autant queles acheteurs font la fine bouche, chipotant sur le taux de protéine.

Mais des céréaliers français hési-tent aussi à vendre. Le poids des ré-coltes a fait chuter les cours. Ven-dredi, le boisseau de blé se négo-ciait à 5,22 dollars (4,74 euros) à Chi-cago. Ils espèrent que la légère remontée entamée en septembre se poursuivra. Tout dépendra de lamétéo, alors que plaines russes et américaines sont assoiffées. p

laurence girard

C es temps-ci, il y a quelque chosede malsain dans la politique moné-taire. Les banquiers centraux ont

perdu leurs superpouvoirs. Pire, le remède qu’ils administrent à l’économie depuis des mois s’est transformé en drogue dure, dont les effets secondaires risquent à terme de balayer les bienfaits initiaux.

Ces derniers jours l’ont à nouveau il-lustré. Vendredi 30 octobre, la Banque du Japon a ainsi renoncé à augmenter ses soutiens à l’économie, malgré le flé-chissement des prix nippons (– 0,1 % en septembre). Deux jours plus tôt, la Réserve fédérale américaine a peiné à convaincre les observateurs en assurant qu’elle ne fermait pas la porte à une hausse de ses taux directeurs en décem-bre. Le 30 octobre également, l’inflation en zone euro est ressortie à 0 % seule-ment pour le mois d’octobre, selon les données publiées par Eurostat.

« Irréversibles »

Preuve, s’il en fallait, que les banquiers centraux se débattent aujourd’hui dans un triple piège. Le premier ne fait plus aucun doute : leurs achats massifs de dettes publiques et privées (le quantitative easing en anglais, ou QE) échouent à relan-cer l’inflation. Et ce, aux Etats-Unis comme au Japon et en zone euro. La principale raison est, selon les économistes, que les règles du marché du travail dans les pays développés ont changé. Le plein-emploi n’engendre plus, comme autrefois, de hausse de salaires et d’inflation.

S’ajoutent à cela la baisse des cours des matières premières et le désendettement en cours des ménages et entreprises, notamment en Europe. Autant de facteurs qui tirent structurellement et durable-ment l’inflation vers le bas. Au point que nombre d’économistes estiment que les

banques centrales feraient mieux d’abandonner la cible des 2 % d’inflation.

Deuxième écueil : les marchés financiers.Accros aux liquidités, ces derniers évo-luent désormais de façon totalement dé-corrélée des fondamentaux économiques. Ils sont shootés aux taux bas comme au QE. Plus il y en a, mieux ils se portent. Un institut monétaire envisage de réduire la voilure ? C’est la bérézina. Quand on y ré-fléchit un peu, cela n’a aucun sens. Le job des banquiers centraux n’est pas de faire le bonheur des traders. Il est de soutenir l’économie.

L’ennui – et c’est le troisième piège –, c’estqu’il leur est aujourd’hui difficile d’aug-menter significativement la taille du QE. Parce qu’ils auront du mal à trouver plus de titres de dettes non risqués à acheter sur les marchés. Et, à l’inverse, réduire le QE et re-monter les taux sera tout aussi délicat. Au Japon et en Europe, cela risque de pénaliser violemment les banques détenant beau-coup de titres d’Etat car la valeur de ces derniers baisse lorsque les taux remontent. Résultat : les établissements les plus fragi-les pourraient de nouveau peiner à finan-cer l’économie, toujours en convalescence.

Voilà qui faire dire à Patrick Artus, de Natixis, que les politiques monétaires expansionnistes sont désormais « irréversi-bles ». Plus prosaïque, Alberto Gallo, chez RBS, conclut : « Nous ne connaîtrons probablement pas la fin du QE et des taux bas pendant nos vies professionnelles. » p

marie charrel

5,22

6,06 6,22

SOURCE : BLOOMBERG

JANVIER 2015 30 OCTOBRE 2015

Baisse des cours

COURS DU BLÉ, À CHICAGO, EN DOLLARS LE BOISSEAU

4,65

TAUX & CHANGES

Les banquiers centraux pris au piège

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6 | argent & placements DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

0123

VILLES EN MUE

Marseille s’offre un nouveau tramway

P rojet EuroMéditerranée commencéen 1995, arrivée de la ligne TGVen 2001, inauguration du Musée des

civilisations de l’Europe et de la Méditerra-née en 2013, réhabilitation du Vieux-Port, réaménagement de la Porte d’Aix… la capi-tale phocéenne se transforme. Dernier exemple en date, la nouvelle ligne de tram-way qui relie, depuis mai, la place Castel-lane, au sud de la métropole, au quartier d’Arenc. Elle emprunte la rue de Rome, une artère commerçante, totalement rénovée pour l’occasion. « L’arrivée du tramway et la rénovation des voiries ont permis de suppri-mer la décote qui était systématiquement appliquée sur les biens vendus rue de Rome »,note Magali Avignon, directrice de l’agenceMymarseille.com.

Demandes d’indemnisation

« Ce tracé était nécessaire, en particulier pourtisser des liens entre la Canebière, le sud et le nord de la ville, estime Robert Assante, vice-président de Marseille Provence Métropole. L’objectif est de permettre aux riverains vi-vant dans ces quartiers de se rendre plus faci-lement dans l’hypercentre. Et ils le font. La fréquentation dépasse les 30 000 passagers quotidiens, alors que les études tablaient sur 20 000 à 25 000 », se félicite-t-il.

Lancé en 2012, le chantier a pris du retard,avec près de trois ans de travaux. Il a fallu protéger le grand émissaire, situé sous la rue de Rome, qui récupère les eaux usées dela ville. Près de 200 pieux et des poutres ho-rizontales ont été posés pour supporter unedalle de protection sur laquelle la voie ferréea été aménagée. Ces imprévus ont entraînéde nombreuses demandes d’indemnisa-tion de la part de commerçants, dont une partie ont dû mettre la clé sous la porte.

« Nous étudions leur dédommagement. Sur210 dossiers de commerçants, 185 étaient re-cevables. Un peu plus d’une centaine ont déjàreçu une proposition d’indemnisation, pour un montant de 1,7 million d’euros, et les autres sont en cours d’instruction », précise Robert Assante. Ces travaux supplémentai-res ont alourdi la facture de 20 à 30 millionsd’euros, portant le coût de la nouvelle ligne à 57 millions d’euros.

D’ici à 2019, elle devrait desservir le quar-tier Dromel - Sainte-Marguerite (9e arron-dissement), puis atteindre les hôpitaux sud.Au nord, le tramway devrait aller jusqu’à Ca-pitaine-Gèze, dans le 15earrondissement, fu-tur terminus du métro marseillais (ligne 2). Des prolongements dont le coût est estimé à 250 millions d’euros. p

pauline janicot

Le tramway de la rue de Rome, à Marseille le 30 mai. FRANCOIS

MOURA/MPM

Des fonds si verts ?Derrière des considérations écologiques, le pragmatisme financier l’emporte souvent

Investir tout en sauvant la planète ?A la veille de la conférence mon-diale sur le climat, à Paris, du 30 no-vembre au 11 décembre, voici une

proposition a priori séduisante pour toutépargnant soucieux de donner un sens à son argent. En effet, certains fonds – ils sont une cinquantaine en Europe – con-centrent leurs investissements en Bourse sur des activités à fort contenu écologique : traitement de l’eau, énergies renouvelables ou économies d’énergie, par exemple. Mais sont-ils aussi « verts » que leur dénomination le laisse penser ?

Certains l’ont parfois été… aux dépensdes investisseurs. Pour le fonds Perfor-mance Environnement (Financière de Champlain), tout avait bien commencé en 2004. Mais, avec une forte concentra-tion de ses investissements sur le solaire et l’éolien, il a subi de plein fouet la crise du secteur, commencée en 2008. Depuis, le fonds a perdu les trois quarts de sa va-leur. Cela illustre le risque élevé propre aux fonds sectoriels, peu adaptés à une gestion de long terme. Depuis, le fonds a tenté de réorienter sa stratégie, sans résul-tats probants. Il a été repris par Ecofi, mai-son mère de son promoteur, ce qui sem-ble annoncer sa disparition prochaine.

Pour investir vert sans perdre sa che-mise, un minimum de diversification s’impose. C’est la clé du succès, tant finan-cier que commercial, des fonds « eau » comme BNP Paribas Aqua. Thématique, plus que sectoriel, il répartit ses investis-sements, donc ses risques, entre des fabri-cants de pompes à eau, des acteurs du contrôle ou des gestionnaires de réseaux(Veolia, Suez). Cette stratégie, qui a permis une performance annuelle de 15,5 % sur cinq ans, reste porteuse, les enjeux liés à l’eau étant cruciaux dans des pays commela Chine, où les investissements environ-nementaux progressent de 15 % par an.

Pour aiguiller l’investisseur, il existebien un label « fonds vert » décerné par Novethic : il permet de s’assurer que l’inci-dence environnementale de la gestion aété contrôlée par un tiers, mais, parmi les lauréats, la biodiversité n’est pas au ren-dez-vous : seuls sept fonds ont obtenu le label, dont cinq du groupe BNP Paribas et un fonds Mirova, investi dans les « green bonds », ces emprunts émis pour financer des projets liés à la transition énergétique.

De nouvelles offres

Il est vrai que certains fonds investis dans des thématiques environnementales ne revendiquent pas explicitement l’éti-quette verte. C’est le cas de Pictet Asset Management, qui offre la gamme de fonds la plus riche en la matière. A côté d’un fonds « eau », qui est le plus ancien etle plus important de sa catégorie, la so-ciété en propose un consacré à l’« agricul-ture ». Celui-ci investit à la fois dans des fermes et d’autres acteurs de la filière (fa-bricants de tracteurs, semenciers…).

Il en propose aussi un autre, spécialisédans les actifs forestiers cotés. Son fonds

énergie propre affiche une performance sur cinq ans (+ 21,6 %), qui le classe parmi les meilleurs de ce segment. Un bémol, toutefois, car, dans la gestion de ce fonds, le pragmatisme financier l’emporte sur l’écologique. « On ne va pas remplacer du jour au lendemain l’ensemble des énergies fossiles, explique Hervé Thiard, directeur général de Pictet, en France. Dans un pays comme la Chine, le gaz, moins émetteur que le pétrole ou le charbon, sera ainsi une étape-clé de la transition énergétique. » Ce secteur fait partie du portefeuille, à côté des énergies renouvelables ou de fournis-seurs de solutions d’efficacité énergéti-que, comme Schneider Electric ou l’équi-pementier automobile Delphi.

Pour les investisseurs plus exigeants,une solution consiste à opter pour des fonds généralistes, qui excluent les éner-gies fossiles, comme Amundi Valeurs Du-rables ou le fonds solidaire Ethique et Partage. Grâce à la loi sur la transitionénergétique, promulguée mi-août, lesparticuliers seront aussi mieux informés,puisque le texte contraint les fonds à me-surer l’empreinte carbone de leurs inves-tissements. De nouvelles offres, conci-liant forte incidence environnementaleet diversification importante des place-ments, devraient alors se développer.

A l’image du nouveau fonds SycomoreEco Solutions. Plutôt séduisant sur le pa-pier, il exclut de son spectre d’investisse-ment certains secteurs particulièrement polluants, comme l’électricité au charbon,le ciment ou le transport aérien. Et il cul-tive une approche multithématique des enjeux environnementaux, ce qui va l’amener à investir à la fois dans les éner-gies renouvelables, l’économie circulaire, la construction, les transports propres… C’est peut-être une nouvelle génération de fonds verts qui est en train de naître. p

emmanuel schafrothSOURCE : MORNINGSTAR

EauSecteurs : Ecologie Energies alternatives

ENCOURS DES FONDS VERTS EN EUROPE,

EN MILLIONS D’EUROS

2011 2013 Sept. 2015

3 561

2 327 2 441

3 004

1 888

5 113

3 170

1 753

4 688

CLIGNOTANT

ÉPARGNEL’assurance-vie fait recetteC’est un jeu de vases communicants. D’un côté, les épargnants piochent dans leur Livret A, dont le taux est historiquement faible (0,75 % net) ; de l’autre, ils remplissent leur assurance-vie, le rendement des fonds en euros – bien qu’en constante baisse ces der-nières années – restant plus élevé (2,5 % en 2014). En septembre, l’assurance-vie a connu son vingt et unième mois de collecte nette d’affilée, les dépôts des épargnants ayant dépassé les retraits de 1,2 milliard d’euros, selon les données publiées par l’Association française de l’assurance, lundi 26 octobre. Depuis le dé-but de 2015, la collecte s’établit à 18,4 milliards d’euros, dont 10,1 milliards pour les supports en unités de compte (à capital non garanti). Au total, 1 562,40 mil-liards d’euros étaient déposés sur des contrats d’assu-rance-vie, en France, à la fin septembre.

QUESTION À UN EXPERT

jean dugor, notaire à Auray (Morbihan)

Quels délais de rétractation

lors d’un achat immobilier ?

Dans un souci de protection du consommateur, qui est face à un contrat dont il ne maîtrise pas toujours l’ensemble des conséquen-ces, le législateur a prévu un délai de rétractation lors d’un achat immobilier. L’acquéreur bénéficie ainsi de dix jours pour se rétracterà compter du lendemain de la notification de l’avant-contrat (pro-messe ou compromis de vente) ou de la remise en main propre de l’acte de vente. Il n’a pas à motiver ce choix.Il suffit d’envoyer une lettre recommandée avec avis de réception, dans le délai imparti, pour que la vente soit annulée, et ce sans aucune pénalité. En revanche, si, à l’expiration de ce délai, l’acqué-reur ne s’est pas manifesté, il est définitivement lié par la promesse d’achat. Lorsque l’acte de vente n’a pas été précédé d’un avant-con-trat, ce qui est rare, un projet de vente doit être notifié à l’acquéreur afin de lui ouvrir un délai de réflexion de dix jours. La cession pourra être signée seulement après son expiration. Evidemment, s’il change d’avis, l’acquéreur ne signera pas l’acte authentique de vente à l’is-sue de son délai de réflexion. p

EN VENTE CHEZ VOTREMARCHANDDE JOURNAUX

Connaître les religions pour comprendre le monde“ ”

Cemois-ci : JÉSUS, SA FAMILLE ET SES PROCHES - Que sait-on vraiment d’eux ?Jésus, savie, sonmessage, lapostéritédesonenseignementontdonné lieuàd’innombrablespublications qui éclairent, tant bien que mal, son histoire. Plus rares sont les études quise concentrent sur tous ceux qui ont côtoyé de près le Galiléen : Marie, Joseph, les frèreset les sœurs de Jésus, Jean le Baptiste, le fidèle groupe des Douze et les femmes de sonentourage, si sensibles à son message. Que sait-on de ces personnages ? Et que nousapprennent-ils de Jésus ?

Page 33: Monde 2 en 1 Du Dimanche 01 Novembre 2015

0123DIMANCHE 1ER - LUNDI 2 NOVEMBRE 2015 MÉDIAS&PIXELS | 7

Facebook veut sensibiliser ses salariés aux contraintes de l’Internet bas débitDans le cadre de son offensive en direction des pays émergents,le réseau social pousse ses équipes à surfer en « 2G » tous les mardis

L a qualité de la connexiondisponible dans la SiliconValley n’est pas la règle, et

Facebook l’a bien compris. Ses dé-veloppeurs vont désormais rece-voir un message un peu particu-lier en arrivant devant leur ordi-nateur le mardi matin. Il leur sera proposé de brider leur connexion pendant une heure pour surfer enbas débit. L’opération « mardi en2G » doit permettre aux équipesdu géant du Web de mieux com-prendre les utilisateurs des pays en voie de développement, mar-ché très convoité par la firme cali-fornienne.

Une équipe de la société se con-centre déjà sur la version de son réseau social destinée aux zones à faible débit. Pour comprendrecomment adapter leur offre, ilsutilisent des téléphones fonc-tionnant en 2G et se rendentdans les pays concernés.

Désormais, c’est l’ensemble dupersonnel du réseau social quipourra tenir compte des problé-matiques liées aux connexions plus lentes. « Ils vont voir les élé-ments que nous devons amélio-rer, mais aussi ceux pour lesquelsnous avons fait beaucoup de pro-

grès », se réjouit Tom Alison, ledirecteur technique. Parmi lesévolutions, le programme Lite : ildétecte la vitesse du réseau pourpermettre une navigation plusfluide. Devant une connexion lente, Facebook présente une version allégée de son site. Elle fa-vorise les contenus sans image nividéo et charge moins d’élé-ments à la fois sur le fil d’actua-lité de l’internaute.

« L’Internet des pauvres »

Pour attirer plus d’utilisateurs,Facebook et les autres leaders dumarché veulent donner accès àInternet à ceux qui en sont en-core dépourvus pour des raisonsfinancières ou par manque d’in-frastructure. Comme Google, l’entreprise de Mark Zuckerbergs’est lancé le défi de fournir une connexion Internet aux qua-tre milliards de personnes con-cernées, soit plus de la moitié dela planète.

Le patron de Facebook est venurappeler ses intentions louables devant les Nations unies en sep-tembre : « Si vous voulez aider lesgens à se nourrir, se guérir, s’édu-quer et trouver un emploi partout

dans le monde, il faut connecter lemonde. Internet ne devrait pasappartenir à seulement trois mil-liards de personnes, comme c’estle cas aujourd’hui. Il devrait êtreconsidéré comme un impératifpour le développement. »

Pour apporter Internet dans leszones reculées, Facebook déve-loppe des modèles de drones, quand Google réfléchit à des bal-lons gonflés à l’hélium et capablesde compenser les lacunes d’in-frastructure. L’opérateur euro-péen Eutelsat et Facebook vont proposer du haut débit en Afriquedès 2016 grâce au satellite géosta-tionnaire AMOS-6.

L’Inde et son 1,31 milliard d’habi-tants (18 % de la population mon-diale) sont également au cœur de plusieurs projets. Google promet d’équiper 400 gares indiennes en Wi-Fi et Facebook a lancé Free Ba-sics, une offre Internet limitée àquelques sites mais gratuite. Sur-nommée « l’Internet des pau-vres », cette initiative permettait d’accéder, entre autres, à Face-book mais pas aux concurrents Google ou YouTube, ce qui lui a valu plusieurs critiques. p

juliette harau

Jeux vidéo :l’e-sport veut passer « pro »La Paris Games Week accueille jusqu’au dimanche 1er novembredes compétitions qui font fureur chez les « gamers »

Coupe du Monde FIFA 16,Open de France Coun-ter Strike… Du 28 octo-bre au 1er novembre, la

Paris Games Week, le plus impor-tant Salon français consacré aujeu vidéo, accueille une dizaine de compétitions d’e-sport. En même temps qu’il se profession-nalise, le sport électronique se dé-veloppe considérablement. Les meilleurs joueurs sont devenusde véritables stars, qui gagnentbeaucoup d’argent. Le rachaten 2014, par Amazon, de Twitch, une plate-forme diffusant enstreaming des parties de jeux vi-déo et des compétitions d’e-sport, pour un milliard de dollars,a marqué un basculement.

L’e-sport, ou sport électronique,désigne la pratique de jeu vidéo dans le cadre d’une compétition. Les « gamers » peuvent jouer seulsou en équipe dans ces événe-ments organisés par des associa-tions, des organisations profes-sionnelles ou, plus récemment, par des éditeurs. Les compétitionsde jeux vidéo sont presque aussi vieilles que les jeux vidéo eux-mê-mes, mais elles connaissent un es-sor considérable, notamment grâce à des plates-formes comme Twitch. A l’automne 2014, par exemple, pas moins de 27 millionsde personnes ont assisté en direct à un tournoi de League of Legends.Un succès qui attire de plus en plus d’investisseurs, prêts à spon-soriser événements et joueurs.

Tous les jeux vidéo ne peuventprétendre entrer dans la catégorie e-sport. Les jeux pratiqués en compétition imposent qu’un ou plusieurs joueurs s’affrontent et

qu’un vainqueur soit désigné. Le tout au cours de parties relative-ment courtes. « Pour la plupart desjeux de e-sport, une manche dureentre quinze et quarante minutes »,explique Rémy Chanson, direc-teur e-sport chez Webedia, invité mardi 27 octobre avec d’autres spécialistes du sujet à l’E-Sport Summit, une conférence sur le sport électronique. Les jeux destratégie dont les parties sont très longues et le rythme plus lent, comme Civilization, s’y prêtent moins.

L’effort physique en question

En revanche, les MOBA (Multi-player Online Battle Arena, des jeux de combat en arène) ou lesFPS (First Person Shooter, des jeuxde tirs) conviennent parfaite-ment. League of Legends (qui est,de loin, le jeu le plus regardé surTwitch en 2015), Hearthstone, Starcraft, Counter Strike, Fifa, DOTA 2 ou Call of Duty sont les jeux les plus populaires.

Classer les compétitions de jeuxvidéo dans la catégorie des activi-tés sportive peut paraître un tan-tinet abusif. D’ailleurs, le sport électronique n’est pas reconnu of-

ficiellement. « Il y a énormémentde points communs » entre lesport et l’e-sport, plaide de son côté Sébastien Debs, joueur pro-fessionnel de Dota 2, qui évoque, pêle-mêle, « l’entraînement inten-sif, la notion de spectacle et de di-vertissement, l’économie de l’e-sport avec les sponsors, les clubs, les agents, les fans, la question de la performance, l’esprit d’équipe, lanotion d’excellence… ».

Mais quid de l’effort physique,question récurrente dans ce dé-bat ? S’il est évident qu’un tournoide jeu vidéo n’est pas comparable,en termes de dépense énergéti-que, à un match de tennis ou de football, « cela nécessite d’être enbonne forme physique et men-tale », assure Sasha Brodowski, co-fondateur de Bang Bang Manage-ment, qui gère les droits d’une quinzaine de joueurs. « Lesjoueurs s’entraînent du matin au soir, parfois quatorze heures par jour. Certains finissent par prendreleur retraite, fatigués. »

Une fatigue qui peut être par-fois rémunératrice. « 300 joueursprofessionnels gagnent plus de 100 000 dollars par an, une di-zaine d’entre eux dépasse le mil-lion de dollars », explique Mat-thieu Dallon, créateur de l’Elec-tronic Sports World Cup. Commeles sportifs de haut niveau, les joueurs professionnels dispo-

sent d’un entraîneur et d’unagent, qui gèrent leurs déplace-ments et leurs contrats.

Les sponsors sur les rangs

Et ce n’est pas une mince affaire : leflou juridique entourant l’e-sport dans de nombreux pays comme laFrance ne leur facilite pas la tâche. « Le joueur est-il un artiste ? Un sportif ? Quels sont ses droits ? Ses obligations ? », interroge Julien Vil-ledieu, délégué général du Syndi-cat national du jeu vidéo, exigeant une clarification. Car comment unjoueur peut-il encaisser ses récom-penses financières s’il ne dispose pas de statut ? Beaucoup ont dû de-venir auto-entrepreneur pour re-cevoir et déclarer l’argent. Mais sous ce statut, les revenus sont li-

mités à 32 900 euros par an. « Il y aquelques années, les gains étaient minimes, mais, là, on atteint des sommes qui commencent à po-ser problème », témoigne Sasha Brodowski.

Les audiences de plus en plus im-portantes de l’e-sport attirent sponsors et annonceurs. « Certai-nes personnes n’ont pas la télé maisregardent Twitch ! », souligne Sé-bastien Debs. « Des fans investis, avec un niveau d’engagement sans équivalent », poursuit-il. En effet, pendant les compétitions, les pla-tes-formes de retransmission per-mettent aux spectateurs de tchat-ter. Et leurs liens avec les cham-pions sont très étroits, car ces der-niers, ultra-connectés, échangent volontiers avec eux. « On voit mal

un footballeur streamer [mettre enligne] son entraînement du Barça. Certains joueurs d’e-sport le font, et 40 000 personnes vont le regar-der ! », sourit Sasha Brodowski.

L’argent généré par l’e-sport adonné naissance à tout un écosys-tème mêlant joueurs, agents, en-traîneurs, clubs, commentateurs, organisateurs d’événements, pla-tes-formes en ligne et même… des bars, comme le Meltdown à Paris, consacré au sport électronique. « Le potentiel est colossal. Le cœur d’audience est 25-35 ans, mais quand ces gens auront 50 ou 60 ans, ils continueront à regarderdu sport électronique », parie Ha-drien Noci, commentateur de Starcraft II. p

morgane tual

Lors d’une compétition sur le jeu Call of Duty Advanced Warfare,pendant la Coupe du monded’e-sports,en mai, à Paris.ALAIN JOCARD/AFP

Comme

les sportifs

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Par Toutatis, ils sont de retour ! La 36e aventured’Astérix et Obélix, Le papyrus de César, sort le22 octobre, avec un tirage prévu de 5 millionsd’exemplaires… A cette occasion, Le Mondeconsacre un volume de sa collection à l’irréductibleGaulois qui appartient désormais au patrimoinenational. Albert Uderzo et Anne Goscinny yracontent la genèse et l’histoire de ce personnageculte. Cabu et Franquin expliquent en quoi le hérosgaulois a révolutionné la bande dessinée… Astérixest apparu pour la première fois dans Le Monde en1974. Quarante ans plus tard, il y est à nouveau.Alea jacta est.

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