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Mardi 20 octobre 2015 - 71 e année - N o 22008 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur : Jérôme Fenoglio Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA F inancement du voyage vers la Syrie, fonctions confiées par l’Etat islamique (EI), journée type au camp d’entraînement, motifs du retour en France… La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice a réalisé une synthèse inédite, à partir des déclarations de ressor- tissants français mis en examen à leur retour de la zone irako-syrienne. Ce document d’une dizaine de pages relatant leur vie sur place, que Le Monde a pu consulter, a été envoyé début octobre à l’ensemble des magistrats référents sur le terrorisme. La note est aussi une mise en garde. Depuis le dé- but des frappes contre l’EI, en août 2014, l’organisa- tion aurait perdu jusqu’à 9 000 combattants. Afin de limiter l’hémorragie, elle aurait mis en œuvre au début de l’année une politique de dissuasion des dé- sertions, n’hésitant pas à exécuter les velléitaires. Le document invite donc les magistrats à une vigilance particulière envers les retours récents de djihadistes français, ces derniers pouvant être autorisés par l’EI et « porteurs de projets terroristes ». LIRE LA SUITE PAGE 12 Angela Merkel compte sur la Turquie pour contenir le flux de migrants en Europe. En visite à Ankara, dimanche, la chance- lière a apporté son soutien aux demandes d’Erdogan. Alors que le mouvement Pegida fête son premier anniversaire, lundi, l’arrivée massive de réfugiés en Allemagne coûte des points de popularité à M me Merkel. Et divise le pays. Elue dimanche, la maire de Cologne a été blessée, la veille, de plusieurs coups de couteau par un sympathisant d’extrême droite. p LIRE PAGE 2 SYRIE DE RETOUR EN FRANCE, ILS RACONTENT LEUR VIE DE DJIHADISTE par soren seelow En baisse dans les sondages, Merkel cherche l’aide d’Ankara RÉFUGIÉS LE REGARD DE PLANTU La croissance chinoise ralentit, l’économie mondiale souffre Pékin a confirmé le ralentissement, lundi 19 octobre. La croissance du pays est au plus bas depuis 2009 et l’après- crise financière Les analystes doutent de la véracité des statistiques officielles. Le président Xi Jinping admet des « inquiétudes sur l’économie chinoise » Des hommes d’affaires, comme le magnat de Hongkong Li Ka-shing, commencent à sortir leurs actifs du pays, s’attirant les foudres du pouvoir Le recul des importa- tions chinoises a des con- séquences négatives sur l’ensemble des économies dans le monde LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 3 Le Monde publie deux fois par semaine un supplément sur l’une des treize nouvelles régions françaises NORMANDIE SYRIE : LE DROIT ET LES FRAPPES FRANÇAISES LIRE PAGE 24 FRANCE UNE CONFÉRENCE SOCIALE SUR FOND DE TENSIONS LIRE P. 11 ET LE CAHIER ÉCO P. 8-9 Michel Platini s’explique En 2012, au siège de l’UEFA. FRED MERZ/REZO.CH POUR « LE MONDE » Le Français donne au « Monde » sa version sur les 2 millions que lui a versés Sepp Blatter « C’était un truc d’homme à homme » Où en est sa candidature à la tête de la FIFA LIRE PAGES 14-15 LÉGISLATIVES SUISSES LE RAZ-DE-MARÉE DU PARTI POPULISTE UDC LIRE PAGE 6 LE FN COURTISE LE BOCAGE 2% +(’& -, -6201 .0*%( )(!3$(", $"(*(%1’, -, 5*36!1 363,6 JEJ73J3?9; D3 E?J=9B2D4>2=?D; =?=3? D3 4?<9; 592I0J1DG =J G9==JI95J3?9; ED IU;UE?G3D BJ=27<24?62D 95?B?;J=D 7JI=9 7?G9 759E2?3 7J57A?=?77D J?B=D D3 4U1D5?;D =J3A2?==?S5D @;*#*, 759E2?3 7J5J/<?;J B92=J<J=0D3J=J?; 4D5J7A?;D @7#P*R$*#, J1DG =J 7J53?G?7J3?9; E2GD;35D ;J3?9;J= E2 G?;U<J D3 ED =+?<JBDJ;?<UD J1DG =J 7J53?G?7J3?9; ED =J 5UB?9; 5U2;?9; J1DG =D 4923?D; E2C9;E4 E+J?ED V =+?;;91J3?9;J2E?91?42D==D J1DG =D 4923?D; E2G;GH;921D==D4 3DGA;9=9B?D4 D; 759E2G3?9; =D 4923?D; E2C9;E4 ?<JBD4 ED =J E?1D54?3U D3 =D 4923?D; E2<?;?43D5D ED4 9235DH<D5D; J449G?J3?9; J1DG=J 49C?GJ DEGJ J1DG =D 4923?D; ED =J C9;EJ3?9; BJ;D3 ED =J<?44?9; E2 GD;3D;J?5D .%H.M J1DG =J 7J53?G?7J3?9; EDC5J;GD 3U=U1?4?9;4J1DG =J 7J53?G?7J3?9; E+9G4 5D>9?B;D/H;924 425 -JEJ<J:=DC?=< W ;*#* 7OQ’K(L#QRN X 7#P*R$*# X CO*R(& 8 G#RT!* XJ")*LOQN 7OQ’K(L#QRN =D F. 9G39I5D 1&6& /.0"*#,601- 9 /6/&17&: 9 8.&1#! + #61;2& 9 &3%&,.0- /.0"*#,601- #"4!,%3,%3 ! 10,/ ’,! 0$(. -, &’6’! "6&%&,!$ /&-#&3 1’01’6$ 0)20 /*##610$ 5&#4 2%&

Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

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Page 1: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

Mardi 20 octobre 2015 ­ 71e année ­ No 22008 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

F inancement du voyage vers la Syrie, fonctionsconfiées par l’Etat islamique (EI), journée typeau camp d’entraînement, motifs du retour en

France… La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice a réalisé une synthèse inédite, à partir des déclarations de ressor­tissants français mis en examen à leur retour de la zone irako­syrienne. Ce document d’une dizaine de pages relatant leur vie sur place, que Le Monde a pu consulter, a été envoyé début octobre à l’ensemble des magistrats référents sur le terrorisme.

La note est aussi une mise en garde. Depuis le dé­but des frappes contre l’EI, en août 2014, l’organisa­tion aurait perdu jusqu’à 9 000 combattants. Afinde limiter l’hémorragie, elle aurait mis en œuvre au début de l’année une politique de dissuasion des dé­sertions, n’hésitant pas à exécuter les velléitaires. Ledocument invite donc les magistrats à une vigilanceparticulière envers les retours récents de djihadistesfrançais, ces derniers pouvant être autorisés par l’EI et « porteurs de projets terroristes ».

→ LIRE L A SUITE PAGE 12

Angela Merkel compte sur la Turquie pour contenir le flux de migrants en Europe. En visite à Ankara, dimanche, la chance­lière a apporté son soutien aux demandes d’Erdogan. Alors que le mouvement Pegida fête son premier anniversaire, lundi, l’arrivée massive de réfugiés en Allemagne coûte des points de popularité à Mme Merkel. Et divise le pays. Elue dimanche, la maire de Cologne a été blessée, la veille, de plusieurs coups de couteau par un sympathisant d’extrême droite. p

→ LIRE PAGE 2

SYRIE

DE RETOUREN FRANCE, ILS

RACONTENT LEURVIE DE DJIHADISTE

par soren seelow

En baisse dans les sondages, Merkel cherche l’aide d’Ankara

RÉFUGIÉS

LE REGARD DE PLANTU

La croissance chinoise ralentit,l’économie mondiale souffre▶ Pékin a confirmé leralentissement, lundi 19 octobre. La croissance du pays est au plus bas depuis 2009 et l’après­crise financière

▶ Les analystes doutent de la véracité des statistiques officielles. Le président Xi Jinping admet des « inquiétudes sur l’économie chinoise »

▶ Des hommes d’affaires, comme le magnat de Hongkong Li Ka­shing, commencent à sortir leurs actifs du pays, s’attirant les foudres du pouvoir

▶ Le recul des importa­tions chinoises a des con­séquences négatives sur l’ensemble des économies dans le monde→ LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 3 ▶Le Monde publie

deux fois par semaine un supplément surl’une des treize nouvelles régions françaises

NORMANDIE

SYRIE : LE DROIT ET LES FRAPPES FRANÇAISES → LIRE PAGE 24

FRANCEUNE CONFÉRENCE SOCIALE SUR FOND DE TENSIONS→ LIRE P. 11

ET LE CAHIER ÉCO P. 8-9

Michel Platini s’explique

En 2012, au siège de l’UEFA. FRED MERZ/REZO.CH

POUR « LE MONDE »

▶ Le Français donne au « Monde » sa version sur les 2 millions que lui a versés Sepp Blatter

▶ « C’était un truc d’homme à homme »

▶ Où en est sa candidature à la tête de la FIFA

→ LIRE PAGES 14-15

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Page 2: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

2 | international MARDI 20 OCTOBRE 2015

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Réfugiés : Merkel en quête d’appuis en TurquieLes conditions posées par Ankara pour limiter le transit de migrants suscitent des réserves en Europe

istanbul, berlin - correspondants

Le voyage s’annonçait déli-cat et il l’a été, tant le dia-logue entre la Turquie etles Européens sur la ques-

tion des réfugiés reste tendu : envisite à Istanbul, dimanche 18 oc-tobre, Angela Merkel a promis desoutenir les revendications de ses interlocuteurs, le président Recep Tayyip Erdogan et son premier ministre Ahmet Davutoglu, pourvu que la Turquie adhère aurécent « plan d’action » élaboré par la Commission européenne etapprouvé par le Conseil, afin de contenir les migrants, notam-ment syriens, qui affluent vers leVieux Continent.

De part et d’autre, le ton se vou-lait conciliant. Le premier ministreturc s’est réjoui de « la meilleure ap-proche » de l’Union européenne (UE) à propos des réfugiés tandis que la chancelière allemande dé-plorait « le peu d’aide internatio-nale attribuée à la Turquie pour sa contribution immense ». Le gou-

vernement turc affirme avoir dé-pensé 7 milliards d’euros pour les quelque 2,2 millions de réfugiés installés dans le pays, alors que l’aide qu’il a reçue n’a pas dépassé 417 millions. La Turquie formule quatre demandes : l’octroi de 3 milliards d’euros pour l’accueil des réfugiés, une exemption de vi-sas pour les citoyens turcs voulant voyager en Europe, la reprise des négociations d’adhésion à l’UE, et la participation turque aux som-mets européens. La question de l’inscription sur la liste des « paysd’origine sûre » reste également endiscussion, Berlin se montrant dé-sormais favorable à cette évolu-tion, refusée par d’autres capitales.

« Options limitées »

« L’Allemagne est prête à soutenir ces quatre points », a déclaré la chancelière à l’occasion de sa con-férence de presse avec M. Davuto-glu – elle tenait à éviter d’apparaî-tre aux côtés de M. Erdogan dans son pharaonique palais d’Aksaray, à Ankara. Les Européens, dont

Mme Merkel est en quelque sorte devenue l’émissaire, sont soulagés que M. Erdogan ait renoncé à son exigence de ne coopérer qu’à con-dition que soit créée, avec leur aide, une zone de sécurité dans le nord de la Syrie. Les frappes russes ont rendu ce projet impossible et Moscou s’y opposait. Mme Merkel aprécisé que son pays était prêt à ouvrir le chapitre 17 et à « préparer l’ouverture des chapitres 23 et 24 » des négociations d’adhésion. Ils concernent respectivement la po-litique économique et monétaire

et les questions relatives à la li-berté, la justice et la sécurité. Le processus d’adhésion a com-mencé en 2005 et 14 chapitres ont été ouverts, sur 35 au total. La Tur-quie croit-elle vraiment à cette ad-hésion que les Européens ont lais-sée s’enliser ? A Bruxelles, les diplo-mates doutent et pensent qu’elle veut surtout voir affirmé son rôle de partenaire stratégique.

Consciente que la partie turque acomme priorité la question de la li-béralisation des visas, Mme Merkel a promis qu’une exemption, pour les étudiants et les hommes d’af-faires surtout, pourrait entrer en vigueur dès juillet 2016 au lieu de 2017. En contrepartie, Ankara de-vrait réadmettre sur son territoire les déboutés du droit d’asile, en-trés dans l’UE par son territoire. Unaccord de réadmission a déjà été si-gné en 2013 entre Bruxelles et An-kara, sans grands résultats. Un ac-cord similaire existe aussi depuis 2002 entre la Grèce et la Turquie, etil ne fonctionne pas. Sur les 9 619 demandes de réadmission formu-

lées par Athènes en 2014, 470 ont abouti et… 6 ont été réalisées.

L’annonce, le 15 octobre, d’un ac-cord des 28 pays membres de l’UE visant à « redynamiser » le partena-riat avec la Turquie, malgré leurs craintes quant aux dérives du ré-gime islamo-conservateur, avait pour but de limiter au maximum les flux de réfugiés. L’UE demande à la Turquie de mieux surveiller ses frontières maritimes, mais « lesoptions sont limitées », explique le cercle de réflexion European Stabi-lity Initiative (ESI), rappelant que les gardes-côtes turcs ont arrai-sonné 60 000 candidats au départ vers la Grèce en 2014.

Critiques

A moins de deux semaines des lé-gislatives du 1er novembre, une partie de l’opposition turque s’est insurgée contre la visite de la chan-celière, y voyant un geste de sou-tien à M. Erdogan et à son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur). Cent intellectuels lui ont adressé une lettre ouverte : « L’UE devrait pro-mouvoir les valeurs européennes, or MM. Erdogan et Davutoglu ne font que les bafouer. »

Le voyage de la chancelière estaussi critiqué dans son propre pays. Il lui est reproché d’avoir rencontré les dirigeants turcs mais pas l’opposition et d’avoir, defacto, fait campagne en faveur du pouvoir. « La familiarité de Merkel avec le despote Erdogan est une dé-claration de faillite morale », jugeSarah Wagenknecht, coprésidentede Die Linke (gauche radicale), au Bundestag. « Elle n’a pas d’autrechoix que de négocier avec Erdo-gan (…). Même si, juste avant l’élec-tion, le moment est malheureux », résume le député européen ElmarBrok (CDU-PPE).

Ce malaise est aussi partagé àBruxelles, où certains dirigeants conviennent qu’ils flirtent avec le cynisme en appliquant une « real-politik » qui a pour seul but d’endi-

La chancelière allemande, Angela Merkel, et le président turc,

Recep Tayyip Erdogan,le 18 octobre, à Istanbul. GUIDO

BERGMANN/BUNDESREGIERUNG/REUTERS

« La familiarité

de Merkel

avec le despote

Erdogan est une

déclaration de

faillite morale »

SAHRA WAGENKNECHT

Die Linke

guer les vagues de migrants. Et desEtats, Grèce et Chypre en tête, crai-gnent que M. Erdogan profite de lafaiblesse des Vingt-Huit pour ob-tenir un statut de partenaire privi-légié et bénéficier de concessionstaillées sur mesure. Dans l’immé-diat, il devrait bénéficier des 3 milliards d’euros promis, même s’il reste aux Etats membres à mettre la main à la poche.

Mme Merkel elle-même mesurebien la difficulté de la démarche européenne. Avant son voyage, elle avait qualifié le dialogue avec les autorités turques de « fichu de-voir ». Elle connaît toutefois l’équa-tion : une majorité d’Allemands (56 %, + 10 points en un mois) juge que leur pays ne peut pas conti-nuer à recevoir autant de réfugiés. Or, une grande partie de ceux-ci – 2,3 millions à l’heure actuelle – transitent par le territoire turc. An-gela Merkel a tout intérêt à ce qu’ilsy restent et sait que c’est peut-être sur cette question que se jouera sa réélection en 2017. p

marie jégo

et frédéric lemaître

(avec cécile ducourtieux

et jean-pierre stroobants

à bruxelles)

signe de la dégradation du climat poli-tique en Allemagne, Henriette Reker, éluedimanche 18 octobre à la mairie de Cologne(Rhénanie-du-Nord-Westphalie) au pre-mier tour, avec 52,7 % des voix, n’a mêmepas pu voter. Blessée la veille de plusieurs coups de couteau par un sympathisant d’extrême droite, cette femme de 58 ans, sans parti mais soutenue par l’Union chré-tienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel, les Verts et le Parti libéral, était dimanche toujours plongée dans un coma artificiel. Nul ne sait quand elle sera en mesure deprendre ses fonctions.

Quatre autres personnes ont été blessées :deux femmes, responsables politiques, et deux citoyens. La totalité des membres la classe politique allemande a condamné cet attentat. C’est sur un marché de la ville où el-les finissaient de battre campagne qu’Hen-riette Reker et ses colistières ont été atta-

quées par un homme de 44 ans, Franck S. La police a indiqué durant le week-end qu’il était sain d’esprit et qu’il avait lui-même jus-tifié son acte par un mobile raciste. Hen-riette Reker était jusqu’à présent responsa-ble de l’hébergement des réfugiés à Colo-gne. Elle militait pour leur intégration.

Radicalisation du mouvement Pegida

Selon le Spiegelonline, Franck S. aurait dé-claré, lors de sa déposition : « Les étrangers nous prennent notre travail. » Il aurait ajou-ter craindre que la charia soit imposée en Al-lemagne. La police dit ne pas le connaître. Enrevanche, les organisations antifascistes af-firment qu’il faisait partie, au début des an-nées 1990, d’un groupuscule néonazi inter-dit depuis – le Parti des travailleurs alle-mands libéraux (FAP).

Lundi 12 octobre, lors d’une manifestationà Dresde (Saxe) du mouvement islamo-

phobe Pegida, la présence de potences « ré-servées à Angela Merkel et Sigmar Gabriel » (la chancelière et le vice-chancelier) avait poussé le parquet à ouvrir une enquête. Lundi 19 octobre, le mouvement Pegida, qui,selon plusieurs observateurs, tend à se radi-caliser, entend célébrer sa première annéed’existence. Depuis le 20 octobre 2014, il réu-nit, chaque semaine ou presque, plusieurs milliers de personnes contre la présence d’étrangers et contre le gouvernement.

La politique d’Angela Merkel continue defaire perdre des points à cette dernière. Se-lon un sondage, publié dimanche par Bild, la CDU/CSU n’attire plus que 37 % des élec-teurs, son plus mauvais score depuis mai 2013. Le parti populiste Alternativepour l’Allemagne (AfD) gagne un point, à7 %, ainsi que le Parti social-démocrate(SPD), à 26 %. p

f. le.

La maire élue de Cologne poignardée par un anti-migrants

LES CHIFFRES

2,2 MILLIONSde réfugiés syriens

Entre 2011 et 2014, 2,2 millions de réfugiés syriens ont été admis en Turquie et Ankara assure avoir dépensé plus de 7 milliards d’euros pour leur accueil.

800 000demandeurs d’asile

L’Allemagne s’attend à accueillir plus de 800 000 demandeurs d’asile cette année. La plupart arrivent par les Balkans.

Page 3: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

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4 | international MARDI 20 OCTOBRE 2015

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« Tous les Syriens éduqués fuient vers l’Europe »A Gaziantep, en Turquie, des réfugiés s’inquiètent des conséquences de l’exode de la classe moyenne syrienne

REPORTAGEbeyrouth - correspondant

Quand Mohamed Abde-laziz est revenu à Ga-ziantep au début dumois de septembre,après trois mois passés

à Istanbul, ce jeune Syrien, docu-mentariste et apprenti écrivain, a plongé dans une violente dé-prime. Quelques pas dans le quar-tier des ONG, un détour par un cafétenu par un compatriote et une sé-rie de coups de téléphone sans suc-cès l’ont convaincu que la plupart de ses connaissances avaient quitté la ville pendant l’été.

Comme des dizaines de milliersd’autres réfugiés qui s’étaient ins-tallés dans cette métropole dusud de la Turquie, située à une cin-quantaine de kilomètres de la frontière syrienne, ses amis et ses collègues ont presque tous pris le chemin de l’Europe. « Je ne recon-nais plus un seul visage dans larue, dit Mohamed. C’est un désas-tre. Tous les gens éduqués sont entrain de fuir. Ce qu’il va rester, ce sont soit les gens qui n’ont pas les moyens de changer les choses autour d’eux, soit ceux qui ne con-naissent que la guerre. »

Cet exode, Mohamed le com-prend. Depuis Gaziantep, arrière-cour du gouvernorat d’Alep, où il réside depuis deux ans, ce natifd’Homs, âgé de 27 ans, le regard fiévreux sous une cascade de bou-cles brunes, a vu ses frères d’exil perdre peu à peu l’espoir. Ceux quipensaient pouvoir s’accommoderdes barils d’explosifs balancés parles hélicoptères du régime ont étédissuadés de rentrer au pays parl’expansion des djihadistes de l’Etat islamique (EI). L’annonce enjuillet, par le président turc Recep Tayyip Erdogan de la prochainecréation d’une zone protégée,dans le nord de la Syrie, n’a trompé personne, tant ce projet, embourbé dans des bisbilles amé-ricano-turques, paraît mort-né.

« Aucune solution en vue »

« Il n’y a aucune solution en vue, pas de plan susceptible de réunir la majorité de la population, dit Mo-hamed. La guerre va continuer. Il est illusoire d’imaginer rentrer en Syrie avant les cinq prochaines an-nées. » Mais lui restera en Turquie. En tout cas pour l’instant. Même s’il a le profil type du candidat à l’émigration, le rêve allemand qui propulse ses congénères sur la route de Berlin ou de Munich le laisse sceptique. « La vie ici n’est passi mauvaise », confie-t-il à la ter-rasse d’un snack qui sert des ma-na’ish, la pizza des Levantins.

Iyad partage le même point devue. La trentaine, cet ingénieur in-formatique originaire de Damas mais qui a grandi à l’étranger, fait partie de ces classes moyennes sy-riennes qui arpentent les routes del’Europe centrale, à la recherche d’une brèche dans la forteresse Schengen. Ce qui le retient de les rejoindre, c’est le centre de forma-tion qu’il a créé en 2013, Afaq (« ho-

rizons », en arabe), avec l’aide d’hommes d’affaires de la dias-pora. Une académie implantée à Gaziantep, mais aussi dans les pro-vinces du nord de la Syrie et mêmela banlieue de Damas, où l’on in-culque aux chefs des groupes ar-més syriens les rudiments du droitde la guerre, les principes de base de la justice et quelques notions definances publiques.

« 90 % de mes amis réfugiés enTurquie sont partis, témoigne Iyad,qui vit à cheval sur Gaziantep et Idlib, une ville sous le contrôle de l’insurrection, dans le nord-ouest de la Syrie. Ils travaillaient dans desONG humanitaires ou pour le gou-vernement intérimaire [la struc-ture gouvernementale en exil, mise en place par l’opposition sy-rienne]. Moins il y aura de civils ac-

tifs sur le terrain, moins il y aura de solution et d’avenir pour la Syrie. » « C’est triste tous ces gens qui fuient vers l’Europe, renchérit Ahmed Mohamed, militant des premières heures de la révolution. C’est vrai que la vie est difficile en Turquie. Je comprends qu’ils veuillent trouver une meilleure situation, un endroit où ils pourront valoriser leurs diplô-mes. Mais, dans les faits, ils laissent tomber leur pays. »

Ahmed, 23 ans, porte la trace deson implication dans le soulève-ment anti-Assad sur le visage. Ses deux dents de devant sont brisées. Un legs de sa chute du deuxième étage d’un bâtiment de l’univer-sité d’Alep, d’où des chabbiha (hommes de main du régime) l’ontjeté, en février 2012, lors de la ré-pression d’une manifestation an-ti-Assad. Arrivé en janvier 2014 à

Gaziantep, le jeune homme conti-nue de faire des sauts de l’autre côté de la frontière, pour le comptede l’Institut syrien, une ONG de dé-fense des droits de l’homme. « On s’accroche à notre mission, confie Saïd Eïdo, le responsable des rela-tions publiques. Beaucoup de mes amis m’ont proposé de m’aider à obtenir une carte de résidence au Canada. Mais j’ai refusé. La Syrie a besoin d’être défendue. Cette tragé-die se terminera bien un jour. »

Isolement

Zoya Bostan n’est pas certaine de tenir tout le temps qu’il faudra. Cette ex-présentatrice vedette de la télévision publique vit avec son mari, Ali Safar, un ancien réalisa-teur de télé, et leurs deux enfants, dans un immeuble de standing de la périphérie de Gaziantep. Le har-cèlement de la police politique, quiles soupçonnait de sympathies ré-volutionnaires, a poussé ces deux esprits libres à s’exiler en 2013. Re-cruté par les médias de l’opposi-tion, qui ont fait de la Turquie leur base arrière, le couple s’est investi dans ce nouveau travail à corps perdu, pour oublier la douceur de sa vie d’avant. La quasi-certitude qu’ils cesseraient d’œuvrer pour la révolution s’ils émigraient en Eu-rope les empêche pour l’instant defranchir ce pas. « Je pense que dans quatre-cinq mois, beaucoup de Sy-riens arrivés en Allemagne vont dé-chanter », souffle Zoya.

Mais l’idée du départ la taraude.« Comme tous les parents syriens, on y pense », lâche-t-elle en regar-dant sa fille de 13 ans, qui est la seule non-voilée de sa classe. En bons produits de l’intelligentsia damascène, elle et son mari ne se reconnaissent pas dans la commu-nauté syrienne de Gaziantep, très imprégnée du conservatisme so-cial et religieux d’Alep. « On se sent très isolé », confesse Zoya. Les joursoù la nostalgie l’envahit, elle s’en va déambuler à Istanbul, « cette grande Damas », dont elle appréciele mélange de moderne et d’an-cien et les habitants, « aussi chaleu-reux et en colère que nous ». p

benjamin barthe

L’Iran envoie des troupes au sol pour appuyer l’offensive russePlusieurs milliers de soldats combattent afin de desserrer l’étau sur la plaine côtière et Alep. La rébellion oppose une forte résistance

beyrouth - correspondant

D eux semaines après l’en-trée en action de l’avia-tion russe en Syrie, un

nouveau cap est franchi dans l’in-ternationalisation de ce conflit. Pour la première fois depuis le dé-but du soulèvement anti-Assad en 2011, des troupes iraniennes ont été déployées en masse sur le terrain, aux côtés de l’armée régu-lière syrienne. Vendredi 16 octo-bre, des sources syriennes ont re-connu que « des centaines d’Ira-niens et de miliciens libanais du Hezbollah ainsi que des Irakiens » participent à l’offensive en cours, dans le sud de la région d’Alep.

Un responsable américain a éva-lué l’importance de ce contingent chiite à environ 2 000 hommes, provenant notamment du corps des gardiens de la révolution,

l’unité d’élite de la République isla-mique. Des photos de l’un de ses plus hauts responsables, le généralGhassem Souleimani, chargé des opérations extérieures, circulaienten fin de semaine dernière sur les réseaux sociaux pro-régime, le montrant sur le front d’Alep.

« Surprise »

Si la présence de soldats iraniens sur le champ de bataille syrien a déjà été notée par le passé, leur im-plication n’a jamais été aussi grande. Jusqu’il y a quelques mois encore, la participation de Téhérandans les combats se bornait princi-palement à l’envoi de hauts gradés,qui officiaient comme conseillers militaires. Mais la déroute les trou-pes syriennes face aux rebelles, dans la province d’Idlib au prin-temps, a obligé l’Iran à revoir à la hausse son dispositif.

Au mois de juin, à l’occasiond’une visite dans la région d’Hama, dans le centre de la Syrie,Ghassem Souleimani, véritablecerveau de « l’axe chiite » pro-As-sad, avait promis à ses adversaires« une surprise ». Deux mois plustard, l’insaisissable général était signalé à Moscou. Selon toute vraisemblance, c’est durant ce dé-placement, lors de discussionsavec Vladimir Poutine et ses con-seillers militaires, que l’offensiveconjointe russo-iranienne a étépréparée. Objectif : refouler les in-surgés des provinces centrales d’Homs et d’Hama, leur barrer laroute de la plaine côtière, pour écarter tout risque d’effondre-ment du régime Assad.

Pour l’instant, deux semainesaprès son démarrage, cette offen-sive n’a enregistré aucun succès marquant. Les combats se dérou-

lent sur deux fronts parallèles. Le premier, qui s’étend sur plus de 100 kilomètres, court du nord d’Hama jusqu’aux contreforts montagneux de la province de Lat-taquié, sur la côte, en passant par laplaine du Ghab et le sud d’Idlib. Lesforces loyalistes, appuyées par les frappes de l’aviation russe, cher-chent notamment à reprendre aux rebelles le contrôle de l’auto-route M5, qui relie Homs à Alep. Dans cette zone, les pro-Assad ren-contrent une très forte résistance.

Alep, maillon faible

Grâce notamment à des armes an-ti-tanks américaines, livrées par l’Arabie saoudite, les groupes rebel-les parviennent pour l’instant à te-nir leurs positions, en dépit des frappes russes. « Je ne vois pas com-ment la coalition prorégime pour-rait progresser dans cette région, es-

time Basel Al-Junaïdi, analyste sy-rien. La population est dans son im-mense majorité pro-opposition. »

Entre jeudi 15 octobre et diman-che 18 octobre, les bombarde-ments russes ont fait 72 morts dans la seule région d’Homs, dontla moitié de civils, selon l’Obser-vatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Selon cette même source, quarante combat-tants de l’organisation Etat isla-mique (EI) ont également été tués durant le week-end, par une frappe aérienne sur leur convoi,dans la région d’Hama. L’OSDHn’est pas en mesure de préciser si le bombardement a été mené par l’aviation russe ou syrienne. Jus-qu’à présent, les Soukhoï duKremlin ont concentré leurs tirs, àquelques exceptions près, sur lespositions des insurgés.

Le second front, moins étendu,

Ci-contre, Zoya Bostan, journaliste originairede Damas, s’est installée à Gaziantep avec sa famille il ya deux ans.Ci-dessous, Ahmed Mohamed, qui y travaille pourle compte d’une ONGde défensedes droitsde l’homme. LAURENCE GEAI/SIPA

POUR « LE MONDE »

« Il est illusoire

d’imaginer

rentrer en Syrie

avant les cinq

prochaines

années »

MOHAMED ABDELAZIZ

réfugié syrien

se situe à une quinzaine de kilo-mètres au sud d’Alep. L’armée sy-rienne, qui s’est emparée d’une poignée de villages avec l’aide des pasdarans iraniens et du Hezbol-lah, tente de sécuriser la route d’approvisionnement des quar-tiers ouest d’Alep, qui sont tou-jours sous son contrôle. Ces trou-pes pourraient ensuite chercher à encercler les quartiers est, aux mains de la rébellion, une manœuvre qu’elles avaient déjà tentée durant l’hiver, sans succès.

« Alep est le maillon faible de larébellion, note Jomah Al-Qassem, un activiste révolutionnaire. Ici,nous devons combattre non seule-ment contre le régime, mais aussicontre l’EI, qui a progressé au nord de la ville, il y a quelques semaines.Il y a une coordination de fait entrele régime et l’EI. » p

b. ba.

Alep

Homs

SYRIE

TURQUIE

IRAK

JORDANIE

LIBAN

Damas

Gaziantep

100 km

Page 5: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 international | 5

Egypte : M. Yazal, la tête d’affiche pro-SissiLe général à la retraite a reçu pour mission de mener une coalition favorable au président

RENCONTREle caire - envoyée spéciale

D ans le bureau de SamehSeif Al-Yazal, au dernierétage d’un immeuble de

la banlieue aisée du Nouveau Caire, on ne sait pas où poser sa tasse de thé. Les médailles recou-vrent tout, des murs à la table basse. Un trophée pour chaque service que cet ancien général de l’armée égyptienne a rendu à la

nation. Entré à l’académie mili-taire en 1965, il a été tankiste lors des deux guerres contre Israël (1967 et 1973), officier des rensei-gnements militaires puis géné-raux, et même un temps diplo-mate à Pyongyang, puis à Londres.Depuis qu’il a pris sa retraite en 1994 et fondé le centre gouver-nemental Al-Gomhouria pour les études politiques et sécuritaires, les Egyptiens ont pris l’habitude dele voir sur leurs écrans commenterles affaires militaires du pays, la mine sérieuse derrière de petites lunettes transparentes.

A presque 70 ans, ce proche duprésident Abdel Fattah Al-Sissi est investi d’une nouvelle mission d’intérêt national : mener la coali-tion « Pour l’amour de l’Egypte » à la victoire aux élections législati-ves, qui se tiennent jusqu’au 2 dé-cembre. La coalition électorale re-groupe les dix plus grands partis etdes personnalités publiques, qui concourent pour les 120 sièges pourvus au scrutin de liste dévolusaux formations politiques. Les Egyptiens éliront en outre 448 dé-putés individuels, dits indépen-dants ; le président en nommera 28 au terme du scrutin. On dit M. Yazal soutenu par le président en personne. « Je ne suis pas soutenu par le président ou le gouverne-ment, se défend-il. On dit cela parceque, en février, j’ai mis des affiches avec la photo du président et le slo-gan “Pour l’amour de l’Egypte”. Je l’ai fait car il est notre dirigeant et que les gens l’aiment. Le président Sissi a dit qu’il ne voulait soutenir personne. »

L’idée de la coalition vient tou-tefois de M. Sissi. « Il y a quatorze mois, le président Sissi a rencontré les chefs de parti et leur a demandéqu’ils s’unissent. Il y a eu de nom-breuses rencontres mais les partis ont échoué », raconte-t-il. Kamal Al-Ganzouri, ancien premier mi-nistre d’Hosni Moubarak, puis du Conseil suprême des forces ar-mées (CSFA) entre 2011 et 2012, aété chargé d’« établir une liste de personnalités respectées », avec l’aide de M. Yazal, d’Ossama Hei-kal, ministre de l’informationsous le CSFA, et de Mohammed Ibrahim, ministre de l’intérieur jusqu’en mars 2015. Un accord a été trouvé, mais les chefs de parti ont refusé que M. Ganzouri, en tant que conseiller du président,mène la coalition.

Sameh Seif Al-Yazal a repris leflambeau. « J’ai pris 62 % des noms apparaissant sur les listes précé-dentes, des gens biens, des experts,pour former une liste dans chaque circonscription. Parmi une tren-taine de partis, j’ai sélectionné les dix plus importants, les plus pro-

metteurs pour diriger la nation dans les prochaines années. Il y a 40 candidats issus des partis et 80 indépendants », explique-t-il. Côté parti, figurent des libéraux modérés comme le Wafd et les Egyptiens libres, des conserva-teurs ou des sociaux-démocrates. « C’est le cœur idéologique de ce ré-gime. Ce sont des partis réels, idéo-logiquement proches, réunis par l’opposition aux Frères musulmans [renversés par l’armée en juillet 2013, puis classés comme or-ganisation terroriste] et une vision partagée d’un libéralisme économi-que et politique graduel », analyse le politologue Clément Steuer.

Chez les indépendants, M. Yazaldit avoir choisi « des grandes fa-milles dont les membres sont au Parlement depuis des décennies et seront dans le prochain Parlement quoi qu’il arrive. Ils étaient avant ausein du Parti national démocrati-que [PND, parti de l’ex-président Hosni Moubarak, dissous en 2011] mais ce sont des gens biens. Ils n’ontpas volé. » Il y a aussi de grandes fi-gures du PND, comme Ossama Heikal ou Mohammed Al-Orabi, ex-ministre des affaires étrangè-res, d’anciens cadres de l’armée comme lui, et des hommes d’affai-res à l’instar de Wagih Abaza et de Sahar Talaat Moustafa.

La coalition « Pour l’amour del’Egypte » est donnée grande favo-rite d’une élection taillée sur me-sure pour des candidats combi-nant ancrage local et ressources fi-nancières. « On est partis pour ga-gner », assure M. Yazal. Seuls en licedans la circonscription du Delta

Certains prêtent

à M. Yazal

la volonté

de reconstituer

un nouveau parti

aux ordres

du régime

ALGÉRIEL’ambassadeurde France convoquéLe ministère algérien des af-faires étrangères a annoncé, dimanche 18 octobre, avoir convoqué l’ambassadeur de France à Alger pour protester contre le traitement « inac-ceptable » reçu samedi parle ministre algérien de la communication à l’aéroport d’Orly. Hamid Grine avait été fouillé en dépit de son passe-port diplomatique. – (AFP.)

SYRIELe chef du groupe Khorasan tuépar une frappe aérienneLe chef du groupe dit Khora-san a été tué lors d’une frappe aérienne de la coalition anti-djihadistes dirigée par les Etats-Unis dans le nord-ouest de la Syrie, a affirmé le Penta-gone le 18 octobre. Sanafi Al-Nasr, qui avait été désigné comme un « terroriste mon-dial » par Washington en 2014, est le cinquième haut respon-sable du groupe Khorasan tués au cours des quatre der-niers mois. – (AFP.)

NIGERIADeux femmes kamikazes tuent onze personnesDeux femmes kamikazes ont tué au moins onze personnes qui fuyaient leurs maisons après un attentat présumé du groupe islamiste Boko Haram dans le nord-est du Nigeria, ont annoncé le 18 octobre les auto-rités locales. Les femmes ont activé leurs explosifs alors que les habitants tentaient de se ca-cher après une attaque dans le village de Dar dans la nuit de samedi à dimanche. Depuisoctobre, 101 personnes ont été tuées au Nigeria. – (AFP.)

oriental, ils sont déjà assurés de rem-porter 15 sièges sur les 120. M. Yazal est lui pour la première fois candidatdans la circonscription du Grand Caire. Ceux qui n’ont pas été retenusdans la coalition et anticipent une défaite dénoncent un « jeu faussé ».

Candidats indépendants

Sameh Seif Al-Yazal a déjà com-mencé à contacter les candidats in-dividuels qui ont une chance d’être élus dans la future Assemblée. « Nous voulons former au sein du Parlement une coalition majoritaire, qui réunisse au moins 300 députés sur les 596 qui seront élus pour lescinq prochaines années. » Certains lui prêtent la volonté de reconstituerun nouveau PND aux ordres du ré-gime. Lorsque le président Sissi a suggéré une révision de la Constitu-tion pour limiter les pouvoirs du Parlement, M. Yazal a soutenu l’idée publiquement. « Je n’ai pas dit que je voulais donner plus de pouvoir au président. Je suis favorable à ce que l’on expérimente la Constitution pen-dant deux ans pour voir dans la prati-que quels sont les bons articles et les mauvais », propose-t-il.

« Pour l’amour de l’Egypte »pourrait ne pas survivre au scrutinface aux velléités d’émancipationdes partis, dont le Wafd et les Egyp-tiens libres. Les deux formationsrecrutent leurs propres candidatsindépendants pour pouvoir peserdans le futur Parlement. S’ils ve-naient à constituer un bloc solide,ils pourraient faire voler en éclatsl’unité réalisée derrière le régimeet sa coalition. p

hélène sallon

LE CONTEXTE

NOUVEAU PARLEMENTPlus de 54 millions d’Egyptiens sont appelés aux urnes pour élire 596 députés, la plus grande Assemblée dans l’histoire du pays et la première depuis la suspension du Parlement, en 2012. La mobilisation n’était pas au rendez-vous lors du pre-mier jour de la première phase de l’élection, dimanche 18 octo-bre. Cette phase, qui concerne 14 des 27 provinces égyptiennes, se poursuit lundi. La seconde phase du scrutin, qui verra voter 13 autres provinces, aura lieu à la fin du mois de novembre.Le prochain Parlement comptera 596 sièges, dont 120 élus selon un scrutin de listes destiné aux partis politiques et 448 réservés à des candidats individuels. Le président de la République a le droit de nommer 28 députés.

Page 6: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

6 | international MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

Raz-de-marée populiste au Parlement helvétique Les élections législatives ont consacré, dimanche, la victoire de l’Union démocratique du centre

genève - correspondance

Plus rien n’arrête l’Uniondémocratique du centre(UDC) dans sa conquêtedu pouvoir en Suisse. Le

premier parti de la Confédéra-tion helvétique a encore renforcéson assise au Parlement fédéral,dimanche 18 octobre, lors d’élec-tions législatives qui ont consa-cré la victoire de la droite. Au Conseil national (la Chambrebasse), la formation d’extrême droite a gagné onze sièges par rapport à 2011. Elle dispose désor-mais de 65 élus sur 200. Pour lesrésultats définitifs de l’autreChambre, le Conseil des Etats, ilfaudra attendre le second tour.

Avec 29,5 % des voix au Conseilnational, l’UDC ne progresse quede 1,4 point par rapport à 2011,mais remporte plusieurs victoi-res locales importantes. Dans lesGrisons, un canton situé dansl’est du pays, Magdalena Martul-lo-Blocher, fille de ChristophBlocher, ténor et stratège histori-que du parti, gagne à la surprisegénérale un deuxième siège pour l’UDC, tandis qu’à Fribourg,le parti devient le premier ducanton après l’élection de Pierre-André Page au détriment des socialistes.

Messages simples

Comment expliquer le succès del’UDC ? « La population soutientessentiellement nos positions surl’immigration », souligne son président, Toni Brunner. Sous leslogan « Rester libre, votez UDC »,le parti a mené une campagnesystématique à l’aide de messa-ges simples : contrôles accrusaux frontières, restriction de la politique de l’asile. Même si le pays n’est, loin s’en faut, pas pris d’assaut par les réfugiés – lenombre de demandeurs d’asile aaugmenté de moins de 20 % de-puis l’année dernière –, la ques-tion préoccupe la population hel-vétique plus que toutes les autres

thématiques, selon une enquêtede l’institut Sotomo. « Les Suissesont cru qu’ils étaient à la gare deMunich et ça a fait le jeu de l’UDC », se lamentait dimanchesoir Daniel Brélaz, maire (LesVerts) de Lausanne, en faisant al-lusion à l’afflux de réfugiés en Al-lemagne ces dernières semaines.Les autres formations populistesont ainsi également conservéleurs sièges au Conseil national :Mouvement citoyens genevois, àGenève, Ligue des Tessinois, dansle Tessin (Suisse italienne).

Mais l’UDC s’est aussi montrée,pendant la campagne, moinsagressive que les années précé-dentes, en déroulant un discours plus consensuel, et jouant mêmede l’autodérision, avec des clips montrant ses chefs de file costu-més en rockers. Cette stratégie lui a permis de conquérir un nouvelélectorat, plus jeune. L’historien Philippe Bender, sur le plateau de la première chaîne de la Radio té-lévision suisse, estime que l’UDCa réussi à créer un mouvement de« suissisation de la politique, même dans les zones alpines plus reculées », et à s’imposer comme un parti « hégémonique ». Selon lui, « les confessions s’effacent, ainsi que le magistère intellectuel de la gauche ».

Le Parti libéral-radical (PLR) estle seul à tirer son épingle du jeu électoral, en remportant troissièges au Conseil national. Au to-tal, le bloc de droite progresse demanière notable puisque, selonles estimations, il obtiendrait 101

Dans ce contexte, les formationsconcurrentes n’ont rien pu faire. Les deux partis écologistes dupays, les Verts et les Vert’libéraux, ont essuyé les plus lourds reculs, en perdant respectivement cinqet six sièges au Conseil national.

Le président du Parti socialistesuisse (46 sièges), Christian Le-vrat, estime toutefois, s’appuyant sur le précédent de 2007, que la si-tuation ne devrait pas conduire à un blocage. « A l’époque, ce n’était pas une législature impossible, ex-plique-t-il. Mais c’est sûr qu’au Par-lement, l’équilibre sera modifié. » Les affrontements pourraient

être plus marqués qu’avant : avec l’affaiblissement des partis du centre, le nouveau Parlement voitles deux blocs (gauche et droite) se faire face de manière plus abrupte. La polarisation rend les alliances plus délicates.

Un deuxième ministre

La question qui se pose d’ores et déjà est celle du renouvellement du Conseil fédéral, le pouvoirexécutif helvétique, qui doit êtreélu par le Parlement le 9 décem-bre. Etant donné son score triom-phal, l’UDC a déjà indiqué qu’ellesouhaitait récupérer un

deuxième ministre sur les septque compte ce gouvernementcomposé des différentes tendan-ces politiques du pays. C’était d’ailleurs le cas jusqu’à l’évictionde Christoph Blocher en 2007,dont les positions radicalesavaient brisé l’entente cordiale qui règne normalement au Con-seil fédéral. Eveline Widmer-Schlumpf, membre de l’UDC,avait été alors élue à sa place, puisfinalement exclue de sa forma-tion. C’est elle que l’UDC veut aujourd’hui écarter pour placerun de ses membres. p

marie maurisse

Toni Brunner, président de l’Union démocratique du centre, le 18 octobre, à Berne. RUBEN SPRICH/REUTERS

sièges sur 200, soit la majoritéabsolue. La politique helvétiquedevrait s’orienter dans un sensplus conservateur, à conditionque les différents partis de droites’entendent. Car le président duPLR, Philipp Müller, précise déjàque son parti « n’a pas les mêmesidées que l’UDC » sur certainsthèmes. La mise en pratique du référendum contre l’immigra-tion de masse, organisé en fé-vrier 2014, divise notamment lesdeux formations politiques. Cette question a aussi largementcontribué à détériorer les rela-tions avec l’Union européenne.

L’HISTOIRE DU JOURA Taïwan, la manœuvre électorale désespérée du Kouomintang

shanghaï - correspondance

D ans une tentative tardive de sauve-tage de campagne, le Kouomintang(KMT) a changé de candidat à l’élec-

tion présidentielle taïwanaise, samedi 17 octo-bre, à seulement trois mois du scrutin. Le partinationaliste au pouvoir a remplacé Hung Hsiu-chu, que les sondages donnaient large-ment perdante derrière Tsai Ing-wen, la pré-tendante du Parti progressiste démocratique,par le maire de Taipei et chef du KMT, Eric Chu.

Si la presse a d’abord salué la présence dedeux femmes en tête de la course pour le scrutin présidentiel – et législatif – du 16 jan-vier 2016, la cote de popularité de Hung Hsiu-chu n’a cessé de décliner, au point que les re-présentants du KMT se tenaient autant quepossible à l’écart lorsque sa campagne arrivaitdans leur circonscription. Le sociologue Ho Ming-sho, de l’Université nationale de Taïwan, la compare à l’égérie américaine du Tea Party, Sarah Palin, et explique que si leshauts responsables du Parti l’ont dans un pre-mier temps laissée en première ligne, c’est précisément pour éviter d’assumer person-nellement la défaite annoncée.

« Statu quo »

Le rapprochement économique avec Pékin,mené sous la présidence de Ma Ying-jeou,pèse déjà sur le KMT. Au cours de son premiermandat, sa politique d’apaisement et de dia-logue avec la Chine continentale fut d’abordsynonyme de dynamisme économique, mais une partie croissante de l’opinion s’inquiète depuis de perdre le contrôle de sa destinée, dufait des investissements massifs chinois sur l’île. C’était ainsi pour protester contre l’adop-tion d’un accord de libre-échange dans les ser-vices que des étudiants pénétrèrent en

mars 2014 dans le Yuan législatif (Parlement)pour y mener trois semaines durant un sit-in,baptisé « mouvement des tournesols ».

Or Mme Hung, vice-présidente du Parle-ment, milite pour encore davantage d’échan-ges avec Pékin, soutenant même le dévelop-pement de la collaboration militaire avec l’ar-mée chinoise. Elle s’est au contraire montréepeu encline à entretenir les relations avecWashington, jugeant que Taïwan devrait cesser d’acheter son armementauprès des Etats-Unis.

Après avoir refusé l’inves-titure du parti pour l’élec-tion, en arguant de sa vo-lonté d’exercer pleinement son mandat de maire de la capitale, Eric Chu s’est ré-solu à l’accepter pour ten-ter d’éviter une déroute qui, en plus de la présidence, conduirait le KMT à perdre pour la première fois la majoritéparlementaire. Pour lancer sa campagne, lecandidat s’en est pris à Tsai Ing-wen, qu’unsondage publié le 15 octobre donnait à 46,8 % d’intentions de vote, loin devant Hung Hsiu-chu, à 15,6 % deux jours avant son retrait.

Puisque Mme Tsai est plus réservée par rap-port à la Chine et souhaite réduire la dépen-dance vis-à-vis du continent, l’angle d’attaqueconsiste à souligner le risque de crise avec laChine que nourrirait sa victoire, même si la fa-vorite a en réalité déjà précisé qu’il n’est pas question de déclarer l’indépendance et s’estengagée à maintenir le « statu quo ». Eric Chu lui demande de préciser sa définition de ce terme, agitant le spectre d’une « mise en périlde la paix entre les rives du détroit » si sa rivale venait à l’emporter. p

harold thibault

LE PARTI NATIONALISTE A CHANGÉ DE CANDIDAT À TROIS MOIS DU SCRUTIN

En Guinée, la réélection « par K.-O. » d’Alpha Condé suscite des doutesL’opposition conteste le résultat tout en jouant l’apaisement

L’ opposition guinéenneétait sous le choc, diman-che 18 octobre, au lende-

main de l’annonce de la victoireau premier tour du président sor-tant, Alpha Condé (77 ans). Unevictoire « par K.-O. », comme il l’avait promis. Selon les chiffrespubliés samedi par la commis-sion électorale, Alpha Condé a eneffet recueilli 57,85 % des suffra-ges exprimés, loin devant le chefde l’opposition, Cellou Dalein Diallo (31,44 %). Les six autrescandidats se partagent les miet-tes. Dans ce pays marqué par lesexplosions de violence, l’an-nonce du résultat a été accueilliedans le calme, les deux campsjouant l’apaisement. La marge demanœuvre du principal oppo-sant au président Condé est ré-duite depuis qu’il a déclaré ne pasvouloir saisir la Cour constitu-tionnelle, institution dont il con-teste l’indépendance. « J’appelle-rai le moment venu les autres can-didats et tous les citoyens qui sontles vraies victimes de ce hold-upélectoral à organiser, conformé-ment à la loi, des manifestations pacifiques. En attendant, je de-mande à tous les Guinéens de faire preuve de retenue et d’évitertoute forme de violence », a-t-ildéclaré à l’issue de l’annonce desrésultats.

« Cellou est sonné, confiait unmembre de l’entourage de l’op-

posant, mais il est coincé. Cetteélection a été une mascarade,mais s’il appelle à descendre dansla rue, il craint la réaction des for-ces de sécurité. » Préventivement,le gouverneur de Conakry a ex-horté la population « à la retenue,à éviter toute manifestation dejoie dans la rue ». Un appel reprispar le parti au pouvoir et la com-munauté internationale. Le por-te-parole d’Alpha Condé, AlbertDamantang Camara, a déplorél’attitude de l’opposition, jugeant« incompréhensible que, de but enblanc, sans avoir même essayé unquelconque recours que ce soit, ondéclare vouloir manifester dans larue pour revendiquer ses droits ».« Il y a une Cour constitutionnelle,celle-là même qui vient d’être miseen place, qui n’a pratiquementjamais fonctionné. Pourquoi dou-ter a priori de sa compétence oude son impartialité ? », s’est-ildemandé.

Données partielles

L’opposition fonde ses doutessur les résultats des précédentsscrutins. En 2010, Alpha Condé n’avait recueilli que 17 % au pre-mier tour d’une présidentielle chaotique – les deux toursavaient eu lieu à trois mois d’in-tervalle – remportée finalementde justesse. Trois ans plus tard,son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée, avait aussi

perdu les législatives. « Il est diffi-cile d’admettre que sa victoire soittotalement sincère et transpa-rente », confie un observateur étranger.

Dans son rapport préliminaire,la mission d’observation électo-rale de l’Union européenne a éga-lement émis des doutes. « L’aug-mentation du nombre d’électeursinscrits, + 15,9 % depuis 2013, sus-cite des interrogations, comparéeà l’accroissement démographiquedu pays durant la même période,a priori + 5,3 %. Ensuite, le carac-tère partiel des données commu-niquées par la Commission électo-rale nationale indépendante nepermet pas à la mission d’obser-vation de se prononcer sur le de-gré d’inclusivité de la liste électo-rale, ni sur la permanence ou la di-mension d’éléments erronés »,peut-on lire dans le rapport.

L’opposition s’étonne égale-ment de la participation recordenregistrée dans les bastions duRassemblement du peuple de Guinée (20 points de plus que lamoyenne nationale, à 68,36 %,dans sa région d’origine), favori-sée selon elle par des décisions dela Commission électorale assou-plissant les règles de vote encours de scrutin, ainsi que desinégalités géographiques dans ladistribution des cartes d’élec-teur. p

christophe châtelot

L’extrême droite

a plaidé pour des

contrôles accrus

aux frontières

et la restriction

de la politique

de l’asile

Page 7: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 international | 7

Le « quartet » tunisien veut faire fructifier son NobelLes lauréats du prix Nobel de la paix demandent aux Européens leur soutien pour relancer l’économie du pays

tunis - envoyée spéciale

Les dalles fracassées del’entrée du bâtiment ontété réparées, les traînéesde sang, encore visibles

plusieurs jours après le drame, ont maintenant disparu. Seuleune plaque in memoriam rappelleles noms des 22 victimes de l’at-tentat. Puis il faut traverser lesvastes salles accueillant les mo-numentales mosaïques romaineset monter au premier étage pourdécouvrir les impacts de balles dans les murs et certaines vitri-nes. Une incongruité dans ce ha-vre de paix et d’art.

Le Musée national du Bardo, àTunis – où deux djihadistes tuni-siens tuèrent 22 personnes dont 21touristes le 18 mars – a reçu la vi-site, samedi 17 octobre, des res-ponsables du « Quartet » tunisien,lauréat du prix Nobel de la paix

2015, invités de l’émission « Inter-nationales » réalisée en partena-riat avec TV5 Monde, RFI et Le Monde. Pendant près d’une heure,les représentants des quatre orga-nisations – le syndicat UGTT, la fé-dération patronale Utica, l’Ordre national des avocats et la Ligue tu-nisienne des droits de l’homme – ont souligné l’importance de cetterécompense, mais aussi l’ampleurde la tâche à venir. De leur propre aveu, aucun ne s’attendait en cettematinée du 9 octobre à l’annonce du comité norvégien. « Un événe-ment historique, a souligné maîtreMonia Al-Abed, de l’ordre des avo-cats, la grande surprise qui a cou-ronné cinq années de labeur et de lutte pour le peuple tunisien. »

Le jury a récompensé la sociétécivile tunisienne qui, en 2013, mena un dialogue national entre une vingtaine de partis politiques.Le pays menaçait alors de basculerdans l’instabilité après deux as-sassinats politiques et la contesta-

tion croissante contre le parti isla-miste Ennahda, à l’époque à la têtedu gouvernement. Des mois de discussions, souvent laborieuses, aboutirent à une feuille de route : départ d’Ennahda, désignation d’un gouvernement de technocra-tes, adoption d’une nouvelleConstitution et tenue d’élections.

« Clairevoyance » et « vigilance »

Une réussite qui doit beaucoup à une spécificité de la Tunisie dansle monde arabe, à savoir l’exis-tence d’une société civile forte, ontsouligné les lauréats. « C’est une so-ciété civile bien ancrée qui a résisté tout au long du règne de Ben Ali », arappelé Mokhtar Trifi, président d’honneur de la Ligue des droitsde l’homme. Aujourd’hui, « il est important de saisir cette opportu-nité [du prix Nobel de la paix] pourreconstruire l’image de la Tunisie, ade son côté prévenu Hichem El-loumi, vice-président de l’Utica, ilfaut montrer que nous passons à la

deuxième étape : après avoir réussi notre transition politique, il faut réussir notre transition économi-que et sociale ». Aucun ne songe à cacher l’ampleur des défis. Un chômage très élevé (plus de 200 000 diplômés sans emploi) etune croissance proche de zéro, ontrappelé M. Elloumi et Mouldi Jen-doubi, secrétaire général adjoint du puissant syndicat UGTT. S’y ajoutent une corruption endémi-que et une économie informelle estimée à 50 % du PIB. Les atten-tats, au Bardo en mars puis à Sousse en juin, sont venus aggra-ver la situation en s’attaquant au secteur-clé du tourisme.

« Il ne faut pas oublier le proces-sus qui a amené au 14 janvier [2011,chute de Ben Ali] », a souligné maî-tre Al-Abed, rappelant cette « jeu-nesse malmenée ». « Cela oblige à avoir une vision claire sur l’avenir »,prévient-elle, appelant la société à la « clairvoyance » et à la « vigi-lance » au moment où le pays est

face à des choix difficiles. L’adop-tion récente de lois sécuritaires, jugées liberticides par les ONG, a ainsi renforcé les craintes de voir revenir les pratiques autoritaires de l’ancien régime. Interrogés surle projet de loi dite de réconcilia-tion économique – qui prévoit l’amnistie pour les responsablesde corruption sous Ben Ali en échange du paiement d’une amende –, les lauréats ont avancé

des réponses très différentes, à l’image des débats parfois durs quitraversent la société tunisienne post-révolutionnaire. Si M. El-loumi y voit une opportunité pour le pays d’avancer, Mokhtar Trifi estime qu’il faut renoncer à ce qui serait perçu, selon lui, comme un signal d’impunité.

Tous ont appelé à un soutien ac-cru des pays européens. « Pour que la démocratie tunisienne, quivient d’être primée, perdure, il faut que nous soyons aidés », souligne M. Trifi, qui rappelle que « les jeu-nes commencent à désespérer de ladémocratie, car ils n’en voient pasles dividendes ». Selon l’ONU, 5 500Tunisiens seraient partis faire le djihad en Syrie, en Irak et en Libye.

Au-delà du symbole, à quoi ceprix Nobel peut-il servir ? « Cela nous a donné un nouveau souffle, répond maître Al-Abed. Une bouf-fée d’espoir pour poursuivre la construction de la Tunisie. » p

charlotte bozonnet

« Les jeunes

commencent à

désespérer de la

démocratie, car

ils n’en voient pas

les dividendes »

MOKHTAR TRIFI

président d’honneur de laLigue des droits de l’homme

Israël rejette l’idée française d’une mission de l’ONU à Jérusalem-EstParis suggère d’envoyer des observateurs des Nations unies sur l’esplanade des Mosquées

jérusalem - correspondant

P aris « récompense le terro-risme palestinien ». C’estavec un agacement prévisi-

ble qu’Israël a réagi à l’initiative di-plomatique française visant à dé-ployer des observateurs interna-tionaux sur l’esplanade des Mos-quées (mont du Temple pour les juifs), à Jérusalem-Est. Paris a pro-posé un projet de déclaration en cesens au Conseil de sécurité de l’ONU, qui devrait l’examiner le 22 octobre, afin d’épauler le Waqf, l’organisme religieux jordanien gérant le lieu. L’ambassadeur deFrance à Tel-Aviv, Patrick Maison-nave, a été convoqué au ministère des affaires étrangères, lundi 19 octobre, pour s’expliquer.

Dimanche, Benyamin Nétanya-hou s’est exprimé sur l’initiative de Paris en prélude au conseil des ministres : « Israël rejette la propo-sition française au Conseil de sécu-rité, car elle n’inclut aucun rappel del’incitation à la violence et au terro-risme de la part des Palestiniens, et elle appelle à l’internationalisation du mont du Temple. » Les officiels israéliens soulignent que ce sont les Palestiniens qui s’en prennent aux sites religieux, comme le dé-montre l’incendie volontaire au Tombeau de Joseph, près de Na-plouse, le 16 octobre. Le porte-pa-role du ministère des affaires étrangères, Emmanuel Nahshon, abonde. « Les Palestiniens veulent chasser Israël hors des lieux saints. C’est une démarche religieuse et na-tionale. Il s’agit une nouvelle fois de remplacer des négociations bilaté-rales par une initiative unilatérale. C’est fort dommage que la France soit tombée dans le piège. »

Paris est la seule capitale occiden-tale à tenter de faire bouger les li-gnes sur le dossier israélo-palesti-nien, relégué au second rang des préoccupations. Mais son initia-tive précédente, l’idée d’une réso-lution au Conseil de sécurité de l’ONU définissant un calendrier contraignant pour de nouvelles négociations, avait déjà été ac-cueillie de façon glaciale par l’Etat juif. Les Etats-Unis avaient expriméleur opposition en coulisses, en rai-son de la priorité accordée au dos-sier du nucléaire iranien.

La simple déclaration que pro-pose la France, assez improvisée

et sans garantie de soutien améri-cain, n’aurait pas de valeur juridi-que contraignante. Mais elle té-moignerait d’une volonté : ne paslaisser la situation s’envenimer davantage.

Depuis le 1er octobre, 41 Palesti-niens (dont plusieurs auteurs d’at-taques au couteau) et sept Israé-liens ont été tués. Dimanche soir, dans la ville de Beer Sheva (sud), un Palestinien a attaqué une sta-tion de bus, tuant un soldat et fai-sant huit blessés. Autre victime, qui a succombé à ses blessures : unréfugié érythréen pris pour un ter-roriste, visé par des gardes de sé-curité puis piétiné par des pas-sants, comme le montre une vi-déo amateur.

« Liberté de culte »

John Kerry doit rencontrer mer-credi M. Nétanyahou à Berlin, puis sans doute Mahmoud Abbas en Jordanie. L’actuel pic de violences a été précédé par des semaines d’affrontements sur l’esplanade des Mosquées entre les forces is-raéliennes et des émeutiers pales-tiniens retranchés dans la mos-quée Al-Aqsa. Les Palestiniens ac-cusent Israël de remettre en ques-tion le statu quo en vertu duquel seuls les musulmans peuvent y prier. Les autres, touristes et juifs, doivent observer des horaires et des jours précis pour visiter l’espla-nade. Selon le gouvernement, 12 000 juifs s’y sont rendus en 2014. Ces groupes, surtout com-posés de nationalistes et d’ultrare-ligieux, parfois accompagnés de députés ou même de ministres, re-vendiquent la « liberté de culte » pour tous. Ce qui impliquerait bienune remise en cause du statu quo.

Or la mosquée Al-Aqsa est, pourles Palestiniens, plus qu’un simple lieu de culte : c’est une référence cardinale de l’identité palesti-nienne. Elle a motivé de nom-breux agresseurs au couteau ces dernières semaines. La visite d’Ariel Sharon, alors à la tête du Likoud, en septembre 2000, avait déclenché la deuxième Intifada. Conscient du caractère explosif de ce lieu, le premier ministre israé-lien a judicieusement demandé, la semaine dernière, à ses ministres et aux députés de ne plus s’y ren-dre, pour le moment. p

piotr smolar

Page 8: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

8 | planète MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

La Californie se prépare au potentiel dévastateur d’El NiñoAprès quatre ans de sécheresse historique, des pluies diluviennes et des torrents de boue sont redoutés dans cet Etat devenu très vulnérable

san francisco - correspondante

A près la sécheresse, lesinondations ? A l’appro-che de la saison hiver-

nale, la peur d’El Niño s’est empa-rée de la Californie. Selon les ex-perts, la température de l’océanPacifique est à son plus haut ni-veau depuis une vingtaine d’an-nées, ce qui laisse craindre despluies de très forte intensité. En 1997-1998, un précédent « ElNiño », du nom de ce phénomène climatique lié au réchauffement de l’océan le long de l’Equateur, avait provoqué des tempêtes et des éboulements dramatiques qui avaient fait dix-sept morts.

Les Californiens ont eu unavant-goût de ce qui les menace, les 15 et 16 octobre, lorsque des pluies diluviennes se sont abat-tues dans une zone semi-déserti-

que située au nord-est de Los An-geles. A Palmdale, dans l’Antelope Valley, le record de précipitationsde 1935 a été battu, selon le Natio-nal Weather Service : 4,6 cm d’eau en une demi-heure. Des ruisseauxde boue se sont déversés sur les routes, dont l’autoroute I 5, un axe

nord-sud majeur, précipitant les voitures les unes sur les autres. A l’est de Tehachapi, 200 véhiculesont été immobilisés par plusieurs mètres de terre et de débris, dont des camions de transport de bé-tail et deux autocars de touristes.

D’après les experts, ce déluge

n’est pas lié à El Niño, phénomène hivernal attendu en Californie dans les prochains mois, selon les estimations du Centre américain de prévision du climat. Mais il enpréfigure les effets. Après quatre années de sécheresse et des incen-dies de forêt importants, la Cali-fornie se sent particulièrement vulnérable.

Serpent de mer venimeux

« Les grandes sécheresses finissent généralement en grandes inonda-tions », a assuré le climatologue dela NASA Bill Patzert au Los Angeles Times. Après les éboulements de l’Antelope Valley, les deux sénatri-ces de l’Etat, les démocratesDianne Feinstein et Barbara Boxer,ont écrit aux autorités fédérales pour réclamer des mesures de pré-caution, compte tenu de « la pro-babilité qu’un El Niño fort apporte

de fortes pluies sur la Californie. Le risque d’inondations est dangereu-sement élevé. Nous constatons déjàque le potentiel existe pour un dé-sastre ».

Depuis des semaines, la Califor-nie débat de l’ampleur que pour-rait avoir El Niño cette année. Pru-dents, certains experts rappellent les prédictions erronées de 2014 sur une pluviosité importante. D’autres sont soupçonnés de mini-miser l’impact potentiel du phéno-mène pour éviter tout ce qui pour-rait conduire la population à relâ-cher ses efforts de conservation d’eau. Les responsables de l’Etat soulignent en tout état de cause que les pluies ne régleront pas la question de la sécheresse. El Niño devrait permettre de remplir une partie des réservoirs, mais pas de compenser le pompage intensif de la nappe phréatique par les agricul-

teurs. En Californie du Sud, où il estextrêmement redouté, l’eau risqued’être très vite évacuée vers l’océan.

Quoi qu’il en soit, les autorités del’Etat ont commencé à prendre les devants. Des dizaines de milliers deretenues ont été dégagées pour li-miter éboulements et glissements de terrain. Des subventions sont offertes aux habitants qui érigent des protections contre les inonda-tions. A San Francisco, la municipa-lité a alerté les opérateurs des chan-tiers de construction, nombreux dans la ville, contre le potentiel dé-vastateur d’El Niño. Premier signe de l’arrivée du phénomène ? Un serpent de mer venimeux (Pelamisplaturus), habitué des mers chau-des, a été découvert sur la plage de Ventura, près de Santa Barbara, unepremière depuis le passage d’El Niño de 1982-1983. p

corine lesnes

Climat : ultimes tractations avant ParisIl ne reste que cinq jours aux négociateurs pour trouver un accord contraignant acceptable par 195 Etats

reykjavik et bonn (allemagne) -

envoyé spécial

François Hollande médi-tant, seul, au pied du gla-cier Solheimajökull, me-

nacé de disparition ; François Hol-lande, un pain de glace entre les mains, preuve ruisselante du ré-chauffement à l’œuvre ; François Hollande à la tribune d’Arctic Cir-cle, un cycle de conférences ras-semblant 40 pays autour du GrandNord circumpolaire. Vendredi 16 octobre, en déplacement officielen Islande, le président français a enchaîné les photos et soigné son image de grand témoin du dérègle-ment climatique. Il était accompa-gné pour cette visite express de la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, de son envoyé spécial pour la protection de la planète, Nicolas Hulot, et du climatologue Hervé LeTreut. A six semaines de la confé-rence de Paris (COP21, du 30 no-vembre au 11 décembre), le prési-dent a promis à son homologue is-landais, Olafur Ragnar Grimsson : « Nous allons tout faire pour que nous puissions trouver à Paris un accord ambitieux sur le climat. »

Le temps est désormais compté :il ne reste plus que cinq jours aux Etats pour trouver un texte d’ac-cord universel permettant de con-tenir le réchauffement planétaire sous la barre des 2 °C et éviter les impacts dramatiques pour la pla-nète. Les négociateurs devaient seretrouver, lundi 19 octobre, à Bonn, en Allemagne, pour une ul-time session de la Convention-ca-dre des Nations unies sur leschangements climatiques (CC-NUCC). Plus question cette fois de photo-symbole, les discussions vont être serrées entre les 195 Etats membres de la CCNUCC.

« Notre idée, c’est que le maxi-mum de questions puissent être traitées avant même le début de la COP », a rappelé depuis Paris le mi-nistre des affaires étrangères, Lau-rent Fabius, attendu mardi à Bonn.

Les pays disposent depuis débutoctobre d’un brouillon d’accord,ramené de 80 à 20 pages sous la plume des coprésidents des dé-bats. Un travail de synthèse néces-saire mais risqué face aux requê-tes divergentes entre pays indus-trialisés, puissances émergenteset pays en voie de développe-ment. Cinq questions clés de-vraient orienter les débats.Contributions nationales Au19 octobre, 149 pays, représentant près de 90 % des émissions mon-diales de gaz à effet de serre, ont publié leur « contribution natio-nale », leurs objectifs de réduction de leurs émissions à l’horizon 2030. Les efforts présentés sont encore insuffisants : si ces engage-

ments étaient intégralement mis en œuvre, ils mettraient la planètesur une hausse des températures d’environ 3 °C. Par ailleurs, plu-sieurs pays manquent toujours à l’appel, notamment de gros pro-ducteurs de pétrole : l’Arabie saou-dite, l’Iran, Oman, le Qatar, le Koweït, le Nigeria et le Venezuela. Le texte des coprésidents prévoit la mise en place d’un registre des contributions et d’un mécanismede révision tous les cinq ans, mais ne précise pas si ces engagements seront relevés dans le temps. Il ne donne pas d’indication non plus sur les étapes intermédiaires.Financement Nord-Sud En 2009à Copenhague, les pays riches s’étaient engagés à mobiliser

100 milliards de dollars (88 mil-liards d’euros) par an d’ici à 2020pour aider les pays en voie de dé-veloppement à faire face au dérè-glement climatique. Depuis, ce su-jet est devenu le mètre étalon de lasincérité des pays du Nord. Dans lerapport rendu public le 7 octobre àLima, l’Organisation de coopéra-tion et de développement écono-miques (OCDE) évalue à 61,8 mil-liards de dollars la somme des fi-nancements climat Nord-Sud en-gagés en 2014. Les banques de développement ont promis de faire un effort supplémentaire de15 milliards de dollars par an, aux-quels s’ajoutent les 10 milliards al-loués au Fonds vert (entre 2015 et 2018), les contributions publiques

annoncées par l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France ainsi qu’une plus grande implication du secteur privé. « Les pays réci-piendaires vont-ils valider la mé-thodologie, et donc le chiffre de l’OCDE ? C’est l’un des grands en-jeux des négociations de Bonn », analyse Pascal Canfin, ancien mi-nistre du développement, aujourd’hui conseiller climat pourle cercle de réflexion World Re-sources Institute.Stratégies d’adaptation C’estune autre ligne de front aux im-plications financières détermi-nantes. La lutte contre le réchauf-fement requiert à la fois des me-sures d’atténuation, pour limiterles émissions de gaz à effet de

serre, et des stratégies d’adapta-tion, lorsque le dérèglement cli-matique a déjà produit ses effets. Or les investissements se portent très majoritairement vers l’atté-nuation, où les opérations sont faciles à monter, au détriment de l’adaptation, clé de voûte de l’ac-tion climatique pour les pays vul-nérables d’Afrique ou d’Asie. Lerapport de l’OCDE estime à 16 % lapart d’adaptation des finance-ments climat Nord-Sud. « S’il doit y avoir un seul indicateur financierdans l’accord de Paris, il doit être sur l’adaptation, avance Pascal Canfin. La COP21 est aussi un enjeude solidarité internationale. »Objectifs de long terme Autre en-jeu des négociations : fixer un cap pour la planète. Pour les scientifi-ques, le défi est clair. Il faut parve-nir à zéro émission nette de car-bone d’ici à la fin du siècle. Pour leschefs d’Etat et de gouvernement, l’affaire est plus complexe. Si cer-tains pays envisagent une transi-tion radicale jusqu’à atteindre 100 % d’énergies renouvelables, la Russie, le Canada ou la Turquie ne comptent pas renoncer à leurs énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). La décarbonation de leur économie n’est pas à l’ordre du jour, même à long terme.Forme juridique de l’accord Se-lon les textes de la CCNUCC, l’ac-cord de Paris pourrait prendre la forme d’« un protocole, un autre instrument juridique ou un accord avec force de loi sous la Conven-tion ». Mais le précédent de Kyoto, protocole signé mais non ratifié par les Etats-Unis, réduit le champ des possibles, notamment pour l’administration américaine, quidoit faire face à un Congrès hostilesur les questions climatiques. En cas de non-respect des engage-ments, il est illusoire d’envisager des sanctions. Un mécanisme de transparence et d’évaluation des bonnes pratiques semble en re-vanche possible. p

simon roger

Washington freine le forage en Arctique

Les Etats-Unis n’accorderont plus de nouveaux droits d’explora-tion pétrolière dans l’Arctique américain, au large de l’Alaska, jus-qu’en 2017. « Etant donné l’annonce de Shell, la surface déjà louée et les conditions de marché actuelles, il n’est pas logique de prépa-rer de nouvelles ventes de concessions dans l’Arctique », a déclaré la secrétaire à l’intérieur, Sally Jewell, vendredi 16 octobre. Le géant pétrolier Shell avait annoncé fin septembre son retrait d’Alaska après avoir foré sans succès à plus de 2 000 mètres sous la mer des Tchouktches. L’administration américaine a en même temps rejeté les demandes de Shell et de Statoil, qui réclamaient une extension de dix ans de leurs concessions expirant en 2017 dans la mer de Beaufort et en 2020 dans celle des Tchouktches. – (AFP.)

François Hollande devant le glacier islandais Solheima-jökull, le 16 octobre. THIBAULT

CAMUS/REUTERS

19:20 le téléphone sonne

18:15 un jour dans le monde

nicolas demorand

15 un jour dans le mond

le 18/20venantde choc

avec les chroniquesd’Arnaud Leparmentier

et d’Alain Frachondans un jour dans le monde

de 18:15 à 19:00

Page 9: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 france | 9

Le PS veut imposer l’unité à gaucheVoyant dans leur référendum un succès, les socialistes lancent le débat de l’entre-deux-tours des régionales

Ces derniers temps, Jean-Christophe Cambadélisa le socialisme satisfait.En annonçant, diman-

che 18 octobre, les résultats de son référendum – 250 000 votants et 90 % de « oui » à l’unité de la gau-che et des écologistes aux élec-tions régionales de décembre –, le premier secrétaire du PS avait la mine de celui qui a réussi un coup politique. « C’est un succès, ce n’est pas le flop, c’est le top », lançait-il, l’air guilleret, à l’assemblée des journalistes.

Exit les soupçons de fraude quipèsent sur un scrutin pas du tout sécurisé et jettent un doute sur le chiffre de participation annoncé. Emmanuelle Cosse, la patronne d’Europe Ecologie-Les Verts, a eu lasurprise par exemple de recevoir un mail de confirmation après quequelqu’un a voté en son nom. « C’est scandaleux de chercher à perturber un scrutin unitaire », a réagi M. Cambadélis, annonçant des dépôts de plainte.

Exit également les premières es-timations, quand le responsable des élections du PS, Christophe Borgel, espérait 500 000 votants. Le patron des socialistes avait revu les ambitions de ses troupes à la baisse à 300 000 personnes, pour descendre finalement à 200 000, afin d’être sûr de pouvoir se réjouirdu résultat.

Aux oubliettes enfin le déferle-ment de commentaires désagréa-bles qui ont accompagné le scrutintout le week-end. Emmanuelle Cosse, à défaut donc de voter, a qualifié de « peu heureuse » l’initia-tive. Dans son camp, M. Cambadé-lis a peiné à convaincre l’ensemble de ses troupes, certaines fédéra-tions refusant de jouer le jeu. A la gauche du PS, le député Christian Paul s’est dit « atterré » par la manœuvre : « C’est un non-événe-ment. Demain, il faut se remettre aux choses sérieuses. On a détournéles énergies militantes de la campa-gne pour rien, car ce référendum n’aaucun effet sur la réalité. »

Et pour cause, la gauche ne sortpas plus unie de ce week-end de vote. Au contraire même, l’initia-tive a énervé les partenaires quidénoncent une tentative de coup de force du PS. Le contre-référen-dum, organisé par Julien Bayou, le porte-parole d’EELV, scrutin dont la sincérité n’est pas davantage ga-rantie, aurait réuni 10 000 votants pour demander au gouvernement de faire une politique de gauche, brouillant encore un peu plus le message. Les lignes électorales n’ont pas non plus bougé. Comme à chaque élection régionale, socia-listes, écologistes et communistes partiront divisés au premier tour et discuteront fusion de listes dansla perspective du second.

Dès lors, derrière le discours uni-taire, la bonne humeur du patron du PS en dit long sur les objectifs réels de ce référendum. Tout d’abord, le Parti socialiste a fait

parler de lui. En mal dans la plu-part des cas, mais mieux vaut une mauvaise publicité que pas de pu-blicité du tout, se dit en somme la direction socialiste. « Je suis à 200 % satisfait, on a été au centre du jeu et de toute façon la presse ne dit jamais de bien du PS », expli-quait M. Cambadélis, quelques jours avant le scrutin.

« Alliance populaire »

Deuxièmement, la direction du PS, rue de Solférino, voyait dans cette initiative l’occasion de re-constituer une base de données. Tous les votants qui ont laissé leur adresse mail et ont accepté de rece-voir des informations se verront adresser une lettre mensuelle « aux compagnons de l’unité ». Le patron du PS est persuadé qu’il existe un socle d’électeurs proches du PS qui tournerait autour de 800 000 personnes et serait le cœur de cible de son « alliance po-pulaire » en 2016. Et peu importe que le nombre de militants se soit effondré au dernier congrès ou que le divorce entre le PS et ses sympathisants soit patent.

Enfin, le but ultime de ce référen-dum était de prendre le leadership

sur la question du rassemblement de la gauche. Jean-Christophe Cambadélis a adressé dimanche soir une lettre aux têtes de liste écologistes et communistes, les amenant à reconsidérer leurs posi-tions en vue du premier tour des élections régionales. Mais c’est bien l’entre-deux tours qui est au cœur de toutes les attentions.

A Solférino, on considère que lespartenaires se retrouvent acculés àmoins de deux mois du scrutin. « La réalité, c’est que les écologistespensaient pouvoir inverser les cour-bes en nous passant devant dans certaines régions, et ils se rendent compte que ce ne sera pas le cas », explique un dirigeant du parti. Le référendum visait à sanctuariser la

règle implicite : les listes de gauchese rangent derrière la mieux pla-cée après le premier tour.

Le PS veut absolument être enmesure de pouvoir calculer le score, au soir du premier tour, en additionnant les totaux de gauche.Si Jean-Christophe Cambadélis s’acharne depuis plusieurs mois à théoriser le tripartisme de la vie politique et à dénoncer la constitu-tion d’un « bloc réactionnaire », c’est pour mieux souligner en re-tour l’existence d’un « bloc de gau-che », qui a pourtant disparu dans les faits, après trois années de pré-sidence Hollande.

Car dans la plupart des régions, lePS sera troisième derrière la droite et l’extrême droite et aura besoin des voix du reste de la gauche pourjustifier son maintien, comme il l’avait fait aux départementales enmars. Les socialistes veulent éviter à tout prix d’avoir le choix au soir du premier tour entre se mainte-nir et voir le FN emporter une ré-gion ou se désister et disparaître politiquement de l’échelon régio-nal pendant six années. Le front républicain était une exigence mo-rale. Il est devenu un dilemme. p

nicolas chapuis

Un point de vote pour le référendum organisé par le PS, marché Maubert, dans le 5e arrondissement de Paris, samedi 17 octobre. VINCENT JAROUSSEAU/HANSLUCAS POUR « LE MONDE »

Le PS veut

pouvoir calculer

le score, au soir

du premier tour,

en additionnant

les totaux

de gauche

« Si Le Pen passe, ce sera une catastrophe »

lille - correspondance

C omment voteraient lesélecteurs de gauche duNord en cas de duel Ma-

rine Le Pen (FN) - Xavier Bertrand (LR) au soir du 6 décembre ? Au PS,aucun élu ne souhaite répondre à cette question car « nous serons ausecond tour » des régionales, as-sure Marie-Christine Staniec-Wa-vrant, adjointe à la mairie de Lille, déléguée aux élections.

Optimiste, « toujours », l’élueproche du ministre Patrick Kannerveut croire en la victoire de Pierre de Saintignon, tête de la liste PS aux régionales en Nord-Pas-de-Ca-lais-Picardie. « Quand on est au contact direct des gens, ils enten-dent la réalité. Non, le chômage ne

baisse pas mais on a maintenu le niveau des retraites, la Sécurité so-ciale, augmenté le SMIC et le RSA. A Lille, on a construit de nombreux lo-gements », souligne-t-elle.

Les élus socialistes refusent de seprojeter dans un second tour sans la gauche mais les militants, eux, se préparent déjà à ce scénario. « Ce serait un cauchemar, estime un jeune militant croisé à la per-manence du député Bernard Ro-man. Je n’ai pas eu de problème à voter Chirac en 2002 car c’était un républicain. Mais Xavier Bertrand, s’il ne change pas, non. Je voterai blanc. » A ses côtés, un vieux de la vieille au PS lillois ne s’imagine pas voter à droite pour faire bar-rage au FN. « Veto, dit-il. On me l’a déjà trop faite celle-là. »

A l’accueil du siège de la fédéra-tion PS du Nord, Baptiste Ménard, ancien candidat aux cantonales (et attaché de presse de MartineFilleul, nouvelle patronne du PSdu Nord), assure qu’il « voterablanc ». « Pourquoi j’irais voter Xa-vier Bertrand quand il a le même discours que Marine Le Pen ? » La campagne du candidat Les Répu-blicains est fortement axée àdroite, notamment sur le dossier des réfugiés ou des Roms.

« Les gens verront qui elle est »

« J’irai voter blanc, dit Jeannine, 81 ans. Et si Le Pen passe, ce sera unecatastrophe. Je me souviens encore de son père avec la chambre à gaz etcompagnie. Sa fille, c’est la même »,soupire cette habitante de Lille-

« Les militants en ont marre de jouer le jeu du front républicain »

marseille - correspondance

Q uelle sera l’attitude desélecteurs de gauche enProvence-Alpes-Côted’Azur si le Front national

sort du premier tour des régiona-les, en position de remporter la ré-gion ? Apporteront-ils leurs voixau candidat Les RépublicainsChristian Estrosi pour faire battre Marion Maréchal-Le Pen ? Ou lais-seront-ils « l’extrême droite et la droite extrême », comme les défi-nit le candidat PS Christophe Cas-taner, en découdre seules ? Dans le 7e secteur de Marseille, ces ques-tions ont forcément flotté autour des tables pliantes du référendumsur l’union de la gauche, organisé par le Parti socialiste du 16 au18 octobre. Ici, lors de la dernièremunicipale, le FN a gagné la mai-rie au sortir d’une triangulaire avec l’UMP et le PS, qui, arrivé troi-sième, s’était maintenu. Le trau-matisme est encore frais pour les électeurs de gauche.

« Ce sera un vote blanc »

« J’ai même hésité à aller au ma-riage de ma fille parce que je nevoulais pas rentrer dans la mairie tenue par Stéphane Ravier et leFront national », attaque, l’air con-trit, Gilles Carbonero, 57 ans. Habi-tant du 13e arrondissement, il n’hésitera pas si une victoire de l’extrême droite devient possible au second tour : « Cela me fait très peur. Je pense que Marion Maré-chal-Le Pen est encore pire que sa tante [Marine Le Pen]. Je voterai Es-trosi sans aucun doute, parce quemoi aussi, je suis républicain. »

Anne Hidalgo (ça ne s’inventepas…), ancienne militante com-muniste installée à Marseille de-puis un an, elle, n’ira pas jus-

que-là : « Même si habiter dans un secteur tenu par le FN me tord le ventre, ce sera un vote blanc, pour montrer que je ne veux ni l’un ni l’autre. Estrosi, c’est physique : je n’ai pas confiance. »

Tita Nécib, 50 ans, tante del’avant-centre de l’équipe de France de football féminineLouisa Nécib, militait pour le PSdans le secteur voisin, celui de la sénatrice Samia Ghali : « Si le choixc’est Estrosi ou Le Pen, je ne voteraipas. Je ne donnerai pas ma voix à lacopie pour ne pas avoir l’original.En 2002, on nous a pris en otage. Jene regrette pas d’avoir voté Chirac contre Jean-Marie Le Pen, mais les choses ont changé. On nous agite le drapeau républicain sous les yeux à chaque élection, mais sur le terrain, Liberté, Egalité, Fraternité,ça n’existe pas. Il faut assumer : siles gens veulent un président FN à la région, qu’ils l’aient. »

« Tous nos militants pensentaujourd’hui comme cela, con-firme Stéphane Mari, porte-pa-role du groupe PS au conseil mu-nicipal et élu du 7e secteur. Ils nevoteront pas pour Estrosi. Ils en ont marre de jouer le jeu du front républicain alors que la droite ne lefait jamais. »

Alors qu’un sondage Odoxa(pour BFM-TV et Le Parisien) donne seulement 18 % des inten-tions de vote à Christophe Casta-ner au premier tour, ChristianBony, militant PS du 7e secteur, s’inquiète : « La question du main-tien au second tour dépend des ré-sultats. Si le total des voix du PS et de la liste EELV-Front de gauche estinsuffisant pour que Christophe Castaner gagne, il ne faudra pas qu’il se maintienne… Mais moi, je ne voterai pas Estrosi. » p

gilles rof

Sud. Dans ce quartier populaire, Dominique, 60 ans, électrice de gauche, n’est « pas raciste, donc ce sera plutôt Xavier Bertrand ». Pour Yahya, 49 ans, militant PS, « ce ne sera pas Marine Le Pen, c’est sûr et certain ». Mais cet éducateur aime-rait surtout savoir ce que feraient les électeurs de droite en cas de se-cond tour Marine Le Pen-Pierre de Saintignon.

Pour Zohra, 45 ans, « le cœur àgauche », ce sera abstention en cas de duel face aux Républicains. « Qu’on laisse Marine Le Pen aller au pouvoir. Les gens verront qui elle est. J’en suis là avec le climatambiant. A croire que les gensn’ont pas assez appris de la guerre et de l’extrême droite. » p

laurie moniez

Page 10: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

10 | france MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

Polémique sur la présence de Marine Le Pen dans les médiasLa présidente du FN, invitée de « Des paroles et des actes » sur France 2, a été déprogrammée sur France 3

Une fois encore, la pré-sence du Front natio-nal dans les médias faitpolémique. Jeudi

15 octobre, Xavier Bertrand, tête deliste Les Républicains pour les élec-tions régionales des 6 et 13 décem-bre en Nord-Pas-de-Calais-Picar-die, a écrit à la présidente de FranceTélévisions, Delphine Ernotte, pour protester contre l’invitation de Marine Le Pen à l’émission poli-tique de France 2 « Des paroles et des actes » (« DPDA »), program-mée jeudi 22 octobre. Proche de l’ouverture de la période de cam-pagne officielle dans les médias, le 26 octobre, l’invitation est, selon lui, de nature à « favoriser » sa ri-vale, également tête de liste dans larégion. Le candidat socialiste dans le Nord, Pierre de Saintignon, a lui aussi adressé un courrier, au CSA, pour réclamer une plus grande « équité ».

Est-ce le fruit de cette pressionpolitique ou bien d’une réflexion

interne ? France 3 a décidé de dé-programmer Marine Le Pen du« 12/13 », diffusé dimanche 18 oc-tobre, quatre jours avant l’émis-sion « DPDA ». « La direction con-sidère que ces rendez-vous sont trop rapprochés et se concurren-cent entre eux. L’arbitrage a été faiten faveur de “Des paroles et des ac-tes” sur France 2 », a écrit dans un courriel adressé au Front nationalla rédactrice en chef de l’émission,Claire Sébastien.

« Inadmissible »

Cette annulation de l’interview a été jugée « inadmissible » du côtédu parti d’extrême droite. « Il y a quand même des choses à dire en-tre 12 heures dimanche et 20 h 30jeudi soir », s’agace-t-on au FN, où l’on aurait au moins souhaitéqu’un autre représentant du partisoit convié.

Autre élément de tension entreFrance Télévisions et le FN : Ma-rine Le Pen s’est agacée de se voir

proposer, à « DPDA », deux con-tradicteurs successifs, alors que Manuel Valls n’en avait eu qu’un seul, le 24 septembre. La prési-dente du Front national s’est enoutre vexée qu’on lui soumette des adversaires situés en dehors de la politique active, comme Jac-ques Attali ou Daniel Cohn-Ben-dit. Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, et Jean-Chris-tophe Lagarde, président de l’UDI,devraient finalement être oppo-sés à Mme Le Pen.

Le parti d’extrême droite nietoutefois chercher à faire valoir

des exigences particulières. « Ils nous avaient imposé Jean-Luc Mé-lenchon pendant la campagne pré-sidentielle en 2012 alors qu’on refu-sait de l’avoir comme contradic-teur, il nous insultait », rappelle-t-on au FN. L’animateur de l’émission, David Pujadas, a expli-qué à plusieurs reprises que le choix des contradicteurs était le fruit d’un dialogue avec les invités,quelle que soit leur tendance.

L’épisode montre à quel pointFrance Télévisions, comme la plu-part des médias, marche sur desœufs sur la question du traite-ment du Front national, poten-tiellement soumis aux accusa-tions de faire son jeu par excès ou par défaut de représentation. Lesujet est suffisamment impor-tant pour qu’une réunion ait été organisée la semaine dernière autour de Delphine Ernotte afin de mieux anticiper, selon nos in-formations, les questions liéesaux temps de parole politique à laveille des régionales.

« Personnalités d’envergure »

Depuis la création de « DPDA » en 2011, Marine Le Pen a été quatrefois l’invitée principale (dontl’émission de jeudi prochain), se-lon des chiffres fournis par FranceTélévisions. La présidente du FN a été la personnalité la plus con-viée, devant Manuel Valls, venu àtrois reprises. Mme Le Pen a de plusété invitée quatre fois commecontradicteur face à un invitéprincipal.

En revanche, le Front national necompte que pour 12 % environ des invités depuis 2011. Une réalité liéeau fait que la présidente du FN est la seule à incarner son parti dans les émissions politiques de très grande écoute, quand l’autre vi-sage médiatique du FN, Florian Philippot, apparaît surtout sur les

Marine Le Pen, invitée de David Pujadasà « DPDA », en février 2012. BRUNO LÉVY POUR « LE MONDE »

Mme Le Pen a été

la personnalité

la plus conviée

à « DPDA »,

depuis 2011,

année de

création

de l’émission

La droite s’en prend aux journaux

Contrairement aux médias audiovisuels, la presse écrite n’est sou-mise à aucune obligation en période électorale. Tête de liste des Républicains en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Dominique Reynié s’en est pris au groupe La Dépêche, propriété du président du Parti radical de gauche, Jean-Michel Baylet. Il estime en effet qu’il favorise la campagne de sa concurrente PS, Carole Delga. La candidate des Républicains en Aquitaine, Virginie Calmels, a mis en cause le quotidien Sud Ouest qui, selon elle, met en valeur son adversaire socialiste, Alain Rousset, président de l’actuel conseil régional. L’équipe de campagne de M. Rousset réplique que la candidate « fait plus campagne à Paris que dans la région ».

gne des recommandations du CSA pour les périodes non électorales, qui s’attache à ce qu’un « accès équitable à l’antenne » soit res-pecté. Une notion plus lâche que pour les périodes électorales – du 26 octobre au 13 décembre pour lesrégionales – où les forces politi-ques doivent être représentées « en tenant compte de leur repré-sentativité et de leur implication ef-fective dans la campagne ». Une appréciation qui peut mêler le nombre d’élus, le score aux derniè-res élections, les sondages…

Au sein du Journal du dimanche,la question du FN a motivé le votepar les journalistes d’une motion de défiance contre la direction,vendredi 16 octobre. Ce vote fai-sait suite à l’intervention de l’ac-tionnaire du JDD, Arnaud Lagar-dère, qui s’était plaint de la « une » du dimanche 11 octobre,sur laquelle un portrait en pleinepage de la présidente du Front na-tional était accompagné du titre : « Un Français sur trois prêt à voterpour elle. » Les journalistes en-tendaient dénoncer l’interven-tion de leur actionnaire, mais aussi le choix éditorial de leur di-recteur, Jérôme Bellay. p

alexis delcambre

et olivier faye

trois camionnettes garéesle long d’un boulevarddu 16e arrondissement. Per-sonne n’a été interpelléà l’occasion de cette saisie.

URBANISMELa voie express rive droite à Paris rendue aux piétons en 2016La maire de Paris, Anne Hi-dalgo, a annoncé, dans un en-tretien au Journal du diman-che du 18 octobre, vouloir interdire la circulation auto-mobile à compter de l’été 2016 sur une partie de la rive droite de la Seine. La voie sur berges sera fermée sur 3,3 km à partir du tunnel des Tuile-ries jusqu’au port de l’Arse-nal. Le projet d’aménage-ment sera débattu au Conseil de Paris, mi-novembre. Son coût est estimé à 8 millions d’euros pour la Ville.

CONJONCTUREFrançois Hollande prévoit 1,1 % de croissance en 2015Le président de la République a estimé, lundi 19 octobre sur RTL, que la croissance écono-mique de la France attein-drait 1,1 % fin 2015. « L’Europe va mieux, la France aussi », s’est félicité le chef de l’Etat. Cette estimation de crois-sance correspond à celle avancée début octobre par l’Insee mais est supérieure à celle retenue jusqu’à présent par la loi de finances, fondée sur une hypothèse de 1 %.

GAUCHEL’Union des démocrates et écologistes portéesur les fonts baptismauxL’Union des démocrates et écologistes (UDE) a tenu sa-medi 17 octobre son congrès

fondateur à Paris, sous le par-rainage du PS, représenté par son premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, qui l’a qualifiée d’« avant-garde du chemin de l’union ». Le mouvement, présidé par le sénateur Jean-Vincent Placé, résulte de l’union du Front démocrate de Jean-Luc Ben-nahmias avec Ecologistes !, fondé par le député François de Rugy.

TRAFICSaisie record de 7 tonnes de cannabis à ParisFrançois Hollande s’est féli-cité, dimanche 18 octobre, de la saisie record à Paris de plus de 7 tonnes de résine de can-nabis, estimant qu’il s’agissait d’« un coup fatal » porté à des « organisations criminelles ». Les « valises » de cannabis étaient entreposées dans

chaînes d’information en continu.A titre de comparaison, la ving-taine de passages UMP puis LR à « DPDA » a concerné une dou-zaine de personnalités.

Cette situation est-elle créée parles médias, soucieux d’accueillir des « têtes d’affiche », ou par le FN,où la parole serait monopolisée ouduopolisée ? Vendredi 16 octobre dans « C à vous », le présentateur de « DPDA », David Pujadas, a re-connu que son émission se con-centrait sur des « personnalités po-litiques d’envergure ». Au FN, on dé-plore que les médias soient peu enclins à prendre le risque d’invi-ter des personnalités autres que Marine Le Pen et Florian Philippot.

Au plan arithmétique, France Té-lévisions semble rester dans la li-

RTL MATIN, LA REVUE DE PRESSEADELINE FRANCOIS 8H35

RTL.fr

« Chaque matin, je déniche dans la

presse les articles qui m’émeuvent,

m’interpellent, m’amusent, pour vous

proposer un autre regard sur l’info. »

Page 11: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 france | 11

Une conférence sociale sur fond de tensionsFrançois Hollande a vanté les vertus du dialogue social « pour vivre dans une société apaisée »

François Hollande aouvert, lundi 19 octobre,au Conseil économique,social et environnemen-

tal (CESE), sa quatrième confé-rence sociale par un échange avec les numéros 1 des syndicats repré-sentatifs et des trois organisa-tions patronales. La CGT, qui avaitparticipé en 2014 à ce dialoguepuis boycotté les tables rondes, adécidé de pratiquer la politique dela chaise vide. Pour son secrétaire général, Philippe Martinez, qui met en avant les tensions à Air France, il s’agit, comme il l’a dé-claré à L’Humanité du 19 octobre, d’adresser « un message d’alerte au gouvernement ».

Le président de la Républiquedevait, dans son discours, célé-brer les vertus du dialogue social, en s’appuyant sur « l’accord de principe » conclu vendredi 16 oc-tobre entre le patronat, la CFDT, laCFE-CGC et la CFTC, sur les retrai-tes complémentaires. « Nous de-vons vivre dans une société apai-sée, devait déclarer M. Hollande. Ily a toujours des conflits, des inté-rêts divergents ». La conférence so-ciale doit « donner une feuille de route, pour l’année qui vient ».

Les enjeux de la conférence so-ciale Trois tables rondes devaient se tenir lundi après-midi. La pre-mière est consacrée au comptepersonnel d’activité (CPA), qui consiste à rattacher à la personne et non plus au travail des droits (formation, chômage, pénibilité, etc.). « Depuis dix ans, la CGT portel’idée d’une sécurité sociale profes-

sionnelle, sougline M. Martinez dans L’Humanité. C’est une propo-sition très innovante de progrès so-cial pour que les salariés, quel que soit leur parcours professionnel, voient leurs compétences recon-nues et ne perdent pas leurs droits en changeant d’employeur. » M. Martinez se dit prêt à une né-gociation, « mais celle-ci ne doit pas s’ouvrir sur une porte déjà fer-mée ». Pour M. Hollande cette « grande réforme sociale » du quinquennat devrait donner lieu au moins à une concertation. La deuxième portera sur « la nou-velle France industrielle et la trans-formation numérique » et la troi-sième sur la transition énergéti-que à l’approche de la COP21.

L’état du dialogue social Selon lerapport annuel de la Commissionnationale de la négociation collec-tive, le dialogue social est quanti-tativement dynamique. En 2014,951 accords ont été signés dans lesbranches professionnelles. Entre 2009 et 2012, plus de 1 300 accordsavaient été conclus chaque année.En 2014, 36 500 accords ont été si-gnés dans les entreprises, soit 3 500 de moins qu’en 2013. Sur les trente dernières années, la négo-ciation d’entreprise a connu uneprogression très sensible : en 1988on ne comptait que 5 085 accords.Les salaires et les primes sont le thème le plus abordé, dans une proportion de 33 % en 2014.

L’engagement des syndicats Sidans 40 % des entreprises de plus de onze salariés, il n’y a aucune re-

présentation du personnel, lessyndicats s’engagent fortement làoù ils sont présents. En 2013, la CFDT a signé 94 % des accords d’entreprise, FO 90 %, la CFTC89 %, la CGT 85 %. Au niveau des branches professionnelles, le taux de signature est de 83 % pourla CFDT mais de seulement 32,2 % pour la CGT. FO, la CFTC et la CFE-CGC signent trois accords sur qua-tre. Dans son rapport sur « la né-gociation collective, le travail et l’emploi », Jean-Denis Com-brexelle rappelle que plus de 95 %

des salariés sont couverts par uneconvention collective. L’anciendirecteur général du travail souli-gne que depuis la fin des « trente glorieuses » on est passé d’« une négociation de distribution » à « une négociation d’accompagne-ment de la crise ». « Notre pays n’a pas une culture de la négociationet du compromis », observe-t-il en préconisant un effort de « péda-gogie ».

Une conflictualité faible « Leconflit à Air France ne résume pas l’état de la France », a affirmé M. Hollande lundi sur RTL. De fait,la conflictualité est faible. En 2013,1,2 % des entreprises de dix sala-riés et plus ont connu un ou plu-sieurs arrêts collectifs de travail contre 3,3 % en 2010. La propor-tion de grèves varie fortement se-lon la taille des entreprises : 0,2 % dans celles employant entre 10 et 49 salariés, 3,2 % entre 50 et 199 salariés, 11,4 % entre 200 à 499 sa-lariés et 29,3 % pour celles de 500

salariés et plus. Là où il y a eu des conflits, ils ont été plus intenses, plus longs et ont concerné plus desalariés qu’en 2013. Le nombre de journées individuelles de grèvepour 1 000 salariés s’est établi à 79en 2013, contre 60 en 2012, 77en 2011, 318 en 2010 – pic dû à la mobilisation contre la réforme des retraites –, 136 en 2009 et 100 en 2008. Les rémunérations sontle premier thème de conflit : cela aété le cas de 45 % des entreprises ayant connu au moins une grève

La négociation

d’entreprise

a connu une

progression :

36 500 accords

en 2014 contre

5 085 en 1988

en 2013 (en baisse de dix points par rapport à 2012).

L’expression du mécontente-ment Pour Jean-Michel Denis, pro-fesseur de sociologie à l’université Paris-Est/Marne-la-Vallée, « la baisse du nombre de conflits ne si-gnifie pas que les relations sociales sont pacifiées et que le climat dans les entreprises est bon. Le mécon-tentement peut s’exprimer sous d’autres formes que les arrêts de travail, par exemple à travers l’ab-sentéisme. La montée de la souf-france au travail constitue un autreindicateur, comme si les salariés in-tériorisaient davantage et pre-naient sur eux ». Pour M. Denis, « ledialogue social ne prémunit pas contre la conflictualité ». En 2012, 81,6 % des entreprises qui ont ouvert une négociation ont connuau moins une grève contre 18,4 % pour celles qui n’ont pas négocié. p

bertrand bissuel,

michel noblecourt

et david revault d'allonnes

Air France : le chef de l’Etat critiqueles interpellations

T ant sur le ton que dans lestermes employés, FrançoisHollande a pris ses distan-

ces avec son premier ministre, lundi 19 octobre sur RTL, à propos de l’interpellation au petit matinde cinq salariés d’Air France, esti-mant qu’il y avait « d’autres mé-thodes » qui auraient pu être em-ployées. La police était venue les cueillir au petit matin, le 12 octo-bre, devant leur famille.

Rappelant que c’était une déci-sion de « la justice » prise « de ma-nière indépendante », le chef de l’Etat a tout de même estimé que « ceux qui commettent des violen-ces, ceux qui s’attaquent à des sala-riés (…), doivent être punis ».

Manuel Valls avait suscité l’émoidans son propre camp en quali-fiant de « voyous » les salariés quiont arraché la chemise de leurs di-rigeants et les ont molestés, lorsdu comité central d’entreprised’Air France. « Il ne peut pas y avoird’impunité quand on voit les effetsdans le monde entier de ces ima-ges », avait estimé le premier mi-nistre, qui s’était refusé à com-menter la méthode des forces de l’ordre : « Ce n’est pas le gouverne-ment qui ordonne les interpella-tions et détermine leurs horaires,donc pas de faux débats. »

« Etre responsables »

Les salariés doivent être jugés pour violences en réunion, le 2 décembre. A l’aile gauche du PS, la sortie de M. Valls a été très mal perçue. « Là, pour le coup, ils sonttraités comme des gangsters, destrafiquants de drogue, a réagi l’eurodéputé Emmanuel Maurel. Il y a quand même un problème, c’est plus que controversé, c’estscandaleux. » La CGT en a fait l’unedes raisons de son boycott de laconférence sociale qui s’ouvrelundi 19 octobre, dénonçant le« lynchage des salariés d’Air

France » menacés de licencie-ment.

Selon la centrale, les employésont été interpellés « sur ordre » du premier ministre : « Nos pensées vont à nos frères de lutte, victimes de cette violence médiatico-patro-nale et embarqués au petit matin comme des criminels. » Les sala-riés en question ont réagi sous couvert d’anonymat se disant« traumatisés » d’avoir été « traitéscomme des bandits ».

Mais pour le chef de l’Etat, le dia-logue social doit tout de même re-prendre le dessus lors de la ren-contre qui doit avoir lieu jeudi 22 octobre entre les salariés et ladirection d’Air France-KLM. « Je demande aussi bien à la direction qu’aux partenaires sociaux d’être responsables », a-t-il lancé. Pour le chef de l’Etat, si les deux partiesne font pas « les efforts nécessairespour arriver à la compétitivité », iln’y aura « plus de compagnie » et « plus d’emplois ».

Air France-KLM n’a pas aban-donné son plan de restructura-tion qui prévoit le licenciementde 2 900 personnes à l’horizon 2017. Le PDG Alexandre de Juniac a annoncé dimanche que 1 000 postes seraient supprimés dès 2016, laissant planer le doute sur la suite. « On peut éviter des licen-ciements si les pilotes font le néces-saire, si la direction fait des propo-sitions, si le personnel au sol prendconscience de certaines réalités », ainsisté François Hollande, ajou-tant que « chacun doit faire la partdu chemin ».

Plusieurs membres du gouver-nement, parmi lesquels Ségolène Royal, ministre de l’écologie, etMyriam El Kohmri, ministre du travail, avaient appelé, en vain, à la suspension du plan de restruc-turation pour favoriser la reprisedu dialogue. p

nicolas chapuis

Premier objet

de conflit : les

rémunérations.

C’est le cas

de 45 % des

entreprises ayant

connu au moins

une grève en 2013

ET SILES MÉDECINSAVAIENT AUSSIDROIT À LEUR

CONSULTATION ?

Plus que jamais notre système de santé a besoin de se transformer pour s’adapter aux

évolutions majeures de notre société. Tous les médecins le savent et pourtant, qui les écoute ?

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compris pour que ces évolutions se fassent avec eux. Parce que sans médecins, il n’y a pas

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de santé. Nous avons besoin de la participation de tous les médecins. Vos retours donneront

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Pour participer :

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Page 12: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

12 | france MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

La vie en Syrie racontée par des djihadistes français Le ministère de la justice a réalisé une synthèse des récits des mis en examen à leur retour

suite de la première page

Intitulée « Recrutement, parcourset activités des combattants fran-çais », la note revient en préam-bule sur des éléments déjà bien documentés relatifs au « proces-sus de radicalisation » et aux « préparatifs au départ ». Son prin-cipal intérêt réside dans les chapi-tres très riches consacrés aux ré-cits des candidats une fois qu’ilsont quitté le sol français, se sous-trayant ainsi à la surveillance dont ils pouvaient faire l’objet.

Le « commerce » des passeurs àla frontière turco-syrienne Les itinéraires vers la Syrie se sont lar-gement diversifiés depuis le dé-but du conflit. Afin de « brouiller les pistes », certains candidats au djihad s’envolent désormais pour Istanbul à partir de pays limitro-phes comme la Belgique, l’Allema-gne ou l’Espagne – ou ils prennentla route. Une fois parvenus à lafrontière turco-syrienne, ils peu-vent être directement pris en charge par des djihadistes, dontcertains sont français.

Mais la plupart des passeurs se-raient animés par de simples mo-tivations « mercantiles », un « vé-ritable commerce s’étant déve-loppé autour de cette activité ».Moyennant une somme com-prise entre 100 et 200 euros, ils ac-compagnent les aspirants com-battants à pied ou en camion-nette, souvent de nuit, jusqu’en Syrie, où ces derniers sont récep-tionnés par les groupes djihadis-tes. Le passage de la frontière « ne semble pas poser de lourdes diffi-cultés et se résume pour l’essentiel à l’escalade de barbelés », résume la DACG.

Cet épisode peut néanmoinsêtre l’occasion d’une première dé-ception : si certains passeurs de-mandent aux candidats quel groupe ils souhaitent rejoindre –l’Etat islamique ou son rival le Front Al-Nosra, une mouvanceproche d’Al-Qaida –, plusieurs Français affirment ne pas avoirété consultés sur leur affectation. « Des amis partis de concert en Sy-rie ont pu ainsi se retrouver dansdes groupes antagonistes, n’ayantpas passé la frontière en même temps et avec les mêmes person-nes. »

La journée type dans un campd’entraînement Les trois quartsdes Français présents sur zone auraient intégré l’EI, Al-Nosra pâ-tissant de « la concurrence avecson frère ennemi ». Une fois pas-sées les premières formalités –serment d’allégeance et dans cer-tains cas confiscation des pa-piers d’identité –, les apprentisdjihadistes sont assignés à rési-dence pendant une période d’unà deux mois dans des campsd’entraînement.

La DACG retrace une « journéetype » dans ces camps : lever à 5 h 30 pour la prière, entraîne-ment physique (course à pied, pompes, parcours du combat-tant), formation militaire (kalach-nikov, lance-roquettes et grena-des), conditionnement psycholo-gique (résistance à la faim et aufroid), cours de religion et tours degarde la nuit.

A l’issue de cette formation, lescombattants sont regroupés dansdes katibas (bataillons), par affini-tés linguistiques. Ce mode d’orga-nisation aurait conduit des fran-cophones (Français et Belges) à fonctionner en bandes fermées età exporter une ambiance de cité en Syrie, selon le témoignage d’undjihadiste. Certains agissements,tels que des marques d’indisci-pline ou d’irrespect à l’égard desanciens, auraient été sanctionnés par des blâmes.

Ces Français qui grimpent dansla hiérarchie de l’EI Cette indisci-pline ne concerne pas tous les Français, loin de là. Plusieurs as-sument aujourd’hui des respon-sabilités en tant que chef degroupe, membres de la police isla-mique ou imam. D’autres peu-vent être combattants, infirmiers ou relégués à des « tâches subal-ternes » (ménage, cuisine, fos-soyeurs…). L’organisation leur fournit un logement et une rému-nération en fonction de leurs at-tributions, un mis en examen évoquant la somme de 100 dol-lars pour chaque membre de son foyer.

Rares sont les djihadistes fran-çais à reconnaître leur participa-tion aux combats, la plupart ad-mettant de simples patrouilles.L’un d’eux raconte avoir « sécu-risé » avec un groupe de combat-tants des villages chiites ou kur-

des en abattant toutes les person-nes qu’il pouvait croiser.

Décapitations, flagellations etdéfenestrations Il est établi, pré-cise la DACG, que des Français « ontpris part à des exactions » à l’encon-tre de la population syrienne, no-tamment dans les villes de Rakka et Azaz. L’un d’eux, « particulière-ment marqué par son expérience », a reconnu avoir lui-même tenu la tête d’un prisonnier pendant une séance d’égorgements publics en application de la charia. D’autres ont été témoins d’exécutions, de lapidations, d’amputations et de séances de flagellation « filmées »

sur la place publique d’Azaz où, deux à trois fois par semaine, « les têtes de personnes accusées d’apos-tat étaient coupées et exposées ».

A en croire le témoignage d’unancien membre de la police isla-mique, les vendeurs de cannabis

ou de cigarettes reçoivent des coups de fouet, tandis que les ven-deurs d’héroïne, les homosexuels, les rebelles, les personnes accu-sées de sorcellerie ou d’adultère sont exécutés en pleine rue, leur cadavre restant exposé pendant

plusieurs jours « avec une étiquetteindiquant le motif de leur exécu-tion ». Ce Français cite les exem-ples d’un garçon de 14 ans égorgé pour avoir arrêté la prière, d’un vieux sorcier décapité au sabre et d’un homosexuel défenestré.

Qui sont les djihadistes qui ren-trent en France ? Si les conditionssemblent s’être durcies ces der-niers mois pour les candidats auretour, certains ont néanmoins pu rentrer en France avec la per-mission de leur organisation au début du conflit. Lors de leurs auditions, beaucoup ont fait part de leur désillusion face à la « lutte fratricide » entre l’EI et Al-Nosra, qui motiverait un nombre crois-sant de retours. Un Français dit ainsi déplorer que les combat-tants se trompent d’adversaire au lieu de se concentrer sur la chute de Bachar Al-Assad.

Mais la grande inquiétude desservices antiterroristes réside aujourd’hui dans les retours« autorisés et validés » par l’EI de-puis la mise en place de sa politi-que anti-désertion. Un djihadiste interpellé récemment décrit en effet la Syrie comme une usine àterroristes, formés pour frapper laFrance et l’Europe dans un avenir très proche.

C’est aujourd’hui toute l’am-pleur du défi auquel fait face la justice : parvenir à distinguer les authentiques repentis – parfoistraumatisés par leur expérience – des terroristes envoyés à dessein par l’organisation pour poursui-vre leur combat en Europe. Un exercice d’autant plus complexeque l’EI préconiserait aujourd’hui à ses membres de frapper dansdes pays différents du leur pour éviter d’être repérés. p

soren seelow

Français et Belges

auraient tendance

à fonctionner en

bandes fermées

et à exporter

une ambiance

de cité en Syrie

Comment financer un voyage en Syrie

Si elle souligne que le financement des départs pour la Syrie n’est pas un élément déterminant, le coût du voyage demeurant « mo-deste », la note du ministère de la justice évoque plusieurs cas de fi-nancement via des collectes de fonds sur les réseaux sociaux sous des prétextes humanitaires, des crédits à la consommation fraudu-leux ou des locations de véhicules revendus une fois sur place.

« Notre riposte répond à une nécessité militaire »Christiane Taubira assume une position ferme dans le débat sur le sort des djihadistes français

ENTRETIEN

U ne semaine après lebombardement par desavions français d’un

camp de l’Etat islamique en Syrie, le 8 octobre, les questions restent nombreuses, notamment en rai-son de la présence de djihadistesfrançais sur le terrain. Soit ce sont des terroristes qui doivent être ju-gés en France, soit ce sont des combattants d’un Etat tiers, et dans ce cas la justice française ne devrait pas les poursuivre. Chris-tiane Taubira, ministre de la jus-tice, assume une position fermepour dépasser ce débat.

Considérez-vous les djihadistes français comme des terroristes ou des combattants ?

La guerre des mots est intrinsè-que aux situations de conflit, à leurdimension psychologique qui, par la communication, permet d’obte-nir l’adhésion ou de provoquer la démoralisation. Ceux qui se li-vrent à des actes de terreur – et comment appeler autrement les attentats, les décapitations, les tor-tures, les viols, l’exode massif de ci-vils – sont des terroristes.

Si ce sont des terroristes, les frappes françaises en Syrie qui s’appuient sur « la légitime dé-

fense » prévue par la Charte des Nations unies en cas « d’agres-sion armée » sont-elles confor-mes au droit international ?

L’idéal est de pouvoir traduireen justice les auteurs d’actes terro-ristes. Nous nous sommes donné les moyens procéduraux, par la loidu 21 décembre 2012, de poursui-vre devant les juridictions françai-ses ceux qui commettent ces actesà l’étranger. Plusieurs procédures sont en cours, notamment au pôle antiterroriste de Paris.

Mais il y a les individus épars et ily a l’organisation de l’agression. Concernant la « légitime défense », la Charte des Nations unies visait au sortir de la seconde guerre mondiale le péril ultime de la guerre déclarée par un Etat à un autre. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à ceux qui étaient au début des hordes de terroristes. Ils ont conquis de vastes territoires, pris le contrôle de ressources, dis-posent de solides moyens logisti-ques et financiers, affichent sur In-ternet des discours de propagandeet d’endoctrinement, une straté-gie militaire et des objectifs de des-truction. Ils proclament la mise enpéril de pays qu’ils désignent eux-mêmes ; et la France est en pre-mière ligne. Il ne fait pas de doute, aux termes de la résolution 2170 de l’ONU [adoptée par le Conseil de

sécurité le 15 août 2014, elle con-damne les actes terroristes commis par Al-Qaida et l’Etat islamique en Irak et en Syrie], que la sécurité de la France fait l’objet de menaces.

La France a, semble-t-il, décidé de tuer Salim Benghalem et ses proches le 8 octobre. La radica-lisation des djihadistes fran-çais relève-t-elle désormais du domaine militaire ?

Si une coopération pénale étaitpossible avec des autorités syrien-nes, les dirigeants, responsables,auteurs d’actes de terrorismepourraient faire l’objet d’extradi-tion ou d’autres procédures judi-ciaires. Il ne s’agit pas de « décider de tuer untel », il s’agit de ne pas selaisser neutraliser par la présence éventuelle de ressortissants fran-çais qui auraient choisi de se ren-dre sur des théâtres de guerre et d’y jouer un rôle actif. Le droit de laguerre instauré par l’Europe puis les Nations unies, concerne les prisonniers, les combattants, les réfugiés. Ce droit prévoit un ré-gime de sanctions et d’impres-criptibilité pour les crimes de guerre et crimes contre l’huma-nité. La justice ne perd pas ses droits et obligations, mais la ri-poste à ce terrorisme, telle qu’or-ganisée, répond à une nécessitémilitaire que l’on ne peut ignorer.

Un djihadiste

décrit la Syrie

comme une usine

à terroristes,

formés pour

frapper la France

et l’Europe

La connaissance fine qu’a la justice antiterroriste des djiha-distes est-elle de quelque se-cours dans l’entreprise de « dé-radicalisation » mise en place dans les centres de détention ?

L’expertise du parquet antiter-roriste est extrêmement pré-cieuse. Les enseignements tirés des enquêtes et procédures et les éléments collectés par nos admi-nistrations complètent les con-naissances accumulées par lesuniversitaires et les praticiens.Nous faisons le meilleur usage de tous ces matériaux pour suivreles détenus radicalisés et prévenirla radicalisation. Nous sommesconfrontés à l’un des défis les pluscomplexes pour les démocraties attachées aux libertés. J’ai orga-nisé fin avril à Paris les premières rencontres internationales de magistrats antiterroristes, où cin-quante pays étaient représentés. Ce lundi, je participe à Bruxelles à la conférence ministérielle sur les réponses pénales et la prévention de la radicalisation. Nous tra-vaillons beaucoup avec le Royau-me-Uni, l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique, et des pays tiers comme les Etats-Unis et la Turquie. Et nous comparons les résultats des modes de suivi des détenus. p

propos recueillis par

jean-baptiste jacquin

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE FRANCE, sis Cœur Défense – TourA – 110 esplanade du Général de Gaulle– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCSNANTERRE 414 108 708), succursalede QBE Insurance (Europe) Limited,Plantation Place dont le siège social est à30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,fait savoir que la garantie financière dontbénéficiait:

FINEIFFEL SAS18 Bd Montmartre

75009 PARISSIREN : 451 463 202

depuis le 1er janvier 2011 pour ses activitésde : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLEET FONDS DE COMMERCE AVECPERCEPTION DE FONDS cesserontde porter effet trois jours francs aprèspublication du présent avis. Les créanceséventuelles se rapportant à ces opérationsdevront être produites dans les trois moisde cette insertion à l’adresse de l’Etablis-sement garant sis Cœur Défense – TourA – 110 esplanade du Général de Gaulle– 92931 LA DEFENSE CEDEX. Il est pré-cisé qu’il s’agit de créances éventuelles etque le présent avis ne préjuge en rien dupaiement ou du non-paiement des sommesdues et ne peut en aucune façon mettre encause la solvabilité ou l’honorabilité de laSAS FINEIFFEL.

Page 13: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 france | 13

Les mesures antitabac, un sujet embarrassant pour le gouvernementAlors que l’instauration du paquet de cigarettes neutre n’est pas garantie, des députés PS veulent voir les prix fortement augmenter

L e prix du paquet de cigaret-tes et du tabac à rouler con-naîtra-t-il une hausse

en 2016, comme le souhaite aujourd’hui une partie des dépu-tés de la majorité ? Le silence re-marqué du gouvernement sur ce sujet a contribué à faire de cette question un enjeu du projet de loi de financement de la sécurité so-ciale (PLFSS) dont l’examen débutemardi 20 octobre à l’Assemblée.

Adversaire résolue du taba-gisme, la ministre de la santé, Ma-risol Touraine, est aujourd’hui « dans les cordes », note un obser-vateur, face aux choix présiden-tiels de geler les prix du tabac pourne pas mécontenter buralistes et fumeurs. Elle pourrait donc choi-sir de s’opposer à toute hausse de la fiscalité sur le tabac pour mieux garantir la mise en place en 2016 du paquet neutre, l’une des mesu-res phares de son projet de loi santé qui doit être adopté d’ici à la fin de l’année.

En tête des partisans d’unehausse, la cancérologue et députéePS de Gironde Michèle Delaunay, corapporteure pour le PLFSS, qui entraîne dans son sillage plus de 50 députés de la majorité. Objectif annoncé : une hausse de 30 % du prix du tabac à rouler et une hausse d’un euro par paquet de ci-garettes dans la perspective de parvenir, d’ici trois ans, « au seuil psychologique de 10 euros ». « Le prix est l’arme la plus efficace pour faire baisser le tabagisme », expli-que Mme Delaunay, qui rappelle que 79 000 personnes meurent chaque année du tabac en France.

Après une augmentation de40 centimes en octobre 2012, puis de 20 centimes en juillet 2013, la dernière hausse intervenue en janvier 2014 a porté le prix du pa-quet de Marlboro à 7 euros. Malgré

la décision du chef de l’Etat de stopper ces augmentations, la question a encore tout récem-ment fait l’objet de « discussions assez vives au sein du gouverne-ment », a admis le secrétaire d’Etat chargé du budget, Christian Ec-kert, le 25 septembre sur RMC.

Au ministère de la santé, on ditaujourd’hui privilégier la mise en place du paquet neutre en mai 2016. Si le rejet de cette me-sure lors de l’examen de la loi santé au Sénat le 16 septembre était attendu, le très faible nombrede voix en sa faveur a, en revanche,surpris. Seuls 16 sénateurs ont voté pour le dispositif, tandis que 228 s’y sont opposés, disant s’en te-nir à une stricte transpositionen 2016 des directives européen-nes qui prévoient un paquet cou-vert à 65 % d’un message sanitaire,contre 40 % aujourd’hui. Mme Tou-raine avait aussitôt annoncé son intention de redéposer la mesure lors du débat à l’Assemblée.

Au vu de ce score, certains res-ponsables de structures de lutte contre le tabac et les addictions se sont pris d’inquiétude. Et si les dé-putés à leur tour rejetaient le pa-quet neutre lors de l’examen du projet de loi santé en deuxième lecture mi-novembre à l’Assem-blée ? « Jusqu’au dernier moment on peut s’inquiéter », estime Da-

nièle Jourdain Menninger, la prési-dente de la Mildeca, la mission in-terministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addicti-ves. « Les députés resteront-ils co-hérents dans leur vote ? Après avoir vu comment ils ont finalement dé-tricoté la loi Evin, je ne suis plus sûr de rien », lance Jean-Pierre Coute-ron, le président de la Fédération addiction.

Hausse « en trompe-l’œil »

« Nos arguments pleins de bon sensont fait mouche au Sénat, il n’y a pas de raison que ce ne soit pas lecas à l’Assemblée », veut, pour sa part, croire Pascal Montredon, le président de la confédération des buralistes, qui annonce de « très grosses manifestations en France » le 2 novembre contre le paquet neutre. Il rappelle qu’en 2014, 1 041 bureaux de tabac ont fermé leurs portes « en raison, notamment, de l’importance du marché parallèle ».

Mardi, quelques heures avant ledébut de l’examen du PLFSS, Bruno Le Roux, le président dugroupe PS à l’Assemblée, et Frédé-ric Barbier, le député PS du Doubs qui a mené un groupe de travail sur l’avenir des buralistes depuis mai, tiendront une conférence de presse commune. Parmi les pro-positions de M. Barbier : une aug-mentation sur trois ans des mar-ges des buralistes au détriment decelles des fabricants ou la créationd’un observatoire national du marché du tabac. « Des proposi-tions qui vont dans le bon sens », juge M. Montredon. Michèle De-launay redoute, elle, que l’adop-tion d’un amendement de M. Bar-bier proposant une hausse « en trompe-l’œil » de 20 centimes em-pêche tout débat sur ses propres amendements. p

françois béguin

La défense d’équilibriste de BonnemaisonLa crainte d’être condamné interdit à l’ancien urgentiste d’assumer certains de ses gestes

angers - envoyée spéciale

Samedi 24 octobre, les troismagistrats et les neuf ju-rés qui composent la courd’assises d’appel du Mai-

ne-et-Loire diront si, selon eux, l’ancien médecin urgentiste de l’hôpital de Bayonne Nicolas Bon-nemaison est, ou non, coupable d’avoir « volontairement attenté àla vie » de sept de ses patients « parl’emploi ou l’administration de substance de nature à entraîner lamort », avec la circonstance aggra-vante qu’il s’agissait de personnes« particulièrement vulnérables en raison de leur état physique ou mental ».

Le 25 juin 2014, une autre courd’assises, à Pau, a prononcé son acquittement. La décision des pre-miers juges n’engage évidem-ment en rien celle des seconds,mais elle crée un climat. Elle a déjàpermis de faire litière de tout ce qui avait pollué l’affaire lors de son déclenchement, en août 2011. L’émotion et la stupeur nées du si-gnalement, par le personnel soi-gnant, de « morts suspectes » ausein de l’unité d’hospitalisation decourte durée de l’hôpital de Bayonne avaient en effet nourri les rumeurs les plus folles contre l’ancien urgentiste, présenté au pis comme un médecin atteint d’une irrépressible folie destruc-trice, au mieux comme un parti-san solitaire et déterminé de l’euthanasie active.

Le procès de Pau avait déjà ra-mené l’affaire à de plus justes pro-portions, comme en avait témoi-

gné la peine modérée de cinq ansd’emprisonnement avec sursis demandée par l’avocat généralMarc Mariée. Celui-là même qui, trois ans plus tôt, avait requis sansêtre suivi par le juge d’instruction le placement en détention provi-soire du médecin urgentiste, avait alors publiquement reconnu que son regard sur Nicolas Bonnemai-son avait « changé ». « Non, vous n’êtes pas un assassin. Non, vousn’êtes pas un empoisonneur au sens commun de ces termes. Vous avez agi en médecin, mais en mé-decin qui s’est trompé », avait-il ob-servé en demandant sa condam-nation « au nom du code pénal qui interdit de tuer ».

La cour était allée plus loin enmotivant son verdict d’acquitte-ment par le fait que, selon elle, « l’intention homicide » du prati-cien n’avait pas été établie par les débats. Une petite phrase qui, pa-radoxalement, constitue aujourd’hui un piège pour NicolasBonnemaison. Depuis le premierjour de son procès en appel, lundi 12 octobre, on perçoit en effet une légère inclinaison dans les décla-rations de l’accusé. « En aucun cas, mon intention n’a été de provoquerle décès mais de soulager les souf-frances », ne cesse-t-il de marteler, comme pour se tenir du bon côtéde la frontière salvatrice dresséepar ses premiers juges.

« Zone grise »

Dès lors se pose une question de cohérence de sa défense. Si l’an-cien urgentiste dément avec fer-meté avoir volontairement abrégé

des agonies, à quoi sert le défilé demédecins cités à la barre des té-moins sous la bannière implicite de « Nous sommes tous des Nico-las Bonnemaison », assumant pu-bliquement le fait qu’à un mo-ment ou à un autre de leur car-rière, ils ont « poussé la seringue »un peu plus fort, un peu plus vite que le protocole officiel ne l’auto-rise, parce qu’ils étaient confron-tés à des fins de vie particulière-ment douloureuses ? De deux cho-ses l’une : soit ce procès est l’occa-sion de montrer l’inadaptation de la loi face à la réalité quotidiennedes hôpitaux, en rendant palpa-ble, terriblement concrète, la « zone grise » qui existe entre le respect du droit et la conscience dechaque médecin, soit il ne l’est pas.

Les débats bloquent sur cette dé-fense de funambule. La preuve en a été apportée, vendredi 16 octo-bre, lors de l’examen du premier des sept cas de patients décédés. Lorsqu’il a été transféré au service des urgences de l’hôpital de Bayonne, Fernand Dhooge, atteintde plusieurs cancers, était en

phase terminale. Un corps qui se vide de l’intérieur, une agonie au-delà du supportable, que son épouse est venue décrire à la barre.La famille est reçue par le docteur Bonnemaison. La fille du patient raconte : « Je lui ai transmis les der-nières volontés de mon père, qui voulait partir dans la dignité. Je lui ai seulement demandé de ne pas utiliser de chlorure de potassium. Il a acquiescé. A un moment, il nous ademandé si nous étions prêts. Je lui ai dit que nous souhaitions atten-dre l’arrivée de mon frère aîné. Quand il a été là, nous sommes al-lés dire au revoir à mon père, puis ledocteur Bonnemaison est entré avec une infirmière dans la cham-bre et il a fermé la porte. Nous y sommes retournés juste après, mon père a eu deux respirations et il s’est éteint. »

Dossier criminel

Son récit ne souffre guère d’ambi-guïté, elle a clairement demandéau praticien d’abréger la fin de vie de son père et lui sait gré de l’avoirfait. Tout comme la veuve de son père, la jeune femme a refusé de seconstituer partie civile contre Ni-colas Bonnemaison et compte parmi ses plus fermes soutiens. On est bien au cœur du « colloque singulier » entre un praticien et une famille – selon la belle for-mule employée à la barre par l’an-cienne ministre et cancérologue Michèle Delaunay –, tel que pour-raient le revendiquer nombre de médecins et tel que pourraient sans doute le comprendre la cour et les jurés.

Mais pour Nicolas Bonnemai-son, ce témoignage, qui se veut en sa faveur, présente un problème majeur. Le dossier médical du pa-tient signale en effet que celui-ci a reçu une injection de Norcuron, un curare, qui n’entre pas dans les produits autorisés pour la séda-tion car il risque d’entraîner une mort quasi immédiate.

Nicolas Bonnemaison démentfarouchement l’avoir utilisé. Con-fronté à l’infirmière qui confirme être allée chercher à sa demande ceproduit, il l’accuse de mensonge etsoutient que l’indication qu’elle a portée sur le dossier médical est soit une erreur, soit un faux. L’af-faire emblématique des questions de fin de vie semble soudain s’abî-mer dans la médiocrité d’un dos-sier criminel, l’ancien praticien laissant entendre qu’il serait la vic-time d’un complot ourdi par les in-firmières et les aides-soignantes.

Pour au moins deux des autrescas de mort suspecte qui lui sont reprochés et qui vont être exami-nés au cours de cette seconde se-maine de débats, Nicolas Bonne-maison va être confronté au même dilemme. La crainte d’être condamné, même à une peine symbolique, lui interdit d’assumercertains gestes. Elle restreint du même coup la portée qu’il s’em-ploie pourtant à donner à son af-faire, en cherchant à obtenir un ac-quittement qui traduirait, comme ce fut le cas en d’autres temps pourl’interruption volontaire de gros-sesse, l’évolution et les attentes d’une société face à la fin de vie. p

pascale robert-diard

Le docteur

Bonnemaison

a laissé entendre

qu’il serait

la victime

d’un complot

ourdi par

les infirmières

CORRESPONDANCEUne lettre de M. FricA la suite de l’article « UraMin-Areva : enquête sur un délit d’ini-tié » (Le Monde daté 3 octobre), nous avons reçu de M. Olivier Fric le courrier suivant :

« Je tiens à rectifier les allégations contenues dans l’article concer-nant la commission d’un pré-tendu “délit d’initié”, fait que je conteste fermement. Je n’ai en ef-fet jamais été destinataire d’une quelconque information, privilé-giée ou non, sur l’intention d’Areva d’acquérir UraMin.En mai 2007, mon associé – en charge de la gestion des opéra-tions de placement des résultats de notre entreprise Vigici – a pris la décision d’effectuer des place-ments sur des titres UraMin, un investissement parfaitement co-hérent eu égard aux informations publiques (presse économique, si-tes boursiers, informations com-muniquées par les dirigeants de la société UraMin…).Ces opérations de placement étaient par ailleurs tout à fait mar-ginales par rapport à l’ensemble des opérations boursières réali-sées la même année par notre so-ciété (sur des supports très variés, y compris des sociétés minières). Plus exactement, après vérifica-tion, ces opérations représentent moins de 9 % de l’ensemble des placements séquentiels (à court terme) effectués sur l’année 2007 (et environ 5 % de l’ensemble des placements effectués de 2006 à 2008). J’ajouterai enfin que les dif-férentes structures par lesquelles ont transité la plus-value tirée de l’opération d’acquisition et de re-vente des titres UraMin sont cel-les par lesquelles ont toujours transité les fonds issus de l’en-semble des opérations boursières menées par cette entreprise. »

Le paquet neutre

est l’une des

mesures phares

du projet de loi

santé qui doit

être adopté d’ici

à la fin de l’année

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Page 14: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

14 | sports MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

ENTRETIENgenolier (suisse) – envoyée spéciale

Le village de Genolier est àpeine à vingt-cinq minu-tes de l’aéroport de Ge-nève, un peu au-dessus du

lac Léman. C’est là que Michel Pla-tini a acheté, tout en haut du vil-lage, un appartement en duplex, dans un grand immeuble ultra-moderne qui forme, avec la clini-que voisine, un curieux ensemble blanc posé au cœur de la campa-gne. Le patron de l’UEFA a accepté d’y recevoir Le Monde au moment où sa candidature à la présidence de la Fédération internationale de football (FIFA) est fragilisée par la révélation d’un paiement de 2 mil-lions de francs suisse (1,84 million d’euros), en 2011, reçu de celui qui en occupe le poste depuis 1998, Jo-seph Blatter. Il y a quelques jours, François Hollande et Manuel Valls l’ont appelé pour s’enquérir de sonmoral.

La justice suisse s’interroge sur 2 millions de francs suisses que Joseph Blatter vous a versés en 2011. Le 8 octobre, la com-mission d’éthique de la FIFA vous a suspendu tous les deux pour quatre-vingt-dix jours. Dans ces conditions, serez-vous toujours candidat à la pré-sidence de la Fédération ?

En tout cas, j’en ai toujours en-vie ! Vous voyez [il tend le bras versle lac de Genève], Zurich n’est qu’à 250 kilomètres, dans cette direc-tion. J’ai été suspendu pour troismois mais ce qui m’énerve le plus,c’est d’être mis dans le même sac que les autres. Je trouve honteuxd’être traîné dans la boue. Pour le reste, mes avocats suivent les pro-cédures FIFA et saisiront le Tribu-nal arbitral du sport si nécessaire. J’espère que tout cela va aller vite. Je ne voudrais pas être dans la si-tuation de Mohamed Bin Ham-mam qui, en 2011, s’est retrouvé suspendu avant les élections à la

tête de la FIFA puis blanchi… trop tard, une fois la réélection de Blat-ter réglée [Le Qatari avait été banni à vie de la FIFA, avant que la sanction ne soit annulée un anplus tard par la Cour arbitrale du sport. Michel Platini oublie cepen-dant que la FIFA a suspendu une nouvelle fois à vie Bin Hammandans une autre affaire de conflitd’intérêts].

Comment se fait-il que Blatter vous ait versé 2 millions de francs suisses, sans contrat, pour un travail qui s’était achevé neuf ans plus tôt ?

L’histoire peut paraître éton-nante, mais c’est pourtant celle-là.En 1998, je suis président du co-mité d’organisation de la Coupe du monde et un nouveau prési-dent de la FIFA doit être élu. Je suisà Singapour et Blatter demande à me voir dans sa chambre. Il me lance aussitôt « Alors, on y va ou pas ? » Il me dit que Havelange [Joao Havelange préside alors la FIFA depuis 1974 et achève son der-nier mandat] lui a affirmé : « Pla-tini président et Blatter secrétaire général, c’est une solution très élé-gante. » Seulement moi, ça ne m’intéresse pas. Je suis dans laCoupe du monde, je ne m’y voispas. Alors Blatter décide d’y aller : « Je me présente, mais j’ai besoinde toi. » On se revoit deux mois

plus tard. Il me demande d’êtreson conseiller pour le foot. C’est d’accord. « Combien tu veux ? », demande Blatter. Je réponds : « Un million. » « De quoi ? » « Dece que tu veux, des roubles, des li-vres, des dollars. » A cette époque, il n’y a pas encore l’euro. Il ré-pond : « D’accord, 1 million de francs suisses par an. »

Vous demandez 1 million tout de go et vous vous fichez en-suite du reste ? Soit vous êtes très orgueilleux, soit très négli-gent…

Je ne suis pas un homme d’ar-gent. J’ai été un président béné-vole du comité d’organisation dela Coupe du monde. En 1992, j’ai renoncé à aller au Real Madrid alors que les types du Real m’avaient donné un chèque où je pouvais rajouter le nombre de zéro que je voulais. Quand je dis à Blatter « 1 million de ce que tuveux », je lui dis aussi « choisis ce que tu veux me donner »…

Donc vous êtes orgueilleux. Mais aussi négligent parce qu’il n’y a pas trace d’un con-trat… Vous n’avez pas un avo-cat pour vous éviter quelques légèretés ?

Cela fait longtemps que je n’aiplus ni avocat ni agent qui négo-cient pour moi. Et puis, c’était un truc d’homme à homme. Il allait devenir président de la FIFA. LaFIFA ! J’avais confiance. De toutemanière, j’ai appris depuis qu’en droit suisse, un contrat oral vautcomme un contrat écrit. En tout cas, il a été élu et j’ai commencé à travailler en septembre.

Qu’est-ce que vous faites pour cette somme-là ?

Je travaille sur la réforme du ca-lendrier mondial des compéti-tions, sur le « goal project », un dispositif d’aides et de soutien de la FIFA aux fédérations les plus pauvres dans le monde. Et puis,

j’accompagne beaucoup Blatterdans ses voyages. Bref, je travaille vraiment et beaucoup de genspeuvent en témoigner.

Cela n’explique toujours pas les 2 millions payés en 2011.

Pourquoi seriez-vous payé si tard pour un travail qui a lieu entre 1998 et 2002 ?

En fait, je travaille plusieursmois sans rien toucher. Au boutd’un moment, je vais voir Blatter :« Tu as un problème pour me payer ? » Il me dit : « Oui. Je nepeux pas te payer 1 million à cause de la grille des salaires. Tu com-prends, le secrétaire général gagne300 000 francs suisses. Tu ne peuxavoir plus de trois fois son salaire. Alors, on va te faire un contratpour 300 000 francs suisses et on te donnera le solde plus tard. »C’est ce qui s’est passé. Seulement le plus tard n’est jamais venu.

Et vous mettez neuf ans à lui rappeler ce qu’il vous doit ?

J’ai arrêté de travailler pour luien [juin] 2002, au moment demon entrée au comité exécutif dela FIFA. Je ne demande pas parceque je ne manque pas. Vous savez,j’ai commencé à gagner de l’ar-gent à 17 ans. Je ne savais même pas que c’était possible dans le foot. Je me souviens que mon père, qui était prof de maths, n’en revenait pas non plus et avait de-mandé au club de Nancy : « Et vous allez lui donner de l’argent pour jouer ? » J’ai gardé ces va-leurs. L’argent, j’en ai assez. De-mandez à ma femme, je ne re-garde aucun compte [Christèle Platini approuve en levant les yeuxau ciel] et j’ai rarement fait des ef-forts pour m’améliorer. Je suis comme ça, assez brut de décof-frage. Mais j’aurais mieux fait de demander une reconnaissance dedette et ainsi, rien de tout cela neserait arrivé.

« Combien tu

veux ? »,

demande Blatter.

Je réponds :

« 1 million ».

« De quoi ? »

« De ce que tu

veux, des roubles,

des livres,

des dollars »

Platini : « Je trouve honteux d’être traîné

dans la boue »Suspendu trois mois par le comité d’éthique de la FIFA, le patron de l’UEFA assure avoir « toujours envie » de briguer la présidence du football mondial

Une candidature (très) compromise

A en croire son entourage,Michel Platini bénéficiaitd’un « boulevard » dans

la course à la succession de JosephBlatter, président de la Fédérationinternationale de football (FIFA) depuis 1998. Dès l’annonce de sacandidature, le 29 juillet, le diri-geant de l’Union des associations européennes de football (UEFA)s’était prévalu du soutien d’au moins 140 des 209 fédérations nationales qui éliront le prochain patron du football mondial, le26 février 2016. Deux mois plustard, l’horizon politique de l’ex-numéro 10 des Bleus s’est soudai-nement obscurci.

Auditionné en tant que « per-sonne appelée à donner des ren-seignements », le 25 septembre, M. Platini est dans le collimateur de la justice suisse en raison d’un versement de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) que luia fait Joseph Blatter, en fé-vrier 2011, « prétendument pour des travaux effectués entre jan-vier 1999 et juin 2002 ». A l’époque,il officiait comme « conseiller technique » du patron de la FIFA.

Le 8 octobre, le comité d’éthiquede la Fédération a infligé aux

deux meilleurs ennemis une sus-pension provisoire de 90 jours. « Il est mort politiquement », glis-sait alors au Monde un dirigeantde la FIFA à propos du Français,qui avait anticipé cette sanction en déposant son dossier de candi-dature. S’il a fait appel auprès dela commission de recours de l’ins-titution et pourrait saisir le Tribu-nal arbitral du sport, le patron de l’UEFA doit attendre début no-vembre et la décision de la com-mission électorale ad hoc de la FIFA. Après le dépôt officiel descandidatures, le 26 octobre, cette dernière sollicitera une enquête d’habilitation de la part du mêmecomité d’éthique avant de se pro-noncer sur leur validation. Autant dire que les chances du Français sont fines.

« En échange de quoi Platini a-t-il bénéficié de ce paiement après neuf ans de silence ? s’interrogeun cadre de la FIFA. Il n’y a rien, aucun accord écrit pour ce verse-ment. » Lié contractuellementavec l’organisation pour la pé-riode (1999-2002), Platini a tou-ché 1 050 000 de francs suisses pour ses travaux de conseiller. Luiet Blatter auraient eu un accord

verbal pour ce paiement a poste-riori de 2 millions de francs suis-ses. « Selon le droit suisse, le délai de prescription pour les demandesde salaires est de cinq ans. La FIFA aurait pu refuser ce versement neuf ans après », observe un ex-pert.

« Conflit d’intérêts »

Contrairement à ce qu’affirme leFrançais, « personne à l’UEFA ne savait en 2011 pour ce versement »,assure un fin connaisseur des ar-canes de la Confédération euro-péenne. Si quelqu’un avait su, il aurait dit à Platini : « Si tu accep-tes l’argent, il y a une menace de conflit d’intérêts. » Le versement a été fait peu de temps avant qu’il nesoutienne Blatter, et n’invite les Européens à faire de même, contrele Qatari Mohamed Bin Hammampour l’élection à la FIFA de juin 2011. » En fournissant unefacture à la FIFA pour ce verse-ment, M. Platini – qui s’expose à une suspension de plusieurs an-nées – a réclamé une somme pour une prestation qui ne figure pas dans le passif des bilans fi-nanciers de l’organisation de 2002 à 2011.

Le 15 octobre, le comité exécutifde l’UEFA a fait bloc derrière son leader. L’unité de façade a rapide-ment explosé. La Fédération an-glaise a décidé de suspendre son soutien à Michel Platini « jusqu’àla fin du processus juridique ». « Les Scandinaves et les Néerlan-dais doutent aussi », ajoute-t-on aux portes de l’UEFA.

« L’histoire de Platini n’est pastrès plausible, dit en grimaçant lepatron d’une fédération euro-péenne. Malgré les divisions, nouscontinuons à soutenir Michel jus-qu’à ce qu’il puisse se défendre, mais personne ne semble croire qu’il sera blanchi. Le problème estqu’il n’y a qu’un accord verbal en-tre lui et Blatter. C’est accablant. L’enjeu va être de trouver un leaderqui puisse venir à la table de la FIFAavec les mains propres. Mais en existe-t-il un ? »

Gianni Infantino, le secrétairegénéral de l’UEFA, a lui-même laissé la porte ouverte à une can-didature alternative – MichaelVan Praag, président de la Fédéra-tion des Pays-Bas, pourrait se lan-cer –, voire non européenne si Mi-chel Platini était disqualifié. p

rémi dupré

Bref, au bout d’un moment, vous réclamez votre argent…

J’ai demandé à mes servicesd’entrer en contact avec la direc-tion des finances de la FIFA qui a demandé à Blatter s’il me devait de l’argent. Et il a dit oui. J’ai en-voyé une facture à leur demande. Et là, je me suis trompé à mon dé-triment. Je ne me souvenais plus que j’avais été payé 300 000 francs suisses, je croyais qu’il s’agissait de 500 000 et qu’il me devait un rattrapage de500 000 par quatre années. J’ai donc envoyé une facture de 2 mil-lions. J’ai été payé dix jours plus tard sans que la FIFA fasse aucune difficulté et j’ai payé moi-mêmedes charges et des impôts sur cette somme, tout à fait normale-ment. Franchement, s’il y avait euun doute quelconque, la FIFA aurait refusé de me payer et j’aurais d’ailleurs été bien embêté car au-delà de cinq ans, il y a pres-cription et on peut refuser d’ho-norer une dette.

Est-ce Joseph Blatter qui fait sortir cette histoire pour se venger du fait que vous bri-guiez une succession qu’il ne voulait pas ouvrir ?

Je ne sais pas. Disons que j’ai desdoutes. En tout cas, tout ça est

« Chaque fois que

je me rapproche

du soleil, comme

Icare, ça brûle

de partout »

Page 15: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 sports | 15

En janvier 2012.FRED MERZ/REZO.CH

POUR « LE MONDE »

sorti à partir du moment où j’ai demandé sa démission et où j’ai été candidat. Je suis le seul à pou-voir faire en sorte que la FIFA rede-vienne la maison du foot mais chaque fois que je me rapproche du soleil, comme Icare, ça brûle departout.

Quelles étaient vos relations avec Blatter ?

J’avais de l’estime, de l’amitié.[sa femme Christèle l’interrompt pour assurer : « Tu l’admirais ! »] Oui, j’admirais le politique. Il abeaucoup de charme et je peux dire qu’il m’avait d’une certaine façon envoûté. Même s’il veut metuer politiquement, je garde unpeu d’affection pour ce que nousavons vécu ensemble.

Quand vous êtes-vous parlé la dernière fois en tête-à-tête ?

Lorsque je lui ai conseillé de par-tir. Je le lui ai dit par amitié : « Tu devrais partir, pour toi… » Il m’a répondu : « Je ne peux pas. » De-puis, on s’est croisés dans les réu-nions, on se salue, mais c’est tout.

La justice suisse s’intéresse aux conditions d’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar qu’elle soupçonne d’avoir versé des pots-de-vin. Vous ne regrettez pas d’avoir voté pour ce pays ?

Non. J’ai été le seul à avoir dit entoute transparence que j’avaisvoté pour le Qatar et le seul à ra-conter ce déjeuner à l’Elysée [le23 novembre 2010] avec Nicolas Sarkozy et l’émir du Qatar que l’onm’a reproché ensuite comme siSarkozy m’avait dit pour qui vo-

ter ! Mon honnêteté me nuit. La vérité est que j’ai voté [le 2 décem-bre 2010] parce que je voulais que la Coupe du monde ait lieu dans leGolfe, une zone où il existe un ex-traordinaire public de foot et qui ne l’a jamais eue.

Pensez-vous que, comme capi-taine de l’équipe de France, vous auriez voté pour le Qatar ?

Mais il faut arrêter les préjugés !Il y a trois heures de décalage ho-raire, on va jouer en hiver ce sera magnifique. Mon seul regret est qu’elle n’aura pas lieu dans tousles pays du Golfe pour des raisonsgéopolitiques. Il faut tout demême cesser de dire n’importequoi. Parce que j’ai voté pour la Russie [pour l’attribution du Mon-dial 2018], on raconte que j’ai reçu des Picasso de Poutine. Heureuse-ment que Raspoutine est mort, si-non on m’accuserait d’être soncomplice !

On vous critique aussi parce que votre fils, Laurent, travaille pour l’équipementier qatari Burrda Sport, détenu par le fonds Qatar Sports Invest-ments (QSI), propriétaire du PSG. Ne vaudrait-il pas mieux qu’il démissionne pour lever les doutes sur un possible con-flit d’intérêts ?

Mais cela n’a rien à voir avec laCoupe du monde ! C’est SébastienBazin [ex-patron de Colony Capi-tal, actionnaire principal du PSG] qui lui a présenté l’équipementieret il y est entré un an et demi après le vote en faveur du Qatar[Laurent Platini travaille pour QSI depuis novembre 2011]. Il n’y aaucun conflit d’intérêts. Mon filsfait sa vie et je ne vais certaine-ment pas intervenir dedans.

Vous savez bien, tout de même, que la FIFA est minée par les appétits mercantiles et la cor-ruption…

Je sais qu’il y a un système ar-chaïque, avec des gens archaï-ques. La télévision a amené l’ar-gent et l’argent a amené des gens qui aiment l’argent. Il va falloirmettre des contrôles à tous les ni-veaux. Le changement de prési-dent est une bonne opportunité. Quand on balaye, on balaye par le haut. Beaucoup de gens sont déjà partis, il y a du renouvellement, il faut pousser la transformation.De toutes les façons, si la FIFA ne change pas, c’est le FBI qui se char-gera de la faire changer.

Avez-vous lu le rapport du pro-cureur Michael Garcia sur les conditions d’attribution des Mondiaux 2018 et 2022 ? Si vous êtes élu président de la FIFA, vous engagez-vous à le publier ?

Je n’y ai pas eu accès et je ne saisdonc pas ce qu’il y a dedans. C’est compliqué de le publier parce qu’il y a des témoignages et des personnes citées qui ne veulentpas apparaître. Mais pourquoipas… Et puis, je m’appliquerai à moi-même une limitation à deux mandats. Le foot a besoin de la FIFA et je suis le seul footballeur suffisamment populaire en posi-tion de prendre la présidence et de régler enfin les choses.

Un Français peut-il encore diri-ger la FIFA face aux rivalités anglo-saxonnes, aux appétits asiatiques, à l’émergence de l’Afrique ?

C’est difficile de fédérer des gensde cultures différentes. Certains ont peur de leur presse, d’autres affichent leurs désaccords mais ensuite votent pour vous. Je ne crois pas avoir perdu beaucoup devoix et les gens qui me connais-sent savent que je peux me regar-der dans un miroir. Je suis blindé. Cela fait quarante ans qu’on me juge sans arrêt, « t’as raté un but ! », « t’as fait une mauvaise équipe ! », « t’as fait le fair-play fi-nancier ! » J’espère seulement quel’on ne va pas m’empêcher de me présenter. Ça les énerve que ce soit un footballeur et pas un pur politique qui veuille diriger. Maisje n’aime pas perdre. Surtout pourune affaire qui n’en est pas une. p

raphaelle bacqué

Comment le rugby français s’est éteintLa défaite face aux All Blacks a été le cruel révélateur de la crise d’identité du XV de France

cardiff – envoyé spécial

Le rugby français est encrise. Et la lourde défaite(62-13), samedi 18 octobreau Millennium Stadium

de Cardiff face à la Nouvelle-Zélande, en a été le cruel révéla-teur. Mais le mal est plus profond que cette élimination cauchemar-desque, échec le plus lourd jamaisenregistré à ce niveau de la com-pétition.

« C’est un peu la défaite du rugbyfrançais dans son ensemble », ré-sume Thierry Braillard devant les caméras de télévision. Le secré-taire d’Etat aux sports avait fait le déplacement jusqu’au Pays de Galles spécialement pour lematch. Il est servi. En huit édi-tions, jamais la France n’a paru aussi loin des demi-finales du Mondial. Samedi 24 et dimanche 25, à Londres, celles-ci opposerontpour la première fois quatre na-tions de l’Hémisphère Sud : Nou-velle-Zélande - Afrique du Sud et Argentine-Australie.

Le constat de ce mal-être profondest partagé par celui-là même que la vindicte accuse : Philippe Saint-André, sélectionneur du XV de France depuis quatre ans. « Aujourd’hui, j’espère que le rugby français va se remettre en question pour donner des moyens aux joueurs », lâche, la gorge nouée, ce-lui dont le mandat s’achève à l’is-sue de cette Coupe du monde.

Saint-André est-il le seul coupa-ble ? Non. Le problème dépasse deloin ses erreurs personnelles, son plan de jeu illisible et son inédite succession de contre-performan-ces – vingt victoires à peine enquarante-cinq matchs.

« Sanction »

Le prédécesseur de « PSA », Marc Lièvremont, resitue le débat. Dans une chronique au Monde, le fina-liste du Mondial 2011, battu d’un point face à cette même Nouvelle-Zélande (8-7), considère la large dé-faite de samedi comme « une sanction contre les belles paroles,les faux-semblants, l’hypocrisie et la suffisance d’un rugby [français] empêtré dans ses certitudes, qui aautoproclamé le Top 14 “meilleur championnat du monde” ».

Là où d’autres pays concentrentleurs ressources sur la sélection nationale, l’Ovalie française pâtit encore et toujours de ses propres dissensions depuis l’avènement du professionnalisme, en 1995. D’un côté, des clubs profession-nels de plus en plus puissants qui

privilégient leur santé économi-que et sportive. De l’autre, un XV de France de moins en moins in-fluent face à eux, et donc de moinsen moins apte à la conquête d’un premier sacre mondial.

Tous sous contrat avec leur fédé-ration (qui les « prête » à des clubs locaux), les Néo-Zélandais bénéfi-cient de temps de repos et d’entraî-nement spécifiques pour l’équipe nationale. Les rugbymen français, eux, ont pour employeurs les clubs du championnat de France. Et se retrouvent tiraillés entre les injonctions permanentes du Top 14 et les convocations ponctuelles du XV de France.

La différence s’en ressent dansleur calendrier, de plus en plus chargé, de plus en plus « effréné »,selon le talonneur Guilhem Gui-rado, mobilisable onze mois sur douze entre Toulon et le XV de France. « Bien sûr qu’on aimerait avoir moins de matchs, etc., mais on comprend aussi les clubs qui paient nos salaires », concède son coéquipier en sélection, le centre Wesley Fofana, finaliste du Top 14 et de la Coupe d’Europe avec Clermont.

Le Rugby club toulonnais cristal-lise les critiques, notamment celle de recruter à prix d’or des têtes d’affiche sud-africaines, austra-liennes ou néo-zélandaises qui empêcheraient l’éclosion de jeu-nes du cru. En mai, lors de son troi-sième titre d’affilée en Coupe d’Eu-

rope, seuls quatre de ses quinze ti-tulaires étaient français : Guirado, donc, mais aussi Mathieu Basta-reaud et Sébastien Tillous-Borde, ainsi que Xavier Chiocci, non re-tenu pour le Mondial.

Ironie de l’histoire, l’un des hom-mes qui réclame « une véritable ré-volution en profondeur du rugby français » se trouve être justementl’entraîneur de Toulon – comme le fut Philippe Saint-André – BernardLaporte. Entre ses commentaires sur TF1 et sur RMC, l’ancien secré-taire d’Etat aux sports sarkozyste (2007-2009) mène campagne. Il ambitionne de déloger le taciturnePierre Camou de la présidence de la Fédération française de rugby, poste que ce banquier basque à la retraite, mutique le week-end der-nier, remettra en jeu en 2016.

Des détracteurs pourraientpourtant rétorquer que, lorsque M. Laporte entraînait la sélection,

le XV de France présentait déjà dessignes de délitement. A domicile, ses Bleus avaient buté en « petite finale » du Mondial 2007 face à aux Argentins, également domi-nateurs en match d’ouverture.

Surtout, commençait à s’impo-ser une idée illusoire : celle qui veut que, pour rivaliser avec les na-tions championnes du monde (Nouvelle-Zélande, Australie, Afri-que du Sud ou Angleterre), le XV deFrance devrait se murer dans une philosophie où prime la seule di-mension physique.

La piètre campagne bleue de2015 en a été le résultat : adieu, prise d’initiatives ; adieu, jeu dans les intervalles ; adieu, enchaîne-ment de passes… autant de quali-tés que l’on retrouve aujourd’hui chez les rivaux des tricolores. « Le “French flair”, écrit Marc Lièvre-mont, est définitivement enterré sous la pelouse du Millennium Sta-dium de Cardiff. »

Philippe Saint-André a d’avancesouhaité « bonne chance » à son successeur en équipe de France, Guy Novès. Désigné dès le mois demai, l’ex-grand manitou du Stade toulousain (dix titres en cham-pionnat de France, quatre en Cou-pes d’Europe) débutera en fé-vrier 2016 pour le Tournoi des six nations. Un sommet continental que le XV de France n’a plus rem-porté depuis son Grand Chelem de2010. p

adrien pécout

Le volley tricolore allume l’EuropeLes Bleus ont remporté le premier titre continental de leur histoire face à la Slovénie

E t si on parlait de volley cettesemaine ? » C’était le titreimplorateur d’un e-mail en-

voyé mardi 13 octobre par l’agence de communication de l’équipe de France de volley-ball, listant mille bonnes raisons d’écrire un article sur son client. La demande était osée, en semaine de matchs ami-caux des Bleus du football et depréparation d’un France - Nouvel-le-Zélande en quarts de finale de laCoupe du monde de rugby. Mais dimanche 18 octobre, le passage del’orage all black avait éclairci l’hori-zon et ces Bleus-là se sont assurés que l’on « parle de volley » en deve-nant pour la première fois cham-pions d’Europe.

En finale à Sofia, les volleyeurstricolores ont dominé la surprise du tournoi, la Slovénie, trois sets à zéro, à l’issue d’un match accroché (25-19, 29-27, 29-27). Les hommes de l’entraîneur Laurent Tillie ont dû attendre leur cinquième balle de match pour conclure, sur un smash insolent de leur star Earvin Ngapeth, dos au filet.

Le volley n’est plus le vilain petitcanard des sports collectifs fran-çais : le sport qui a traumatisé desgénérations de collégiens préfé-rant fuir le ballon que tenter unemanchette accède à son tour auGraal continental.

Ambitieuse et turbulente

Il y a trois mois, la même équipeavait mis fin à la disette du volley bleu en remportant au Brésil la Li-gue mondiale, le feuilleton an-nuel des sélections nationales. Cette génération ambitieuse, ri-golarde et turbulente, déjà brillante dans les catégories de jeunes, s’est donné un surnom évocateur : la « Team Yavbou », verlan de « bouillave », un mot d’argot gitan signifiant un acte sexuel plutôt viril, et par exten-sion le fait de détruire un rival. Elle rêve de connaître le même destin qu’une autre sélection na-tionale rendue célèbre par ses ti-tres et ses surnoms, des « Bar-jots » aux « Experts » : celle des handballeurs.

Le volley français peut se repo-ser sur cette équipe pour les an-nées à venir, car elle est encorejeune – à 29 ans, Antonin Rouzier,élu meilleur joueur du tournoi,fait figure d’ancien. Ses succèssuffiront-ils à rendre au volley laplace qu’il occupait il y a une trentaine d’années dans la hiérar-chie des sports de salle, à égalité avec le basket et devant le hand-ball ? Pas certain, admet PhilippeBlain, star du volley français à l’époque et sélectionneur natio-nal de 2001 à 2012.

« Les autres sports ont avancé,pas nous. Il n’y a pas de présenceen continu, année après année, et nous payons notre absence auxJeux olympiques [trois participa-tions seulement, 1988, 1992 et 2004] », estime l’ancien sélec-tionneur.

Surtout, insiste Philippe Blain,la France n’a plus organisé un seulévénement depuis les champion-nats du monde à Paris en 1986. Le résultat, selon lui, d’un « manque de vision et d’ambition » de la Fé-

dération française de volley-ball (FFVB). « Quand on veut installer son sport, il faut organiser degrands événements et avoir une équipe qui peut réussir de bonnes choses. Là, on a l’équipe donc c’estle moment de pousser. J’espère quela Fédération française avait prévudes choses pour surfer sur ce résul-tat auquel on pouvait s’attendre. »

La FFVB est empêtrée depuis desannées dans des querelles internesqui ont abouti à une motion de dé-fiance contre son président, Yves Bouget, au mois de mai. Eric Tan-guy, élu en septembre, est le qua-trième dirigeant du volley françaisen sept ans. Sa tâche est immense :le secteur féminin et le beach-vol-ley, pourtant discipline olympi-que, sont à la peine et le nombre delicenciés (124 371 en 2014) est dé-sormais incomparable avec ceux du rugby (438 144), du handball (513 194) et du basket (600 169). Avec son sans-faute européen, la « Team Yavbou » lui a offert un coup de main bienvenu. p

clément guillou

Le XV de France, sonné après la défaite (62-13) face aux All Blacks, samedi 17 octobre, à Cardiff.FRANCK FIFE/AFP

« Le “French

flair” est

définitivement

enterré sous

la pelouse

du Millennium

Stadium »

MARC LIÈVREMONTex-sélectionneur des Bleus

Page 16: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

16 | débats MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

¶Johann Chapoutot est professeur à la Sorbonne nouvelle-Paris-III, membre de l’Institut universitaire de France. Derniers ouvrages parus : La Loi du sang. Penser et agir en nazi (Gallimard, 2014) ; Histoire de l’Allemagne, de 1806 à nos jours (PUF, « Que sais-je », 2014)

Dernier sommet | par serguei

L’obsession de l’espace vital et la crainte de la famine restent dangereuses

par johann chapoutot

T imothy Snyder nous offre, avec BlackEarth : the Holocaust as History and War-ning (Tim Duggan Books, 2015, non tra-

duit), un livre d’histoire à thèse, et celle-ci sur-prend, voire choque. Snyder nous explique que, jusqu’ici, une dimension a généralement man-qué dans notre intelligence de ce phénomène exorbitant que fut la Shoah. Il affirme que les me-nées criminelles du IIIe Reich furent solidaires d’une conception de la nature et d’une obsessionde la pénurie chez les hiérarques de ce régime. L’auteur rappelle que la mémoire de la famine était bien présente dans l’univers mental des na-zis. Quelle famine ? Celle de la Grande Guerre,lors de laquelle l’Allemagne, puissance centrale etessentiellement continentale, fut soumise à son pire cauchemar stratégique, celui qui a dicté les plans militaires allemands depuis 1813 au moins :l’encerclement, la guerre sur deux fronts et le blocus. Ce blocus a entraîné la mort, par dénutri-tion et par maladie, de 900 000 à un million de civils allemands et autrichiens. D’autres histo-riens le montrent : nourrir le peuple allemand, fût-ce au prix de l’extinction d’autres peuples, futune obsession des nazis au pouvoir.

Les nazis, Timothy Snyder le rappelle, ont uneconception zoologique de l’histoire, et rabattent la culture sur la nature, l’homme sur l’animal. Les races sont à leurs yeux prises dans un com-bat vital pour la maîtrise des territoires et des res-sources. La race germanique, dynamique démo-graphiquement, au moins jusqu’en 1914, est une espèce en quête d’espace. Foin du progrès agro-nomique, dit Hitler : il faut revenir aux fonda-mentaux, à la loi de la nature, à la loi du sang, etredevenir des bêtes de proie. Fortement impré-gné, comme à peu près toutes les élites de son temps, par le darwinisme social et le racisme, Hitler radicalise le propos et, surtout, fait passer l’Allemagne à l’acte. Il est clair, en tout cas, quel’Est est un « espace vital », c’est-à-dire un espace sans lequel la survie de l’espèce est impossible.

BIOTOPE

C’est sur le fondement de ces conceptions de la géographie, de la biologie et de l’histoire qu’est élaboré un « Plan général Est » par lequel univer-sitaires, hauts fonctionnaires, militaires et poli-ciers dessinent ce Grand Reich du Lebensraum : un empire colonial, tissé d’autoroutes et de trains à grande vitesse, maillé de villes nouvelleset de zones « à dépeupler », qui est la réalisation concrète de ce « Reich de mille ans » promis parles nazis. Cela nous apparaît aujourd’hui délirantmais, et c’est aussi là que le livre de Tim Snyder gêne, penser l’espace en termes de Lebensraum n’est pas une lubie nazie : le terme n’est même pas inventé par eux, mais par ces spécialistes de sciences naturelles qui, au XIXe siècle, élaborent la notion de biotope, dont Leben(s) (bios, en grec) - Raum (topos) est la traduction littérale.

Prestige des sciences naturelles et darwinismesocial aidant, tout le monde pense, en Occident, en ces termes : la colonisation est censée donnerun arrière-pays fertile et potentiellement infinià des métropoles jugées peu ou prou stériles. L’Occident, dont les démocraties, fait sa cure de jouvence et acquiert une assurance-vie en Afri-que et en Asie. Les nazis veulent aussi leur em-pire mais, en déterministes stricts, ils évitent les zones tropicales qui peuvent faire muter la race :ils veulent coloniser sous les mêmes latitudes, plein est, et édifier ainsi un empire non pas ul-tramarin, mais continental. Autrement dit, lespratiques nazies relèvent d’une forme de droit commun européen et illustrent (de manière pa-

roxystique) une norme européano-occidentale au lieu de constituer une exception.

On touche là à un autre reproche adressé à Sny-der : il relativiserait les crimes nazis, dont laShoah, qui doit demeurer une exceptionnalité impensable. En l’occurrence, Snyder, par sonœuvre, est de ceux qui permettent l’intelligence de ce qui apparaît d’abord inintelligible : en ex-plorant très au fond les conceptions nazies de l’espace, dans Terres de sang (Gallimard, 2010) puis de la nature, dans Black Earth, il contribue à restituer un univers mental qui a rendu pensa-bles, puis souhaitables et possibles, des massa-cres inédits par leur intensité et leur extension, ainsi que le crime ultime du génocide. Snyder ne minimise en rien la culture antisémite qui fondele discours nazi. Au contraire, Snyder contribue àmontrer que cela fut possible, car ce fut pensable.

On reproche à l’historien de comparer présentet passé, « panique écologique » actuelle et quête nazie de la terre. Tim Snyder, en tant que citoyen et intellectuel, est préoccupé par l’obscurantismeclimatosceptique, singulièrement dans son pays,les Etats-Unis. Il voit dans le passé récent de l’Eu-rope des phénomènes dont certaines conditionssemblent se reproduire actuellement. Sort-il deson rôle ? Nous pensons que non. D’abord parceque son livre est un livre d’histoire, nourri par une exceptionnelle, sinon unique, connaissance des archives et de l’historiographie, et qu’il ré-pond aux réquisits de la science : l’auteur cite, ré-férence et s’appuie sur sources et collègues.

Ensuite, parce que la thèse de son livre est pré-sentée comme telle, c’est-à-dire, au fond, commeune hypothèse : l’auteur ne prend jamais de hautses lecteurs et leur donne les moyens de mettre en perspective ses propres assertions. Enfin, parce que ses développements touchant au pré-sent sont bien distincts du reste de l’ouvrage,dans un chapitre conclusif. On reproche souvent,et plaisamment, aux historiens d’être comme lesmilitaires, et d’avoir toujours une guerre de re-tard. Se plaindra-t-on ici que Snyder nous donne un temps d’avance ? p

Lire la version intégrale sur Lemonde.fr

En montrant l’effet meurtrier d’un désordre écologique, Timothy Snyder nous indique de façon convaincante qu’il est bon que l’historien ait parfois un temps d’avance

Peut-on comparer l’obsession nazie de l’espace vital aux paniques environnementales dont l’historien américain Timothy Snyder soutientqu’elles sont le terreau de massacres futurs ? Deux spécialistes répondent

Peut-on parler de génocide écologique ?

L’impérialisme environnemental n’explique pas la Shoah

par richard j. evans

T imothy Snyder dans « Le Monde » du6 octobre nous invite à réfléchir avec at-tention aux leçons qui peuvent être ti-

rées de la Shoah. Or il me semble que les ensei-gnements qu’il en tire sont erronés et que ses arguments dénotent une incompréhensionnon seulement de la nature du génocide et del’extermination nazis, mais aussi du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui et de l’ave-nir qui l’attend.

Snyder commence son article en disant : « Laguerre qui a placé les juifs à la merci d’Hitler a étédéclenchée parce que celui-ci estimait que l’Alle-magne avait besoin de plus de terres et de nourri-ture pour survivre et préserver son niveau de vie,et que les juifs, et leurs idées, représentaient une menace à son violent programme expansion-niste. » Hitler était en effet convaincu qu’il fal-lait plus de territoires et de nourriture à l’Alle-magne si elle voulait survivre et préserver sonniveau de vie. A ses yeux, la défaite de l’Allema-gne lors de la première guerre mondiale avait été causée par l’effondrement du moral de l’ar-rière, dû pour l’essentiel à la malnutrition, à la faim et à la famine en raison du blocus allié.

Dès le départ, Hitler eut pour projet de dé-clencher une nouvelle guerre par laquelle l’Alle-magne ferait voler en éclats le traité de Ver-sailles de 1919, récupérerait les territoires dont ce traité l’avait privée et conquerrait de largesportions de l’Europe orientale, en particulier les champs de céréales et la très fertile « cein-ture du tchernoziom » qui s’étend dans la par-tie occidentale de l’Union soviétique. Et il croyait aussi à un complot juif mondial visant àentraver ces projets. C’est cette idée, renforcéepar l’entrée de l’URSS à la suite de l’invasion na-zie de juin 1941 puis celle des Etats-Unis, quipoussa Hitler à déclencher une offensive rhéto-rique massive et meurtrière contre la « juiveriemondiale ».

Il est important de ne pas oublier ces faitsfondamentaux à propos des objectifs d’Hitler

car Snyder confond la théorie conspiration-niste paranoïaque d’Hitler sur l’existence d’uncomplot juif mondial visant à la destruction del’Allemagne avec sa conviction que l’Europeorientale devait être colonisée. Les juifs auraient de toute façon été éliminés en tant que « bouches inutiles », selon la terminologienazie, mais ils étaient avant tout visés parcequ’ils étaient considérés comme une menace existentielle pesant sur l’Allemagne, et non comme un simple obstacle à l’amélioration duniveau de vie allemand.

Snyder se méprend également sur l’attitudedes nazis à l’égard de la science moderne. La vo-lonté de domination d’Hitler ne se fondait passur « le déni de la science », comme le prétendSnyder, et le Lebensraum (espace vital) n’étaitpas une « alternative à la science ». Au contraire, l’attitude d’Hitler face à la science était incon-testablement positive. Loin de refuser l’applica-tion des techniques scientifiques à l’agriculture,le IIIe Reich versa des subventions aux agricul-teurs afin qu’ils se procurent du matériel mo-derne et imposa une réduction des prix des en-grais artificiels que l’industrie chimique alle-mande, la plus puissante et la plus avancée du monde, produisait en vastes quantités.

INCOMPRÉHENSIONL’incompréhension dont fait preuve Snyder de-vant l’attitude nazie à l’égard de la science sem-ble pourtant insignifiante par rapport à son in-compréhension du monde dans lequel nous vi-vons aujourd’hui. Sa vision cauchemardesque du réchauffement climatique conduisant à une lutte mondiale pour le Lebensraum relève dufantasme. Il existe aussi peu de signes d’une « panique écologique » dans le monde actuelqu’il n’y en avait dans l’Allemagne hitlérienne.Les génocides qui ont marqué les décennies d’après-guerre ont été tout autant idéologique-ment motivés que le génocide des juifs par Hit-ler : la peur d’une famine de masse n’y a joué aucun rôle.

Les islamistes radicaux se moquent bien des’assurer « un grand petit déjeuner, un grand déjeuner et un grand dîner ». L’invasion russede l’Ukraine orientale n’est pas une tentative de récupérer du Lebensraum mais une interven-tion politique destinée à restaurer la popularité déclinante de Vladimir Poutine sur le plan inté-rieur en le présentant comme le défenseur de laRussie contre la menace « fasciste ». Les mil-lions de migrants et de réfugiés qui se pressent aux frontières de l’Europe ne fuient pas la sé-cheresse ou la famine, mais la guerre civile et lesconflits armés. Les massacres perpétrés en Ré-publique centrafricaine sont le résultat de la haine religieuse entre chrétiens et musulmans, et non une conséquence du réchauffement cli-matique. L’investissement chinois à l’étranger est motivé par la croissance économique, non par la panique écologique.

Du moins pouvons-nous convenir que le ré-chauffement climatique fait peser une menacemajeure sur l’avenir de la planète. Ceux qui nient le réchauffement climatique rejettent de fait la science et adhèrent à des théories conspi-rationnistes qui pourraient causer d’immenses dégâts en entravant la recherche de nouvellestechnologies capables de réduire les émissionsmondiales de carbone. Mais les identifier à Hit-ler ne constitue pas seulement un exempled’exagération rhétorique, c’est également une erreur factuelle. Hitler était un fervent admira-teur de la science moderne, et non son ennemi :d’où, entre autres, son soutien aux efforts desscientifiques allemands pour développer le mo-teur à réaction, la fusée et la bombe atomique. Ce qui montre d’ailleurs que la science n’est pas intrinsèquement bonne, comme semble lecroire Snyder. p

Traduit de l’anglais par Gilles Berton

Lire la version intégrale sur Lemonde.fr

Croire qu’il y a une « panique » due au réchauffement climatique lourde de génocides futurs relève du fantasme et non d’une analyse sérieuse du nazisme et du monde d’aujourd’hui

¶Richard J. Evans est historien, préside le Wolfson College de l’université de Cambridge. Il est l’auteur du livre Le Troisième Reich (volume I : L’Avènement ; vol. II : 1933-1939 ; vol. III : 1939-1945), chez Flammarion (Paris, 2009)

Page 17: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 éclairages | 17

LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE

ANALYSEmichel noblecourt

Editorialiste

Ce sont des images qui ont circulé enboucle sur la Toile et ont été pu-bliées par de nombreux médiasétrangers : lundi 5 octobre, deux ca-

dres dirigeants d’Air France sont violemment agressés par une poignée de salariés en colère,s’insurgeant contre la menace de 2 900 sup-pressions d’emplois. Les chemises arrachéesillustrent, en un rien de temps, l’état social dupays. Nicolas Sarkozy n’hésite pas à parler de « chienlit » et Air France devient le miroir de laFrance tout entière, un Etat où la violencetient lieu de dialogue social. « Des manifesta-tions violentes qui sont la norme en France », écrit le Daily Mail, quotidien britannique con-servateur. Si de tels actes sont inadmissibles, ils donnent pourtant une image tronquée dela réalité, dont s’emparent aussitôt les appren-tis sorciers de tous bords.

A droite, le « syndicalisme bashing », selon laformule de Laurent Berger, le secrétaire géné-ral de la CFDT, bat son plein. « Nous ne pou-vons pas accepter que deux dirigeants soientau bord de se faire lyncher par des hommes en tenue de syndicaliste, s’indigne M. Sarkozy, avec des syndicats qui ont pignon sur rue et quiont tous appelé à voter pour François Hollandeen 2012. » Qu’importe qu’il s’agisse d’une con-tre-vérité – en 2012, seule la CGT a appelé ex-plicitement à voter pour le candidat socialiste

au second tour –, le président du parti Les Ré-publicains aime à la répéter.

En juin, il avait même affirmé, devant deschefs d’entreprise allemands, que « le pro-blème des syndicats français, c’est que ce sont plus des partis politiques que des syndicats ».Retrouvant les accents de sa campagne de2012 contre « les corps intermédiaires », l’an-cien chef de l’Etat, qui avait pourtant relégi-timé les syndicats en modifiant, par la loi du 20 août 2008, les règles de leur représentati-vité, n’en démord pas : « Il faudra, a-t-il ajouté,réformer la démocratie sociale pour avoir des syndicats qui soient de vrais syndicats. »

UNE CONFLICTUALITÉ FAIBLEDans la foulée, d’autres dirigeants de ladroite ont relayé ce refrain antisyndical. « Il ya trop de syndicats en France qui font du blo-cage », a asséné le député (LR) Laurent Wau-quiez, en jugeant qu’ils « ne représentent plusqu’eux-mêmes ». L’ancien ministre préconisede sauter la case dialogue social et de « passerpar des référendums directement », une solu-tion qu’envisage aussi la députée (LR) Natha-lie Kosciusko-Morizet « en cas de blocage desnégociations ». Ainsi le conflit à Air Franceimpose de repenser le modèle social etd’imaginer un monde sans syndicats et avecun code du travail réduit à quelques feuillets,une sorte de retour au XIXe siècle, quitte àvoir refleurir des coordinations incontrôla-bles, des bonnets multicolores jusqu’au-bou-tistes et des référendums ouvrant les vannesdu populisme.

Ces apprentis sorciers ne devraient pas sefocaliser sur le seul cas d’Air France, mais avoir une vision plus globale. La cause est en-tendue : les syndicats sont faibles – avec un taux de syndicalisation de moins de 8 %, 5 %dans le secteur privé –, mais ils comptent plusd’adhérents que les partis politiques. Ils ti-rent leur légitimité de leur audience électo-rale – comme l’a voulu M. Sarkozy en 2008 –et aux élections professionnelles dans les en-treprises de plus de onze salariés, la participa-tion, même si elle est en baisse, tourne autour de 60 %, quand l’abstention était de 57,57 % aux élections européennes de 2014 et de 50,02 % au second tour des élections dé-partementales de 2015.

La conflictualité est faible : en 2013, seules1,2 % des entreprises de dix salariés ou plus ont connu une ou plusieurs grèves. Depuis,cette tendance reste stable. Si, qualitative-ment, le dialogue social a encore des progrès àfaire dans un pays où la culture du compro-mis n’est pas monnaie courante, quantitative-ment il offre un bilan satisfaisant : en 2014, 951 accords ont été signés dans les branches professionnelles et 36 500 dans les entrepri-ses. Là où elle est présente, la CGT signe, bonan mal an, autour de 85 % de ces contrats.

Du côté syndical, les incidents à Air Franceont donné du grain à moudre aux partisans de la radicalité. Philippe Martinez, le secré-taire général de la CGT, a refusé de condamnerles agressions, y voyant une manifestation de l’exaspération des salariés face à la « violencepatronale ». L’interpellation, au petit matin, et

la garde à vue de cinq salariés suspectés d’être les auteurs de ces violences s’ajoutant auxpropos du premier ministre, Manuel Valls,qualifiant ces derniers de « voyous » ont jeté de l’huile sur le feu. Et la déclaration du chef del’Etat déplorant « la brutalité d’un certain nom-bre de décisions qui peuvent être celles des pa-trons » n’a pas eu l’effet apaisant recherché. Audiapason du Parti communiste, M. Martinez soutient bec et ongles que la « colère sociale » monte au lendemain d’une journée interpro-fessionnelle d’actions, le 8 octobre – après l’épisode des chemises déchirées –, passée to-talement inaperçue.

Après avoir déclaré au Monde du 22 septem-bre que « le syndicalisme, par essence, est réfor-miste » et que la négociation « est une des fina-lités du syndicalisme », M. Martinez s’installehors du jeu social et dans une opposition frontale au pouvoir. Le 12 octobre, la CGT dis-cutait avec la CFDT pour présenter, à la confé-rence sociale du 19 octobre, des propositions communes sur le compte personnel d’activitéqui répond à sa vieille revendication sur la sé-curité sociale professionnelle.

Le 14 octobre, M. Martinez, quitte à surpren-dre certains responsables de la CGT, annon-çait le boycottage de la conférence. Il fait le pari que cette posture radicale lui permettra d’être réélu à son congrès, en avril 2016, à Mar-seille. Quitte à jouer les apprentis sorciers avec une CGT affaiblie, en chute libre dans les élections professionnelles. p

[email protected]

LE CONFLITÀ AIR FRANCE IMPOSERAIT

DE REPENSER LE MODÈLE SOCIAL,

UNE SORTE DE RETOUR

AU XIXE SIÈCLE

Le syndicalisme et les apprentis sorciers

La mort dans les yeux du drone

LIVRE DU JOURnathalie guibert

Il se définit comme un combattant, et saguerre nous dérange au sens où elle noustient en haleine autant qu’elle nous inter-roge. Mark McCurley est un officier de l’ar-

mée de l’air américaine. Entre 2003 et 2012, cet ancien pilote de chasse a vécu l’avènement des drones. Engagé dans la traque de Ben Laden et de ses lieutenants d’Al-Qaida, jusqu’à comman-der à Djibouti l’escadrille qui frappait au Yé-men, il livre un témoignage précieux pour comprendre cette révolution.

Au départ, peu de volontaires comme luipour servir les Predator, mais « des recrues inex-périmentées, des types en échec, des gosses à problèmes et des pilotes de chasse usés ». La technologie a précédé la réflexion de l’armée, lapage est blanche : il faut même écrire les ma-nuels opérationnels tout en volant. Mais en moins de dix ans, les avions sans pilote s’impo-sent. « En 2003, on nous demandait surtout d’ob-server et d’écouter. A côté des escadrilles de chas-seurs, nous étions considérés comme des ci-

toyens de seconde classe. Au fil d’une guerre lon-gue d’une décennie, nous étions devenus des chasseurs », résume le spécialiste.

Armés de missiles, les Predator appuient lestroupes américaines prises sous le feu. Ils frap-pent l’ennemi dans sa voiture ou sur le seuil de sa maison, dans les villages afghans, irakiens ou yéménites. Au mitan des années 2000, « desécrans vidéo apparaissent dans la plupart des bases d’Irak et d’Afghanistan. Les soldats regar-daient, fascinés, des missions que nous considé-rions comme ennuyeuses », raconte l’auteur. « On appelait ça du “porno Predator”. »

ADRÉNALINE ET ROUTINEVue de l’intérieur, cette guerre procède d’un sai-sissant mélange de bureaucratie techniciste et de fragilité humaine. Les opérateurs, basés au Nevada à des milliers de kilomètres de leurs ci-bles, travaillent par tranche de huit heures, iso-lés dans un bureau-conteneur climatisé. L’adrénaline – ne pas casser le drone dans l’orage, par exemple – alterne avec la routine. « Après une frappe, environ deux heures de pape-rasse. » La surveillance, au loin, crée sa propre ironie – au bout d’un temps, on ne sait plus qui

surveille qui. Mark McCurley évoque ce citoyenirakien en panne de voiture qui lève les mains face au ciel, pour se rendre à la machine.

Mais au-delà, « les jours où le sang coule res-tent difficiles », témoigne le pilote, qui a traqué depuis le ciel du Pakistan « le Capitaine », un ca-dre d’Al-Qaida. « Nous passions tellement de temps avec la famille que je savais à quoi ressem-blaient les gosses du « Capitaine « et par où ils al-laient à l’école. Je savais comment sa femme fai-sait la lessive et où elle achetait son dîner. » Un « terroriste » certes, mais regardé dans les yeux à 7 000 mètres d’altitude. Les pilotes de chasse, eux, restent loin. Les Predator montrent des ci-bles en plein écran, et s’attardent sur le carnageaprès-coup pour évaluer le résultat de leur ac-tion. « Nous sommes trop près. Nous en savons trop », écrit l’auteur. Selon ce combattant re-traité, la plus grande erreur au sujet des drones serait de croire qu’ils permettent de mettre la mort à distance. p

Hunter Killer. La guerre des drones par ceux qui la fontde Mark McCurley avec Kevin MaurerSeuil, 352 pages, 21 euros

¶Jean-Bernard LévyPDG d’EDFLe Grand Rendez-Vous avec « Le Monde »est diffusé chaque dimanche de 10 heures à 11 heuressur Europe 1 et i-Télé

LE GRAND RENDEZ-VOUS EUROPE 1, LE MONDE, I-TÉLÉ

Jean-Bernard Lévy : « L’énergie solaire commence à être compétitive »Si vous arrêtez la centrale de Fessen-heim, l’Etat devra indemniser ses ac-tionnaires. Allez-vous enfin nous dire le chiffre ?Je ne vous donnerai aucun chiffre aujourd’hui. Nous allons désormais en-trer dans des discussions sur l’indemni-sation d’EDF au titre de la fermeture de Fessenheim qui résulte de la loi. Fin 2018,lorsque Flamanville sera connectée au réseau, la loi nous obligera à déconnec-ter une puissance équivalente du réseau.Ce débat va être basé sur des calculs d’économistes, qui démarrent à peine.

Les cadres d’EDF ont douze semai-nes de vacances. Ils doivent tra-vailler 196 jours, et vous n’arrivez pas à les faire baisser ?

Oui, il y a des régimes qui sont assezdiversifiés, mais il y a en effet certains cadres qui travaillent moins de 200jours par an. Ce que nous avons essayé de faire, c’est d’unifier ces régimes et depasser les cadres au forfait jour, c’est-à-dire qu’ils viennent travailler un cer-tain nombre de jours dans l’année, de façon à ce qu’ils soient plus en respon-sabilité.

Il y a chez EDF un accord qui date de

1999, chacun sait qu’il va falloir le fairebouger, le moderniser. Pour l’instant, çan’a pas abouti.

Vous reculez, à la différence d’Air France ?

Non, je n’ai pas l’impression de recu­ler. Je fais progresser EDF.

Bientôt, chacun va pouvoir dans sa propre maison produire son électri-cité. A quoi allez-vous servir ?

C’est un énorme défi pour EDF qued’accompagner cette transformation vers ce qu’on appelle la production dé­centralisée, l’autonomie en matièred’électricité, production et consomma-tion. On dit aussi autoconsommation. C’est un grand défi parce que nous avons chez EDF la volonté d’aider lesgens à le faire. Et, l’autre défi, il est tech-nologique.

Nous avons aujourd’hui un réseauavec des grandes usines qui fabriquent de l’électricité et qui diffusent cette électricité du haut vers le bas, vers tous les foyers, vers toutes les entreprises. Et,demain, nous devons ajouter à ce ré-seau qui bien sûr continuera à exister, des moyens techniques qui permet-

tront de gérer cette production décen-tralisée qui est très intermittente. Com-ment fait-on pour gérer ce qu’on ap-pelle le « smart grid », le réseau intelli-gent ? Nous consacrons beaucoup de moyens, nous avons des expérimenta-tions dans beaucoup de villes deFrance. Nous regardons comment gérersans qu’il y ait la moindre coupure, à la milliseconde près, l’utilisation de ces réseaux décentralisés dans un réseau unique qui doit continuer à fonction-ner quoi qu’il arrive pour nos 30 mil-lions de clients.

Cela veut dire que votre mutation principale va vers le solaire ?

Le solaire, l’éolien, ce sont des éner-gies que les gens petit à petit s’appro-prient, mais qui ont aussi le problèmede l’intermittence. Nous développons des solutions technologiques. Je vou-drais dire que l’énergie solaire com-mence à être compétitive. (...) Par con-tre, elle est intermittente, par défini-tion. Il n’y en a pas la nuit, il n’y en a pasquand il y a des nuages. Comment gérercela ? Par le stockage. Le stockage aujourd’hui, lui, n’est pas encore com-pétitif.

Vous y arriverez... Nous avons des ingénieurs qui tra-

vaillent sur les nouvelles batteries, de façon à ce qu’on puisse stocker l’énergiesolaire et la réutiliser quand on en a be-soin. Aujourd’hui, on ne stocke pasl’électricité. En fait, il faut stocker l’élec-tricité sous forme d’eau : dans le ballon d’eau chaude, dans les barrages hydroé-lectriques. Mais on ne peut pas stocker l’électricité dans des batteries, sauf de façon aujourd’hui beaucoup trop chère.

Combien de temps faut-il pour im-planter une éolienne ?

Environ sept ans en France. Les éo-liennes, c’est long. L’acceptation des éo-liennes en France n’est pas formidable.Il y a beaucoup de gens qui disent : « Leséoliennes, il y en a assez comme ça », « C’est très sympa, mais pas chez moi ».

Et une centrale nucléaire ? Et une centrale nucléaire, c’est à peu

près la même chose, le temps de cons-truction, c’est dix ans. p

propos recueillis par

michaël darmon,

jean-pierre elkabbach

et arnaud leparmentier

« L’ACCEPTATION DES ÉOLIENNES EN FRANCE N’EST PAS FORMIDABLE. IL Y A BEAUCOUP DE

GENS QUI DISENT : “ C’EST TRÈS

SYMPA, MAIS PAS CHEZ MOI ” »

Page 18: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

18 | disparitions & carnet MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

Jean-Marie DrotEcrivain, documentariste

Il se définissait comme « unpartageur », un passeur.C’était l’homme d’une télé-vision qu’ont oubliée ceux

qui l’ont connue et dont les plus jeunes n’ont aucune idée… Il n’y avait qu’une chaîne, puis deux. On passait des documentaires à 20 h 30. Il avait aussi dirigé la VillaMédicis à Rome de 1984 à 1994 et avait bousculé l’institution. Jean-Marie Drot est mort à l’âge de86 ans, le 23 septembre à Chatou (Yvelines) où il habitait depuis une vingtaine d’années, et la ville lui a rendu hommage.

Le jeune Jean-Marie Drot, né le2 mars 1929 à Nancy, a eu d’em-blée un parcours atypique. Bienque n’ayant pas été reçu au bacca-lauréat, il a pu être admis au lycée Louis-Le Grand à Paris car il avait été lauréat du concours général. Ila donc préparé l’Ecole normalesupérieure qu’il a intégrée. En 1948, il gagne un concours delittérature américaine sur MobyDick, de Melville, et peut passer une année aux Etats-Unis.

A son retour, grâce à l’une de sesrelations, il débute dans une télé-vision encore embryonnaire, lapremière chaîne de télévision du Vatican. Il est assistant réalisateur.Il ne sait peut-être pas qu’il com-mence là une longue carrière, en interviewant diverses personnali-tés, dont Paul Claudel, RobertoRosselini, Luchino Visconti.

Quand il revient à Paris, en 1951,il devient réalisateur de docu-mentaires sur l’art, notamment La Rome de Giorgio De Chirico,avec le peintre lui- même, en 1957.En 1960, voyant la transforma-tion du quartier Montparnasse, il se dit qu’il faut laisser une trace dece qu’a été la vie artistique, la vita-lité d’un lieu que l’urbanisme va totalement transformer. Il réalise alors, de 1960 à 1962, « Les Heureschaudes de Montparnasse », une série documentaire de quatorze films de 52 minutes (désormaisdisponibles en DVD), où apparais-sent tous les artistes encore vi-vants, dont Giacometti. Ceux qui sont morts sont évoqués par leursamis. On retrouve ce qui a fondé lemythe de Montparnasse.

La passion de la transmission

Un peu plus de dix ans plus tard, c’est avec André Malraux, à la fin de sa vie, que Jean-Marie Drot fait « Journal de voyage avec André Malraux » à la recherche des arts du monde entier, en 1974 et 1975. Treize épisodes de 52 minutes(aussi disponibles en DVD).

La passion de Jean-Marie Drotpour la culture et la transmission devait presque naturellement le conduire à entrer dans des insti-

tutions défendant la culture. C’estainsi qu’il a été conseiller culturel à Athènes de 1982 à 1984 – par amour pour la Grèce, il a de-mandé que ses cendres soient dis-persées dans ce pays. Puis, pen-dant dix ans donc, de 1984 à 1994, il a dirigé l’Académie de France à Rome, la Villa Médicis. Il y a créé lefestival Roma-Europa. Sa gestion n’a pas été de tout repos. Son énergie, sa volonté d’ouverture,de renouvellement ont suscité bien des polémiques. On lui disaitque Rome n’avait pas besoin d’un centre culturel supplémentaire ou d’une annexe de Beaubourg. En quittant la villa Médicis, Jean--Marie Drot a présidé la Société ci-vile des auteurs multimédia (SCAM), de 1995 à 1999.

Parallèlement à toutes ses acti-vités, institutionnelles ou audio-visuelles, Jean-Marie Drot a tou-jours écrit. De sa quinzaine de li-vres, on relira avec plaisir son Dic-tionnaire vagabond (Plon, 2003), qui rassemble les principauxnoms propres, de pays ou de per-sonnes – célèbres ou non – qui ontmarqué son existence : une déli-cieuse promenade et des mémoi-res en creux. En ces temps d’inter-rogations écologistes, on peut lireavec profit son Joseph Delteil, pro-phète de l’an 2000 (Imago, 1990). Ilavait aussi consacré un film de deux fois 52 minutes, La GrandeJournée, ou vive Joseph Delteil, à cet écrivain trop méconnu.

C’est précisément pour JosephDelteil (1894-1978) que Jean-MarieDrot est apparu pour la dernièrefois en public, le 17 septembre. La SCAM rediffusait son film. Le co-losse au regard clair, à l’allure de conquérant, avait laissé place à unhomme fatigué et amaigri, qui di-sait son incompréhension de ce qu’est devenue la télévision : « Je ne sais pas ce qui s’est passé. » Il connaissait pourtant la réponse :le triomphe du marketing sur lacréation, lui qui avait dit un jour croire encore, au début des an-nées 1970, « que le petit écran avaitété inventé pour rendre enfin pos-sible le grand partage culturel etartistique ». p

josyane savigneau

2 MARS 1929 Naissance à Nancy1974-1975 Réalise « Journal de voyage avec André Malraux » 1982-1984 Conseiller cultu-rel à Athènes1984-1994 Directeur de la Villa Médicis à Rome 23 SEPTEMBRE 2015 Mort à Chatou (Yvelines)

En 2008. THIERRY LEDOUX

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AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Isée,est née le 12 octobre 2015.Maud Le Campion et François Ayme,

Marin et Thalie,136, rue de Charonne,75011 Paris.

Décès

Marie France BENRAIS,née CROYÈRE,

médecin gynécologue,nous a quittés le 14 octobre 2015,des suites d’une longue maladie.

Nous ne cesserons de l’aimer.François Benrais,

son mari,Ghislain Benrais et Christine Van

Gallebaert,Céline Benrais et Sébastien Batel,Maud Benrais Person,

ses enfants,Alice, Sibylle, Léo, Sarah,

ses petits-enfants,Et ceux des familles Croyère, Anglès

d’Auriac, Brac de la Perrière, Gignoux,Ses amis.François Benrais,7, rond-point du pont Mirabeau,75015 Paris.

Paule Dayan,son épouse,

Irène Dayan,sa belle-mère,

Jean-François Dayan,son beau-frère,

Esther Topiol,Simon Cohen,Michel Cohen,

sa sœur et ses frères,Les familles Cohen, Topiol et Dayan,

ont la tristesse de faire part du décès dudocteur Jacques COHEN,

survenu le 15 octobre 2015.Les obsèques auront lieu le mardi

20 octobre, à 15 h 15, au cimetièredu Montparnasse, 3, boulevard Edgar-Quinet, Paris 14e.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Virgile et Léonard Clergue-Duval,ses ils,

Monique Goudet,sa mère

Et Claude Goudet (†),son père,

Antoine et Catherine Goudet-Sion,Dorothée Goudet et Michel Meignan,Matthieu Goudet (†),

ses frères et sœuret leurs conjoints,

Olivier et Gaëlle, Flore, Annaet Thomas, Gilda,ses neveu et nièces,

Ana Barber,sa belle-ille,

Les familles Goudet, Goddet, Clergue-Duval, Pommeret, Delcourt, Pansier,ont la profonde tristesse de faire part dudécès de

Valérie GOUDET,magistrat,

femme curieuse, souriante et chaleureuse,survenu le 14 octobre 2015.

La cérémonie aura lieu le mercredi21 octobre, dans la salle de la Coupoledu c ime t i è re du Père -Lacha i se ,71, rue des Rondeaux, Paris 20 e,où se réuniront, à 15 h 15, ses procheset ses amis.

[email protected]

Paulette Aubé,sa compagne,

Les familles de Pierre et François Joly,ses enfants,

ont la tristesse d’annoncer le décès de

Roger JOLY,ingénieur ESPCI,

ancien d’Air France,

survenu le 15 octobre 2015,à l’âge de quatre-vingt-treize ans.

Les obsèques auront lieu en I’EgliseProtestante Unie du Perreux-sur-Marne(Val de Marne), 4 rue de Chanzy,le mercredi 21 octobre, à 15 heures,suivies de l’inhumation au cimetièrede Bry-sur-Marne.

Contacts :[email protected]@gmail.com

Quinson. Auzat.

David Aïm et Mireille Faidutti,son ils et sa belle-ille,

Nathan Aïm,son petit-ils,

Yannick, Catherine et Christine,nés Domagalski,son neveu et ses nièces

Ainsi que toute la famille,

ont la douleur de faire part du décès de

Mme Sabine KALKA-AïM,le 16 octobre 2015,à l’âge de soixante-seize ans.

Les obsèques auront lieu le jeudi22 octobre, à 11 h 30, au crématoriumde Bron (Rhône), 161, boulevardde l’Université.

Bordeaux. Pau.

M. et Mme Jean-François Lasserre,son ils et sa belle-ille,

Mlle Annie Lasserre,sa ille,

Camille, Romane et Solène,ses petites-illes,

ParentsEt alliés,

ont la douleur de faire part du décès de

Mme Guy LASSERRE,née Simone JOUANDET,

professeurd’histoire-géographie,

survenu à l’âge de quatre-vingt-huit ans.

Ses obsèques seront célébréesle mercredi 21 octobre 2015, à 15 heures,en la basilique Saint-Seurin de Bordeaux,suivie de l’inhumation au cimetière de laChartreuse, à Bordeaux.

Daniel Leveugle,son époux,

Isabelle Mazel,sa ille,

Clémentine et Sébastien Novel,Léo Mazel,ses petits-enfants,

Mathis et Lola,ses arrière-petits-enfants

Ainsi que ses neveux et nièces,

ont la profonde tristesse de faire partdu décès de

Georgette LEVEUGLE,

survenu le 14 octobre 2015à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.

La cérémonie religieuse se déroulerale mardi 20 octobre, à 11 heures,au Temple Protestant de Montrouge,64, rue Maurice Arnoux, Montrouge(Hauts-de-Seine).

Cet avis tient lieu de faire-part.

Mme Gilbert Olivier,sa mère,

M. et Mme Bernard Beaupère,M. et Mme Thierry Hermant,M. Richard Olivier,

ses frères et sœurs,

Martine, Gaëlle, Vincent, Camille,Laureet leurs conjoints, Jérôme, Caroline,Alexandre, Julien,ses enfants,

Jules, Louis, Alexandra, Achille,Pauline, Eugène, Jeanne, Adèle, Alma,Niels, Ulysse, Ferdinand,ses petits-enfants,

Ses cousins et cousines,Ses neveux et niècesEt toute la famille,

ont la tristesse d’annoncer le décès du

docteur Hervé OLIVIER,survenu à Paris, le 10 octobre 2015,à l’âge de soixante-treize ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele mardi 20 octobre, à 10 heures,en l’église Saint-Jacques, 167, boulevardBineau, à Neuilly-sur-Seine.

Ni leurs ni couronnes.

Martine Olivier-Sakharoff,3, allée d’Orléans,92200 Neuilly-sur-Seine.

Mme Catherine Weil-Olivier,

Martine, Gaëlle, Vincent, Camille,Laureet leurs conjoints, Jérôme, Caroline,Alexandre, Julien,ses enfants,

Jules, Louis, Alexandra, Achille,Pauline, Eugène, Jeanne, Adèle, Alma,Niels, Ulysse, Ferdinand,ses petits-enfants,

ont la tristesse d’annoncer le décès du

docteur Hervé OLIVIER,survenu à Paris, le 10 octobre 2015,à l’âge de soixante-treize ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele mardi 20 octobre, à 10 heures, enl’église Saint-Jacques, 167, boulevardBineau, à Neuilly-sur-Seine.

Ni leurs ni couronnes.

Catherine Weil-Olivier,28, rue Parmentier,92200 Neuilly-sur-Seine.

Paris.

Bernard Zeiler,son frère,

Alain Javelle,son beau-frère,

Aude, Myriam, Arnaud, Agnès, Olivier,Nicolas, Véronique,ses neveux,

Chantal et Daniel Lebegue,Julie et Thomas,

ses cousins,

ont la tristesse de faire part du décès de

Françoise PASGRIMAUD,née ZEILER.

Une cérémonie aura lieu au crématoriumdu cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,ce lundi 19 octobre 2015, à 16 heures.

Cet avis tient lieu de faire-partet de remerciements.

Ses enfants,Ses petits-enfants,ses arrière-petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décès de

Jeanne PIEYRE,née FABRE,

survenu le 7 octobre 2015, à Bordeauxdans sa quatre-vingt-seizième année.

L’inhumation a eu lieu le 12 octobre,au cimetière du Chesnay (Yvelines).

Anost (Velée, la Quervoillot).

Mme Yvette Sauget,née Tacnet,son épouse,

Ses illes et ses gendres,Ses petits-enfantsAinsi que toute la familleEt amis,

ont la douleur de faire part du décès de

M. Daniel SAUGET,

survenu à Anost (Velée, la Quervoillot),le vendredi 16 octobre 2015,à l’âge de soixante-seize ans.

Les obsèques religieuses serontcé l éb rées l e mard i 20 oc tob re ,à 15 heures, en l’église d’Anost, suivied e l ’ i n h u m a t i o n a u c i m e t i è r e ,dans l’intimité familiale.

Le défunt repose à la chambre funérairedes P.F. Aimard, 27, rue de Paris, à Autun(Saône-et-Loire).

Fleurs naturelles uniquement.

Cet avis tient lieu de faire-partet de remerciements.

Jacky et Hélène, Bruno et Elisabeth,ses ils et belles-illes,

Maricke, Maud, Paul-Henri, Julien,Vincent, Fanny,ses petits-enfantsainsi que leurs conjoints,

Franck, Yaël, Sacha, Margot, Gabinet Charles,ses arrière-petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décès de

Geneviève SELOSSE,

survenu à l’âge de quatre-vingt-treize ans.

Une cérémonie aura lieu le mardi20 octobre 2015, en l’église de Vaucresson(Hauts-de-Seine).

Elle sera inhumée auprès de son époux,

Jacques SELOSSE.

Contact : [email protected]

Monique Uffholtz,Ses enfantsEt toute la famille,

ont la douleur de faire part du décès du

docteur Hubert UFFHOLTZ,professeur à la Faculté de médecine,ancien chef du service d’Exploration

fonctionnelle respiratoireau CHU de Brabois,

survenu le 14 octobre 2015, au CHRUde Nancy-Brabois, Vandoeuvre-lès-Nancy(Meurthe-et-Moselle).

Anniversaire de décès

Il y a dix ans

Jean-François LORIT

quittait les siens.

Page 19: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 culture | 19

florence evin

A Paris, après six ans de ferme-ture et 92 millions d’euros detravaux, le Musée del’homme a rouvert ses portesau public, samedi 17 octobre.Face à la tour Eiffel, derrière

sa façade Art déco en croissant de lune qui embrasse les jardins du Trocadéro, l’institu-tion a fait peau neuve et plus encore. C’est un musée réinventé et revivifié à l’aune des ré-centes découvertes – notamment liées à l’ADN – qui avance des réponses, au fil d’une exposition permanente, en posant trois ques-tions essentielles : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?

Beau, lumineux, attrayant, aussi pédagogi-que que savant, l’établissement reste fidèle à sa mission de musée-laboratoire, avec le maintien de 150 chercheurs sur place, qui par-tagent avec le public les avancées de la recher-che. Lesquelles sont présentées sur la mezza-nine qui couronne l’atrium central, sous la monumentale verrière de 1878, où se tiennentles expositions temporaires.

La version 2015 du musée des insatiables ba-roudeurs qu’étaient les Claude Lévi-Strauss, Michel Leiris, André Leroi-Gourhan, JeanRouch ou Germaine Tillion séduit. Les 16 000 mètres carrés, d’un blanc immaculé, délibéré-ment high-tech, ont été entièrement recom-posés. La Galerie de l’homme, exposition per-manente dotée d’une muséographie dernier cri, n’est pas avare en dispositifs techniques enrichissant la visite : cartels numériques,écrans tactiles, vidéos, écouteurs, expériencessensorielles, films documentaires… Sur le « Cyclo », écran circulaire de 9 mètres de dia-mètre, défile la progression de l’impact hu-main sur la planète et l’épuisement des res-sources naturelles : édifiant.

Rien ne rappelle le musée poussiéreux desalbums de Tintin, cher à nos cœurs, fermé en 2009, avec ses collections de pierres taillées et d’ossements, ses laboratoires en-combrés de pièces hétéroclites, son mobilier Art déco, ses squelettes montant la garde le long d’un couloir sans fin. Disparu comme s’iln’avait jamais existé. « Vous ne reconnaîtrez rien, il ne reste que les escaliers et les planchers,les premiers jours on se perdait, c’était très dé-routant », confirme l’ethnobiologiste Serge Bahuchet. Cheveux longs, front dégagé, ma-

nière policée à l’ancienne, le scientifique s’est prêté au jeu de la visite guidée avec la gour-mandise de l’enfant s’appropriant un nou-veau jouet. « On en rêvait, on n’était pas sûrs deréussir. C’est très excitant. »

Le cheminement d’un seul jet, sur deux ni-veaux, de la Galerie de l’homme, court sur2 500 mètres, le long des grandes baies ouvrant sur la tour Eiffel. Majestueuse, la « dame de fer » s’impose à travers les vitres,comme si elle était curieuse, aussi, de décou-vrir les 1 800 pièces exposées, la plupart pour la première fois. Dopé par une lumière natu-relle tonique, le visiteur circule de vitrines verticales en cabinets de curiosités, lesquels ponctuent le parcours comme autant de po-ses intimes pour des face-à-face avec le public.

Plongées dans la pénombre, ces alcôves fer-mées sur elles-mêmes à la manière des co-quillages recèlent les pièces précieuses. Comme ces trente-cinq cires anatomiques,dont cet écorché, Femme à la larme, pièce co-lorée, modelée en 1784 par André-Pierre Pin-son, comme une œuvre d’art qui évoque par sa perfection la fameuse photo de Man Ray, prise en 1932.

AUSSI LUDIQUE QUE TECHNIQUE

Est aussi dévoilé le trésor du Musée de l’homme, jusque-là verrouillé dans un coffre-fort à triple sécurité et pas exposé depuis des décennies : le crâne original de Cro-Magnon, dit « le Vieillard », âgé de 50 ans, découvert en 1868, lors de la construction du chemin de fer des Eyzies-de-Tayac, en Dordogne. Cethomme moderne, qui a vécu entre 37 000 et 28 000 ans avant notre ère, a le même crâne que nous. Celui des Néandertaliens – vieux de100 000 ans –, dont plusieurs sont montrés à ses côtés, plus massifs, porte des arcades sour-cilières proéminentes et un menton accen-tué. La charmante Vénus de Lespugue sculp-tée dans l’ivoire de mammouth est l’œuvre d’un Brancusi de la préhistoire, chasseur de rênes et de bisons.

Serge Bahuchet s’est assis au pied d’uneénorme sculpture bourgeonnante, couleur chair, représentant l’anatomie d’une langue en 3D. En face, une batterie de trente petites langues, à tirer, est accrochée à une moquette murale d’un rouge cerise. Ce dispositif ludi-que permet d’entendre parler le tamoul comme le breton, le tunumiisut du Groen-land ou le yiddish de New York. A l’intérieurde la sculpture monumentale, quatre cabi-

nets sonores invitent à écouter une quaran-taine de mythes, comme ce chant pour appe-ler la pluie venu d’Indonésie.

Chacun doit se prendre au jeu et participer.Zette Cazalas, qui a conçu la muséographie et imaginé ce parcours aussi ludique que techni-que, l’a voulu ainsi pour créer « un rapport di-rect avec le visiteur ». Et animer le contenu en-cyclopédique défini par les scientifiques, sousla direction de la généticienne Evelyne Heyer, commissaire générale. Avec l’objectif (atteint) de raconter l’aventure humaine dans sa diver-sité culturelle et la rendre accessible. Le parti pris est parfois plus esthétique que scientifi-que, comme dans cette vitrine murale où le crâne de Descartes (mort en 1650) en conver-sation avec le squelette du chimpanzé dissé-qué par Buffon (vers 1740), sont rejoints par une peinture aborigène, un cabinet chinois, une chaire tutélaire de Papouasie-Nouvelle-Guinée et un masque Lipiko de Tanzanie.

Le discours n’est plus géographique, commedans l’ancien musée, mais thématique. Avec le transfert des collections ethnologiques au Mu-sée du quai Branly, inauguré en 2006, « les trois quarts des pièces les plus connues des visiteurs, présentées par continent, sont parties, rappelle Serge Bahuchet. Il fallait saisir cette opportunité pour repenser le message délivré. » D’où le parti pris retenu de l’homme, espèces parmi les espè-ces vivantes, qui n’est pas le seul à vivre en so-ciété, à fabriquer des outils. « L’homme se distin-gue par la parole et la bipédie », résume l’ethnolo-gue. Depuis 2000, plusieurs découvertes en Afri-que ont bousculé la théorie admise sur l’origine des premiers hominidés. « On n’est plus sur une idée de linéarité mais sur un buissonnement évo-lutif bien déchiffré. Plusieurs espèces coexistent sans que l’on sache laquelle donne naissance aux autres. »

D’où venons-nous ? La question est le pointfort du parcours. Devant sa grande carte de l’évolution humaine, face aux squelettes denos ancêtres, Antoine Balzeau, paléontolo-gue, explique qu’il a retenu les périodes-clés, depuis l’apparition de la bipédie, il y a sept millions d’années. « Jusqu’à deux millionsd’années, tout se passe en Afrique, dit-il.L’Homo erectus, l’homme central universel, le premier à nous ressembler physiquement, bras courts, jambes longues, plus grand, peut mar-cher plus longtemps. A partir de cette époque, ilvoyage, jusqu’au Proche-Orient, puis en Asie. » Il arrive à Java, Indonésie, il y a 1,6 million d’années.

Peu de squelettes sont montrés sur les 800alignés dans les réserves, ni même de crânes, alors que 28 000 reposent dans des boîtes. Unchoix délibéré. « On est dans un monde en guerre, avec beaucoup de rancœur, de nouvel-les idéologies, une pression religieuse, cela ne correspond plus à l’éthique d’aujourd’hui, ar-gumente, de sa voix qui roule, Michel Gui-raud, le directeur des collections fidèle à son nœud papillon. Le propos est de raconter l’his-toire de la lignée, l’évolution de l’homme dans sa diversité, et la manière dont il s’adapte à sonmilieu. » Etudiée, esthétisée au XIXe siècle, cette diversité est illustrée par 92 bustes de plâtre et de bronze, disposés sur une échelle métallique, « portée de musique à huit lames entrecroisées, haute de 11 mètres », comme l’a décidé Zette Cazalas.

« APPRENDRE À ÊTRE MODESTE »

Où allons-nous ? La dernière étape du par-cours muséal laisse sur sa faim. Quid des avancées génétiques ? Que dire de l’homme du futur , super-héros ? Où en est-on dans la conception de l’homme manipulé, de l’homme « augmenté », des robots ? La vitrine des prothèses semble bien dérisoire. « Il y a une réticence du scientifique à se prononcer surle rôle de la société, argumente Martin Friess, dans son laboratoire du troisième étage. L’an-thropologie biologique a un passé très sombre avec la mise en place de l’idéologie nazie. Moi jem’intéresse à reconstruire une histoire, à étu-dier la nature qui est littéralement amorale », dit-il en manipulant un crâne humain, sans letoucher, grâce à une image 3D qu’il fait tour-ner sur son écran.

Pour Evelyne Heyer, « le transhumanisme,actualité en marche qui évolue très vite », sera le propos des expositions temporaires pré-sentées sur le Balcon des sciences. Bruno Da-vid, le nouveau président du Muséum natio-nal d’histoire naturelle, la maison mère, sou-haite aussi porter ces questions jusqu’au Jar-din des plantes, dans la Grande Galerie de l’évolution. « L’homme est un animal, une es-pèce parmi des millions d’espèces, il faut ap-prendre à être modeste. Le scorpion résiste aux radiations nucléaires », lance le paléontolo-gue, spécialiste de la biodiversité, qui a pris sesfonctions il y a six semaines. p

Musée de l’homme, 17, place du Trocadéro, Paris 16e. Billet unique de 8 à 10 euros.Fermé le mardi. museedelhomme.fr

EST DÉVOILÉ LE FAMEUX TRÉSOR

DU MUSÉE, JUSQUE-LÀ VERROUILLÉ DANS

UN COFFRE-FORT ET PAS EXPOSÉ DEPUIS

DES DÉCENNIES : LE CRÂNE ORIGINAL

DE CRO-MAGNON

Renaissance au Musée de l’hommeL’institution intègre dans un parcours revisité les récentes découvertes sur les origines de l’espèce

L’homme dans sa diversité illustrée par 92 bustes de bronze et de plâtre, disposés sur une portée métallique de musique par la scénographe Zette Cazalas.NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE »

Page 20: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

20 | culture MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

Un bazar bizarre à la Monnaie de ParisTout ou presque est à prendre par les visiteurs à l’exposition « Take Me (I’m Yours) »

ARTS

P rends-moi (je suis à toi) »…Que l’on se rassure, rien desexuel dans l’exposition de

la Monnaie de Paris, intitulée « Take Me (I’m Yours) ». Simple-ment question de (bons) échan-ges : ici, tout ou presque est à voler,troquer, substituer ou acheter pour une somme très modique. Des vêtements usagés, des pilules blanches et bleues, des fioles rem-plies d’un liquide inconnu que l’onsoupçonne être de l’eau par RirkritTiravanija, des hosties, des badges de Gilbert & George frappés d’un radical « Interdisez la religion », descartes postales marquées d’un haïku avisé de Yoko Ono…

Le visiteur est invité à braquertout et n’importe quoi : un sac est fourni à l’entrée, pour faciliter le larcin. Et l’on peut même repartir,si l’envie en prenait, avec les œufs dessinés qui ornent l’escalier d’honneur du bâtiment de bord de Seine.

De quoi s’agit-il au juste ? Un ba-zar bizarre, un marché aux pucesarty, un salon alternatif prônantla décroissance ? Guère recom-mandée aux kleptomanes, qui n’yconnaîtraient aucun frisson (à part à faucher le catalogue), cette généreuse exposition est la réin-terprétation d’un projet monté, il y a vingt ans, par la SerpentineGallery de Londres. Ses auteurs,

un obscur curateur du nom deHans-Ulrich Obrist et un artistedéjà fameux, Christian Boltanski,sont à nouveau aux commandes de l’acte II, en collaboration, cette fois, avec Chiara Parisi, directrice artistique de la Monnaie.

« Une exposition est bien plusqu’un accrochage de pièces, c’est une règle du jeu, et nous adorons changer ces règles avec les artis-tes », résume M. Obrist, désor-mais ultracélèbre, et convaincu d’avoir créé là « un antidote plusque jamais nécessaire à l’omnipré-sence du commerce ». Et Boltanskide renchérir, en vieux complice :« C’est le moment de donner un peu d’air et de liberté à un mondede l’art trop sérieux et profession-nel, où même les artistes ne pen-sent qu’à une chose : vendre à laFoire internationale d’art contem-porain », résume le célèbre ar-

tiste, qui en sourit comme d’une bonne farce.

« Autres voies que le marché »

Outre la première salle envahiedes tas d’habits qui sont sa signa-ture, il a aussi balancé dans l’es-pace une ritournelle étrange-ment familière : papa Noël. Maistransformé en marche funèbre… Histoire de dire que le propos nese réduit pas ici à la blague. L’éco-nomie du don n’a rien d’anecdo-tique, comme le montrait Felix Gonzalez-Torres : en étalant ausol l’équivalent de son poids enbonbons sacrifiés à notre convoi-tise, ou en offrant des affiches enpiles à disséminer, l’artiste mort du sida évoquait la maladie qui lerongeait.

« Il s’agit aussi d’une réflexionsur la notion de relique, insistedonc Boltanski, autant que d’un désir de rappeler qu’il existed’autres voies que le marché : des mouvements comme Dada ou Fluxus nous l’ont montré. » Leurs descendants sont ici bienvenus, àcommencer par Hans-Peter Feld-mann. Toute sa vie, l’iconoclasteallemand s’est efforcé de diffuserson œuvre au plus grand nom-bre. On retrouve ici son humour,avec une salle envahie de cartes postales et de sculptures en fer-raille de la tour Eiffel, à ramener chez soi pour décorer de seconddegré sa télévision.

Comparée à la première versiondes années 1990, l’exposition seréactualise aussi au gré des tech-nologies contemporaines : Wol-fgang Tillmans offre ses photos entéléchargement gratuit, Philippe Parreno donne un de ses films en DVD (attention, il s’effacera une fois visionné…).

Et des échos se font (pas asseznombreux) aux économies alter-natives, qui ont le vent en poupe : Roman Ondak met joliment en scène une performance-troc en forme de coq-à-l’âne. Où le visiteurpeut échanger n’importe lequel des objets qu’il a sur lui contre ce qui a été déposé en dernier. Un cas-que de moto contre un gant, con-tre un foulard, un ventilateur, un porte-cartes : ou la circulation des marchandises faite lente chorégra-phie. Mais si, définitivement, vous ne pouvez renoncer à l’argent dansce qui est un de ses hauts lieux (puisque Monnaie s’y frappe), soyez – au moins – visionnaire dans vos choix : quelques œuvres emportées pour trois francs six sous, il y a vingt ans, se négocient aujourd’hui âprement sur eBay… p

emmanuelle lequeux

Take Me (I’m Yours), Monnaie de Paris, à Paris. Tous les jours de 11 heures à 19 heures, le jeudi jusqu’à 22 heures. De 8 euros à 12 euros. Jusqu’au 8 novembre. Monnaiedeparis.fr

L’exposition

est « un antidote

plus que jamais

nécessaire

à l’omniprésence

du commerce »

HANS-ULRICH OBRISTcurateur

de « Take Me (I’m Yours) »

ARTS

Accès de warholismeaigu dans les muséesfrançais. Après « Wa-rhol underground » au

Centre Pompidou-Metz, « Warholunlimited » au Musée d’art mo-derne de la Ville de Paris. On no-tera le choix de titres en améri-cain dans le texte, histoire d’être dans le ton de l’artiste sans doute.

« Underground » se justifiait parla volonté de présenter la partd’Andy Warhol (1928-1987) qui n’est peut-être pas aussi connue que ses sérigraphies : cinéma, per-formance, musique, danse.

« Unlimited » est plus risqué,d’autant que l’exposition est loin de l’immensité et du nombre d’œuvres que l’adjectif pourrait donner à attendre. On supposeraitmême qu’il a été choisi par anti-phrase, non sans un certain sens de la provocation que Warhol aurait admis sans peine.

Parmi ses sérigraphies les pluscélèbres, outre quelques autopor-traits placés à l’entrée, seules figu-rent ici quatre suites, celles qu’il consacra à la chaise électrique, à Jackie Kennedy, à Mao et aux fleurs. Ces quatre thèmes pour-raient se disposer par paires cohé-rentes, Mao et la peine de mort, Jackie et les bouquets. Ou par asso-ciation des contraires : Jackie et Mao, l’exécution et des ornementsde cimetière.

Cette deuxième hypothèse pa-raît plus juste, dans la mesure où les Electric Chairs sont accrochées sur un mur tapissé du papier peint

à tête de vache, ses Cows. La super-position du tragique et du burles-que a de quoi heurter. Elle a été re-cherchée par Warhol lui-même, puisque cet accrochage reconsti-tue celui qu’il avait voulu lors de sarétrospective au Whitney Mu-seum of American Art, à New York,en 1971. Qu’il colorise en rouge, rose ou bleu la photographie d’une chaise électrique – dont la publication était en principe inter-dite – est un acte sacrilège en lui-même. Qu’il la plaque sur ses Cowsviolettes à fond jaune vif, qui pour-raient être des publicités pour une chaîne de laiteries ou de bouche-ries industrielles, aggrave encore son cas. A moins qu’il n’y ait là quelque allusion cruelle au fait quela peine de mort et son applicationsont des arguments électoraux qui ont servi et servent encore auxcampagnes de promotion de tel candidat au poste de gouverneur ou de sénateur aux Etats-Unis ? La mort fait vendre, la mort fait voter.

Le plus ambigu

On touche là à ce qui, désormais,presque trente ans après sa dispa-rition, est le plus intéressant, carle plus ambigu, dans l’œuvre de Warhol : son jugement sur la so-ciété américaine de son temps. Iln’a cessé d’écrire et de répéterqu’il en était le plus pur produit, qu’il l’adorait par conséquent, que son œuvre exaltait gaiement ce nouveau monde de produc-tion et de consommation inces-santes, de publicité et de divertis-sement permanents. On le croi-rait plus facilement s’il n’avait

deux commissaires, Sébastien Gokalp et Hervé Vanel, attirent l’interprétation de l’œuvre à l’op-posé de la glorification du progrèset du confort, du côté de l’inquié-tude et de l’angoisse. L’une des ci-tations qui ponctuent l’itinéraire est prise dans une interview de 1975 :

« Nous avons une nouvelle reli-gion.

- Qu’est-ce que c’est ?- Rien.- Rien ?- Eh bien, la glorification de Rien. »Ces derniers mots définiraient

assez exactement ce qui est la rai-son d’être de l’exposition, la pré-sentation pour la première fois hors des Etats-Unis de la totalité deShadows – ombres – qui est un en-semble de 102 sérigraphies de très grand format, la plus monumen-tale de l’artiste. Elle s’étire sur plus de cent trente mètres de long, dis-posée selon l’ordre que Warhol avait indiqué. Le même motif est traité en 17 couleurs, associées de façon changeante selon les toiles. On marche entre deux murs d’images dominées par le noir. On marche sans parvenir à nommer ce que l’on voit. Une ombre, soit, mais de quoi ? Aucune hypothèse

d’interprétation – flèche au som-met d’un building, arbre qui pour-rait être un cyprès et même, a-t-onlu avec incrédulité, sexe masculin – n’est convaincante. Il faut s’en te-nir au titre. Ce sont des ombres, leur long et lent défilé dans des éclairages alternativement d’un rouge trop intense ou d’un rose violacé trop aigre. Des ombres comme le long des fleuves Styx et Achéron, qui bordent le territoire des morts. p

philippe dagen

Warhol Unlimited. Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris 16e. Tél. : 01-53-67-40-00. Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures, jeudi jusqu’à 22 heures. Entrée de 9 € à 12 €. Jusqu’au 7 février 2016. Mam.paris.fr

Andy Warhol à la Factory, à New York, en 1964, photographié par Ugo Mulas. THE ANDY WARHOL FOUNDATION FOR THE VISUAL ARTS, INC./ADAGP, PARIS 2015

tant insisté là-dessus, si on pou-vait lui attribuer une telle simpli-cité de pensée et s’il n’était l’auteur de tant d’œuvres qui dé-mentent ses dires. Les ElectricChairs sont dans ce cas, non moins qu’une série de 1963-1964 ici absente – on le regrette – : les Race Riots. Elle reprend les ima-ges d’une manifestation d’Afro-Américains réprimée à coups dematraques par des policiersblancs accompagnés de bergersallemands. Les autoportraits glis-sent à l’allégorie de la mélancolie ou, plus nettement, à la vanité.Les portraits de Jackie Kennedysont faits d’après des photos dontla plupart la montrent veuve après l’assassinat de son mari àDallas.

Ainsi, peu à peu, bien que lescouleurs soient vives, l’expositionprend une tonalité plus funèbre. Sans le dire explicitement, les

Les deux

commissaires

attirent

l’interprétation

de l’œuvre

à l’opposé de la

glorification

du progrès et du confort

Les couleurs funèbres d’Andy WarholA Paris, une exposition meten valeur l’ambiguïté de l’artiste

L'HISTOIRE DU JOUR La colère d’une ville mexicaine contre le thriller « Sicario »

mexico - correspondance

C orps décapités pendus à un pont, rafales de fusils-mi-trailleurs, musiques angoissantes… Le film Sicario(« Tueur à gages »), à l’affiche en France, provoque la co-

lère du maire de Ciudad Juarez, dans le nord du Mexique. L’édile appelle ses concitoyens à boycotter ce thriller qui dresse un por-trait sans concession de sa ville, présentée comme le théâtre san-guinaire de la guerre des cartels de la drogue.

« Je défends le prestige et l’honneur de maville », répète Enrique Serrano depuis qu’il adénoncé, début octobre, l’image « désas-treuse » véhiculée par l’œuvre du QuébécoisDenis Villeneuve, présentée au Festival deCannes. Le maire a menacé de déposerplainte aux Etats-Unis contre le producteurdu film. M. Serrano ne nie pas le passé san-glant de sa ville, l’une des plus dangereusesdu monde avec 3 000 meurtres en 2010.Mais, depuis, le maire assure que Ciudad

Juarez a changé, affichant « seulement » 538 homicides en 2014. Selon lui, cette mue est due à une purge des policiers corrompus,des sentences pénales plus sévères. Les experts expliquent ce bi-lan par la trêve entre les cartels rivaux de Juarez et de Sinaloa.

Le maire craint que le film n’affecte la renaissance économiquede sa ville. Des habitants ont organisé plusieurs manifestations en scandant : « Nous ne sommes pas des sicarios ». Sur Radio Ca-nada, le réalisateur s’est dit « désolé si les Mexicains se sentent of-fensés » et a rappelé que le scénario était une fiction écrite en 2010, tourné aux Etats-Unis et à Mexico, avec des prises de vues aériennes de Ciudad Juarez.

« Quand on boycotte quelque chose, les gens ont encore plus en-vie de le voir », a commenté M. Villeneuve. La sortie de Sicario estprévue en décembre au Mexique, mais les habitants de Ciudad Juarez peuvent déjà traverser la frontière pour le voir sur le sol américain, où le film est diffusé depuis le 18 septembre. Ses recet-tes aux Etats-Unis s’élèveraient déjà à plus de 25 millions de dol-lars (22 millions d’euros). p

frédéric saliba

LE FILM PRÉSENTE CIUDAD JUAREZ COMME LE THÉÂ-

TRE DE LA GUERRE

DES CARTELS

Page 21: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 culture | 21

Lura chante le dilemme cap-verdienLa musicienne installée à Praia sort l’album « Herança », qui plonge dans les racines de la culture de l’archipel

MUSIQUE

La chanteuse cap-ver-dienne Lura était à Parisdébut octobre à l’occasiondu lancement de son

sixième disque, Herança, l’héri-tage. Nous l’avons croisée avecdeux de ses musiciens dans lesstudios de Nova, la radio crééeen 1981 par le pugnace Jean-Fran-çois Bizot, disparu en 2007. Novacontinue contre vents et rachats àdéfendre la diversité musicale,l’électro, le hip-hop, le rock, etbien sûr la « sono mondiale », un terme inventé pour qualifier laworld music par la bande qui offi-ciait à Nova et publiait le maga-zine Actuel. Lura, démarche dé-contractée, cheveux afro, voix sûre, est une habituée de « Néo Géo », l’émission présentée par Bintou Simporé, où elle était invi-tée à interpréter un échantillon de Herança en direct.

Lura est née le 31 juillet 1975 dansle quartier lisboète de Saldanha. « Je suis sortie du ventre maternel quinze jours après terme. Et commel’indépendance du Cap-Vert a été proclamée le 5 juillet 1975, ma mère m’a toujours dit : “Tu as attendu la liberté pour naître !” » Et comme pour un Cap-Verdien, toute réfé-rence à ses racines passe par un marquage géographique sur la carte des dix îles de l’archipel, pré-cisons la chose : mère originaire del’île de Sao Antao, père de Santiago,assez vite disparu.

Rythmiques diversifiées

Musicalement, cela a son impor-tance. Sao Antao est à une enca-blure de Sao Vicente, lieu de prédi-lection de la romantique morna et de la dansante coladera, deux gen-res que défendit Cesaria Evora. Santiago a développé le funana et le batuque polyrythmique, deux styles très africains que le gouver-nement portugais avait interdits au temps des colonies. Lura (Mariade Lurdes Pina Assunção) mélangedonc et invite des amis (le bassiste camerounais Richard Bona, la jeune star montante de la chansoncap-verdienne Elida Almeida) à re-venir avec elle sur ces rythmiques si diversifiées.

Désireuse de voir de près ce « di-lemme cap-verdien » qui consiste à

« vouloir partir quand on reste, et vouloir rester quand on part », l’Afro-Européenne qui a grandi à Lisbonne sans poser un pied au Cap-Vert jusqu’à l’âge de 20 ans s’est installée il y a deux ans à Praia, la capitale. Elle y a naturelle-ment commencé à travailler avec Mario Lucio, ministre de la culture de la République de Cabo Verde, chanteur, auteur-compositeur trèsattaché à l’histoire de son pays et à ses déclinaisons outre-Atlantique.

en 2015, un moment unique qu’il or-chestre chaque année, avec des di-zaines de “nations” africaines ras-semblées en maracatus [des grou-pes carnavalesques issus des tradi-tions africaines et indigènes]. Ce fut absolument inoubliable. »

Avocat formé à La Havane dutemps du parti unique au Cap-Vert, le PAIGC, fer de lance de l’in-dépendance, Mario Lucio est ta-tillon en matière d’histoire. Il l’ex-plique dans Cidade Velha et Goré,

deux chansons écrites pour deux épicentres de l’esclavage, que Lura interprète avec justesse. Le Cap-Vert est, selon le ministre chan-teur, « le nombril du métissage mondial ». Dès 1462, trois siècles avant la symbolique île de Gorée au Sénégal, cette « vieille ville » de Santiago devint pionnière dans le commerce négrier. Peuls et Wolofsétaient débarqués pour y être bap-tisés, avant de recevoir un pagne de coton en signe de leur toute

nouvelle condition d’humain. Cer-tains partaient aux Amériques, d’autres restaient à Santiago, mais quand la sécheresse, les pirates, lesmaladies frappaient l’île, leurs pro-priétaires portugais les relâ-chaient dans la montagne pour ne plus avoir à les nourrir.

Depuis, on appelle les habitantsde l’île de Santiago les Badios, unmot qui vient du verbe vadiar,flâner sans but. « L’homme noir est libéré, mais ne peut rentrerchez lui », dit Mario Lucio. Le Cap-Vert compte environ 500 000 ha-bitants et 700 000 émigrés, et ence sens, c’est un pays hors norme.Lura a choisi d’aller vivre à Praia« pour pouvoir parler du Cap-Vertde près, en me débarrassant d’unevision romantique extérieure, rê-vée, le parfum des fleurs, le goûtdes plats. Moi, je vois les femmesde Praia qui luttent au quotidien, celles qui vendent des fruits dans la rue pour envoyer leurs enfantsà l’école ».

Lura voulait être danseuse,mais elle est tombée dans la chanson par hasard : « j’ai décou-vert le son très beau qui sortait demoi. Ma mère, qui prie, me disaitque j’étais “fora de fé”, en dehors de la foi, c’est vrai, mais j’ai eu alorsla sensation du destin ». Lura enre-gistre son premier album en 1996, et découvre le Cap-Vert, àMindelo, la ville de Cesaria Evora,sur l’île de Sao Vicente. La « divaaux pieds nus » l’invite à manger des percebes, les crustacés « pous-se-pied », chez elle, à l’époque unemaison des plus simples. En la conviant en première partie deses concerts, elle deviendra sa« marraine ». « Non pas que mon style ou ma voix aient à voir avecelle, mais parce que d’elle j’ai tout appris, et en premier lieu à valori-ser ma culture. » p

véronique mortaigne

Herança, 1 CD Lusafrica

N’KRUMAH LAWSON-

DAKU/LUSAFRICA

La Film Foundation, mémoire du cinémaLe Festival Lumière a honoré le travail de l’institution fondée il y a un quart de siècle

CINÉMAlyon

A Lyon, tout au long du Fes-tival Lumière, qui s’estachevé le 18 octobre, les

films semblaient la plupart du temps parfaits : dans Marius, Raimu et Pierre Fresnay arbo-raient des mines resplendissan-tes ; dans David Golder, de Julien Duvivier, tourné comme le précé-dent en 1931, la voix d’Harry Baur résonnait et gémissait comme s’il était dans la pièce. Les couleurs de La Momie, de l’Egyptien Shadi Ab-del Salam, éblouissaient comme elles avaient ébloui le grand ci-néaste britannique Michael Powell, à la sortie du film, en 1969.

Cette perfection ne va pas de soi,et le festival a drainé, outre ses di-zaines de milliers de spectateurs, presque tout ce que la planète compte de professionnels qui se vouent à la préservation et à la dif-fusion du patrimoine cinémato-graphique : directeurs de cinéma-thèque, archivistes, historiens, res-taurateurs… Au premier rang des-quels l’équipe de la Film Foundation, créée par Martin Scorsese en 1990. C’est la Film Foundation qui a restauré La Mo-

mie, tout comme Colonel Blimp, deMichael Powell (1943), ou Larmes de clown, du Suédois Victor Sjös-trom (1924). Le but n’étant pas de constituer un fonds autonome mais d’enrichir les cinémathèques du monde entier.

Margaret Bodde, l’une des pro-ches collaboratrices de Martin Scorsese (elle a produit nombre de ses documentaires) supervise le travail de la fondation, dont le con-seil d’administration est constitué de réalisateurs – contemporains etcadets du fondateur, George Lucas et Alexander Payne, Steven Spiel-berg et Wes Anderson…

L’irruption du numérique

Il y a un quart de siècle, il s’agissait de sauver les films américains de la dégradation des supports, film nitrate en voie de désintégration ou film couleur qui prenait des li-bertés avec la réalité. « Depuis, la plupart des studios ont intensifié leurs efforts de préservation, ob-serve Margaret Bodde, mais leurs collections sont si massives qu’il leur est impossible de tout garder. »C’est le travail du fondateur et des administrateurs que de sélection-ner les films qu’il faut secourir. « Marty [Martin Scorsese] fait

preuve d’une intuition troublante quant aux dangers qui peuvent me-nacer un film, explique-t-elle, il nous dit : “Il faudrait voir où en est Trafic en haute mer” [de Michael Curtiz, avec John Garfield, 1950] et, de fait, lorsque nous contactons l’UCLA [l’université de Los Ange-les], qui détient le matériel, ils nous disent que l’affaire est urgente. »

Le travail en direction des ciné-matographies d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine est du ressort duWorld Film Project, désormais in-tégré à la fondation. A Bologne, où elle travaille avec le laboratoire l’Immagine Ritrovata, Cecilia Cen-ciarelli centralise les demandes de restauration venues du monde en-

tier et voyage ensuite à travers le monde – sa collègue Margaret Bodde la décrit comme « la James Bond du patrimoine cinématogra-phique » pour démêler les ques-tions de droits d’auteur ou pour convaincre les autorités de l’inté-rêt du projet.

L’exercice est d’autant plus diffi-cile que l’irruption du numérique ne cesse de remettre en cause les techniques et les buts mêmes de lapréservation. « Pendant cent ans, les fondements technologiques du cinéma sont restés les mêmes, ex-plique Margaret Bodde, depuis l’apparition du numérique, ils ont changé au moins dix fois. »

C’est pourquoi on peut trouversur le site de la Film Foundation une page destinée aux cinéastes débutants qui leur rappelle que « ce n’est pas parce que votre film est sur YouTube qu’il est préservé » et qui leur donne quelques con-seils élémentaires : toujours con-server les éléments dans des for-mats non compressés, les changer de support au moins tous les trois ans… Parce que c’est aujourd’hui que se font les programmes des festivals de patrimoine du siècle prochain. p

thomas sotinel

Le rôle de Martin

Scorsese, son

créateur, et des

administrateurs

consiste

à sélectionner

les films

qu’il faut secourir

Mario Lucio a écrit cinq des qua-torze chansons de l’album, dont Herança, magnifique complainte, sept minutes de bonheur passées en la seule compagnie du percus-sionniste brésilien Nanà Vascon-celos. Lura raconte comment elle arencontré celui qui a joué avec les plus grands jazzmen, à Rio de Ja-neiro, à l’occasion d’un festival consacré aux cultures noires, Back to Black. Comment il l’a conviée à « l’ouverture du carnaval de Recife

Lura a grandi

à Lisbonne sans

poser un pied au

Cap-Vert jusqu’à

l’âge de 20 ans

ZYGEL

HUGO

LESMISÉRABLES

JEAN-FRANÇOIS

VICTOR

IMPROVISATION MUSICALE SUR LE FILMDE HENRI FESCOURT (1925)

DIMANCHE 25 OCTOBRE 2015 À 16H01 40 28 28 40 – chatelet-theatre.com

Page 22: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

22 | télévisions MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

HORIZONTALEMENT

I. Permet une nouvelle utilisation

même s’il fait toujours peur. II. Léger

et in à tricoter. Se veut un homme

libre. III. Mouvement collectif. Ro-

mains chez Vivaldi. IV. Pour une dis-

tribution aérienne ou souterraine.

Bois de charpentes. V. Pose question.

Assure une belle carrure. VI. Au bout

de l’avenue. Terrasse à La Réunion.

VII. Pareillement. Regroupât autour

d’un projet. VIII. En alternance. Es-

corte sur les lots. Pointe sur le toit.

IX. Gratte sur tout. Chez les Obama.

Toujours aussi désirable avec ses

cornes. X. La force et l’éloquence chez

les Gaulois. Remonte en cours pour

frayer.

VERTICALEMENT

1. Retouché en façade. 2. Informent

quand elles ne sont pas à l’écoute.

3. Fait parler les bombes. Qu’il a fallu

enregistrer. 4. Manifestation de joie.

Comme des harengs sans œufs ni lai-

tances. 5. S’enlamme facilement. En

vain. 6. Gonlée après coup. 7. Mis en

rangs à coups d’aiguilles. 8. Belle de

Vénétie. 9. Où le dix est maître du jeu.

Le strontium. 10. Préposition. Petit

ensemble. 11. Se mange par la racine.

Capitale des Samoa. 12. Division d’un

ensemble en parties égales.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 246

HORIZONTALEMENT I. Obsolescence. II. Roupillon. Ar. III. Pacte. Attelé.

IV. Atrabilaires. V. Ipé. Ilote. Si. VI. Let. Gémira. VII. Lots. Teo (ôté). Ane.

VIII. Epées. Uni. Il. IX. Ul. Nous. Ruée. X. Recensements.

VERTICALEMENT 1. Orpailleur. 2. Boat people. 3. Sucrette. 4. Opta. Séné.

5. Liebig. Son. 6. El. Ilet. Us. 7. Slalomeuse. 8. Cotation. 9. Entier. Ire.

10. Er. Aa. Un. 11. Calés. Niet. 12. Erésipèles.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 247

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ansà compter du 15 décembre 2000.Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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Présidente :

Corinne Mrejen

SUDOKUN°15-247

M A R D I 2 0 O C TO B R E

TF1

20.55 Mentalist

Série créée par Bruno Heller(EU, saison 7, ép. 9/13 ; S6, ép. 20/22 ; S5, ép. 11 et 12/22).

France 2

20.55 Secrets d’histoire

« Casanova : l’amour à Venise ».Magazine présenté par Stéphane Bern.22.50 La Guerre en France

Documentaire de Martin Blanchard (Fr., 2015, 75 min).

France 3

20.50 Plus belle la vie

Feuilleton avec Virginie Bayle,Anne Decis (Fr., 2015, 105 min).23.10 Les Lignes de Wellington

Drame de Valeria Sarmentio.Avec Nuno Lopes, Sonia Chaves, John Malkovich(Fr-Por., 2012, 145 min).

Canal+

21.00 1995-2015 :

vingt ans de révolution gay !

Documentaire de Michel Royer(Fr., 2015, 95 min).23.35 Les Pensées de Paul

Documentaire de Jean-Baptiste Erreca (Fr., 2015, 70min).

France 5

20.40 Menaces

sur la forêt française

Documentaire de Benoît Grimont (Fr., 2015, 55 min).21.25 Climatosceptiques :

la guerre du climat

Documentaire de Franck Guérinet Laure Noualhat (Fr., 2014, 55 min).

Arte

20.55 Made in Bangladesh

« La Mode à mort ».Documentaire d’Inge Altemeier(All. 2015, 45 min).22.30 Hazaribag, cuir toxique.

Documentaire d’Eric de Lavarèneet Elise Darblay (Fr., 2012, 55 min).

M6

20.55 La France

a un incroyable talent

Divertissement animé par Alex Goude.

Dans l’enfer du textileDeux ans après la catastrophe du Rana Plaza, au Bangladesh, les conditions de travail n’ont guère changé

ARTEMARDI 20 – 20 H 55

DOCUMENTAIRE

C’est une plongée enenfer. Un enfer bienréel qui empoisonneau sens littéral des

milliers d’ouvriers et surtout d’ouvrières, puisqu’elles représen-tent 90 % des effectifs d’une in-dustrie textile qui emploie trois millions de personnes au Bangla-desh. Dans les ateliers de la capi-tale, Dacca, et de sa périphérie, les conditions de travail sont souventterrifiantes : fumées et peintures toxiques, immeubles vétustes, ateliers-étuves, absence de sorties de secours, incendies fréquents, lamort peut surgir à tout moment.

Travailleurs esclaves

Deux ans et demi après l’effondre-ment de l’immeuble du Rana Plaza, qui abritait plusieurs ate-liers de confection et qui fit, le 24 avril 2013, 1 138 victimes (prin-cipalement de jeunes ouvrières),rien n’a changé. De surcroît, les sa­laires sont toujours misérables, etles cadences infernales pour cestravailleurs esclaves qui fabri­quent en majorité du prêt-à-por-ter destiné au marché occidental.

Face au scandale que provoquale drame du Rana Plaza, 200 gran-des marques et enseignes inter-nationales (dont les françaisesAuchan et Carrefour) ont signé unaccord sur la sécurité des usines textiles au Bangladesh, s’enga-geant à contrôler les conditionsde travail en vigueur chez leurs fournisseurs locaux, afin que cel-

les-ci soient en conformité avecles normes internationales. Ainsisuivons-nous dans les rues et les usines de Dacca la jeune avocate Marie-Laurence Ghislain, respon-sable du contentieux au sein du pôle Globalisation et droits hu-mains de l’association Sherpa, quireprésente des ONG luttant con-tre les « crimes économiques » et

enquête sur l’éventuelle respon-sabilité d’Auchan.

Le décalage entre l’engagementéthique de l’entreprise française et la réalité des usines locales est gigantesque. La fast fashion fait toujours des victimes, les pom-piers de Dacca sont épuisés à forced’enchaîner les sorties, et, ces dix dernières années, plus de 600

personnes sont mortes dans des incendies d’usines.

Autre scandale : celui du traite-ment des jeans. La technique hau-tement toxique du sablage, aujourd’hui interdite, a provoqué de graves problèmes de santé chez des milliers de travailleurs. No-tamment, des centaines d’ouvriersturcs souffrent aujourd’hui de sili-cose. Les témoignages d’anciens ouvriers à Istanbul, soignés pour de sévères insuffisances respira-toires, constituent un des mo-ments forts du documentaire.

L’enquête menée par Inge Alte-meier et Reinhard Hornung nous mène de Dacca à Istanbul, en pas-sant par Paris, Berlin et Bruxelles, où des responsables politiques et des juristes dressent un état des lieux peu optimiste. Certes, des rè-gles internationales imposent unsalaire minimum légal et des con-ditions de travail sécurisées. Dans les faits, l’ouvrière textile à Dacca touche 15 centimes de l’heure, tra-vaille comme une damnée six jours sur sept et ne bénéficie pas de protection sociale. p

alain constant

La mode à mort, d’Inge Altemeier et Reinhard Hornung (Allemagne, 2015, 52 min).

Une usine de textile, à Dhaka, en décembre 2014. ALTEMEIER & HORNUNG FILMPRODUCTION

Vingt ans pas toujours rosesLa chaîne cryptée célèbre deux décennies de sa « Nuit gay ». L’occasion de revenir sur l’évolution des mentalités

CANAL+MARDI 20 – À PARTIR

DE 21 HEURESDOCUMENTAIRES

E n 1995, alors que la Gay-pride connaît un tournanttant dans sa fréquentation

que dans son rayonnement à tra-vers la France, Canal+ lance la première « Nuit gay » pour faire « reculer la peur, la honte et l’incom-préhension », selon Alain Burosse, son créateur.

Pour célébrer cet anniversaire, lachaîne cryptée a choisi, à travers le documentaire de Michel Royer, de jeter un coup d’œil dans le ré-troviseur, moins pour s’y mirer – même si ce programme joua un

rôle non négligeable dans la visi-bilité et l’acceptation de la com-munauté lesbienne, gay, bi et transsexuelle (LGBT) – que pour mesurer l’évolution des mentali-tés dans la société française.

Batailles souvent violentes

Pour ce faire, deux jeunes étu-diants en journalisme sensibles àcette cause ont interrogé une di-zaine de personnalités (ChristianeTaubira, Marie Labory, Alain Gui-raudie…) sur leur engagement et leur appréhension d’une période qui marque, grâce à la découverte,en 1996, du traitement du sida parles trithérapies, la « sortie des an-nées noires » (Jean-Paul Gaultier).

Plus encore que le succès gran-

dissant de la Gaypride, le comingout de personnalités (Bertrand Delanoë, Amélie Mauresmo…) ou le rôle des médias, l’épidémie estsans aucun doute le facteur ma-jeur de sensibilisation, comme lesouligne Roselyne Bachelot : « Lacommunauté homosexuelle a été un élément moteur, pédagogique,parce qu’au chevet des malades,elle a décidé qu’ils n’étaient pas des objets, mais des sujets de droit. » Et la question des droits, justement, sera au cœur des grandes batailles– souvent violentes – de ces dé-cennies pour combler le « no man’s land juridique » (Caroline Mécary, avocate) dans lequel se trouvait la communauté LGBT.

De la représentation presque

normalisée des homosexuels à la télévision (en particulier dans les téléfilms et les séries) aux avan-cées juridiques marquées par le PACS en 1998 et le mariage pour tous en 2013, le tableau illustré de nombreuses archives télévisuel-les pourrait presque paraître rose,s’il ne restait quelques douloureu-ses questions en suspens, dont lareconnaissance des transsexuels ou encore l’homophobie – un des combats de Louis-Georges Tin, àl’origine de la Journée mondiale contre l’homophobie.

Mais aussi celui de l’artiste an-glais Paul Harfleet qui, depuis dix ans, sillonne le monde pour plan-ter une fleur, une pensée (pansysignifiant aussi « tapette ») sur les

lieux des actes homophobes ettransphobes ; avant de les photo-graphier et de les poster sur les ré-seaux sociaux afin qu’ils se muent en lieu de mémoire, de ré-sistance pacifique et de guérison. Loin d’une bluette artistique, le documentaire écrit par Lionel Bernard et Jean-Baptiste Erreca touche autant par les témoigna-ges des victimes que par une gestepacifique et poétique. Une penséesalutaire pour panser. p

christine rousseau

1995-2015 : vingt ans de révolution gay, de Michel Royer (Fr., 2015, 95 min).Les Pensées de Paul, de Jean-Baptiste Erreca (Fr., 2015, 70 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

Page 23: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 styles | 23

signes intérieurs de richesseCette année, le Pavillon des arts et du design de Londres, qui se tenait du 12 au 18 octobre, s’est rué vers l’or. Des objets loin du bling-bling,qui évoquent plutôt préciosité et glamour hollywoodien

DESIGNlondres

Et si le mobilier chic etlisse devenait en-nuyeux ? Le dernier Pa-villon des arts et du de-

sign (PAD), du 12 au 18 octobre àLondres, a confirmé le retour desarts décoratifs et de l’or dans le de-sign contemporain. Dès l’entrée, une surprenante torchère de 2,30 mètres de haut – tel un baobab échevelé, quasiment échappéd’un tableau de Dali – saisit le visi-teur dans son feuillage d’abat-jour et ses éclats de bronze miel. C’est le lampadaire Metropolis (2014), de Mattia Bonetti, un ar-tiste installé à Paris, qui appelle sur le stand de la galerie britanni-que David Gill, à une nouvelle ruée vers l’or.

Car, d’un stand à l’autre du PAD,les dorures se taillent la part belle sur les miroirs, tables et suspen-sions les plus contemporains. Desors mats, vieillis, patinés… der-rière lesquels se cachent, le plus souvent, du bronze, du laitonbrossé, de l’acier champagne,voire du bois peint. Ce jeu des ma-tières, comme passées dans un bain d’or, est à l’honneur à la gale-rie BSL, fondée en 2010, à Paris, par Béatrice Saint-Laurent. Du pa-ravent en tresses, façon bijou, de Taher Chemirik, à la suspensionen pluie de rubans de Charles Kal-pakian, en passant par cet épous-touflant Twist Stool, un tabouret en bois sculpté à la main, qui a reçu la mention spéciale du jury,au PAD. « Ces teintes chaudes et do-rées ? C’est la résurgence, en temps de crise ou d’incertitudes, du gla-mour hollywoodien des années 1930 à 1950, estime Béatrice de Saint-Laurent. Les stars de cinéma,qui organisaient chez elles des fê-tes mémorables, avaient mis à la mode une décoration d’intérieur dite “Hollywood Regency”, mé-lange de confort et d’opulence. »

Un travail d’orfèvre

Rien à voir avec l’époque bling-bling des années 2000, quand les chanteurs de R’n’B exhibaient, sur leur poitrail, une avalanche de chaînes 24 carats, bruissant à cha-que pas, ou que le publicitaire fran-çais Jacques Séguéla arguait qu’un poignet sans Rolex, à 50 ans, signi-fiait une vie ratée. Les reflets dorésdu PAD évoquent moins la folie des grandeurs qu’une chasse au trésor, à la Toison d’or, tant les piè-ces de mobilier sont ouvragées, sculptées, ciselées… A chaque fois, un travail d’orfèvre.

« On a souvent associé l’or aubling-bling, mais on peut aussi évoquer le travail d’artistes con-temporains, tels James Lee Byars ou Yves Klein, précise Clémence Krzentowski, cofondatrice, avecDidier Krzentowski, de la Galerie Kreo, en 1999, à Paris. Dans cet es-prit, le fauteuil Poltrona ou la tablebasse Perugia, d’Alessandro Men-dini, que nous représentons, sontfaits de tesselles en mosaïque, re-couvertes à la feuille d’or. Une tex-ture qui se laisse deviner peu à peu,d’abord par l’œil, puis par le tou-cher… comme une œuvre d’art et une expérience de vie. »

Plus qu’une richesse ostenta-toire, la tendance – comme l’avait déjà souligné l’Observatoire deMaison & Objet (M & O) Paris, cet automne – est à la préciosité. « Ce terme distingue le retour des arts décoratifs de haute facture, mais aussi une vogue de l’excès, souli-gne François Bernard (agence Croisements), l’un de ces observa-teurs chargés de flairer l’air dutemps pour M & O. Comme au XVIIe siècle, les sentiments “affec-tés”, “empruntés” ont une forme qui n’a rien de “naturel”. » Cettepréciosité-là est comme un sur-plus, un trop, une générosité detout : de sentiments, de gestes, de manières, de dessins, de formes, de couleurs. « C’est comme si le commun était devenu insupporta-ble de banalité et qu’il fallait alorshypertrophier les formes pour flir-ter avec l’unique, le sacré et le pro-fane. Faire en sorte qu’il se passe enfin quelque chose qui émerge duchaos ambiant ! »

Rien ne serait, donc, assez ex-ceptionnel ou grandiloquent pour les « happy few », comme les

baptisait Stendhal. Au PAD 2015, ledesign contemporain s’épanouitsans modération dans des formessurréalistes et des matériaux iné-dits… Chez Maria Wettergren, lacélèbre Table Growth, de MathiasBengtsson, née du mariage d’un programme numérique imitant la croissance du végétal, et du pa-tient travail d’ébénistes, est, cettesaison, coulée dans un bronze mi-roir. Elle pèse ses 400 kg et, pour-tant, devient immatérielle, dans un jeu inédit de lumières.

Chez l’espagnol Garrido Gallery,la table basse Gold in Quartz Table est constituée d’îlots de différentesformes, comme des fractures de la planète Terre, couverte d’un or 24

carats, l’un martelé, l’autre ruti-lant, le dernier texturé au marteau.

Autre objet : cette table de repasdont le plateau est constitué demorceaux successifs, tels des continents tous habillés d’ors ca-pricieux. C’est l’œuvre de Massi-miliano Locadelli (Specchio Di Venere), à partir d’un plateau enverre recouvert d’argent couleurchampagne, pour l’Italien NilufarGallery.

A l’instar de l’artiste Jean-PierreRaynaud, qui créait, il y a trenteans, Le Pot doré, une sculpture de trois mètres de haut dorée à l’or fin, ces designers-chercheurs d’or revisitent les codes du faste. p

véronique lorelle

L’appel de Londres

L e dernier Pavillon des artset du design (PAD) de Lon-dres, du 12 au 18 octobre, a

confirmé deux choses : le retour de l’or dans le design contempo-rain et… la forte attractivité de la capitale britannique sur les gale-ristes français.

Dans les deux cas, une formed’échappatoire à la crise, sansaucun doute. « Nous avons beau-coup de clients internationaux, qui ont au moins un pied-à-terre à Londres, et nous nous sommesrapprochés également de nos de-signers, tels Marc Newson, Jasper Morrison ou Doshi Levien », ex-plique Clémence Krzentowski, cofondatrice avec Didier Krzen-towski de la Galerie Kreo, à Paris,qui a installé, dès 2014, une an-tenne outre-Manche, dans le quartier de Mayfair, près de la

maison de ventes Phillips.En 2015, c’était au tour de Pa-

trick Seguin d’inaugurer, lundi 13 octobre, sa galerie à Londres,principalement consacrée à la mise en valeur des architectures démontables de Jean Prouvé.

L’exposition d’ouverture, « Pe-tites machines d’architecture », présente deux projets embléma-tiques : l’Ecole provisoire de Ville-juif (1956) et la Maison démonta-ble 6 × 6, adaptée par Richard Ro-gers (RSHP). « Cette petite galerie de 70 mètres carrés est une vitrinede rêve dans un quartier, Mayfair, où se concentre la clientèle inter-nationale, souligne Patrick Se-guin. Je la loue à l’Hôtel Claridge’s,mon voisin qui, avec ses 250 chambres, affiche complet cha-que jour et pose mes ouvrages monographiques – sur Le Corbu-

sier, Jean Royère, Charlotte Per-riand… – sur les tables de nuit ! »

Le 15 octobre, la galerie pari-sienne Dutko fêtait, à son tour,l’ouverture de sa première adresse londonienne, située enface de l’une des trois galeries d’art contemporain du célèbre marchand Larry Gagosian.

« En pleine effervescence »

La première exposition, dans ce lieu, rassemble notamment des pièces inédites d’Eric Schmitt et de Philippe Anthonioz. « La clien-tèle mondiale est à Londres au moment de la foire d’art contem-porain Frieze Art Fair, et, plus gé-néralement, cette ville est devenuela place tournante de l’art, assure Jean-Jacques Dutko, grand con-naisseur français des Arts déco-ratifs. Ici, je montrerai de grandes

pièces des années 1930 ainsi que de jeunes créateurs dont le mobi-lier est de la même trempe, car cette clientèle cosmopolite aime insérer dans son intérieur style Arts décoratifs des objets contem-porains. »

Tous ont naturellement choisile quartier huppé de Mayfair. C’est là aussi que le PAD a installé son salon annuel, sous une tente posée sur Berkeley Square. « Lon-dres, aujourd’hui, c’est New York ily a vingt ans : tout est là, en pleine effervescence, et dynamique, de laboîte de nuit aux restaurants branchés et aux sociétés financiè-res », assure Patrick Perrin, cofon-dateur et président du PAD. Pour qui, désormais, « le centre du monde, culturellement parlant, est ici ». p

v. l.

Paravent en laitonet acier Calligraphie III,de Taher Chemirik (BSL). BSL

Lustre de Charles Kalpakian(2015, Galerie BSL).HERVÉ LEWANDOWSKI

Poltronadi Proust, or,par Alessandro Mendini (Galerie Kreo). KREO

Sculptural Bronze Stool, de Carol Egan (Galerie BSL). BSL

Tabouret en bronzeet écorce d’acacia, de Wolfs+Jung(Ammann Gallery). AMMANN GALLERY

Page 24: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

24 | 0123 MARDI 20 OCTOBRE 2015

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C es chemises en lambeaux, vues etrevues… Cette admonestation dechoisir, de trancher ce qui est le

plus grave, de la violence physique ou de laviolence sociale. Rude dilemme pour nous autres, pauvres piétons. Alors comme une envie de quitter le plancher des vaches. Des goûts d’azur, d’échappée belle, à tire-d’aile… Pourquoi revient à cet instant en mémoire cette scène magnifiéepar Joseph Kessel dans sa biographie de Jean Mermoz ? En 1924, le pilote postulait à une place dans une compagnie qui allait bientôt s’appeler l’Aéropostale. Le direc-teur d’exploitation, Didier Daurat, lui fit faire un bout d’essai à Toulouse. Mermoz entama alors une démonstration de vol-tige, d’épate aérienne. Sur une dernière pi-rouette, il reposa son coucou, fier de lui.

Aussi fut-il cueilli par le ton glacial du pa-tron. « Pas besoin d’acrobates ici, bou-gonna Daurat, une Caporal au coin des lè-vres. Allez au cirque ! » Le grincheux jurait ne rechercher que « des conducteurs d’autobus ». C’était faux, bien sûr. Il fallaitbien encore des casse-cou, des aventurierspour transporter le courrier au-dessus du Sahara, de l’Atlantique ou de la cordillère des Andes. Derrière ses airs rogues, Daurat

avait d’ailleurs jaugé la trempe du person-nage. Mermoz fut embauché. « On vous dressera », promit cependant le mentor.

Neuf décennies ont passé. L’Aéropostaleest devenue Air France. L’aviation est pas-sée de l’esprit pionnier à l’industrie de masse. C’est la fin de l’aventure et même la fin du voyage : l’époque est au déplace-ment, à l’interconnexion, au « hub ». Au clou, le cuir à col de fourrure et les lunettesrondes. En apparence, c’est pour de bon l’heure des « conducteurs d’autobus », en leurs routinières navettes. Les négocia-tions entre la direction et les pilotes de la compagnie nationale ressemblent triste-ment à des débats autour d’une poin-teuse. Il n’y a plus que les chiffres – salai-res, productivité, temps de travail – qui vi-revoltent comme des vols d’escadrille. Mermoz, Saint-Exupéry semblent bien morts, disparus, corps et âme.

Des goûts de décollation

On vous dressera… La boutade de Daurat est plus que jamais d’actualité. Les pilotes,ces grandes gueules qui croient encore au prestige de l’uniforme, sont sommés de rentrer dans le rang. De notre hublot, avecune vue certes parcellaire, quelque chose nous gêne dans cette volonté de dompter cette caste. Et, plus encore, de vouloir l’op-poser aux autres catégories de personnel. Evidemment, la campagne lancée contre ces nantis casquettés et galonnés d’or est conforme à la mesquinerie du moment. Ily a aujourd’hui des goûts de décollation. Sus aux aristos, qu’ils soient profs, méde-cins ou donc pilotes d’Air France, autant de professions en voie de banalisation.

Alors, on a eu envie de savoir au moinsce qu’ils plaidaient pour leur défense, ces descendants de Nungesser. Peut-être l’ef-fet d’une admiration mal placée pour ces hommes capables de maîtriser des ta-

bleaux de bord qui clignotent comme sa-pins de Noël. Sans doute aussi de la com-passion pour cette corporation qui vous sort un zinc d’une zone de turbulences comme qui rigole mais si lamentable de-vant une caméra de télévision, trop sûre de son prestige sans doute, se moquant par trop de la mauvaise réputation. Gensde transport mais certainement pas de communication, les pilotes.

Comme ça, pour voir, pour savoir, on acontacté deux commandants de bord, res-pectivement vingt-trois et vingt-cinq ans de cockpit, plus de dix mille heures de vol chacun. Au premier, on a parlé de Mer-moz, justement. En son esprit cartésien, il a répliqué qu’il ne fallait pas comparer Christophe Colomb et la Route du rhum. Ilne nous aidait pas vraiment à l’aider, ce-lui-là.

Et puis, pendant des heures, les deuxhommes ont parlé de leur métier, de ce qui a changé, de ce qui reste. De leurs rêvesd’enfant, de leurs rêves d’Air France. Ils ontraconté les procédures, toujours plus con-traignantes, plus tatillonnes. Et en même temps cette part d’improvisation perma-nente. On croyait entendre Rivière, réin-carnation de Daurat dans Vol de nuit : « C’est l’expérience qui dégagera les lois. La connaissance des lois ne précède jamais l’expérience. »

Ils ont dit les cyclones tropicaux àMiami, le froid canadien, les pistes africai-nes, les contrôleurs aériens birmans ou texans, à l’anglais tout aussi incompré-hensible. Les atterrissages en crabe, pourparer les rafales, avec 300 personnes quiprient à l’arrière. Les 90 décibels dans lesoreilles. La bagarre, parfois, contre l’ordi-nateur de bord qui se trompe mais ne veutpas rendre la main. On s’est dit alors que jamais on ne pourrait dresser un pilote. Etc’est tant mieux. p

D ébut octobre, la France abombardé en Syrie un centrede formation de l’Etat islami-

que (EI) qui abritait sans doute des Européens, peut-être des Français. Etat de droit, la France prend le risque – ou la décision ? – d’une frappe pou-vant coûter la vie à certains de ses res-sortissants. Les Etats-Unis et le Royau-me-Uni ont eux aussi été confrontés àce dilemme. Problème politique, juri-dique et moral. Comment l’apprécier ?

Quand les avions français larguentdes bombes contre l’EI en Irak, la base juridique de l’opération est simple. La France opère à la demande du gouver-nement irakien contre une organisa-tion terroriste et qualifiée comme telle par l’ONU : l’EI « menace la paix etla sécurité internationale », dit le Con-seil de sécurité des Nations unies.

La lutte contre le djihadisme dansl’Afrique subsaharienne se fait aussi à la demande des gouvernements con-cernés et avec l’« imprimatur » de l’ONU. En Syrie, la situation est plus compliquée. La France n’agit pas à la demande de Bachar Al-Assad, qu’elle souhaite voir quitter le pouvoir. De-puis qu’elle a décidé, il y a à peine quelques mois, d’étendre ses frappes

contre les djihadistes à la Syrie, elleévoque la légitime défense.

Paris a appris que des attentats sepréparaient sur le territoire français, très vraisemblablement à partir de ba-ses localisées en Syrie. L’EI clame hautet fort son intention de frapper la France et, dans un pays qui a connu les attentats de janvier, il n’y a aucune raison de ne pas prendre au sérieuxces menaces. Tout gouvernement qui ne le ferait pas serait irresponsable.Hélas, l’EI a prouvé, y compris aux dé-pens de Français, qu’elle passait à l’acte : enlèvements, tortures, viols,épuration ethnico-religieuse, massa-cres et autres actes terroristes. Et, hé-las encore, c’est un Français, Salim Benghalem, recherché par la justice, qui est, avec d’autres ressortissants français, l’un des acteurs présumés de cette barbarie.

Les Européens qui gagnent les rangsde l’EI ne sont pas en mission huma-nitaire – ils rejoignent une organisa-tion combattante, décidée à frapper des Français. La France est parfaite-ment fondée à parler de légitime dé-fense, situation que prévoit la chartede l’ONU. Mais le débat ne s’arrête pas là. Paris avance l’argument de la légi-time défense collective, qui, en prin-cipe, n’est opposable qu’à un Etat. Dans Le Monde, la garde des sceaux, Christiane Taubira, observe que l’EI, Etat autoproclamé, a nombre des ca-ractéristiques pour en être un vérita-ble.

Pourtant, Paris serait sans doute enterrain plus sûr s’il invoquait la « légi-time défense individuelle ». Ce moyenjuridique comporte une contrainte : ilobligerait la France, avant une opéra-tion, à fournir à l’ONU des informa-tions sur les raisons du choix d’une ci-ble. Le Royaume-Uni, lui, s’y plie sans que cette obligation obère ses capaci-tés opérationnelles. Le sujet est suffi-samment grave pour que Paris choi-sisse ce qui apparaît comme la meilleure base juridique. p

LES PILOTES ONT RACONTÉ LES PROCÉDURES,

TOUJOURS PLUS TATILLONNES. ET

AUSSI CETTE PART D’IMPROVISATION

PERMANENTE

SYRIE : LE DROIT ET LES FRAPPES FRANÇAISES

L’AIR DU TEMPS | CHRONIQUE

par benoît hopquin

La fin du voyage

Tirage du Monde daté dimanche 18-lundi 19 octobre : 308 803 exemplaires

Page 25: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

Cahier du « Monde » No 22008 daté Mardi 20 octobre 2015 - Ne peut être vendu séparément

OFFRESD’EMPLOI

CHAQUE LUNDI

PAGES 10 et 11

TECHNOLOGIEORANGE PROPOSEDE RÉGLER L’ADDITION AVEC SON MOBILE→ LIRE PAGE 5

PARIS HIPPIQUESBRÉSIL : LE PMUSE LANCE AU GALOP→ LIRE PAGE 6

PERTES & PROFITS | DEUTSCHE BANK

Les banques européennes dans la tempête

Que se passe-t-il donc dans les ban-ques européennes ? On croyait lacrise de 2008 enterrée, les profitsjuteux revenus, bonus compris, etle paysage durablement stabilisé

après la tourmente des dernières années. Ilsemblerait que non, au vu des annonces qui pleuvent depuis une semaine sur le secteur.Pas un jour sans son plan de restructuration, son projet de scission ou de vente d’actifs, son changement de direction. Dernier en date, ce-lui de la Deutsche Bank, autrefois empereur de la nouvelle économie financière et des années 2000 et aujourd’hui homme malade de la fi-nance européenne.

A peine installé comme seul patron au som-met de l’entreprise, John Cryan a annoncé une réorganisation complète de l’entreprise et desdéparts massifs, à commencer par la plupart des dirigeants. La semaine dernière, Barclays a indiqué vouloir se séparer de son activité d’in-vestissement et devrait annoncer des milliersde suppressions d’emplois. Même menace sur Crédit Suisse, dont le nouveau patron, Tidjane Thiam, a annoncé une augmentation de capi-tal massive.

C’est donc le branle-bas de combat sur le pontdes grands vaisseaux de la finance européenne.La tempête de 2008 a laissé de nombreuses sé-quelles et toutes les voies d’eau n’ont pas été colmatées. La faiblesse de la reprise économi-que pousse les banques centrales à maintenir les taux d’intérêt au plus bas, ce qui limite forte-ment leurs marges. De plus, les règles édictées

par les Etats après la crise financière imposent aux banques des précautions coûteuses. Et,comme si cela ne suffisait pas, ce régime sec intervient au moment où la révolution numé-rique impose de lourds investissements.

Des frégates bien plus manœuvrantes

Il est évidemment difficile de faire pleurer sur le sort de banques qui continuent pour la plu-part à engranger de jolis bénéfices : 1,5 milliarden 2014 pour Deutsche Bank, 2,4 milliardspour Crédit Suisse. Largement suffisant pourremplir leur rôle de poumon de l’économie.

Le seul problème est que ces embarcationsfont désormais face à des frégates bien plus manœuvrantes, venues de l’autre côté de l’Atlantique. De vieilles connaissances qui s’ap-pellent Goldman Sachs, Morgan Stanley ou JP-Morgan Chase. Depuis 2009, leur part du mar-ché mondial a explosé et représente désormaisprès de 60 % du métier de la banque d’investis-sement, qui consiste à aider les entreprises et les institutions à se financer sur les marchés.

Président de la Fédération bancaire euro-péenne, Frédéric Oudéa, le patron de la Sociétégénérale, brandit la menace de « perte de sou-veraineté » de l’Europe pour demander la clé-mence des régulateurs européens. Il n’est passûr que ces derniers relâchent la pression, alors que la tempête qui continue de souffler devrait aboutir à des fusions en chaîne dans lesecteur en Europe, et donc à des groupes en-core plus puissants et à surveiller de près. p

philippe escande

j CAC 40 | 4 734 PTS + 0,67%

j DOW JONES | 17 215 PTS + 0,43%

j EURO-DOLLAR | 1,1351

J PÉTROLE | 50,24 $ LE BARIL

j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,94 %

VALEURS AU 19/10 - 9 H 30

La Deutsche Bank veut faire table rase de son passé

berlin - correspondance

C orrection massive du bi-lan, réorganisation deplusieurs départements-

clés, destruction des anciens ré-seaux, remerciement de plu-sieurs cadres dirigeants histori-ques : pas une pierre ne devrait rester l’une sur l’autre à la Deuts-che Bank (DB), qui a annoncé, di-manche 18 octobre, une réformeradicale de ses structures. Un peuplus de cent jours après l’entréeen fonctions de son directeur, l’Anglais John Cryan, la premièrebanque allemande semble vou-loir faire table rase de son passé tourmenté.

La décision la plus symboliqueprise dimanche soir, après une réunion exceptionnelle du con-seil de surveillance, est la sépara-tion en deux du département banque d’investissement. Ce-lui-ci regroupait jusqu’ici le né-goce sur les marchés des capi-taux et le financement des entre-prises, deux spécialités qui serontscindées au 1er janvier 2016. Lagestion de fortune sera aussi réorganisée. Le départementbanque d’investissement, le plusimportant chez Deutsche Banken termes de chiffre d’affaires (13,6 milliards d’euros) et de béné-fices (3 milliards), est aussi l’un des plus décriés.

cécile boutelet

→ L IRE L A SUITE PAGE 6

6,2MILLIARDS D’EUROS

LE MONTANT DE LA PERTE

ANTICIPÉE PAR DEUTSCHE BANK

AU TROISIÈME TRIMESTRE 2015

Le moteur chinois tourne au ralenti

A Pékin. WANG ZHAO/AFP

▶ Pour lapremière foisdepuis 2009,la croissancechinoise s’affiche sous la barredes 7 %▶ Le présidentXi Jinpinga reconnu des « inquiétudes » tout en vantant la soliditéde son économie▶ Le rééquili-brage dumodèle chinois est en marche mais pèsesur la croissancemondiale→ L IRE PAGE 3

C’ est désormais officiel : il n’yaura pas d’accord politique surle Transatlantic Trade and In-

vestment Partnership (TTIP) avant la fin de 2015, alors que s’ouvre, lundi 19 octo-bre, à Miami (Floride), le onzième round des négociations, depuis leur lancement officiel, en juin 2013.

Si les Européens aimeraient aboutir àun accord avant la fin du mandat Obama,en 2016, les plus réalistes ne se font pas

d’illusions. « Si on ne conclut pas avec l’administration Obama, il faudra voir avec la suivante », confie au Monde la commissaire européenne chargée du commerce, Cecilia Malmström.

Pourquoi cette négociation est-elle silaborieuse ? Il faut dire qu’elle est d’abordtrès ambitieuse et inédite, puisqu’il s’agitde créer la plus vaste zone de libre-échange du monde. Mais cette explica-tion est un peu courte.

Depuis deux ans et demi qu’elles du-rent, les discussions n’ont en effet abouti à presque rien de concret. Les points lesplus « durs » n’ont pas été vraiment abor-dés. Il faut dire que, jusqu’ici, Washing-ton a concentré son énergie à négocier letraité transpacifique (TPP), un accord delibre-échange qui concerne douze Etats, et qui a été conclu le 5 octobre.

Côté européen, la Commission, qui faitla majeure partie du travail de promo-

tion, se heurte à des opinions publiques très remontées, en Allemagne notam-ment. Les désaccords sur les tribunaux d’arbitrage, permettant de régler les dif-férends entre Etats et multinationales, ont également retardé les discussions.Mais, malgré ces blocages, les négocia-tions doivent aboutir : les enjeux sont en effet considérables. pcécile ducourtieux et stéphane lauer

→ L IRE PAGE 4

Libre-échange transatlantique : pourquoi tant de lenteur ?▶ Les points les plus « durs » n’ont pas été abordés alors que s’ouvre, à Miami, le onzième round de discussions sur le TTIP

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Page 26: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

2 | portrait MARDI 20 OCTOBRE 2015

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« N’ENTERRONS PAS LE LIVRE

PRÉMATURÉMENT. RESTONS

DES ÉDITEURS, PAS DES FOURNISSEURS

DE CONTENUS »

Arnaud Nourry,l’irréductible Gaulois du livreDepuis que le patron a pris les rênes d’Hachette Livre en 2003, le groupe s’est hissé au troisième rang mondial des éditeurs et a livré bataille contre Google, Amazon, et Apple. Cette semaine, le PDG prépare la sortie du nouvel « Astérix »

Arnaud Nourry fait partie desinitiés qui ont déjà lu Le Papy-rus de César, en librairie jeudi22 octobre. Ce jour-là, il n’yaura pas un mais deux lance-ments d’égale importance, de

chaque côté du Rhin. Astérix, propriété d’Ha-chette, est en effet extrêmement populaire enAllemagne. Pour le 36e récit de ses aventures, les deux pays vont faire jeu égal, avec un tiragede 1,7 million d’exemplaires là-bas, pour 1,8 million ici, avec un prix identique de 9,95 euros.

A la Foire internationale du livre de Franc-fort, qui vient de refermer ses portes, les deuxauteurs, Jean-Yves Ferri au scénario et Didier Conrad au dessin, ont aussi pris le relais du PDG d’Hachette Livre pour assurer le buzz, autour de Der Papyrus des Cäsar, qui devrait être le titre le plus vendu d’Hachette en 2015.

Astérix, comme Larousse ou Grasset,Fayard, Hatier, Le Masque et Le Livre de pochesont des noms qui appartiennent au patri-moine de l’édition française, tous regroupés au sein d’Hachette Livre, troisième éditeur gé-néraliste mondial, présent dans le monde anglo-saxon et espagnol, et qui pèse 2 mil-liards d’euros de chiffre d’affaires. Cette entité,filiale du groupe Lagardère, est dirigée par Ar-naud Nourry depuis 2003.

Mercredi 14 octobre, c’est à ce titre qu’il aparticipé au très select « CEO Talk » de la Foire,une conférence qui rassemble les grands pa-trons du secteur. Au micro, il succédait à Markus Dohle, le PDG allemand du championPenguin Random House, invité en 2013, suivi par l’Américain Brian Murray, à la tête de Har-perCollins, filiale d’édition du magnat Rup-pert Murdoch.

« FORCE TRANQUILLE »

Tout auréolé de la victoire, remportéeen 2014 aux Etats-Unis, contre Amazon, Ar-naud Nourry a évoqué l’identité d’Hachette, « la maison la plus ancienne encore existante en France », et celle d’un groupe qui s’est for-tement internationalisé sous sa direction et tire la moitié de ses revenus des 20 000 nou-veautés publiées chaque année. Un groupe dont le numérique représente 7 % de ses ven-tes en France et 25 % aux Etats-Unis. Il parle d’une « cohabitation des deux supports », pas d’un « effondrement du papier ».

Si Arnaud Nourry n’a pas cédé l’an passéface aux exigences de Jeff Bezos, le patron d’Amazon, qui sommait Hachette d’accorder au distributeur américain des rabais plus im-portants sur les prix, afin de faire vivre le marché des e-books (livres numériques), c’estavant tout par conviction. Celle que les édi-teurs doivent conserver le contrôle du prix du livre. « Si je renonce à cela, je mets en péril

toute l’économie du livre », s’alarme-t-il. Cetteconférence a mis en évidence le parcours dece « Frenchie » qui s’est installé dans la cour des grands. « Il a gagné le respect et l’admira-tion des Américains. Il ne ressemble absolu-ment pas à la caricature des Français, vu par eux. Il est calme, déterminé et constant dans ses idées. Il incarne même une force tran-quille », constate l’agente littéraire Susanna Lea, qui le croise à Paris et New York.

Cette image, voilà plusieurs années qu’Ar-naud Nourry la peaufine. En 2011, invité d’honneur de la soirée de gala du prestigieuxfestival PEN World Voices, présidé par Sal-man Rushdie, il avait surpris le monde del’édition américaine en faisant un éloge de la lenteur. « La course à l’information instanta-née est l’une de celles où les éditeurs ne pour-ront jamais gagner. Notre mission est de don-ner du sens », avait-il déclaré. Avant de con-clure : « N’enterrons pas le livre prématuré-ment. Restons des éditeurs, pas des fournisseurs de contenus. »

Arnaud Nourry n’est pourtant pas éditeurmais patron de maisons d’édition. Une dis-tinction importante. L’homme aime lire, se tient au courant de l’actualité des livres enFrance comme à l’étranger, et a pris l’habi-tude de fréquenter agents littéraires, éditeurset auteurs. Il n’est toutefois pas directementimpliqué au cœur de la création littéraire.

Un rôle qui colle à la double culture d’auto-nomie en vigueur chez Hachette : celle des maisons d’édition vis-à-vis de leur maisonmère, et celle d’Hachette à l’égard de son ac-tionnaire, auquel Arnaud Nourry rend toute-fois régulièrement des comptes. Or ,c’est dans ce travail assez particulier de chef d’or-chestre qu’il s’est épanoui. « Il a fait un boulotd’enfer », reconnaît un de ses compagnons deroute, qui l’a connu contrôleur de gestion chez Hachette, au commencement de sa car-rière en 1990.

A l’époque, diplômé de l’Ecole supérieurede commerce de Paris, il était, selon plu-sieurs témoignages, très sûr de lui et volon-tiers cassant. « Quand il entrait dans une réu-nion, il se comportait en caïd », se souvientl’un de ceux qui l’ont croisé à l’époque. Doué pour l’examen des comptes et les montages financiers, il fait partie de l’équipe chargée del’opération baptisée « Chapelier », dont la ci-ble est l’acquisition de Hatier. En 1996, ils’agit d’un gros investissement pour Ha-chette. Sitôt réalisé, il prend la tête de l’édi-teur scolaire, où il démontre d’indéniables qualités de manageur.

Pourtant, quand en mai 2003 Arnaud La-gardère le choisit pour présider Hachette, la perle de son empire acquise par son père Jean-Luc en 1980, Arnaud Nourry n’est ni le plus emblématique ni le plus politique des

du droit d’auteur, la non-gratuité pour les li-vres numérisés et la fixation du prix par l’édi-teur. Cette dernière obsession a bien failli lui coûter son poste. L’éditeur français est con-traint de plaider coupable en 2012, devant la justice américaine, pour éviter un long et coû-teux procès, alors que son entreprise est soup-çonnée d’entente avec Apple sur le prix des li-vres numériques. Arnaud Nourry cède et laisse pendant deux ans la liberté de prix à Amazon et consorts sur les e-books… tout en obtenant la validation par la justice améri-caine du contrat d’agent, qui accorde à l’édi-teur le droit de fixer le prix des livres.

Avec Jeff Bezos, la partie est plus serrée.Amazon est à la fois le premier client d’Ha-chette et l’un de ses concurrents. En 2014, alors qu’il lui demande un surrabais sur ses li-vres, le Frenchie répond « no » ! La partie sejouera ensuite entre leurs lieutenants, mais Arnaud Nourry n’a pas cédé, obtenant, en sus,le soutien des écrivains américains. L’actuel reflux de 10 % du marché numérique aux Etats-Unis s’explique par la saturation du marché des liseuses, mais aussi par ce coup d’arrêt donné au deep discount (réduction im-portante des prix habituels).

« Je suis très optimiste sur l’avenir du livre, quidemeure un marché stable », explique-t-il. En septembre, il a soumis un plan stratégique quia reçu l’assentiment d’Arnaud Lagardère. Il y asix mois, ce dernier était pourtant absent lors de l’inauguration du tout nouveau siège d’Ha-chette, qui accueille les 700 salariés du groupeà Vanves (Hauts-de-Seine). Tous les barons du groupe étaient toutefois au rendez-vous.

Dans ce bâtiment, réalisé par l’architecte Jac-ques Ferrier, dont Hachette est propriétaire et qui, vu du ciel a la forme d’un « H », Arnaud Nourry a dévoilé un buste imposant de Louis Hachette (1800-1864), fondateur en 1826 de la librairie qui porte son nom. Il a rappelé qu’Ha-chette Livre est un « groupe mondial, qui est envérité une constellation de maisons modernes mais inscrites dans le temps long ». Et de don-ner rendez-vous à tous, dans onze ans, pour lebicentenaire. « Ce serait une bien jolie date pour prendre ma retraite », a-t-il ajouté. p

alain beuve-méry

prétendants. Il apparaît plutôt comme ungestionnaire interchangeable.

Dès son entrée en poste, le groupe, avecl’aval de son actionnaire, achète le deuxième éditeur britannique (Hodder Headline), en 2004, puis le cinquième américain (Time Warner Book), en 2006. Et passe du 12e au 3e

rang mondial. Dans la corbeille du groupeaméricain, figure la série « Twilight », de Ste-phenie Meyer, aux futurs 120 millions d’exemplaires. Ce succès international per-met à Hachette d’être le seul groupe d’éditionà ne pas entrer en récession aux Etats-Unis, àpartir de 2008. Dans les autres maisons, il y aeu des charrettes d’éditeurs, emportant no-tamment Jane Friedman, la puissante pa-tronne d’HarperCollins. De son côté, lamarge d’exploitation d’Hachette grimpe de200 à 300 millions d’euros, avant de redes-cendre à 250 millions.

« TUER QUAND IL FAUT TUER »

Le groupe publie aujourd’hui davantage de li-vres dans la langue de Mickey que dans celle d’Astérix. La taille d’Hachette rend difficile de nouvelles acquisitions en France, même si le groupe reste à l’affût d’opportunités, comme le montre le rachat des éditions Albert-René, détentrices des droits d’Astérix. Pour intégrer le célèbre héros gaulois, devenu une tirelire aux 350 millions d’albums vendus sur cinq continents, le « caïd » a su gagner la confianced’Anne Goscinny (la fille de René Goscinny, et unique ayant droit de son père) et du clan Uderzo. « Il sait se montrer ferme et diplo-mate », précise Olivier Nora, PDG de Grasset qui le connaît depuis vingt ans. Mais il sait aussi « tuer quand il faut tuer », dit un autreéditeur.

C’est aussi à partir de 2010 que, sous sa hou-lette, Hachette (prononcer à la française avec un H aspiré) s’est fait un nom aux Etats-Unis. Il tient tête aux trois géants Amazon, Google et Apple, qui chacun, à leur manière, révolu-tionne l’économie du livre. Sa technique : jouer du fort contre le fort. Il signe, à la stu-peur générale en 2010, un accord sur la numé-risation des livres avec Google. Dans la ba-taille, il a obtenu trois garde-fous : le respect

OLIVER RÜTHER POUR « LE MONDE »

1961Naissance à Paris.

1997Nommé directeur général d’Hatier.

2003Devient PDG d’Hachette Livre, premier éditeur français.

2014Sort vainqueur de l’affrontement avec Amazon et impose le contrat d’agent aux Etats-Unis.

Page 27: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 économie & entreprise | 3

La croissance chinoise au plus bas depuis 2009La hausse du PIB de 6,9 % au troisième trimestre confirme les fragilités d’une économie en plein rééquilibrage

shanghaï - correspondance

A6,9 % au troisième tri-mestre, la croissancede la deuxième écono-mie de la planète se

tient juste en dessous de l’objectif d’une progression d’environ 7 % sur l’ensemble de l’année fixé par Pékin. Il s’agit de son plus bas ni-veau depuis six ans, lorsque la Chine subissait la crise mondiale.

Le premier ministre, Li Keqiang,a déjà souligné qu’atteindre les 7 %n’est « pas aisé », dans un com-mentaire publié samedi 17 octobresur le site du gouvernement. Le président, Xi Jinping, a de son côtéreconnu dans un entretien à l’agence Reuters, publié dimancheen amont de sa visite au Royau-me-Uni, l’existence d’« inquiétu-des sur l’économie chinoise ». M. Xi a toutefois relativisé, arguant que ce rythme de progression se fait « sur une base économique à plus de 10 000 milliards de dollars [8 798 milliards d’euros] », de sorteque, même autour de 7 %, la Chinegagne en un an l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) d’un pays de taille moyenne et « dé-passe toujours ce qui était généré par une croissance à deux chiffres ily a quelques années », selon M. Xi.

Cependant, la Chine souffre en-core d’importantes surcapacités alors qu’elle avait déployé l’outil industriel correspondant à un rythme de croisière plus rapide.« Le ralentissement est principale-ment dû à un nouvel affaiblisse-ment du secteur industriel, qui a subi une plus forte déflation », écritdans une note Julia Wang, écono-miste de la HSBC à Hongkong. La transformation du modèle chi-nois en une croissance davantage tirée par la consommation et par les services que par les exporta-tions pèse – avec la chute du prix des matières premières – sur la croissance mondiale attendue (3,1 % en 2015, selon le Fonds mo-nétaire international).

En septembre, Long May, le pre-mier exploitant de mines de char-bon du nord-est du pays, a an-noncé la suppression avant la finde l’année de 100 000 emplois surles 240 000 qu’il assurait danscette région d’industries lourdes qu’est l’ex-Mandchourie. Le pa-tron de ce groupe étatique, Wang Zhikui, a jugé les licenciements inévitables pour « cesser l’hémor-ragie » et a également annoncé se séparer de toutes ses activités an-nexes pour contribuer à alléger le fardeau de la dette.

Le fait que les statistiques s’ap-prochent de si près des objectifs fixés par Pékin laisse bon nombre

d’économistes sceptiques. Chez Capital Economics à Singapour, Julian Evans-Pritchard fait remar-quer que « les taux de croissance officiels n’ont pas ralenti autant que la plupart des indices de crois-sance compilés par de tierces par-ties ces dernières années ».

L’immobilier, un boulet

Mais ce décalage en lui-même ne doit pas suffire à conclure au pire. « Le rythme de croissance a beau être clairement exagéré dans les statistiques officielles, nous pen-sons que la croissance a été globa-lement stable entre les deuxième et troisième trimestres », argue M. Evans-Pritchard. Selon l’indice d’activité de Capital Economics– fondé sur la consommation d’électricité, le transport de mar-chandises, les surfaces en cons-truction, les voyages individuelset les volumes du commerce in-ternational –, la croissance chi-noise pourrait s’être stabiliséeautour de 4,5 % aux deuxième ettroisième trimestres.

De son côté, Louis Kuijs, d’Ox-ford Economics, juge que le mar-ché immobilier demeurera un

boulet pour la croissance jus-qu’en 2016 mais que la consom-mation des ménages chinois tien-dra le coup, tandis que les mesuresde soutien se feront sentir de ma-nière croissante. « L’accélérationde l’assouplissement de la politiquemacroéconomique au troisième trimestre – visible dans la progres-sion plus forte du crédit – devrait amortir le ralentissement de la

croissance du PIB au quatrième tri-mestre », relève M. Kuijs dans unenote lundi matin.

De réels signes de rééquilibrageapparaissent. Malgré la décéléra-tion, les ventes de biens de con-sommation progressent de 10,9 % sur un an. Le secteur des services représente 51,4 % du PIB sur les neuf premiers mois de l’année, soit 2,3 points de plus que sur la

même période un an plus tôt. « Tout cela indique que la restruc-turation et la montée en gamme del’économie chinoise progressent avec constance », a fait valoir lundimatin Sheng Laiyun, porte-parole du Bureau national des statisti-ques. « Le phénomène d’économie à deux vitesses devrait se poursui-vre, avec un secteur des services quicontinue de faire mieux que le sec-

Les patrons chinois priés de serrer les rangs derrière le pouvoirLe magnat de Hongkong Li Ka-shing se retrouve sous le feu des critiques pour avoir sorti de Chine une partie de sa fortune

shanghaï - correspondance

S ous Xi Jinping, les hommesd’affaires doivent serrer lesrangs derrière le pouvoir

chinois. Puisqu’il faut toujours un condamné pour l’exemple, le glaive frappe Li Ka-shing, premièrefortune de Hongkong, détenteur de gratte-ciel et de réseaux mobi-les et premier opérateur de termi-naux portuaires de la planète.

En septembre, l’attaque estd’abord venue d’un centre de re-cherche gouvernemental, l’insti-tut Liaowang, qui a accusé M. Li de se séparer de ses actifs chinois à unmoment sensible et de « propager le sentiment pessimiste ». Puis, ce fut au tour du très officiel Quoti-dien du peuple de poursuivre l’of-fensive, le 21 septembre : « Aux yeux des gens ordinaires, nous avons partagé le confort et la pros-

périté ensemble dans les bons mo-ments et lorsque les temps se font durs il nous abandonne, cela a vrai-ment laissé certains sans voix. »

En cause, la stratégie de diversifi-cation de M. Li, consistant à sortir une partie de sa fortune de l’im-mobilier de Chine continentale, enralentissement, pour se tourner vers l’Europe. Au mois de juin, son conglomérat CK Hutchison a mis en vente un complexe composé dedeux tours de bureaux et d’un cen-tre commercial en construction à Lujiazui, le quartier financier de Shanghaï. En 2013, « Superman », le surnom que lui vaut son sens des affaires, s’était déjà séparé pour un peu plus de 100 millions d’euros du Centre financier orien-tal, un gratte-ciel situé dans le même district d’affaires. En mars 2015, il n’a par contre pas hé-sité à mettre la main à la poche

pour se saisir de l’opérateur mo-bile britannique O2.

Pour sa défense, Li Ka-shing a ré-torqué que le chef de l’Etat en per-sonne appelle à se développer à l’étranger. « Le président Xi encou-rage les entreprises à accroître leursinvestissements hors de Chine », a fait valoir l’empire CK Hutchison dans un communiqué. M Li recon-naît être « plus prudent » sur l’im-

mobilier mais se targue d’avoir, enrevanche, augmenté de 77 % en vingt-quatre mois le nombre de ses commerces sur le territoire chi-nois, passé à 2 300, des supermar-chés aux cosmétiques en passant par la parapharmacie.

Ne pas susciter la panique

La politique n’étant jamais trop éloignée des affaires, particulière-ment dans le contexte chinois, il ne peut être exclu que Li Ka-shing paye aujourd’hui sa proximité his-torique avec Jiang Zemin, ex-secré-taire du Parti communiste de-meuré influent en coulisses sousson prédécesseur, Hu Jintao, mais dont Xi Jinping neutralise progres-sivement les réseaux. M. Li a ainsi investi dans Boyu Capital, le fonds d’investissement bâti par Alvin Jiang, petit-fils de l’ancien hommefort du PCC.

La formule pour préserver soncapital politique consiste à recon-naître la réalité du ralentissement sans pour autant susciter la pani-que. Wang Jianlin, patron des cen-tres commerciaux Wanda, pro-priétaire des cinémas américains AMC et actionnaire de l’Atletico Madrid, a su trouver les mots, au mois d’août, en arguant d’une transformation douloureuse mais nécessaire. « La Chine doit aban-donner le fantasme d’un fort taux de croissance de 7 % ou 8 % et sim-plement accepter 6,7 % ou même 5 % », a déclaré M. Wang, selon Reu-ters. Lui a su mettre les dirigeants politiques de son côté. Le New YorkTimes révélait en avril que, parmi les investisseurs qui ont eu la chance d’entrer tôt au capital de Wanda, se trouvent notamment Qi Qiaoqiao, sœur de Xi Jinping (elle a cédé en 2013 ses parts à une

Li Ka-shing

a rétorqué que

le chef de l’Etat

en personne

appelait à

se développer

à l’étranger

Malgré la décélération de l’économie chinoise, les ventes de biens de consommation augmentent de 10,9 % sur un an. KIM KYUNG-HOON/REUTERS

Pour donner

de l’entrain

à l’économie,

la banque

centrale chinoise

a abaissé

ses taux

directeurs à cinq

reprises depuis

novembre 2014

de ses partenaires en affaires) ainsique des proches de l’ex-premier ministre, Wen Jiabao.

La majorité des magnats de l’im-mobilier ont souffert du net ralen-tissement du marché. Devant le Club des correspondants étran-gers de Shanghaï, le 21 septembre, Zhang Xin, fondatrice de l’empire Soho, expliquait avoir tardive-ment changé un projet de centre commercial, déjà trop nombreux dans la ville, en bureaux. Selon elle, tous les promoteurs s’interro-gent sur la suite des événements, en se voulant toutefois rassu-rante : « Les sentiments sont tou-jours exagérés, le sentiment négatifaussi. Nous sommes confrontés à un ralentissement, pas à un effon-drement. » Mme Zhang concluait enplaisantant : « C’est un casse-tête d’avoir de l’argent aujourd’hui. » p

h. th.

teur manufacturier », analyse Zhu Haibin, chef économiste de JP-Morgan en Chine.

La grande difficulté tient à l’écartentre ce rééquilibrage réel et né-cessaire mais qui ne suffit pas en-core en tant que palliatif, et la fai-blesse tant du commerce exté-rieur que de l’immobilier, long-temps demeurés des piliers de l’ascension chinoise. La croissancedes investissements dans l’immo-bilier est de 2,6 % sur les neuf pre-miers mois de l’année, contre 3,5 %sur cette même période en 2014.

Pour donner de l’entrain à l’éco-nomie, la banque centrale chi-noise a déjà abaissé à cinq reprisesdepuis novembre 2014 ses taux di-recteurs, en même temps qu’elle procède à une libéralisation gra-duelle de la fixation du coût des crédits. En parallèle, l’Etat planche sur davantage de mesures de sou-tien. Yu Bin, un économiste ausein du Centre de recherche du conseil des affaires d’Etat, le gou-vernement central, a ainsi expli-qué dans l’édition de dimanche duQuotidien de l’économie que la Chine devrait accélérer 172 projets de barrages hydroélectriques, dé-velopper 53 millions d’hectares de terres agricoles et investir davan-tage dans les routes en zones rura-les. M. Yu juge que « garder une progression relativement élevéedes investissements en infrastruc-tures est la clé pour stabiliser la croissance ».

Cette fébrilité devrait directe-ment influer sur l’agenda politi-que. Le Comité central du Parti communiste se réunira du 26 au 29 octobre pour plancher sur le treizième plan quinquennal, la feuille de route qui guidera l’éco-nomie de la Chine jusqu’en 2020. S’il y sera à nouveau question de réformes et de modernisation, le Parti devra toutefois maintenir d’importants investissements pu-blics dans les traditionnelles in-frastructures pour tenir le rythme. p

harold thibault

6,97,8

7,6

7,7

8

7,7

7,6

7,7

10,2

10

9,8

9,5

12,2

11,4

10,9

10,6

77,3

SOURCES : BLOOMBERG, NATIONAL BUREAU OF STATISTICS OF CHINA

INDICE COMPOSITE DE LA BOURSE

DE SHANGHAÏ

EN YUANS

ÉVOLUTION DU PIB CHINOIS

VARIATIONS TRIMESTRIELLES ANNUALISÉES, EN %

3 408,41

1er JANVIER 2015 19 OCTOBRE 2015 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

5 166,35

6,2

7,1

8,3

9,2

2 927,28

3 350,51

Page 28: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

4 | économie & entreprise MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

Libre-échange : pourquoi les discussions patinentLes Etats-Unis et l’Europe n’atteindront pas l’objectif d’un accord sur le TTIP avant la fin 2016

bruxelles, new york -

correspondants

L’Union européenne [UE]et les Etats-Unis de-vraient tout mettre enœuvre pour conclure ces

négociations sur un accord ambi-tieux, global et avantageux pour les deux parties d’ici à la fin de l’an-née. » Ce vœu pieux faisait partiedes conclusions du Conseil euro-péen des 19 et 20 mars. Mais l’en-cre était à peine sèche que déjà, lesnégociateurs du traité de libre-échange entre Washington et Bruxelles faisaient la grimace : ce serait très difficile à tenir.

Et c’est désormais officiel : il n’yaura pas d’accord politique sur le « TTIP » (Transatlantic Trade and Investment Partnership) avant la fin de 2015, alors que s’ouvre, lundi 19 octobre, à Miami (Flo-ride), le onzième round des négo-ciations depuis leur lancement officiel, en juin 2013. Si les Euro-péens aimeraient aboutir à un ac-cord avant la fin du mandat Obama – les présidentielles setiendront aux Etats-Unis le 8 no-vembre 2016, avec une prise de fonction du successeur de M. Obama le 20 janvier 2017 –, les plus réalistes ne se font pas d’illu-sions. « Si on ne conclut pas avecl’administration Obama, il faudra voir avec la suivante », confie auMonde la commissaire euro-péenne au commerce, Cecilia Malmström.

Pourquoi cette négociation est-elle si laborieuse ? Il faut dire qu’elle est très ambitieuse et iné-dite, puisqu’il s’agit de créer la plusvaste zone de libre-échange au monde, en supprimant un bon nombre de droits de douane et en harmonisant, dans de nombreux secteurs (automobile, chimie…), les réglementations, ces barrières« non tarifaires » à l’investisse-ment et aux exportations. Mais cette explication est toutefois un peu courte.

Depuis deux ans et demi qu’el-les durent, les discussions n’ont abouti à presque rien de concret.Les points les plus « durs » n’ont pas été vraiment abordés.Comme les marchés publics amé-ricains, ouverts à seulement 30 %,aux Etats-Unis, pour les sociétésétrangères, contre plus de 90 %pour les marchés publics euro-péens. Ou la reconnaissance desappellations d’origine protégée

européennes, alors qu’aux Etats-Unis, on trouve du parmesan ou du camembert « made in USA ». Etsi la Commission de Bruxelles amis des propositions sur la table, son interlocuteur semble peu pressé de montrer son jeu.

Il est vrai que Washington a jus-qu’à présent concentré l’essentiel de son énergie à négocier le traité transpacifique. Les tractations autour de cet accord de libre-échange concernant douze Etats (Canada, Mexique, Japon, Malai-sie, Vietnam, Australie, Nouvelle-Zélande…) ont démarré dès 2008. Elles ont abouti, le 5 octobre, à unaccord provisoire. Voilà qui de-vrait accélérer les discussions sur le traité transatlantique. « Il y a unechance de parvenir à un accord qui présenterait le même potentiel éco-nomique pour les entreprises et les travailleurs américains », a déclaré Josh Earnest, le porte-parole de la Maison Blanche.

Enjeux considérables

Sauf que, à peine signé, le TPP re-çoit un accueil très mitigé auxEtats-Unis. Les deux principaux candidats démocrates à l’élection présidentielle, l’ex-secrétaired’Etat Hillary Clinton et le séna-teur du Vermont Bernie Sanders,ont déclaré leur opposition autraité. Mme Clinton, qui avait pour-tant participé à la mise sur lesrails des négociations, a déclaré, « ne pas pouvoir soutenir cet ac-cord. La barre est très haute et surla base de ce que j’ai vu, je ne crois pas qu’elle soit atteinte ».

Les lignes de fracture sur le TTIPrisquent d’ailleurs d’être les mê-mes, avec une majorité républi-caine au Congrès, favorable au li-bre-échange, et des élus démocra-tes n’ayant toujours pas digéré l’accord nord-américain (Alena)de 1994, estimant qu’il a contri-bué à délocaliser des pans entiers de l’industrie américaine au Mexique.

Les Européens sont certes plusimpliqués dans la négociation, mais eux non plus n’aident pas à son bon déroulement. Les diri-geants de l’UE hésitent à monter au créneau pour « vendre » le TTIP.Ils redoutent des opinions publi-ques très remontées contre ce traité et ses conséquences, notam-ment en Allemagne. A Berlin, une énième manifestation « anti-TTIP » a réuni autour de 200 000 personnes, le 10 octobre ; une péti-tion a rassemblé 3 millions de si-gnatures, début octobre.

C’est la Commission qui fait unegrande partie du travail de pro-motion. Elle jure que les Euro-péens ne se retrouveront pas avecdu poulet au chlore ou du bœufaux hormones dans leurs assiet-tes. Elle propose d’améliorer le dispositif très décrié des tribu-naux d’arbitrage, permettant de régler les différends entre Etats et multinationales.

Les dissonances européennessur ces tribunaux ont d’ailleurs

retardé les discussions, les Améri-cains tenant à leur présence dans le TTIP. « Nous ne commenceronsà négocier avec les Américains qu’àpartir de la fin de l’année. Il y a peude chance qu’ils acceptent tout en bloc, mais le débat sur ce sujet existe aussi aux Etats-Unis, quisont prêts à évoluer », indique Mme

Malmström.Enfin, le scandale Volkswagen

ou l’invalidation du « Safe Har-bor », l’accord permettant aux so-ciétés américaines d’exploiter les données privées des Européens,n’aident pas à la confiance réci-proque entre les parties.

Pourtant, Bruxelles l’assure, lespourparlers vont continuer. Pourle douzième round de négocia-tions, probablement en fé-vrier 2016, la Commission espère

que l’essentiel sera enfin sur la ta-ble : la proposition de l’UE de tri-bunaux d’arbitrage, un échange d’offres sur les marchés publics…

Bruxelles tente de se rassurer :les enjeux sont en effet par trop considérables pour que les Etats-Unis et l’Europe, confrontés à la politique étrangère agressive des Russes ou à l’ambition des Chi-nois, ne laissent tomber. En tout cas, ce n’est pas l’UE qui lâchera :la conclusion du traité transpaci-fique la met encore plus sous pression.

« Pas possible de renoncer aprèsce traité. Sinon, le centre de gravitédu commerce international se dé-placera vers le Pacifique », redouteun officiel européen. « Cela pren-dra du temps. Mais cet accord est très important pour nous, et aussi pour les Américains. Nous avons dépensé beaucoup de capital poli-tique, un échec aurait un coût »,souligne Mme Malmström. p

cécile ducourtieux

et stéphane lauer

Marchés publics, viande bovine, chimie… Le point sur la négociationL’abaissement des barrières douanières et l’harmonisation des réglementations sont au menu du onzième round de discussions, à Miami

bruxelles - bureau européen

O ù en sont réellement lesnégociations du traitétransatlantique ou

« TTIP » (Transatlantic Trade and Investment Partnership) alors ques’ouvre, du lundi 19 au vendredi 23 octobre à Miami (Floride), le on-zième round des négociations de-puis que les discussions ont com-mencé, en juin 2013, entre la Com-mission européenne et l’adminis-tration américaine ? Passage en revue des points d’accord et des dossiers qui restent à traiter.

Sur quoi Européens et Améri-cains se sont-ils accordés ? Pour l’instant, ils se rejoignent juste sur la méthodologie et sur le périmè-tre des négociations. Rien de con-cret. Les deux parties veulent faire du TTIP un traité de libre-échange inédit, par son ambition et surtoutpar sa nature. On discute d’abais-sement des barrières douanières mais surtout d’harmonisation desréglementations des deux côtés de l’Atlantique. Il s’agit de lever ces

barrières non tarifaires « injusti-fiées » en cherchant des équiva-lences entre les normes, de ma-nière à encourager les exporta-tions et l’investissement.

Cette harmonisation réglemen-taire concerne pour l’instant neufsecteurs : l’automobile, la phar-macie, la chimie, les cosmétiques,l’ingénierie, les pesticides, le tex-tile, les appareils médicaux, les technologies de l’information et de la communication (TIC). Lesservices financiers n’en font tou-jours pas partie, les Etats-Unis s’y opposant malgré l’insistance desEuropéens. Ces derniers ont ob-tenu, après un lobbying intense de la France, que les services cul-turels soient définitivement ex-clus des discussions.

Qu’y a-t-il au menu du onzième round ? A Miami, les fonctionnai-res européens viendront avec uneoffre tarifaire révisée : ils propose-ront que 97 % (contre 96 % précé-demment), des lignes de produits américains soient concernés parla fin des droits de douane en Eu-

rope. Ils espèrent que les Etats-Unis feront une offre symétrique. Ce qu’il reste dans les 3 % pas (en-core) susceptibles d’être libérali-sés ? Essentiellement des produitsagricoles comme la via nde de bœuf ou de volaille. D’intenses discussions sont à prévoir entreles représentants des régulateurs des secteurs concernés par l’har-monisation réglementaire, pour avancer sur l’identification de normes harmonisables.

Les experts parleront aussi ducommerce en ligne, du secteur destélécommunications, et de la re-connaissance des appellations d’origine protégée (AOP), à la-quelle tiennent les Européens. Ces derniers veulent aussi aborder la question de l’énergie et des matiè-res premières, qui n’est pas offi-ciellement dans la liste des sec-teurs à harmoniser. L’accès aux marchés publics américains sera aussi au menu, mais sans dépôt d’offre ferme des Européens. Ce pourrait être pour le douzième round, début 2016. La partie euro-péenne tient beaucoup à cette li-

béralisation, les marchés publics locaux étant très fermés aux socié-tés étrangères aux Etats-Unis.

Quid de la négociation sur les points les plus sensibles ? Améri-cains et Européens n’ont encore procédé à aucun « échange d’of-fre » sur les points les plus délicats de la négociation. Rien, donc, sur la reconnaissance des AOP, sur l’accès aux marchés publics ou surl’harmonisation des réglementa-tions. Bruxelles a par ailleurs mis sur la table, au printemps, une pro-position concernant l’organisa-tion, à long terme, de la coopéra-tion entre régulateurs européens et américains. Elle suggère un or-gane de coopération conjoint, pour garantir une approche cohé-rente en la matière. Sans obtenirpour l’instant de réponse.

La Commission de Bruxelles afait plus de propositions concrè-tes que les Etats-Unis et elle craintque ces derniers ne dévoilentleurs cartes que dans la dernière ligne droite des discussions. Deson côté, Washington attend tou-

jours de ses interlocuteurs la pro-position de « tribunaux d’arbi-trage » améliorés.

Pour calmer les opposants,nombreux sur le Vieux Conti-nent, à cette justice privée accuséed’être investie par les multinatio-nales afin de faire plier les Etats, laCommission européenne a no-tamment proposé que ses jugessoient choisis d’une manière plus impartiale ; et que des procéduresd’appel soient aménagées. Ces évolutions doivent encore être validées par les vingt-huit Etats membres et par le Parlement de Strasbourg, avant d’être soumisesaux Américains.

Y a-t-il une transparence des né-gociations ? Ceux qui critiquentle TTIP dénoncent notamment lemanque de transparence des dis-cussions. Leur combat a déjà en partie payé : le mandat (le périmè-tre) des pourparlers a été rendu public il y a un an. Mais beaucoupestiment que cela reste insuffi-sant. Pour l’instant, seuls les élus, membres de la commission

Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée du commerce, le 14 octobre, à Bruxelles.JOHN THYS/AFP

Les dirigeants de

l’UE hésitent à

« vendre » le TTIP.

Ils redoutent des

opinions

publiques très

remontées

« Trade » du Parlement européen,ont accès aux positions de négo-ciation. Une vingtaine d’entre euxseulement peut consulter les do-cuments « consolidés », résultant des positions adoptées sur unpoint précis du TTIP, par les Euro-péens et les Américains. Et à con-dition seulement de se déplacer dans une pièce sécurisée du Parle-ment, à Bruxelles.

Au sein de l’Union européenne,les membres des gouvernements doivent, pour accéder à ces docu-ments, se déplacer dans les am-bassades des Etats-Unis. Cette si-tuation exaspère, notamment à Paris et Berlin. Le secrétaire d’Etat français chargé du commerce, Matthias Fekl, a réitéré sa menace,dans Le Parisien du 18 octobre : « La France n’exclut absolument pas un arrêt pur et simple des né-gociations » si Washington nebouge pas. La Commission dis-cute avec les Américains pour les convaincre de lever cette con-trainte, et espère aboutir avant fin2015. p

c. du.

Vingt-cinq ans de pourparlers

Les discussions entre Américains et Européens pour négocier une zone de libre-échange transatlantique ont débuté dès les années 1990, mais elles n’ont abouti à une entrée formelle en discus-sions qu’à la mi-2013. C’est à la Commission de Bruxelles que les vingt-huit Etats membres de l’Union européenne (UE) ont confié le soin de discuter en leur nom. C’est la Suéduoise Cécilia Malms-tröm, commissaire européenne au commerce qui supervise ce dossier. Le négociateur en chef du « Transatlantic Trade and In-vestment Partnership » (TTIP) pour l’UE est Ignacio Garcia Ber-cero. Aux Etats-Unis, son interlocuteur est Michael Froman, repré-sentant américain au commerce. Si le projet aboutit, il instituera la zone de libre-échange la plus importante de l’Histoire ; elle couvrira 45,5 % du produit intérieur brut mondial.

Page 29: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 économie & entreprise | 5

Orange se lance dans le paiement sur mobileL’opérateur parie sur une pratique confidentielle face à l’essor du paiement par carte bancaire sans contact

Fort de son expériencedans les services bancai-res sur mobile en Afrique,Orange a décidé de s’atta-

quer au marché français. Lundi19 octobre, l’ex-monopole d’Etat annonce le déploiement sur tout le territoire hexagonal d’Orange Cash, une solution de paiement mobile testée depuis un an à Caen,à Nice, à Strasbourg et à Rennes.

Le produit, qui s’adresse uni-quement aux clients Orange, re-pose sur un principe simple : il suffit de télécharger une appli-cation gratuite pour avoir accès à un portefeuille électronique rechargeable. Pour l’utiliser, ilfaut préenregistrer son numéro de carte bancaire comme sur iTunes, le service d’achats en li-gne d’Apple. « Les informations nesont pas enregistrées localement,mais sont stockées sur nos ser-veurs sécurisés », rassure Fa-bienne Dulac, directrice exécu-tive d’Orange France.

La technologie Near Field Com-munication (NFC), ou sanscontact, embarquée dans les smartphones et dans les cartes sim des abonnés Orange, permet ensuite de payer en boutique en passant son mobile devant les ter-minaux de paiement, pour peuque ces derniers aussi soient NFC.

Pas sur les iPhone

Comme pour les cartes bancaires sans contact, ce simple geste suf-fit à payer un achat inférieur à20 euros. Pour les sommes supé-rieures (maximum 300 euros), il sera nécessaire de taper un codepréalablement fixé par l’utilisa-teur. « L’étape n’est pas compli-quée, explique Mme Dulac, le codese tape directement sur l’écran d’accueil de son téléphone. »

Contrairement à d’autres solu-tions, c’est l’utilisateur qui paie :

chaque rechargement du porte-feuille lui en coûtera 79 centimes. Confiant, Orange estime que cettesomme ne rebutera pas le client.

Orange Cash ne devrait pas êtrelimité au commerce physique. Il permettra aussi aux clients de l’opérateur d’effectuer des achats en ligne, comme n’importe quelportefeuille virtuel. Objectif : ne jamais communiquer les infor-mations de sa carte bancaire au commerçant en ligne.

L’opérateur a signé un partena-riat avec Visa. Si cette solution depaiement est compatible avec toutes les banques, gros bémol : Orange Cash ne fonctionne passur les iPhone. Apple n’autorisepas, en effet, l’installation d’une autre application de paiement que la sienne sur les iPhone 6, les seuls bénéficiant de la techno-logie NFC. De quoi exclure de fait plusieurs millions d’utilisateurs potentiels.

« La majorité de nos abonnéséquipés d’un smartphone sontsous Android ou Windows. Ce quinous permet d’avoir un vivier po-tentiel d’une dizaine de millions de clients », affirme Mme Dulac. Pour convaincre, Orange misesur une série de partenariats si-gnés avec de grandes enseignestelles que Ikea, McDonald’s,Sephora ou encore Etam. Promo-tions et réductions sont prévues

contact », soit 57 % du parc, parcomparaison aux 8,3 millions de smartphones équipés. Ces nou-veaux portefeuilles permettent de régler un sandwich ou un pa-quet de farine chez 24,5 % des commerçants. En juillet, quelque 20 millions de transactions par carte bancaire sans contact ont été effectuées, près de cinq foisplus qu’un an auparavant.

A côté, le paiement sur mobilereste confidentiel. Mais cela n’em-pêche pas les acteurs de parier surson essor. BPCE fournit ainsi la so-lution de paiement sans contactdes restaurants universitaires, soit par carte, soit par mobile : un bon test pour savoir ce que pré-fère une population jeune. Quant à la start-up Fivory, soutenue par le Crédit mutuel, elle avait permis

en août aux spectateurs de Rocken Seine de régler leurs boissons avec leur téléphone.

A l’avenir, les transports consti-tueront un grand enjeu. La batailledu paiement ne fait que commen-cer en France, alors même qu’Ap-ple rôde avec sa propre solution depaiement mobile, Apple Pay. p

sarah belouezzane

et isabelle chaperon

Prêteurs nouvelle génération cherchent entreprises à financerDes plates-formes de « crowdfunding » signent un partenariat avec le Réseau entreprendre

B rancher l’épargne des par-ticuliers ou des investis-seurs directement sur les

bilans des entreprises sans passer par la case « banques », c’est le pro-jet de nombreuses plates-formes de « crowdfunding » (finance par-ticipative). Les investisseurs y voient l’opportunité de doper leur rendement en période de taux bas.Mais pour que cela marche, encorefaut-il que, à l’autre bout du spec-tre, les entreprises se présentent à ces guichets 2.0.

Or, « les patrons de PME ont en-core du mal à y croire. Notre pre-mier travail, c’est l’évangélisation », reconnaît Olivier Goy, fondateur de Lendix, l’un de ces prêteurs nouvelle génération. Pour con-vaincre, il compte notamment sur le partenariat dévoilé lundi 19 oc-tobre avec Réseau entreprendre, une puissante association de chefsd’entreprise qui accompagne bé-névolement 1 980 « lauréats », créateurs ou repreneurs en France pour les aider dans leur projet.

« Nous ne venons pas en concur-rence des établissements bancaires.Les banques, on en a besoin. Mais laréglementation de leur métier et lesproduits qu’elles proposent les obli-gent à avoir des processus plus longs et parfois plus complexes. A travers ces offres innovantes, nous

gagnons en souplesse », explique Gérard Leseur, le président de Ré-seau entreprendre. Et de préciser : « Les créateurs d’entreprises voient d’un bon œil ces nouvelles formes de financement. Nous avons fait le tri pour eux en sélectionnant deux plates-formes très professionnelles chacune sur leur créneau. » A savoirLendix, pour le volet prêt, et Anaxago, pour la levée de fonds.

Croissance fulgurante

Réseau entreprendre a été créé en 1986 par André Mulliez, ancien président de Phildar, avec comme mot d’ordre « pour créer des em-plois, créons des employeurs ». Enplus de l’accompagnement d’un chef d’entreprise, le réseau de 82 implantations en France pro-pose des prêts d’honneur de 15 000 à 90 000 euros. Les bonnesfées de ce club d’entrepreneurs se sont ainsi penchées sur le roi des biscuits chics Michel et Augustin,le site d’échange de maisonsGuestToguest, ou encore Envie de fraise, la marque de vêtements de grossesse.

Un système efficace : selon le Ré-seau, 92 % des entreprises accom-pagnées sont toujours en activitéau bout de trois ans, contre 76 % pour la moyenne nationale. « No-tre métier est de sélectionner les

meilleures start-up du moment. Or,on en trouve beaucoup parmi les lauréats de Réseau entreprendre. D’ailleurs, on s’est rendu compte après-coup que, sur la quarantaine d’entreprises que nous avons finan-cées à ce jour, une douzaine avaient bénéficié du soutien du Ré-seau », indique François Carbone, cofondateur d’Anaxago.

La « fintech » née en 2012 veuttrouver sa place à côté des acteurs traditionnels de l’amorçage – fonds commun de placement dans l’innovation (FCPI), fonds de capital-risque, business-angels… : « Nous démocratisons cet investis-sement en donnant à tous les épar-gnants accès à de belles start-up. Il y a de la place, car le financementde l’amorçage est insuffisant en France », précise M. Carbone. Déjà

20 millions d’euros ont été levés par une quarantaine de jeunespousses, de Novolyze, un spécia-liste de la sécurité alimentaire, à Datexim, un expert en analyse descellules cancéreuses : « Nous vou-lons doubler ce montant en un an. »

Du côté de Lendix, la croissanceest également fulgurante. « De-puis avril, nous avons prêté 6 mil-lions d’euros. Mais nous avons réa-lisé plus de crédits en septembre qu’entre avril et août. Et la ten-dance se confirme en octobre », souligne M. Goy. Lendix avait ouvert son activité avec un prêt de300 000 euros souscrit par Alain Ducasse Entreprise. « Funding Cir-cle, notre homologue britannique,avait prêté 4 millions de dollars [3,5 millions d’euros] en 2010, poursa première année d’existence. En 2015, ils visent 1 milliard », pré-cise M. Goy.

Ces partenariats sont la clé pourpermettre aux nouveaux finan-ceurs de se faire connaître auprès du tissu économique traditionnel.Dans le même esprit, le 2 octobre, l’ordre des experts-comptablesavait ainsi lancé une collaborationavec Finexkap, une « fintech » fon-dée en 2012, spécialiste de l’affac-turage. p

i. ch.

« Les patrons de

PME ont encore

du mal à y croire.

Notre premier

travail, c’est

l’évangélisation »

OLIVIER GOY

fondateur de Lendix

1 000C’est le nombre d’emplois qui doivent être supprimés chez Air France en 2016, a annoncé le PDG d’Air France-KLM, Alexandre de Juniac, dimanche 18 octobre, sur RTL. Interrogé lundi 19 sur la même antenne, François Hollande a jugé possible d’« éviter les licenciements » et a demandé à la direction et aux syndicats, réunis ce jeudi, d’être « res-ponsables ». Interrogé sur les poursuites contre les salariés après les violences contre deux responsables de la compagnie, le président a estimé que « ceux qui commettent des violences, ceux qui s’attaquent à des salariés, doivent être punis ».

ENERGIEAccord sur les suppressions d’emploi chez ArevaQuatre syndicats (CFDT, FO, CFE-CGC, UNSA-Spaen) repré-sentatifs chez Areva devaient signer, lundi 19 octobre, le projet d’accord prévoyant la suppression de 3 000 à 4 000 emplois au sein des activités françaises du groupe nucléaire. Seule la CGT a décidé de ne pas pa-rapher le texte. La direction a pris l’engagement de ne procéder à « aucun départ contraint ». Elle compte sur les départs volontaires et le non-remplacement de départs à la retraite.

TÉLÉCOMSL’ex-directeur général de Canal+ rejoint EutelsatL’opérateur de satellites Eutel-sat a annoncé, lundi 19 octo-bre, que Rodolphe Belmer, directeur général du groupe Canal+ jusqu’en juillet, allait succéder, le 1er mars 2016,

au poste de directeur général à Michel de Rosen. Celui-ci « restera président non exécu-tif du conseil d’administration d’Eutelsat jusqu’à la fin de son mandat actuel, en no-vembre 2016, date à laquelle son mandat sera soumis à renouvellement au vote de l’assemblée générale des actionnaires ». – (AFP.)

SERVICESLa Poste va livrer des colis le dimanche précédant NoëlPour faire face au nombre im-portant de colis circulant en fin d’année, « exceptionnelle-ment, des facteurs volontaires pourront travailler le diman-che 20 décembre pour livrer les colis de Noël », a indiqué l’éta-blissement public, confirmantune information du JDD daté du 18 octobre. « Les modalités concrètes de cette opération pour la fête de Noël sont en cours de négociation avec nos organisations syndicales », a ajouté la direction. – (AFP.)

dans ces boutiques pour encou-rager les consommateurs à uti-liser Orange Cash.

« Les clients passent trois heurespar jour sur leur smartphone, ils y font tout, l’ensemble de leur vies’y trouve, alors pourquoi pas leur moyen de paiement ? », veutcroire la responsable, avant depréciser : « Orange Cash ne sesubstitue pas à la carte bancaire, mais vient la compléter sur desusages quotidiens. »

Deux grands concurrents

Si Orange est le premier opérateurtélécoms à se lancer, il a été pré-cédé par BNP Paribas, qui proposedepuis 2014 son offre appelée« Kix », fonctionnant avec un abonnement mensuel de 1 euro. Le Crédit mutuel, lui, promeut M-carte, en partenariat avec Master-card. Aucun de ces dispositifs ne s’est encore imposé.

Car les grands concurrents dupaiement sur mobile restent les espèces et la carte bancaire, qui s’est offert une cure de jouvence avec le « sans contact » – la possi-bilité de payer en passant simple-ment sa carte devant les termi-naux. « Le paiement mobile reste une chimère, car aucun acteur neparvient à offrir une expérience utilisateur plus simple que celle à laquelle nous a habitués la carte », commente Patrice Bernard, consultant associé chez Conix.

D’ailleurs, les Bouygues,Orange, BNP Paribas ou encore Gemalto, qui s’étaient réunis en 2010 sous la bannière Cityzi afin de bâtir une infrastructure NFC en France, ont d’abord misé sur cette nouvelle utilisation de lacarte bancaire. En juillet 2015, se-lon les données de l’Observatoire du NFC & du sans contact,37,1 millions de cartes étaient es-tampillées du petit logo « sans

Pour convaincre,

Orange mise sur

des partenariats

avec de grandes

enseignes telles

que Ikea ou

McDonald’s

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6 | économie & entreprise MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

Le PMU force l’allure à l’internationalL’opérateur français de paris hippiques s’implante au Brésil et lorgne les marchés russe et chinois

rio de janeiro

Terrain lourd, sur l’hippo-drome de Rio de Janeiro,dimanche 18 octobre. Au-dessus de l’enceinte, le

célèbre Christ du Corcovado joue àcache-cache dans le brouillard. Parce jour frais et pluvieux, le public ne se presse pas dans les tribunes. Pourtant ceux qui sont venus dé-couvrent, sur la piste carioca à côtédu poteau d’arrivée, une nouvelle marque qui s’affiche : PMU.

Pour l’opérateur français de parishippiques, c’est le premier signetangible de son implantation au Brésil. Xavier Hürstel, PDG du PMU, a signé dimanche un accord avec le Jockey Club Brasileiro. Le club qui organise les courses à Rio a décidé de confier l’organisation des paris au français. Pour relever le défi, une filiale PMU Brésil va voir le jour. Une première pour sa maison mère. Le président du Joc-key Club Brasileiro, Carlos Pa-

lermo, n’a pas manqué de rappelerau moment de la signature de l’ac-cord, les liens entre les deux pays. L’hippodrome de Gavea l’illustre particulièrement. Construit dans les années 1920, il s’inspire de ses « modèles français », Longchampet Chantilly. Sauf que les tribunes aux lignes épurées, les mosaïques,stucs, colonnades et escalier en marbre, sont ici entourés d’une végétation luxuriante.

Les négociations ont duré prèsde deux ans. Mais le principe deréalité s’est imposé aux 5 700 membres du Jockey Club Brasileiro. Les paris hippiquesn’ont jamais été prépondérantsau Brésil où la population plébis-cite plutôt la loterie officielle Mega Sena, organisée par la ban-que d’Etat Caixa Economica Fede-ral ou son alternative clandestine mais tolérée, le très connu Jogo doBicho. Les revenus liés aux paris hippiques ont ainsi baissé de 40 %entre 2002 et 2014. De quoi inciter

le Jockey Club, même s’il vit égale-ment des loyers des propriétés foncières qu’il possède, à trouver une solution.

Pour le PMU, l’enjeu est clair.« Dans notre plan stratégique PMU 2020, notre objectif est quel’export représente 10 % de notre marge nette à l’échéance. Nous se-rons à 4 % en 2015, contre 2 % il y a trois ans », déclare M. Hürstel, qui a repris les rênes de l’opérateur historique il y a tout juste un an.

Exporter le « modèle français »

Le PMU veut donc presser le pas. « Nous accélérons d’une part envendant des courses françaises auprès d’opérateurs étrangers,mais aussi en passant des accords avec des opérateurs pour proposer directement des paris aux clients »,explique M. Hürstel.

Dans cette logique d’accès directau client, source de meilleuresmarges, le PMU a franchi une pre-mière étape en 2013 avec l’acquisi-

tion de son homologue belge Eurotiercé. Rebelote durant l’été2015 avec une prise de participa-tion majoritaire (51 %) dans l’opé-rateur allemand de paris hippi-ques German Tote, qui a collecté 234 millions d’euros de mises en 2014. Le nouvel accord avec le Jockey Club Brasileiro concourt aumême objectif. A chaque fois, le PMU veut exporter le « modèle français ». Il met en avant son ex-pertise du pari mutuel, de la com-mercialisation et du marketing del’offre, que ce soit sur Internet ou dans les points de vente. Il vendaussi ses courses et la masse des mises communes qui peuvent être partagées entre joueurs de plusieurs pays. Ainsi, selon M. Hürstel, « le chiffre d’affaires desparis pourrait doubler ou tripler pour le Jockey Club Brasileiro ». Il est aujourd’hui de 220 millions deréales (49,27 millions d’euros).

Le PMU a aussi en ligne de mirela Russie et la Chine. M. Hürstel

fera, début novembre, partie de ladélégation de patrons faisant le déplacement à Pékin avec le prési-dent François Hollande. Pour l’heure, les jeux d’argent ne sontpas autorisés dans l’ex-empire du Milieu, mais l’expertise de la fi-lière française intéresse les Chi-nois. En Russie, le gouvernementvient d’unifier la gestion des hip-podromes d’une part et des prisesde paris d’autre part, sous la hou-lette financière de Gazprom. Unaccord d’assistance et de vente de matériel a été signé en juin entre les Russes et les Français.

En plaçant ses pions à l’interna-tional, le PMU espère arrêter la dé-crue de ses revenus. Soumis en France à la concurrence des jeux d’argent sur Internet, avec le suc-cès des paris sportifs, l’opérateur perd du terrain. Après un léger de repli de 0,9 % en 2013, le chiffre d’affaires a baissé de 4,1 % en 2014, passant sous la barre des 10 mil-liards d’euros. Pour 2015, M. Hürs-tel table « sur un ralentissement de la baisse ». Elle devrait être com-prise entre - 2 et - 2,5 %. Une ten-dance en lien direct avec le retrait des paris hippiques en France, es-timé cette année entre - 3 et - 4 %. D’où l’importance de trouver de nouveaux relais de croissance. Sans aucun tabou. Quitte, selon son PDG, à faire évoluer le statut du PMU, aujourd’hui groupement d’intérêt économique contrôlé parles sociétés France Galop et le Trot,si la nécessité de financer une grosse acquisition se présentait. p

laurence girard

En plaçant ses

pions à l’étranger,

le PMU espère

arrêter la décrue

de ses revenus

en France

Profonde réorganisation pour la Deutsche BankLe département banque d’investissementva être scindé en deux entités

suite de la première page

Le département banque d’inves-tissement est au cœur de tous les scandales de la DB mis au jour de-puis la fin de la crise financière, notamment la manipulation destaux interbancaires, les fameux taux Libor et Euribor. En avril, la banque avait dû ainsi s’acquitter auprès des régulateurs améri-cains d’une amende record de 2,3milliards d’euros. La banque a provisionné, début octobre, 1,2milliard pour risques judiciaires.

Des affaires qui ont coûté desmilliards d’euros à la banque et ruiné sa réputation. La banque d’investissement, ce puissant dé-partement basé à Londres, était aussi le bastion de l’ancien codi-recteur de la banque, l’Anglo-In-dien Anshu Jain, poussé à la dé-mission cet été. Son départ avait semé l’inquiétude parmi ses fidè-les, surnommés en interne « Ans-hus Army » (l’armée d’Anshu). Avecraison : deux de ses proches ont été remerciés par DB dimanche soir. Il s’agit de Colin Fan, qui diri-geait les opérations sur les valeursmobilières, et de Michele Faissola, directeur de la banque privée.

Ils ne sont pas les seuls à sentir levent du boulet. Le directoire en-tier va être réorganisé. Au total, cinq membres du directoire ou dudirectoire élargi vont changer d’affectation ou quitter l’établisse-ment, a annoncé la banque. Offi-ciellement, selon le conseil de sur-veillance, afin de réduire la « com-plexité du management » et « être plus en phase avec les besoins des clients ». Il s’agit aussi d’apaiser l’autorité européenne des mar-chés financiers, qui peine depuis des mois à rester patiente vis-à-visd’un établissement qui a multi-plié les annonces de réformes ces dernières années sans parvenir à apurer le cœur de la banque.

Confiance des actionnaires

Seul le départ d’Anshu Jain, trop lié aux excès des années d’avant lacrise, pouvait amorcer une vérita-ble réforme. C’est ce à quoi s’em-ploie le nouveau directeur John Cryan. Le banquier britannique a donné il y a quelques jours un si-gne sans équivoque de sa déter-mination à réformer la banque al-lemande. Mercredi 7 octobre, il a annoncé une gigantesque dépré-ciation d’actifs de 5,8 milliards

d’euros. John Cryan a corrigé mas-sivement à la baisse la valeur d’ac-tifs liés à la banque d’investisse-ment, que ses prédécesseurs, esti-me-t-il, avaient largement suréva-lués. Ces dépréciations, ajoutées aux provisions pour risques judi-ciaires, devraient entraîner une perte de 6,2 milliards d’euros au troisième trimestre 2015 pour DB.La plus grosse de son histoire.

Malgré l’avertissement sur lesrésultats, synonyme de menace pour les dividendes, le cours de l’action DB est en nette hausse de-puis dix jours. Signe que la con-fiance des actionnaires est tou-jours là. L’analyste Ingo Speich, dufonds Union Investment, a ap-plaudi la décision prise par la ban-que. « Cela montre que John Cryan est le dirigeant parfait pour la res-tructuration de la banque », a-t-il déclaré. Un soutien précieux pourM. Cryan, qui doit s’attaquer à la phase la plus délicate de son plan de restructuration : la réduction des coûts. C’est la principale mis-sion pour laquelle il a été appelé.

Le Britannique s’est fait connaî-tre en apurant le bilan de la banqueUBS. Nommé directeur financier de l’établissement suisse en 2008, en pleine crise financière, John Cryan a réussi en quelques années à redresser cette banque au bord de la ruine. Les actionnaires de la DB, dont l’exaspération était pal-pable lors de la dernière assembléegénérale le 21 mai, espèrent que ledirigeant réussira à Francfort le même exploit qu’il a réalisé chez UBS. Le banquier est réputé pour son sens de l’économie : la presse allemande, qui moque volontiers ses costumes jugés peu luxueux, rapporte que lorsqu’il travaillaitchez UBS à Zürich, il se rendait ré-gulièrement aux assemblées gé-nérales en tram. Il ne devrait pas avoir beaucoup d’états d’âme à tailler dans le vif chez DB, dont il n’a jamais caché qu’il trouvait les coûts beaucoup trop élevés.

Parmi les orientations stratégi-ques qui seront annoncées le 29 octobre, lors de la publication des résultats, devraient figurer la réduction des activités de banque d’investissement et la fermeture de près d’un tiers des succursales. La presse évoque également une possible suppression de 10 000 emplois, sur les quelque 100 000 salariés que compte DB. p

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Page 31: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 management | 7

QUESTION DE DROIT SOCIAL

Très chère complémentaire santé !

A propos du prix d’une assurance,on parle de « prime » pour une en-treprise d’assurance et de « cotisa-

tion » pour une mutuelle d’assurance ouune institution de prévoyance.

Le tarif est composé de deux éléments : lapartie risque et les frais de gestion aux-quels s’ajoute un bénéfice si l’assureur est une société anonyme d’assurance. La par-tie risque constitue le coût probable de si-nistre que représente le risque à assurer. Elle est déterminée par des actuaires, des mathématiciens de l’assurance en fonc-tion de la fréquence et du coût moyen des sinistres, sur des bases mathématiques etstatistiques.

Les règles françaises des assurances col-lectives de personnes connaissent, depuis une loi de 1989, dite « loi Evin », le droit, no-tamment pour un retraité, de demander à bénéficier d’un contrat individuel repre-nant les garanties du contrat collectif fraisde santé complémentaire de son (an-cienne) entreprise. L’avantage est considé-rable : l’assureur est obligé de contracter avec le retraité qui le demande. L’état desanté du retraité n’est pas pris en compte etil n’y a pas de « sélection des risques ». Le tarif de ce contrat individuel peut toutefoisêtre augmenté jusqu’au plafond de 150 %de celui de l’assurance de groupe. De plus, logiquement, la part patronale au finance-ment revient également au retraité.

De fait, les salariés encore en activité, quifont partie du même groupe assuré, finan-cent une partie de la couverture santé des retraités, plus gros consommateurs de

soins, et dont le prix, même porté à 150 %, ne couvre pas les dépenses. L’organisme assureur intègre ce « surcoût Evin » dans le tarif de l’assurance collective.

Base erronée

Une loi du 24 juin 2013 a rendu obligatoireau 1er janvier 2016 une assurance collec-tive complémentaire frais de santé pourtous les salariés du secteur privé : les orga-nismes assureurs ont fait ou font des of-fres d’assurance sur la base des règles existantes.

Le président de la République avait pro-mis « un soutien à l’accès à couverture santécomplémentaire des retraités ». Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 prévoit de contrôler la hausse des prix de la couverture complémentaire, dont seul le plafonnement à 150 % avait étéannoncé : la hausse devra être étalonnéesur « une période transitoire de deux à cinqans », postérieure au départ à la retraite.

Résultat immédiat : tous les prix des con-trats collectifs d’assurance frais de santé conclus, ou en voie de conclusion, et avec effet au 1er janvier 2016, ont été calculés sur une base erronée, puisque le législateur va orienter à la baisse les recettes des organis-mes assureurs pour la catégorie des retrai-tés ou futurs retraités.

Une hausse au 1er janvier 2017 des tarifsd’assurance-maladie complémentaire col-lective et obligatoire est inéluctable. Une diminution des salaires nets et une aug-mentation du coût global du travail sontdonc d’ores et déjà programmées ! p

Le numérique au chevet des chômeurs seniorsLe réseau d’écoles d’ingénierie informatique EPSI a créé une formation pour les plus de 45 ans sans emploi

L’EPSI de Nantes, l’unedes huit écoles d’ingé-nierie informatiqueque compte le réseau

EPSI en France, a peut-êtretrouvé une solution à l’employa-bilité des chômeurs de plus de45 ans. C’est à la demande de trois entreprises de services dunumérique (ESN) de la région,Delaware, Accenture et Capge-mini, que l’école a créé, en 2014, une formation, de « consultantinformatique spécialisé en logi-ciels d’entreprise », adaptée auxseniors demandeurs d’emploi.

Ces ESN aident les entreprises àmettre en œuvre la solution logi-cielle de l’éditeur allemand SAP.Mais elles ont beaucoup de mal àrecruter les consultants fonc-tionnels (achats, logistique, fi-nances, ressources humaines…),qui interviennent auprès de leurs clients. Ces consultants doi-vent conjuguer compétencesmétier et bonne connaissance des logiciels SAP, reconnue par une certification.

Avec le soutien du Fafiec (l’orga-nisme collecteur du financement des formations du numérique) et de Pôle emploi Pays de la Loire,l’EPSI a élaboré une formation en deux temps. Pôle emploi identi-fie les personnes de plus de 45 ans au chômage depuis plus detrois mois et qui ont une expé-rience dans un métier fonction-nel. Les candidats sont sélection-nés sur dossier, puis sur entretienavec des responsables des entre-prises, qui les recruteront en al-ternance à l’issue de la première phase de formation.

Dans le cadre de la préparationopérationnelle à l’emploi collec-tive (POEC), les stagiaires reçoi-vent trois cents heures de cours à l’EPSI. Puis, ils signent un contrat de professionnalisation d’une du-rée d’un an avec une entreprise. Pendant cette année, ils tra-vaillent dans l’entreprise qui les recrute et passent une semainepar mois en cours. A l’issue de seize mois de formation et de tra-vail, ils obtiennent un titre pro-fessionnel de niveau 1 et les certi-fications SAP. Le tout équivaut àun diplôme d’ingénieur de ni-veau bac + 5.

Surtout, ils sont embauchés àplein-temps comme consultant. « Le principe de cette formation, c’est le retour à l’emploi, pas telle-ment le diplôme », souligne Lau-rent Espine, directeur national duréseau EPSI. Et, sur ce point, il sefélicite des résultats de la pre-mière « promotion ». En effet, les dix-sept personnes retenues, quiont démarré en avril 2014 et ter-miné en septembre 2015, ont tou-tes été embauchées. L’initiative aété reproduite à l’EPSI Lille, où 19 personnes ont commencé laformation en septembre 2014 et termineront leur année d’alter-nance en décembre.

La France, mauvaise élève

La société SAP se félicite, elle aussi, de cette initiative. « Notre métier est l’édition de logiciels. Nous dépendons de nos partenai-res pour l’intégration des solu-tions chez nos clients. Et, pour que ces derniers soient satisfaits, il fautdes consultants certifiés qui con-naissent bien nos logiciels », expli-que Hanno Klausmeier, prési-dent des SAP Labs en France. Et la

France fait figure de mauvaise élève dans ce domaine. Alorsqu’une cinquantaine d’universi-tés allemandes proposent la cer-tification SAP, il n’y en a qu’une en France. La certification est un processus lourd et coûteux,« mais elle garantit l’emploi », ajoute Laurent Espine.

Toutefois, pour les stagiaires, leparcours n’est pas un long fleuvetranquille. Baisse temporaire de la rémunération, intensité duprogramme, cumul travail-étu-des, diversité des enseigne-ments… Tous reconnaissent qu’ilfaut être motivé et accepter unchangement de statut. « Heureu-sement, j’aime bien les défis et j’aiun tempérament positif ! Mais j’aisouffert, car je ne connaissais rienà l’informatique. Surtout, on n’ap-prend pas de la même façon à mon âge, 54 ans, que plus jeune.Cette formation a été un gros in-vestissement tout à la fois intel-lectuel, financier et personnel », reconnaît à présent VéroniqueRenaudin. Sa longue carrièredans la banque, la formation etl’industrie l’a amenée à prati-

quer la gestion, la communica-tion, le recrutement et la comp-tabilité, puis elle a négocié unerupture conventionnelle et éta-bli un bilan de compétences. Ellea été sélectionnée et a com-mencé la formation enavril 2014. Depuis le 1er septem-bre, elle est en CDI sans période d’essai et elle perçoit un salairede consultante.

Sophie, 49 ans, qui souhaitegarder l’anonymat, a travaillé pendant dix ans dans une entre-prise de services du numérique comme chef de projet, avant de se former au contrôle de gestion et d’exercer ce métier pendant une dizaine d’années. Au chô-mage après avoir démissionné « pour réfléchir », elle a entendu parler de la formation EPSI. « Celam’a plu ! Cela me paraissait cohé-rent avec ce que j’avais déjà fait, etil y a du travail pour les consul-tants SAP. C’est un peu un pari sur l’avenir, je gagne moins qu’avant, mais je vais retrouver le niveau derémunération que j’avais. Même si conjuguer le travail et les étudesa parfois été lourd, j’ai beaucoupaimé apprendre ! » Aujourd’huien CDI avec le titre de consul-tante, elle ne regrette rien et en-visage de terminer sa carrière dans ce métier !

Cette première initiative a faitdes émules au sein du réseauEPSI, qui a l’ambition de former entre 100 et 150 demandeurs d’emploi seniors par an. AprèsNantes et Lille, les écoles de Bor-deaux et de Lyon vont démarrer des projets similaires. p

sophy caulier

LE COIN DU COACH

sophie péters

Faire simple à l’heure

de la complexité

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Cet adage atteint par-fois ses limites. Il y a urgence à (re)dé-couvrir la simplicité à l’ère de la com-plexité. Nombre de processus créés pour régler la complexité ont prouvé, à l’usage, leur complication. Quand la sim-plicité a, elle, l’avantage de rendre plus efficaces et moins envahissants des pro-cessus encombrants. On renvoie, à mau-vais escient, l’usage du terme de simpli-cité à celui de facilité. Ce qui est simple n’est pas forcément facile, mais plus clair. Ce qui est simple se réduit à l’es-sentiel et se suffit à lui-même, n’ayant besoin de rien d’autre pour produire l’ef-fet attendu avec naturel et sans préten-tion. A la façon de la pensée chinoise analysée par François Julien dans son Traité de l’efficacité (Le Livre de poche, 2002), il n’y a pas d’un côté la connais-sance, et de l’autre, l’action. Pour qu’il y ait efficacité, il faut s’appuyer sur ce qui est porteur dans la situation réelle, repé-rer son potentiel. Plus de spontanéité et de réactivité dans nos actions, nos échanges et nos comportements aide à affronter une folle imbrication qui fait perdre à beaucoup leurs repères. Se nourrir de l’intérieur pour mettre en œuvre un itinéraire qui saura avancer dans la complexité. En management, le chemin se tracera au travers du sens donné aux actions, de l’intention mise dans les projets en cherchant à viser juste et non pas haut, et de la créativité pour entraîner les moins audacieux et les plus désabusés. D’où l’importance de gérer ses talents et ses passions comme une ressource naturelle à protéger. Fa-çon de répondre simplement, et non fa-cilement, aux situations complexes. p

¶Francis

Kessler

est maître

de conférences

à l’université

Paris-I-Panthéon-

Sorbonne

ADRIÀ FRUITOS

BULLETIN D’ABONNEMENTA compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9

152EMQADCV

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Page 32: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

8 | dossier MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

Travail : changer les règles du jeuMontée des emplois précaires, poussée des indépendants et avènement du numérique bouleversent les fondements du salariat. Et imposent une révision de notre système de protection sociale

L’espace de coworking La Cantine, à Nantes.

SÉBASTIEN SALOM-GOMIS/SIPA

anne rodier et valérie segond

Le XXIe siècle sera-t-il celui de la findu salariat ? La question surgit detous les débats préparatoires à la4e conférence sociale, qui se pen-che lundi 19 octobre sur la sécuri-sation des parcours profession-

nels et de l’emploi bousculé par les transfor-mations numériques. Sans aller jusqu’à datercette fin du salariat, Alain Supiot, professeur au Collège de France, l’annonce. « Le travail nepeut ni ne doit être réduit à la forme historiqueparticulière qu’il a prise dans les sociétés in-dustrielles depuis le XIXe siècle, c’est-à-dire l’emploi salarié à plein temps, écrit le juriste. La forme salariée n’est qu’un moment de la longue histoire du travail » (Critique du droit du travail, PUF, 284 pages, 13 euros).

La transformation du marché de l’emploiest déjà à l’œuvre. Depuis 2000, la durée des contrats de travail s’est réduite comme peau de chagrin. Entre 2000 et 2014, le nombred’embauches en contrat à durée déterminée(CDD) de moins d’un mois ou en intérim a augmenté de 61 %. Hors intérim, la part des embauches en CDD très courts – moins d’un mois – a atteint 70 % fin 2014, tandis que le nombre des recrutements en contrat à durée indéterminée (CDI) stagne. « Il s’agit d’une transformation profonde, les CDD longs étant remplacés par de multiples CDD courts », ana-lysent les économistes du Centre de recher-che en économie et statistique (Crest) Pierre Cahuc et Corinne Prost.

« DES MOIS À ZÉRO »Dans le même temps, le nombre d’actifs non salariés progresse. Ces entrepreneurs perma-nents ou occasionnels, autoentrepreneurs,pluriactifs, étaient 2,8 millions en 2011, en hausse de 26 % (+ 550 000 personnes) en cinqans (Emploi et revenus des indépendants,Insee, édition 2015). Pour l’Insee, « le renou-veau du travail non salarié s’inscrit dans une tendance à la diversification des formes d’em-ploi (…) à la frontière du salariat et du non-sa-lariat. » Les autoentrepreneurs représentent un non-salarié sur cinq. Le marché du travail français est toutefois encore très loin de la findu salariat, puisque la part des non-salariés

n’est que de 10 % des actifs, contre 15 % pour la moyenne européenne. Mais il constitue unpuzzle dont les pièces qui se détachent sont de plus en plus nombreuses.

Précaires, vrais-faux indépendants, ils sontde plus en plus d’actifs à perdre protection sociale et sécurité économique au fil de leur parcours professionnel. Timothée Fallet, qui a travaillé cinq ans en indépendant dans le secteur de l’audiovisuel, témoigne : « J’ai long-temps vécu avec moins de 450 euros par mois, jusqu’à fin 2014, avec des mois à zéro. » Il a de-puis créé son propre emploi à partir du son projet de Café sauvage, en coopérative d’acti-vité et d’emploi. Si les indépendants se distin-guent des autres travailleurs par le fait qu’ils n’ont pas de lien de subordination juridique permanent à l’égard d’un donneur d’ordres,

ils ne bénéficient pas non plus de la protec-tion du droit du travail liée au contrat de tra-vail. C’est le cas de ceux qui vendent leursmicroservices sur Internet. Généralisées par le numérique, ces microactivités, ont res-tauré le travail à la tâche. Des plates-formes Internet, comme Weclaim pour les servicesjuridiques, VizEat pour les cuisiniers à domi-cile ou Textmaster pour la traduction, met-tent en relation des particuliers ou des en-treprises avec ces « crowdworkers » qui sontsouvent des indépendants précaires.

D’autres n’ont ni la protection du droit dutravail liée au contrat de travail ni la sécuritééconomique que leur confère la diversité de la clientèle propre au statut d’indépendant.Des formes hybrides de travail indépendant se sont ainsi développées, dans lesquelles les

indépendants sont devenus dépendants.L’entrepreneur ou autoentrepreneur se voit imposer par l’entreprise dont il dépend son mode d’organisation. La plate-forme Uber,par exemple, fixe unilatéralement le prixdes prestations. C’est elle qui en reverse le produit après avoir prélevé sa commission, elle qui définit un cahier des charges sur la tenue des chauffeurs et le service au client. Et encore elle qui, par un système d’incita-tions, encourage le prestataire à travailler le plus possible. « Juridiquement indépendants, les chauffeurs sont dépendants économique-ment d’Uber, car sans elle ils perdent tout ac-cès à leur marché », explique David Ménascé,auteur du rapport « La France du Bon Coin » publié en septembre (note de l’Institut de l’entreprise).

Ces formes de travail échappent aux régle-mentations professionnelles, les plates-for-mes numériques étant des entreprises d’in-termédiation, jamais rattachées aux secteurs qu’elles investissent (transport pour Uber, hôtellerie pour Airbnb, etc.). Elles échappentaux accords collectifs sur les salaires et sou-vent aux législations nationales du travail, puisque Internet ignore les frontières. Le phé-nomène, qui n’est pas franco-français, tou-cherait déjà 1 million de personnes en Alle-

HORS INTÉRIM,LA PART DES

EMBAUCHES EN CDD TRÈS COURTS

– MOINS D’UN

MOIS – A ATTEINT

70 % FIN 2014

c’est avec « l’ubérisation » ou « le capitalisme des plates-formes » que l’af-franchissement des anciennes organi-sations du travail et de toutes contrain-tes sociales a été poussé à l’extrême. Un phénomène qui a pris sur une ten-dance de fond : « Face à la crise de l’em-ploi peu qualifié, depuis quinze ans, les gens se sont débrouillés en cherchant des clients plutôt qu’un patron », expli-que David Ménascé, auteur du rapport « La France du Bon Coin » écrit pour l’Institut de l’entreprise.

Mais c’est l’arrivée des smartphonesqui, en 2008, a donné le coup d’accélé-rateur au mouvement, en démulti-pliant le nombre de clients accessibles.Et ce, grâce à deux outils-clés : les « ap-

plis », à savoir des algorithmes mettanten relation directe un donneur d’ordre et un prestataire indépendant ; et un GPS qui géolocalise le prestataire dis-ponible. Une mise en relation instan-tanée entre la demande et l’offre, l’offreétant associée à un actif sous-utilisé, soit matériel (voiture, logement), soit immatériel (compétences).

Ainsi, avec les plates-formes Uber,Blablacar, Airbnb, Weclaim pour les services juridiques ou Vizeat pour les cuisiniers à domicile, une nouvelle forme d’activité est née, qui n’est ni un emploi ni un « travail ». Et qui n’a d’existence ni fiscale, ni sociale, ni même de représentation alors que le phénomène se développe hors de

toute règle à la vitesse de la lumière : c’est la « micro-activité ».

Ultime et décomplexé« Mais ce capitalisme de plate-forme, ultime et décomplexé, détruit beaucoupplus d’emplois qu’il n’en crée, dénonce Bruno Teboul, coauteur d’ Uberisation = Economie déchirée ? (Ed. Kawa). Ses entreprises, qui ne visent qu’à lever des fonds et à s’introduire en Bourse, sont en passe de transformer tous les actifs en chômeurs qui travailleront de façon intermittente et en free-lance. Nous ne sommes plus dans la destruction créa-trice de Schumpeter, mais dans la disruption destructrice. »

Ce capitalisme concentre la richesse

créée dans les mains de ses actionnai-res et de quelques salariés ultra-quali-fiés en faisant travailler la multitude hors de tout droit et de toute protec-tion. « Il faut repenser le partage de la valeur créée par ces plates-formes, quirisque de devenir parfaitement inéqui-table, ou elles ne seront pas acceptées socialement », dit David Ménascé.

Pour Bruno Teboul, il faut aller plusloin, tant le risque est grand de dé-truire le tissu social, car tous les sec-teurs vont être touchés : « Il faut se pré-parer à cette précarisation massive des actifs en les intégrant au code du tra-vail. Et tôt ou tard, mettre en place un revenu universel. » p

v.se

Le « capitalisme de plate-forme » s’affranchit de toute contrainte

Page 33: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 dossier | 9

magne. Le grand syndicat IG Metall a d’ailleurs créé en mai une plate-forme pour les fédérer et défendre leurs droits.

Le travail en est ainsi réduit à une marchan-dise, échangée en l’absence de toute règle ju-ridique. Un résultat emblématique de « la fracture interne au droit du travail entre d’une part les travailleurs qui jouissent pleinement des droits de la personne garantis par le “con-trat de travail typique” et d’autre part ceux qu’un “contrat atypique” rejette du côté du travail-marchandise », explique Alain Supiot.

L’essor du numérique rend urgente uneadaptation de la société à cette mutation.Déjà, les start-up s’affranchissent du code du travail. « Construites sur une organisation plusagile, structurée en mode projet, ouverte sur un écosystème », ces sociétés se caractérisent par « la multiplication de l’emploi hors sala-riat », souligne le rapport « Transformation numérique et vie au travail » remis le 15 sep-tembre au ministère du travail par Bruno Mettling, DRH d’Orange. Les start-up et autres TPE s’appuient beaucoup sur le télétra-vail et des collaborateurs nomades que l’on retrouve dans les espaces de coworking ou aucafé avec leur portable. Le contrat de travail, qui fixe le lieu et la durée de l’activité, n’est pas adapté à ce mode opératoire.

CRÉER UN TROISIÈME STATUT

Mais quelles règles changer pour protéger tous les actifs ? Le droit du travail ou la protec-tion sociale ? Côté droit du travail, le rapport Sciberras-Antonmattei, réalisé en 2008 à la demande du ministère du travail, proposait de créer un nouveau statut, ni salarié ni tra-vailleur indépendant, mais « travailleur éco-nomiquement dépendant ». Il concernerait lesindépendants qui travaillent seuls, perçoi-vent au moins 50 % de leur revenu d’un seul donneur d’ordres et dont l’organisation dé-pendrait de l’activité du donneur d’ordres. Ce troisième statut permettrait de se libérer des contraintes de temps de travail, par exemple, mais bénéficierait de règles de protection so-ciale qui lui seraient propres : extension du régime des indépendants et mise en place de garanties spécifiques, notamment sur les ac-cidents de travail, et plus de protection de l’activité professionnelle. Il aurait aussi sespropres instances de représentation profes-sionnelle. Ce statut pourrait être mis en placepar la négociation collective ou le législateur.

L’avocat en droit social Jacques Barthélémy,membre de la mission Combrexelle, propose,pour sa part, de créer un « droit de l’activité professionnelle » composé d’un socle dedroits fondamentaux applicables à tous les travailleurs, quel que soit leur statut. Et ilajoute : « Le niveau de protection ne sera alors plus lié à l’appartenance à un statut mais au degré d’autonomie, donc de responsabilité. Dans cette quête, le concept de para subordi-nation, que connaissent certains Etats voisins du nôtre, jouera un rôle essentiel, celui de cata-lyseur. »

Toutefois créer un troisième statut du tra-vailleur « économiquement dépendant » comporte des risques : « Même si, intellectuel-lement, c’est séduisant, estime le professeurde droit Jean-Emmanuel Ray. D’une part, ce troisième statut déstabiliserait les deux autres ; d’autre part, cette innovation nécessiteune définition juridique précise, avec la créa-tion d’un seuil au-delà duquel le travailleur n’est plus économiquement dépendant. Ce qui induira des effets de contournement de la norme, avec un risque réel de judiciarisation. » L’idée d’un statut de travailleur économique-ment dépendant avait déjà été avancée dans les années 1930, avant d’être abandonnée.

Pour comprendre ce qui, de la protectionsociale ou du droit du travail, doit être dé-

battu en priorité, il faut rappeler pourquoi ce dernier a été créé. Il est né de « la nécessité de garantir la sécurité du travailleur », rappelle Alain Supiot. Dans quel but ? « Assurer la re-production de la force de travail. » Ce qui con-siste à répondre non seulement « aux exigen-ces biologiques de la reproduction de la force de travail », à savoir la sécurité physique du travailleur dans l’entreprise, mais aussi « aux exigences sociales » qui permettent de main-tenir l’actif dans la société (revenu minimum et protection sociale). Salarié, indépendant,dirigeant, dirigé, commerçant, agriculteur doivent donc être soumis à « un même prin-cipe de solidarité ».

C’est loin d’être le cas. Au-delà des droits à laretraite ou à la Sécurité sociale, sortir du sala-riat en CDI, qui est légalement la forme nor-male du contrat de travail, prive aussi les ac-tifs de l’accès au logement ou au crédit. « Heu-reusement que j’avais été salariée durant vingt ans avant de me mettre à mon compte, témoignait ainsi une jeune femme aux entre-tiens de la cohésion sociale, le 8 septembre, à la Maison de la chimie, à Paris, car depuis que je suis autoentrepreneuse, la banque me re-fuse tout accès au crédit. »

« Les nouvelles formes de travail digital doi-vent permettre à chacun de vivre », résumeBruno Teboul, membre de la chaire Data Scientist de l’Ecole polytechnique. L’enjeu n’est donc pas tant d’élargir ou d’alléger ledroit du travail que d’élargir la protection de tous les actifs, en protégeant les transitions professionnelles. Pour ce faire, « on ne peut se limiter à une réforme du droit du travail », af-firme la sociologue Sandra Enlart, du thinktank Entreprises & Personnel. Elle propose de« repenser les intermédiations (Pôle emploi, plate-forme Internet, etc.) et de réinventer lesformes de représentation professionnelle, comme l’Italie l’a déjà fait pour représenter les indépendants et les intérimaires. » Aux Etats-Unis, une nouvelle forme de représentation professionnelle a ainsi vu le jour : le Free-Lan-cers Union, qui défend les droits des free-lance et compte aujourd’hui 250 000 mem-bres. « En France, Génération précaire a déjà lancé le mouvement, avec la défense des sta-giaires et des précaires », note Sandra Enlart.

« Chacun doit pouvoir se situer sur le marchédu travail à partir de ce qu’il est, son âge, son rythme », dit-elle. C’est là le véritable change-ment de paradigme à opérer pour « piloterl’emploi vers un projet social plutôt que vers une dégradation ». Le compte personnel d’ac-tivité (CPA), créé par le gouvernement et que le rapport de France Stratégie du 9 octobre re-commande d’appliquer à tous les actifs sans distinction, pourrait être le début de la solu-tion. Instauré par la loi Rebsamen, le CPA « rassemble [pour chacun], dès son entrée sur le marché du travail et tout au long de sa [car-rière], les droits sociaux personnels utiles pour sécuriser son parcours professionnel [forma-tion, pénibilité, assurance-chômage]. » SiFrance Stratégie est suivi dans ses préconisa-tions, chaque actif devrait avoir son CPA au 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur pré-vue par la loi. Ce projet, programmé aux dé-bats de la conférence sociale, pourrait bienrestaurer la sécurité économique et sociale pour tous. p

En marge du CDI, le marché de l’emploi s’atomise

SOURCES : INSEE, DARES, PÔLE EMPLOI, UNÉDIC, EUROSTAT

CDD hors apprentis

Emplois temporaires

Intérimaires

Apprentis

Une précarisation des salariés qui semblait marquer le pas depuis 2000

Mais la précarité est accentuée par la réduction de la durée des contrats

1982 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2012

14

10

4

0

CDD

Total

Création du régime d’autoentrepreneur

Indemnisés

Intérim

CDI

11,2 Indépendants + 4,5 %

PART DES SALARIÉS EN CONTRAT TEMPORAIRE

MOYENNE ANNUELLE, EN % DE L’EMPLOI SALARIÉ

Un recul général du salariat en Europe

PART DE L’EMPLOI SALARIÉ DANS L’UNION EUROPÉENNE

MOYENNES ANNUELLES, EN % DE L’EMPLOI TOTAL

6

8

2

12

Danemark Allemagne France Pays-Bas Royaume-Uni Espagne Italie GrèceZone euro

100

80

40

0

60

70

20

10

50

30

90

2000 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 2013

180

90

70

VARIATION DU NOMBRE D’EMBAUCHES SELON LE CONTRAT

BASE 100 AU 1er TRIMESTRE 2000

VARIATION DU NOMBRE

DE CDD SELON LA DURÉE

Fait nouveau depuis la crise : la montée des indépendants précaires

MARCHÉ DU TRAVAIL

EN 2013, EN %

VARIATION

DEPUIS 2004, EN %

NOMBRE D’ALLOCATAIRES EN ACTIVITÉ RÉDUITE

100

110

120

130

140

150

160

170

80

1995 2000 2005 20130

200 000

400 000

600 000

800 000

1 000 000

1 200 000

2010

CDD de moins d’un mois

+ 130 %depuis 2000

CDD de plus d’un mois

stabledepuis 2000

2008 2012

2 Intérimaires + 5 %

8,4 CDD + 2,4 %

1,6 Apprentis + 33 %

76,8 CDI – 1,6 %

LES START-UP S’APPUIENT

BEAUCOUP SUR

LE TÉLÉTRAVAIL

ET DES COLLABORATEURS

NOMADES

« Le numérique pose la question d’un statut couvrant les risques sociaux »Pour Yves Struillou, patron de l’inspection du travail, les nouvelles formes d’emploi nécessitent une adaptation de l’arsenal législatif

ENTRETIEN

D irecteur général du travail et an-cien inspecteur du travail, YvesStruillou explique l’impact des

mutations du marché de l’emploi sur la prévention des fraudes.

Face à la multiplication des formes d’emploi, l’inspection du travail a-t-elle dû s’adapter ?

C’est l’ensemble du monde du travail quiest bousculé. Pour prendre la mesure de ces bouleversements, l’interaction doitêtre permanente entre services de con-trôle – les services d’animation territorialequi font remonter les observations de ter-rain – et administration centrale, qui pro-pose à l’autorité politique une évolution de la norme, afin que cette dernière soit la plus pertinente et la plus efficace possible.

Sur les détachements de travailleurs, parexemple, les remontées de terrain ont amené à proposer une évolution des obli-

gations de déclaration et la possibilité pour l’administration de faire cesser un certain nombre d’abus. Auparavant, l’in-fraction constatée était relevée par voie deprocès-verbal avec un jugement qui pou-vait intervenir des mois ou des années après. La situation illégale perdurait. Ce qui a conduit, dans le cadre de la loi crois-sance et activité, le législateur à adopter le dispositif de la suspension administrative de la prestation manifestement illicite.

Cette diversification est-elle source de nouvelles formes de travail illégal ?

Oui, avec l’utilisation de faux statuts :de stagiaires, de travailleurs indépen-dants, d’autoentrepreneurs ou de tra-vailleurs détachés. Ce sont de nouvellesformes de travail illégal qui cohabitent avec des formes plus traditionnelles. Lesinspecteurs du travail ne sont pas dému-nis face à ces stratégies, mais certains des montages nécessitent des investiga-tions plus longues et plus complexes

afin de requalifier la situation de travail.Parmi les pratiques qui ont pris de l’am-

pleur, figure le recours aux faux stagiai-res. En 2013, 730 infractions de travail il-légal portant sur la dissimulation de sa-lariés par recours abusif à de faux stagiai-res ont été relevées, contre 234 en 2011.Les remontées de terrain ont finalementconduit, parce que les politiques l’esti-maient nécessaire, à définir un nouvelencadrement [inscription dans un cursus,statut d’élève ou d’étudiant, part de sta-giaires dans l’effectif], dont les textes sonten cours de finalisation.

Le numérique dans l’entreprise pose aussi la question de la mesure du temps de travail. Impose-t-il de modi-fier le code du travail ?

La réalité est suffisamment diversifiéepour que le « vieux » continue de coexis-ter avec le « neuf ». En tout état de cause,le numérique impose une réflexion. Leforfait jours bien encadré est une bonne

réponse pour la mesure du temps de tra-vail dans une économie numérique, car il permet de réelles plages de décon-nexion. Il doit toutefois être régulé. Ilfaut définir un cadre collectif, qui laissedes marges de manœuvre à l’individu dans la gestion de l’articulation entreson activité professionnelle et sa vie per-sonnelle. Quant au contrôle par l’inspec-tion du travail, le numérique offre unetraçabilité qui permet d’enquêter.

Quelles sont les conséquences de l’es-sor du numérique ?

La pratique met en évidence des straté-gies de contournement des règles, notam-ment en matière de détachement : la tran-saction est faite par Internet, la prestation réglée, et l’équipe de travailleurs non dé-clarés est envoyée sur place. L’agriculture et le bâtiment sont les secteurs les plus concernés à ce jour. Une telle utilisation peut conduire à des situations inaccepta-bles, portant atteinte à la dignité hu-

maine : par exemple, des travailleurs qui dorment à même le sol.

Autre conséquence : le numérique, encréant de nouvelles formes d’activités marchandes et non marchandes, repose laquestion de la nécessité de définir ou non un nouveau statut couvrant les risques so-ciaux. Si en menant une activité rendue possible par une plate-forme numérique, le travailleur est victime d’un accident de trajet ou de travail, comment doit être couvert ce risque ? L’action de l’inspectiondu travail a pour objet de veiller à ce que celui qui organise une activité profession-nelle ne cherche pas à faire supporter parla société les risques inhérents à son acti-vité, notamment en éludant le statut sala-rial et donc la protection sociale qui s’y at-tache. Travail et protection sociale for-ment un vieux couple, qui parfois connaîtdes périodes de crise. La diversité des for-mes d’emploi pose à nouveau la question de cette articulation. p

propos recueillis par anne rodier

Page 34: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

10/LE MONDE/MARDI 20 OCTOBRE 2015 REPRODUCTION INTERDITE

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Un marché modérément actifLa Banque reste l’un des plus gros recruteurs de France pour la population cadres supérieurs et cadresintermédiaires. Les mois à venir devraient conirmer la tendance de 2014 : un marché en transformation

structurelle signiicative mais modérément actif en termes de volume de recrutement.

Tour à tour les grandesbanques françaises rendentpublic leurs rélexions straté-

giques sur l’avenir de leurs réseaux.Les perspectives qui s’en dégagent nesont pas des plus enthousiasmantes.Après l’annonce par la Société Géné-rale de la fermeture de 20 % de sesagences dans l’Hexagone d’ici 2020,c’est au tour de BNP Paribas de publierun programme d’attrition et de redi-mensionnement de son réseau. Cetétablissement a déjà baissé le rideau de10 % de ses guichets en 2014. Il devraitpoursuivre cette politique qui répond àune désaffection croissante des clientspour leurs agences. Aujourd’hui 21 %des détenteurs d’un compte fréquententrégulièrement les guichets contre 52 %en 2010.

Cette évolution structurelle consécu-tive à l’émergence de la digitalisationdes opérations bancaires signiie-t-elleque la inance informatisée est l’en-nemi de l’emploi ? Au contraire si l’onen croit les travaux de France stratégie,l’Observatoire économique rattaché auPremier ministre. Son dernier rapportnote que 67600 nouveaux emploisont été créés dans ce secteur ces 15dernières années et que pour les 7 pro-chaines années, ces 248000 postes quiseront à pourvoir dans les métiers de laBanque et de l’Assurance. Une propor-

tion supérieure à celle projetée pourl’ensemble des métiers du pays.

Cette légère surperformance tient es-sentiellement à deux facteurs. D’abordla place des seniors dans les banques.Ils occupent environ 30 % des emploiset les départs en retraite pourraientconcerner plus de 190000 postes detravail d’ici 2022. Tous ne seront pasremplacés mais une bonne proportiond’entre eux le sera en raison du second

facteur : la croissance des métiers decadres dans cet univers. Les spécialistestablent, à conjoncture inchangée, surune évolution positive (+1,6 %) decréations nettes. C’est le double desperspectives tous métiers confondus.Ce rythme serait soutenu par le besointoujours croissant de service à hautevaleur ajoutée dans ce secteur. Concrè-tement les cadres vont clairement tirerleur épingle du jeu aux dépens des tech-niciens et surtout des employés. C’est laconirmation d’une tendance engagéedès les années 2000 avec la multipli-cation des offres de prestations de plusen plus sophistiquées en direction desparticuliers comme des entreprises.

Exprimé en nombre de postes potentiels,on peut raisonnablement considérer quede 118000 à 138000 nouveaux emploiscadres seront disponibles dans les 7 ansà venir. Soit deux fois les places ouvertesaux techniciens et employés.

Pour la banque de détail, les besoinsdevraient dans l’immédiat se concentrersur les fonctions supports pour 3 grandesdirections : inancières, celle des risqueset celle de la conformité.

Pour les directions inancières, les em-ployeurs recrutent en priorité des proilsdeconsolidation, de comptabilité réglemen-taire maîtrisant le système uniié de re-porting inancier - SURFI - possédant 3 à 5ans d’expérience. Dans ce segment trèssensible, les opportunités pour les jeunes di-plômés se limitent à des stages oudesCDD.

Pour les directions des risques qui sontmontées en puissance depuis la criseinancière de 2008, la priorité des re-cruteurs va aux candidats maîtrisant lerisque crédit et le risque marché. Làencore peu de place pour les jeunesdiplômés, une expérience signiicativeest un pré requis.

Dernier segment en attente de talents :la conformité. Là encore, pas de placepour les bizuts mais des attentes trèsnettes pour des spécialistes de la confor-mité, de la déontologie, des analystesdu KYC ou de la compliance.

En revanche, les options offertes par lesdépartements BFI restent très rares.La banque de inancement et d’investis-sement est en roue libre dans l’hexa-gone. Ses plateformes les plus perfor-mantes sont à l’étranger avec une forteprésence à Londres ou en vitesse réduite.Les postes libres sont comptés. Ils s’agitessentiellement de remplacement etla compétition entre postulants estsévère. Pour les proils préparés à cesmétiers il est plus judicieux de se tour-ner vers l’industrie de la gestion d’actifsqui reste performante et qui a desbesoins importants.

Restent les fonctions commercialescomme celles de conseillers de clien-tèle particulière, professionnelle oud’entreprise. Ces jobs fournissent le car-burant des banques, le niveau de recru-tement devrait y rester constant maisles compétences et la technicité exigéessont de plus en plus fortes.

L.PM

La banque, un secteur particulièrementfavorable aux cadres.

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Page 36: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

12 | MÉDIAS&PIXELS MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

L’énigmatique Molotov.tv séduit 80 chaînesLe futur service de télévision par Internet, attendu fin 2015, entend mieux mettre en avant les programmes

La télévision est morte, vivela télévision ! », procla-maient en juin Pierre Les-cure, l’ancien patron de

Canal+, et Jean-David Blanc, le fondateur d’AlloCiné, dans unetribune qui plaidait pour que « latélévision (…) change la façon dontelle est distribuée ».

Les deux signataires ne don-naient pas de détails sur ce que se-rait, à leurs yeux, un mode de dis-tribution mieux adapté à l’époque et aux usages, mais annonçaient lelancement futur d’un service énig-matiquement baptisé Molotov.tv.

Quatre mois plus tard, on n’ensait guère plus sur les fonctionna-lités de ce nouveau service qui per-mettra de regarder la télévision de façon nouvelle, par le biais d’Inter-net, sur son téléviseur connecté, son téléphone ou sa tablette. Les fondateurs, associés à Jean-Marc Denoual, ancien directeur de la distribution du groupe TF1, réser-vent la primeur de cette décou-verte aux membres du CSA. Le ren-

dez-vous a été fixé au mercredi 4 novembre.

En revanche, il semble que le trioait su convaincre les chaînes de té-lévision de jouer le jeu. Car selon Molotov, le service proposera à son lancement – prévu fin 2015 – plus de 80 chaînes gratuites et payantes.

L’ensemble des chaînes gratuitesy sera représenté, à l’exception de celles du groupe Canal+ (D8, D17 eti-Télé). On y trouvera donc les chaî-nes des groupes France Télévi-sions, M6 ou TF1. Côté payant, la plupart des chaînes présentes dans les bouquets multithémati-ques seront de la partie. Molotov annonce également la présence d’Orange Ciné Séries, de BeIN Sports et même d’INA Premium, leservice de vidéos à la demande parabonnement récemment lancé par l’Institut national de l’audiovi-suel.

Ce large ralliement ne témoignepas seulement des talents de per-suasion des fondateurs de Molo-

tov. Ces derniers mois, chez les édi-teurs de télévision, la conscience d’une forme de vieillissement du modèle traditionnel s’est installée.

Bien sûr, avec 3 h 30 environ detemps consacré quotidiennement à la télévision par chaque Français,ce média conserve une puissance inégalée. Mais les éditeurs obser-vent la montée en puissance de laconsommation délinéarisée (en rattrapage, à la demande, etc.) qui, d’à peine une dizaine de minutes en moyenne, représente beau-coup plus chez certaines catégo-ries de la population.

Risque limité pour les chaînes

Actifs urbains et jeunes ont cessé de s’asseoir dans leur canapé à20 h 45 pour attraper la télécom-mande et voir dans quel pro-gramme se lancer.

« Notre cible, ce sont les gens quise lassent des interfaces de télévi-sion, du grand volume de chaînes et de la navigation par la télécom-mande, explique Jean-Marc De-

noual. En zappant, on peut sou-vent avoir le sentiment qu’il ne se passe jamais rien à la télévision. Alors que celle-ci conserve une ri-chesse de contenus inégalée. Il y a sans doute un programme quel-que part qui est fait pour vous,mais la probabilité pour que vous le sachiez et soyez devant à l’ins-tant T est trop faible. »

Molotov.tv devrait donc permet-tre de mieux visualiser ce qui estprésent à l’antenne, de ne pas être

obligé d’être présent à une heure précise pour voir un programme, de pouvoir échanger avec d’autrestéléspectateurs… L’accès y sera gratuit, mais une partie des servi-ces proposés sera payante.

Pour les chaînes, s’engager avecMolotov représente un risque li-mité. Plus qu’une concurrence, il s’agit d’un moyen de maintenir lelien avec les utilisateurs les plus avant-gardistes, qui regardent latélévision par le biais d’Internet.

Molotov ne se rémunère que sur ses services, il ne demande rienaux chaînes, leur notifie leurs audiences et les laisse maintenirla publicité au sein de leurs pro-grammes. Et les éditeurs de télévi-sion français sont manifestementplus enclins à collaborer avec unservice porté par des Français plu-tôt qu’avec Apple ou Google…

Le service, en revanche, heurte lastratégie du groupe Canal+ et ne proposera aucune de ses chaînes. Distributeur de télévision en plus d’être éditeur, Canal+ a développé depuis deux ans une division « Over the top » (OTT) dirigée par Manuel Alduy et chargée de l’« In-ternet ouvert ». Avec l’application MyCanal, le groupe propose à ses abonnés un accès en mobilité à toutes les chaînes de télévision gratuites. Inquiet de l’évolution de ses abonnements, le groupe pré-sidé par Vincent Bolloré devrait donc suivre de très près les pre-miers pas de Molotov. p

alexis delcambre

Nouveaux coups de pression à Canal+L’un des responsables de « Spécial investigation » est convoqué lundi 19 octobre

L a censure de l’enquête sur leCrédit mutuel par VincentBolloré n’en finit pas de

faire des vagues à Canal+. Ven-dredi 16 octobre, le site Pure Mé-dias a annoncé que Patrick Me-nais, le responsable du « Zap-ping » de la chaîne cryptée, étaitsur le point d’être licencié pour avoir diffusé des séquences de ce documentaire, finalement dif-fusé le 6 octobre sur France 3. L’in-formation a été démentie par Ca-nal+. Mais cette initiative a forte-ment irrité en haut lieu.

Selon nos informations, M. Me-nais s’est vu reprocher verbale-ment par Maxime Saada, le direc-teur général de Canal+, de ne pasêtre « solidaire » de la chaîne.M. Saada a pointé la rediffusiondans le « Zapping » des propos controversés sur le Front nationaltenus par Maïtena Biraben, l’ani-matrice du « Grand Journal », et ladiffusion d’extraits du magazine « Complément d’enquête » deFrance 2 où était évoquée la re-prise en mains de Canal+ « avec une certaine brutalité » et l’inter-vention de M. Bolloré sur la ligne éditoriale. Concernant l’enquête sur le Crédit mutuel, M. Saada ne lui a pas ordonné de la passer soussilence. Le 8 octobre, le « Zap-ping » a ainsi proposé six extraits de l’enquête diffusée sur France 3 deux jours auparavant.

Solder le contentieux

En revanche, il semble que la direc-tion de Canal+ souhaite solder le contentieux avec l’équipe du ma-gazine « Spécial investigation » quiavait exprimé son mécontente-ment après la censure de l’enquêtesur le Crédit mutuel. Jean-Baptiste Rivoire, rédacteur en chef adjoint du magazine, est convoqué lundi 19 octobre par la direction des res-sources humaines de Canal+ pour un entretien préalable « à un éven-tuel licenciement ».

Dans sa lettre de convocation,envoyée en recommandé le 9 oc-tobre et que Le Monde a pu consul-ter, la DRH n’a indiqué aucun mo-tif au journaliste. Dimanche, la di-rection, jointe par Le Monde, dé-mentait, dans un premier temps, avoir envoyé cette lettre. Puis, quelques minutes plus tard, expli-quait que M. Rivoire « n’était pas enprocédure de licenciement ». Or, le journaliste a assuré au Monde

n’avoir pas reçu cette annulation. Il se rendra à la convocation.

Cette dernière a été envoyéealors que, le matin du 9 octobre, M. Rivoire a expédié un courriel interne à ses collègues de « Spécialinvestigation » pour leur annon-cer qu’il adhérait au SNJ-CGT qui l’avait nommé « représentant syndical » à Canal+. Selon lui, ce mandat allait lui permettre d’as-sister aux comités d’entreprise mensuels et de poser des ques-tions à la direction, notamment sur la façon dont elle « traite » l’in-vestigation sur la chaîne.

La démarche syndicale de M. Ri-voire fait suite à la censure de l’en-quête sur le Crédit mutuel. Après sa déprogrammation, le journa-liste a envoyé, le 4 juin, un courrielà M. Saada, cosigné par deux de sescollègues, Steeve Baumann, rédac-teur en chef adjoint, et Nathalie Moutoz, chef d’édition, dans le-quel ils lui demandaient des expli-cations. Les trois signataires inter-rogeaient aussi M. Saada sur le nouveau processus de décision du comité d’investigation concer-nant le lancement des enquêtes. Ils pointaient son refus de rediffu-ser une enquête sur l’attribution de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, et l’absence de ré-ponse de la direction concernant les enquêtes proposées par KM, la société de Renaud Le Van Kim qui a produit le documentaire sur le Crédit mutuel.

Quelques jours plus tard, en re-cevant les journalistes du maga-zine, M. Saada s’est agacé, selon des participants, de « la mise en cause à peine masquée » de la di-rection concernant l’investiga-tion. Il leur a dit que le processusde décision pour le lancement des enquêtes « n’avait pas changé ». « Iln’y a pas eu de déprogrammation, mais KM nous a informés directe-ment que le programme ne serait pas livré », a-t-il avancé à propos del’enquête sur le Crédit mutuel.

Or, il a été révélé depuis par Mé-diapart, que le documentaire avaitbien été censuré par M. Bolloré. Regrettant ce qui s’était passé, M. Saada a assuré à l’équipe que l’investigation serait renforcée. Le 26 octobre, le magazine diffusera l’enquête « Hollande-Sarkozy, laguerre secrète », d’abord dépro-grammée le 28 septembre. p

daniel psenny

M6 refonde son service délinéarisé

M6 n’en fait pas grand cas, mais le groupe est bien placé sur latélévision de rattrapage, avec 2 à 3 millions de vidéos visionnées chaque jour sur son service 6Play et 14 millions d’utilisateurs mensuels. A compter du 20 octobre, M6 va tenter de renforcercet atout en proposant une refonte importante de 6Play. Il s’agit d’accompagner le passage d’un service de rattrapage (on vient chercher une émission qu’on a manquée) à un service de propo-sition (on vient sans savoir ce qu’on va regarder, un usage crois-sant). Le service sera davantage éditorialisé, présentera desprogrammes inédits et favorisera la recommandation de conte-nus, fondée sur la personnalisation et l’usage d’algorithmes.

Page 37: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

Cahier du « Monde » No 22008 daté Mardi 20 octobre 2015 - Ne peut être vendu séparément

Vers la plage du Butin, près d’Honfleur. Juste en face

du Calvados, Le Havre appartient à la Seine-Maritime.

Les deux régions n’en ferontbientôt plus qu’une.

JULIEN MIGNOT POUR « LE MONDE »

Le FN courtise le bocageL’essor du parti de Marine Le Pen dans les zones rurales pourrait contrarier les espoirs de conquête de la droite

rouen, caen - envoyé spécial

Cela fait vingt ans qu’il votait àdroite. Invariablement. Ce tempsest révolu. Profondément déçu parNicolas Sarkozy puis François Hol-lande, Yanic Bodin se tourneaujourd’hui – par dépit – vers Ma-

rine Le Pen. Cet agriculteur de 39 ans, qui pos-sède 70 vaches laitières à Juilley, un village dequelque 600 habitants situé dans le sud de laManche, se dit « écœuré » et « en profonde dé-tresse », car il n’arrive plus à vivre de son travail.« Je vais compter près de 35 000 euros de perte à

la fin de l’année et je ne peux même plus me ver-ser un salaire, alors que je bosse douze heures parjour, sept jours sur sept », se désole ce père de deux enfants, qui fait tourner son exploitationavec sa femme et un employé. Et de pousser un cri du cœur : « Comment voulez-vous qu’on vote pour une gauche et une droite normalisées, qui nous ont laissés tomber depuis vingt ans ? C’est humain de vouloir les sanctionner, non ? »

Président de la Coordination rurale de la Man-che, un syndicat agricole officiellement apoliti-que mais classé à droite, Yanic Bodin dit ne pasêtre le seul à se résigner à « un vote de colère » pour alerter les pouvoirs publics. « Plusieurs

agriculteurs du coin votent désormais FN, car c’est le seul parti qui nous écoute et défend des structures de production familiales. Les autres,qui ne jurent que par l’ultralibéralisme et l’agri-culture intensive, sont en train d’éradiquer les pe-tits paysans comme nous. » Ce producteur de laitet de céréales – également sensible aux thèses de Debout la France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan – a reçu Marine Le Pen dans son exploi-tation. C’était le 20 mars, à la veille des électionsdépartementales. En 2012, à la présidentielle, il avait déjà voté pour elle.

lire la suite pages 2-3

0123RÉGIONALES

Rendez-vous jeudi 22 octobre dans 0123 daté vendredi 23 octobre

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NORMANDIE

Page 38: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

2 | élections régionales 2015 MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

César Sautet, étudiant à Rouen, ne croit pas que la fusion soit une bonne chose : il considère que les deux régions ont leur propre identité. « Je pense aller voter, ajoute-t-il, car c’est un droit et un devoir important. »

CHRISTOPHE CAUDROY POUR « LE MONDE »

Même s’il ne représente qu’une frange des agri-culteurs du département, le basculement de ce fils d’agriculteur au FN illustre la forte progres-sion du parti d’extrême droite dans les zones rurales en Basse-Normandie. Le phénomène, récent, a pris de l’ampleur à partir des cantona-les de 2011. Si la formation lepéniste est structu-rellement bien implantée en Haute-Normandiedepuis une dizaine d’années, essentiellementdans les zones industrielles des banlieues de Rouen et du Havre, son essor sur les terres chré-tiennes-démocrates de la Manche, de l’Orne etdu Calvados constitue une vraie nouveauté. « LeFN est parvenu à pénétrer les périphéries des ag-glomérations et les campagnes, en ciblant essen-tiellement les ouvriers agricoles et les employés. Marine Le Pen a réussi à capter des voix au sein de la droite sarkozyste, de la droite souverainiste et des chasseurs », observe Cyril Crespin, polito-logue chargé de cours à l’université de Caen, auteur d’une thèse consacrée au FN en Nor-mandie de 1972 à 2012.

Dans les urnes, la progression du parti d’ex-trême droite est spectaculaire. Aux électionseuropéennes de mai 2014, il est arrivé en tête aussi bien en Basse qu’en Haute-Normandie, to-talisant plus de 29 % des voix en moyenne dansles cinq départements de la future grande ré-gion. Loin devant le score moyen du FN au ni-veau national (24,8 %). Moins d’un an plus tard, aux départementales, le parti a confirmé son ancrage, recueillant 26,2 % des voix en moyenne, avec des pointes à plus de 50 % dans plusieurs petites communes de la Manche (Bi-niville, Sourdeval-les-Bois ou Aumeville-Lestre) et de l’Orne (Brethel, Champ-Haut, Vidai).

« Dans ces zones rurales, où les services publicsdisparaissent un à un, le discours du FN répond au sentiment de précarité et de vulnérabilité éprouvé par les paysans, les petits commerçants, les artisans et la classe moyenne inférieure, qui s’estiment délaissés et abandonnés par l’Etat », analyse le sociologue Frédérick Lemarchand, maître de conférences à l’université de Caen. « Ces gens ne se sentent pas exclus mais le sont defait », complète le sociologue Yves Dupont, spé-cialiste de la Normandie, qui s’alarme de la pau-périsation croissante des campagnes et du su-rendettement des agriculteurs.

Le score du FN dans le monde rural détermi-nera en grande partie l’issue des régionales des 6 et 13 décembre. En théorie, Hervé Morin, qui rassemble la droite et le centre sous la bannière UDI-Les Républicains-MoDem-CPNT, a toutes les chances de l’emporter. Ses espoirs de con-quête se fondent sur les récents succès électo-raux de son camp : en mars, la droite a mis la

suite de la page 1 main sur les cinq départements normands. Mais l’ancien ministre de la défense de Nicolas Sarkozy (2007-2010) redoute de voir ses plans contrariés par la concurrence du FN. Alors qu’il espère figurer largement en tête au premier tour, afin d’enclencher une dynamique victo-rieuse pour le second, M. Morin craint de subir une forte déperdition de voix dans un électorat structurellement acquis à la droite. Là se trouve la clé du scrutin pour le favori, qui espère obte-nir 34 % des voix au premier tour, et repousser ainsi le FN au moins 8 points derrière lui. Loin devant la gauche, qu’il estime hors du jeu.

« L’équation est simple : il s’agit de savoir quelleest la part d’électeurs de droite qui va passer au FN », admet M. Morin, qui sera à coup sûr con-

fronté au maintien d’une liste frontiste au se-cond tour, dans une triangulaire avec le PS. « Dans un second tour droite-gauche, je serais sûrde gagner, car une grande part des électeurs du FN se reporteraient sur moi. Là, dans un match à trois, il y a plus de danger… », observe-t-il. « Le FNa beaucoup progressé en Basse-Normandie ces dernières années, souligne Bruno Le Maire, dé-puté Les Républicains (LR) de l’Eure. Ce parti ris-que de nous prendre des voix. Ce sera un élémentimportant de la donne. »

D’autant que le candidat frontiste, Nicolas Bay,cible prioritairement l’électorat conservateur des zones rurales, qu’il appelle « la France des oubliés ». « C’est notre réservoir naturel », juge le député européen, qui désigne M. Morin commeson principal adversaire, « car c’est avec lui quel’on a le plus d’électeurs à se départager ». Con-vaincu que le profil centriste de ce dernier lui « libère un espace », le secrétaire général du FN a décidé de jouer sur la peur de l’immigration pour séduire « les électeurs de droite dure ». « Sur le terrain, j’ai longtemps fait le bon élève en évo-quant les compétences de la région, mais, depuis fin août, je parle surtout des migrants, car c’est lesujet qui plaît le plus aux gens, en particulier dans les zones rurales, où la peur qu’ils soient ré-partis dans les villages est très forte », explique

celui qui a choisi comme slogan de campagne :« Libérons la Normandie ». Qu’importe que la ré-gion n’ait aucune compétence en matière d’im-migration, M. Bay voit d’abord ce sujet comme « un thème porteur ».

Pour limiter la poussée de l’extrême droite, leprésident du Nouveau Centre, Hervé Morin, utilise la même parade que M. Sarkozy : il ré-pète que « voter pour le FN revient à faire le jeudu PS ». Et il joue la carte terroir. Passionné de chevaux de courses, qu’il élève dans son haras de l’Eure, il préfère se présenter comme le maire d’Epaignes (Eure), celui qui a lancé sa campagne lors d’une Fête de la pomme depuis son fief, le 5 septembre, plutôt que comme an-cien ministre de M. Sarkozy.

Déterminé à incarner la rupture avec l’héri-tage socialiste dans la région, il promet d’« écrireune page nouvelle de la Normandie à l’occasion de la fusion ». Ses priorités ? Créer une agenceunique chargée de l’économie, dotée de 100 millions d’euros, afin de « soutenir l’investis-sement et le développement des entreprises » ; as-surer l’équilibre des pouvoirs dans le triangle Rouen-Caen-Le Havre, en supprimant à terme près de 500 postes de fonctionnaires ; et déve-lopper l’accès au train ou aux pôles de santé pour « les territoires oubliés ».

Face à cette droite conquérante, la gauche, elle,aura fort à faire pour conserver le pouvoir régio-nal. D’abord, car elle part divisée : le PS, qui di-rige la Haute-Normandie depuis 1998 et la Bas-se-Normandie depuis 2004, n’est allié qu’avec les seuls radicaux de gauche. La liste socialiste, menée par Nicolas Mayer-Rossignol, président du conseil régional de Haute-Normandie, su-bira la concurrence des écologistes, menés par Yanic Soubien, conseiller régional sortant de Basse-Normandie, et du Front de gauche, repré-senté par Sébastien Jumel, le maire commu-niste de Dieppe (Seine-Maritime).

Assis derrière son vaste bureau, situé àRouen, à la décoration très locale – un tableau représente une vache normande et des mini-éoliennes trônent sur le rebord de la fenêtre –, M. Mayer-Rossignol, 38 ans, se targue d’être à latête de « la région la mieux gérée de France » de-puis qu’un rapport de la chambre régionale descomptes a salué, en janvier, sa « situation finan-cière favorable se caractérisant par une excel-lente maîtrise de ses charges de fonctionne-ment, une épargne brute élevée et un très faible niveau d’endettement ». Proche de Laurent Fa-bius, ce scientifique multidiplômé au profil de gendre idéal veut « mener campagne sur les en-jeux exclusivement régionaux », dans l’espoir delimiter les effets du vote sanction à l’encontre du gouvernement.

Idem pour le président socialiste de Basse-Normandie, Laurent Beauvais. Installé à l’ab-baye aux Dames, à Caen, un magnifique bâti-ment dont la construction a démarré sous Guillaume le Conquérant, cet élu affable, âgé de

« Comment voulez-vous

qu’on vote pour une

gauche et une droite

normalisées, qui nous

ont laissés tomber

depuis vingt ans ? »yannick bodin

agriculteur à Juilley (Manche)

TÊTES DE LISTE

Hervé Morin (UDI)Né le 17 août 1961 à Pont-Audemer(Eure), l’ancien ministre de la défensede Nicolas Sarkozy est l’une des figuresnationales du centrisme. Président duNouveau Centre depuis 2008, il s’est in-cliné face à Jean-Christophe Lagardelors de l’élection à la présidence de

l’UDI, en novembre 2014. Depuis 1995, il est maire d’Epaignes, dans son fief de l’Eure, département dont il a été conseiller général de 1992 à 2004, avant d’être con-seiller régional de Haute-Normandie jusqu’en 2010.(BERTRAND GUAY/AFP)

Nicolas Mayer-Rossignol (PS)Né le 8 avril 1977 à Bordeaux, le prési-dent socialiste de Haute-Normandie estle plus jeune président de région deFrance. Ce scientifique – bardé de di-plômes et un temps militant d’Attac – agravi les échelons du Parti socialistedans le sillage de Laurent Fabius, dont

il a été le conseiller au Quai d’Orsay. Conseiller régional de Haute-Normandie en 2010, il a pris la tête de la région trois ans plus tard, après la démission d’Alain Le Vern qui en assurait la présidence depuis 1998. (CHARLY TRIBALLEAU/AFP)

Nicolas Bay (FN)Né le 21 décembre 1977 à Saint-Ger-main-en-Laye (Yvelines), il est l’un deslieutenants de Marine Le Pen. Aprèsavoir fait ses classes au Front nationalde la jeunesse (FNJ) dans les Yvelines,il a rejoint Bruno Mégret en 1998, avantde réintégrer le FN en 2011. Trois ans

plus tard, il est devenu à la fois député européen et se-crétaire général du parti. Implanté à Elbeuf (Seine-Mari-time), il préside le groupe FN au conseil régional de Hau-te-Normandie. (JACQUES DEMARTHON/AFP)

Sébastien Jumel (Front de gauche)Né le 20 décembre 1971 à Sainte-Adresse (Seine-Maritime), ce membredu Parti communiste est devenu mairede Dieppe en 2008, en l’emportant dèsle premier tour. Réélu en 2014, il aperdu son siège de conseiller générall’année suivante. Déjà candidat aux

dernières régionales (en Haute-Normandie avec près de 9 % des voix), il sera un concurrent à gauche pour la liste socialiste. (ROBERT FRANCOIS/AFP)

Yanic Soubien (EELV)Né le 11 août 1959 à Ségrie-Fontaine(Orne), cet élu écologiste est vice-prési-dent du conseil régional de Basse-Nor-mandie depuis 2004. Il dirige la régionavec le socialiste Laurent Beauvais,président de Basse-Normandie. Mairede Taillebois dans son fief de l’Orne de

2001 à 2014, il portera les couleurs d’EELV au premier tour des régionales. Il est partisan d’une alliance avec la liste socialiste pour le second tour. (JOËL SAGET/AFP)

Le conseil régionalde Haute-Normandie, à Rouen.

CHRISTOPHE CAUDROY POUR « LE MONDE »

Page 39: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

0123MARDI 20 OCTOBRE 2015 élections régionales 2015 | 3

63 ans, explique qu’il veut lui aussi « normandi-ser » la campagne pour mettre son bilan à l’hon-neur. Parmi les réussites de son mandat, celui qui mènera la liste socialiste dans l’Orne cite les travaux de rétablissement du caractère mari-time du Mont-Saint-Michel, le développement des énergies marines renouvelables à Cher-bourg, ainsi que l’organisation du 70e anniver-saire du Débarquement et des Jeux équestres mondiaux, en 2014. Outre son bilan, M. Beau-vais pense que l’expérience des exécutifs régio-naux socialistes constitue « un vrai atout pour

mettre en application la fusion ». Pourtant, la ré-partition des pouvoirs entre Caen et Rouen, pasencore totalement définie, suscite la méfiance des Bas-Normands, qui suspectent M. Mayer-Rossignol de vouloir rapatrier le maximum de pouvoirs à Rouen.

Conscient d’avoir « le vent de face », le PS affi-che des objectifs modestes : arriver en deuxième position au soir du premier tour, derrière la droite et devant le FN. Le scénario rêvé ? Faire le plein en Seine-Maritime – en ti-rant profit de la capacité des réseaux Fabius à

La région Normandie se voit en championne des énergies marines renouvelables

Champs d’éoliennes et hydroliennes devraient voir le jour au large des côtesde la Manche d’ici à 2020. Mais ces projets ont aussi leurs détracteurs

rouen - correspondant

D’ici une décennie, la Nor-mandie visera le premierrang en France pour lesénergies marines renouve-

lables. Champs d’éoliennes et hydrolien-nes feront face aux centrales nucléairesqui jalonnent les côtes de la Manche.Une association qui convient au prag-matisme des Normands.

Dans la région, la campagne des régio-nales coïncide avec la clôture d’un débat public et l’ouverture d’enquêtes publi-ques sur les projets éoliens en mer. Lesenjeux sont énormes : l’implantation, autournant des années 2020, de trois parcscumulant une puissance de près de1 500 mégawatts (MW) au large de Cour-seulles-sur-Mer (Calvados), de Fécamp etde Dieppe-Le Tréport (Seine-Maritime).

Si la place de l’éolien terrestre restemodeste au regard du potentiel de la ré-gion, les côtes normandes sont trèscourtisées pour accueillir des projets éo-liens marins. Le premier remonte aux années 2000 quand l’allemand Enertrag projeta l’installation de 21 éoliennes pour une puissance de 105 MW au large de Veulettes-sur-Mer, non loin de Fé-camp. Non rentable, ce projet a été aban-donné. Mais devrait renaître sous la forme d’un parc expérimental de quatre

éoliennes, sous la conduite d’EDF Ener-gies nouvelles.

Plus au nord, à la frontière entre laHaute-Normandie et la Picardie, la Com-pagnie du Vent (filiale d’Engie, ex-GDF Suez) a, quant à elle, démarré un projet pharaonique de 141 éoliennes d’unepuissance supérieure à 700 MW en 2010.Engie en a hérité quatre ans plus tard, ens’emparant de la petite société montpel-liéraine, pour en faire un projet plus mo-deste à Dieppe-Le Tréport.

« La Normandie sera la première régionen France des énergies marines renouve-lables. Ce sont des milliers d’emplois di-rects et indirects non délocalisables, dansles usines mais aussi la maintenance, larecherche et la formation », répète enboucle Nicolas Mayer-Rossignol, prési-dent socialiste du conseil régional deHaute-Normandie et tête de liste aux élections des 6 et 13 décembre. En plus de l’installation en mer des champsd’éoliennes, les deux fournisseurs de turbines ont annoncé l’implantationd’usines, à Cherbourg pour Alstom et au Havre pour Areva.

Autour de ces promesses d’activité etd’emplois, le consensus politique est to-tal, au moment où les deux groupes in-dustriels français envoient des signauxinquiétants – rachat d’Alstom par Gene-ral Electric et déconfiture d’Areva – qui

pourraient remettre en cause ou retar-der le lancement des projets dans une ré-gion où des pôles anciens comme Cher-bourg ou Le Havre ont besoin d’un re-nouveau industriel. Ainsi, quand JérômePécresse, président d’Alstom RenawablePower est venu à Cherbourg, le 28 sep-tembre, pour confirmer son intention d’installer une usine de pales d’éolien-nes (500 emplois à la clé), Laurent Beau-vais, le président socialiste de Basse-Nor-mandie était aux côtés de Philippe Bas, sénateur et président (Les Républicains) du conseil départemental de la Manche,pour annoncer qu’ils étaient prêts à par-ticiper au financement de l’usine (8 mil-lions sur 40 millions d’euros).

En Haute-Normandie, M. Mayer-Rossi-gnol n’a pas eu de mal à s’installer dans lespas de son prédécesseur, Alain Le Vern,qui a voulu faire de l’énergie la nouvelle vitrine industrielle de la région grâce aux énergies marines renouvelables, en les conjuguant avec l’industrie pétrolière dela vallée de la Seine et l’industrie nucléairedes centrales de Paluel et Penly. En 2009, M. Le Vern avait fondé une filière régio-nale industrielle de l’énergie pour « accroî-tre la visibilité et la cohérence » du secteur. Les grands groupes présents dans la ré-gion, EDF, Total, ExxonMobil ou Engie se sont approprié cet outil, au grand dam desécologistes. Les entreprises locales espè-

rent ainsi participer au « grand carénage » des six réacteurs des centrales de Paluel etPenly, pour un investissement qui appro-chera les 6 milliards d’euros d’ici à 2022.

En Basse-Normandie, la région, le dépar-tement de la Manche et la communauté urbaine de Cherbourg ont créé, en 2012, Ouest Normandie Energies Marines, qui

regroupe 150 entreprises et une trentaine de laboratoires travaillant autant sur le dé-veloppement de l’éolien que sur celui de l’hydrolien. Les ressources inépuisables et prévisibles de la force des marées font en effet gamberger les chercheurs depuis desdécennies. Le raz Blanchard, à l’ouest de la presqu’île du Cotentin, est classé deuxième gisement mondial hydrolien

(5 gigawatts). Le groupe d’armement na-val DCNS doit installer à Cherbourg une usine d’hydroliennes d’ici à 2018.

Attendues avec impatience par les mi-lieux économiques et la grande majorité des élus, ces énergies ont aussi leurs dé-tracteurs. Ainsi, le projet du parc éolien deDieppe-Le Tréport est vigoureusement combattu par les marins-pêcheurs, qui re-doutent une atteinte à la ressource halieu-tique, et par les hôteliers, qui craignent la pollution des paysages marins. Ils sont soutenus très activement par le Front na-tional, qui conteste la viabilité de l’énergieéolienne sur l’ensemble de la façade mari-time. Les municipalités communistes de Dieppe et du Tréport s’affichent, quant à elles, aux côtés des pêcheurs pour deman-der un déplacement du parc vers des eauxmoins poissonneuses.

Reste, pour la Normandie, la question del’avenir de l’EPR à Flamanville (Manche), où le centre de production nucléaire d’EDF dispose déjà de deux réacteurs de 1 300 MW. Les aléas du chantier et son re-tard ont même conduit M. Mayer-Rossi-gnol à tirer le signal d’alarme : « Ça com-mence à coûter beaucoup d’argent », a-t-il confié récemment sur France Bleu. Un peu comme si le fleuron industriel fran-çais devenait une épine dans le pied de la Normandie de l’énergie. p

étienne banzet

Le projet du parc

éolien de Dieppe-

Le Tréport est

vigoureusement

combattu par

les marins-pêcheurs

mobiliser l’électorat traditionnel du PS – et pro-fiter de bons reports de voix des écologistes pour l’emporter de justesse au second tour faceà une droite et une extrême droite qui se neu-traliseraient. « La gauche peut sauver sa peau dans une triangulaire mortelle pour la droite, ré-sume Sébastien Lecornu, président LR du con-seil départemental de l’Eure. Le FN ne peut pas l’emporter, mais il peut nous mettre une flèche entre les deux yeux. » p

alexandre lemarié

(rouen, caen, envoyé spécial)

Anthony Saiter, 45 ans, pêcheur à Trouville (Calvados), ira sans doute voter. Pour lui, la réunification de la région ne change pas grand-chose pour les pêcheurs : la Haute-Normandie, dit-il, régit déjà tout.

JULIEN MIGNOT POUR « LE MONDE »

Le score du FN

dans le monde rural

déterminera

en grande partie

l’issue des régionales

des 6 et 13 décembre

Page 40: Monde 3 en 1 Du Mardi 20 Octobre 2015

4 | élections régionales 2015 MARDI 20 OCTOBRE 2015

0123

15

32

47

12

37

655

27

6

69

102

Basse-Normandie

Laurent Beauvais Nicolas Mayer-Rossignol

Haute-Normandie Si les deux conseils étaient réunisRépartition des sièges

par département

Gauche Droite Extrême droiteComposition des conseils régionaux actuels

25 km

41

2023

11

17

Seine

Manche

Serquigny

CALVADOS

ORNE

EURE

SEINE-MARITIME

MANCHE

vers Paris

vers Paris

vers Le Mans

Tourlaville

Alençon

Fécamp

Elbeuf

Cherbourg-Octeville

Vire

Bolbec

Equeurdreville-Hainneville

Ifs

Saint-Lô

Dieppe

Le Grand-Quevilly

Bayeux Hérouville-Saint-Clair

Yvetot

Caen

Mont-Saint-Aignan

Flers

Evreux

Barentin

Lisieux

Val-de-Reuil

Saint-Etienne-du-Rouvray

Vernon

Montivilliers

Bernay

Gisors

Argentan

FalaiseGranville

Le Havre

Louviers

Rouen

Notamment dans les zones où les chasseurs sontnombreux (vote Chasse pêche nature et tradition supérieur à 5 % en 2007)

Fermetures des usines Moulinex à Falaise,Argentan, Alençon ; flaconnage en crise dansla vallée de la Bresle

Cinq trains supprimés le week-end depuis 2013

Réduction de desserte préconisée*(entre 15 et 20 % selon les lignes)

Régionalisation de ligne préconisée*

Population communale,en milliers d’habitants

174

502010

Municipalité sans étiquette

La droite en position favorable

Le FN trouble le jeu Dans une région où une partiede la population se sent délaissée

Villes ancrées à gauche(au moins cinq mandats depuis 1977)

Municipalités communistes(au moins cinq mandats depuis 1977)

Autres villes tenues par la gauche

Cantons où le front de gauche est arrivé en têteau premier tour des départementales de 2015

Cantons où la gauche est arrivée en têteau premier tour des départementales de 2015

Villes de plus de 10 000 habitants ancrées à droite(au moins cinq mandats depuis 1977)

Cantons où la droite est arrivée en tête au premiertour des départementales de 2015

Cantons où le FN est arrivé en tête au premier tourdes départementales de 2015

Cantons où le FN était en position de se maintenirau 2e tour des départementales de 2015

Chef-lieu de régionRouen

Vieux faubourgs industriels, chasse gardéetraditionnelle de la gauche

Vote ancien aux marges de l’Ile-de-France : au premier tour de la présidentielle de 1995, le FNobtenait déjà, en moyenne, 20 % des su�ragesexprimés

Conseil général tenu depuis plus de vingt ans

Autre ville tenue par la droite

Villes conquises ou reconquises aux municipalesde 2014

Conseil général gagné en 2015

Une implantation solide

Un vote ancien qui se consolide

Des industries fragiles dans la vallée de la Seine

Des axes déclassés par les politiquesde transport

Des campagnes ouvrières en crise, fortementtouchées par le chômage

Des poches de résistance à gauche

Des conquêtes récentes et de nouveaux leaders

Fiefs de personnalités politiques de gauche1. Laurent Fabius 2. Bernard Cazeneuve

Fiefs de personnalités politiques1. Hervé Morin (54 ans)2. Bruno Le Maire (46 ans)3. Edouard Philippe (44 ans) 4. Sébastien Lecornu (29 ans)

Ra�inerie (2 130 employés environ)

Ra�inerie fermée en avril 2013 (550 employés)

Usine de construction automobile (5 635 employés)

* Par la commission Duron sur les trains d’équilibre du territoire (mai 2015)

Sur les terres de droite en zone rurale

Sur les terres de gauche plus urbaines

2

1

2

13

4

Marais

du Cotentin

BASSE-NORMANDIE

HAUTE-NORMANDIE

Ancienne limite

de régions

Vallée

de la Bresle

PROFIL SOCIO-ÉCONOMIQUE

POPULATIONen millions d’habitants(et poids de la région,en %)

PIB EN VALEURen milliards d’euroset poids de la région,en %

Ile-de-FranceCorse11,93,30,3

(5,2 %)

Ile-de-FranceCorse612,386,28,2 (4,3 %)

NORMANDIE FRANCE MÉTROPOLITAINE

PIB PAR HABITANTen euros

TAUX DE PAUVRETÉen % de la population

TAUX DE CHÔMAGEen % de la populationactive au 4e trim. 2014

Ile-de-FranceNord-Pas-de-Calais-Picardie

52 29827 19625 380

Nord-Pas-de-Calais-Picardie

12,58,8

Corse19,211,5

Bretagne

REVENU FISCAL MÉDIANen euros

NOMBRE DE MÉDECINSpour 100 000 habitants

PART DES MÉNAGESPROPRIÉTAIRES en %

Ile-de-FranceNord-Pas-de-Calais-Picardie

Ile-de-France

22 24318 548

10,2

13,8

17 300

BretagneIle-de-France66,45847,5

PACACentre409281266

PART DES NON-DIPLÔMÉS, en % de la populationde plus de 15 ansnon scolarisée CorseBretagne

22,42012,5

CARTE RÉALISÉE AVEC LE CONCOURS DE MICHEL BUSSI,PROFESSEUR DE GÉOGRAPHIE À L’UNIVERSITÉ DE ROUEN

INFOGRAPHIE : EUGÉNIE DUMAS, ÉRIC BÉZIAT

SOURCES : MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR ; INSEE ;« NOUVELLE GÉOPOLITIQUE DES RÉGIONS FRANÇAISES »

SOUS LA DIRECTION DE BÉATRICE GIBLIN ;SOCIÉTÉS (RENAULT, TOTAL...) ; COMMISSION DURON ; LE MONDE

Cinq départements ancrés à droite