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Mourret. Histoire générale de l'Église. 1921. Volume 1

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    WthM^n^

    ^mm^/iS'K^ 1^^'P*^^' 'r-H-^s/ *^":f? o i t--. . ^ . i sur la ^ ^' manifeste a Saul comme un Ltre toujours vivant, et, pour lui

    thologie reprocher de perscuter son Eglise, il lui a dit : Saul, pourquoime perscutes-tu ? Ces deux ides, du Christ toujours vivant et duChrist s'identifiant avec son Eglise, resteront comme deux idesmatresses dans l'enseignement de l'aptre, et, par lui, elles se trans-mettront dans l'enseignement de l'Eglise entire ^.

    IXTandis que ces vnements se passaient Damas, les autorits

    hirosolymites ne cessaient de mditer de nouvelles mesures contreles disciples de Jsus.

    Le procurateur Jusque-l, les princes des prtres avaient toujours recul devantune excution capitale *. On peut croire que la crainte du peupleomainPonce Pilate.

    I. Arguer des diffrences qui se trouvent dans les trois relations {Act., ix,l-aa ; iiii, i-ai ; xxvi, g-ao) pour nier le caractre historique du rcit, nousparait un procd violent et arbitraire. Russirait-on parfaitement les concilier oumme n'existeraient-elles pas du tout, ceux qui ne veulent point admettre lemiracle ne repousseraient pas avec moins de dcision le tmoignage du livre desActes...; leur ngation tient une conception philosophique, liont la discussion nerentre pas dans le cadre des recherches historiques. Ainsi s'exprime le protestantAuguste Sabatier, l'Aptre Paul, p. ii3-A3. Cf. ibid., p. Sg-Sa

    a. C'est un fait notoire que la thologie d'.\uguilin, et par Augustin celle desaint Thomas, et par saint Thomas toute la scotastique, drivent en droite ligne dela doctrine de Paul. F. Prat, la Thologie de saint Paul, t. I, p 17.

    3. F. Prat, op. cit. p. 5o-6a.4. Le meurtre d'Etienne avait t cens la consquence d'une meute spontane.

    Il Dc fut ni approuv officiellement ni poursuivi par les autorits juives et romaines.

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    LA PREMIERE EXPANSION 6iavait t pour beaucoup dans ces hsitations. Il parat aussi que leprocurateur Ponce Pilate, depuis la concession lamentable qu'on luiavait arrache au sujet de Jsus-Christ, se montrait peu dispos enfaire de nouvelles aux autorits religieuses de Jrusalem. Mais lesvnements qui survinrent au cours des annes 36 et 87 permirentaux ennemis du nom chrtien de pousser plus loin leur audace.

    Sur l'indication d'un imposteur, qui prtendait connatre etindiquer l'endroit o Mose avait enfoui des vases prcieux, des Sama-ritains s'taient assembls en grand nombre sur le mont Garizim.Pilate vit dans ce rassemblement, quelque peu tumultueux, un com-mencement de rvolte, et fit impitoyablement massacrer ces malheu-reux. Il semble bien que le procurateur romain, cdant aux impul-sions de son temprament inquiet et sombre, ait dpass, dans cettecirconstance, la mesure d'une juste rpression. Les princes desprtres, qui le dtestaient cause du peu de bonne volont qu'ilsrencontraient en lui pour servir leurs rancunes, profilrent de cetteoccasion pour le dnoncer au lgat de Syrie, Vitellius. Lucius Vitel-lius, dont le fils devait occuper, sous le mme nom, le trne imp-rial, apparat dans l'histoire comme le type d'un vulgaire ambitieux.Pour le moment, il cherchait gagner par tous les moyens lafaveur des populations qu'il administrait. L'historien Josphe racontequ'une de ses premires mesures fut de faire rendre aux Juifs lesvtements pontificaux qui, depuis Hrode le Grand, taient gardsdans la tour Antonia^. Le lgat imprial accueillit avec empresse-ment les rclamations des autorits juives, et manda Pilate Rome.Celui-ci y reut notification de son exil Vienne, dans les Gaules.S'il faut en croire Eusbe, le procurateur dchu y termina par lesuicide son existence, qui, depuis la scne du prtoire, avait ttrangement tourmente -. Sur ces entrefaites, la mort de Tibre,le 16 mars de l'an 87, et son remplacement par Caligula, ne firentqu'encourager les projets criminels des Juifs. La politique du nouvelempereur, avant que la folie n'et altr ses facults, fut de rendreaux peuples d'Orient leur autonomie et leurs chefs indignes 3. Onsavait aussi qu'il avait eu pour ami et pour compagnon de dbauchesAgrippa, frre d'Hrodiade. ViteUius installa, la place de Pilate,

    Il est dnoncau lgat

    de Syrie etexil par

    Tibre (36).

    Avnementde

    Caligxila (37).Sa politique.

    1. Josphe, Ant., 1. XV, ch. 11, n. 4 ; 1. XVIII, ch. iv, n. a.a. Eusbe, Hist. eccls., 1. II, ch. vu, dit. Grapin, t. I, p. i45. Cf. le motPilaU dans le Dict. de la Bible, t. V, col 433.3. Josphe, AiU., 1, XVIII, ch. v, n. 3 ; Sutonk, Caius, 16.

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    62 HISTOIRE GNRALE DE l'GLISE

    Il restaure la

    royaut juiveen la personue

    il'llrodeAgrippa (38).

    Martyrede Jacquesle Majeur(vers 43)-

    Arrestationde Pierre (4a).

    son ami Marcellus, tout acquis sa politique. La situation futsurtout menaante pour les chrtiens quand la faveur impriale eutrestaur la royaut Jrusalem en la personne d'Hrode Agripjja I"'.Le petit-fils d'Hrode le Grand s'appliqua d'abord, grce la pro-tection deCaligula, reconstituer territorialement le royaume de sonaeul. L'attitude rampante qu'il eut l'gard de l'empereur Claudeacheva sa fortune. Sa politique l'gard de ses sujets Isralites nefut pas moins honteuse. On vit ce vil dbauch, pour gagner l'estimedes prtres, s'astreindre hypocritement toutes les moindres pres-criptions de la loi de Mose ; et, pour capter la faveur populaire,faire remise aux habitants de Jrusalem du tribut que chaque foyerdevait au roi *. D'un tel monarque, les chrtiens ne pouvaientattendre qu'une recrudescence de perscution.

    La perscution cette fois s'abattit sur la tte d'un aptre. Agrippas'imagina-t-il que Jacques, le fils de Zbde, tait la tte de lacommunaut chrtienne ? Il est vraisemblable que ce fils du ton-nerre tait un des plus ardents prdicateurs de la nouvelle foi. Leroi de Jude le fit mettre mort dans des circonstances dont le dtailne nous a pas t rapport. Nous savons seulement qu'il fut, nonpas lapid, suivant la loi juive, mais dcapit, suivant l'usageromain *, Sa mre avait unjour demand qu'il et une place de choixdans le royaume messianique ; son martyre fut la rponse duMatre : Jacques, fils de Zbde, fut le premier des aptres quiversa son sang pour Jsus-Christ ^.

    Les rancunes des Juifs et la haine d'Agrippa visaient plus haut.Au milieu des ftes de Pques de l'an 42 *, la nombreuse foule deshirosolymites pieux et des plerins trangers venus Jrusalempour clbrer la grande solennit juive, apprit tout coup quePierre, le chef des Douze, venait d'tre mis en tat d'arrestation.Agrippa avait calcul les circonstances de cet habile coup de main,par lequel il faisait parade devant tous de son zle pour la religionde ses sujets, tandis qu'il satisfaisait ses haines personnelles.

    1, JosPHE, Ant., XXX, VI, 3.a. Abdi\s, Hist. des aptres, dit : Cervicem spiculatori porrexit. 3. Sur saint Jacques, lils de Zbde, appel communment Jacques le Majeur,

    voir Ermom, les Eglises de Palestine aux deux premiers sicles, dans la Rcv. d hist.eccU's., ae anne, i8 janvier 1901, p. 16, et le mot Saint Jacques le Majeur, dans loDict. de la Bible.

    4. Voir les raisons qui portent adopter cette date, dans Fou.vrd Saint Pierre,p. 537-580,

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    LA PREMIERE EXPANSION 63Le jugement solennel, et l'excution qui s'ensuivrait, furent remis

    quelques jours plus tard. L'astucieux monarque prparait sansdoute quelque nouvel effet thtral, capable d'impressionner lesfoules. Pendant ce temps, nous dit saint Luc, l'Eglise entires'tant mise en prire, ne cessait d'implorer Dieu pour son chef* .Etroitement surveill par quatre escouades, qui se relevaient defaction chacune des quatre veilles de la nuit, li par des chanesaux soldats qui le gardaient, Pierre attendait, plein d'abandon Dieu, l'heure de la dlivrance ou l'heure du martyre, quand soudainune lumire clatante remplit la prison. Pierre entend une voix : Lve-toi promptement. Les chanes tombent de ses mains. Unange est l devant lui sous une forme humaine. Pierre se demandes'il n'est pas le jouet d'une hallucination. Mais l'ange l'a pri de lesuivre, et, marchant devant lui, l'a conduit jusqu' la porte de ferde la prison, qui s'ouvre d'elle-mme. L'aptre est libre ! Il se dirigeaussitt vers une maison amie, o les fidles se runissaient d'ordi-naire pour la prire commune : la maison de Marie, mre de Jean-Marc, et il raconte la famille, stupfaite de le voir, le miracle desa dlivrance. Puis il ajoute : Allez porter cette nouvelle Jacqueset aux frres ^.

    Jacques, dont il est ici question, n'tait autre que l'vque deJrusalem. D'aprs des rcits qui paraissent trs anciens, le fils deClophas et de Marie aurait t prpos au gouvernement de lamtropole juive en [\2, lorsque les aptres se dispersrent pour pr-cher au loin l'Evangile 3. H fut le premier vque de la ville sainte *.Sa pit ardente, sa fidlit aux anciennes prescriptions de la loi, seslongues prires dans le temple et son esprit de justice, l'avaientrendu vnrable aux Juifs comme aux chrtiens. Le peuple l'avaitsurnomm le Juste et le Rempart de la nation ^ . L'aptrePaul lui parlait un jour, avec joie, de tout ce que Dieu avait faitpour les Gentils ; Jacques lui rpondit, avec une fiert nationale nondissimule : Tu vois, frre, combien de milliers de Juifs ont cru,

    Samiraculeusedlivrance.

    Jacquesle Mineur

    institu j)re^mier vquede Jrusalem

    (42).

    1. Ad., m, 5.a. Acl., m, i-ig.3. EusBE, Hisl. eccls., 1. V, ch. xviii, n, i4, rapporte que les aptres restrentdouze ans Jrusalem aprs l'Ascension. Clment d'Alexandrie, Strom., VI, constate

    la mme tradition. On place gnralement l'Ascension, dans la chronologie rectifie,en l'an 3o.4 EusBE. Hist. eccls., 1. II, ch. i et xiiii ; 1. II, ch. v ; 1. IV, ch. v; 1. VII,

    ch. iix Cf. S. Jrme, De viris illustribus, P. L. t. XXIII, col. 609.5. EusBE, Hist. eccls., II, aS.

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    64 HISTOIRE GNRALE DE l'GLISEet tous sont zls pour la Loi ^. Mais Jacques tait un tmoin duRessuscit , c'en tait assez pour le rendre insupportable la sectesadduccnne. Un farouche sadducen, Anne le jeune, fils du grandprtre Anne, qui avait contribu plus que tout autre la mort deJsus, devait, sous le rgne d'Agrippa II, assouvir la haine ances-trale en faisant mettre mort, en l'an 62, le saint vque de Jrusa-lem, Jacques le Mineur.

    I>es preuvesinl('-rieures

    de TEglise deJrusalem.

    Juifsde Palestine

    et Juifshellnistes.

    L'pisoded'Ananie etde Saphire.

    M Ne VOUS troublez pas, avait dit le Matre, quand on vous traneradevant les tribunaux et les synagogues - ; mais il avait aussi prditque l'Ennemi smerait l'ivraie dans le champ du pre de famille,et que, du milieu du peuple, de faux prophtes surgiraient ^. Lesschismes et les hrsies ne devaient pas plus tre pargns l'Egliseque les perscutions. La communaut naissante de Jrusalem connutles uns comme les autres.

    Ds la premire heure, deux courants s'taient dessins parmi lesdisciples du Christ : celui des Juifs de Palestine et celui des Juifshellnistes. On appelait de ce nom les Juifs qui, pendant la priodede la dispersion, avaient adopt la langue et, en partie, les coutumeshellniques *. L'institution du diaconat fut dcide la suite derclamations des hellnistes, se plaignant de ce que leurs veuvestaient ngliges dans le service des tables^ . La sourde opposi-tion des deux partis devait rester comme une source permanente deconflits dans la communaut.

    Des difficults plus graves lui vinrent du fait de son organisationconomique. Nous savons dj que, par un mouvement naturel decharit, la plupart des premiers fidles avaient vendu de leurs bienstout ce qu'ils pouvaient et en avaient vers le prix dans le trsor dela communaut. Au temps du Matre, les aptres n'avaient-ils pas eubourse commune ? On essayait simplement de continuer, dans uncercle plus agrandi, cette primitive tradition. Le christianisme s'tait

    I Acl., XII, ao.a. Marc, xni, 9-1 13. Matth., xm, a5 ; Mare, xm, aa.4. F. PaAT, au mol Hellnistes, dans le Dict. de la Bible, t III, col. 576.5. Acl., VI. I.

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    LA PREMIERE EXPA^iSION 65surtout propag parmi les pauvres ; la mise en commun des bienstait le moyen le plus dlicat qu'eussent les riches de venir en aide leurs frres dslirils de la fortune ^. Or un homme nommAnanie, avec Saphire sa femme, vendit un champ et retint unepartie du prix, avec le consentement de sa femme ; puis il apportale reste et le dposa aux pieds des aptres. Pierre lui dit : Ananie,pourquoi Satan a-t-il rempli ton cur, au point que tu mentes auSaint-Esprit ? Si ton champ n'et pas t vendu, ne te restait-il pas ?Et aprs qu'il a t vendu, le prix n'tait-il pas ta disposition ?...Ce n'est pas des hommes que tu as menti, mais Dieu. Ananie,en entendant ces paroles, tomba et expira... Trois heures plus tard,sa femme entra : Comment, lui dit Pierre, vous tes-vous entenduspour tromper l'Esprit du Seigneur ? Entends-tu les pas de ceux quiviennent d'ensevelir ton mari ? Ils t'emporteront ton tour. Aumme instant, Saphire s'affaissa et mourut... Et une grande craintesaisit tous ceux qui apprirent ces choses 2. Par ce terrible exemple,Dieu montrait aux fidles de l'Eglise naissante qu'on ne trompe pasimpunment ses ministres, et que rien n'est plus indigne d'un chr-tien que d'essayer de se soustraire un devoir, et mme un con-seil, par une dloyaut.Des faits pareils ne devaient jamais se renouveler ; le rgimeconomique de l'Eglise primitive allait bientt disparatre, renduimpossible par le fait mme de son dveloppement ; mais une source

    Terriblechtimentinflig parsaint Pierre.

    I. On voit, dit Renan, la ressemblance surprenante de tels essais d'organisationsdu proltariat avec certaines utopies qui se sont produites une poque peu loignede nous. Renan, les Aptres, p. 113. Mais qui ne voit, au contraire, entre cettevie commune des premiers chrtiens et l'organisation rve par le communisme,des diffrences profondes? Ici et l, sans doute, la rpartition est faite en proportiondes besoins de chacun, non de son apport ; mais chez les chrtiens, l'oblation estspontane : nulle espce de contrainte ; les paroles de Pierre Ananie ne laissentaucun doute ce sujet. Nulle mention, du reste, n'est faite du produit du travail.Restait-il la proprit du travailleur ou entrait-il dans l'apport social ? Le texte estmuet. Au surplus, entre Tme communiste, tout entire proccupe de la rpartitiondes biens terrestres, et l'me chrtienne, dont la pense est dans le ciel, tout rap-prochement est factice. Quant traiter d'utopie cette organisation primitive, et dire que l'Eglise s'est empresse de l'abandonner, ds qu'elle en a vu la chimre,l'erreur ne serait pas moindre. En ralit, l'Eglise n'a jamais abandonn cet idal;il tient au fond de son esprit. Et Renan, un peu plus loin, est bien forc de l'avouer : Quand des pays entiers se firent chrtiens, la rgle de la premire Eglise serfugia dans les monastres. La vie monastique n'est, en un sens, que la conti-nuation de cette Eglise primitive. Le couvent est la consquence de l'esprit chr-tien ; il n'y a pas de christianisme parfait sans couvent, puisque l'idal vangliquene peut se raliser que l. Ibid., p. 128.

    3. Act., V, l-II.Hist. gn. de l'Ei^llse. I 5

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    66 HISTOIRE GnRALE DE l'GLISEde conflits plus durables allait surgir bientt, propos de l'intro-duction des paens dans l'Eglise.

    XIL'vangli-

    saliondes paens.

    Voyagesapostoliquesde Pierre.

    Le problmede l'initiationdes Gentils la foichrtienne.

    Le Sauveur, parlant ses disciples des signes avant-coureurs de laruine de Jrusalem, leur avait dit : Il faut qu'auparavant l'Evan-gile soit prch dans toutes les nations *. Les aptres profitrentde toutes les circonstances qui s'ofTrirent eux pour faire avancerl'uvre de la prdication vanglique.

    Pierre rsidait habituellement Jrusalem ; mais sa charge dechef de l'Eglise l'obligeait visiter les chrtients fondes en diverslieux -. Les rgions vanglises par le diacre Philippe furent lespremires o il jugea opportun de se transporter, pour y consolideret y tendre l'uvre si heureusement commence. Dieu bnissaitson apostolat par de nombreux miracles. A Lydda, vers le sud dela riche plaine de Saron, il rencontra un homme, du nom d'Eue,qui tait paralytique. Lve-toi, lui dit l'aptre, et dispose ton lit. nLe paralytique se leva. Et tous ceux qui habitaient Lydda et Saronle virent et se convertirent au Seigneur ^ A Jopp*, port de merimportant et qui parat avoir t un centre pour le christianisme, ilressuscita une veuve, Tabitha, femme admirable qui donnait tousses soins aux pauvres et parat avoir consacr sa fortune aux besoinsde l'Eglise naissante ^.

    Dans ces villes trs mles, le problme de l'admission des paensdans le sein de l'Eglise se posait avec des difl^cults que l'aptre nese dissimulait point. La question n'tait pas de dcider si les infidlesdevaient entrer dans le royaume de Dieu ; le Matre l'avait nette-ment rsolue dans le sens de l'affirmative ; mais quelles conditionsdevaient-ils y tre admis ? Etait-il ncessaire de devenir juif pourdevenir chrtien ? Fallait-il passer par le judasme pour arriver l'Evangile ? Tel tait le point du dbat. Les Juifs de Jrusalem, lesHbreux, comme ils s'appelaient, tendaient visiblement rsoudre

    I. Mahc, XIII, 10.a. Act., n, 32.3. Act., IX, 32-35.4. Aujourd'hui JalTa.5. Acl., IX, 35-/ja.

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    LA PREMIERE EXPANSION 67la question par raffirmative ; mais les Juifs hellnistes, les Grecs,penchaient pour la ngative. Peu peu, les opinions s'affirmrentd'une manire de plus en plus tranche. Il ne faut pas s'tonner sila bataille fut longue et acharne. Le christianisme et le judasmesemblaient combattre pour leur existence. Si les paens entrentdirectement dans l'Eglise (disaient les Hbreux), s'ils y obtiennent,par leur foi seule, le mme rang et les mmes privilges que lesJuifs eux-mmes, que deviennent les droits d'Isral ? Quel avantagea le peuple lu sur les autres nations ? N'est-ce pas la ngation laplus radicale de la valeur absolue du judasme ? D'un autre ct,si la circoncision est impose aux paens convertis, disaient lesGrecs, la foi au Christ n'est-elle pas dclare, par cela mme,insuffisante pour le salut ? L'Evangile est-il autre chose qu'un l-ment du mosasme ? N'est-ce point la ngation de la valeur absoluede l'oeuvre de Jsus-Christ ^ ?

    Pierre tait fortement proccup de ce problme, quand une visioncleste vint lui apporter la lumire. Un jour qu'il priait Jopp,sur la terrasse de la maison d'un tanneur qu'il avait choisie pour sarsidence, ayant devant lui cette mer par laquelle l'Evangile devaitse rpandre dans le monde paen, il eut une extase prophtique. Leciel s'ouvrit ses yeux, et une sorte de grande nappe parut endescendre. Elle tait noue aux quatre coins et suspendue au firma-ment par des liens invisibles. Or, il lui fut donn de regarder danscette nappe, et il y vit toutes sortes de quadrupdes, de reptiles etd'oiseaux. Et il entendit une voix qui lui dit : Pierre, lve-toiet mange. Je n'aurai garde, Seigneur, rpondit Pierre, car je n'airien mang de profane ni d'impur. On sait que d'aprs la loimosaque certains animaux taient taxs d'impurs, et qu'on ne pou-vait en manger sans devenir impur soi-mme. Le mlange des ani-maux purs et impurs dans la grande toile en faisait un ensemble im-pur. La voix reprit : Ce que Dieu a purifi, tu ne peux le tenirpour impur. La chose se rpta par trois fois, puis la toile fut ra-mene dans le ciel.

    Pierre se demandait quel tait le sens de cette vision, quand troishommes se prsentrent lui et lui annoncrent qu'un centurionromain nomm Corneille, homme juste et craignant Dieu, et auqueltoute la nation juive rendait un bon tmoignage, avait t averti

    La vBon deJopp(vers 4o).

    Sensde cette vision.

    I. A. Sabatier, l'Aptre Paul, p. ii6-iig.

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    68 HISTOIRE GU.NBRALB DE L EGLISE

    Baptmedu centurionCorneille.

    Pierreexplique saconduiteaux Juifs deJrusalem.

    Mcontente-mentde plusieurs.

    Enthousiasmedes autres.

    par un ange de venir le trouver en sa maison et d'couter sesparoles.

    Les yeux de Pierre s'ouvrirent. Il vit le dessein de Dieu : lesobservances lgales abolies ou du moins frappes de mort par lesacrifice du Christ ; la Loi ancienne s'vanouissant peu peu devantla Loi nouvelle ; et, comme consquence immdiate, la genlilitentrant dans l'Eglise par le seul baptme, sans passer par la circon-cision.

    Pierre alla trouver le centurion et l'instruisit des principales vritsde la foi. Il se disposait lui confrer le baptme, ainsi qu' tousceux de sa maison, quand le Saint-Esprit, devanant cette fois le ritede l'initiation chrtienne, descendit sur les catchumnes. Les grcesmystiques de la prophtie et du don des langues (glossolalie) serenouvelrent tout coup en ces mes encore paennes Dieu lui-mme venait de les purifier d'une manire manifeste. Aucune hsita-tion n'tait plus possible. Peut-on refuser l'eau, s'cria Pierre, ceux qui viennent de recevoir le Saint-Esprit aussi bien que nous? Et il versa l'eau du baptme sur le front du paen Corneille, etbaptisa pareillement tous ceux de sa maison *,La nouvelle de cet vnement parvint bientt en Jude et ycausa un grand moi. Quand Pierre fut de retour Jrusalem, leshommes de la circoncision , comme parle l'Ecriture, lui firent de

    grands reproches. Pourquoi es-tu entr chez des incirconcis, luidirent-ils ? Pourquoi as-tu mang avec eux ? L'aptre tint tte l'orage. Il raconta le dtail de tout ce qui s'tait fait : la vision sur laterrasse, l'apparition de l'ange au centurion romain, la descente duSaint-Esprit sur la maison du centurion non encore baptis. Cesimple et ferme expos calma les murmures. Pierre conclut : Dumoment que Dieu faisait aux Gentils le mme don qu' nous, quiavons cru au Seigneur Jsus-Christ, qui tais-je, moi, pour l'in-terdire Dieu 2 ?

    Les mcontents se turent. Mais ceux de la circoncision devaient bientt renouveler leurs plaintes, rcriminer avec clat etfaire le premier schisme dans l'Eglise naissante.

    D'autre part, ceux qu'un zle ardent pour la diffusion de l'Evan-gile poussait vers des terres nouvelles, ceux qui, au souvenir des

    I. Ad'., X, 1-48.a. Act., XI, 17.

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    LA PREMIRE EXPANSION 69

    paroles du Sauveur, se sentaient brler du dsir d'annoncer l'Evan-gile toute crature , furent saisis d'un nouvel enthousiasme, envoyant les horizons qui s'ouvraient devant eux. Sur la cte phni-cienne, Tyr, Sidon, Brite, Byblos, les missionnaires del'Evangile, aprs avoir prch dans les synagogues, avaient rencon-tr des paens travaills par l'inquitude religieuse, le dsir d'unepurification et le tourment de la vrit. Il en avait t de mme dansl'le de Chypre, o les Juifs s'taient tablis en grand nombre autemps des Macchabes *. Mais il tait une ville o le monde juif setrouvait plus ml encore au monde paen : c'tait la capitale de laSyrie, Antioche.Au moment de la dispersion qui suivit le martyre d'Etienne, des L'Evangile

    aptres et des disciples s'y taient rfuj^is et y avaient prch dans *'' P""!^^*^ ^^^j. L j o j L paensles synagogues la bonne nouvelle *. Peu de temps aprs, des chr- d'Antioche.tiens venus de Chypre et de Cyrne, plus familiers avec le milieu dela gentilit, y avaient annonc l'Evangile aux paens eux-mmes ^.En apprenant que Pierre avait baptis un centurion romain, ilsredoublrent de zle. C'est dans la troisime ville du monde *, dansla mtropole de l'Orient , que l'EgUse allait, pour la premirefois, prendre un large contact avec le monde grco-romain.

    1. I Macch., XV, 23.2. Act., XI, 19.3 Acl.. XI, 20-21. On ne sait pas le nom de ces premiers aptres. On conjec-

    ture que Lucius, dit le Cyrnen, Manahen, frre de lait d'Hrode Antipas, et Simonle Noir, dont il est question Act., xiii, i, furent les principaux d'entre eux.Saint Luc note qu'un des sept premiers diacres, Nicolas, tait d'Antioche, Act.,IV, 5.

    4. Rome et Alexandrie taient les deux premires. Voir Josphe, Guerres des Juifs,1. III, ch. II, n. 4. Cf. Strabos, 1. XVI, ch. 11, n. 5.

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    CHAPITRE III

    ANTIOCUE.LE PREMIER CONTACT DE l'GLISE NAISSANTE AVEC LE MONDE GRCO-

    ROUAIN (40-62).

    I

    La villed'Antiocheaux tempsapostoliques.

    Sonpaganismesensuel

    La ville d'Antioche, rsidence du lgat imprial de Syrie, pouvaitcompter, vers le milieu du 1*' sicle, un demi-million d'habitants.Btie par Sleucus, sur les bords de l'Oronte, dans un site superbe,elle avait t d'abord la capitale des rois Sleucides. Ceux-ci l'avaientembellie avec ce got de dcoration thtrale qu'ils portaient dansla construction de leurs grandes cits. La domination romainen'avait fait qu'ajouter sa magnificence. Les ruines grandiosesqu'il est encore aujourd'hui donn au voyageur de contempler *,font imaginer ce que pouvait tre, par exemple, ce grand Corso,pav de marbre et de pierres blanches, bord d'htels somptueux,de monuments publics et de palais royaux, qui traversait la villedans toute sa longueur. Tout, dans Antioche, l'opulence de seshabitants, enrichis par le commerce, le luxe de ses constructions,la beaut molle du paysage qui l'encadrait, favorisait le dveloppe-ment d'un paganisme sensuel. Le culte d'Apollon et des nymphes ydroulait ses longs cortges. A huit kilomtres au couchant de laville, les thories sacres allaient travers des bois de lauriers et demyrtes, par des chemins bords de rosiers et de jasmins, vnrerdans son temple la statue colossale d'Apollon de Daphn, clbredans le monde entier *. C'est l que Julien l'Apostat essaiera plustard, mais vainement, de ressusciter le paganisme frapp mort.

    I. Cf. OTTPniBD MLLBH, AntiquUates ontiochenx , Gltingue. 1889.a. Cf. II Match.. IV, 33.

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    LA PREMIERE EXPANSION 71

    mle.

    Dans un quartier retir de la ville, un groupe d'Isralites, attirs.jadis par les Sleucides, qui avaient cherch par l faire checaux Ptolmes ^, pratiquaient dans toute sa puret le culte du vraiDieu. Plusieurs historiens croient mme que la ville d'Anlioche futle thtre du martyre du saint vieillard Elazar, des sept frres Mac-chabes et de leur hroque mre ^.

    Avec le temps, entre ces vrais adorateurs de Jhovah et la foule Sa populationdes idoltres, s'tait forme peu peu une masse indcise et m-le : juifs hellnisants, plus ou moins imbus de murs paennes ;paens craignant Dieu , attirs par la grandeur du monothismeIsralite et l'espoir du Messie Rdempteur. C'est en passant parces groupes intermdiaires que la propagande religieuse avait finipar atteindre les purs paens, ceux que saint Luc appelle lesGrecs ^.

    L'annaliste ajoute que la main du Seigneur fut avec les mis-sionnaires et qu'un grand nombre de personnes se convertirent auSeigneur * Le bruit en parvint bientt l'Eglise de Jrusalem, qui, par la

    vision de Jopp et les circonstances qui avaient accompagn le bap-tme de Corneille, tait prpare comprendre et accepter cetteextension de l'apostolat. Les frres de Jrusalem envoyrentdonc l'un d'entre eux, Barnabe, Antioche, pour s'informer de lasituation.

    Le lvite Joseph, surnomm Barnabe (Bar Nbh, le prdicateurou le consolateur) soit cause de son zle prcher la parole deDieu, soit cause de ses qualits d'amabilit et de serviabilit, quile rendaient sympathique tous, tait dj un personnage marquantdans l'assemble des fidles. Le livre des Actes nous apprend que,ds la premire heure, il vendit un champ et en remit le prix auxaptres pour venir en aide la jeune communaut s. Quand Saulconverti, mais encore suspect aux chrtiens, arriva Jrusalem ^,c'est Barnabe qui le prsenta l'assemble. Originaire de Chypre,

    Le quartierjuif

    AntiocLe.

    Barnabe.

    I. Le Camus, au mot Anlioche,da.nsle Dict. de la Bible, t. I, col. 681.a. S.Jrme, Liber de situ et nom. loc, P. L., xxiii, col. 911; S. Augustim,Serm., I de Maccli., P. L., ixviii, col. 1379.3. Act., XI, 20.4. Act., XI, 31.5. Act., IV, 37. Ce champ devait tre Jrusalem. Barnabe avait, en effet, Jrusalem une sur, tout au moins une proche parente, Marie, mre de Jean Marc,

    Col., IV, 10 Cf. Act., XII, la.6. Act., IX, 37.

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    HISTOIRE GNRALE DE l'OF.ISE

    n est envoy Antioche

    par l'Eglise deJrusalem.11 V amne

    Saiil de(ve

    Sanl Je Tarsedepuis sa

    conversion.

    voisine de Tarse, peut-tre y avait-il autrefois connu Saul et pou-vait il, ce titre, mieux que personne, garantir la sincrit de cettenature loyale, tout d'une pice et incapable de mentir. larnabntait pas seulement un homme bon, plein de foi et du Saint-Esprit * , comme le qualifie saint Luc ; d'une liante stature, d'unport majestueux qui, Lystres, le feront prendre pour Jupiter lui-mme, il tait capable, plus que tout autre, d'imposer au peuple parl'autorit de sa personne ^. Aucun choix ne pouvait donc tre plusheureux. Nul n'tait plus mme de comprendre la nouvelle cam-pagne apostolique, dans laquelle ses compatriotes, quelques cy-priotes pleins de zle, avaient si efficacement travaill.

    Barnabe vint Antioche. Non seulement il approuva le mouve-ment universaliste qui s'y dessinait, mais il se proposa de l'accentueren y multipliant les ouvriers vangliques. Sa pense se porta surson grand ami, Saul, dont il connaissait l'me aidente, l'esprit ouvert

    Tarse toutcs les grandes entreprises, et tout particulirement le zle pour* la conversion des Gentils. Il se rendit donc Tarse et bientt aprs

    en ramena Saul.Le nouveau missionnaire d'Antioche va dsormais occuper le pre-

    mier rang, sinon dans la hirarchie, dont Pierre reste le chef incon-test, au moins dans l'uvre de l'vanglisation. Son histoire va seconfondre presque avec l'histoire de la propagation du christianisme.

    Saul de Tarse est alors dans toute la force de l'ge mr. Ilcompte un peu plus de quarante ans. Sa personne n'est point decelles qui imposent au premier abord. Chtif d'apparence, pleine-ment conscient de ses dfectuosits extrieures ^, Saul tremble ; il

    I. Acl., XIV, 11-18.3. Saint Luc semblerait dire que Barnabe fut un des premiers convertis des

    aptres, Act., iv, 87; Eusbe {H. E., l. I, ch. xn) et Glnaent d'Alexandrie {Strom.,1. II, ch. xx\ affirment qu'il fut un des soixante-douze disciples. L'Eglise lui donne,comme saint Paul, le nom d'aptre.

    3. 11 en convient dans ses ptres, avec une franchise touchante. (I Cor., 11, 3;II Cor., X, i-io. Cf. Act., XIV, la). Les actes de Paul et de Thcle au iv* sicle etla Chronique de Malutas au vie, ont renforc [ilaisir les traits sombres de ce portrait.Ils ont reprsent saint Paul de petite taille, chauve, corpulent, les jambes courtes,les sourcils joints ensemble, le nez saillant Ces dtails rapports par des ennemisde saint Paul sont mchamment exagrs. L'aptre parait avoir beaucoup soulTertd'une inflammation priodique des yeux. C'est ce qui semble ressortir, au jugementdes meilleurs exgtes, de [>lusieurs passages de ses ptres [Gai., iv, i5; vi, 1 i ;Aft., XXII, a-5 ; I Thess., m, i ; II Tim., iv, 16, etc.). Cette pnible maladie, ol'aptre voyait l'ajniction de sa chair {Gai., iv, i4), et d'autres preuves |ieut-tru d'ordre moral, furent considres par saint Paul comme le contrepoids provi-dentiel des visions et des extases dont il tait favoris (H Cor., xii, 1-9).

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    LA PREMIRE EXPA^SIOf 78tremblera toute sa vie la seule pense d'aborder un nouvel audi-toire ; mais toute sa vie aussi, une voix imprieuse, celle de saconscience, celle d'une irrsistible vocation, le poussera prcher tous, partout, malgr tout, temps et contre-temps , commeil dit, la foi au Christ qui est sa vie. V mihi, si non evange-lizavero ! Malheur moi, si je ne prche pas l'Evangile ! s'criera-t-il.Au lendemain de son baptme et de sa gurison, il a prouv lebesoin de parcourir, l'une aprs l'autre, toutes les synagogues deDamas, de dclarer tous qu'il a vu de ses yeux, vivant et ressus-cit, ce Jsus, notoirement mort et enseveli, qui se disait le Fils deDieu. Puis, laissant l ses coreligionnaires, stupfaits de ses affirma-tions, et qui n'osent pourtant douter de sa parole, il a eu hte de fuirle tumulte des villes, de se trouver en face de lui-mme, en tte tte avec Dieu. Il est parti pour l'Arabie, c'est--dire, selon toutevraisemblance, pour la presqu'le sinatique. La, pendant un an,deux ans peut-tre, il a sond son me, approfondi le sens desrvlations qu'il a reues de Dieu sur le chemin de Damas et desenseignements traditionnels qu'il a recueillis de la bouche de soncatchiste, Ananie. A la lumire de sa foi nouvelle, il a relu ces Ecri-tures qu'il avait si longtemps scrutes sous la direction deGamaliel. Levoil arm pour la controverse comme pour l'exhortation. Mais iln'a pu jusqu'ici exposer librement sa doctrine. A Damas, lorsqu'il yest revenu pour y prcher, il n'a chapp aux sicaires, soudoyspour le faire prir, que par un habile stratagme de ses amis, quil'ont fait vader en le cachant dans une manne et en le descendantle long des murs par une poterne. A Jrusalem, o il est all voirPierre, il a rencontr de nouvelles embches. Il n'y est pas restplus de quinze jours. Il a alors regagn Tarse, son pays natal, opendant cinq ou six ans, refoulant sans doute, dans un abandonhroque la Providence, l'ardent dsir qu'il a de prcher partoutJsus-Christ, il a nourri de nouveau son me dans la prire silen-cieuse et dans l'tude *. C'est laque Barnabe est all le prendrepour le faire son compagnon d'apostolat, ou plutt son matre etson chef.

    I. Cf. Prat, la Thologie de saint Paul, i, 65-67.

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    74 HISTOIRE GNRALE DE l'GLISE

    II

    Paulet KaraabvangcliscatAiitioche.

    Les disciplesde Jsusreoiventle nom

    de chrtiens.

    L'Eglised'Antioche

    vient en aide celle

    de Jrusalem(44-47)-

    Paulet Barnabe

    Jrusalem.Leur apostolatauprs

    Pendant une anne entire, Saulet Barnabe vanglisrentAntioche.On ne voit pas qu'aucune mesure de l'autorit, qu'aucune meutepopulaire ait entrav l'ardeur de leur zle. On imagine facilementles deux aptres, l'un avec sa parole enflamme, l'autre avec sononction communicative, se mlant aux conversations de cette popu-lation commerante, que la fivre des affaires et l'amour des plaisirstourmentent saRs la satisfaire. On les voit, .tantt discutant surl'agora avec les rlrcteurs, tantt rassemblant le peuple autour d'eux,dans les rues, pour leur faire entrevoir le doux idal des batitudesvangliques 1. Les conversions furent rapides et nombreuses. Parmiles disciples du Christ, l'Eglise d'Antioche acquit bientt unerenomme qui l'leva au-dessus de toutes les Eglises de ce temps-l.Les paens comprirent, d'autre part, qu'ils se trouvaient en prsenced'une socit distincte du judasme ; et, du nom de Christ, dsi-gnant Celui que tous acclamaient comme leur seul ^latre, ils appe-lrent ses adeptes Xpiaxiavoc, les chrtiens ^.

    La jeune chrtient, cependant, ne mnageait pas l'Eglise mrede Jrusalem les tmoignages de sa charit. En 44, quand le pro-phte Agab eut annonc la famine qui allait svir dans la Villesainte, les chrtiens d'Antioche se mirent aussitt recueillir desaumnes. Dix-huit mois plus tard, lorsque clata le flau, Saul etBarnabe, accompagns de Tite, les portrent Jrusalem. C'tait aulendemain du martyre de Jacques le Majeur. La terreur de laperscution pesait encore sur la ville. Pierre, revenu de Rome, s'ytrouvait, avec Jean et Jacques le Mineur. Ce dernier tait plus sp-cialement prpos au gouvernement de l'Eglise locale. Les envoysd'Antioche remirent leurs offrandes au conseil des Anciens et pro-fitrent de cette occasion pour faire un expos de la situation que laProvidence leur avait faite Antioche. Pierre, Jacques et Jeanreconnurent qu' une grce spciale avait t accorde Paul pourla conversion des paens 3 , qu'il tait l'aptre des incirconcis.

    I. On montre encore, h Antioche, dans une rue, i)rs ilu temple de tous les ilioui,l'emplacement d'o saint Paul aurait proche l'Evangile la multitude,a. Act., XI, 6.3. Gai., II, 9.

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    LA PREMIERE EXPANSION 75comme Pierre l'tait des circoncis ^ , et demandrent seulementaux deux missionnaires de vouloir bien se souvenir des pauvres deJrusalem ^ . On pouvait, ds lors, sans doute prvoir l'tat demisre qui se perptua dsormais dans la Yille sainte, au miligu dervoltes et de rpressions presque incessantes, jusqu'au moment desa ruine dfinitive. Paul promit aux aptres de Jrusalem de nejamais oublier leurs pauvres : il devait tenir sa promesse avec uneindfectible fidlit.

    Forts de l'approbation qu'ils venaient ainsi de recevoir de lapart de ceux qu'on regardait juste titre comme les colonnes del'Eglise^ )), Saul.et Barnabe reprirent leur apo^lat avec une nou-velle ardeur. Leur zle, non content de s'exWcer dans la ville,rayonna au dehors. L'le de Chypre, d'oi Barnabe tait originaire,fut le premier champ de leurs travaux. C'est l que le proconsulSergius Paulus embrassa la foi, et que Saul, devenu subitementPaul *, prit la direction de l'expdition vanglique. Revenus surle continent. Ils vanglisrent successivement Antioche de Pisidie,Iconium, Lystres, Derb, bref toute la rgion connue sous le nomde Galatie romaine ^. Partout leur mthode tait la mme. Ils seprsentaient d'abord aux synagogues, et y prchaient tant que lesJuifs leur prtaient une oreille attentive. Sitt que l'autorit leuren fermait la porte, ou qu'une meute les en bannissait, ils s'a-dressaient hardiment aux paens. Puisque vous rejetez notreparole, disaient-ils leurs compatriotes, nous nous tournons versles Gentils ^. De ^7 62, ils ne fondrent pas moins de septchrtients.

    Mais leur succs mme devait tre pour leurs Eglises l'occasiond'une tempte. Il n'y avait pas se le dissimuler : de toutes ces

    des Gentilsest approuvpar Pierre,

    JacquesctJcaQ(47).

    Evangli'aticnde l'le

    de Chypreet de

    l'Asie Mineure(47-5a).

    Prventionsde certainschrtiens

    I. Gai, II, 8.a. Gai., Il, 10.3. Gai., II, 9.h. Sur les motifs de ce changement de nom, voir Toussaint, au mot Paul, dans

    le Dict. de la Bible, t. IV, col. 2189.5. Aprs les savants travaux de G. Perrot, De Galatia provincia romana, i vol.,

    in-8", Paris, 1867, etdeW, Ramsat, Saint Paul ihe traveller and the roman citizen,I vol. in-8, Londres, 1900, la question de la localisation de la Galatie romaine nefait plus de doute. C'est donc bien la Galatie romaine que saint Paul a vanglisedans ce premier voyage, et c'est aux habitants de ces pays qu'il adressa sa premireptre. Voir sur ce point et sur les importantes conclusions qui en dcoulent pourla chronologie de l'histoire de saint Paul, Le Camus, l'OEuvre des aptres, t. I,p. 84-89, io4-io5. Cf. J. Belser, Einteitung in das Neue Testament, 1 vol. in-80,Fribourg en B., 1901 ; Dufourcq. l'Avenir du christianisme, t. III, p. 27-29, notes.

    6. Acl., xm, 46.

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    76 HISTOIRE GENERALE DE I. EGMSEde Jrusa.en

    contre lacommunautd'Antioche.

    Des espritsmalveillantsaigrissentla querelle.

    nouvelles chrtients, Antloche tait le centre, et Paul en paraissaitle chef. Que devenait donc l'influence de l'Eglise mre ? Dans cesnouvelles communauts, les observances juives n'taient point toutesobserves : que faisait-on des traditions anciennes ? L'Eglise de Jru-salem s'tait recrute, pendant les derniers temps, par la conversiond'un bon nombre de prtres et de lvites *, dont quelques-uns encore,mal dgags de l'troitesse de leur formation rabbinique, se mon-traient susceptibles l'excs.

    Sans doute, la voix de Dieu s'tait fait entendre Pierre Jopp, propos du centurion Corneille. Mais la situation tait bien change.Ce dont il s'agissait maintenant, ce n'tait plus d'admettre un paenet sa famille dans l'Eglise, en dehors des observances lgales; ils'agissait de savoir si on laisserait se former une sorte de fdrationd'Eglises, ayant un centre et un chef, et paraissant entraner lesdisciples de Jsus dans un mouvement tout autre que celui dontJrusalem avait eu jusqu'ici la direction. Des prtres juifs demiconvertis voyaient avec douleur la Ville sainte dchue de sa primaut,le temple abandonn, l'uvre de Mose rejete. Leurs gmissementssemblaient s'autoriser de l'exemple de leur chef, Jacques le Mineur,qu'on voyait si assidu prier dans le temple, si exact accomplirles prescriptions de la Loi *.De telles angoisses s'expliquaient. Quelques annes plus tard,

    l'assemble de Jrusalem fera la part de ce qu'il y avait de lgitimedans ces rclamations. Malheureusement, des esprits malveillantsaigrirent la querelle. Paul et Barnabe avaient dj perc jour, lorsde leur dernier voyage Jrusalem, un groupe de faux frres,introduits par surprise dans l'Eglise, afin d'y amoindrir la libertapporte par Jsus-Christ ^ . De ceux-ci, les uns taient simplementde ces esprits troits et obstins, que rien ne peut dtacher d'uneconception une fois faite, d'un parti pris une fois embrass ; d'au-tres furent des esprits jaloux et mchants, qui, en poursuivant l'a-ptre, ses traces et ses uvres avec une haine acharne, semblaientvouloir poursuivre, dans le plus ardent de ses missionnaires,l'uvre mme de Jsus-Christ *.

    I, Acl., VI, 7. Cf. ibid., XV, 5,a. IIkgisii'pe, dans Elskbe, II. E,, 1. II, ch. xxiu ; Jospub, Ant., 1. XX, cli.ii.3. Gai., II, 4-4 L'culo de Tubingue ne se lroni|>e point en alTirmanl l'existence d'un partitcharn contre saint Paul. Elle a seuleinoiit le tort d'attribuer, sans aucune prouve.

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    LA PREMIERE EXPANSION 77

    III

    L'orage clata peu de temps aprs le retour de Paul et de Barnabea Antioche, au lendemain de leur premire mission.

    Les deux missionnaires venaient de dclarer leurs auditeurs quele moment tait enfin venu de leur ouvrir toutes grandes les portesde la foi ^ , quand des hommes, arrivs de Jrusalem, et prten-tendant parler au nom des aptres, se dressent devant eux. SaintLuc ne dit point leurs noms. Saint Paul les qualifie d'un mot dif-ficile traduire, et qui peut signifier la fois la hauteur de leursprtentions et l'insuffisance de leur autorit, uuepXav udToXoi, des sur aptres, ou des aptres de trop ^ . a Sans la circonci-sion ordonne par Mose, rptent-ils, point de salut. Ils russis-sent gagner leur cause une partie des Juifs d'Antioche ; ils fontsonner bien haut une prtendue mission, qu'ils tiennent, disent-ils,de l'Eglise de Jrusalem. Leur audace va plus loin. L'aptre Pierreest l, au milieu de la nouvelle communaut d'Antioche ; il estvenu pour suivre de prs, dans une de ses phases les plus impor-tantes, le mouvement progressif de l'Evangile. Si l'on ne peut son-ger faire flchir l'aptre Paul, ne serait-il pas possible d'obtenirde Barnabe, qu'on sait doux et plein d'onclion, de Pierre, dont onconnat la bont paternelle, quelques concessions, qu'on exploiteraensuite contre la tactique de Paul ? En mme temps, on essaierade retourner contre l'aptre et sa doctrine les principales Eglises fon-des par lui.

    Depuis son arrive Antioche, Pierre, fidle la ligue de con-duite qui lui a t rvle Jopp, s'est librement ml aux paensconvertis. On l'a vu s'asseoir leurs tables, sans se proccuperdes mets qui lui sont servis. Les hommes de Jrusalem tchent delui persuader qu'une telle conduite scandalise les Juifs, met le

    L'inoiJentd'Antioche

    (5o).

    Attitudede Pierre.

    et mme contre les preuves les plus convaincantes, l'inspiration ou la direction dece parti saint Pierre et saint Jacques. Nous savons quelle avait t l'attitude desaint Pierre sur la question de la conversion des Gentils, et nous verrons saint Jacquess'associer la dclaration conciliaire qui dsavoue la secte en question. Ceux quesaint Paul appelle des faux frres, entrs par ruse dans l'Eglise, ne peuvent tre desaptres. Saint Epiphane suppose que le futur hrtique Grinthe tait du nombrede ces judasants sectaires. S. Epiphane. Hsereses, ixvi.

    I. Ad., XIV, 27.a . II Cor., XI, 5 ; xu, 1 1

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    78 HISTOIRE GNRALE DE l'GLISEtrouble dans les consciences. Voici dj, disent-ils, une grandepartie des Juifs d'Antioche soulevs contre Paul et les paens con-vertis. Que faudrait-il pour faire renatre le calme dans les esprits ?Peu de chose. Que Pierre veuille bien vivre en juif, observer lesprescriptions mosaques. La confiance et la paix renatront commepar enchantement. L'aptre des circoncis *, mu par ces raisons,se laisse flchir. Peu peu, pour calmer les Juifs, il cesse ses rela-tions intimes avec les paens convertis, il mange avec ses compa-triotes et suit les mnjies rgles. Ebranl son tour, Barnabe selaisse gagner. A leur suite, un certain nombre de chrtiens seremettent observer strictement, dans leurs repas, les rgles juives.

    Mais Paul a \u le pril, et il croit avoir qualit pour le dnonceraPierre lui-mme. N'a-t-il pas t reconnu ofTiciellement Jrusalem,par les aptres, comme l'aptre providentiel des incirconcis ? Il n'y

    Paul croit a pas se le dissimuler. Par la conduite actuelle de Pierre, l'uvre, .}\ que Dieu lui a confie, lui Paul, est menace d'un chec complet.lui rsister ^ . . ... , . . , . .en face. Maintenir la circoncision, avec l'observation intgrale de la loi

    qu'elle implique, c'est renoncer l'espoir de conqurir le monde.Jamais le monde ne se fera juif. Et la question de principe est plusgrave encore. Faire d'une pratique mosaque une condition essentiellede salut, c'est nier virtuellement le caractre transitoire de l'ancienneconomie, la suffisance de la rdemption, la valeur du sang et des

    Porte mrites du Christ, l'efficacit de la grce ; c'est renverser le dogmedu conflit. fondamental du christianisme *. L'aptre des Gentils montrera doncau chef de l'Eglise les effets de son excessive condescendance. C'estplus qu'un droit pour lui, c'est un devoir ; il n'y faillira pas. Quandje vis, crit-il, que Pierre ne marchait pas droit selon la vrit del'Evangile, je lui dis, en prsence de tous : Si toi, qui es juif, tuvis la manire des paens, et non selon la manire des juifs ^, pour-quoi forces-tu les paens judaser ? Pierre se rendit l'argument dePaul *, et le pril redout par l'aptre des Gentils sembla cart *.

    I. Galal., II, 8.a. F. Prat, I, 71.3. Galal., Il, i!i.l\. Pierre se rendit certainement aux raisons de Paul, dit justement le P. Prat.

    S'il s'tait opinitre dans sa faon d'agir, toute celte atTairL-, loin d'tre un argu-ment en faveur de l'vangile de Paul, serait une objection redoutable, dont cedernier ne pourrait voquer le souvenir sans ruiner de fond en comble la thse quilui est chre. F. Pkat, la Thologie de saint Paul, i. l, p. 74.

    5. Tel est. rduit ses justes proportions historiques, ce fameux incident d'An-tiochc, dont les ennemis du Saint-Sige ont fait si grand bruit, et dont certains

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    LA PREMIERE EXPANSION 79

    IVMais la secte ne s'tait point contente d'agir Antioche ; ses

    missaires avaient dj parcouru les chrtients de Galatie, troublantles nophytes par l'assurance avec laquelle ils faisaient retentir partoutleur fameuse devise : Sans la circoncision, pas de salut. Rien nepouvait tre plus sensible au cur de Paul. Ces ardentes populationsde Galatie avaient reu la foi du Christ avec un empressement sienthousiaste, accueilli les aptres avec tant de marques de filialeaffection ! Le cur de Paul se dchira ; et, de sa propre main, malgrl'infirmit douloureuse de ses yeux, il crivit comme il put, en groscaractres ^, une lettre toute vibrante d'une motion qu'il ne cher-chait pas contenir.

    L'ptre s'ouvre par un vu de charit : Que la grce et la paixsoient avec vous, de la part de Dieu le Pre et de Notre-SeigncurJsus-Christ, qui s'est donn lui-mme pour nos pchs. Puis,sans prcautions oratoires, l'aptre va droit au but. Des gens sontvenus semer le trouble parmi vous. Ils prtendent changer l'Evangile

    L'ptreaux Galates

    (5o).

    Rsumde l'ptre.

    apologistes de la papaut ont t si troubls, qu'ils ont fait tous leurs efTorts pourprouver que le Pierre dont il est ici question n'est pas le chef de l'Eglise. Est-ilbesoin de faire remarquer que ni l'infaillibilit doctrinale du Souverain Pontife, nison autorit suprieure sur l'Eglise ne sauraient tre mises en cause par le fait dece diffrend passager ? Tout le tort de Pierre fut de se laisser circonvenir un instantpar des judaisants, qui le tromprent sur les effets de sa conduite. L'erreur dePierre, dit Tertullien, fut une erreur de conduite, non une erreur de doctrine.Conversalionis fuit vitiam, non prdicationis. (Tertullien, De prscr.. c. Sa.) SaintPierre rsidait-il alors Antioche ? La tradition lui donne le titre d'vque de cetteville. La ville d'Antioche a toujours honor en lui son premier fondateur. Voir, surce sujet, EusBE. Hlst. eccls., 1. III, ch. xxxvi, dit. Grapin, Paris, igoS, t. I,n. 338-339, ^^ Chron., 1. II, d. Schne, Berlin, i866, p. i52. En ralit, les aptrestaient les vques de toutes les Eglises qu'ils avaient fondes ; leur autorit sur cesEglises peut s'appeler un piscopat, mais nous ne devons pas nous figurer cetpiscopat organis comme celui de leurs successeurs. Ceux-ci, attachs une seuleEglise et y rsidant, furent seuls de vrais vques, au sens que nous donnons cemot ; mais quand Pierre, chef suprme du Collge apostolique et de l'Eglise entire,arriva dans la mtropole de l'Orient , celle-ci l'acclama comme un Pasteur. C'estl, dit Bossuet, que le nom de chrtien prit naissance... Eglise fonde par saintBarnabe et par saint Paul, mais que la dignit de Pierre oblige la reconnatrejiour son premier Pasteur, l'histoire ecclsiastique en fait foi ; o il fallait que Pierrevnt quand elle se fut distingue des autres par une si clatante profession du( hristianisme, et que sa chaire Antioche ft une solennit dans les glises. lossuET, Sermon sur l'unit de l'Eglise, !'=' point. Edit. Lebarcq, uvres oratoires,t. VI, p. 96.

    I. Gai., VI, 12.

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    8o HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

    L'aptreinvoque leslumires

    qu'il a reueset

    l'approbationformelleque lui ontdonne Pierre

    cl Jacques.

    Il exposedoctrine sur

    la loiet la foi.

    du Christ... Eh hieu, quaud uu auge desceudrait du ciel pour vousprcher autre chose que ce que nous vous avons prch, vous devriezlui rpondre par un anathme... Car cet Evangile, c'est de Jsus-Christ mme que je le tiens. Vous avez sans doute entendu parler dema vie d'aulrel'ois, quand je perscutais outrance l'Eglise de Dieu. Paul raconlc alors, en traits rapides, mais avec un incomparablerelief, son existence passe, sa conversion, les lumires divines dontil a t favoris, les relations qu'il a eues avec les autres aptres.Dans ces lignes, qu'on sent rapidement crites, on voit nettement sedgager les deux arguments invincibles sur lesquels Paul difie toutesa thse ; sa doctrine lui vient directement du Christ, et elle a reula confirmation expresse et ritre des chefs des aptres, notammentde Simon-Pierre. La parole de Jsus-Christ, dclare authentiquepar la hirarchie, voil sa garantie inbranlable. Pourquoi doncrevenir en arrire ? Pourquoi difier nouveau le mur que l'on ad'abord abattu , revenir la lettre de la loi, quand on a la grce deJsus-Christ ? Et cette seule pense de la grce de Jsus-Christ letransporte, u Oui, s'crie-t-il, j'ai t crucifi avec Jsus-Christ ! Etmaintenant, je vis, mais ce n'est plus moi qui vis, c'est Jsus-Christqui vit en moi. Ma vie dans la chair, c'est une vie dans la foi au Filsde Dieu qui m'a aim et qui s'est livr pour moi. . . Caltes insenss !Qui donc a pu vous fasciner, vous aux yeux de qui j'avais djvoqu, pour l'imprimer en vous, Jsus-Christ crucifi ? Ah 1 sansdoute, on invoque la loi, on en appelle Mose. Mais est-il doncquestion d'opposer la foi la loi, Jsus-Christ Mose? Nullement.L'aptre demande seulement que la loi de Mose ne fasse pas oublierles promesses faites Abraham et ralises par la grce de Jsus-Christ. Entre Abraham et Jsus-Christ, Mose a donn la loi, pourrefrner les passions, pour maintenir la fidlit aux promesses etpour prparer l'avnement de la grce. La loi a t comme lpdagogue, charg de conduire Jsus-Christ. Le rgne de la foitant venu, nous n'avons plus besoin de la dpendance du pda-gogue. Mais ce sont l des raisonnements. L'aptre, bien qu'il lesinterrompe de sublimes cris d'amour, a comme hte de parler plusdirectement au cur de ses chers Galates. Vous vous rappelez,frres, dans quel tat de maladie j'tais, quand je vous ai vanglisspour la premire fois et quelle preuve je vous ai mis par l'infirmitde ma chair ? Vous etes la bont de ne me tmoigner ni mpris nidgot... Car enfin, je vous dois cette justice, que si cela et t pos-

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    LA PRKMIERE EXPANSION 8lsible, vous vous fussiez arrach les yeux pour me les donner... Etvoil qu'ils veulent vous dtacher de moi, pour que votre affectionaille eux... mes chers fils, vous pour qui j'endure une fois deplus les douleurs de l'enfantement, jusqu' ce que Jsus-Christ soitform en vous, je voudrais me trouver au milieu de vous cetteheure, je voudrais modifier selon vos dispositions le ton de ma voix. Puis l'aptre revient son argumentation. Se plaant sur le terrainde ses adversaires, il fait appel une dialectique toute rabbinique, une interprtation tout allgorique de l'histoire d'Agar et de Sara. Lechrtien n'est plus le fils de l'esclave, mais l'homme libre. Tenez-vous donc, conclut-il, cette libert en vue de laquelle Jsus-Christnous a affranchis... Oui, marchez selon l'Esprit et non selon lachair... Les fruits de l'Esprit sont l'amour, la joie, la paix, lapatience, l'honntet, la bont, la fidlit, la douceur... Ce n'est pasla loi qui fait fleurir de telles vertus, mais bien ceux qui, tant deJsus-Christ, ont crucifi la chair avec ses passions et ses dsirs, n

    Telle est, dans ses grandes lignes, cette fameuse ptre aux Galates,o l'me de Paul s'ouvrait tout entire ses disciples, en ce styleinimitable, simple, pittoresque, vivant, sincre et vrai, tantt faible,hsitant, comme bris sous le poids d'une pense qui l'crase, l'instar du corps dbile de l'aptre, et tantt fier, clatant, montantjusqu'au sublime, sous la pousse d'une inspiration surhumaine,comme son me gnreuse.

    L'histoire ne nous dit pas quel effet produisit cette lettre en Galatie.Ce que nous savons, c'est que le trouble ne tarda pas renatre Antioche. Il y prit mme une telle intensit, que les frresd'Antioche dcidrent d'en appeler aux aptres et aux anciensde Jrusalem * . C'est d'eux que les sectaires laissaient entendrequ'ils tenaient leur mission ; c'est eux que les chrtiens d'Antioches'adressrent pour faire trancher par une autorit comptente etaccepte de tous le conflit pendant.

    Les dlgus d'Antioche, ayant leur tte Paul et Barnabe, semirent en marche, par la Phnicie et la Samarie, vers la Villesainte. L'accueil solennel que firent la dlgation les aptres et lesanciens son arrive ^ indiqua dj que ceux-ci tenaient repoussertoute solidarit d'avec la coterie qui avait soulev tant de disputes.

    La libertdes enfantsde Dieu.

    Beautlittraire decette ptre.

    La questiondes

    oijservancesjuives est

    porte devantle chef

    de l'Eglisede Jrusalem.I. Act., XV, a.a. Act., XV, 4.

    Hist. gn. de l'Eglise. I

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    8a mSTOlRE GNRALE DE l'GLISE

    Le concilede Jrusalem

    (5.).

    Motionde Jacques.

    SaBignification.

    Mais celle-ci, qui avait l son centre, qui prtendait mme avoir desattaches auprs de l'autorit religieuse suprme de la ville *, setenait prte renouveler ses attaques. Elle fut agressive et violente.Elle fit sans doute retentir toutes les maldictions des vieux rabbinscontre la violation de la loi.

    Cependant les aptres et les anciens s'taient assembls en conseil.On attendait ce que diraient Pierre et Jacques.

    Mes frres, dit Pierre, voici longtemps dj que Dieu m'a choisipour annoncer la bonne nouvelle aux Gentils. Ce Dieu, qui connatle fond des curs, leur a donn le Saint-Esprit tout comme nous.Pourquoi voulez-vous maintenant en remontrer Dieu, en imposantsur les paules des disciples un joug que ni nos pres ni nousn'avons pu porter ?

    Saint Luc remarque qu'aprs que Pierre eut ainsi parl, il se fitun profond silence. Il tait difficile, en effet, de contredire uneparole si pleine d'autorit et de bon sens. Paul et Barnabe furentalors admis raconter les miracles et les prodiges que Dieu avaitfaits parmi les paens . Lorsqu'ils eurent fini, Jacques se leva. Sil'autorit hirarchique de Pierre tait inconteste parmi les fidles,l'autorit morale de Jacques tait universelle Jrusalem, mmeparmi le monde juif. Son assiduit au temple lui avait obtenu uneestime particulire des zlotes ; sa qualit de frre du Seigneur lui valait une dfrence exceptionnelle. Jacques cita les vieux pro-phtes, puis il conclut : Pour ma part, j'estime qu'il ne faut pasfaire de difficults ceux des paens qui se convertissent Dieu.Toutefois, je suis d'avis qu'on leur crive de s'abstenir des souilluresdes idoles, de la fornication (rop/Eia) et des animaux touffs dansle sang.

    C'tait accepter nettement en principe la loi de libert proclamepar Pierre et par Paul ; mais c'tait en mme temps reconnatre lancessit de mnager la transition. L'assemble tout entire se rangea l'avis de Jacques. La dfense de manger le sang et les viandes

    I. L'expression Tivsi; r 'l'^xwou, qu'emploie saint Paul, Gai., n, i a, peutsignifier (les gens qui se donnaient comme envoys de Jacques ou qui vivaient iIhusl'entourage de Jacques. Telle est la version la plus probable. A la riguaur cependant, il n'y aurait rien de surprenant ce que Jacques le Mineur, vieillard qui. sil'on en croit suint Epiphane (Ustreses, lxvui, i/|t, devait avoir de 85 88 ans, etqui n'tait jamais sorti de son milieu palestinien, ne se lit pas oxaclement renducompte de la situation Antioche et e\\t jug les choses un uou dilVnnunenl dePierre cl de Paul . iiekont, Hist. des dogmes, t. I, p. i6t)-ir)7.

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    LA PREMIERE EXPANSION 83touffes remontait aux origines du monde. Dieu l'avait faite Nopour inculquer sa descendance le respect de la vie humaine. Ladfense de se nourrir des viandes ofiFertes aux idoles avait pour butd'inspirer l'horreur de l'idoltrie. Quant l'interdiction de la for-nication , il est probable qu'il faut entendre par l l'interdiction dumariage entre parents dans les degrs de consanguinit et d'affinitprohibs par le Lvitique ^

    L'assemble de Jrusalem porta donc le dcret suivant : Il aparu bon au Saint-Esprit et nous de ne point vous imposer d'autrefardeau que le ncessaire, savoir, que vous vous absteniez desviandes offertes aux idoles, du sang, de la chair touffe et de l'im-puret. Ce que faisant, vous ferez bien ^. Un passage de la lettrequi fut crite ce sujet l'Eglise d'Antioche dclarait, en outre,que les gens partis de Jrusalem pour troubler les mes n'avaientaucune mission ' .On donne communment cette assemble, tenue vers l'an 5i, lenom de Concile de Jrusalem *. En effet, en mme temps qu'ilsdonnaient aux fidles une rgle de conduite, les aptres et les anciensproclamaient une rgle de foi, en refusant le caractre de chosesncessaires au salut, la circoncision et aux observances juives,contrairement la prtention des chrtiens trop imbus de l'espritpharisien. Quant la rgle de conduite propose l'Eglise, elledevait n'avoir qu'une porte transitoire. Comme elle n'avait pourbut, dit saint Thomas d'Aquin, que de faciliter l'union des Gentilset des Juifs vivant ensemble, elle cessa avec le temps. La causesupprime, l'effet dut disparatre ^.

    Le dcretdu concile.

    dePortece dcret.

    1. C'est l'opinion du R. P. Prat, S. 3. la Thologie de saint Paul, t. I, p. 76.Mgr Le Camus, l'uvre des aptres, t. L P- 161, incline vers une opinion sem-blable. En tout cas, le dcret ne peut pas viser le pch de fornication pris en lui-mme. Il s'agissait de dterminer des faits externes, publics, capables de servir debase une mesure publique d'admission ou d'exclusion dans la socit chrtienne.D'aprs le Lvitique, s'unir un degr prohib, c'est faire chose honteuse, revelareturpitudinem.Lev. xvin, 7-18.

    2. Act. XV, 29.3. Act. XV, 24-4. Melchior Cano, Loc. theol., v, 4, croit que ce fut un concile provincial ; Torre-CREMATA, De Eccles., un concile diocsain ; Benoit XIV, De Synodo dices, 1. I, c. i,

    n. 5, une sorte de concile. Quelques auteurs y ont vu plutt un tribunal qu'unconcile. Le Camus, II, i53.5. Summ. theol.. Prima Secund, q. cm, a. 4. On voit dj dans la premireptre aux Corinthiens, vui, 4-io, que saint Paul interprte le dcret avec unecertaine largeur. 11 est possible mme que le dcret de Jrusalem, dans sa rglepratique, n'ait pas t observ partout, mais l seulement o la question de scan-dale se posait pour certains Juifs. Ainsi s'expliquent les nombreux textes que l'ru-

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    8A HISTOIRE ONRALG DE l'GLISE

    Originesdes sectesjudasantes

    del Falestine.

    Saint Luc nous raconte que la chrtient d'Antioche reut ledcret de Jrusalem avec enthousiasme ^. Dsormais le chemin de lagentilit tait librement ouvert aux aptres, et Antioche pouvait trefire d'avoir t le point de dpart de ce mouvement de libre expan-sion.

    Le parti judasant ne dsarma pas ; mais il fut oblig de changerde tactique. Ne pouvant plus tenter de s'abriter sous une autorithirarchique, il se posa en secte schismatique, et se donna des chefsautonomes. Les ptres de saint Paul, de saint Pierre, de saint Judeet de saint Jacques nous fournissent quelques renseignements pr-cieux sur ce mouvement de rvolte et de schisme. Dans son ptreaux Colossiens, crite de 58 63, saint Paul met en garde les fidlesk qui il s'adresse contre de fausses doctrines qui s'appuient sur latradition des hommes, sur les rudiments du monde ^ et non surle Christ ^ . Dans ses ptres pastorales, il nomme quelques-uns

    dition allemande a accumuls, pour mettre en doute l'authenticit du concile deJrusalem, parce qu'on suppose qu'il n'a pas t appliqu et l. Voir les rf-rences de tous ces textes dans Dufourcq, l'Avenir du christianisme, t. III, p. aa. Ona aussi invoqu contre l'authenticit du rcit du concile fait par les Actes, que saintPaul en raconte l'histoire d'une manire diffrente dans son ptre aux Galates, Cetteseconde difficult n'existe pas pour ceux qui admettent, comme nous, avec LbCamus, Vuvre des aptres, 1906 ; Belsbr, Einteitung in das Neue Testament, 1901 ;Webeu, Die Abfassung des Galaterbriefes vor dem Apostelconzil, Ravensb, 1900;DouGLASS llooD, The date of saint Paul epistle to the Galatians, Cambridge, 1906,que l'ptre aux Galates est antrieure au concile do Jrusalem et qu'elle raconteun voyage fait par saint Paul Jrusalem en 47- Le caractre provisoire elle promptaljandon des rgles pratiques promulgues par le concile, expliquent les nombreusesvariantes du dcret, que l'on trouve dans les manuscrits. Les copistes, croyantroc lifier une erreur, ont adapt le texte ce qui se pratiquait de leur temps. Lescritiques, au milieu de ces divergences, ont distingu de.ux versions : la versionorientale et la version occidentale ; mais ils se si'parent sur la question de savoir laquelle a^^particiit la priorit chronologique. Quoi qu'il en soit, le fait de cesvariantes ne p :!l porter aucune atteinte l'authenticit du dcret et son int-grit subslnnlielie. Voir, sur cette question, une savante tude de Coppietkrs, dansla Revue biblique de 1907, p. 35 et s., particulirement pour la conclusion, p. 5(>-5i.(pliant aux prtendus Canons du concile d'Antioche dcouverts en 157a parlejsuite I*'r. Torrs, il est aujourd'hui dmontr qu'ils sont apocryphes ; ils ont dtio fabriqus Antioche vers 36o. Voir Lej.vy, le Concile apostolique d'Antioche,dans la Revue du clerg franais du i5 octobre igoS. Les questions critiques qui sera|iportont au concile de Jrusalem ont t rsumes dans une tude de DomLcclcrcq, IIkkele-Leci.khcq, Histoire des Conciles, t. I, a' partie, Paris, 1907,p. 1070-1087.I. Act. XV, 3i.

    a. Par ces rudiments du monde , saint Paul entend les institutions religieuseslmentaires, juives ou autres, qui jiouvaicnt servir de prparation la foi chr-tienne, si on savait les dpasser, mais (|ui pouvaient aussi tre un obstacle la foi sion se laissait sduire et arrter |)ar elles.

    3. Coloss , H, 8.

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    LA PREMJERE EXPANSION 85des chefs de la secte : Hymne, Alexandre le fondeur et Philte* ;il signale leurs querelles de mots, leurs questions oiseuses et lesinterminables gnalogies patriarcales qu'ils invoquent 2. Saint Pierreet saint Jude dnoncent en eux le mpris de l'autorit et la ngationde l'avnement du Seigneur ^. Saint Jean dclare qu'au temps o ilcrit, des Antchrists, sortis des rangs des chrtiens, nient que Jsussoit le Fils de Dieu ou le Christ, dclarent qu'il n'est qu'un homme,et proclament que le Sauveur n'a eu qu'une apparence de corps *.Dans ce portrait, comme dans ceux qu'esquisse l'Apocalypse ^, onreconnat le germe de l'bionisme et du doctisme. Le judasme avaitt le principal auxiliaire du christianisme dans sa propagation ;l'esprit judasant devenait son principal ennemi intrieur.On ne saurait donc nier l'existence des sectes judasantes enPalestine ds le sicle apostolique, et tout porte croire que le particondamn par le concile de Jrusalem forma le noyau de cette secte.Mais on se tromperait gravement en exagrant, comme l'a faitBaur, l'tendue de leur influence, en mconnaissant la parfaiteorthodoxie de ces Eglises de Jude , dont saint Paul rend auxThessaloniciens ce tmoignage, qu'elles ont souffert de la part desJuifs, de ces Juifs qui empchent de prcher aux nations pourleur salut ^ . Les Actes des aptres signalent galement des com-munauts chrtiennes en Galile, en Samarie, sur la cte de la mer. Le terme de judasants ou de judo-chrtiens ne doit donc propre-ment s'appliquer qu'aux chrtiens qui, ns Juifs, tenaient la loipour non abroge et se trouvaient par l en conflit, non seulementavec saint Paul, mais avec tout le christianisme '^. Dans les Eglises fidles cependant, deux courants se manifestent

    toujours ; c'est celui de VEcclesia exjudis, forme de chrtiens derace juive, qui continuent pour leur compte observer la loi, etcelui de VEcclesia ex gentibus, forme de chrtiens non juifs, pour

    Principauxcaractre

    de 068 sectef

    Persistancedes

    Eglises fidi loien Jude,en Galile oten Samarie.

    Le courantuniversalistetriomphedu courantparticulariste.

    I. I Tim., 1, 20.3. Ibid., I, 4 ; IV, 7 ; vi, 3-5. Les exgtes admettent gnralement aujourd'huique les interminables gnalogies , dont parle l'pitre, sont les fabuleuses

    gnalogies qu'on trouve dans certains apocryphes juifs, et non les gnalogies desons. V. E. Jacquier, Histoire des livresduN. T. 3e dit., t. I, p. 875,

    3. JI Pierre, II, lo-ii ; Jude, 8.4. 1 Jean, ii, 18-19, 33-23 ; iv, 3, 3, i5.5. Apoc, II, 9, i4-i6, 20-25.6. I Thess., II, i4-i6.7. Batiffol, l'Eglise naissante, 5 dit., p. 286 ; Harha.gk, Dogmengeschichte, t. I,

    p. 3io.

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    86 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISEqui la loi, instilulion divine sans doute, mais provisoire, est abolie.Mais, depuis le Concile de Jrusalem, ce dernier courant prend uneextension prpondrante. La formule triomphante est dcidmentcelle de l'plre aux Galates : La circoncision et l'incirconcision nesont rien ; ce qui est tout, c'est d'tre une nouvelle crature. Paix etmisricorde sur tous ceux qui suivront cette rgle et sur l'Isral deDieu ^ En fait, comme eu droit, toutes les attaches sout rom-pues 2.

    Dveloppe-mentintrieur

    de l'Eglise.La Didach.

    veloppe-ment desinstitutions

    hirarchiques.

    Dans l'Eglise ainsi affranchie, les institutions, le culte et la formuledu symbole de foi se dveloppent d'une manire plus autonome.Un trs prcieux document nous renseigne sur la vie chrtienne cette poque : c'est la Didach ou Doctrine des douze aptres, critdont la critique fixe la composition entre l'an 70 et l'an loo,- maisqui se fait l'cho de traditions antrieures ces deux dates. C'estl'uvre d'un judo-chrtien, qui, suivant quelques auteurs, l'auraitcrite Antioche mme ^, qui, en tout cas, vise nettement la situa-tion faite l'Eglise par l'apostolat de Paul et de Barnabe Antioche *.

    L'organisation de la hirarchie semble prsenter une tape de d-veloppement intermdiaire entre celle que nous ont montre les Actesdes aptres et celle que nous rvleront les crits des Pores aposto-liques. Des aptres, des prophtes, des docteurs, des epi.

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    LA PREMIRE EXPANSION 87Il importe d'abord de distinguer de tous, les aptres proprement

    dits, ou les Douze. Ceux-ci exercent sur les Eglises un doublerle : celui de fondateurs de l'Eglise et celui de pasteurs. Gommefondateurs de l'Eglise, sous la dpendance de Jsus-Christet de TEsprit-Saint, ils sont investis de prrogatives spciales,dont les principales sont l'infaillibilit doctrinale, l'universalit dejuridiction et la possibilit de recevoir une rvlation divine pour ladirection de l'Eglise universelle. Nous verrons, en effet, l'Eglise in-voquer comme critre dirimant des controverses l'autorit des ap-tres. Aucune circonscription territoriale ne limite leurs pouvoirs.S'ils prouvent le besoin de se concerter, comme au concile de J-rusalem, ou si saint Paul dclare ne vouloir pas btir sur les fonde-ments d'autrui, dans son pitre aux Romains ^, c'est par un espritde discrtion et de prudence ou par une dpendance intime duSaint-Esprit 2. Ces privilges extraordinaires disparatront avec lespersonnes des douze aptres. Nul ne pourra plus les invoquer que lePontife romain, et l're de la rvlation publique sera close lamort du dernier d'entre eux. Quant l'autorit enseignante etdisciplinaire qu'ils exercent comme pasteurs, elle durera jus-qu' la fin du monde et se transmettra par voie de perptuellesuccession.

    Mais le nom d'aptres est aussi donn, mme dans les crits duNouveau Testament, d'autres personnages qu'aux Douze. Barnabeest appel aptre ^, ainsi qu'Andronicus et Junias ^, et saint Pauldit que Jsus-Christ, aprs avoir apparu Pierre et aux Onze, appa-rut plus de cinq cents frres, puis Jacques et enfin tous lesaptres^.

    Lorsque la Didach parle simplement des aptres, sans spcifierqu'il s'agit des Douze, elle entend parler de ministres envoys enmission. L'aptre, c'est a l'envoy du Seigneur . L'aptre en mis-sion ne doit s'arrter qu'un jour, ou deux au plus, s'il y a nces-

    Les douzeaptres,ou aptresproprementdits.

    Leurspouvoirs.

    Les aptresimproprementdits ou

    missionnaires.

    lem, et les Actes des aptres, en racontant les adieux de saint Paul aux pasteurs del'Eglise d'Ephse, les appellent tantt des presbuteroi, et tantt des episcopoi, ActesIX, 17-28. (( Eosdem, dit saint Jrme, episcopos illo tempore quos et presbyterosappellabant. Pat. Lut., t. XXVI, col. 502.

    I. Rom., IV, ao.a. Voir Bainvel, au mot Aptres dans le Dict. de thol., t. I, col. i654-i656,3. Act., XIV, 4, i4-4. Rom., XVI, 7.5 I Cor., XV, 5-8. On pourrait croire qu'il s'agit ici des Douze, mais le contcxtaemble indiquer qu'il est question d'autres que ceux-ci.

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    88 HISTOIRE GNRALE DE L*GLISEsite. S'il reste trois jours, c'est un faux prophte *. L'aptre n'adroit qu' sa nourriture ; on ne doit rien lui donner, sinon du painpour atteindre l'tape suivante. S'il demande de l'argent, c'est unfaux prophte*.Les prophtes. Aprs Ics aptres, la Didach mentionne, parmi les ministressacrs, les prophtes. Les crits apostoliques nous ont dj signal ^le ministre de la prophtie. Saint Paul parle du rle des prophtesdans les assembles chrtiennes *, et le livre des Actes nomme lesprincipaux prophtes de J'Eglise d'Antioche ^. Ceux-l sont deshommes qui, comme les prophtes de l'ancienne loi, parlent sousl'action directe de l'Esprit divin, et qui annoncent parfois des v-nements futurs ^. Mais les prophtes dont parle la Didach paraissentavoir, sinon un tout autre caract^re, du moins une tout autre impor-tance dans l'Eglise. Quelles furent leurs fonctions propres ? Nefurent-ils que de simples fidles, dous de dons charismatiques, queles circonstances mirent particulirement en relief ? Occuprent-ilsun certain rang dans la hirarchie ? La lumire ne semble pas en-core faite d'une manire dfinitive sur cette intressante et difficilequestion '^.

    I . Didach, xi, 5.a. Ibid., II, 6.3. EusBK, Hist.eccU's., III, 87.A. I Cor., iiv.5. Ad., XIII, I.6. Par exemple le prophte Agab, Act., iv, 27; xxi, 10.7. Il est impossible de ne pas tre frapp de la place faite aux prophtes dans la

    Didach. Ils y sont nomms quinze fois, tandis que les aptres et les docteurs ne sontnomms que trois fois, les epiacopoi et les diacres qu'une fois. C'est aux prophtesseuls que sont donns les prmices [Did., xni, 3); ils ont le droit de former desassembles (xi, 11), et ils sont appels les grands prtres des chrtiens (xiii, 3). Ceindications toutefois n'ont pas paru suffisantes la plupart des auteurs pour voirdans les prophtes des chefs hirarchiques. Ces auteurs font remarquer que tousles crivains ecclsiastiques des premiers sicles, depuis suint Paul jusqu' saintIrne, en passant par saint Clment de Rome, saint Ignace, saint Justin et tous lestmoins de ce temps cits par Eusbe, nous affirment que les chefs des Eglises sont\esepiscopoi, et cela malgr la persistance du niinislie prophtique dans l'Eglisejusqu' la fin du 11' sicle. (Sur celte persistance, voir .Iistin, Dial., lxxviii,Lxxxvin ; I Apo/., lxvii ; Iii.>e, Haeres., xi, 3^ ; Eltkuf., Ilist. tccls., V, 1(1-17).Aucun tmoignage, d'ailleurs, ne vient corroborer le sens qui paratrait rsulter dela Didach an premier abord L'emphase de langage avec laquelle ce livre parle desprophtes s'explique, ajoute-t-on, si l'on admet que ce recueil de maxime et deprceptes, compos, soit Anlioche, soit dans une de ces villes mles de paens,o les mes inquites se pressaient avec avidit autour des prdicateurs et des voyants,i'est fait l'cho des tmoignages exceptionnels de respect et d'honneur dont onentoura alors les prophtes chrtiens, de la libert qu'on leur laissa de convoquerparfois des assembles autour d'eux ( supposer que le mots TTOtwv e-s iijixT.piovKOTiJi'.xv y./.Atac, signifient : convoquant dos assembles, et non: agissant en vue

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    LA PREMIERE EXPANSION 89.A la suite des aptres et des prophtes, la Didache nomme les Les docteurs

    docteurs ou

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    90 HISTOIRE cNRALE DE l'GI.ISE

    Leursfonctions.

    Les Anciensouprsbuteroi.

    Leursfonctions.

    Elle indique ensuite, en peu de mots, les qualiU's que ceux-ci doi-vent possder et leurs fonctions. Ils doivent tre hommes dignesdu Seigneur, doux, dsintresss, sincres et prouvs ; car ils rem-plissent, eux aussi, pour la communaut chrtienne, le ministre desprophtes et des docteurs ^ Ces simples mots, rapprochs de toutce que nous savons d'ailleurs par les contemporains, par saint Paul,par saint Clment, par saint Ignace, par saint Justin et par les mo-numents archologiques de l'poque, suffisent nous suggrer lagrandeur du ministre confi ces derniers ministres. Ils sont d'a-hord les ministres du sacrifice eucharistique dcrit dans les lignesprcdentes 2. C'est pour cela qu'ils doivent tre dignes du Sei-gneur . Ils doivent tre doux , comme il convient ceux quisont chargs de gouverner leurs frres ; u dsintresss , car ilsadministreront les biens de la communaut ; sincres et prouvs ,car ils donneront la commxmaut, en qualit de ministres sden-taires, l'enseignement et la prdication, que les prophtes et les doc-teurs ne donnent qu'en passant.

    Le mot d'episcopos (vcque) tait emprunt aux institutionsadministratives des Grecs, qui dsignaient ainsi un fonctionnairecivil ayant une charge de surveillance et d'inspection ^. Cette dno-mination devait tre bientt rserve au chef unique d'une Egliseparticulire. Mais, comme la Didach ne l'emploie qu'au pluriel,plusieurs historiens ont pens que le titre donn alors au chef del'Eglise locale tait celui de prophte.

    Sous les ordres de ce chef, de quelque nom qu'on l'appelle,sont les anciens ou prsbuteroi, qui, pendant quelque temps encorese runiront en un conseil appel conseil presbytral (presbuterion).Bien des indices, sur lesquels nous n'avons pas nous appesantir,font supposer, sans qu'on puisse tre trs affirmatif sur ce point,que ces Anciens auraient eu, vers l'poque dont nous parle laDidach, les pouvoirs d'ordre , de l'vque, par exemple celuid'ordonner des prtres, sans en possder les (( pouvoirs de juridic-tion * . Le nom d'ancien est d'origine juive. C'tait l'usage chez

    I. Didach, XV, i.a. FuNR et Harmack ont not l'importance de la conjonction o5v, qui relie lesdeux dveloppements. Choisissez donc... IIar^ack, Enslehumj, p. 58.3. P. DE Smedt, dans la fievue des^quest. hist. du i" octobre 1888, p. SSg.l\. Sur ce point voir le mot Evques dans le DUlionnaire de thol. et dans le Dict,

    apologi*lique.

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    LA PREMIERE EXPANSION 91les Juifs de confier la direction de chaque synagogue un conseild'Anciens *.

    Les aptres avaient pris modle sur cette institution pour organi-ser leurs premires communauts. Saint Paul recommande Timo-the de se rappeler la grce qu'il a reue l'imposition des mainsdes Anciens -, et saint Pierre conjure les Anciens de patre le trou-peau qui leur est confi ^. Le sens de ce mot ne tardera pas seprciser. Quand, aprs la mort des Douze, chaque Eglise particulireaura t place sous la direction d'un chef unique ; quand l'institu-tion du conseil presbytral aura disparu, et que le mot d'vque aurapris sa signification, le nom d'Ancien ne dsignera plus que le simpleprtre, et c'est en ce sens que saint Ignace flicitera les Ephsiensde ce que leurs anciens (ou prtres) sont unis leur piscopos (ouvque) comme les cordes d'une lyre *.

    Quant aux diacres, qui nous sont dj bien connus par des docu-ments antrieurs, la Didach ne nous apporte aucune lumire nou-velle sur leurs fonctions. Ils ont toujours pour domaine les uvresde zle et de charit, le service de la prdication et le service -despauvres.En somme, si l'on considre dans son ensemble cette hirarchie

    ecclsiastique de la seconde moiti du i" sicle, que nous d-crit la Doctrine des douze aptres, elle nous apparat comme pres-que toujours en mouvement. L'aptre, le prophte, le docteur, le ministre itinrant en un mot, occupe plus souvent la scne quele clerg sdentaire, qui cependant a la charge de le surveiller et dele contrler ^ ; le missionnaire est plus en vue que le simple prtre

    Les di

    Caractresdominantsde cette

    hirarchie.

    1. Jacquier, la Doctrine des douze aptres et ses enseignements, p, a42-243.a. I Tim., IV, i4.3. I Petr., V, 1-5.4. S lGiKCE,Ephs.,i\. Voir sur l'importante question del distinction du pres-

    bytrat et de l'piscopat le P. Prat, S. J-, au mot Evques, dans le Dict. de thol.de Vacant-Mamgenot, t. V, col. 1 656- 1700. Le savant auteur y tablit : lo qu'on netrouve, ds l'origine, aucune trace d' Eglise amorphe ; car toutes les Eglises ontdes chefs qui sont appels tantt prsidents (I Ths., v, la ; Bom., xii, 8j, tanttdirecteurs [Heb., xiii, 7, i4. 24 ; Act., xv, aa), anges {Apoc., i, 20), pasteurs [Act.,XX, 28; \Pelr., V, a; Eph.,\, 11), le plus souvent surveillants ou inspecteurs(episcopoi), ou anciens (presbuteroi) ; a" qu'il n'y a pas eu d'uniformit dans l'orga-nisation des Eglises primitives, du moins jusqu' la mort des aptres et la dispari-tion des dons charismatiques ; So que l'piscopat est d'origine apostolique ; letmoignages, de saint Clment Rome, de saint Irne Lyon, de Tertullien enAfrique et de Clment d'Alexandrie, ne laissent subsister aucun doute sur ce point.Cf. MicHiELS, au mot Evques, dans le Dict. apolog. de la foi catholique.

    5. Didach, xi, i-ia. Cf. Batiffol, op. cit., p. i3o-i3i.

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    92 HISTOIRE GNRALE DE l'GLISE

    missionnaire yest plus envue.

    1 Le clerg et que l'vque ; c'est autour du missionnaire que les foules segroupent ; c'est lui que vont les oiTrandes du peuple ; dans leservice divin lui-mme, le prophte intervient plus d'une fois. Mais mesure que les glises particulires s'organisent d'une manirestable, l'autorit de l'vcque merge avec plus de relief. Bientt

    30 Cette l'voque aura absorb en sa fonction pastorale toutes les fonctions depr^'clomhianro l'aptrc. du prophte et du docteur. Au n" sicle, ceux-ci disparaUdu clerg trout de la hirarchie, o ils n'auront occup qu'un rle transitoire.missionnaireest provisoire.

    VI

    Le dveloppe-ment du cultechrtien.

    Vie de prire.

    Assembleschrtiennes.

    Les renseignements que la Doctrine des douze aptres nous donnesur le culte ne sont pas moins intressants que ceux qu'elle nousfournit sur la hirarchie.

    La vie du chrtien nous y est reprsente comme une vie deprire. Le chrtien doit prier au moins trois fois par jour ^. Nous sa-vons par ailleurs que les heures fixes pour la prire taient la troi-sime, la sixime et la neuvime ^^ c'est--dire, suivant notre ma-nire actuelle de compter, neuf heures du matin, midi et trois heuresde l'aprs-midi. L'attitude du chrtien pendant sa prire tait habi-tuellement celle de l'orante, debout, les mains leves la hauteurde l'paule, et la tte dcouverte 3. Les Juifs priaient ordinairementen se voilant la tte ; les esclaves n'avaient point la permission de sedcouvrir ; mais saint Paul avait recommand aux chrtiens de priertte nue, comme des hommes libres.En dehors de ces moments dtermins pour la prire, il est recom-mand aux chrtiens a de rechercher chaque jour la face des saints

    (c'est--dire de leurs frres les fidles), pour se reposer dans leursparoles * )),et de m se rassembler frquemment, pour examiner cequi intresse leurs mes ^ . Le dimanche, jour du Seigneur, onconfessera ses pchs, on se rconciliera avec ses frres, si on a euquelque diffrend avec eux, et on offrira le sacrifice**.

    I. Didarh, viii, 3.a. CbliMENT D';VLEXiNDRIE, StrOlU., VU, 7-/I0.3. CI". Dicl. de la Bible, au mot Prire, t. V. col. O74-675.4. Did., IV, a.5 lid., XVI, a.6, Ibid., iiv, i-a.

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    LA PREMIERE EXPANSION 93

    Lessacrements.

    Les formules de prire indiques dans la Didach sont l'Oraison L'Oraisondominicale et les prires qui accompagnent la rception des sacre- omimca e.meuts du baptme et de l'Eucharistie. L'Oraison dominicale esttextuellement reproduite, accompagne de la doxologie suivante : Puisque Toi est la puissance et la gloire dans tous les sicles * ;doxologie qui rappelle la formule des Paralipomnes : A toi, Jho-vah, est la grandeur, la force et la majest, la victoire et la magnifi-cence 2.

    Des renseignements brefs, mais prcis, sont donns sur le bap-tme. Celui qui doit tre baptis s'y prparera par un jour ou deuxde jene ^. On aura d d'abord lui enseigner tout ce qu'il doitcroire ^, Il sera conduit vers une eau courante, de source, de fon-taine ou de rivire ^, car l'eau courante, plus pure et plus fracheque l'eau stagnante, symbolise mieux l'action rgnratrice et rafra- Le baptme,chissante du sacrement. Si l'eau vive fait dfaut, on pourra prendrede l'eau recueillie dans un rservoir et on en versera trois fois surla tte du baptis au nom du Pre et du Fils et du Saint-Esprit ^ C'est la mention la plus ancienne qu'on possde du baptme pareffusion. Cette manire de baptiser, qui avait d, comme nousl'avons dj constat, tre employe ds le dbut par les aptres dansplusieurs circonstances, et titre d'exception, devait plus tard dispa-ratre de l'usage courant de l'Eglise, par suite de la constructionrgulire de piscines baptismales qui se fit partout o les commu-nauts chrtiennes se runirent, et o se pratiqua le baptme par im-mersion '. Le baptme par effusion, rserv aux malades, ne fut plusadministr qu'en cas d'absolue ncessit.On a remarqu avec quel soin la doctrine des aptres a relev les La confession,pchs ^ ; elle les a mme rassembls en deux listes, qui pourraient, la rigueur, passer pour des examens de conscience primitifs 9. Elleaffirme nettement que les pchs peuvent tre remis *^. Nous savons,d'autre part., qu'au commencement du u' sicle, Antioche, les

    I. Didach, vm, 3.a. I Parai., xxix, 11,3. Did , VII, l\.l\. Ibid., VII, I.5. Ibid., VII, I,6. Ibid , VII, 3,7. G. DE Rossi, Bollellino di archeologia cristiana, 1886, p. 19-20.8. Did., i V.Q.Ibid., V.10. Ibid., XI, 7.

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    94 HISTOIRE GNRALE DE l'GLISEpclieurs pouvaient obtenir la rmission de leurs fautes en s'adressant leur voque *. Cependant l'accusation des pchs dont [)arle notredocument - pourrait n'tre pas une confession sacramentelle, maisune simple confession rituelle, analogue celles que se faisaient mu-tuellement les Juifs dans leurs synagogues ^.

    L'Eucharistie. De mme, il n'est pas sur que les chapitres ix et x, qui con-tiennent des prires d'actions de grces relatives un repas myst-rieux, se rapportent l'Eucharistie. On a pu voir, dans le repas au-quel il est fait allusion, la continuation, pure et christianise, duKiddoiisch ou repas religieux des Juifs, et considrer, dans les bellesinvocations qui doivent le prcder et le suivre, quelque chose d'ana-logue notre Bndicit et nos Grces *. Mais au chapitre xiv, la

    I. S. Ignace, ad Phil., c. viu. P. L., t. V, col. ia4.a. Did., IV, l!^, iiv, i.3. BuxroRF, Synagoga judaca, ch. ix. Cf. Morin, De poenitentla, 1. IV, c. ii,

    n. ai, 33, etc. Tel est du moins le sentiment de plusieurs graves auteurs catho-liques, tels que FuNi Patres apostolici. ae dition, Tubingue, 1901, t. I, p. i4, 3a.

    4. Batikpol, Etudes d'histoire et de thologie positive, a srie, 4 dition, p. 71-78; Dom Gagin, l'Eucharistie, canon primitif de la messe, i vol in-4", Paris, 191a,p. a54, Mgr Duchesse, Bull, crit., t. V, iS84, p. 385-386, et M. Ladeuze,Revue de l'Orient chrtien, 1903, p. 339-399, pensent qu'il s'agissait ici la fois del'Agape et de l'Eucharistie. La question de 1 agape a une grande importance apo-logtique. La plupart des rationalistes affirment que la cne eucharistique ne fut l'origine rien de plus qu'un repas ordinaire, qui, aprs une longue volution, sescinda en deux crmonies distinctes : l'Eucharistie et l'Agape. Un des travaux lesplus considrables sur ce sujet est celui du R. P^Ephrem Balmgartnbr, O. M. G.,Eucharistie und Agape im Urchristentum, i vol. in-8, Soleure, iiog. A[)rs avoirreproduit et analys minutieusement une immense quantit de textes, groupesd'aprs les pays dont ils manifestent les usages, le savant auteur croit pouvoir poserles conclusions suivantes : au i*""" sicle, nous retrouvons, dans toutes leschrtients que nous connaissons, des institutions sensiblement identiques relative-ment l'Agape et 1 Eucharistie. Le dimanche, de bon matin, quelquefois dj ver*minuit, au moment o eut lieu la rsurrection du Seigneur, les chrtiens serunissent pour clbrer l'Eucharistie. Celle-ci est rattache l'instruction reli-gieuse et comprend essentiellement la prire d'action de grces prononce parr>que sur le pain et le vin ; le peuple s associe celte fonction liturgique enprononant VAmen et en communiant. Le dimanche soir, les chrtiens, suivant encela une ancienne coutume juive, viennent prendre leur repas en commun, et cellaimage de Kiir amour fraternel sert en mme temps l'entretien des frres ncessi-teux : c'est 1 \gape, repas sanctifi par des prires et par l'exercice des charismes dela glossolalie et de la prophtie ; la clbration de lEucharistie n'y fut jamais rattache,mais, d'aprs saint Paul (I Co