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NOUVELLES médecine/sci ences 1 995 ; Il : 1 1 71 Mutation du gène de la carboxypeptidase E et obésité La prédisposition familiale à l'obésité constitue un facteur de risque impor- tant pour le diabète fami lial non insulinodépendant. Cette obésité s'accompagne le plus souvent du développement d'une résistance à l'insuline : la production de glucose par le foie est accélérée, son utilisa- tion périphérique diminuée. Ces syn- dromes ont été particulièrement étu- diés chez la souris chez laquelle pas moins de six loci sur des chromo- somes différents ont été décrits. Très récemment, nous rapportions dans ces colonnes la mise à jour du gène en cause chez les souris ob/ob. Ce gène semblait coder pour une hor- mone de la satiété ( m/s n o 1 2, vol. JO, p. 1337) [ 1]. Aujourd'hui, c 'est le gène responsable du phénotype fat qui est identifié. Les souris homozy- gotes fat développent une obésité plus lentement que les souris homo- zygotes pour ob ou diabetes, mais attei- gnent un poids double à triple de celui des individus normaux de leur portée. La caractéristique phénoty- pique première de ces animaux est une hyperproinsulinémie, ce qui a poussé Naggert el al. (, USA) à rechercher une anomalie dans le gène codant pour la carboxypeptida- se E, responsable du rabattage final de la chaîne B, dernière étape de la transformation de la proinsuline en insuline (CPE) (figure 1) [ 2] . Ils apportent les arguments biochi- miques montrant que la synthèse d'une CPE anormale est responsable de l'anomalie de la proinsulinémie et de la faible concentration d'insuline active. En outre, les études géné- tiques montrent une forte liaison entre le phénotype fat et le gène codant pour la CPE sur le chromoso- me 8. L'analyse du gène cpe a permis m/s n o 8, uol. I l, août 95 la mise en évidence d'une mutation faux sens responsable de la substitu- tion dans la protéine de la sérine 202 par une proline. Exprimé dans le sys- tème baculovirus, ce gène code pour une protéine dépourvue d'activité enzymatique. Cette substitution Ser Pro a lieu dans un feuillet � qui a toutes raisons d'en être désorgani- sé. Tous ces éléments rendent l'hypo- thèse d'une causalité entre une CPE anormale et le phénotype fat extrê- mement vraisemblable. Mais, le gène cpe s'exprimant dans de nombreux tissus autres que les îlots pancréa- tiques, il n'est pas sûr que l'obésité soit uniquement liée au défaut de maturation de la proinsuline ; d'autres prohormones peuvent être Prépro-insuline Peptide signal Chaine B Si gnal peptidase Chaine A Pro-insuline aussi en cause, en particulier des neurohormones impliquées dans le contrôle de la satiété et de l'équi libre énergétique ou nutritionnel. La phy- siopathologie de l'obésité chez les souris fat est loin d'être élucidée ! E. B. 1. Zhang Y, Proenca R, Maffei M, Barone M, Leo- pold L, Friedman JM. Positional cloning of the mouse obese gene and its human homologue. Nature 1 994 ; 372 : 425-32. 2. Naggert JK, Fricker LD, Varlamov 0, Nishina PM, Rouil le Y, Steiner DF, Carroll RJ, Paigen BJ, Leiter EH. Hyperproinsulinaemia in obese fat/fat mice associated with a carboxypeptidase E muta- tion which reduces enzyme activity. Nature Get 1 995 ; JO: 1 35-4 1. Diarginyl insuline Proinsuli ne convertases PCI/3, PC2 Carboxy- peptidase E Insuline Figure 1. Biosynthèse de nsuline. Le clivage du peptide signal de la pré- proinsuline engendre la proinsuline, formée des deux chaÎnes de l'insuline, A et 8, reliées entre elles, d'une part par les ponts disulfures, d'autre part par une chaÎne peptidique. Des endo- et exopeptidases, les proinsuline conver- tases (PC), clivent la proinsuline de part et d'autre de ce peptide intermédiai- re au niveau de résidus dibasiques; PC1!3 agit au bout de la chaÎne 8, lais- sant les résidus Arg-Arg au bout de la chaÎne 8, puis PC2 clive la jonction chame A-peptide intermédiaire après le dipeptide Lys-Arg. C'est la carboxy- peptidase E, dont le rôle est d'achever la biosynthèse de l'insuline en rabot- tant les deux deiers résidus de la chaÎne 8, qui est inactive chez la souris fat/fat. c - 1171

Mutation du gène de la carboxypeptidase E et obésitéipubli-inserm.inist.fr/bitstream/handle/10608/2433/MS... · 2019-03-20 · NOUVELLES médecine/sciences 1995 ; Il : 1171 Mutation

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Page 1: Mutation du gène de la carboxypeptidase E et obésitéipubli-inserm.inist.fr/bitstream/handle/10608/2433/MS... · 2019-03-20 · NOUVELLES médecine/sciences 1995 ; Il : 1171 Mutation

NOUVELLES

médecine/sciences 1 995 ; Il : 1 1 71

Mutation du gène de la carboxypeptidase E et obésité

La prédisposition familiale à l 'obésité constitue un facteur de risque impor­tant pour le diabète fam ilial non insul inodépendant. Cette obésité s ' accompagne le plus souven t du développement d 'une résistance à l ' insuline : la production de glucose par le foie est accélérée, son utilisa­tion périphérique diminuée. Ces syn­dromes ont été particulièrement étu­diés chez la souris chez laquelle pas moins de six loci sur des chromo­somes différents ont été décrits. Très récemment, nous rapportions dans ces colonnes la mise à jour du gène en cause chez les souris ob/ob. Ce gène semblait coder pour une hor­mone de la satiété ( m/s n o 12, vol. JO, p. 1337) [ 1 ] . Aujourd ' hui , c 'est le gène responsable du phénotype fat qui est identifié. Les souris homozy­gotes fat développent une obésité plus lentement que les souris homo­zygotes pour ob ou diabetes, mais attei­gnent un poids double à triple de celui des individus normaux de leur portée. La caractéristique phénoty­pique première de ces animaux est une hyperproinsulinémie, ce qui a poussé Naggert el al. (MA, USA) à rechercher une anomalie dans le gène codant pour la carboxypeptida­se E, responsable du rabattage final de la chaîne B, dernière étape de la transformation de la proinsuline en insul ine (CPE) (figure 1) [2 ] . I l s apporte n t les arguments b iochi ­miques montrant que la syn thèse d'une CPE anormale est responsable de l 'anomalie de la proinsulinémie et de la faible concentration d' insuline active. En outre, les études géné­tiques montrent une forte l iaison entre le phénotype fat et le gène codant pour la CPE sur le chromoso­me 8. L'analyse du gène cpe a permis

m/s n o 8, uol. I l, août 95

la mise en évidence d'une mutation faux sens responsable de la substitu­tion dans la protéine de la sérine 202 par une proline. Exprimé dans le sys­tème baculovirus, ce gène code pour une protéine dépourvue d 'activité enzymatique . Cette subst i tut ion Ser -> Pro a lieu dans un feuillet � qui a toutes raisons d'en être désorgani­sé. Tous ces éléments rendent l 'hypo­thèse d'une causalité entre une CPE anormale et le phénotype fat extrê­mement vraisemblable. Mais, le gène cpe s'exprimant dans de nombreux tissus autres que les îlots pancréa­tiques, il n 'est pas sûr que l'obésité soit uniquement liée au défaut de maturat ion de la proinsu l in e ; d'autres prohormones peuvent être

Prépro-insuline Peptide signal

Chaine B

Signal peptidase

Chaine A

Pro-insuline

aussi en cause, en particulier des neurohormones impliquées dans le contrôle de la satiété et de l 'équilibre énergétique ou nutritionnel. La phy­siopathologie de l 'obésité chez les souris fat est loin d'être élucidée !

E. B.

1. Zhang Y, Proenca R, Maffei M , Barone M, Leo­pold L, Friedman JM. Positional cloning of the mouse obese gene and its human homologue. Nature 1994 ; 372 : 425-32. 2. Naggert JK, Fricker LD, Varlamov 0, Nishina PM, Rouille Y, Steiner DF, Carroll RJ, Paigen BJ, Lei ter EH. Hyperproinsulinaemia in obese fat/fat mice associated with a carboxypeptidase E muta­tion which reduces enzyme activity. Nature Genet 1995 ; J O : 1 35-4 1 .

Diarginylinsuline

Proinsuline convertases PCI/3, PC2

Carboxy­peptidase E

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Insuline

F igure 1 . Biosynthèse de l'insuline. Le clivage du peptide signal de la pré­proinsuline engendre la proinsuline, formée des deux chaÎnes de l'insuline, A et 8, reliées entre elles, d'une part par les ponts disulfures, d'autre part par une chaÎne peptidique. Des endo- et exopeptidases, les proinsuline conver­tases (PC), clivent la proinsuline de part et d'autre de ce peptide intermédiai­re au niveau de résidus dibasiques; PC1!3 agit au bout de la chaÎne 8, lais­sant les résidus Arg-Arg au bout de la chaÎne 8, puis PC2 clive la jonction chame A-peptide intermédiaire après le dipeptide Lys-Arg. C'est la carboxy­peptidase E, dont le rôle est d'achever la biosynthèse de l'insuline en rabot­tant les deux derniers résidus de la chaÎne 8, qui est inactive chez la souris fat/fat.

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