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N° 41 – Janvier 2015 Extases

N°41 – Janvier 2015 - Langues Zone · 2015. 3. 19. · d’épreuves, dans la lumière éclatante d’un cou - cher de soleil et sous une musique triomphale, nous vous présentons

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  • N° 41 – Janvier 2015

    Extase

    s

  • 32

    Nous possédons bien sûr tous un rapport différent au sport, certains ne l’ayant pratiqué que de force au collège, d’autres en le prati-quant le dimanche avec leurs amis. Il y a aussi ceux qui s’exercent plusieurs fois par semaine, ceux à qui le sport procure de l’ « euphorie », du « flottement », de la « puissance », un ef-fet anesthésiant, et produit pendant et après l’effort un sentiment d’extase physique et psy-chique intense, engendré par le dépassement de soi.

    Certains d’entre nous sont avides de cet état, qui est pour eux vital à un équilibre men-tal, une « dépendance » en somme.

    Cet état est celui que tout sportif profes-sionnel a pour ultime but, au-delà même de la simple sensation d’euphorie et d’extase liée notamment à l’effet de l’endorphine ; celui du « flow », expliqué par Pelé en 2006 comme « un étrange calme… Une sorte d’euphorie ». Cette sensation se rapproche de très près à celle que connaissent les moines bouddhistes lors du rite d’entrée dans les ordres : être aspergé d’eau froide sur une montagne à 3000 mètres d’altitude et devoir sécher grâce à son énergie corporelle.

    Cet état consiste à « perdre » toute notion du temps, de ce qui nous entoure, et d’atteindre un contrôle parfait de ses gestes et de son esprit. C’est l’ultime état recherché par tous les athlètes professionnels (mais pas uniquement), et qui s’obtient à force de long travail et de concentra-tion. Stéphane Diagana, ancien coureur français du 400 mètres, décrit cet état comme « ce qui a

    fait de sa vie le millième de seconde a existé » ; selon lui « le sport dilate le temps et l’espace ».

    Serait-il possible que ces états seconds et transcendants, qui peuvent donc être considé-rés comme plus souvent vécus par les spor-tifs de haut niveau, aient des répercussions concrètes sur le quotidien et le mode de vie de ces derniers ? Beaucoup de sportifs sont connus pour leur goût de la fête, des sorties, des voitures de sport… Pour certains, les sports extrêmes provoquent des sensations d’extases et d’adrénaline proches de celles ressentis dans leur discipline. Cette dépendance est peut être liée à cette recherche d’euphorie en continu, mais peut aussi devenir un mode de vie et de pensée. Prenons par exemple cet homme passé dans la légende, Usain Bolt, très connu pour son attrait pour la fête et la célébration, en té-moigne son attitude très décontractée à l’égard de ses concurrents, et ce même avant une fi-nale de Jeux Olympiques. Cette extase agissant non seulement pendant mais aussi plusieurs heures après l’effort, prodiguerait aux sportifs la capacité de ressentir moins de stress dans leur quotidien, contrairement aux gens n’effec-tuant pas de sport régulièrement…

    En conclusion, n’hésitez pas à sortir de votre grotte afin d’aller vous dépenser et vous dépasser : vous n’en serez que gagnants, votre vie et votre esprit seront au beau fixe !

    Seck M.

    Sport et extaSeS1001 types d’extases, toutes plus différentes les unes que les autres, mais il y en a une bien singulière, autant par son processus que sa résultante. Grâce à cette activité, un antalgique naturel, qui dure au sein de votre organisme pour un plaisir longue durée, agit sur certaines zones du cerveau, liées à la réception de la douleur, et fait exploser votre dose d’endorphine. Autant dire de l’extase pure…En outre, ce processus est plus que sain, si ce n’est le plus sain que l’on puisse se prodiguer, de manière distrayante, et ludique… Je suis, je suis… ?! Le sport !

    ExtasesÉdito

    Amis de l’Inalco, bonjour.

    Avec un sourire triomphant, le menton bien haut, le regard fier d’avoir surmonté tant d’épreuves, dans la lumière éclatante d’un cou-cher de soleil et sous une musique triomphale, nous vous présentons aujourd’hui le numé-ro 41 de Langues zOne. Il n’est pas venu au monde sans mal et sa conception a été freinée par des obstacles puissants. Il a dû affronter Noël, le Nouvel An, les vacances et les exa-mens. Et, croyez-moi, ce n’est pas rien. Vrai-ment. Mais maintenant, il est LÀ. Savourez-le.Ce numéro commence dans l’Extase. L’extase du sport, l’extase du vin et de l’alcool pour vous charmer, vous enivrer, vous transporter ailleurs et vous rappeler une dernière fois les fêtes passées (et à venir). Il s’achève sur des visions de danse orientale, parée de ses sequins sonnants et de ses ailes lamées d’or et d’argent, de Japonais aux Amériques, endurants, malme-nés par l’Histoire, d’Américains en Iran, plus ambigus qu’il n’y parait, et du vieux monsieur érudit et polyglotte à la curiosité débordante et au doux nom de Léon de Rosny.

    Mais en son cœur, ce numéro 41 garde une place pour les 17 victimes des actes in-nommables commis les mercredi, jeudi et vendredi derniers. Il garde une place pour les 12 victimes du Charlie Hebdo. Il garde une place pour la victime de Monrouge. Il garde une place pour les quatre victimes de la Porte de Vincennes. Notre article rend compte des impressions de son auteur après le premier drame, celui du Charlie Hebdo, notre grand frère journalistique. Mais nous n’oublions pas, nous n’oublierons jamais, ceux qui sont tom-bés les jours suivants.

    Pourtant l’espoir demeure. L’espoir que fait naître l’union, le rassemblement vibrant des Français défilant pour la mémoire et la liberté. Alors pour que cette liberté perdure, saisissez vos crayons, vos stylos et vos clavier, et foncez rejoindre le rang des rédacteurs/illustrateurs/correcteurs de Langues zOne en nous contac-tant sur [email protected], sur Facebook ou en venant directement au local 2.03.

    Et en attendant de vous voir ou de vous lire,Je vous dis au revoir jusqu’au mois prochain.

    Éternellement votre,

    Pauline Ceausescu

    SommaireSport et Extases ........................................p.3

    S’enivrer, c’est saké drôle ! ......................p.4

    Les septs sages de la forêt de bambous ...............................................p.6

    Des tas de coups sur l’État d’Iran .........p.7

    Je suis Charlie ............................................p.8

    Danse Orientale ......................................p.10

    Japangeles, Little Tokyo et autres Japantowns, l’histoire (abrégée) des Japonais d’Amérique du nord........p.12

    Conférence « Léon de Rosny, passeur de cultures » ..............................p.14

    NOUS SOMMES CHARLIE

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    lE saké, bu chaud ou NoN ?

    Souvent, le Français moyen imagine qu’on boit le saké après l’avoir préalablement chauffé (comme le précise le Larousse), mais en réalité on peut le consommer à plus de dix tempéra-tures différentes. Si on peut effectivement le déguster chaud - chauffé par exemple à 50°C (atsukanzake 熱燗酒) ou à la température du corps (37°C) (c’est ce qu’on appelle le hitohada-zake 人肌酒) -, il se boit aussi froid (yukihiezake 雪冷え酒 à 5°C), voire glacé (mizorezake 霙酒 à -10°C).

    daNs QuEls RécIPIENTs EN boIT-oN ?

    Petite anecdote pour les japonisants : comme on pouvait s’y attendre, le saké pos-sède sa propre unité de mesure, le gō 合, qui correspond à peu près à 180 ml. Pour le boire, il existe plusieurs types de récipients, réservés à diverses occasions et plus ou moins luxueux. Par exemple, le masu 枡 est un petit gobelet en bois assez simple utilisé en collectivité alors que le guinomi ぐい呑み est une coupe plus large, fabriquée dans un matériau différent, la céra-mique, et utilisée par les buveurs solitaires. De taille plus modeste, le choko 猪口 est aussi en céramique, mais on y verse de préférence du saké chaud. Dans un autre genre encore, les sakazuki 盃 sont des coupes évasées plus for-melles, utilisées par exemple lors de mariages shintoïstes ou au Nouvel An ; échanger des gorgées de saké devient alors synonyme de promesses. Est-il nécessaire de rappeler que les tristement célèbres kamikazes de la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus connus au

    Japon sous le nom d’Unité d’Attaque spéciale (tokkō tai 特攻隊), buvaient une coupe de saké avant leur ultime sacrifice ?

    Hum, je m’éloigne un peu du thème plus festif de ce numéro, « Extases » (et non « L’ate-lier du petit chimiste » ou « Secrets d’Histoire »). L’Inalco n’étant pas une fac de sciences, je ne m’appesantirai pas sur les méthodes de fer-mentation du riz ou le mode de fabrication du saké. Intéressons-nous plutôt à sa consomma-tion (c’est quand même plus drôle).

    lE RÔlE caPITal dEs IZakaYa

    Peut-on parler du saké sans évoquer les iza-kaya 居酒屋 ? Il s’agit de restaurants spécialisés dans le saké, qu’on peut comparer à nos bis-trots. Étymologiquement, les izakaya sont des établissements (屋) où l’on peut s’asseoir (居) pour boire du saké (酒). À l’origine, il n’était pas coutume de s’installer confortablement pour se restaurer : on se contentait de boire debout dans de banales sayaka 酒屋 (échoppes où l’on pouvait acheter du saké et éventuellement le consommer sans pour autant s’asseoir) : c’est ce qu’on appelait les tachinomiya 立ち飲み屋 (éta-blissements où l’on boit debout). Puis au fur et à mesure que ces établissements se sont déve-loppés, on a assisté à l’émergence d’échoppes où, en plus de l’alcool de riz, on servait de plus en plus des repas en guise d’accompagnement.

    Pour Ôta Kazuhiko 太田和彦, auteur du célèbre « Guide Michelin » des izakaya (Ôta Ka-zuhiko no izakaya mishuran 太田和彦の居酒屋ミシュラン), les izakaya ont joué et continuent de

    jouer un rôle capital dans la société nippone. En effet, les Japonais se réunissent souvent dans des nomikai 飲み会 (littéralement, des « réunions pour boire »). Seulement, les fameux salarymen nippons ont fait une institution de ces rassemblements, au point qu’on utilise désormais le terme otsukaresama-kai お疲れ様会 (littéralement, des « réunions pour se féliciter du travail accompli ») pour désigner leurs af-terworks alcoolisés. Attention toutefois de ne pas y voir que des beuveries entre collègues, où tout le monde rentre chez soi ivre-mort : les otsukaresama-kai remplissent un rôle bien particulier dans le monde du travail au Japon. En plus de se détendre et de discuter plus li-brement du travail – n’oublions pas que la population active japonaise est corsetée dans une hiérarchie très stricte –, c’est l’occasion pour les salariés plus âgés d’enseigner aux plus jeunes comment tenir l’alcool, voire de don-ner des leçons de vie. Bref, les izakaya sont des lieux de socialisation secondaire capitaux dans l’Archipel. Pour les étrangers, c’est également le meilleur endroit pour rencontrer des Japo-nais plus spontanés et moins crispés.

    QuElQuEs coNsEIls PouR bIEN EN PRoFITER

    Si, en allant au Japon, vous franchissez le seuil d’un izakaya, attention aux petits trucs qui peuvent faire la différence. Comme pour

    S’enivrer, c’eSt SakÉ drôle!

    Extases

    Bien connu au moins de nom par les Occidentaux, le saké 酒 est une boisson alcoolisée japonaise qu’on fabrique à base de riz fermenté. En réalité, le mot regroupant plusieurs types d’alcool, les Japonais préfèrent employer le terme de nihonshu 日本酒 (saké japonais). Pourtant, plus qu’un alcool, le saké peut davantage être considéré comme un vecteur de cohésion sociale dans l’archipel (rien que ça !).

    beaucoup d’aspects de la vie quotidienne, les bonnes manières / les façons de faire évoluent d’un pays à l’autre. La consommation de saké n’échappe pas à la règle. Contrairement à la France où il est bon ton de remplir la coupe de l’autre, puis la sienne, au Japon on doit servir son compagnon de beuverie et attendre que ce dernier nous rende la pareille. Il est ensuite coutume de lancer un joyeux « Kanpai ! » (乾杯, littéralement « vider d’un trait sa coupe », qu’on traduira par « Santé ! » en français). Pour accompagner son saké, on peut consommer des sashimis, des coquillages, ou encore du poulet. A la fin de la soirée, les salariés plus âgés se chargent de régler le gros de l’addition, qui reste la plupart du temps modique (environ 5000¥).

    lE déclIN du saké, VRaIMENT ?

    On n’en a peut-être pas l’impression en France, mais le saké a tendance à perdre du ter-rain face à d’autres alcools dans l’Archipel, que ce soit du vin importé d’Europe ou d’autres al-cools nippons comme le shōchū 焼酎. Pourtant, il ne faut pas l’enterrer trop vite : le nihonshu de-meure très populaire et reste considéré comme la boisson nationale au Japon. Et les izakaya y sont sûrement pour quelque chose.

    Clément Dupuis

    Extases

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    C’est durant la période fort troublée des Trois Royaumes (220-280) qu’ont vécu les sept sages de la forêt de bambous (en carac-tères : 竹林七贤; en pinyin: Zhúlín Qī Xián) dans la province actuelle du Henan non loin de la propriété de l’un d’entre eux. Ces sept sages étaient des gens libres, dégagés de la politique, ayant un mépris des conventions sociales et ai-mant choquer et enfreindre les règles. C’était également des savants, des écrivains et des mu-siciens chinois qui ont tous marqué la culture de leur pays (aussi bien la poésie que l’art et la musique,…). Pourtant la plupart d’entre eux étaient d’origine aristocratique et auraient pu prétendre à de hautes fonctions politiques. Ils préféraient être libres et loin de la corruption du monde.

    La vie de ces sept sages est racontée dans un xiaoshuo (un roman).

    Ces lettrés vivaient en retrait de la vie po-litique et se moquaient de la morale et des codes sociaux confucianistes. Leurs convic-tions étaient plus proches du taoïsme re-ligieux. Ils aimaient l’alcool, la musique et poursuivait une quête philosophique, ce qui leur valut d’être considéré comme des libertins. Ils ne respectaient pas les rites confucéens en s’adonnant à l’alcool en pé-riode de deuil, à la nudité, à la bisexualité…

    La plupart des lettrés de l’époque étaient ti-raillés entre la vie publique avec son devoir de servir son pays, et la vie privée qui consistait à rester auprès de ses amis. La vie privée tendait à l’emporter.

    Les noms de ces sept sages étaient Ji Kang (aussi nommé Kang Xi), Liu Ling, Ruan Ji, Ruan Xian, Xiang Xiu, Wang Rong et Shan Tao Les plus connus de ses sages sont Ruan Ji, Liu Ling et Xi Kang.

    Ruan Ji est considéré comme le plus grand poète de son époque et s’intéressait à la mort. On raconte que pour éviter d’épouser la fille d’un influent clan chinois, les Sima, il se serait saoulé durant deux mois entiers afin de ne pas avoir à leur donner de réponse.

    Liu Ling, lui, était également poète mais aussi un érudit. Cet homme, décrit comme ex-centrique, est surtout connu pour son amour du vin et de l’alcool. On raconte qu’il était tout le temps suivi d’un serviteur tenant dans une main une gourde d’alcool pour qu’il puisse boire en toute occasion et dans l’autre une pelle afin de pouvoir l’enterrer s’il tombait raide mort après avoir trop bu. Il aimait égale-ment se promener nu aux abords de sa maison.

    Xi Kang, le plus connu, était à la recherche de la longévité et de l’immortalité, et le mon-trait dans ses poèmes. Il alla jusqu’à refuser un poste à la Cour et dénonça dans une lettre à un ami l’hypocrisie et l’oppression de celle-ci. C’est ce qui lui valut d’être condamné à mort après un procès inique. On raconte qu’il resta calme jusqu’à la fin qu’il attendit en jouant du luth.

    Caroline Allart

    leSt SeptS SageS de la forêt de bambouSExtases

    Avec une amie, nous disons souvent qu’un jour nous allons écrire un énorme best-seller en ayant bu énormément d’alcool afin de décupler notre imagination. Les hommes dont je vais vous parler buvaient beaucoup mais je suis sûre qu’ils n’avaient pas besoin de ça pour faire ce qu’ils ont fait et toutes ces belles choses qu’ils nous ont laissées.

    Les trois putsch – ou kudetâ – interviennent à des périodes critiques, à des tournants de l’his-toire. Dire « coup de théâtre », aurait été trop spec-taculaire, pas assez vrai. Kudetâ, ça fait moderne et ça montre une implication européenne.

    Les Russes sont montrés du doigt en 1908, ils voulaient en finir avec cette Révolution consti-tutionnelle qui menaçait de faire de la Perse, à leur porte, une démocratie arrogante. En 1921, les nationalistes anglophobes proclament c’est les Anglais. Londres aurait voulu, après l’Irak, stabiliser sa domination sur l’Iran : le pétrole y est déjà un enjeu majeur, pas question de l’aban-donner aux Soviétiques ou aux Américains. En 1953, c’est encore le pétrole l’enjeu majeur, mais cette fois, les Iraniens eux-mêmes, avec leur lea-der nationaliste le Dr Mossadegh, ont préten-du – sacrilège – nationaliser l’Anglo-Iranian Oil Company. Et cette fois, les Américains sont ac-cusés d’avoir dépensé des dizaines de millers de dollars pour que la CIA remette sur son trône le shah et supprime le danger nationaliste derrière lequel elle voyait l’URSS.

    Quand on regarde de plus près les docu-ments qui ne font surface que très longtemps après l’événement, parfois par hasard, les choses sont plus complexes. Accuser une puissance ar-rogante lointaine est plus facile que découvrir les pièges où la nation a pu se fourvoyer. L’his-toire ne progresse pas comme les versions offi-cielles le disent, de manière mécanique.

    Au fait, qu’est-ce qu’un coup d’État ? Un changement politique radical obtenu par la force des armes ? On dit toujours – et dans tous les pays – que c’est les autres, or, en réalité, comme on dit en persan, « ce qui nous tombe dessus vient de nous » (« az mâ-st ke bar mâ-st »). En tout cas, c’est l’évidence. Prenons février 1921 : dans ses mémoires, le général britannique Ironside commandant les troupes en Perse

    dit qu’on le soupçonne d’avoir tout organisé. I suppose I did, strictly speaking, écrit-il. Cette fierté mal placée est démentie par l’analyse des faits : l’officier ne connaissait pas assez la Perse, il n’a en réalité fait qu’approuver et soutenir un projet de coup de force qui a réussi. Les deux prota-gonistes iraniens, dont le futur fondateur de la dynastie Pahlavi, avaient beau nier le rôle des Britanniques, la mémoire collective iranienne n’a retenu qu’eux. L’historien doit corriger cette version.

    Août 1953, c’est encore plus embrouillé. Pour justifier son existence, la CIA a eu besoin de s’attribuer – dans un rapport interne récem-ment divulgué – la victoire contre Mossadegh. Mais un historien iranien de la diaspora a mon-tré l’incohérence de cette version qui par ailleurs alimente en Iran un ancien ressentiment contre les Américains et les Britanniques. En réalité ce ne sont sans doute ni les monarchistes ni des agents secrets qui ont mis fin au gouvernement nationaliste, mais simplement un mot d’ordre du clergé pour conjurer le danger d’une insur-rection communiste : « le pays a besoin d’un roi ! ». Quelle ironie, cette alliance du turban et de la couronne, à la lumière de la Révolution islamique de 1979 !

    Conclusion : kudetâ, c’est bien un concept étranger, ne cherchons pas d’autre équivalent. D’ailleurs, ça ne veut rien dire. Putsch non plus.

    Yann Richard

    Professeur émérite (Sorbonne nouvelle), a publié L’Iran de 1800 à nos jours (Paris, Flammarion, 2009)

    et Regards français sur le coup d’Etat de 1921 en Perse (Leiden, Brill, 2015).

    deS taS de coupS Sur l’État d’iranKudetâ, persan pour « putsch ».L’origine étrangère du mot n’est pas claire pour les Iraniens. Ils lisent, dans leur manuel d’histoire, trois récits de putsch au xxe siècle, où l’on fait intervenir la force militaire et une manipulation extérieure… On oublie parfois de leur dire que le peuple, ou des éléments de la nation iranienne ont pu y avoir un rôle important.

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    À l’heure où je commence cet article, il est 2h57, le 8 janvier. Toute la journée précédente, j’étais ailleurs, déboussolé. Je l’ai passée à véri-fier tous les fils d’actualité qui me tombaient sous la main depuis environ 11h30. Mon mur Facebook s’est progressivement couvert de vignettes noires et de messages désolés. Vers 18h, je suis allé à la place de la République, alors que ce n’était pas prévu dans ma journée. Je suis passé acheter une rose blanche que j’ai déposée au milieu de dizaines d’autres en l’ac-crochant entre deux bougies sur les reliefs au pied de la statue centrale. Des scènes de l’his-toire de la République.

    Je ne suis pas lecteur de Charlie Hebdo. J’ai même parfois été agacé par certains dessins. D’autres m’ont fait rire. J’ai quelques couver-tures en tête. Et là, je n’arrive pas à me dire que c’est terminé, fini, plus de couverture de Charb, plus de couverture de Cabu, rien du tout.

    Qu’est-ce qu’on peut écrire ? Sérieuse-ment, qu’est-ce qu’on peut écrire ? Je ne sais pas. Je n’en ai aucune idée. J’ai juste envie de me réveiller et de me dire que tout ça n’était qu’un vilain cauchemar, qu’en France c’est im-pensable qu’un journal entier soit assassiné. Mais je sais que ça ne va pas arriver.

    Pas mal d’autres gens ont conjuré leur tris-tesse par l’écriture ou le dessin aujourd’hui. Ils ont dit des choses qui font (un peu) chaud au cœur, en ce premier jour de choc. Des mes-sages d’unité, venant de partout. Les appels à éviter les amalgames sont nombreux. Il faudra sûrement le redire plus tard, mais ce soir, c’est ce message qui, heureusement, se dégage du tumulte.

    Alors qu’est-ce qu’on peut encore écrire ?Eh bien on peut écrire qu’à l’INALCO

    cet attentat abject doit nous faire comprendre quelque chose. Et je ne dis pas ça comme une pirouette rhétorique : est-ce que ça sert vrai-ment à quelque chose d’apprendre une langue si on n’a pas la liberté de l’utiliser pour dire ce que bon nous semble ? Des mots comme partage, curiosité, échange, ce ne sont pas des mots lancés dans le vent quand on est étudiant à l’INALCO. En nous y inscrivant, on a pro-clamé notre tolérance et notre refus de la haine de l’autre. On a non seulement choisi d’accep-ter les modes de vie et de pensée de ceux qui ne nous ressemblent pas, mais on a même dé-cidé de s’y intéresser.

    Qu’est-ce que cet attentat dit aux étudiants de l’INALCO ? Que la tolérance n’est jamais acquise, nulle part. Que notre cocon d’ouver-ture n’est pas représentatif du monde et qu’il faudra toujours combattre l’incompréhension et la division. Que la prochaine fois qu’on nous tiendra un discours portant des germes de haine, il ne faudra pas fuir, mais se défendre, avec l’ouverture et le sourire comme armes.

    Regardez ces mots sur la page de droite qui désignent tous la même douleur. Regardez les courbes de l’arabe côtoyer la rectitude des katakanas japonais. Regardez la sobriété de l’al-phabet hébreu à côté du raffinement du thaï. Regardez l’austère cyrillique rappeler notre al-phabet latin. C’est tout cela que nous devons défendre.

    Tout à l’heure à République, j’ai renversé de la cire de bougie sur mon jean en déposant la fleur. Je n’ai pas réussi à l’enlever. Je ne sais pas si la tâche va partir mais j’espère que le jean n’est pas foutu.

    Romain Lebailly

    Je SuiS charlie

  • 1110

    Il s’agit d’une certaine manière d’une danse assez récente, composée des mouvements tra-ditionnels (vibrations et mouvements du bassin et du ventre) et des apports occidentaux (de-mi-pointe, mouvements des bras, parfois ajout de figures empruntées à d’autres danses et adap-tées à la raqs al-sharqî).

    Elle a également associé dans ses chorégra-phies des accessoires anciens et d’autres plus modernes. Ainsi, aux sagattes (sortes de petites cymbales attachées aux doigts), aux cannes (au-paravant éléments d’une danse guerrière mascu-line) ou au voile se sont rajoutés les ailes d’Isis (un large demi-cercle de tissu léger, lamé et plis-sé, porté comme un cape et rappelant les ailes de la déesse égyptienne un fois déployé) et les éventails larges, couverts d’une longue bande de tissu (parfois de la soie) dépassant le bord de près d’1m50. D’autres accessoires traditionnels, comme le candélabre et le sabre, se sont faits plus rares. Le premier vient d’un type de danse particulier, le shama’dân où la danseuse effectuait divers mouvements de plus en plus compliqués en gardant en équilibre sur sa tête un grand can-délabre métallique de 18 à 20 kilos. Aujourd’hui les candélabres se sont singulièrement allégés et ne pèsent plus qu’un à deux kilos. Le sabre est utilisé de la même manière, posé en équilibre sur la tête. De la même manière, les costumes conservent des éléments traditionnels, comme la robe de la danse de type baladî (« local », « du pays ») ou le sarouel (un large pantalon bouf-fant) et adoptent en même temps un style ins-piré par l’Occident et Hollywood qui associe soutien-gorge à strass et paillettes, jupe large et ceinture à sequins ou à perles.

    L’aspect traditionnel de la danse orientale, toujours fortement ancré dans l’histoire et la culture égyptienne malgré les transformations

    qu’elle a subit, remonterait au temps des pha-raons. Cette danse se serait perpétuée ensuite en Égypte et dans les pays environnants jusqu’à nos jours. Il n’y a presque aucune trace écrite concernant cet art jusqu’au xixe siècle, et encore sont-ce là des écrits de visiteurs européens. Les Égyptiens eux-mêmes n’ont commencé à parler de cette danse que vers le début du xxe. Ces Eu-ropéens, en visitant l’Égypte, ont décrit la situa-tion suivante : les danseuses se divisaient en deux types bien distincts, d’un côté, les « almées » de l’autre les ghawâzî. Les premières étaient aussi bien chanteuses que danseuses, se produisaient à l’intérieur des maisons et étaient traitées avec respect. Les secondes dansaient dans la rue et étaient objets de mépris. Bien que les jugements portés par les Occidentaux sur le monde de la danse égyptien puissent être quelque peu sim-plistes, voire parfois erronés, il est évident que cette division était bien réelle. Avec l’arrivée des occidentaux les deux espèces se sont fait concurrence, l’une se réservant aux Égyptiens, l’autre se produisant devant les étrangers. Du fait de l’affluence de visiteurs occidentaux et du développement de cafés-concert qui proposait aux touristes des divertissements « orientaux », la seconde espèce prit de l’importance, se mo-dernisa et éclipsa peu à peu sa « rivale ».

    La danse a suivi le chemin où la menaient la rencontre avec la modernité et les nouveaux goûts du public : les mouvements se sont diver-sifiés, les costumes se sont faits de plus en plus luxueux et ont commencé à dévoiler davantage le corps, la musique qui l’accompagnait s’est trouvée de nouveaux instruments. C’est ainsi qu’est née la danse orientale moderne, de la ren-contre entre la danse traditionnelle des almées et les techniques scéniques et les danses occi-dentales. Les danseuses se sont adaptées aux exigences de la scène, elles ont diversifié leur ré-

    pertoire, apporté plus d’exigence à leur art tout en gardant les mouvements qui en composaient l’essence : les vibrations et les mouvements de hanches et de ventre. En effet, la caractéris-tique de la « danse du ventre » est cette mise en valeur du ventre et du bassin, des parties du corps que les danses occidentales négligent habituellement. Les vibrations, plus ou moins marquées, peuvent être localisés aux épaules ou aux hanches, et dans ce deuxième cas, elles sont souvent soulignées par des ceintures à sequins.

    Une autre caractéristique de cette danse est le principe d’isolation. La danseuse peut faire bouger bassin, épaules, buste ou tête indépen-damment du reste du corps. Le contact de la danse d’autrefois, souvent décrite comme ter-rienne, ancrée dans le sol par les pieds plats et les vibrations parfois un peu lourdes, avec l’oc-cident et ses exigences scéniques lui a apporté la légèreté (des demi-pointes) et les chorégraphies complexes qui ne laissaient plus la place à l’im-provisation et aux trop nombreuses répétitions de mouvements qui accompagnaient celle-ci.

    Cette danse, à la fois nouvelle et ancienne, née dans les cafés du Caire, a été perfectionnée dans le fameux « salon », sorte de cabaret de luxe, de l’ancienne danseuse Badiaa Masabni, dans les années 1920 et 1930. Véritable vivier de la danse orientale, le Casino Opéra a accueilli et formé de nombreuses danseuses, dont deux des plus grandes stars de la danse et du cinéma égyptiens de cette époque : Tahia Carioca et de Samia Ga-mal. Après avoir dansé dans ce cabaret, elles ont tourné chacune plus de 80 films, la plupart des comédies musicales égyptiennes dans les années 1940 à 1960 et acquis une immense notoriété. Elles ont incarné, avec quelques autres dan-seuses, la perfection de la danse orientale de la grande époque de ce cinéma égyptien, souvent très inspiré d’Hollywood.

    Depuis cette époque, la danse orientale est entrée dans une période creuse. L’absence de dénominations académiques (comme dans le ballet par exemple), qui listeraient l’ensemble des mouvements et faciliteraient l’enseigne-ment, est souvent pointé du doigt comme la

    cause première de la stagnation de la danse. Avec la disparition des grandes artistes et cho-régraphes, cet art s’appauvrit puisque rien ne permet de transmettre leur savoir. Il reste au-jourd’hui peu de professeurs en Égypte, où, par ailleurs, la danse orientale est de plus en plus méprisée à cause de son aspect érotique et de son image ternie par la prostitution qui a inévi-tablement sévit au temps des cabarets. Ailleurs dans le monde, la demande est importante et les professeurs nombreux. Cependant, ceux-ci sont souvent mal formés et il arrive même qu’ils aient à peine un ou deux ans d’expérience au moment où de se lancer dans l’enseignement.

    Pourtant, malgré ces obstacles, la danse orientale continue de se développer. Il n’y a plus la folie grandiose de son âge d’or, mais l’en-thousiasme de ses pratiquantes et sa populari-té croissante (notamment aux États Unis), qui ont déjà contribué à créer un nouveau type de danse orientale, la danse tribale, font espérer un renouveau.

    Pauline Ceausescu

    danSe orientaleCe que l’on appelle aujourd’hui la danse orientale, raqs al-sharqî en égyptien, ou encore « danse du ventre » ou « bellydance », est un art hybride qui a associé les danses traditionnelles égyptiennes et les techniques occidentales. Elle est proche des autres danses arabes, mais pour la simplicité de l’exposé, nous nous concentrerons sur la danse égyp-tienne exclusivement, d’autant plus que c’est elle qui est devenue la danse orientale popularisée dans le reste du monde.

    Tahia Carioca (gauche) ; Samia Gamal (droite)

    Pour un aperçu des spectacles de danse orientale, venez admirer la représentation

    de la troupe de l’INALCO à la fin de l’année ! Rendez-vous sur notre site pour de nombreux liens

    de spectacles anciens et à venir !

  • 1312

    Toute émoustillée par l’idée d’aller à Los Angeles, il y avait un lieu que je n’aurais pu manquer sous aucun prétexte. Le Japanese American History Museum, ou musée des Ja-ponais américains, permet de mieux connaître l’histoire et donc la culture de ce groupe de citoyens dont les ancêtres sont arrivés sur le sol californien à partir de la fin du xixe siècle.

    Les premiers asiatiques à immigrer en masse aux États-Unis étaient des Chinois, mais rapidement soumis à des lois racistes dès 1882 limitant leur entrée sur le territoire, ils vont « laisser la place » (expression dégoûtante, pardonnez-moi) aux travailleurs japonais venus chercher une nouvelle vie chez l’oncle Sam. Population majoritairement masculine de paysans pour la plupart, ils vont vite être stigmatisés sous l’appellation insultante de « Japs », et peu à peu seront soumis à des réglementa-tions nippophobes. Au tournant du xxe siècle, beaucoup de japonais sont désormais bien installés et décidés à rester, mais les premières lois ségrégatives sont appliquées, d’abord leur limitant l’accès à l’éducation (1902), puis d’un commun accord avec le gouver-nement japonais, le Gentlemen’s agreement de 1907 pose pour condition à ce que les États-Unis n’interdisent pas l’immigration des japonais (ce qui aurait été humiliant pour le pays qui venait de gagner une guerre contre la Russie, et qui était donc assez important pour ne plus être considéré comme « inférieur »), l’obligation pour les autorités japonaises d’interdire l’émigration

    de travailleurs vers le Nouveau Monde. Subtil non ? En échange, les américains s’engageaient à autoriser les enfants de japonais à fréquenter leurs écoles et à laisser venir les familles des japonais déjà présents sur le territoire.

    Cette nouvelle période de l’immigration est marquée par les « Picture Brides ». Les hommes venus en Amérique étaient souvent jeunes et célibataires, et la meilleure manière pour les femmes d’émigrer était de se trouver un mari. Des agences organisaient donc des mariages basés sur l’échange de lettres et de photos, et les fiancés se rencontraient avec la pro-messe d’un mariage. Beaucoup de nos lecteurs ont facebook, on sait tous à quel point nous ne sommes pas dans la vraie vie comme dans nos photos de profil les plus avantageuses… C’était la même chose il y a un siècle, mais sans internet. Après un voyage de plusieurs se-maines, les jeunes filles arrivaient donc dans les bras de gens très souvent pas si beaux ni riches, ni même lettrés (certains faisaient écrire leurs lettres pour eux). Le rêve américain !

    Les citoyens « non-blancs » ne pouvant être naturalisés à cause d’une loi de 1790, seule la seconde génération de Japonais-Américains, les Nisei, naissait citoyenne du pays. En 1924, une loi sur l’immigration interdit la venue de citoyens non éligibles à la naturalisation. Cela marque la fin de l’immigration japonaise d’avant-guerre.

    Les États-Unis entrent en guerre contre

    le Japon en 1941, après l’attaque de Pearl Har-bor. Les Japonais-Américains sont immédiate-ment vus comme les ennemis, et il faut trouver des solutions pour s’en débarrasser légale-ment. Parmi l’appellation Japonais-Américain, beaucoup étaient des Nisei et par consé-quent citoyens américains, mais rien n’y fait : ces gens, majoritairement fidèles aux États-Unis, leur pays, sont envoyés en camps de concentration.

    En effet, en février 1942, Roosevelt signe un acte d’exclusion visant les japonais, et ceux-ci reçoivent des lettres leur demandant de dé-ménager sous 48 heures vers des lieux précis (oui, de « déménager »). S’ils ne le font pas, ils seront déportés. Quoi qu’il en soit, ils le sont. Peu de ceux qui vivaient sur le continent se-ront acceptés dans l’armée, mais un bataillon de Hawaï composé de nombreux soldats Nisei ira combattre en Europe. Pendant ce temps, une dizaine de camps sont construits puis rapi-dement habités par des hommes et des femmes qui ont le tort de ne pas être de la bonne cou-leur. Ce sont, à proprement parler, des camps de concentration, mais pas au sens où on l’en-tend pour les victimes de l’holocauste, plu-tôt des villes-camps où sont rassemblés des gens exclus de la société normale. Les condi-tions de vie sont difficiles mais pas atroces. Situés loin de tout, ils sont régulièrement frap-pés par des tempêtes de sable pour certains, par des pénuries pour d’autres, mais la vie s’organise et l’on s’occupe comme on peut. Fermés à la fin de la guerre, le retour à la vie normale est une ultime épreuve pour une com-munauté humiliée : maisons pillées, vendues, saccagées… Les Nisei que j’ai pu rencontrer m’ont raconté qu’ils ne sont jamais revenus dans leur ville d’origine, mais se sont installés ailleurs, et ont vécu plusieurs années de grande pauvreté.

    Aujourd’hui, ces gens sont considérés comme des américains tout à fait normaux. Les communautés se mélangent de plus en plus, et un des Nisei à qui j’ai parlé m’a confié que ça lui serrait le cœur de voir sa commu-nauté fondre dans le melting pot étasunien. Lui-même, pourtant seconde génération, n’a jamais appris à parler japonais et ne connaît pas sa famille japonaise.

    Pour conclure, j’aimerais préciser que j’ai choisi de parler de cette communauté parce que je la connais mieux. J’aurais pu parler de l’émigration des Chinois, des Coréens, mais aussi des Irlandais, de l’histoire tragique des Afro-américains, des Native-americans et j’en passe. Aujourd’hui, notre défi c’est ça, c’est l’intégration. En tant que citoyenne je le vois tous les jours, le mur qu’il y a à franchir avant que chacun soit tolérant et prône un monde de paix. Je suis fière d’être à l’Inalco, où chacun peut venir apprendre la culture de l’autre, car la tolérance ne peut pas se passer de la connaissance. Ne baissons pas les bras ! (Et arrêtez avec vos autocollants dans les toilettes.)

    Elisabeth Richard

    JapangeleS, little tokyo et autreS JapantownS,

    l’hiStoire (abrÉgÉe) deS JaponaiS d’amÉrique du nord

    Ayant eu la chance d’aller en Californie ces dernières vacances, il était moralement impossible pour une étudiante en japonais comme moi de faire l’impasse sur le Japantown de San Francisco et le Little Tokyo de Los Ange-les. Je vous rassure, j’ai aussi visité les plus célèbres Chinatowns et ceux-ci étaient bien plus impressionnants. Cependant, mon propos porte sur cette immigration moins importante et pourtant historiquement significative de Japonais aux États-Unis.

    Dorothea Lange, pledge of allegiance

  • 1514

    uNE FIguRE INcoNTouRNablE dE l’INsTITuT

    Né en 1837 et mort en 1914, Léon de Rosny est souvent présenté comme le premier professeur de japonais de l’INALCO et intro-ducteur de la langue japonaise à l’éventail de langues enseigné à l’Institut.

    Il fut à l’initiative du recours aux locuteurs natifs (ou « répétiteurs indigènes »).

    Surdoué, il n’a que 19 ans lorsqu’il publie son premier manuel de japonais (Introduction à l’étude de la langue japonaise, 1856), succédant à d’autres ouvrages (Observations sur les écritures sacrées de la presqu’île trans-gangétique, 1852 ; No-tice sur la langue annamique, 1855 etc). Il n’a pas trente ans lorsqu’il intègre en 1864 l’École Impériale Spéciale des Langues Orientales (au-jourd’hui INALCO).

    uN PRodIgE TouchE-à-TouT

    Autodidacte, il s’initie au japonais par ses propres moyens, s’appuyant sur les connais-sances linguistiques acquises auparavant en arabe, arménien, chinois, coréen, malais, russe… entre autres. Il complète sa maîtrise par la lecture de livres glanés dans les bibliothèques européennes, ou envoyés depuis le Japon par des amis. Puis, l’attrait de la littérature japonaise le poussera à traduire des ouvrages qu’il estime être des mo-numents des lettres japonaises, allant jusqu’à les assimiler à des bibles : Nihonshoki (日本書紀 - quelques pages), Kojiki (古事記 -5 pages), Taiheiki (太平記 - 8 pages), et Taikôki (太閤記 - 15 pages).

    Il serait néanmoins réducteur de limiter l’œuvre qui fut la sienne au domaine du japonais. Il produit un travail considérable sur l’identifica-tion des glyphes mayas, mais également sur les études espagnoles, finlandaises et chinoises, sans cacher un intérêt pour les affaires européennes.

    TRaducTEuR, INTERPRèTE, MédIaTEuR, léoN dE RosNY, coNNEcTEuR ENTRE lEs

    culTuREs

    Son rôle sera retenu comme celui de connecteur d’hommes. En identifiant les ca-ractéristiques communes à l’ensemble de l’hu-manité et les employant pour relier les cultures.

    Fondateur de la Revue Orientale et américaine, rédacteur au journal Le Temps, ethnologue, lin-guiste, professeur de langue japonaise, créateur des premiers poinçons japonais en France, interprète pour la mission diplomatique japo-naise en Europe (1862) et correspondant pour le Shogunat d’Edo aux affaires européennes… la vie de Léon de Rosny a de quoi impression-ner.

    Parmi ses amis, on compte un peintre oc-cidentaliste : Ôseida ; des hauts fonctionnaires: Kurimoto Teijiro ou Harada Kazumichi, et surtout le penseur Fukuzawa Yukichi.

    Ainsi, sa vie durant, il sera la passerelle prin-cipale entre Europe et Asie, mais également un exemple de l’appétit intellectuel insatiable qui touche les passionnés de connaissance.

    Curieux de tout, il porte en lui l’essence de l’Institut : le cosmopolitisme.

    Lise M.

    confÉrence « lÉon de roSny, paSSeur de cultureS »Un évènement à l’occasion de la commémoration du centenaire de la mort de Léon de Rosny et en partenariat avec la Maison de la Culture du Japon à Paris. 2 décembre 2014.

    Participants : Patrick Beillevaire (ehess), François Macé (inalco), Phillipe rohstein (Université Montpelier iii)

  • Langues zOne n° 41Rédacteur en chef : Pauline Ceausescu – Textes : Caroline Allart, Pauline Ceausescu, Clément Dupuis, Romain Lebailly, Lise M.,

    Élisabeth Richard, Yann Richard, M. Seck – Graphismes et illustrations : Mathilde Escoffier, Kao, Lise M. – Mise en page : Mathilde EscoffierÉditeur : Langues zOne (association loi 1901) – Imprimeur : INALCO, 65 rue des Grands Moulins, 75013 Paris – D’après la

    loi de 1957, les textes et illustrations publiés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. L’envoi de textes, photos ou documents implique leur libre utilisation par le journal. La reproduction des textes et dessins publiés est interdite. Ils sont la propriété exclusive de Langues zOne qui se réserve tous les droits de reproduction. ISSN : 1774-0878

    Crédits : Japonais américains © oldhistoricphotos.com ; Je suis Charlie © gizmodo.fr ; Saké © nomooo.jp ; Samia Gamal en train de danser © tumblr.com ; Sept Sages © chine-informations.com ; Tahia Carioca © sevenveils.co.uk