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N°48 Novembre 2013

N°48 Novembre 2013 - Cour de cassation · Bull. 2004, V, n° 26). Dans de telles conditions, la jurisprudence énonce que la mutation du salarié dans un même secteur géographique

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SOMMAIRE A - CONTRAT DE TRAVAIL, ORGANISATION ET EXÉCUTION DU TRAVAIL

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B - DURÉE DU TRAVAIL ET RÉMUNÉRATIONS

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D - ACCORDS COLLECTIFS ET CONFLITS COLLECTIFS DU TRAVAIL

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E - REPRÉSENTATION DU PERSONNEL ET ELECTIONS PROFESSIONNELLES

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F - RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

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G - ACTIONS EN JUSTICE

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A - CONTRAT DE TRAVAIL, ORGANISATION ET EXÉCUTION DU TRAVAIL 1. Emploi et formation *CDD – Requalification Sommaire Par l'effet de la requalification, le salarié réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche au sein de l'entreprise est en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération. Soc., 6 novembre 2013 Cassation partielle Arrêt n° 1878 F-P+B N° 12-15.953 - CA Nancy, 25 janvier 2012 M. Frouin, f.f. Pt. - Mme Goasguen, Rap. - M. Aldigé, Av. Gén. Note Un salarié a travaillé au service d’une entreprise dans le cadre de cinquante-deux contrats à durée déterminée (CDD), avant d’être engagé par celle-ci suivant contrat à durée indéterminée (CDI). Il a ensuite saisi la juridiction prud’homale d’une demande en requalification de l’intégralité de la relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes. La cour d’appel a requalifié le contrat en CDI mais a débouté le salarié de sa demande de rappel de salaires représentant une reprise d’ancienneté sur la période pendant laquelle il était lié par des CDD et de rappel d’indemnité de congés payés afférente. Les juges du fond ont en effet estimé que le salarié ne rapportait pas la preuve d’une relation contractuelle continue, de sorte qu’il ne pouvait prétendre à une reprise d’ancienneté depuis le jour du premier contrat. Au visa de l’article L. 1245-1 du code du travail, la chambre sociale casse l’arrêt d’appel, jugeant que « par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié était réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche au sein de La Poste (…) ». Tirant la conséquence d’une telle requalification, elle pose le principe selon lequel le salarié, ainsi réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche au sein de l’entreprise, « est en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération. » Certes, ainsi que le relevaient les juges du fond, l’article L. 1243-11 du code du travail dispose que lorsque il y a poursuite de la relation contractuelle après l’échéance du terme du contrat à durée déterminée, « le salarié conserve l’ancienneté qu’il avait acquise au terme» de ce contrat. La Cour de cassation a d’ailleurs jugé que « lorsque la relation contractuelle se poursuit à l'issue de plusieurs contrats de travail à durée déterminée successifs, le salarié conserve l'ancienneté acquise au terme de chacun de ces contrats » (Soc., 31 octobre 2006, pourvoi n° 05-40.740). Cependant, en l’espèce il n’était pas question de dire si la relation contractuelle s’était poursuivie à l’issue du CDD, mais quelles conséquences emportait la requalification-sanction prévue à l’article L. 1245-1 du code du travail. Cet article prévoit en effet qu’un CDD conclu en méconnaissance de certaines dispositions strictement énumérées est réputé conclu pour une durée indéterminée. Ce

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mécanisme vise à sanctionner l’employeur qui viole la réglementation impérative du contrat à durée déterminée et ainsi à protéger les intérêts des salariés. La requalification a un effet rétroactif puisqu’elle donne à la relation contractuelle, par l’effet de la loi, un régime autre que celui que les parties s’étaient choisi. Dans des arrêts diffusés, la chambre sociale avait déjà énoncé que, par l'effet de la requalification, le salarié réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée « depuis le jour de sa première embauche » au sein de l'entreprise est en droit d'obtenir « la reconstitution » de sa carrière ainsi que « la régularisation » de sa rémunération (Soc., 24 juin 2003, pourvoi n° 01-40.757 et Soc., 24 avril 2013, pourvoi n° 12-12.273). Encore récemment, elle rappelait que « les effets de la requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée remontent à la date de la conclusion du premier contrat à durée déterminé irrégulier » (Soc., 19 septembre 2013, pourvoi n° 12-12.271). Le présent arrêt vient consolider cette jurisprudence. *CDD – Rupture Sommaire D'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 1243-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, sauf accord des parties, le contrat à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure. D'autre part, le refus par un salarié d'un changement de ses conditions de travail ne constitue pas à lui seul une faute grave. Se trouve dès lors justifié l'arrêt qui, pour accueillir les demandes indemnitaires d'un salarié ayant vu son contrat à durée déterminée rompu de manière anticipée, relève qu'il lui était reproché d'avoir refusé un changement d'affectation du service des marchés publics au service des affaires générales, ledit refus n'étant pas, à lui seul, constitutif d'une faute grave. Soc., 20 novembre 2013 RejetArrêt n° 1967 FS-P+B N° 12-16.370 - C.A. Riom, 31 janvier 2012 M. Lacabarats, Pt. - Mme Ducloz, Rap. - M. Richard de la Tour, Av. gén. Sommaire n° 1 Il résulte de l’article L.1242-14 du code du travail que les dispositions des articles L.1232-2 et L.1235-6 du même code ne sont applicables qu'à la procédure de licenciement et non à celle de la rupture du contrat de travail à durée déterminée laquelle, lorsqu’elle est prononcée pour faute grave, est soumise aux seules prescriptions des articles L. 1332-1 à L 1332-3 du code du travail qui ne prévoient aucune formalité pour la convocation à l’entretien préalable à la sanction disciplinaire. Doit en conséquence être approuvé l’arrêt qui, après avoir relevé que la salariée ne contestait pas avoir reçu la convocation à l’entretien préalable adressée par lettre simple, en a déduit que la procédure disciplinaire était régulière. Sommaire n° 2 Le refus par un salarié d'un changement de ses conditions de travail, s'il caractérise un manquement à ses obligations contractuelles, ne constitue pas à lui seul une faute grave. Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui, pour débouter la salariée de ses demandes indemnitaires pour rupture abusive de son contrat à durée déterminée, retient que l'absence de l’intéressée en

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raison de son refus de se rendre sur son nouveau lieu de travail caractérise une faute d’une gravité telle qu’elle ne pouvait être maintenue au sein de l’entreprise même durant le temps limité du préavis, puisqu’elle a manifesté par son attitude, son refus persistant de se soumettre au pouvoir de direction de l’employeur. Soc., 20 novembre 2013 Cassation partielleArrêt n° 1970 FS-P+B N° 12-30.100 - C.A. Aix-en-Provence, 5 mai 2011 M. Lacabarats, Pt - Mme Mariette, Rap. - M. Richard de la Tour, Av. Gén. Une salariée avait été engagée par une association en qualité d’agent d’entretien dans le cadre d’un emploi solidarité du 29 avril au 29 octobre 2005, puis dans le cadre d’un contrat d’avenir du 16 décembre 2005 au 16 décembre 2007, pour lesquels le lieu d’exécution du contrat était fixé au siège de l’association à Marseille. En mai 2007, elle fit l’objet d’un licenciement pour faute grave. Elle saisit la juridiction prud’homale de demandes indemnitaires dont la cour d’appel, après avoir constaté que la procédure suivie était régulière, la débouta au motif que le refus de la salariée de se rendre sur son nouveau lieu de travail était constitutif d’une faute grave. Par le présent arrêt, la Cour de cassation approuve la décision d’appel sur le premier point et la censure sur le second. La salariée contestait d’abord le fait d’avoir été convoquée à l’entretien préalable au licenciement par lettre simple, et non par lettre recommandée ou remise en main propre. Cette critique ne pouvait prospérer. L’emploi d’avenir régissant en dernier lieu la relation de travail est une forme de contrat à durée déterminée dont la rupture obéit à un régime distinct de celui à durée indéterminée. Ainsi que l’énonce l’article L. 1242-14 du code du travail, « les dispositions légales et conventionnelles ainsi que celles résultant des usages applicables aux salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée s’appliquent également aux salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée, à l’exception des dispositions concernant la rupture du contrat de travail ». Dans ces conditions, les dispositions de l’article L. 1232-2, qui prévoit un formalisme de lettre recommandée ou remise en main propre pour la convocation à l’entretien préalable ne sont pas applicables en cas de rupture d’un contrat de travail à durée déterminée. S’appliquent néanmoins en cas de rupture du contrat de travail à durée déterminée pour motif disciplinaire, laquelle ne peut reposer que sur une faute grave, les dispositions des articles L. 1332-1 à L. 1332-3 qui constituent des garanties de procédure. A ce titre, l’article L. 1332-2 prévoit que l’employeur qui envisage une sanction convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation. Le salarié qui n'a pas été convoqué à un entretien préalable peut ainsi prétendre à une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement (Soc., 20 novembre 1991, pourvoi n° 88-41.265, Bull. 1991, V, n° 509). Au présent cas, la salariée ne contestant pas avoir reçu la lettre de convocation à l’entretien préalable, la procédure disciplinaire avait été respectée. Pour autant, la rupture était-elle justifiée ? Cassant l’arrêt d’appel sur ce point, la chambre sociale juge que non. Ainsi qu’il a été rappelé, l’article L. 1243-1 du code du travail n’autorise la rupture du contrat à durée déterminée avant l’échéance du terme, sauf accord des parties, qu’en cas de faute grave ou de force majeure. La loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, postérieure aux faits de l’espèce, a ajouté comme cause de rupture l’inaptitude constatée par le médecin du travail.

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Si selon une jurisprudence classique, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du lien contractuel (Soc., 13 février 1963, Bull. 1963, n° 152), la question était ici de savoir si le refus de changer de lieu de travail présentait le caractère de gravité requis. La circonstance que le contrat mentionne le lieu où la prestation devait être exécutée ne suffisait pas à donner à la demande de l’employeur tendant au changement du lieu de travail le caractère d’une modification contractuelle. En effet, la mention du lieu de travail dans le contrat a seulement valeur d’information « à moins qu’il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu » (Soc., 21 janvier 2004, pourvoi n° 02-12.712, Bull. 2004, V, n° 26). Dans de telles conditions, la jurisprudence énonce que la mutation du salarié dans un même secteur géographique relève du pouvoir de direction de l’employeur et ne constitue qu’un changement des conditions de travail (Soc., 16 décembre 1998, pourvoi n° 96-40.227, Bull. 1998, V, n° 558). Au présent cas, les juges du fond avaient constaté que le nouveau lieu de travail se trouvait à quinze kilomètres du précédent et devait donc être considéré comme relevant du même secteur géographique. Toutefois, si le refus par un salarié d’un changement de ses conditions de travail constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, il ne caractérise pas à lui-seul une faute grave (Soc., 23 février 2005, pourvoi n° 03-42.018, Bull. 2005, V, n° 64). Le refus, même persistant, de la salariée, de rejoindre son nouveau lieu de travail, ne pouvait donc à lui seul revêtir le caractère d’une faute grave. La rupture du contrat à durée déterminée ne pouvait dès lors intervenir pour ce motif. 2 - Droits et obligations des parties au contrat de travail *Clause de non-concurrence Sommaire Une cour d’appel ayant constaté qu’il ne s’était écoulé que quelques jours entre le départ du salarié de l’entreprise à la suite de la dispense d’exécution du préavis, et la décision de l’employeur de ne pas verser la contrepartie financière, en raison de la violation de la clause de non-concurrence par le salarié, a pu en déduire que ce délai ne suffisait pas à libérer ce dernier de son obligation, qu’il avait aussitôt méconnue en passant au service d’une entreprise concurrente. Soc., 20 novembre 2013 Cassation partielle Arrêt n° 1969 FS - P + B N° 12-20.074 - C.A. Lyon, 28 mars 2012 M. Lacabarats, Pt. - M. Hénon, Rap. - M. Richard de la Tour, Av. gén. *Discriminations entre salariés - Discriminations fondées sur l’âge Sommaire n° 1 Hors la procédure de question prioritaire de constitutionnalité, il ne peut être utilement invoqué devant le juge judiciaire un moyen tiré de la non-conformité d’une norme de nature législative à la Constitution. Une cour d’appel retient à bon droit que les discriminations en raison de l’âge ne sont pas visées à l’article 2 de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 relative aux principes généraux du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et des tribunaux du travail en Polynésie française.

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Sommaire n° 2 L’article 2 de la décision 2001/822/CE du Conseil du 27 novembre 2001 relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté européenne ne rend applicable le principe de non-discrimination en raison de l’âge que dans les domaines de coopération visés par la décision. En l’absence d’acte du Conseil relatif à la coopération avec les pays et territoires d’outre-mer en matière de droit du travail, ce principe n’est pas applicable. Il résulte de l’article 10 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations que la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 n’est pas applicable en Polynésie française. Soc., 26 novembre 2013 RejetArrêt n° 1910 FS-P+B N° 12-22.208 - C.A. Papeete, 13 octobre 2011 M. Lacabarats, Pt. - M. Huglo, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén. Sommaire n° 1 Aux termes de l’article 6 § 1 de la Directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. Tel est le cas des dispositions du code du travail relatives à la mise à la retraite mettant en œuvre, dans un objectif de politique sociale, le droit pour chacun d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre et en subordonnant la mise à la retraite à la condition que le salarié bénéficie d'une pension à taux plein. Dès lors que ces dispositions, de portée générale, satisfont aux exigences de la directive, il ne peut être imposé à l’employeur de justifier que leur mise en œuvre à l’égard d’un salarié qui remplit les conditions légales d’une mise à la retraite répond aux objectifs poursuivis. Soc., 26 novembre 2013 Cassation partielle Arrêt n° 1908 FS-P+B N° 12-21.758 - C.A. Versailles, 11 mai 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Béraud, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén. Sommaire Dès lors que la Directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 consacre un principe général du droit de l’Union, le juge saisi de demandes fondées sur le caractère discriminatoire, à raison de l’âge, de dispositions à valeur réglementaire fixant une limite d’âge pour l’accès à un statut, doit, quelle que soit leur date d’effet, rechercher si la différence de traitement fondée sur l'âge est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

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Soc., 26 novembre 2013 Cassation partielle Arrêt n°1909 FS-P+B N° 12-18.317 - C.A. Paris, 28 février 2012 M. Lacabarats, Pt - Mme Lambremon, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén. Sommaire Selon l'article 6 § 1 de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, nonobstant l'article 2, paragraphe 2, les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. Une cour d’appel ayant constaté l’existence de contreparties en termes d’emploi résidant dans des embauches de salariés en contrats de professionnalisation telles que prévues par l’accord national du 13 avril 2004 sur le départ et la mise à la retraite dans les bâtiments et travaux publics, en a déduit, dans l’exercice de son pourvoi souverain d’appréciation, que, pour la catégorie d'emploi de ce salarié, la différence de traitement fondée sur l'âge résultant de la décision de l’employeur de mise à la retraite était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires. Soc., 26 novembre 2013 Rejet Arrêt n°1911 FS-P+B N°12-24.690 - C.A. Versailles, 27 juin 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Huglo, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén. Note commune aux arrêts n° 1908, 1909 et 1911 Les arrêts rendus le 26 novembre 2013 permettent de faire le point sur les conditions d’appréciation d’une discrimination liée à l’âge dans le déroulement de carrière ou dans la décision de mettre fin au contrat de travail. L’article 6 §1 de la Directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 permet aux Etats membres de prévoir, dans le cadre du droit national, certaines formes de différence de traitement fondée sur l’âge à la condition d’être objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime, « notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail, et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ». Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt n° 1909, ce texte consacre un principe général du droit de l’Union, qui s’applique donc aux situations antérieures à la directive. L’affaire en question concernait un salarié de la SNCF, engagé comme agent contractuel à partir de 1988 par contrats à durée déterminée et depuis 1990 suivant contrat à durée indéterminée. L’intéressé avait saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir son intégration au cadre permanent de la SNCF rétroactivement à la date de sa première embauche en CDD et subsidiairement, réparation du préjudice résultant de l’application discriminatoire de l’accord national sur les « 35 heures » conclu en 1999 entre la SNCF et les organisations syndicales, prévoyant l’admission au cadre permanent de la SNCF des agents contractuels âgés de moins de 40 ans au 1er janvier 1999. La cour d’appel l’a débouté de ses demandes au motif que l’accord précité avait été librement négocié avec les organisations syndicales, que la SNCF avait respecté le statut des relations collectives, et que l’intéressé avait dépassé l’âge requis en 1999.

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Cette décision est cassée. Dès lors que des dispositions à valeur réglementaire fixent une limite d’âge pour l’accès à un statut, le juge saisi de demandes alléguant de leur caractère discriminatoire doit rechercher si la différence de traitement fondée sur l’âge est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et vérifier que les moyens pour réaliser cet objectif dont appropriés et nécessaires. La discrimination à raison de l’âge peut également se caractériser par le congédiement d’un salarié. La Cour de Luxembourg a précisé par ses arrêts Félix Palacios de la Villa (CJCE, arrêt du 16 octobre 2007, aff. C-411/05) Age Concern England (CJCE, 5 mars 2009, aff. C-388/07) et Georgiev (CJUE, 18 novembre2010, aff. C-250/09) que l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle sont considérées comme valables les clauses de mise à la retraite d’office figurant dans les conventions collectives et qui exigent, comme seules conditions, que le travailleur ait atteint une limite d’âge et remplisse les autres critères en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite à taux plein. Mettant en œuvre le droit européen, la Cour de cassation a précisé qu’il revenait aux juges du fond de s’assurer que la différence de traitement fondée sur l’âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime « pour la catégorie d’emploi » du salarié en question, chef de service patrimoine à l’Opéra national de Paris (Soc., 11 mai 2010, pourvoi n° 08-43.681, Bull. 2010, V, n° 105) ou chef de projet EDF (Soc., 16 février 2011, pourvoi n° 09-72.061, Bull. 2011, V, n° 52). Plus récemment, elle a jugé que l’accord de branche des sociétés d’assurances relatif à l’application de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, en date du 14 octobre 2004, qui prévoit des contreparties en termes d’emploi et ne vise la mise à la retraite que des salariés en mesure de bénéficier d’une pension de retraite à taux plein, ne méconnaît pas les dispositions de la directive du 27 novembre 2000 (Soc., 10 juillet 2013, pourvoi n° 12-19.740, Bull. 2013, V, n° 193). L’arrêt n° 1908 concernait un salarié engagé en qualité de directeur technique et développement d’une usine et occupant en dernier lieu les fonctions de « vice-président » recherche et développement à l’international d’une filiale de la société. Mis à la retraite au motif qu’il avait atteint l’âge de 65 ans, l’intéressé a contesté cette mesure qu’il estimait discriminatoire. La Cour de cassation censure la décision d’appel ayant requalifié la mise à la retraite du salarié en licenciement nul, au motif que la lettre de mise à la retraite de contentait de renvoyer à l’intérêt du salarié sans rattacher cette mesure à un objectif légitime et proportionné, « extérieur à sa situation ». L’article L. 1237-5 du code du travail, dont le premier alinéa dispose que « la mise à la retraite s’entend de la possibilité donnée à l’employeur de rompre le contrat de travail d’un salarié ayant atteint l’âge mentionné au 1° de l’article L. 351-8 du code de la sécurité sociale sous réserve des septième à neuvième alinéas » a été jugé conforme à la Constitution (Cons. const., 4 février 2010, décision n° 2010-98 QPC). La chambre sociale ajoute par le présent arrêt que satisfont aux exigences de la Directive n° 2000/78/CE les dispositions du code du travail subordonnant la mise à la retraite à la condition que le salarié bénéficie d’une pension à taux plein. L’arrêt d’appel est cassé car, dès lors que l’objectif de politique sociale est poursuivi par un texte « de portée générale » aux conditions prévues par la Directive, l’employeur n’a pas, en cas de mise à la retraite d’un salarié en application de ce texte, à justifier que celle-ci répond aux objectifs poursuivis. Dans l’arrêt n° 1911, un ingénieur d’affaires avait été mis à la retraite courant 2009 à l’âge de 61 ans, du fait que depuis janvier 2007, le nombre de trimestres de cotisation à la sécurité sociale lui permettait de liquider sa retraite à taux plein. L’intéressé se plaignait d’une discrimination liée à l’âge, faisant valoir que l’accord collectif national du 13 avril 2004 sur le départ et la mise à la retraite dans le BTP (étendu par arrêté ministériel) ne comportait aucune disposition pour sa catégorie d’emploi, que l’accord ne précisait pas son objectif en termes de politique de l’emploi, de

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marché du travail et de formation professionnelle et ne démontrait pas en quoi la mise à la retraite d’un cadre de 61 ans constituerait un moyen approprié et nécessaire. Au présent cas, la source de la différence de traitement ne se trouvait donc pas dans la loi mais dans la mise en œuvre d’un accord collectif. Validant l’analyse des juges du fond, la chambre sociale considère que le contrôle de l’existence de contreparties en termes d’emploi a été correctement effectué. En effet, la cour d’appel a écarté la discrimination liée à l’âge, au motif que si la mise à la retraite de l’intéressé ne s’était pas accompagnée d’une contrepartie formation professionnelle au sens de l’accord collectif de 2004, le départ du salarié connaissait une contrepartie en termes d’emploi, par la conclusion par l’employeur de trente contrats de professionnalisation dans les conditions prévues par l’accord en question. De plus, au salarié qui objectait qu’aucun de ces contrats ne correspondait à la qualification d’ingénieur d’affaire, la cour d’appel avait répondu que celui-ci avait lors de son embauche celle d’ingénieur d’étude et que les contrats de professionnalisation devaient permettre aux intéressés de préparer les diplômes de maîtrise de chantier, de BTS Transport et d’économiste manager. Après avoir contrôlé que les juges du fond avaient vérifié l’existence de contreparties à la mise à la retraite, la Cour de cassation précise que les juges du fond apprécient souverainement que la différence de traitement fondée sur l’âge est objectivement et raisonnablement justifiée « pour la catégorie d’emploi de ce salarié ». 5. Statuts particuliers *Employés de maison Sommaire Les dispositions de l’article L.7221-2 du code du travail ne font pas obstacle à l’application des dispositions légales relatives au travail dissimulé. Est donc inopérant le moyen faisant grief à l’arrêt de condamner l’employeur au paiement d’une indemnité pour travail dissimulé au motif que les dispositions relatives au travail dissimulé ne s’appliquent pas aux employés de maison. Soc., 20 novembre 2013 Rejet Arrêt n° 1972 F - P + B N° 12-20.463 - C.A. Lyon, 28 mars 2012 M. Frouin, f.f. Pt. - Mme Vallée, Rap. - M. Richard de la Tour, Av. gén. Note Suite à la rupture de son contrat d’aide à domicile, une salariée a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes salariales ainsi que d’une indemnité pour travail dissimulé. Tant le conseil de prud’hommes que la cour d’appel ont fait droit à cette dernière demande. Le pourvoi posait la question de savoir si les dispositions du code du travail relatives au travail dissimulé s’appliquent aux employés de maison. L’article L. 7221-1 du code du travail dispose qu’est considéré comme employé de maison le salarié employé par des particuliers à des travaux domestiques. Si l’article L. 7221-2 énonce par une formule restrictive celles des dispositions du code du travail applicables aux employés de maison, la recodification s’est effectuée à droit constant et la Cour de cassation avait antérieurement jugé que

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la liste des textes mentionnés à l’article L. 772-2 de l’ancien code du travail n’avait pas un caractère limitatif. En conséquence, elle faisait application aux employés de maison des règles du congé parental d’éducation (Soc., 19 novembre 2003, pourvoi n° 01-43.456, Bull. 2003, V, n° 291). La chambre sociale a ultérieurement appliqué aux employés de maison les dispositions de l’article R. 1234-2 du code du travail, selon lesquelles l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois par année d’ancienneté (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n° 10-11.525, Bull. 2011, V, n°178) ; celles relatives à la surveillance médicale prévue par l’article L. 7214-1 du code du travail (Soc., 28 septembre 2011, pourvoi n° 10-14.284, Bull. 2011, V, n° 209) ; ou encore celles relatives au calcul de l’indemnité spéciale de licenciement (Soc., 10 juillet 2013, pourvoi n° 12-21.380, Bull. 2013, V, n° 191). La présente décision confirme l’application aux employés de maison des dispositions relatives au travail dissimulé, lesquelles sont d’ordre public et par ailleurs pénalement sanctionnées. B - DURÉE DU TRAVAIL ET RÉMUNÉRATIONS 1- Durée du travail, repos et congés *Durée du travail des cadres Sommaire n° 2 Selon l’article L. 3111-2 du code du travail, sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. Ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise. Prive dès lors sa décision de base légale au regard du texte susvisé une cour d’appel qui, sans constater que l'intéressé participait à la direction de l’entreprise, retient la qualification de cadre dirigeant au sens de ce texte aux motifs que le salarié avait une grande liberté dans son emploi du temps, un niveau très élevé de responsabilité puisqu’il était habilité à prendre des décisions de façon largement autonome, et bénéficiait d’une des rémunérations les plus élevées de l’entreprise. Soc., 26 novembre 2013 Cassation partielle Arrêt n° 1908 FS-P+B N° 12-21.758 - C.A. Versailles, 11 mai 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Béraud, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén. Note Un salarié engagé en qualité de directeur technique et développement d’une usine et occupant en dernier lieu les fonctions de « vice-président » recherche et développement à l’international d’une filiale de la société a été mis à la retraite au motif qu’il avait atteint l’âge de 65 ans. L’intéressé a contesté cette mesure qu’il estimait discriminatoire (voir note supra dans la rubrique relative aux discriminations liées à l’âge). Il a par ailleurs sollicité le paiement d’heures supplémentaires, de congés payés afférents et d’une indemnité compensatrice de repos. Pour rejeter sa demande, la cour d’appel a estimé que le salarié avait la qualité de cadre dirigeant en se fondant sur le constat selon lequel il avait une grande liberté dans son emploi du temps, un

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niveau très élevé de responsabilité puisqu’il était habilité à prendre des décisions de façon largement autonome, et bénéficiait d’une des rémunérations les plus élevées de l’entreprise. Cette décision est cassée pour manque de base légale, les juges du fond n’ayant pas constaté que l’intéressé « participait à la direction de l’entreprise ». Aux termes de l’article L. 3111-2 du code du travail, ont la qualité de cadre dirigeant « les cadres auxquels sont confiés des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ». Ces critères étant cumulatifs, la chambre sociale juge que « seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants au sens de ce textes les cadres participant à la direction de l’entreprise » (Soc., 31 janvier 2012, pourvoi n° 10-24.412, Bull. 2012, V, n° 45). Le présent arrêt rappelle que pour attribuer la qualité de cadre dirigeant à un salarié, les juges du fond ne doivent pas seulement constater la réunion de ces critères, mais vérifier qu’il en découle que le salarié participe effectivement à la direction. A défaut, le salarié, quoique bénéficiant d’une rémunération comprise dans les niveaux les plus élevé, doté d’importantes responsabilités exercées de façon largement autonome, ne peut prétendre à ce statut et a vocation à bénéficier des dispositions relatives à la durée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires ainsi qu’aux repos et jours fériés. *Heures supplémentaires Sommaire Il résulte des articles L. 3122-9 et L. 3122-10 du code du travail, dans leur rédaction alors applicable, que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires prévu par un accord de modulation ne peut être supérieur au plafond de 1607 heures de travail par an, quand bien même le salarié n'aurait pas acquis l'intégralité de ses droits à congés payés au titre de la période de référence prévue par l'accord. Soc, 14 novembre 2013 RejetArrêt n° 1895 FS-P+B N° 11-17.644 à 11-17.647- C.P.H. Paris, 18 février 2011 M. Lacabarats, Pt. - M. Hénon, Rap. - M. Liffran, Av. Gén. Note La question inédite posée par la présente affaire était celle de savoir si le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, prévu par un accord de modulation, peut être supérieur au plafond de 1 607 heures de travail par an lorsqu’un salarié n’a pas acquis l’intégralité de ses droits à congés payés au titre de la période de référence prévue par l’accord. L’annualisation du temps de travail a été prévue par la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, dite loi Aubry II. Si ces règles ont été abrogées par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, les accords de modulation anciennement conclus restent en vigueur. La modulation du temps de travail permet de faire varier la durée hebdomadaire du travail sur tout ou partie de l’année de façon à ce que les semaines hautes compensent les semaines basses. Dans ce cadre et dans la limite du plafond négocié ou fixé par la loi, les heures travaillées chaque semaine au-delà de 35 heures ne sont pas considérées comme des heures supplémentaires. Elles sont

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“récupérées” sur les semaines basses, la modulation permettant de neutraliser les heures supplémentaires. Ainsi, l’article L. 3122-9 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, disposait : “ Une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir que la durée hebdomadaire du travail peut varier sur tout ou partie de l'année à condition que, sur un an, cette durée n'excède pas un plafond de 1 607 heures. La convention ou l'accord peut fixer un plafond inférieur [...].” L’article L. 3122-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, précise quant à lui: “ I.- Les heures accomplies au-delà de la durée légale de trente-cinq heures dans les limites fixées par la convention ou l'accord ne constituent pas des heures supplémentaires [...]. II.- Constituent des heures supplémentaires auxquelles s'appliquent les dispositions relatives au décompte et au paiement des heures supplémentaires, au contingent annuel d'heures supplémentaires et au repos compensateur obligatoire : 1° Les heures effectuées au-delà de la durée maximale hebdomadaire fixée par la convention ou l'accord ; 2° Les heures effectuées au-delà de 1 607 heures ou d'un plafond inférieur fixé par la convention ou l'accord, déduction faite des heures supplémentaires déjà comptabilisées au titre du 1°.” Ce plafond annuel de 1 607 heures correspond à la prise en compte de divers facteurs se décomposant ainsi : 365 jours calendaires dont sont déduits 104 jours de repos hebdomadaires, 25 jours de congés payés, 6/8 jours de jours fériés ne coïncidant pas avec un jour de repos hebdomadaire soit un nombre de jours travaillés variant de 228 à 230 jours ce qui correspond à un nombre d’heures variant de 1596 à 1610 heures, soit avec l’ajout de la “journée de solidarité” 1603 à 1617 heures. Dans la présente affaire, un conseil de prud’hommes, saisi par un salarié d’une demande en paiement de sommes à titre d’heures supplémentaires, avait fait droit à la demande au motif que l’article L. 3122-10 du code du travail qui fixe un plafond de 1607 heures ne prévoit pas de dispositions particulières relatives aux salariés n’ayant pas acquis un droit complet à congés payés. Le juge ne pouvant apporter de distinction là où le législateur n’avait pas estimé devoir en faire, il ne pouvait que suivre la lettre de l’article susvisé et considérer comme heure supplémentaire toute heure effectuée au-delà du plafond de 1 607 heures. Au soutien de son pourvoi en cassation, l’employeur faisait valoir que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable en cas de modulation annuelle du travail devait, pour les salariés n’ayant pas acquis de droit complet à congés et qui ont travaillé, la première année, plus de 47 semaines, être augmenté du nombre d’heures de congés auxquels ces derniers ne pouvaient prétendre. Il fondait son moyen sur deux circulaires du ministère de l’emploi et de la solidarité, qui indiquaient que la durée annuelle du travail accomplie pouvait dépasser la durée moyenne hebdomadaire et le plafond de 1607 heures sans qu’il s’agisse de réelles heures supplémentaires; que telle était la situation pour un salarié nouvellement embauché du fait de la non-acquisition de l’ensemble des congés et donc de la non prise de 30 jours ouvrables de congés payés. En pareil cas, la durée annuelle moyenne et le plafond de 1 607 heures devaient être augmentés à due concurrence des jours de congés non acquis (Circulaires DRT n° 2000-3 du 3 mars 2000 et DRT n° 2000-7 du 6 décembre 2000).

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Par le présent arrêt, la Cour de cassation décide que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ne peut être supérieur au plafond de 1 607 heures de travail par an, quand bien même le salarié n’aurait pas acquis l’intégralité de ses droits à congés payés au titre de la période de référence prévue par l’accord. La chambre sociale avait déjà pris position pour l’interdiction de tout dépassement du plafond des 1 607 heures dans une affaire concernant les secteurs d’activité appliquant les horaires d’équivalence. En effet elle avait jugé qu’ “il résulte des dispositions des articles L. 3122-9 et L. 3122-10 du code du travail qu'un accord d'entreprise ne peut fixer, comme seuil de déclenchement des heures supplémentaires, un plafond supérieur à 1607 heures de travail par an, nonobstant l'existence, dans son secteur d'activité, d'horaires d'équivalence” (Soc., 26 septembre 2012, pourvoi n° 11-14.083, Bull. 2012, V, n° 251). *Congés payés Sommaire Selon l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 16 mars 2006, C-131/04 et C-257/04, l'article 7 de la directive 93/104/ CE du Conseil du 23 novembre 1993 ne s'oppose pas, en principe, à ce que des sommes qui ont été payées, de manière transparente et compréhensible, au titre du congé annuel minimal au sens de cette disposition sous la forme de versements partiels étalés sur la période annuelle de travail correspondante et payés ensemble avec la rémunération au titre du travail effectué soient imputées sur le paiement d'un congé déterminé qui est effectivement pris par le travailleur. La cour d'appel ayant constaté, d'une part, que le contrat de travail se bornait à stipuler que la rémunération globale du salarié incluait les congés payés, ce dont il résultait que cette clause du contrat n'était ni transparente ni compréhensible, et, d'autre part, que, lors de la rupture, le salarié n'avait pas pris effectivement un reliquat de jours de congés payés, a décidé à bon droit de condamner l'employeur au paiement d'une indemnité compensatrice. Soc., 14 novembre 2013 Rejet Arrêt n° 1896 FS-P+B+R N°12-14.070 - C.A. Versailles, 15 décembre 2011 M. Lacabarats, Pt - M. Henon, Rap. - M. Liffran, Av. Gén. Note Dans son arrêt du 14 novembre 2013 ici commenté, la chambre sociale est amenée à se prononcer sur le régime des clauses de rémunération forfaitaire intégrant l’indemnité de congés payés dans le salaire au regard des exigences découlant de l’article 7 de la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Selon ces dispositions, les règles de droit national doivent garantir à tout travailleur un congé annuel payé de quatre semaines qui ne peut être remplacé, sauf en cas de rupture du contrat de travail, par une indemnité. La jurisprudence communautaire qui s’est attachée à préciser la portée de ce texte (CJCE, arrêt du 26 juin 2001, Bectu, C-173/99 ; CJCE, arrêt du 18 mars 2004, Merino Gómez, C-342/01 ; CJCE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., affaires jointes C-350/06 et C-520/06 ; CJUE, arrêt du 22 novembre 2011, KHS, C-214/10 ; CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282-10) a rappelé à plusieurs reprises l’importance particulière dans l’ordre social communautaire de ce droit à congés afin de procurer détente et loisirs mais également de préserver

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la santé et la sécurité des travailleurs, ce qui suppose que le salarié ait la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé. Selon les règles de droit interne, le salarié a droit à des congés payés s’acquérant au rythme de deux jours et demi par mois dans la limite de trente jours ouvrables qui ouvrent droit par ailleurs à une indemnité de congés payés. Par principe, ce droit à congés doit s’exercer en nature, mais lorsque le contrat de travail est rompu, le salarié qui n’a pu prendre la totalité de ses congés peut prétendre à une indemnité compensatrice dont l’assiette est identique à l’indemnité de congés payés. La jurisprudence de la chambre sociale admet depuis longtemps qu’il puisse être procédé à une intégration de l’indemnité de congés payés dans le salaire qui se trouve forfaitisé, sous réserve d’une acceptation expresse, et que cette solution n’aboutisse pas à un résultat moins favorable que celui résultant de la stricte application des dispositions légales applicables (Soc., 11 mai 1988, pourvoi n° 86-40.460, Bull. 1988, V, n° 286 ; Soc., 2 avril 1997, pourvoi n° 95-42.320, Bull. 1997, V, n° 135 ; Soc., 25 mars 2009, pourvoi n° 08-41.229, Bull. 2009, V, n° 88). Ce qui, par exemple, se traduit dans la situation particulière d’un VRP payé à la commission par la nécessité de prévoir une majoration du taux des commissions qui lui sont payées (Soc., 30 mai 2000, pourvoi n° 97-45.946, Bull. 2000, V, n° 212). Dans la présente espèce, le salarié avait conclu un contrat de travail dans le cadre duquel il était stipulé que la rémunération incluait celle des congés payés. Après avoir démissionné, il avait sollicité de son employeur le paiement d’indemnités compensatrices pour les jours de congés qu’il lui restait à prendre. L’employeur s’était opposé à la demande de l’intéressé en estimant qu’il avait été rempli de ses droits en raison du mode de rémunération adopté. Le contrat de travail étant rompu, la question des congés restant à prendre pouvait se régler par le paiement d’une indemnité. Il restait cependant à déterminer si, du fait du mode de rémunération convenu, le salarié pouvait prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice. La chambre sociale approuve la cour d’appel qui a fait droit aux demandes du salarié, en rappelant les solutions de l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 16 mars 2006 (Robinson-Steele e.a., affaires jointes C-131/04 et C-257/04) dans le cadre de laquelle elle était saisie d’une question préjudicielle sur la conformité du système anglais du système du « rolled up holiday pay » consistant à incorporer le paiement du congé annuel dans le salaire. La Cour de Luxembourg a jugé qu’une clause ayant pour effet d’inclure les sommes au titre d’un congé dans la rémunération n’était valable que pour autant qu’elle soit transparente et compréhensible, ce qui suppose que soit clairement distingué ce qui correspond à la rémunération du travail et à celle du congé, puis que soit précisée l’imputation de ces sommes sur un congé déterminé, devant être effectivement pris. Ce qui justifie cette solution réside précisément dans l’exigence d’effectivité du congé, puisque l’arrêt du 16 mars 2006 précité (points 58 et s.) après avoir retenu que le salarié doit se trouver dans une situation de rémunération comparable aux périodes de travail lorsqu’il prend son congé, énonce que le paiement d’une somme en même temps que le salaire sans autre précision risque de conduire à des situations décourageant la prise effective de congé aboutissant à voir ce congé remplacé par une indemnité financière. Ce sont ces principes qui inspirent la décision de la chambre sociale. Les constatations des juges du fond permettant d’établir que la clause litigieuse n’était ni compréhensible ni transparente, celle-ci ne pouvait produire effet. En effet, le contrat de travail se bornait à énoncer que la rémunération versée présentait un caractère global incluant la rémunération de la totalité des congés payés afférents à la période légale. La clause de rémunération forfaitaire ne répondait pas aux conditions de validité renforcées découlant des règles posées par la jurisprudence communautaire.

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En conséquence, les sommes versés à cette occasion ne pouvant être affectées à la rémunération du congé payé, il en résulte que le salarié n’ayant pu bénéficier effectivement de son droit à congé payé pour la totalité de ses droits se trouvait donc fondé à percevoir à ce titre des indemnités compensatrices. Cette décision marque une évolution importante de la jurisprudence en la matière dans la mesure où ces clauses de rémunération forfaitaire ne peuvent simplement avoir pour effet d’aboutir à un résultat au moins égal à celui résultant de la stricte application des dispositions légales mais doivent être rédigées de telle manière qu’elles puissent être compréhensibles et transparentes, et ce afin de garantir l’objectif poursuivi d’effectivité du droit à congé dans les termes rappelés par la jurisprudence communautaire. *Repos hebdomadaire et jours fériés Sommaire Lorsque deux jours fériés coïncident, le salarié ne peut prétendre à l'attribution de ces deux jours ou au paiement d'une indemnité qu'à la condition qu'une convention collective garantisse un nombre déterminé de jours chômés correspondant aux jours de fêtes légales ou qu'elle prévoie le paiement d'un nombre déterminé de jours dans l'année. Par conséquent, doit être censurée la décision accordant aux salariés un jour de repos supplémentaire au titre du jeudi de l'Ascension qui, en 2008, a coïncidé avec le 1er mai, alors que l'article 23 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, qui se borne à prévoir que les jours fériés donnent lieu à un repos sans diminution de salaire, n'instaure aucun droit à un jour de congé ou de repos supplémentaire lorsque par exception, deux jours fériés coïncident. Soc., 20 novembre 2013 Cassation sans renvoi Arrêt n° 1963 FS-P+B N° 12-21.684 - Conseil de prud’hommes d’Aurillac, 4 mai 2012 M. Lacabarats, Pt. - M. Linden, Rap. - M. Richard de la Tour, Av. gén. Note Le litige ayant donné lieu à l’arrêt rapporté trouve son origine dans la coïncidence, en 2008, de la fête de l’Ascension avec le 1er mai. Considérant qu’elle avait été privée du congé de l’Ascension, la salariée d’une association relevant de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de sommes au titre de la récupération de ce jour et des congés payés afférents. Le conseil des prud’hommes a fait droit à cette demande au motif que la convention collective prévoyait onze jours fériés ne devant donner lieu à aucune réduction de salaire. L’employeur s’est pourvu en cassation. Selon l’article L. 3133-1 du code du travail, les fêtes légales ci-après désignées sont des jours fériés : le 1er janvier, le lundi de Pâques, le 1er mai, le 8 mai, l’Ascension, le lundi de Pentecôte, l’Assomption, la Toussaint, le 11 novembre, le jour de Noël. Selon les articles L. 3133-4 et L3133-5 du code du travail, seul le 1er mai est férié et chômé. Aucune disposition légale n’imposant que lorsque deux jours fériés tombent un même jour, l’employeur soit tenu d’accorder un repos supplémentaire, la convention collective applicable à la situation donnée l’impliquait-elle ?

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L’article 23 du texte conventionnel en cause stipule en son premier alinéa que « Le personnel bénéficiera du repos des jours fériés et fêtes légales : 1er janvier, lundi de Pâques, 1er et 8 mai, Ascension, lundi de Pentecôte, 14 juillet, 15 août, Toussaint, 11 novembre, Noël, sans que ce repos entraîne aucune diminution de salaire ». En ce qu’elle se borne à prévoir que les jours fériés donnent lieu à un repos sans diminution de salaire, cette disposition correspond à celle figurant à l’article L. 3133-1 du code du travail qui énumère les jours fériés et pose la règle selon laquelle le chômage de ceux-ci ne peut entraîner aucune perte de salaire pour les salariés totalisant au moins trois mois d’ancienneté dans l’entreprise. Dans ces conditions, la chambre sociale juge que la convention collective ne garantit pas un nombre déterminé de jours chômés correspondant aux jours de fêtes légales et ne prévoit pas non plus le paiement d’un nombre déterminé de jours fériés dans l’année, condition nécessaire pour qu’en cas d’impossibilité de bénéficier effectivement des onze jours impérativement chômés ou payés pour cause de coïncidence de jours fériés, le salarié puisse en demander l’indemnisation. Elle réaffirme ainsi la jurisprudence appliquée à d’autres conventions collectives (Soc., 17 octobre 2012, pourvoi n° 11-19.956, Bull. 2012, V, n° 265). 2- Rémunérations *Majoration pour travail de nuit Sommaire Il résulte de l'article 11.3.5.2 de la convention collective nationale des biscotteries, biscuiteries, céréales prêtes à consommer ou à préparer, chocolateries, confiseries, aliments de l'enfance et de la diététique, préparation pour entremets et desserts ménagers, des glaces, sorbets et crèmes glacées du 17 mai 2004, alors applicable, que la prime de nuit n'est pas réservée aux salariés ayant la qualité de travailleur de nuit tel que défini à l'article 11.3.3 de la même convention collective. Soc., 14 novembre 2013 RejetArrêt n° 1890 FS-P+B N° 12-14.688 – C.P.H Strasbourg, 6 janvier 2012 M. Lacabarats, Pt. - Mme Goasguen, Rap. - M. Liffran, Av. Gén. *Salaire Sommaire Au regard de l’article L.3244-1 du code du travail, texte d’ordre public dont l’application n’est pas subordonnée à l’existence de stipulations conventionnelles ou d’un décret fixant les catégories de bénéficiaires et les modalités de répartition des pourboires, justifie légalement sa décision la cour d’appel qui, constatant que la mission principale des directeurs régionaux employés par une chaîne de restauration consiste dans l’encadrement et le contrôle des établissements et que les fonctions de service ne sont qu’accessoires, et ayant ainsi fait ressortir que les intéressés n’étaient pas habituellement en contact avec la clientèle, retient qu’ils ne peuvent pas percevoir une part en pourcentage des pourboires.

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Soc., 14 novembre 2013 Rejet Arrêt n° 1893 FS-P+B N° 12-16.805 - C.A. Douai, 31 janvier 2012 M. Lacabarats, Pt - Mme Goasguen, Rap. - M. Liffran, Av. Gén. Note Figurant dans un chapitre du code du travail consacré aux pourboires, l’article L. 3244-1 dispose que « Dans tous les établissements commerciaux où existe la pratique du pourboire, toutes les perceptions faites « pour le service » par l'employeur sous forme de pourcentage obligatoirement ajouté aux notes des clients ou autrement, ainsi que toutes sommes, remises volontairement par les clients pour le service entre les mains de l'employeur, ou centralisées par lui, sont intégralement versées au personnel en contact avec la clientèle et à qui celle-ci avait coutume de les remettre directement ». Accorder des garanties aux salariés qui ont pour activité d'être en contact avec la clientèle, et qui de ce fait sont potentiellement destinataires de pourboires, n'est pas une préoccupation récente du législateur. Déjà, la loi Godard du 19 juillet 1933, relative « au contrôle et à la répartition des pourboires » et applicable aux établissements connaissant cette pratique, contenait des règles impératives visant à rendre ces salariés uniques bénéficiaires des sommes versées par les clients à ce titre, l'objectif étant d'empêcher que les employeurs ne les conservent en tout ou partie par devers eux. L'enjeu est important car le pourboire, en tant qu'élément de la rémunération, peut, selon les modalités définies dans le contrat de travail, constituer le complément d'un salaire fixe ou la composante exclusive de la rémunération. Il convient d’ailleurs de faire la distinction entre les sommes versées par les clients et collectées par l'employeur au titre du « service », ou « pourcentage » ou encore « pourboire », qui font l'objet de dispositions directement issues de la loi Godard, et les sommes que ces derniers laissent parfois en sus qui, bien que couramment dénommées « pourboires », constituent une libéralité facultative uniquement régie par les usages professionnels ; la situation dans laquelle le client est amené à régler une addition augmentée d'un pourcentage consacré au service doit donc être clairement dissociée de celle dans laquelle il verse volontairement une gratification au salarié. Dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, que visait essentiellement la loi Godard, les sommes collectées au titre du service ou du pourcentage viennent constituer le « tronc » ou la « masse », tandis que les libéralités de la clientèle représentent le « petit tronc ». Le présent arrêt vient rappeler les conditions dans lesquelles les salariés peuvent prétendre au versement d’une part de pourboires. En l'espèce, l'employeur exploitait en France 151 restaurants, chacun employant un manageur, un ou deux assistants, sept à treize serveurs, soit neuf à seize personnes composant le personnel en salle, outre quatre à six personnes en cuisine. Le manageur était lui-même placé sous l'autorité d'un directeur régional ayant vocation à superviser cinq à sept restaurants. La rémunération du personnel en salle était exclusivement fixée sur la base d'un pourcentage du chiffre d'affaires, le service étant facturé à hauteur de 13% du chiffres d'affaires hors service, soit 11,504% service compris ; ce pourcentage était réparti entre les serveurs qui en percevaient 7,07%, les managers en étant pour leur part bénéficiaires à hauteur de 2,185%, les assistants de 1,748%, et les directeurs régionaux de 0,5%. Un syndicat soutenait que faute d'être en contact avec la clientèle, les directeurs régionaux ne devaient pas percevoir une part de la somme perçue au titre du service et avait saisi le tribunal de grande instance de demandes tendant notamment à ce qu’il soit dit que l'article L. 3244-1 du code

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du travail était applicable à l'employeur et que les directeurs régionaux devaient être exclus de la répartition. Constatant que la mission principale des directeurs régionaux était une mission d'encadrement et de contrôle, et que leurs fonctions en salle, limitées aux hypothèses de remplacement d'un salarié absent, n'avaient qu'un caractère subsidiaire par rapport à leur rôle prépondérant en matière de gestion comptable, financière, et des ressources humaines, les juges du fond avaient fait droit à la demande. Au soutien de son pourvoi, la société avançait des arguments tenant à l'interprétation des dispositions légales et à leur articulation avec les dispositions réglementaires, au pouvoir d'appréciation des juges du fond, et à la notion même de contact avec la clientèle. Sur le premier point, il était soutenu que l'application de l'article L. 3244-1 du code du travail était subordonnée à l'existence d'une convention collective ou d'un décret en Conseil d'État pris au niveau de la profession ou de la catégorie professionnelle. En effet, l'article R. 3244-2 énonce que « Les conventions collectives ou, à défaut, des décrets en Conseil d'État pris après consultation des organisations d'employeurs et de salariés intéressées, déterminent par profession ou par catégorie professionnelle, nationalement ou régionalement : 1° Les modes de justification à la charge de l'employeur ; 2° Les catégories de personnel qui prennent part à la répartition des pourboires ; 3° Les modalités de cette répartition. » L’entreprise en déduisait qu'en l'absence de tels textes dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants, la disposition litigieuse ne pouvait être déclarée applicable au litige par les juges d'appel, qui n'étaient pas davantage fondés à déterminer eux-mêmes, du fait de cette carence, les catégories de personnel pouvant prendre part à la répartition des pourboires. La chambre sociale rejette cette argumentation, réaffirmant le caractère d'ordre public de l'article L. 3244-1 du code du travail, qui implique que ni la convention collective ni le contrat de travail ne peut y déroger (Soc., 6 mai 1998, pourvoi n° 97-40.921, Bull. 1998, V, n° 227). Cette disposition s’applique donc même dans l'hypothèse où aucune convention collective ou décret n'a été pris dans la profession ou la catégorie professionnelle concernée. En effet, le renvoi à l'article R. 3244-2 ne concerne pas le principe même de la répartition, auquel il est en toute hypothèse impossible de déroger, mais seulement les conditions pratiques de la restitution, au rang desquelles figurent la détermination des catégories de salariés bénéficiaires et les modalités de la répartition. Il était par ailleurs reproché aux juges d'appel d'avoir analysé de façon erronée les fonctions réellement exercées par les directeurs régionaux, dont il était soutenu qu'ils effectuaient un service en salle, non seulement en cas de remplacement d'un salarié absent, mais également quotidiennement, à chaque période d'affluence, ce qui permettait de les considérer au contact de la clientèle. Il était en outre soutenu que la cour d'appel avait ajouté à la loi, en écartant les directeurs régionaux de la répartition du chiffre d'affaires réalisé en salle, motif pris d'une activité subsidiaire et non habituelle au contact de la clientèle. La chambre sociale rejette également cette argumentation au motif que les juges du fond, ayant constaté que les directeurs régionaux exerçaient principalement des fonctions d'encadrement et de contrôle et accessoirement des fonctions de service limitées à des hypothèses de remplacement de salariés absents, avaient fait ressortir que les intéressés n’étaient pas « habituellement » en contact avec la clientèle.

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Force est de constater que le législateur n'a pas déterminé les catégories de personnel pouvant prétendre au reversement des pourboires, le « contact avec la clientèle » étant la seule condition légale posée pour que le salarié s'en trouve bénéficiaire. Le texte réglementaire ne tranche pas davantage la question, puisqu'il laisse le soin aux conventions collectives, et subsidiairement aux décrets, de régler cette question. La notion de contact avec la clientèle, qui rend le salarié bénéficiaire du reversement des pourboires, est donc à l'origine d'une abondante jurisprudence. Le caractère d'ordre public de la règle posée par l'article L. 3244-1 du code du travail interdit en effet à l'employeur de répartir les pourboires entre salariés sans contact avec les clients, ce qui est le cas de salariés exclusivement investis de tâches purement administratives (Soc., 25 mai 1976, pourvoi n° 75-40.059, Bull. 1976, n° 316), tel un preneur d'ordres dans un hôtel ayant pour fonction de prendre, par téléphone, les commandes des clients (Soc., 18 juin 1997, pourvoi n° 94-43.634). La chambre sociale juge par ailleurs que les pourboires doivent être redistribués à tous les salariés en contact avec la clientèle, quelle que soit la catégorie du personnel à qui les sommes sont matériellement remises, en sorte que doit être déclaré conforme aux dispositions légales l'accord collectif national applicable au personnel des casinos, prévoyant une répartition des pourboires entre les employés de jeux de table et les employés des services périphériques en contact avec la clientèle (Soc., 9 mai 2000, pourvois n° 98-20.517 et 98-20.146, Bull. 2000, V, n° 169). Il en va de même pour les maîtres d'hôtel « entrant ainsi en contact, quoique de façon moins fréquente que les garçons, avec la clientèle » (Soc., 5 juillet 1967, pourvoi n° 66-40.171, Bull. 1967, V, n° 565). Si le contact fréquent ou permanent avec la clientèle ouvre droit à la répartition, la jurisprudence adopte la solution inverse en cas de contacts purement épisodiques, tels que ceux entretenus avec les clients par des écaillers travaillant dans un établissement spécialisé dans la dégustation de fruits de mer (Soc., 3 mars 1976, pourvoi n° 74-40.771, Bull. 1976, V, n° 133). Il revient donc aux juges du fond de rechercher si les fonctions exercées par le salarié le mettent effectivement en contact avec la clientèle (Soc., 28 février 1968, pourvoi n° 67-40.290 ; Soc., 11 décembre 2002, pourvoi n° 00-45.296). Au vu des constatations effectuées en l’espèce par la cour d’appel, les directeurs régionaux ne pouvaient être considérés comme « habituellement » en contact avec la clientèle. D - ACCORDS COLLECTIFS ET CONFLITS COLLECTIFS DU TRAVAIL 1- Accords et conventions collectives *Accords collectifs et conventions collectives divers Sommaire Viole les dispositions de l’annexe n° 9 à la convention collective de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, l’arrêt qui transpose à la durée légale de 35 heures la répartition des temps de pédagogie et de préparation prévue par ce texte par référence à l’ancienne durée légale de 39 heures. Soc, 14 novembre 2013 Cassation Arrêt n° 1891 FS-P+B N° 12-15.609 - C.A. Aix-en-Provence, 24 janvier 2012 M. Lacabarats, Pt. - Mme Goasguen, Rap. - M. Liffran, Av. Gén.

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E - REPRÉSENTATION DU PERSONNEL ET ELECTIONS PROFESSIONNELLES 1- Elections professionnelles *Vote par voie électronique Sommaire Ayant constaté que les dispositions prises par l’employeur assuraient, conformément aux articles R.2314-9 et R.2324-5 du code du travail la confidentialité du vote électronique et que le technicien informatique de l’entreprise, soumis, aux termes des articles R.2314-12 et R.2324-8 du code du travail, à une obligation de confidentialité, s’était connecté aux postes des salariés à leur demande expresse pendant les opérations de vote, le tribunal a pu en déduire que n’était caractérisée aucune atteinte à la sincérité du scrutin. Soc., 14 novembre 2013 RejetArrêt n° 1944 FS-P+B N° 13-10.519 – T.I de Fontainebleau, 2 janvier 2013 M. Lacabarats, Pt. – Mme Sabotier, Rap. – Mme Lesueur de Givry, Av. Gén. Note L'arrêt ici rapporté offre un éclairage sur la question de la confidentialité du vote électronique lorsque, autorisé dans l'entreprise pour l'élection des représentants du personnel, celui-ci se réalise au moyen de postes informatiques en réseau et sous logiciel de visualisation à distance du vote effectué par les électeurs. En l'espèce, un accord d'entreprise, accompagné d’un protocole d’accord préélectoral du même jour, prévoyait le recours au vote électronique pour les élections des délégués du personnel et des représentants du personnel au comité d'entreprise. Le premier tour des élections s'était déroulé du 17 au 24 octobre 2012, et le second du 14 au 21 novembre 2012. La société employant 4500 salariés répartis dans plusieurs centaines de magasins sur l'ensemble du territoire, le recours à ce système permettait une harmonisation et une synchronisation du processus de vote, tout en offrant une flexibilité aux salariés qui pouvaient voter sur plusieurs jours en fonction de leurs jours et horaires de travail. Un syndicat non signataire avait saisi le tribunal d'instance afin d'obtenir l'annulation du scrutin, arguant d'une atteinte au principe général du secret du vote ; il produisait à cette fin un procès-verbal d'huissier de justice, duquel il ressortait que, à l'occasion de tests réalisés avec deux salariées, les 14 et 21 novembre 2012 pour la seconde, un salarié du service informatique de la société avait pu assister depuis son poste de travail au vote électronique effectué par ces dernières. Relevant que la société avait pris toutes les dispositions utiles pour assurer le respect du vote électronique aux principes généraux du droit électoral et se fondant sur les circonstances de fait dans lesquelles s'était réalisée la « prise en main » à distance des postes informatiques des deux salariées, le tribunal avait débouté le syndicat de ses demandes. C'est contre ce jugement que le syndicat s’est pourvu. La question était la suivante : le principe de confidentialité du vote électronique doit-il s'entendre de manière absolue, en ce qu'il implique une situation d'isolement complet de l'électeur devant son

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poste au moment de son vote, ou bien autorise-t-il une assistance consentie de l'électeur par un autre salarié de l'entreprise, tenu de par ses fonctions au secret ? La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 « pour la confiance dans l'économie numérique » a autorisé le recours au vote électronique pour les élections des représentants du personnel en la subordonnant à la conclusion d'un accord d'entreprise. La règle est désormais posée par l'article L. 2314-21 du code du travail pour l'élection des délégués du personnel, et par l'article L. 2324-19 du même code pour celle des représentants du personnel au comité d'entreprise. Les articles R. 2314-9 et R. 2324-5 du code disposent que le système retenu pour la conception et la mise en place du système de vote électronique doit être de nature à assurer la confidentialité des données transmises. Les articles R. 2314-12 et R. 2324-8 du code énoncent que préalablement à sa mise en place ou à toute modification substantielle de sa conception, le système de vote électronique est soumis à une expertise indépendante, destinée à vérifier le respect des prescriptions réglementaires, et que le rapport de l'expert est tenu à la disposition de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (C.N.I.L.). Cette expertise doit couvrir l'intégralité du dispositif installé avant le scrutin (logiciel, serveur, etc...), l'utilisation du système de vote durant le scrutin et les étapes postérieures au vote (dépouillement, archivage, etc...). Les articles R. 2314-14 et R. 2324-10 du code précisent que l'employeur accomplit des formalités déclaratives préalables auprès de la C.N.I.L. et qu'il en informe les organisations syndicales de salariés incluses dans le périmètre de l'accord d'entreprise. Enfin, les articles R. 2314-13 et R. 2324-9 et du code disposent que l'employeur met en place une cellule d'assistance technique chargée de veiller au bon fonctionnement et à la surveillance du système de vote électronique, les personnes chargées de sa gestion et de sa maintenance étant elles-mêmes soumises au respect de l'obligation de confidentialité. Le tribunal d'instance avait constaté que la société avait accompli toutes les démarches mises réglementairement à sa charge. Le demandeur au pourvoi centrait toutefois le débat, non pas sur les obligations réglementaires pesant sur l'employeur, mais sur les principes généraux du droit électoral, au rang desquels figure le principe de confidentialité du vote. Applicable aux élections professionnelles, l'article L. 59 du code électoral dispose en effet que «le scrutin est secret ». Or au présent cas, il avait été possible à un salarié du service informatique de se connecter à distance, au moyen d'un logiciel approprié, sur le poste d'un électeur, pouvant ainsi prendre connaissance de son vote au moment même de son expression. Par cette assistance, le technicien avait ainsi pu mettre en relation l'identité de l'électeur avec le vote exprimé. La chambre sociale rejette le pourvoi, en apportant des précisions sur la portée de l’obligation de sincérité du scrutin. D'une part, l'employeur est tenu d’accomplir les démarches réglementairement mises à sa charge préalablement au scrutin ; ainsi, ayant constaté que le vote avait été soumis à une expertise indépendante, que la déclaration préalable à la C.N.I.L. avait été effectuée, et que par suite le système dans son ensemble avait été reconnu comme présentant toutes garanties en termes de sécurité informatique, le juge d'instance était fondé à considérer que l'employeur avait pris toutes les dispositions utiles pour assurer la confidentialité du vote. D'autre part, devaient être prises en compte les circonstances dans lesquelles le vote d'un électeur avait pu être observé par un tiers au moment de son accomplissement. En l’occurrence, le juge

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d’instance avait relevé qu’il résultait d'attestations que les deux salariées avaient expressément demandé au salarié du service informatique de se connecter à distance au moment même où elles procédaient aux opérations de vote, ce qui signifie que ces dernières avaient été observées avec leur consentement. L’intervention de ce technicien informatique, lui-même salarié de la société et tenu par l'obligation de confidentialité ne pouvait donc être considérée comme effectuée à l’insu des deux votantes. 2 - Représentation du personnel 2.1 Cadre de la représentation * Etablissement Sommaire La fermeture d'un établissement n'entraîne pas à elle seule disparition du comité d'établissement, laquelle ne peut résulter, en application des dispositions de l'article L. 2322-5 du code du travail, que d'un accord entre l'employeur et les organisations syndicales intéressées ou, à défaut, d'une décision de l'autorité administrative. Doit en conséquence être approuvé l'arrêt ayant jugé que la perte de la qualité d'établissement distinct d'un site ayant été reconnue par l'autorité administrative le 22 mai 2008, c'est à cette date qu'avait pris fin le mandat de membre du comité d'établissement et que le salarié qui y avait été élu : - bénéficiait à compter de cette date de la protection d'une durée de six mois prévue par l'article L. 2411-8 du code du travail en faveur des anciens membres du comité d'établissement et était donc protégé à la date de résiliation du contrat de travail, fixée au jour du licenciement prononcé le 1er septembre 2008 ; - était en droit de prétendre, au titre de l'indemnité due en raison de la violation de son statut protecteur, aux salaires qu'il aurait perçus entre son licenciement et l'expiration de cette période de protection de six mois. Soc., 27 novembre 2013 Cassation partielle et rejetArrêt n° 2044 FS-P+B N° 12-26.155 et 12-26.373 - C.A. Aix-en-Provence, 16 juin 2011 et 26 juillet 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Struillou, Rap. - M. Weissmann, Av. Gén. *Unité économique et sociale Sommaire La reconnaissance ou la modification conventionnelle d’une unité économique et sociale ne relève pas du protocole d’accord préélectoral mais de l’accord collectif signé, aux conditions de droit commun, par les syndicats représentatifs au sein des entités faisant partie de cette unité économique et sociale. Soc, 14 novembre 2013 RejetArrêt n° 1943 FS-P+B+R N° 13-12.712 - T.I. Paris 9ème, 11 février 2013 M. Lacabarats, Pt - Mme Pécaut-Rivolier, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén.

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Note La chambre sociale prend ici position sur la question très débattue des conditions de validité d’un accord de reconnaissance d’une unité économique et sociale. Les conditions d’apparition de la notion, purement prétorienne, d’unité économique et sociale (UES) expliquent que l’institution ait été à l’origine directement rattachée au domaine des institutions représentatives du personnel, et plus particulièrement des élections professionnelles. En effet, l’UES a pour vocation première d’assurer, quels que soient les choix d’organisation et de gestion de son entreprise par l’employeur, une représentation du personnel au niveau le plus adapté, si besoin est en réunissant plusieurs structures. La jurisprudence en déduisait que la reconnaissance conventionnelle de l’UES se rattachait très directement à la mise en place d’un processus électoral et à la désignation de représentants syndicaux à ce niveau. Par conséquent, la reconnaissance conventionnelle de l’UES était le fait du protocole préélectoral, adopté par accord de tous les syndicats représentatifs (Soc., 23 juin 1988, pourvoi n° 87-60.245, Bull. 1988, V, n° 392), et qui devait être revu à chaque échéance électorale (Soc., 31 mars 2009, pourvoi n° 08-60.494, Bull. 2009, V, n° 96). La chambre sociale jugeait par ailleurs que le contentieux de la reconnaissance d’une UES était pour l’essentiel de la compétence du tribunal d’instance, statuant en dernier ressort. L’évolution du concept d’UES et l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ont conduit à rouvrir la discussion sur les conditions de validité de sa reconnaissance conventionnelle. La loi du 20 août 2008, notamment, a supprimé pour l’essentiel l’exigence d’unanimité du protocole préélectoral, et orienté ce protocole vers les éléments centraux des élections professionnelles. Un arrêt du 31 janvier 2012 (Soc., 31 janvier 2012, pourvoi n° 11-20.232, Bull. 2012, V, n° 37), ouvrant la voie systématique à l’appel en matière de reconnaissance d’une UES, en a tiré les conséquences, en opérant pour la première fois une dissociation nette entre reconnaissance d’UES et processus électoral : « Mais attendu qu’il ne résulte ni de l’article L. 2322-4 du code du travail, ni d’aucun autre texte que la décision judiciaire qui tend à la reconnaissance d’une unité économique et sociale est rendue en dernier ressort ; que si, dans ses arrêts antérieurs, la Cour de cassation jugeait qu’étaient en dernier ressort les décisions rendues sur une demande de reconnaissance d’une unité économique et sociale formées à l’occasion d’un litige électoral, l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008 conduit à revenir sur cette jurisprudence dès lors que la demande de reconnaissance ne peut plus désormais être formulée à l’occasion d’un contentieux en matière d’élection professionnelle ou de désignation de représentants syndicaux pour lesquels le tribunal d’instance a compétence en dernier ressort ». Saisie de la question de la validité d’un accord préélectoral modifiant le périmètre d’une UES et signé à la double majorité désormais requise pour le protocole préélectoral, la chambre sociale devait donc décider si, compte tenu de ces éléments, elle maintenait le rattachement de la reconnaissance conventionnelle de l’UES à l’accord préélectoral, éventuellement signé à la double majorité et non plus à l’unanimité, ou si elle admettait que cette reconnaissance relevait de l’accord collectif de droit commun. Elle tranche clairement dans le sens de l’accord collectif de droit commun. Dès lors, en l’espèce, puisque l’accord avait été signé à la double majorité prévue par les articles L. 2314-3-1 et L. 2324-4-1 du code du travail, donc par des organisations syndicales représentatives représentant au moins 50 % des suffrages exprimés lors des dernières élections, il remplissait nécessairement les conditions de validité de l’accord collectif.

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2.2 Institutions représentatives du personnel *Délégué syndical Sommaire n° 2 Si l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats aux élections des membres du comité d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs en ce qu'elle détermine la représentativité du syndicat, le score électoral exigé d'un candidat par l'article L. 2143-3 du code du travail pour sa désignation en qualité de délégué syndical est un score personnel qui l'habilite à recevoir mandat de représentation par un syndicat représentatif. Soc., 14 novembre 2013 Cassation partielle sans renvoi Arrêt n° 1940 FS-P+B N° 12-29.984 - T.I. Sens, 12 décembre 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Huglo, Rap. - M. Lalande, Av. Gén. Note Au terme d’élections s’étant déroulées au sein d’une entreprise en juillet 2011, les syndicats CFDT et CGT avaient recueilli respectivement 80% et 20% des suffrages. Le syndicat CFDT a désigné un délégué syndical en septembre 2011. Courant mars 2012, de nombreux élus et adhérents de la CFDT ont démissionné de ce syndicat et au mois d’avril, celui-ci a informé l’employeur qu’il retirait son mandat au délégué qu’il avait désigné. En juillet de la même année, le syndicat CFDT a informé l’employeur qu’il désignait un nouveau délégué syndical en la personne d’un salarié qui avait été élu délégué du personnel sur la liste CGT lors des élections. Des salariés ont saisi le tribunal d’instance aux fins d’obtenir l’annulation de cette désignation. Si le pourvoi soutenait que le syndicat avait perdu toute représentativité, argument par ailleurs rejeté par la Cour de cassation (voir commentaire infra dans la rubrique relative à la représentativité), il faisait également valoir que le syndicat CFDT ne pouvait désigner comme délégué syndical un salarié élu aux fonctions de délégué du personnel sur une liste adverse. Cette argumentation est rejetée, la chambre sociale rappelant que « si l’affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats aux élections des membres du comité d’entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs en ce qu’elle détermine la représentativité du syndicat, le score électoral exigé d’un candidat par l’article L. 2143-3 du code du travail pour sa désignation en qualité de délégué syndical est un score personnel qui l’habilite à recevoir mandat de représentation par un syndicat représentatif » (Soc., 28 septembre 2011, pourvoi n° 10-26.762, Bull. 2011, V, n° 212). Sommaire Lorsqu'un délégué syndical, licencié après autorisation, n'a pu être candidat aux élections professionnelles organisées dans l'entreprise postérieurement à son licenciement, le syndicat est en droit, si l'intéressé demande sa réintégration à la suite de l'annulation de la décision de l'autorité administrative, de le désigner de nouveau en qualité de délégué syndical sans que puissent y faire obstacle les dispositions du premier alinéa de l'article L. 2143-3 du code du travail imposant aux syndicats représentatifs de choisir le délégué syndical en priorité parmi les candidats ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections.

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Encourt, par voie de conséquence, la cassation le jugement qui, pour annuler la désignation en qualité de délégué syndical d'un salarié, licencié sur le fondement d'une autorisation administrative ultérieurement annulée par le juge administratif, retient que l'intéressé n'avait pas été candidat aux élections professionnelles et obtenu au moins 10% des suffrages exprimés alors que le scrutin avait été organisé postérieurement à son licenciement. Soc., 14 novembre 2013 Cassation Arrêt n° 1942 FS-P+B N° 13-11.301 - T.I. Salon-de-Provence, 18 janvier 2013 M. Lacabarats, Pt - M. Struillou, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén. Note Un salarié désigné en qualité de délégué syndical et représentant syndical au comité d’entreprise avait fait l’objet en septembre 2010 d’un licenciement économique autorisé par l’inspecteur du travail. Saisi d’un recours hiérarchique, le Ministre du travail a annulé la décision pour incompétence territoriale mais autorisé le licenciement. Saisi d’un recours contentieux, le tribunal administratif a annulé l’autorisation de licenciement. Le salarié a alors sollicité sa réintégration et le syndicat a « confirmé » l’intéressé dans ces fonctions en octobre 2012. L’employeur a obtenu du tribunal d’instance l’annulation de ces désignations, au motif que le salarié, dont le contrat était alors rompu, n’avait pas été candidat aux élections s’étant déroulées en novembre 2010. Le pourvoi posait la question de savoir si le mandat du salarié qui a pris fin prématurément par l’effet de la rupture du contrat autorisée par l’administration, peut être restauré lorsque cette décision est annulée, alors même que le salarié n’a pu être candidat aux élections qui se sont déroulées entre son départ de l’entreprise et sa réintégration. Si le délégué syndical bénéficie en vertu de l’article L. 2422-1 du code du travail du droit à être réintégré dans son emploi à la suite de l’annulation de la décision ayant autorisé le licenciement, la loi ne prévoit pas de rétablissement automatique dans ses fonctions, à la différence du délégué du personnel ou du membre du comité d’entreprise si l’institution n’a pas été renouvelée (article L. 2422-2). La Cour de cassation a jugé, sous l’empire du droit antérieur à la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, que la réintégration dans son emploi du délégué syndical à la suite de l’annulation d’une autorisation administrative de licenciement n’entraîne pas la réintégration de plein droit de ce salarié dans son mandat. En effet, le rétablissement dans ses fonctions représentatives devait faire l’objet d’une nouvelle désignation par son organisation syndicale (Soc., 24 janvier 1990, pourvoi n° 89-60.004, Bull. 1990, V, n° 31). La chambre sociale avait précisé que pour apprécier si les conditions de validité de cette désignation sont réunies, le tribunal d’instance doit se placer à la date de la désignation (Soc., 22 janvier 2002, pourvoi n° 00-60.356, Bull. 2002, V, n° 28). L’exigence de cette condition posait difficulté en l’espèce puisque l’article L. 2143-3 du code du travail issu de la loi de 2008 subordonne la possibilité pour l’organisation syndicale représentative qui constitue une section syndicale de désigner un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l’employeur à la condition d’effectuer son choix parmi les candidats aux élections professionnelles ayant recueilli au moins 10% des suffrages exprimés. Or le salarié investi d’un mandat qui n’a pu se présenter aux élections suite au licenciement dont il a fait l’objet autorisé par l’administration ne peut par définition satisfaire à cette condition d’audience électorale.

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Par le présent arrêt, la chambre sociale maintient sa jurisprudence antérieure en ce qu’une nouvelle désignation est nécessaire pour rétablir le salarié dans son mandat de délégué syndical. Il n’y a donc pas de réactivation de plein droit d’un mandat qui, abstraction faite de la réintégration, a pris fin par la survenance des élections (Soc., 22 septembre 2010, pourvoi n° 09-60.435, Bull. 2010, V, n° 188). Mais elle juge que le salarié n’ayant pu être candidat en raison de la rupture imposée de son contrat de travail, ultérieurement annulée, il ne peut se voir opposer la condition tenant à l’obtention du score de 10% des suffrages exprimés. *Mandat de représentation (dispositions communes) Sommaire Les heures passées par le salarié titulaire d’un mandat de représentation du personnel aux réunions organisées à l’initiative de l’employeur doivent être payées comme du temps de travail effectif. Un conseil de prud’hommes ayant constaté que le salarié, pendant ses congés payés, s’était rendu aux réunions organisées à l’initiative de l’employeur pour exercer son mandat représentatif dans l’intérêt de la collectivité des salariés et qu’il n’avait pu, du fait de son départ en retraite, bénéficier des congés payés auxquels il pouvait prétendre, a condamné à bon droit l’employeur à payer au salarié les heures passées à ces réunions. Soc, 27 novembre 2013 RejetArrêt n° 2042 FS-P+B N° 12-24.465 - C.P.H. Metz, 20 juin 2012 M. Lacabarats, Pt. - M. Huglo, Rap. - M. Weissmann, Av. Gén. Note La présente affaire posait la question de savoir si les heures passées par un salarié titulaire d’un mandat de représentation du personnel aux réunions organisées à l’initiative de l’employeur, devaient être payées comme du temps de travail effectif, quand bien même le salarié était en situation de congés payés lorsqu’il assistait à ces réunions. Il convient de distinguer les heures passées en réunion des heures de délégation. En effet, le représentant du personnel a la libre disposition de ses heures de délégation alors que les heures de réunion sont fixées par l’employeur. En l’espèce, un salarié avait fait valoir ses droits à la retraite le 31 mai 2011. Etant en congés payés du 21 mars au 31 mai 2011, il avait participé à diverses réunions en qualité de représentant du personnel. L’employeur ayant refusé de lui payer les 27 heures passées à ces réunions, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale. Le conseil de prud’hommes a fait droit à sa demande au motif que les 27 heures passées aux réunions sur convocation de l’employeur pendant les congés payés du salarié devaient être considérées comme du temps de travail effectif, et, en conséquence, avait condamné son employeur à lui payer diverses sommes. Au soutien de son pourvoi, l’employeur faisait valoir que l’indemnité de congés payés ne pouvant se cumuler, au titre de la même période, avec la rémunération d’une période d’activité, le salarié investi d’une mission de représentant du personnel et qui avait perçu une indemnité de congés payés, ne pouvait la cumuler avec les sommes dues au titre des heures de réunion, effectuées pendant la période de congés payés afférente, dans le cadre de sa mission de représentation. Par le présent arrêt, la chambre sociale confirme le jugement de première instance. Elle rappelle que les heures passées par le salarié titulaire d’un mandat de représentation du personnel aux réunions

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organisées à l’initiative de l’employeur doivent être payées comme du temps de travail effectif. Le conseil de prud’hommes ayant constaté que le salarié, pendant ses congés payés, s’était rendu aux réunions organisées à l’initiative de l’employeur pour exercer son mandat représentatif dans l’intérêt de la collectivité des salariés et qu’il n’avait pu, du fait de son départ en retraite, bénéficier des congés payés auxquels il pouvait prétendre, avait donc à bon droit condamné l’employeur à payer au salarié les heures passées à ces réunions. Cette décision a pour fondement le principe selon lequel l’exercice de mandats représentatifs ne peut avoir aucune incidence défavorable sur la rémunération du salarié (Soc., 29 mai 2001, pourvoi n° 98-45.758, Bull. 2001, V, n° 187; Soc., 26 juin 2001, pourvoi n° 98-46.387, Bull. 2001, V, n° 232; Soc., 6 juillet 2010, pourvoi n° 09-41.354, Bull. 2010, V, n° 157). C’est sur la base de ce même fondement que la chambre sociale a récemment décidé que le temps de trajet qui, pris en dehors de l’horaire normal de travail et effectué en exécution des fonctions représentatives, doit être rémunéré comme du temps de travail effectif pour la part excédant le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail (Soc., 12 juin 2013, pourvoi n° 12-15.064, Bull. 2013, V, n° 154 et Soc., 12 juin 2013, pourvoi n° 12-12.806, Bull. 2013, V, n° 155). La chambre sociale a également assimilé la situation d’un salarié représentant du personnel convoqué à une réunion par l’employeur pendant ses congés payés à celle du salarié rappelé pendant des congés pour les nécessités de son service et lui a octroyé, en vertu de la convention collective applicable, un congé supplémentaire (Soc., 18 décembre 1991, pourvoi n° 89-40.288, Bull. 1991, V, n° 595 et Soc., 26 juin 2013, pourvoi n° 12-13.368). *Représentant de la section syndicale Sommaire L’interdiction faite aux syndicats non représentatifs de désigner à nouveau au sein de l’entreprise ou de l’établissement, en qualité de représentant de section syndicale, le salarié désigné antérieurement aux dernières élections professionnelles à l’issue desquelles le syndicat n’a pas obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés, ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale et, tendant à assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise, ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical. C’est dès lors bon droit qu’un tribunal d’instance a refusé d’écarter l’application de l’article L. 2142-1-1 du code du travail tel qu’issu de la loi n° 789-2008 du 20 août 2008, au regard de l’article 3 de la convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail. Soc., 14 novembre 2013 RejetArrêt n° 1941 FS-P+B N° 13-11.316 - T.I. Paris 1er, 17 janvier 2013 M. Lacabarats, Pt - M. Huglo, Rap. - M. Lalande, Av. Gén. Note Un syndicat, qui avait désigné un représentant de section syndicale au sein d’une entreprise, n’a pas obtenu 10% des suffrages exprimés lors des élections professionnelles. Le syndicat a entendu maintenir le même salarié dans ses fonctions de représentant. L’employeur a contesté cette désignation devant le tribunal d’instance qui l’a annulée, après avoir constaté que le salarié avait été maintenu dans ses fonctions –ce qui s’assimilait à une nouvelle désignation- moins de six mois

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après les élections, et avoir écarté le grief tiré de l’inconventionnalité de l’article L. 2142-1-1 du code du travail au regard de l’article 3 de la convention n° 87 de l’OIT qui dispose que « les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit d’élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d’élire librement leurs représentants, d’organiser leur gestion et de formuler leur programme d’action ». La question de la conformité au droit international du travail des conditions de désignation du représentant de la section syndicale se trouvait donc au cœur du pourvoi. Création de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, le représentant de la section syndicale a pour vocation de déployer dans l’entreprise une action qui se traduira à l’issue des élections professionnelles par l’acquisition de la représentativité par le syndicat qui l’a désigné, dès lors que celui-ci recueille 10% des suffrages exprimés. La contrepartie est que lorsque le syndicat n’obtient pas l’audience requise, il ne peut immédiatement procéder à la désignation de ce même salarié. En effet, le troisième alinéa de l’article L. 2142-1-1 du code du travail dispose que « le mandat de représentant de section syndicale prend fin, à l’issue des premières élections professionnelles suivant sa désignation, dès lors que le syndicat qui l’a désigné n’est pas reconnu représentatif dans l’entreprise. Le salarié qui perd ainsi son mandat de représentant ne peut pas être désigné à nouveau comme représentant syndical au titre d’une section jusqu’aux six mois précédant la date des élections professionnelles suivantes dans l’entreprises ». Dès 2010, la chambre sociale a jugé que la Charte sociale européenne, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et les Conventions n° 98 et 135 de l’OIT n’interdisent pas aux Etats de réserver aux syndicats représentatifs le droit de mener des négociations collectives. Elle a, à la même occasion, dit que l’obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10% des voix ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale et ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical (Soc., 14 avril 2010, pourvoi n° 09-60.426, Bull. 2010, V, n° 100). Quelques mois plus tard, la chambre sociale a confirmé le jugement ayant annulé la désignation d’un délégué syndical après avoir constaté que le syndicat désignataire n’avait pas obtenu un score d’au moins 10% lors des élections au comité d’établissement. Elle a précisé qu’est sans incidence le fait qu’en application d’un accord collectif, cette désignation ait été opérée dans un périmètre plus restreint coïncidant avec celui retenu pour l’implantation des délégués du personnel lors de l’élection desquels il a obtenu un score d’au moins 10% (Soc., 10 novembre 2010, pourvoi n° 09-72.586, Bull. 2010, V, n° 257). Cependant, la chambre sociale a aussi jugé que l’interdiction de désigner immédiatement après l’organisation des élections professionnelles, en qualité de représentant de section syndicale, le salarié qui exerçait cette même fonction au moment des élections, ne s’applique pas dès lors que, par suite d’une modification de l’entreprise, le périmètre des élections est différent de celui retenu lors des élections précédentes (Soc., 25 septembre 2013, pourvoi n° 12-26.612, Bull. 2013, V, n° 219) Dans la présente décision, la chambre sociale soumet à nouveau cette disposition au test de conventionnalité à en jugeant, cette fois au regard de l’article 3 de la convention n° 87, que l’article L. 2142-1-1 du code du travail « ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale ». En effet, le syndicat qui n’a pas obtenu le score de 10% reste libre, à l’issue des élections et sans attendre l’écoulement du délai de six mois, de désigner un autre salarié comme représentant syndical. Cette disposition tend ainsi à « assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts », la réunion d’un certain nombre de suffrages étant l’essence même du jeu démocratique. Dès lors, la disposition « ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical » dont l’autonomie et l’organisation n’est nullement remise en cause.

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*Syndicat - Représentativité Sommaire Le tribunal d'instance qui constate que les statuts d’un syndicat affilié à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale ne l'autorisent à représenter que les salariés techniciens, agents de maîtrise, cadres et cadres dirigeants et que la mention "quel que soit leur statut" se réfère uniquement au statut public ou privé des agents en déduit à bon droit que le champ statutaire du syndicat est catégoriel. Le fait que l'accord préélectoral rattache certaines catégories de techniciens au premier collège, n'a pas d'incidence sur le droit, pour ce syndicat, de faire calculer les suffrages électoraux permettant de déterminer sa représentativité en fonction des résultats obtenus au sein des deuxième et troisième collèges, dès lors qu’il n’a pas présenté de candidats dans le premier collège. Soc., 14 novembre 2013 RejetArrêt n° 1936 - FS-P+B N° 13-12.659 - T.I. Le Raincy, 12 février 2013 M. Lacabarats, Pt. - Mme Lambremon, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén. Sommaire n° 1 Si les critères posés par l'article L. 2121-1 du code du travail doivent être tous réunis pour établir la représentativité d'un syndicat et si ceux tenant au respect des valeurs républicaines, à l'indépendance et à la transparence financière doivent être satisfaits de manière autonome et permanente, ceux relatifs à l'influence prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience, aux effectifs d'adhérents et aux cotisations, à l'ancienneté dès lors qu'elle est au moins égale à deux ans et à l'audience électorale dès lors qu'elle est au moins égale à 10 % des suffrages exprimés, font l'objet, dans un périmètre donné, d'une appréciation globale pour toute la durée du cycle électoral. Un tribunal d’instance ayant constaté qu’avant les élections professionnelles un syndicat dénombrait plus de 120 adhérents sur 175 salariés et que son activité et ses effectifs étaient de fait suffisants pour caractériser la représentativité de cette organisation syndicale qui avait obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés, a retenu à bon droit que ce syndicat était représentatif au sein de l’entreprise lors de la désignation contestée, peu important la perte d’un certain nombre d’adhérents postérieurement aux élections. Soc., 14 novembre 2013 Cassation partielle sans renvoi Arrêt n° 1940 FS-P+B N° 12-29.984 - T.I. Sens, 12 décembre 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Huglo, Rap. - M. Lalande, Av. Gén. Note Au terme d’élections s’étant déroulées au sein d’une entreprise en juillet 2011, les syndicats CFDT et CGT avaient recueilli respectivement 80% et 20% des suffrages. Le syndicat CFDT a désigné un délégué syndical en septembre 2011. Courant mars 2012, de nombreux élus et adhérents de la CFDT ont démissionné de ce syndicat et au mois d’avril, celui-ci a informé l’employeur qu’il retirait son mandat au délégué qu’il avait désigné. En juillet de la même année, le syndicat CFDT a informé l’employeur qu’il désignait un nouveau délégué syndical en la personne d’un salarié qui

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avait été élu délégué du personnel sur la liste CGT lors des élections. Des salariés ont saisi le tribunal d’instance aux fins d’obtenir l’annulation de cette désignation. Cette demande ayant été rejetée, les requérants ont formé un pourvoi contestant notamment que le syndicat CFDT ait pu conserver la représentativité nécessaire au droit de désignation d’un délégué syndical, eu égard à la perte d’adhésions subie. Selon les requérants, la représentatitivé du syndicat devait s’apprécier à la date d’exercice de la prérogative, soit la désignation du nouveau délégué syndical. Or à cette date, le syndicat ne pouvait plus se réclamer des effectifs d’adhérents qui étaient les siens au moment de l’élection. La Cour de cassation rejette cette argumentation par un arrêt qui synthétise la jurisprudence récente en la matière. Les critères énoncés à l’article L. 2121-1 du code du travail doivent être tous réunis pour établir la représentativité d’un syndicat. Cependant, ils ne sont pas de même nature et ne s’apprécient donc pas de la même manière. Certains doivent être satisfaits de manière autonome et permanente : il s’agit de ceux tenant au respect des valeurs républicaines, à l’indépendance et à la transparence financière. A l’inverse, les autres critères « relatifs à l’influence prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience, aux effectifs d’adhérents et aux cotisations à l’ancienneté dès lors qu’elle est au moins égale à deux ans et à l’audience électorale dès lors qu’elle est au moins égale à 10% des suffrages exprimés, doivent faire l’objet d’une appréciation globale » (Soc., 29 février 2012, pourvoi n° 11-13.748, Bull. 2012, V, n° 83). En effet, la vie démocratique elle-même rend difficile d’exiger la fixité d’éléments dont la fluctuation n’atteint pas nécessairement la légitimité acquise dans les urnes. C’est pourquoi la chambre sociale précise ici que cette appréciation s’effectue, dans un périmètre donné, « pour toute la durée du cycle électoral » reprenant la formule utilisée quelques mois auparavant (Soc., 13 février 2013, pourvoi n° 12-18.098, Bull. 2013, V, n° 42). En l’espèce, le tribunal d’instance avait constaté qu’au moment des élections professionnelles, le syndicat CFDT, qui avait obtenu plus de 10% des suffrages exprimés, comptait plus de cent-vingt adhérents sur cent soixante-quinze salariés. Le juge du fond avait donc retenu à bon droit que le syndicat était demeuré représentatif au sein de l’entreprise lors de la désignation contestée, nonobstant la désaffection qu’il avait subie. 3. Protection des représentants du personnel 3-1 Protection contre le licenciement *Autorisation administrative de licencier – Portée Sommaire Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L.1152-1 à L.1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié, fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.

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Soc., 27 novembre 2011 RejetArrêt n° 2180 FS - P+B+R N° 12-20.301 - CA Paris, 5 avril 2012 M. Lacabarats, Pt. - Mme Sabotier, Rap. - Mme Lesueur de Givry, Av. Gén. Note

A l’occasion de la présente décision, qui est à rapprocher d’une décision du Conseil d’État rendue le 20 novembre 2013 (n° 340591, publiée au Recueil Lebon), la chambre sociale était à nouveau saisie de la délicate question du licenciement pour inaptitude physique du salarié protégé, autorisé par l’inspecteur du travail, lorsque le salarié soutient que son inaptitude physique trouve son origine dans un harcèlement moral dont il a été la victime. Il était jusqu’à ce jour apparu impossible à la chambre sociale de ne pas prendre en compte la décision de l’autorité administrative accordant l’autorisation de licencier au regard de la séparation des pouvoirs. Il en résultait qu’en principe, seule une demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral pouvait être formée devant la juridiction prud’homale, sans que puisse être remise en cause la validité de la rupture du contrat de travail (Soc., 15 novembre 2011, pourvoi n° 10-10.687, Bull. 2011, V, n° 259 ; Soc., 15 novembre 2011, pourvoi n° 10-18.417, Bull. 2011, V, n° 260 ; Soc., 15 novembre 2011, pourvoi n° 10-30.463, Bull. 2011, V, n° 261). Or, dans l’affaire ici commentée, la chambre sociale était saisie d’un pourvoi dirigé contre la décision d’une cour d’appel d’accorder au salarié protégé, outre des dommages-intérêts pour harcèlement moral, une somme réparant le préjudice résultant de la perte d’emploi (correspondant en l’occurrence à un peu plus de trois années de salaire), la cour d’appel se fondant sur le fait que l’inaptitude médicale était la conséquence du harcèlement. Nous savons pourtant que, dans une telle hypothèse, l’inspecteur du travail aurait dû refuser d’autoriser le licenciement. Mais que faire face à une telle situation, dans laquelle le salarié, sans formellement prendre acte de la rupture du contrat de travail avant que n’intervienne la décision de l’administration du travail, demande néanmoins à quitter l’entreprise et que l’y maintenir l’exposerait à un risque pour sa santé ? C’est dans ce contexte, et après des échanges avec le Conseil d’État, qu’il a été décidé de mettre en œuvre un dispositif cohérent et fonctionnel, au terme duquel : 1°) l’administration, dès lors que l’inaptitude physique est réelle et justifie le licenciement, doit autoriser le licenciement, sans rechercher la cause de l’inaptitude ; 2°) l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude. Il convient à cet égard d’observer que, même si la chambre sociale ne l’affirme pas expressément à l’occasion du présent arrêt puisque la question ne lui était pas directement posée, la possibilité ainsi reconnue au salarié protégé licencié en vertu d’une autorisation administrative de faire valoir devant les juridictions judiciaires « tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude » s’entend aussi de celui de solliciter l’annulation du licenciement.

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F - RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL 2 – Licenciements Sommaire Il résulte de l’article L. 1274-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige que l'utilisation du chèque- emploi pour les très petites entreprises dispense seulement l'employeur d'établir un bulletin de paie, un contrat de travail et un certificat de travail ; que les dispositions du code du travail sur la rupture du contrat de travail ne sont pas écartées en cas de recours à ce dispositif. Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée retient que le chèque-emploi destiné aux très petites entreprises permet à l’employeur de s’attacher ponctuellement les services d’un salarié sans être lié par un contrat de travail à durée déterminée de sorte que l’employeur est libre de mettre un terme à cette relation de travail à tout moment sans être redevable d’une quelconque indemnité. Soc, 6 novembre 2013 Cassation Arrêt n° 1889 F-P+B N° 12-24.053 - C.A. Aix-en-Provence, 15 septembre 2011 M. Frouin, f.f. Pt. - Mme Mariette, Rap. - M. Aldigé, Av. Gén. Note Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation statue pour la première fois sur les conséquences sur la rupture du contrat de travail, du recours au chèque-emploi service pour les très petites entreprises (CETPE). Ce chèque-emploi a été institué par l’ordonnance n° 2005-903 du 2 août 2005, complétée par le décret n° 2005-1041 du 26 août 2005 et l’arrêté du 29 août 2005, dans le cadre du “plan d’urgence pour l’emploi”. Ce dispositif, qui s’adressait aux entreprises dont l’effectif n’excédait par cinq salariés, avait pour objectif de “simplifier la gestion des obligations sociales et la relation de travail par ces entreprises”. L’employeur qui utilisait ce chèque-emploi était dispensé d’établir la déclaration unique à l’embauche, le contrat de travail, la déclaration des cotisations et contributions sociales, le bulletin de salaire et le certificat de travail (article L. 1274-2 et L. 1274-4 du code du travail). Ce chèque-emploi pouvait également comporter un moyen de paiement des salariés (article L. 1274-5 du code du travail). En l’espèce, un salarié, engagé le 26 novembre 2008 en contrat à durée déterminée, avait signé une déclaration de chèque-emploi service pour les très petites entreprises. L’employeur avait mis fin à la relation de travail le 30 novembre 2009. Le salarié avait saisi la juridiction prud’homale pour obtenir paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaires et de dommages-intérêts pour rupture anticipée et abusive du contrat de travail. La cour d’appel l’avait débouté de ses demandes au motif que les parties avaient signé une déclaration de chèque-emploi destiné aux très petites entreprises qui permettait à l’employeur de s’attacher ponctuellement les services d’un salarié sans être lié par un contrat de travail à durée

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déterminée de sorte que l’employeur était libre de mettre un terme à cette relation de travail à tout moment sans être redevable d’une quelconque indemnité. La question posée à la Cour de cassation était donc de déterminer si l’employeur utilisant ces chèques-emploi pouvait s’affranchir des dispositions légales applicables à toute rupture du contrat de travail. La chambre sociale y répond par la négative aux visas des articles L. 1274-4 et L. 1243-1 du code du travail : les dispositions du code du travail sur la rupture du contrat de travail ne sont pas écartées en cas de recours à ce dispositif. Il convient de noter que les dispositions relatives au chèque-emploi pour les très petites entreprises ont été abrogées par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, à compter du 1er avril 2009 et remplacées par le titre emploi-service entreprise (TESE) qui a également remplacé le titre emploi-entreprise (TEE). 2.1- Mise en œuvre *Transaction Sommaire Une cour d’appel, qui a fait ressortir que la clause de confidentialité stipulée dans la transaction conclue par le salarié avec l’actionnaire de référence de son ancien employeur en liquidation judiciaire, avait privé la société ayant repris partie des salariés de l’entreprise liquidée de la possibilité d’en invoquer les effets en défense à l’action en réintégration du salarié, en a déduit à bon droit, que cette dernière pouvait se prévaloir de la portée de cette transaction régulièrement produite aux débats par l’actionnaire de référence. Soc., 20 novembre 2013 RejetArrêt n° 1968 FS - P + B N° 10-28.582 - C.A. Basse-Terre, 4 octobre 2010 M. Lacabarats, Pt. - M. Hénon, Rap. - M. Richard de la Tour, Av. gén. Note Dans le cadre de la liquidation judiciaire de l’entreprise à laquelle il appartenait, un salarié a fait l’objet d’un licenciement économique, autorisé par l’administration en raison des mandats qu’il exerçait. Cette autorisation ayant ensuite été annulée, le salarié a obtenu de la juridiction prud’homale sa réintégration auprès de la société ayant partiellement repris les actifs et les salariés de son ancien employeur. La cour d’appel a infirmé cette décision après avoir constaté que le salarié avait conclu avec la société actionnaire de référence de celle ayant fait l’objet de la liquidation, une transaction aux termes de laquelle il obtenait le versement d’une certaine somme d’argent, en contrepartie de sa renonciation à toute demande de réintégration. Devant la Cour de cassation, le salarié faisait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de retrait de la pièce correspondant au protocole transactionnel conclu par lui avec la société actionnaire. En effet, il faisait valoir que la production était irrégulière dès lors qu’elle intervenait en fraude de la clause de confidentialité y figurant. La chambre sociale rejette cette argumentation. Il ressortait en effet des constatations des juges d’appel que la transaction avait été produite par la société signataire, actionnaire de référence de

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l’employeur. La société ayant repris partie des salariés de l’entreprise liquidée, auprès de laquelle le salarié demandait sa réintégration, pouvait donc se prévaloir de la portée de cette transaction versée aux débats par un tiers. Le salarié reprochait par ailleurs aux juges d’appel d’avoir méconnu l’objet de la transaction en déclarant qu’il avait renoncé à toute demande, de quelque nature qu’elle soit, liée à son licenciement. La chambre sociale écarte également ce moyen. L’effet relatif des contrats, qui interdit aux tiers de se prévaloir de l’autorité d’une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus, ne les prive pas de la possibilité d’invoquer la renonciation à un droit contenue dans la transaction (Soc., 14 mai 2008, pourvois n° 07-40.968 et suivants, Bull. 2008, V, n°106). Si en l’espèce, la transaction ne pouvait avoir autorité entre le salarié et la société repreneuse qui n’en était pas signataire, cette dernière pouvait invoquer la renonciation à la demande de réintégration qui, ainsi que les juges du fond l’avaient constaté, constituait l’objet de ce contrat. 2.4 Licenciement économique *Plan de sauvegarde de l’emploi Sommaire Les licenciements prononcés par le liquidateur le sont en application de la décision prononçant la liquidation et, sauf fraude, la nullité des licenciements prononcés avant que la société ne soit admise à la procédure de redressement n'emporte pas à elle seule réintégration des salariés licenciés dans l'entreprise. Encourt, par voie de conséquence, la cassation l'arrêt qui, pour constater au profit des salariés l'existence d'une créance liée à l'exécution du contrat de travail à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, retient que dès lors que les vingt-trois licenciements prononcés avant l'ouverture du redressement judiciaire ont été déclarés nuls par un jugement définitif du 26 novembre 2006 et qu'ils procédaient de la même cause économique que les licenciements auxquels avait procédé le liquidateur, ce dernier était tenu, l'effectif de la société devant être regardé comme étant d'au moins cinquante salariés, d'établir et de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi. Soc., 26 novembre 2013 CassationArrêt n° 1913 FS-P+B N° 12-19.247 - C.A. Metz, 21 février 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Struillou, Rap. - M. Finielz, Pr Av. Gén. Note Suite à une perte de marché, une société a procédé en avril 2005 au licenciement économique de vingt-trois de ses soixante-sept salariés, sans établir un plan de sauvegarde de l’emploi. Quelques jours plus tard, elle fut placée en redressement et après trois mois, en liquidation judiciaire. Suite au licenciement des quarante-quatre salariés restants, plusieurs des salariés ayant été licenciés en avril 2005 obtinrent par décision définitive le prononcé de la nullité de leur licenciement pour défaut de plan de sauvegarde de l’emploi. Des salariés ayant fait l’objet du licenciement par le liquidateur judiciaire ont également saisi avec succès la juridiction prud’homale d’une demande de nullité de leur licenciement. La cour d’appel

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jugea en effet que les deux séries de licenciement procédaient de la même cause économique et que, par l’effet rétroactif de l’annulation du licenciement des vingt-trois salariés, l’entreprise contenait, au moment de la procédure de liquidation, plus de cinquante salariés. Les salariés licenciés par le liquidateur l’avaient donc été en l’absence de plan de sauvegarde de l’emploi. La Cour de cassation censure ce raisonnement au visa des articles L. 122-14-4 du code du travail et L. 622-5 du code de commerce, alors applicables, par un arrêt qui s’inscrit dans la logique de la jurisprudence selon laquelle c’est au moment où la procédure de licenciement collectif est engagée que s’apprécie la nécessité de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi, supposant que soit remplie la condition d’un effectif de cinquante salariés au moins (Soc., 12 juillet 2010, pourvoi n° 09-14.192, Bull. 2010, V, n° 165) La chambre sociale énonce ici que la nullité des licenciements prononcés avant qu’une société ne soit admise à la procédure de redressement n’emporte pas à elle seule réintégration des salariés licenciés. Il n’en va autrement qu’en cas de fraude, qu’il appartient aux juges du fond de constater. En effet, il résulte de l’article L. 122-14 que lorsque le licenciement est nul, le tribunal peut sur la demande du salarié ordonner la poursuite du contrat de travail « sauf si la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l’établissement ou du site ». En l’espèce, la réintégration des vingt-trois salariés dont le licenciement avait été annulé en 2006 était par hypothèse impossible puisqu’à cette date la société avait fait l’objet d’une liquidation. D’autre part, la chambre sociale rappelle que les licenciements prononcés par le liquidateur le sont en application de la décision prononçant la liquidation. Il ne peut donc être opérée de confusion entre le licenciement économique opéré par l’employeur et celui prononcé par le liquidateur. G - ACTIONS EN JUSTICE *Compétence en droit intra-communautaire Sommaire Il résulte de l'article 19 du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, reprenant la règle fixée par l'article 5 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 antérieurement applicable, qu'un employeur ayant son domicile sur le territoire d'un Etat membre peut être attrait devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail. Doit dès lors être cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui, après avoir constaté qu’un salarié avait toujours effectué son travail à Aulnay-sous-Bois, déclare la juridiction prud’homale française incompétente pour statuer sur ses demandes au titre de son licenciement prononcé dans le cadre d’une procédure collective au motif que cette procédure ayant été ouverte par un tribunal belge et selon la loi belge, cette dernière est applicable au litige. Soc., 27 novembre 2013 CassationArrêt n° 2039 FS-P+B N° 12-20.426 - C.A. Paris, 4 avril 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Béraud, Rap. - M. Weissmann, Av. Gén.

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Note Par la décision ici rapportée, la chambre sociale rappelle les règles de compétence juridictionnelle applicables aux litiges du droit du travail à dimension intracommunautaire. En l'espèce, un salarié avait été engagé en qualité de magasinier par la succursale française d'une société ayant son siège social en Belgique ; la prestation de travail avait toujours été réalisée en France. Cette société avait par la suite fait l'objet d'une procédure collective, prononcée par un tribunal de commerce belge. Deux « curateurs de la faillite » avaient été judiciairement désignés qui avaient licencié le salarié par lettre en date du 17 janvier 1997. L’intéressé avait déclaré ses créances auprès du tribunal de commerce belge, et l'admission de ces dernières avait entraîné plusieurs versements à son profit par le fonds d'indemnisation belge ; toutefois, ces versements n'avaient que partiellement couvert ses créances. Saisie à son tour, l'AGS avait refusé de garantir le complément, au motif que lesdites créances étaient nées d'une procédure collective ouverte en Belgique. Courant 2005, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale française de diverses demandes tendant à dire nul son licenciement, à obtenir l'inscription au passif de la société de créances indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non-respect de la procédure, à dire opposable à l'AGS le jugement à intervenir, et à dire cette dernière tenue de garantir la partie des créances admise mais non garantie par le fonds belge de fermeture des entreprises. Le conseil de prud'hommes s'était déclaré compétent puis, statuant sur le fond du litige, avait fixé le montant des créances du salarié au passif de la société et dit le jugement opposable à l'AGS dans la limite de sa garantie. Sur appel de l'AGS, la cour d'appel avait dit la juridiction prud'homale française incompétente pour statuer sur le litige. Le salarié s’est alors pourvu en cassation. Le droit social de l'Union Européenne obéit aux règles de compétence applicables aux litiges intracommunautaires. A cet égard, l'article 19 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 « concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale » dispose : « Un employeur ayant son domicile sur le territoire d'un Etat membre peut être attrait : 1) devant les tribunaux de l'Etat membre où il a son domicile, ou 2) dans un autre Etat membre : a) devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou b) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur ». Ce texte reprend la règle déjà posée par l'article 5.1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. Si ces dispositions ont pour objet la détermination de la juridiction compétente pour trancher le litige intracommunautaire, elles n'ont en revanche pas vocation à déterminer la loi applicable au litige. Concernant la justification de ces règles de compétence, la Cour de Justice des Communautés Européennes, dans un arrêt Pugliese, a constaté que « en matière de contrats de travail, l'interprétation de l'article 5.1 de la convention doit tenir compte du souci d'assurer une protection adéquate au travailleur en tant que partie contractante la plus faible du point de vue social et qu'une telle protection est mieux assurée si les litiges relatifs à un contrat de travail relèvent de la compétence du juge du lieu où le travailleur s'acquitte de ses obligations à l'égard de son

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employeur, dans la mesure où c'est à cet endroit que le travailleur peut, à moindres frais, s'adresser aux tribunaux ou se défendre » (CJCE, 10 avril 2003, Aff. C-437/00, §18). Toujours sous l'empire de la Convention de Bruxelles, et concernant ensuite la nature de ces règles de compétence, la Cour de Justice des Communautés Européennes a, dans un arrêt Shearson Lehman Hutton, jugé que les juridictions des Etats contractants étaient tenues d'appliquer d'office la convention, étant donné que les questions relatives au champ d'application des dispositions de la convention, qui déterminent la compétence juridictionnelle dans l'ordre international, devaient être considérées comme étant d'ordre public (CJCE, 19 janvier 1993, Aff. C-89/91, §10). A fortiori cette interprétation jurisprudentielle est-elle transposable à l'application de l'article 19 du Règlement du 22 décembre 2000. Dans l’arrêt objet du pourvoi, les juges d'appel avaient exclu la compétence de la juridiction prud'homale française au motif qu'étaient applicables au litige les lois de faillite et d'indemnisation belges. Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation qui rappelle ici que la question de la loi applicable est distincte de celle de la juridiction compétente. De façon classique, la chambre sociale juge que « la loi éventuellement applicable au fond du litige est sans effet sur la juridiction compétente » (Soc., 6 février 1986, pourvoi n° 85-42.266, Bull. 1986, V, n° 5). Dans une décision rendue au visa de la Convention de Bruxelles précitée, elle a réaffirmé que « la compétence internationale du juge français ne dépend pas de la loi applicable au litige » (Soc., 30 avril 1997, pourvoi n° 96-41.882). S'agissant des règles de compétence issues de l'article 19 du Règlement du 22 décembre 2000, la chambre sociale a décidé que les juges du fond, saisis par un salarié d'une demande dirigée contre un employeur domicilié dans un autre Etat membre, devaient rechercher « où travaillait habituellement le salarié ou, à défaut, où était situé son bureau ou le lieu où il organisait son travail » , afin d'établir s'ils étaient ou non territorialement compétents (Soc., 1er avril 2008, pourvoi n° 07-40.706). Au présent cas, étaient donc inopérantes, pour déterminer la juridiction compétente, les circonstances tenant au fait que le salarié avait déclaré sa créance auprès d'un tribunal de commerce belge, que la créance avait été partiellement prise en charge par le fonds d'indemnisation belge et que cette prise en charge était par ailleurs toujours en cours. En application de l'article 19 du Règlement du 22 décembre 2000, il revenait aux juges du fond, pour déterminer la juridiction compétente, de faire application du critère du lieu d'exécution habituel de la prestation de travail. En conséquence, en déniant toute compétence au juge français, alors qu'elle avait par ailleurs relevé que le salarié avait toujours accompli son travail sur le territoire français, la cour d'appel avait méconnu la disposition précitée. Sommaire Il résulte de l'article 19, paragraphe 2, a), du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale qu'un employeur ayant son domicile sur le territoire d'un Etat membre peut être attrait dans un autre Etat membre devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; que le lieu de travail habituel est l'endroit où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l'intégralité de la période

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d'activité du travailleur ; qu'en cas de périodes stables de travail dans des lieux successifs différents, le dernier lieu d'activité devrait être retenu dès lors que, selon la volonté claire des parties, il a été décidé que le travailleur y exercerait de façon stable et durable ses activités. Une cour d’appel ayant constaté que l'autorisation d'exécuter pour partie la prestation de travail à son domicile situé à Slough, obtenue par le salarié de ses supérieurs hiérarchiques en 2008, n'a pas remis en cause la localisation de son emploi à Londres, que l'employeur n'a jamais donné son accord à un transfert en France du lieu de travail de son salarié, la tolérance dont il a bénéficié pour travailler chez lui une partie de la semaine alors qu'il n'était plus domicilié au Royaume-Uni ne pouvant s'analyser qu'en une dérogation précaire aux termes du contrat fixant la localisation de son poste de travail à Londres, et que, par ailleurs, sur l'ensemble de la période d'activité du salarié employé du 5 février 2007 au 29 décembre 2010, celui-ci a accompli la majeure partie de son temps de travail à Londres qui est constamment demeuré le centre effectif de ses activités professionnelles, en a déduit à bon droit qu’en l’absence de volonté claire des parties, il n’a pas été convenu que le travailleur exercerait de façon stable et durable ses activités à son domicile en France. Soc., 27 novembre 2013 Rejet Arrêt n° 2043 FS-P+B N° 12-24.880 - C.A. Douai, 29 juin 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Huglo, Rap. - M. Weissmann, Av. Gén. Note Un salarié avait été embauché suivant contrat de travail prévoyant que le lieu de travail se situerait dans les locaux de la société à Londres ou dans tout établissement de celle-ci ou du groupe au Royaume-Uni. Le salarié avait ensuite obtenu de son employeur l’autorisation d’exécuter pour partie sa prestation de travail à son domicile situé au Royaume-Uni. Ultérieurement, la société avait été rachetée par la Royal Bank of Scotland, le nouveau contrat de travail localisant toujours le poste à Londres. Puis le salarié a déménagé en France, continuant à travailler à son domicile, pour ne venir à Londres qu’un jour par semaine. Licencié pour motif économique, il a engagé une action en justice devant le tribunal d’emploi (employment tribunal) dont il s’est désisté, et a saisi en référé le conseil de prud’hommes de Lille. La cour d’appel a jugé que la juridiction française était territorialement incompétente pour connaître des demandes du salarié. A l’appui de son pourvoi, le salarié soutenait que les juges du fond avaient méconnu l’article 19 du Règlement (CE) n° 44/2001 en définissant le centre effectif de ses activités par référence aux termes du contrat localisant l’emploi à Londres et non sur les conditions d’exercice de fait de l’activité et qu’ils ne pouvaient exiger la formalisation expresse d’un accord de l’employeur au transfert du lieu de travail en France pour retenir le dernier lieu d’activité comme centre effectif de celle-ci, en considérant que l’intéressé s’était établi pour convenance personnelle en France. Rejetant cette argumentation, la chambre sociale rappelle que la mise en œuvre de la règle de compétence découlant du texte précité implique de prendre en considération l’ensemble de la période de travail et précise les conditions dans lesquelles le dernier lieu d’établissement peut être considéré comme le centre effectif des activités du salarié. Le Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000 relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I dispose en son article 19 §2 qu’un employeur ayant son domicile sur le territoire d’un Etat membre peut être attrait :

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« dans un autre Etat membre : a) devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le

tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail, b) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans

un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur »

Dans un arrêt Weber, la Cour de Luxembourg a précisé les termes de la convention de Bruxelles, laquelle a précédé le Règlement Bruxelles I, en énonçant que le critère à prendre en considération pour déterminer le lieu de travail « est, en principe, l’endroit où le travailleur a accompli la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur » (CJCE, arrêt du 27 février 2002, Weber, C-37/00, point 50). Cette même décision indique que ce critère temporel « fondé sur la durée respective du temps de travail effectué dans les différents Etats contractants en cause, implique logiquement que l’intégralité de la période d’activité du travailleur soit prise en compte pour déterminer l’endroit où le salarié a accompli la partie la plus significative de son emploi et où dans un tel cas de figure, se situe le centre de gravité de son rapport contractuel avec l’employeur » (point 52). De plus « la période de travail la plus récente devrait être retenue lorsque le travailleur, après avoir accompli son travail pendant une certaine durée à un endroit déterminé, exerce ensuite ses activités de manière durable en un lieu différent, dès lors que, selon la volonté claire des parties, ce dernier est destiné à devenir un nouveau lieu de travail habituel » (point 54). La Cour de cassation a mis en œuvre cette jurisprudence en jugeant, dans un litige opposant un armateur luxembourgeois à son matelot ayant saisi une juridiction française, que le lieu du port où le bateau dans lequel travaillait l’intéressé était amarré depuis cinq mois était impropre à caractériser le dernier lieu de travail habituel au sens de l’article 19 du Règlement (Soc., 31 mars 2009, pourvoi n° 08-40.367, Bull. 2009, V, n° 93). A l’inverse, a été confirmée la compétence de la juridiction française pour connaître de l’action engagée à l’encontre de leur employeur ayant son siège social au Royaume-Uni, par des pilotes de ligne qui commençaient et terminaient leurs prestations à partir d’un aéroport international situé en France, où ils s’acquittaient par conséquent en fait de l’essentiel de leurs obligations, peu important que des cycles de rotation les aient conduits dans différents pays du globe (Soc., 11 avril 2012, pourvoi n° 11-17.096, Bull. 2012, V, n° 118). De la même manière, la compétence de la juridiction française a-t-elle été retenue à bon droit, s’agissant d’un copilote salarié d’une compagnie luxembourgeoise, qui sur une période de quatre années, avait effectué 45,5% de ses vols en relation avec un aéroport français (Soc., 4 décembre 2012, pourvoi n° 11-27.302, Bull. 2012, V, n° 312). Au présent cas, prenant en compte « l’ensemble de la période d’activité du salarié employé du 5 février 2007 au 29 décembre 2010 » ainsi que l’implique la jurisprudence européenne, les juges du fond avaient constaté que l’intéressé avait accompli la majeure partie de son temps de travail à Londres. Par ailleurs, la cour d’appel avait constaté que si le salarié avait été autorisé, sans formalisme, à travailler à son domicile au Royaume-Uni, il n’avait jamais sollicité d’autorisation similaire lorsqu’il avait choisi de déménager en France, de sorte que « la tolérance dont il a bénéficié pour travailler chez lui une partie de la semaine alors qu’il n’était plus domicilié au Royaume-Uni » ne pouvait s’analyser qu’en une « dérogation précaire » par rapport aux termes du contrat localisant son emploi à Londres. Dans ces conditions, le fait que dans la période la plus récente, le travail ait été effectué en France ne pouvait être considéré comme résultant d’une volonté claire des parties de fixer dans ce pays le lieu habituel du travail du salarié. La juridiction prud’homale française n’était donc pas territorialement compétente pour connaître des prétentions du salarié.

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*Impartialité Sommaire Au sens de l’article 47 du code de procédure civile, le ressort dans lequel un conseiller prud’hommes exerce ses fonctions est celui de la cour d’appel dont dépend sa juridiction. Il en résulte que dès lors qu’un conseiller prud’hommes exerçait ses fonctions au sein d’une juridiction du ressort de la cour d’appel saisie, cette dernière était tenue de faire droit à la demande de renvoi devant une juridiction limitrophe formée en application de l’article 47, alinéa 2, du code de procédure civile. Soc, 26 novembre 2013 Cassation Arrêt n° 1914 FS-P+B N° 12-11.740 - C.A. Chambéry, 29 novembre 2011 M. Lacabarats, Pt. - Mme Pécaut-Rivolier, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén. Note L’article 47 du code de procédure civile dispose que “lorsqu’un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d’une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe. Le défendeur ou toutes les parties en cause d’appel peuvent également demander le renvoi devant une juridiction choisie dans les mêmes conditions.” Il est de jurisprudence constante que les conseillers prud’hommes sont des magistrats au sens de l’article 47 du code de procédure civile (2e Civ., 9 mai 1988, pourvoi n° 87-60.266, Bull. 1988, II, n° 110; Soc., 1er décembre 1988, pourvoi n° 86-41.120, Bull. 1988, V, n° 633). Dans la présente affaire, un salarié, conseiller prud’homme à Annecy avait saisi, conformément aux dispositions de l’article 47 du code de procédure civile, le conseil de prud’hommes limitrophe d’Albertville, dans le cadre d’un litige l’opposant à son employeur. Devant la cour d’appel de Chambéry, l’employeur avait demandé le renvoi du dossier devant une cour d’appel limitrophe sur le fondement de l’article 47 du code de procédure civile, la cour d’appel de Chambéry étant la juridiction d’appel des décisions rendues par le conseil de prud’hommes d’Annecy où le salarié exerçait ses fonctions de juge prud’homal. La cour d’appel avait rejeté cette demande au motif que les conditions d’application de l’article 47 du code de procédure civile n’étaient pas réunies dans la mesure où le salarié n’exerçait pas de fonctions juridictionnelles au sein de cette cour d’appel. La question posée à la chambre sociale de la Cour de cassation était donc la suivante : lorsqu’un conseiller prud’homme est partie à un litige porté devant la juridiction où il exerce ses fonctions, la possibilité donnée aux parties de demander le renvoi devant une juridiction limitrophe s’étend-elle, en cas d’appel, à la cour d’appel dont relève la juridiction où il exerce ses fonctions ? La Haute juridiction a déjà eu à juger de questions voisines s’agissant des avocats et des huissiers mais jamais concernant des conseillers prud’hommes.

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S’agissant des avocats, la deuxième chambre civile a précisé que “ le ressort dans lequel l'avocat exerce ses fonctions est celui du tribunal de grande instance près duquel est constitué le barreau où il est inscrit” (2e Civ., 4 février 1998, pourvoi n° 95-21.479, Bull. 1998, II, n° 40; 2e Civ., 7 juin 2006, pourvois n° 05-12.567 et n° 05-18.531, Bull. 2006, II, n° 148 (1)). Pour les huissiers de justice, le ressort au sens de l’article 47 du code de procédure civile n’est pas seulement le département où il exerce ses fonctions, c’est également le ressort de la cour d’appel (Soc., 26 avril 2000, pourvoi n° 96-45.250). Par le présent arrêt, la chambre sociale décide que le ressort dans lequel le conseiller prud’homme exerce ses fonctions, au sens de l’article 47 du code de procédure civile, est celui de la cour d’appel dont dépend sa juridiction et pas seulement celui du conseil de prud’hommes dont il est membre. Cette solution est conforme à l’exigence d’impartialité posée par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. En effet, les membres d’un conseil de prud’hommes sont, de par leurs fonctions, en relation avec les magistrats de la chambre sociale de la cour d’appel dont ils dépendent. Il est donc important que ces relations ne soient pas de nature à faire peser un soupçon de partialité sur une décision juridictionnelle de la cour d’appel concernant un conseiller prud’homme de son ressort. Il se déduit de cette solution que la cour d’appel de Chambéry devait faire droit à la demande de renvoi devant une cour d’appel limitrophe. Il s’agit là de l’application d’une jurisprudence constante selon laquelle “le juge ne peut pas rejeter une demande de renvoi formée en vertu de l'article 47 du nouveau Code de procédure civile dès lors que les conditions d'application en sont remplies” (2e Civ., 26 février 1997, pourvoi n° 95-13.904, Bull. 1997, II, n° 59; Soc., 11 juillet 2002, pourvoi n° 00-44.407, Bull. 2002, V, n° 255; 2e Civ., 6 janvier 2012, pourvoi n° 10-27.998, Bull. 2012, II, n° 4). *Prescription Sommaire Il résulte des articles L. 3245-1, L. 3242-1 et L. 3141-22 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible, que pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré et que, s'agissant de l'indemnité de congés payés, le point de départ du délai de la prescription doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris. Soc., 14 novembre 2013 Cassation partielle Arrêt n° 1894 FS-P+B N° 12-17.409 - CA Montpellier, 1er février 2012 M. Lacabarats, Pt. - Mme Goasguen, Rap. - M. Liffran, Av. Gén. Note En l’espèce, un salarié a été engagé selon un contrat à durée déterminée. Il a ensuite été lié par une succession de contrats à durée déterminée à temps partiel et à temps complet. Il a saisi la juridiction prud’homale d’une demande tendant à obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée ainsi que la condamnation de l’employeur à lui payer certaines sommes, notamment à titre de rappel de salaire.

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Le présent pourvoi soulevait la question du point de départ de la prescription des salaires, prescription quinquennale selon l’article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction en vigueur et alors applicable au litige, ce délai ayant depuis lors été ramenée à trois ans par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. En la matière, la Cour de cassation a dégagé le principe selon lequel le délai de prescription prévu à l’article L. 3245-1 du code du travail court à compter du jour où le salaire devient exigible. Il s’agit d’une jurisprudence constante régulièrement rappelée. En effet, « le délai de la prescription ne court qu'à compter de la date d'exigibilité de chacune des fractions de la somme réclamée » (Soc., 26 janvier 2005, pourvoi n° 02-45.655, Bull. 2005, V, n° 26). Récemment, la chambre sociale a rappelé que « le délai de prescription courait à compter de la date d'exigibilité de chacune des créances salariales revendiquées » (Soc., 24 avril 2013, pourvoi n° 12-10.196, Bull. 2013, V, n° 114). Néanmoins, le législateur ne fixe pas à proprement parler de date d’exigibilité du salaire, les articles L. 3242-1 et L. 3242-3 du code du travail fixant plutôt une périodicité maximale en ce qu’ils énoncent que le paiement de la rémunération s’effectue au moins une fois par mois. Les salariés ne bénéficiant pas de la mensualisation doivent être payés au moins deux fois par mois, à seize jours au plus d’intervalle. Par le présent arrêt, la chambre sociale juge que la date d’exigibilité du salaire dépend de sa périodicité de versement et plus précisément de la date du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise. En outre, s’agissant de l’indemnité de congés payés, la chambre sociale confirme une jurisprudence ancienne et constante. En effet, elle a déjà jugé que « Le point de départ de la prescription en matière d'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris » (Soc., 4 décembre 1996, pourvoi n° 93-46.406, Bull. 1996, V, n° 416). Cette solution s’explique par le principe d’annualité des congés payés. *Référés Sommaire Saisi d'une demande tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire, le premier président d'une cour d'appel, qui n'a pas le pouvoir d’apprécier le bien-fondé des décisions assorties de l’exécution provisoire, n’a pas à vérifier si le premier juge a commis une erreur de droit en ordonnant la réintégration du salarié. Soc, 26 novembre 2013 RejetArrêt n° 1915 FS-P+B N° 12-18.447 - C.A. Pau, 6 mars 2012 M. Lacabarats, Pt. - Mme Corbel, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. Gén. Sommaire Les dispositions de l’article R.1454-21 du code du travail, qui renvoient à l’article 468 du code de procédure civile, ne sont pas applicables devant la formation de référé du conseil de prud’hommes.

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En conséquence viole ces textes la formation de référé du conseil de prud’hommes, qui, après qu’une première citation a été déclarée caduque, déclare irrecevable une nouvelle demande formée par le salarié contre son employeur. Soc., 27 novembre 2013 CassationArrêt n° 2072 FS-P+B N° 12-21.275 - Conseil de prud’hommes de Villeneuve-Saint-Georges, 22 août 2011 M. Lacabarats, Pt. - Mme Deurbergue, Rap. - Note Saisi en référé par un salarié de diverses demandes relatives à la remise de documents par l’employeur, le conseil de prud’hommes avait déclaré la citation caduque et constaté l’extinction d’instance. Plus de six mois plus tard, le salarié avait à nouveau saisi la formation de référé des mêmes demandes. Celles-ci ont été déclarées irrecevables. Le présent pourvoi posait la question de l’applicabilité en référé de l’article R. 1454-21 du code du travail aux termes duquel « dans le cas où le bureau de jugement déclare la citation caduque en application de l’article 468 du code de procédure civile, la demande peut être renouvelée une fois ». Cette disposition prévoit que le juge peut d’office déclarer la citation caduque, dès lors que le demandeur ne comparaît pas sans motif légitime, et que « la déclaration de caducité peut être rapportée si le demandeur fait connaître au greffe dans un délai de quinze jours le motif légitime qu’il n’aurait pas été en mesure d’invoquer en temps utile ». S’agissant de la procédure devant le bureau de jugement, la chambre sociale, après avoir énoncé que « l’instance initiale déclarée caduque et son renouvellement procèdent de l’exercice de la même action », a précisé que le jugement de caducité, qui met fin à l’instance, réserve au demandeur la faculté offerte par l’article R. 516-26-1 du code du travail (devenu R. 1454-21) de renouveler sa demande une fois (Soc., 19 mars 1998, pourvoi n° 95-45.205, Bull. 198, V, n° 158). Au présent cas, le conseil de prud’hommes avait implicitement jugé que les demandes avaient été présentées tardivement au regard du délai de quinze jours énoncé à l’article 468 du code de procédure civile, auquel l’article R. 1454-21 renvoyait. La chambre sociale casse cette décision en énonçant que le texte précité n’est pas applicable à la procédure de référé suivie devant le conseil de prud’hommes. L’article R. 1454-21 est inclus dans la section III relative au jugement du chapitre IV consacré au jugement et à la conciliation. Le référé est traité au chapitre V qui ne comprend pas de disposition similaire renvoyant à l’article 468 du code de procédure civile. Le conseil de prud’hommes ne pouvait donc juger les demandes formulées par le salarié irrecevables au motif que l’intéressé n’avait pas demandé dans le délai de quinze jours que soit rapportée la décision de caducité prononcée dans le cadre de la première instance. *Séparation des pouvoirs Sommaire Il n’appartient qu’à la juridiction de l’ordre administratif de se prononcer sur les litiges individuels concernant les agents fonctionnaires régis par des statuts particuliers pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État.

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Est donc approuvé l’arrêt de la cour d’appel qui, ayant constaté que coexistent au sein de La Poste deux catégories de personnel, dont celui des fonctionnaires et que le changement de statut de La Poste n’a eu aucune incidence sur la qualité de fonctionnaire de l’intéressée, en a déduit exactement que les relations de celle-ci avec son employeur étaient régies par le droit public, ce dont il résulte que le litige relatif à la requalification de sa relation de travail en une relation unique à durée indéterminée à compter d’une certaine date, à l’effet de réévaluer ses droits à la retraite, relève de la compétence de la juridiction administrative. Soc., 27 novembre 2013 RejetArrêt n° 2040 FS-P+B N° 13-12.033 - C.A. Orléans, 13 décembre 2012 M. Lacabarats, Pt. – Mme Deurbergue , Rap. - M. Weissmann, Av. Gén. Sommaire Il résulte des articles 29 et 29-4 de la loi du 2 juillet 1990 que les corps de fonctionnaires de La Poste sont rattachés à compter du 1er mars 2010 à la société anonyme La Poste et que ces personnels sont régis par des statuts particuliers pris en application de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. Par suite, ces fonctionnaires, en position d'activité au sein de La Poste et y exerçant leurs fonctions, ne sont pas liés à cette dernière par un contrat de travail. Doit en conséquence être approuvé l'arrêt ayant jugé fondée l'exception d'incompétence du juge judiciaire opposée par la société La Poste à la demande présentée devant la juridiction prud'homale par l'un de ses agents ayant la qualité de fonctionnaire. Soc., 27 novembre 2013 RejetArrêt n° 2045 FS-P+B N° 12-26.721 - C.A. Bordeaux, 11 septembre 2012 M. Lacabarats, Pt - M. Struillou, Rap. - M. Weissmann, Av. Gén. Note Un agent de la Poste ayant le statut de chef d’agence avait saisi le conseil de prud’hommes afin d’obtenir le paiement d’indemnités de déplacement. Considérant que l’intéressé avait la qualité de fonctionnaire, cette juridiction s’est déclarée incompétente pour connaître de sa demande. La cour d’appel a confirmé cette décision. L’intéressé faisait valoir qu’il était mis à la disposition de La Poste et donc lié à celle-ci par un contrat de travail. En effet, le fonctionnaire mis à disposition d’un organisme de droit privé pour accomplir un travail pour le compte de celui-ci et sous sa direction est lié à cet organisme par un contrat de travail (Soc., 15 juin 2010, pourvoi n° 09-69.453, Bull. 2010, V, n° 139). Rejetant cette argumentation, la chambre sociale répond que le fonctionnaire en position d’activité et exerçant ses fonctions au sein de La Poste n’est pas lié à cette dernière par un contrat de travail. La loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de La Poste et à France Télécom a créé « à compter du 1er janvier 1991, deux personnes morales de droit public placées sous la tutelle du ministre chargé des postes et télécommunications, qui prennent respectivement le nom de La Poste et de France Télécom » toutes deux désignées « sous l’appellation commune d’exploitant public ».

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En vertu de la loi n° 2010-123 du 9 février 2010, la personne morale de droit public La Poste est devenue le 1er mars 2010 une société anonyme. Le texte précise que « cette transformation ne peut avoir pour conséquence de remettre en cause le caractère de service public national de La Poste ». La loi précitée du 2 juillet 1990 précisait en effet que La Poste et ses filiales remplissent « des missions de service public et d’intérêt général » (article 2). S’agissant du statut de ces agents, cette même loi de 1990 dispose que « les personnels de La Poste (…) sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat (…) » (article 29). Si la jurisprudence administrative considérait classiquement que des personnes privées ne peuvent employer un agent public (CE, Avis du 18 novembre 1993, France Télécom, Statut des agents), le Conseil constitutionnel a, par sa décision 2012-281 QPC du 12 octobre 2012, décidé qu’il n’existait pas de principe constitutionnel selon lequel les corps de fonctionnaires de l’Etat ne pourraient être constitués et maintenus qu’en vue de pourvoir à l’exécution de missions de service public. Le fait que l’agent travaille au sein d’une entreprise privée n’impliquait donc pas la perte de son statut de fonctionnaire. L’intéressé ne pouvait davantage soutenir qu’il était mis à disposition de La Poste. En effet la mise à disposition qui implique selon l’article 41 de la loi du 11 janvier 1984 que « le fonctionnaire peut être mis à disposition auprès d’un ou de plusieurs organismes pour y effectuer tout ou partie de son service ». Or, l’agent de La Poste en position d’activité est précisément « au service » de l’entreprise à laquelle il est statutairement rattaché. La juridiction administrative est donc compétente pour connaître des demandes présentées par un fonctionnaire en position d’activité à La Poste, alors que la juridiction judiciaire connaît de celles formées par un fonctionnaire à l’encontre de l’entreprise privée auprès de laquelle il est mis à disposition. *Unicité de l’instance Sommaire Il résulte des dispositions de l’article R. 1452-6 du code du travail qu’est recevable une demande de dommages-intérêts formée dans une nouvelle procédure prud’homale dès lors que son fondement s’est révélé après la clôture des débats de l’instance antérieure. Soc., 27 novembre 2013 CassationArrêt n° 2047 FS - P + B N° 12-17.658 - C.A. Colmar, 14 février 2012 M. Lacabarats, Pt. - Mme Depelley, Rap. - M. Weissmann, Av. gén.

 

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