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1 NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC Par : Guy Maf Naissance et aperçu historique Dans l’Antiquité Bien que les relations entre États fussent surtout régies par la force dans l'Antiquité, le droit occupait une certaine place dans les relations internationales. L'un des premiers traités internationaux est le traité de la Perle, traité de paix qu'a signé le pharaon égyptien Ramsès II avec le roi des Hittites en -1296. Ce traité avait notamment pour objet l'extradition des « réfugiés politiques » ainsi qu'un accord de non-agression et reposait sur les croyances des différents dieux de chacune des parties. Les cités grecques fixent des règles relatives au traitement des prisonniers de guerre et s'associent pour gérer en commun des fonctions particulières telles que la gestion du sanctuaire de Delphes. Les Romains, avec Gaius, conçoivent le jus gentium comme un droit qui s'applique à l'ensemble de l'humanité. Il ne s'agit pas toutefois du droit international public tel qu'on le conçoit aujourd'hui, car il concerne le traitement et la protection des étrangers sur le sol national. On considère généralement que les prémices du droit international public remonte à l’Antiquité dans la mesure où il s’exprime dès lors qu’il existe un semblant de relations sinon interétatiques tout au moins entre des entités indépendants les unes des autres. Chaque fois que des groupes humains, constitués en sociétés politiques indépendantes les unes des autres, ont établi entre eux des relations pacifiques ou brutales, ils ont consciemment éprouvé le besoin ou inconsciemment pressenti la nécessité d’appliquer des normes, certes minimales et peu nombreuses, propres à régler leurs rapports mutuels. Il est donc possible, dans ces conditions, de faire remonter l’origine du droit international à une époque antérieure à l’apparition de l’Etat moderne. L’émergence de celui-ci initiera un processus d’affermissement constant du droit international au point de lui conférer les traits que nous lui connaissons aujourd’hui. La période antique peu favorable à l’établissement de relations propres à faire naître du droit a pourtant vu se développer certains des premiers domaines du droit international public, tel que le tracé des frontières, les alliances militaires, les traités de paix. Le règlement pacifique des différends fait son apparition chez les Grecs avec l’arbitrage. Rome de manière un peu détournée a aussi participé à la construction des bases du droit international en créant des règles encadrant ses relations avec les peuples étrangers. Il s’agit

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NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

Par Guy Maf

Naissance et aperccedilu historique

Dans lrsquoAntiquiteacute

Bien que les relations entre Eacutetats fussent surtout reacutegies par la force dans

lAntiquiteacute le droit occupait une certaine place dans les relations internationales Lun des

premiers traiteacutes internationaux est le traiteacute de la Perle traiteacute de paix qua signeacute le pharaon

eacutegyptien Ramsegraves II avec le roi des Hittites en -1296 Ce traiteacute avait notamment pour objet

lextradition des laquo reacutefugieacutes politiques raquo ainsi quun accord de non-agression et reposait sur les

croyances des diffeacuterents dieux de chacune des parties Les citeacutes grecques fixent des regravegles

relatives au traitement des prisonniers de guerre et sassocient pour geacuterer en commun des

fonctions particuliegraveres telles que la gestion du sanctuaire de Delphes Les Romains avec

Gaius conccediloivent le jus gentium comme un droit qui sapplique agrave lensemble de lhumaniteacute Il

ne sagit pas toutefois du droit international public tel quon le conccediloit aujourdhui car il

concerne le traitement et la protection des eacutetrangers sur le sol national On considegravere

geacuteneacuteralement que les preacutemices du droit international public remonte agrave lrsquoAntiquiteacute dans la

mesure ougrave il srsquoexprime degraves lors qursquoil existe un semblant de relations sinon intereacutetatiques tout

au moins entre des entiteacutes indeacutependants les unes des autres Chaque fois que des groupes

humains constitueacutes en socieacuteteacutes politiques indeacutependantes les unes des autres ont eacutetabli entre

eux des relations pacifiques ou brutales ils ont consciemment eacuteprouveacute le besoin ou

inconsciemment pressenti la neacutecessiteacute drsquoappliquer des normes certes minimales et peu

nombreuses propres agrave reacutegler leurs rapports mutuels Il est donc possible dans ces conditions

de faire remonter lrsquoorigine du droit international agrave une eacutepoque anteacuterieure agrave lrsquoapparition de

lrsquoEtat moderne Lrsquoeacutemergence de celui-ci initiera un processus drsquoaffermissement constant du

droit international au point de lui confeacuterer les traits que nous lui connaissons aujourdrsquohui

La peacuteriode antique peu favorable agrave lrsquoeacutetablissement de relations propres agrave faire

naicirctre du droit a pourtant vu se deacutevelopper certains des premiers domaines du droit

international public tel que le traceacute des frontiegraveres les alliances militaires les traiteacutes de paix

Le regraveglement pacifique des diffeacuterends fait son apparition chez les Grecs avec lrsquoarbitrage

Rome de maniegravere un peu deacutetourneacutee a aussi participeacute agrave la construction des bases du droit

international en creacuteant des regravegles encadrant ses relations avec les peuples eacutetrangers Il srsquoagit

2

principalement de droit interne portant sur les droits des eacutetrangers au sein de lrsquoEmpire

Aujourdrsquohui la condition des eacutetrangers fait partie du droit international priveacute On peut

sinterroger dans le cas de la Gregravece et sans doute plus encore dans le cas de la Cregravete sur la

leacutegitimiteacute de lexpression laquo droit international raquo puisque lessentiel des faits eacutetudieacutes concerne

les relations entre de petites communauteacutes de mecircme langue et de mecircme origine occupant

globalement un espace restreint et ayant conscience dappartenir agrave un mecircme univers En fait

on peut conserver lexpression non seulement parce que laquo droit intereacutetatique raquo nest guegravere

usiteacute en franccedilais mais aussi parce quil sagit toujours de relations entre Eacutetats souverains et

parce que les regravegles sont les mecircmes dans les relations avec les Eacutetats non creacutetois et mecircme non

grecs On pourrait ajouter du reste que luniteacute ethnique nest pas totale puisque si lon peut

distinguer sur le continent au moins les deux grands ensembles que constituent les Ioniens et

les Doriens on peut eacutegalement reconnaicirctre en Cregravete au milieu dune majoriteacute de Doriens des

eacuteleacutements subsistant de populations anteacuterieures qualifieacutees dEacuteteacuteocreacutetois Sil est difficile en

raison du grand nombre dacteurs concerneacutes deacutecrire une histoire des relations internationales

dans la laquo Cregravete aux cent villes raquo du moins est-il possible den deacutefinir les caracteacuteristiques et

deacutetudier le type de document par lequel elles se traduisent de maniegravere privileacutegieacutee les traiteacutes

entre citeacutes1 Et au travers de ces traiteacutes on verra apparaicirctre une sorte daspiration diffuse agrave

luniteacute constamment combattue par la volonteacute dindeacutependance des citeacutes et pourtant

suffisamment vivace pour ne jamais disparaicirctre et aboutir finalement quelques deacutecennies

avant la conquecircte romaine agrave la constitution dune feacutedeacuteration qui englobera la majoriteacute des

citeacutes de licircle De fait les relations entre les citeacutes Cretoises ont peu retenu lattention des

commentateurs qui sinteacuteressent plutocirct aux relations de la Cregravete prise plus ou moins comme

une seule entiteacute avec le reste du monde grec

La diplomatie meacutedio-byzantine et lrsquoAntiquiteacute

Il est bien connu que Byzance jouit drsquoun heacuteritage ancien consideacuterable dont le

sens exact ne lui est plus toujours compreacutehensible drsquoailleurs Venant compleacuteter drsquoautres

eacutetudes anteacuterieures cet article fait le point sur les diffeacuterentes maniegraveres avec lesquelles les

autoriteacutes byzantines ont pu employer cet heacuteritage dans leur activiteacute diplomatique entre les

viiie et xii

e siegravecles Crsquoest tout drsquoabord le patrimoine visible architectural et monumental

qursquoelles ont pu exposer agrave des deacuteleacutegations eacutetrangegraveres et hocirctes de marque Le poids des

1 H Van Effenterre La Cregravete et le monde grec de Platon agrave Polybe (BEFAR 163) Paris 1968 (reacuteimpr Paris

1948)

3

manuscrits eacutechangeacutes dans le cadre de la politique exteacuterieure de lrsquoEmpire est ensuite

appreacutehendeacute Srsquoil paraicirct important dans le cadre des relations avec lrsquoIslam il semble le devenir

progressivement dans les contacts avec lrsquoOccident chreacutetien Quelques eacuteleacutements conduisent agrave

voir en ces manuscrits provenant de la cour impeacuteriale une arme possible dans les tractations

diplomatiques Enfin drsquoautres aspects dans nos sources mettent en eacutevidence les liens

reacutecurrents entre la diplomatie meacutedio-byzantine et lrsquoAntiquiteacute

Puisqursquoon le dit grec dans sa culture chreacutetien dans sa foi et romain dans ses

structures de lrsquoEacutetat2 lrsquoEmpire byzantin a neacutecessairement entretenu des rapports singuliers

avec son passeacute proche et lointain De ce triple heacuteritage Byzance a su modeler son originaliteacute

tout au long drsquoune histoire milleacutenaire qui par sa seule dureacutee administre la preuve srsquoil en

eacutetait encore besoin de sa force et de ses capaciteacutes drsquoadaptation Dans cet Empire comme

ailleurs la conscience du temps reste toujours une donneacutee subjective drsquoautant plus lorsqursquoil

srsquoagit drsquoappreacutehender un temps passeacute dont lrsquoheacuteritage est si consideacuterable Certains des rapports

qui y sont entretenus avec ce passeacute ont deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoeacutetudes remarquables des

byzantinistes ndash songeons seulement agrave la reacuteinterpreacutetation du patrimoine architectural et

sculptural grec et romain telle qursquoelle a preacutevalu dans la capitale de lrsquoEmpire

Constantinople3

De fait cet heacuteritage est tangible dans plusieurs des domaines que cocirctoie le

speacutecialiste de lrsquohistoire et de la civilisation de Byzance Si lrsquoon srsquoen tient agrave son ideacuteologie du

pouvoir il a deacutejagrave eacuteteacute remarqueacute que le temps passeacute est eacutetroitement lieacute agrave celle-ci a un degreacute tel

qursquoil ne connaicirctrait pas drsquoeacutequivalent dans drsquoautres systegravemes ideacuteologiques impeacuteriaux4 Une

certaine forme du passeacute du moins (eacuteveacutenements bibliques particuliers conversion de

Constantin refondation de la Nouvelle Romehellip) serait omnipreacutesente dans les reacutefeacuterences

ideacuteologiques impeacuteriales dont teacutemoignent de nombreux textes eacutemanant de pregraves ou de loin du

pouvoir5 Le passeacute le plus eacuteloigneacute anteacuterieur au vi

e siegravecle de notre egravere nrsquoest pas oublieacute non

plus dans les textes qui font eacutetat de lrsquoactiviteacute diplomatique byzantine

2 Cf la deacutefinition qursquoen donne G Ostrogorsky Histoire de lrsquoEacutetat byzantin Paris 1996 3 p 53

3 G Dagron Constantinople imaginaire Eacutetudes sur le recueil des Patria Paris 1984 passim

4 J Shepard ldquoPast and Future in Middle Byzantine Diplomacy Some Preliminary Observationsrdquo dans

Byzance et le monde exteacuterieur Contacts relations eacutechanges eacuted M Balard E Malamut et JM Spieser Paris

2005 p 171-191 ici p 174

5 Les textes des chroniqueurs byzantins en teacutemoignent dans la preacutesentation qursquoils dressent de ce passeacute cf

E Jeffreys ldquoThe Attitudes of Byzantine Chroniclers toward Ancient Historyrdquo dans Byzantion 49 (1979)

p 199-238 Lrsquoauteur met en eacutevidence lrsquointeacuterecirct logique pour les empires anciens celui de Rome en particulier

4

Crsquoest ce dernier type de passeacute lointain sur lequel la preacutesente eacutetude souhaiterait

porter son attention dans une optique drsquoapproche des usages de ce passeacute dans la diplomatie et

la politique exteacuterieure byzantine Un tel thegraveme drsquoeacutetude a deacutejagrave eacuteteacute abordeacute reacutecemment par

J Shepard ou J Signes Codontildeer 6 Nous proposons ici de mettre en avant quelques exemples

relatifs agrave la place accordeacutee concregravetement de maniegravere explicite ou non agrave ce patrimoine

antique quelle que soit sa forme Les contacts diplomatiques eacutechanges de lettres officielles

et encore plus drsquoeacutemissaires et de deacuteleacutegations officielles entre cours sont quelquefois

lrsquooccasion pour la cour byzantine de puiser dans cet heacuteritage pour mettre en avant sa propre

originaliteacute voire drsquoen tirer des eacuteleacutements de puissance ou de propagande vis-agrave-vis de ses

partenaires diplomatiques Mais dans quelle mesure exacte

Notons drsquoembleacutee que deux obstacles principaux se dressent dans lrsquoeacutevaluation

preacutecise que cette mecircme cour a pu faire drsquoun tel passeacute Le premier est lieacute aux textes eux-

mecircmes ceux qui eacutemanent des auteurs byzantins constitutifs de notre corpus de sources Ces

auteurs disent souvent peu en la matiegravere et invitent leur lecteur agrave recourir agrave des deacuteductions

plus qursquoagrave en tirer des preuves formelles En ce sens ils doivent impeacuterativement ecirctre

compleacuteteacutes par des textes provenant des mondes exteacuterieurs agrave lrsquoEmpire et entreacutes en relation

avec ce dernier ndash en particulier les textes latins et arabes Ces derniers eacutevoquent quelquefois

le patrimoine antique de Byzance et ses interfeacuterences avec la diplomatie impeacuteriale

notamment lorsqursquoils deacutecrivent la venue drsquoambassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople

La seconde difficulteacute qursquoil faut prendre en compte est lieacutee agrave lrsquoeacutevolution

possible de la position du pouvoir byzantin agrave lrsquoendroit de cet heacuteritage Il faut drsquoailleurs

supposer que la maniegravere de traiter lrsquoantique et eacuteventuellement de lrsquointeacutegrer agrave la politique

exteacuterieure nrsquoest pas un fait eacutevident en soi agrave Byzance Un tel heacuteritage est quelquefois bien

lourd agrave assimiler agrave comprendre mecircme surtout pour lrsquohomme de la rue7 Il faut donc se poser

la question de son emploi par le pouvoir byzantin agrave drsquoeacuteventuelles fins diplomatiques de

mais le meacutepris et lrsquooubli pour la peacuteriode reacutepublicaine de ce dernier de mecircme que le monde grec des citeacutes dans

ces reacutecits Par ailleurs les reacutefeacuterences agrave Constantin le Grand (re)fondateur de la capitale de lrsquoEmpire sont

reacuteguliegraveres cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 183-184 et ses reacutefeacuterences

6 Outre lrsquoeacutetude mentionneacutee en note 3 il faut aussi citer la suivante du mecircme auteur ldquoThe Uses of History in

Byzantine Diplomacy Observations and Comparisonsrdquo dans Porphyrogenita Essays in History and Literature

of Byzantium and the Latin East in honor of J Chrysostomidegraves eacuted C Dendrinos et alii Aldershot 2003 p 91-

115 J Signes Codontildeer ldquoLa diplomacia del libro en Bizancio Algunas reflexiones en torno a la posible entrega

de libros griegos a los aacuterabes en los siglos viii-xrdquo Scrittura e civiltagrave 20 (1996) p 153-187 Ces deux eacutetudes

compleacutementaires nrsquoeacutepuisent toutefois pas le sujet

7 G Dagron ldquoByzance et la Gregravece antique un impossible retour aux sourcesrdquo dans La Gregravece antique sous le

regard du Moyen Acircge occidental eacuted J Leclant et M Zink Cahiers de la Villa ldquoKeacuterylosrdquo 16 Paris 2005

p 195-206 notamment p 200-201

5

mecircme que de lrsquoeacutevolution de cet emploi entre les viiie et xii

e siegravecles La perception de cette

eacutevolution nrsquoest elle non plus pas chose aiseacutee Plusieurs cateacutegories drsquoeacuteleacutements lieacutes agrave

lrsquoAntiquiteacute classique ou tardive de nos conceptions historiographiques peuvent neacuteanmoins

ecirctre distingueacutees et preacutesenteacutees dans ce cadre

Colonnes statues et bacirctiments antiques

La trace physique des ruines antiques entourant les habitants de lrsquoEmpire

demeure importante agrave Byzance en particulier dans sa capitale Constantinople Le patrimoine

architectural et la place des statues notamment sont omnipreacutesents et pas neacutecessairement agrave

lrsquoeacutetat de ruines Les Byzantins nrsquoen disent toutefois pas grand-chose comme lrsquoa constateacute

Cyril Mango 8 Nul doute toutefois qursquoils nrsquoont pas laisseacute sans reacuteaction les voyageurs

eacutetrangers de passage dans lrsquoEmpire qui confronteacutes agrave de tels vestiges en ont laisseacute

quelquefois eux-mecircmes des teacutemoignages eacutecrits9 Les eacutemissaires envoyeacutes officiels et hocirctes de

marque ne semblent pas devoir eacutechapper agrave cette constatation Leur teacutemoignage tout comme

la place des bacirctiments lieacutes agrave lrsquoAntiquiteacute que les autoriteacutes byzantines leur feraient miroiter

manquent pourtant singuliegraverement Agrave deacutefaut des rares mentions directes qui existent nous

pouvons toutefois proposer quelques suggestions

Si lrsquoon srsquoen tient agrave la seule capitale impeacuteriale la grandeur au sens propre

comme au sens figureacute des œuvres de lrsquoarchitecture antique saute neacutecessairement aux yeux

des ambassadeurs eacutetrangers degraves leur entreacutee agrave Constantinople par la porte Doreacutee Cette entreacutee

la plus au sud de la muraille terrestre qui ceint la ville semble avoir eacuteteacute celle ougrave passe une

partie des deacuteleacutegations diplomatiques en provenance de lrsquoOccident chreacutetien par la voie

terrestre Celle-ci incarneacutee par la ceacutelegravebre via Egnatia ndash voie romaine antique toujours en

usage agrave Byzance 10

ndash deacutebouche en effet par cette porte11

Elle constitue un monument

8 C Mango ldquoLrsquoattitude byzantine agrave lrsquoeacutegard des antiquiteacutes greacuteco-romainesrdquo dans Byzance et les imagescedil eacuted

A Guillou et J Duran Paris 1994 p 85-120 Ses observations p 103 sur lrsquoabsence totale de mention dans les

textes de Cyzique ndash pourtant proche de Constantinople abritant une carriegravere de marbre alimentant cette derniegravere

et conservant en outre des ruines impressionnantes comme celles du temple drsquoHadrien ndash sont toutefois agrave

nuancer du fait des mentions explicites de Michel Attaleiategraves au xie siegravecle cf A Cutler ldquoI Bizantini davanti

allrsquoarte e allrsquoarchitettura grecherdquo dans I Greci 3 I Greci oltre la Grecia eacuted S Settis Turin 2001 p 661-662

Dans une autre eacutetude C Mango souligne de plus que les tremblements de terre incendies ou actes de

vandalisme ont conduit agrave la destruction de nombreuses statues issues de lrsquoAntiquiteacute avant mecircme le deacutebut de la

peacuteriode meacutedio-byzantine ougrave drsquoapregraves lui il nrsquoen reste qursquoune centaine ldquoAntique Statuary and Byzantine

Beholderrdquo Dumbarton Oaks Papers (deacutesormais dop) 17 (1963) p 55 et 57-59

9 Sur ce point JPA Van Der Vin Travellers to Greece and Constantinople Ancient Monuments and Old

Traditions in Medieval Travellers Tales Nederlands Historisch-Archaeologisch Institut te Istanbul 2 vol 1980

10N Oikonomides ldquoThe Medieval via Egnatiardquo dans The via Egnatia under Ottoman rule (1380-1699) eacuted

E Zachariadou Rethymnon 1996 p 9-16 Soulignons toutefois que lrsquoemploi de cette route par les deacuteleacutegations

officielles ne semble total entre Dyrrachium et Constantinople qursquoagrave partir des anneacutees 860 cf M McCormick

6

imposant datant du deacutebut du ve siegravecle de notre egravere formeacutee de deux avant-corps sous forme

de tours recouvertes de marbre et proteacutegeant trois portes monumentales voie drsquoentreacutee dans la

ville Sa structure demeure visible aujourdrsquohui et lrsquoon sait que la porte centrale la plus eacuteleveacutee

des trois portes drsquoaccegraves eacutetaient surmonteacutee drsquoune statue en bronze doreacute figurant des eacuteleacutephants

tirant un char impeacuterial Nous savons ainsi avec preacutecision qursquoen septembre 869 une deacuteleacutegation

pontificale meneacutee par trois eacuteminents leacutegats est accueillie avec faste par les autoriteacutes

impeacuteriales avant leur entreacutee dans la capitale et notamment au passage de la porte Doreacutee12

Le deacuteploiement de richesses comme de dignitaires qui caracteacuterise cette arriveacutee a conduit les

historiens agrave le comparer agrave un adventus impeacuterial ndash cette entreacutee triomphale de lrsquoempereur selon

un ancien usage romain qui perdure agrave Byzance13

Neacuteanmoins rien nrsquoest dit dans le Liber

pontificalis de la monumentaliteacute de cette porte encore moins de son caractegravere ancien14

ni du

reste des autres monuments et lieux de la capitale renvoyant agrave son passeacute pluriseacuteculaire que

rencontrent les leacutegats en question pendant leur seacutejour

Le lecteur ne devra guegravere srsquoeacutetonner de dresser le mecircme constat avec un autre

acteur des eacutechanges diplomatique entre Byzance et lrsquoOccident chreacutetien exactement un siegravecle

plus tard lrsquoeacutevecircque Liutprand de Creacutemone Le teacutemoignage qursquoil a laisseacute de sa mission en 968

agrave Constantinople au nom de lrsquoempereur germanique Otton Ier

est un pamphlet contre

Byzance sa cour son empereur ses mœurs et sa capitale Quand bien mecircme ce texte

correspond agrave un exemplaire quasiment unique pour la peacuteriode meacutedio-byzantine de relation

drsquoambassade personnelle de lrsquoauteur la dimension antique de la ville byzantine dans laquelle

il reacuteside de longs mois y est totalement mise agrave lrsquoeacutecart15

La porte Doreacutee qui se dresse face agrave

Origins of the European Economy Communications and Commerce AD 300-900 Cambridge 2001 p 549-

553

11MF Auzepy ldquoConstantinople Des origines agrave 1025rdquo dans MF Auzepy et al Istanbul Paris 2002 p 35 et

les fig 29 et 30 R Janin Constantinople byzantine Deacuteveloppement urbain et reacutepertoire topographique Paris

19642 et ici p 269-273 et 330 pour ce qui suit

12 Liber pontificalis eacuted L Duchesne Paris 19552 vol II p 180 Jusqursquoalors leur accueil dans lrsquoEmpire a lui

aussi eacuteteacute fastueux notamment du fait de la qualiteacute des dignitaires qui les entourent agrave la porte Doreacutee mecircme

crsquoest le patriarche de Constantinople en personne qui est preacutesent

13 M McCormick Origins p 942-943 et les reacutefeacuterences sur le contexte diplomatique justifiant le faste de

lrsquoaccueil D Nerlich Diplomatische Gesandtschaften zwischen Ost und Westkaisern 756-1002 Bern 1999

p 201-204 sur lrsquoadventus et la porte Doreacutee C Mango ldquoThe Triumphal Way of Constantinople and the

Golden Gaterdquo DOP 54 (2000) p 174-188

14 Il faut toutefois rappeler qursquoune inscription latine accueille les visiteurs passant sous cette porte et la rattache

agrave la gloire drsquoun Theacuteodose ndash qursquoil faut certainement voir comme eacutetant Theacuteodose II cf R Janin Constantinople

byzantine p 269-270 et ses reacutefeacuterences En outre des bas-reliefs repreacutesentants des sujets de la mythologie greacuteco-

romaine (supplice de Promeacutetheacutee travaux drsquoHercule etc) existent alors visibles pour celui qui entre dans la

capitale et ce jusqursquoagrave la fin du xviiie siegravecle C Mango ldquoLrsquoattitude byzantinerdquo p 106-107

15 Le contexte est alors singuliegraverement tendu entre les deux cours impeacuteriales Liutprand venant proposer une

alliance matrimoniale au basileus Niceacutephore Phocas est mal accueilli car au mecircme moment son maicirctre

Otton Ier attaque lrsquoItalie du Sud byzantine consideacutereacutee comme chasse gardeacutee de lrsquoEmpire Dans ces conditions la

7

lui deacutebut juin 968 lorsqursquoil arrive devant Constantinople vaut tout juste la peine drsquoecirctre

mentionneacutee crsquoest devant elle qursquoil doit attendre plusieurs heures sous une pluie battante

avant que les autoriteacutes byzantines daignent lui ouvrir et lui permettre drsquoentrer dans la capitale

avec sa suite16

Au regard du contexte diplomatique qui entoure cette arriveacutee lrsquoabsence de

description du lieu est logique sa richesse de deacutecoration la crainte qursquoelle peut inspirer du

fait de sa fonction militaire au cœur des murailles de la ville tout comme ses origines

anciennes sont volontairement nieacutees Nul doute toutefois que le pouvoir impeacuterial byzantin a

pu mettre en avant ces eacuteleacutements lors de lrsquoarriveacutee de deacuteleacutegations diplomatiques comme celle

de Liutprand Comme le souligne en effet le chroniqueur byzantin Jean Skylitzegraves lrsquoempereur

Niceacutephore Phocas accueillant cette deacuteleacutegation germanique est aussi celui qui trois ans plus

tocirct a orneacute cette mecircme porte Doreacutee des portes de la citeacute de Mopsueste prises sur les Arabes

durant lrsquoeacuteteacute 96517

Rien ne contre-indique donc quand bien mecircme les deux textes utiliseacutes ici sont

plutocirct silencieux que le pouvoir impeacuterial ait pu mettre en exergue lrsquoancienneteacute de cette porte

drsquoaccegraves dans la capitale preacutefigurant en quelque sorte les autres monuments quelquefois bien

plus anciens que les eacutemissaires diplomatiques cocirctoieront dans la ville durant leur seacutejour Une

telle attitude des autoriteacutes byzantines srsquoinscrirait dans la logique du geste triomphaliste de

Niceacutephore Phocas valeur militaire et ancienneteacute du patrimoine architectural de la ville se

compleacutetant pour la gloire de lrsquoEmpire de lrsquoempereur et de sa capitale18

Lrsquoentreacutee commune agrave

Constantinople drsquoun eacutemissaire fatimide de marque et de lrsquoempereur Basile II moins de

quarante ans plus tard pourrait illustrer et renforcer cette mise en valeur19

mission de Liutprand ne peut en aucun cas aboutir et le rapport adresseacute agrave son maicirctre qursquoil a laisseacute sert aussi agrave

justifier son eacutechec Ce reacutecit vient de connaicirctre une traduction franccedilaise Liutprand de Creacutemone Ambassades agrave

Byzance trad de J Schnapp Toulouse 2005 p 45-101 et la preacutesentation de S Lerou p 25-29

16 Liudprandi Cremonensis Opera omnia eacuted P Chiesa Corpus Christianorum Continuatio Mediaeualis 156

Turnhout 1998 Legatio ad imperatorem 2 p 187 Pridie Nona Iunii [hellip] Constantinopolim ante portam

Caream venimus et usque ad undecimam horam cum equis non modica pluvia expectavimus undecima vero

hora non ratus Nicephorus nos dignos esse tam ornatos vestra misericordia equitare [Liutprand srsquoadresse ici agrave

Otton Ier] venire iussit

17 Jean Skylitzegraves Σύνοψις ἱστοριῶν eacuted I Thurn Berlin ndash New York 1973 p 270 voir en outre Jean

Skylitzegraves Empereurs de Constantinople trad B Flusin et notes de J-Cl Cheynet Paris 2003 p 227 et p 422

pour la chronologie cf C Mango ldquoThe Triumphal Wayrdquo p 186

18 Cette porte et ses eacuteleacutements statuaires antiques sont aussi deacutecrits par drsquoautres voyageurs principalement en

provenance de lrsquoIslam pendant la peacuteriode meacutedio-byzantine cf R Janin Constantinople byzantine p 271 et

ses reacutefeacuterences agrave al-Masrsquoudi ou al-Idrissi Voir aussi JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 77 120 252

525 et 548

19 Yahyacirc ibn Sarsquoicircd al-Antacirckicirc Histoire eacuted I Kratchovsky et trad G Troupeau et F Micheau Patrologia

Orientalis t 47 Turnhout 1997 p 469

8

La preacutesence dans la ville de deacuteleacutegations eacutetrangegraveres ou drsquohocirctes de marque est

assureacutement un autre moyen tangible de faire valoir le patrimoine antique de Constantinople

Venant drsquoOccident une fois passeacutee la porte Doreacutee crsquoest tout agrave la fois une forme de prospeacuteriteacute

urbaine dans sa dimension eacuteconomique de mecircme qursquoarchitecturale que lrsquoon expose de fait

aux eacutemissaires Ils empruntent comme cela semble le cas en 86920

la branche sud de la

Meacutesegrave ce boulevard central qui les conduit jusqursquoau Milliaire drsquoOr entre le Grand Palais et

lrsquoeacuteglise Sainte-Sophie dans la partie sud de la ville ndash une traverseacutee de la capitale scandeacutee par

la preacutesence de multiples fora21

Agrave deacutefaut drsquoemprunter cette voie degraves leur arriveacutee ils peuvent

en appreacutehender les richesses comme celles des autres lieux de la ville plus tard durant le

seacutejour ndash mecircme si leur liberteacute drsquoaction reste assez mal connue srsquoapparentant davantage agrave une

liberteacute surveilleacutee22

Crsquoest quelquefois le pouvoir impeacuterial qui deacutecide de leur exhiber tel ou tel

eacuteleacutement du patrimoine antique de sa capitale Agrave la fin du XIe siegravecle Alexis I

er en donne la

mesure lorsqursquoil reccediloit son voisin lrsquoeacutemir turc de Niceacutee Abucircrsquol Kasicircm23

Si lrsquoon en croit sa

fille Anne Comnegravene le basileus aurait quotidiennement entretenu lrsquointeacuterecirct de son hocircte de

marque par des invitations aux bains de la ville agrave la chasse et surtout en lui faisant

laquo admirer les colonnes commeacutemoratives eacuterigeacutees sur les places publiques24

raquo Il srsquoagit lagrave drsquoune

reacutefeacuterence aux nombreuses colonnes honorifiques qui se dressent en effet en diffeacuterents lieux

de la ville Elles ornent principalement plusieurs fora le long des deux branches

septentrionale et meacuteridionale de la Meacutesegrave et plusieurs drsquoentre elles datent lagrave encore de la fin

de lrsquoAntiquiteacute des ive et V

e siegravecles

25 Elles sont rattacheacutees agrave des noms prestigieux

drsquoempereurs Theacuteodose Ier

Arcadius ou Marcien tous lieacutes au destin oriental de lrsquoEmpire

romain Ces colonnes ne sont pas explicitement nommeacutees par notre auteur du XIIe siegravecle

20 Le Liber Pontificalis II p 180 mentionne en effet le palais drsquoIregravene ougrave sont accueillis les leacutegats avant de se

rendre au Grand Palais et ce palais drsquoIregravene se situe pregraves du port drsquoEleuthegravere et du forum Bovis cf R Janin

Constantinople byzantine p 38 et 131 Voir toutefois les vues contraires mais guegravere convaincantes de L

Duchesne dans Liber Pontificalis II n 33 p 188

21 R Janin Constantinople byzantine p 36-39 et p 103-104 le Milliaire drsquoOr ou Million est le pendant de

celui de Rome une sorte drsquoarc de triomphe double drsquoougrave partent toutes les routes impeacuteriales occidentales de

lrsquoEmpire et sur lequel ou pregraves duquel figurent des statues de Constantin de Trajan ou de Theacuteodose II

22 J Shepard ldquoByzantine Diplomacy AD 800-1204 Means and Endrdquo dans Byzantine Diplomacy eacuted J

Shepard et S Franklin Aldershot 1992 p 63-64

23 Anne Comnegravene Alexiade eacuted et trad B Leib 3 vol Paris 1967 VI X 9-11 vol II p 71 sur cet eacutepisode

voir deacutesormais E Malamut Alexis Ier Comnegravene Paris 2007 p 89-91 171-172

24 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip]τὰς κατὰ τὰς λεωφόρους ἱσταμένας στήλας ἀναθεωρεῖν Nous

reprenons ici la traduction proposeacutee par B Leib

25 R Janin Constantinople byzantine p 73-86 et 105 cf JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 278-

281 Sur lrsquointerpreacutetation propheacutetique que font les habitants de Constantinople des statues sur certaines des

colonnes de la ville G Dagron Patria [n 2] p 127-150 Lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial reste toutefois

eacutequivoque vis-agrave-vis de ces statues cf C Mango ldquoAntique Statuaryrdquo p 61-62

9

Neacuteanmoins leur mention ne doit pas paraicirctre anodine pour autant qursquoelle soit plutocirct rare dans

un tel contexte de reacuteception diplomatique26

En ce sens elle doit retenir de pregraves notre

attention car cet usage du patrimoine antique nrsquoest qursquoun des subterfuges parmi drsquoautres pour

combler le visiteur et conduire lrsquoempereur agrave ses fins Les colonnes antiques et autres lieux

publics sont preacutesenteacutes agrave lrsquoeacutemir turc de Niceacutee en mecircme temps que le basileus le convie aussi agrave

des chasses nous lrsquoavons dit et bien plus agrave des courses de chevaux Il srsquoagit non seulement

de combler lrsquohocircte des Byzantins mais aussi de deacutetourner son attention et prolonger le plaisir

de son seacutejour le temps qursquoAlexis Ier

fasse eacutetablir une place forte commandant lrsquoaccegraves agrave

Nicomeacutedie et agrave la Bithynie domineacutees par les forces drsquoAbucircrsquol Kasicircm27

Ces laquo deacutemonstrations

drsquoamitieacute raquo comme le dit Anne ne sont donc que feintes au sein desquelles la place des

richesses antiques du patrimoine urbain nrsquoest nullement ultime

Dans cet eacutepisode lrsquoaccegraves agrave lrsquohippodrome relegraveve drsquoun des eacuteleacutements de prestige

de la politique diplomatique drsquoAlexis Ier

La mecircme Anne Comnegravene preacutecise drsquoailleurs un peu

plus bas que la part majeure de ces distractions proposeacutees par son pegravere consistait en des

courses hippiques organiseacutees preacuteciseacutement pour lrsquooccasion laquo dans le theacuteacirctre construit jadis par

le grand Constantin28

raquo Une occasion lagrave encore de souligner par le lien avec ce passeacute la

richesse de la capitale et ses rapports eacutetroits avec le monde romain antique ndash drsquoapregraves notre

acception de ce dernier terme Multiples sont les reacutefeacuterences visuelles agrave lrsquoEmpire romain et

lrsquoEmpire romain tardif notamment pour qui assiste agrave des spectacles agrave lrsquohippodrome Ces

derniers sont bien connus gracircce agrave ce que nous en disent en premier lieu les textes byzantins

en particulier le De cerimoniis du milieu du xe siegravecle mais aussi les auteurs latins ou arabes

29

La structure architecturale du bacirctiment lrsquoest aussi preacuteciseacutement gracircce agrave ces textes tout comme

sa partie centrale la spina seacuteparant la piste en deux Sur cette spina il est bien connu que

statues colonnes et obeacutelisques ont eacuteteacute eacuterigeacutes sur ordre de Constantin dont certains encore

visibles aujourdrsquohui30

Lagrave encore il reste deacutelicat drsquoeacutevaluer dans quelle mesure exacte cette

26 Notons ici agrave quel point les colonnes de la capitale reviennent reacuteguliegraverement dans les descriptions des

diffeacuterents types de voyageurs musulmans A Miquel La geacuteographie humaine du monde musulman jusqursquoau

milieu du xie siegravecle Paris-La Haye t II 1972 p 426-428

27 Cf J Shepard ldquolsquoFatherrsquo or lsquoScorpionsrsquo Style and Substance in Alexiosrsquos Diplomacyrdquo dans Alexios I

Komnenos eacuted M Mullet et D Smythe Belfast 1996 p 78 83 et 93 replaccedilant cette visite dans lrsquoœuvre

diplomatique drsquoAlexis Ier

28 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip] τὸ πάλαι τῷ μεγάλῳ Κωνσταντίνῳ οἰκοδομηθὲν θέατρον Agrave

lrsquoorigine lrsquohippodrome est une construction de Septime Seacutevegravere agrandie ensuite par Constantin le Grand cf R

Janin Constantinople byzantine p 188-194

29 Il faut se reporter deacutesormais agrave lrsquoeacutetude deacutetailleacutee de lrsquohippodrome de G Dagron ldquoLrsquoorganisation et le

deacuteroulement des courses drsquoapregraves le Livre des ceacutereacutemoniesrdquo Travaux et Meacutemoires 13 (2000) p 3-174

30 MF Auzepy ldquoConstantinoplerdquo p 19-23 et fig 6 7 9 10 et 11 il srsquoagit de lrsquoobeacutelisque de maccedilonnerie de

la colonne serpentine ndash en bronze ceacuteleacutebrant la victoire des Grecs sur les Perses agrave Plateacutees en 478 avant J-C ndash

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

13

couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

14

Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

15

entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

16

envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

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les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

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Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

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drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

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recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

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maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

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France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

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au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

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en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

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Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

42

drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

43

lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

Page 2: NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC …

2

principalement de droit interne portant sur les droits des eacutetrangers au sein de lrsquoEmpire

Aujourdrsquohui la condition des eacutetrangers fait partie du droit international priveacute On peut

sinterroger dans le cas de la Gregravece et sans doute plus encore dans le cas de la Cregravete sur la

leacutegitimiteacute de lexpression laquo droit international raquo puisque lessentiel des faits eacutetudieacutes concerne

les relations entre de petites communauteacutes de mecircme langue et de mecircme origine occupant

globalement un espace restreint et ayant conscience dappartenir agrave un mecircme univers En fait

on peut conserver lexpression non seulement parce que laquo droit intereacutetatique raquo nest guegravere

usiteacute en franccedilais mais aussi parce quil sagit toujours de relations entre Eacutetats souverains et

parce que les regravegles sont les mecircmes dans les relations avec les Eacutetats non creacutetois et mecircme non

grecs On pourrait ajouter du reste que luniteacute ethnique nest pas totale puisque si lon peut

distinguer sur le continent au moins les deux grands ensembles que constituent les Ioniens et

les Doriens on peut eacutegalement reconnaicirctre en Cregravete au milieu dune majoriteacute de Doriens des

eacuteleacutements subsistant de populations anteacuterieures qualifieacutees dEacuteteacuteocreacutetois Sil est difficile en

raison du grand nombre dacteurs concerneacutes deacutecrire une histoire des relations internationales

dans la laquo Cregravete aux cent villes raquo du moins est-il possible den deacutefinir les caracteacuteristiques et

deacutetudier le type de document par lequel elles se traduisent de maniegravere privileacutegieacutee les traiteacutes

entre citeacutes1 Et au travers de ces traiteacutes on verra apparaicirctre une sorte daspiration diffuse agrave

luniteacute constamment combattue par la volonteacute dindeacutependance des citeacutes et pourtant

suffisamment vivace pour ne jamais disparaicirctre et aboutir finalement quelques deacutecennies

avant la conquecircte romaine agrave la constitution dune feacutedeacuteration qui englobera la majoriteacute des

citeacutes de licircle De fait les relations entre les citeacutes Cretoises ont peu retenu lattention des

commentateurs qui sinteacuteressent plutocirct aux relations de la Cregravete prise plus ou moins comme

une seule entiteacute avec le reste du monde grec

La diplomatie meacutedio-byzantine et lrsquoAntiquiteacute

Il est bien connu que Byzance jouit drsquoun heacuteritage ancien consideacuterable dont le

sens exact ne lui est plus toujours compreacutehensible drsquoailleurs Venant compleacuteter drsquoautres

eacutetudes anteacuterieures cet article fait le point sur les diffeacuterentes maniegraveres avec lesquelles les

autoriteacutes byzantines ont pu employer cet heacuteritage dans leur activiteacute diplomatique entre les

viiie et xii

e siegravecles Crsquoest tout drsquoabord le patrimoine visible architectural et monumental

qursquoelles ont pu exposer agrave des deacuteleacutegations eacutetrangegraveres et hocirctes de marque Le poids des

1 H Van Effenterre La Cregravete et le monde grec de Platon agrave Polybe (BEFAR 163) Paris 1968 (reacuteimpr Paris

1948)

3

manuscrits eacutechangeacutes dans le cadre de la politique exteacuterieure de lrsquoEmpire est ensuite

appreacutehendeacute Srsquoil paraicirct important dans le cadre des relations avec lrsquoIslam il semble le devenir

progressivement dans les contacts avec lrsquoOccident chreacutetien Quelques eacuteleacutements conduisent agrave

voir en ces manuscrits provenant de la cour impeacuteriale une arme possible dans les tractations

diplomatiques Enfin drsquoautres aspects dans nos sources mettent en eacutevidence les liens

reacutecurrents entre la diplomatie meacutedio-byzantine et lrsquoAntiquiteacute

Puisqursquoon le dit grec dans sa culture chreacutetien dans sa foi et romain dans ses

structures de lrsquoEacutetat2 lrsquoEmpire byzantin a neacutecessairement entretenu des rapports singuliers

avec son passeacute proche et lointain De ce triple heacuteritage Byzance a su modeler son originaliteacute

tout au long drsquoune histoire milleacutenaire qui par sa seule dureacutee administre la preuve srsquoil en

eacutetait encore besoin de sa force et de ses capaciteacutes drsquoadaptation Dans cet Empire comme

ailleurs la conscience du temps reste toujours une donneacutee subjective drsquoautant plus lorsqursquoil

srsquoagit drsquoappreacutehender un temps passeacute dont lrsquoheacuteritage est si consideacuterable Certains des rapports

qui y sont entretenus avec ce passeacute ont deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoeacutetudes remarquables des

byzantinistes ndash songeons seulement agrave la reacuteinterpreacutetation du patrimoine architectural et

sculptural grec et romain telle qursquoelle a preacutevalu dans la capitale de lrsquoEmpire

Constantinople3

De fait cet heacuteritage est tangible dans plusieurs des domaines que cocirctoie le

speacutecialiste de lrsquohistoire et de la civilisation de Byzance Si lrsquoon srsquoen tient agrave son ideacuteologie du

pouvoir il a deacutejagrave eacuteteacute remarqueacute que le temps passeacute est eacutetroitement lieacute agrave celle-ci a un degreacute tel

qursquoil ne connaicirctrait pas drsquoeacutequivalent dans drsquoautres systegravemes ideacuteologiques impeacuteriaux4 Une

certaine forme du passeacute du moins (eacuteveacutenements bibliques particuliers conversion de

Constantin refondation de la Nouvelle Romehellip) serait omnipreacutesente dans les reacutefeacuterences

ideacuteologiques impeacuteriales dont teacutemoignent de nombreux textes eacutemanant de pregraves ou de loin du

pouvoir5 Le passeacute le plus eacuteloigneacute anteacuterieur au vi

e siegravecle de notre egravere nrsquoest pas oublieacute non

plus dans les textes qui font eacutetat de lrsquoactiviteacute diplomatique byzantine

2 Cf la deacutefinition qursquoen donne G Ostrogorsky Histoire de lrsquoEacutetat byzantin Paris 1996 3 p 53

3 G Dagron Constantinople imaginaire Eacutetudes sur le recueil des Patria Paris 1984 passim

4 J Shepard ldquoPast and Future in Middle Byzantine Diplomacy Some Preliminary Observationsrdquo dans

Byzance et le monde exteacuterieur Contacts relations eacutechanges eacuted M Balard E Malamut et JM Spieser Paris

2005 p 171-191 ici p 174

5 Les textes des chroniqueurs byzantins en teacutemoignent dans la preacutesentation qursquoils dressent de ce passeacute cf

E Jeffreys ldquoThe Attitudes of Byzantine Chroniclers toward Ancient Historyrdquo dans Byzantion 49 (1979)

p 199-238 Lrsquoauteur met en eacutevidence lrsquointeacuterecirct logique pour les empires anciens celui de Rome en particulier

4

Crsquoest ce dernier type de passeacute lointain sur lequel la preacutesente eacutetude souhaiterait

porter son attention dans une optique drsquoapproche des usages de ce passeacute dans la diplomatie et

la politique exteacuterieure byzantine Un tel thegraveme drsquoeacutetude a deacutejagrave eacuteteacute abordeacute reacutecemment par

J Shepard ou J Signes Codontildeer 6 Nous proposons ici de mettre en avant quelques exemples

relatifs agrave la place accordeacutee concregravetement de maniegravere explicite ou non agrave ce patrimoine

antique quelle que soit sa forme Les contacts diplomatiques eacutechanges de lettres officielles

et encore plus drsquoeacutemissaires et de deacuteleacutegations officielles entre cours sont quelquefois

lrsquooccasion pour la cour byzantine de puiser dans cet heacuteritage pour mettre en avant sa propre

originaliteacute voire drsquoen tirer des eacuteleacutements de puissance ou de propagande vis-agrave-vis de ses

partenaires diplomatiques Mais dans quelle mesure exacte

Notons drsquoembleacutee que deux obstacles principaux se dressent dans lrsquoeacutevaluation

preacutecise que cette mecircme cour a pu faire drsquoun tel passeacute Le premier est lieacute aux textes eux-

mecircmes ceux qui eacutemanent des auteurs byzantins constitutifs de notre corpus de sources Ces

auteurs disent souvent peu en la matiegravere et invitent leur lecteur agrave recourir agrave des deacuteductions

plus qursquoagrave en tirer des preuves formelles En ce sens ils doivent impeacuterativement ecirctre

compleacuteteacutes par des textes provenant des mondes exteacuterieurs agrave lrsquoEmpire et entreacutes en relation

avec ce dernier ndash en particulier les textes latins et arabes Ces derniers eacutevoquent quelquefois

le patrimoine antique de Byzance et ses interfeacuterences avec la diplomatie impeacuteriale

notamment lorsqursquoils deacutecrivent la venue drsquoambassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople

La seconde difficulteacute qursquoil faut prendre en compte est lieacutee agrave lrsquoeacutevolution

possible de la position du pouvoir byzantin agrave lrsquoendroit de cet heacuteritage Il faut drsquoailleurs

supposer que la maniegravere de traiter lrsquoantique et eacuteventuellement de lrsquointeacutegrer agrave la politique

exteacuterieure nrsquoest pas un fait eacutevident en soi agrave Byzance Un tel heacuteritage est quelquefois bien

lourd agrave assimiler agrave comprendre mecircme surtout pour lrsquohomme de la rue7 Il faut donc se poser

la question de son emploi par le pouvoir byzantin agrave drsquoeacuteventuelles fins diplomatiques de

mais le meacutepris et lrsquooubli pour la peacuteriode reacutepublicaine de ce dernier de mecircme que le monde grec des citeacutes dans

ces reacutecits Par ailleurs les reacutefeacuterences agrave Constantin le Grand (re)fondateur de la capitale de lrsquoEmpire sont

reacuteguliegraveres cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 183-184 et ses reacutefeacuterences

6 Outre lrsquoeacutetude mentionneacutee en note 3 il faut aussi citer la suivante du mecircme auteur ldquoThe Uses of History in

Byzantine Diplomacy Observations and Comparisonsrdquo dans Porphyrogenita Essays in History and Literature

of Byzantium and the Latin East in honor of J Chrysostomidegraves eacuted C Dendrinos et alii Aldershot 2003 p 91-

115 J Signes Codontildeer ldquoLa diplomacia del libro en Bizancio Algunas reflexiones en torno a la posible entrega

de libros griegos a los aacuterabes en los siglos viii-xrdquo Scrittura e civiltagrave 20 (1996) p 153-187 Ces deux eacutetudes

compleacutementaires nrsquoeacutepuisent toutefois pas le sujet

7 G Dagron ldquoByzance et la Gregravece antique un impossible retour aux sourcesrdquo dans La Gregravece antique sous le

regard du Moyen Acircge occidental eacuted J Leclant et M Zink Cahiers de la Villa ldquoKeacuterylosrdquo 16 Paris 2005

p 195-206 notamment p 200-201

5

mecircme que de lrsquoeacutevolution de cet emploi entre les viiie et xii

e siegravecles La perception de cette

eacutevolution nrsquoest elle non plus pas chose aiseacutee Plusieurs cateacutegories drsquoeacuteleacutements lieacutes agrave

lrsquoAntiquiteacute classique ou tardive de nos conceptions historiographiques peuvent neacuteanmoins

ecirctre distingueacutees et preacutesenteacutees dans ce cadre

Colonnes statues et bacirctiments antiques

La trace physique des ruines antiques entourant les habitants de lrsquoEmpire

demeure importante agrave Byzance en particulier dans sa capitale Constantinople Le patrimoine

architectural et la place des statues notamment sont omnipreacutesents et pas neacutecessairement agrave

lrsquoeacutetat de ruines Les Byzantins nrsquoen disent toutefois pas grand-chose comme lrsquoa constateacute

Cyril Mango 8 Nul doute toutefois qursquoils nrsquoont pas laisseacute sans reacuteaction les voyageurs

eacutetrangers de passage dans lrsquoEmpire qui confronteacutes agrave de tels vestiges en ont laisseacute

quelquefois eux-mecircmes des teacutemoignages eacutecrits9 Les eacutemissaires envoyeacutes officiels et hocirctes de

marque ne semblent pas devoir eacutechapper agrave cette constatation Leur teacutemoignage tout comme

la place des bacirctiments lieacutes agrave lrsquoAntiquiteacute que les autoriteacutes byzantines leur feraient miroiter

manquent pourtant singuliegraverement Agrave deacutefaut des rares mentions directes qui existent nous

pouvons toutefois proposer quelques suggestions

Si lrsquoon srsquoen tient agrave la seule capitale impeacuteriale la grandeur au sens propre

comme au sens figureacute des œuvres de lrsquoarchitecture antique saute neacutecessairement aux yeux

des ambassadeurs eacutetrangers degraves leur entreacutee agrave Constantinople par la porte Doreacutee Cette entreacutee

la plus au sud de la muraille terrestre qui ceint la ville semble avoir eacuteteacute celle ougrave passe une

partie des deacuteleacutegations diplomatiques en provenance de lrsquoOccident chreacutetien par la voie

terrestre Celle-ci incarneacutee par la ceacutelegravebre via Egnatia ndash voie romaine antique toujours en

usage agrave Byzance 10

ndash deacutebouche en effet par cette porte11

Elle constitue un monument

8 C Mango ldquoLrsquoattitude byzantine agrave lrsquoeacutegard des antiquiteacutes greacuteco-romainesrdquo dans Byzance et les imagescedil eacuted

A Guillou et J Duran Paris 1994 p 85-120 Ses observations p 103 sur lrsquoabsence totale de mention dans les

textes de Cyzique ndash pourtant proche de Constantinople abritant une carriegravere de marbre alimentant cette derniegravere

et conservant en outre des ruines impressionnantes comme celles du temple drsquoHadrien ndash sont toutefois agrave

nuancer du fait des mentions explicites de Michel Attaleiategraves au xie siegravecle cf A Cutler ldquoI Bizantini davanti

allrsquoarte e allrsquoarchitettura grecherdquo dans I Greci 3 I Greci oltre la Grecia eacuted S Settis Turin 2001 p 661-662

Dans une autre eacutetude C Mango souligne de plus que les tremblements de terre incendies ou actes de

vandalisme ont conduit agrave la destruction de nombreuses statues issues de lrsquoAntiquiteacute avant mecircme le deacutebut de la

peacuteriode meacutedio-byzantine ougrave drsquoapregraves lui il nrsquoen reste qursquoune centaine ldquoAntique Statuary and Byzantine

Beholderrdquo Dumbarton Oaks Papers (deacutesormais dop) 17 (1963) p 55 et 57-59

9 Sur ce point JPA Van Der Vin Travellers to Greece and Constantinople Ancient Monuments and Old

Traditions in Medieval Travellers Tales Nederlands Historisch-Archaeologisch Institut te Istanbul 2 vol 1980

10N Oikonomides ldquoThe Medieval via Egnatiardquo dans The via Egnatia under Ottoman rule (1380-1699) eacuted

E Zachariadou Rethymnon 1996 p 9-16 Soulignons toutefois que lrsquoemploi de cette route par les deacuteleacutegations

officielles ne semble total entre Dyrrachium et Constantinople qursquoagrave partir des anneacutees 860 cf M McCormick

6

imposant datant du deacutebut du ve siegravecle de notre egravere formeacutee de deux avant-corps sous forme

de tours recouvertes de marbre et proteacutegeant trois portes monumentales voie drsquoentreacutee dans la

ville Sa structure demeure visible aujourdrsquohui et lrsquoon sait que la porte centrale la plus eacuteleveacutee

des trois portes drsquoaccegraves eacutetaient surmonteacutee drsquoune statue en bronze doreacute figurant des eacuteleacutephants

tirant un char impeacuterial Nous savons ainsi avec preacutecision qursquoen septembre 869 une deacuteleacutegation

pontificale meneacutee par trois eacuteminents leacutegats est accueillie avec faste par les autoriteacutes

impeacuteriales avant leur entreacutee dans la capitale et notamment au passage de la porte Doreacutee12

Le deacuteploiement de richesses comme de dignitaires qui caracteacuterise cette arriveacutee a conduit les

historiens agrave le comparer agrave un adventus impeacuterial ndash cette entreacutee triomphale de lrsquoempereur selon

un ancien usage romain qui perdure agrave Byzance13

Neacuteanmoins rien nrsquoest dit dans le Liber

pontificalis de la monumentaliteacute de cette porte encore moins de son caractegravere ancien14

ni du

reste des autres monuments et lieux de la capitale renvoyant agrave son passeacute pluriseacuteculaire que

rencontrent les leacutegats en question pendant leur seacutejour

Le lecteur ne devra guegravere srsquoeacutetonner de dresser le mecircme constat avec un autre

acteur des eacutechanges diplomatique entre Byzance et lrsquoOccident chreacutetien exactement un siegravecle

plus tard lrsquoeacutevecircque Liutprand de Creacutemone Le teacutemoignage qursquoil a laisseacute de sa mission en 968

agrave Constantinople au nom de lrsquoempereur germanique Otton Ier

est un pamphlet contre

Byzance sa cour son empereur ses mœurs et sa capitale Quand bien mecircme ce texte

correspond agrave un exemplaire quasiment unique pour la peacuteriode meacutedio-byzantine de relation

drsquoambassade personnelle de lrsquoauteur la dimension antique de la ville byzantine dans laquelle

il reacuteside de longs mois y est totalement mise agrave lrsquoeacutecart15

La porte Doreacutee qui se dresse face agrave

Origins of the European Economy Communications and Commerce AD 300-900 Cambridge 2001 p 549-

553

11MF Auzepy ldquoConstantinople Des origines agrave 1025rdquo dans MF Auzepy et al Istanbul Paris 2002 p 35 et

les fig 29 et 30 R Janin Constantinople byzantine Deacuteveloppement urbain et reacutepertoire topographique Paris

19642 et ici p 269-273 et 330 pour ce qui suit

12 Liber pontificalis eacuted L Duchesne Paris 19552 vol II p 180 Jusqursquoalors leur accueil dans lrsquoEmpire a lui

aussi eacuteteacute fastueux notamment du fait de la qualiteacute des dignitaires qui les entourent agrave la porte Doreacutee mecircme

crsquoest le patriarche de Constantinople en personne qui est preacutesent

13 M McCormick Origins p 942-943 et les reacutefeacuterences sur le contexte diplomatique justifiant le faste de

lrsquoaccueil D Nerlich Diplomatische Gesandtschaften zwischen Ost und Westkaisern 756-1002 Bern 1999

p 201-204 sur lrsquoadventus et la porte Doreacutee C Mango ldquoThe Triumphal Way of Constantinople and the

Golden Gaterdquo DOP 54 (2000) p 174-188

14 Il faut toutefois rappeler qursquoune inscription latine accueille les visiteurs passant sous cette porte et la rattache

agrave la gloire drsquoun Theacuteodose ndash qursquoil faut certainement voir comme eacutetant Theacuteodose II cf R Janin Constantinople

byzantine p 269-270 et ses reacutefeacuterences En outre des bas-reliefs repreacutesentants des sujets de la mythologie greacuteco-

romaine (supplice de Promeacutetheacutee travaux drsquoHercule etc) existent alors visibles pour celui qui entre dans la

capitale et ce jusqursquoagrave la fin du xviiie siegravecle C Mango ldquoLrsquoattitude byzantinerdquo p 106-107

15 Le contexte est alors singuliegraverement tendu entre les deux cours impeacuteriales Liutprand venant proposer une

alliance matrimoniale au basileus Niceacutephore Phocas est mal accueilli car au mecircme moment son maicirctre

Otton Ier attaque lrsquoItalie du Sud byzantine consideacutereacutee comme chasse gardeacutee de lrsquoEmpire Dans ces conditions la

7

lui deacutebut juin 968 lorsqursquoil arrive devant Constantinople vaut tout juste la peine drsquoecirctre

mentionneacutee crsquoest devant elle qursquoil doit attendre plusieurs heures sous une pluie battante

avant que les autoriteacutes byzantines daignent lui ouvrir et lui permettre drsquoentrer dans la capitale

avec sa suite16

Au regard du contexte diplomatique qui entoure cette arriveacutee lrsquoabsence de

description du lieu est logique sa richesse de deacutecoration la crainte qursquoelle peut inspirer du

fait de sa fonction militaire au cœur des murailles de la ville tout comme ses origines

anciennes sont volontairement nieacutees Nul doute toutefois que le pouvoir impeacuterial byzantin a

pu mettre en avant ces eacuteleacutements lors de lrsquoarriveacutee de deacuteleacutegations diplomatiques comme celle

de Liutprand Comme le souligne en effet le chroniqueur byzantin Jean Skylitzegraves lrsquoempereur

Niceacutephore Phocas accueillant cette deacuteleacutegation germanique est aussi celui qui trois ans plus

tocirct a orneacute cette mecircme porte Doreacutee des portes de la citeacute de Mopsueste prises sur les Arabes

durant lrsquoeacuteteacute 96517

Rien ne contre-indique donc quand bien mecircme les deux textes utiliseacutes ici sont

plutocirct silencieux que le pouvoir impeacuterial ait pu mettre en exergue lrsquoancienneteacute de cette porte

drsquoaccegraves dans la capitale preacutefigurant en quelque sorte les autres monuments quelquefois bien

plus anciens que les eacutemissaires diplomatiques cocirctoieront dans la ville durant leur seacutejour Une

telle attitude des autoriteacutes byzantines srsquoinscrirait dans la logique du geste triomphaliste de

Niceacutephore Phocas valeur militaire et ancienneteacute du patrimoine architectural de la ville se

compleacutetant pour la gloire de lrsquoEmpire de lrsquoempereur et de sa capitale18

Lrsquoentreacutee commune agrave

Constantinople drsquoun eacutemissaire fatimide de marque et de lrsquoempereur Basile II moins de

quarante ans plus tard pourrait illustrer et renforcer cette mise en valeur19

mission de Liutprand ne peut en aucun cas aboutir et le rapport adresseacute agrave son maicirctre qursquoil a laisseacute sert aussi agrave

justifier son eacutechec Ce reacutecit vient de connaicirctre une traduction franccedilaise Liutprand de Creacutemone Ambassades agrave

Byzance trad de J Schnapp Toulouse 2005 p 45-101 et la preacutesentation de S Lerou p 25-29

16 Liudprandi Cremonensis Opera omnia eacuted P Chiesa Corpus Christianorum Continuatio Mediaeualis 156

Turnhout 1998 Legatio ad imperatorem 2 p 187 Pridie Nona Iunii [hellip] Constantinopolim ante portam

Caream venimus et usque ad undecimam horam cum equis non modica pluvia expectavimus undecima vero

hora non ratus Nicephorus nos dignos esse tam ornatos vestra misericordia equitare [Liutprand srsquoadresse ici agrave

Otton Ier] venire iussit

17 Jean Skylitzegraves Σύνοψις ἱστοριῶν eacuted I Thurn Berlin ndash New York 1973 p 270 voir en outre Jean

Skylitzegraves Empereurs de Constantinople trad B Flusin et notes de J-Cl Cheynet Paris 2003 p 227 et p 422

pour la chronologie cf C Mango ldquoThe Triumphal Wayrdquo p 186

18 Cette porte et ses eacuteleacutements statuaires antiques sont aussi deacutecrits par drsquoautres voyageurs principalement en

provenance de lrsquoIslam pendant la peacuteriode meacutedio-byzantine cf R Janin Constantinople byzantine p 271 et

ses reacutefeacuterences agrave al-Masrsquoudi ou al-Idrissi Voir aussi JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 77 120 252

525 et 548

19 Yahyacirc ibn Sarsquoicircd al-Antacirckicirc Histoire eacuted I Kratchovsky et trad G Troupeau et F Micheau Patrologia

Orientalis t 47 Turnhout 1997 p 469

8

La preacutesence dans la ville de deacuteleacutegations eacutetrangegraveres ou drsquohocirctes de marque est

assureacutement un autre moyen tangible de faire valoir le patrimoine antique de Constantinople

Venant drsquoOccident une fois passeacutee la porte Doreacutee crsquoest tout agrave la fois une forme de prospeacuteriteacute

urbaine dans sa dimension eacuteconomique de mecircme qursquoarchitecturale que lrsquoon expose de fait

aux eacutemissaires Ils empruntent comme cela semble le cas en 86920

la branche sud de la

Meacutesegrave ce boulevard central qui les conduit jusqursquoau Milliaire drsquoOr entre le Grand Palais et

lrsquoeacuteglise Sainte-Sophie dans la partie sud de la ville ndash une traverseacutee de la capitale scandeacutee par

la preacutesence de multiples fora21

Agrave deacutefaut drsquoemprunter cette voie degraves leur arriveacutee ils peuvent

en appreacutehender les richesses comme celles des autres lieux de la ville plus tard durant le

seacutejour ndash mecircme si leur liberteacute drsquoaction reste assez mal connue srsquoapparentant davantage agrave une

liberteacute surveilleacutee22

Crsquoest quelquefois le pouvoir impeacuterial qui deacutecide de leur exhiber tel ou tel

eacuteleacutement du patrimoine antique de sa capitale Agrave la fin du XIe siegravecle Alexis I

er en donne la

mesure lorsqursquoil reccediloit son voisin lrsquoeacutemir turc de Niceacutee Abucircrsquol Kasicircm23

Si lrsquoon en croit sa

fille Anne Comnegravene le basileus aurait quotidiennement entretenu lrsquointeacuterecirct de son hocircte de

marque par des invitations aux bains de la ville agrave la chasse et surtout en lui faisant

laquo admirer les colonnes commeacutemoratives eacuterigeacutees sur les places publiques24

raquo Il srsquoagit lagrave drsquoune

reacutefeacuterence aux nombreuses colonnes honorifiques qui se dressent en effet en diffeacuterents lieux

de la ville Elles ornent principalement plusieurs fora le long des deux branches

septentrionale et meacuteridionale de la Meacutesegrave et plusieurs drsquoentre elles datent lagrave encore de la fin

de lrsquoAntiquiteacute des ive et V

e siegravecles

25 Elles sont rattacheacutees agrave des noms prestigieux

drsquoempereurs Theacuteodose Ier

Arcadius ou Marcien tous lieacutes au destin oriental de lrsquoEmpire

romain Ces colonnes ne sont pas explicitement nommeacutees par notre auteur du XIIe siegravecle

20 Le Liber Pontificalis II p 180 mentionne en effet le palais drsquoIregravene ougrave sont accueillis les leacutegats avant de se

rendre au Grand Palais et ce palais drsquoIregravene se situe pregraves du port drsquoEleuthegravere et du forum Bovis cf R Janin

Constantinople byzantine p 38 et 131 Voir toutefois les vues contraires mais guegravere convaincantes de L

Duchesne dans Liber Pontificalis II n 33 p 188

21 R Janin Constantinople byzantine p 36-39 et p 103-104 le Milliaire drsquoOr ou Million est le pendant de

celui de Rome une sorte drsquoarc de triomphe double drsquoougrave partent toutes les routes impeacuteriales occidentales de

lrsquoEmpire et sur lequel ou pregraves duquel figurent des statues de Constantin de Trajan ou de Theacuteodose II

22 J Shepard ldquoByzantine Diplomacy AD 800-1204 Means and Endrdquo dans Byzantine Diplomacy eacuted J

Shepard et S Franklin Aldershot 1992 p 63-64

23 Anne Comnegravene Alexiade eacuted et trad B Leib 3 vol Paris 1967 VI X 9-11 vol II p 71 sur cet eacutepisode

voir deacutesormais E Malamut Alexis Ier Comnegravene Paris 2007 p 89-91 171-172

24 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip]τὰς κατὰ τὰς λεωφόρους ἱσταμένας στήλας ἀναθεωρεῖν Nous

reprenons ici la traduction proposeacutee par B Leib

25 R Janin Constantinople byzantine p 73-86 et 105 cf JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 278-

281 Sur lrsquointerpreacutetation propheacutetique que font les habitants de Constantinople des statues sur certaines des

colonnes de la ville G Dagron Patria [n 2] p 127-150 Lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial reste toutefois

eacutequivoque vis-agrave-vis de ces statues cf C Mango ldquoAntique Statuaryrdquo p 61-62

9

Neacuteanmoins leur mention ne doit pas paraicirctre anodine pour autant qursquoelle soit plutocirct rare dans

un tel contexte de reacuteception diplomatique26

En ce sens elle doit retenir de pregraves notre

attention car cet usage du patrimoine antique nrsquoest qursquoun des subterfuges parmi drsquoautres pour

combler le visiteur et conduire lrsquoempereur agrave ses fins Les colonnes antiques et autres lieux

publics sont preacutesenteacutes agrave lrsquoeacutemir turc de Niceacutee en mecircme temps que le basileus le convie aussi agrave

des chasses nous lrsquoavons dit et bien plus agrave des courses de chevaux Il srsquoagit non seulement

de combler lrsquohocircte des Byzantins mais aussi de deacutetourner son attention et prolonger le plaisir

de son seacutejour le temps qursquoAlexis Ier

fasse eacutetablir une place forte commandant lrsquoaccegraves agrave

Nicomeacutedie et agrave la Bithynie domineacutees par les forces drsquoAbucircrsquol Kasicircm27

Ces laquo deacutemonstrations

drsquoamitieacute raquo comme le dit Anne ne sont donc que feintes au sein desquelles la place des

richesses antiques du patrimoine urbain nrsquoest nullement ultime

Dans cet eacutepisode lrsquoaccegraves agrave lrsquohippodrome relegraveve drsquoun des eacuteleacutements de prestige

de la politique diplomatique drsquoAlexis Ier

La mecircme Anne Comnegravene preacutecise drsquoailleurs un peu

plus bas que la part majeure de ces distractions proposeacutees par son pegravere consistait en des

courses hippiques organiseacutees preacuteciseacutement pour lrsquooccasion laquo dans le theacuteacirctre construit jadis par

le grand Constantin28

raquo Une occasion lagrave encore de souligner par le lien avec ce passeacute la

richesse de la capitale et ses rapports eacutetroits avec le monde romain antique ndash drsquoapregraves notre

acception de ce dernier terme Multiples sont les reacutefeacuterences visuelles agrave lrsquoEmpire romain et

lrsquoEmpire romain tardif notamment pour qui assiste agrave des spectacles agrave lrsquohippodrome Ces

derniers sont bien connus gracircce agrave ce que nous en disent en premier lieu les textes byzantins

en particulier le De cerimoniis du milieu du xe siegravecle mais aussi les auteurs latins ou arabes

29

La structure architecturale du bacirctiment lrsquoest aussi preacuteciseacutement gracircce agrave ces textes tout comme

sa partie centrale la spina seacuteparant la piste en deux Sur cette spina il est bien connu que

statues colonnes et obeacutelisques ont eacuteteacute eacuterigeacutes sur ordre de Constantin dont certains encore

visibles aujourdrsquohui30

Lagrave encore il reste deacutelicat drsquoeacutevaluer dans quelle mesure exacte cette

26 Notons ici agrave quel point les colonnes de la capitale reviennent reacuteguliegraverement dans les descriptions des

diffeacuterents types de voyageurs musulmans A Miquel La geacuteographie humaine du monde musulman jusqursquoau

milieu du xie siegravecle Paris-La Haye t II 1972 p 426-428

27 Cf J Shepard ldquolsquoFatherrsquo or lsquoScorpionsrsquo Style and Substance in Alexiosrsquos Diplomacyrdquo dans Alexios I

Komnenos eacuted M Mullet et D Smythe Belfast 1996 p 78 83 et 93 replaccedilant cette visite dans lrsquoœuvre

diplomatique drsquoAlexis Ier

28 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip] τὸ πάλαι τῷ μεγάλῳ Κωνσταντίνῳ οἰκοδομηθὲν θέατρον Agrave

lrsquoorigine lrsquohippodrome est une construction de Septime Seacutevegravere agrandie ensuite par Constantin le Grand cf R

Janin Constantinople byzantine p 188-194

29 Il faut se reporter deacutesormais agrave lrsquoeacutetude deacutetailleacutee de lrsquohippodrome de G Dagron ldquoLrsquoorganisation et le

deacuteroulement des courses drsquoapregraves le Livre des ceacutereacutemoniesrdquo Travaux et Meacutemoires 13 (2000) p 3-174

30 MF Auzepy ldquoConstantinoplerdquo p 19-23 et fig 6 7 9 10 et 11 il srsquoagit de lrsquoobeacutelisque de maccedilonnerie de

la colonne serpentine ndash en bronze ceacuteleacutebrant la victoire des Grecs sur les Perses agrave Plateacutees en 478 avant J-C ndash

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

13

couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

14

Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

15

entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

16

envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

33

les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

34

Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

35

drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

36

recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

37

maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

38

France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

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au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

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en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

41

Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

42

drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

43

lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

Page 3: NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC …

3

manuscrits eacutechangeacutes dans le cadre de la politique exteacuterieure de lrsquoEmpire est ensuite

appreacutehendeacute Srsquoil paraicirct important dans le cadre des relations avec lrsquoIslam il semble le devenir

progressivement dans les contacts avec lrsquoOccident chreacutetien Quelques eacuteleacutements conduisent agrave

voir en ces manuscrits provenant de la cour impeacuteriale une arme possible dans les tractations

diplomatiques Enfin drsquoautres aspects dans nos sources mettent en eacutevidence les liens

reacutecurrents entre la diplomatie meacutedio-byzantine et lrsquoAntiquiteacute

Puisqursquoon le dit grec dans sa culture chreacutetien dans sa foi et romain dans ses

structures de lrsquoEacutetat2 lrsquoEmpire byzantin a neacutecessairement entretenu des rapports singuliers

avec son passeacute proche et lointain De ce triple heacuteritage Byzance a su modeler son originaliteacute

tout au long drsquoune histoire milleacutenaire qui par sa seule dureacutee administre la preuve srsquoil en

eacutetait encore besoin de sa force et de ses capaciteacutes drsquoadaptation Dans cet Empire comme

ailleurs la conscience du temps reste toujours une donneacutee subjective drsquoautant plus lorsqursquoil

srsquoagit drsquoappreacutehender un temps passeacute dont lrsquoheacuteritage est si consideacuterable Certains des rapports

qui y sont entretenus avec ce passeacute ont deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoeacutetudes remarquables des

byzantinistes ndash songeons seulement agrave la reacuteinterpreacutetation du patrimoine architectural et

sculptural grec et romain telle qursquoelle a preacutevalu dans la capitale de lrsquoEmpire

Constantinople3

De fait cet heacuteritage est tangible dans plusieurs des domaines que cocirctoie le

speacutecialiste de lrsquohistoire et de la civilisation de Byzance Si lrsquoon srsquoen tient agrave son ideacuteologie du

pouvoir il a deacutejagrave eacuteteacute remarqueacute que le temps passeacute est eacutetroitement lieacute agrave celle-ci a un degreacute tel

qursquoil ne connaicirctrait pas drsquoeacutequivalent dans drsquoautres systegravemes ideacuteologiques impeacuteriaux4 Une

certaine forme du passeacute du moins (eacuteveacutenements bibliques particuliers conversion de

Constantin refondation de la Nouvelle Romehellip) serait omnipreacutesente dans les reacutefeacuterences

ideacuteologiques impeacuteriales dont teacutemoignent de nombreux textes eacutemanant de pregraves ou de loin du

pouvoir5 Le passeacute le plus eacuteloigneacute anteacuterieur au vi

e siegravecle de notre egravere nrsquoest pas oublieacute non

plus dans les textes qui font eacutetat de lrsquoactiviteacute diplomatique byzantine

2 Cf la deacutefinition qursquoen donne G Ostrogorsky Histoire de lrsquoEacutetat byzantin Paris 1996 3 p 53

3 G Dagron Constantinople imaginaire Eacutetudes sur le recueil des Patria Paris 1984 passim

4 J Shepard ldquoPast and Future in Middle Byzantine Diplomacy Some Preliminary Observationsrdquo dans

Byzance et le monde exteacuterieur Contacts relations eacutechanges eacuted M Balard E Malamut et JM Spieser Paris

2005 p 171-191 ici p 174

5 Les textes des chroniqueurs byzantins en teacutemoignent dans la preacutesentation qursquoils dressent de ce passeacute cf

E Jeffreys ldquoThe Attitudes of Byzantine Chroniclers toward Ancient Historyrdquo dans Byzantion 49 (1979)

p 199-238 Lrsquoauteur met en eacutevidence lrsquointeacuterecirct logique pour les empires anciens celui de Rome en particulier

4

Crsquoest ce dernier type de passeacute lointain sur lequel la preacutesente eacutetude souhaiterait

porter son attention dans une optique drsquoapproche des usages de ce passeacute dans la diplomatie et

la politique exteacuterieure byzantine Un tel thegraveme drsquoeacutetude a deacutejagrave eacuteteacute abordeacute reacutecemment par

J Shepard ou J Signes Codontildeer 6 Nous proposons ici de mettre en avant quelques exemples

relatifs agrave la place accordeacutee concregravetement de maniegravere explicite ou non agrave ce patrimoine

antique quelle que soit sa forme Les contacts diplomatiques eacutechanges de lettres officielles

et encore plus drsquoeacutemissaires et de deacuteleacutegations officielles entre cours sont quelquefois

lrsquooccasion pour la cour byzantine de puiser dans cet heacuteritage pour mettre en avant sa propre

originaliteacute voire drsquoen tirer des eacuteleacutements de puissance ou de propagande vis-agrave-vis de ses

partenaires diplomatiques Mais dans quelle mesure exacte

Notons drsquoembleacutee que deux obstacles principaux se dressent dans lrsquoeacutevaluation

preacutecise que cette mecircme cour a pu faire drsquoun tel passeacute Le premier est lieacute aux textes eux-

mecircmes ceux qui eacutemanent des auteurs byzantins constitutifs de notre corpus de sources Ces

auteurs disent souvent peu en la matiegravere et invitent leur lecteur agrave recourir agrave des deacuteductions

plus qursquoagrave en tirer des preuves formelles En ce sens ils doivent impeacuterativement ecirctre

compleacuteteacutes par des textes provenant des mondes exteacuterieurs agrave lrsquoEmpire et entreacutes en relation

avec ce dernier ndash en particulier les textes latins et arabes Ces derniers eacutevoquent quelquefois

le patrimoine antique de Byzance et ses interfeacuterences avec la diplomatie impeacuteriale

notamment lorsqursquoils deacutecrivent la venue drsquoambassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople

La seconde difficulteacute qursquoil faut prendre en compte est lieacutee agrave lrsquoeacutevolution

possible de la position du pouvoir byzantin agrave lrsquoendroit de cet heacuteritage Il faut drsquoailleurs

supposer que la maniegravere de traiter lrsquoantique et eacuteventuellement de lrsquointeacutegrer agrave la politique

exteacuterieure nrsquoest pas un fait eacutevident en soi agrave Byzance Un tel heacuteritage est quelquefois bien

lourd agrave assimiler agrave comprendre mecircme surtout pour lrsquohomme de la rue7 Il faut donc se poser

la question de son emploi par le pouvoir byzantin agrave drsquoeacuteventuelles fins diplomatiques de

mais le meacutepris et lrsquooubli pour la peacuteriode reacutepublicaine de ce dernier de mecircme que le monde grec des citeacutes dans

ces reacutecits Par ailleurs les reacutefeacuterences agrave Constantin le Grand (re)fondateur de la capitale de lrsquoEmpire sont

reacuteguliegraveres cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 183-184 et ses reacutefeacuterences

6 Outre lrsquoeacutetude mentionneacutee en note 3 il faut aussi citer la suivante du mecircme auteur ldquoThe Uses of History in

Byzantine Diplomacy Observations and Comparisonsrdquo dans Porphyrogenita Essays in History and Literature

of Byzantium and the Latin East in honor of J Chrysostomidegraves eacuted C Dendrinos et alii Aldershot 2003 p 91-

115 J Signes Codontildeer ldquoLa diplomacia del libro en Bizancio Algunas reflexiones en torno a la posible entrega

de libros griegos a los aacuterabes en los siglos viii-xrdquo Scrittura e civiltagrave 20 (1996) p 153-187 Ces deux eacutetudes

compleacutementaires nrsquoeacutepuisent toutefois pas le sujet

7 G Dagron ldquoByzance et la Gregravece antique un impossible retour aux sourcesrdquo dans La Gregravece antique sous le

regard du Moyen Acircge occidental eacuted J Leclant et M Zink Cahiers de la Villa ldquoKeacuterylosrdquo 16 Paris 2005

p 195-206 notamment p 200-201

5

mecircme que de lrsquoeacutevolution de cet emploi entre les viiie et xii

e siegravecles La perception de cette

eacutevolution nrsquoest elle non plus pas chose aiseacutee Plusieurs cateacutegories drsquoeacuteleacutements lieacutes agrave

lrsquoAntiquiteacute classique ou tardive de nos conceptions historiographiques peuvent neacuteanmoins

ecirctre distingueacutees et preacutesenteacutees dans ce cadre

Colonnes statues et bacirctiments antiques

La trace physique des ruines antiques entourant les habitants de lrsquoEmpire

demeure importante agrave Byzance en particulier dans sa capitale Constantinople Le patrimoine

architectural et la place des statues notamment sont omnipreacutesents et pas neacutecessairement agrave

lrsquoeacutetat de ruines Les Byzantins nrsquoen disent toutefois pas grand-chose comme lrsquoa constateacute

Cyril Mango 8 Nul doute toutefois qursquoils nrsquoont pas laisseacute sans reacuteaction les voyageurs

eacutetrangers de passage dans lrsquoEmpire qui confronteacutes agrave de tels vestiges en ont laisseacute

quelquefois eux-mecircmes des teacutemoignages eacutecrits9 Les eacutemissaires envoyeacutes officiels et hocirctes de

marque ne semblent pas devoir eacutechapper agrave cette constatation Leur teacutemoignage tout comme

la place des bacirctiments lieacutes agrave lrsquoAntiquiteacute que les autoriteacutes byzantines leur feraient miroiter

manquent pourtant singuliegraverement Agrave deacutefaut des rares mentions directes qui existent nous

pouvons toutefois proposer quelques suggestions

Si lrsquoon srsquoen tient agrave la seule capitale impeacuteriale la grandeur au sens propre

comme au sens figureacute des œuvres de lrsquoarchitecture antique saute neacutecessairement aux yeux

des ambassadeurs eacutetrangers degraves leur entreacutee agrave Constantinople par la porte Doreacutee Cette entreacutee

la plus au sud de la muraille terrestre qui ceint la ville semble avoir eacuteteacute celle ougrave passe une

partie des deacuteleacutegations diplomatiques en provenance de lrsquoOccident chreacutetien par la voie

terrestre Celle-ci incarneacutee par la ceacutelegravebre via Egnatia ndash voie romaine antique toujours en

usage agrave Byzance 10

ndash deacutebouche en effet par cette porte11

Elle constitue un monument

8 C Mango ldquoLrsquoattitude byzantine agrave lrsquoeacutegard des antiquiteacutes greacuteco-romainesrdquo dans Byzance et les imagescedil eacuted

A Guillou et J Duran Paris 1994 p 85-120 Ses observations p 103 sur lrsquoabsence totale de mention dans les

textes de Cyzique ndash pourtant proche de Constantinople abritant une carriegravere de marbre alimentant cette derniegravere

et conservant en outre des ruines impressionnantes comme celles du temple drsquoHadrien ndash sont toutefois agrave

nuancer du fait des mentions explicites de Michel Attaleiategraves au xie siegravecle cf A Cutler ldquoI Bizantini davanti

allrsquoarte e allrsquoarchitettura grecherdquo dans I Greci 3 I Greci oltre la Grecia eacuted S Settis Turin 2001 p 661-662

Dans une autre eacutetude C Mango souligne de plus que les tremblements de terre incendies ou actes de

vandalisme ont conduit agrave la destruction de nombreuses statues issues de lrsquoAntiquiteacute avant mecircme le deacutebut de la

peacuteriode meacutedio-byzantine ougrave drsquoapregraves lui il nrsquoen reste qursquoune centaine ldquoAntique Statuary and Byzantine

Beholderrdquo Dumbarton Oaks Papers (deacutesormais dop) 17 (1963) p 55 et 57-59

9 Sur ce point JPA Van Der Vin Travellers to Greece and Constantinople Ancient Monuments and Old

Traditions in Medieval Travellers Tales Nederlands Historisch-Archaeologisch Institut te Istanbul 2 vol 1980

10N Oikonomides ldquoThe Medieval via Egnatiardquo dans The via Egnatia under Ottoman rule (1380-1699) eacuted

E Zachariadou Rethymnon 1996 p 9-16 Soulignons toutefois que lrsquoemploi de cette route par les deacuteleacutegations

officielles ne semble total entre Dyrrachium et Constantinople qursquoagrave partir des anneacutees 860 cf M McCormick

6

imposant datant du deacutebut du ve siegravecle de notre egravere formeacutee de deux avant-corps sous forme

de tours recouvertes de marbre et proteacutegeant trois portes monumentales voie drsquoentreacutee dans la

ville Sa structure demeure visible aujourdrsquohui et lrsquoon sait que la porte centrale la plus eacuteleveacutee

des trois portes drsquoaccegraves eacutetaient surmonteacutee drsquoune statue en bronze doreacute figurant des eacuteleacutephants

tirant un char impeacuterial Nous savons ainsi avec preacutecision qursquoen septembre 869 une deacuteleacutegation

pontificale meneacutee par trois eacuteminents leacutegats est accueillie avec faste par les autoriteacutes

impeacuteriales avant leur entreacutee dans la capitale et notamment au passage de la porte Doreacutee12

Le deacuteploiement de richesses comme de dignitaires qui caracteacuterise cette arriveacutee a conduit les

historiens agrave le comparer agrave un adventus impeacuterial ndash cette entreacutee triomphale de lrsquoempereur selon

un ancien usage romain qui perdure agrave Byzance13

Neacuteanmoins rien nrsquoest dit dans le Liber

pontificalis de la monumentaliteacute de cette porte encore moins de son caractegravere ancien14

ni du

reste des autres monuments et lieux de la capitale renvoyant agrave son passeacute pluriseacuteculaire que

rencontrent les leacutegats en question pendant leur seacutejour

Le lecteur ne devra guegravere srsquoeacutetonner de dresser le mecircme constat avec un autre

acteur des eacutechanges diplomatique entre Byzance et lrsquoOccident chreacutetien exactement un siegravecle

plus tard lrsquoeacutevecircque Liutprand de Creacutemone Le teacutemoignage qursquoil a laisseacute de sa mission en 968

agrave Constantinople au nom de lrsquoempereur germanique Otton Ier

est un pamphlet contre

Byzance sa cour son empereur ses mœurs et sa capitale Quand bien mecircme ce texte

correspond agrave un exemplaire quasiment unique pour la peacuteriode meacutedio-byzantine de relation

drsquoambassade personnelle de lrsquoauteur la dimension antique de la ville byzantine dans laquelle

il reacuteside de longs mois y est totalement mise agrave lrsquoeacutecart15

La porte Doreacutee qui se dresse face agrave

Origins of the European Economy Communications and Commerce AD 300-900 Cambridge 2001 p 549-

553

11MF Auzepy ldquoConstantinople Des origines agrave 1025rdquo dans MF Auzepy et al Istanbul Paris 2002 p 35 et

les fig 29 et 30 R Janin Constantinople byzantine Deacuteveloppement urbain et reacutepertoire topographique Paris

19642 et ici p 269-273 et 330 pour ce qui suit

12 Liber pontificalis eacuted L Duchesne Paris 19552 vol II p 180 Jusqursquoalors leur accueil dans lrsquoEmpire a lui

aussi eacuteteacute fastueux notamment du fait de la qualiteacute des dignitaires qui les entourent agrave la porte Doreacutee mecircme

crsquoest le patriarche de Constantinople en personne qui est preacutesent

13 M McCormick Origins p 942-943 et les reacutefeacuterences sur le contexte diplomatique justifiant le faste de

lrsquoaccueil D Nerlich Diplomatische Gesandtschaften zwischen Ost und Westkaisern 756-1002 Bern 1999

p 201-204 sur lrsquoadventus et la porte Doreacutee C Mango ldquoThe Triumphal Way of Constantinople and the

Golden Gaterdquo DOP 54 (2000) p 174-188

14 Il faut toutefois rappeler qursquoune inscription latine accueille les visiteurs passant sous cette porte et la rattache

agrave la gloire drsquoun Theacuteodose ndash qursquoil faut certainement voir comme eacutetant Theacuteodose II cf R Janin Constantinople

byzantine p 269-270 et ses reacutefeacuterences En outre des bas-reliefs repreacutesentants des sujets de la mythologie greacuteco-

romaine (supplice de Promeacutetheacutee travaux drsquoHercule etc) existent alors visibles pour celui qui entre dans la

capitale et ce jusqursquoagrave la fin du xviiie siegravecle C Mango ldquoLrsquoattitude byzantinerdquo p 106-107

15 Le contexte est alors singuliegraverement tendu entre les deux cours impeacuteriales Liutprand venant proposer une

alliance matrimoniale au basileus Niceacutephore Phocas est mal accueilli car au mecircme moment son maicirctre

Otton Ier attaque lrsquoItalie du Sud byzantine consideacutereacutee comme chasse gardeacutee de lrsquoEmpire Dans ces conditions la

7

lui deacutebut juin 968 lorsqursquoil arrive devant Constantinople vaut tout juste la peine drsquoecirctre

mentionneacutee crsquoest devant elle qursquoil doit attendre plusieurs heures sous une pluie battante

avant que les autoriteacutes byzantines daignent lui ouvrir et lui permettre drsquoentrer dans la capitale

avec sa suite16

Au regard du contexte diplomatique qui entoure cette arriveacutee lrsquoabsence de

description du lieu est logique sa richesse de deacutecoration la crainte qursquoelle peut inspirer du

fait de sa fonction militaire au cœur des murailles de la ville tout comme ses origines

anciennes sont volontairement nieacutees Nul doute toutefois que le pouvoir impeacuterial byzantin a

pu mettre en avant ces eacuteleacutements lors de lrsquoarriveacutee de deacuteleacutegations diplomatiques comme celle

de Liutprand Comme le souligne en effet le chroniqueur byzantin Jean Skylitzegraves lrsquoempereur

Niceacutephore Phocas accueillant cette deacuteleacutegation germanique est aussi celui qui trois ans plus

tocirct a orneacute cette mecircme porte Doreacutee des portes de la citeacute de Mopsueste prises sur les Arabes

durant lrsquoeacuteteacute 96517

Rien ne contre-indique donc quand bien mecircme les deux textes utiliseacutes ici sont

plutocirct silencieux que le pouvoir impeacuterial ait pu mettre en exergue lrsquoancienneteacute de cette porte

drsquoaccegraves dans la capitale preacutefigurant en quelque sorte les autres monuments quelquefois bien

plus anciens que les eacutemissaires diplomatiques cocirctoieront dans la ville durant leur seacutejour Une

telle attitude des autoriteacutes byzantines srsquoinscrirait dans la logique du geste triomphaliste de

Niceacutephore Phocas valeur militaire et ancienneteacute du patrimoine architectural de la ville se

compleacutetant pour la gloire de lrsquoEmpire de lrsquoempereur et de sa capitale18

Lrsquoentreacutee commune agrave

Constantinople drsquoun eacutemissaire fatimide de marque et de lrsquoempereur Basile II moins de

quarante ans plus tard pourrait illustrer et renforcer cette mise en valeur19

mission de Liutprand ne peut en aucun cas aboutir et le rapport adresseacute agrave son maicirctre qursquoil a laisseacute sert aussi agrave

justifier son eacutechec Ce reacutecit vient de connaicirctre une traduction franccedilaise Liutprand de Creacutemone Ambassades agrave

Byzance trad de J Schnapp Toulouse 2005 p 45-101 et la preacutesentation de S Lerou p 25-29

16 Liudprandi Cremonensis Opera omnia eacuted P Chiesa Corpus Christianorum Continuatio Mediaeualis 156

Turnhout 1998 Legatio ad imperatorem 2 p 187 Pridie Nona Iunii [hellip] Constantinopolim ante portam

Caream venimus et usque ad undecimam horam cum equis non modica pluvia expectavimus undecima vero

hora non ratus Nicephorus nos dignos esse tam ornatos vestra misericordia equitare [Liutprand srsquoadresse ici agrave

Otton Ier] venire iussit

17 Jean Skylitzegraves Σύνοψις ἱστοριῶν eacuted I Thurn Berlin ndash New York 1973 p 270 voir en outre Jean

Skylitzegraves Empereurs de Constantinople trad B Flusin et notes de J-Cl Cheynet Paris 2003 p 227 et p 422

pour la chronologie cf C Mango ldquoThe Triumphal Wayrdquo p 186

18 Cette porte et ses eacuteleacutements statuaires antiques sont aussi deacutecrits par drsquoautres voyageurs principalement en

provenance de lrsquoIslam pendant la peacuteriode meacutedio-byzantine cf R Janin Constantinople byzantine p 271 et

ses reacutefeacuterences agrave al-Masrsquoudi ou al-Idrissi Voir aussi JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 77 120 252

525 et 548

19 Yahyacirc ibn Sarsquoicircd al-Antacirckicirc Histoire eacuted I Kratchovsky et trad G Troupeau et F Micheau Patrologia

Orientalis t 47 Turnhout 1997 p 469

8

La preacutesence dans la ville de deacuteleacutegations eacutetrangegraveres ou drsquohocirctes de marque est

assureacutement un autre moyen tangible de faire valoir le patrimoine antique de Constantinople

Venant drsquoOccident une fois passeacutee la porte Doreacutee crsquoest tout agrave la fois une forme de prospeacuteriteacute

urbaine dans sa dimension eacuteconomique de mecircme qursquoarchitecturale que lrsquoon expose de fait

aux eacutemissaires Ils empruntent comme cela semble le cas en 86920

la branche sud de la

Meacutesegrave ce boulevard central qui les conduit jusqursquoau Milliaire drsquoOr entre le Grand Palais et

lrsquoeacuteglise Sainte-Sophie dans la partie sud de la ville ndash une traverseacutee de la capitale scandeacutee par

la preacutesence de multiples fora21

Agrave deacutefaut drsquoemprunter cette voie degraves leur arriveacutee ils peuvent

en appreacutehender les richesses comme celles des autres lieux de la ville plus tard durant le

seacutejour ndash mecircme si leur liberteacute drsquoaction reste assez mal connue srsquoapparentant davantage agrave une

liberteacute surveilleacutee22

Crsquoest quelquefois le pouvoir impeacuterial qui deacutecide de leur exhiber tel ou tel

eacuteleacutement du patrimoine antique de sa capitale Agrave la fin du XIe siegravecle Alexis I

er en donne la

mesure lorsqursquoil reccediloit son voisin lrsquoeacutemir turc de Niceacutee Abucircrsquol Kasicircm23

Si lrsquoon en croit sa

fille Anne Comnegravene le basileus aurait quotidiennement entretenu lrsquointeacuterecirct de son hocircte de

marque par des invitations aux bains de la ville agrave la chasse et surtout en lui faisant

laquo admirer les colonnes commeacutemoratives eacuterigeacutees sur les places publiques24

raquo Il srsquoagit lagrave drsquoune

reacutefeacuterence aux nombreuses colonnes honorifiques qui se dressent en effet en diffeacuterents lieux

de la ville Elles ornent principalement plusieurs fora le long des deux branches

septentrionale et meacuteridionale de la Meacutesegrave et plusieurs drsquoentre elles datent lagrave encore de la fin

de lrsquoAntiquiteacute des ive et V

e siegravecles

25 Elles sont rattacheacutees agrave des noms prestigieux

drsquoempereurs Theacuteodose Ier

Arcadius ou Marcien tous lieacutes au destin oriental de lrsquoEmpire

romain Ces colonnes ne sont pas explicitement nommeacutees par notre auteur du XIIe siegravecle

20 Le Liber Pontificalis II p 180 mentionne en effet le palais drsquoIregravene ougrave sont accueillis les leacutegats avant de se

rendre au Grand Palais et ce palais drsquoIregravene se situe pregraves du port drsquoEleuthegravere et du forum Bovis cf R Janin

Constantinople byzantine p 38 et 131 Voir toutefois les vues contraires mais guegravere convaincantes de L

Duchesne dans Liber Pontificalis II n 33 p 188

21 R Janin Constantinople byzantine p 36-39 et p 103-104 le Milliaire drsquoOr ou Million est le pendant de

celui de Rome une sorte drsquoarc de triomphe double drsquoougrave partent toutes les routes impeacuteriales occidentales de

lrsquoEmpire et sur lequel ou pregraves duquel figurent des statues de Constantin de Trajan ou de Theacuteodose II

22 J Shepard ldquoByzantine Diplomacy AD 800-1204 Means and Endrdquo dans Byzantine Diplomacy eacuted J

Shepard et S Franklin Aldershot 1992 p 63-64

23 Anne Comnegravene Alexiade eacuted et trad B Leib 3 vol Paris 1967 VI X 9-11 vol II p 71 sur cet eacutepisode

voir deacutesormais E Malamut Alexis Ier Comnegravene Paris 2007 p 89-91 171-172

24 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip]τὰς κατὰ τὰς λεωφόρους ἱσταμένας στήλας ἀναθεωρεῖν Nous

reprenons ici la traduction proposeacutee par B Leib

25 R Janin Constantinople byzantine p 73-86 et 105 cf JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 278-

281 Sur lrsquointerpreacutetation propheacutetique que font les habitants de Constantinople des statues sur certaines des

colonnes de la ville G Dagron Patria [n 2] p 127-150 Lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial reste toutefois

eacutequivoque vis-agrave-vis de ces statues cf C Mango ldquoAntique Statuaryrdquo p 61-62

9

Neacuteanmoins leur mention ne doit pas paraicirctre anodine pour autant qursquoelle soit plutocirct rare dans

un tel contexte de reacuteception diplomatique26

En ce sens elle doit retenir de pregraves notre

attention car cet usage du patrimoine antique nrsquoest qursquoun des subterfuges parmi drsquoautres pour

combler le visiteur et conduire lrsquoempereur agrave ses fins Les colonnes antiques et autres lieux

publics sont preacutesenteacutes agrave lrsquoeacutemir turc de Niceacutee en mecircme temps que le basileus le convie aussi agrave

des chasses nous lrsquoavons dit et bien plus agrave des courses de chevaux Il srsquoagit non seulement

de combler lrsquohocircte des Byzantins mais aussi de deacutetourner son attention et prolonger le plaisir

de son seacutejour le temps qursquoAlexis Ier

fasse eacutetablir une place forte commandant lrsquoaccegraves agrave

Nicomeacutedie et agrave la Bithynie domineacutees par les forces drsquoAbucircrsquol Kasicircm27

Ces laquo deacutemonstrations

drsquoamitieacute raquo comme le dit Anne ne sont donc que feintes au sein desquelles la place des

richesses antiques du patrimoine urbain nrsquoest nullement ultime

Dans cet eacutepisode lrsquoaccegraves agrave lrsquohippodrome relegraveve drsquoun des eacuteleacutements de prestige

de la politique diplomatique drsquoAlexis Ier

La mecircme Anne Comnegravene preacutecise drsquoailleurs un peu

plus bas que la part majeure de ces distractions proposeacutees par son pegravere consistait en des

courses hippiques organiseacutees preacuteciseacutement pour lrsquooccasion laquo dans le theacuteacirctre construit jadis par

le grand Constantin28

raquo Une occasion lagrave encore de souligner par le lien avec ce passeacute la

richesse de la capitale et ses rapports eacutetroits avec le monde romain antique ndash drsquoapregraves notre

acception de ce dernier terme Multiples sont les reacutefeacuterences visuelles agrave lrsquoEmpire romain et

lrsquoEmpire romain tardif notamment pour qui assiste agrave des spectacles agrave lrsquohippodrome Ces

derniers sont bien connus gracircce agrave ce que nous en disent en premier lieu les textes byzantins

en particulier le De cerimoniis du milieu du xe siegravecle mais aussi les auteurs latins ou arabes

29

La structure architecturale du bacirctiment lrsquoest aussi preacuteciseacutement gracircce agrave ces textes tout comme

sa partie centrale la spina seacuteparant la piste en deux Sur cette spina il est bien connu que

statues colonnes et obeacutelisques ont eacuteteacute eacuterigeacutes sur ordre de Constantin dont certains encore

visibles aujourdrsquohui30

Lagrave encore il reste deacutelicat drsquoeacutevaluer dans quelle mesure exacte cette

26 Notons ici agrave quel point les colonnes de la capitale reviennent reacuteguliegraverement dans les descriptions des

diffeacuterents types de voyageurs musulmans A Miquel La geacuteographie humaine du monde musulman jusqursquoau

milieu du xie siegravecle Paris-La Haye t II 1972 p 426-428

27 Cf J Shepard ldquolsquoFatherrsquo or lsquoScorpionsrsquo Style and Substance in Alexiosrsquos Diplomacyrdquo dans Alexios I

Komnenos eacuted M Mullet et D Smythe Belfast 1996 p 78 83 et 93 replaccedilant cette visite dans lrsquoœuvre

diplomatique drsquoAlexis Ier

28 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip] τὸ πάλαι τῷ μεγάλῳ Κωνσταντίνῳ οἰκοδομηθὲν θέατρον Agrave

lrsquoorigine lrsquohippodrome est une construction de Septime Seacutevegravere agrandie ensuite par Constantin le Grand cf R

Janin Constantinople byzantine p 188-194

29 Il faut se reporter deacutesormais agrave lrsquoeacutetude deacutetailleacutee de lrsquohippodrome de G Dagron ldquoLrsquoorganisation et le

deacuteroulement des courses drsquoapregraves le Livre des ceacutereacutemoniesrdquo Travaux et Meacutemoires 13 (2000) p 3-174

30 MF Auzepy ldquoConstantinoplerdquo p 19-23 et fig 6 7 9 10 et 11 il srsquoagit de lrsquoobeacutelisque de maccedilonnerie de

la colonne serpentine ndash en bronze ceacuteleacutebrant la victoire des Grecs sur les Perses agrave Plateacutees en 478 avant J-C ndash

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

13

couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

14

Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

15

entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

16

envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

33

les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

34

Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

35

drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

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recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

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maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

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France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

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au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

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en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

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Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

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drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

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lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

Page 4: NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC …

4

Crsquoest ce dernier type de passeacute lointain sur lequel la preacutesente eacutetude souhaiterait

porter son attention dans une optique drsquoapproche des usages de ce passeacute dans la diplomatie et

la politique exteacuterieure byzantine Un tel thegraveme drsquoeacutetude a deacutejagrave eacuteteacute abordeacute reacutecemment par

J Shepard ou J Signes Codontildeer 6 Nous proposons ici de mettre en avant quelques exemples

relatifs agrave la place accordeacutee concregravetement de maniegravere explicite ou non agrave ce patrimoine

antique quelle que soit sa forme Les contacts diplomatiques eacutechanges de lettres officielles

et encore plus drsquoeacutemissaires et de deacuteleacutegations officielles entre cours sont quelquefois

lrsquooccasion pour la cour byzantine de puiser dans cet heacuteritage pour mettre en avant sa propre

originaliteacute voire drsquoen tirer des eacuteleacutements de puissance ou de propagande vis-agrave-vis de ses

partenaires diplomatiques Mais dans quelle mesure exacte

Notons drsquoembleacutee que deux obstacles principaux se dressent dans lrsquoeacutevaluation

preacutecise que cette mecircme cour a pu faire drsquoun tel passeacute Le premier est lieacute aux textes eux-

mecircmes ceux qui eacutemanent des auteurs byzantins constitutifs de notre corpus de sources Ces

auteurs disent souvent peu en la matiegravere et invitent leur lecteur agrave recourir agrave des deacuteductions

plus qursquoagrave en tirer des preuves formelles En ce sens ils doivent impeacuterativement ecirctre

compleacuteteacutes par des textes provenant des mondes exteacuterieurs agrave lrsquoEmpire et entreacutes en relation

avec ce dernier ndash en particulier les textes latins et arabes Ces derniers eacutevoquent quelquefois

le patrimoine antique de Byzance et ses interfeacuterences avec la diplomatie impeacuteriale

notamment lorsqursquoils deacutecrivent la venue drsquoambassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople

La seconde difficulteacute qursquoil faut prendre en compte est lieacutee agrave lrsquoeacutevolution

possible de la position du pouvoir byzantin agrave lrsquoendroit de cet heacuteritage Il faut drsquoailleurs

supposer que la maniegravere de traiter lrsquoantique et eacuteventuellement de lrsquointeacutegrer agrave la politique

exteacuterieure nrsquoest pas un fait eacutevident en soi agrave Byzance Un tel heacuteritage est quelquefois bien

lourd agrave assimiler agrave comprendre mecircme surtout pour lrsquohomme de la rue7 Il faut donc se poser

la question de son emploi par le pouvoir byzantin agrave drsquoeacuteventuelles fins diplomatiques de

mais le meacutepris et lrsquooubli pour la peacuteriode reacutepublicaine de ce dernier de mecircme que le monde grec des citeacutes dans

ces reacutecits Par ailleurs les reacutefeacuterences agrave Constantin le Grand (re)fondateur de la capitale de lrsquoEmpire sont

reacuteguliegraveres cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 183-184 et ses reacutefeacuterences

6 Outre lrsquoeacutetude mentionneacutee en note 3 il faut aussi citer la suivante du mecircme auteur ldquoThe Uses of History in

Byzantine Diplomacy Observations and Comparisonsrdquo dans Porphyrogenita Essays in History and Literature

of Byzantium and the Latin East in honor of J Chrysostomidegraves eacuted C Dendrinos et alii Aldershot 2003 p 91-

115 J Signes Codontildeer ldquoLa diplomacia del libro en Bizancio Algunas reflexiones en torno a la posible entrega

de libros griegos a los aacuterabes en los siglos viii-xrdquo Scrittura e civiltagrave 20 (1996) p 153-187 Ces deux eacutetudes

compleacutementaires nrsquoeacutepuisent toutefois pas le sujet

7 G Dagron ldquoByzance et la Gregravece antique un impossible retour aux sourcesrdquo dans La Gregravece antique sous le

regard du Moyen Acircge occidental eacuted J Leclant et M Zink Cahiers de la Villa ldquoKeacuterylosrdquo 16 Paris 2005

p 195-206 notamment p 200-201

5

mecircme que de lrsquoeacutevolution de cet emploi entre les viiie et xii

e siegravecles La perception de cette

eacutevolution nrsquoest elle non plus pas chose aiseacutee Plusieurs cateacutegories drsquoeacuteleacutements lieacutes agrave

lrsquoAntiquiteacute classique ou tardive de nos conceptions historiographiques peuvent neacuteanmoins

ecirctre distingueacutees et preacutesenteacutees dans ce cadre

Colonnes statues et bacirctiments antiques

La trace physique des ruines antiques entourant les habitants de lrsquoEmpire

demeure importante agrave Byzance en particulier dans sa capitale Constantinople Le patrimoine

architectural et la place des statues notamment sont omnipreacutesents et pas neacutecessairement agrave

lrsquoeacutetat de ruines Les Byzantins nrsquoen disent toutefois pas grand-chose comme lrsquoa constateacute

Cyril Mango 8 Nul doute toutefois qursquoils nrsquoont pas laisseacute sans reacuteaction les voyageurs

eacutetrangers de passage dans lrsquoEmpire qui confronteacutes agrave de tels vestiges en ont laisseacute

quelquefois eux-mecircmes des teacutemoignages eacutecrits9 Les eacutemissaires envoyeacutes officiels et hocirctes de

marque ne semblent pas devoir eacutechapper agrave cette constatation Leur teacutemoignage tout comme

la place des bacirctiments lieacutes agrave lrsquoAntiquiteacute que les autoriteacutes byzantines leur feraient miroiter

manquent pourtant singuliegraverement Agrave deacutefaut des rares mentions directes qui existent nous

pouvons toutefois proposer quelques suggestions

Si lrsquoon srsquoen tient agrave la seule capitale impeacuteriale la grandeur au sens propre

comme au sens figureacute des œuvres de lrsquoarchitecture antique saute neacutecessairement aux yeux

des ambassadeurs eacutetrangers degraves leur entreacutee agrave Constantinople par la porte Doreacutee Cette entreacutee

la plus au sud de la muraille terrestre qui ceint la ville semble avoir eacuteteacute celle ougrave passe une

partie des deacuteleacutegations diplomatiques en provenance de lrsquoOccident chreacutetien par la voie

terrestre Celle-ci incarneacutee par la ceacutelegravebre via Egnatia ndash voie romaine antique toujours en

usage agrave Byzance 10

ndash deacutebouche en effet par cette porte11

Elle constitue un monument

8 C Mango ldquoLrsquoattitude byzantine agrave lrsquoeacutegard des antiquiteacutes greacuteco-romainesrdquo dans Byzance et les imagescedil eacuted

A Guillou et J Duran Paris 1994 p 85-120 Ses observations p 103 sur lrsquoabsence totale de mention dans les

textes de Cyzique ndash pourtant proche de Constantinople abritant une carriegravere de marbre alimentant cette derniegravere

et conservant en outre des ruines impressionnantes comme celles du temple drsquoHadrien ndash sont toutefois agrave

nuancer du fait des mentions explicites de Michel Attaleiategraves au xie siegravecle cf A Cutler ldquoI Bizantini davanti

allrsquoarte e allrsquoarchitettura grecherdquo dans I Greci 3 I Greci oltre la Grecia eacuted S Settis Turin 2001 p 661-662

Dans une autre eacutetude C Mango souligne de plus que les tremblements de terre incendies ou actes de

vandalisme ont conduit agrave la destruction de nombreuses statues issues de lrsquoAntiquiteacute avant mecircme le deacutebut de la

peacuteriode meacutedio-byzantine ougrave drsquoapregraves lui il nrsquoen reste qursquoune centaine ldquoAntique Statuary and Byzantine

Beholderrdquo Dumbarton Oaks Papers (deacutesormais dop) 17 (1963) p 55 et 57-59

9 Sur ce point JPA Van Der Vin Travellers to Greece and Constantinople Ancient Monuments and Old

Traditions in Medieval Travellers Tales Nederlands Historisch-Archaeologisch Institut te Istanbul 2 vol 1980

10N Oikonomides ldquoThe Medieval via Egnatiardquo dans The via Egnatia under Ottoman rule (1380-1699) eacuted

E Zachariadou Rethymnon 1996 p 9-16 Soulignons toutefois que lrsquoemploi de cette route par les deacuteleacutegations

officielles ne semble total entre Dyrrachium et Constantinople qursquoagrave partir des anneacutees 860 cf M McCormick

6

imposant datant du deacutebut du ve siegravecle de notre egravere formeacutee de deux avant-corps sous forme

de tours recouvertes de marbre et proteacutegeant trois portes monumentales voie drsquoentreacutee dans la

ville Sa structure demeure visible aujourdrsquohui et lrsquoon sait que la porte centrale la plus eacuteleveacutee

des trois portes drsquoaccegraves eacutetaient surmonteacutee drsquoune statue en bronze doreacute figurant des eacuteleacutephants

tirant un char impeacuterial Nous savons ainsi avec preacutecision qursquoen septembre 869 une deacuteleacutegation

pontificale meneacutee par trois eacuteminents leacutegats est accueillie avec faste par les autoriteacutes

impeacuteriales avant leur entreacutee dans la capitale et notamment au passage de la porte Doreacutee12

Le deacuteploiement de richesses comme de dignitaires qui caracteacuterise cette arriveacutee a conduit les

historiens agrave le comparer agrave un adventus impeacuterial ndash cette entreacutee triomphale de lrsquoempereur selon

un ancien usage romain qui perdure agrave Byzance13

Neacuteanmoins rien nrsquoest dit dans le Liber

pontificalis de la monumentaliteacute de cette porte encore moins de son caractegravere ancien14

ni du

reste des autres monuments et lieux de la capitale renvoyant agrave son passeacute pluriseacuteculaire que

rencontrent les leacutegats en question pendant leur seacutejour

Le lecteur ne devra guegravere srsquoeacutetonner de dresser le mecircme constat avec un autre

acteur des eacutechanges diplomatique entre Byzance et lrsquoOccident chreacutetien exactement un siegravecle

plus tard lrsquoeacutevecircque Liutprand de Creacutemone Le teacutemoignage qursquoil a laisseacute de sa mission en 968

agrave Constantinople au nom de lrsquoempereur germanique Otton Ier

est un pamphlet contre

Byzance sa cour son empereur ses mœurs et sa capitale Quand bien mecircme ce texte

correspond agrave un exemplaire quasiment unique pour la peacuteriode meacutedio-byzantine de relation

drsquoambassade personnelle de lrsquoauteur la dimension antique de la ville byzantine dans laquelle

il reacuteside de longs mois y est totalement mise agrave lrsquoeacutecart15

La porte Doreacutee qui se dresse face agrave

Origins of the European Economy Communications and Commerce AD 300-900 Cambridge 2001 p 549-

553

11MF Auzepy ldquoConstantinople Des origines agrave 1025rdquo dans MF Auzepy et al Istanbul Paris 2002 p 35 et

les fig 29 et 30 R Janin Constantinople byzantine Deacuteveloppement urbain et reacutepertoire topographique Paris

19642 et ici p 269-273 et 330 pour ce qui suit

12 Liber pontificalis eacuted L Duchesne Paris 19552 vol II p 180 Jusqursquoalors leur accueil dans lrsquoEmpire a lui

aussi eacuteteacute fastueux notamment du fait de la qualiteacute des dignitaires qui les entourent agrave la porte Doreacutee mecircme

crsquoest le patriarche de Constantinople en personne qui est preacutesent

13 M McCormick Origins p 942-943 et les reacutefeacuterences sur le contexte diplomatique justifiant le faste de

lrsquoaccueil D Nerlich Diplomatische Gesandtschaften zwischen Ost und Westkaisern 756-1002 Bern 1999

p 201-204 sur lrsquoadventus et la porte Doreacutee C Mango ldquoThe Triumphal Way of Constantinople and the

Golden Gaterdquo DOP 54 (2000) p 174-188

14 Il faut toutefois rappeler qursquoune inscription latine accueille les visiteurs passant sous cette porte et la rattache

agrave la gloire drsquoun Theacuteodose ndash qursquoil faut certainement voir comme eacutetant Theacuteodose II cf R Janin Constantinople

byzantine p 269-270 et ses reacutefeacuterences En outre des bas-reliefs repreacutesentants des sujets de la mythologie greacuteco-

romaine (supplice de Promeacutetheacutee travaux drsquoHercule etc) existent alors visibles pour celui qui entre dans la

capitale et ce jusqursquoagrave la fin du xviiie siegravecle C Mango ldquoLrsquoattitude byzantinerdquo p 106-107

15 Le contexte est alors singuliegraverement tendu entre les deux cours impeacuteriales Liutprand venant proposer une

alliance matrimoniale au basileus Niceacutephore Phocas est mal accueilli car au mecircme moment son maicirctre

Otton Ier attaque lrsquoItalie du Sud byzantine consideacutereacutee comme chasse gardeacutee de lrsquoEmpire Dans ces conditions la

7

lui deacutebut juin 968 lorsqursquoil arrive devant Constantinople vaut tout juste la peine drsquoecirctre

mentionneacutee crsquoest devant elle qursquoil doit attendre plusieurs heures sous une pluie battante

avant que les autoriteacutes byzantines daignent lui ouvrir et lui permettre drsquoentrer dans la capitale

avec sa suite16

Au regard du contexte diplomatique qui entoure cette arriveacutee lrsquoabsence de

description du lieu est logique sa richesse de deacutecoration la crainte qursquoelle peut inspirer du

fait de sa fonction militaire au cœur des murailles de la ville tout comme ses origines

anciennes sont volontairement nieacutees Nul doute toutefois que le pouvoir impeacuterial byzantin a

pu mettre en avant ces eacuteleacutements lors de lrsquoarriveacutee de deacuteleacutegations diplomatiques comme celle

de Liutprand Comme le souligne en effet le chroniqueur byzantin Jean Skylitzegraves lrsquoempereur

Niceacutephore Phocas accueillant cette deacuteleacutegation germanique est aussi celui qui trois ans plus

tocirct a orneacute cette mecircme porte Doreacutee des portes de la citeacute de Mopsueste prises sur les Arabes

durant lrsquoeacuteteacute 96517

Rien ne contre-indique donc quand bien mecircme les deux textes utiliseacutes ici sont

plutocirct silencieux que le pouvoir impeacuterial ait pu mettre en exergue lrsquoancienneteacute de cette porte

drsquoaccegraves dans la capitale preacutefigurant en quelque sorte les autres monuments quelquefois bien

plus anciens que les eacutemissaires diplomatiques cocirctoieront dans la ville durant leur seacutejour Une

telle attitude des autoriteacutes byzantines srsquoinscrirait dans la logique du geste triomphaliste de

Niceacutephore Phocas valeur militaire et ancienneteacute du patrimoine architectural de la ville se

compleacutetant pour la gloire de lrsquoEmpire de lrsquoempereur et de sa capitale18

Lrsquoentreacutee commune agrave

Constantinople drsquoun eacutemissaire fatimide de marque et de lrsquoempereur Basile II moins de

quarante ans plus tard pourrait illustrer et renforcer cette mise en valeur19

mission de Liutprand ne peut en aucun cas aboutir et le rapport adresseacute agrave son maicirctre qursquoil a laisseacute sert aussi agrave

justifier son eacutechec Ce reacutecit vient de connaicirctre une traduction franccedilaise Liutprand de Creacutemone Ambassades agrave

Byzance trad de J Schnapp Toulouse 2005 p 45-101 et la preacutesentation de S Lerou p 25-29

16 Liudprandi Cremonensis Opera omnia eacuted P Chiesa Corpus Christianorum Continuatio Mediaeualis 156

Turnhout 1998 Legatio ad imperatorem 2 p 187 Pridie Nona Iunii [hellip] Constantinopolim ante portam

Caream venimus et usque ad undecimam horam cum equis non modica pluvia expectavimus undecima vero

hora non ratus Nicephorus nos dignos esse tam ornatos vestra misericordia equitare [Liutprand srsquoadresse ici agrave

Otton Ier] venire iussit

17 Jean Skylitzegraves Σύνοψις ἱστοριῶν eacuted I Thurn Berlin ndash New York 1973 p 270 voir en outre Jean

Skylitzegraves Empereurs de Constantinople trad B Flusin et notes de J-Cl Cheynet Paris 2003 p 227 et p 422

pour la chronologie cf C Mango ldquoThe Triumphal Wayrdquo p 186

18 Cette porte et ses eacuteleacutements statuaires antiques sont aussi deacutecrits par drsquoautres voyageurs principalement en

provenance de lrsquoIslam pendant la peacuteriode meacutedio-byzantine cf R Janin Constantinople byzantine p 271 et

ses reacutefeacuterences agrave al-Masrsquoudi ou al-Idrissi Voir aussi JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 77 120 252

525 et 548

19 Yahyacirc ibn Sarsquoicircd al-Antacirckicirc Histoire eacuted I Kratchovsky et trad G Troupeau et F Micheau Patrologia

Orientalis t 47 Turnhout 1997 p 469

8

La preacutesence dans la ville de deacuteleacutegations eacutetrangegraveres ou drsquohocirctes de marque est

assureacutement un autre moyen tangible de faire valoir le patrimoine antique de Constantinople

Venant drsquoOccident une fois passeacutee la porte Doreacutee crsquoest tout agrave la fois une forme de prospeacuteriteacute

urbaine dans sa dimension eacuteconomique de mecircme qursquoarchitecturale que lrsquoon expose de fait

aux eacutemissaires Ils empruntent comme cela semble le cas en 86920

la branche sud de la

Meacutesegrave ce boulevard central qui les conduit jusqursquoau Milliaire drsquoOr entre le Grand Palais et

lrsquoeacuteglise Sainte-Sophie dans la partie sud de la ville ndash une traverseacutee de la capitale scandeacutee par

la preacutesence de multiples fora21

Agrave deacutefaut drsquoemprunter cette voie degraves leur arriveacutee ils peuvent

en appreacutehender les richesses comme celles des autres lieux de la ville plus tard durant le

seacutejour ndash mecircme si leur liberteacute drsquoaction reste assez mal connue srsquoapparentant davantage agrave une

liberteacute surveilleacutee22

Crsquoest quelquefois le pouvoir impeacuterial qui deacutecide de leur exhiber tel ou tel

eacuteleacutement du patrimoine antique de sa capitale Agrave la fin du XIe siegravecle Alexis I

er en donne la

mesure lorsqursquoil reccediloit son voisin lrsquoeacutemir turc de Niceacutee Abucircrsquol Kasicircm23

Si lrsquoon en croit sa

fille Anne Comnegravene le basileus aurait quotidiennement entretenu lrsquointeacuterecirct de son hocircte de

marque par des invitations aux bains de la ville agrave la chasse et surtout en lui faisant

laquo admirer les colonnes commeacutemoratives eacuterigeacutees sur les places publiques24

raquo Il srsquoagit lagrave drsquoune

reacutefeacuterence aux nombreuses colonnes honorifiques qui se dressent en effet en diffeacuterents lieux

de la ville Elles ornent principalement plusieurs fora le long des deux branches

septentrionale et meacuteridionale de la Meacutesegrave et plusieurs drsquoentre elles datent lagrave encore de la fin

de lrsquoAntiquiteacute des ive et V

e siegravecles

25 Elles sont rattacheacutees agrave des noms prestigieux

drsquoempereurs Theacuteodose Ier

Arcadius ou Marcien tous lieacutes au destin oriental de lrsquoEmpire

romain Ces colonnes ne sont pas explicitement nommeacutees par notre auteur du XIIe siegravecle

20 Le Liber Pontificalis II p 180 mentionne en effet le palais drsquoIregravene ougrave sont accueillis les leacutegats avant de se

rendre au Grand Palais et ce palais drsquoIregravene se situe pregraves du port drsquoEleuthegravere et du forum Bovis cf R Janin

Constantinople byzantine p 38 et 131 Voir toutefois les vues contraires mais guegravere convaincantes de L

Duchesne dans Liber Pontificalis II n 33 p 188

21 R Janin Constantinople byzantine p 36-39 et p 103-104 le Milliaire drsquoOr ou Million est le pendant de

celui de Rome une sorte drsquoarc de triomphe double drsquoougrave partent toutes les routes impeacuteriales occidentales de

lrsquoEmpire et sur lequel ou pregraves duquel figurent des statues de Constantin de Trajan ou de Theacuteodose II

22 J Shepard ldquoByzantine Diplomacy AD 800-1204 Means and Endrdquo dans Byzantine Diplomacy eacuted J

Shepard et S Franklin Aldershot 1992 p 63-64

23 Anne Comnegravene Alexiade eacuted et trad B Leib 3 vol Paris 1967 VI X 9-11 vol II p 71 sur cet eacutepisode

voir deacutesormais E Malamut Alexis Ier Comnegravene Paris 2007 p 89-91 171-172

24 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip]τὰς κατὰ τὰς λεωφόρους ἱσταμένας στήλας ἀναθεωρεῖν Nous

reprenons ici la traduction proposeacutee par B Leib

25 R Janin Constantinople byzantine p 73-86 et 105 cf JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 278-

281 Sur lrsquointerpreacutetation propheacutetique que font les habitants de Constantinople des statues sur certaines des

colonnes de la ville G Dagron Patria [n 2] p 127-150 Lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial reste toutefois

eacutequivoque vis-agrave-vis de ces statues cf C Mango ldquoAntique Statuaryrdquo p 61-62

9

Neacuteanmoins leur mention ne doit pas paraicirctre anodine pour autant qursquoelle soit plutocirct rare dans

un tel contexte de reacuteception diplomatique26

En ce sens elle doit retenir de pregraves notre

attention car cet usage du patrimoine antique nrsquoest qursquoun des subterfuges parmi drsquoautres pour

combler le visiteur et conduire lrsquoempereur agrave ses fins Les colonnes antiques et autres lieux

publics sont preacutesenteacutes agrave lrsquoeacutemir turc de Niceacutee en mecircme temps que le basileus le convie aussi agrave

des chasses nous lrsquoavons dit et bien plus agrave des courses de chevaux Il srsquoagit non seulement

de combler lrsquohocircte des Byzantins mais aussi de deacutetourner son attention et prolonger le plaisir

de son seacutejour le temps qursquoAlexis Ier

fasse eacutetablir une place forte commandant lrsquoaccegraves agrave

Nicomeacutedie et agrave la Bithynie domineacutees par les forces drsquoAbucircrsquol Kasicircm27

Ces laquo deacutemonstrations

drsquoamitieacute raquo comme le dit Anne ne sont donc que feintes au sein desquelles la place des

richesses antiques du patrimoine urbain nrsquoest nullement ultime

Dans cet eacutepisode lrsquoaccegraves agrave lrsquohippodrome relegraveve drsquoun des eacuteleacutements de prestige

de la politique diplomatique drsquoAlexis Ier

La mecircme Anne Comnegravene preacutecise drsquoailleurs un peu

plus bas que la part majeure de ces distractions proposeacutees par son pegravere consistait en des

courses hippiques organiseacutees preacuteciseacutement pour lrsquooccasion laquo dans le theacuteacirctre construit jadis par

le grand Constantin28

raquo Une occasion lagrave encore de souligner par le lien avec ce passeacute la

richesse de la capitale et ses rapports eacutetroits avec le monde romain antique ndash drsquoapregraves notre

acception de ce dernier terme Multiples sont les reacutefeacuterences visuelles agrave lrsquoEmpire romain et

lrsquoEmpire romain tardif notamment pour qui assiste agrave des spectacles agrave lrsquohippodrome Ces

derniers sont bien connus gracircce agrave ce que nous en disent en premier lieu les textes byzantins

en particulier le De cerimoniis du milieu du xe siegravecle mais aussi les auteurs latins ou arabes

29

La structure architecturale du bacirctiment lrsquoest aussi preacuteciseacutement gracircce agrave ces textes tout comme

sa partie centrale la spina seacuteparant la piste en deux Sur cette spina il est bien connu que

statues colonnes et obeacutelisques ont eacuteteacute eacuterigeacutes sur ordre de Constantin dont certains encore

visibles aujourdrsquohui30

Lagrave encore il reste deacutelicat drsquoeacutevaluer dans quelle mesure exacte cette

26 Notons ici agrave quel point les colonnes de la capitale reviennent reacuteguliegraverement dans les descriptions des

diffeacuterents types de voyageurs musulmans A Miquel La geacuteographie humaine du monde musulman jusqursquoau

milieu du xie siegravecle Paris-La Haye t II 1972 p 426-428

27 Cf J Shepard ldquolsquoFatherrsquo or lsquoScorpionsrsquo Style and Substance in Alexiosrsquos Diplomacyrdquo dans Alexios I

Komnenos eacuted M Mullet et D Smythe Belfast 1996 p 78 83 et 93 replaccedilant cette visite dans lrsquoœuvre

diplomatique drsquoAlexis Ier

28 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip] τὸ πάλαι τῷ μεγάλῳ Κωνσταντίνῳ οἰκοδομηθὲν θέατρον Agrave

lrsquoorigine lrsquohippodrome est une construction de Septime Seacutevegravere agrandie ensuite par Constantin le Grand cf R

Janin Constantinople byzantine p 188-194

29 Il faut se reporter deacutesormais agrave lrsquoeacutetude deacutetailleacutee de lrsquohippodrome de G Dagron ldquoLrsquoorganisation et le

deacuteroulement des courses drsquoapregraves le Livre des ceacutereacutemoniesrdquo Travaux et Meacutemoires 13 (2000) p 3-174

30 MF Auzepy ldquoConstantinoplerdquo p 19-23 et fig 6 7 9 10 et 11 il srsquoagit de lrsquoobeacutelisque de maccedilonnerie de

la colonne serpentine ndash en bronze ceacuteleacutebrant la victoire des Grecs sur les Perses agrave Plateacutees en 478 avant J-C ndash

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

13

couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

14

Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

15

entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

16

envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

33

les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

34

Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

35

drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

36

recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

37

maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

38

France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

39

au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

40

en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

41

Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

42

drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

43

lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

Page 5: NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC …

5

mecircme que de lrsquoeacutevolution de cet emploi entre les viiie et xii

e siegravecles La perception de cette

eacutevolution nrsquoest elle non plus pas chose aiseacutee Plusieurs cateacutegories drsquoeacuteleacutements lieacutes agrave

lrsquoAntiquiteacute classique ou tardive de nos conceptions historiographiques peuvent neacuteanmoins

ecirctre distingueacutees et preacutesenteacutees dans ce cadre

Colonnes statues et bacirctiments antiques

La trace physique des ruines antiques entourant les habitants de lrsquoEmpire

demeure importante agrave Byzance en particulier dans sa capitale Constantinople Le patrimoine

architectural et la place des statues notamment sont omnipreacutesents et pas neacutecessairement agrave

lrsquoeacutetat de ruines Les Byzantins nrsquoen disent toutefois pas grand-chose comme lrsquoa constateacute

Cyril Mango 8 Nul doute toutefois qursquoils nrsquoont pas laisseacute sans reacuteaction les voyageurs

eacutetrangers de passage dans lrsquoEmpire qui confronteacutes agrave de tels vestiges en ont laisseacute

quelquefois eux-mecircmes des teacutemoignages eacutecrits9 Les eacutemissaires envoyeacutes officiels et hocirctes de

marque ne semblent pas devoir eacutechapper agrave cette constatation Leur teacutemoignage tout comme

la place des bacirctiments lieacutes agrave lrsquoAntiquiteacute que les autoriteacutes byzantines leur feraient miroiter

manquent pourtant singuliegraverement Agrave deacutefaut des rares mentions directes qui existent nous

pouvons toutefois proposer quelques suggestions

Si lrsquoon srsquoen tient agrave la seule capitale impeacuteriale la grandeur au sens propre

comme au sens figureacute des œuvres de lrsquoarchitecture antique saute neacutecessairement aux yeux

des ambassadeurs eacutetrangers degraves leur entreacutee agrave Constantinople par la porte Doreacutee Cette entreacutee

la plus au sud de la muraille terrestre qui ceint la ville semble avoir eacuteteacute celle ougrave passe une

partie des deacuteleacutegations diplomatiques en provenance de lrsquoOccident chreacutetien par la voie

terrestre Celle-ci incarneacutee par la ceacutelegravebre via Egnatia ndash voie romaine antique toujours en

usage agrave Byzance 10

ndash deacutebouche en effet par cette porte11

Elle constitue un monument

8 C Mango ldquoLrsquoattitude byzantine agrave lrsquoeacutegard des antiquiteacutes greacuteco-romainesrdquo dans Byzance et les imagescedil eacuted

A Guillou et J Duran Paris 1994 p 85-120 Ses observations p 103 sur lrsquoabsence totale de mention dans les

textes de Cyzique ndash pourtant proche de Constantinople abritant une carriegravere de marbre alimentant cette derniegravere

et conservant en outre des ruines impressionnantes comme celles du temple drsquoHadrien ndash sont toutefois agrave

nuancer du fait des mentions explicites de Michel Attaleiategraves au xie siegravecle cf A Cutler ldquoI Bizantini davanti

allrsquoarte e allrsquoarchitettura grecherdquo dans I Greci 3 I Greci oltre la Grecia eacuted S Settis Turin 2001 p 661-662

Dans une autre eacutetude C Mango souligne de plus que les tremblements de terre incendies ou actes de

vandalisme ont conduit agrave la destruction de nombreuses statues issues de lrsquoAntiquiteacute avant mecircme le deacutebut de la

peacuteriode meacutedio-byzantine ougrave drsquoapregraves lui il nrsquoen reste qursquoune centaine ldquoAntique Statuary and Byzantine

Beholderrdquo Dumbarton Oaks Papers (deacutesormais dop) 17 (1963) p 55 et 57-59

9 Sur ce point JPA Van Der Vin Travellers to Greece and Constantinople Ancient Monuments and Old

Traditions in Medieval Travellers Tales Nederlands Historisch-Archaeologisch Institut te Istanbul 2 vol 1980

10N Oikonomides ldquoThe Medieval via Egnatiardquo dans The via Egnatia under Ottoman rule (1380-1699) eacuted

E Zachariadou Rethymnon 1996 p 9-16 Soulignons toutefois que lrsquoemploi de cette route par les deacuteleacutegations

officielles ne semble total entre Dyrrachium et Constantinople qursquoagrave partir des anneacutees 860 cf M McCormick

6

imposant datant du deacutebut du ve siegravecle de notre egravere formeacutee de deux avant-corps sous forme

de tours recouvertes de marbre et proteacutegeant trois portes monumentales voie drsquoentreacutee dans la

ville Sa structure demeure visible aujourdrsquohui et lrsquoon sait que la porte centrale la plus eacuteleveacutee

des trois portes drsquoaccegraves eacutetaient surmonteacutee drsquoune statue en bronze doreacute figurant des eacuteleacutephants

tirant un char impeacuterial Nous savons ainsi avec preacutecision qursquoen septembre 869 une deacuteleacutegation

pontificale meneacutee par trois eacuteminents leacutegats est accueillie avec faste par les autoriteacutes

impeacuteriales avant leur entreacutee dans la capitale et notamment au passage de la porte Doreacutee12

Le deacuteploiement de richesses comme de dignitaires qui caracteacuterise cette arriveacutee a conduit les

historiens agrave le comparer agrave un adventus impeacuterial ndash cette entreacutee triomphale de lrsquoempereur selon

un ancien usage romain qui perdure agrave Byzance13

Neacuteanmoins rien nrsquoest dit dans le Liber

pontificalis de la monumentaliteacute de cette porte encore moins de son caractegravere ancien14

ni du

reste des autres monuments et lieux de la capitale renvoyant agrave son passeacute pluriseacuteculaire que

rencontrent les leacutegats en question pendant leur seacutejour

Le lecteur ne devra guegravere srsquoeacutetonner de dresser le mecircme constat avec un autre

acteur des eacutechanges diplomatique entre Byzance et lrsquoOccident chreacutetien exactement un siegravecle

plus tard lrsquoeacutevecircque Liutprand de Creacutemone Le teacutemoignage qursquoil a laisseacute de sa mission en 968

agrave Constantinople au nom de lrsquoempereur germanique Otton Ier

est un pamphlet contre

Byzance sa cour son empereur ses mœurs et sa capitale Quand bien mecircme ce texte

correspond agrave un exemplaire quasiment unique pour la peacuteriode meacutedio-byzantine de relation

drsquoambassade personnelle de lrsquoauteur la dimension antique de la ville byzantine dans laquelle

il reacuteside de longs mois y est totalement mise agrave lrsquoeacutecart15

La porte Doreacutee qui se dresse face agrave

Origins of the European Economy Communications and Commerce AD 300-900 Cambridge 2001 p 549-

553

11MF Auzepy ldquoConstantinople Des origines agrave 1025rdquo dans MF Auzepy et al Istanbul Paris 2002 p 35 et

les fig 29 et 30 R Janin Constantinople byzantine Deacuteveloppement urbain et reacutepertoire topographique Paris

19642 et ici p 269-273 et 330 pour ce qui suit

12 Liber pontificalis eacuted L Duchesne Paris 19552 vol II p 180 Jusqursquoalors leur accueil dans lrsquoEmpire a lui

aussi eacuteteacute fastueux notamment du fait de la qualiteacute des dignitaires qui les entourent agrave la porte Doreacutee mecircme

crsquoest le patriarche de Constantinople en personne qui est preacutesent

13 M McCormick Origins p 942-943 et les reacutefeacuterences sur le contexte diplomatique justifiant le faste de

lrsquoaccueil D Nerlich Diplomatische Gesandtschaften zwischen Ost und Westkaisern 756-1002 Bern 1999

p 201-204 sur lrsquoadventus et la porte Doreacutee C Mango ldquoThe Triumphal Way of Constantinople and the

Golden Gaterdquo DOP 54 (2000) p 174-188

14 Il faut toutefois rappeler qursquoune inscription latine accueille les visiteurs passant sous cette porte et la rattache

agrave la gloire drsquoun Theacuteodose ndash qursquoil faut certainement voir comme eacutetant Theacuteodose II cf R Janin Constantinople

byzantine p 269-270 et ses reacutefeacuterences En outre des bas-reliefs repreacutesentants des sujets de la mythologie greacuteco-

romaine (supplice de Promeacutetheacutee travaux drsquoHercule etc) existent alors visibles pour celui qui entre dans la

capitale et ce jusqursquoagrave la fin du xviiie siegravecle C Mango ldquoLrsquoattitude byzantinerdquo p 106-107

15 Le contexte est alors singuliegraverement tendu entre les deux cours impeacuteriales Liutprand venant proposer une

alliance matrimoniale au basileus Niceacutephore Phocas est mal accueilli car au mecircme moment son maicirctre

Otton Ier attaque lrsquoItalie du Sud byzantine consideacutereacutee comme chasse gardeacutee de lrsquoEmpire Dans ces conditions la

7

lui deacutebut juin 968 lorsqursquoil arrive devant Constantinople vaut tout juste la peine drsquoecirctre

mentionneacutee crsquoest devant elle qursquoil doit attendre plusieurs heures sous une pluie battante

avant que les autoriteacutes byzantines daignent lui ouvrir et lui permettre drsquoentrer dans la capitale

avec sa suite16

Au regard du contexte diplomatique qui entoure cette arriveacutee lrsquoabsence de

description du lieu est logique sa richesse de deacutecoration la crainte qursquoelle peut inspirer du

fait de sa fonction militaire au cœur des murailles de la ville tout comme ses origines

anciennes sont volontairement nieacutees Nul doute toutefois que le pouvoir impeacuterial byzantin a

pu mettre en avant ces eacuteleacutements lors de lrsquoarriveacutee de deacuteleacutegations diplomatiques comme celle

de Liutprand Comme le souligne en effet le chroniqueur byzantin Jean Skylitzegraves lrsquoempereur

Niceacutephore Phocas accueillant cette deacuteleacutegation germanique est aussi celui qui trois ans plus

tocirct a orneacute cette mecircme porte Doreacutee des portes de la citeacute de Mopsueste prises sur les Arabes

durant lrsquoeacuteteacute 96517

Rien ne contre-indique donc quand bien mecircme les deux textes utiliseacutes ici sont

plutocirct silencieux que le pouvoir impeacuterial ait pu mettre en exergue lrsquoancienneteacute de cette porte

drsquoaccegraves dans la capitale preacutefigurant en quelque sorte les autres monuments quelquefois bien

plus anciens que les eacutemissaires diplomatiques cocirctoieront dans la ville durant leur seacutejour Une

telle attitude des autoriteacutes byzantines srsquoinscrirait dans la logique du geste triomphaliste de

Niceacutephore Phocas valeur militaire et ancienneteacute du patrimoine architectural de la ville se

compleacutetant pour la gloire de lrsquoEmpire de lrsquoempereur et de sa capitale18

Lrsquoentreacutee commune agrave

Constantinople drsquoun eacutemissaire fatimide de marque et de lrsquoempereur Basile II moins de

quarante ans plus tard pourrait illustrer et renforcer cette mise en valeur19

mission de Liutprand ne peut en aucun cas aboutir et le rapport adresseacute agrave son maicirctre qursquoil a laisseacute sert aussi agrave

justifier son eacutechec Ce reacutecit vient de connaicirctre une traduction franccedilaise Liutprand de Creacutemone Ambassades agrave

Byzance trad de J Schnapp Toulouse 2005 p 45-101 et la preacutesentation de S Lerou p 25-29

16 Liudprandi Cremonensis Opera omnia eacuted P Chiesa Corpus Christianorum Continuatio Mediaeualis 156

Turnhout 1998 Legatio ad imperatorem 2 p 187 Pridie Nona Iunii [hellip] Constantinopolim ante portam

Caream venimus et usque ad undecimam horam cum equis non modica pluvia expectavimus undecima vero

hora non ratus Nicephorus nos dignos esse tam ornatos vestra misericordia equitare [Liutprand srsquoadresse ici agrave

Otton Ier] venire iussit

17 Jean Skylitzegraves Σύνοψις ἱστοριῶν eacuted I Thurn Berlin ndash New York 1973 p 270 voir en outre Jean

Skylitzegraves Empereurs de Constantinople trad B Flusin et notes de J-Cl Cheynet Paris 2003 p 227 et p 422

pour la chronologie cf C Mango ldquoThe Triumphal Wayrdquo p 186

18 Cette porte et ses eacuteleacutements statuaires antiques sont aussi deacutecrits par drsquoautres voyageurs principalement en

provenance de lrsquoIslam pendant la peacuteriode meacutedio-byzantine cf R Janin Constantinople byzantine p 271 et

ses reacutefeacuterences agrave al-Masrsquoudi ou al-Idrissi Voir aussi JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 77 120 252

525 et 548

19 Yahyacirc ibn Sarsquoicircd al-Antacirckicirc Histoire eacuted I Kratchovsky et trad G Troupeau et F Micheau Patrologia

Orientalis t 47 Turnhout 1997 p 469

8

La preacutesence dans la ville de deacuteleacutegations eacutetrangegraveres ou drsquohocirctes de marque est

assureacutement un autre moyen tangible de faire valoir le patrimoine antique de Constantinople

Venant drsquoOccident une fois passeacutee la porte Doreacutee crsquoest tout agrave la fois une forme de prospeacuteriteacute

urbaine dans sa dimension eacuteconomique de mecircme qursquoarchitecturale que lrsquoon expose de fait

aux eacutemissaires Ils empruntent comme cela semble le cas en 86920

la branche sud de la

Meacutesegrave ce boulevard central qui les conduit jusqursquoau Milliaire drsquoOr entre le Grand Palais et

lrsquoeacuteglise Sainte-Sophie dans la partie sud de la ville ndash une traverseacutee de la capitale scandeacutee par

la preacutesence de multiples fora21

Agrave deacutefaut drsquoemprunter cette voie degraves leur arriveacutee ils peuvent

en appreacutehender les richesses comme celles des autres lieux de la ville plus tard durant le

seacutejour ndash mecircme si leur liberteacute drsquoaction reste assez mal connue srsquoapparentant davantage agrave une

liberteacute surveilleacutee22

Crsquoest quelquefois le pouvoir impeacuterial qui deacutecide de leur exhiber tel ou tel

eacuteleacutement du patrimoine antique de sa capitale Agrave la fin du XIe siegravecle Alexis I

er en donne la

mesure lorsqursquoil reccediloit son voisin lrsquoeacutemir turc de Niceacutee Abucircrsquol Kasicircm23

Si lrsquoon en croit sa

fille Anne Comnegravene le basileus aurait quotidiennement entretenu lrsquointeacuterecirct de son hocircte de

marque par des invitations aux bains de la ville agrave la chasse et surtout en lui faisant

laquo admirer les colonnes commeacutemoratives eacuterigeacutees sur les places publiques24

raquo Il srsquoagit lagrave drsquoune

reacutefeacuterence aux nombreuses colonnes honorifiques qui se dressent en effet en diffeacuterents lieux

de la ville Elles ornent principalement plusieurs fora le long des deux branches

septentrionale et meacuteridionale de la Meacutesegrave et plusieurs drsquoentre elles datent lagrave encore de la fin

de lrsquoAntiquiteacute des ive et V

e siegravecles

25 Elles sont rattacheacutees agrave des noms prestigieux

drsquoempereurs Theacuteodose Ier

Arcadius ou Marcien tous lieacutes au destin oriental de lrsquoEmpire

romain Ces colonnes ne sont pas explicitement nommeacutees par notre auteur du XIIe siegravecle

20 Le Liber Pontificalis II p 180 mentionne en effet le palais drsquoIregravene ougrave sont accueillis les leacutegats avant de se

rendre au Grand Palais et ce palais drsquoIregravene se situe pregraves du port drsquoEleuthegravere et du forum Bovis cf R Janin

Constantinople byzantine p 38 et 131 Voir toutefois les vues contraires mais guegravere convaincantes de L

Duchesne dans Liber Pontificalis II n 33 p 188

21 R Janin Constantinople byzantine p 36-39 et p 103-104 le Milliaire drsquoOr ou Million est le pendant de

celui de Rome une sorte drsquoarc de triomphe double drsquoougrave partent toutes les routes impeacuteriales occidentales de

lrsquoEmpire et sur lequel ou pregraves duquel figurent des statues de Constantin de Trajan ou de Theacuteodose II

22 J Shepard ldquoByzantine Diplomacy AD 800-1204 Means and Endrdquo dans Byzantine Diplomacy eacuted J

Shepard et S Franklin Aldershot 1992 p 63-64

23 Anne Comnegravene Alexiade eacuted et trad B Leib 3 vol Paris 1967 VI X 9-11 vol II p 71 sur cet eacutepisode

voir deacutesormais E Malamut Alexis Ier Comnegravene Paris 2007 p 89-91 171-172

24 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip]τὰς κατὰ τὰς λεωφόρους ἱσταμένας στήλας ἀναθεωρεῖν Nous

reprenons ici la traduction proposeacutee par B Leib

25 R Janin Constantinople byzantine p 73-86 et 105 cf JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 278-

281 Sur lrsquointerpreacutetation propheacutetique que font les habitants de Constantinople des statues sur certaines des

colonnes de la ville G Dagron Patria [n 2] p 127-150 Lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial reste toutefois

eacutequivoque vis-agrave-vis de ces statues cf C Mango ldquoAntique Statuaryrdquo p 61-62

9

Neacuteanmoins leur mention ne doit pas paraicirctre anodine pour autant qursquoelle soit plutocirct rare dans

un tel contexte de reacuteception diplomatique26

En ce sens elle doit retenir de pregraves notre

attention car cet usage du patrimoine antique nrsquoest qursquoun des subterfuges parmi drsquoautres pour

combler le visiteur et conduire lrsquoempereur agrave ses fins Les colonnes antiques et autres lieux

publics sont preacutesenteacutes agrave lrsquoeacutemir turc de Niceacutee en mecircme temps que le basileus le convie aussi agrave

des chasses nous lrsquoavons dit et bien plus agrave des courses de chevaux Il srsquoagit non seulement

de combler lrsquohocircte des Byzantins mais aussi de deacutetourner son attention et prolonger le plaisir

de son seacutejour le temps qursquoAlexis Ier

fasse eacutetablir une place forte commandant lrsquoaccegraves agrave

Nicomeacutedie et agrave la Bithynie domineacutees par les forces drsquoAbucircrsquol Kasicircm27

Ces laquo deacutemonstrations

drsquoamitieacute raquo comme le dit Anne ne sont donc que feintes au sein desquelles la place des

richesses antiques du patrimoine urbain nrsquoest nullement ultime

Dans cet eacutepisode lrsquoaccegraves agrave lrsquohippodrome relegraveve drsquoun des eacuteleacutements de prestige

de la politique diplomatique drsquoAlexis Ier

La mecircme Anne Comnegravene preacutecise drsquoailleurs un peu

plus bas que la part majeure de ces distractions proposeacutees par son pegravere consistait en des

courses hippiques organiseacutees preacuteciseacutement pour lrsquooccasion laquo dans le theacuteacirctre construit jadis par

le grand Constantin28

raquo Une occasion lagrave encore de souligner par le lien avec ce passeacute la

richesse de la capitale et ses rapports eacutetroits avec le monde romain antique ndash drsquoapregraves notre

acception de ce dernier terme Multiples sont les reacutefeacuterences visuelles agrave lrsquoEmpire romain et

lrsquoEmpire romain tardif notamment pour qui assiste agrave des spectacles agrave lrsquohippodrome Ces

derniers sont bien connus gracircce agrave ce que nous en disent en premier lieu les textes byzantins

en particulier le De cerimoniis du milieu du xe siegravecle mais aussi les auteurs latins ou arabes

29

La structure architecturale du bacirctiment lrsquoest aussi preacuteciseacutement gracircce agrave ces textes tout comme

sa partie centrale la spina seacuteparant la piste en deux Sur cette spina il est bien connu que

statues colonnes et obeacutelisques ont eacuteteacute eacuterigeacutes sur ordre de Constantin dont certains encore

visibles aujourdrsquohui30

Lagrave encore il reste deacutelicat drsquoeacutevaluer dans quelle mesure exacte cette

26 Notons ici agrave quel point les colonnes de la capitale reviennent reacuteguliegraverement dans les descriptions des

diffeacuterents types de voyageurs musulmans A Miquel La geacuteographie humaine du monde musulman jusqursquoau

milieu du xie siegravecle Paris-La Haye t II 1972 p 426-428

27 Cf J Shepard ldquolsquoFatherrsquo or lsquoScorpionsrsquo Style and Substance in Alexiosrsquos Diplomacyrdquo dans Alexios I

Komnenos eacuted M Mullet et D Smythe Belfast 1996 p 78 83 et 93 replaccedilant cette visite dans lrsquoœuvre

diplomatique drsquoAlexis Ier

28 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip] τὸ πάλαι τῷ μεγάλῳ Κωνσταντίνῳ οἰκοδομηθὲν θέατρον Agrave

lrsquoorigine lrsquohippodrome est une construction de Septime Seacutevegravere agrandie ensuite par Constantin le Grand cf R

Janin Constantinople byzantine p 188-194

29 Il faut se reporter deacutesormais agrave lrsquoeacutetude deacutetailleacutee de lrsquohippodrome de G Dagron ldquoLrsquoorganisation et le

deacuteroulement des courses drsquoapregraves le Livre des ceacutereacutemoniesrdquo Travaux et Meacutemoires 13 (2000) p 3-174

30 MF Auzepy ldquoConstantinoplerdquo p 19-23 et fig 6 7 9 10 et 11 il srsquoagit de lrsquoobeacutelisque de maccedilonnerie de

la colonne serpentine ndash en bronze ceacuteleacutebrant la victoire des Grecs sur les Perses agrave Plateacutees en 478 avant J-C ndash

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

13

couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

14

Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

15

entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

16

envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

33

les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

34

Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

35

drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

36

recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

37

maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

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France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

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au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

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en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

41

Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

42

drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

43

lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

Page 6: NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC …

6

imposant datant du deacutebut du ve siegravecle de notre egravere formeacutee de deux avant-corps sous forme

de tours recouvertes de marbre et proteacutegeant trois portes monumentales voie drsquoentreacutee dans la

ville Sa structure demeure visible aujourdrsquohui et lrsquoon sait que la porte centrale la plus eacuteleveacutee

des trois portes drsquoaccegraves eacutetaient surmonteacutee drsquoune statue en bronze doreacute figurant des eacuteleacutephants

tirant un char impeacuterial Nous savons ainsi avec preacutecision qursquoen septembre 869 une deacuteleacutegation

pontificale meneacutee par trois eacuteminents leacutegats est accueillie avec faste par les autoriteacutes

impeacuteriales avant leur entreacutee dans la capitale et notamment au passage de la porte Doreacutee12

Le deacuteploiement de richesses comme de dignitaires qui caracteacuterise cette arriveacutee a conduit les

historiens agrave le comparer agrave un adventus impeacuterial ndash cette entreacutee triomphale de lrsquoempereur selon

un ancien usage romain qui perdure agrave Byzance13

Neacuteanmoins rien nrsquoest dit dans le Liber

pontificalis de la monumentaliteacute de cette porte encore moins de son caractegravere ancien14

ni du

reste des autres monuments et lieux de la capitale renvoyant agrave son passeacute pluriseacuteculaire que

rencontrent les leacutegats en question pendant leur seacutejour

Le lecteur ne devra guegravere srsquoeacutetonner de dresser le mecircme constat avec un autre

acteur des eacutechanges diplomatique entre Byzance et lrsquoOccident chreacutetien exactement un siegravecle

plus tard lrsquoeacutevecircque Liutprand de Creacutemone Le teacutemoignage qursquoil a laisseacute de sa mission en 968

agrave Constantinople au nom de lrsquoempereur germanique Otton Ier

est un pamphlet contre

Byzance sa cour son empereur ses mœurs et sa capitale Quand bien mecircme ce texte

correspond agrave un exemplaire quasiment unique pour la peacuteriode meacutedio-byzantine de relation

drsquoambassade personnelle de lrsquoauteur la dimension antique de la ville byzantine dans laquelle

il reacuteside de longs mois y est totalement mise agrave lrsquoeacutecart15

La porte Doreacutee qui se dresse face agrave

Origins of the European Economy Communications and Commerce AD 300-900 Cambridge 2001 p 549-

553

11MF Auzepy ldquoConstantinople Des origines agrave 1025rdquo dans MF Auzepy et al Istanbul Paris 2002 p 35 et

les fig 29 et 30 R Janin Constantinople byzantine Deacuteveloppement urbain et reacutepertoire topographique Paris

19642 et ici p 269-273 et 330 pour ce qui suit

12 Liber pontificalis eacuted L Duchesne Paris 19552 vol II p 180 Jusqursquoalors leur accueil dans lrsquoEmpire a lui

aussi eacuteteacute fastueux notamment du fait de la qualiteacute des dignitaires qui les entourent agrave la porte Doreacutee mecircme

crsquoest le patriarche de Constantinople en personne qui est preacutesent

13 M McCormick Origins p 942-943 et les reacutefeacuterences sur le contexte diplomatique justifiant le faste de

lrsquoaccueil D Nerlich Diplomatische Gesandtschaften zwischen Ost und Westkaisern 756-1002 Bern 1999

p 201-204 sur lrsquoadventus et la porte Doreacutee C Mango ldquoThe Triumphal Way of Constantinople and the

Golden Gaterdquo DOP 54 (2000) p 174-188

14 Il faut toutefois rappeler qursquoune inscription latine accueille les visiteurs passant sous cette porte et la rattache

agrave la gloire drsquoun Theacuteodose ndash qursquoil faut certainement voir comme eacutetant Theacuteodose II cf R Janin Constantinople

byzantine p 269-270 et ses reacutefeacuterences En outre des bas-reliefs repreacutesentants des sujets de la mythologie greacuteco-

romaine (supplice de Promeacutetheacutee travaux drsquoHercule etc) existent alors visibles pour celui qui entre dans la

capitale et ce jusqursquoagrave la fin du xviiie siegravecle C Mango ldquoLrsquoattitude byzantinerdquo p 106-107

15 Le contexte est alors singuliegraverement tendu entre les deux cours impeacuteriales Liutprand venant proposer une

alliance matrimoniale au basileus Niceacutephore Phocas est mal accueilli car au mecircme moment son maicirctre

Otton Ier attaque lrsquoItalie du Sud byzantine consideacutereacutee comme chasse gardeacutee de lrsquoEmpire Dans ces conditions la

7

lui deacutebut juin 968 lorsqursquoil arrive devant Constantinople vaut tout juste la peine drsquoecirctre

mentionneacutee crsquoest devant elle qursquoil doit attendre plusieurs heures sous une pluie battante

avant que les autoriteacutes byzantines daignent lui ouvrir et lui permettre drsquoentrer dans la capitale

avec sa suite16

Au regard du contexte diplomatique qui entoure cette arriveacutee lrsquoabsence de

description du lieu est logique sa richesse de deacutecoration la crainte qursquoelle peut inspirer du

fait de sa fonction militaire au cœur des murailles de la ville tout comme ses origines

anciennes sont volontairement nieacutees Nul doute toutefois que le pouvoir impeacuterial byzantin a

pu mettre en avant ces eacuteleacutements lors de lrsquoarriveacutee de deacuteleacutegations diplomatiques comme celle

de Liutprand Comme le souligne en effet le chroniqueur byzantin Jean Skylitzegraves lrsquoempereur

Niceacutephore Phocas accueillant cette deacuteleacutegation germanique est aussi celui qui trois ans plus

tocirct a orneacute cette mecircme porte Doreacutee des portes de la citeacute de Mopsueste prises sur les Arabes

durant lrsquoeacuteteacute 96517

Rien ne contre-indique donc quand bien mecircme les deux textes utiliseacutes ici sont

plutocirct silencieux que le pouvoir impeacuterial ait pu mettre en exergue lrsquoancienneteacute de cette porte

drsquoaccegraves dans la capitale preacutefigurant en quelque sorte les autres monuments quelquefois bien

plus anciens que les eacutemissaires diplomatiques cocirctoieront dans la ville durant leur seacutejour Une

telle attitude des autoriteacutes byzantines srsquoinscrirait dans la logique du geste triomphaliste de

Niceacutephore Phocas valeur militaire et ancienneteacute du patrimoine architectural de la ville se

compleacutetant pour la gloire de lrsquoEmpire de lrsquoempereur et de sa capitale18

Lrsquoentreacutee commune agrave

Constantinople drsquoun eacutemissaire fatimide de marque et de lrsquoempereur Basile II moins de

quarante ans plus tard pourrait illustrer et renforcer cette mise en valeur19

mission de Liutprand ne peut en aucun cas aboutir et le rapport adresseacute agrave son maicirctre qursquoil a laisseacute sert aussi agrave

justifier son eacutechec Ce reacutecit vient de connaicirctre une traduction franccedilaise Liutprand de Creacutemone Ambassades agrave

Byzance trad de J Schnapp Toulouse 2005 p 45-101 et la preacutesentation de S Lerou p 25-29

16 Liudprandi Cremonensis Opera omnia eacuted P Chiesa Corpus Christianorum Continuatio Mediaeualis 156

Turnhout 1998 Legatio ad imperatorem 2 p 187 Pridie Nona Iunii [hellip] Constantinopolim ante portam

Caream venimus et usque ad undecimam horam cum equis non modica pluvia expectavimus undecima vero

hora non ratus Nicephorus nos dignos esse tam ornatos vestra misericordia equitare [Liutprand srsquoadresse ici agrave

Otton Ier] venire iussit

17 Jean Skylitzegraves Σύνοψις ἱστοριῶν eacuted I Thurn Berlin ndash New York 1973 p 270 voir en outre Jean

Skylitzegraves Empereurs de Constantinople trad B Flusin et notes de J-Cl Cheynet Paris 2003 p 227 et p 422

pour la chronologie cf C Mango ldquoThe Triumphal Wayrdquo p 186

18 Cette porte et ses eacuteleacutements statuaires antiques sont aussi deacutecrits par drsquoautres voyageurs principalement en

provenance de lrsquoIslam pendant la peacuteriode meacutedio-byzantine cf R Janin Constantinople byzantine p 271 et

ses reacutefeacuterences agrave al-Masrsquoudi ou al-Idrissi Voir aussi JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 77 120 252

525 et 548

19 Yahyacirc ibn Sarsquoicircd al-Antacirckicirc Histoire eacuted I Kratchovsky et trad G Troupeau et F Micheau Patrologia

Orientalis t 47 Turnhout 1997 p 469

8

La preacutesence dans la ville de deacuteleacutegations eacutetrangegraveres ou drsquohocirctes de marque est

assureacutement un autre moyen tangible de faire valoir le patrimoine antique de Constantinople

Venant drsquoOccident une fois passeacutee la porte Doreacutee crsquoest tout agrave la fois une forme de prospeacuteriteacute

urbaine dans sa dimension eacuteconomique de mecircme qursquoarchitecturale que lrsquoon expose de fait

aux eacutemissaires Ils empruntent comme cela semble le cas en 86920

la branche sud de la

Meacutesegrave ce boulevard central qui les conduit jusqursquoau Milliaire drsquoOr entre le Grand Palais et

lrsquoeacuteglise Sainte-Sophie dans la partie sud de la ville ndash une traverseacutee de la capitale scandeacutee par

la preacutesence de multiples fora21

Agrave deacutefaut drsquoemprunter cette voie degraves leur arriveacutee ils peuvent

en appreacutehender les richesses comme celles des autres lieux de la ville plus tard durant le

seacutejour ndash mecircme si leur liberteacute drsquoaction reste assez mal connue srsquoapparentant davantage agrave une

liberteacute surveilleacutee22

Crsquoest quelquefois le pouvoir impeacuterial qui deacutecide de leur exhiber tel ou tel

eacuteleacutement du patrimoine antique de sa capitale Agrave la fin du XIe siegravecle Alexis I

er en donne la

mesure lorsqursquoil reccediloit son voisin lrsquoeacutemir turc de Niceacutee Abucircrsquol Kasicircm23

Si lrsquoon en croit sa

fille Anne Comnegravene le basileus aurait quotidiennement entretenu lrsquointeacuterecirct de son hocircte de

marque par des invitations aux bains de la ville agrave la chasse et surtout en lui faisant

laquo admirer les colonnes commeacutemoratives eacuterigeacutees sur les places publiques24

raquo Il srsquoagit lagrave drsquoune

reacutefeacuterence aux nombreuses colonnes honorifiques qui se dressent en effet en diffeacuterents lieux

de la ville Elles ornent principalement plusieurs fora le long des deux branches

septentrionale et meacuteridionale de la Meacutesegrave et plusieurs drsquoentre elles datent lagrave encore de la fin

de lrsquoAntiquiteacute des ive et V

e siegravecles

25 Elles sont rattacheacutees agrave des noms prestigieux

drsquoempereurs Theacuteodose Ier

Arcadius ou Marcien tous lieacutes au destin oriental de lrsquoEmpire

romain Ces colonnes ne sont pas explicitement nommeacutees par notre auteur du XIIe siegravecle

20 Le Liber Pontificalis II p 180 mentionne en effet le palais drsquoIregravene ougrave sont accueillis les leacutegats avant de se

rendre au Grand Palais et ce palais drsquoIregravene se situe pregraves du port drsquoEleuthegravere et du forum Bovis cf R Janin

Constantinople byzantine p 38 et 131 Voir toutefois les vues contraires mais guegravere convaincantes de L

Duchesne dans Liber Pontificalis II n 33 p 188

21 R Janin Constantinople byzantine p 36-39 et p 103-104 le Milliaire drsquoOr ou Million est le pendant de

celui de Rome une sorte drsquoarc de triomphe double drsquoougrave partent toutes les routes impeacuteriales occidentales de

lrsquoEmpire et sur lequel ou pregraves duquel figurent des statues de Constantin de Trajan ou de Theacuteodose II

22 J Shepard ldquoByzantine Diplomacy AD 800-1204 Means and Endrdquo dans Byzantine Diplomacy eacuted J

Shepard et S Franklin Aldershot 1992 p 63-64

23 Anne Comnegravene Alexiade eacuted et trad B Leib 3 vol Paris 1967 VI X 9-11 vol II p 71 sur cet eacutepisode

voir deacutesormais E Malamut Alexis Ier Comnegravene Paris 2007 p 89-91 171-172

24 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip]τὰς κατὰ τὰς λεωφόρους ἱσταμένας στήλας ἀναθεωρεῖν Nous

reprenons ici la traduction proposeacutee par B Leib

25 R Janin Constantinople byzantine p 73-86 et 105 cf JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 278-

281 Sur lrsquointerpreacutetation propheacutetique que font les habitants de Constantinople des statues sur certaines des

colonnes de la ville G Dagron Patria [n 2] p 127-150 Lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial reste toutefois

eacutequivoque vis-agrave-vis de ces statues cf C Mango ldquoAntique Statuaryrdquo p 61-62

9

Neacuteanmoins leur mention ne doit pas paraicirctre anodine pour autant qursquoelle soit plutocirct rare dans

un tel contexte de reacuteception diplomatique26

En ce sens elle doit retenir de pregraves notre

attention car cet usage du patrimoine antique nrsquoest qursquoun des subterfuges parmi drsquoautres pour

combler le visiteur et conduire lrsquoempereur agrave ses fins Les colonnes antiques et autres lieux

publics sont preacutesenteacutes agrave lrsquoeacutemir turc de Niceacutee en mecircme temps que le basileus le convie aussi agrave

des chasses nous lrsquoavons dit et bien plus agrave des courses de chevaux Il srsquoagit non seulement

de combler lrsquohocircte des Byzantins mais aussi de deacutetourner son attention et prolonger le plaisir

de son seacutejour le temps qursquoAlexis Ier

fasse eacutetablir une place forte commandant lrsquoaccegraves agrave

Nicomeacutedie et agrave la Bithynie domineacutees par les forces drsquoAbucircrsquol Kasicircm27

Ces laquo deacutemonstrations

drsquoamitieacute raquo comme le dit Anne ne sont donc que feintes au sein desquelles la place des

richesses antiques du patrimoine urbain nrsquoest nullement ultime

Dans cet eacutepisode lrsquoaccegraves agrave lrsquohippodrome relegraveve drsquoun des eacuteleacutements de prestige

de la politique diplomatique drsquoAlexis Ier

La mecircme Anne Comnegravene preacutecise drsquoailleurs un peu

plus bas que la part majeure de ces distractions proposeacutees par son pegravere consistait en des

courses hippiques organiseacutees preacuteciseacutement pour lrsquooccasion laquo dans le theacuteacirctre construit jadis par

le grand Constantin28

raquo Une occasion lagrave encore de souligner par le lien avec ce passeacute la

richesse de la capitale et ses rapports eacutetroits avec le monde romain antique ndash drsquoapregraves notre

acception de ce dernier terme Multiples sont les reacutefeacuterences visuelles agrave lrsquoEmpire romain et

lrsquoEmpire romain tardif notamment pour qui assiste agrave des spectacles agrave lrsquohippodrome Ces

derniers sont bien connus gracircce agrave ce que nous en disent en premier lieu les textes byzantins

en particulier le De cerimoniis du milieu du xe siegravecle mais aussi les auteurs latins ou arabes

29

La structure architecturale du bacirctiment lrsquoest aussi preacuteciseacutement gracircce agrave ces textes tout comme

sa partie centrale la spina seacuteparant la piste en deux Sur cette spina il est bien connu que

statues colonnes et obeacutelisques ont eacuteteacute eacuterigeacutes sur ordre de Constantin dont certains encore

visibles aujourdrsquohui30

Lagrave encore il reste deacutelicat drsquoeacutevaluer dans quelle mesure exacte cette

26 Notons ici agrave quel point les colonnes de la capitale reviennent reacuteguliegraverement dans les descriptions des

diffeacuterents types de voyageurs musulmans A Miquel La geacuteographie humaine du monde musulman jusqursquoau

milieu du xie siegravecle Paris-La Haye t II 1972 p 426-428

27 Cf J Shepard ldquolsquoFatherrsquo or lsquoScorpionsrsquo Style and Substance in Alexiosrsquos Diplomacyrdquo dans Alexios I

Komnenos eacuted M Mullet et D Smythe Belfast 1996 p 78 83 et 93 replaccedilant cette visite dans lrsquoœuvre

diplomatique drsquoAlexis Ier

28 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip] τὸ πάλαι τῷ μεγάλῳ Κωνσταντίνῳ οἰκοδομηθὲν θέατρον Agrave

lrsquoorigine lrsquohippodrome est une construction de Septime Seacutevegravere agrandie ensuite par Constantin le Grand cf R

Janin Constantinople byzantine p 188-194

29 Il faut se reporter deacutesormais agrave lrsquoeacutetude deacutetailleacutee de lrsquohippodrome de G Dagron ldquoLrsquoorganisation et le

deacuteroulement des courses drsquoapregraves le Livre des ceacutereacutemoniesrdquo Travaux et Meacutemoires 13 (2000) p 3-174

30 MF Auzepy ldquoConstantinoplerdquo p 19-23 et fig 6 7 9 10 et 11 il srsquoagit de lrsquoobeacutelisque de maccedilonnerie de

la colonne serpentine ndash en bronze ceacuteleacutebrant la victoire des Grecs sur les Perses agrave Plateacutees en 478 avant J-C ndash

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

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couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

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Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

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entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

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envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

33

les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

34

Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

35

drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

36

recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

37

maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

38

France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

39

au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

40

en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

41

Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

42

drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

43

lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

Page 7: NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC …

7

lui deacutebut juin 968 lorsqursquoil arrive devant Constantinople vaut tout juste la peine drsquoecirctre

mentionneacutee crsquoest devant elle qursquoil doit attendre plusieurs heures sous une pluie battante

avant que les autoriteacutes byzantines daignent lui ouvrir et lui permettre drsquoentrer dans la capitale

avec sa suite16

Au regard du contexte diplomatique qui entoure cette arriveacutee lrsquoabsence de

description du lieu est logique sa richesse de deacutecoration la crainte qursquoelle peut inspirer du

fait de sa fonction militaire au cœur des murailles de la ville tout comme ses origines

anciennes sont volontairement nieacutees Nul doute toutefois que le pouvoir impeacuterial byzantin a

pu mettre en avant ces eacuteleacutements lors de lrsquoarriveacutee de deacuteleacutegations diplomatiques comme celle

de Liutprand Comme le souligne en effet le chroniqueur byzantin Jean Skylitzegraves lrsquoempereur

Niceacutephore Phocas accueillant cette deacuteleacutegation germanique est aussi celui qui trois ans plus

tocirct a orneacute cette mecircme porte Doreacutee des portes de la citeacute de Mopsueste prises sur les Arabes

durant lrsquoeacuteteacute 96517

Rien ne contre-indique donc quand bien mecircme les deux textes utiliseacutes ici sont

plutocirct silencieux que le pouvoir impeacuterial ait pu mettre en exergue lrsquoancienneteacute de cette porte

drsquoaccegraves dans la capitale preacutefigurant en quelque sorte les autres monuments quelquefois bien

plus anciens que les eacutemissaires diplomatiques cocirctoieront dans la ville durant leur seacutejour Une

telle attitude des autoriteacutes byzantines srsquoinscrirait dans la logique du geste triomphaliste de

Niceacutephore Phocas valeur militaire et ancienneteacute du patrimoine architectural de la ville se

compleacutetant pour la gloire de lrsquoEmpire de lrsquoempereur et de sa capitale18

Lrsquoentreacutee commune agrave

Constantinople drsquoun eacutemissaire fatimide de marque et de lrsquoempereur Basile II moins de

quarante ans plus tard pourrait illustrer et renforcer cette mise en valeur19

mission de Liutprand ne peut en aucun cas aboutir et le rapport adresseacute agrave son maicirctre qursquoil a laisseacute sert aussi agrave

justifier son eacutechec Ce reacutecit vient de connaicirctre une traduction franccedilaise Liutprand de Creacutemone Ambassades agrave

Byzance trad de J Schnapp Toulouse 2005 p 45-101 et la preacutesentation de S Lerou p 25-29

16 Liudprandi Cremonensis Opera omnia eacuted P Chiesa Corpus Christianorum Continuatio Mediaeualis 156

Turnhout 1998 Legatio ad imperatorem 2 p 187 Pridie Nona Iunii [hellip] Constantinopolim ante portam

Caream venimus et usque ad undecimam horam cum equis non modica pluvia expectavimus undecima vero

hora non ratus Nicephorus nos dignos esse tam ornatos vestra misericordia equitare [Liutprand srsquoadresse ici agrave

Otton Ier] venire iussit

17 Jean Skylitzegraves Σύνοψις ἱστοριῶν eacuted I Thurn Berlin ndash New York 1973 p 270 voir en outre Jean

Skylitzegraves Empereurs de Constantinople trad B Flusin et notes de J-Cl Cheynet Paris 2003 p 227 et p 422

pour la chronologie cf C Mango ldquoThe Triumphal Wayrdquo p 186

18 Cette porte et ses eacuteleacutements statuaires antiques sont aussi deacutecrits par drsquoautres voyageurs principalement en

provenance de lrsquoIslam pendant la peacuteriode meacutedio-byzantine cf R Janin Constantinople byzantine p 271 et

ses reacutefeacuterences agrave al-Masrsquoudi ou al-Idrissi Voir aussi JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 77 120 252

525 et 548

19 Yahyacirc ibn Sarsquoicircd al-Antacirckicirc Histoire eacuted I Kratchovsky et trad G Troupeau et F Micheau Patrologia

Orientalis t 47 Turnhout 1997 p 469

8

La preacutesence dans la ville de deacuteleacutegations eacutetrangegraveres ou drsquohocirctes de marque est

assureacutement un autre moyen tangible de faire valoir le patrimoine antique de Constantinople

Venant drsquoOccident une fois passeacutee la porte Doreacutee crsquoest tout agrave la fois une forme de prospeacuteriteacute

urbaine dans sa dimension eacuteconomique de mecircme qursquoarchitecturale que lrsquoon expose de fait

aux eacutemissaires Ils empruntent comme cela semble le cas en 86920

la branche sud de la

Meacutesegrave ce boulevard central qui les conduit jusqursquoau Milliaire drsquoOr entre le Grand Palais et

lrsquoeacuteglise Sainte-Sophie dans la partie sud de la ville ndash une traverseacutee de la capitale scandeacutee par

la preacutesence de multiples fora21

Agrave deacutefaut drsquoemprunter cette voie degraves leur arriveacutee ils peuvent

en appreacutehender les richesses comme celles des autres lieux de la ville plus tard durant le

seacutejour ndash mecircme si leur liberteacute drsquoaction reste assez mal connue srsquoapparentant davantage agrave une

liberteacute surveilleacutee22

Crsquoest quelquefois le pouvoir impeacuterial qui deacutecide de leur exhiber tel ou tel

eacuteleacutement du patrimoine antique de sa capitale Agrave la fin du XIe siegravecle Alexis I

er en donne la

mesure lorsqursquoil reccediloit son voisin lrsquoeacutemir turc de Niceacutee Abucircrsquol Kasicircm23

Si lrsquoon en croit sa

fille Anne Comnegravene le basileus aurait quotidiennement entretenu lrsquointeacuterecirct de son hocircte de

marque par des invitations aux bains de la ville agrave la chasse et surtout en lui faisant

laquo admirer les colonnes commeacutemoratives eacuterigeacutees sur les places publiques24

raquo Il srsquoagit lagrave drsquoune

reacutefeacuterence aux nombreuses colonnes honorifiques qui se dressent en effet en diffeacuterents lieux

de la ville Elles ornent principalement plusieurs fora le long des deux branches

septentrionale et meacuteridionale de la Meacutesegrave et plusieurs drsquoentre elles datent lagrave encore de la fin

de lrsquoAntiquiteacute des ive et V

e siegravecles

25 Elles sont rattacheacutees agrave des noms prestigieux

drsquoempereurs Theacuteodose Ier

Arcadius ou Marcien tous lieacutes au destin oriental de lrsquoEmpire

romain Ces colonnes ne sont pas explicitement nommeacutees par notre auteur du XIIe siegravecle

20 Le Liber Pontificalis II p 180 mentionne en effet le palais drsquoIregravene ougrave sont accueillis les leacutegats avant de se

rendre au Grand Palais et ce palais drsquoIregravene se situe pregraves du port drsquoEleuthegravere et du forum Bovis cf R Janin

Constantinople byzantine p 38 et 131 Voir toutefois les vues contraires mais guegravere convaincantes de L

Duchesne dans Liber Pontificalis II n 33 p 188

21 R Janin Constantinople byzantine p 36-39 et p 103-104 le Milliaire drsquoOr ou Million est le pendant de

celui de Rome une sorte drsquoarc de triomphe double drsquoougrave partent toutes les routes impeacuteriales occidentales de

lrsquoEmpire et sur lequel ou pregraves duquel figurent des statues de Constantin de Trajan ou de Theacuteodose II

22 J Shepard ldquoByzantine Diplomacy AD 800-1204 Means and Endrdquo dans Byzantine Diplomacy eacuted J

Shepard et S Franklin Aldershot 1992 p 63-64

23 Anne Comnegravene Alexiade eacuted et trad B Leib 3 vol Paris 1967 VI X 9-11 vol II p 71 sur cet eacutepisode

voir deacutesormais E Malamut Alexis Ier Comnegravene Paris 2007 p 89-91 171-172

24 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip]τὰς κατὰ τὰς λεωφόρους ἱσταμένας στήλας ἀναθεωρεῖν Nous

reprenons ici la traduction proposeacutee par B Leib

25 R Janin Constantinople byzantine p 73-86 et 105 cf JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 278-

281 Sur lrsquointerpreacutetation propheacutetique que font les habitants de Constantinople des statues sur certaines des

colonnes de la ville G Dagron Patria [n 2] p 127-150 Lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial reste toutefois

eacutequivoque vis-agrave-vis de ces statues cf C Mango ldquoAntique Statuaryrdquo p 61-62

9

Neacuteanmoins leur mention ne doit pas paraicirctre anodine pour autant qursquoelle soit plutocirct rare dans

un tel contexte de reacuteception diplomatique26

En ce sens elle doit retenir de pregraves notre

attention car cet usage du patrimoine antique nrsquoest qursquoun des subterfuges parmi drsquoautres pour

combler le visiteur et conduire lrsquoempereur agrave ses fins Les colonnes antiques et autres lieux

publics sont preacutesenteacutes agrave lrsquoeacutemir turc de Niceacutee en mecircme temps que le basileus le convie aussi agrave

des chasses nous lrsquoavons dit et bien plus agrave des courses de chevaux Il srsquoagit non seulement

de combler lrsquohocircte des Byzantins mais aussi de deacutetourner son attention et prolonger le plaisir

de son seacutejour le temps qursquoAlexis Ier

fasse eacutetablir une place forte commandant lrsquoaccegraves agrave

Nicomeacutedie et agrave la Bithynie domineacutees par les forces drsquoAbucircrsquol Kasicircm27

Ces laquo deacutemonstrations

drsquoamitieacute raquo comme le dit Anne ne sont donc que feintes au sein desquelles la place des

richesses antiques du patrimoine urbain nrsquoest nullement ultime

Dans cet eacutepisode lrsquoaccegraves agrave lrsquohippodrome relegraveve drsquoun des eacuteleacutements de prestige

de la politique diplomatique drsquoAlexis Ier

La mecircme Anne Comnegravene preacutecise drsquoailleurs un peu

plus bas que la part majeure de ces distractions proposeacutees par son pegravere consistait en des

courses hippiques organiseacutees preacuteciseacutement pour lrsquooccasion laquo dans le theacuteacirctre construit jadis par

le grand Constantin28

raquo Une occasion lagrave encore de souligner par le lien avec ce passeacute la

richesse de la capitale et ses rapports eacutetroits avec le monde romain antique ndash drsquoapregraves notre

acception de ce dernier terme Multiples sont les reacutefeacuterences visuelles agrave lrsquoEmpire romain et

lrsquoEmpire romain tardif notamment pour qui assiste agrave des spectacles agrave lrsquohippodrome Ces

derniers sont bien connus gracircce agrave ce que nous en disent en premier lieu les textes byzantins

en particulier le De cerimoniis du milieu du xe siegravecle mais aussi les auteurs latins ou arabes

29

La structure architecturale du bacirctiment lrsquoest aussi preacuteciseacutement gracircce agrave ces textes tout comme

sa partie centrale la spina seacuteparant la piste en deux Sur cette spina il est bien connu que

statues colonnes et obeacutelisques ont eacuteteacute eacuterigeacutes sur ordre de Constantin dont certains encore

visibles aujourdrsquohui30

Lagrave encore il reste deacutelicat drsquoeacutevaluer dans quelle mesure exacte cette

26 Notons ici agrave quel point les colonnes de la capitale reviennent reacuteguliegraverement dans les descriptions des

diffeacuterents types de voyageurs musulmans A Miquel La geacuteographie humaine du monde musulman jusqursquoau

milieu du xie siegravecle Paris-La Haye t II 1972 p 426-428

27 Cf J Shepard ldquolsquoFatherrsquo or lsquoScorpionsrsquo Style and Substance in Alexiosrsquos Diplomacyrdquo dans Alexios I

Komnenos eacuted M Mullet et D Smythe Belfast 1996 p 78 83 et 93 replaccedilant cette visite dans lrsquoœuvre

diplomatique drsquoAlexis Ier

28 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip] τὸ πάλαι τῷ μεγάλῳ Κωνσταντίνῳ οἰκοδομηθὲν θέατρον Agrave

lrsquoorigine lrsquohippodrome est une construction de Septime Seacutevegravere agrandie ensuite par Constantin le Grand cf R

Janin Constantinople byzantine p 188-194

29 Il faut se reporter deacutesormais agrave lrsquoeacutetude deacutetailleacutee de lrsquohippodrome de G Dagron ldquoLrsquoorganisation et le

deacuteroulement des courses drsquoapregraves le Livre des ceacutereacutemoniesrdquo Travaux et Meacutemoires 13 (2000) p 3-174

30 MF Auzepy ldquoConstantinoplerdquo p 19-23 et fig 6 7 9 10 et 11 il srsquoagit de lrsquoobeacutelisque de maccedilonnerie de

la colonne serpentine ndash en bronze ceacuteleacutebrant la victoire des Grecs sur les Perses agrave Plateacutees en 478 avant J-C ndash

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

13

couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

14

Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

15

entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

16

envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

33

les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

34

Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

35

drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

36

recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

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maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

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France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

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au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

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en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

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Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

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drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

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lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

Page 8: NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC …

8

La preacutesence dans la ville de deacuteleacutegations eacutetrangegraveres ou drsquohocirctes de marque est

assureacutement un autre moyen tangible de faire valoir le patrimoine antique de Constantinople

Venant drsquoOccident une fois passeacutee la porte Doreacutee crsquoest tout agrave la fois une forme de prospeacuteriteacute

urbaine dans sa dimension eacuteconomique de mecircme qursquoarchitecturale que lrsquoon expose de fait

aux eacutemissaires Ils empruntent comme cela semble le cas en 86920

la branche sud de la

Meacutesegrave ce boulevard central qui les conduit jusqursquoau Milliaire drsquoOr entre le Grand Palais et

lrsquoeacuteglise Sainte-Sophie dans la partie sud de la ville ndash une traverseacutee de la capitale scandeacutee par

la preacutesence de multiples fora21

Agrave deacutefaut drsquoemprunter cette voie degraves leur arriveacutee ils peuvent

en appreacutehender les richesses comme celles des autres lieux de la ville plus tard durant le

seacutejour ndash mecircme si leur liberteacute drsquoaction reste assez mal connue srsquoapparentant davantage agrave une

liberteacute surveilleacutee22

Crsquoest quelquefois le pouvoir impeacuterial qui deacutecide de leur exhiber tel ou tel

eacuteleacutement du patrimoine antique de sa capitale Agrave la fin du XIe siegravecle Alexis I

er en donne la

mesure lorsqursquoil reccediloit son voisin lrsquoeacutemir turc de Niceacutee Abucircrsquol Kasicircm23

Si lrsquoon en croit sa

fille Anne Comnegravene le basileus aurait quotidiennement entretenu lrsquointeacuterecirct de son hocircte de

marque par des invitations aux bains de la ville agrave la chasse et surtout en lui faisant

laquo admirer les colonnes commeacutemoratives eacuterigeacutees sur les places publiques24

raquo Il srsquoagit lagrave drsquoune

reacutefeacuterence aux nombreuses colonnes honorifiques qui se dressent en effet en diffeacuterents lieux

de la ville Elles ornent principalement plusieurs fora le long des deux branches

septentrionale et meacuteridionale de la Meacutesegrave et plusieurs drsquoentre elles datent lagrave encore de la fin

de lrsquoAntiquiteacute des ive et V

e siegravecles

25 Elles sont rattacheacutees agrave des noms prestigieux

drsquoempereurs Theacuteodose Ier

Arcadius ou Marcien tous lieacutes au destin oriental de lrsquoEmpire

romain Ces colonnes ne sont pas explicitement nommeacutees par notre auteur du XIIe siegravecle

20 Le Liber Pontificalis II p 180 mentionne en effet le palais drsquoIregravene ougrave sont accueillis les leacutegats avant de se

rendre au Grand Palais et ce palais drsquoIregravene se situe pregraves du port drsquoEleuthegravere et du forum Bovis cf R Janin

Constantinople byzantine p 38 et 131 Voir toutefois les vues contraires mais guegravere convaincantes de L

Duchesne dans Liber Pontificalis II n 33 p 188

21 R Janin Constantinople byzantine p 36-39 et p 103-104 le Milliaire drsquoOr ou Million est le pendant de

celui de Rome une sorte drsquoarc de triomphe double drsquoougrave partent toutes les routes impeacuteriales occidentales de

lrsquoEmpire et sur lequel ou pregraves duquel figurent des statues de Constantin de Trajan ou de Theacuteodose II

22 J Shepard ldquoByzantine Diplomacy AD 800-1204 Means and Endrdquo dans Byzantine Diplomacy eacuted J

Shepard et S Franklin Aldershot 1992 p 63-64

23 Anne Comnegravene Alexiade eacuted et trad B Leib 3 vol Paris 1967 VI X 9-11 vol II p 71 sur cet eacutepisode

voir deacutesormais E Malamut Alexis Ier Comnegravene Paris 2007 p 89-91 171-172

24 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip]τὰς κατὰ τὰς λεωφόρους ἱσταμένας στήλας ἀναθεωρεῖν Nous

reprenons ici la traduction proposeacutee par B Leib

25 R Janin Constantinople byzantine p 73-86 et 105 cf JPA Van Der Vin Travellers to Greece p 278-

281 Sur lrsquointerpreacutetation propheacutetique que font les habitants de Constantinople des statues sur certaines des

colonnes de la ville G Dagron Patria [n 2] p 127-150 Lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial reste toutefois

eacutequivoque vis-agrave-vis de ces statues cf C Mango ldquoAntique Statuaryrdquo p 61-62

9

Neacuteanmoins leur mention ne doit pas paraicirctre anodine pour autant qursquoelle soit plutocirct rare dans

un tel contexte de reacuteception diplomatique26

En ce sens elle doit retenir de pregraves notre

attention car cet usage du patrimoine antique nrsquoest qursquoun des subterfuges parmi drsquoautres pour

combler le visiteur et conduire lrsquoempereur agrave ses fins Les colonnes antiques et autres lieux

publics sont preacutesenteacutes agrave lrsquoeacutemir turc de Niceacutee en mecircme temps que le basileus le convie aussi agrave

des chasses nous lrsquoavons dit et bien plus agrave des courses de chevaux Il srsquoagit non seulement

de combler lrsquohocircte des Byzantins mais aussi de deacutetourner son attention et prolonger le plaisir

de son seacutejour le temps qursquoAlexis Ier

fasse eacutetablir une place forte commandant lrsquoaccegraves agrave

Nicomeacutedie et agrave la Bithynie domineacutees par les forces drsquoAbucircrsquol Kasicircm27

Ces laquo deacutemonstrations

drsquoamitieacute raquo comme le dit Anne ne sont donc que feintes au sein desquelles la place des

richesses antiques du patrimoine urbain nrsquoest nullement ultime

Dans cet eacutepisode lrsquoaccegraves agrave lrsquohippodrome relegraveve drsquoun des eacuteleacutements de prestige

de la politique diplomatique drsquoAlexis Ier

La mecircme Anne Comnegravene preacutecise drsquoailleurs un peu

plus bas que la part majeure de ces distractions proposeacutees par son pegravere consistait en des

courses hippiques organiseacutees preacuteciseacutement pour lrsquooccasion laquo dans le theacuteacirctre construit jadis par

le grand Constantin28

raquo Une occasion lagrave encore de souligner par le lien avec ce passeacute la

richesse de la capitale et ses rapports eacutetroits avec le monde romain antique ndash drsquoapregraves notre

acception de ce dernier terme Multiples sont les reacutefeacuterences visuelles agrave lrsquoEmpire romain et

lrsquoEmpire romain tardif notamment pour qui assiste agrave des spectacles agrave lrsquohippodrome Ces

derniers sont bien connus gracircce agrave ce que nous en disent en premier lieu les textes byzantins

en particulier le De cerimoniis du milieu du xe siegravecle mais aussi les auteurs latins ou arabes

29

La structure architecturale du bacirctiment lrsquoest aussi preacuteciseacutement gracircce agrave ces textes tout comme

sa partie centrale la spina seacuteparant la piste en deux Sur cette spina il est bien connu que

statues colonnes et obeacutelisques ont eacuteteacute eacuterigeacutes sur ordre de Constantin dont certains encore

visibles aujourdrsquohui30

Lagrave encore il reste deacutelicat drsquoeacutevaluer dans quelle mesure exacte cette

26 Notons ici agrave quel point les colonnes de la capitale reviennent reacuteguliegraverement dans les descriptions des

diffeacuterents types de voyageurs musulmans A Miquel La geacuteographie humaine du monde musulman jusqursquoau

milieu du xie siegravecle Paris-La Haye t II 1972 p 426-428

27 Cf J Shepard ldquolsquoFatherrsquo or lsquoScorpionsrsquo Style and Substance in Alexiosrsquos Diplomacyrdquo dans Alexios I

Komnenos eacuted M Mullet et D Smythe Belfast 1996 p 78 83 et 93 replaccedilant cette visite dans lrsquoœuvre

diplomatique drsquoAlexis Ier

28 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip] τὸ πάλαι τῷ μεγάλῳ Κωνσταντίνῳ οἰκοδομηθὲν θέατρον Agrave

lrsquoorigine lrsquohippodrome est une construction de Septime Seacutevegravere agrandie ensuite par Constantin le Grand cf R

Janin Constantinople byzantine p 188-194

29 Il faut se reporter deacutesormais agrave lrsquoeacutetude deacutetailleacutee de lrsquohippodrome de G Dagron ldquoLrsquoorganisation et le

deacuteroulement des courses drsquoapregraves le Livre des ceacutereacutemoniesrdquo Travaux et Meacutemoires 13 (2000) p 3-174

30 MF Auzepy ldquoConstantinoplerdquo p 19-23 et fig 6 7 9 10 et 11 il srsquoagit de lrsquoobeacutelisque de maccedilonnerie de

la colonne serpentine ndash en bronze ceacuteleacutebrant la victoire des Grecs sur les Perses agrave Plateacutees en 478 avant J-C ndash

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

13

couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

14

Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

15

entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

16

envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

33

les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

34

Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

35

drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

36

recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

37

maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

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France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

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au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

40

en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

41

Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

42

drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

43

lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

Page 9: NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC …

9

Neacuteanmoins leur mention ne doit pas paraicirctre anodine pour autant qursquoelle soit plutocirct rare dans

un tel contexte de reacuteception diplomatique26

En ce sens elle doit retenir de pregraves notre

attention car cet usage du patrimoine antique nrsquoest qursquoun des subterfuges parmi drsquoautres pour

combler le visiteur et conduire lrsquoempereur agrave ses fins Les colonnes antiques et autres lieux

publics sont preacutesenteacutes agrave lrsquoeacutemir turc de Niceacutee en mecircme temps que le basileus le convie aussi agrave

des chasses nous lrsquoavons dit et bien plus agrave des courses de chevaux Il srsquoagit non seulement

de combler lrsquohocircte des Byzantins mais aussi de deacutetourner son attention et prolonger le plaisir

de son seacutejour le temps qursquoAlexis Ier

fasse eacutetablir une place forte commandant lrsquoaccegraves agrave

Nicomeacutedie et agrave la Bithynie domineacutees par les forces drsquoAbucircrsquol Kasicircm27

Ces laquo deacutemonstrations

drsquoamitieacute raquo comme le dit Anne ne sont donc que feintes au sein desquelles la place des

richesses antiques du patrimoine urbain nrsquoest nullement ultime

Dans cet eacutepisode lrsquoaccegraves agrave lrsquohippodrome relegraveve drsquoun des eacuteleacutements de prestige

de la politique diplomatique drsquoAlexis Ier

La mecircme Anne Comnegravene preacutecise drsquoailleurs un peu

plus bas que la part majeure de ces distractions proposeacutees par son pegravere consistait en des

courses hippiques organiseacutees preacuteciseacutement pour lrsquooccasion laquo dans le theacuteacirctre construit jadis par

le grand Constantin28

raquo Une occasion lagrave encore de souligner par le lien avec ce passeacute la

richesse de la capitale et ses rapports eacutetroits avec le monde romain antique ndash drsquoapregraves notre

acception de ce dernier terme Multiples sont les reacutefeacuterences visuelles agrave lrsquoEmpire romain et

lrsquoEmpire romain tardif notamment pour qui assiste agrave des spectacles agrave lrsquohippodrome Ces

derniers sont bien connus gracircce agrave ce que nous en disent en premier lieu les textes byzantins

en particulier le De cerimoniis du milieu du xe siegravecle mais aussi les auteurs latins ou arabes

29

La structure architecturale du bacirctiment lrsquoest aussi preacuteciseacutement gracircce agrave ces textes tout comme

sa partie centrale la spina seacuteparant la piste en deux Sur cette spina il est bien connu que

statues colonnes et obeacutelisques ont eacuteteacute eacuterigeacutes sur ordre de Constantin dont certains encore

visibles aujourdrsquohui30

Lagrave encore il reste deacutelicat drsquoeacutevaluer dans quelle mesure exacte cette

26 Notons ici agrave quel point les colonnes de la capitale reviennent reacuteguliegraverement dans les descriptions des

diffeacuterents types de voyageurs musulmans A Miquel La geacuteographie humaine du monde musulman jusqursquoau

milieu du xie siegravecle Paris-La Haye t II 1972 p 426-428

27 Cf J Shepard ldquolsquoFatherrsquo or lsquoScorpionsrsquo Style and Substance in Alexiosrsquos Diplomacyrdquo dans Alexios I

Komnenos eacuted M Mullet et D Smythe Belfast 1996 p 78 83 et 93 replaccedilant cette visite dans lrsquoœuvre

diplomatique drsquoAlexis Ier

28 Anne Comnegravene Alexiade vol II p 71 [hellip] τὸ πάλαι τῷ μεγάλῳ Κωνσταντίνῳ οἰκοδομηθὲν θέατρον Agrave

lrsquoorigine lrsquohippodrome est une construction de Septime Seacutevegravere agrandie ensuite par Constantin le Grand cf R

Janin Constantinople byzantine p 188-194

29 Il faut se reporter deacutesormais agrave lrsquoeacutetude deacutetailleacutee de lrsquohippodrome de G Dagron ldquoLrsquoorganisation et le

deacuteroulement des courses drsquoapregraves le Livre des ceacutereacutemoniesrdquo Travaux et Meacutemoires 13 (2000) p 3-174

30 MF Auzepy ldquoConstantinoplerdquo p 19-23 et fig 6 7 9 10 et 11 il srsquoagit de lrsquoobeacutelisque de maccedilonnerie de

la colonne serpentine ndash en bronze ceacuteleacutebrant la victoire des Grecs sur les Perses agrave Plateacutees en 478 avant J-C ndash

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

13

couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

14

Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

15

entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

16

envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

33

les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

34

Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

35

drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

36

recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

37

maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

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France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

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au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

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en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

41

Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

42

drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

43

lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

Page 10: NAISSANCE ET EVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC …

10

ancienneteacute a eacuteteacute revendiqueacutee pour ces eacuteleacutements preacutecis et employeacutee comme lrsquoun des outils de

la propagande diplomatique Il est toutefois certain qursquoils relegravevent bien du spectacle qui

srsquooffre aux yeux des spectateurs de cet hippodrome et qursquoils ne sont pas du reste les seuls

eacuteleacutements de la statuaire antique qui srsquoy trouvent

Jusqursquoau deacutebut du XIIe siegravecle au moins ces seacuteances agrave lrsquohippodrome ont un

poids politique et ideacuteologique consideacuterable permettant agrave lrsquoempereur un contact direct avec ses

sujets mais surtout un renouvellement reacutegulier de sa leacutegitimiteacute de souverain lieutenant de

Dieu sur terre Elles constituent aussi un moment privileacutegieacute pour les ambassadeurs eacutetrangers

et les hocirctes de marque pendant leur preacutesence dans la capitale Le cas des eacutemissaires arabo-

musulmans originaires de Tarse accueillis en grande pompe par Constantin VII et sa cour en

946 est bien connu et souvent citeacute en ce sens31

Il nrsquoest toutefois pas le seul32

Au XIIe siegravecle

encore des hocirctes illustres comme le roi Amaury Ier

de Jeacuterusalem ou le sultan Kilidj Arslacircn II

y sont accueillis par Manuel Ier

Comnegravene

Notons lagrave encore que sauf description drsquoautres types de voyageurs le lien

entre richesses antiques exposeacutees de fait aux ambassadeurs et ces derniers nrsquoapparaicirct guegravere

dans les textes Cela ne signifie nullement qursquoil nrsquoait pas eacuteteacute ressenti de fait reacutepeacutetons-le agrave

lrsquohippodrome comme en drsquoautres lieux de la capitale La description que donne Guillaume de

Tyr de la visite du roi de Jeacuterusalem agrave Constantinople en 1171 peut nous en convaincre

Lrsquoarchevecircque de Tyr et membre de la deacuteleacutegation qui accompagne le roi explique en deacutetail la

visite deacutetailleacutee de richesses de la ville exposeacutees par les soins des autoriteacutes byzantines Grand

palais eacuteglises monastegraveres oratoires et reliques sont preacutesenteacutes agrave cette deacuteleacutegation royale qui a

mecircme droit agrave un tour agrave lrsquoexteacuterieur de la capitale aux pieds des murailles terrestres et

maritimes Dans cette description ces eacuteleacutements du patrimoine urbain et religieux sont surtout

placeacutes sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec ceux relevant de lrsquoancienneteacute de la ville ainsi les colonnes

et arcs de triomphe qui nrsquoeacutechappent pas agrave lrsquoauteur ndash et encore moins au roi instruit qursquoil est agrave

leur sujet par de savants guides33

Ces diffeacuterents eacuteleacutements de la ville anciens ou non qui font

ainsi que de lrsquoobeacutelisque dit de Theacuteodose Ier provenant du temple de Touthmosis III agrave Karnak dont Constantin

avait le premier ordonneacute le transfert sur le Bosphore G Dagron ldquoLrsquoorganisationrdquo p 104-108 et le scheacutema de

sa reconstitution hypotheacutetique de la spina p 115

31 Constantin VII Porphyrogeacutenegravete De Ceremoniis aulae byzantinae libri duo eacuted JJ Reiske vol II Bonn

1830 II 15 p 588-590

32 Sur ce sujet notre eacutetude ldquoAmbassadeurs eacutetrangers agrave Constantinople moyens de contacts drsquoeacutechanges et de

connaissances partielles du monde byzantin (viiie-xiie siegravecles)rdquo dans Espaces drsquoeacutechanges en Meacutediterraneacutee

Antiquiteacute et Moyen Acircge eacuted F Cleacutement J Tolan et J Wilgaux Rennes 2006 p 116-118

33 Guillaume de Tyr Chronicon XX 24 p 945 Sed et urbem totam tum interius tum exterius simul et

ecclesias et monasteria quorum pene infinitus est numerus columpnas etiam tropheorum argumenta arcus

11

lrsquoenvi des voisins de lrsquoEmpire se mecirclent donc ici de maniegravere nette et sont singuliegraverement

mis en avant pour les inteacuterecircts diplomatiques de lrsquoEmpire Il nrsquoest pas possible de croire que

cette tactique de deacutemonstration de force et de prestige nrsquoait pas frappeacute les esprits ni nrsquoait eu

de conseacutequences comme crsquoest le cas en 1171 avec la signature drsquoune entente entre

Amaury Ier

et Manuel Ier

Srsquoil paraicirct davantage certain que le pouvoir impeacuterial avait conscience du poids

symbolique de son patrimoine architectural antique les interfeacuterences de cette conscience avec

lrsquoactiviteacute diplomatique proprement dite demeurent floues au regard du peu de textes qui en

font une mention explicite Lrsquoabsence de documentation est accrue si lrsquoon se tourne vers les

provinces byzantines laissant de cocircteacute la capitale Provenant de lrsquoOccident comme de

lrsquoOrient les deacuteleacutegations diplomatiques eacutetrangegraveres ont pourtant traverseacute des territoires qui ont

gardeacute des traces monumentales de lrsquoAntiquiteacute Mais lagrave encore la documentation reste le plus

souvent silencieuse comme elle lrsquoest drsquoune maniegravere globale sur les deacuteplacements mecircmes des

ambassades et des ambassadeurs Un cas constituant une exception peut cependant retenir

notre attention Il deacutemontre que dans le cadre drsquoune mission diplomatique temples et

bacirctiments de lrsquoAntiquiteacute peuvent attirer de tels voyageurs Agrave une date inconnue au milieu du

xe siegravecle un certain Abucirc Ishacircq ibn Shahracircm se rend dans lrsquoEmpire byzantin au nom de lrsquoeacutemir

hamdanide drsquoAlep Sayf ad-Dawla et srsquoy montre fort inteacuteresseacute par laquo un temple de construction

ancienne 34

raquo Il poursuit

Les anciens Grecs autrefois quand ils adoraient les astres et les idoles le

veacuteneacuteraient et venaient y faire priegraveres et sacrifices Je demandai au roi des Rucircm [= le basileus]

de bien vouloir me le faire ouvrir Mais il refusa parce qursquoil eacutetait fermeacute depuis le temps ougrave les

Rucircm srsquoeacutetaient converti au christianisme Je continuai agrave le solliciter respectueusement soit par

eacutecrit soit de vive voix quand jrsquoeacutetais reccedilu agrave sa cour et il finit par ordonner qursquoon ouvricirct le

quoque triomphales ducentibus eum proceribus et locorum gnaris dominus rex peragravit et singulorum

rationem et causam inquirens a viris antiquissimis et prudentibus plenius edoctus est On croit reconnaicirctre

derriegravere ces guides eacuteminents les quelques rares savants capables drsquoidentifier correctement les œuvres drsquoart

conserveacutees de la Gregravece antique comme de comprendre leurs inscriptions cf G Dagron ldquoByzance et la Gregravece

antiquerdquo p 200 Relevons en outre que les noms prestigieux de Constantin ou Theacuteodose apparaissent sous la

plume de Guillaume de Tyr agrave la mecircme occasion lorsqursquoil deacutecrit le patrimoine ancien mais chreacutetien des reliques

preacutesenteacutees au roi de Jeacuterusalem Guillaume de Tyr XX 23 p 944-945

34 Al-Nadicircm Firhist eacuted et trad B Dodge The Firhist of al-Nadicircm A Tenth Century Survey of Muslim

Culture New York-Londres 1970 vol II p 585-586 le passage en question a eacuteteacute traduit par AA Vasiliev

Byzance et les Arabes tII La dynastie maceacutedonienne 2egraveme partie extraits des sources traduites Bruxelles

1950 p 295-296 que nous suivons ici Crsquoest toutefois un autre auteur arabe al-Tanucirckhi qui deacutecrit aussi la

mission diplomatique de cet eacutemissaire en indiquant pour qui il agit cf M Canard ldquoDeux documents arabes sur

Bardas Skleacuterosrdquo dans Extraits des actes du Ve Congregraves drsquoeacutetudes byzantines Studi Bizantini e Neoellenici 5

Rome 1939 p 56 note 4

12

temple Crsquoeacutetait une construction faite drsquoeacutenormes quartiers de marbre et de pierre de toutes

couleurs sur les murs de laquelle il y avait un nombre inouiuml drsquoinscriptions et de sculptures

drsquoune beauteacute incomparable Ce temple renfermait une quantiteacute de livres anciens de quoi

charger un grand nombre de chameaux [hellip] dont les uns eacutetaient en excellent eacutetat tandis que

drsquoautres eacutetaient deacuteteacuterioreacutes et drsquoautres mangeacutes par les vers Jrsquoy vis aussi dit Ibn Shahracircm des

objets ayant servi au culte en or ou autre matiegravere Puis quand je fus sorti le temple fut

refermeacute car crsquoeacutetait une faveur qursquoon mrsquoavait faite en me le laissant visiter

Un tel passage meacuterite explication car plusieurs thegravemes importants pour notre

sujet srsquoy dessinent Lrsquointeacuterecirct tout drsquoabord pour ce laquo temple raquo ancien qui ne se situe pas dans

la capitale puisque lrsquoauteur dit plus bas qursquoil se trouve laquo agrave trois jours de Constantinople raquo

Cette preacutecision reste toutefois trop leacutegegravere pour que nous puissions le localiser davantage ndash

mecircme srsquoil faut a priori le situer dans la partie asiatique de lrsquoEmpire plus que celle

europeacuteenne car la premiegravere est mieux connue par des voyageurs qui comme Ibn Shahracircm

proviennent de lrsquoeacutemirat drsquoAlep crsquoest-agrave-dire des confins orientaux de lrsquoEmpire byzantin

Lrsquoeacutediteur et traducteur drsquoIbn al-Nadicircm B Dodge avait proposeacute de voir dans cette reacutefeacuterence

de lrsquoambassadeur une allusion agrave une bibliothegraveque du second siegravecle de notre egravere proche du

temple de DianeArteacutemis dans la citeacute drsquoEacutephegravese35

Lrsquoauteur avance ensuite que ce temple eacutetait

clos depuis la conversion des Byzantins au christianisme Compte tenu des richesses qursquoil

recegravele deacutecrites ensuite par le mecircme narrateur crsquoest lagrave une critique agrave peine dissimuleacutee agrave

lrsquoendroit des Byzantins Elle renvoie agrave un thegraveme freacutequent dans la litteacuterature arabo-

musulmane celle drsquoun heacuteritage helleacutenique ancien que les Byzantins ne sauraient conserver

correctement preacuteciseacutement du fait de leur christianisme fossoyeur de ce patrimoine Cette

critique prend une telle tournure qursquoelle en vient agrave justifier degraves lrsquoeacutepoque abbasside toute

entreprise de documentation sur lrsquoAntiquiteacute grecque par une forme de philhelleacutenisme dont

seul lrsquoIslam serait le garant

Dans ce cas du milieu du xe siegravecle ce patrimoine antique prend une triple

forme Il a une dimension architecturale avec les laquo quartiers de marbre et de pierre de toutes

35 B Dodge The Firhist of al-Nadicircm II p 586 note 52 cette bibliothegraveque serait celle eacuterigeacutee en la meacutemoire

drsquoun certain Tiberius Julius Celsus Polemaenus originaire drsquoEphegravese et proconsul drsquoAsie vers lrsquoan 106 cf J

Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo [n 5] p 172 et n 60 qui ne rejette pas cette proposition de B Dodge Relevons

toutefois que Cl Foss Ephesus after Antiquity A late antique Byzantine and Turkish City Cambridge 1979

ne fait pas le lien entre cette bibliothegraveque de Celsus qursquoil mentionne pour la peacuteriode antique de la citeacute et ce

passage drsquoIbn al-Nadicircm qursquoil ignore totalement Bien au contraire Cl Foss souligne p 65 et 134 la

transformation progressive de ce bacirctiment degraves la fin du ive siegravecle qui lrsquoeacuteloigne de sa fonction originelle de

bibliothegraveque avant qursquoil ne soit deacutefinitivement deacutetruit par un tremblement de terre au xe ou xie siegravecle

13

couleurs raquo avec un temple dont les murs sont recouverts drsquolaquo inscriptions raquo ainsi que des

laquo sculptures drsquoune beauteacute incomparable raquo propos qui font regretter que lrsquoauteur ne dise mot

de celles entrevues ailleurs et notamment agrave Constantinople Il a aussi une dimension

cultuelle soulignant le fait que le lieu visiteacute est bien un temple avec laquo des objets ayant servi

au culte raquo encore visible comme si ce lieu avait eacuteteacute figeacute depuis le temps des laquo anciens

Grecs raquo jusqursquoau xe siegravecle de notre egravere Il est enfin le reflet drsquoun patrimoine davantage lieacute aux

laquo livres raquo et manuscrits que renferme ce laquo temple raquo en grande quantiteacute de qualiteacute de

conservation variable aperccedilus par lrsquoeacutemissaire Avant de se tourner vers ce dernier type

drsquoheacuteritage il convient toutefois de souligner que lrsquoexemple drsquoIbn Shahracircm illustre une

attitude du pouvoir byzantin semblant se deacutesinteacuteresser totalement de telles richesses La

volonteacute de lrsquoambassadeur arabe de pouvoir acceacuteder agrave ce temple nrsquoapparaicirct qursquoen marge de sa

mission principale semble-t-il et seulement apregraves des demandes insistantes et reacutepeacuteteacutees de

lrsquointeacuteresseacute En aucun cas le pouvoir impeacuterial nrsquoaurait dans ce cas su tirer profit de son

patrimoine antique pour le faire valoir aupregraves du repreacutesentant drsquoun pouvoir et drsquoune

civilisation avides de tels eacuteleacutements culturels voire drsquoen constituer un eacuteleacutement de tractation

diplomatique Cela eacutetant dit il faut relativiser les propos de lrsquoeacutemissaire relayeacutes par Ibn al-

Nadicircm

Tout drsquoabord parce que la relation drsquoune mission diplomatique dans lrsquoEmpire

byzantin eacutemanant drsquoun auteur arabo-musulman nrsquoest jamais deacutepourvue drsquoune forte

subjectiviteacute loin srsquoen faut Au milieu de la peacuteriode meacutedio-byzantine lrsquoIslam est le grand

voisin et rival oriental de Byzance et inversement lrsquoEmpire byzantin et sa capitale restent un

but de conquecircte avoueacute des musulmans36

Agrave deacutefaut de rivaliteacutes sur le plan militaire les

contacts diplomatiques peuvent srsquoaveacuterer une maniegravere de poursuivre les conflits mais aussi les

eacutechanges sur des modes plus pacifiques Il nrsquoen demeure pas moins qursquoil faille se montrer

supeacuterieur agrave lrsquoautre et si ce nrsquoest plus par la voie des armes cela peut le devenir lors de telles

rencontres diplomatiques Reflet drsquoune culture et drsquoune ideacuteologie les textes abondent en ce

sens ndash et pas seulement les textes drsquoauteurs arabes mettant en avant la grandeur des

souverains de lrsquoIslam Par lrsquointermeacutediaire de son ambassadeur crsquoest assureacutement le souverain

qui sort grandi de cette nouvelle forme de confrontation Dans le cas preacutesent crsquoest Ibn

36 NM El Cheikh Byzantium p 60-71 Il est bien eacutetabli en outre que nombre de reacutecits mettant en scegravene des

eacutechanges diplomatiques entre Byzance et lrsquoIslam pendant les premiers siegravecles de leur relation sont des reacutecits

totalement leacutegendaires ou fortement impreacutegneacutes de leacutegendes devenues autant de laquo passages obligeacutes raquo sous la

plume des auteurs qui les composent cf A Kaplony Konstantinopel une Damaskus Gesandtschaften und

Vertraumlge zwischen Kaisern und Kalifen 639-750 Untersuchungen zum Gewohnheits-Voumllkerrecht und zur

interkulturellen Diplomatie Berlin 1996 p 249-359

14

Shahracircm qui triomphe en quelque sorte du basileus et des Byzantins plus largement en leur

mettant sous les yeux les richesses de leur Empire dont ils ne sauraient tirer parti Cette

critique renvoie agrave celle traditionnelle nous lrsquoavons vue preacutesentant les Byzantins comme

indignes de lrsquoheacuteritage et du savoir antiques Elle srsquoapparente donc agrave un lieu commun de la

litteacuterature arabe et en ce sens doit ecirctre relativiseacutee Enfin quand bien mecircme lrsquoambassadeur

hamdanide entrevoit les richesses dudit temple il nrsquoen beacuteneacuteficie guegravere car nrsquoen rapporte pas

avec lui37

Ce dernier point livre peut-ecirctre une preuve de lrsquointeacuterecirct au contraire que lrsquoon

aurait agrave Byzance agrave conserver pour soi ce patrimoine antique Il serait ainsi jalousement

conserveacute et surveilleacute par le pouvoir impeacuterial pour ecirctre exhibeacute aux seuls eacutetrangers qui en

seraient demandeurs dans un cadre officiel et diplomatique agrave lrsquoexclusion de tous les autres

Les manuscrits anciens dont ce temple du xe siegravecle regorge seraient de la sorte agrave placer sur un

pied drsquoeacutegaliteacute avec les autres reliques du patrimoine antique ndash colonnes statues et bacirctiments

prestigieux ndash que les autoriteacutes byzantines font admirer aux ambassadeurs et hocirctes de marque

eacutetrangers Pour tenter de valider ou non cette thegravese il convient drsquoeacutetudier davantage la place

des manuscrits antiques dans la diplomatie meacutedio-byzantine

Comme pour les eacuteleacutements qui preacutecegravedent il nrsquoest guegravere eacutevident drsquoeacutetablir un lien

eacutetroit entre lrsquoattitude du pouvoir impeacuterial vis-agrave-vis de cette forme de patrimoine antique que

sont les manuscrits et lrsquoactiviteacute diplomatique deacuteployeacutee par ce mecircme pouvoir Sans entrer dans

le deacutetail de lrsquohistoire des manuscrits antiques agrave Byzance et de leur transmission en-dehors de

lrsquoEmpire38

plusieurs aspects relatifs agrave notre probleacutematique peuvent toutefois ecirctre preacutesenteacutes et

analyseacutes

Lrsquohistorien Paul Lemerle a magistralement deacutemontreacute agrave quel point un laquo nouvel

humanisme raquo se deacuteveloppe agrave Byzance aux IXe et X

e siegravecles ravivant les modegraveles antiques La

redeacutecouverte de textes anciens dans plusieurs domaines du savoir est agrave lrsquoorigine drsquoune

renaissance byzantine que P Lemerle a qualifieacute de laquo premier humanisme raquo et dont la

chronologie et la nature des origines ont susciteacute plusieurs deacutebats39

Quel lien peut-on eacutetablir

37 Comme le souligne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 172

38 Au sein drsquoune ample bibliographie sur le sujet voir encore P Lemerle Le premier humanisme byzantin

Notes et remarques sur enseignement et culture agrave Byzance des origines au xe siegravecle Paris 1971 et plus

reacutecemment Literacy Education and Manuscript transmission in Byzantium and beyond eacuted C Holmes et J

Waring Leyde 2002

39 Cf avant lrsquoeacutetude de P Lemerle Humanisme les vues de J Irigoin ldquoSurvie et renouveau de la litteacuterature

antiquerdquo Cahiers de Civilisation Meacutedieacutevale 5 (1962) p 287-302 repris dans Id La tradition des textes grecs

15

entre cette redeacutecouverte des textes et les contacts diplomatiques de la cour byzantine avec

lrsquoexteacuterieur et en particulier le califat abbasside de Bagdad

Force est de constater tout drsquoabord que les noms des grands savants byzantins

ayant pris part au IXe siegravecle agrave cette renaissance sont aussi ceux qui sont lieacutes de pregraves ou de

loin agrave des eacutechanges officiels entre les deux cours en question Jean le Grammairien Leacuteon le

Matheacutematicien mais aussi le patriarche Photius ont tous les trois eu des contacts avec les

califes abbassides en ce siegravecle de maniegravere certaine ou ideacutealiseacutee40

Le premier comme le

troisiegraveme se rend en ambassade agrave Bagdad Jean le Grammairien en 829 quoique le but de sa

mission ait pu davantage ecirctre Damas Photius agrave une date posteacuterieure mais plus incertaine

entre 838 et 85541

Le second Leacuteon le Matheacutematicien ne quitte pas Constantinople mais il

est preacutesenteacute comme un savant solliciteacute par le calife al-Marsquomucircn pour venir dans sa capitale

eacutebloui qursquoaurait eacuteteacute le calife des connaissances en geacuteomeacutetrie de lrsquoun des disciples de Leacuteon

fait prisonnier

Que cette derniegravere histoire soit vraie ou fausse42

elle a pu contribuer agrave faire

prendre conscience aux Byzantins de la supeacuterioriteacute scientifique des Arabes en ce milieu du

IXe siegravecle La maniegravere dont le Continuateur de Theacuteophane preacutesente les eacutechanges eacutepistolaires

entre le calife et lrsquoempereur Theacuteophile lrsquoillustre avec force Elle teacutemoigne en outre de la faccedilon

dont la rivaliteacute entre les deux cours srsquoest deacuteplaceacutee vers le domaine intellectuel et culturel

Drsquoapregraves notre auteur les sollicitations drsquoal-Marsquomucircn se seraient soldeacutees globalement par une

fin de non-recevoir Le basileus en effet laquo ne voulait point ceacuteder agrave drsquoautres ce qui lui

appartenait en propre ni livrer aux barbares la connaissance des choses par lesquelles le

peuple romain est admireacute et estimeacute de tous raquo Cette attitude fait suite agrave une lettre du calife

Pour une critique historique Paris 2003 p 197-232 selon lequel lrsquoiconoclasme nrsquoa nullement entraicircneacute lrsquooubli

de la litteacuterature antique consideacutereacutee comme paiumlenne dans son ensemble

40Sur ces trois hommes P Magdalino ldquoThe Road to Baghdad in the Thought-World of Ninth-century

Byzantiumrdquo dans Byzantium in the Ninth-century Dead or Alive eacuted L Brubaker Aldershot 1998 p 195-

213 deux autres eacuteminentes figures byzantines de ce siegravecle prennent part agrave des ambassades vers le califat

abbasside le futur apocirctre des Slaves Constantin-Cyril et au tournant des ixe et xe siegravecles Leacuteon

Choirosphactegraves p 202-203

41 Lrsquoeacutetude de H Ahrweiler ldquoSur la carriegravere de Photius avant son patriarcatrdquo Byzantinische Zeitschrift 58

(1965) p 348-363 milite pour la premiegravere date J Irigoin ldquoSurvierdquo p 294 propose la seconde de mecircme F

Dvornik ldquoPhotiusrsquo Career in Teaching and Diplomacyrdquo Byzantinoslavica 34 (1973) p 217 notons que P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 203 propose 838 845 ou 855 voire une autre ambassade non reacutepertorieacutee

dans les sources agrave une autre date avant 858 moment de lrsquoeacuteleacutevation de Photius au patriarcat Voir encore

P Lemerle Humanisme p 37-40 et plus largement sur le contexte politique et militaire AA Vasiliev

Byzance et les Arabes t I La dynastie drsquoAmorium Bruxelles 1935 p 200 224-225 et 312-317

42D Gutas Penseacutee grecque p 270 la qualifie de laquo conte agrave dormir debout raquo et deacutenonce les byzantinistes qui y

apportent foi critiquant au passage P Lemerle Humanisme p 150-154 voir aussi les reacuteserves de P

Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 200-201

16

envoyeacutee agrave lrsquoempereur lui demandant de permettre agrave Leacuteon le Matheacutematicien de se rendre agrave

Bagdad pour qursquoil lui amegravene sa science ἐπιστήμη en eacutechange drsquoune somme de vingt

kentegravenaria drsquoor et drsquoun traiteacute assurant une paix eacuteternelle43

Pour caracteacuteristiques qursquoelles

soient ces donneacutees teacutemoignent neacuteanmoins drsquoune exageacuteration manifeste et symptomatique

drsquoune litteacuterature preacutesentant des contacts officiels entre deux souverains rivaux Elles

grandissent le prestige de Byzance du fait drsquoune science profane qui serait alors mieux

connue que partout ailleurs et conduirait le calife agrave formuler ces demandes reacutepeacuteteacutees pour la

venue du savant agrave Leacuteon mecircme puis agrave lrsquoempereur Elles paraissent pourtant bien

improbables ne serait-ce qursquoau regard de lrsquoideacutee mecircme drsquoune paix eacuteternelle proposeacutee agrave un

infidegravele dans un acte de la chancellerie officielle drsquoun souverain de lrsquoIslam44

Bien plus elles

cachent mal les reacuteelles avanceacutees de lrsquoentreprise de traduction des textes anciens agrave la cour

abbasside agrave la date preacutesumeacutee de ces contacts diplomatiques Ces derniers historiques ou non

permettent toutefois aux eacutelites byzantines drsquoappreacutehender la mesure de ces progregraves chez le

voisin oriental ndash progregraves en quelque sorte inverseacutes dans la version qursquoen donnent a posteriori

les chroniqueurs byzantins

De cette prise de conscience agrave la volonteacute drsquoeacutegaler lrsquoentourage des califes

abbassides participant agrave cet essor intellectuel sur fond de traduction des textes grecs anciens

il nrsquoy a qursquoun pas Il fait dire agrave certains historiens que la redeacutecouverte agrave Byzance drsquoune

grande partie du patrimoine antique srsquoest faite par imitation du modegravele donneacute par Bagdad

particuliegraverement connu gracircce aux contacts diplomatiques entre cours De fait la porteacutee

culturelle et plus preacuteciseacutement intellectuelle de ces eacutechanges au sommet de lrsquoEacutetat est

majeure et certainement plus consideacuterable que ne lrsquoeacutevaluait en son temps P Lemerle45

Si les

auteurs byzantins le dissimulent volontairement derriegravere des eacutepisodes ougrave il faut toujours que

43 Theophanes Continuatus p 190 le passage citeacute suit la traduction donneacutee par J Irigoin ldquoSurvierdquo p 292 n

35

44 Crsquoest un exemple souvent reacutepeacuteteacute que celui mettant en scegravene un ambassadeur byzantin souhaitant eacutetablir une

paix permanente avec les Fatimides et se voyant reacutepondre par le calife al-Mursquoizz en personne que lrsquoideacutee de paix

permanente avec un infidegravele est impossible au nom du djihacircd cf SM Stern ldquoAn Embassy of the Byzantine

Emperor to the Fatimid Caliph al-Mursquoizzrdquo Byzantion 20 (1950) p 246 il faut mecircme croire que le pouvoir

byzantin lrsquointegravegre dans ses pratiques diplomatiques car comme le fait remarquer un eacutepistolier officiel de la cour

au deacutebut du xe siegravecle au souverain bulgare une telle paix est impossible avec les laquo Sarrasins raquo en vertu drsquoune foi

diffeacuterente de la leur Theacuteodore Daphnopategraves Correspondance eacuted et trad J Darrouzegraves et LG Westerink Paris

1978 lettre 6 p 71

45 Celui-ci voulait drsquoabord deacutemontrer agrave quel point cette renaissance byzantine eacutetait lieacutee agrave des facteurs internes et

non externes rejetant de ce fait lrsquoinfluence arabe ndash qursquoelle se fasse ressentir par la voie diplomatique ou non

drsquoailleurs cf P Lemerle Humanisme p 22-42 et notamment p 36 et les critiques de D Gutas Penseacutee

grecque p 267 Deacutejagrave A Ducellier Chreacutetiens drsquoOrient et Islam au Moyen Acircge (viie-xve siegravecle) Paris 1996

p 207-208 srsquoeacutetonnait des positions de P Lemerle niant lrsquoimportance culturelle des eacutechanges drsquoambassades et la

redeacutecouverte des textes anciens par ce biais tant dans lrsquoIslam qursquoagrave Byzance

17

basileis et autoriteacutes byzantines aient la premiegravere place ils ne le cachent nullement dans

drsquoautres cas46

Il faut aussi souligner que les sollicitations des califes aux empereurs pour la

transmission des manuscrits est relativement ancienne et qursquoelles srsquoeffectuent toujours par la

voie officielle crsquoest-agrave-dire diplomatique avec lrsquoenvoi de courriers solennels de messages

drsquoambassadeurs Il est vrai que cette voie est assureacutement la plus sucircre les deacuteleacutegations

officielles privileacutegiant drsquoune maniegravere drsquoimmuniteacute pendant leur deacuteplacement Il est vrai aussi

que les chroniqueurs grecs et arabes deacutecrivent principalement ce canal officiel de

transmission mais il ne doit nullement en exclure drsquoautres Degraves la seconde moitieacute du

VIIIe siegravecle les califes al-Mansucircr puis al-Mahdicirc formulent des demandes de manuscrits aux

souverains de Constantinople souvent attesteacutees par des auteurs posteacuterieurs Le mouvement

srsquoamplifie au siegravecle suivant incarneacute en particulier par lrsquoactiviteacute du calife al-Marsquomucircn et

illustreacute par des eacutepisodes deacutejagrave entrevus Il est possible de croire que les Byzantins ont non

seulement pris deacutejagrave conscience de lrsquointensiteacute des traductions dans le monde abbasside mais

en plus qursquoils savent faire des manuscrits en leur possession un des outils pour satisfaire les

califes comme leur propre politique exteacuterieure Contrairement au refus de lrsquoempereur

Theacuteophile de ceacuteder aux barbares ces eacuteleacutements tireacutes de la richesse des Byzantins comme

lrsquoavance le Continuateur de Theacuteophane la cour byzantine reacutepond une fois de plus

favorablement aux attentes de son rival oriental Un auteur arabe avance ainsi qursquoun des

basileis preacuteceacutedents sans doute Michel II ceacuteda au calife des manuscrits de Platon Aristote

Hippocrate Galien Euclide et Ptoleacutemeacutee47

Les preacuteoccupations eacuterudites drsquoal-Marsquomucircn et de son entourage ont souvent

beaucoup retenu lrsquoattention de lrsquohistoriographie moderne48

Il est vrai que nombreux sont les

auteurs du Moyen Acircge qursquoils soient Arabes ou non qui ont deacutecrit ces relations entre le dit

calife et la cour byzantine49

Certains drsquoentre eux doivent encore retenir notre attention

46 Songeons ici au modegravele architectural que trouve la deacuteleacutegation byzantine conduite par Jean le Grammairien en

observant les palais dans le califat abbasside cf Al Ricci ldquoThe Road from Baghdad to Byzantium and the case

of the Bryas Palace in Istanbulrdquo dans Byzantium and the Ninth Century p 131-149 et sur une influence

cuturelle plus large J Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanos la cultura bizantina y el Islam en el siglo ixrdquo

Byzantion 72 (2002) p 419-429

47 Ibn Sacircrsquoid Al-Andalusicirc Tabaqacirct al-umam Le Livre des cateacutegories des Nations trad R Blachegravere Paris 1935

p 100 citeacute par J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 165 Il nous permet drsquoobserver au passage les domaines du

savoir au cœur de ces eacutechanges culturels et officiels philosophie meacutedecine matheacutematique et geacuteographie

48 D Gutas Penseacutee grecque p 127-165 ougrave lrsquoactiviteacute de ce calife est replaceacutee dans un large contexte de

politique exteacuterieure mais aussi inteacuterieure abbasside

49 Voir la recension que donne J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 164-170 nous reprenons trois des

exemples qursquoil fournit

18

permettant de se rendre compte que lrsquoon ne se tourne pas seulement vers Constantinople au

sein de lrsquoEmpire byzantin mais aussi vers lrsquoicircle de Chypre et de maniegravere plus hypotheacutetique la

citeacute drsquoAthegravenes Au xe siegravecle Ibn Nubacircta raconte ainsi que crsquoest vers le gouverneur byzantin

de Chypre qursquoal-Marsquomucircn formule une demande de livres grecs anciens preacutesents sur son

territoire apregraves heacutesitation et discussion du gouverneur et de ses associeacutes lui conseillant de

ne pas reacutepondre favorablement il suit davantage lrsquoavis drsquoun moine soulevant lrsquoideacutee que les

livres de science ne pourront que compromettre la foi des musulmans Un autre reacutecit de Ibn

al-Qifticirc (XIIIe siegravecle) est similaire aboutissant au mecircme reacutesultat apregraves intervention drsquoun

moine qui indique agrave lrsquoempereur directement solliciteacute cette fois-ci que les manuscrits anciens

demandeacutes par al-Marsquomucircn se situent dans un lieu inaccessible depuis lrsquoeacutepoque de lrsquoempereur

Constantin Lrsquoideacutee drsquoun lieu de deacutepocirct inaccessible qui nrsquoest pas sans rappeler les recherches

drsquoIbn Sharhacircm au Xe siegravecle reacuteapparaicirct dans un autre reacutecit turc du XVI

e siegravecle les œuvres

drsquoAristote souhaiteacutees par le mecircme calife seraient cacheacutees agrave Athegravenes apregraves avis de ses

conseillers lrsquoempereur ordonne la recherche puis lrsquoenvoi des manuscrits puisque eux aussi

pourront remettre en cause la foi musulmane

Certes lrsquoon se meacutefiera en particulier des reconstructions tregraves posteacuterieures aux

faits comme crsquoest le cas pour le dernier exemple Srsquoil ne faut pas apporter foi agrave lrsquointeacutegraliteacute

de ces teacutemoignages ils ont le meacuterite drsquoune certaine coheacuterence Sauf dans le second cas

lrsquoattitude des autoriteacutes byzantines est toujours la reacuteticence dans un premier temps suivie de

lrsquoapprobation puis de lrsquoenvoi de manuscrits antiques dans le but unique de confondre les

musulmans Agrave aucun moment le fait de disposer de ce patrimoine ancien requis par le pouvoir

rival ne conduit ces mecircmes autoriteacutes agrave en faire une autre arme un moyen de chantage lors de

neacutegociations diplomatiques par exemple On objectera agrave cela avec raison que ces reacutecits

eacutemanent drsquoauteurs lieacutes agrave lrsquoIslam qui plus est tregraves posteacuterieurs pour les deux derniers Notons

toutefois que ce mecircme patrimoine des manuscrits nrsquoapparaicirct nullement lors des tractations

preacuteceacutedant les multiples eacutechanges de prisonniers entre Byzance et les Abbassides aux ixe

et

xe siegravecles tels qursquoils sont preacutesenteacutes dans les sources arabes Ces textes sur ces eacutechanges

relativement nombreux si ritualiseacutes dans le temps et lrsquoespace et invariablement preacuteceacutedeacutes de

contacts diplomatiques entre Constantinople et Bagdad ne mentionnent jamais en effet cette

dimension culturelle50

ndash agrave lrsquoexception de celui de 946 nous allons le voir Est-elle dans ce

cadre si secondaire au point de ne pas ecirctre deacutecrite par les auteurs arabes ou bien les

50 M Campagnolo-Pothitou ldquoLes eacutechanges de prisonniers arabes entre Byzance et lrsquoIslam aux ixe et

xe siegraveclesrdquo Journal of Oriental and African Studies 7 (1995) p 1-56

19

ambassades agrave vocation intellectuelle ou culturelle sont-elles des missions agrave part qui suivent

un autre rythme qui parcourent drsquoautres lieux

Quelle qursquoen soit la reacuteponse ces contacts diplomatiques ougrave la place de

lrsquoAntiquiteacute sous forme de manuscrits est majeure contribuent agrave faire de lrsquoIslam le monde

intellectuellement le plus proche de Byzance degraves cette peacuteriode LrsquoIslam drsquoOccident nrsquoest pas

oublieacute dans ces eacutechanges officiels mais pas avant le milieu du xe siegravecle au regard de ce

qursquoen disent les sources Le fait le mieux connu est certainement lrsquoaccueil fastueux qui est

donneacute agrave Cordoue en 947 ou 948 en lrsquohonneur drsquoune deacuteleacutegation byzantine offrant au calife

umayyade un manuscrit grec du traiteacute de meacutedecine de Dioscoride ainsi qursquoun manuscrit latin

de lrsquoHistoriae adversus paganos drsquoOrose Ibn Abicirc Usaibilsquoa auteur et meacutedecin du

XIIIe siegravecle deacutecrit lrsquointeacuterecirct de la transmission de ces cadeaux de grands prix non sans

deacutecrire le second ouvrage laquo une admirable histoire des Romains contenant des traditions sur

les siegravecles passeacutes des anecdotes sur les rois drsquoautrefois51

raquo Agrave lrsquooccasion drsquoune demande par

lettre du calife agrave la cour byzantine le basileus envoie quelques anneacutees plus tard un certain

Nicolas moine pour traduire du grec agrave lrsquoarabe le traiteacute de Dioscoride ndash sa venue et la

traduction qursquoil reacutealise constituent les premiegraveres pierres drsquoune vive eacutemulation pour les eacutetudes

pharmacologiques et botaniques agrave Cordoue Observons lagrave encore que de tels eacutechanges

officiels entre ces deux partenaires pourtant lointains ont aussi une dimension technique et

artistique puisque peu de temps apregraves le calife al-Hakam II demande au basileus lrsquoenvoi drsquoun

mosaiumlste agrave Cordoue52

Crsquoest drsquoailleurs sous ce mecircme calife qursquoune lettre adresseacutee agrave ce dernier de la

part drsquoun empereur non identifieacute est connue conserveacutee en arabe sur un manuscrit aujourdrsquohui

madrilegravene contenant un extrait des œuvres drsquoApollonius de Tyane Cette lettre fait reacutefeacuterence

au courrier preacuteceacutedent drsquoal-Hakam queacutemandant lrsquoenvoi drsquoouvrages de philosophes agrave

Cordoue par le canal diplomatique Lrsquoempereur y reacutepond favorablement et le fait que sa

reacuteponse soit plutocirct adresseacutee agrave lrsquoun des hauts dignitaires juifs de lrsquoentourage du calife ne

change rien agrave sa porteacutee Il avance ainsi agrave son destinataire qursquoil a accumuleacute un grand nombre

de ces ouvrages qursquoil est donc precirct agrave transmettre avant de le louer pour ses qualiteacutes

51 AA Vasiliev Byzance et les Arabes t II2 p 186 Cf F Doumllger A Muumlller A Beihammer Regesten 1

Teil Regesten von 867-1025 Munich 2003 ndeg 657 La preacutesence drsquoun manuscrit latin agrave Constantinople agrave cette

date peut surprendre cf J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 183 n 84

52A Cutler ldquoConstantinople and Cordoba Cultural Exchange and Cultural Difference in the Ninth and Tenth

Centuriesrdquo dans La religioacuten en el mundo griego de la Antiguumledad a la Grecia moderna eacuted M Morfakidis et M

Alganza Roldaacuten Grenade 1997 p 425-426 et 431-432

20

intellectuelles lrsquoayant conduit agrave souhaiter ces livres53

Cette reacuteponse demeureacutee incomplegravete

est riche drsquoenseignements car elle montre agrave cette date un heacuteritage ancien et paiumlen dont on a

parfaitement assumeacute et assimileacute les vertus dans lrsquoIslam comme agrave Byzance En outre elle

teacutemoigne du fait que lrsquoenvoi de manuscrits antiques chez les voisins musulmans constitue

deacutesormais une habitude dans les pratiques diplomatiques byzantines54

Faute de teacutemoignage explicite la question reste ouverte du poids reacuteel de ces

manuscrits dans la balance des tractations diplomatiques Quand bien mecircme les textes

deacutecrivent ces contacts en mettant en avant la dimension intellectuelle de leurs reacutesultats avec

de tels dons impeacuteriaux ils cachent le plus souvent les reacuteelles motivations politiques et

strateacutegiques des parties neacutegociantes Dans le cas des eacutechanges avec Cordoue autour des

anneacutees 946-949 il a eacuteteacute deacutemontreacute que ces raisons politiques agrave lrsquoeacutechelle meacutediterraneacuteenne

eacutetaient en reacutealiteacute la clef de voucircte des relations actives avec Constantinople55

Conceacuteder des

manuscrits jugeacutes deacutesormais prestigieux agrave Byzance mais peut-ecirctre recopieacutes est-il le prix agrave

payer pour srsquoassurer de lrsquoentente du moins de la neutraliteacute des voisins musulmans Agrave deacutefaut

de reacuteponse preacutecise force est de constater au final que les mentions de manuscrits eacutechangeacutes

dans le cadre de relations diplomatiques avec lrsquoIslam ne sont pas rares et que la recherche de

manuscrits agrave Constantinople par le biais drsquoambassadeurs deacutesigneacutes par le pouvoir se poursuit

au-delagrave du xe siegravecle Le pouvoir byzantin en a pleinement conscience agrave notre sens et ce degraves le

ixe siegravecle au moins lrsquoinfluence politique aupregraves des basileis de mecircme que la qualiteacute

intellectuelle des hommes et eacutemissaires byzantins envoyeacutes vers les terres abbassides en ce

siegravecle semble pleinement lrsquoindiquer56

53 SM Stern ldquoA letter of the Byzantine Emperor to the Court of the Spanish Umayyad Caliph al-Hakamrdquo Al-

Andalus 26 (1961) p 37-42 qui identifie le reacuteel destinataire au courtisan juif Hasdacircy b Shaprucirct

54On ne sait toutefois pas srsquoil faut rattacher cette demande et cet envoi de manuscrits au contact citeacute

preacuteceacutedemment entre al-Hakam II et Niceacutephore Phocas aboutissant agrave lrsquoenvoi drsquoun mosaiumlste byzantin ou agrave un

contact posteacuterieur comme le suggegravere D Wasserstein ldquoByzantium and al-Andalusrdquo Mediterranean Historical

Review 2 (1987) p 99 n 15 suivi par F Doumllger et al Regesten 867-1025 ndeg 742a Agrave cette chronologie

srsquooppose J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalus en los siglos ix y xrdquo dans Bizancio y la peniacutensula ibeacuterica

De la antiguumledad tardiacutea a le edad moderna eacuted dans I Peacuterez Martiacuten et P Baacutedenas de la Pentildea Madrid 2004

p 229-230 et 243-244 qui la place ca 961

55 Deacutebutant avec lrsquoenvoi drsquoeacutemissaires laquo espagnols raquo agrave Constantinople en 946 attesteacutes par le Livre des

ceacutereacutemonies ces eacutechanges auraient eu pour but de srsquoassurer drsquoune entente mutuelle contre le califat fatimide et sa

preacutesence en Sicile et peut-ecirctre pour Byzance drsquoobtenir des gages de la neutraliteacute umayyade avant de lancer une

attaque contre la Cregravete musulmane cf C Halm The Empire of the Mahdi The Rise of the Fatimids Leyde-

New York-Cologne 1996 p 333-334 et J Signes Codontildeer ldquoBizancio y al-Aacutendalusrdquo p 212-228 et ses

reacutefeacuterences

56 Comme lrsquoa judicieusement noteacute P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 206 suivi en cela par J Signes

Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 435-436

21

Ce rocircle diplomatique des manuscrits anciens peut-il avoir eu une influence

similaire dans le cadre des relations de lrsquoEmpire byzantin avec lrsquoOccident chreacutetien Il est

eacutevident que la grande meacuteconnaissance de la langue grecque en Occident freine cette

transmission culturelle et lrsquointeacuterecirct que lrsquoon peut y trouver Neacuteanmoins ce constat nrsquoest pas

valable de maniegravere eacutequivalente dans toutes les reacutegions drsquoOccident drsquoune part et cet inteacuterecirct

semble aller grandissant avec le temps notamment durant le dernier siegravecle de la peacuteriode

drsquoautre part Quand bien mecircme les eacutechanges drsquoambassades sont freacutequents agrave lrsquoeacutepoque de

lrsquoEmpire carolingien lrsquoarriveacutee drsquoun manuscrit grec des œuvres du Pseudo-Denys

lrsquoAreacuteopagite semble une exception au sein des dons eacutechangeacutes dans ce cadre et surtout sa

premiegravere traduction latine est souvent incompreacutehensible Il faut noter avec J Lowden que les

cours et souverains drsquoOccident attendent autre chose que des manuscrits fussent-ils luxueux

parmi les dons offerts par la cour byzantine eacutetoffes de luxe soie vaisselle preacutecieuse et

surtout reliques et reliquaires sont des objets autrement plus priseacutes par ces princes57

De fait

les mentions de manuscrits notamment anciens ou traitant de peacuteriodes anciennes envoyeacutes

dans un cadre officiel et diplomatique sont relativement rares

Certes crsquoest bien dans un tel cadre que quelques ambassadeurs isoleacutes

repreacutesentants drsquoune eacutelite intellectuelle de leur temps et non ignorants de la langue grecque

peuvent comprendre tocirct lrsquointeacuterecirct pour eux de se rendre agrave Constantinople drsquoy acqueacuterir des

manuscrits et de les ramener en Occident Le cas drsquoAnastase le Bibliotheacutecaire est convaincant

en ce sens Helleacuteniste membre de lrsquoentourage des papes Nicolas Ier

et Hadrien II eacutemissaire

de lrsquoempereur carolingien Louis II dans la capitale byzantine en 869-870 il ramegravene

certainement de sa mission la Chronographia de Theacuteophane le Confesseur qursquoil traduit en

latin Ce texte est lrsquoune des sources sur lrsquohistoire de lrsquoEmpire romain drsquoOrient de la fin du

IIIe siegravecle jusqursquoau deacutebut du IX

e siegravecle

58 On ne saurait trop insister sur les conseacutequences de la

preacutesence de ce texte en Occident ndash mecircme si les eacuteleacutements sur lrsquoAntiquiteacute tardive y srsquoavegraverent

reacuteduits59

Un demi-siegravecle plus tard environ la venue drsquoun autre manuscrit grec agrave Naples lui

57 J Lowden ldquoLuxury Bookrdquo p 259-260 et dans le mecircme volume A Muthesius ldquoSilken Diplomacyrdquo

p 237-248

58 The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 trad C Mango

et R Scott Oxford 1997 p XCVII (Introduction) soulignant toutefois que la traduction drsquoAnastase reste

partielle jusqursquoau regravegne de Justin II

59 Ce texte a une porteacutee consideacuterable en Occident mecircme dans la version donneacutee par Anastase Il permet de

mieux connaicirctre lrsquohistoire de lrsquoEacuteglise chreacutetienne en Orient approfondissement rendu possible en outre par

drsquoautres documents grecs traduits par Anastase cf J Shepard ldquoPast and Futurerdquo [n 3] p 190 et ses

reacutefeacuterences Il est aussi un des premier moyens eacutecrits drsquoappreacutehender avec deacutetail en Occident lrsquohistoire des

premiers temps de lrsquoIslam J Tolan Les Sarrasins Paris 2003 p 157 219 et 233 Tout cela fait de la

22

aussi traduit en latin agrave la suite de lrsquoambassade meneacutee par lrsquoarchiprecirctre Leacuteon nrsquoest pas non

plus sans suite Lrsquoeacutemissaire se rend agrave Constantinople au nom du duc de Naples pour une

raison impreacutecise mais y rapporte surtout une version manuscrite grecque relatant lrsquohistoire et

les exploits drsquoAlexandre roi de Maceacutedoine Il srsquoagit lagrave drsquoun texte que Leacuteon ramegravene agrave Naples

puis traduit lui-mecircme en latin avant de le preacutesenter agrave lrsquoeacutepouse du duc sous cette version il

est la premiegravere forme latine du Roman drsquoAlexandre dont le succegraves en Occident nrsquoest plus agrave

deacutecrire60

Il convient de remarquer toutefois que lrsquoacquisition de manuscrits relatifs agrave

une partie de lrsquohistoire de lrsquoAntiquiteacute ne semble se deacuterouler dans ces deux derniers cas

qursquoen marge de la mission diplomatique des ambassadeurs en question Dans le cas

drsquoAnastase le fait est eacuteclaireacute puisque outre ses neacutegociations avec la cour de Basile Ier

pour

nouer une alliance matrimoniale avec les Carolingiens sa preacutesence agrave Constantinople est aussi

contemporaine du concile œcumeacutenique qui srsquoy tient auquel il participe au moins en partie et

dont il rapporte les actes vers Rome avant de les traduire Dans celui de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon si

le texte qui deacutecrit sa mission reste flou quant agrave son but il dit bien cependant que lrsquoeacutemissaire

srsquoeacutetait mis agrave la recherche de livres agrave lire pendant son seacutejour jusqursquoagrave ce qursquoil deacutecouvricirct le

manuscrit en question En aucun cas lrsquoinitiative semble provenir du pouvoir impeacuterial Celui-

ci du moins agrave cette date ne semble trouver aucun inteacuterecirct particulier agrave envoyer aux chreacutetiens

drsquoOccident ce type de don pour parvenir agrave ses fins diplomatiques avec eux ndash sauf srsquoil lui est

demandeacute61

chronique de Theacuteophane le dernier texte du Moyen Acircge lu agrave la fois par un public grec et latin comme le met en

avant W Berschin ldquoTraduzioni dal greco in latino (secoli iv-xiv)rdquo dans I Greci 3 [n7] p 1027

60 Monumenta ad Neapolitani ducatus historiam pertinentia eacuted B Capasso Naples 1881 t I p 339-340

Cette premiegravere version latine est conserveacutee dans un manuscrit des environs de lrsquoan mille le cod Bamberg III

E 14 cf C Jouanno Naissance et meacutetamorphoses du Roman drsquoAlexandre Domaine grec Paris 2002 p 51 n

39 Cette version grecque traduite en latin viendrait du Callisthegravene de lrsquoentourage drsquoAlexandre attribution

fausse et est ensuite diffuseacutee sous le nom drsquoHistoria de proeliis Si la venue de textes grecs depuis le cœur de

lrsquoEmpire byzantin pour ecirctre traduits agrave Naples est freacutequente dans la premiegravere moitieacute du xe siegravecle crsquoest sa nature

qui est novatrice une majoriteacute des textes transmis relevant de lrsquohagiographie cf P Chiesa ldquoLe traduzioni dal

greco lrsquoevoluzione della scuola napoletana nel x secolordquo Mitellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990)

p 67-86 et notamment p 82 Notons enfin ici qursquoAlexandre le Grand nrsquoeacutechappe pas aux relations officielles

entre Byzance et lrsquoIslam au mecircme moment Un texte fatimide nous informe qursquoun basileus aurait fait don au

calife al-Mulsquoizz drsquoune selle ayant appartenu agrave Alexandre M Hamidullah ldquoNouveaux documents sur les

rapports de lrsquoEurope avec lrsquoOrient musulman au Moyen Acircgerdquo Arabica 10 (1960) p 291

61 Dans ce cas de lrsquoarchiprecirctre Leacuteon rien nrsquoindique avec certitude que la demande ait bien eacuteteacute formuleacutee aupregraves

des autoriteacutes byzantines Indiquons cependant que lrsquoinitiative de la recherche de manuscrits grecs a pu

davantage provenir de la dynastie ducale alors favorable au deacuteveloppement de lrsquohelleacutenisme agrave Naples comme

geste politique marquant lrsquoadheacutesion de cette dynastie au ldquoCommonwealthrdquo byzantin cf JM Martin

ldquoHelleacutenisme politique helleacutenisme religieux et pseudo-helleacutenisme agrave Naples (viie-xie siegravecle)rdquo Neva JRwvmh

Rivista di ricerche bizantinistiche 2 (2005) p 59-77

23

Drsquoautres exemples vont dans le mecircme sens pour la peacuteriode posteacuterieure Ils

illustrent des hommes et traducteurs du grec en latin qui entrent en contact avec la cour

byzantine pour des raisons diplomatiques une fois de plus seacutejournent agrave Constantinople et

reviennent vers lrsquoOccident chargeacutes de ces manuscrits anciens Leur nombre grandissant

surtout pour le XIIe siegravecle leur inteacuterecirct lui aussi progressif pour les textes issus de lrsquoAntiquiteacute

est agrave rapprocher de la laquo renaissance culturelle raquo occidentale du XIIe siegravecle Aussi est-il

probable que le pouvoir byzantin soit dans ce cas davantage impliqueacute dans cette

transmission

Si le cas de lrsquoeacutevecircque Alfanus de Salerne pour la seconde partie du XIe siegravecle

peut ecirctre eacutevoqueacute crsquoest que lui aussi semble-t-il revient de la capitale byzantine avec un

preacutecieux manuscrit le Περὶ φύσεως ἀνθρώπων de Neacutemeacutesios drsquoEacutemegravese eacutevecircque de la fin du

IVe siegravecle

62 Certes ce lien entre ce manuscrit qursquoil possegravede et traduit et sa preacutesence agrave

Constantinople nrsquoest qursquoune hypothegravese geacuteneacuteralement retenue par lrsquohistoriographie De

mecircme ce passage de lrsquoeacutevecircque pregraves du Bosphore est plutocirct preacutesenteacute comme une halte sur le

chemin vers Jeacuterusalem mais le contexte geacuteopolitique particulier en sa date 1062 invite agrave

consideacuterer sa preacutesence sous le signe de la diplomatie63

Neacuteanmoins la transmission drsquoun tel

document est importante car elle est lrsquoune des œuvres illustrant lrsquoessor de lrsquoeacutecole meacutedicale de

Salerne ndash de mecircme qursquoAlfanus est consideacutereacute comme agrave lrsquoorigine de la venue agrave Salerne de

Constantin lrsquoAfricain depuis Carthage

Au siegravecle suivant la place de la diplomatie et des laquo diplomates raquo dans la

transmission de manuscrits anciens aux conseacutequences intellectuelles quelquefois

consideacuterables ne se deacutement pas Une bonne partie de la patristique grecque de la fin de

lrsquoAntiquiteacute et du haut Moyen Acircge est ainsi transmise en Occident gracircce agrave lrsquoactiviteacute drsquoun

Hugues de Honau Plusieurs fois ambassadeur au nom de lrsquoempereur germanique Freacutedeacuteric Ier

agrave la fin des anneacutees 1170 il revient vers son maicirctre avec deux traiteacutes compilant certains eacutecrits

de ces Pegraveres grecs ndash traiteacutes qui sont ceux du Pisan Hugues Etheacuterien bien en cours aupregraves de

Manuel Ier

Comnegravene64

Crsquoest un autre Pisan Leacuteon Toscan lui aussi traducteur agrave la cour de ce

63 KN Ciggaar Western Travellers to Constantinople The West and Byzantium 962-1204 Cultural and

Political Relations New York-Cologne 1996 p 257 n 18 H Bloch ldquoMonte Cassino Byzantium and the

West in the earlier Middle Ages (855-1112)rdquo DOP 3 (1946) p 220

64 NM Haumlring ldquoThe lsquoLiber de differentia naturae et personaersquo by Hugh Etherian and the letters adressed to

him by Peter of Vienna and Hugh of Honaurdquo Mediaeval Studies 24 (1962) p 1-34 p 18 notamment voir

24

mecircme empereur qui transmet une traduction latine des œuvres liturgiques de Jean

Chrysostome cette fois-ci agrave un ambassadeur de la couronne drsquoAragon Ramon de Moncada65

Ce sont encore les eacutecrits de ce mecircme Chrysostome qui inteacuteressent un troisiegraveme et dernier

Pisan le juge Burgonde Traducteur en outre drsquoœuvres de Basile de Ceacutesareacutee de Neacutemeacutesios

drsquoEmegravese ou de Jean Damascegravene il est surtout celui qui reacuteintroduit en Occident le Digeste du

Corpus Juris Civilis de Justinien ndash degraves 1140 crsquoest-agrave-dire quatre ans apregraves sa premiegravere

preacutesence diplomatique agrave Constantinople66

Hormis ce texte base drsquoun inteacuterecirct croissant pour le

droit romain en Occident les manuscrits transmis sont davantage lieacutes agrave des questions

religieuses en un temps ougrave les diffeacuterences disciplinaires et dogmatiques avec le filioque

conduisent agrave des controverses entre les repreacutesentants des mondes grec et latin Leur place

nrsquoest donc pas un hasard dans ce cadre

Neacuteanmoins ces mecircmes interpregravetes ou ambassadeurs latins savent se rendre

compte de lrsquoheacuteritage culturel byzantin qursquoil repose ou non sur lrsquoAntiquiteacute entendue au sens

strict De lrsquoaveu mecircme de lrsquoeacutemissaire Hugues de Honau des Grecs srsquoest eacutecouleacute la source de

toute sagesse ndash et il est possible de croire qursquoil inclut dans cette reacutefeacuterence tant lrsquoheacuteritage

ancien que celui meacutedieacuteval du monde grec Lrsquoinfluence du pouvoir impeacuterial dans cette

translatio studii vers lrsquoOccident nrsquoest jamais lointaine et la voie diplomatique semble celle

preacutefeacutereacutee parmi drsquoautres Cependant cette influence nrsquoapparaicirct une fois de plus que de

maniegravere implicite dans les sources Lrsquoheacuteritage antique que nous qualifions de classique ne

saurait toutefois ecirctre oublieacute dans ce cadre surtout lorsque la place du pouvoir byzantin dans

sa promotion apparaicirct de maniegravere plus explicite Les relations entre la cour impeacuteriale de

Manuel Ier

Comnegravene et la cour normande de Sicile en 1158 le deacutemontrent Crsquoest agrave cette date

que le roi Guillaume Ier

envoie agrave Constantinople son chancelier et archevecircque de Catane

qursquoest Henri Aristippe Ce dernier est aussi un traducteur au sein drsquoune cour royale sicilienne

ougrave preacutevaut un singulier trilinguisme latin grec et arabe Il revient surtout de la cour byzantine

avec un don impeacuterial sous forme drsquoun manuscrit la Μεγίστη σύνταξις de Claude Ptoleacutemeacutee ndash

davantage connu de nos jours sous le nom drsquoAlmageste de son nom arabe transmis au monde

latin Cette derniegravere transmission nrsquoest toutefois reacutealiseacutee par Geacuterard de Creacutemone qursquoapregraves

celle drsquoHenri Aristippe aideacute drsquoun autre traducteur provenant de Salerne Au-delagrave de lrsquousage

aussi A Dondaine ldquoHugues Etheacuterien et Leacuteon Toscanrdquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen

Acircge 27 (1952) p 89-92

65 A Dondaine ldquoHugues Etheacuterienrdquo p 119-120 sur le contexte MT Ferrer i Mallol D Duran i Duelt ldquoUna

ambaixada catalana a Constantinoble el 1176 i el matrimoni de la princesa Eudoxiardquo Anuarios de estudios

medievales 30 (2000) p 963-977

66 P Classen Burgondio von Pisa Richter Gesandter Uumlbersetzer Heidelberg 1974 p 12-13 19-29 69-70

et 75-76 pour ses ambassades de 1136 puis 1168-1171 et voir p 34-62 pour ses travaux de traducteur

25

de ce texte en Occident agrave partir de cette peacuteriode le geste impeacuterial paraicirct significatif car il

accompagne ou preacutecegravede de peu une paix de trente ans conclue entre les deux cours pourtant

parmi les plus opposeacutees en Meacutediterraneacutee orientale jusqursquoalors Un tel don a donc pu peser

dans les neacutegociations certainement meneacutees dans le cadre de cette ambassade par Henri

Aristippe lui-mecircme au regard de ses fonctions de chancelier agrave la cour de Sicile Certains

historiens rattachent en outre agrave cette mecircme mission lrsquointroduction drsquoautres grands textes de

lrsquoAntiquiteacute classique grecque dont le mecircme ambassadeur est le traducteur aveacutereacute par ailleurs67

Que ces textes aient ou non constitueacute tout ou partie du bagage diplomatique

des manuscrits grecs rameneacutes en Sicile par Aristippe ils ne doivent eacuteclipser le texte de

Ptoleacutemeacutee bien attesteacute lui en ce sens La promotion des richesses culturelles de lrsquoEmpire

byzantin opeacutereacutee de la sorte par Manuel Ier

Comnegravene aupregraves drsquoune cour eacutetrangegravere prend une

dimension encore plus significative si lrsquoon associe agrave cette mecircme ambassade de 1158 lrsquoarriveacutee

en Occident drsquoun manuscrit du Σύνοψις ἱστοριῶν de Jean Skylitzegraves Comme nous lrsquoavons

entrevu il srsquoagit lagrave drsquoun des textes majeurs pour appreacutehender lrsquohistoire de lrsquoEmpire byzantin

en 813 et 1057 ouvrage reacutedigeacute par un haut fonctionnaire de lrsquoEmpire agrave la fin du XIe ou au

deacutebut du XIIe siegravecle Ce texte degraves son origine a connu de multiples copies dont au moins

une richement enlumineacutee aujourdrsquohui conserveacutee agrave Madrid Drsquoapregraves la reconstitution de

lrsquohistoire de ce manuscrit un historien a mis en eacutevidence qursquoil aurait constitueacute un don

diplomatique de Manuel Ier

agrave Guillaume Ier

preacuteciseacutement agrave lrsquooccasion de lrsquoambassade drsquoHenri

Aristippe en 115868

Cette thegravese que le manuscrit enlumineacute ait eue ou non un modegravele initial

constantinopolitain est seacuteduisante dans notre optique De preacutesenter et drsquooffrir un tel ouvrage

mettant en valeur lrsquohistoire de lrsquoEmpire les faits et gestes de ses souverains relayant

lrsquoideacuteologie impeacuteriale et plus largement la culture byzantine nrsquoest nullement gratuit Bien

plus replaceacute dans le cadre de la transmission drsquoautres manuscrits grecs par le biais du mecircme

contact entre cours byzantine et normande ce geste du basileus donne agrave ces derniers drsquoautant

plus de poids sur le plan de la politique diplomatique impeacuteriale En ce sens il teacutemoigne une

67 CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 85-89 de mecircme les suppositions de J De Ghellink Lrsquoessor de

la litteacuterature latine au xiie siegravecle Paris 1946 t II p 34-35 Rappelons que lrsquoon doit agrave Aristippe la premiegravere

version latine de deux dialogues de Platon le Meacutenon et le Pheacutedon mais aussi des ouvrages laquo scientifiques raquo la

Mechanica de Heacuteron de Syracuse lrsquoOptica et la Catoptrica drsquoEuclide de mecircme que le quatriegraveme livre des

Meteorologica drsquoAristote

68 N G Wilson ldquoThe Madrid Scylitzesrdquo Scrittura e Civiltagrave 2 (1978) p 209-219 sur les diffeacuterents deacutebats

relatifs agrave lrsquohistoire de ce manuscrit madrilegravene voir deacutesormais la preacutesentation syntheacutetique de V Tsamakda The

Illustrated Chronicle of Ioannes Skylitzes in Madrid Leyde 2002 p 1-4 ougrave lrsquoon notera que depuis lrsquoeacutetude de

NG Wilson la transmission par la voie diplomatique de ce texte ne semble pas avoir eacuteteacute remise en cause

26

fois de plus du rocircle concret possible joueacute par ces manuscrits anciens dans la diplomatie

meacutedio-byzantine pour faire parvenir lrsquoempereur agrave ses fins69

Autour de la qualiteacute des ambassadeurs autres preacutesences de lrsquoAntiquiteacute

Agrave ces deux principaux liens entre Antiquiteacute et diplomatie meacutedio-byzantine

(deacutecouverte et fonctions du patrimoine architectural et transmission de manuscrits) srsquoen

ajoutent drsquoautres Ils sont plus isoleacutes dans les textes mais ne doivent pas ecirctre tenus sous

silence Souvent mentionneacutes par lrsquohistoriographie moderne nous ne ferons que les indiquer

pour meacutemoire ici

Il faut rappeler tout drsquoabord la culture intellectuelle des repreacutesentants

diplomatiques byzantins apregraves avoir donneacute un aperccedilu de celle des eacutemissaires eacutetrangers dans

lrsquoEmpire Nous ne pouvons-nous en tenir aux seuls ceacutelegravebres envoyeacutes impeacuteriaux vers lrsquoIslam

oriental du IXe siegravecle dont a deacutejagrave eacuteteacute signaleacute lrsquointeacuterecirct pour lrsquoAntiquiteacute ndash par le biais de leur

mission ou non Il faut constater pourtant que leurs exemples ne sont pas isoleacutes en cela En

946 par exemple en marge drsquointenses tractations en vue drsquoun eacutechange de prisonniers entre

Constantinople et les eacutemirats ikhshide puis hamdanide le geacuteographe arabe Masucircdicirc preacutecise

ainsi que lrsquoenvoyeacute byzantin laquo avait une grande connaissance de lrsquohistoire des rois de

lrsquoancienne Gregravece et de Rucircm et de celle des philosophes qui furent leurs contemporains il

nrsquoignorait drsquoailleurs pas leur systegraveme70

raquo Une mention qui est la seule agrave faire reacutefeacuterence agrave

notre connaissance agrave la culture intellectuelle des neacutegociateurs drsquoeacutechanges de prisonniers au

sein des auteurs arabes qui deacutecrivent ces derniers pour les IXe et x

e siegravecles Elle illustre aussi

agrave quel point la maicirctrise des savoirs anciens a du poids aux yeux drsquoun auteur arabe alors qursquoil

est par ailleurs bien eacutetabli que cette maicirctrise et surtout lrsquoart de la rheacutetorique constitue une

des armes des ambassadeurs byzantins plus geacuteneacuteralement71

Elle est donc lrsquoun des moyens de

persuasion pour la politique exteacuterieure impeacuteriale Elle ne vaut drsquoailleurs pas seulement pour

les relations avec lrsquoIslam Le theacuteologien et ex-ambassadeur agrave Byzance en 1136 Anselme de

Havelberg deacutecrit ainsi la venue agrave Rome drsquoun eacutemissaire byzantin un eacutevecircque laquo tregraves instruit des

69Des manuscrits des œuvres de Platon et drsquoAristote aujourdrsquohui agrave Oxford sont rattacheacutes agrave la cour impeacuteriale de

cette peacuteriode et sans certitude peuvent ecirctre lieacutes aux contacts eacutetroits entre le roi drsquoAngleterre Henri II et

Manuel Ier Comnegravene comme le suggegravere K Ciggaar Western Travellers p 153

70 Al-Masrsquoucircdicirc Le livre de lrsquoavertissement et de la reacutevision citeacute dans AA Vasiliev Byzance et les Arabes II2

p 407

71 N Koutrakou ldquoLogos and Pathos between Peace and War Rhetoric as a Tool of Diplomacy in Middle

Byzantine Periodrdquo Thesaurismata 25 (1995) p 7-20 et ici p 9 N Koutrakou deacutemontre agrave quelle point la

Rheacutetorique drsquoAristote a pu influencer la diplomatie byzantine de mecircme J Shepard ldquoUses of Historyrdquo p 98-

100

27

lettres grecques doueacute drsquoune bonne faciliteacute de parole et confiant en elle72

raquo Neacuteanmoins il faut

aussi souligner que ces connaissances de textes et auteurs anciens que possegravedent certains

ambassadeurs et dont ils usent le cas eacutecheacuteant sont aussi plus largement le reflet de la culture

des eacutelites byzantines73

Cette place de lrsquoAntiquiteacute en tant que science profane dans les relations

sociales et politiques peut toutefois ecirctre consideacutereacutee comme dangereuse Si lrsquoheacuteritage ancien

est inteacutegreacute dans le bagage intellectuel drsquoun des membres de cette eacutelite preacuteciseacutement lorsqursquoil

agit dans le cadre drsquoune repreacutesentation diplomatique il ne doit toutefois pas deacutepasser

certaines limites Aller trop loin dans ce savoir et dans la diffusion qursquoon en donne conduit en

effet agrave se voir accuser drsquoecirctre un Ἕλλην autrement dit un adepte du paganisme ndash accusation

grave agrave Byzance Est-ce un hasard si crsquoest un Leacuteon Choirosphactegraves plusieurs fois

ambassadeur aupregraves des Bulgares et des Arabes au tournant des IXe et X

e siegravecles soupccedilonneacute

de trop grandes sympathies envers lrsquoAntiquiteacute qui subit une telle accusation74

Drsquoune maniegravere ou drsquoune autre les reacutefeacuterences agrave lrsquoAntiquiteacute ndash qursquoelle soit selon

nos terminologies classique helleacutenistique tardive etc ndash ne semblent jamais lointaines

lorsqursquoil est question drsquoambassadeur byzantin drsquoautant plus lorsqursquoil est envoyeacute en Islam

Dans un texte du Xe siegravecle reprenant des prescriptions plus anciennes il est recommandeacute que

les ambassadeurs des basileis soient choisis pour leur discernement et leur loyauteacute Comme

preuve agrave lrsquoappui de ces recommandations le texte renvoie agrave deux exemples drsquoambassadeurs

de lrsquoAntiquiteacute Un tel document pourrait paraicirctre isoleacute srsquoil ne figurait pas en introduction

drsquoune des œuvres de compilation de lrsquoempereur Constantin VII Porphyrogeacutenegravete les Excerpta

de Legationibus visant agrave rassembler diffeacuterents reacutecits relatifs aux eacutechanges drsquoambassades

72Anselme de Havelberg Dialogues Livre I eacuted et trad G Salet Sources chreacutetiennes 118 Paris 1966 p 26-

27 episcopus Graecorum litteris plurimum instructus et decenti sermonum facundia ornatus et confisus

73 Ainsi en est-il drsquoun Niceacutetas Magistros neacutegociateur du traiteacute de paix avec les Bulgares en 927 et dont la

correspondance reacutevegravele une connaissance des œuvres drsquoHomegravere Plutarque Heacuterodote ou Aristote ndash

correspondance adresseacutee agrave des proches qui ont les mecircmes sujets drsquointeacuterecirct cf N Koutrakou ldquoLogos and

Pathosrdquo p 9 et ses reacutefeacuterences

74 G Kolias Leacuteon Choerosphactegraves magistre proconsul et patrice Athegravenes 1939 p 56-58 et note 6 p 58 et

p 65-71 lrsquoun de ses principaux deacutetracteurs est lrsquoeacutevecircque Areacutethas de Ceacutesareacutee neacuteanmoins cette accusation

drsquoimpieacuteteacute suit aussi une disgracircce politique cf P Magdalino ldquoRoad to Baghdadrdquo p 204-205 Plus tocirct Leacuteon le

Matheacutematicien est accuseacute drsquolaquo avoir abandonneacute le Christ pour les dieux de la Gregravece raquo J Irigoin ldquoSurvierdquo

p 292 Soulignons que cette accusation drsquo Ἕλλην prend aussi une dimension singuliegravere au ixe siegravecle du fait du

second iconoclasme et qursquoelle acquiert de la sorte une double connotation religieuse et intellectuelle cf J

Signes Codontildeer ldquoHelenos y Romanosrdquo p 431-437

28

entre Constantinople et les Eacutetats barbares reacutecits principalement issus de la peacuteriode finale de

lrsquoAntiquiteacute75

Il est enfin une ultime discipline et un dernier champ du savoir permettant de

rapprocher les acteurs des relations diplomatiques de la peacuteriode meacutedio-byzantine et

lrsquoAntiquiteacute lrsquoastronomie Si cette discipline figure derriegravere certains des manuscrits eacutechangeacutes

avec lrsquoIslam degraves le IXe siegravecle ou plus tard avec lrsquoOccident chreacutetien

76 elle apparaicirct aussi

reacuteguliegraverement dans le cadre de discussions agrave la cour byzantine entre leacutegats et autoriteacutes

impeacuteriales ou bien dans les preacuteoccupations intellectuelles de plusieurs de nos eacutemissaires

avant comme apregraves leur ambassade

Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des relations avec lrsquoIslam Lrsquoeacutevecircque

mozarabe Recemundo eacutemissaire agrave Byzance en 956 apregraves avoir rempli une mission agrave la cour

germanique au nom du calife umayyade Abd al-Rahmacircn III est aussi connu pour avoir eacuteteacute

appreacutecieacute du calife al-Hakam II du fait de ses connaissances en philosophie et en astronomie77

Peu de temps apregraves le qacircdicirc et ambassadeur al-Bacircqillacircni agrave la cour de Basile II est au cœur

drsquoune discussion astronomique sur la nature de la lune le mouvement des astres et

lrsquouniversaliteacute de lrsquoeacuteclipse solaire ndash eacutechanges deacutebouchant sur une controverse theacuteologique

entre lrsquoempereur et lrsquoenvoyeacute du calife abbasside78

Ces exemples nrsquoauraient rien drsquoimportant

si lrsquoon omettait de rappeler que lrsquoastronomie agrave Byzance est en grande partie fondeacutee sur les

heacuteritages antiques qui ne sont pas oublieacutes au premier rang desquels les travaux de Ptoleacutemeacutee

et les commentaires qui en sont faits degraves le ive siegravecle de notre egravere Bien plus Byzance trouve

une fois de plus en lrsquoIslam un partenaire avec qui elle peut eacutechanger des manuscrits sur ce

savoir dans un cadre diplomatique79

Les cas du IXe siegravecle ne sont plus agrave citer Ceux du

XIe siegravecle peuvent lrsquoecirctre ici car dans ces cas les manuscrits proviennent davantage de

75 Ces extraits drsquoœuvres anteacuterieures ne devaient constituer que lrsquoune des cinquante-trois sections drsquoune forme

drsquoencyclopeacutedie deacutecideacutee par lrsquoempereur en question issue de la recherche de manuscrits dans tout le territoire de

lrsquoEmpire et se donnant pour but de tirer des exemples du passeacute les bases drsquoun enseignement moral et politique

cf P Lemerle Humanisme p 280-288

76 Ainsi avec lrsquoAlmageste de Ptoleacutemeacutee voir les propos de CH Haskins ldquoThe Sicilian Translatorsrdquo p 77

77 C Pellat ldquoRabicirclsquo ibn Zaydrdquo Encyclopeacutedie de lrsquoIslam t VIII p 364 Deacutejagrave avant lui un autre eacutemissaire

provenant de Cordoue pouvait se targuer du titre drsquoastrologue et drsquoecirctre lrsquoinventeur drsquoun modegravele de clepsydre

un certain Yahyacirc dit ldquolrsquohomme agrave la petite horlogerdquo envoyeacute vers lrsquoempereur Theacuteophile au deacutebut des anneacutees 840

avec un autre astrologue et poegravete Yahyacirc al-Ghazacircl voir A Cutler ldquoConstantinople and Cordobardquo p 426 et

434

78 Iyadh Tarticircb al-madacircrik wa taqricircb al-masacirclik bi-malsquorifat madhab Macirclik eacuted SA Ilsquoracircb Teacutetouan 1982 VII

p 63-64 (nous remercions MT Mansouri qui nous a indiqueacute et traduit ce passage)

79 Il faut inteacutegrer ici lrsquoastrologie agrave lrsquoastronomie puisque si elles sont theacuteoriquement seacutepareacutees agrave Byzance elles

sont intimement lieacutees dans la pratique P Magdalino ldquoThe Byzantine reception of Classical Astrologyrdquo dans

Manuscript transmission [n 47] p 34 39-42

29

lrsquoEacutegypte fatimide certainement par la voie officielle80

Emploi de lrsquoantique collusion

drsquointeacuterecircts et eacutemulation intellectuelle par la voie diplomatique se conjuguent ici Ces eacuteleacutements

contribuent neacutecessairement agrave renforcer lrsquoideacutee drsquoune nette supeacuterioriteacute culturelle de ces deux

civilisations orientales sur celle de lrsquoOccident chreacutetien en cette fin du XIe siegravecle

81

Au Moyen Acircge

Le Moyen Acircge europeacuteen soppose de maniegravere fondamentale agrave leacutepoque

moderne par sa conception organiste dune communauteacute chreacutetienne et non dune juxtaposition

absolue dEacutetats souverains et eacutegaux Toutefois apregraves lan 1000 les relations internationales se

deacuteveloppent et neacutecessitent leacutelaboration de regravegles courants commerciaux eacutechange

dambassades En theacuteorie la guerre sauf contre les infidegraveles doit ecirctre eacuteviteacutee entre chreacutetiens

sa pratique est adoucie par des normes telles que la trecircve de Dieu ou la paix de Dieu Le

Moyen Age confirme lrsquoexistence drsquoinstitutions deacutejagrave bien assisses tels que les traiteacutes

internationaux et la neacutecessiteacute impeacuterieuse de les respecter le recours agrave lrsquoarbitrage pour reacutegler

les diffeacuterends entre princes et nations la prohibition de la guerre priveacutee les timides tentatives

drsquohumanisation de la guerre laquo juste raquo (trecircve de Dieu paix de Dieu) Le droit international

eacutevolue principalement sur deux terrains celui des relations diplomatiques et celui des

relations commerciales Le Moyen Age voit eacutegalement se mettre en place les premiers

Ministegraveres des Affaires Etrangegraveres et les ambassades permanentes un systegraveme sommaire

drsquoimmuniteacutes et de privilegraveges diplomatiques ainsi qursquoun systegraveme speacutecifique de protection

consulaire non chreacutetienne Lrsquoessor des eacutechanges commerciaux par voie maritime favorise

lrsquoapparition des premiegraveres regravegles du droit de la mer Le droit international public trouve ces

origines directes dans le deacuteveloppement de la notion de souveraineteacute des Etats et dans

lrsquoapparition des premiers Etats modernes

80 A Tihon laquo Les textes astronomiques arabes importeacutes agrave Byzance aux xie et xiie siegravecles raquo dans Occident et

Proche-Orient contacts scientifiques au temps des Croisades eacuted I Draelents et alTurnhout 2000 p 321-324

81Crsquoest preacuteciseacutement en aoucirct 1087 que profitant de lrsquoarriveacutee imminente drsquoune eacuteclipse de soleil indiqueacutee par les

calculs astronomiques lrsquoempereur Alexis Ier Comnegravene reacuteussit agrave exposer son savoir et confondre une deacuteleacutegation

petcheacutenegravegue Anne Comnegravene Alexiade VII II 8 vol II p 92-93 et J Shepard ldquoPast and Futurerdquo p 171 n

1 pour une autre datation Une similaire connaissance astronomique de Leacuteon VI impressionne le souverain

bulgare Symeacuteon agrave la fin du ixe siegravecle Leacuteon Choerosphactegraves Magistre lettre ndeg 1 p 76-77 Notons que

lrsquoeacutemulation et la ressemblance culturelles entre Byzance et lrsquoIslam sur ce point sont perccedilues en 968 par

lrsquoambassadeur Liutprand de Creacutemone lorsqursquoil deacutecrit les livres sibyllins qui existent ldquochez les Grecs et les

Sarrasinsrdquo conduisant agrave des propheacuteties proposeacutees par des astronomi Liutprand de Creacutemone Legatio 39-43

p 204-206 et voir deacutesormais P Magdalino LrsquoOrthodoxie des astrologues La science entre le dogme et la

divination agrave Byzance (viie-xive siegravecle) Paris 2006 p 83 Ces eacuteleacutements ne sont pas sans rappeler les livres de

magie et de divination qui srsquoeacutechangent degraves la fin du viiie siegravecle entre lrsquoempereur Leacuteon IV et le calife al-Mahdicirc

J Signes Codontildeer ldquoDiplomaciardquo p 159-160

30

Figure et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la

pratique

Motifs de reacuteflexions fragmentaires dans les miroirs des princes figures

discregravetes et hors-norme dans les dispositions statutaires italiennes1 les ambassadeurs

occupent pourtant agrave la fin du Moyen Acircge une place essentielle dans des eacutecrits diplomatiques

dont le nombre et la diversiteacute srsquoaccroissent Des sauf-conduits les protegravegent des lettres de

creacuteance les identifient des pouvoirs leur donnent capaciteacute agrave traiter ils emportent souvent des

instructions coucheacutees sur papier ou parchemin entretiennent des correspondances avec leurs

mandants et parfois copient mecircme dans un laquo journal raquo les documents expeacutedieacutes ou reccedilus au

cours de leur mission Ces eacutecrits pragmatiques veacutehiculent-ils alors des normes geacuteneacuterales de

comportement formuleacutees de maniegravere explicite Reacutedigeacutes essentiellement pour transmettre des

ordres pour informer et garder meacutemoire les instructions les eacutechanges eacutepistolaires et les

journaux se fondent-ils en Occident sur des reacutefeacuterences communes eacutevoquent-ils des regravegles et

des faccedilons drsquoagir partout similaires Dans quelle mesure contribuent-ils agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun

savoir sur la neacutegociation

Pour une premiegravere approche compareacutee de la question on a choisi drsquoobserver la

situation de cinq puissances entre le milieu du XIIIe siegravecle et le milieu du XV

e siegravecle les

royaumes du Portugal de Castille et de France lrsquoEmpire et plus succinctement la couronne

drsquoAragon Un tour drsquohorizon de la documentation publieacutee agrave laquelle pour lrsquoessentiel se

limitera lrsquoanalyse reacutevegravele drsquoembleacutee de fortes dispariteacutes Les journaux drsquoambassade tiennent

lieu drsquoexception les instructions aux ambassadeurs et leurs correspondances rares pour les

monarchies portugaise et castillane demeurent peu nombreuses pour la France et lrsquoEmpire

mais se comptent par centaines dans les Archives de la Couronne drsquoAragon agrave Barcelone Ce

panorama contrasteacute srsquoexplique agrave la fois par des pratiques meacutedieacutevales diffeacuterencieacutees de lrsquoeacutecrit ndash

lrsquousage des instructions et des correspondances nrsquoest pas partout identique la mise en archive

et lrsquoenregistrement des piegraveces expeacutedieacutees ne concernent pas toujours les mecircmes typologies

documentaires ndash par des destructions ou des disparitions posteacuterieures et par des

historiographies qui nrsquoexplorent pas la diplomatie au mecircme rythme

31

Portugal

Dans la riche tradition drsquohistoire diplomatique portugaise comme dans les

eacutetudes meneacutees sur la chancellerie de la monarchie on ne trouve ainsi pas trace de journal

drsquoambassade avant le milieu du XVe siegravecle et les instructions aux envoyeacutes des rois ou leurs

correspondances occupent une place tregraves secondaire Les grandes collections de sources

eacutediteacutees ne leur concegravedent guegravere plus drsquoimportance Dans les archives eacutegalement comme lrsquoont

releveacute plusieurs historiens les instructions aux ambassadeurs et leurs eacutechanges eacutepistolaires

restent isoleacutes dans un vaste ensemble de correspondances souveraines de lettres de creacuteance et

de traiteacutes Srsquoagit-il alors de veacuteritables hapax documentaires ou faut-il plutocirct y voir les

vestiges drsquoune pratique courante dont on ne jugeait pas neacutecessaire de conserver le teacutemoignage

Il est sur ce point difficile drsquoavancer une reacuteponse assureacutee car le bouleversement des fonds

de lrsquoArquivo Nacional da Torre do Tombo opeacutereacute agrave la fin du XVe siegravecle rend leur composition

et leur mode de classement originels largement inaccessibles Le tremblement de terre de

1755 a par la suite provoqueacute un deacuteplacement et une autre reacuteorganisation qui rendent le

problegraveme plus impeacuteneacutetrable encore Actuellement les piegraveces relatives agrave la diplomatie sont

reacuteunies dans le Corpo cronologico et les Gavetas (laquo tiroirs raquo) des seacuteries factices drsquooriginaux

rassembleacutes ex post Lagrave se trouvent au moins une petite dizaine drsquoinstructions et de lettres

eacutechangeacutees entre les monarques et leurs envoyeacutes agrave lrsquoeacutetranger

Certains documents portent peu drsquointeacuterecirct agrave la figure de lrsquoambassadeur

Adresseacutees agrave lrsquoinfant Denis par le roi Jean Ier

du Portugal les plus anciennes instructions

conserveacutees (1388) ndash un laquo incunable de notre diplomatie raquo selon leur eacutediteur ndash se contentent

ainsi de preacuteciser la teneur de propos destineacutes au roi drsquoAngleterre que lrsquoon veut convaincre de

ratifier le traiteacute de Windsor (1386) et drsquoautoriser une paix seacutepareacutee avec la Castille Il srsquoagit en

reacutealiteacute de favoriser une conversation agrave distance entre princes ce qui laisse dans lrsquoombre

lrsquoambassadeur go-between invisible entre Jean Ier

et Richard II

Dateacutee de 1392 la plus ancienne lettre drsquoun envoyeacute en cours de mission srsquoavegravere

un peu plus explicite Lrsquoeacutevecircque de Porto chargeacute par le mecircme roi Jean Ier

de neacutegocier sur la

frontiegravere une trecircve avec les Castillans explique comment il a convaincu du bien-fondeacute de sa

position lrsquoautre eacutemissaire de Jean Ier

le comte de Barcelos ndash celui-ci plaidait initialement

pour une paix garantissant lrsquoamnistie aux exileacutes portugais en Castille lrsquoeacutevecircque pour une trecircve

laissant ouverte la possibiliteacute de leur intenter un procegraves ndash puis il rapporte les discours tenus

devant un meacutediateur geacutenois par les parties portugaise et castillane Lrsquoambassadeur se deacutepeint

32

comme un homme accomplissant un laquo travail raquo (trebalho) soucieux de suivre

laquo lrsquoarrangement raquo (guisa) drsquoadopter une bonne laquo maniegravere raquo (maneira) de proceacuteder et de

profeacuterer les laquo arguments raquo (razoens) les plus adapteacutes aux circonstances Comme la qualiteacute de

son ouvrage a visiblement eacuteteacute mise en doute lrsquoeacutevecircque souligne avec force son respect du

mandat royal qursquoil prend pour seul guide de conduite (laquo e nom sairey em ello de vosso

mandado raquo) Sans formuler explicitement drsquoautre norme geacuteneacuterale de comportement il

esquisse ainsi en creux une figure drsquoambassadeur lsquoideacutealrsquo ou du moins susceptible de

correspondre aux attentes supposeacutees du pouvoir

Une eacutebauche de portrait du bon repreacutesentant apparaicirct eacutegalement en filigrane

dans deux lettres adresseacutees en 1437 par le roi Eacutedouard (Duarte) du Portugal agrave D Gomes un

abbeacute qui le repreacutesente au concile de Bacircle et aupregraves du pape Eugegravene IV Le monarque rappelle

le 23 mars sa confiance dans la laquo bonteacute raquo le laquo discernement raquo la laquo diligence raquo et la capaciteacute

de son mandataire agrave se concerter avec ses autres eacutemissaires par laquo conseil avis et

deacutelibeacuteration raquo Le 9 septembre Eacutedouard exige de son ambassadeur qursquoil soit rapide et lui

adresse des rapports efficaces14 Il doit agir en eacuteclaireur deacutecouvrir le laquo bon cheminement raquo

adopter laquo ce qui [lui] semblera la meilleure maniegravere pour pouvoir bien lsquoencheminerrsquo le plus

vite possible raquo (laquo mjlhor maneira que entenderdes e per que o mais asinha possaaes bem

encamhnar raquo) Cependant lorsqursquoil lui faut justifier lrsquoordre de preacutesenter une seconde fois une

supplique agrave laquelle le pape a drsquoores et deacutejagrave donneacute une premiegravere laquo reacuteponse gracieuse raquo

Eacutedouard en vient agrave mettre par eacutecrit un argument de porteacutee geacuteneacuterale laquo en de telles choses

beaucoup de changements se font en peu de temps et plus encore lorsque drsquoune telle chose

lrsquoon nrsquoa pas drsquoautre assurance que la parole raquo Renforceacute par lrsquoautoriteacute du roi dont il eacutemane

formuleacute comme une eacutevidence lrsquoun des seuls preacuteceptes concernant lrsquoactiviteacute des

ambassadeurs renvoie ainsi paradoxalement agrave la mutabiliteacute permanente qui conditionne leur

travail Nrsquoest-ce pas lagrave un obstacle agrave lrsquoexpression mecircme de normes de comportement plus

preacutecises que le deacutevouement le discernement ou le respect du mandat des qualiteacutes

classiquement exigibles de tout (bon) ambassadeur

Castille

Portons agrave preacutesent le regard vers le royaume de Castille Peu drsquoeacutetudes anciennes

y ont envisageacute lrsquohistoire de la diplomatie avant le regravegne des Rois Catholiques Les recherches

reacutecentes ont surtout deacutebattu de lrsquoexistence ou de lrsquoabsence drsquoune politique eacutetrangegravere

examineacute les grands traiteacutes de partition les ceacutereacutemoniels et des ambassadeurs parmi lesquels

33

les letrados occupent une place croissante Les eacutecrits de la pratique diplomatique sont en

revanche largement occulteacutes Comme dans le cas portugais la lacune tient drsquoabord agrave la

parcimonie des sources Lrsquoexamen de lrsquohistoriographie des documents publieacutes et des piegraveces

de lrsquoArchivo General de Simancas consultables en ligne nrsquoa pas permis de rassembler plus de

neuf instructions et onze deacutepecircches drsquoambassadeurs reacutedigeacutees entre le milieu du XIIIe siegravecle et

le milieu du XVe siegravecle Une grande partie des archives royales castillanes de lrsquoeacutepoque a en

effet disparu des registres ont existeacute mais seul est preacuteserveacute un fragment de comptes relatifs

aux anneacutees 1283-1286 pour la peacuteriode anteacuterieure agrave la creacuteation par Philippe II des archives de

Simancas (1540) les historiens restent tributaires des documents royaux reccedilus et conserveacutes

par les destinataires ainsi que de piegraveces eacuteparses issues des fonds de la chambre et du treacutesor

La damnatio memoriae meneacutee apregraves 1369 par les Trastamare agrave lrsquoencontre de lrsquoancienne

dynastie lrsquoabsence de capitaliteacute meacutedieacutevale forte et de tregraves nombreuses perturbations ou

destructions posteacuterieures (occupation napoleacuteonienne desamortizacioacuten de 1835 guerre civile)

ont œuvreacute dans le mecircme sens On connaicirct par conseacutequent souvent assez mal les modaliteacutes

drsquoexpeacutedition la mise en archive et les usages des documents de la monarchie castillane Ce

constat geacuteneacuteral vaut tout particuliegraverement pour les instructions et les lettres drsquoambassadeurs

ayant surveacutecu aux ravages successifs de lrsquohistoire et qui se trouvent actuellement dans des

collections constitueacutees agrave lrsquoeacutepoque moderne ndash les fonds Secretaria de Estado et Patronato

Real agrave Simancas le manuscrit 18635 (en fait un recueil de documents) de la Biblioteca

Nacional de Madrid ndash dans des registres de la chancellerie royale aragonaise ou mecircme dans

la chronique de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara composeacutee au XVIe siegravecle

Les instructions castillanes portent essentiellement sur la teneur des propos

que doivent prononcer les ambassadeurs Diego Garciacutea de Toledo chargeacute par Ferdinand IV

en 1307 ou 1308 de neacutegocier un rapprochement avec le roi drsquoAragon reccediloit des ordres

preacutecisant ce dont il doit parler mais aucune indication sur le comportement agrave adopter Lors

de sa profeacuteration il lui faut seulement tout dire Un peu plus prolixes des instructions de

Pierre Ier

[le Cruel] agrave un maicirctre de lrsquoordre drsquoAlcaacutentara envoyeacute en Angleterre en 1364-1365 agrave

la recherche drsquoun soutien militaire pressent lrsquoambassadeur de srsquoexprimer selon ce que le

monarque lui a dit laquo en paroles raquo avant de deacutevelopper laquo et de notre part vous direz tout ce

qui vous semblera le plus approprieacute afin de lui [le roi drsquoAngleterre] demander ce que vous

emportez dans drsquoautres de nos eacutecrits et de promettre les mariages que je vous ai dits raquo En

1381 Jean Ier

de Castille nrsquoest guegravere plus explicite dans ses instructions agrave Intildeigo Ortiz de

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Stuacutentildeiga Lrsquoambassadeur doit simplement laquo faire beaucoup raquo aupregraves du roi du Portugal

Lrsquoanneacutee suivante le mecircme Jean Ier

instruit son mandadero aupregraves du roi drsquoAragon qui

sollicite lrsquoenvoi drsquoambassadeurs pour assister agrave des Cortes ougrave il srsquoengagera agrave lutter contre le

Schisme Le roi de Castille donne son accord et ajoute qursquoil intimera agrave ses repreacutesentants

laquo drsquoavoir toutes les maniegraveres qursquoil leur ordonnera dans cette affaire raquo Dans les instructions

castillanes comme dans les textes portugais le comportement des ambassadeurs est donc tregraves

peu mis par eacutecrit Effaceacutes derriegravere la trame argumenteacutee qursquoils doivent suivre et le respect

inteacutegral de leur mandat ils restent des figures fugitives

Les ambassadeurs sont eacutegalement presque indiscernables dans plusieurs de

leurs propres lettres qui comportent exclusivement des nouvelles des informations Deux

petits dossiers eacutepistolaires srsquoavegraverent en revanche plus parlants En 1399 lrsquoeacutevecircque de Palencia

et le maicirctre de Santiago sont chargeacutes par le roi de Castille Henri III de neacutegocier avec les

eacutemissaires du roi du Portugal une trecircve Leurs lettres consideacutereacutees par les speacutecialistes comme

les premiegraveres deacutepecircches diplomatiques castillanes exposent en deacutetails le deacuteroulement de

tractations en zone frontaliegravere et reacutevegravelent comment lrsquoon conccediloit alors la pratique de

neacutegociation Il srsquoagit de traiter drsquoun fait (fecho tracta principal) qui peut ecirctre allongeacute ou

abreacutegeacute (alargar ou abreviar) Crsquoest un travail au cours duquel lrsquoon ouvre et lrsquoon avance des

laquo voies raquo (abrir mover vias) ougrave il faut adopter des laquo maniegraveres raquo (maneras) laquo parler par

eacutecrit raquo (fablar por escripto) ou agir laquo en eacutecrivant et en deacutebattant raquo (escriviendo e debatiendo)

afin drsquoeffectuer les concessions neacutecessaires ndash par exemple lrsquoallongement agrave huit anneacutees drsquoune

trecircve initialement preacutevue pour durer six ans ndash tout en veillant agrave terminer la tacircche dans un

temps limiteacute inscrit sur un sauf-conduit En demandant des ordres et en exposant leurs

difficulteacutes les ambassadeurs expriment des avis pragmatiques eacutevoquent des aspects

techniques de leur mission mais ils soulignent surtout leur volonteacute de respecter le memorial

autrement dit les instructions contenant les ordres du roi leur souci de trouver laquo les maniegraveres

qui conviennent le plus agrave votre service raquo laquo les meilleures maniegraveres qui selon nous

conviendront agrave votre service raquo (laquo las maneras que mas cumplen a vuestro serviccedilio las

mejores maneras que entendieremos que a vuestro servicio cumpla raquo) La principale norme

eacutecrite de comportement demeure le respect et lrsquoaccomplissement du mandat imparti

Une tonaliteacute comparable transparaicirct dans un second dossier eacutepistolaire

composeacute de cinq deacutepecircches de lrsquoarchevecircque de Seacuteville envoyeacute par Henri III en 1404-1406 agrave

Gegravenes agrave Savone et aupregraves du roi drsquoAragon pour mettre fin au Schisme et trouver de

nouveaux allieacutes Lrsquoambassadeur y donne des avis motiveacutes au roi fait preuve de sa capaciteacute

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drsquoeacutevaluation et de conseil Lrsquoarchevecircque use mecircme agrave cette occasion de preacuteceptes bibliques ndash

ne pas reacutechauffer un serpent en son sein ndash afin de mieux convaincre le monarque Il deacutecrit lui

aussi sa tacircche comme une entreprise visant agrave la seule exeacutecution du mandat effectueacutee laquo avec

diligence raquo et laquo par toutes les autres maniegraveres qui conviennent raquo Il lrsquoaccomplit au risque drsquoun

corps malade et assume du moins en paroles que cela puisse le conduire au sacrifice ultime

laquo les choses pour lesquelles vous mrsquoavez envoyeacute Dieu sait que jrsquoentends y travailler jusqursquoagrave

la mort raquo Quand lrsquoarchevecircque cherche alors agrave se disculper drsquoavoir eacutechoueacute dans sa mission il

renvoie par conseacutequent une fois encore agrave sa seule regravegle de conduite il a œuvreacute en toutes

choses pour ecirctre le parfait fidegravele et deacutevoueacute exeacutecutant de la volonteacute du roi En Castille

lrsquoaccent est donc mis sur lrsquoaccomplissement inteacutegral du mandat Les rois lrsquoexigent et les

ambassadeurs proclament agrave lrsquoenvi leur volonteacute de les satisfaire sur ce point Ici reacuteside

probablement un second obstacle agrave lrsquoeacutenonciation de normes relatives aux ambassadeurs dans

les eacutecrits de la pratique diplomatique leur preacutesence pourrait donner un relief excessif agrave une

figure conccedilue essentiellement en termes de reflet du mandant et de transparence

France

Le royaume de France offre par contraste un terrain plus propice agrave notre

enquecircte Les historiens ont en effet pendant un long XIXe siegravecle eacutediteacute de nombreux

documents et porteacute une attention tregraves vive agrave la diplomatie des rois capeacutetiens et Valois Apregraves

un deacutesamour de plusieurs deacutecennies le thegraveme suscite un regain drsquointeacuterecirct On connaicirct mieux agrave

preacutesent les hommes envoyeacutes en ambassade (des conseillers des leacutegistes mais aussi des

eacutevecircques et des princes) les eacutecrits dont ils font usage et pour la Guerre de Cent ans les

normes drsquoune pratique de la neacutegociation qui comme lrsquoon craint ses effets neacutefastes sur la

majesteacute et le bon droit ne peut ecirctre ouvertement soutenue Ce renouveau historiographique se

fonde sur de tregraves riches sources narratives ainsi que sur des piegraveces drsquoarchives disperseacutees

entre la Bibliothegraveque Nationale des archives deacutepartementales des fonds eacutetrangers et surtout

les Archives Nationales Plusieurs dizaines drsquoinstructions scelleacutees de cire rouge agrave valeur non

perpeacutetuelle se trouvent ainsi dans les laquo layettes raquo des coffrets en bois du Treacutesor des Chartes

Agrave lrsquoexception peut-ecirctre de la layette XIX mentionneacutee en 1380 dans lrsquoinventaire de Montaigu

avec le titre laquo procurationes et ambassatorie regie raquo mais hellipporteacutee manquante depuis le

XVIe siegravecle les instructions figurent au sein drsquoensembles documentaires reacuteunis dans une

layette autour drsquoune affaire drsquoun roi ou drsquoun prince eacutetranger (laquo litterae tangentes hellip raquo)

Souvent drsquoeacutepoque ces regroupements ont agrave lrsquooccasion eacuteteacute mis agrave profit pour confectionner des

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recueils ad hoc Le 25 novembre 1383 le garde du treacutesor des Chartes Montaigu reccediloit 20

francs

pour cause de plusieurs alliances et autres grans lettres que jrsquoay fait transcrire

soubz instrument publique et drsquoautres traitieacutes instruccions rooles et escriptures que jrsquoay fait

copier du commandement du roy et que jrsquoay baillees a maistre Jehan Tabari secretaire dudit

seigneur pour ycelles porter a messeigneurs du conseil du roy qui vont au traitieacute en Picardie

En deacutebut drsquoinstructions lrsquoon incorpore parfois celles drsquoune preacuteceacutedente

ambassade ce qui assure une forme de continuiteacute au travail de neacutegociation Deacutepourvus de

valeur perpeacutetuelle ces documents sont en revanche tregraves rarement enregistreacutes par la

chancellerie Les inventaires indiquent seulement deux memoranda anteacuterieurs agrave 1350

Destineacutes agrave des ambassadeurs de Philippe le Bel ils ne speacutecifient pas leur comportement Il

existe toutefois au moins trente-deux instructions eacutediteacutees des rois et des princes de France

pour la peacuteriode 1258-1420 Elles sont dirigeacutees agrave des ambassadeurs devant se rendre aupregraves du

pape en Angleterre dans lrsquoEmpire aupregraves des Anjou de Naples des ducs de Bourgogne des

rois de Castille et drsquoEacutecosse du comte de Foix Drsquoautres ineacutedites sont mentionneacutees par les

historiens ce qui conduit agrave un corpus drsquoune petite cinquantaine de piegraveces Mecircme si leur

conservation srsquoavegravere plus hasardeuse que dans la couronne drsquoAragon ougrave leur enregistrement

est reacutegulier agrave partir de la fin du XIIIe siegravecle43 les instructions eacutecrites sont donc drsquoun usage

assez courant pour les ambassadeurs franccedilais durant la Guerre de Cent ans

Le genre est heacuteteacuterogegravene Aide-meacutemoire avec une reacuteserve drsquoarguments agrave

utiliser laquo par meacutemoire de replicacion se besoing est raquo copie mot agrave mot des discours agrave

profeacuterer ou bien agrave lrsquoopposeacute ordres laquo pour avis raquo qui laissent toute latitude drsquoappreacuteciation agrave

des repreacutesentants drsquoun statut social exceptionnellement eacuteleveacute les instructions restent souvent

tregraves lapidaires sur la figure et le comportement des ambassadeurs Certaines drsquoentre elles srsquoy

attardent toutefois de faccedilon notable En aoucirct 1401 le mareacutechal Boucicaut le gouverneur du

Dauphineacute et le preacutevocirct de Paris Guillaume de Tignonville envoyeacutes par Charles VI au duc de

Milan se voient remettre laquo la copie des articles raquo drsquoune preacuteceacutedente ambassade et celle des

responses dudit duc donneacutees agrave cette occasion laquo afin qursquoils soient plus aviseacute de ce qursquoils

auront agrave faire et agrave parler en ceste mategravere raquo Les eacutemissaires de Charles VI devront laquo faire leur

pouvoir raquo pour connaicirctre lrsquointention du duc La meacutethode agrave suivre nrsquoest pas expliciteacutee sur ce

point mais des eacuteleacutements de strateacutegie rheacutetorique sont ensuite fournis laquo parler par bonne

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maniegravere raquo eacuteviter les longueurs et en cas de difficulteacute passer immeacutediatement agrave un autre sujet

Lrsquoexigence drsquoeacuteloquence de discernement et drsquoagrave-propos se traduit ici en conseils

pragmatiques sur lrsquoart de converser La maicirctrise de la parole des ambassadeurs constitue un

enjeu important dans drsquoautres instructions franccedilaises En janvier 1380 le duc Louis Ier

drsquoAnjou remet ainsi aux hommes chargeacutes de neacutegocier sa prise en adoption par la reine Jeanne

de Naples un texte abondant en injonctions qui dessinent les contours drsquoune meacutethode

coheacuterente Il leur faut avancer par degreacutes mais eacutegalement laquo dans la mesure du possible tout

mener de front ou presque crsquoest-agrave-dire le traiteacute ou la concorde susdite la remise de lrsquoargent

et des chacircteaux raquo jouer de secret et de vitesse de faccedilon agrave preacutevenir les multiples accidents qui

pourraient interrompre le traiteacute proceacuteder avec des paroles des voies et des modes qui ne

suscitent jamais lrsquoeffroi Louis drsquoAnjou preacuteconise donc agrave la fois une rheacutetorique de conviction

fondeacutee sur lrsquoeacutetourdissement gracieux des interlocuteurs et une neacutegociation par

paquets conduite agrave un rythme approprieacute

Les ducs de Berry et de Bourgogne auxquels revient en 1393 la neacutegociation

au nom de Charles VI drsquoune trecircve avec les ducs de Lancastre et de Gloucester doivent pour

leur part effectuer un veacuteritable marchandage ougrave ideacutealement la laquo creue raquo (lrsquoaccroissement)

des laquo offres raquo reacutepondra agrave la diminution des demandes jusqursquoagrave lrsquoobtention drsquoun point

drsquoeacutequilibre entre les deux parties Lrsquoentreacutee en matiegravere deacutecisive dans ce contexte deacutetermine

les positions initiales drsquoougrave les efforts respectifs et contradictoires fournis par chacune des

parties pour discerner en premier lrsquointention de lrsquoautre Dans le sceacutenario preacutevu par

lrsquoinstruction les Anglais avant de signifier une diminution de leur demande exigent de

savoir si lrsquohypothegravese drsquoune offre franccedilaise plus eacuteleveacutee est plausible les Franccedilais refusent

drsquoabord de reacutepondre puis envisagent de ceacuteder agrave demi en reconnaissant la possibiliteacute drsquoune

meilleure offre hellipagrave condition que la diminution de la partie anglaise leur paraisse

raisonnable Pour favoriser un tel approchement de la besoigne les ducs repreacutesentant le roi

de France doivent deacutelibeacuterer faire usage de leurs bonnes discrecions eacutevaluer chaque

demande et srsquoils le peuvent jouer des deux monnaies drsquoeacutechange ici valables les terres et

lrsquoargent de faccedilon agrave assurer une marge de manœuvre suffisante aux deux rois qui se

rencontreront ensuite Il leur faut donc neacutegocier non par paquet mais eacuteleacutement par eacuteleacutement

Drsquoautres preacuteconisations apparaissent dans le riche dossier drsquoinstructions

bacircilleacutees par Charles VI entre 1400 et 1403 pour des neacutegociations concernant le retour en

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France de sa fille Isabelle demeureacutee en Angleterre apregraves la destitution et la disparition de son

mari le roi Richard II Les ambassadeurs doivent laquo entretenir la besogne raquo autrement dit

maintenir la relation malgreacute des reacutesultats jugeacutes insatisfaisants On leur enjoint pour la bonne

exeacutecution du mandat de recourir agrave des documents attendus (lettres de creacuteance pouvoirs) de

reacutefleacutechir preacutealablement entre eux de respecter ensuite une laquo maniegravere accoutumeacutee raquo de faire

montre des laquo meilleures maniegraveres raquo possibles et drsquoagir avec gracircce et discernement Une

eacutecoute bienveillante permettra notamment de deacutecouvrir les intentions cacheacutees

Premiegraverement qursquoils voyent lrsquoevesque de Dunelme et mess Thommas de

Percy et mess W Heron sire de Say chevaliers messages envoyeacute de la partie drsquoEngleterre

ou cas que lrsquoevesque et chevaliers leur vouldront dire les choses pour lesqueles ils estaient

envoyeacute devant le roi et qursquoils mectent la meilleur diligence qursquoils pourront de savoir tout ce

qursquoils pourront de leur intentions sans blasmer les choses dont ils leur parleront afin qursquoils

soient plus enclins a leur ouvrir plus pleinement leur volenteacute

Agrave lrsquoinverse les ambassadeurs feront laquo toute diligence drsquoavoir le plus detailleacute

qursquoils pourront raquo avant de dire laquo lrsquointention du roi raquo ils reacutevegraveleront graduellement les

documents agrave leur disposition drsquoabord la lettre de Charles VI puis si neacutecessaire les

procurations avant enfin de prononcer laquo autres paroles qui leur sembleront estre a dire sur

ce selon leur discrecion raquo Ideacutealement les envoyeacutes franccedilais concilieront deux impeacuteratifs

potentiellement contradictoires maintenir le lien avec la partie anglaise controcircler en

permanence le flux de la conversation agrave lrsquoavantage de leur roi Au greacute de circonstances et

drsquoenjeux fluctuants les ambassadeurs sont donc souvent prieacutes drsquoadopter des strateacutegies de

neacutegociation variables Il existe neacuteanmoins aussi des traits reacutecurrents dans les exigences

formuleacutees agrave leur eacutegard Deacutejagrave apparus en filigrane dans les textes preacuteceacutedents ils ressortent

nettement dans quatre instructions composeacutees agrave lrsquointention de repreacutesentants du dauphin

envoyeacutes en Castille en 1421 1426 et agrave deux reprises en 1428 Ils devront renouveler

lrsquoalliance avec le roi et gagner un soutien militaire crucial car le royaume de France est au

bord du deacutesastre Meacuteticuleusement consigneacutees au preacutealable leurs interventions sont

freacutequemment conditionneacutees agrave une appreacuteciation de la situation exprimeacutee soit sur un mode

impersonnel (laquo se mestier est raquo [srsquoil est neacutecessaire] laquo selon que besoing en seroit raquo) soit en

les impliquant dans le processus de jugement (laquo se il leur semble que mestier soit raquo) Il leur

eacutechoit ensuite de prononcer laquo toutes les bonnes paroles qui en telle matiere affierent et

appartiennent raquo laquo toutes les bonnes paroles en tel cas acoutumeacutees raquo ou bien drsquoœuvrer pour

laquo [induire leur interlocuteur] par toutes manieres qursquoils sauront raquo Drsquoune instruction agrave lrsquoautre

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au travers de formules plus ou moins explicites qui se font eacutecho des compeacutetences similaires

sont exigeacutees connaicirctre les usages savoir appreacutecier les circonstances ecirctre convaincant et

accomplir au mieux le mandat par des laquo maniegraveres raquo approprieacutees Sur ce dernier aspect un

principe geacuteneacuteral drsquoaction revient comme une ancienne agrave la fin de chaque instruction

En toutes les choses dessus dites leurs circonstances et dependances lesdits

ambassadeurs ajouteront ou dimminueront selon ce qursquoils verront etre affaire pour le bien

honneur profit de mon dit seigneur

Et que en tous et chacun les articles dessus escrips lesdits ambassadeurs

pourront ajouter croistre ou diminuer selon ce qursquoils verront estre a faire pour le bien

prouffit et honneur du roi

En toutes et chacun les choses dessus dites les dits eacutevesque et Quiefdeville

ajouteront ou diminueront selon ce qursquoils verront ecirctre a faire pour le bien honneur et prouffit

du roi et de sa seigneurie

Les ambassadeurs doivent donc user de discernement pour interpreacuteter les

articles des instructions sans en alteacuterer la substance de faccedilon agrave servir au mieux le bien

lrsquohonneur et le profit de leur mandant La norme eacutecrite ne forme pas un vadeacutemeacutecum theacuteorique

sur la neacutegociation mais une regravegle de conduite adresseacutee agrave un ambassadeur dont le degreacute

drsquoautonomie se trouve ainsi preacuteciseacute Circulant drsquoinstruction en instruction conserveacute aux

archives puis consulteacute par les praticiens ce principe drsquointerpreacutetation constitue

progressivement un eacuteleacutement de savoir pragmatique sur lrsquoart de lrsquoambassade une

connaissance transmise ndash au moins partiellement ndash par eacutecrit au sein de la chancellerie

franccedilaise Or sans que lrsquoon puisse eacutetablir un lien de causaliteacute un ordre similaire figure deacutejagrave

au deacutebut du XIVe siegravecle dans la transcription drsquoun dialogue du roi Jacques II drsquoAragon avec

ses ambassadeurs Comment agir demandent-ils avant de se rendre aupregraves du pape srsquoils

jugent laquo expeacutedient raquo (expediens) drsquoemployer des mots qui iraient laquo au-delagrave de ce qui est

contenu dans leurs instructions ou dans la teneur de leur ambassade raquo (ultra contenta in

memoriali vel tenore ambaxate) Et le roi de reacutepondre laquo qursquoils ne disent rien qui aille au-

delagrave ou agrave lrsquoencontre [de ce qui est contenu dans leur memorial] mais qursquoils en parlent

notamment de ce qui leur y semblera utile sans en modifier la substance raquo (non dicant ultra

nec contra set circa ea scilicet que utilia viderint substancia non mutata) En des lieux et

des temps eacuteloigneacutes les efforts deacuteployeacutes pour concilier le respect impeacuteratif du mandat la prise

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en compte des usages et lrsquoappreacuteciation des circonstances suivie drsquoune parole efficace

aboutissent de la sorte agrave des solutions proches

Dans les deacutepecircches moins nombreuses les ambassadeurs deacutefendent souvent

leur action en faisant allusion au respect de critegraveres de comportement similaires agrave ceux

figurant dans les instructions Agrave plusieurs reprises Gontier Col procegravede de la sorte dans un

rapport agrave Charles VI sur la mission aupregraves du duc de Bretagne dont lrsquoa en 1414 chargeacute

Jeanne reine drsquoAngleterre et megravere du duc Ce fut un eacutechec car il nrsquoa pu convaincre Jean de

restituer agrave sa megravere les droits qui lui reviennent en Bretagne mais Gontier se repreacutesente

neacuteanmoins en homme fidegravele diligent et deacutevoueacute Dans le cours mecircme de la mission il srsquoest

eacutegalement efforceacute de limiter les critiques qui auraient pu lui ecirctre adresseacutees ad hominem en

mettant drsquoembleacutee agrave distance ses propos prononceacutes en tant qursquoambassadeur de la reine

comme dit le commun proverbe messaige ne doit avoir mal Je ne suis que lrsquoorgane ou

lrsquooutil agrave profeacuterer et dire ce qui mrsquoest enchargieacute et comme dit Terence laquo Obsequium amicos

veritas odium parit Beau service quand il est fait engendre et fait acqueacuterir amis et

bienveillance et veacuteriteacute quand elle est dicte engendre ennemis et hayne raquo Et je ne vueil

acqueacuterir hayne ne inimitiez envers aucun Apregraves je vous supplie humblement que vous

vueillez pardonner agrave mon rude langaige agrave mon non sens et insouciance car je ne suis pas

souffisant de expliquer choses de si grant pois

Malgreacute la transparence proclameacutee de sa fonction afin de rendre son sermon au

duc de Bretagne plus persuasif Gontier Col srsquoassimile aussi agrave un facilitateur de gueacuterison qui

doit deacutecouvrir au fils seul meacutedecin possible la plaie de sa megravere blesseacutee et le conduire agrave

lrsquoadministration du remegravede en lrsquooccurrence la restitution agrave Jeanne de ses droits Outre la

possession de qualiteacutes geacuteneacuterales attendues ou proclameacutees fort semblables agrave celles de leurs

homologues castillans ou portugais (fideacuteliteacute respect du mandat discernement parole

efficace) les ambassadeurs franccedilais sont donc prieacutes drsquoadopter et preacutetendent eux-mecircmes avoir

des comportements extrecircmement divers des maniegraveres approprieacutees aux circonstances Leur

mise en œuvre suscite lrsquoeacutenonciation drsquoune regravegle geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation du mandat tempeacutereacutee

par le discernement de lrsquoambassadeur et plus encore la reacutedaction de prescriptions

particuliegraveres agrave chaque mission qui teacutemoignent et participent drsquoun savoir de la neacutegociation

Mieux documenteacute en raison drsquoarchives plus riches ce travail proteacuteiforme de reacuteflexion

corrobore agrave nouveau lrsquoattention extrecircme et parfois exclusive porteacutee dans les documents

pragmatiques agrave la maicirctrise de la parole des ambassadeurs

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Empire

La diplomatie des empereurs constitue pour sa part la matiegravere drsquoune tregraves riche

historiographie68 Agrave la diffeacuterence des sauf-conduits (Geleit salvus conductus) les deacutepecircches

des ambassadeurs demeurent toutefois assez meacuteconnues en raison de leur rareteacute et du relatif

deacutesinteacuterecirct dont elles ont longtemps pacircti On ne conserverait aucun rapport ou relation

drsquoambassadeurs impeacuteriaux aupregraves des rois drsquoAngleterre pour les anneacutees 1377-1422 Dans les

grandes collections de sources eacutediteacutees les deacutepecircches demeurent tregraves isoleacutees En 1310 des

repreacutesentants du roi Henri VII composent en franccedilais une relation de leur mission en Italie du

Nord mais ne mentionnent rien de preacutecis sur drsquoeacuteventuelles normes de comportement pour

leur ambassade Par ailleurs agrave lrsquoexception notable des conciles de Constance et de Bacircle dont

on ne traitera pas ici il ne semble pas que soient preacuteserveacutes des journaux drsquoambassadeurs

reacutedigeacutes avant le milieu du XVe siegravecle Lrsquoanalyse portera donc par neacutecessiteacute de nouveau

essentiellement sur les instructions Elles contiennent heureusement plusieurs annotations

utiles pour notre enquecircte Souvent deacutesigneacutees par un titre reconnaissable instructio memoria

memorandum ambaxiata ou informationes dans les textes latins Gede[c]htnisse

Werbungen Vertigung ou [An]Weisungen en allemand soixante-deux instructions ont eacuteteacute

publieacutees dans les Constitutiones une section des Monumenta Germaniae Historica qui atteint

le milieu du XIVe siegravecle et dans la seacuterie ancienne (Aumlltere Reihe) des Deutsche

Reichstagsakten Composeacutees entre le deacutebut du XIVe siegravecle et les anneacutees 1430 les piegraveces de

cet eacutechantillon non exhaustif concernent des ambassades au pape aux rois drsquoAngleterre de

France drsquoAragon du Danemark de Bohecircme agrave des princes eacutelecteurs en Italie au duc

drsquoAutriche mais aussi agrave la diegravete drsquoEmpire Comme en France et dans la couronne drsquoAragon

la reacutedaction drsquoinstructions est assureacutement une pratique freacutequente pour la chancellerie

impeacuteriale agrave partir du XIVe siegravecle

Deux dossiers retiendront plus particuliegraverement lrsquoattention En 1312-1313 tout

drsquoabord le roi Henri VII qui preacutepare une descente en Italie afin drsquoy ecirctre couronneacute empereur

envoie des ambassadeurs en Sicile agrave Gecircnes agrave Mantoue agrave Veacuterone et en Lombardie Ils

doivent y rechercher des soutiens militaires contre les villes guelfes de Toscane rebelles agrave son

autoriteacute et preacuteparer la lutte contre lrsquoennemi angevin Dans les instructions qui leur sont

adresseacutees une exigence drsquoordre geacuteneacuteral est reacutecurrente agir laquo au mieux et obtenir le plus

possible raquo laquo mettre en œuvre et conduire lrsquoaffaire par toutes les voies qui leur sembleront le

mieux convenir raquo en un mot faire au mieux La diligence et lrsquoeffort sont donc de rigueur Agrave

lrsquoinstar de leurs contemporains portugais castillans franccedilais et aragonais les repreacutesentants

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drsquoHenri VII doivent eacutegalement faire montre de discernement ecirctre capables drsquoappreacutecier une

situation de faccedilon agrave srsquoexprimer laquo avec sagaciteacute raquo (sagaciter) et agrave atteindre lrsquoeffet rechercheacute

Pour certaines missions deacutelicates leurs interventions font lrsquoobjet drsquoune casuistique deacutetailleacutee

des ordres plus preacutecis donnent un peu de chair aux attentes geacuteneacuterales et quelques principes

drsquoaction eacutemergent Avant de prendre la parole il est preacutefeacuterable de srsquoinformer de lrsquoeacutetat de la

terre de prendre conseil parfois secregravetement en tout cas prudemment aupregraves

drsquointerlocuteurs choisis puis de se conformer agrave leurs avis pourvu qursquoils nrsquoentrent pas en

contradiction avec le mandat imparti Celui-ci demeure la boussole des ambassadeurs mais

un principe plus eacuteleveacute facilite son interpreacutetation faire laquo mieux encore srsquoils le peuvent pour

lrsquoutiliteacute du seigneur raquo rechercher laquo toute chose profitable agrave lrsquohonneur et agrave lrsquoutiliteacute de leur

seigneur raquo Dans ce but Henri VII les presse agrave plusieurs reprises de sonder et de convaincre

leurs interlocuteurs laquo de faccedilon curiale raquo (curialiter) Qursquoest-ce agrave dire Les textes ne le

preacutecisent pas laissant agrave nouveau ce soin agrave des ambassadeurs auxquels on reconnaicirct

implicitement une compeacutetence agrave se mouvoir dans le monde des cours Enfin agrave lrsquoeacutevocation

drsquoun point difficile pour une ambassade en Lombardie crsquoest une regravegle de comportement de

porteacutee plus geacuteneacuterale encore qui prend le chemin de lrsquoeacutecrit laquo lesdits ambassadeurs doivent agrave

ce sujet eacuteviter de laisser passer une occasion quelle qursquoelle soit raquo Drsquoapregraves les textes

henriciens le bon ambassadeur srsquoavegravere donc ecirctre celui qui sait tirer le meilleur parti des

circonstances pour le plus grand beacuteneacutefice de son maicirctre

Un deuxiegraveme ensemble important drsquoinstructions reacutedigeacutees en allemand

provient du regravegne de Ruprecht (1400-1410) Empereur au pouvoir contesteacute celui-ci deacutepecircche

de nombreuses ambassades en Italie en France en Angleterre et aux princes de lrsquoEmpire

afin notamment de faciliter sa descente agrave Rome de mettre un terme au Grand Schisme ce

qui renforcerait sa leacutegitimiteacute et de consolider sa position par des alliances matrimoniales Ses

instructions se distinguent par le recours agrave des modes narratifs varieacutes Lrsquoimpersonnel qui

domine ailleurs y cocirctoie des ordres eacutemanant du wir (laquo nous raquo) de majesteacute et adresseacutes

directement aux ambassadeurs (euch ir laquo vous raquo) ou des annotations dont les ambassadeurs

sont eux-mecircmes les sujets (laquo Item man sol in sagen raquo laquo Item on doit leur dire raquo) Ce

changement rend plus directement perceptible la figure de lrsquoambassadeur mais lrsquohorizon

drsquoattente demeure stable agrave plusieurs eacutegards Comme en latin les ambassadeurs doivent faire

au mieux pour exeacutecuter leur mandat savoir discerner et veacuterifier lrsquointention reacuteelle de leur

interlocuteur puis se comporter de la maniegravere la plus adeacutequate selon leur jugement le cas

eacutecheacuteant garder le secret ou srsquoexprimer en secret Ils rechercheront toujours et encore

43

lrsquohonneur et le profit du roi srsquoefforceront drsquoouvrir agrave son avantage des voies acceptables pour

Dieu et dont on puisse discuter

Neacuteanmoins drsquoautres injonctions apparaissent agrave la faveur de difficulteacutes

pressenties Agrave ses ambassadeurs qui partent en Suisse neacutegocier le passage drsquoune expeacutedition

vers le Milanais lrsquoempereur demande au cas ougrave leurs interlocuteurs formuleraient des

exigences excessives de couper court mais toujours en usant de belles paroles En 1402 si

lrsquoon attend certainement drsquoeux qursquoils soient tout aussi capables de mobiliser agrave bon escient les

ressources de leur eacuteloquence les repreacutesentants de Ruprecht aupregraves du roi drsquoAngleterre

doivent en outre savoir srsquoexprimer en leur propre nom user drsquoune distinction juridique

traditionnelle entre la personne de lrsquoambassadeur et le porteur du mandat

Si le roi drsquoAngleterre en venait agrave parler avec eux hors des affaires et agrave mettre

avec eux quelque chose en tractation et en route de sorte qursquoils perccediloivent alors comment et

si son inclination le porte vers les affaires alors lrsquoun drsquoentre eux doit parler comme de lui-

mecircme

La meacutethode nrsquoest pas nouvelle puisque les ambassadeurs du roi Jacques II

drsquoAragon y recourent deacutejagrave vers 1300

Par ailleurs en 1401 dans lrsquoaide-meacutemoire qui les guide aupregraves du duc de

Habsbourg Freacutedeacuteric IV pour la neacutegociation de son mariage avec Else une fille de Ruprecht il

est demandeacute agrave drsquoautres ambassadeurs de laquo penser agrave parler avec les conseillers [du duc] et agrave

leur offrir quelque chose raquo La recommandation drsquoeffectuer des preacutesents une pratique usuelle

dans les eacutechanges diplomatiques srsquoexplique peut-ecirctre par la neacutecessiteacute drsquoinformer un

ambassadeur oublieux ou plus sucircrement par un enjeu qui pousse agrave rappeler ce qui ne devrait

pas lrsquoecirctre Une telle mention ne figure en effet qursquoexceptionnellement dans les instructions sa

rareteacute mecircme indique combien malgreacute lrsquoambition souvent totalisante de textes qui srsquoefforcent

de reacuteduire lrsquoincertain au probable et le probable au regravegne de lrsquohypothegravese preacutevisible la mise en

eacutecrit connaicirct des limites Souvent lrsquoimplicite suffit et il nrsquoapparaicirct pas neacutecessaire de

consigner un usage qui relegraveve de lrsquoeacutevidence De surcroicirct lrsquoeacutecrit nrsquoest pas le seul moyen

employeacute pour transmettre aux ambassadeurs des prescriptions de comportement

Lrsquoobservation des gestes et des faccedilons de faire des plus expeacuterimenteacutes joue probablement un

rocircle dans lrsquoapprentissage et lrsquoincorporation des comportements adeacutequats mais on lrsquoaperccediloit

mal dans les piegraveces examineacutees ici

44

En revanche un dernier exemple laisse entrevoir une autre piste En septembre

1401 quatre ambassadeurs de Ruprecht reccediloivent un canevas extrecircmement preacutecis pour mener

des neacutegociations agrave la cour de Charles VI en vue du mariage de lrsquoune de ses filles avec Jean

fils de lrsquoempereur Le document stipule classiquement la preacutefeacuterence donneacutee agrave lrsquoaicircneacutee du roi

de France la recherche drsquoune bonne dot et eacutetablit une casuistique des concessions devant

permettre drsquoatteindre lrsquoaccord Le soin precircteacute agrave la temporaliteacute et agrave la contemporaneacuteiteacute des

laquo piegraveces raquo (stucke) de neacutegociation ndash faut-il drsquoabord traiter du mariage ou de lrsquoengagement

contre lrsquoAngleterre ou bien discuter ensemble des deux points ndash conduit agrave preacuteciser de faccedilon

remarquable le comportement des ambassadeurs ils doivent prendre avec eux le memorial

effectueacute en raison du mariage drsquoAngleterre ainsi que les eacutecrits et les aide-meacutemoire que les

amis de notre seigneur [drsquoautres ambassadeurs] avaient eu auparavant en raison du duc Louis

[de Baviegravere] Ils y trouveront aiseacutement matiegravere agrave pouvoir srsquoorienter de sorte qursquoils feront en

ceci au mieux comme mon seigneur leur recommande et remet entiegraverement lrsquoaffaire entre

leurs mains En particulier le susdit seigneur Johann Kemerer est bien informeacute de la faccedilon

dont ces mecircmes affaires ont eacuteteacute traiteacutees auparavant en Angleterre ainsi qursquoen France il

pourra bien en instruire de faccedilon authentique les susdits amis de notre seigneur Lrsquoeacutecrit joue

donc un rocircle essentiel dans la preacuteparation de lrsquoambassade mais lrsquoexpeacuterience est indispensable

pour en donner lrsquointerpreacutetation la plus aviseacutee Par le biais de lrsquoeacutecrit qui lui donne force

drsquoautoriteacute lrsquoon devine ainsi le rocircle essentiel de la parole et concregravetement des conversations

entre ambassadeurs dans la transmission de normes de comportement diplomatique

Malgreacute des diffeacuterences notoires de conservation de langue et de composition

les documents examineacutes srsquoaccordent sur la neacutecessiteacute pour les ambassadeurs de posseacuteder

certaines qualiteacutes geacuteneacuterales Au Portugal comme en Castille en France comme dans la

couronne drsquoAragon et dans lrsquoEmpire sous des formulations diverses la fideacuteliteacute le

deacutevouement le discernement la connaissance des maniegraveres et lrsquoefficaciteacute qui en reacutesulte

constituent des exigences reacutecurrentes qui doivent garantir une bonne exeacutecution du mandat

imparti pour le beacuteneacutefice lrsquohonneur et lrsquoutiliteacute du prince repreacutesenteacute De faccedilon remarquable

mais plus rare certains passages mettent lrsquoaccent sur le caractegravere fondamentalement instable

de la pratique diplomatique crsquoest un monde ougrave la mutabiliteacute est de regravegle dans lequel il faut

savoir saisir lrsquooccasion quand elle se preacutesente La prise de conscience de cette difficulteacute la

crainte de propos potentiellement dangereux et lrsquoimportance des enjeux expliquent le

consideacuterable effort deacuteployeacute pour preacutevoir et discipliner la parole des ambassadeurs Pour

45

relever le deacutefi lrsquoinvocation des aptitudes la consignation preacutealable des discours ou

lrsquoimagination anticipatrice des conversations agrave lrsquoeacutetranger srsquoavegraverent parfois insuffisantes En

France dans lrsquoEmpire et dans la couronne drsquoAragon des indications plus deacutetailleacutees preacutecisent

alors la conduite des ambassadeurs Il leur faut prendre conseil et deacutelibeacuterer au preacutealable user

de modes de neacutegociations divers maicirctriser des usages qui le sont tout autant De la sorte la

figure de lrsquoambassadeur acquiert plus de consistance

Il nrsquoest plus comme dans les miroirs au prince seulement le reflet effaceacute de

son mandant mais aussi son repreacutesentant doteacute de compeacutetences speacutecifiques tel Proteacutee il

devient celui qui sait preacutesenter le visage requis par les circonstances pour en tirer le meilleur

profit Au greacute de reacuteflexions disseacutemineacutees et de modaliteacutes de conservation parfois hasardeuses

des eacuteleacutements de savoirs pragmatiques sur la neacutegociation et le comportement des

ambassadeurs srsquoaccumulent ainsi dans certaines chancelleries et certaines archives Ils

peuvent ensuite pour les ambassadeurs faciliter lrsquoapprentissage de leur tacircche favoriser

lrsquoimitation des attitudes drsquoune mission agrave lrsquoautre Mais ce travail de mise en eacutecrit trahit aussi

une impuissance ou du moins une limite Par leur appel agrave des valeurs partageacutees et implicites

ndash la beauteacute des paroles la courtoisie des interventions comme par leur renvoi constant au

critegravere finalement assez vague de la bonne appreacuteciation des circonstances les textes reacutevegravelent

lrsquoimpossibiliteacute de tout saisir et de tout transmettre de la diplomatie par la seule voie de la

plume La parole lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience jouent certainement aussi un rocircle deacutecisif

quoique bien plus difficile agrave saisir dans la consolidation de la figure de lrsquoambassadeur la

formation et la transmission drsquoun savoir sur la neacutegociation

Diplomatie dans le Proche-Orient ancien

Le Proche-Orient ancien eacutelargi (Eacutegypte incluse) offre les plus anciens

teacutemoignages sur lexistence de relations internationales dans la mesure ougrave il comprend les

reacutegions ougrave lapparition de lEacutetat sest faite le plus preacutecocement (Sumer Eacutelam Eacutegypte antique)

vers le IVe milleacutenaire av J-C Pregraves de 3000 ans deacutevolutions des relations diplomatiques sont

donc identifiables agrave partir des sources provenant du Proche-Orient ancien Mais dans la

mesure ougrave seules quelques peacuteriodes sont bien documenteacutees il demeure de nombreuses zones

dombres Cependant on est en mesure de reconstituer les plus anciens systegravemes

diplomatiques coheacuterents que lon connaisse

46

Eacutevolution des relations internationales

Les relations diplomatiques du Proche-Orient ancien sont connues de faccedilon

fragmenteacutee En effet un nombre limiteacute de corpus nous permet dappreacutehender relativement

bien les pratiques diplomatiques durant quelques deacutecennies reacuteparties sur plus de deux

milleacutenaires sur des aires geacuteographiques de tailles variables De fait de longues peacuteriodes peu

ou pas documenteacutees sont coupeacutees par des peacuteriodes plus bregraveves pour lesquelles on dispose

dune documentation abondante Mais cela nempecircche en rien de connaicirctre les grandes lignes

de leacutevolution des relations internationales car celle-ci suit leacutevolution de lhistoire politique

qui elle est deacutesormais connue dans ses traits geacuteneacuteraux

La peacuteriode des Eacutetats archaiumlques

Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que des communauteacutes

humaines se sont donneacute une organisation politique ce qui preacutecegravede donc le cadre

chronologique de cette eacutetude Les premiers Eacutetats proche-orientaux se forment dans le courant

du IVe milleacutenaire mais les relations internationales de cette peacuteriode nous sont inconnues

faute de documentation

Cest durant la derniegravere phase de la peacuteriode meacutesopotamienne des Dynasties

archaiumlques (2600-2340) quapparaissent les premiers documents sur ce sujet Ils proviennent

de la citeacute-Eacutetat sumeacuterienne de Lagash Le plus ancien traiteacute de paix mentionneacute est celui conclu

entre un roi de cette citeacute Entemena et Lugal-kinishe-dudu dUruk Mais le gros dossier est

celui qui concerne la seacuterie de conflits qui opposent cette citeacute agrave sa voisine Umma entre 2600 et

235082

Les documents relatifs agrave ces guerres eacutevoquent peu les pratiques diplomatiques se

concentrant sur les phases militaires On y voit les rivaliteacutes constantes opposant les citeacutes du

sud meacutesopotamien Celles-ci transparaissent eacutegalement dans les reacutecits eacutepiques relatifs aux

rois dUruk des deacutebuts de la peacuteriode archaiumlque (Lugalbanda Enmerkar et Gilgamesh) qui

rapportent peut-ecirctre des eacuteveacutenements ayant reacuteellement eu lieu On y voit les antagonismes

opposant cette citeacute agrave leurs rivaux de Kish (Agga) et dAratta La citeacute de Kish semble occuper

une position heacutegeacutemonique agrave certains moments son roi Mesalim intervient vers 2600 pour

arbitrer le conflit entre Lagash et Umma et le titre de laquo roi de Kish raquo est repris par des rois

dautres citeacutes pour marquer leur supeacuterioriteacute sur les autres rois

82 J Cooper The Lagash-Umma Border Conflict Malibu 1983

47

Le site qui nous offre le lot le plus conseacutequent darchives diplomatiques pour

cette peacuteriode est celui dEbla en Syrie83

Ces rois ont des contacts avec dautres rois voisins

notamment les puissants souverains de Mari et Nagar mais aussi avec des rois de reacutegions

plus lointaines comme ceux de Kish en Meacutesopotamie et Hamazi en Iran occidental Les

fouilles dEbla ont livreacute le plus ancien exemple de traiteacute de paix reacutedigeacute ainsi que des preuves

dalliances matrimoniales entre les rois locaux et certains de leurs allieacutes

Les premiers Empires

Progressivement certains Eacutetats du sud meacutesopotamien reacuteussissent agrave imposer

une heacutegeacutemonie de plus en plus durable agrave leurs voisins comme celui dUruk sous

Enshakushana et surtout celui dUmma sous Lugal-zagesi Cette eacutevolution est acheveacutee avec

eacuteclat par Sargon dAkkad qui fonde en 2340 le premier Empire regroupant toutes les citeacutes-

Eacutetats qui existaient auparavant jusquagrave celles de Syrie orientale Les relations diplomatiques

de cette peacuteriode sont mal connues On dispose dune tablette sur laquelle est inscrit un traiteacute

de paix conclu entre Naram-Sicircn dAkkad (le petit-fils de Sargon) et un roi dAwan (dans le

sud-ouest iranien) qui est son vassal84

Cette situation dheacutegeacutemonie complegravete perdure jusquagrave

la seconde moitieacute du XXIIe siegravecle quand cet Empire seffondre Le relais est pris quelques

deacutecennies plus tard par les rois de la Troisiegraveme dynastie dUr qui fondent agrave leur tour un

Empire dominant la Meacutesopotamie Ces souverains sont en relation avec les royaumes voisins

et ils reccediloivent reacuteguliegraverement des ambassades envoient leurs propres messagers85

Leur

service diplomatique est pris en charge par un dignitaire appeleacute SUKKALMAH Ils

accompagnent leurs activiteacutes militaires vers le Plateau iranien dune politique matrimoniale

visant agrave faire eacutepouser leurs filles agrave des rois de cette reacutegion (Anshan Zabshali) de faccedilon agrave les

maintenir dans leur giron Mais leur Empire finit par eacuteclater pour finalement disparaicirctre et

deacutebute alors une longue peacuteriode sans Empire heacutegeacutemonique sous les dynasties amorrites

Le IIe milleacutenaire leacutequilibre des puissances

Le IIe milleacutenaire est une peacuteriode durant laquelle regravegne un relatif eacutequilibre des

puissances aucun royaume du Proche-Orient ancien ne reacuteussit agrave prendre le dessus sur ses

83 M G Biga laquo I rapporti diplomatici nel Periodo Protosiriano raquo dans P Matthiae F Pinnock et G Scandone

Matthiae (dir) Ebla Alle origini della civiltagrave urbana Milan 1995 p 140-147

84 W Hinz laquo Elams Vertrag mit Naram-Sicircn von Akkad raquo dans Zeitschrift fuumlr Assyriologie 58 1967 p 66-96

85T M Sharlach laquo Diplomacy and the Rituals of Politics at the Ur III Court raquo dans Journal of Cuneiform

Studies 57 2005 p 17-29

48

voisins de faccedilon durable Cependant on assiste progressivement agrave la formation dentiteacutes

politiques de plus en plus puissantes et stables qui dominent le concert international et

imposent leur domination agrave un certain nombre dEacutetats vassaux dont le nombre tend agrave se

reacuteduire Ces vassaux sont lobjet de nombreuses rivaliteacutes entre royaumes dominants qui

entraicircnent parfois des conflits ouverts

La premiegravere moitieacute du milleacutenaire est la peacuteriode des royaumes amorrites (2004-

1595) qui forment une sorte de koinegrave aux pratiques politiques similaires de la Mer

Meacutediterraneacutee jusquaux contreforts du Zagros86

La basse Meacutesopotamie et la Syrie sont

domineacutees successivement par plusieurs royaumes dans la premiegravere ce sont dabord Isin et

Larsa qui prennent la succession dUr mais finalement Babylone impose son heacutegeacutemonie sous

Hammurabi (1792-1750) et ses successeurs alors que lEacutelam eacutechoue agrave affirmer sa domination

sur la Meacutesopotamie en Syrie le royaume dominant est celui de Yamkhad (Alep) qui profite

de la disparition de ses voisins Mari et de Qatna (son grand rival) dans le courant des XVIIIe

et XVIIe siegravecles Les pratiques diplomatiques de cette eacutepoque sont surtout documenteacutees par le

lot exceptionnel des archives royales de Mari datant de la premiegravere moitieacute du XVIIIe siegravecle

(correspondance diplomatique accords politiques reacutecits historiques)87

compleacuteteacute par

quelques lots darchives moins importants pour ce domaine (Tell Leilan Tell Rimah Kuumlltepe

entre autres)

La fin de la peacuteriode amorrite est marqueacutee par la destruction de ses deux grands

royaumes sous les coups des Hittites qui ont reacuteuni agrave leur profit les royaumes dAnatolie

orientale dans les derniegraveres deacutecennies du XVIIe siegravecle Au mecircme moment les Hourrites

fondent des entiteacutes politiques de plus en plus puissantes qui culminent avec la formation du

royaume du Mitanni Agrave ces deux-lagrave sajoute finalement lEacutegypte dont la XVIIIe dynastie fait

chuter les Hyksocircs envahisseurs venus quelques deacutecennies plus tocirct du Proche-Orient avant de

commencer agrave se tailler un Empire au Levant face au Mitanni On rentre donc dans une

nouvelle egravere88

avec des royaumes encore plus grands et puissants et aussi plus divers

culturellement agrave lhorizon geacuteographique eacutelargi La plupart des anciens royaumes de legravere

86 B Lafont laquo Relations internationales alliances et diplomatie au temps des rois de Mari raquo dans J-M Durand

et D Charpin (dir) Amurru 2 Mari Eacutebla et les Hourrites Dix ans de travaux Paris 2001 p 213-328 (en) J

Eidem laquo International Law in the Second Millennium Middle Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir) op cit

p 745-752

87 J-M Durand Documents eacutepistolaires du palais de Mari Tome I Paris 1997

88 M Liverani Prestige and Interest International Relations in the Near East 1600-1100 BC Padoue 1990

(en) G Beckman laquo International Law in the Second Millennium Late Bronze Age raquo dans R Westbrook (dir)

op cit p 753-774 (en) T Bryce Letters of the Great Kings of the Ancient Near East The Royal

Correspondence of the Late Bronze Age New York et Londres 2003

49

amorrite sont devenus les vassaux de ces rois agrave lexception de Babylone qui reste un

royaume important sous les Kassites (1595-1155) Les souverains de ces royaumes dominants

se considegraverent comme des grands rois eacutegaux entre eux Vers le milieu du XIVe siegravecle

lAssyrie remplace le Mitanni dans ce groupe LEacutelam peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme

un des grands royaumes de cette peacuteriode au moins aux XIIIe et XII

e siegravecles Les pratiques

diplomatiques de cette peacuteriode sont connues gracircce agrave plusieurs lots dune importance

exceptionnelle celui de Hattusha (Boğazkoumli) la capitale hittite (lettres accords

diplomatiques chroniques historiques)89

les lettres dAmarna en Eacutegypte (correspondance

internationale des pharaons Amenhotep III et Akhenaton)90

et les archives royales dUgarit

royaume secondaire de Syrie soumis successivement agrave lEacutegypte puis aux Hittites91

Cest donc

la peacuteriode pour laquelle les relations internationales sont documenteacutees par les sources les plus

abondantes et diversifieacutees geacuteographiquement

Les Empires du Ier

milleacutenaire

La peacuteriode des grands rois sachegraveve autour de 1200 quand de grands

changements politiques surviennent avec notamment les migrations successives des Peuples

de la mer et des Arameacuteens leffondrement de la puissance des royaumes dominants et la

creacuteation plusieurs petits royaumes en Syrie au Levant et en Anatolie qui ne sont plus sous la

domination dun autre royaume Les Livres des Prophegravetes de la Bible heacutebraiumlque nous

permettent de voir les relations de deux de ces Eacutetats (Israeumll et Juda) avec leurs voisins

LAssyrie est le seul des grands royaumes agrave conserver une puissance et une

stabiliteacute politique suffisante pour reacuteussir agrave se tailler un Empire agrave partir de la fin du Xe siegravecle

12

En un peu plus de deux siegravecles cet Eacutetat impose sa domination sur la plupart des royaumes

proche-orientaux qui se dressent face agrave lui Seuls Babylone lUrartu lEacutelam et lEacutegypte

peuvent un temps caresser lideacutee de rivaliser avec lui mais ils sont finalement tous vaincus

Cette peacuteriode marque le deacutebut de legravere des grands Empire heacutegeacutemoniques au Moyen-Orient

De ce fait lAssyrie ne cherche pas agrave deacutevelopper des relations diplomatiques tregraves pousseacutees sa

vocation eacutetant de dominer les autres royaumes et non de composer avec eux Ses relations

avec les autres royaumes sont donc majoritairement ineacutegalitaires Les relations exteacuterieures

89 a et b (en) G Beckman Hittite Diplomatic Texts Atlanta 1996

90 W L Moran Les lettres drsquoEl Amarna Paris 1987 (it) M Liverani Le lettere di el-Amarna 2 vol Padoue

1998 et 1999 (en) R Cohen et R Westbrook (dir) Amarna Diplomacy The Beginning of International

Relations Baltimore et Londres 2000 Corpus auquel on peut deacutesormais ajouter un fragment dune lettre

envoyeacutee par Tudhaliya IV agrave Ramses II retrouveacute agrave Pi-Ramses (de) E B Pusch et S Jakob laquo Der Zipfel des

diplomatischen Archivs Ramses II raquo dans Aumlgypten und Levante XIII 2003 p143-153

91 Lackenbacher Textes akkadiens drsquoUgarit Paris 2002

50

des assyriens surtout leurs contacts avec leurs vassaux sont connus par les archives des

capitales assyriennes (Kalkhu Dur-Sharrukin et surtout Ninive) compleacuteteacutees par moment par

des sources exteacuterieures au cœur de lEmpire (notamment la Bible heacutebraiumlque)

Entre 614 et 609 lAssyrie est abattue par lalliance entre Babyloniens et

Megravedes mais les premiers ne reacuteussissent pas agrave faire durer leur empire un siegravecle alors quon ne

mesure pas bien la reacutealiteacute de la puissance megravede Ce sont les Perses acheacutemeacutenides sous

limpulsion de Cyrus II Cambyse et Darius Ier

qui creacuteent finalement un Empire durable qui

deacutepasse de loin par sa taille ceux de lAssyrie et de Babylone Eux non plus ne tolegraverent aucun

royaume qui se dise leur eacutegal Cet Empire chute sous les coups de larmeacutee dAlexandre le

Grand entre 333 et 330 qui savegravere incapable de reprendre agrave son profit lheacuteritage acheacutemeacutenide

et agrave sa mort en 323 ses geacuteneacuteraux se le partagent cest le deacutebut de la peacuteriode helleacutenistique

durant laquelle la Meacutediterraneacutee orientale et le Moyen-Orient sont diviseacutes entre plusieurs

grands royaumes rivaux

Pratiques diplomatiques

Les diffeacuterentes pratiques mises en œuvre dans les relations diplomatiques au

Proche-Orient ancien sont essentiellement connues par les archives royales du IIe milleacutenaire

provenant essentiellement de quatre sites archeacuteologiques (Mari Hattusha Tell el-Amarna et

Ugarit) compleacuteteacutees par des sources moins nombreuses pour le milleacutenaire preacuteceacutedent (Lagash

Ebla) et le suivant (Ninive Bible heacutebraiumlque) On deacutecegravele une relative homogeacuteneacuteiteacute et une

continuiteacute dans ces pratiques Mais du fait des sources et dun contexte international plus

propice au deacuteveloppement de relations diplomatiques ce que lon dira concerne avant tout le

IIe milleacutenaire

Une grande famille

Les rois du IIe milleacutenaire se preacutesentent souvent comme une grande famille Les

suzerains sont les laquo pegraveres raquo (akkadien abu(m))des vassaux qui se disent leurs laquo fils raquo

(māru(m)) Entre souverains de rang eacutegal (grands rois ou bien vassaux dun mecircme roi ou dun

roi de mecircme rang) on se considegravere comme laquo fregraveres raquo (ahu(m)) La relation entre suzerain et

vassal se marque aussi par lemploi des termes laquo maicirctre raquo et laquo serviteur raquo (bēlu(m) et

(w)ardu(m)) La meacutetaphore familiale indique bien le type de relations qui doit exister au

moins dans lideacuteal entre ces souverains ils se doivent laffection entre eux un pegravere doit

proteacuteger son fils mais en retour ce dernier doit lui obeacuteir le respecter ne pas le trahir et lui

51

verser reacuteguliegraverement un tribut des eacutegaux doivent faire en sorte decirctre toujours sur un pied

deacutegaliteacute ce qui appelle souvent des relations de reacuteciprociteacute entre eux avec le principe du don

et contre-don Progressivement les rois qui nont pas de suzerains (autre que les dieux)

acquiegraverent une place agrave part et dans la seconde moitieacute du IIe milleacutenaire ils prennent le titre de

laquo grand roi raquo (šarru rābu) et forment une sorte de laquo club raquo (selon lexpression de H Tadmor

reprise par M Liverani) tregraves fermeacute qui choisit qui peut linteacutegrer en fonction de ses succegraves

politiques cest ce que reacuteussit agrave faire Assur-uballit Ier

dAssyrie agrave leacutepoque dAmarna apregraves

avoir eacutelimineacute le Mitanni dont il prend la place mais pas le roi Tarundaradu dArzawa au

mecircme moment qui narrive pas agrave simposer face aux Hittites Chacun des rois recherche donc

la reconnaissance de ses pairs

laquo Dis au roi dEgypte mon fregravere ainsi (parle) Assur-uballit roi dAssyrie

Pour toi ta maison pour ton pays tes chars et tes soldats que tout aille bien Jrsquoenvoie mon

messager afin qursquoil te voie et qursquoil voie ton pays Jusqursquoagrave preacutesent mes preacutedeacutecesseurs nrsquoont

pas eacutecrit aujourdrsquohui je trsquoeacutecris Je trsquoenvoie un beau char 2 chevaux et une datte en lapis-

lazuli authentique comme cadeau en ton hommage Ne retarde pas le messager que je trsquoai

envoyeacute pour une visite Qursquoil visite et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi Qursquoil voie comment

tu es et comment est ton pays et puis qursquoil srsquoen retourne chez moi raquo92

Les agents de la diplomatie les messagers

Les agents permettant les relations entre les cours royales sont les messagers

(akkadien mār šipri(m)) mandateacutes par le palais royal15

Parfois on fait appel agrave des marchands

effectuant le voyage pour leurs propres affaires Il sagit de dignitaires du royaume qui sont

souvent accompagneacutes dautres dignitaires ou de serviteurs Ces messagers sont les acteurs-

cleacutes de la diplomatie ils portent les messages les preacutesents envoyeacutes par leur roi mais peuvent

eacutegalement ecirctre ameneacutes agrave neacutegocier eacuteventuellement en vue dun accord politique ou dun futur

mariage entre cours royales Leur autonomie varie selon les circonstances certains sont de

simples porteurs de lettres dautres sont chargeacutes dune mission et peuvent alors neacutegocier

alors que dautres ont les pleins pouvoirs (ce sont souvent des proches du roi) Tout deacutepend

du degreacute de confiance quils inspiraient agrave leur maicirctre

Ces messagers voyageaient agrave pied sur des acircnes ou bien des chariots voire des

bateaux Ils eacutetaient accueillis agrave leur arriveacutee agrave la cour eacutetrangegravere et eacutetaient logeacutes dans des

92 Le roi assyrien rejoint le club des grandes puissances (lettre dAmarna EA 15)

52

bacirctiments destineacutes aux hocirctes rarement dans le palais mecircme Leur entretien quotidien est pris

en charge Ils peuvent ensuite avoir des audiences aupregraves du souverain qui les reccediloit et lui

deacutelivrer les preacutesents confieacutes par leur mandataire Ces audiences sont publiques et les envoyeacutes

eacutetrangers peuvent y assister (mecircme sil sagit dennemis de celui qui est eacutecouteacute) Il fallait

souvent reacutegler des questions de protocole entre les diffeacuterents hocirctes en sachant que celles-ci

sont prises tregraves au seacuterieux et pouvaient causer des incidents Le terme de la visite est fixeacute par

lhocircte certains messagers ont pu ecirctre retenus plusieurs mois voire un ou deux ans dans

certains cas connus par les lettres dAmarna Le messager qui repart est geacuteneacuteralement

accompagneacute par un messager du pays hocircte qui se rend agrave la cour dorigine du premier pour

sassurer que son voyage se soit bien passeacute et pour se porter garant des informations quil

transmet

laquo Dis agrave mon Seigneur (Zimricirc-Licircm de Mari) ainsi parle Lacircucircm ton serviteur

Nous sommes entreacutes pour le repas devant Hammurabi Nous sommes entreacutes

dans la cour du palais Zimricirc-Addu moi-mecircme et Yaricircm-Addu nous trois seuls on nous a

revecirctus dhabits et les Yamkhadeacuteens qui sont entreacutes avec nous on les en a vecirctu tous Comme

il avait vecirctu tous les Yamkhadeacuteens alors quil ne lavait pas fait pour les secreacutetaires serviteurs

de mon seigneur moi jai dit agrave Sicircn-bel-aplim (dignitaire babylonien) agrave leur propos Pourquoi

cette seacutegreacutegation de ta part envers nous comme si nous eacutetions des fils de truie Nous de qui

donc sommes nous les serviteurs et les secreacutetaires se qui (le sont-ils) Nous tous nous

sommes serviteurs dun roi de premier rang Pourquoi faites-vous eacutetrangegraveres la droite avec la

gauche raquo

Querelles de protocole entre les ambassades de Mari et du Yamkhad agrave la cour

de Babylone sous le regravegne de Hammurabi

Il ny a jamais dambassadeur preacutesent en permanence dans une cour eacutetrangegravere

mais certains dignitaires peuvent ecirctre speacutecialiseacutes dans les relations avec une cour preacutecise ougrave

ils ont leurs habitudes et des connaissances Un de ces exemples est leacutegyptien Mane qui se

rend plusieurs fois agrave la cour du roi du Mitanni Tushratta agrave leacutepoque dAmarna Il existe donc

bien des speacutecialistes des relations internationales Ces messagers disposent en theacuteorie dune

immuniteacute et agrave chaque fois quun dentre eux subit des vexations ou est tueacute agrave linstigation dun

souverain cela suscite un tolleacute chez les autres rois Deux exemplaires de laissez-passer

53

reacuteserveacutes agrave ces messagers ont eacuteteacute retrouveacutes agrave Mari et Tell el-Amarna Les cours ougrave transitaient

des messagers eacutetrangers sans y ecirctre reccedilus en audience se devaient quand mecircme de les

heacuteberger agrave Mari on les eacutevoquait comme eacutetant des messagers laquo de passage raquo (ētiqtum)

La correspondance royale

Pour permettre lexistence de relations correctes entre rois il faut que ceux-ci

communiquent entre eux et ils le font par le biais de messages reacutedigeacutes dont on a pu retrouver

de nombreux exemples sur divers sites archeacuteologiques Ces messages sont geacuteneacuteralement

reacutedigeacutes en akkadien de Babylonie la langue internationale agrave partir du deacutebut du IIe milleacutenaire

et se preacutesentent au deacutepart de faccedilon tregraves simple avec une adresse introductive nommant

lexpeacutediteur et le reacutecepteur (suivant la formule courante en akkadien ana X qibī-ma umma Y-

ma laquo agrave X (reacutecepteur) dis ainsi (parle) Y (expeacutediteur) raquo Durant la seconde moitieacute du IIe

milleacutenaire ces messages diplomatiques comportent des salutations tregraves deacuteveloppeacutees durant

lesquelles un grand roi souhaite le bonheur et la prospeacuteriteacute agrave un de ses pairs et agrave sa maison ou

bien sil est un vassal il rappelle agrave son suzerain combien il est soumis agrave lui (par exemple

suivant la formule laquo je me prosterne agrave tes pieds sept fois et sept fois encore raquo)

Les eacutechanges de preacutesents

Les envoyeacutes des rois allant vers une cour eacutetrangegravere eacutetaient souvent chargeacutes de

preacutesents destineacutes agrave leur hocircte Un suzerain pouvait exiger de son vassal un tribut reacutegulier ou

bien au moment ougrave il le voulait La relation est alors asymeacutetrique Mais dans le cas de

relations entre deux eacutegaux la relation doit ecirctre symeacutetrique agrave un preacutesent reccedilu devait reacutepondre

un preacutesent offert de mecircme valeur Cest un systegraveme de don et de contre-don (šūbultum et

šūrubtum agrave la peacuteriode amorrite) Cette ideacuteologie est reacutesumeacutee dans une lettre retrouveacutee agrave Mari

dans laquelle le roi de Qatna se plaint agrave son homologue dEkallatum car ce dernier ne lui a

pas envoyeacute des preacutesents de mecircme valeur que ceux quil leur avait expeacutedieacutes auparavant Le roi

de Qatna explique que ce type de protestation ne doit pas se faire normalement (ce ne sont

pas des choses que lon dit) mais que dans ce cas-lagrave il sagissait presque dun affront et que

les autres souverains en lapprenant estimeraient que le roi de Qatna sort affaibli de cet

eacutechange ineacutegal Cest donc une affaire de prestige qui est prise tregraves au seacuterieux Agrave leacutepoque

dAmarna les querelles autour de ces envois de preacutesents sont courantes

54

laquo Dis agrave Ishme-Dagan ainsi parle Ishkhi-Addu ton fregravere

Voici une affaire dont on ne devrait pas parler mais en reacutealiteacute il faut que jen

parle et que je soulage mon cœur Tu te comportes en roi souverain toi Tu mas reacuteclameacute les

2 chevaux que tu voulais et je te les ai fait envoyer Or cest 20 mines deacutetain que toi tu mas

fait porter Tu ne dois certes pas avoir de deacutesir sans men parler tout uniment Cependant tu

mas fait porter lagrave bien peu deacutetain Si au moins tu ne me faisais rien porter raquo

Les biens eacutechangeacutes recoupent souvent ceux que lon trouve dans le commerce

international lEacutelam de la peacuteriode amorrite expeacutedie ainsi de leacutetain des mines du Plateau

iranien alors quagrave leacutepoque dAmarna le roi dEacutegypte envoie de lor de Nubie et celui

dAlashiya (sans doute Chypre) offre du cuivre Ces meacutetaux tregraves priseacutes font lobjet de

veacuteritables tractations dans les lettres dAmarna et les rois neacutegocient acircprement pour sen faire

envoyer ce qui semble indiquer une certaine deacutependance vis-agrave-vis de ces eacutechanges On

trouvait eacutegalement des produits manufactureacutes vases bijoux parures trocircnes chars etc

Certains ont estimeacute quil sagissait dun commerce deacuteguiseacute le contre-don eacutetant le laquo prix raquo

payant le don mais cela est discutable dans la mesure ougrave la volonteacute de reacuteciprociteacute reste

toujours preacutesente et dominante dans les neacutegociations Les aspects eacuteconomiques et

symboliques demeurent difficiles agrave dissocier Les eacutechanges de preacutesents diplomatiques

peuvent concerner dautres objets notamment des œuvres artisanales mais aussi des animaux

exotiques ou bien des chevaux de qualiteacute

laquo 12 paniers de dates 3 paniers de dattes deacutenoyauteacutees 1 (vecirctement) u-LAL en

lin 2 (vecirctements) bardul en lin 120 mines de cuivre [de poids] standard la reine du pays de

Dilmun a envoyeacute agrave la reine de Lagash raquo93

laquo Dis agrave Nibhurrereya (Toutankhanmon ) roi dEgypte mon fregravere ainsi

(parle) Burna-Buriash roi de Karduniash (Babylone) ton fregravere Pour moi tout va bien Pour

toi ta maison tes femmes tes fils ton pays tes Grands tes chevaux tes chars que tout aille

bien Depuis que mes ancecirctres et les tiens ont proclameacute mutuellement leur amitieacute ils se sont

envoyeacutes de somptueux preacutesents et nont jamais refuseacute une demande de quoi que ce soit de

magnifique Mon fregravere ma envoyeacute agrave preacutesent comme cadeau deux mines dor raquo

93 Extrait dune lettre enregistrant les envois de preacutesents par la reine de Dilmun (Bahrein) agrave la reine

Baranamtarra de Lagash (v 2400 av J-C)

55

Dans des cas preacutecis on envoie mecircme des personnes dans les autres cours Un

vassal peut ecirctre sommeacute denvoyer des serviteurs pour la cour de son suzerain au titre de tribut

Ramsegraves II envoie un de ses meacutedecins agrave la cour hittite d de Hattushili III94

Agrave leacutepoque

dAmarna Tushratta du Mitanni envoie la statue de la deacuteesse Ishtar de Ninive en Eacutegypte

peut-ecirctre pour soigner le pharaon Amenhotep III Il sagit alors plutocirct de services rendus entre

des cours allieacutees (lieacutees par des mariages interdynastiques) et non pas deacutechanges suivant le

principe de don et de contre-don

Les traiteacutes internationaux

Agrave des moments particuliers les Eacutetats pouvaient reacutediger des traiteacutes

internationaux dont la deacutenomination varie (par exemple en akkadien niš ili(m) riksu(m)

māmītu(m) ou encore adecirc agrave leacutepoque neacuteo-assyrienne lingaiš- et išhiul- en hittite becircrit en

heacutebreu) Ceux-ci succeacutedaient geacuteneacuteralement agrave une phase de guerre quils avaient pour but de

clore Ces accords neacutetaient pas forceacutement reacutedigeacutes mais ils lont eacuteteacute assez tocirct le plus ancien

traiteacute eacutecrit connu date du XXIVe siegravecle et engage la citeacute dEbla avec celle dAbarsal

Plusieurs traiteacutes eacutecrits ont eacuteteacute exhumeacutes agrave Mari Tell Leilan et Kuumlltepe pour la peacuteriode

amorrite ou Alalakh et Ugarit pour la peacuteriode suivante mais les sites qui en ont livreacute le plus

sont Hattusha la capitale hittite et Ninive celle de lAssyrie

Pourtant une version eacutecrite neacutetait pas obligatoirement reacutedigeacutee agrave lissue dun

accord diplomatique Ce qui importait ceacutetait la reacutealisation dun serment prenant agrave teacutemoin les

dieux et engageant chacun des deux contractants Durant la peacuteriode amorrite ce serment est

renforceacute par des rituels un sacrifice danocircns suivi dun banquet si laccord est passeacute en

preacutesence des deux contractants ou bien un rituel appeleacute laquo toucher de gorge raquo (lipit napištim)

si chaque contractant precircte serment de son cocircteacute parce quils eacutetaient dans limpossibiliteacute de se

reacuteunir Aucun rituel de ce type nest connu pour les autres peacuteriodes On sait cependant que les

Hittites portaient plus dattentions aux tablettes de traiteacutes puisque des clauses de certains

traiteacutes stipulent que lon en produisait plusieurs qui devaient ensuite ecirctre entreposeacutees dans

des endroits preacutecis avant tout les temples des diviniteacutes garantes de laccord Ils reacutedigeaient

mecircme des traiteacutes sur des tablettes en meacutetal dont un seul exemplaire a eacuteteacute exhumeacute dans leur

capitale Les traiteacutes semblent geacuteneacuteralement ne concerner que les contractants eux-mecircmes et

94Les eacutechanges de preacutesents entre rois babyloniens et eacutegyptiens dans une lettre dAmarna (EA 9)

56

pas leurs descendants qui doivent renouveler laccord quand ils montent sur le trocircne les

Hittites semblent cependant consideacuterer que les traiteacutes engagent aussi les descendants

Les textes de traiteacutes comportent geacuteneacuteralement une preacutesentation des

contractants les diffeacuterentes clauses de laccord et la liste des diviniteacutes garantes de laccord

avec eacuteventuellement les maleacutedictions qui sabattraient sur ceux qui rompraient le contrat

Chez les Hittites on y a ajouteacute une partie historique racontant la situation ayant meneacute au

traiteacute Les clauses concernent geacuteneacuteralement les conditions de la paix entre les contractants

(sur la circulation des personnes entre les royaumes le rapatriement de prisonniers et

eacuteventuellement lexpulsion de reacutefugieacutes politiques) ou bien une alliance (suivant la formule

reacutecurrente laquo ecirctre ami avec lami et ennemi avec lennemi raquo de lautre) La hieacuterarchie entre rois

est respecteacutee dans ces clauses elles sont symeacutetriques sil sagit de deux souverains de rang

eacutegal mais ineacutegalitaires sil sagit dun suzerain et de son vassal Les traiteacutes de vassaliteacute

(surtout attesteacutes dans la sphegravere hittite et assyrienne) regraveglent donc les conditions de la

soumission dun royaume agrave un autre impossibiliteacute pour le vassal de mener une politique

exteacuterieure autonome versement dun tribut appui militaire au suzerain quand celui-ci lexige

et parfois stationnement de garnisons sur son sol Dans le cas des traiteacutes passeacutes par la citeacute

marchande dAssur au XIXe siegravecle on trouve des clauses relatives agrave lactiviteacute commerciale

(taxes agrave payer seacutecuriteacute des marchands)

laquo (Clauses de laccord ) (Lorsque) dans ton pays il y a corde et piquet

(reacutefeacuterence aux limies du territoire domineacute par le roi) aucun Assyrien ne doit subir de perte

(de marchandise) Sil devait y avoir des pertes dans ton pays tu devrais (alors) rechercher (ce

qui a eacuteteacute perdu) et nous (le) renvoyer Sil devait y avoir effusion de sans dans ton pays tu

devrais nous livrer les meurtriers et nous les tuerions Tu ne dois pas laisser venir des

Akkadiens si (quelques-uns) devaient monter vers ton pays tu devrais nous les livrer et nous

les tuerions Tu ne dois rien nous reacuteclamer De mecircme que ton pegravere (le faisait) de (chaque)

caravane (qui) monte tu preacutelegraveveras 12 sicles deacutetain De (chacune qui) redescend de mecircme

que ton pegravere tu beacuteneacuteficieras de 1 14 sicle dargent par acircne Tu ne recevras rien de plus Sil

devait y avoir une guerre ou si aucune caravane ne pouvait venir alors on tenverrait 5 mines

deacutetain depuis Hahhum

(Rituel de prestation de serment ) Par le dieu Assur le Dieu de lOrage la

Terre et les esprits de ses ancecirctres il a leveacute sa main Il enjambe sa table et son siegravege Il a

rempli une marmite et sa coupe et (les) a videacutees Les princes a dit ceci laquo (inintelligible) raquo Ils

57

(lui ont reacutepondu) ainsi laquo Si nous renions votre serment que notre sang soit verseacute comme

(celui contenu dans cette) coupe raquo 95

laquo Jure par Shamash des cieux jure par Addu des cieux par ces dieux-lagrave

Hammurabi fils de Sicircn-muballit roi de Babylone (en ces termes)

Agrave compter de ce jour pour ma vie entiegravere je serai en guerre avec

Siwepalarhuhpak Je ne ferai pas prendre la route agrave des serviteurs agrave moi comme messagers

avec des serviteurs agrave lui et ne les lui deacutepecirccherai pas Je ne ferai pas la paix avec

Siwepalarhuhpak sans laveu de Zimricirc-Licircm roi de Mari et du pays beacutedouin Si avec Siwe-

palar-huhpak je me propose de faire la paix je jure den deacutelibeacuterer avec Zimricirc-Licircm roi de

Mari et du pays beacutedouin (pour savoir) s(il faut) ne pas faire la paix Je jure que cest de

concert que nous ferons la paix avec Siwepalarhuhpak

Cest avec de bons sentiments et sinceacuteriteacute complegravete que je formule ce serment

par mes dieux Shamash et Addu qui est jureacute agrave Zimricirc-Licircm fils de Yahdun-Licircm roi de Mari et

du pays beacutedouin et que je mapproche de lui raquo96

laquo Ramsegraves Grand Roi Roi dEacutegypte est en bonne paix et bonne amitieacute avec

[Hattusili] Grand Roi du Hatti Les fils de Ramsegraves-aimeacute-dAmon [Grand Roi] Roi dEacutegypte

seront en paix et [en fraterniteacute avec] les fils de Hattusili Grand Roi Roi du Hatti pour

toujours Et ils resteront dans les mecircmes relations de fraterniteacute [et de] paix comme nous ainsi

lEacutegypte et le Hatti seront en paix et en fraterniteacute comme nous pour toujours Ramsegraves-aimeacute-

dAmon Grand Roi Roi dEacutegypte nouvrira pas agrave lavenir dhostiliteacutes contre le Hatti pour y

prendre quoi que ce soit et Hattusili Grand Roi Roi du Hatti nouvrira pas agrave lavenir

dhostiliteacutes contre lEacutegypte pour y prendre quoi que ce soit raquo97

95 Reacutesumeacute dun accord entre les marchands dAssur et un souverain dAnatolie retrouveacute agrave Kuumlltepe (Kanesh)

preacutevoyant la protection des marchands assyriens un monopole commercial agrave leur profit ainsi que le montant

des taxes douaniegraveres quils acquittent

96 Projet de traiteacute dalliance entre les rois Hammurabi de Babylone et Zimricirc-Licircm de Mari contre

Siwepalarhuhpak dEacutelam

97 Extrait du traiteacute damitieacute entre Ramsegraves II drsquoEacutegypte et Hattusili III du Hatti version de Ramsegraves II retrouveacutee agrave

Hattusa

58

laquo Traiteacute dAssarhaddon roi dAssyrie fils de Sennacherib roi dAssyrie avec

Baal roi de Tyr [ son fils ses autres fils ses petits-fils avec t]ous [les Tyriens] jeunes et

vieux ()

(Clauses )Si un bateau de Baal ou des gens de Tyr fait naufrage dans le pays

des Philistins ou en Assyrie ce qui est dans ce bateau appartiendra agrave Assarhaddon roi

dAssyrie On ne doit pas faire de mal aux gens qui sont dans ce bateau on les renverra dans

leur pays Voici les ports et les routes quAssarhaddon roi dAssyrie a confieacutes agrave Baal son

serviteur vers Acre Dor tout le pays des Philistins et toutes les villes assyriennes qui sont

pregraves de la mer et Byblos le pays du Liban toutes les villes dans la montagne Toutes ces

villes appartiennent agrave Assarhaddon roi dAssyrie Baal [pourra entrer dans ces] villes (Les

gens de) Tyr conformeacutement agrave ce quAssarhaddon roi dAssyrie a permis (resteront) sur

leurs bateaux et sils entrent dans les villes de [] ses villes ses villages ses ports qui []

pour payer [des taxes] et leurs alentours comme par le passeacute [ils payeront des taxes] ()

(Maleacutedictions) Que les grands dieux du ciel et de la terre les dieux drsquoAssyrie

les dieux drsquoAkkad et les dieux drsquoEber-nari vous maudissent drsquoune indissoluble maleacutediction

Que Baal Shamain Baal Malage et Baal Saphon legravevent un vent mauvais contre vos bateaux

pour libeacuterer leurs amarres et arracher leur macirct quune vague puissante les fasse couler dans la

mer et quune violente mareacutee se legraveve contre toi Que Melqart et Eshmun livrent ton pays agrave la

destruction et tes gens agrave la deacuteportation quils t[arrachent] de ton pays ocirctent la nourriture de

ta bouche les vecirctements de ton corps lhuile pour toindre QuAstarte brise ton arc au plus

fort du combat quelle te soumette agrave ton ennemi quun ennemi eacutetranger partage tes biens raquo98

Les alliances matrimoniales

Les mariages interdynastiques sont une pratique diplomatique tregraves courante

dans lhistoire du Proche-Orient ancien attesteacutee degraves les archives dEbla agrave la peacuteriode

archaiumlque mais documenteacutee surtout pour le IIe milleacutenaire Il sagit dun moyen efficace de

creacuteer ou dapprofondir les liens entre deux familles royales Les souverains eacutetant polygames

ils pouvaient contracter des mariages avec plusieurs filles ou sœurs dautres rois Cest

toujours la femme qui quitte sa cour pour se rendre dans celle de son promis Les mariages

peuvent se faire entre souverains de mecircme rang (homogamie) ou bien entre souverains de

rangs diffeacuterents quand cest un suzerain qui promet une femme agrave son vassal (hypogamie) ou

98 Traiteacute entre Assarhaddon dAssyrie et Baal de Tyr

59

bien un vassal qui en promet une agrave son suzerain (hypergamie) Celles-ci vont alors rejoindre

le harem de leur nouvel eacutepoux Les grands rois font geacuteneacuteralement en sorte que leur fille ait un

rang eacuteleveacute agrave la cour ougrave elles vont et souvent ils imposent quelle devienne eacutepouse principale

pour quelle puisse eacuteventuellement jouer un rocircle politique La Bible heacutebraiumlque preacutesente ainsi

le cas de Jeacutezabel fille du roi de Tyr qui eacutepouse le roi Achab de Juda et aurait exerceacute une

grande influence sur ce dernier Mais une telle reacuteussite nest pas systeacutematique et leacutetude des

destins des filles du roi Zimri-Lim de Mari qui sont marieacutees agrave dautres rois de la Syrie

amorrite montre que certaines sen sortent mieux que dautres En principe chaque souverain

doit jouer le jeu des eacutechanges matrimoniaux mais les rois eacutegyptiens du Bronze reacutecent y font

exception puisquils refusent de donner leurs filles agrave marier agrave dautres rois mecircme leurs

eacutegaux tout en acceptant deacutepouser une princesse eacutetrangegravere ils ne respectent donc pas la

pariteacute dans ce cas-lagrave

Le deacuteroulement des mariages interdynastiques est connu gracircce agrave plusieurs

dossiers bien documenteacutes retrouveacutes agrave Mari Tell el-Amarna et Hattusha dans le cas de

mariages entre souverains de mecircme rang Au preacutealable il fallait neacutegocier le futur mariage et

notamment le choix de leacutepouse Linitiative venait geacuteneacuteralement du futur beau-pegravere mais

parfois du futur eacutepoux Les neacutegociations se faisaient par correspondance et par lenvoi de

messagers-ambassadeurs parmi les plus fiables dont on disposait Dans le cas du mariage

entre Ramsegraves II et la fille de Hattushili III la reine hittite Puduhepa neacutegocie parfois

directement avec le roi eacutegyptien Mais geacuteneacuteralement cest une affaire dhommes Les envoyeacutes

devaient neacutegocier la dot mais eacutegalement voir la promise et notamment sassurer quelle soit

belle ce qui est la qualiteacute principale attendue chez elle Le dot (nidditum en paleacuteo-

babylonien verseacutee par la famille de la marieacutee au marieacute) est lobjet de neacutegociations qui

peuvent ecirctre acircpres et elle appelle eacutegalement une contre-dot (terhatum en paleacuteo-babylonien

verseacutee par le marieacute agrave la famille de la marieacutee) Des listes de dots et contre-dots ont eacuteteacute

exhumeacutees agrave Mari et Tell el-Amarna Une fois les tractations acheveacutees la princesse quittait

deacutefinitivement sa cour dorigine pour inteacutegrer celle de son futur eacutepoux Elle effectuait le

voyage avec sa suite les repreacutesentants de son royaume dorigine et ceux de celui ougrave elle se

rendait La ceacutereacutemonie nuptiale avait geacuteneacuteralement lieu agrave larriveacutee Elle pouvait ensuite garder

contact avec sa famille dorigine par des lettres ou bien en rencontrant des envoyeacutes de celle-

ci Sa famille attendait notamment delle quelle donne des enfants (macircles de preacutefeacuterence) agrave

son eacutepoux

60

Renaissance et eacutepoque moderne

Parmi les principales personnaliteacutes qui ont contribueacute agrave la formation du droit

international on peut citer Francisco de Vitoria (1483-1546) qui sinteacuteressa agrave la situation

reacutesultant de la deacutecouverte de lAmeacuterique Francisco Suaacuterez (1548-1617) qui introduit les

principes selon lesquels le fondement moral de la communauteacute internationale est la chariteacute

chreacutetienne lautoriteacute de lEacutetat eacutetant limiteacutee par la morale et le droit Hugo Grotius (1583-

1645) qui est celui qui a sans doute le plus influenceacute le droit international contemporain Il

expose de maniegravere systeacutematique les principes du droit international Il distingue le droit

naturel (sens commun de lhumaniteacute) et le droit volontaire (jus gentium) celui qui a reccedilu

force obligatoire de la volonteacute de toutes les nations ou de plusieurs dentre elles On peut citer

aussi Alberico Gentili Emer de Vattel et Samuel von Pufendorf Les eacuteleacutements constitutifs de

leacutetat moderne se mettent en place en particulier en Angleterre et en France pouvoir

organiseacute lieacute agrave une institution et non agrave la personne mecircme de son deacutetenteur population

territoire De la coexistence des Eacutetats forceacutes de coopeacuterer les auteurs deacuteduisent la neacutecessiteacute

de respecter les traiteacutes (pacta sunt servanda) La guerre demeure toutefois possible pour des

auteurs tels que Grotius Le traiteacute de Westphalie reconnaicirct en 1648 leacutegaliteacute des nations

souveraines dEurope principe fondamental du droit international moderne

Preacutetendre identifier de maniegravere preacutecise le point de deacutepart drsquoun systegraveme

juridique srsquoavegravere pour le moins hasardeux Il nrsquoest point question ici de datation au carbone

14 Si lrsquoon persiste dans un souci peacutedagogique agrave vouloir repeacuterer les origines immeacutediates du

droit international contemporain il semble raisonnable de consideacuterer qursquoelles srsquoenracinent

dans le processus drsquoeacutemergence de lrsquoEtat souverain Selon le meacutedieacuteviste Bernard Gueacuteneacutee laquo

lrsquoEtat nouveau se construit des limites de plus en plus solides auxquelles il donne un sens

politique fiscal et surtout militaire la limite du XIVegraveme siegravecle devient une frontiegravere raquo Et en

deccedilagrave des frontiegraveres le prince ressaisit peu agrave peu les vieux droits reacutegaliens impose de mieux en

mieux sa justice et sa fiscaliteacute gracircce agrave des agents de plus en plus nombreux inspireacutes et

controcircleacutes de la capitale par des services de plus en plus eacutetoffeacutes

Jean Bodin deacuteveloppera la notion de souveraineteacute pour consolider lrsquoEtat face

au Saint Empire romain et agrave lrsquoEglise Pour lui la souveraineteacute consideacutereacutee comme le pouvoir

suprecircme est un attribut essentiel de lrsquoEtat sa puissance absolue perpeacutetuelle et inalieacutenable La

fin de la Guerre de Trente Ans et la signature des Traiteacutes de Westphalie marquent un tournant

important dans lrsquohistoire du continent europeacuteen et plus geacuteneacuteralement du droit international

61

Ces traiteacutes ayant pour conseacutequence lrsquoeacuteclatement de lrsquoEmpire germanique en 355 Entiteacutes

indeacutependantes les relations internationales se compliquent et changent de nature en ce

qursquoelles reposeront deacutesormais sur les notions drsquoeacutegaliteacute des Etats et de leur souveraineteacute

respective La construction doctrinale du droit internationale srsquoest acceacuteleacutereacutee avec la

deacutecouverte des Ameacuteriques et des populations qui les habitaient En effet le droit peu

deacuteveloppeacute heacuteriteacute du jus gentium romain suffisait agrave reacutegir les relations entre des peuples

anciens et culturellement proches qursquoen eacutetait-il de ces peuples inconnus et tregraves diffeacuterents Les

grandes deacutecouvertes ont ainsi encourageacute les interrogations juridiques On rappellera agrave cet

eacutegard le deacutebat doctrinal au sujet de lrsquohumaniteacute des Ameacuterindiens meneacute par Francisco Vitoria

moine dominicain ayant veacutecu de 1480 agrave 1546 Dans son ouvrage De Indis il conclut agrave leur

humaniteacute Doueacutes drsquoune acircme ils appartiennent agrave la societas gentium et sont sujet du jus

gentium eacutemanation du droit naturel Aussi en infeacuterait-il drsquoune part que le Roi drsquoEspagne

pouvait srsquoallier agrave certaines tribus pour en reacuteduire drsquoautres et drsquoautre part que le droit naturel

obligeait non seulement les populations indigegravenes agrave accepter le droit de libre circulation des

Espagnols mais plus largement leacutegitimait la conquecircte Dans la penseacutee de Vitoria les Etats

reacuteunis en communauteacute internationale doivent ecirctre limiteacute par un droit supeacuterieur le droit

international confondu alors avec le droit naturel Fransisco Suarez autre leacutegiste espagnol

jeacutesuite va distinguer le droit naturel du droit des gens mais conservera une certaine notion

de transcendance

Crsquoest Hugo Grotius (Juriste Neacuteerlandais 1583-1645) consideacutereacute comme un des

pegraveres du droit international qui va sans reacuteellement ecirctre tregraves novateur deacutefinir un cadre

theacuteorique ineacutedit permettant de donner une coheacuterence agrave des regravegles eacuteparses neacutees de la pratique

intuitive des relations internationales A moins de srsquoignorer les puissances souveraines

doivent accepter lrsquoideacutee neacutecessaire drsquoune socieacuteteacute internationale reacutegie par le droit Cette

systeacutematisation tend agrave offrir une alternative raisonnable agrave la monarchie universelle dont

lrsquoeacutechec a eacuteteacute scelleacute par les revers de la papauteacute le deacutelitement puis la disparition du Saint

Empire Germanique ainsi qursquoaux projets chimeacuteriques de paix universelle La reacutealiteacute va

diffeacuterer quelque peu des visions doctrinales pour ne garder que lrsquoideacutee drsquoeacutegaliteacute des Etats

souverains qui se maintient aujourdrsquohui encore et est une base sinon la base des relations

internationales en nrsquoadmettant pas lrsquoexistence drsquoun droit supeacuterieur auquel seraient soumis

tous les Etats On peut se demander si on ne srsquoavance pas sur cette voie avec les Nations

Unies aujourdrsquohui mais crsquoest loin drsquoecirctre fait Avec Vatel consideacutereacute comme un des premiers

positivistes le droit des gens en tant que droit supeacuterieur commence agrave ecirctre disqualifieacute pour

62

laisser place agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste que le droit positif crsquoest-agrave-dire celui issu de la volonteacute des

Etats neacutecessairement eacutevolutive et influenccedilable Les Etats ne sont pas soumis au droit naturel

ils peuvent unilateacuteralement deacutefinir ce que le droit naturel leur impose Avec le triomphe du

positivisme le droit international cesse drsquoecirctre analyseacute en termes de droit supeacuterieur ou

transcendantal pour ecirctre consideacutereacute exclusivement comme le droit issu des traiteacutes et de la

coutume

Les premiers traits du droit international contemporain seront ainsi faccedilonneacutes

- Les Etats sont souverains et eacutegaux entre eux

- La socieacuteteacute internationale est une socieacuteteacute intereacutetatique sans qursquoaucun

pouvoir politique supeacuterieur ne srsquoimpose aux entiteacutes la composant

- Le droit international est un droit purement intereacutetatique Les individus

ne sont pas sujets de ce droit

- Le droit international est issu de la volonteacute et du consentement exprimeacute

expresseacutement (traiteacute) ou tacitement (coutume) par les Etats souverains

- Les Etats appreacutecient unilateacuteralement ce qursquoils doivent ou ne doivent

pas faire dans leurs relations internationales

- La guerre est permise Il a drsquoailleurs longtemps eacuteteacute admis qursquoun Etat

disposait du laquo droit de mettre fin agrave lrsquoeacutetat de paix avec ses voisins chaque fois qursquoil le

souhaitait et de livrer une guerre sous nrsquoimporte quel preacutetexte voire sans aucun preacutetexte La

seule restriction imposeacutee agrave ce droit de faire la guerre eacutetait lrsquoexigence drsquoune deacuteclaration de

guerre en bonne et due forme Les deux derniegraveres propositions sont les seules qui ne sont plus

totalement valables aujourdrsquohui Les Etats ont perdu une grande part de leur liberteacute drsquoactions

La guerre est interdite et ils sont contraints de respecter leurs engagements internationaux

pouvant mecircme ecirctre sanctionneacutes srsquoils manquaient agrave leur parole

Les origines historiques du droit international de notre temps se trouvent dans

le droit romain classique Le droit international public sest deacuteveloppeacute en Europe au XIII et

XIV siegravecle gracircce agrave la transformation progressive de lordre politique existant agrave cette eacutepoque

cette transformation a abouti au changement dentiteacutes distinctes munies dun pouvoir central

63

et exerccedilant une domination quasi absolue sur les groupements humains eacutetablis agrave linteacuterieur

dun territoire deacutetermineacute Ce sont ces entiteacutes que nous appelons aujourdhui Etats

indeacutependants Des origines jusquagrave la fin du 18egraveme

S la doctrine a surtout utiliseacute les termes de

laquo droit des gens raquo laquo law of nation raquo ou encore laquo jus gentiem raquo pour designer la totaliteacute des

regravegles se rapportant agrave la conduite des nations et aux affaires des souverains Les auteurs les

plus en vue consideacutereacutes comme fondateurs du systegraveme moderne de droit international sont

notamment gratius pufendorf et vattel Sans doute pourrait-on deacutejagrave discerner au cours de

cette peacuteriode (allant pour lessentiel de 1815 agrave 1920) les premiegraveres manifestations dune

contestation ou dune eacutevolution qui apparaicirctront dans les phases ulteacuterieures Cest ainsi que

degraves la seconde moitieacute du XIXe siegravecle on observe linstitution des premiegraveres laquo unions

administratives internationales raquo comme lUnion postale universelle qui date de 1878 ou

lUnion radio teacuteleacute- graphique internationale de 1906 leur creacuteation manifeste que deacutesormais

la coexistence minimale ne va pas sans une coordination des services techniques et des

eacutequipements dont lapparition est lieacutee agrave la premiegravere reacutevolution industrielle

Dun point de vue plus substantiel au cours de cet acircge de seacutecularisation dun

droit reacuteputeacute parfaitement neutre parce quil aurait exclu deacutefinitivement la reacutefeacuterence agrave des

valeurs ou ideacuteologies transcendantes simposant aux Eacutetats se manifestent certaines ambitions

quant agrave lassignation de fins eacutethiques autant que politiques au droit des Gens cest en effet agrave

la fin du XIXe siegravecle quau travers des tentatives successives de substitution de larbitrage agrave la

guerre reprennent vie dans un contexte dailleurs nouveau les theacuteories de laquo la Paix par le

Droit raquo Cest au tournant du siegravecle avec les Confeacuterences de La Haye que lon tente de

limiter ou tout au moins de reacutegulariser les conditions du recours agrave la force armeacutee efforts

annonccedilant deacutejagrave les tentatives qui aboutiront agrave la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations et plus

tard de lOrganisation des Nations Unies Neacuteanmoins pour lessentiel il y a accord entre les

puissances dominantes pour assigner au droit des fonctions restreintes qui se ramegravenent agrave

lorganisation dune coexistence normaliseacutee par voie daccords express ou tacites Le droit na

lieu de sexercer quentre des nations issues de la mecircme civilisation Les grands empires

eacutetrangers comme la Chine ou le Japon encore mal sorti de son long Moyen- Age campent

en dehors de ce club Quant au reste des peuples qui habitent la planegravete ils sont promis agrave ce

que la Socieacuteteacute de Nations appellera encore lalaquo mission sacreacutee de civilisation raquo incombant aux

Nations occidentales Cette formule nest-elle pas le meilleur teacutemoignage de luniteacute de

conceptions preacutevalant alors quant agrave lideacutee de civilisation ou de culture au sens large du terme

Il ny en a quune qui vaille celle des nations europeacuteennes eacutetendue au monde occidental

64

On a tendance aujourdhui agrave preacutesenter la remise en cause de ce monolithisme

comme le fait des pays en deacuteveloppement promus agrave la digniteacute dEacutetats-Nations agrave la suite de la

vague de deacutecolonisation des anneacutees 60 Cest une ideacutee largement reccedilue que de preacutesenter leur

arriveacutee subite sur la scegravene internationale et leur conquecircte rapide de la majoriteacute au sein de

lAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations Unies comme le point de deacutepart dune vaste contestation du

droit que lon vient de deacutecrire et dune remise en cause de ses fondements99

La reacutealiteacute est

cependant beaucoup plus nuanceacutee

99 V p ex N E GHOZALI Meacutelanges Chaumont pp 297-314

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