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science et société Vol. V , n" 2

Juin 1954 Le numéro : 175 fr.; $ .75; 3/6

DANS CE NUMERO :

Progrès scientifique et évolution du droit international par C H A R L E S R O U S S E A U

Le facteur humain dans l'application de la science par J. R . G A S S

La photosynthèse et la culture des algues . par D . N E V I L L E - J O N E S

Impact, publication trimestrielle paraissant en français et en anglais. Abonnement annuel :

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NS 54 I 15F

ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE 19, avenue Kléber, Paris-16e, France

Table dès matières

PROGRES SCIENTIFIQUE ET EVOLUTION D U DROIT INTERNATIONAL, par CHARLES ROUSSEAU 75

Les découvertes scientifiques ont pour effet, dans l'ordre international, tantôt d'étendre le domaine de compétence des Etats, tantôt d'affecter le régime d'exer­cice de ces compétences, tantôt enfin de modifier les conditions d'application du droit de la guerre. Mais nous pouvons déjà envisager un stade du progrès scientifique où le terme même de droit international sera trop étroit : car le droit international de demain ne sera plus exclusivement interétatique, mais bien interplanétaire.

LE FACTEUR HUMAIN DANS L'APPLICATION. DE LA SCIENCE, par J.R. GASS 98

Le rythme auquel les connaissances scientifiques et techniques sont appliquées dans l'industrie dépend, dans une large mesure, des obstacles et des difficultés qui tiennent à l'homme. Tout indique que le facteur humain intervient d'une manière particulièrement importante au niveau où la direction prend la décision d'innover. Cette décision dépend en partie et, par suite, relève de l'activité de l'homme de science.

LA PHOTOSYNTHESE ET LA CULTURE DES ALGUES, par D. NEVILLE-JONES 121

L'argument essentiel en faveur de la culture des algues demeure la possibilité théorique d'obtenir, sur des terrains qui n'auraient pas besoin d'être fertiles, une très forte proportion de protéines par unité de surface. Les résultats obte­nus en pratique sont encore très loin d'atteindre le taux de rendement théorique. Si la culture des algues a des chances de réussir, ce sera d'abord dans les régions très ensoleillées qui manquent de protéines et qui disposent de l'anhy­dride carbonique obtenu comme sous-produit.

REVUE DES LIVRES ET DES PUBLICATIONS

L'homme et la machine 143

TUSTIN, A R N O L D , The Mechanism of Economie Systems

ARTICLES DES PROCHAINS N U M E R O S

WILLIAM E . D I C K : « La science et la presse ».

J. K N O X : « L'organisation de la recherche appliquée >.

J.E. H O L M S T R O M : « Le rôle de la documentation scienti­

fique ».

J E A N M U S S A R D : « La leçon du C . E . R . N . ».

PROGRÈS SCIENTIFIQUE ET ÉVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL

par

CHARLES ROUSSEAU

Professeur à la faculté de droit de l'Université de Paris, eminent spécialiste du droit international, le professeur Rousseau est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment de Principes généraux du droit international public, Paris, 1944; L'indépendance de l'Etat dans l'ordre international, Paris, 1948; et Droit international public, Paris, 1953.

Q u e le progrès scientifique ait une influence directe sur la réglementation des rapports sociaux est une constatation d'évidence si l'on admet que, par ses applications, la science modifie l'armature technique de la société et détermine, par là m ê m e , de nouvelles formes de civilisation et un nouvel aménagement des relations humaines. Encore doit-on remarquer que le phénomène ne s'observe pas toujours avec la m ê m e constance ni avec la m ê m e intensité. Il est nécessairement plus sensible là où la structure du milieu social est plus évoluée et où les rapports des sujets de droit sont plus denses, plus fréquents ou plus continus. C'est dire que l'ordre juridique interne constitue par excellence le secteur type où peut se vérifier le plus nettement la liaison du progrès technique et de la réglementation légale.

Les données du problème se modifient inévitablement si l'on passe du droit interne au droit international. L e caractère encore primitif du milieu social, la médiocrité des procédés utilisés pour élaborer et mettre en œuvre la règle de droit, la contamination trop fréquente de la technique juridique par les préjugés politiques ou les réflexes de l'exclusivisme nationaliste ne semblent guère, à première vue, favoriser une soumission excessive du droit des gens aux exigences du progrès scientifique. E n réalité, l'influence des découvertes scientifiques sur le développement du droit international est loin d'être négli­geable; et un examen m ê m e cursif du problème en révélera, nous l'espérons, des aspects plus nombreux et plus complexes qu'on ne l'imagine d'habitude l.

Ceux-ci peuvent être groupés autour de trois idées essentielles, les décou­vertes scientifiques ayant pour effet normal, dans l'ordre international, tantôt d'étendre le domaine de compétence des Etats, tantôt d'affecter le régime d'exercice de ces compétences, tantôt enfin — aspect le plus c o m m u n é m e n t

1. La bibliographie de la matière est relativement pauvre. Voir surtout E . M . E A R L E , The Impact of Scientific Discovery and Technological Change on International Relations, Proceedings of the 8th Conference of Teachers of International L a w and Related Subjects, Washington, 1946, et M . BouRQUiN, « Pouvoir scientifique et droit international », Recueil des cours de l'Académie de droit international, 1947, I, p. 335-406. Cette dernière étude est surtout consacrée au problème de l'énergie atomique.

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entrevu jusqu'ici — de modifier les conditions d'application du droit de la guerre.

EXTENSION DU DOMAINE DE LA COMPÉTENCE SPATIALE DES ÉTATS

L'extension du domaine de compétence spatiale des Etats a été fréquemment provoquée par le progrès scientifique. Mais elle ne s'est pas toujours mani­festée avec la m ê m e netteté.

Les frontières artificielles.

E n matière terrestre, on peut seulement relever que la détermination des frontières étatiques, au lieu d'être fondée sur l'adoption d'une ligne naturelle ou géographique (telle qu'une limite orographique, fluviale ou lacustre), a été parfois établie par référence à une limite artificielle, basée sur un critère scientifique.

L e phénomène est apparu de bonne heure en ce qui concerne l'adoption des limites astronomiques, tracées d'après des parallèles de latitude ou des méridiens de longitude. Les applications les plus connues de cette méthode ont été faites par l'accord verbal de Cateau-Cambrésis du 3 avril 1559 (qui se référait au tropique du Cancer), complété par le traité anglo-espagnol de Madrid de 1630 (qui se référait à la ligne de Péquateur); par le traité de Versailles du 3 septembre 1783, qui adoptait c o m m e frontière entre les Etats-Unis et le Canada le parallèle de 45°, de la rivière Connecticut au Saint-Laurent; par le traité anglo-américain du 6 mai 1846, qui adoptait le parallèle de 49°, du Pacifique au lac W o o d s ou lac des Bois, pour la déli­mitation de la frontière entre les deux m ê m e s Etats; par la convention anglo-égyptienne du 19 janvier 1899, qui adoptait le parallèle de 22° pour la délimitation de la frontière entre l'Egypte et le Soudan. Les décisions alhées de 1945 concernant l'Indochine (divisée en deux zones séparées par le parallèle de 16° pour l'occupation respective par les forces chinoises et anglo-américaines) et la Corée (divisée en deux zones séparées par le paral­lèle de 38°) s'inspiraient d'un principe analogue. *

L'utilisation des méridiens de longitude est plus rare, bien qu'une appli­cation célèbre en ait été faite par le traité de Tordesillas du 7 juin 1494 entre l'Espagne et le Portugal, fixant la ligne de démarcation entre les colonies futures des deux pays : ce traité, qui rectifiait la bulle Inter Caetera, promul­guée par le pape Alexandre V I le 4 mai 1493, adoptait c o m m e limite une ligne joignant les deux pôles et passant à 370 lieues à l'est des Acores. '

Quant aux frontières géométriques, autre variante des limites artificielles, elles sont constituées soit par une ligne droite reliant deux points connus, soit par un arc de cercle (ex.: frontière de l'Egypte et de la Libye, frontière

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méridionale de la Syrie et de la Jordanie hachémite, frontière de l'Alaska et du Canada, etc.).

Les limites artificielles sont des frontières invisibles, ce qui — suivant l'état d'esprit des Etats en présence — peut constituer un avantage ou un inconvénient. Cette formule est à peu près abandonnée aujourd'hui, surtout en Europe. C'est là un cas très rare où l'on peut relever une dissociation entre le progrès technique et le développement de la réglementation juridique, cette dernière s'étant finalement orientée en fonction de critères différents.

La mer territoriale.

C'est surtout en ce qui concerne la délimitation de l'espace maritime réservé à la compétence des Etats adjacents que le progrès scientifique a exercé une influence décisive. A l'origine, l'étendue de la mer territoriale a été,- en effet, directement déterminée par un critère d'ordre technique suivant la célèbre théorie du Hollandais Bynkershoek sur la portée du canon (De dominio maris, 1703), exprimée par l'adage Ibi finitur terra dominium, ubi finitur armorum vis. Précisé en 1782 par l'Italien Galiani, qui, le premier, identifia la portée du canon et la limite des 3 milles, ce critère allait se substituer, pour de longues années, aux définitions antérieures (ligne médiane, rayon visuel, etc.). L e fait qu'il a cessé de répondre à la réalité par suite des progrès de la balistique et du développement des projectiles radioguidés ne doit pas faire oublier que, pendant un siècle et demi, il a servi de critère général pour la fixation de l'étendue des eaux territoriales.

L'influence des méthodes scientifiques se retrouve en ce qui concerne la détermination du point de départ de la m e r territoriale (tracé des lignes de base), spécialement lorsque la côte n'est pas rectiligne, mais au contraire irrégulière et fortement découpée. Les deux méthodes les plus couramment utilisées — celle du tracé polygonal et celle de la courbe tangente, parfois aussi appelée méthode des arcs de cercle — procèdent directement de la transposition des données géométriques.

Les tunnels sous-marins.

Les progrès de la technique scientifique à l'époque contemporaine ont posé un problème important : celui de l'extension de la compétence de l'Etat riverain au lit et au sous-sol de la haute mer . U n premier aspect du problème concerne le statut des tunnels sous-marins qui viendraient à être creusés au fond des océans. Si une telle entreprise ne soulève pas de questions juridiques particulières lorsque le tunnel envisagé et ses deux points terminaux relèvent de la m ê m e souveraineté étatique (cas du tunnel sous-marin creusé de 1936 à 1954 entre Shimonoseki et Moji et reliant les îles japonaises de H o n d o et de Kiou-siou, cas des tunnels sous-marins projetés entre les îles japonaises

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de H o n d o et de Hokkaido, entre Sakhaline et la Sibérie, entre l'île danoise de Saltholm et Copenhague, etc.), il n'en va pas de m ê m e lorsque le tunnel sert de voie de communication internationale entre deux Etats différents : tels les divers tunnels projetés sous le détroit de Behring (entre la Sibérie et l'Alaska), sous le détroit de Gibraltar (entre l'Espagne et le Maroc) et surtout sous la M a n c h e (entre la France et la Grande-Bretagne).

L'idée de joindre le territoire anglais au continent au moyen d'un tunnel sous-marin est fort ancienne, puisqu'elle fut exposée pour la première fois en 1802, au lendemain de la paix d'Amiens, par l'ingénieur français Mathieu. Elle devait être reprise en 1838 par T h o m é de G a m o n d , ingénieur en chef du département du Pas-de-Calais, qui y consacra sa fortune et sa vie, puis, en 1873, par l'économiste Michel Chevalier. Toutefois, les négociations ne s'engagèrent entre les gouvernements français et britannique qu'après la guerre franco-allemande de 1870. Par deux notes en date des 24 juin 1872 et 26 décembre 1874, le gouvernement britannique donna son adhésion de principe au projet. Des travaux d'études furent m ê m e engagés des deux côtés, sur la base d'une loi anglaise du 16 juillet 1874 et d'une loi française du 2 août 1875. Mais finalement le projet fut rejeté en 1883 pour des raisons d'ordre militaire par la commission spéciale n o m m é e l'année précédente par le cabinet de Londres; la m ê m e opposition devait être réaffirmée, une quin­zaine d'années plus tard, par le premier ministre Asquith, le 21 mars 1907.

L a question allait rebondir à la suite de la première guerre mondiale. Mais les espoirs formés du côté français devaient, une fois encore, être déçus. E n effet, le 24 juillet 1924, dans une déclaration officielle, le cabinet MacDonald indiqua que les objections adressées au projet, du point de vue militaire, par le Comité de défense impériale l'emportaient sur ses avantages éventuels. Les conclusions — favorables à la construction du tunnel — du rapport (publié le 28 février 1930) de la commission spéciale, n o m m é e le 5 avril 1929 par le gouvernement Baldwin et présidée par M . E . R . Peacock, ne modifièrent pas la situation 1, pas plus que les initiatives prises depuis 1945 des deux côtés de la M a n c h e (formation en 1947 d'un comité parlementaire britannique présidé par le député travailliste Christopher Shawcross; consti­tution d'un groupe analogue, en France, au Conseil de la République; mani­festation organisée le 11 février 1949 à Londres par la Fédération internationale de la route; motion favorable au projet déposée le 30 mars 1949 à la Chambre des communes ; conférence prononcée au théâtre Marigny le 11 mars 1949 par M . Pineau, alors ministre français des travaux publics; approbation donnée au percement du tunnel le 28 mai 1949 par la conférence annuelle de l'Alliance internationale du tourisme, réunie à L a Haye , etc.). Notons pour mémoire que le coût de la construction du tunnel, estimé du côté anglais à 30.600.000 livres sterling en 1930 et à 100 millions de livres en

1. A la Chambre des communes, le projet ne fut repoussé que par 179 voix contre 172.

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1948, était évalué en 1951, du côté français, au chiffre sensiblement voisin de 90 milliards de francs.

Dans le dernier état de l'élaboration technique, on envisageait la construc­tion, dans un délai de huit ans, d'un tunnel pilote d'exploration et de deux tunnels d'exploitation pour un chemin de fer à traction électrique. L e projet recommandé était celui de la Channel Tunnel C o . , qui avait été préféré au projet plus ambitieux — mais nettement prohibitif par son prix — de la London and Paris Railways Promoters Ltd. L'ensemble impliquerait la construction, entre Sangatte et Douvres, d'un tunnel de 57,9 k m , dont 38,6 k m seraient effectivement sous le détroit; les 19,3 k m restants repré­senteraient les raccordements souterrains de Bevreguen à Sangatte et de Douvres à Sandling Junction.

E n m ê m e temps que les ingénieurs et les géologues étudiaient les conditions techniques du percement du tunnel sous la M a n c h e , les juristes se préoccu­paient de son futur statut juridique. Dès 1908, le Français R a y m o n d Robin aboutissait à la conclusion que l'établissement du tunnel était possible du seul consentement des deux Etats riverains, indépendamment de tout acquies­cement des Etats tiers; que le tunnel devait être placé moitié sous la souve­raineté britannique, moitié sous la souveraineté française, la limite de souveraineté étant située à égale distance, à marée basse, des côtes des deux Etats l; enfin, que la destruction du tunnel par un belligérant en cas de guerre serait licite, ce qui écartait toute transposition au tunnel du régime de neutralisation conventionnelle appliqué aux canaux internationaux. • Les problèmes d'ordre juridique ont été longuement examinés en 1930

par la Commission Peacock (§ 140 à 143 du rapport précité). Investie d'une compétence exclusivement technique, la commission n'avait pas à proposer de solution aux problèmes d'ordre légal ou administratif. Elle s'est bornée à insister sur la nécessité de régler par voie de traité la délimitation de la frontière entre les deux Etats à l'intérieur du tunnel, à recommander l'adop­tion de règles c o m m u n e s pour la répression des délits commis à l'intérieur du tunnel, ainsi que pour l'exercice des compétences d'ordre législatif, juri­dictionnel, coercitif ou douanier concernant les faits survenus dans le tunnel.

Les choses sont beaucoup moins avancées en ce qui concerne les deux autres -tunnels sous-marins envisagés. Alors que, pour le tunnel sous la M a n c h e , les devis sont faits et les tracés étudiés à fond — plus de 10.000 son­dages ont déjà été-effectués — il n'en va pas de m ê m e pour le projet de tunnel eurafricain.

Cependant des études très poussées ont déjà été entreprises depuis le projet présenté en 1869 au gouvernement de Madrid par le Français Laurent de Velledeuil. Ecartant le fantastique projet Gallego Herrera, qui comportait

1. C'est déjà à cette solution que s'étaient ralliés le rapport Krantz de 1875 et l'article I " du projet de convention élaboré par la Commission franco-britannique de 1876 (fixation de la frontière dans le tunnel à mi-chemin entre la limite des basses eaux à la côte française et à la côte anglaise).

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un tunnel flottant situé entre deux eaux et maintenu par un système d'an­crages, une commission ministérielle espagnole s'était prononcée, en 1930, pour la conception classique du tunnel souterrain, qui avait inspiré, en 1927, le projet du colonel Pedro Jenevois. Après avoir procédé à une analyse serrée de la contexture du sous-sol sous-marin, au-dessous du fond de la mer , grâce à la méthode dite des tremblements de terre artificiels — qui permet de « cueillir » à la surface du sol, à l'aide de sismographes électriques, l'onde d'ébranlement réfléchie sur les différentes couches géologiques — la commission a envisagé un tracé coudé, afin d'éviter les grands fonds. L o n g de 34 k m , le tunnel relierait Torre de la Pena, dans la région de Paloma, à 8 k m à l'ouest de Tarifa, et R a x et Buera, à quelques kilomètres à l'est de Tanger, dans la région de Punta Ferdigua. Outre l'autoroute, le tunnel c o m ­porterait deux voies ferrées à trois rails permettant de faire rouler le matériel espagnol à écartement de 1,676 m et le matériel international à écartement de 1,435 m . L e coût de la construction, évalué en 1927 par Jenevois à 300 millions de pesetas, dépasserait aujourd'hui un milliard de pesetas, soit plus de 90 milliards de francs français.

Les problèmes juridiques seront ici beaucoup plus simples qu'en ce qui concerne le tunnel sous la M a n c h e , du fait que le tunnel aura son entrée et sa sortie sur territoire espagnol ou contrôlé par l'Espagne. Il est donc pro­bable que, si un jour le projet se réalise, ce sera l'Espagne seule qui en prendra l'initiative. Toutefois le caractère juridique particulier de la zone espagnole du Maroc , l'unicité du protectorat marocain — avec une seule puissance authentiquement protectrice, la France — le voisinage de territoires soumis à des statuts différents (Espagne, Gibraltar, Maroc , zone internatio­nale de Tanger) ne permettraient sans doute pas de considérer le futur tunnel c o m m e une voie sous-marine exclusivement espagnole. Des aménagements juridiques seraient vraisemblablement nécessaires pour tenir compte de la complexité du milieu politique environnant.

L'exploration et l'exploitation des gisements pétrolifères sous-marins.

A l'époque contemporaine, une industrie nouvelle est apparue : l'exploitation des gisements de pétrole situés au fond de la mer . C'est la dernière en date des branches de l'industrie pétrolière et la première des industries minières marines. Elle implique une série d'opérations techniques minutieuses et relativement complexes : d'abord la prospection, permettant de déterminer la structure et la constitution du sous-sol de la haute mer (emploi de la photographie aérienne pour les roches affleurant à faible profondeur, suspen­sion de magnétomètres sous des avions ou des hélicoptères afin d'établir une carte magnétique en pleine mer, utilisation éventuelle de bathyscaphes, détec­tion directe d'hydrocarbures sous l'eau par prélèvements d'échantillons, etc.); puis le forage de recherche (emploi de méthodes électriques perfectionnées,

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construction d'îles artificielles, etc.); enfin, le forage de production (pose de? conduites sous-marines, emploi de revêtements protecteurs contre la corro­sion, adoption de méthodes de protection électrique des parties "métal­liques, etc.). L'emploi de ces diverses méthodes n'a été rendu possible que-par les progrès récents de la technologie.

D u pétrole a déjà été trouvé dans les fonds sous-marins au large des côtes-du Texas, de la Louisiane, du Mexique, du Venezuela, dans le golfe Persique, ainsi qu'au large des côtes tunisiennes, dans le golfe de Gabès, autour des­îles Djerba et Kerkennah. Mais, avec les possibilités d'exploration actuelles, la prospection n'est pas allée au-delà des eaux territoriales. Les fonds, atteints ne dépassent pas 200 m , mais rien n'empêche de croire que les: moyens techniques, en progrès constants, ne permettront pas dans l'avenir des explorations plus profondes pour lesquelles le bathyscaphe serait u n précieux auxiliaire, puisque le F N R S - 3 du commandant Houot et de l'ingé­nieur Willm a atteint, le 15 février 1954, la profondeur record de 4.050 m , à 190 k m au large de Dakar.

Immédiatement s'est posé un problème juridique original, la conservation; des richesses minérales du fonds et du tréfonds de la m e r rendant nécessaire l'élaboration d'un statut protecteur du plateau continental, c'est-à-dire de-la plate-forme ou du socle sous-marin sur lequel paraissent reposer les conti­nents. Jusqu'ici, il n'y a eu qu'un seul exemple de réglementation conven­tionnelle : les accords anglo-vénézuéliens des 19 avril 1941 et 26 février 1942, relatifs à l'exploitation des gisements pétrolifères du golfe de Paria,, entre le Venezuela et l'île britannique de la Trinité. L e traité de 1942 autorise l'annexion, par les deux Etats intéressés, des aires sous-marines dont la délimitation avait été précisée par l'accord de 1941 et dont l'acquisition, à l'intérieur des limites et sous les modalités convenues, avait donné Heu à un engagement préalable de reconnaissance. Cette double et parallèle-annexion repose manifestement sur l'idée qu'au-delà de la limite des eaux ter­ritoriales le lit de la m e r est une res nullius1 sur laquelle l'occupation permet d'acquérir la souveraineté. C'est une conviction analogue qui a inspiré les gouvernements français et britannique dans les négociations, mentionnées, plus haut, relatives à la construction d'un tunnel sous la M a n c h e .

L e plus souvent, la réglementation juridique a conservé un caractère interne, la plupart des pays intéressés ayant préféré adopter une méthode de réglementation unilatérale, à l'imitation des Etats-Unis qui, par la procla­mation présidentielle du 28 septembre 1945 relative à l'exploitation des res­sources des hauts fonds continentaux, ont établi leur juridiction sur les-ressources naturelles du sous-sol et du lit de la m e r des fonds continentaux contigus à la côte américaine au-delà de la limite des 3 milles. Interprétant

1. C'est-à-dire, une chose n'appartenant à personne, par opposition aux res communes, qui appar­tiennent à tous.

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cette proclamation, la jurisprudence américaine avait tout d'abord affirmé, avec l'arrêt rendu le 5 juin 1950 par la Cour suprême des Etats-Unis, le droit eminent de l'Etat fédéral sur les fonds continentaux, qui primait ainsi le droit des Etats particuliers adjacents, en l'espèce le Texas et la Louisiane. Toutefois un texte ultérieur, le Submerged Lands Act and Outer Continental Shelf Act du 22 mai 1953, a reconnu le droit des Etats côtiers sur la pro­priété des zones maritimes contiguos, une réserve de pétrole brut étant cependant constituée pour les besoins de la défense nationale et en particulier pour la marine de guerre.

Depuis 1945, l'initiative de la grande république nord-américaine a suscité toute une série de décisions analogues de la part des Etats de l'Amérique latine (Mexique, Argentine, Nicaragua, Chili, Pérou, Costa Rica), de la Grande-Bretagne (pour la Jamaïque et les îles B a h a m a ) , des Etats du golfe Persique (Arabie Saoudite, Koweit), de l'Islande, des Philippines, du Pakistan et de l'Australie. O n relèvera toutefois une différence notable entre la pro­clamation nord-américaine, qui se borne à établir une réglementation et un contrôle non exclusifs de l'activité des Etats tiers, et les mesures prises par les républiques latino-américaines et l'Australie — cette dernière par la proclamation du 11 septembre 1953 — qui étendent parfois jusqu'à 200 milles leur souveraineté sur des parties de haute mer dont elles se réservent la délimitation.

A cet égard, il n'est pas sans intérêt d'indiquer que la Commission du droit international des Nations Unies a admis, en 1951, que le contrôle et la juridiction sur le lit de m e r et le sous-sol des espaces marins situés ¿n dehors de la mer territoriale pouvaient être exercés par les Etats riverains pour l'exploration et l'exploitation des richesses naturelles qui y étaient contenues, mais à condition de ne pas « gêner sensiblement > la liberté de navigation et la liberté de pêche des Etats tiers. Il est à noter qu'une sentence arbitrale récente * a estimé que ce projet de réglementation ne reflétait pas l'état de droit existant et que la théorie du plateau continental ne pouvait être invoquée par une société concessionnaire, titulaire d'une concession de pétrole accordée en 1939, à une époque où cette notion était « à peine connue en droit international >.

Le statut de l'espace aérien et de la stratosphère.

O n ne mentionnera que pour mémoire l'influence exercée sur la réglementa­tion juridique internationale par les progrès techniques accomplis depuis le début de ce siècle dans l'ordre de la navigation aérienne. L e phénomène

1. Sentence arbitrale rendue en novembre 1951 par lord Asquith of Bishopstone entre le cheikh d'Abou-Dhabi, sur la côte des Pirates, dans le golfe Persique, et la compagnie britannique Petroleum Develop­ment C o . , touchant l'applicabilité à la société précitée de la proclamation du 10 juin 1949 par laquelle le cheikh étendait son autorité sur le plateau sous-marin adjacent aux eaux territoriales d'Abou-Dhabi.

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mérite cependant qu'on s'y arrête, car il est révélateur du conformisme qui inspire encore largement la méthodologie du droit des gens. Alors qu'on aurait pu envisager l'élaboration d'un droit international aérien dégagé des préjugés de l'exclusivisme étatique et fondé sur le droit de tous à l'usage de l'espace aérien, il faut malheureusement constater qu'en ce domaine les progrès de la spéculation juridique ne sont pas allés de pair avec ceux des découvertes scientifiques.

Les premiers auteurs qui se sont penchés sur le problème ont presque toujours cherché à transposer à la circulation aérienne les principes appli­cables à la navigation maritime, en réservant à l'Etat sous-jacent la c o m p é ­tence exclusive sur la couche atmosphérique immédiatement supérieure, par analogie avec la théorie traditionnelle de la mer territoriale. Et, lorsque le droit positif se manifestera au lendemain de la première guerre mondiale, la convention de Paris du 13 octobre 1919, ne reculant pas devant le pléonasme, n'hésitera pas à affirmer avec force que « chaque puissance a la souveraineté complète et exclusive sur l'espace atmosphérique au-dessus de son terri­toire ». Certains Etats, dont la France, en tireront immédiatement la consé­quence que l'espace aérien surplombant leur territoire fait partie de leur domaine public.

L a conquête de la stratosphère à la suite des ascensions du professeur Piccard, de Prokofiev et d'Oussienko a amené les juristes à se préoccuper du statut de l'espace stratosphérique. Dès 1934, le professeur soviétique Korovine a eu le mérite d'aborder le problème. Mais la conclusion à laquelle il aboutit — nécessité d'élargir dans le sens vertical le c h a m p d'application de la souveraineté étatique — ne laisse pas d'être décevante, puisqu'elle postule l'identité de régime juridique des espaces atmosphériques et strato-sphériques sans limite de hauteur. Ici encore la discordance entre l'audace des « stratonautes > et la timidité des juristes est sensible.

Le régime des radiocommunications et de la radiodiffusion.

Les questions relatives à la navigation aérienne et à la condition juridique des aéronefs ne sont pas les seules que soulève l'utilisation de l'air. L a télégraphie sans fil, par l'émission d'ondes diffusées à travers l'atmosphère, ne pouvait manquer de retenir l'attention des juristes. A cet égard des questions se posent, qui mettent en jeu le droit m ê m e de l'Etat sur la couche atmosphé­rique surplombant son territoire : liberté d'un Etat d'émettre sur son terri­toire des ondes hertziennes à destination d'un autre Etat; point de savoir si u n Etat dont le territoire s'interpose entre ceux de l'Etat émetteur et de l'Etat récepteur peut s'opposer au passage en transit des ondes au-dessus de son territoire, etc.

C e n'est qu'avec la convention radiotélégraphique internationale de W a s h ­ington du '25 novembre 1927 qu'un appréciable progrès fut accompli en la

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matière, les conventions antérieurement intervenues à Berlin le 3 novembre 1906 et à Londres le 5 juillet 1912 n'ayant qu'un objet limité aux radio­communications maritimes. L e règlement général adopté à Madrid le 9 décembre 1932 compléta, sur le plan technique, l'œuvre des conventions précédentes en réglementant le choix des appareils, la qualité des émissions, l'emploi des fréquences, les interférences, etc. D'autres actes internationaux, élaborés à Genève en 1951 et à Buenos Aires en 1952, adaptèrent, par la suite, le statut juridique des radiocommunications aux progrès incessants de la technique.

Des radiocommunications il convient de distinguer la radiodiffusion, où les ondes non dirigées sont reçues par des postes indéterminés. A la suite d'études juridiques préliminaires, diverses conventions sont intervenues depuis un quart de siècle (à Prague en 1929, à Lucerne en 1933, au Caire en 1938, à Montreux en 1939, à Atlantic City en 1947) pour coordonner l'activité des divers postes émetteurs en répartissant entre eux les fréquences et en assi­gnant à chacun d'eux une longueur d'onde déterminée. L a convention appli­cable depuis le 15 mars 1950 est celle qui a été signée à Copenhague le 15 septembre 1948.

L a répartition des longueurs d'onde entre les émetteurs européens de radiodiffusion (au nombre de 310 en 1939 et de 415 à l'heure actuelle) a posé des problèmes délicats aux techniciens. Car, si l'on admet que deux émissions voisines doivent avoir entre elles une différence de fréquence de 9 kilocycles (9.000 vibrations par seconde) pour ne pas empiéter sur leurs domaines respectifs, le total des bandes attribuées ou tolérées à la radio­diffusion, qui est de 1.160 kilocycles, ne permet d'attribuer que 130 lon­gueurs d'onde exclusives : or il y avait 310 candidats en 1939 et 415 en 1948. C'est la technique qui a permis de dégager les transactions nécessaires. Il était, en effet, impossible d'attribuer une onde particulière à chaque antenne d'émission; mais, techniquement, chaque antenne émettrice n'avait pas abso­lument besoin d'une onde particulière. E n effet, tous les émetteurs ne fonc­tionnent pas avec une centaine de kilowatts, c o m m e c'est le cas pour les postes les plus puissants; leur portée matérielle est donc variable. Chaque Etat, enfin, ne dispose pas de matière à radiodiffuser telle que chacun de ses postes puisse revendiquer chaque jour de l'année le droit d'émettre un programme exclusif.

Les délégués européens ont donc imaginé plusieurs types d'onde : l'onde partagée (c'est-à-dire l'onde utilisée par deux ou plusieurs stations de pays différents), l'onde c o m m u n e internationale (qui peut être prise par un nombre illimité de postes appartenant à des pays différents et dont la puissance n'excède pas 2 k W ) et l'onde c o m m u n e nationale (qui peut être définie de la m ê m e manière, avec la réserve qu'elle est intérieure à un Etat donné). Ils ont également admis le principe des stations synchronisées, c'est-à-dire de deux ou plusieurs stations d'un m ê m e pays qui émettent constamment le

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m ê m e programme sur la m ê m e longueur d'onde : c'est là la rançon de l'essor prodigieux de la radiodiffusion, mais elle est largement compensée par la qualité irréprochable de l'émission.

MODIFICATIONS DU RÉGIME D'EXERCICE DES COMPÉTENCES

Moins spectaculaires sont les modifications imprimées par les progrès tech­niques au régime d'exercice des compétences étatiques en droit international. Mais, du fait m ê m e qu'il est devenu banal et qu'il s'est intégré à la vie quotidienne des Etats, le phénomène n'en est que plus révélateur de l'emprise exercée par les découvertes scientifiques sur le développement du droit des gens.

C'est ainsi que, dans l'exercice de ses compétences propres, chaque Etat est amené à prendre en considération les intérêts des Etats tiers, spéciale­ment des Etats contigus. L e voisinage, s'il crée des droits, impose aussi des obligations.

E n matière fluviale, l'utilisation hydro-électrique des cours d'eau a pro­voqué la conclusion d'accords bilatéraux ou régionaux destinés à permettre l'exploitation rationnelle des voies d'eau intéressant les Etats limitrophes. Jusqu'ici, ce sont surtout les Etats européens qui ont conclu des accords de cet ordre (convention franco-suisse du 4 octobre 1913 au sujet de l'exploi­tation des forces hydrauliques du Rhône , convention franco-italienne du 17 décembre 1914 pour la réglementation de l'utilisation des eaux de la Roya , convention hispano-portugaise du 11 août 1927 relative au Douro, accord austro-yougoslave du 13 mars 1952 concernant la Drave, etc.). Sur un plan plus général, la convention de Genève du 9 décembre 1923, élaborée sous les auspices de la Société des Nations, est venue déterminer les condi­tions d'aménagement des forces hydrauliques intéressant plusieurs Etats (établissement, entretien et exploitation des ouvrages, coopération financière, contrôle technique, surveillance de la sécurité publique, conservation des sites, protection des droits des tiers, règlement éventuel des différends, etc.).

Sur le continent américain, les progrès ont été plus lents. C'est ainsi que l'aménagement du Saint-Laurent a été longtemps retardé par les résistances du Sénat américain, qui a successivement rejeté les deux traités du 18 juillet 1932 et du 19 mars 1941 conclus à cette fin entre les Etats-Unis et le Canada. C e n'est que tout récemment, en mai 1954, que le Congrès a enfin autorisé le gouvernement américain à entreprendre, conjointement avec le gouverne­ment canadien, la construction du St. Lawrence Seaway, qui doit faire du Saint-Laurent l'aorte du commerce nord-américain et, par l'installation de barrages et d'usines hydro-électriques d'une capacité de 2.600 millions de k W h à Massena et Ogdensburg, transformer les conditions de la vie économique de cette partie du continent en rendant le Saint-Laurent navi-

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gable.de l'Atlantique jusqu'aux Grands Lacs. O n pourra discourir à perte de vue sur les conséquences sociologiques d'une entreprise qui fera peut-être demain de Chicago, jusqu'ici l'un des bastions de l'isolationnisme, un port de mer.

Symétriquement, à la frontière méridionale des Etats-Unis, sur le Rio Grande, l'inauguration, le 19 octobre 1953 — après vingt-deux ans de négociations et cinq ans de travaux — du barrage du Falcon D a m par les présidents Eisenhower et Ruiz Cortinez a marqué une date dans l'histoire de la réglementation internationale hydro-électrique. C e gigantesque ouvrage, qui produira 250 millions de k W h par an, est le premier d'une série de trois barrages dont la construction conjointe était prévue par un traité spéciale­ment conclu à cet effet par les Etats-Unis et le Mexique.

O n ne saurait abandonner le domaine de l'énergie électrique sans m e n ­tionner que le transport en transit de l'électricité — réglementé par la convention de Genève du 9 décembre 1923 — et la fourniture des excédents d'énergie entre Etats voisins (aujourd'hui entre la France et l'Allemagne, demain entre la France et le R o y a u m e - U n i , entre le Canada et les Etats-Unis) donnent lieu à des partages d'électricité déterminés par voie conven­tionnelle : de nouvelles perspectives s'ouvrent ainsi à la réglementation des rapports internationaux.

E n matière maritime, le développement de la théorie récente du plateau continental a fourni l'occasion de consacrer la compétence des Etats riverains sur les gisements de pétrole sous-marins sous la réserve légitime du maintien de la liberté de pêche et de navigation reconnue par l'usage aux Etats tiers.

U n e conciliation analogue s'est opérée en matière aérienne entre les droits de l'Etat sous-jacent et ceux des Etats tiers, le respect de la souveraineté de l'Etat territorial devant nécessairement se combiner avec la sauvegarde du droit au trafic pour tous les autres.

L a contrepartie traditionnelle de l'indépendance de l'Etat dans l'ordre inter­national est la mise en cause de sa responsabilité lorsque, dans l'exercice de ses compétences, il cause des d o m m a g e s aux Etats tiers. E n accroissant le domaine de l'illicite, les découvertes scientifiques ont fourni des occasions supplémentaires de vérifier l'application de ce principe général.

E n ce qui concerne le domaine territorial, la jurisprudence internationale a consacré, dans des conditions techniques intéressantes, la règle d'après laquelle tout Etat est tenu de s'abstenir d'agissements susceptibles de causer des préjudices au territoire des Etats voisins. Il s'agit, en l'espèce, des déci­sions rendues le 16 avril 1938 et le 11 mars 1941 dans l'affaire des fumées industrielles de la fonderie de Trail par le tribunal arbitral spécial institué entre les Etats-Unis et le Canada par le compromis du 15 avril 1935. A Trail, localité de la Colombie-Britannique, à peu près à mi-chemin du Paci-

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fique et de l'Alberta, se trouve une importante fonderie de zinc et de plomb, située à 11 k m de la frontière internationale entre le Canada et les Etats-Unis. L e processus de production de la fonderie provoque le dégagement de grandes quantités de fumée d'anhydride sulfureux éjectées par les cheminées de l'usine et que les courants d'air entraînent éventuellement, dans des condi­tions atmosphériques déterminées, au-delà de la frontière. Ces fumées pro­voquent en territoire américain des dommages préjudiciables aux cultures et à la végétation dans la région limitrophe. L e tribunal a reconnu la responsa­bilité du Canada, qui a été, en conséquence, condamné à indemniser le gouvernement des Etats-Unis. L'hypothèse est, s o m m e toute, banale dans l'ordre interne — où, notamment en France, la jurisprudence administrative applique depuis longtemps la théorie classique des dommages de travaux publics pour les préjudices de cette nature, à l'aide du correctif du risque anormal de voisinage — mais elle n'avait jamais encore été présentée avec une telle netteté dans les rapports internationaux.

E n ce qui concerne le domaine fluvial, les procédés modernes de captage des eaux peuvent également engager la responsabilité de l'Etat auteur des travaux lorsqu'ils ont pour conséquence d'affecter le débit d'un fleuve fron­tière ou d'un cours d'eau international et, par suite, de porter atteinte aux droits de l'Etat coriverain. L e problème a été soulevé en 1937 devant la Cour permanente de justice internationale dans l'affaire des prises d'eau de la Meuse , où était en cause le point de savoir si certains travaux d'aménage­ment effectués par les gouvernements belge et néerlandais (notamment sur les canaux du Zuid-Willemsvaart et de Hasselt, sur l'écluse de Bossch-veld, etc.) étaient compatibles avec les dispositions de la convention hollando-belge du 12 mai 1863. Dans son arrêt du 28 juin 1937, la Cour permanente a renvoyé les parties dos à dos, estimant qu'aucun des deux Etats n'avait violé le traité de 1863. Mais c'est là une solution d'espèce et il n'est pas. exclu que, dans d'autres circonstances, un organe politique ou un tribunal arbitral admette la responsabilité de l'Etat riverain. C'est un différend du m ê m e ordre qui, depuis l'automne dernier, oppose devant le Conseil de sécurité la Syrie et Israël, ce dernier Etat étant accusé de détourner à son profit les eaux du Jourdain et de vouloir en faire un fleuve exclusivement israélien, en violation d'accords internationaux antérieurs.

Il convient, d'ailleurs, d'ajouter que le problème n'est pas simple et que: la doctrine elle-même n'est pas parvenue, jusqu'ici, à dégager de solution, unanimement acceptée, tout au moins pour les deux problèmes connexes d u détournement des eaux souterraines ou du captage des sources. Dans le premier cas, spécialement dans l'hypothèse où il s'agit de dérivation d'eaux, souterraines diffuses, la plupart des auteurs tendent à admettre le principe de la liberté d'action et de la souveraineté des Etats sur le sous-sol de leur territoire. Pour ce qui est des sources, la pratique est incertaine. L a question, a été soulevée dans le passé de savoir si on pouvait légalement couper, en

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ierritoire autrichien, une source radio-active située à Brambach, près de la frontière austro-allemande. Peut-être, ainsi que l'a suggéré le juriste yougo­slave Andrassy, professeur à l'Université de Zagreb, conviendrait-il de dis­tinguer entre le cas d'une source qui jaillit naturellement et celui d'une source obtenue par forage, une réglementation juridique particulière étant à envi­sager dans cette dernière hypothèse.

Dans un ordre d'idées voisin, on notera que les découvertes des spéléo­logues peuvent susciter des difficultés analogues. C'est le lieu de rappeler que, lors de l'expédition entreprise l'été dernier par les spéléologues français au gouffre de la Pierre Saint-Martin, les autorités espagnoles s'étaient élevées par avance contre toute dérivation du système hydrologique souterrain — long de 7 k m — qui aurait risqué de diminuer le volume des eaux coulant vers l'Espagne. A u x terme? de l'accord intervenu le 4 août 1953 entre les représentants des deux Etats à la gare internationale de Canfranc, il a été convenu qu'une nouvelle expérience de coloration de l'eau à l'aide de fluo-rescéine serait faite, afin d'établir si le torrent souterrain alimente les cours d'eau de Navarre : dans l'affirmative la nappe souterraine devrait être par­tagée entre les deux pays, proportionnellement à l'importance des eaux qui s'écoulent de chaque côté de la frontière.

L e domaine maritime n'a pas davantage échappé aux incidences des décou­vertes scientifiques préjudiciables aux droits ou aux intérêts des Etats tiers.

La pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures.

Depuis près d'une trentaine d'années, la question se pose de trouver, par une réglementation internationale appropriée, le m o y e n d'empêcher les navires à moteur utilisant les huiles de pétrole ou transportant ces huiles de polluer, en déchargeant des huiles et des mélanges huileux en haute mer , les côtes vers lesquelles ces substances peuvent être portées après avoir parcouru, dans certaines conditions de vents et de marées, des distances parfois considérables.

C e problème présente de multiples aspects. L a pollution des eaux de la m e r par les huiles de pétrole provoque d'abord la destruction des oiseaux de m e r (mouettes, goélands, pétrels, albatros, etc.) dont les ailes se saturent d'huile et qui, totalement incapables de nager, de voler ou de plonger, finis­sent souvent par mourir d'inanition après une lente et douloureuse agonie. Elle entraîne, de m ê m e , la destruction des poissons, crustacés et mollusques, ainsi que des plantes marines qui constituent la principale nourriture des poissons et oiseaux de m e r . L a pollution des plages nuit également aux baigneurs, déprécie, d'une manière générale, la valeur des stations balnéaires et constitue un danger pour la santé publique. Enfin l'accumulation des huiles de pétrole, qui peuvent fréquemment être portées par les courants de

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l'extérieur des eaux territoriales jusque dans les ports, crée u n risque d'incen­die indéniable. Ces inconvénients atteignent, plus ou moins, les divers pays; ils ont surtout affecté, jusqu'ici, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, le Japon et, dans une mesure moindre, le Danemark, la France et l'Italie.

U n e conférence s'était déjà réunie à Washington en 1926 pour étudier le problème et elle avait préparé un projet de convention, qui malheureusement ne fut jamais ratifié. Aussi, en juillet 1934, le gouvernement britannique demanda-t-il à l'Organisation des communications et du transit de la Société des Nations de reprendre l'examen du problème en vue d'aboutir, si possible, à la conclusion d'une convention internationale. U n comité d'experts, convo­qué à cette fin à Genève du 19 au 23 novembre 1934, se montra favorable à cette suggestion. U n remède d'une efficacité absolue paraissait difficile à trouver, puisque la pollution peut être due à un échouement ou à un abordage de navires ayant des huiles à bord, ou au déversement d'huiles de pétrole sur la surface de la mer, opération effectuée par gros temps ou pour assister d'autres bâtiments en détresse. Aucune des mesures qui pourraient être prises ne remédierait à de telles causes. Toutefois la pollution engendrée par la décharge volontaire d'huiles et de substances grasses par des navires se trouvant en haute mer aurait pu être empêchée par la collaboration des principales puissances maritimes.

Mais la seconde guerre mondiale est survenue avant la convocation de la conférence internationale envisagée en 1934 et dont les divers organes de la Société des Nations (Conseil, Assemblée, Commission consultative des c o m ­munications et du transit) avaient accepté le principe par diverses résolutions votées de 1935 à 1937. L e problème n'a pas pour autant perdu son acuité, puisqu'une pétition émanant de 16 députés et soumise, le 14 novembre 1952, à la C h a m b r e des c o m m u n e s demandait récemment au gouvernement bri­tannique de prendre toutes mesures utiles pour éviter la pollution persistante des eaux côtières autour du pays de Galles par le fuel-oil déversé par cer­tains navires, en interdisant radicalement tout déversement d'huiles combus­tibles industrielles dans une zone suffisamment large au voisinage des côtes anglaises.

L'année suivante, en octobre 1953, une conférence privée groupant des représentants de 8 Etats et des observateurs officieux de 26 autres nations se tenait à Londres. Elle se ralliait dans l'ensemble aux propositions for­mulées quelques mois auparavant par un comité pour la prévention de la pollution de la mer par les huiles de pétrole, comité présidé par M . P . Faulk­ner. L e rapport Faulkner préconisait l'interdiction de tout déversement d'hydrocarbures dans une zone englobant les îles Féroé, la mer du Nord et le golfe de Gascogne, et s'étendant à l'ouest et au sud-ouest des îles Britan­niques jusqu'à une distance d'environ 2.000 milles (3.200 k m ) . Ces recom­mandations vont bien au-delà de la prohibition — en vigueur depuis 1922 — de tout déversement d'huiles minérales à moins de 3 milles des côtes et de

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l'engagement, volontairement assumé en 1926 par les armateurs de plusieurs pays, de reporter toute décharge d'huiles lourdes à une distance m i n i m u m de 50 milles (80 k m ) du littoral. Des mesures aussi draconiennes que celles qui ont été envisagées en 1953 étaient cependant nécessaires, la zone de pollution ayant atteint récemment l'océan Antarctique, recouvrant les phoques d'une épaisse couche de déchets de goudron et condamnant les pingouins à une mort lente. L a signature à Londres le 12 mai 1954 d'une convention internationale sur la pollution a mis, il faut l'espérer, le point final à une discussion qui n'a que trop duré.

Les essais de projectiles radioguidés.

L e principe coutumier de la liberté des mers, s'il justifie l'utilisation de la haute mer par tous les Etats à des fins conformes à son affectation écono­mique, notamment en ce qui concerne la pêche et la navigation, s'oppose à ce que, en temps de paix, les espaces maritimes soient utilisés à des expé­riences de tir dangereuses pour les tiers. A tout le moins, l'acquiescement de ces tiers doit-il être préalablement obtenu par voie conventionnelle.

Dès 1949, les Etats-Unis avaient annoncé qu'ils se proposaient de cons­truire sur la côte orientale de la Floride, dans la région de Banana River, près du cap Canaveral, une aire de lancement pour projectiles radioguidés avec rayon d'action de 4.800 k m orienté vers le sud-est, c'est-à-dire dirigé vers les B a h a m a , les îles Vierges, la Guadeloupe et la Martinique. Bien qu'il ait été indiqué que les projectiles ne contiendraient pas de charge explosive et seraient munis d'un dispositif spécial destiné à assurer leur contrôle en cours de vol, on peut se demander si de telles expériences, lorsqu'elles se dérouleront au-dessus de l'Atlantique en dehors des eaux territoriales de l'Etat utilisateur, ne contreviendront pas au principe de la liberté de la haute m e r en créant un risque pour la navigation pacifique des tierces puissances. Pour leur part, les Antilles françaises ne sont guère situées qu'à 2.500 k m du point de départ des projectiles, sur la trajectoire m ê m e de ceux-ci.

Quoi qu'il en soit, les Etats-Unis ont conclu avec la Grande-Bretagne — le 21 juillet 1950 et le 15 janvier 1952 — et avec la République D o m i ­nicaine — le 26 novembre 1951 — trois accords leur donnant le droit d'effectuer des expériences avec des projectiles radioguidés dans la région des B a h a m a et des Antilles. Mais de tels accords sont évidemment inoppo­sables aux Etats tiers, le principe de la relativité des traités interdisant à des engagements bilatéraux de déployer leurs effets au-delà du cercle des parties contractantes. Les premiers essais de lancement de projectiles par des avions sans pilote ont effectivement eu lieu le 21 juin 1951 à Cocoa, au-dessus du bras de m e r qui sépare la Floride des îles B a h a m a .

L'intérêt qui s'attache à l'élaboration d'une réglementation juridique appro­priée apparaît aisément si l'on se souvient que, dans une conférence de

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presse, le secrétaire d'Etat à l'air des Etats-Unis, alors M . T h o m a s Finletter, déclarait, le 16 janvier 1953, que son pays posséderait « assez prochaine­ment > un projectile télécommandé capable d'atteindre avec précision un objectif situé de l'autre côté de l'Atlantique. Quelques jours plus tôt, le 10 janvier 1953, la compagnie de constructions aéronautiques Boeing avait révélé que, dès 1949, elle avait mis au point un projectile atteignant une vitesse presque double de celle du son. O n mesure, dans ces conditions, l'ar­chaïsme du critère balistique jadis dégagé par Bynkershoek pour définir l'étendue de la mer territoriale.

Les expériences atomiques.

Les m ê m e s principes valent pour la réparation des d o m m a g e s causés en haute m e r par les expériences atomiques. O n sait que, lors des essais de la b o m b e H effectués le 1" mars 1954 par le gouvernement américain à 110 k m à l'ouest de l'atoll d'Eniwetok-Bikini, dans les Marshall, 23 marins japonais du bateau de pêche Fukuryu-Maru, qui se trouvaient pourtant au-delà de la zone interdite, ont été gravement brûlés par les poussières radio-actives provenant de la déflagration de la b o m b e à hydrogène. Les autorités améri­caines ont spontanément accepté d'indemniser les victimes. Il n'en reste pas moins qu'aucune disposition internationale ne régit actuellement de telles expériences. L e fait qu'elles soient effectuées dans des territoires soumis au régime de la tutelle stratégique, c'est-à-dire pratiquement soustraits au contrôle des Nations Unies, souligne encore l'opportunité qui s'attache à l'élaboration d'une réglementation appropriée. Certains experts font, en effet, remarquer qu'une puissance, après avoir pris les mesures de précaution nécessaires et mis en garde les intéressés, peut procéder en pleine m e r aux expériences qu'elle veut. Cependant, d'autres signalent qu'actuellement il est difficile, avec la puissance croissante des engins expérimentés, de prévoir jusqu'où pourront se répercuter les conséquences des explosions. Jusqu'où va le droit d'un pays à expérimenter des bombes dont on ignore la puissance exacte et dont les effets pourraient bien un jour être ressentis à des milliers de kilomètres dans d'autres pays ? L a question reste posée.

Jusqu'ici, les inconvénients résultant en temps de paix des progrès scienti­fiques ont été moins graves en ce qui concerne le domaine aérien. Ils n'en méritent pas moins d'être relevés.

La guerre des ondes.

O n doit déjà remarquer, en effet, que la radiodiffusion, qui, dans chaque pays, s'inspire des directives gouvernementales ou est soumise au contrôle

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de l'Etat, pose, par sa nature m ê m e , un problème délicat. O n ne peut pas, c o m m e la presse écrite, l'arrêter aux frontières. Elle s'adresse aux auditeurs de tous les pays et, bien souvent, pour mieux les toucher, elle leur parle leur propre langue. Avant 1'Anschluss, on écoutait la station de Munich en Autriche et celle de Vienne en Allemagne; et l'on se souvient du rôle des émissions de Munich dans la tension austro-allemande qui devait aboutir au putsch du 25 juillet 1934. A u début de la seconde guerre mondiale, Radio-Stuttgart faisait des émissions de propagande en langue française. L a B . B . C . a été, de 1940 à 1945, l'âme de la résistance européenne à l'impérialisme totalitaire hitlérien. L a musique elle-même prend, dans certains cas, un carac­tère de propagande : l'Internationale des postes russes a été longtemps consi­dérée c o m m e révolutionnaire en Occident, le gouvernement fasciste dénon­çait c o m m e séditieux le chant d'Andréas Hofer, héros du Tyrol, et le gouvernement républicain espagnol avait fait un m o m e n t interdire le chant catalan des moissonneurs à Barcelone. Mieux encore : le silence lui-même peut être une source de conflits, puisqu'on a vu en 1934 le gouvernement néerlandais interdire à une association d'émission une minute de silence inter­calée dans les programmes pour commémorer le dixième anniversaire de la mort du leader socialiste italien Matteoti, assassiné sous le régime fasciste.

O n a m ê m e pu enregistrer certains incidents diplomatiques, tels que l'inci­dent des émissions de la B . B . C . à l'occasion du jour de l'an de 1933 — dont certaines appréciations de politique intérieure provoquèrent les protes­tations des gouvernements italien et polonais — l'incident italo-belge du 4 octobre 1935 (à la suite d'une communication des postes radiophoniques italiens contestant la réalité des atrocités allemandes commises en Belgique en 1914), les protestations du gouvernement de Londres contre la propa­gande antibritannique diffusée par les postes italiens dans le Moyen-Orient au cours de l'automne 1935, les récentes protestations du gouvernement français (mars 1954) contre certaines émissions de la radiodiffusion égyp­tienne en langue arabe destinées à l'Afrique du Nord, etc.

Aussi comprend-on que, sous les auspices de la Société des Nations, une convention ait été conclue le 23 septembre 1936 au sujet de l'emploi de la radiodiffusion dans l'intérêt de la paix. A u x termes de cette convention, signée par 28 Etats et entrée en vigueur le 2 avril 1938 entre six des signataires, les gouvernements s'engagent à interdire sur leurs territoires respectifs toute émission incitant les habitants d'un territoire étranger à des actes contraires à la paix intérieure ou à la sécurité publique. Us s'engagent à veiller à ce que les émissions de leur pays ne constituent ni incitation à la guerre ni action provocatrice susceptible d'y conduire, à interdire toute émission susceptible de nuire à la bonne entente internationale par des allégations inexactes, à diffuser des informations d'une exactitude contrôlée sur les relations inter­nationales, particulièrement en temps de crise. Beau programme, qu'il serait cruel de confronter avec la réalité radiophonique- des années qui ont suivi...

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L a guerre des ondes a revêtu des formes plus insidieuses depuis quelques années, au m o y e n de brouillages volontaires, inspirés par le désir de gêner intentionnellement les émissions d'une station radiophonique étrangère déter­minée. D e tels incidents ont été, par exemple, fréquents entre les Etats-Unis et l'Union soviétique, l'émission de propagande en langue russe intitulée « L a voix de l'Amérique » ayant été systématiquement brouillée depuis février 1948 par les postes soviétiques de façon qu'elle ne puisse atteindre les auditeurs en Europe orientale. U n e protestation officielle fut formulée à ce sujet le 2 mai 1949 par le gouvernement américain auprès de l'Union internationale des télécommunications.

L a question générale du brouillage des émissions radio-électriques devait être discutée aux Nations Unies par la Sous-Commission de la liberté de l'information et de la presse au cours de sa quatrième session en mai 1950. Celle-ci adopta un projet de résolution condamnant l'Union soviétique pour avoir gêné « de propos délibéré > la réception par la population de l 'U.R.S.S . de certaines émissions radiophoniques provenant de sources exté­rieures au territoire de l 'U.R.S .S . A son tour, l'Assemblée générale des Nations Unies, au cours de sa cinquième session, adopta le 18 novembre 1950 une résolution condamnant le brouillage des émissions radiophoniques étrangères c o m m e une atteinte au droit de toute personne à une libre infor­mation. Il convient, d'ailleurs, de rappeler que l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l ' h o m m e du 10 décembre 1948 consacre le droit d'écouter librement les émissions radiophoniques, quelle qu'en soit la source, et que, d'après l'article 44 de la Convention internationale des télécommuni­cations, toutes les stations doivent être établies et exploitées de manière « à ne pas causer de brouillages nuisibles aux communications du service radio-électrique des autres membres ».

Il faut malheureusement reconnaître que, dans ce domaine, la souverai­neté étatique est particulièrement jalouse de ses prérogatives. N'a-t-on pas vu, il y a quelques années en France, le Tribunal des conflits, par un arrêt du 2 février 1950, intervenu à la requête de la Radiodiffusion française contre la Société de gérance et de publicité du poste de Radio-Andorre, et rendu d'ailleurs contrairement aux conclusions du commissaire du gouvernement, décider que l'ordre de brouiller les émissions de Radio-Andorre — ordre donné au directeur général de la Radiodiffusion française par les ministres compétents — échappait, en raison de sa nature, à tout contrôle juridictionnel et entrait dans la catégorie des « actes de gouvernement » insusceptibles de recours contentieux ?

Le contrôle artificiel de la pluie.

L'exercice des compétences étatiques dans l'espace atmosphérique peut enfin être affecté par la production artificielle de pluie. L e problème consiste à

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provoquer un déséquilibre de la stabilité colloïdale des nuages avant que cette stabilité soit rompue par un processus naturel. A un stade perfectionné de déclenchement des précipitations artificielles, on pourrait concevoir la production du nuage lui-même.

O n a fait des expériences en ce sens aux Pays-Bas dès 1930. Mais des recherches étendues et systématiques n'ont guère été entreprises que depuis 1949 dans les pays anglo-saxons (Etats-Unis, Australie, Canada) . L a méthode la plus couramment pratiquée consiste à introduire dans les nuages, par voie de dispersion aérienne, des particules provoquant la formation de la glace. O n utilise à cette fin des cristaux d'iodure d'argent ou de l'anhydride carbonique solidifié : la projection des particules de neige carbonique s'effec­tue à partir d'un avion volant au-dessus du nuage ou dans le nuage m ê m e .

L e problème c o m m e n c e à préoccuper les milieux officiels, tant nationaux qu'internationaux. A la C h a m b r e des c o m m u n e s , le 2 4 février dernier, la question a été évoquée par un député travailliste, M . de Freitas, encore que seul l'aspect juridique interne des conséquences possibles de telles expé­riences ait paru être retenu par le sous-secrétaire d'Etat à l'air, M . W a r d . D a n s une étude publiée en mars 1954, le Secrétariat de l'Organisation météo­rologique mondiale a donné des précisions concernant les résultats d'une enquête préliminaire sur les essais de « déclenchement artificiel de précipi­tations » — telle est l'appellation officielle — effectués jusqu'ici, en parti­culier dans les régions arides et semi-arides. O n y relève que les résultats obtenus jusqu'à maintenant sont peu concluants. Ils ne permettent, en effet, de démontrer ni l'échec complet des méthodes, employées ni la certitude d'obtenir un accroissement substantiel des chutes de pluie. Tout au plus peut-on admettre que les conditions les plus favorables pour déclencher arti­ficiellement les précipitations doivent être cherchées dans les régions et pendant les saisons où la précipitation naturelle est la plus favorable. Les techniques actuellement utilisées ne contribuent qu'à augmenter très faible­ment les précipitations dans les régions arides ou semi-arides, ou pendant des périodes sèches dans les régions à précipitations normalement moyennes. ' Mais, du fait que la possibilité de produire artificiellement de la pluie existe indiscutablement, il faut, dès maintenant, en envisager les consé­quences dans les rapports internationaux. Il convient notamment d'admettre la faculté pour un Etat de provoquer la pluie sur son territoire par la désa­grégation de nuages qui, sans cette intervention, auraient déversé leur contenu sur le territoire de l'Etat voisin. O n peut, dès lors, craindre que, durant les périodes de sécheresse, chaque Etat n'essaie de prendre autant de pluies qu'il pourra en obtenir, privant ainsi son voisin du bénéfice des averses naturelles. Faudra-t-il alors imposer conventionnellement aux Etats l'obliga­tion juridique de s'abstenir de toute action susceptible de changer, dans u n sens préjudiciable aux intérêts de's Etats tiers, le cours normal et naturel des phénomènes météorologiques ?

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CONDITIONS D'APPLICATION DU DROIT DE LA GUERRE

C'est surtout en ce qui concerne le droit de la guerre que les conséquences des découvertes scientifiques ont été le plus volontiers envisagées. Encore faut-il observer que le phénomène ne présente d'intérêt véritable en droit international que dans la mesure où la réglementation juridique s'en trouve directement affectée. A cet égard, et pour ne prendre que quelques exemples, ni l'invention de l'arquebuse ou de la bombarde, ni le perfectionnement des blindages, ni l'emploi des armes automatiques, des torpilles ou des mines de contact n'ont provoqué de changements profonds dans le droit de la belli­gérance. O n se bornera, dès lors, à signaler celles de ces modifications tech­niques qui ont entraîné ou qui sont susceptibles d'entraîner une transforma­tion essentielle dans l'application des règles de droit.

L e droit de la guerre terrestre n'a été sérieusement affecté depuis 1914 que par l'emploi de l'artillerie lourde à longue portée. Toute la réglemen­tation des conventions de L a H a y e de 1907 repose en effet, en ce qui concerne le bombardement, sur la distinction entre villes défendues et villes ouvertes, le bombardement des premières étant seul licite c o m m e constituant la contrepartie de l'aptitude à la défense militaire. Fruit d'une technique vieillie, élaborée à l'époque de la guerre de mouvement , cette distinction ne correspond plus à la réalité : dès 1914, elle s'est révélée impraticable avec la stabilisation du front consécutive à la guerre de tranchées. L'appa­rition des projectiles radioguidés est encore de nature à réduire la portée de la distinction.

Il convient également de mentionner les changements profonds apportés au droit de la guerre maritime par l'emploi de l'arme sous-marine. A u len­demain de la seconde guerre mondiale, il n'est pas exagéré d'en déduire que des institutions aussi traditionnelles que le blocus et le droit de prise risquent de s'en trouver radicalement modifiées.

Les formes que revêtent les opérations navales à l'époque contemporaine ont, en effet, considérablement diminué l'efficacité du blocus, les dangers d'attaque par les sous-marins empêchant l'escadre bloquante de stationner devant le port bloqué. Cette considération explique le déclin du blocus au cours des deux guerres mondiales. Si l'on relève une dizaine de blocus authen­tiques 1 par les Alliés au cours de la guerre de 1914 (blocus du littoral austro-hongrois, des côtes grecques et bulgares, de PAfrique-Orientale alle­m a n d e , du Cameroun, de Kiao-tchéou, de la Syrie et de l'Asie mineure), il faut bien convenir que les blocus de la seconde guerre mondiale ont été

1. Les seules mesures méritant le n o m de c blocus » sont celles qui impliquent l'interdiction des communications entre le littoral ennemi et la. haute mer par la présence d'une force navale suf­fisante. Elles doivent être distinguées des « quasi-blocus » alliés de la première guerre mondiale et plus généralement des diverses mesures dirigées contre le commerce maritime ennemi auxquelles la grande presse a donné l'appellation techniquement inexacte de blocus.

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encore plus rares : on ne peut guère relever que ceux des côtes finlandaises par T U . R . S . S . , de Hong-kong et de Java par le Japon.

Mais c'est surtout le régime des prises maritimes qui a subi le contrecoup de l'évolution technique, l'attaque et la destruction sans préavis des navires marchands par les sous-marins belligérants ayant remplacé la procédure classique de l'arraisonnement et de la visite en mer . Les caractères spéci­fiques du submersible lui interdisent en effet de se conformer aux règles du droit des prises concernant la semonce, la visite et le sauvetage de l'équipage. Sans place suffisante pour loger les équipages des navires détruits, le sous-marin a naturellement tendance à torpiller sans avertissement, en restant en plongée, et ne saurait donc exercer la visite. A la différence des bâtiments de surface, le sous-marin peut difficilement, d'autre part, se plier aux règles coutumières du droit de prise : pour semoncer, il lui faut émerger, ce qui compromet immédiatement sa sécurité s'il se trouve par exemple en face d'un navire marchand armé; pour visiter, il lui faut une embarcation capable d'affronter un peu de clapotis ou une houle légère; il n'en possède pas; enfin, pour sauver l'équipage des navires marchands, il doit l'embarquer à son bord — ce qui est presque toujours impossible — ou se faire suivre d'un cargo capturé qui recueillera cet équipage, procédé souvent irréalisable.

C'est là une argumentation qui a été fréquemment présentée en doctrine et qui a été maintes fois développée par les puissances alliées et neutres au cours de la première guerre mondiale, notamment par la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et les Pays-Bas.

E n dépit de rares précédents, tels que les arraisonnements effectués en surface par certains « croiseurs submersibles > allemands de 1.700 tonnes en 1917 et de l'épisode célèbre du sous-marin français Poncelet au début de la seconde guerre mondiale (capture du vapeur allemand Chemnitz le 28 septembre 1939 dans l'Atlantique-Sud et conduite de la prise jusqu'à Casablanca le 3 octobre suivant), le sous-marin ne peut jouer qu'un rôle destructeur contre le commerce ennemi ou neutre. C'est dire que le droit de prise traditionnel ne peut désormais être exercé en toute sécurité par le capteur que dans les ports, le déroutement se substituant à la visite en mer.

Est-il besoin enfin d'indiquer que le développement de la guerre aérienne a pratiquement aboli la distinction des combattants et des non-combattants, elle aussi caractéristique d'un état de droit aujourd'hui dépassé ? L a notion d'objectif militaire, à l'aide de laquelle le comité de juristes réuni à L a H a y e en 1922-1923 avait cru pouvoir réglementer l'arme aérienne, s'est révélée parfaitement vaine, car, suivant le mot attribué à sir Winston Churchill en 1942, « le moral des civils est, lui aussi, un objectif militaire >. L'emploi de l'arme chimique et de l'arme bactériologique, et surtout l'apparition de l'arme nucléaire, risquent d'avoir des conséquences du m ê m e ordre — mais cette fois sur une échelle illimitée.

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Ces quelques réflexions ne prétendent pas épuiser le problème. Elles se sont volontairement cantonnées dans le présent sans vouloir anticiper sur un avenir que déjà certains s'aventurent à prophétiser ou à imaginer. Il est bien évident, par exemple, que l'établissement d'îles flottantes, la construc­tion de satellites artificiels, de plates-formes' aériennes ou de miroirs inter­planétaires — c o m m e l'annonçaient tout récemment le D r Lincoln L a Paz, professeur à l'Université du Nouveau-Mexique, et le professeur H e r m a n n Oberth, inventeur des fusées V - 2 — peuvent faire naître des problèmes aujourd'hui insoupçonnés. L e miroir interplanétaire notamment, miroir de 100 k m de diamètre composé de facettes captant la lumière du soleil pour la refléter sur la terre, permettrait d'améliorer le climat des régions froides et de les fertiliser, mais aussi d'anéantir des villes ou des armées entières en concentrant la chaleur solaire sur un point de la surface terrestre où la température s'élèverait à 300° C . L a recherche de nouvelles sources d'éner­gie, l'utilisation de la force nucléaire, l'organisation de voyages interstel­laires, l'établissement éventuel de bases militaires sur les satellites gravitant autour de la Terre ou sur des plates-formes construites avec des matériaux terrestres sont, dès maintenant, à envisager. Et le rôle du juriste sera, alors, de dégager des règles nouvelles pour ces situations nouvelles. Mais, à ce stade du progrès scientifique, le terme m ê m e de droit international sera trop étroit. Jusqu'ici, en effet, tous les systèmes juridiques imaginés par les h o m m e s ont été faits pour la Terre, c'est-à-dire pour une planète déterminée. O n doit, dès maintenant, s'habituer à l'idée que le droit international de demain ne sera plus exclusivement interétatique, mais bien interplanétaire.

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LE FACTEUR HUMAIN DANS L'APPLICATION DE LA SCIENCE

par

. J .R . G A S S

L'auteur de la présente étude est un spécialiste des sciences sociales, et en particulier de la sociologie industrielle. Depuis 1950, il fait partie de la division d'information du Depart­ment of Scientific and Industrial Research (Royaume-Uni), où il est spécialement chargé des recherches concernant les relations humaines dans l'industrie.

L e s répercussions directes de la science et de la technologie ont souvent .masqué au sociologue, fasciné par leur ampleur, le rôle exact des facteurs .humains et sociaux dans le cheminement quotidien du progrès scientifique «et technique. Cet aspect du problème sera donc examiné ici du point de vue de ceux qui ont pour rôle d'appliquer les connaissances scientifiques et tech-.niques nouvelles. Notre étude s'adresse davantage à l'administrateur d'orga­nismes scientifiques et à l'industriel qu'au sociologue et à l'anthropologue .proprement dits. Elle a pour premier objet d'examiner comment le facteur humain influe sur l'activité de ceux qui sont chargés d'appliquer la science .et la technologie, et dans quelle mesure il serait possible de modifier prin-.cipes et pratiques pour faire face au problème humain.

LES FACTEURS EN JEU

'Le rythme auquel les connaissances scientifiques et techniques entrent en .application dans l'industrie dépend de facteurs très divers. L'importance relative de ces facteurs et les moyens de surmonter les obstacles qui se présentent ont récemment fait l'objet de multiples études et débats. O n a reconnu la nécessité d'accroître les cadres scientifiques et techniques et de les appeler en plus grand nombre dans les conseils d'administration de l'in­dustrie. Il a été admis que les gouvernements doivent assumer une part des .risques financiers inhérents à la création de nouveaux produits et à la mise au point de nouveaux procédés. D e façon générale, le développement de la recherche opérationnelle et des services de liaison technique dans les asso­ciations de recherches industrielles a resserré les liens qui unissent l'industrie -et la science, permettant ainsi à la recherche d'influer plus directement sur les problèmes de production.

L'influence de tous ces facteurs est indiscutable, mais l'expérience a montré que le « problème humain » assume, en divers points de la « filière > qui

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part du laboratoire pour aboutir au marché, une importance particulière. L e fait que l'application des résultats scientifiques exige en premier lieu qu'un courant d'information s'établisse entre ceux qui les obtiennent et ceux qui s'en servent nous fournit un point de départ c o m m o d e pour l'étude du facteur humain. Faire en sorte que les données scientifiques et techniques soient mises en œuvre dans l'industrie, c'est essentiellement organiser leur transmission, particulièrement dans les industries dont l'activité repose sur un travail de laboratoire. Il faut localiser les meilleures voies d'information et déterminer le volume et la nature des renseignements qu'elles auront à acheminer, question qui relève surtout de la « mécanique > de l'organisa­tion. Mais le facteur humain intervient doublement; car il faut, première­ment, que le renseignement transmis soit compris, et, deuxièmement, qu'il soit mis en œuvre. L a première condition explique l'intérêt considérable que l'on porte au m o d e de présentation de l'information scientifique; on se rend compte, de plus en plus, que l'emploi d'un jargon inutile, s'ajoutant à la difficulté d'un sujet technique, déroute les utilisateurs éventuels. D e fait, cer­tains indices donnent à penser qu'on en vient à appliquer également aux rapports scientifiques la « technique rédactionnelle », ensemble de normes statistiques permettant d'évaluer le degré de « difficulté de lecture > d'un texte et de s'assurer que la façon dont il est rédigé le met bien à la portée du public auquel il s'adresse. Dans le domaine scientifique, l'utilisation de la technique rédactionnelle est soumise à un certain nombre de servitudes; la principale tient à ce que l'effet d'un rapport scientifique dépend beaucoup moins du texte proprement dit que de circonstances qui lui sont totalement étrangères, par exemple la façon dont il est mis en circulation, la nature et le renom de l'organisation dont il émane , l'existence admise d'un besoin d'améliorations dans le domaine considéré. Pour que lé rapport ne reste pas lettre morte, il est notamment capital que les esprits et l'état de l'opinion soient favorables. E n fait, il existe u n « arriéré » croissant de données suscep­tibles d'application pratique, mais jusqu'à présent sans emploi; alors m ê m e qu'on dispose des connaissances, des moyens financiers et des techniques nécessaires, il m a n q u e bien souvent l'étincelle qui provoquerait l'intérêt et l'action. C'est cette nécessité d'inciter les utilisateurs hésitants à agir, de sur­monter leur indifférence ou leur hostilité, qui a conduit les organisations de recherche à recourir de plus en plus largement aux techniques de la publi­cité et des relations publiques.

LES TECHNIQUES DE PERSUASION

Si les consommateurs et les utilisateurs éventuels ignorent les applications possibles de la science ou leur sont hostiles, il faut faire quelque chose pour éveiller leur intérêt et les persuader. C'est pourquoi les organisations de

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recherche ont — à regret peut-être — de plus en plus recours au spécialiste de la publicité, dont les astuces et les techniques sont ainsi venues s'ajouter aux méthodes plus austères qui président à la diffusion des résultats de la recherche scientifique. L a grande presse se tient normalement en contact quotidien avec les centres de recherche officiels. M ê m e les « histoires en images » sont devenues, au R o y a u m e - U n i , un m o y e n pour tenir les m é n a ­gères au courant des recherches sur la consommation des combustibles domes­tiques. Les organismes officiels de recherche ont recours à la radio, à la télévision et au film pour intéresser le public aux résultats qu'ils obtiennent.

Il nous sera plus facile d'envisager dans une juste perspective l'emploi qui est fait de ces techniques si nous en examinons d'abord rapidement les utilisateurs. Il est possible, en simplifiant à l'extrême, de distinguer trois cas. D a n s le premier, les utilisateurs sont continuellement en quête d'informations répondant à leurs besoins scientifiques et techniques. Pour les utilisateurs de cette catégorie, par exemple dans les industries à base scientifique qui possè­dent en propre un nombreux personnel scientifique, il s'agit surtout d'orga­niser convenablement l'acheminement de l'information. Dans le deuxième cas, il est avant tout nécessaire d'attirer largement l'attention sur des tech­niques et des méthodes nouvelles qui n'entraînent pas de transformation radicale des pratiques en usage; ce cas se présente notamment dans les domaines intéressant des professions libérales dont les membres , de forma­tion scientifique, n'appartiennent pas à de grands organismes : médecins, ins­pecteurs de la santé publique, architectes, etc. C e sont ici les techniques usuelles de la publicité qui sont le plus indiquées. Enfin, il y a le cas où les obstacles décisifs au progrès scientifique et technique tiennent à des attitudes traditionnelles et à des usages profondément enracinés.

C'est dans ce troisième cas que le facteur humain prend le plus d'impor­tance; et bien souvent cela est dû au fait que Je succès des innovations techniques et scientifiques exige de profonds changements d'idées et de c o m ­portement. Par exemple, l'emploi industriel des matières plastiques est, dans une certaine mesure, entravé du fait que les ingénieurs ont de la peine à concevoir que des structures de matières plastiques, malgré leur fragilité apparente, puissent réellement supporter de lourdes charges; la corporation est tout entière dominée par une fausse impression 1. Toute innovation majeure se heurtera vraisemblablement à des obstacles semblables. L e recours de l'industrie aux techniques de c o m m a n d e automatique constitue un autre cas du m ê m e genre; il exige en effet une conception entièrement nouvelle du produit fabriqué et du processus de fabrication. Il en est à peu près de m ê m e pour les progrès scientifiques qui exigent des changements radicaux dans le comportement des consommateurs. Ici les exemples foisonnent : fidé­lité des Britanniques à un m o d e de chauffage domestique qui dilapide la plus

1. J .E . G O R D O N , « Plastics in Engineering », Aircraft Production, janv. 1953, p. 3.

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précieuse des ressources naturelles du pays, hostilité des motocyclistes au casque protecteur malgré l'éloquence des statistiques officielles, réticence à lancer de nouvelles fibres textiles parce qu'on ignore c o m m e n t les consom­mateurs accueilleront les vêtements fabriqués avec les tissus nouveaux, etc. O n se demande quel succès auront les produits alimentaires d'origine micro­biologique s'ils parviennent jamais au consommateur.

L'insuffisance des techniques de propagande. .

Puisque l'évolution de la technique et l'application de la science dépendent si souvent de changements d'attitude et de comportement, on est forcé de se demander jusqu'à quel point les techniques traditionnelles de persuasion peuvent réussir à modifier les habitudes et les opinions. L a réponse que suggèrent des travaux récents n'est guère rassurante. Des recherches expé­rimentales très poussées sur les changements d'habitudes alimentaires ont conduit le psychologue américain Kurt Lewin à la conclusion que les efforts de propagande orientés vers les masses demeurent sans effet. W . H . W h y t e , qui a fait pour la revue Fortune une enquête sur la propagande commerciale américaine *, rapporte de nombreux faits montrant que, dans certaines cir­constances, ces moyens d'information sont à la fois un outil émoussé et une arme à double tranchant. Il cite entre autres l'opinion d'un grand psycho­logue américain qui a collaboré à la série de films et de conférences intitulée « Pourquoi nous nous battons », et d'après qui ce gigantesque effort d'en­doctrinement du soldat américain aurait eu un résultat « nul... ou presque nul ». L e compte rendu scientifique 2 des recherches entreprises pour évaluer le succès de ces films est moins catégorique, mais les conclusions vont dans le m ê m e sens, au moins en ce qui concerne les effets généraux sur les opi­nions et la motivation des spectateurs. Elles sont d'ailleurs^confirmées par des recherches de l'Acton Society Trust3 sur les attitudes mentales des mineurs britanniques : « Avant qu'aucune information puisse être vraiment assimi­lée, des changements radicaux d'attitude sont nécessaires. »

Cette impuissance relative de la grande information et de la publicité à provoquer des changements de mentalité et de comportement paraîtra sans doute rassurante à ceux qu'irrite le pouvoir de la propagande. Leur soula­gement sera cependant de courte durée, particulièrement s'ils aiment à croire que le fait scientifique porte en soi la force de convaincre; en effet, les spé­cialistes américains de la psychologie sociale sont tous arrivés à la m ê m e

1. Les articles publiés à la suite de cette enquête ont été réunis dans Is Anybody Listening ? (How and Why U.S. Business Fumbles when It Talks with Human Beings), W . H . W H Y T E , Jr. and the editors of Fortune, Simon and Schuster, N e w York, 19S2.

2. Carl I. H O V L A N D , Arthur A . L U M S D A I N E , Fred D . SHEFFIELD, Experiments on Mass Communication, Studies In Social Psychology In World War II, vol. Ill, Princeton University Press, 1949, notam­ment p. 254-267.

3. The Worker's Point of View (Studies of Nationalized Industries, n° 11), Acton Society Trust, Londres, 19S2, p. 13.

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conclusion : les faits, si clairement qu'ils démontrent la nécessité d'un chan­gement, sont en eux-mêmes inopérants.

Les recherches qui ont abouti à cette constatation 1 ont eu pour point de départ un problème administratif d'ordre pratique auquel le gouvernement américain a dû faire face pendant la guerre de 1939-1945 : C o m m e n t a m e ­ner la population à modifier ses habitudes alimentaires ? Différentes méthodes ont été essayées : propagande, conférences exposant la situation, débats col­lectifs, etc. Plus tard, l'introduction de méthodes nouvelles dans les usines a donné lieu à des expériences semblables2. Peut-être pensera-t-on que convaincre des chefs d'entreprise routiniers de l'intérêt que la science pré­sente pour l'industrie n'a rien à voir avec la transformation des habitudes alimentaires d'une population ou des métodes de travail en atelier. Il y a pourtant un élément c o m m u n : c'est la nécessité de transformer les habitudes et les attitudes des intéressés. Ces conclusions peuvent être particulièrement importantes pour l ' h o m m e de science, car la déontologie du m o n d e savant veut qu'on s'abstienne de toute réclame et qu'on laisse parler les faits.

N o u s ne prétendons pas avoir épuisé ni m ê m e traité la question. Tout ce que nous voulons dire — et cela semble ressortir de nombreuses constata­tions — c'est que ni un simple exposé des faits, ni les techniques modernes de publicité à haute dose n'ont de grandes chances de réussir à transformer les attitudes et les pratiques traditionnelles qui s'opposent à une application généralisée des connaissances scientifiques et techniques.

Les fondements sociaux de l'évolution industrielle.

Il semble, d'après les résultats des recherches américaines dont il a été ques­tion plus haut, que cette impuissance apparente des techniques de propa­gande ait plusieurs causes. Avant tout, le processus de transformation des idées et des méthodes traditionnelles est social plutôt que personnel. E n d'autres termes, c'est moins l'effet de décisions individuelles mûrement réflé­chies que de la pression qu'exercent le groupe et l'opinion publique. Si tel est bien le cas, les conséquences touchant les méthodes à employer afin d'assurer la liaison entre les organismes de recherche et l'industrie apparais­sent assez clairement. Tout d'abord, les différentes catégories d'utilisateurs de résultats scientifiques, notamment les industries, ne peuvent être consi-

1. The Problem of Changing Food Habits (Report of the Committee on Food Habits), National Academy of Sciences, bulletin n° 108 du National Research Council, Washington, octobre 1943; K . L E W I N , « Group Decision and Social Change », dans N E W C O M B , H A R T L E Y et al., Readings in Social Psychology, Henry Holt, N e w York, 1947, p. 330-344; M . R A D K E , D . K I S L U R I C H , € Experi­ments in Changing Food Habits », Journal of the American Dietetic Association, 23, 1947, p. 403-409; Manual for the Study of Food Habits, National Academy of Sciences, bulletin n° 111 of the National Research Council, Washington, janvier 1945.

2. L . C O C H , J .R.P. F R E N C H , « Overcoming Resistance to Change », Human Relations, 1, 1947-1948, p. 515-531; A.J. M A R R O W , J .R.P. F R E N C H , « Changing a Stereotype in Industry », Journal of Social Issues, août 1945, p. 33-37; J. L E V I N E , J. B U T L E R , « Lecture Versus Group Decision in Changing Behaviour », Journal of Applied Psychology, 36, n° 1, p. 29-33. •

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dérées à cette fin c o m m e des conglomérats inorganiques d'entités indivi­duelles; il faut que les organisations de recherche aient une certaine connais­sance de la structure sociale des groupes d'utilisateurs qu'elles desservent. Pour chaque innovation, il faut localiser les organisations ou les particuliers, qui occupent une position clé, et qui, s'ils sont gagnés aux nouvelles méthodes, que suggère la recherche, influeront à leur tour sur tout un groupe d'entre­prises industrielles, déclenchant ainsi le mécanisme social qui provoque les changements. L e jeu de ce mécanisme est, en fait, ce phénomène bien connu qu'on appelle la m o d e . L'étude du rythme auquel se propagent les innova­tions suggère souvent la métaphore de la boule de neige; et toute mode-semble répondre à une impulsion comparable à celle des moutons de Panurge. Il n'est pas douteux que le phénomène de la m o d e se retrouve dans le-domaine des techniques d'organisation industrielle : étude des temps élémen­taires, manutention des matériaux, décisions concertées, « information », etc.-et nous n'avons aucune raison sérieuse de penser que dans le domaine tech­nique les décisions intéressant la gestion des entreprises soient prises de façon sensiblement différente.

Il découle également du caractère social du processus d'évolution que,, dans la mesure du possible, les innovations qui exigent des conceptions et des pratiques nouvelles doivent être introduites dans une industrie donnée-par l'intermédiaire des groupes qui contribuent à y former l'opinion. Il ne-faut négliger aucune occasion d'en faire le sujet de débats publics ou de-libres discussions, et il faut moins compter qu'on n'en a l'habitude sur les rapports écrits. L a mise en circulation d'un rapport doit être considérée c o m m e le début et non c o m m e l'aboutissement de l'effort à entreprendre-pour que les résultats de la recherche reçoivent des applications pratiques.

Etant donné ces fondements sociaux de l'évolution industrielle, la faiblesse des méthodes de grande information et de propagande tient à ce qu'elles n'atteignent les groupes visés qu'à l'aveuglette; on ne peut pas les orienter vers des points « stratégiques > précis. D'autre part, du fait qu'elles placent l'individu, c o m m e le dit Lewin, dans « une situation quasi privée et psycho­logiquement isolée 1 », elles sont impuissantes à déclencher le processus de-discussion sociale qui produirait un effet de choc sur l'opinion. D'après les résultats de ces recherches de spécialistes américains de la psychologie sociale,, il faut, pour réussir, amener les plus influents des groupes utilisateurs éven­tuels à participer à la discussion sur la mise en œuvre des résultats de la recherche et les associer aux décisions concernant les mesures à prendre. De-cette façon, ayant eu leur mot à dire, les utilisateurs se trouveront psycholo­giquement engagés par la décision collective. Toutes choses égales d'ailleurs,, il y a donc beaucoup à gagner à associer les utilisateurs éventuels de la recherche aux toutes premières phases d'une telle entreprise.

1. Kurt L E W I N , op. cit., p. 336.

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Les résultats de ces expériences semblent conduire à la conclusion que les techniques de persuasion les plus efficaces sont essentiellement de caractère démocratique, sinon par l'intention, du moins par le résultat. Les entre­prises et industries rétrogrades ne seront pas gagnées aux méthodes nou­velles ni amenées à exploiter pleinement les données scientifiques et tech­niques disponibles par un flot de publicité et d'information. L e seul m o y e n de provoquer le changement nécessaire dans les façons de voir et le c o m ­portement des utilisateurs éventuels consiste à les associer aux décisions portant sur l'application des résultats de la recherche. . Cette conclusion exige toutefois un examen attentif, et cela d'autant plus qu'elle confirme la doctrine actuelle de « participation démocratique des groupes » qui se dégage d'un grand nombre des études publiées aux Etats-Unis par des spécialistes de la psychologie sociale. Il importe de se d e m a n ­der, par exemple, si les techniques traditionnelles de publicité et de propa­gande ne pourraient pas emprunter aux méthodes de discussion collective ce qui en fait le succès. D e m ê m e , si la participation de l'utilisateur présente une telle importance et si, par suite, la faiblesse des techniques de grande information tient à ce qu'elles sont à sens unique et interdisent cette parti­cipation, ne peut-on les modifier de façon à y remédier ? U n e telle question a une importance particulière du fait que les méthodes de discussion collec­tive, si utiles soient-elles, sont difficiles à appliquer à une masse inorganisée et non différenciée d'utilisateurs, disons : les chefs de famille ou les usagers de la route. U n e intéressante série d'émissions télévisées de la B . B . C . sur « L a science de demain » montre c o m m e n t il est possible de combiner la parti­cipation des utilisateurs et la grande information; en demandant aux télé­spectateurs de remplir et de renvoyer des questionnaires se rapportant à certaines recherches en cours dans les universités ou dans d'autres centres, on obtient du public une participation qui est loin d'être négligeable. Il semble qu'il y ait là un m o y e n , beaucoup plus efficace que toutes les confé-rences faites à la radio par des savants, d'agir sur l'attitude du public à l'égard de la recherche scientifique.

Pour plus de précaution, il convient de répéter que les conclusions des recherches américaines ne sont valables que dans les cas où l'industrie ne peut assimiler les résultats scientifiques sans modifier ses façons de voir et sa manière d'aborder les problèmes de production. D e nombreuses entre­prises, particulièrement les grandes et celles dont l'activité repose sur des travaux de laboratoire (produits chimiques, constructions électriques, etc.), ne laisseront rien échapper de ce qui pourrait leur être utile parmi les don­nées scientifiques mises à leur portée. Bien des nouveautés, particulièrement les petites innovations qui découlent d'une transformation profonde de la technique, passent dans la pratique sans difficulté. E n revanche, la petite industrie, encore artisanale, doit nécessairement modifier ses façons de voir avant de pouvoir tirer un meilleur parti de l'information scientifique et tech-

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nique. Les besoins ne sont pas les m ê m e s dans tous les cas, et l'on peut se demander s'il n'y aurait pas intérêt à ce que le personnel et les services chargés, dans les organisations de recherche, de la liaison avec l'industrie s'attachent avant tout à détruire les attitudes d'esprit défavorables à l'appli­cation de la science en entrant directement en contact avec les utilisateurs — ce que la publicité arrive assez mal à faire par les méthodes traditionnelles — au lieu de prêcher les convertis — ce dont la publicité se tire parfaitement.

LA DÉCISION D'INNOVER

Si ces conclusions aident à comprendre les situations que crée le progrès technologique, elles appellent néanmoins, à cet égard, une autre réserve. Réduite à l'essentiel, la thèse du groupe de spécialistes américains de la psychologie sociale dont on a mentionné les travaux est que la tactique et Jes techniques employées pour généraliser un changement ont une influence déterminante sur la décision d'innover ou l'acceptation d'un changement. Cela est certainement exact dans les différents cas qu'ils ont étudiés. Mais il faut bien voir que leurs expériences portaient sur la modification d'habitudes du type inconscient, c'est-à-dire irrationnelles et intimement liées à des pré­jugés traditionnels; or, dans l'industrie, la décision d'adopter ou de refuser un changement technologique répond souvent au souci conscient de certains intérêts. Bien qu'elle ne soit pas absolue, cette distinction n'en est pas moins utile. E n fait, si le souci de l'intérêt personnel tient tant de place dans le progrès technologique, ce ne peut être sans raison. E n premier lieu, le progrès technologique touche aux moyens d'existence. E n second lieu, il résulte le plus souvent de décisions formelles alors que d'autres changements de comportement résultent d'une évolution progressive plus ou moins inconsciente. Enfin, il faut généralement qu'il soit accepté de bon gré, car dans la pratique il est impossible d'y contraindre les dirigeants des entre­prises. Ainsi, en contraste avec beaucoup d'autres formes de changement, les transformations de la technique résultent habituellement de décisions conscientes, qui sont elles-mêmes l'aboutissement de marchandages et de négociations entre les entrepreneurs et les banques, entre les employeurs et la main-d'œuvre. Les intérêts particuliers tels que les conçoivent les parties en cause ont toute possibilité de peser sur les décisions de cet ordre. U n e récente étude du British Institute of Management semble le confirmer : « Les transformations valables naissent d'un besoin[...] Lorsque ce besoin est res­senti, le m o m e n t est venu d'adapter. Lorsque le besoin n'existe pas, ou qu'il n'est pas reconnu c o m m e tel, tout changement doit nécessairement être imposé et suscite généralement des résistances 1. »

1. J.F. SCOTT, R.P. L Y N T O N , Three Studies In Management, Routledge and Kegan Paul, Londres, 1952, p. 142.

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Le facteur humain dans l'économie..

Puisque les intérêts particuliers ont une si grande part dans la décision d'in­nover, les répercussions des forces économiques sur le processus d'évolution technologique revêtent une importance évidente. Il nous faut connaître les gains et les pertes qu'entraîne, pour les participants, le fonctionnement de nos institutions économiques. Plus simplement, cela revient à dire que, dans notre système économique, il faut que toute innovation soit finalement une source de profit et que les dirigeants des entreprises le croient au m o m e n t où ils décident d'innover; de plus, on ne peut attendre des travailleurs et des syndi­cats qu'ils fassent bon accueil à des progrès techniques contraires à leurs intérêts.

O n pourrait toutefois penser que le jeu de ces forces économiques est inhérent à la structure de nos institutions économiques, qu'elles n'ont rien à voir avec l'élément humain, sinon dans la mesure où elles s'exercent par l'intermédiaire de cet élément. E n fait, c'est précisément ce que postulent beaucoup d'économistes; ils étudient « le marché », « la monnaie >, « la demande » et « le capital » sans faire entrer en ligne de compte les gens qui achètent, qui vendent, qui effectuent des économies et des placements. Il n'y a, bien entendu, rien à redire à cela tant que ces abstractions aident à comprendre les phénomènes et, en fin de compte, à les prévoir. D e plus, bien des problèmes, en matière d'évolution technique, exigent d'être traités suivant les techniques traditionnelles de l'analyse économique. Citons par exemple : l'effet de la concurrence et des monopoles sur l'adoption de pro­duits et de procédés nouveaux; les frais de main-d'œuvre en tant que moteurs du progrès technique; la politique fiscale et ses effets sur la rentabilité d'une innovation. Mais il ne suffit pas d'insérer dans le cadre des forces écono­miques les éléments qui doivent y trouver place pour obtenir une théorie capable d'expliquer la prise des décisions dans le domaine technique. E n effet, ces décisions ne sont pas prises par des automates construits à l'image de Yhomo economicus, mais par des h o m m e s d'affaires qui souffrent d'ulcères à l'estomac et appartiennent à des clubs mondains. Dans le domaine de l'évolution technologique, il semble qu'on ait particulièrement besoin de recherches portant non seulement sur la logique abstraite des institutions et des forces économiques, mais aussi sur les réactions d'être vivants pris dans le tourbillon de la vie quotidienne.

Nous voudrions en donner.un ou deux exemples. O n semble croire volon­tiers, dans l'industrie, que l'entreprise qui est la première à lancer un procédé ou un produit nouveau doit supporter seule tous les frais de mise au point; le concurrent qui s'engage dans la m ê m e voie un peu plus tard échappe à cette nécessité, ce qui lui permet de parfaire un produit auquel il ne m a n ­quait que peu de choses pour atteindre le succès commercial, ou encore pour « sortir » un produit commercialement supérieur à celui de l'entreprise qui

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lui a frayé la voie. C'est ainsi que l'histoire de la fabrication des alcalis est marquée d'une succession de faillites, maintes entreprises ayant vainement essayé de mettre au point le procédé; selon certains, cet exemple donnerait une idée des difficultés rencontrées non seulement par les premiers fabricants d'alcalis, mais par tous ceux qui essaient de lancer des procédés nouveaux} . D a n s l'industrie des ampoules électriques et des moteurs d'avion, les grandes entreprises se sont généralement tenues sur la réserve jusqu'à ce que le succès commercial fût à la portée de la main. Si la plupart des industriels sont persuadés que la sagesse consiste à ne s'aventurer qu'en deuxième ou troisième position, cela doit avoir un effet considérable sur les décisions d'innover. C e qu'on aimerait savoir, c'est dans quelle mesure cette convic­tion est générale et à quelles sortes d'innovations elle s'applique — ¿n d'autres termes, jusqu'à quel point les traditions de l'industrie sont en accord à cet égard avec les réalités économiques.

Les répercussions des transformations technologiques sur le niveau et la répartition de l'emploi soulèvent une question du m ê m e ordre. C e u x qui désirent supprimer tout obstacle à l'accroissement de la productivité ont ten­dance à croire que le progrès technique élève le niveau de l'emploi et le niveau de vie; en revanche, les travailleurs et les syndicats se jugent menacés dans leur emploi par des techniques et des procédés nouveaux. D a n s une certaine mesure, ces divergences de vues viennent évidemment du fait que les deux parties n'envisagent pas les choses sous le m ê m e angle : l'une pense surtout à 1'« intérêt général à longue échéance », l'autre au risque immédiat que court telle ou telle catégorie de travailleurs de perdre ses moyens d'exis­tence. Quoi qu'il en soit, ces attitudes sociales devant le jeu des forces écono­miques sont solidement établies; aussi conditionnent-elles dans une large mesure l'introduction de méthodes nouvelles, et, par voie de conséquence, la productivité. Il importe donc de déterminer avec précision par des recherches économiques c o m m e n t l'évolution technique influe sur l'emploi, afin de pou­voir concilier les préoccupations des travailleurs, soucieux de sauvegarder l'emploi, et celles des chefs d'entreprise, soucieux d'améliorer les techniques de production. Mais toutes les recherches économiques du m o n d e resteront sans effet pratique si elles ne tiennent pas compte de la façon ; dont s'est constituée cette tradition de l'industrie et de ce qu'il est possible de faire pour la changer. ' - . , ' • ;

Le système social et la décision d'innover. ,• '

Les rapports entre les valeurs sociales et l'organisation industrielle, entre le régime politique et les progrès de la science et de la technique, sont si

1. Sir Frank H E A T H , A . L . H E A T H E R I N G T O N , Industriai Research and Development in the United Kingdom, Faber and Faber, Londres, 1946, p. 23. . ' .

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complexes qu'ils offrent matière à d'interminables discussions du genre de « la poule et l'œuf ». Toutefois, puisque tout ce qui a été écrit sur ce sujet concerne presque uniquement les répercussions de la technologie sur la société et non l'influence de la société sur la technologie, peut-être serait-on fondé à faire l'inverse et à rechercher c o m m e n t la structure et les conventions de la société influent sur la décision de lancer des produits ou des procédés nouveaux. Il est indiscutable que, du point de vue de ceux auxquels il incombe dans la pratique de promouvoir l'introduction dans l'industrie des produits, fabrications ou méthodes nouvelles, le progrès technique se heurte à de nombreux obstacles sociaux et humains. Certes, il se peut que les h o m m e s d'affaires se préoccupent d'obstacles et de difficultés qui, bien qu'im­portants dans l'immédiat, finiront par disparaître sous l'empreinte que lais­sent, dans la société, les pas de géant de la technique. Q u a n d bien m ê m e il en serait ainsi, il n'est pas douteux que les obstacles humains et sociaux qui entravent le progrès de la technologie ne sont pas sans effet sur la prospérité des entreprises et peut-être les destinées de l'industrie.

A u R o y a u m e - U n i , les rapports des soixante-six missions anglo-américaines qui ont franchi l'Atlantique pour découvrir le secret de la productivité a m é ­ricaine ont largement contribué à faire prendre plus nettement conscience des effets des attitudes et valeurs sociales sur la vie économique du pays et sur le rythme auquel les idées nouvelles passent dans la pratique. Examinant les constatations qu'ont faites ces missions, G r a h a m Hutton l met en vedette, c o m m e un facteur important, certaines caractéristiques de la société améri­caine, « disposée à s'aventurer, à changer, à rompre avec les méthodes tradi­tionnelles, à innover, à aller au-devant des besoins nouveaux du c o n s o m m a ­teur ou à provoquer ces besoins nouveaux en prévoyant exactement ce qu'on peut amener le consommateur à demander ». Traitant pareillement du cas de la Grande-Bretagne, le professeur R . S . Edwards 2 s'exprime ainsi : « Dans notre système de valeurs sociales, c o m m e dans notre système de récompenses et de pénalités économiques, il faut que ceux qui ont la volonté d'imposer des progrès, et le courage d'assumer les risques et les charges que cela implique, retrouvent une partie du prestige qu'ils ont perdu depuis le début de ce siècle. > D e m ê m e , dans une étude comparée des chefs d'entreprise français et américains, Sawyer 3 dépeint ainsi la psychologie française des affaires : « D e vieilles coutumes, de vieux produits, de vieilles qualités et de vieilles méthodes ont été approuvées par la société c o m m e la spécialisation et la production en série ne l'ont jamais été » ; et plus loin : « A maintes reprises, les chefs d'entreprise français n'ont pas su tirer parti des très grands progrès scientifiques et technologiques que l'on doit à la France. >

1. Graham H U T T O N , We too can prosper, Allen and Unwin, Londres, 1953, p. 129. 2. R.S. E D W A R D S , « The Future of Industrial Research », Research, juin 1952, p. 247-255. 3. J.E. S A W Y E R , C The Entrepreneur and the Social Order », in W . MILLER, Men In Business, Harvard

University Press, Cambridge, 1952, p. 18 et 19.

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LE F A C T E U R H U M A I N D A N S L ' A P P L I C A T I O N D E LA SCIENCE"

Dans l'industrie, les attitudes à l'égard du changement sont psychologi­quement liées à des aspects plus particuliers du comportement de l ' h o m m e d'affaires, notamment à son souci de garder le secret de ses méthodes et procédés. L e fait que bien des industriels européens répugnent à échanger' des informations, et à courir le risque d'une confrontation d'idées à laquelle ils peuvent avoir plus à gagner qu'à perdre, joue un rôle d'une importance' certaine en ce qui concerne les transformations technologiques. E n effet, seul le libre échange des méthodes et des idées permet de porter le rendement des entreprises industrielles à un niveau m o y e n élevé et de combler, dans une certaine mesure, l'écart entre les entreprises qui ont le meilleur rendement et celles qui ont le plus mauvais. Il est certain qu'il existe, d'un pays à l'autre, des différences sociales fondamentales dans les attitudes à l'égard du changement, et que ces attitudes sont intimement liées à toute une g a m m e de conventions, de coutumes et de croyances accessoires qui ne sont pas sans influer sur les décisions quotidiennes de l ' h o m m e d'affaires.

D e plus, certaines valeurs sociales n'ayant qu'un rapport lointain avec les domaines économique et technique peuvent freiner l'innovation. Les progrès de la machine à écrire ont été ralentis du fait qu'ils se sont trouvés liés aux aspirations politiques et sociales des jeunes filles de bonne famille 1. L a bicyclette, autre grande innovation technique, s'est aussi trouvée mêlée à la lutte pour l'émancipation des femmes, en m ê m e temps qu'elle s'est heurtée à une opposition religieuse et médicale; on découvrit plusieurs maladies du cycliste, par exemple la « cyphose bicyclistarum » et le « faciès du cycliste », qui vinrent enrichir l'arsenal de l'opposition militante 2.

Enfin, en dehors des h o m m e s d'affaires, il existe dans la société certains groupes qui doivent une importance particulière à la position stratégique qu'ils occupent du point de vue de l'évolution technologique. C'est le cas des banquiers, par exemple, et aussi celui des h o m m e s de science. Ces groupes ont une structure sociale et des coutumes particulières qui entravent le progrès technologique. L e fait que les spécialistes des sciences pures sont considérés au R o y a u m e - U n i et ailleurs, sans doute, c o m m e les patriciens du m o n d e scientifique et que ceux des sciences appliquées occupent une place et jouis­sent d'un prestige relativement moindres explique, dans une certaine mesure, l'existence du fossé qui sépare la découverte de connaissances nouvelles et leur application à l'industrie. Les coutumes et conventions du m o n d e de la banque exercent des effets comparables en ce qui concerne le financement du progrès technologique.

Il ne serait pas difficile, en multipliant les exemples, de montrer c o m m e n t les attitudes sociales influent sur le rythme et l'orientation des innovations techniques. Mais la société intervient d'une autre façon, peut-être plus impor-

1. Bernhard J. S T E R N , « Resistance to the Adoption of Technological Innovations », in Technological Trends and National Policy, U . S . National Resources Committee, p. 49.

2. Sydney H . A R O N S O N , « The Sociology of the Bicycle », Social Forces, 30, mars 1952, p. 306-307.

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tante; en effet, le recrutement des dirigeants de l'industrie détermine, dans une large mesure, leur attitude à l'égard des méthodes et des techniques nou­velles, et ce recrutement s'opère d'après des considérations sociales plutôt qu'économiques. O n en trouvera de remarquables exemples dans les industries artisanales fondées sur la petite affaire familiale, où les procédés tradition­nels se transmettent de père en fils. Pour le chef de famille, il s'agit surtout d'arrondir un modeste patrimoine, préoccupation qui n'a rien de c o m m u n avec celles du chef d'entreprise professionnel qui s'adresse au marché des capitaux, de l ' h o m m e d'affaires entreprenant qui risque toute sa fortune et celle de ses meilleurs amis, ou des conseils d'administration des industries nationalisées, obligés de peser le pour et le contre au mieux de l'intérêt général. Il est évident que la mesure dans laquelle l'industrie d'un pays se montrera entreprenante et novatrice dépendra pour beaucoup des propor­tions suivant lesquelles ces différents types de dirigeant se rencontrent dans son élite industrielle, et de la facilité avec laquelle le sang nouveau, et par suite les idées neuves, peuvent parvenir jusqu'au sommet . E n particulier, il importe que de nouvelles formes de leadership apparaissent dans l'industrie à mesure que celle-ci évolue. C o m m e le dit Schumpeter, l'innovation n'est possible que dans la mesure où « les volontés fortes et les cerveaux puis­sants » peuvent accéder aux plus hautes fonctions de direction. A ce propos, il n'est pas sans intérêt de se demander si les h o m m e s de science, en dépit d'une pression croissante en faveur de leur participation aux décisions des organes directeurs, sont réellement, par leur formation et leur tournure d'esprit, les plus aptes à discerner les perspectives économiques qu'ouvre le progrès scientifique et technologique. Dans son ouvrage sur l'industrie de la radio, Maclaurin x attire l'attention sur un certain nombre de faits essentiels touchant le rôle des organes de direction dans le passage des découvertes fondamentales aux productions commerciales : « Les entreprises qui ont le mieux réussi ont été dominées par de puissantes personnalités novatrices. Tel est le cas des sociétés Marconi, R . C . A . , Philco, Zenith, Emerson et Syl-vania[...] dont aucune n'a eu à sa tête un inventeur[...]. Les cadres supérieurs de ces entreprises ont montré autant d'opiniâtreté que les inventeurs qui leur avaient tracé la voie; mais leurs goûts et leurs instincts les portaient plutôt vers le commerce que vers la science. » L'industrie a maintenant d'autres besoins, et un nouveau type d'administrateur, de formation scientifique, est apparu; mais le tableau que brosse Maclaurin est assez frappant pour qu'on se demande s'il convient d'appeler des h o m m e s de science aux conseils d'administration.

1. W . Rupert M A C L A U R I N , Invention and Innovation in the Radio Industry, Macmillan, N e w York, 1949, notamment p. 249 et 21-23.

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Immobilisme organique des entreprises.

Si, dans l'ensemble, les attitudes sociales et la structure de la société ont une grande influence sur la décision d'innover, il en est de m ê m e de la dure et solide carapace d'accoutumance que secrète chaque organisation. H est frap­pant, et presque de règle, que les grandes innovations, contrairement aux perfectionnements mineurs apportés à des techniques connues, sont dues à des organisations qui, le plus souvent, sont des nouvelles venues dans leur domaine. D'après Gilfillan 1, un des concurrents américains de Marconi, Fessenden, aurait été jusqu'à dire qu'« aucune organisation spécialisée dans un certain domaine n'invente jamais rien qui compte et n'adopte rien de nouveau tant qu'elle n'y est pas contrainte par une concurrence extérieure ». C'est là, bien entendu, pousser les choses à l'extrême; mais il est certain que Fessenden touche un point sensible. Maclaurin montre qu'en 1900, malgré les prédictions du savant britannique Crookes, les grandes entreprises de communications électriques négligeaient les possibilités commerciales de la télégraphie sans fil. Bright2 fait observer que, dans l'industrie de l'éclairage électrique, ce sont des h o m m e s de science et des inventeurs indépendants qui ont frayé la voie, tandis que les grands fabricants européens et améri­cains n'ont adopté les idées nouvelles qu'avec un certain retard. Il en a été de m ê m e pour la mise au point en Grande-Bretagne et en Allemagne des moteurs à turbo-réaction et pour celle du moteur à refroidissement par liquide aux Etats-Unis; dans ces différents cas, les travaux d'avant-garde furent dus à de petites entreprises, et non aux grands producteurs de moteurs d'avion 3.

Il y a, bien entendu, une part de logique économique dans tout cela. Lors­qu'elle a atteint un fort volume de production, une organisation industrielle a quelque peine à déterminer le m o m e n t exact où il devient avantageux de consacrer sa puissance et ses ressources à de nouveaux projets. Ainsi la mollesse des firmes bien établies devant les perspectives nouvelles que leur ouvre la technologie tient peut-être moins à une sereine ignorance des possi­bilités commerciales qui leur sont offertes qu'au souci de défendre leurs intérêts économiques. Quoi qu'il en soit, la simple inertie, l'incapacité à saisir toute la portée d'idées nouvelles, l'impuissance à tirer une grande entre­prise de sa routine, contribuent à expliquer, dans le domaine de l'évolution technique, le phénomène de l'< outsider >.

Q u ' y a-t-il dans l'organisation des entreprises qui puisse expliquer ce phé­n o m è n e ? E n premier lieu, ce simple fait que, dans les grandes entreprises centralisées, le nombre de ceux qui prennent effectivement les décisions est remarquablement réduit, c o m m e d'ailleurs le nombre de ceux qui peuvent

1. S.C. G I L F I L L A N , The Sociology of Invention, Folle«, Chicago, 1935, p. 91. 2. Arthur A . B R I G H T , The Electric Lamp Industry, Macmillan, N e w York, 1949, p. 449 et 456-457. 3. Robert S C H L A I F E R , S . D . H E R O N , Development of Aircraft 'Engines and Aviation ' Fuels/ Harvard

Graduate School of Business Administration, Boston, 1950, p. 13 et 86-87.

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réellement se faire entendre de la haute direction. C'est pourquoi il n'est pas rare qu'il existe, dans les grandes entreprises frappées d'inertie, une minorité ayant les idées et l'énergie voulues pour sauver l'affaire, mais privée des moyens de se faire entendre en haut lieu et par suite d'amener l'organisation à changer de cap. Il se peut donc que la stagnation soit due en partie à ce que, dans de telles entreprises, il y a moins de points où une idée nouvelle peut se développer, et en partie à ce que les idées ne parviennent jamais à la connaissance des responsables des décisions. A cela s'ajoute la tendance naturelle de tout organisme à se créer pour lui-même un ensemble de cou­tumes, de rites et de mythes qui deviennent, à la longue, autant d'obstacles aux initiatives.

Si paradoxal que cela soit, c'est souvent dans les organisations dominées par un grand novateur que ces obstacles offrent la plus grande résistance. E n effet, l'évangile créateur d'une époque devient le d o g m e et les rites de la suivante : le champion du progrès se m u e en défenseur du statu quo. L e mécanisme de cette évolution est assez curieux. L e novateur s'identifie psy­chologiquement aux pratiques et aux méthodes nouvelles dont il a été l'initia­teur, et ne les laisse pas volontiers supplanter par de nouvelles façons de faire, mieux adaptées aux besoins de l'entreprise. M ê m e absent, m ê m e mort, il pèse encore d'un grand poids dans la lutte contre l'innovation; car ses lieutenants se réclament de lui ou de sa mémoire pour s'opposer au chan­gement.

Dans une certaine mesure, la domination d'une entreprise par une per­sonnalité puissante constitue un cas extrême; mais on trouve quelque chose de ce genre dans l'histoire de mainte organisation industrielle. Cette domi­nation soulève d'ailleurs une question plus générale et d'importance capitale du point de vue de l'évolution technologique : c o m m e n t conserver l'élan créateur des cadres dans les vastes entreprises qui constituent aujourd'hui la cheville ouvrière du progrès technique ? L e problème est complexe, car, c o m m e nous l'avons dit plus haut, ceux qui se trouvent au sommet d'une organisation ont naturellement tendance, au bout d'un certain temps, à s'identifier psychologiquement aux façons de faire, à la politique et aux objectifs dont ils ont été les premiers champions. E n fait, il est bien difficile à quiconque de conserver, m ê m e pendant un temps assez court, une vision neuve des choses et un sens critique en éveil : c'est pourquoi la vague de réformes qui suit généralement u n changement de direction n'aboutit le plus souvent qu'à un nouveau statu quo tout aussi rigide que l'ancien. Sans aller jusqu'à dire qu'au bout d'un temps déterminé, toujours le m ê m e , il est fatal que les œillères se forment et que les ornières se creusent, on peut admettre, sans grand risque de se tromper, qu'en cinq ans l'activité et les attitudes de la plupart d'entre nous deviennent routine. Si tel est le cas, on en pourrait déduire que le renouvellement du personnel de direction doit être rapide si l'on veut que l'entreprise échappe à la stagnation. C'est une conclusion

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de ce genre que Passer 1 tire des efforts de l'inventeur américain F J . Sprague-en vue de répandre l'usage des ascenseurs électriques ou de la c o m m a n d e -à unités multiples sur les chemins de fer électriques : « L'histoire de Sprague-semble indiquer que les grandes innovations apparaissent d'abord là où il existe une entreprise ou une direction nouvelle qui, en tant que telle, ne se-sent pas tenue de se conformer aux modes de comportement traditionnels. » Il se peut d'ailleurs que le rythme auquel les cadres supérieurs se renou­vellent, trait caractéristique de l'activité industrielle et commerciale des Etats-Unis, explique la rapidité avec laquelle les idées nouvelles se répandent dans, ce pays.

Quoi qu'il en soit, le conservatisme des organisations n'est pas sans effet sur la décision d'innover. Dans ses décisions d'ordre économique, l ' h o m m e d'affaires est influencé non seulement par des valeurs sociales et par ses. propres origines sociales, mais aussi par la rigidité ou la souplesse de l'orga­nisation qu'il dirige, l'inertie de cette organisation ou son aptitude à se lancer dans des directions nouvelles, et surtout par la mesure dans laquelle sa vision personnelle des choses est prisonnière de certaines habitudes.

LES RÉPERCUSSIONS DE L'INNOVATION A L'INTÉRIEUR DE L'USINE

U n e fois prise la décision d'innover, il reste à forger le dernier maillon de la chaîne qui va du laboratoire au marché, c'est-à-dire introduire à l'usine le nouveau procédé ou la nouvelle fabrication. A ce stade de l'application de la science et de la technologie, l ' h o m m e de science ne joue directement aucun rôle. Mais il ne saurait s'en désintéresser, car c'est évidemment de ce stade que dépendent en partie les résultats économiques de ses travaux. Pour l'industriel, c'est cette étape finale qui. compte le plus, car s'il ne réussit pas. à tirer d'une invention scientifique qui recèle en puissance de gros profits un produit marchand et à établir un plan de production satisfaisant, sa décision d'adopter une nouveauté technologique ne peut que lui faire perdre-beaucoup d'argent et d'efforts. E n outre, c'est à ce dernier stade que les répercussions de l'évolution technologique sur les habitudes et le comporte­ment du personnel de direction et d'exécution se font sentir avec le plus de-force; le facteur humain prend alors une importance capitale.

Dans l'étude des répercussions de la science et de la technologie sur la société, on a eu tendance à s'attacher surtout à celles qui se font le plus lar­gement sentir, par exemple, dans le domaine des loisirs, de la vie familiale, de l'art et de la littérature, de la tactique et de la stratégie militaires. M a i s il semble de plus en plus que leurs effets à court terme sur l'usine considérée c o m m e un organisme social, c o m m e une société en miniature, soient consi-

1. H . C . PASSER, « Frank Julian Sprague », in W . MILLER, op. cit., p. 236.

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¡LE F A C T E U R H U M A I N D A N S ' L ' A P P L I C A T I O N D E LA S C I E N C E

•dérables. L a raison en est tout d'abord que c'est à l'usine, plus peut-être que partout ailleurs, qu'une technique nouvelle influe sur l'activité sociale et la qualité de la participation de l'individu à cette activité. C'est ainsi que cer­taines innovations dans les techniques de production — disons, la chaîne de montage en série — influent à la fois sur la satisfaction que l'individu tire de son emploi et sur la signification sociale qu'il y attache. E n second lieu, l'importance des effets à court terme, à l'intérieur de l'usine, tient à ce qu'ils peuvent se traduire par des résistances au changement, une mise en œuvre inefficace des techniques et procédés nouveaux, des délais et des à-coups durant la période de « rodage > ou m ê m e une obstruction totale entraînant l'abandon des projets d'innovation. L'étude de Scoville, par exemple, montre c o m m e n t , dans l'industrie du verre, la révolution technique a dû attendre la mise au point de techniques qui pussent être appliquées sans la main-d'œuvre qualifiée qui existait alors J. L'histoire nous offre évidemment bien d'autres exemples de révolte des travailleurs et de leurs syndicats contre la machine. Mais, en raison de l'extrême importance des répercussions du pro­grès technologique sur la nature des spécialisations et l'effectif de la main-d'œuvre nécessaire, on a eu tendance à envisager le problème de la résistance au changement exclusivement sous cet angle. Il est beaucoup plus fructueux de considérer le changement technique c o m m e exigeant, au sein d'une entre­prise donnée, un effort considérable d'adaptation des attitudes, des principes d'organisation du travail et des usages établis — en fait c o m m e désinté­grant, au m o m e n t où il se produit, l'organisation sociale de l'usine. Ses répercussions peuvent se faire sentir dans toutes sortes de domaines : l'équi­libre des forces entre les divers groupes organiques de la direction peut se trouver déplacé; la hiérarchie et le prestige relatif des différents emplois peu­vent varier; les équipes et unités de travail peuvent « éclater » ; les principes et postulats jusqu'alors appliqués à la production peuvent être supplantés par d'autres; l'ampleur et la nature des possibilités d'avancement peuvent se modifier et ainsi de suite.

Pour préciser ces idées, le-mieux est de se reporter à des cas concrets. N o u s en exposerons deux : le premier, emprunté à une étude effectuée par R o n k e n et Lawrence 2 à la School of Business Administration de l'Univer­sité Harvard, concerne la mise au point d'un nouvel article par une entreprise d'appareillage électronique; le deuxième porte sur les répercussions que la généralisation des techniques de c o m m a n d e automatique, une des tendances majeures de la technologie de la production, risque d'avoir dans l'usine consi­dérée c o m m e un organisme social.

1. Voir l'exposé détaillé de ce point dans Yale B O Z E N , « Studies in Technological Change », The Southern Economic Journal, avril 1951, p. 441.

2. Harriet O . R O N K E N , Paul R . L A W B E N C E , Administering Change—A Case Study of Human Relations in a Factory, Harvard Graduate School of Business Administration, Boston 1952.

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L E F A C T E U R H U M A I N D A N S L ' A P P L I C A T I O N D S LA S C I E N C E

Le cas du « tube Amicon ». .

L e dispositif électronique connu sous le n o m de « tube A m i c o n > a été mis au point et produit par une entreprise américaine de construction de matériel électronique, entreprise d'importance moyenne. L'étude de Ronken et L a w ­rence avait pour objet de suivre, principalement grâce à plusieurs mois d'ob­servation sur place, les vicissitudes de cet article, depuis l'idée première jus­qu'au plein lancement sur le marché.

La direction de l'entreprise considérait la mise au point du nouvel article c o m m e urgente parce que dans cette branche, c o m m e , d'ailleurs, dans des domaines de plus en plus nombreux de l'activité industrielle, la suprématie commerciale d'une entreprise dépend de la rapidité avec laquelle, par une sorte de culture forcée, les idées scientifiques et techniques nouvelles se concrétisent en un produit marchand. Malgré cette hâte de mettre au point et de lancer le nouvel article, l'opération fut marquée par toute une série de contretemps. Mais ce furent moins des difficultés techniques que des ques­tions de « relations personnelles » qui en retardèrent le succès; et les enquê­teurs conclurent que « ces problèmes de relations avaient contribué, plus que tout autre facteur, à en déterminer les résultats ».

L a coopération des différents groupes organiques de l'usine semble avoir été le n œ u d de ce « problème de relations ». E n fait, ce genre de travail exige une coopération particulièrement étroite entre les différents groupes qui interviennent successivement le long de la filière qui part d'une nouvelle idée scientifique ou technique pour aboutir à la production courante d'un article commercial. E n l'occurrence, trois services organiques de l'entreprise avaient à intervenir : le service des études et des modèles, le service des méthodes et le service de production. A eux trois, ils devaient assurer toute la réalisa­tion du projet : le premier était chargé de l'établissement du prototype et des essais, le second, des méthodes, procédés et normes de production, et le troisième, de la fabrication courante des appareils destinés à la vente.

O r il se trouvait que le tube A m i c o n avait été conçu, non par les ingé­nieurs du service des études et des modèles, mais par ceux du service des méthodes. Afin que la production pût démarrer aussi rapidement que pos­sible, la direction donna carte blanche aux ingénieurs du service des méthodes pour pousser l'étude du projet, bien que cela portât atteinte aux prérogatives des ingénieurs du service des études et des modèles. Les rapports normaux des deux services s'en trouvèrent modifiés et cela devait finalement susciter entre eux un conflit. E n fin de compte, les deux services travaillèrent chacun de son côté sur les m ê m e s problèmes techniques sans se communiquer leurs idées ni leurs résultats. E n fait, il y a tout lieu de croire que les essais du service des études et des modèles visaient surtout à contrôler le travail des ingénieurs du service des méthodes et à « abattre » ces rivaux tout autant qu'à mettre au point le nouvel article.

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L E F A C T E U R H U M A I N D A N S L ' A P P L I C A T I O N D E LA S C I E N C E

L e passage du stade expérimental à la production courante suscita des­difficultés du m ê m e ordre. Pressée d'obtenir des résultats commerciaux, la direction enleva la conduite des opérations aux ingénieurs du service des méthodes, bien qu'il restât quelques problèmes de mise au point à résoudre, pour la confier au service de production. Les ingénieurs du service des­méthodes ne virent pas sans amertume le projet leur échapper et leurs rap­ports avec le service de production s'envenimèrent. D e nouvelles complica­tions survinrent du fait que les collaborateurs des ingénieurs chargés des-essais, s'étant identifiés à eux, eurent l'impression de déchoir lorsqu'il leur fallut abandonner le domaine prestigieux de l'expérimentation pour celui plus terre à terre, de la production. E n fin de compte, il en résulta des heurts-et un m a n q u e de liaison entre le service des méthodes et la production, c o m m e en témoigne le fait que le service de production se plaignit de ne pouvoir se conformer à son calendrier de travail faute de recevoir du service des méthodes l'équipement nécessaire.

Bref, la réalisation du projet rencontra de graves difficultés, dues au m a n q u e de coopération entre les services intéressés. Signe caractéristique de-cet état de choses : les services étaient plus soucieux à ce stade de trouver des arguments pour ou contre le projet que de mobiliser les énergies et les connaissances disponibles en vue d'atteindre l'objectif fixé par l'entreprise. Six mois après que l'article eut été officiellement mis en fabrication aucun spécimen n'en était encore parvenu sur le marché. L a direction fut finalement amenée à remettre le projet à l'étude, les ingénieurs du service des études et des modèles étant cette fois seuls chargés de diriger les travaux.

Cette histoire est peut-être assez banale. Elle n'en est pas moins intéres­sante en ce qu'elle démontre les graves retards que peut subir une production nouvelle si l'on oublie que les changements technologiques ne sont pas seu­lement de nouvelles combinaisons de matières premières et de procédés techniques, mais qu'ils mettent en jeu des individus, leurs rapports person­nels, la hiérarchie de leurs emplois et de leurs attributions. L a leçon vaut certes d'être retenue, car il importe de plus en plus, dans de nombreuses industries, particulièrement celles qui reposent sur l'exploitation de résultats scientifiques, que la mise au point des nouveaux articles soit rapide. Les lignes de démarcation entre recherche, mise au point et production y sont de moins en moins nettes, d'où la nécessité d'une étroite collaboration entre les différents services organiques.

Les répercussions possibles des techniques de commande automatique.

Notre deuxième exemple, qui concerne l'un des plus grands changements intervenus dans les techniques de production, est d'une portée beaucoup plus vaste. Il n'est que trop facile de dramatiser à l'excès les .conséquences pos­sibles de l'introduction dans l'industrie, des principes et des techniques de

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L E F A C T E U R H U M A I N D A N S L ' A P P L I C A T I O N D E L A S C I E N C E

- c o m m a n d e automatique, mais il ne fait pas de doute qu'elles seront pro­fondes. Selon Diebold l, Meier a dressé c o m m e suit la liste des industries •qui lui semblent, aux Etats-Unis, mûres pour 1'« automatisation » : produits de boulangerie, boissons, confiserie, rayonne, articles tricotés, emballages •cartonnés, imprimerie, produits chimiques, raffinage du pétrole, verre, ciment, .machines agricoles, machines diverses, communications, vente au détail d'ar­ticles à un prix limité (c'est-à-dire vente, en grande quantité, d'articles nor­malisés), etc. Ces industries occupent au total 8 % de l'effectif actuel de la main-d'œuvre. D'autres industries, qui occupent ensemble 56 % de la main-d'œuvre, seront vraisemblablement touchées, mais marginalement.

M ê m e si les prophéties de ceux qui nous promettent des usines entière­ment automatiques ne se réalisent pas entièrement, il est certain que la mécanisation est appelée à la fois à se généraliser et à devenir plus poussée. Les effets qu'elle aura sur l'économie et la société en général ne seront peut-être pas aussi dramatiques qu'on le prédit; elle soulèvera cependant en ce qui concerne l'organisation des usines de graves problèmes pratiques. Il se peut que P< éclatement > de l'usine en tant qu'entité sociale suscite des obstacles et des résistances, et la nature des troubles qui pourraient en résulter doit être examinée si l'on veut pouvoir faire face aux difficultés possibles.

E n premier lieu, l'application du système de c o m m a n d e automatique dépendra de certains changements dans les idées traditionnelles au sujet du processus de production, et dans les coutumes qui sont liées à ces idées. Diebold2 a mis en évidence la nécessité d'envisager sous un jour nouveau les questions relatives aux procédés, aux produits, à la conception des machines et surtout aux relations qui unissent ces trois ordres de choses; il faudra concevoir les produits en fonction des procédés de c o m m a n d e auto­matique, au lieu d'adapter les procédés aux produits, c o m m e on le fait habituellement. D e m ê m e , la mécanisation des travaux de bureau, qui offre un vaste c h a m p d'application aux techniques de c o m m a n d e automatique, se heurtera peut-être à la résistance des employés de bureau, car elle menace la supériorité du travail intellectuel sur le travail manuel.

Il est évident que la composition et la structure de la main-d'œuvre s'en trouveront aussi modifiées. A mesure que la mise en service de procédés de c o m m a n d e automatique deviendra plus aisée, du double point de vue écono­mique et technique, le nombre des surveillants chargés de contrôler le fonc­tionnement des machines automatiques ne pourra que s'accroître par rapport à celui des travailleurs manuels astreints au travail à la chaîne. Il est égale­ment probable que les ingénieurs spécialement qualifiés pour assurer le fonc­tionnement continu des chaînes de production prédomineront de plus en plus. Ces changements dans la composition de la main-d'œuvre ne manqueront pas

1. John DIEBOLD, C Automation—The New Technology », Harvard i Business Review, novembre-décembre 1953, p. 63-71.

2. Op. cit., p. 66-67.

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L E F A C T E U R H U M A I N D A N S L ' A P P L I C A T I O N DE LA S C I E N C E

de soulever tous, les problèmes que pose généralement l'introduction de méthodes et de procédés nouveaux en matière de' personnel : réadaptation, répartition nouvelle de la main-d'œuvre, excédent de main-d'œuvre! D e plus, la ligne de démarcation qui s'établira, en raison de différences de formation technique et de situation, entre les ingénieurs qui auront fait des études supé­rieures et les « machinistes » moins instruits risque d'avoir des répercussions profondes sur les possibilités d'avancement offertes à la simple main-d'œuvre. Il se peut, en effet, que le fossé qui se creusera entre ces deux catégories soit trop large pour que les connaissances et l'expérience professionnelle qu'il est possible d'acquérir à l'usine m ê m e permettent de le franchir. -

L a structure des équipes de travail dans l'usine et la nature des relations humaines qui régnent entre elles et à l'intérieur de chacune d'elles sont pro­bablement appelées elles aussi à se modifier. O n c o m m e n c e seulement à mesurer les effets que ces divers aspects de l'organisation du travail exercent sur le moral et le rendement du personnel des usines où fonctionnent des chaînes de production en série. Si les techniques de c o m m a n d e automatique se généralisent, la structure des relations humaines qui caractérisent actuel­lement le travail à la chaîne se modifiera et les équipes de travailleurs manuels qui, côte à côte, répètent indéfiniment les m ê m e s gestes complé­mentaires feront place à un petit nombre de machinistes dispersés dans de vastes ateliers. D e toute évidence, la satisfaction que l ' h o m m e retire de son emploi pour autant qu'elle dépend de ses compagnons de travail ou de la nature de sa tâche aura forcément des bases toutes différentes de ce qu'elles sont actuellement.

Il est probable que l'organisation et la structure de la direction se modi ­fieront également. Si la chaîne de production est c o m m a n d é e automatique­ment, c'est surtout de la liaison entre le machiniste et l'ingénieur spécialisé que dépend la bonne marche du travail, car il faut pouvoir remédier à toute défectuosité dès son apparition. Tout retard devenant fort coûteux, il se peut que l'impérieuse nécessité d'une liaison efficace entre le machiniste et l'ingé­nieur spécialisé conduise à éliminer le contremaître responsable de l'ensemble de la chaîne ou à passer par-dessus sa tête. Cette évolution entraînera le déclin de la fonction de production par rapport aux fonctions spécialisées, telles que l'entretien, les réparations et le contrôle des machines, et fera tomber en désuétude, dans la plupart des cas, la notion de direction de chaîne 1. Il est également probable que des changements se produiront dans la hiérarchie et dans l'influence respective des différents services spécialisés. L e fait qu'il faudra concevoir le produit en fonction du procédé et non vice versa entraînera vraisemblablement une transformation totale des rapports entre les ingénieurs chargés de la mise au point (ou de l'étude) de l'article à

1. « The Factory of the Future », Part I, Factory Management and Maintenance, vol. 110, n° 4, avril 1952, p. 101-102. - - • • • • • . • •

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L E , F A C T E U R H U M A I N D A N S L ' A P P L I C A T I O N D E LA S C I E N C E

produire et ceux de la production. E n outre, l'étude des temps et des m o u ­vements élémentaires perdra probablement de son importance par rapport à des techniques c o m m e le contrôle des fabrications, la disposition des usines,, la manutention des matières premières, etc. Les fonctions d'entretien pren­dront également une importance accrue. -

S'il y a une leçon à tirer de l'histoire du tube Amicon , on peut l'appliquer avec profit aux problèmes que pose l'introduction des techniques de c o m ­m a n d e automatique dans l'industrie. Car la facilité et l'efficacité avec les­quelles ces techniques pourront se généraliser dans l'industrie dépendront,, dans une certaine mesure, de la façon dont les problèmes humains, notam­ment les changements dans la hiérarchie et l'influence relative des différents-services organiques de direction, auront été prévus et résolus en fonction de-ces techniques.

CONCLUSION .

Il est clair que la facilité et la rapidité avec lesquelles on peut tirer parti,, sur le plan économique, des idées scientifiques et des techniques nouvelles, peuvent dépendre, dans une large mesure, d'obstacles et de difficultés qui tiennent à l 'homme. Cela méritait d'être dit, ne serait-ce qu'en raison de la tendance fréquente à considérer que la science et la technique influent sur la société et à perdre de vue l'influence inverse. Mais, en l'état actuel des choses, la difficulté vient de ce que nous s o m m e s assez bien renseignés sur la g a m m e des. facteurs (humains, financiers et techniques) qui conditionnent le rythme d'application des connaissances nouvelles et que nous ne savons-pratiquement rien de leur importance relative. C'est là une grave ignorance pour ceux qui ont affaire à la pratique plutôt qu'à la théorie. L'administrateur d'un organisme scientifique et l'industriel sont moins soucieux de savoir quels facteurs pourraient intervenir que de déterminer quel est celui qui, dans une situation donnée, suscite une difficulté grave. C e n'est évidemment pas le m ê m e dans tous les secteurs de l'industrie ni dans tous les domaines de la science et de la technique. D u point de vue pratique, on a donc moins, besoin de recherches reposant sur les concepts et les principes de telle ou telle discipline théorique que de recherches opérationnelles axées sur les pro­blèmes des h o m m e s qui sont chargés de donner des applications pratiques à. la science et à la technique.

L a nécessité, d'une telle étude critique des problèmes que pose i'applicatiöri'. de la recherche devient de plus en plus impérieuse pour diverses raisons. D ' u n e part, dans de nombreuses branches de l'industrie, les entreprises, doivent pour survivre absorber et exploiter une quantité énorme (et toujours, croissante) de renseignements techniques et scientifiques. C o m m e le rythme-de l'évolution technique's'accélère, et c o m m e la science a sur la production'

119*

3LE F A C T E U R H U M A I N D A N S L ' A P P L I C A T I O N D E LA S C I E N C E

des répercussions de plus en plus directes et immédiates, les problèmes d'adaptation humaine apparaissent avec une clarté et une précision toujours plus grandes. Mais ce qui compte peut-être plus que tout, c'est qu'étant donné le fardeau croissant qui pèse sur les finances publiques, il est de plus en plus urgent que la recherche scientifique conduise à des résultats écono­miques. Si la science, pour trouver des appuis dans le public, a besoin d'être xentable, l ' h o m m e de science doit quitter sa tour d'ivoire et s'efforcer de supprimer les obstacles qui empêchent son activité d'avoir, sur le plan éco­nomique, le m a x i m u m d'effet.

Par le passé, l 'homme de science pouvait peut-être se permettre d'ignorer Je rôle du facteur humain. Car, dans la mesure où l'on accordait quelque importance à ce facteur, on pensait surtout à l'inertie que la main-d'œuvre oppose au progrès technique; ce problème était du ressort de l'industriel plutôt que de l ' h o m m e de science. Mais la situation évolue sans cesse. Des indices de plus en plus nombreux montrent que le facteur humain intervient d'une manière tout particulièrement décisive à l'échelon de la direction où est prise la décision d'innover. O r , cette décision dépend, en partie, et, par suite, relève de l'activité de l 'homme de science dont la responsabilité se trouve de ce fait engagée.

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LA PHOTOSYNTHÈSE ET LA CULTURE DES ALGUES

par

D. NEVILLE-JONES

L'auteur est un biochimiste attaché à la division d'informa­tion du Department of Scientific and Industrial Research (Royaume-Uni).

O n recherche activement, depuis quelques années, c o m m e n t utiliser l'énergie solaire de façon plus rationnelle et plus directe. Dans les Pyrénées, on emploie, à titre expérimental, de grands miroirs concaves qui produisent, en un point donné, des températures assez élevées pour permettre diverses opérations métallurgiques; aux Etats-Unis d'Amérique, on utilise le rayonne-ment'solaire pour le chauffage des habitations, la chaleur nécessaire pendant la nuit étant emmagasinée le jour au m o y e n de produits chimiques placés dans des réservoirs; on produit également de l'eau douce par distillation solaire de l'eau de mer . Ces intéressantes recherches, et beaucoup d'autres du m ê m e ordre, n'ont guère rétréci, jusqu'à présent, les limites du problème; la photosynthèse, qui ne doit rien à l'invention humaine, reste le seul m o d e permanent et important d'utilisation de l'énergie solaire. Peut-être y a-t-il une certaine inconvenance à souligner les imperfections du processus, d'autant plus qu'il assure à l ' h o m m e toute sa nourriture, animale ou végétale.

Les expériences de laboratoire sur l'efficacité de l'utilisation de la lumière par photosynthèse ont abouti à des résultats très divers, dépendant en partie des conditions dans lesquelles elles étaient conduites. O n a toutefois récem­ment démontré que pour une lumière de faible intensité — ce point est important — le taux d'efficacité peut atteindre 20 % de l'énergie incidente correspondant à la partie visible du spectre. Mais, en pleine lumière solaire, ce taux tombe à 2 %, ce qui représente probablement une moyenne assez générale. Cette comparaison permet de se faire une idée approximative de l'amélioration qu'on apporterait aux rendements en produits alimentaires si l'on pouvait utiliser plus efficacement l'énergie incidente.

CULTURES VIVRIÈRES

Ces 2 % de la lumière solaire qui tombe sur les plantes utilisables repré­sentent donc la fraction de l'énergie solaire qui assure, par l'entremise des cultures vivrières normales, l'alimentation de toute l'humanité; la partie utili­sable des plantes, relativement faible, est tantôt consommée directement par

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LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

l 'homme, tantôt donnée en pâture aux animaux d'élevage dont la viande est consommée. Les disettes périodiques aggravées par les deux guerres m o n ­diales ont attiré l'attention — m ê m e celle du m o n d e occidental, relativement bien nourri — sur le problème de l'alimentation; le déséquilibre, à longue échéance, entre la population mondiale qui s'accroît rapidement et la pro­duction de denrées alimentaires qui augmente beaucoup plus lentement fait l'objet de discussions depuis les théories de Malthus. A longue c o m m e à brève échéance, c'est surtout de protéines que les h o m m e s risquent de m a n ­quer. Il est intéressant d'examiner, à titre de comparaison, les rendements des cultures habituelles et l'on trouvera au tableau I quelques chiffres à leur sujet, ainsi que sur le rendement m a x i m u m de certaines cultures tropicales. L a plupart de ces chiffres sont approximatifs et indiquent simplement un ordre de grandeur.

Tableau I. Rendements de certaines cultures (en tonnes fortes [1.016 kg] par acre [40 ares environ] et par an).

Blé (Royaume-Uni) P o m m e s de terre

(Royaume-Uni) Betteraves .à sucre

(Royaume-Uni) Fèves et haricots

(Royaume-Uni) Herbes fourragères

(Royaume-Uni) Herbes fourragères

(Royaume-Uni, max imum)

Herbe à éléphant (Hawaii, c o m m e fourrage)

Soya (E.-U.A.)

Palmier à huile (Afrique occidentale, m a x i m u m )

Tapioca (Java, m a x i m u m ) Canne à sucre (Hawaii,

m a x i m u m )

Poids ^ total

2

8

11,2

0,86

__

70 1

(approx.)

27

1. Parties normalement utilisées seulement.

Matière sèche

0,9

2

2,5

0,75

__

14 —

Protéines1

0,12

0,16

0,1

0,2

0,27

0,6

1,26 0,4

__

Hydrates de carbone1

0,69

1,6

2,6

0,43

__

6,6 —

_ 6,75

15

Graisses *

_

— 0,2

1,25

D e tels rendements ont naturellement été obtenus grâce à des améliorations techniques — notamment l'utilisation croissante d'engrais — qui ont exigé de longs efforts et qui n'ont pas entraîné de changements quantitatifs sensa­tionnels. E n outre, lorsqu'on traduit ces rendements en quantité de protéines animales produites (protéines pour lesquelles la majeure partie de la race humaine a une préférence marquée) les chiffres accusent une forte baisse, car les animaux sont de médiocres convertisseurs. C'est ainsi que les 600 livres (272 kg) de protéines végétales par acre mentionnées au tableau I ne pro-

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LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

duisent, si on les donne en pâture aux animaux, que 54 livres (24 kg) environ de protéines animales (390 livres, ou 177 kg de viande de bœuf).

C O M M E N T ACCROITRE LA PRODUCTION DE DENRÉES ALIMENTAIRES

O n a recouru, pour accroître la production alimentaire par unité de surface, à d'autres moyens que l'amélioration progressive des méthodes ordinaires de culture. O n a constaté, par exemple, que l'herbe de printemps contient beau­coup plus de protéines que la vache ne peut en convertir en viande, m ê m e très imparfaitement. L'herbe étant très riche en protéines, on a essayé 1 d'en extraire directement des protéines pour l'alimentation humaine, tout en en laissant probablement assez pour nourrir les animaux.- Mais on s'est heurté à plusieurs difficultés : tout d'abord, il n'existe pas de bon appareil pour l'extraction et le traitement des protéines; ensuite, il serait probablement nécessaire d'opérer par petites unités, ce qui entraînerait des frais de main-d'œuvre et de carburant pour le ramassage; enfin, on ne sait pas quelle serait la meilleure façon d'utiliser le produit obtenu. L e premier problème est à l'étude; le second est d'ordre économique; il convient de noter à ce sujet que si l'on renonce à l'entremise de la vache, il faudra un tracteur et du carburant, alors que la vache, si médiocre soit-elle c o m m e convertisseur, présente du moins l'avantage de ramasser elle-même la matière première; enfin, à propos du dernier point, le bruit court qu'on a servi à leur insu aux professeurs d'un collège de Cambridge un prétendu potage aux pois cassés qui n'était autre que des protéines extraites d'herbes. Plaisanterie à part, l'idée est foncièrement intéressante. Les problèmes techniques sont certainement solubles; mais, sur le plan économique, l'avenir est moins certain.

Il y a une autre méthode, fondée sur la constatation que la chaîne de transmission des protéines — leur passage de la plante à l'animal qui mange la plante, puis à l 'homme qui m a n g e l'animal — est la m ê m e dans l'eau (douce ou salée) que sur la terre. O n a essayé, à titre d'expérience 2, de ferti­liser une crique, c o m m e on fertiliserait un terrain de culture, et l'on a obtenu ainsi un accroissement du rendement de la pêche. Sous les tropiques, des étangs d'eau douce ainsi fertilisés peuvent avoir des rendements étonnants; on parle de 1.800 kg de poisson par acre et par an, pour des étangs situés en Chine méridionale3, alors qu'un acre de pâture ne produit que 181 kg de viande dans le m ê m e temps. Aussi s'efforce-t-on actuellement d'étendre cette méthode de pisciculture à d'autres régions tropicales.

1. R . E . S L A D E , D.J. B R A N S C O M B E , J.C. M C G O W A N , « Protein Extraction », Chemistry and Industry, 23 juin 1945; N . W . PiWE, « Leaf Protein », Food Manufacture, novembre 1947.

2. « Fertilization of Sea-Lochs », / . Marine Biol. Assoc, vol. 28, n° 1, 1949. 3. C . F . H I C K L I N O , « Fish Farming in the Middle and Far East », Nature, 15 mai 1948; et J . M . B R O W N ,

V . D . V A N S O M E R E N , « N e w Fish Culture Methods for Tilapia in East Africa », Nature, 22 août 1953.

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LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

Les organismes qui constituent le premier maillon de la « chaîne alimen­taire » dans les eaux douces ou salées comprennent, entre autres types, des protozoaires, des diatomées et des algues. L a culture méthodique des algues, dans des conditions plus ou moins réglées, vise, pour ainsi dire, à raccourcir la « chaîne alimentaire » aquatique de m ê m e qu'on a essayé de raccourcir la « chaîne alimentaire» terrestre en extrayant directement les protéines des plantes. Bien entendu, ce n'est pas la seule tentative qu'on ait faite pour culti­ver des micro-organismes à des fins alimentaires. Les levures, par exemple, ont un taux de reproduction très élevé et peuvent produire de grandes quan­tités de protéines en un temps très court; mais leur culture exige toute une usine chimique. O n en a construit une aux Antilles, mais elle ne semble pas avoir donné de très bons résultats. Beaucoup plus récemment, on a signalé des recherches sur la culture de. bactéries (B. coli) destinées à l'alimentation animale; c'est la première fois qu'on essaie d'utiliser les bactéries à cette fin. L a grande différence entre les organismes non photosynthétiques de ce genre et les algues photosynthétiques, c'est que les premiers ont besoin d'une source chimique d'énergie — généralement un hydrate de carbone (par exemple le sucre) — qui peut être relativement onéreuse, tandis que les algues utilisent l'énergie solaire et n'ont besoin que d'eau, de sels minéraux et d'anhydride carbonique.

CARACTÉRISTIQUES DES ALGUES

L e groupe des algues comprend de nombreux types,-dont les plus courants sont les herbes marines macroscopiques rouges, vertes et brunes. Il y a en outre cinq classés (Chlorophyta, Euglenophyta, Chrysophyta, Pyrrophyta, Cyanophyta) qui sont surtout microscopiques et souvent unicellulaires. Les variétés unicellulaires peuvent exister en suspensions plus ou moins uniformes (ce qui est d'une importance capitale pour leur culture en grand); ce sont les algues de cette sorte qui donnent une coloration verte à l'eau stagnante. U n exemple montrera la taille de ces organismes : un litre d'eau peut contenir en suspension moyennement dense un nombre de cellules de Chlorella (orga­nisme sur lequel ont porté la plupart des recherches) dix fois plus élevé que celui des habitants du globe.

Nous devons examiner brièvement les caractéristiques qui, du point de vue de la culture intensive, différencient l'algue du végétal supérieur. C e dernier doit consacrer une grande partie de sa substance à la formation d'un squelette plus ou moins rigide; en conséquence, une petite partie seu­lement du poids total de la plante est utilisable c o m m e aliment (voir tableau I); la plante perd ses feuilles en hiver, et n'utilise par conséquent la lumière incidente du soleil que pendant une partie de l'année; l'apport de substances nutritives ne peut jamais être complètement efficace, car il est

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JL* P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

impossible de conditionner entièrement le milieu : le sol et l'air; on ne saurait, en particulier, augmenter l'apport d'anhydride carbonique, dont dépend le taux de photosynthèse, bien que la cluture hydroponique, qui substitue au sol des solutions de culture, permette, dans une certaine mesure, de le faire. A l'opposé, les algues unicellulaires en suspension dans l'eau, n'ayant pas d'autre squelette que leur enveloppe cellulaire, peuvent consa­crer une plus grande partie de leur substance à des fins utiles (il est courant que leur teneur en protéines représente 50 % du poids des matières sèches, et il arrive qu'elle atteigne 70 % ) ; c o m m e toutes les substances nutritives sont fournies en solution, le milieu peut être entièrement conditionné, les pertes pratiquement éliminées et les taux de croissance maintenus au m a x i m u m ; la possibilité d'un tel conditionnement permet d'étendre la culture à toute l'an­née et d'utiliser au m a x i m u m les installations. O n remarquera que, dans cette comparaison, nous n'avons pas fait intervenir l'efficacité absolue de l'utili­sation de la lumière solaire; on croyait autrefois que les algues pouvaient utiliser la lumière solaire incidente dans une plus grande proportion que les végétaux supérieurs, mais il ressort des recherches les plus récentes qu'en pratique la proportion est à peu près la m ê m e pour les deux types d'orga­nisme. O n remarquera aussi que la culture des algues, étant donné qu'elle exige de toute manière une installation spéciale, pourrait être pratiquée dans les régions stériles du globe. Il y aurait évidemment lieu de faire de nouvelles recherches sur les algues unicellulaires. Il a déjà paru un certain nombre d'articles sur la question, mais en l'absence de toute donnée sur les prix de revient, ces articles ont porté principalement sur les séduisantes possibilités techniques qu'offrent les algues, en raison des caractéristiques qui les oppo­sent aux végétaux supérieurs, et sur les avantages que présente théoriquement leur culture. L a publicité ainsi donnée à un seul aspect du problème a fait naître un optimisme que ne justifient peut-être pas entièrement les faits établis. N o u s voudrions envisager la question d'une manière plus générale et évaluer les possibilités pratiques qu'offrent les algues, m ê m e si, dans l'état actuel des choses, beaucoup des considérations pertinentes ne peuvent avoir qu'une valeur indicative.

CULTURE EN GRAND 1

L'algue Chlorella, dont il existe un grand nombre de souches et d'espèces différentes, a une structure minuscule (5 à 10 microns de diamètre), ronde et simple. Elle a un chloroplaste, un noyau unique et une enveloppe cellu­laire qu'on suppose généralement être cellulosique. O n trouvera l'une des

1. John S. B U K L E W (directeur de publication), Algal Culture from Laboratory to Pilot Plant, Carnegie Institution of Washington, Pubi. 600, Washington, D . C . , 19S3. C'est l'ouvrage le plus complet sur la culture des algues.

125

LA PHOTOSYNTHÈSE ET LA CULTURE DES ALGUES

quelques rares photographies satisfaisantes de cet organisme dans Penguin New Biology x. U n e cellule provenant d'une culture jeune est petite et c o m ­pacte, avec un protoplasme dense; une cellule plus âgée peut être plus grosse et vacuolaire, autrement dit, le protoplasme, au lieu de paraître compact, contient parfois des parties claires remplies de suc cellulaire liquide. L a Chlorella se multiplie par simple dédoublement; dans des conditions appro­priées, les cellules continuent à se scinder à intervalles réguliers, l'intervalle entre une scission et la suivante étant appelé période de génération. Dans les circonstances les plus favorables, la période de génération moyenne de la Chlorella est d'environ quinze heures, de sorte que l'accumulation de sub­stance nouvelle est très rapide. Bien entendu, c'est là l'un des côtés sédui­sants de la culture des algues; mais il convient de remarquer que ce rythme de croissance est beaucoup plus lent que celui de certains autres organismes, plus de deux fois plus lent par exemple que celui des levures et des bactéries, dont nous avons déjà parlé 2.

Dans un milieu de culture statique et normal où l'on introduit de la Chlo­rella, on constate d'abord une « phase de ralentissement » de la reproduction, jusqu'à ce que l'algue se soif adaptée aux conditions nouvelles, puis une « phase exponentielle » où le taux d'accroissement du nombre total des cel­lules plafonne à son m a x i m u m . Tôt ou tard — au bout d'une quinzaine de jours par exemple — le rythme de dédoublement des cellules se ralentit, soit par défaut d'aliment, soit pour d'autres raisons, et les cellules tendent à grossir, à devenir vacuolaires et à s'entourer d'une enveloppe cellulaire plus épaisse. L a plupart des micro-organismes ont un cycle de croissance de ce genre. Pendant la phase exponentielle, le protoplasme de la Chlorella est dense et sa teneur en protéines élevée; dans la phase ultérieure, stationnaire, la teneur en protéines diminue et la graisse tend à s'accumuler. Spoehr et Milner ont démontré, dans un ouvrage publié aux Etats-Unis en 1949, qu'on pourrait faire varier ces proportions en conditionnant le milieu de culture. C'est ainsi qu'une lumière intense et une alimentation riche en azote favo­risent, pendant la phase exponentielle, l'accumulation de protéines, tandis que, dans la phase stationnaire, le m a n q u e d'azote favorise l'accumulation de graisse. O n a relevé des teneurs en protéine de 60 % et plus, et celle de 50 % est courante; d'autre part, on a réussi à obtenir des teneurs en graisse de plus de 80 %. U n tel degré de variabilité est impossible à atteindre avec des végétaux supérieurs.

Bien que les algues telles que la Chlorella soient connues des botanistes depuis bien des années, c'est seulement en 1941 qu'on a, pour la première fois, essayé de cultiver en grand, à des fins pratiques, ces organismes ou -d'autres de la m ê m e famille. Ces essais ont eu lieu en Allemagne, où l'on

1. G . E . Fooo, « Chlorella », Penguin New Biology, n° 15, octobre 1953. 2. ID., The Metabolism of Algae, Methuen Sc. Monographs, Londres, 1953.

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LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

manquait de matières grasses et où l'on cherchait à en obtenir par ce m o y e n . Toutefois, presque tous les travaux ultérieurs ont visé à la production de protéines, sans doute parce qu'il était plus facile à remédier à la pénurie de graisse qu'à la pénurie de protéines et aussi parce que l'accumulation de graisse semble devoir être plus lente et n'offre pas le m ê m e intérêt éco­nomique.

Il est assez facile de dire ce qu'exige la culture en grand des algues. Celles-ci doivent disposer d'une quantité considérable de sels nutritifs, non seulement de nitrates et de phosphates, qui constituent leurs principaux ali­ments, mais aussi d'éléments tels que le fer et le cobalt, appelés micro-aliments, dont la présence, ne serait-ce qu'à l'état de traces, apparaît, à la suite de recherches récentes, c o m m e indispensable. Il faut en outre que les algues puissent recevoir toute la lumière qu'elles sont capables d'utiliser; pour obtenir les taux m a x i m u m s d'accroissement et de rendement en protéines, il faut maintenir la culture dans la phase exponentielle d'accroissement. Pour cela, il est nécessaire d'éloigner rapidement les unes des autres les cellules qui viennent de se former par dédoublement, afin que chacune soit immédia­tement entourée de nouveaux éléments nutritifs et puisse continuer à se développer à la cadence m a x i m u m . L a culture doit donc être continuellement agitée. D e toute manière, une certaine agitation serait nécessaire pour e m p ê ­cher que les cellules ne se déposent lentement au fond de la cuve sous l'effet de leur propre poids. E n outre, il faut profiter de la possibilité excep­tionnelle qu'offre une culture immergée d'accroître la teneur de l'eau en anhydride carbonique; car on a constaté que cela augmente le taux d'accrois­sement, à condition que la concentration d'anhydride carbonique ne dépasse pas le degré au-delà duquel des effets toxiques sont à craindre.

O n remarquera qu'il s'agit d'obtenir un accroissement continu des algues; la culture est maintenue, autant que possible, dans des conditions optimums d'accroissement; une partie en est régulièrement ou continuellement enlevée; les cellules sont récoltées, et le milieu de culture, enrichi de nouveaux élé­ments nutritifs, est de nouveau utilisé. C'est seulement ainsi qu'on pourra atteindre l'idéal économique en portant au m a x i m u m le taux d'accroissement, le rendement en protéines et l'utilisation des éléments nutritifs, des surfaces et des installations, m ê m e si cela pose de nouveaux problèmes. E n effet, certains travaux de laboratoire qui datent d'une dizaine d'années semblaient indiquer que lorsque la Chlorella est continuellement cultivée dans le m ê m e milieu, ce milieu devient toxique et le développement des algues s'en trouve retardé. Il ne serait guère surprenant qu'il en soit ainsi : la lente accumula­tion des sous-produits des processus d'accroissement peut fort bien avoir cet effet et il n'est pas impossible qu'elle produise effectivement u n antibiotique; mais c'est là, heureusement, une difficulté à laquelle on ne s'est pas encore heurté dans la pratique.

Si l'on poursuit l'examen de la question, on voit immédiatement que les

127

*

LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

conditions énumérées ci-dessus ne sont peut-être pas aussi faciles à réunir qu'il semblerait tout d'abord, et que certaines sont inconciliables. Il est évident, par exemple, que pour tirer tout le parti possible du matériel, en particulier du matériel de cueillette, on devrait s'efforcer d'obtenir une sus­pension d'algues aussi dense que possible; mais cela soulève immédiatement des difficultés pratiques : c o m m e n t faire, en suspension dense, pour fournir à chacune des cellules les éléments nutritifs nécessaires à son développement optimum ? L a difficulté est particulièrement grande à l'égard des micro­aliments qui doivent, en tout cas, vu les conditions artificielles où l'on entend opérer, retenir spécialement l'attention. D'autre part, on doit chercher à donner la plus grande profondeur possible au milieu, afin d'obtenir le plus haut rendement par unité de surface éclairée ou de surface installée; mais, au-delà d'une certaine profondeur — qui, d'après les expériences faites jus­qu'à présent, ne semble pas devoir dépasser quelques centimètres — les cellules cessent de recevoir un éclairement suffisant. Par-dessus tout, on doit s'efforcer de maintenir au m i n i m u m le coût global des opérations, pour que le produit puisse, dans des conditions économiques normales, affronter la concurrence. Il y aurait un m o y e n de satisfaire à toutes ces conditions (sauf la dernière) : ce serait de cultiver les algues dans des tubes verticaux, ce qui permettrait à la fois d'obtenir le rendement m a x i m u m par unité de surface et de tirer le meilleur parti possible de la lumière incidente. Toute­fois, le coût élevé d'une telle installation ôte à cette idée toute valeur pratique.

Lorsque la culture atteint son plein développement, les cellules doivent être séparées du milieu (récoltées), séchées et emmagasinées. L e séchage est une opération importante; car si les cellules sont encore humides au m o m e n t de l'emmagasinage, elles prennent une saveur et une odeur désagréables. Toutefois, ces problèmes sont, sur le plan technique au moins, assez simples et faciles à résoudre.

Il est intéressant d'examiner c o m m e n t ces divers problèmes ont été abordés par des groupes distincts de chercheurs. Naturellement, chacun de ces groupes a appliqué une méthode différente, en raison des conditions et des considé­rations pratiques particulières auxquelles il avait à faire face. Il convient de se rappeler que c'est seulement depuis un ou deux ans qu'on a montré la possibilité pratique d'une culture continue de ce genre; jusque-là, la Chlo­rella et les autres organismes de la m ê m e famille n'avaient donné lieu qu'à des expériences de laboratoire faites par quelques botanistes.

Etats-Unis d'Amérique.

Des expériences préliminaires ont fourni plusieurs solutions provisoires des problèmes mentionnés ci-dessus. O n a constaté, par exemple, que l'azote, aliment généralement fourni sous la forme de nitrates (par exemple dans les engrais), est plus effcace sous la forme d'urée, qui revient malheureusement

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LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES ALGUES:

beaucoup plus cher; qu'une concentration plus forte d'anhydride carbonique-avait bien l'effet avantageux qu'on en attendait; que la température optimum, pour la souche de Chlorella utilisée était d'environ 2 5 ° C , une température-nocturne légèrement inférieure à la température diurne donnant toutefois, de meilleurs résultats; et que l'approvisionnement uniforme en micro-aliments,, sans perte pendant les manipulations, était largement facüité par l'addition, d'un agent chélateur, c'est-à-dire d'un corps chimique qui, en formant des. composés complexes avec ces micro-aliments, les retient en solution et ne les libère que lentement.

L'installation pilote établie à la suite de ces travaux de recherche était, d'une ingénieuse simplicité. Elle consistait essentiellement en une longue saucisse, faite d'une mince couche de la matière plastique transparente que-l'on appelle polyethylene, et à l'intérieur de laquelle le milieu de culture-circulait continuellement. Vidée et aplatie, cette saucisse avait une largeur de 1,30 m et comprenait au début deux tubes d'une vingtaine de mètres, chacun, reliés par u n raccord en forme d ' U . A u cours du deuxième semestre de 1951, on construisit'successivement trois appareils de ce genre, modifiés» chaque fois d'après les résultats des précédentes expériences. Les acces­soires, assez nombreux, étaient naturellement plus compliqués : pompes ser­vant à faire circuler le milieu de culture, appareil pour la préparation et l'in­troduction du mélange d'anhydride carbonique et d'air, centrifugeurs p o u r recueillir les cellules en suspension et, enfin, refroidisseur pour abaisser la. température du milieu de culture.

L e fonctionnement de ces appareils semble avoir été assez satisfaisant, pour convaincre les chercheurs américains que la production d'algues dans, une installation de ce genre est techniquement possible. Naturellement, ils-rencontrèrent un certain nombre de difficultés. Ils constatèrent, par exemple, que, si le milieu de culture tombait au-dessous d'un certain niveau, le tube-devenait instable par grand vent; que la vitesse de circulation ne devait pas-descendre au-dessous d'une certaine limite, si l'on voulait que les cellules, restent en suspension; et qu'il était très difficile d'empêcher les fuites, n o t a m ­ment aux jointures des tubes. Lorsque des fuites se produisaient, elles s e m ­blaient provoquer assez rapidement une contamination par d'autres orga­nismes. Ils constatèrent également que, l'eau ne pouvant s'évaporer librement à l'intérieur de tubes fermés, le milieu de culture s'échauffait et qu'il était, nécessaire d'introduire un refroidisseur dans le circuit, ce qui augmente sensi­blement le coût de l'installation.

L e premier appareil fonctionna en tout pendant cinq semaines environ et souleva la plupart des difficultés auxquelles se heurte fatalement la mis& au point d'un procédé nouveau; le deuxième ne donna jamais satisfaction;, quant au troisième, il fonctionna pendant deux mois environ, à une saison qui n'était pas particulièrement favorable (octobre à décembre 1951). L e rendement m o y e n du premier appareil fut d'environ 6 g par jour et par

129>

ILA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

mètre carré de surface éclairée; pendant une période de quarante-deux jours, •où les difficultés de fonctionnement se réduisirent au m i n i m u m , le rendement m o y e n fut de 9 g / m 2 / j , et pendant une dizaine de jours il atteignit 11 g. Avec le troisième appareil, on obtint certains jours des rendements de plus d e 10 g / m 2 / j , mais la contamination par d'autres organismes combinée avec des conditions atmosphériques défavorables abaissa la moyenne générale de rendement pour l'ensemble des cinquante-deux jours, où il fonctionna à .2 g / m 2 / j . Pendant toute l'expérience, la teneur en protéines fut de 50 % environ du poids des algues sèches. . Il convient de signaler que, si l'on postule une utilisation complète du •spectre visible (postulat généreux, nous l'avons déjà dit), il serait théorique­ment possible de produire 110 g / m 2 / j d'algues sèches. Sur la base de l'expé­rience témoin ci-dessus, on fit des calculs approximatifs pour déterminer jusqu'à quel point on pourrait se rapprocher de ce rendement idéal. O n .adopta, c o m m e moyenne de rendement de l'installation témoin, le chiffre modeste de 4 g / m 2 / j . Etant donné que, pendant une grande partie de l'expé­rience, la durée moyenne de l'insolation fut faible (trois heures par jour .environ, alors que, par beau temps, en été, elle est de douze à quatorze heures), on calcula, après avoir apporté les corrections nécessaires à ce «chiffre, que, dans des conditions d'insolation plus favorables, on pourrait obtenir avec ces m ê m e s appareils une vingtaine de grammes par jour et par mètre carré, ce qui correspondrait à un rendement de 17,5 tonnes améri­caines par acre et par an (40.000 kg environ à l'hectare).

Allemagne.

Tandis que ces travaux se poursuivaient aux Etats-Unis, l'Allemand G u m -mert entreprit sur le m ê m e sujet des recherches intéressantes, quoique bien différentes. Leur objet initial était d'étudier la possibilité d'utiliser l'anhy­dride carbonique provenant des gaz résiduaires des industries de la Ruhr.

• O n constata que cette utilisation était possible, à condition d'éliminer d'abord les composés de soufre.

Pendant la période d'expérimentation effective, G u m m e r t n'utilisa dans Je milieu de culture qu'une proportion de 1 % d'anhydride carbonique, à la différence de la plupart des autres chercheurs, qui avaient adopté une pro­portion de 5 % ; c'est certainement ce qui explique, en partie au moins, le faible rendement obtenu. Il ne prit aucune précaution pour éviter la conta­mination par d'autres organismes, les algues étant cultivées soit en serre dans des réservoirs, soit à l'air ubre dans des tranchées garnies de matière •plastique. L e barbotage produit par l'arrivée du mélange d'anhydride carbo­nique et d'air devait assurer la turbulence du milieu. Pour le réglage de la itempérature, le seul m o y e n prévu était le refroidissement des réservoirs de la .serre par temps chaud. L a récolte se faisait là aussi par centrifugation.

â30

LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

, L e tableau II indique les résultats obtenus; le faible rendement par litre des cultures en serre s'explique vraisemblablement par la plus grande pro­fondeur du milieu de culture, les concentrations étant moindres vers le bas. L a teneur en protéines était de 50 % environ du poids des algues sèches, et la teneur en graisse de l'ordre de 2 %.

Pendant l'expérience, la contamination des cultures par des protozoaires, particulièrement des flagellates, prit de telles proportions que de nombreuses cultures devinrent inutilisables. Vers la fin de 1951, on remarqua que l'algue Scenedesmus résiste mieux à la contamination que la Chlorella. E n consé­quence, on s'intéressa à une souche de Scenedesmus obliquus; dans les étés de 1952 et de 1953, Meffert cultiva cette algue dans des conditions analogues, à l'air libre et en serre l. Il est tout à fait remarquable qu'on n'ait remarqué aucune contamination importante dans le cas des cultures de Scenedesmus obliquus, alors qu'à la m ê m e époque, en 1952 et en 1953, des cultures de Chlorella accusèrent encore des signes de contamination par des proto­zoaires. L a différence de rendement des algues étaii également des plus saisissantes; le rendement du Scenedesmus était de deux à quatre fois supé­rieur à celui de la Chlorella (voir tableau II, p. 134).

Venezuela.

Les travaux auxquels on s'est livré au Venezuela diffèrent sensiblement des expériences faites ailleurs. Après quelques recherches préliminaires sur le plancton de la lagune de Maracaibo, des mélanges d'algues furent cultivés dans des jattes de terre non vernissée. L'évaporation qui se produisait à tra­vers les parois poreuses maintenait l'eau à une température modérée, bien que les jattes fussent exposées directement au soleil tropical. O n obtint ainsi une épaisse « purée » d'algues et, de 1942 à 1946, on utilisa cette purée de plancton c o m m e aliment accessoire pour les pensionnaires de la léproserie de C a b o Blanco; les malades paraissaient en manger volontiers et cette addition à leur régime n'avait aucun effet nuisible sur leur santé.

Israël.

E n Israël, les terres arables ne représentent qu'une faible superficie, l'appro­visionnement en eau d'irrigation est limité, la population s'accroît rapidement et la pénurie de protéines est aiguë. L a production de protéines dans le pays permettrait donc d'économiser des devises étrangères et présenterait par conséquent un grand intérêt m ê m e si le prix en était légèrement supé­rieur au prix mondial. L'ensemble de ces conditions est particulièrement favorable à la culture des algues.

1. Etude non publiée; communication personnelle.

131

LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES ALGUES

Après des expériences préliminaires faites sur deux ou trois organismes différents, le choix se porta sur la m ê m e espèce de Chlorella (Chlorella pyrenoidosa) qu'aux Etats-Unis et en Allemagne. E n 1951, Evenari et Mayer entreprirent des expériences de laboratoire. Ils étudièrent particuliè­rement la possibilité de produire des algues avec des appareils aussi simples que possible (afin d'économiser les devises nécessaires à l'importation de matériel étranger) et en récupérant dans toute la mesure possible la solution de culture, afin d'économiser l'eau. Ils cultivèrent d'abord les algues dans de grands ballons de verre, placés sur un balcon exposé au sud, de manière à recevoir directement la lumière solaire sur un tiers environ de leur surface totale. L'agitation de la masse était également assurée par l'arrivée d'un courant d'air contenant environ 5 % d'anhydride carbonique.

Les auteurs de ces recherches estiment qu'avec trois fois plus de lumière, soit par un éclairement continu, soit par l'exposition à la lumière de toute la culture et non d'un tiers seulement de sa surface, ils pourraient obtenir, m ê m e avec ces appareils très simples, un rendement de 0,5 g/l/j. Cela suppose une récolte continuelle, maintenant la concentration des cellules au niveau optimum. Si l'on a obtenu dans ce cas des rendements supérieurs à ceux qui ont été atteints en Allemagne dans des conditions également très simples, cela tient probablement, d'une part, à une meilleure alimentation en anhydride carbonique et, d'autre part, à l'intensité beaucoup plus grande de la lumière solaire. Malgré tout, l'espoir d'obtenir un rendement de 0,5 g/l/j semble un peu excessif, si l'on pense aux rendements atteints au R o y a u m e - U n i dans des tubes et à la lumière artificielle (voir ci-dessous).

Tant par leurs propres travaux que par l'étude des expériences faites aux Etats-Unis, les Israéliens sont convaincus que des cultures de faible épaisseur de Chlorella, bien qu'elles soient plus efficaces en raison de la plus grande densité des organismes par unité de volume, seraient peu pratiques en Israël en raison, d'une part, des effets intenses de la chaleur à laquelle elles seraient exposées, d'autre part, du gaspillage de terrain qui en résulterait. Ils estiment également qu'il n'y a pas lieu de prendre de précautions particulières pour éviter la contamination par d'autres organismes, et que l'introduction d'anhy­dride carbonique doit avoir un m a x i m u m d'efficacité en raison de son coût élevé. Ces chercheurs ont en outre l'intention d'étudier une Chlorella diploide (variété génétique ayant un nombre double de chromosomes,, fournie par le laboratoire du professeur Pearsall, de Londres), dont les cellules sont très grosses, qui passe pour se scinder à la m ê m e cadence que la Chlorelja nor­male, et qui pourrait ainsi améliorer le rendement par unité de temps.

Royaume-Uni.

A u R o y a u m e - U n i , M . J . Geoghegan a fait des expériences sur la Chlorella vulgaris, qu'il a cultivée en laboratoire dans des cylindres, dans une série

132

LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

de grands tubes, dans de grandes bouteilles, et à l'air libre dans de hauts réservoirs de matière plastique. L'anhydride carbonique fut d'abord mélangé à l'air insufflé dans la proportion habituelle de 5 %; ultérieurement, cette proportion fut portée à 20 %, la m ê m e quantité totale d'anhydride carbo­nique étant utilisée dans les deux cas. O n constata qu'il était nécessaire d'en­voyer l'air en bouffées, par intermittences, pour maintenir les algues en suspension; pour empêcher la formation de mousse qui résultait de ce traite­ment, on employait un silicone. Dans ce cas encore, la récolte se faisait normalement par centrifugation.

O n a constaté que la phase de ralentissement de la reproduction pouvait être éliminée, et les rendements accrus, par l'introduction de cellules déjà parvenues à la phase exponentielle de développement. O n a également cons­taté que l'alimentation en azote pouvait être assurée plus efficacement par des composés d'ammoniac que par le nitrate ordinaire. Les grands tubes placés à l'intérieur des locaux avaient le plus haut rendement, du fait qu'ils étaient éclairés par une lumière artificielle. Les cuves de matière plastique installées en plein air ne recevaient que la lumière solaire et la culture y était plus profonde. L e rendement brut en protéines représentait, c o m m e dans les autres cas, 50 % environ du poids de matière sèche.

Japon.

A Tokyo, le professeur Tamiya et ses collègues ont utilisé un appareil inté­ressant; mais on ne connaît encore que les premiers résultats de leurs travaux.

Dans leur installation pilote, l'appareil de culture consiste en une auge de ciment recouverte d'une feuille de matière plastique transparente. L a culture (de Chlorella ellipsoidea, cette fois) circule à travers l'auge, tombe dans une cuvette, à l'extrémité inférieure de l'auge, et de là est envoyée par pompage au sommet d'une tour métallique, d'où elle retombe en sens inverse d'un courant d'anhydride carbonique, s'enrichissant ainsi en ce gaz avant de retourner à l'auge. L a récolte se fait en deux temps : par sédimentation pré­liminaire dans une cuve, puis par centrifugation.

Cet appareil a fonctionné pendant dix jours en février 1953, à une époque de l'année où la température est bien inférieure à la température reconnue optimum pour la plupart des souches de Chlorella. O n ne s'est heurté à aucune difficulté particulière du fait de la contamination d'organismes étran­gers; mais on a constaté que la condensation à la surface interne de la feuille de matière plastique diminuait l'éclairement utile.

D'après des calculs théoriques fondés sur la température et l'insolation moyenne quotidienne à Tokyo, on pourrait obtenir un rendement annuel de 10 tonnes fortes par acre, chiffre inférieur à ceux qu'ont énoncés la plupart des autres chercheurs.

133

LA P H O T O S Y N T H È S E E T LA C U L T U R E D E S A L G U E S

RESULTATS

Ces brèves indications montrent qu'on a eu recours, en gros, à deux méthodes

principales : l'une, relativement perfectionnée — appliquée notamment aux

Etats-Unis — qui vise d'abord à obtenir les plus hauts rendements possible

et remet à plus tard la détermination du coût des installations nécessaires;

l'autre, relativement rudimentaire — appliquée notamment en Allemagne —

Tableau II. Rendements d'algues (Chlorella, sauf indication contraire).

A L L E M A G N E

1951 En serre (meilleure moyenne

mensuelle) A l'air libre (meilleure moyenne

mensuelle) 1952 (Scenedesmus) En serre A l'air libre

R O Y A U M E - U N I (1949-1952)

Tubes de verre (avec lumière ar­tificielle)

Réservoirs de matière plastique

Rendements d'algues sèches

en siili

0,039

0,055

0,05-0,1 0,1 -0,2

0,44 0,3

en g/m'/l

5- 6 (1952) 8-10 (1953)

15,3

Rendements approx. en protéines

(en t par acre et par an) 1

3,5-4,5 6,0-7,0

11

I S R A Ë L (1951)

Ballons en laboratoire

Réservoirs (projet)

E . - U . A . (installation pilote de 1951)

M o y e n n e de 40 jours M o y e n n e des 10 meilleurs jours Rendement attendu d'après les ré­

sultats ci-dessus (corrigés en fonction des conditions clima­tiques, etc.)

J A P O N (expérience pilote prélimi­naire de 1953)

M o y e n n e des dix jours de fonc­tionnement de l'installation

0,1 -0,2 ' (moyenne)

0,5 (moyenne

escomptée)

12

14,3 (estimation

faible)

6 11

0,043

20

3,5

8,75

10,5

4,5 8

14,5

2,5

l . A supposer que le poids de protéines représente 50 % du poids des algues sèches. Il convient de noter que les chiffres indiqués dans cette colonne résultent d'extrapolations assez audacieuses et qu'il s'agit de rendements calculés par rapport à la surface éclairée, et non par rapport à la super­ficie totale utilisée.

134

L A . P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES ALGUES!

qui, reposant sur une évaluation plus modeste des possibilités économiques,, cherche d'abord à démontrer ce qu'on peut obtenir dans les conditions les-plus simples et les moins onéreuses. Ces différences de conceptions tiennent aux différences qui existent forcément d'un pays à l'autre en ce qui concerne-l'approvisionnement en eau et en anhydride carbonique, la disponibilité de-sels nutritifs et leur prix, le besoin de protéines et, en fait, toute la situation, économique et sociale.

Ces considérations indiquent nettement qu'on ne peut rien attendre d'une comparaison des résultats obtenus. D'ailleurs, nombre de travaux décrits-ci-dessus n'en sont encore qu'à la phase préliminaire; tandis que certains-chercheurs indiquent le poids d'algues qu'ils ont obtenu par unité de volume (milieu de culture), d'autres l'indiquent par unité de surface (éclairement) : toute conversion est donc impossible. Il n'en semble pas moins utile de mettre en regard les données quantitatives dont on dispose, étant entendu qu'elles ne permettent aucune comparaison logique.

Il y a sans doute un intérêt pratique à comparer ces résultats avec les chif­fres relatifs aux rendements de l'agriculture normale qui figurent au tableau I (et qui sont en grande partie des m a x i m u m s ) . Mais il importe de les c o m ­parer aussi au rendement théoriquement possible des algues : un rendement de 4 tonnes fortes de matière sèche par acre en huit jours (soit 180 tonnes fortes environ par an) serait réalisable avec la Chlorella. O r , m ê m e dans le cas de l'expérience de laboratoire qui a donné, avec la Chlorella, le meilleur rendement (expérience faite aux Pays-Bas, et dont il sera question ci-après),, on n'arrive, par extrapolation des résultats, qu'au chiffre de 70 g / m 2 / a n , soit environ 100 tonnes fortes par acre et par an.

L a culture des algues aurait donc encore beaucoup de progrès à faire pour atteindre le m a x i m u m de rendement possible. Quelles sont à cet égard les chances de réussite ?

UTILISATION DES ALGUES

L a plupart des travaux effectués jusqu'à présent visaient à la production de protéines, et, en fait, celles-ci semblent avoir constitué 50 % environ du poids de la matière sèche obtenue. Il est surprenant qu'on ait signalé si peu de recherches sur l'utilisation des algues c o m m e aliment, alors que c'est là le principal but qu'on se propose. L a raison en est peut-être qu'il serait difficile d'accumuler assez de matière première pour pouvoir se livrer à de vastes expériences.

D e u x expériences ont pourtant eu lieu, l'une aux Etats-Unis, l'autre en Grande-Bretagne; et, dans les deux cas, les rats semblent s'être parfaitement accommodés de la Chlorella; mais aucune expérience n'a encore été poussée jusqu'à la deuxième génération. E n Grande-Bretagne, la nourriture donnée

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ILA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L O U B S

aux rats contenait 17 % de Chlorella; on a constaté que la Chlorella, c o m m e •source de protéines, est supérieure à la levure de bière séchée et à la farine d'arachides, mais inférieure au lait écrémé en poudre. Des analyses ont ¿montré que les protéines de la Chlorella contiennent les dix amino-acides reconnus c o m m e indispensables au développement physique normal, mais <que, c o m m e c'est le cas pour la plupart des protéines végétales, leur teneur -en methionine — l'un de ces amino-acides — est assez faible. Jusqu'à pré­sent, l'utilisation de la Chlorella pour l'alimentation humaine, sans transfor­mation préalable, n'a fait l'objet d'aucune expérience de grande envergure; mais depuis l'expédition du Kon-Tiki et celle d'Alain B o m b a r d , et les recherches faites au Venezuela (voir plus haut), on sait que le mélange d'or­ganismes planctoniques est capable d'entretenir la vie humaine. Il convient de noter cependant qu'en ce qui concerne l'alimentation des rats, on s'est servi, dans les essais dont il a été question plus haut, de Chlorella séchée par le froid, de sorte que les parois des cellules étaient sans doute entièrement brisées. O n s'est demandé si la Chlorella ne serait pas difficile à digérer en raison de l'épaisseur de sa paroi cellulosique; Evenari et Mayer passent pour avoir récemment démontré, au cours des recherches qu'ils font en Israël, que la Chlorella ordinaire séchée au four ne peut être digérée par le ratl. d e point est d'une certaine importance pratique, car normalement le séchage par le froid serait assez coûteux.

Indépendamment de la question de savoir si l'on pourrait manger de la •Chlorella, il faut, bien entendu, se demander si l'on voudrait en manger. D'après notre expérience personnelle, la Chlorella séchée par le froid semble avoir une saveur forte mais non désagréable, qui ressemble beaucoup à celle ¡de l'épinard. Toutefois, un groupe de dégustateurs américains a déclaré que la Chlorella a une forte saveur désagréable, qu'elle laisse, longtemps encore .après l'ingestion, un arrière-goût assez déplaisant et qu'elle cause dans J'arrière-gorge un effet sensible de contraction (« effet de bâillon >). Ces appréciations ne semblent guère devoir encourager les hésitants à faire •eux-mêmes un essai. Les chances qu'aurait la Chlorella de devenir en elle-m ê m e un des principaux éléments de l'alimentation humaine seraient donc très faibles, ce qui est regrettable car elle paraît avoir une haute valeur 'nutritive et une assez forte teneur en vitamines. A u Japon, toutefois, où l'on m a n g e plus couramment les herbes marines, le professeur Tamiya a mis au point expérimentalement plusieurs recettes; il a notamment fait du pain et des nouilles avec u n mélange de poudre de Chlorella et de farine. C'est probablement dans cette direction qu'on a le plus de chances de trouver l'emploi de la Chlorella. L a possibilité d'utiliser des algues pour l'alimenta­tion des animaux reste à explorer.

Il serait possible, bien entendu, de les utiliser à des fins non alimentaires, /

1. Renseignement non publié; communication personnelle.

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L A . P H O T O S Y N T H È S E E T LA C U.L T U R E D E S A L G U E S

par exemple c o m m e combustible. Mais il semble qu'à cet égard, il n'y ait aucun espoir d'exploitation économique dans un avenir prévisible. L'emploi des algues c o m m e matière première industrielle ouvre peut-être des perspec-. tives légèrement plus encourageantes, en raison principalement de leurs constituants secondaires, d'une nature chimique relativement complexe, tels que les Steroides, dont l'étude reste cependant à faire. A l'heure actuelle, le type d'algue qui offre le plus d'intérêt est une souche de Scenedesmus obli-quus, où l'on a trouvé 0,2 % environ de chondrillasterol, qui pourrait servir de point de départ pour la synthèse de la cortisone. Cette teneur est jugée trop faible pour permettre une utilisation industrielle, et, jusqu'à présent, on n'a pas signalé de teneurs sensiblement plus élevées. D'autres souches de Scenedesmus contiendraient des Steroides autres que le chondrillasterol, mais les possibilités qu'elles offrent sont encore à déterminer.

O n s'est également préoccupé de savoir quel parti on pourrait tirer-des principales matières grasses que contiennent les cellules, tant pour l'alimen­tation que pour la préparation d'huiles siccatives. L e premier de ces usages ne semble guère avoir retenu l'attention depuis les travaux initiaux qu'on a faits en Allemagne; toutefois, le groupe du professeur Pearsall, au Univer­sity College de Londres, poursuit activement ses recherches à ce sujet. E n ce qui concerne le deuxième usage, il semble que les conditions d'extraction et les faibles taux de rendement aient soulevé des difficultés. E n général, la principale fraction graisseuse paraît présenter tous les caractères d'un mélange végétal. Quant à la fraction protéinée, on s'est demandé si l'on pourrait en extraire, dans des conditions rentables, des amino-acides, ou l'utiliser c o m m e matière première pour la fabrication de fibres artificielles; mais, jusqu'à pré­sent, il ne paraît pas qu'on soit parvenu à surmonter les difficultés, d'ordre surtout économique, que présente l'entreprise. Il semble qu'il en aille de m ê m e pour l'extraction des vitamines.

PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES

Cette brève étude des utilisations possibles des algues montre qu'on aurait absolument besoin de certaines données précises d'ordre économique. M a l ­heureusement, c o m m e aucun des chercheurs n'a encore publié de renseigne­ments au sujet des prix de revient, il est impossible pour le m o m e n t de for­muler des conclusions très fermes. Certains principes généraux sont évidents, mais ils semblent avoir été perdus de vue. A moins de considérer la culture des algues c o m m e un simple m o y e n de pallier rapidement une pénurie aiguë de protéines, dans des conditions telles que le prix de revient et la saveur du produit n'auraient plus qu'une importance secondaire, il faudra s'attacher à produire des algues à u n prix qui leur permette de soutenir la concurrence des protéines fournies, par exemple, par des légumineuses. L a saveur des

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algues, et leur teneur en matières grasses et en vitamines — qui est relative­ment satisfaisante — donneront peut-être une certaine marge de prix. O n peut également considérer les algues c o m m e une source de matières grasses; bien entendu, si l'on pouvait en tirer industriellement un produit chimique précieux, par exemple un intermédiaire pour la fabrication de la cortisone, leurs perspectives économiques se trouveraient bouleversées; mais aucune de ces possibilités n'a encore fait l'objet de recherches suffisantes.

L e fait que la culture des algues assurerait par unité de surface un rende­ment très supérieur à celui de l'agriculture normale et permettrait en consé­quence une économie de terrain ne saurait guère constituer u n puissant argument en sa faveur tant que la pénurie de terres cultivables dans le m o n d e n'aura plus d'acuité. Cette économie de terrain pourrait toutefois compenser en partie les gros investissements qu'exigerait la culture des algues. Mais il ne faut pas oublier que si l'effort technique et les capitaux très importants que nécessiterait une telle entreprise étaient consacrés à l'amélioration des cultures normales, il en résulterait une énorme augmentation du rendement global de ces dernières, du simple fait que les exploitations actuellement peu productives atteindraient un rendement égal à la moyenne . Pour le m o m e n t , on ne saurait évidemment décider s'il vaut mieux faire ceci ou cela.

Dans le cas des régions où il y a pénurie de terres cultivables, d'eau et de protéines, ou de l'un de ces trois éléments, il est évident que la culture des algues peut avoir plus d'attrait; mais, m ê m e dans ce cas, il serait nécessaire d'examiner si la culture hydroponique, le développement des bassins de pisciculture ou la production de levures alimentaires ne seraient pas préfé­rables. D e toute manière, on ne saurait invoquer les avantages éventuels de la culture des algues c o m m e un prétexte pour négliger l'étude d'autres mesures, telles que l'amélioration constante des techniques actuelles d'agri­culture et l'abolition des barrières économiques et politiques qui s'opposent à l'envoi d'excédents agricoles locaux vers les régions défavorisées.

Il semble possible de formuler au moins une conclusion : s'il est vrai qu'on doit s'efforcer de produire le plus d'algues possible par unité de surface et qu'un tel résultat peut être obtenu au m o y e n de tubes verticaux, il n'en est pas moins généralement admis que, du point de vue économique, il ne saurait être question d'établir une installation suivant le principe des tubes verticaux. A part cela, on ne peut pour le m o m e n t qu'énumérer les éléments essentiels du prix de revient : coût des installations (investissement et entre­tien), d'une part, et coût des éléments nutritifs et de l'anhydride carbonique, d'autre part. E n ce qui concerne l'investissement, on n'a jamais encore tenté d'établir une comparaison entre les deux types d'installation — auge en ciment ou saucisse de "polyethylene (ce dernier système semble toutefois entraîner des frais d'entretien plus élevés). C o m m e autres grandes dépenses d'installation, il faut prévoir une turbulence suffisante, le refroidissement du milieu (au moins par temps chaud) et la récolte des cellules. A cette dernière

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LA PHOTOSYNTHÈSE ET LA CULTURE DES ALGUES

fin, on n'a utilisé jusqu'à présent que des machines centrifuges, mais elles ne semblent pas économiques pour une exploitation de grande envergure. L a dernière opération est le séchage, toujours onéreux. A u total, le matériel technique et les dépenses d'investissement sont assez impressionnants; en outre, le fonctionnement et l'entretien de l'installation exigeraient naturelle­ment un personnel technique qualifié.

E n ce qui concerne le coût des éléments nutritifs et des produits chimiques, nous avons déjà signalé que, pour tirer le parti m a x i m u m des sels, de l'anhy­dride carbonique et de l'eau utilisés, il est nécessaire de remettre constam­ment dans le circuit, après récolte, le milieu de culture. Heureusement, les effets toxiques qui avaient d'abord été signalés n'ont pas été confirmés jus­qu'à présent par l'expérience. Il est évident que, grâce à cette « remise en circuit », le coût des produits chimiques ou des « engrais » sera relativement moindre que dans la culture terrestre normale. L'anhydride carbonique néces­saire représentera une dépense assez élevée, à moins que ce ne soit u n sous-produit d'une autre fabrication. O n n'aura besoin que de très faibles quan­tités d'agents chélateurs et de silicones, mais ces produits sont très chers.

Résumant son expérience, le chercheur britannique Geoghegan déclare : « D'après nos premières estimations, il semble évident qu'il serait trop oné­reux de produire la Chlorella uniquement à des fins alimentaires ;. cette culture ne sera probablement rentable que s'il est possible d'utiliser u n ou plusieurs des éléments constitutifs de cette algue pour la fabrication de produits chi­miques et de tirer le meilleur parti des résidus éventuels. » Geoghegan consi­dère également que l'utilisation d'une lumière artificielle entraînerait proba­blement de trop grosses dépenses. Les chercheurs américains semblent avoir abouti à la conclusion qu'on ne pourra envisager, sur le plan économique, la production d'algues que lorsque les rendements se rapprocheront du chiffre de 20 g / m 2 / j .

L'ensemble de ces considérations fait apparaître l'avenir de la culture des algues sous un jour assez sombre. Il est certain que personne n'a encore réussi à démontrer qu'il est possible de produire les algues en grande quantité à un prix qui en rende la production rentable. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que si, dans d'autres domaines, on avait dès le début fondé des jugements définitifs sur des critères économiques rigides, on aurait tué dans l'œuf maint perfectionnement technique qui s'est ultérieurement révélé de la plus grande importance. L a culture des algues en est précisément à ce stade initial. Quel avenir a-t-elle donc ?

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LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E D E S A L G U E S

EFFICACITÉ DE L'UTILISATION DE LA LUMIÈRE

Dans de nombreuses expériences de culture des algues en laboratoire, on a relevé, en ce qui concerne l'utilisation de la lumière solaire, des taux d'effi­cacité de 30 à 90 %, contre 2 % pour des plantes des cultures normales; c'est une des raisons pour lesquelles la culture des algues a suscité de si grands espoirs. Cependant, dans toutes les expériences faites jusqu'à présent en vue de produire des algues en plus grande quantité, les rendements ont été du m ê m e ordre que dans les cultures normales moyennes. L'explication probable est que le processus de photosynthèse comprend une longue série de réactions complexes dont l'absorption de la lumière n'est que la première; les réactions qui limitent le taux d'efficacité semblent être celles qui, en fin de série, peuvent avoir lieu sans lumière. Dans des conditions normales d'inso­lation directe, les réactions de ce genre ne permettent à la plante d'utiliser qu'une faible partie de l'énergie incidente; le reste est perdu ou se convertit en chaleur. Il est maintenant démontré qu'avec une lumière artifi­cielle d'une intensité beaucoup plus faible que la lumière solaire directe les algues, de m ê m e que les végétaux supérieurs, peuvent utiliser au moins 20 % de l'énergie incidente. Wassink et ses collaborateurs, aux Pays-Bas, ont fait tout récemment, avec une souche de Chlorella, des recherches sur ce point et ont obtenu un rendement m a x i m u m de 23,5 %. C'est ce pourcentage, tiré d'une expérience de laboratoire unique et très limitée, qui a permis, par extrapolation, d'aboutir au taux de rendement déjà mentionné de 70 g / m 2 / a n , soit environ 100 tonnes fortes par acre et par an. L'importance de ce chiffre et l'écart qui le sépare des résultats obtenus en pratique dans des expériences de plus grande envergure donnent la mesure de ce qui reste à faire.

Partant de l'hypothèse que la lumière solaire ordinaire contient beaucoup plus d'énergie que n'en peuvent utiliser efficacement les algues ou les végé­taux supérieurs, on a montré qu'il est possible d'obtenir des rendements équivalents avec une lumière intermittente, la plante n'étant éclairée que pen­dant une partie de la période totale de croissance. D e là l'idée ingénieuse que, si l'on cultivait la Chlorella en une couche beaucoup plus épaisse que jusqu'à présent, et à condition que le degré de turbulence soit suffisant, on pourrait obtenir cet effet de « lumière intermittente » en amenant m o m e n ­tanément à la surface chacune des cellules de la Chlorella pour lui permettre de recevoir un éclairement intense, et en la laissant ensuite retomber vers le fond plus obscur de la culture. D e cette manière, on obtiendrait une utilisa­tion plus efficace de la lumière ainsi que des rendements beaucoup plus élevés par unité de surface. Jusqu'à présent, il n'a pas été possible de mettre cette idée à l'épreuve de la pratique. Avec le système américain de la « saucisse en polyethylene », où l'on tablait sur la vitesse de circulation du milieu, on a constaté qu'une vitesse nettement inférieure à 30 c m / s était beaucoup trop faible pour empêcher la sédimentation. Des vitesses de 30 à 45 c m / s environ

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LA P H O T O S Y N T H È S E ET LA C U L T U R E DES A L G U E S

y suffisaient; mais il n'est nullement prouvé que ces vitesses permettraient d'obtenir l'effet de « lumière intermittente ». O n a théoriquement démontré au surplus que, dans ces conditions, toute augmentation de la turbulence par accroissement de la vitesse de circulation risquerait de provoquer des effets hydromécaniques nuisibles, par exemple des ondes destructrices. Pour utiliser cet effet de lumière intermittente, sur lequel semble reposer en grande partie l'espoir d'obtenir des rendements réellement élevés, il faudrait sans doute recourir à un appareil d'une conception toute différente.

AUTRES ORGANISMES

Il existe, nous l'avons dit, cinq principaux groupes d'algues; aussi est-il assez surprenant qu'on se soit tant intéressé à la seule Chlorella. C'est sans aucun doute parce que la Chlorella est un organisme relativement connu et qu'on en trouve dans divers laboratoires botaniques où elle a servi à des expé­riences. Pourtant, il est clair qu'elle présente certains inconvénients. Tout d'abord, sa cellule est entourée d'une m e m b r a n e cellulosique relativement épaisse, qui non seulement réduit la proportion de matière utilisable, mais encore tend à rendre la cellule indigeste, c o m m e l'ont montré les expériences faites par Evenari et Mayer en Israël. D e plus, elle ne semble pas aussi robuste ni aussi résistante à la contamination — au moins dans certaines conditions — qu'on l'avait cru tout d'abord. A cet égard, le plus grand intérêt s'attache aux travaux récemment effectués en Allemagne par G u m m e r t et ses collaborateurs, qui ont constaté que le Scenedesmus résiste beaucoup mieux que la Chlorella à la contamination et qu'il donne, dans les m ê m e s conditions, des rendements jusqu'à quatre fois plus élevés. E n fait, quand nous considérons que les cinq groupes d'algues comprennent des milliers d'autres organismes, nous mesurons combien nos connaissances sont faibles. Les possibilités qu'offrent les variantes génétiques de souches connues n'ont pas encore fait l'objet d'expériences. N o u s avons déjà mentionné une souche diploide de Chlorella; mais il y a plus intéressant : c'est que Myers a réussi à isoler au Texas une souche de Chlorella qui se développe à la température optimum de 3 9 ° C , au lieu de 25°C. Toutes choses égales d'ailleurs, l'emploi d'une telle souche permettrait d'utiliser un appareil refroidisseur d'une capa­cité beaucoup plus faible.

O n ne saurait guère évaluer toutes les possibilités qu'offre la culture des algues tant qu'on ne possédera pas des renseignements plus complets sur des questions de ce genre. Celles qu'offrent les algues bleu vert sont particuliè­rement intéressantes.

Ces algues font partie d'un groupe relativement primitif et peu connu, mais que Fogg, au R o y a u m e - U n i , a étudié de plus près ces dernières années. Leur

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LA PHOTOSYNTHÈSE ET LA CULTURE DES ALOUBS

principal intérêt réside dans leur aptitude à fixer l'azote atmosphérique, de sorte qu'il n'y aurait pas besoin de leur fournir de l'azote sous la forme de combinaisons chimiques (généralement nitrate ou urée) et que les dépenses d'exploitation s'en trouveraient réduites d'autant. O n pourrait envisager une culture mixte d'algues bleu vert et d'algues ordinaires, où les premières fixe­raient suffisamment d'azote pour l'ensemble l.

D'autre part, les organismes qui vivent dans l'eau de mer présentent cet avantage que l'emploi d'eau de m e r réduirait sensiblement la quantité d'élé­ments nutritifs nécessaires, ainsi que les risques de contamination par des bactéries. R a y m o n t , à Southampton, et la L o w Temperature Research Station de Cambridge viennent d'entreprendre des recherches sur les organismes planctoniques marins de ce genre.

CONCLUSION

A certains égards, le résultat le plus intéressant des recherches faites jusqu'à présent a été de démontrer notre profonde ignorance d'un groupe important et varié d'organismes que les botanistes connaissent depuis de longues années. L'argument essentiel en faveur de la culture des algues demeure la possibilité théorique d'obtenir, sur des terrains qui n'auraient pas besoin d'être fertiles, une très forte production de protéines par unité de surface. Les meilleurs résultats publiés jusqu'à présent montrent que, dans la pra­tique, on est très loin d'atteindre ce taux de rendement théorique; et rien ne permet encore de penser qu'on pourrait produire ainsi des protéines à un prix tel qu'elles pussent concurrencer, m ê m e de loin, les protéines obte­nues par des méthodes plus ordinaires. Si la culture des algues a quelques chances de réussir, ce sera sans aucun doute dans les régions très enso­leillées, qui manquent soit de protéines soit de devises pour en acheter, et qui disposent de grandes quantités d'anhydride carbonique obte­nues c o m m e sous-produit. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire que toutes ces conditions se trouvent réunies. Quoi qu'il en soit, il nous reste à effectuer beaucoup de recherches avant d'être en mesure de se faire une idée plus précise des possibilités. Les résultats obtenus jusqu'à maintenant ne semblent pas justifier l'espoir que la culture des algues apportera une solution rapide et facile au problème mondial de l'alimentation; mais il convient de se rap­peler que bien des découvertes techniques dont on attendait encore moins se sont révélées ultérieurement du plus haut intérêt.

1. W . H . P E A S S A L L , « The Utilization of Algae and Industrial Photosynthesis », The Times Science Review, printemps 1954.

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REVUE DES LIVRES ET DES PUBLICATIONS

L'homme et la machine

A R N O L D T U S T I N , The Mechanism of Economic Systems. A n Approach to the Problem of Economic Stabilization from the Point of View of Control-System Engineering, Heinemann, Londres, 1953, xi + 161 pages, 25s.

L e simple geste que l'on fait pour prendre une fourchette, si banal soit-il, n'est pas facile à comprendre, et la plupart de ceux qui l'accomplissent quo­tidiennement seraient bien incapables de l'expliquer. Quoi qu'il en soit, c'est un excellent exemple d'un phénomène très courant connu sous le n o m de contrôle par feed-back. Tout acte intentionnel suppose la recherche d'un m o y e n sûr et efficace de réaliser notre intention. L e plus simple est de mesu­rer ce qui reste à faire pour parvenir au but visé, de se fonder sur cette mesure pour corriger l'action de manière à réduire l'écart entre le résultat déjà obtenu et le résultat à obtenir, et de continuer ainsi jusqu'à ce qu'on ait supprimé cet écart, ou que la situation se soit modifiée. C e sont les recherches effectuées au cours de la dernière guerre qui ont pleinement mis en lumière l'existence et la nature de ce m o d e général de comportement, et c'est là un de leurs résultats positifs les plus éclatants, m ê m e s'il a été en partie éclipsé par les découvertes plus spectaculaires et plus menaçantes de la science atomique.

L a rapidité avec laquelle ce principe a été développé et la diversité des problèmes à la solution desquels il a été employé sont caractéristiques de notre époque. Avant la guerre, il n'avait fait l'objet que de quelques appli­cations isolées; aujourd'hui il a provoqué une sorte de révolution dans la construction mécanique et dans la tactique militaire. Mais le plus curieux est peut-être son extraordinaire fécortdité dans d'autres domaines. Par l'inter­médiaire des machines à calculer, il exerce une influence considérable sur les mathématiques. O n le retrouve, contrairement à toute attente, dans le domaine du langage, où il se traduit par cette proposition surprenante que l'information constitue une sorte d'ordonnance, ce qui nous amène à la rattacher à l'entropie et à l'une, des branches les plus anciennes de la physique. Certains esprits audacieux en ont tiré, d'autre part, matière à des spéculations qui les ont entraînés droit au cœur de certains problèmes fonda­mentaux de la philosophie : libre arbitre contre déterminisme, et mécanisme contre vitalisme. Ainsi, bien que ces systèmes de contrôle soient composés d'éléments simples, relevant de la physique newtonienne, leur ordonnance est si subtile et si complexe que leur comportement ne répond pas à l'idée plus simple que nous nous faisons d'une « machine >. Ils ont de la mémoire; ils apprennent par l'expérience, leur nature et leur comportement se modi­fient sous l'effet des événements de leur vie « personnelle ».

E n s o m m e , nous nous rapprochons des robots — non pas de ces machines grossières qui séduisaient l'imagination il y a quelques dizaines d'années, mais d'appareils beaucoup plus soignés et plus scientifiques. Evidemment,

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R E V U E D E S L I V R E S E T D E S P U B L I C A T I O N S

nul ne pouvait prévoir le rôle qu'y joueraient les valves, les circuits résistance-capacité, etc. L'amplificateur à feed-back semblait destiné surtout à augmen­ter le plaisir que procure la radio. Mais, en fait, une connaissance plus précise du principe du feed-back et son application ingénieuse ont conduit à la construction de dispositifs de contrôle si divers et si efficaces que la comparaison avec le contrôle humain s'imposait. Cette comparaison est survenue plus tôt et a été poussée plus loin qu'on aurait cru, sous l'influence notamment des idées audacieuses et brillantes que le professeur Norbert Wiener a exprimées dans son livre Cybernétique.

D e m ê m e que l'organisme humain règle sa propre température et ses métabolismes par la mise en œuvre subconsciente d'un contrôle par feed­back, de m ê m e , il applique le principe de feed-back aux actes de sa vie consciente (par exemple, pour ramasser un morceau de craie, conduire une auto ou pointer une arme à feu). L a supériorité d'un servo-mécanisme sur l ' homme pour le pointage des canons doit nous inciter à réfléchir au rôle que pourraient jouer ces machines. L ' h o m m e passe la majeure partie de sa vie active et utile à prendre des décisions (pouvoir de contrôle) ou à produire une énergie mécanique de caractère simple. Tout contrôle qui peut s'expri­mer au m o y e n d'une série précise d'instructions peut être simulé par un système de contrôle; ce qui n'est pas aussi facile à reproduire, c'est l'activité motrice de l ' homme. Mais on a soutenu de tout temps que la qualité distinc­tive de l ' homme était sa faculté de penser, et non l'énergie qu'il fournit; pour la production d'énergie, il existe en effet d'autres machines, constamment perfectionnées, ainsi que des bêtes de s o m m e . Indépendamment des consé­quences pratiques de ce fait, il est certain qu'il nous est devenu possible de faire de grands progrès dans la compréhension de l'esprit et du corps humains. Nous avons déjà obtenu des résultats impressionnants en neurologie et en physiologie; nous pouvons maintenant en attendre d'autres dans le domaine des sciences sociales. L'ouvrage du professeur Tustin est le premier à aborder ce problème, et cela suffit déjà à lui conférer une grande importance. Les appareils de contrôle se composent d'éléments dont les caractéristiques sont connues, et ces machines compliquées peuvent être observées dans des condi­tions simples et réglables, de telle sorte qu'on peut en comprendre le c o m ­portement bien mieux que celui de l ' homme étudié dans son cadre naturel.

Ainsi, les consommateurs déterminent leurs achats en fonction de leur compte en banque, de leurs stocks et de leurs revenus. D e m ê m e , les h o m m e s d'affaires fondent leurs décisions sur leurs soldes bancaires, leurs liquidités, leurs stocks de produits manufacturés prêts à être vendus, leurs stocks de matières premières, le taux actuel et futur de la production, les fluctuations des prix et du marché et sans doute bien d'autres facteurs de ce genre. C e sont là autant de circuits de feed-back à « chaînon humain ». E n effet, la composition des stocks de produits manufacturés peut provoquer des varia­tions du taux de la production qui, à leur tour, se répercuteront sur les stocks de produits manufacturés. Si étonnant que cela puisse paraître, les écono­mistes n'ont guère prêté attention à ce genre d'analyse, et l'initiative du professeur Tustin marque un progrès. Mais la question n'est pas épuisée. Nous rencontrons de ces « circuits subsidiaires de feed-back » dans les sys­tèmes de feed-back plus vastes et très complexes. Telles entreprises, par exemple, ont un chiffre d'affaires donné, qui détermine, selon des modalités variables, un certain taux de production et de débours pour traitements, salaires et autres paiements; or ces débours donnent lieu, à leur tour, à des

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R E V U E D E S L I V R E S E T D E S P U B L I C A T I O N »

opérations de vente pour les entreprises et rentrent ainsi en partie dans le-circuit. Nous pouvons donc dire, avec le professeur Tustin, que « les sys­tèmes de quantités interdépendantes ou modèles dynamiques dont s'occupent les économistes sont semblables, non seulement par leurs caractères géné­raux, mais souvent m ê m e par le détail des relations qui unissent leurs élé­ments, aux systèmes de quantités interdépendantes que les ingénieurs étudient lorsqu'ils construisent des dipositifs de contrôle automatique >. Cette analogie a pour corollaire immédiat qu'une partie du vaste arsenal d'instruments-analytiques constitué par les constructeurs de systèmes de contrôle se trouve mise à la disposition de l'économiste et, sans doute, d'autres spécialistes des­sciences sociales. E n fait, le livre du professeur Tustin a pour objet principal d'expliquer aux économistes la nature de ces instruments et leur m o d e d'emploi.

L'hypothèse de l'analogie entre les systèmes économiques et les systèmes, de contrôle est confirmée de manière frappante par leur tendance commune-à une certaine instabilité, due au fait que les irrégularités de leur comporte­ment sont accentuées par l'effet du feed-back, et que cette instabilité se-manifeste sous la forme d'oscillations perpétuelles (tendant vers la position d'équilibre, mais la dépassant toujours) de caractère plus ou moins nocif. L'incursion du professeur Tustin dans le domaine économique intervient à un moment favorable dans l'évolution de cette science, car on a avancé sous, une forme quantitative et assez précise un certain nombre de théories rela­tives aux cycles économiques. E n fait, c'est probablement l'existence de-théories de ce genre, intelligibles et familières à l'ingénieur, qui a incité un; h o m m e de science eminent à se pencher sur les problèmes d'analyse auxquels-se heurtent les économistes. Les méthodes exposées avec tant de clarté et de-patience dans cet ouvrage devraient retenir l'attention d'un groupe peu nombreux mais influent d'économistes qui les accueilleront avec faveur et seront désormais disposés à les appliquer. Les économistes constateront que l'auteur a pris soin d'étudier un grand nombre des ouvrages récemment publiés dans leur domaine; et ils seront frappés de l'aisance avec laquelle il manie les notions économiques.

Le premier point — en fait le point fondamental — auquel s'attache le-professeur Tustin, c'est que les principes et les méthodes de construction des systèmes de contrôle sont applicables à la science économique. Il n'y a là rien d'évident en soi, mais l'auteur n'éprouve aucune difficulté à démontrer l'analogie très étroite qui existe entre ces deux domaines que n'unit aucun lien apparent. Dans les servo-mécanismes nous sommes en présence d'un certain nombre de quantités unies entre elles par des relations complexes, et c'est l'art d'analyser ces systèmes complexes qui constitue la nouvelle discipline. A la réflexion, il ne fait aucun doute qu'un système économique-présente les m ê m e s caractères généraux. C'est ainsi que la production qui dépend de la vente détermine le revenu qui, dépensé, se transforme en vente, et ainsi de suite. Nous avons ici un circuit de feed-back tout à fait typique-(cycle de dépendance fermé, de caractère dynamique), dont l'analogie avec les systèmes de contrôle est surprenante. Aussi, les graphiques par lesquels le professeur Tustin représente les relations d'interdépendance de modèles économiques x ressemblent-ils beaucoup à ceux que l'on trouve dans les-

1. O n en trouvera dans Science et société, Impact, vol. IV, n° 2, été 1953, p. 101-105.

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R E V U B D E S L I V R E S E T D E S P U B L I C A T I O N S

ouvrages de servo-mécanique. C'est pourquoi il n'a pas besoin d'inventer des théories nouvelles; il lui suffit de traduire les théories économétriques modernes dans sa propre langue.

Voilà certes une activité ingénieuse et intéressante, mais présente-t-elle vraiment quelque utilité ? demandera l'économiste sceptique. Pour nous, la chose n'est pas douteuse : et nous osons espérer qu'assez d'économistes pous­seront assez loin leur lecture pour se convaincre de cette utilité, qui tient à l'immense supériorité des instruments analytiques dont disposent les cons­tructeurs de systèmes de contrôle. Grâce à l'élaboration du calcul symbo­lique, ils ont mis au point des méthodes incomparables et sont parvenus à comprendre des systèmes compliqués. Les ingénieurs se trouvent dans une situation privilégiée; ils connaissent les éléments qui composent leurs machines; ils peuvent en modifier la disposition à peu près c o m m e bon leur semble, ils peuvent en observer et en noter le comportement en faisant varier la tension d'entrée et la charge. Il est incontestable que l'assimilation par les économistes d'une partie, m ê m e restreinte, de ces techniques serait fort utile. Les emprunts méthodologiques de ce genre sont déjà chose courante pour les h o m m e s de science, et ils ont été extrêmement féconds, notamment en acoustique, où l'utilisation d'analogies et de méthodes empruntées à l'élec­tronique a rendu de grands services.

L e professeur Tustin c o m m e n c e par expliquer aux profanes les méthodes employées dans l'analyse des systèmes, et il y apporte (au chapitre ni) beau­coup d'habileté et de patience. S'il n'y parvient pas entièrement, c'est en raison de la difficulté inhérente au problème. L e calcul symbolique peut être présenté de façon très aride, et il exige, m ê m e au niveau élémentaire, une connaissance très étendue des mathématiques, et surtout une certaine familia­rité avec elles. L e professeur Tustin présente cette analyse d'une façon qui la rend probablement moins difficile à comprendre que dans n'importe quel ouvrage antérieur. Il obtient ce résultat par un recours continuel aux méthodes graphiques, qu'il emploie de manière particulièrement habile et efficace.

C e procédé se justifie par des raisons qui ne relèvent pas seulement de la pédagogie; car les données, aussi bien en construction mécanique qu'en science économique, se présentent généralement sous la forme de courbes empiriques, et c'est de ces courbes que nous devons tirer des conclusions. E n général, cela signifie que nous serons en tout cas limités à l'analyse graphique.

E n fin de compte, une méthode se justifie par son utilité. Peut-on vraiment recourir à cette sorte d'analyse mécanique pour résoudre les difficultés éco­nomiques qui nous assaillent ? Il s'agit avant tout de savoir si cette analyse peut nous aider à faire disparaître la dangereuse instabilité de notre délicat mécanisme économique. C'est peut-être de ce point de vue qu'on est le mieux en mesure d'apprécier la valeur de cet ouvrage; c'est aussi celui qui présente pour nous le plus d'intérêt et d'importance. Cette lecture est incontestable­ment profitable.

Les oscillations importunes et nuisibles sont loin d'être une nouveauté pour les ingénieurs. Les moteurs vibrent, les roues font du « shimmy >, les navires roulent, les postes de radio et les gramophones crient ou braillent — en fait, on pourrait allonger' à l'infini le catalogue des vibrations excessives et importunes. Beaucoup de machines doivent être modifiées, d'une façon qui atténue ou corrige ce mauvais fonctionnement, et l'expérience acquise dans ce domaine est riche d'enseignements sur les méthodes générales à

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utiliser pour résoudre ces problèmes. C'est une idée vraiment neuve et féconde que celle d'appliquer certaines de ces découvertes mécaniques à la solution du problème social, qui est peut-être le plus grave de notre époque. L e professeur Tustin ne prétend pas fournir une solution toute prête; mais il propose de soumettre ce problème à une offensive combinée des économistes et des ingénieurs.

Les économistes verront peut-être dans son livre la rêverie d'un techno-logue habitué à des systèmes plus concrets et plus maniables que le m o n d e des affaires, de la finance et de la politique; il n'en offre pas moins des pers­pectives qu'il y aurait lieu, semble-t-il, de faire examiner par un groupe d'économistes et d'ingénieurs qualifiés, sous le patronage, par exemple, d'un ministère du commerce, d'un département de la recherche scientifique et industrielle, ou des deux à la fois. :.

Il y a deux moyens d'éviter les oscillations parasitaires. L e m o y e n tradi­tionnel, qui se présente immédiatement à l'esprit, consiste à remettre le mécanisme à l'étude, ce qui n'est pas chose facile en régime d'entreprise privée; heureusement, cette solution n'est pas la meilleure. L a méthode nou­velle, plus ingénieuse, consiste à ajouter au mécanisme une nouvelle série de dépendances causales (un circuit de feed-back), qui se corrigera continuel­lement de manière à assurer toujours une grande régularité de fonctionnement dans n'importe quelles conditions. Il est intéressant de noter que la solution apportée à ce problème par les ingénieurs avait été pressentie par les écono­mistes. Ceux-ci essayaient autrefois de remédier à l'alternance des périodes de prospérité et de crise en recourant à des expédients : modification au régime du crédit, affaiblissement ou renforcement des monopoles, des cartels et des syndicats, aide à l'agriculture, mesures visant à favoriser ou à décou­rager la recherche, et enfin — solution de caractère radical — institution d'un régime socialiste, substituant les pouvoirs publics à l'initiative privée dans la direction de l'économie. Il n'y avait pas accord sur la nature des changements nécessaires, mais il était unanimement reconnu que certains changements s'imposaient. L a publication par Keynes de la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie a provoqué un renversement presque universel de l'opinion : on ne pense plus guère aujourd'hui qu'on puisse agir sur l'économie en transformant sa structure, on est plutôt d'avis de recourir pour cela à d'habiles variations de la politique fiscale du gouvernement. Mais c'est précisément là un de ces circuits de feed-back complémentaires si chers aux ingénieurs des communications. Des experts observeraient le comporte­ment du système économique et signaleraient au gouvernement tout signe précurseur d'un essor ou d'une dépression. Sur quoi le gouvernement (il s'agit sans doute du gouvernement idéal) prendrait rapidement des mesures assez énergiques (création d'un déficit ou d'un excédent budgétaire) pour réduire ou augmenter la s o m m e des dépenses nationales juste assez pour maintenir l'équilibre. Ainsi, c'est le comportement m ê m e de l'économie qui, après « filtrage > (c'est-à-dire étude visant à définir des principes d'action), sert de régulateur à cette économie. Quiconque a écouté un appareil moderne de reproduction du son à haute fidélité (avec un feed-back négatif intense) saura quels résultats extraordinaires cette méthode permet d'obtenir. Avons-nous vraiment, à notre portée, les moyens d'accomplir un progrès semblable (et beaucoup plus important) en matière de stabilisation sociale ?

L a réponse est évidemment négative, mais nous laisse cependant certaines raisons d'espérer. C e qui n'a jamais été précisé, m ê m e dans l'abstrait, par les

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économistes, c'est la chronologie et l'ampleur de ces interventions gouverne­mentales anticycliques. C e n'est pas là un point de détail, car si l'intervention est trop faible ou tardive, ou au contraire trop forte et prématurée, elle peut avoir cet effet — bien connu des ingénieurs — d'aggraver la situation au lieu de l'améliorer. Partout où il y a un schéma compliqué d'interdépendance, avec effets dynamiques composés, c'est assurément chose délicate que de construire un bon mécanisme de contrôle automatique, mais c'est, hélas ! ce dont nous avons besoin à tout prix.

L e professeur Tustin éclaire cette situation confuse d'un jour nouveau. Partant d'un modèle économique dont il reconnaît l'extrême simplification, il définit quantitativement le circuit de jeed-back nécessaire pour donner à une économie instable le degré voulu de stabilité. C'est là une opération dont l'idée m ê m e n'a encore jamais été clairement conçue. Il précise le rythme et l'ampleur des mesures à prendre en haut lieu pour augmenter ou diminuer le revenu national. Si les résultats auxquels il aboutit ne constituent pas une véritable recette, ils indiquent néanmoins le caractère des mesures requises et la direction que doivent prendre nos efforts. Calculer théoriquement ce qu'il faut faire est une chose, le « réaliser » matériellement en est une autre, toute différente ( c o m m e le savent tous les spécialistes des sciences exactes et naturelles, mais non tous ceux des sciences sociales). L a formule à laquelle aboutit le professeur Tustin, et qui est censée déterminer la politique finan­cière, attribue à l'intervention gouvernementale une ampleur qui paraît assez redoutable, mais, en expliquant les raisons pour lesquelles la situation ne lui semble pas désespérée, il démontre une proposition dont beaucoup d'écono­mistes ont eu l'intuition mais que personne n'a jamais essayé de prouver : si le gouvernement pouvait intervenir au bon m o m e n t et dans la mesure voulue, la production et le revenu n'accuseraient pas de variations graves et l'intervention gouvernementale n'aurait pas besoin d'être profonde. C e raison­nement semble cacher un piège, d'où la méfiance que manifestent à son égard les économistes circonspects; en fait, sa justesse est continuellement attestée par la grande exactitude de nombreux appareils de contrôle élec­troniques.

C e qui ressort de l'étude des dispositifs stabilisateurs, c'est que, lorsqu'ils fonctionnent et qu'ils ont été correctement construits pour assurer la stabi­lité, ils ont très peu de choses à faire. Il suffit d'une légère excitation supplé­mentaire du système, intervenant au m o m e n t voulu, pour contrecarrer et supprimer tout début d'oscillation, sans lui laisser le temps de s'amplifier. L'oscillation est, pour ainsi dire, tuée dans l'œuf.

Malheureusement le professeur Tustin abandonne ce problème au m o m e n t où il aurait dû indiquer lequel des deux types fondamentaux de stabilisation est applicable à l'économie. C'est ainsi que dans les appareils de détection aéronautique par radar, il y a stabilité lorsque la tension de sortie (direction du viseur) ne s'écarte pas de la tension d'entrée (direction où se trouve l'avion). O r , c'est précisément cette mobilité de comportement que nous voulons éviter dans un système économique. C e que nous voulons, c'est un mécanisme qui soit stable, en ce double sens qu'il ait des « reprises » rapides et qu'il tende à tout m o m e n t vers une valeur constante ou ne variant que lentement. C'est un mécanisme de ce genre qui maintient à peu près constante la température du corps humain dans les conditions les plus diverses. Pre-

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nons un autre exemple, emprunté au domaine de l'automobile. Si nous voulons « tenir > une vitesse constante de 60 k m à l'heure, quelle que soit la pente de la route, nous jouerons le rôle du chaînon humain fermant le circuit de feed-back de la vitesse qui sert à régler l'arrivée d'énergie. Il semble, d'après les tendances actuelles, qu'il suffira bientôt d'indiquer sur un cadran la vitesse à laquelle nous désirons nous maintenir et le servo-méca-nisme se substituera à nous, peut-être avec avantage, pour procéder conti­nuellement par approximations successives aux ajustements nécessaires. Enoncer le problème, c'est entrevoir déjà la nature de la difficulté — tel ou tel régulateur d'énergie sera plus ou moins efficace suivant le degré de la pente ou, d'une manière générale, la nature du terrain. Aussi devons-nous préciser la charge en fonction des chances que nous avons de rencontrer des pentes de tel ou tel degré, puis trouver le comportement qui représente le meilleur compromis. C e problème a fait pendant la dernière guerre l'objet de remarquables travaux, dus en particulier aux professeurs Norbert Wiener et Ralph Phillips. Il ne fait aucun doute, à m o n sens, que le problème des cycles économiques soit du m ê m e ordre; et c'est pourquoi il est à regretter que le professeur Tustin n'ait pas mis à profit son talent d'explication à l'aide de graphiques pour exposer ces questions délicates en termes simples. C e faisant, il aurait probablement rebuté un plus grand nombre encore de lecteurs profanes. Mais une attaque hardie lui aurait permis peut-être de remporter la victoire, étant donné que les économistes, quelles que soient les lacunes de leurs connaissances mathématiques générales, sont assez à l'aise parmi les notions statistiques. L'économiste m o y e n a moins peur des variables hypothétiques que l'ingénieur moyen .

Après avoir fait, dans ses trois premiers chapitres, à l'aide de quelques modèles actuels fortement schématisés, une démonstration très poussée de la portée et de l'emploi des instruments d'analyse, le professeur Tustin passe à l'étude d'un problème beaucoup plus délicat : C o m m e n t serrer de plus près la réalité complexe d'un système économique ? Il analyse avec beaucoup de pénétration la nature dynamique du mouvement circulaire du pouvoir d'achat, mesuré d'après les ventes, les stocks, la cadence des débours et des livraisons. Sans doute avait-on déjà, avant lui, reconnu et énoncé ces pro­blèmes, mais ses qualités d'analyste sont très supérieures à celles de ses pré­décesseurs et devraient lui assurer une influence durable sur la théorie économique. Il passe ensuite à la question beaucoup plus controversée des facteurs qui déterminent les investissements. A ce propos, il donne un aperçu de certaines théories contemporaines et présente quelques suggestions origi­nales sur la manière d'énoncer le problème.

Outre la difficulté de construire une théorie réaliste utilisable, mais suffi­samment complexe, nous en rencontrons une autre, qui est encore plus fon­damentale : c'est que la structure économique comprend probablement d'importantes relations non linéaires. Dès lors, une grande partie (mais non, heureusement, la totalité) de cette analyse est réduite à néant. N o u s avons beaucoup perdu lorsqu'il a fallu admettre l'existence de relations non linéaires, et l'on a pu dire que si l'électronique moderne est parvenue à des réalisations si brillantes c'est grâce à l'étendue du domaine où des relations linéaires demeurent valables.

Mais les ingénieurs ne refusent pas de s'attaquer aux relations non linéaires, et il leur arrive souvent de sortir victorieux du combat. L e profes­seur Tustin, lui non plus, ne se laisse pas intimider et expose ce qui est

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peut-être son projet le plus étonnant — celui de construire des mécanismes à grande échelle rigoureusement analogues à des systèmes économiques, où nous pourrons introduire tous les éléments non linéaires que nous voulons, puisqu'il s'agit de trouver non pas des solutions générales, mais seulement des réponses particulières à des problèmes déterminés. L a machine à calculer analogique « m i m e »• nos problèmes et nous indique avec autorité quelles seraient les incidences de diverses politiques possibles. Ces renseignements nous permettraient d'intervenir de manière plus judicieuse dans le fonction­nement des rouages délicats de l'économie. Si les résultats obtenus ne répon­dent pas à notre attente, la faute en sera aux économistes et non pas aux ingénieurs. A u c u n système analogique ne peut nous révéler les lois qui régissent le comportement des éléments de l'économie; il peut seulement nous indiquer, pour une structure donnée, la façon dont le jeu combiné des événements orientera l'évolution de cette économie. E n dépit des apparences, l'économiste n'est pas en mesure de fournir des renseignements précis sur les caractéristiques des éléments qui composent sa machine. Mais ne perdons pas courage. Dans des limites plus étroites, nous pouvons probablement tenter avec quelques chances de succès l'analyse de certains problèmes particuliers. E n outre, le simple fait d'énoncer en termes clairs quels sont les renseigne­ments dont nous avons besoin contribuera à réorienter l'effort des chercheurs dans des directions plus fécondes. L e professeur Tustin souligne, par exemple, autant qu'il peut le faire sans manquer de tact, que les analyses de séries chronologiques auxquelles se livrent beaucoup de spécialistes de l'eco­nometrie ont peu de chances d'être jamais couronnées d'un plein succès. Il ne faut pas en faire grief à l'économiste. Il est peu probable — les h o m m e s de science le savent bien — qu'on puisse, en observant le fonctionnement d'une machine très complexe dont les éléments nous sont inconnus, déter­miner la structure de cette machine, surtout s'il est impossible de régler les conditions dans lesquelles s'effectuent les observations.

Dans le chapitre vi de son livre, qui est particulièrement brillant, le pro­fesseur Tustin passe en revue l'arsenal des éléments analogiques dont on dispose et qui pourraient servir à l'étude des problèmes économiques. Il est là dans son domaine propre et il en parle avec autorité dans une langue aussi peu technique que possible. Cette partie de l'ouvrage — pour ne pas dire l'ouvrage tout entier — sera d'un prix inestimable si l'auteur parvient, c o m m e il le mérite et l'espère, à convaincre certains organismes officiels ou privés de la nécessité de poursuivre une étude si riche de promesses.

R . M . GOODWIN Département de science économique

Université de Cambridge

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DIALÉCTICA <

y i-u UJ <

5

Revue trimestrielle de philosophie de la connaissance

E S T L ' O R G A N E de la « philosophie ouverte >. Sur les thèses essentielles de la « philosophie ouverte > vous y trouverez des éditoriaux, des articles de fond, le compte rendu de débats sur les tendances diverses de la « philosophie ou­verte >, en un mot, l'image vivante de son développement.

O R G A N I S E des débats et publie des recueils sur les questions essentielles de la connaissance moderne. (Voir par exem­ple le numéro 7-8 sur l'idée de complémentarité, avec la participation de cinq prix Nobel de physique, ou le numéro 19-20 sur les fondements de la psychologie.)

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REVISTA INTERAMERICANA DE BIBLIOGRAFIA

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Revue documentaire paraissant trois fois par an. Etudes, notes, revues des livres et bibliographies sélectives se rapportant à l'Amérique latine. Chroniques et informations sur les auteurs, les livres, les revues, les éditeurs et les bibliothèques, émanant d'une équipe de collaborateurs recrutés dans quarante-deux pays

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Washington 6, D . C .

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SCIENCE AND FILM Publication trimestrielle de l'Association internationale des films scientifiques

Publiée en mars, juin, septembre et décembre

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SCIENCE AND FILM c/o Scientific Film Association, 164 Shaftesbury Avenue, London, W . C . 2 .

Dans le dernier numéro:

Filming the Conjoined Twins of Kano,

par Stanley Schofield

The Film in Technical Research, par M. Censier

The ISFA Research Section meets at Göttingen,

par Jean Painlevé

et autres articles, comptes rendus, listes de films, évaluations, etc.

IL POLITICO RIVISTA DI

SCIENZE POLITICHE

DIRETTA DA

BRUNO LEONI

APRILE 1954 F . A . HAYEK—Stor ia e politica E . A N C H I E R I — D a l convegno di Salisburgo alla non-belligeranza

italiana. F . B A R B A N O — A s p e t t i psicologici e politici di una campagna elet­torale.

NOTE E DISCUSSIONI — Verso una nuova teoria « pura » del diritto (B. Leoni) — // revisionismo nella politica estera di Mussolini (E. Di Nolfo) — Microsociologia e sociometría (G. Nirchio) — L't Acton Society Trust > (F. Barbano) — Sguardo alla genetica (L. Sanino)

ATTIVITÀ* DELL ' ISTITUTO

Convegno dell'Associazione Internazionale di Scienze Politiche

R E C E N S I O N I

(Sono recensiti libri di: F . A . Hayek, T . D . Weldon, C . Morris, K . Britton, J. Madge, D . H . Monro, A . Denning, J. Wild, L . Strauss, G . Valori, L . Albertini, S. D . Bailey, W . C . Askew, S. W . Jones, F . S. W . Donnison, M . Colombe, G . E . Lavau, E . Blumenstein, M . L . Deveali, G . Bezerra D e Menezes, D . Napoletano, B . Ramazzini, L . R . Levi, L . Barassi, G . Deveali, G . La Pira, B . Griziotti, J. L . Seurin, E . S. Griffith, etc.).

ANNO XIX N . 1

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ISTITUTO D I S C I E N Z E P O L I T I C H E , U N I V E R S I T A D I P A V I A (ITALIE)

K A S H M I R Illustrated cultural

monthly

K A S H M I R is a monthly magazine devoted to the life and prob­lems of Kashmir. Illustrated with paintings, photographs and sketches, the magazine contains articles of an informative nature acquainting the outside world with the people of his land of fabled beauty, their vocations, their customs and traditions and their way of life. It also discusses their arts and crafts which are inter­nationally famous.

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DIOGENE Red. en chef: Roger CAILLOIS I

REVUE INTERNATIONALE DES SCIENCES HUMAINES

Sommaire du n* 6

François P B R R O U X : Le Don : sa signification économique dans le capitalisme contemporain.

Oscar H A N D L I N : Les Américains devant leur passé. Jean B A Y E T : Science cosmique et sagesse dans la philosophie antique. Francesco G A B R I E L I : Dante et l'islam. Henry M A R O E N A U : La causalité en électrodynamique quantlque. Gordon C H I L D E ' : Découvertes récentes en préhistoire (II). Louis-Arnaud R E Í D : Une nouvelle théorie de l'art.

Correspondance : Lettre du professeur M o h a m e d El Said Safti à la rédaction de Diogene.

Prix International Diogene. Etudes, notes et comptes rendus.

Rédaction et administration : 19, avenue Kléber, Paris-16« (Kleber 52-00). Revue trimestrielle paraissant en cinq langues : allemand, anglais, espagnol, français et italien. L'édition française est publiée par la Librairie Gallimard, 5, rue Sébastien-Bottin, Parls-7'. Les abonnements sont souscrits auprès de cette maison ( C . C . P . 169.33 Paris). Prix de vente au numéro : 200 fr. Tarifs d'abonnement : France, 700 fr.; étranger, 875 fr.

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'One of the most remarkable ventures in the history of scien­tific publication."—The N e w York Times.

In the U . S . A . , during the past six years, S C I E N T I F I C A M E R I C A N has gathered a unique audience of more than 125,000 regular readers. They include scientists and engineers in every field, w h o depend upon its pages to keep informed on fields outside their o w n .

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BIOLOGY A N D H U M A N AFFAIRS

Publication destinée aux membres du corps enseignant et de l'assistance sociale. Aborde tout problème d'intérêt général humain sous l'angle de l'éducation et de la civilisation modernes.

Sommaire du numéro de juin 1954- :

Editorial Comment : Books for Biology Teachers. Conditions of Life in the Deep Ocean, par N . B . Marshall, British

Museum (Natural History). Microbiology of the Soil, par Jane Maiklejohn, Rothamsted Ex­

perimental Station. Eugenics Today, par C O . Carter, The Eugenics Society, Londres. Woodlice : Investigations by a Member of the VI Form, par L.P .

Martin, City of London School. Nature and Needlework, par Eleanor French, British Social Bio­

logy Council.

Paraît trois fois par an : octobre, février, juin. Abonnement annuel : 12s.6d. ($1.75)

Adressez correspondance et abonnements à : The British Social Biology Council, Tavistock House South, London, W . C . I .

Journal of Scientific and Industrial Research Publication mensuelle éditée par

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Publie des articles et des mises au point scientifiques inédits.

Contient également: Comptes rendus de publications scientifiques et techniques — Analyses de comptes rendus de recherche — Analyses de brevets indiens — Listes bibliographiques de comptes rendus de recherche édités en Inde — Instruments scientifiques et matériel chimique pour la recherche, etc.

Abonnement annuel : 30 shillings sterling Le numéro : 4 shillings sterling

PUBLICATIONS DIVISION, C.S.I.R,

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SYNTHESES Revue européenne paraissant à Bruxelles

sous la direction de Maurice L A M B I L L I O T T E

SOMMAIRE DU NUMÉRO 96 DE MAI 1954

N U M E R O SPECIAL CONSACRE A U X ETATS-UNIS

Les Etats-Unis et nous Etats-Unis 1954, par Frederick M . A L G E R , Jr., ambassadeur des

Etats-Unis à Bruxelles Les Etats-Unis et le monde libre Amitié européenne de l'Amérique, par Emile G E N O N La science aux Etats-Unis, par Eugene W . S C O T T Théories américaines en matière de productivité, par Scott

E M E R S O N

La religion aux Etats-Unis, par Willard J O H N S O N Figures syndicales, par Norton Taylor B E L L Les Noirs américains, par Benjamin H . H O L T O N Vestiges et présages, par Wladimir W E I D L E Poésie d'aujourd'hui aux E . - U . A . , par Philippe J O N E S La musique aux Etats-Unis, par Elliot C A R T E R L'art de peindre aux Etats-Unis, par Léon K O C H N I T Z K Y Les musées dans la vie américaine, par Paul F I E R E N S Introduction aux arcanes du spectacle américain, par André de

la M A R

Télévision et démocratie, par T . D E C A I G N Y U n fédéralisme humaniste en face des valeurs européennes, par

Feliks G R O S S

Chroniques habituelles

Secrétaire de rédaction: Christiane T H Y S - S E R V A I S , 6, rue des Bollandistes, Bruxelles.

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L'AGE DE LA DÉCOUVERTE Afin de suivre l'évolution du monde moderne, il est nécessaire de se tenir au courant des divers progrès de la science.

DISCOVERY est le seul journal fournissant des commentaires suivis sur les principaux développements scientifiques aussi bien au point de vue pur qu'appliqué. Parmi les personnalités ayant contribué à la rédaction des arti­cles les plus récents citons : D r Harrison Matthews, D r G . E . R . Deacon, D r D . P . Wilson, Sir Ben Lockspeiser, E . W . Golding, P r A . C . Crombie, N . W . Pirie, P r C M . Yonge, Derek Wragge Morley, P r S . C . Harland, D ' J .G . Feinberg, Sir Edward Appleton.

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1. Le journal de l'association est trimestriel et paraît en mai, août, novembre et février de chaque année.

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BULLETIN OF THE ATOMIC SCIENTISTS

Cette revue fournit une relation objective des faits relatifs à l'énergie atomique en considérant à la fois leurs aspects stricte­ment scientifiques et leurs répercussions sociales. Diverses opi­nions autorisées ont l'occasion de s'y exprimer tant sur les problèmes posés par la découverte de l'énergie nucléaire que sur les relations de la science et de la société.

A R T I C L E S P A R U S R E C E M M E N T :

Anticipations and Social Adjustments in Science Lewis Mumford Operation Faith David Owen S o m e Reflections on Technical and Economic Assistance

Charles Malik The H - B o m b and Disarmament Prospects David Inglis Panic, Psychology, and the B o m b Philip Wylie

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LA NATURE REVUE DES SCIENCES ET DE LEURS APPLICATIONS

Une vue d'ensemble de l'actualité scientifique SOMMAIRE DU NUMERO DE JUIN

Les bouilleurs nucléaires et la propulsion dite atomique. — L'eau de boisson et son épuration. — L'électrolyse du sel. — Les théo­ries de l'audition (3). — Le jute et son industrie (1). — Le « baroudeur >, avion de chasse sans train d'atterrissage. — Télévision entre Tours et Paris. — Minerve (Hérault). — Impres­sions sur métal, matières plastiques, céramique et verre. — La fabrication française des circuits électriques imprimés. — L'avia­tion et l'agriculture. — U n parasite des alevins de sardine. — L e centenaire d'Henri Poincaré.

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L'ASSEMBLÉE MONDIALE DE LA JEUNESSE

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2 GRANDS PÉRIODIQUES au service des sciences sociales et politiques

publiés par l'Un esco

LA SOCIOLOGIE CONTEMPORAINE

Bibliographie Internationale de sociologie, instrument de tra­vail et d'Information scientifique.

Publication trimestrielle bilingue

Abonnement annuel . 900 rr. Le numéro . . . 300 fr.

DOCUMENTATION POLITIQUE

INTERNATIONALE Recueil périodique de comptes rendus analytiques d'articles ressortissant aux sciences poli­tiques. .

Publication trimestrielle bilingue

Abonnement annuel . 1.400 fr. Le numéro . . 400 fr.

Adresser les demandes d'abonnement à l'agent général de PUnesco de votre pays. E n cas de difficulté, écrire a l'Unesco, 19, avenue Kleber, Paris-16».

PUBLICATIONS DE L'UNESCO: AGENTS GENERAUX

ALLEMAGNE Unesco Vertrieb Tür Deutschland. R. Oldenbourg, M U N I C H .

ARGENTINE Editorial Sud­americana, S. A.. Alslna 500, S U E Ñ O S AIRES.

AUSTRALIE Oxrord University Press 346, Little Collins Street, M E L B O U R N E

AUTRICHE Wilhelm Krlck Verlag. 27 Graben, VIENNE I.

BELGIQUE Librairie Encyclo­pédique, 7, rue du Luxembourg, B R U X E L L E S IV.

BOLIVIE Libreria Selecciones, avenida 16 de Julio 316, L A P A Z .

BRESIL Llvraria Agir Edltora, rua México 08-B, calxa postal 3291, Rio DE JANEIRO.

CANADA Periodica Inc., 5112, avenue Paplneau. M O N T R É A L 34: University or Toronto Press, TORONTO.

CEYLAN Tbe Lake House Bookshop, The Associated News­papers of Ceylon, Ltd., P.O.B. 244, C O L O M B O I.

CHILI Librería Lope de Vega calle Estado 54, SANTIAGO.

CHYPRE M . E. Constantlnldes. P.O.B. 473, NICOSIA

COLOMBIE Emilio Royo Martin, Carrera 9a, 1791, BOGOTA.

COSTA RICA Trejos Hermanos, apartado 1313, SAN JOSÉ.

CUBA Unesco, Centro Regional en el Hemlsfero Occidental, calle 5. n° 306. vedado, apartado 1358, L A H A V A N E .

D A N E M A R K EJnar Munksgaard, Ltd., 6 Norregade, C O P E N H A G U E K.

EGYPTE La Renaissance d'Egypte, 9, rue Adly-Pasba, L E CAIRE.

EQUATEUR Casa de la Cultura Ecuatoriana, avenida 6 de Dlciem bre 332, QUITO.

ESPAGNE Aguilar S.A. de Edi clones, Juan Bravo 38, MADRID.

ETATS ASSOCIES DU C A M B O D G E , DU LAOS ET DU VIET-NAM

Librairie nouvelle Albert Portail, B. P. 283, SAIGON ;

ETATS-UNIS D ' A M E ­RIQUE

Columbia University Press, 2960 Broadway, N E W Y O R K , 27, N . Y .

FEDERATION MALAISE ET SINGAPOUR

Peter Chong and Co. P.O.B. 135, SINGAPOUR.

FINLANDE Akateemlnen Kirja-kauppa, 2 Keskuskatu, HELSINKJ

FORMOSE The World Book Co. Ltd., 99 Chung King South Rd., TAIPEH.

FRANCE Vente au détail : Librairie de l'Unesco, C.C.P. Paris 21-27-OU; Société générale, compte n° 13.801, 45, avenue Kléber, PARIS-16«; Vente en gros : Unesco, Division des ventes, 19, avenue Kléber, PARIS-1 6e.

GRECE Elerthéroudakls, Librairie Internatio­nale, A T H È N E S .

GUYANE NEERLANDAISE Radhuklshun and Co. Ltd. (Book Dept.), Watermolenstraat 36, PARAMARIBO.

HAITI Librairie « A la Caravelle », 36, rue Roux, B.P. III-B, P O R T - A U - P R I N C E .

H O N G - K O N G Swindon Book Co., 25 Nathan Road, KOWLOON.

HONGRIE Kultura, P.O.B. 149, B U D A P E S T 62.

INDE Orient Longmans, Ltd: Indian Mercantile Chamber, Nicol Rd., B O M B A Y ;

17 ChittaranJ an Ave., CALCUTTA; 36-A Mount-Road, M A D R A S . Sous-dépCts : Oxford Book and Stationery Co., Sclndia House, N E W D E L H I ; Rajkamal Publications, Ltd., Himalaya House, Hornby Rd., B O M B A Y I.

INDONESIE G.C.T. van Dorp and Co., DJ alan Nusantara 22. DJAKARTA.

ISRAEL Blumsteln's Book­stores, Ltd., 35 Allenby Road, P.O. B. 5154 T E L - A V I V .

ITALIE G. C. Sansoni, via Gino Capponi 28, casella postale 552, F L O R E N C E .

JAMAÏQUE Sangster's Book Room, 99 Harbour Street, KINGSTON ; Knox Educational Services. SPALDINGS.

JAPON Maruzen Co. Inc., 6 Torl-Nlcliome, Mhonbashl, T O K Y O .

JORDANIE Joseph I, Bahous and Co., Dar ul-Kutub, Salt Road, A M M A N .

LIBAN Librairie Universelle, avenue des Français, B E Y R O U T H .

LIBERIA J. Mamolu Kamara, 69 Front and Gurley Street, M O N R O V I A .

L U X E M B O U R G Librairie Paul Brück, 50. Grand-Rue.

MADAGASCAR La Librairie de Madagascar, TANANARIVE.

MALTE Saplenza's Library, 26 Klngsway, -» L A V A L E T T E .

MEXIQUE Dlfusora de las publi­caciones de la Unesco. 127, avenida Ejido, Esc. 401, M E X I C O D . F.

NIGERIA C.M.S. Bookshop, P.O.B. 174 LAGOS.

N O R V E G E A/S Boktijornet, Stortlngsplass 7, OSLO.

NOUVELLE-ZELANDE Unesco Publications Centre, 7 De Lacy Street, D U N E D I N , N. E. 2.

PAKISTAN Ferozsons: 60, The Mail, L A H O R E ; Bunder Road, K A R A C H I ; J5 The Mall, L ' £ S H A W A R .

P A N A M A Agencia Internacional de Publicaciones, apartado 2052, plaza de Arango n« 3. P A N A M A R. P.

PAYS-BAS N.V. Martlnus Nljhotr, Lange Voorhout 9, LA H A Y E .

PEROU Libreria Internacional del Perú, S.A., apartado 1417, LIMA.

PHILIPPINES Philippine Education Co., 1104 Castillejos, Qulapo, MANILLE.

PORTO RICO Panamerlcan Book Co., SAN JUAN 12.

PORTUGAL Publlcaçoes Europa-América, Ltda., 4 rua da Barroca, LISBONNE.

ROYAUME-UNI H . M . Stationery ornee P.O.B. 569, LONDRES, S.E.i.

SENEGAL Librairie « Tous les livres >, 30, rue de Thlong, D A K A R .

SUEDE A / B C E . Frltzes Kungl. Hovbokhandel. Fredsgatan 2, S T O C K H O L M 16.

IRAK McKenzle's Bookshop, B A G D A D .

SUISSE Europa Verlag, 5 Raemlstrasse, Z U R I C H ; Librairie de l'Univer­sité, case postale 72, FRIBOURG.

SYRIE Librairie Universelle,. D A M A S .

TANGER Centre International. 20, rue Molière.

TCHECOSLOVAQUIE Artla Ltd., 30 Ve Smeckâch, P R A G U E 2.

THAÏLANDE Suksapan Panlt, Arkarn 9, Rajdamnern Avenue, B A N G K O K .

TUNISIE Victor Boukhors, 4, rue Nocard, TUNIS.

TURQUIE Librairie Hachette, 469, Istiklal Caddesi, Beyoglu, ISTANBUL.

UNION BIRMANE Burma Educational Bookshop, 551-3 Merchant Street. P.O.B. 222, RANGOON.

UNION SUD-AFRICAINE Van Schalk's Book­store, P.O.B. 784, PRETORIA.

URUGUAY Centro de Cooperación ClentlQca para América. Latina, bulevar Artigas 1320, M O N T E V I D E O .

VENEZUELA Libreria Villegas Venezolana, Madrices a Marrón N. 35, Pasaje Urdaneta, local B, CARACAS.

YOUGOSLAVIE Jugoslovenska Knjiga. Terazlje 27/11, BELGRADE.

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¡IMPRIMERIE M . BLONDIN, PARIS (Pranoe) Dépôt légal : 2* trimestre 1954