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9 RUE DES LIONS SAINT PAUL 75004 PARIS - 01 42 78 16 91 JUIL/AOUT 12 Bimestriel Surface approx. (cm²) : 3808 Page 1/12 THELES2 4453253300506/GAD/OTO/3 Eléments de recherche : EDITIONS MARE ET MARTIN : toutes citations Napoleon I er et la gestion patrimoniale des palais impériaux Une politique publique de « bon père de famille » sous le Premier Empire par Sébastien Évrard Université de Lorraine - EA 1138 (Institut François-Gény) Jl l'État français contemporain s'efforce de ratio- naliser ses propriétés patrimoniales \ soit en les cédant, soit en les valorisant dans les meilleures conditions d'exploitation, une telle politique publique n'est en soi pas nouvelle En effet, dans la première moitié du XIX e siècle, — et plus particuliè- rement lors du Premier empire, entre 1804 et 1814 — les pouvoirs publics ont profondément recom- mencé leur gestion patrimoniale II est vrai que le renouveau de l'autorité de l'État trouve un cadre éloquent avec celui du prestige qu'offrent des moyens imposants Toutefois, ce renouveau oblige à une certaine rigueur, car la Révolution et ses exi- gences de publicité et d'égalité sont passées dans le corps social, on voit mal l'opinion publique accep- ter n'importe quels errements et admettre que l'ar- gent public soit dépense en pures frivolités telles que des faveurs personnelles Une rationalité s'im- pose donc , elle trouvera à s'appliquer sous l'em- prise de Napoléon Bonaparte, lorsque celui-ci crée, au fil de plusieurs étapes, un Empire Après le retour symbolique maîs essentiel du droit de grâce, l'apparition d'une étiquette à la cour des Tuileries et l'apposition du portrait du Premier consul sur les monnaies, le titre impérial (1804), ces faits successifs conduisent à doter le chef de l'État de palais impériaux 2 Dès cet instant, de belles — maîs coûteuses — demeures sont attribuées au souverain selon le mécanisme dit de la liste civile, emprunté au modèle politique bri- tannique et que la France introduit, comme tant d'autres institutions (jury criminel ), dans son espace public 3 C'est donc la renaissance patrimo- niale d'un État qui, à certains égards, s'inspire — pour partie — du passé et s'efforce de rendre visible l'éclat du trône Toutefois, cette renaissance s'accompagne d'un cadre juridique adéquat et contraignant, destiné à parer aux errements passés Puisque les institu- tions et le code civil ont tracé un cadre précis dans lequel la propriété est I élément central, l'Empe- reur Napoléon doit montrer qu'il est bien le pre- mier serviteur de cet État moderne Au premier rang des priorités, figure la nécessité d'édifier une gestion rationnelle de cet espace patrimonial, question que nous éclairerons en nous appuyant sur des sources de premier plan 4 complétées par la belle étude consacrée au Journal de l'architecte Fontaine 5 Etant donnée la volonté de puissance que l'Empereur entend donner à la France, il s'agit, en montrant l'exemple, de s'appuyer sur le code civil et de contraindre l'administration à se sou- mettre au droit commun, lorsque la propriété pri- vée est concernée et, en second lieu, en soumet- tant les actes de gestion à une poignée de juristes aguerris qui se prononceront sur leur conformité avec le droit 6 Après une époque révolutionnaire riche en événements, maîs qui a affaibli le pouvoir 1 Par propriétés patrimoniales nous entendons évoquer la destinée des biens immeubles possèdes par I Etat par le truchement d une institution publique 2 « Des palais impériaux sont etablis aux quatre points principaux de I Empire » art 16 de la constitution de lan XII j Godechot Les constitutions de la France depuis 1789 Paris Flammarion 1995 p 187 Pour une carte géographique de ces palais dans I étendue de I Empire français j L Chappey et B Gainot Atlas de lempire napoléonien (1799 1815) Editions Autrement 2008 p 19 3 Sur cette liste civile nous renvoyons a F Wartelle V° Liste civile Dictionnaire historique de la Revolution française Pans PUF 2004 p 679 680 D Salles La liste civile en France 1804 1870 Droit institution et administration Mare et Martin 201 I P Branda Napoleon et ses hommes Fayard 201 I ainsi qu a notre article « Napoleon I er et le droit Le comite des affaires contentieuses de la Couronne institution médite du Premier Empire » Revue d Histoire du Droit avril juin 201 I n° 89 p 215-245 Un texte ultérieur le senatus- consulte du 30 janvier I S I O complète le patrimoine de I empereur en lui affectant des biens forestiers 4 Nous avons consulte le fonds O 2 (Premier Empire) conserve aux Archives nationales (désormais AN) notamment les cartons 1 5 1 155 156 157 213 ainsi que les registres 221 222 223 Sur celui ci cf N Gotten Molson de / empereur Administration de I intendance generale An X IBIS Paris Archives nationales 2000 5 P F-L Fontaine Journal (1799 I853J Pans Institut national d architecture 1987 tome I 6 Ces juristes sont dissémines entre plusieurs institutions dont la plus importante et la moins connue est celle du comite des affaires contentieuses de la couronne ll en existe une seconde encore moins bien connue le « comite de consultation des bâtiments »

Napoleon I et la gestion patrimoniale des palais impériaux · cadre juridique adéquat et contraignant, ... pontifical a I Empir e français Si o n e croît L Dictionnair italien

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Napoleon Ier et la gestion patrimoniale des palais impériauxUne politique publique de « bon père de famille » sous le Premier Empirepar Sébastien ÉvrardUniversité de Lorraine - EA 1138 (Institut François-Gény)

Jl l'État français contemporain s'efforce de ratio-naliser ses propriétés patrimoniales \ soit en lescédant, soit en les valorisant dans les meilleuresconditions d'exploitation, une telle politiquepublique n'est en soi pas nouvelle En effet, dans lapremière moitié du XIXe siècle, — et plus particuliè-rement lors du Premier empire, entre 1804 et 1814— les pouvoirs publics ont profondément recom-mencé leur gestion patrimoniale II est vrai que lerenouveau de l'autorité de l'État trouve un cadreéloquent avec celui du prestige qu'offrent desmoyens imposants Toutefois, ce renouveau obligeà une certaine rigueur, car la Révolution et ses exi-gences de publicité et d'égalité sont passées dans lecorps social, on voit mal l'opinion publique accep-ter n'importe quels errements et admettre que l'ar-gent public soit dépense en pures frivolités tellesque des faveurs personnelles Une rationalité s'im-pose donc , elle trouvera à s'appliquer sous l'em-prise de Napoléon Bonaparte, lorsque celui-ci crée,au fil de plusieurs étapes, un Empire

Après le retour symbolique maîs essentiel dudroit de grâce, l'apparition d'une étiquette à lacour des Tuileries et l'apposition du portrait duPremier consul sur les monnaies, le titre impérial(1804), ces faits successifs conduisent à doter lechef de l'État de palais impériaux 2 Dès cet instant,de belles — maîs coûteuses — demeures sontattribuées au souverain selon le mécanisme dit de

la liste civile, emprunté au modèle politique bri-tannique et que la France introduit, comme tantd'autres institutions (jury criminel ), dans sonespace public 3 C'est donc la renaissance patrimo-niale d'un État qui, à certains égards, s'inspire —pour partie — du passé et s'efforce de rendrevisible l'éclat du trône

Toutefois, cette renaissance s'accompagne d'uncadre juridique adéquat et contraignant, destiné àparer aux errements passés Puisque les institu-tions et le code civil ont tracé un cadre précis danslequel la propriété est I élément central, l'Empe-reur Napoléon doit montrer qu'il est bien le pre-mier serviteur de cet État moderne Au premierrang des priorités, figure la nécessité d'édifier unegestion rationnelle de cet espace patrimonial,question que nous éclairerons en nous appuyantsur des sources de premier plan 4 complétées parla belle étude consacrée au Journal de l'architecteFontaine 5 Etant donnée la volonté de puissanceque l'Empereur entend donner à la France, il s'agit,en montrant l'exemple, de s'appuyer sur le codecivil et de contraindre l'administration à se sou-mettre au droit commun, lorsque la propriété pri-vée est concernée et, en second lieu, en soumet-tant les actes de gestion à une poignée de juristesaguerris qui se prononceront sur leur conformitéavec le droit 6 Après une époque révolutionnaireriche en événements, maîs qui a affaibli le pouvoir

1 Par propriétés patrimoniales nous entendons évoquer ladestinée des biens immeubles possèdes par I Etat par le truchementd une institution publique

2 « Des palais impériaux sont etablis aux quatre points principauxde I Empire » art 16 de la constitution de lan XII j Godechot Lesconstitutions de la France depuis 1789 Paris Flammarion 1995 p 187Pour une carte géographique de ces palais dans I étendue deI Empire français j L Chappey et B Gainot Atlas de lempirenapoléonien (1799 1815) Editions Autrement 2008 p 19

3 Sur cette liste civile nous renvoyons a F Wartelle V° Liste civileDictionnaire historique de la Revolution française Pans PUF 2004p 679 680 D Salles La liste civile en France 1804 1870 Droitinstitution et administration Mare et Martin 201 I P Branda Napoleonet ses hommes Fayard 201 I ainsi qu a notre article « Napoleon Ier

et le droit Le comite des affaires contentieuses de la Couronneinstitution médite du Premier Empire » Revue d Histoire du Droit

avril juin 201 I n° 89 p 215-245 Un texte ultérieur le senatus-consulte du 30 janvier I S I O complète le patrimoine de I empereuren lui affectant des biens forestiers

4 Nous avons consulte le fonds O2 (Premier Empire) conserveaux Archives nationales (désormais AN) notamment les cartons 151155 156 157 213 ainsi que les registres 221 222 223 Sur celui ci cfN Gotten Molson de / empereur Administration de I intendancegenerale An X IBIS Paris Archives nationales 2000

5 P F-L Fontaine Journal (1799 I853J Pans Institut nationald architecture 1987 tome I

6 Ces juristes sont dissémines entre plusieurs institutions dont laplus importante et la moins connue est celle du comite des affairescontentieuses de la couronne ll en existe une seconde encoremoins bien connue le « comite de consultation des bâtiments »

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exécutif (elle a dispersé les biens nationaux 7, désta-bilisé le clergé et purgé la noblesse), celui-ci revienten grâce Maîs Napoléon est conscient que cet étatde grâce peut être momentané il doit mener unepolitique patrimoniale exemplaire, qui n'est pas sansrappeler celle du < bon père de famille > sur sesbiens Dans cette optique, en se projetant sur le longterme, Napoléon entend construire l'une desfameuses < masses de granit • au profit du pouvoirexécutif , celle-ci perdurera jusqu'en 1870 —hormisl'intermède de la seconde république

Rationaliser la gestion des palais nationauxC'est en effet la première considération qui s'im-

pose cette gestion ne se contente pas du seulentretien du bâti existant , elle se projette dansl'avenir, tant pour améliorer et conserver l'existantque décider ce qui est nécessaire dans l'avenirAussi est-ce une considération d'abord temporelle,géographique ensuite, qui guident l'action du gou-vernement En effet, les frontières françaisess'étant étendues au-delà des frontières naturellesd'ex pre carré > cher à Vauban), cette politiquepublique s'exerce dans un cadre qui est celui duPremier Empire C'est donc dans une vaste zonecomprenant 130 départements que cette actiondoit, à présent, s envisager

Une politique patrimoniale flans un cadreeuropéen...

Dès 1795, par le traité de paix de Bâle avec laPrusse, puis celui de Campo-Formio, conclu deux

ans plus tard avec l'Autriche, la France révolution-naire étend sa domination politique sur d'anciensÉtats du continent européen Quatre pays, autre-fois étrangers (devenus français apres 1809), sontconcernés il s'agit d'une part des ex Pays-Basautrichiens avec le palais de Laeken 8 , d'autrepart, des anciens États pontificaux avec le palaisdu Quinnal , du duché de Parme , enfin, du palaisde Florence qui hébergeait, depuis la Renaissance,les souverains de Toscane

Dans tous ces cas, si I Empereur est tenu d admi-nistrer ces patrimoines de prestige, il ne disposecependant pas du pouvoir d'en disposer (ces bienssont, en effet, déclarés inaliénables et sont concé-dés par l'État à l'Empereur au titre d'un droit d'usu-fruit) 9 Or, ils constituent des objets particulière-ment coûteux sans qu'ils servent positivement onsait, en effet, que le château de Laeken a hébergéNapoléon deux fois quant à celui de Rome, leQuirmal 10, — comme celui de Florence, le palaisPitti n ou celui de Parme, le palais dit Farnèse 12 —il n'a connu aucune visite de son illustre posses-seur Toutefois, le Quirmal constituait un symboleauquel l'Empereur était d'autant plus attaché quel'un de ses beaux-frères était issu de l'aristocratieromaine 13 En outre, l'un de ses plus éminentsconseillers juridiques, le président Bartolucci, étaitégalement d'origine romaine 14 Enfin, faire deRome la seconde capitale de l'Empire, c'étaitaccréditer la these par laquelle Napoleon préten-dait incarner un nouveau Charlemagne

7 Le decret de la Convention du IO juin 1793 ordonne la vente desbiens meubles et immeubles contenus dans I ancienne liste civile du roi

8 Edifie en 1782 1784 par I archiduchesse Christine qui yreprésentait I empereur Joseph alors souverain des Pays Basautrichiens le château de Laeken est sauve de la destruction parNapoleon ll devient alors I un des palais impériaux De nos joursapres de grands travaux entames au début du XXe siecle consécutifsa un incendie il sert de residence officielle au roi des Belges ll estsitue au Nord de Bruxelles (Belgique)

9 Ce droit découle du decret du 16 mai 1791 qui cree une listecivile au profit du chef de I Etat La constitution de I an XII (art 15) s yréfère expressément

0O Le Quirmal édifie sur le mont Quirmal a longtemps ete laresidence des papes dans la ville eternelle Ceux ci en firent leurresidence dete apres sa construction (1583) Maîs en 1809 sadestination change a la suite de I annexion par la France desterritoires pontificaux Rome devient alors I une des capitales deI Empire français et le Quirmal est désormais I un des palaisimpériaux Apres la chute de Napoleon il est un temps restitue aupape Maîs en 1948 il devient jusqua nos jours la residence officielledu president de la Republique italienne

I I Palais qui subsiste de nos jours ll avait ete édifie au milieu duXVe siecle par un banquier nomme Luca Pitti dou son nom Ausiecle suivant la famille des Medicis en fait I acquisition et le palaisdevient alors la residence officielle des familles régnantes de ToscaneSous le gouvernement de Cavour le palais devient la residenceofficielle des rois d Italie la capitale italienne étant pour un tempsinstallée a Florence avant son deplacement a Rome apres 1871

12 Appelé aussi le « Palazzo Ducale de Colorno » Apres 1814 leduche est attribue a Marie Louise épouse de Napoleon et fille deI empereur d Autriche François ll

13 Le prince Camille Borghese avait en effet épouse en secondesnoces Pauline Bonaparte I une des soeurs de I empereur ll avait eteintègre dans I administration imperiale et était même charge dugouvernement general dans les départements français d ItalieA plusieurs reprises I empereur avait acquis des parts importantesdu patrimoine familial du prince pour les exposer au Louvre

14 Bartolucci originaire de Rome et avocat consistonal de laPapauté est rattache a la section de legislation du conseil d Etat( l a l l ) Outre sa qualite de conseiller d Etat il est aussi le premierpresident de la cour imperiale de Rome apres I annexion dè I Etatpontifical a I Empire français Si I on en croît Le Dictionnaire italien de

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Dès lors, se posait le sort de ces palais vides :devaient-ils aspirer les fonds impériaux sans offrirde réelle contrepartie ? Dans l'esprit de l'Empereur,cette question était posée et la réponse était dedeux ordres.

Homme de décision, Napoléon prend conscienceque le château de Laeken ne présente guèred'avantage, hormis le fait d'être une résidence deprestige du souverain, qui étend sa domination etentend flatter les nouveaux citoyens de l'Empire.Mais en 1812, l'Empereur décide de changer lerégime de la propriété du château. Il conclut eneffet avec son ex-épouse, Joséphine, l'échange deLaeken avec le palais de l'Elysée situé à Paris,échange que ratifie le sénat (il autorise sa cession àune personne privée). Celui-ci passe désormaisdans le giron de l'État et connait ensuite la desti-née que l'on sait. Pour sa part, Joséphine ne peutni ne veut guère résister à l'Empereur ; Napoléonse dessaisit ainsi d'un bien coûteux sans grandeutilité. Sa nouvelle propriétaire n'y résiderad'ailleurs jamais.

Mais une telle cession reste exceptionnelle ; lalourdeur des formes à respecter est telle que dans laplupart des cas, l'Empereur conserve le bien en luiallouant des moyens qui n'obèrent pas sa capacitéd'épargne. Cependant, quand l'administration géné-rale est informée de l'existence d'enclaves, — c'est-à-dire de parcelles de terre privées implantées ausein d'une surface foncière appartenant au domaine— le chef de l'État entend bien rester maître chez lui.Ainsi, quand les responsables du palais du Quirinaldécouvrent l'existence d'un bail emphytéotiquedans son enceinte, ils recourent aux juristes ducomité de la liste civile afin que ces derniers offrentune solution juridique idoine qui satisfasse et le droitcommun et les droits du preneur sur la chose louée.

En 1808, afin de récompenser un vieux serviteurde la Papauté, le sieur Raphael Pepe 15 obtient lajouissance d'un bâtiment, dont l'objet consistedans une habitation « en très mauvais état et

presque inhabitable ». Ce bail est mis à sa disposi-tion, pour une « durée f. J bornée à trois généra-tions l6 ». Les baux de droit privé couramment pra-tiques en Italie couraient alors sur plusieurs géné-rations — masculines le plus souvent 17 ; il n'étaitdonc pas rare de rencontrer de tels mécanismesréels. Comme on l'imagine, on conçoit mal quel'Empereur des Français soit contraint de patienter,le temps de récupérer la jouissance de ce bien.D'abord, se posait un problème de sécurité dubâtiment insalubre que le locataire ne pouvaitentretenir correctement. Ensuite, c'était aussi unequestion de sécurité du Quirinal puisque par cettehabitation, « des étrangers pourraient s'introduiredans le Palais".

En échange de sa jouissance, le preneur à bailétait tenu de payer un loyer modique (53 francsannuels) et d'effectuer les « réparations nécessairespour rendre cette maison habitable » 1B. Il s'agis-sait, en fait, d'offrir une sorte de substitut à l'octroid'une pension de retraite en argent, du fait de l'im-pécuniosité de la papauté. Après l'ouverture denégociations, le preneur accepte le principe de larésiliation du bail mais pose ses conditions : ilexige d'être indemnisé des constructions et amé-liorations qu'il a faites dans son logement. Aussi,pour accélérer la solution de cette affaire de bail,l'architecte de l'administration des biens de la cou-ronne préconise que l'indemnité exigée soit aug-mentée par une « espèce de munificence -. Uneindemnité de mille francs lui serait accordée, aulieu des 600 qu'il réclamait.

Le second palais italien affecté officiellement àl 'Empereur comme résidence est celui deFlorence ; le palais Pitti est concerné par la poli-tique patrimoniale de Napoléon. Ici encore, l'éten-due du palais était perturbée par la présence d'en-claves possédées par des propriétaires privés. Sices propriétés sont de surface modeste, elles altè-rent la plénitude des droits réels de leur impérialoccupant. Quand la sécurité était concernée à

biographie historique (Dictionnano biografico deg/i italien Rome,Institut» délia enciclopedia italiana, 1965,tvii, p 4), il était un éminentjuriste

15 Pepe est un ancien officier de la garde suisse du Vatican, chargéde famille

I é AN, O2 223 fol I 17, séance du 5 février 1812 (résiliation d'unbail d'une maison « dépendante du Palais Quirinal à Rome »)

17 Au terme de la durée du bail, lorsque la troisième générationmasculine du preneur s'éteint, le contrat emphytéotique dispose queles constructions éventuellement érigées ne donnent lieu à aucuneindemnité

18 Le dossier comprend une description de l'intérieur del'habitation « ma/son composée d'un rez de chaussée, d'un premier etd'un second [étages] dons lequel sont deux greniers reserves pour leservice des Ecuries du maître de la chapelle pontificale »

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Rome, à Florence, c'est le problème de l'écoule-ment des eaux qui pose débat 19. Pour obvier àcette difficulté, il est conseillé que l'Empereur fassel'acquisition d'un « petit jardin situé à Florence etenclave dans le jardin de Boboli »2 0 . Après le ver-sement du prix convenu (2.352 francs) au vendeur,de grands travaux de génie civil sont planifiés, afinde conduire les eaux « hors du mur d'enceinte jus-qu'à V Angel qui y existe actuellement».

Quant au palais Farnèse, il constitue un symboleéminemment politique. Chef-lieu du départementfrançais du Taro, Parme est également le sièged'un duché qui est attribué à Parchichancelier del'Empire, Cambacérès. Aussi l'Empereur ne pou-vait-il délaisser ce palais somptueux, décrété tardi-vement palais impérial par la volonté du Prince 21.Cependant, Napoléon est conscient de l'enjeupatrimonial. Il décide donc, en écartant sa pré-sence dans le duché (« je ne veux jamais aller àParme »2 2), d'engager le minimum pour conservercette magnifique demeure. Le chef de l'État la pré-sente comme « inhabitable » mais considère qu'ilfaille la garder afin d'y « loger une Princesse oupour l'employer de cette manière ». aussi ordonne-t-il d'établir un budget qui, une fois déduites lesimpositions des revenus, devra absorber au plus lasomme de « 25 ou 30,000 » francs que l'Empereurentend lui allouer ; il s'agit donc d'y consacrer lesseuls « frais d'administration et entretien absolu-ment nécessaires du Palais » 2 3 .

En agissant ainsi à l'égard des propriétés impé-riales qui lui étaient concédées, l'Empereur agissaiten usufruitier avisé : dans son esprit, les architectesétaient des hommes de dépenses folles, souvent

injustifiées ; il proclamait que ces hommes de l'artavaient été créés dans le seul but de le ruiner, ainsique le démontrent les scènes orageuses qu'il eutavec Fontaine, l'un de ses architectes préférés.Tout devait être entrepris pour écarter les dépensesfolles proposées par ces hommes de l'art, trèscompétents à l'égard des palais, mais si peu pourles bâtiments ordinaires 24.

Par conséquent, il fallait tout entreprendre pouréviter de grever sa liste civile de lourdes dépensesd'entretien d'un patrimoine devenu plus ou moinsutile. Il préférait, au contraire, constituer del'épargne de précaution et se focaliser sur desbiens rémunérateurs et sûrs, tels que forêts, fermesagricoles, c'est-à-dire des acquisitions immobi-lières de moyen terme d'un rapport d'au moins3 %. Dans tous les cas, ces biens ne devaient pasêtre trop éloignés de la capitale, reposer sur destitres de propriétés sûrs et devenir des investisse-ments liquides en cas de retournement des cir-constances politiques 25.

Ceci étant, on connaît l'existence de quèlquesexceptions limitées : ainsi pour ce qui touchait à lacynégétique, activité que Napoléon affectionnaitpeu mais il reconnaissait qu'elle constituait l'unedes activités traditionnelles de tout monarque. Defaçon accessoire, il s'agissait de l'activité dont étaitféru le maréchal Berthier, grand veneur de la cour.Aussi celui-ci conseillait-il l'Empereur pour cer-tains achats, afin de mettre la main sur des lieuxindispensables aux chasses impériales 26 et évitertout contact avec des particuliers 27, voire tout dan-ger de conflit de l'exercice du droit d'usage à desfins de chasse qu'en fait le chef de l'État28.

19. En effet, les eaux qui déboulaient « du bassin du petit jardin desappartements de parade » du palais impérial s'écoulaient dans lejardin en question

10 AN, O2 223 fol 219, séance du 25 mai 1812

21 Décret impérial du 28 novembre 1807

22 Note dictée par Napoléon au maréchal du palais, Duree,23 octobre 1808 AN O2 155 fol 296

23 L'Empereur exige de voir le budget détaillé que l'intendant-général doit établir ll ajoute qu'en attendant, « ne proposer aucunedépense »

24 Ainsi, en octobre 1808, dans une note qu'il dicte au grandmaréchal du palais, Duree, Napoléon indique la politique qu'il entendsuivre en matière de dépenses pour ses palais ll lui écrit « Lesfermes rurales ne doivent pas étre réparées par (es architectes despo/ois Sous (e point de vue dëconomie, ce/a ne peut étre confié qu'àl'Administrateur des Domaines qui ferait faire tous ces travaux avecordre et suivant les besoins » AN, Cr 155 fol 296

25 Ainsi pour l'acquisition par l'Empereur du domaine de Gall/,

situé dans le grand parc de Versailles (décembre 1806) Quoique fortcoûteux (cinq cents mille francs), ce grand domaine (362 hectares)présentait deux avantages il procurait d'abondants revenus annuels,évalués 23 200 francs, et permettait de faire le lien avec d'autresbiens de la couronne situés en Seme-et-Oise Sur la gestion généralede l'Empereur et ses rapports avec I argent, cf P Branda, Napoléon etl'argent Fayard, 2006

26 Situé àVernères-le-Buisson, le terrain convoité (I I ares autourd'une petite maison) était jugé indispensable pour les chasses depuisVersailles ou Rambouillet Le prix convenu était élevé (15 180 francs)pour ces immeubles sis « dons (e bois de Verrieres et désignes sous lenom de pavillon des chasses » AN, O2 223 fol 253,25 juin 1812

27 N -J - E Méneval (de), Mémoires pour servir à l'histoire deNapoléon Ier Pans, I849,t ll, p 42

28 Dans son ouvrage, L Garros évoque à plusieurs reprises leschasses impériales pratiquées dans les bois impériaux situes entreVersailles et Saint-Germain Exemple, celle du 31 octobre 1807 (Quelroman que ma vie Itinéraire de Napoléon Bonaparte (1769-1821)Pans, éditions de l'Encyclopédie française, 1947 p 228)

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En limitant autant que possible les dépensesimproductives au profit d'investissements de longterme, le chef de l'État menait une politique patri-moniale que n'aurait certainement pas renié le« bon père de famille » — au sens où l'entendait lecode civil.

Après l'espace européen, c'est maintenant le sta-tut des palais nationaux situés dans l'ancienneétendue du royaume qui nous intéresse.

...Et dans l'espace des frontières intérieuresavant 1789

Après la chute de la monarchie (août-septembre1792), la République s'affirme en aliénant lesdomaines nationaux 29. Aussi, lorsque la constitu-tion de l'an XII attache des propriétés impérialesau chef de l'État, tout est à refaire car nombre depalais ont été dévastés, ou laissés sans entretienprès d'une décennie, et ont connu de gravesdégâts. Dès lors, s'ensuit une époque où l'Empereurlance des études minutieuses, afin de connaître avecexactitude l'état des palais et les fonds nécessairesà leur restauration. Une fois cet élément connu, ils'agira de trancher et de distinguer les travauxurgents en repoussant pour plus tard ceux quin'ont pas de caractère prioritaire. Il s'agit, en effet,de ne pas se laisser submerger par les devis exagé-rés ou par les dépenses qui présenteraient uncaractère somptuaire injustifié.

Dans le premier cas entrent les palais de Fontai-nebleau, Compiègne, Rambouillet, des Tuileries. Sicelui de Versailles est classé comme non priori-taire, — du moins avant le mariage avec Marie-Louise — Napoléon y affecte tout de même lescrédits nécessaires à sa sauvegarde, mais il entendne pas y habiter, ni restaurer le domaine dans l'an-cienne splendeur du temps de Louis XV (le domaines'étendait alors sur quinze mille hectares) Aprèstout, il demeurait un symbole de l'État qu'il conve-nait de ne pas laisser dépérir 30. D'ailleurs, les

acquisitions foncières qui y seront bientôt réaliséesporteront soit sur des investissements locatifs, soitsur des terrains agricoles pour un usage cynégé-tique D'où cette attitude ambivalente : dédainavant 1810, subit intérêt ensuite quand l'Empereuraffirme à Fontaine .- « Point de mesquineries, ils'agit du palais de l'Empereur, il doit être grand,c'est une chose à faire avec les siècles. * 31 II est vraique l'ampleur des aliénations était telle que sur les36 km de clôture du grand parc en 1789, le tiersavait été ruiné et le reste était à l'avenant. Quant àla surface foncière, 6 700 hectares sur 15 DOOavaient été cédés 32. En 1812, cette démarchevolontariste est bien avancée ; en deux ans àpeine, l'Empereur a racheté I 441 hectares surceux qui avaient été cédés et le budget consacré àcette fin était très important (3,32 millions defrancs). Un sénatus-consulte ratifie ces acquisitionset les biens nouvellement acquis font désormaispartie du domaine de la couronne (1er mai 1812).

La même conception échoit pour le palais deSaint-Cloud, dont la remise en état, jugée trop oné-reuse, est reportée d'après l'architecte Fontaine 33.En revanche, si Napoléon projette d'y rester aumoins quelque temps, consigne est alors donnéed'engager des travaux qui, toutefois, ne doiventpas dépasser un plafond de dépenses qu'il auralui-même fixé. Telle est l'attitude relative à Fontai-nebleau qui sera, pendant le Consulat puis l'Em-pire, l'une de ses résidences préférées 34. Enoctobre 1808, il exhale son ire de voir le budget etles devis préalablement fixés (soit deux cents millefrancs), dépassés pour les travaux qui ont étéengagés, tant pour les appartements de l'Empereuret de l'impératrice que pour la cour des ministreset la grille. Quant aux cuisines du château, l'Empe-reur considère que la moitié étant déjà rénovée,cela suffit pour son service et que les travaux derénovation de l'autre moitié doivent donc s'inter-rompre 35.

29 Pour le palais de Versailles, on se référera à l'intéressante étudedeV Maroteaux, Versailles Le Roi et son Domaine Paris, Picard, 2000

30 En revanche, celui de Marly ne reçoit pas les fonds qui luiétaient nécessaires , il est alors démoli pierre par pierre

31 Fontainejoumal , t I, p 204

32. Précisions issues de Maroteaux, Versai/tes , dp cit p 238

33 En 1804, la restauration du palais de Saint-Qoud est évaluée à

3,14 millions de francs Cette somme correspond à I/6e du budgetde la liste civile . Fontainejoumo/ , p 75 ( I I mars 1804)

34 Cf Napoléon à Fontainebleau Pans, Réunion des muséesnationaux, 2003

35 «j'ajourne les dépenses pour la Cour des cuisines, puisqu'il y en aplus de la moitié de faite, et que cette moitié est celle destinée pourmon service et que cela me suffit pour mon premier voyage On a eutort de dépasser le budget », AN, CV 155 n 296

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Comme on le voit bien, la moindre dépense nonjustifiée par un motif rationnel ou d'intérêt publicdoit être écartée Nous n'évoquerons pas ici lasituation des Tuileries, puisqu'elle est intimementliée au « Grand Dessein » lequel, en raison de sonimportance, mérite une étude distincte 36

En second heu, il s'agit de limiter autant quepossible le nombre de biens échappant à l'impôtEn effet, dès son accession au pouvoir, Bonaparteavait décidé que les biens possédés par les institu-tions publiques échapperaient désormais à l'impôtfoncier 3? Par voie de conséquence, cela diminuaitle nombre d'assujettis à la contribution foncièreOr, réduire le nombre de propriétés foncières,c'était prendre le risque d'être contraint d'augmen-ter le taux de base ou conserver des recettes fis-cales stables en raison de son importance dans lesrecettes fiscales françaises 38 Pour ce motif, l'Em-pereur était fort prudent sur l'origine des moyensalloués aux palais impénaux Dans la mesure dupossible, ces crédits ne devaient pas obérer lacapacité d'épargne qu'il s'était fixée sur les reve-nus de sa liste civile (environ 5 millions de francsannuels) Et, après 1806, une partie des fonds pro-venant de l'administration dite du < Domaineextraordinaire », autrement dit les contributionspécuniaires versées par les états vaincus à la suitedes victoires militaires impériales, était en partieaffectée aux travaux des palais, voire à ceux del'immense projet urbanistique du Louvre et desTuileries (que nous appelons le « Grand Dessein >)Ce recours aux financements extraordinaires —qui reposait sur des décrets ordonnateurs dedépenses non publiés39 — épargnait le contri-buable — ce dernier aurait certainement été

mécontent que la hausse de la fiscalité soit consa-crée à des dépenses de prestige

Ensuite, l'objectif de cette politique patrimonialeconsistait dans un souci de bonne protection

Veiller à la protection du patrimoineLes changements politiques survenus pendant la

Révolution avaient durement atteint le patrimoinepublic désireux de marquer le changement derégime et de commencer une sorte de réformeagraire en laissant les pauvres accéder à la pro-priété, les gouvernements depuis 1792 jusqu'àcelui du Directoire, avaient décidé de céder unegrande partie des biens de l'État Ils agissaientautant pour remplir les caisses d'un État désargentéque pour satisfaire les partisans de la réformeagraire Nombre de ces ventes, d'ailleurs, inter-viennent après le coup d'État de fructidor (sep-tembre 1797), époque marquée par la réactionrépublicaine dirigée contre l'adversaire monar-chiste

Néanmoins, il était évidemment plus aisé decéder les terrains agricoles que les bâtiments, rui-neux par leur entretien et sans grande utilité pourde simples particuliers , aussi les parcs, forêts etprés avaient-ils été cédés, souvent par petits lots,tandis que les bâtiments avaient mieux résisté àces cessions Cependant, des immeubles intéres-sants avaient été acquis, tantôt par des agents d'af-faires (ainsi Desprez à Versailles), tantôt donnes àdes célébrités nationales (telle la pièce dite de laFaisanderie à Versailles, offerte à Sieyès par le par-lement en l'an X 40 D'une superficie de 88 hec-tares, elle était bien située dans le petit parc du

36 Ce « Grand Dessein » consistait dans la reunion du Louvre auxTuileries par I édification d une galerie parallèle a celle qui existaitdéjà le long de la Seine En outre ce projet grandiose reposait sur ladestruction presque totale de I enceinte du Louvre qui était alorsune sorte de petit village ainsi que le percement de la future rue deRivoli

37 Depuis la Revolution le principe d egalite devant I impôtatteignait les propriétés publiques Nulle institution ne pouvait doncéchapper a I impôt foncier Pour cette raison les administrations quigéraient les propriétés de I Etat rencontrèrent de graves difficultés arespecter cette contrainte fiscale Leurs recettes étaient grevées dedepenses incompressibles parfois supérieures Sur le cas exemplairedes forêts domaniales cf J P Massaloux La regie de /enregistrement etdes domaines aux XVIIIe et X/Xe siècles Etude historique Pans Droz1989 p 18

38 Depuis sa creation en 1790 la contribution fonciere assise surune partie des recettes locatives évaluées par I administrationassurait entre 30 et SO % des recettes fiscales annuelles de I Etat

39 Pour ne citer qu un exemple a notre propos le decret du28 janvier IS IO affecte depuis la caisse du domaine extraordinaire lasomme de 6 millions de francs (environ 07 % du budget de I Etat acette epoque) a la restauration du château de Versailles

40 « En vertu d une loi [adoptée en I an X soit 1802] la ferme dela Ménagerie et la piece du Mail ont ete donnes a M Sieyes commerécompense nationale » Maroteaux Versailles op crt p 235 indiquela date du 18 thermidor an VIII (6 août 1800) La ménagerie étaitI une des deux dernieres fermes domaniales qui subsistaient encore

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château, d'après la description qu'en fait alorsl'Anglais Yorke 41) D'ailleurs, l'un et l'autre serontrachetés par l'Empereur entre 1809 et 1812, celui-ciacceptant les lourdes conditions financières exi-gées par leurs propriétaires (586 228 francs réglésà Sieyès en mars 1809) 42 Pour Napoléon, il n'étaitpas convenable qu'il dispose du palais de Ver-sailles en ayant pour voisin Sieyès, avec lequel lesrelations étaient particulièrement difficiles D'ail-leurs, que faire du château sans sa célèbre ména-gerie qui, depuis longtemps, avait perdu ses ani-maux exotiques ' Cela étant, déjà avant 1789, cebâtiment, comme tant d'autres, était en bien mau-vais état par suite du manque d'entretien et dudéfaut de budget Deux mouvements contrairesrésument la situation patrimoniale de la Révolu-tion jusqu'en 1802, Tex domaine royal étaitdécoupe en morceaux épars , après cette date,c'est sa reconstitution minutieuse qui est marquante

Dans la plupart des cas, ces cessions avaient étéréalisées, lorsqu'elles présentaient un caractèreonéreux, dans des conditions financières souventcritiquables 43 Aussi, dès l'an X, l'idée consiste àrétablir l'ancien ordre des choses tout en respec-tant deux principes de droit que l'Empereur consi-dère comme essentiels le code civil et le droit depropriété Dans cet ordre d'idée, la voie de rigueurqui était celle de la recherche de titres — ou cellede la domaniahté 44 — est écartée , elle aurait pucacher l'autontansme excessif de l'administration 45

Or, Napoléon exigeait que les règles de droit com-mun s'appliquassent, y compris à son patrimoine ,l'intervention éventuelle de l'administration dansle droit de propriété devait être dûment justifiée

Second élément de cette politique publique, ilconsiste à épargner le patrimoine public des erre-ments de la gestion passée et des menaces poten-tielles qui peuvent l'altérer II s'agit donc de rassu-rer le contribuable et d'éviter que la gestionpublique ne tombe sous la critique de l'opinionpublique Sans cesse, l'Empereur rappelle l'ex-trême rigueur avec laquelle ceux qui manient lesfonds publics doivent être exemplaires dans leursfonctions

Et, pour être certain que cette politique soiteffectivement appliquée, sont créés des organesinstitutionnels appelés à connaître de la régularitédes actes contractés par la personne publique Ense limitant à deux exemples, le comité des affairescontentieuses de la Couronne, fort de la présencede juristes éprouvés et très célèbres 46, examinedes actes translatifs de propriété de l'Empereuravec des particuliers (1806) , quant à la Cour descomptes, elle vérifie la régularité des comptes quelui présentent les agents comptables (1807)

En examinant les registres du comité cité plushaut, qui conjugue l'examen collégial des actestranslatifs de propriété aux conseils émanant detrès émments juristes, on constate une politiquerigoureuse qui repose sur trois principes majeursLe premier relève de la politique du bon père defamille regrouper la propriété en un seul mor-ceau homogène et mettre un terme aux enclavesqui s'y trouvent Le second consiste à mettre unterme aux concessions gracieuses qui fragilisentl'exercice du droit de propriété Enfin, le troisièmes'efforce d'empêcher la spéculation sur des ter-

41 Son emplacement était idéal car « cette ferme et le Trianon sontbordes par les deux bras du canal au centre s ouvre une magnifiqueavenue avec quatre rangées d arbres » H YORKE Pans et la Francesous le Consulat Les hommes les institutions les mœurs Pans LibrairiePerrin 1921 p I 18

42 Napoleon a Cambaceres depuis Boulogne 6 août 1805 « llfaut aussi s occuper du petit parc de Versailles ll faudrait d abord entreren arrangement avec le sénateur Sieyès et M Desprez mon intentionest que pour I automne ce petit porc soit rachete mois a so valeur »Correspondance generale t V Lempereur donne son accord pourle paiement de la somme convenue le 15 mars 1809 AN O2 155n 189

43 Ainsi pour la ferme dite du Trou d Enfer située a proximite duchâteau de Marly Vendue pour la somme dérisoire de 27 DOO francssous la Revolution elle est rachetée quèlques annees plus tard parI épouse de Bonaparte Josephine pour 200 000 francs

44 La domaniahté est I ensemble des biens du domaine publicappartenant a I Etat et servant a I intérêt general Ces immeubles

sont pourvus d un regime juridique particulier qui apparaît dans I edrtde Moulins de 1560 Ce regime protege les biens publics et toutimmeuble domanial est repute incessible Dans le cas present e est leprefet de la Seine qui vérifie le titre de propriete de I immeubleconcerne s il est domanial cela veut dire qu il existe au mieux uneconcession precaire au benefice du particulier qui excipe lapropriete maîs pas une propriete complète au sens ou I entend ledroit prive

45 Cf J -L Mestre Le renforcement des prérogatives deI administration sous le Consulat et I Empire Me/anges Montane de laRoque Toulouse 1986 t ll

46 On y trouve plusieurs des meilleures têtes du Conseil d EtatTreilhard Merlin de Douai Jaubert Faget de Baure Tous sont versesdans le droit civil et ont participe activement aux travauxpréparatoires du code Viendront s y ajouter ultérieurementNougarede de Fayet et Bertolucci

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rains nécessaires à l'exercice de la puissancepublique. Abordons-les l'un après l'autre.

Constituer une propriété homogène, c'est conser-ver les droits du propriétaire sur sa chose sans lespartager et sans souffrir des droits réels d'autrui.Cette considération consiste à rejeter la copro-priété comme étant une menace à plus ou moinslong terme. On comprend aisément que l'Empe-reur ait exigé que soit mis fin à des situations danslesquelles le domaine de la couronne dépendaitétroitement de ses voisins pour jouir de ses droits.Pire encore, il devait supporter des servitudes(droits d'usage, de passage...), de sorte qu'il nedisposait pas, comme il le souhaitait, de la pléni-tude de ses droits. Tôt ou tard, cette situationdevait susciter des conflits, danger que Napoléondésirait moins que tout, étant donné sa méfiance àl'égard du cours de la justice et des hommes de loi.Aussi ont été prises des mesures conformes audroit : proposer aux propriétaires voisins ou indivi-dus de racheter leurs droits réels conséquemmentà un prix convenu. Cette démarche s'appuyait surdeux personnalités de confiance : l'un était sonnotaire (d'abord Raguideau, puis Noel), qui étaitcharge d'approcher les propriétaires concernés etd'entamer les démarches préliminaires. L'autreétait le comte Dani, véritable bourreau de travail,qui occupait les fonctions d'intendant-général desdomaines de la couronne ou liste civile ; il étaitcharge de présenter de courts rapports au chef del'État et de lui proposer les solutions nécessairesau patrimoine public.

Lorsque le propriétaire démarche acceptait lacession de sa propriété, le contrat de vente com-portait les éléments essentiels à la translation depropriété et il était contrôle par les juristes ducomité des affaires de la couronne Ceux-ci répon-daient de l'assurance que la vente ne ferait pasl'objet d'une quelconque contestation ultérieure ;pour ce motif, était donc vérifiée la chaîne despropriétaires, les conditions de capacité des ven-deurs, l'existence éventuelle de sûretés sur leschoses vendues, l'information des tiers, l'absence

de servitude sur le bien acquis... D'un autre côté,l'Empereur fait preuve d'une certaine souplesse : siles propriétaires exigent d'être réglés à courtterme, il accepte de débloquer les fonds en deuxversements au lieu d'un étalement en trois années— comme cela était alors la règle. Ce sacrificefinancier était accepté comme une nécessité pouremporter le consentement à la vente d'un bienidéalement situé, bien dont la couronne ne pou-vait se passer 47

Revenir sur des concessions gracieuses quiobèrent la gestion de l'espace

L'exploitation des palais impériaux et les vicissi-tudes survenues durant les épisodes révolution-naires expliquent la démultiplication des enclavesdans les espaces publics. Comme on l'imagine, detelles enclaves empêchaient la réalisation de pro-jets d'aménagement du fait des servitudes qui yétaient liées. Ainsi, quand la couronne impérialeprit possession du palais de Laeken, situé dans ledépartement de la Dyle (chef-lieu Bruxelles), elles'aperçut que tout aménagement était impossible.En effet, la première démarche de l'Empereurconsistait dans la clôture de ses propriétés, afind'empêcher tout empiétement ou aliénation detiers — ainsi que pour des raisons évidentes desécurité. Or, lorsque les dépendances furentdoses, un cabaret se trouvait à l'intérieur du parcet ses propriétaires réclamèrent auprès de Napo-léon. S'estimant lésés, ils menaçaient de recourir àla justice ordinaire si rien n'était fait. Par consé-quent, l'Empereur accepta de racheter ce bienpour un prix bien supérieur à sa valeur réelle 48.Mais ces vendeurs, avisés, achetèrent aussitôt unpetit terrain de 20 ares, situé en face du palais etcontigu à la route menant de Bruxelles à ce der-nier. Ils projetaient de construire un nouveau caba-ret et rassemblèrent des matériaux destinés à cetobjet. Devant cette difficulté, le préfet de la Dylenégocie, au nom de l'Empereur, la cession des ter-rains litigieux à la couronne (juillet 1806, pour un

47 Ainsi pour cette acquisition d'un terrain sous la forme de« pièces de terre situées entre le jardin Impérial et la forêt deCompiègne » AN, O2 222 fol 395, acte examine dans la séance du5 juin 1 8 1 1 Le prix modique de cette acquisition (500 francs)confortait le paiement comptant du prix

48 Le prix convenu était de huit mille francs en 1806 AN, O2 221fol 109-1 10, 17 août 1808

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prix convenu de 2 721 francs). Pour éviter touteréitération d'une possible spéculation des vendeurs,le contrat de vente contient une clause par laquelleles vendeurs s'engagent à ne rien construire (« soitmaisons, soit usines, soit cabarets... soit qu 'ils pos-sédassent un terrain, soit qu 'ils en acquissent »)dans un rayon de 10 000 mètres autour du palais deLaeken 49. A posteriori, la clause, suggérée par lecomité, prouva son efficacité.

Autre nécessité, celle de supprimer les enclavesnées de la délivrance de grâces royales accordéesquèlques décennies plus tôt. En effet, certainesenclaves reposaient sur de véritables titres d'occu-pation : en témoignent ces brevets délivrés à desoccupants depuis le règne de Louis XVI, et « situésdans l'enceinte du Trianon » 50. D'autres, encore,avaient été cédés gracieusement à des milliers desans-culottes pour tenir lieu de potagers indivi-duels (chacun se voyait concéder un arpent à titrede rente) 51.

Dans le même esprit, des terrains privés enclavésdans la forêt de Saint-Germain sont rachetés etleurs fermiers évincés, après versement à ces der-niers de l'indemnisation prévue par le code civil àla charge du chef de l'État. Après le « grignotage »des terrains voisins, ces propriétaires conviennentde la nécessité de céder leur propriété 52

Napoléon s'efforce — et parvient — à résilier cesconcessions en indemnisant leurs occupants pardes accords de gré-à-gré généreux.

Empêcher une éventuelle spéculation/emprisesur les terrains

Ce troisième principe concerne aussi bien lepalais de Compiègne que celui de Fontainebleau.Évoquons d'abord le premier, puis le secondd'entre eux.

Si Compiègne n'était pas la résidence préféréede Napoléon, cet ancien palais qu'affectionnaient

les dynasties mérovingiennes puis carolingiennesétait cependant un legs de l'histoire. S'en défaire,c'était reconnaître que la dynastie des Napoléo-nides n'assurait pas la continuité des souverainsfrançais. Aussi l'Empereur s'intéresse-t-il à cepalais : il fait remettre en état l'intérieur, dévastépar le défaut d'entretien et aussi parce qu'il étaitdevenu provisoirement le siège d'une école cen-trale des arts et métiers (transférée sous le Consu-lat à Châlons-en-Champagne). En outre, laseconde politique consiste dans l'appropriation del'espace privé jugé indispensable aux besoins de lacour. Deux espaces privés suscitent particulière-ment l'objet de l'intérêt impérial : le premier est unvaste terrain (quatre cents mètres carrés) accolé àla secrétairerie d'État, terrain qui est clos — maisdont la clôture est en partie brisée — et qui abriteune source d'eau. Dès lors, l'intendant-généraldécide de lancer une étude préliminaire pour sonacquisition et se fonde sur deux arguments :d'abord, la nécessité de sécuriser l'espace mitoyende la secrétairerie ; ensuite, assurer son approvi-sionnement en eau. Moyennant un prix modique(4 400 francs), la liste civile se rend acquéreur duterrain.

Le second espace privé est un petit terrain insérédans la terrasse du parc du château. Or, le proprié-taire a manifesté son désir de se comporter commetel : il défriche le terrain, l'a clos d'un mur et y afait des plantations. Ici encore, l'intendant-généralfait de cette acquisition une priorité : outre l'incon-fort visuel (les constructions érigées nuisent « àl'agrément du Palais »), cette parcelle privée obs-true la grille par laquelle l'Empereur fait tradition-nellement son entrée dans le château, ce qui poseun problème de sécurité. De sorte qu'en négociantavec le propriétaire (Vincent, inspecteur des tra-vaux du château de Compiègne), la liste civileprend possession du terrain en déboursant un prixmodique 53.

49 Ibidem, fol ll O

50 AN, O2 223 fol 316 , séance du 25 septembre 1 8 1 2 Enlespece, le chef de l'État récupère un hectare de terrain et acceptede verser la somme de cinq mille francs à l'occupant Bonnefoy Cedernier détenait « la concession de ce terrain de Louis XV/, en vertu dedeux brevets »

51 Maroteaux, Versai/tes , ap at p 234

52 Ainsi pour la veuve Perron, qui cede 5 arpents en forêt deSaint-Germain à Napoléon pour la somme de 3 025 francs Elleexplique ses motifs « Un terrain qui est renfermé dans l'enceinte de laforêt qui ne produit plus aucune récolte et dont néanmoins elle paye lesimpositions », AN, O2 155 n 185.

53 Tout compris, le terrain et les frais de sa remise en état sontévalués à la somme de I 049 francs Rapport présente début janvier1814 et « approuve » le 14 de ce mois, AN, O2 156 n 321

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Une vingtaine d'actes concerne l'acquisition debiens situés dans et aux alentours de la cité deFontainebleau qu'affectionnait François Ier, où denombreux rois établirent leur résidence (d'où laréférence de l'Empereur « Voilà la vraie demeuredes rois, la maison des siècles»54). À cette considé-ration s'ajoute celle de l'importance occupée par laforêt domaniale. Forte de trente mille hectares, laforêt procure d'importantes recettes et elle est éga-lement un lieu de chasse idéal pour la cour. Néan-moins, sa protection est délicate : en effet, la Révo-lution a conduit à la cession onéreuse de multiplesmaisons forestières, de sorte que la surveillance del'espace forestier s'en trouve rendue plus difficile.Ensuite, il devient évident que le confort de la courest insuffisant : des immeubles avoisinants lechâteau ont eux aussi été cédés, aussi convient-ilde corriger ces défauts en s'appuyant sur deuxchoses :

— en premier lieu, racheter les maisons fores-tières pour y loger les gardiens de l'administrationdes forêts impériales, qui seront désormais plus àportée d'effectuer leur mission de surveillance etd'éviter les aliénations et usurpations 55. À cetégard, la menace était réelle puisque des habitantsd'un village limitrophe (celui de Montigny-sur-Loing) s'étaient emparés de 258 hectares d'espacesboisés dans cette forêt. Cette menace, ce souci debien surveiller une belle forêt productrice de reve-nus, conforte la liste civile dans sa volonté de logerles gardes forestiers. En décembre 1810, l'Empe-reur donne son accord à l'acquisition d'une mai-son située aux Sablons et qui, avec une écurie,constitue une habitation idéale comme l'indique leGrand veneur et le « Conseil des domaines ». En

effet, ce haut dignitaire affirme « que la situationde cette maison est très avantageuse pour larépression des délits et la surveillance des habi-tants de Moret et des Sablons 56 ». Cette politiquefoncière s'accompagne d'un renforcement du per-sonnel qualifié affecté à cette mission 57 ;

— en second lieu, acquérir et réparer les bâti-ments urbains utiles au service de la cour. Danscette perspective, il est aussi décidé l'implantationd'une école destinée à la formation des cadres del'armée, qui prend la suite d'une École centrale dudépartement 58. Mais les errements de la Révolu-tion sont passés par là ; lorsque Fontaine visitel'école (mars 1803), il rend compte au Premierconsul de l'état très dégrade des locaux : les autori-tés ne les ont pas entretenus durant une décennie 59.Charmé des lieux, le chef de l'État y affecte lesmoyens nécessaires et Fontainebleau restera l'undes endroits les plus appréciés du monarque 6o.D'ailleurs, de nombreux et importants actes poli-tiques y seront décidés : visite du souverain pon-tife Pie VII, venu spécialement d'Italie pour célé-brer le sacre impérial (novembre 1804). En 1807, lacour impériale y séjourne et un millier de convivessont logés au château — quatre mille autres sontlogés tant bien que mal dans la cité 6l. La mêmeannée, la création de la Cour des comptes y estdécidée ; en 1808, c'est l'alliance secrète entre laFrance et l'Espagne ; son objet consiste à s'empa-rer du Portugal et à en attribuer une partie auxBourbons d'Espagne. C'est aussi la même annéeque Napoléon prend, au château, la décision de seséparer officiellement de l'Impératrice (dans l'es-poir d'avoir une descendance et de conforter ladynastie). En 1812, c'est le pape Pie VII qui est

54. Napoléon à Sainte-Hélène (août 1816)

55 Ces acquisitions de maisons se font aux quatre coms de laforêt • ainsi, celle des Sablons (située au sud-est) complète celle de laRochette (sise au nord-ouest), de façon à mailler efficacement leterritoire forestier appartenant au domaine public.

56 Rapport à l'Empereur, approuvé, le 28 décembre I S I O : AN,O2 156 n 369 Une somme de 4 500 francs est débloquée pour sonacquisition

57 « Deux gardes généraux, six gardes à cheval et vingt-cinq gardesparticuliers surveillent la forêt » : AN, O2 156 n 369

58. L'École militaire de Fontainebleau, d'abord affectée aux cadresde l'infanterie, déplacée plus tard à Samt-Cyr, sera ensuite remplacéepar une école destinée aux officiers d'artillerie

59 « Cette maison qui est dans un état de dégradation et d'abandonextraordinaires» Fontaine,journal ,.,p 6l, I I mars 1803

60 C Terrasse, Napoléon à Fontainebleau Pans, Grasset, 1952 Surle château, cf. F Herbet, Le château de Fontainebleau. Pans, 1937

61. Cela étant, si la cour renaît avec un cérémonial très précis, —digne d'une horloge milrtaire — il semble que l'ennui soit présent endépit des multiples activités prévues trois chasses par semaine,spectacles les lundis, mercredis et vendredis , les autres soirs, il y a uncercle chez l'impératrice « C'est chose singulière, confie-t-il à Talleyrandj'ai rassemblé à Fontainebleau beaucoup de monde j'ai voulu qu'ons'amusât j'ai réglé tous les plaisirs, et les visages sont allongés, et chacun al'air bien fatigue et triste » « C'est que, lui réplique le prince, le plaisir ne semène pas au tambour et qu'ici comme à l'armée vous avez toujours l'airde dire à chacun de nous Allons, messieurs et mesdames, en avant,marche ' » B Chevallier, Napoléon.., ap cit p 54.

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retenu, contre son gré, au château et ses états sontalors saisis , il y restera jusqu'en janvier 1814Enfin, e est à Fontainebleau, dans la cour du che-val blanc, que Napoléon en avril fera les adieux àsa garde

Quant aux biens immobiliers acquis dans cetteperspective, ils sont au nombre de quatre levieux chenil, l'hôtel du gouvernement, l'hospiced'Avon, le manège Leur utilité est soit militaire,soit civile , ils sont achetés pour des prix modestesau regard de leur importance urbaine Ainsi,quinze mille francs suffisent pour racheter < levieux chenil à Fontainebleau des bâtiments et desterrains qui en dépendent Or, ces terrains étaientidéalement situés entre l'avenue de Maintenonle Carrousel et le jardin Impérial 62 Le secondinvestissement consiste dans l'hôtel du gouverne-ment Autrefois, il servait à loger le gouverneur dela ville , en 1806, son achat est réalisé pour vingtmille francs et il est confié au maréchal Berthier,major-général de la Grande armée Maîs il est enpiteux état , aussi son possesseur doit y réaliserd'importants et coûteux travaux , il l'agrandit en luiadjoignant une ancienne fabrique de porcelaine 63

S'ensuit une acquisition pragmatique, celle del'hospice dAvon Or, la Revolution avait fragilisecet hospice, d'abord en dépossédant la communauté de la Charité , ensuite, en ordonnant safusion avec celui de Fontainebleau pour des rai-sons d'économie M Aussi l'Empereur demande-t-ilà ce que l'hospice soit réintégre dans sa liste civile,afin d'être spécialement affecte aux membres de samaison En agissant ainsi, il cherche à reproduire lesusages de I ancienne cour, car il apparaît que celuid'Avon lui a éte indique comme ayant eté fondepour cet usage par les Rois ses prédécesseurs 65 >L'achat du manège procède de cette logique maîspour obvier aux lenteurs administratives, l'Empe-reur indemnise le ministere de la Guerre et luiaccorde cent mille francs d'indemnité sur son bud-get de la couronne (1808) 66

Les moyens mis en oeuvreEn dernier lieu, les moyens mis en place, mal

connus — maîs des sources manuscrites de pre-mière qualité nous en révèlent la vérité historiqueet juridique — reposent sur deux considérationspragmatiques d'abord, le chef de I État entendnégocier et acquérir au juste prix les biens fonciersqu'il juge nécessaires Dans cette perspective, iln'est pas question d'accepter le prix proposé par levendeur, maîs d'attendre, s'il le faut, que lemoment soit plus favorable pour conclure à unprix plus avantageux pour la liste civile L'Empe-reur, en effet, sait patienter lorsqu'il a la convictionque le bien visé est trop onéreux au regard de savaleur Pour ce faire, il recourt de façon systéma-tique à des experts immobiliers, dont la missionconsiste à évaluer le juste prix des propriétés fon-cières qui l'intéressent Maîs ces experts s'accor-dent rarement sur l'évaluation du juste prix d'unepropriété Le plus souvent, c'est le moins disantqui semble le plus proche de la réalité des prix Enagissant ainsi, Napoléon agit comme le ferait n'im-porte quel investisseur avisé

Quant au prix auquel l'Empereur se proposed'acheter un bien foncier, il est calculé au plusjuste, parfois même à quèlques centaines de francsprès Cela confirme son légendaire sens de l'éco-nomie Ainsi, en juin 1811, quand il est questiond'acquérir un terrain à Compiègne, la propriétaireaccepte sa cession moyennant le prix de cinq millefrancs Néanmoins, dans son Rapport, l'intendant-général critique ce prix, le trouvant trop éleve parrapport a I évaluation moyenne dans cette cité Etil propose de négocier un prix plus juste, en réali-sant une économie de mille francs sur la sommeconvenue L Empereur consent alors au déblo-cage des fonds 67

Toutefois, cette politique ne se fait pas par àcoups, maîs s'inscrit dans un cadre d'ensembleune fois que des biens fonciers ont été repéres, ilfaut négocier et, le cas échéant, envisager des tra-

62 AN O2 222 fol 453 séance du 19 juillet 1 8 1 1

63 Sans le savoir cet hôtel lui servira aux jours les plus sombresde lempire en avril 1814 cest dans son hôtel que Berthier seréfugie lorsque Napoleon abdique ll quitte alors I Empereur poursen retourner a Paris servir les Bourbons Sur ce personnage cfF Lalliard La fortune des Wagram Paris Perrin 2002

64 Arrête du Directoire executif 23 frimaire an V (13 decembre1796)

65 AN O2 221 fol 39 séance du 20 novembre 1806

66 AN O2 221 fol 108 séance du 17 août 1808

67 Mention « Approuve » 2 juin 1 8 1 1 AN O2 156 n 398

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vaux Maîs le tout s'opère dans un cadre budgé-taire précis De façon régulière, Napoléon fixe unbudget annuel qui doit alimenter les acquisitionsfoncières jugées nécessaires Notons que ce bud-get existe indépendamment de la période considé-rée en 1814, au plus fort de la campagne deFrance, et alors que des troupes étrangères foulentle sol français, ces acquisitions continuent labureaucratie n'est pas menacée par la présenceennemie En 1810, nous disposons du budgetfixé pour les acquisitions foncières d'une poignéede palais impériaux, ceux qui intéressent le chefde l'État Le budget prévisionnel est ainsi fixé à1,729 millions de francs En tête vient Versailles,dont l'état de délabrement inquiétait l'architecteFontaine, puis des budgets moins élevés en raisondes investissements considérables déjà engagés àSaint-Germain ou à Fontainebleau Quant à Marly,il était très apprécié de l'impératrice-mère Laetitiaet de ses filles II fallait donc lui offrir les fonds suf-fisants pour accueillir dignement la famille impé-riale

« Notice écrite de la mam de Sa Majesté

La somme de I 729 000 francs crédit de cetteannée se composera de

I 373 000 de Versailles155 000 de Meudon160 000 de Marly8 000 de S1 Germain144 000 de Fontainebleau

Les autres objets s'ajouteront si on obtient deséconomies sur cette somme 68

Maîs l'année suivante, le budget affecté auxacquisitions foncières de la liste civile était sensi-blement augmente pour tenir compte du soudainintérêt de l'Empereur pour Versailles Était alorsinstitué un conseil des bâtiments dans lequel sié-geaient de hautes personnalités (grand veneur,grand marechal du palais ) et qui, soutenu par

un important volume de crédit étatique (six mil-lions, soit la moitié des douze millions de francsouverts par le décret du 28 janvier 1810 69y, devaitélaborer un plan général d'acquisition de biensfonciers 70 Pour éviter la critique de l'opinion dansun moment de grave crise économique, l'Empe-reur avait pris soin de puiser ces crédits dans lesrecettes extraordinaires perçues de l'Autriche autitre des dommages de guerre

Seconde considération, celle d'une vision d'en-semble des travaux En effet, l'acquisition d'unbien immobilier s'accompagne de manière systé-matique d'un plan d'ensemble de la situation dubien, au regard du palais impérial situé à proxi-mité Aussi Napoléon exige-t-il d'être informé duprix et des frais nécessaires à l'insertion du bienacquis dans le périmètre du palais Ainsi, lorsqu'ilacquiert à Compiègne un « terrain situé au pied dela grille de la terrasse du palais » 71 (janvier 1814,dans des circonstances dramatiques pour la cou-ronne impériale), son architecte dresse un deviscomprenant le prix d'acquisition du terrain, lesfrais d'acte, ceux de construction du mur de clô-ture (toujours dans la prudence de ne pas souffrirde la présence d'un tiers), enfin la plantationnécessaire 72 C'est seulement lorsque tous ces élé-ments sont présents dans la proposition d'accord,que l'Empereur donne son aval à l'acquisition

En agissant comme il l'a fait dans cette courtepériode, l'Empereur Napoléon Ier a clairementmarqué qu'il entendait mener une politique ration-nelle, sans s'encombrer de biens certes presti-gieux, maîs qui ne répondaient plus aux objectifsde l'avenir Mieux encore, il refusait de se lier lesmains et exigeait de conserver une certaine libertéd'action Aussi était-il nécessaire d'opérer deschoix, — maîs jamais déchirants — car après tout,si les souverains passent, l'État demeure tou-jours

S E

68 AN O2 156 sans reference (-orthographe et la ponctuationd origine ont ete conservées

69 Dont une reproduction identique a I original se trouve aux ANO2 156n 371

70 AN O2 795 cite par Maroteaux Versailles ap at p 245

71 AN O2 156 n 326 approbation de I achat par Napoleon signede Paris le 14 janvier 1814

72 Le devis presente a I Empereur (janvier 1814) mentionne desfrais peu élevés 212 francs pour le prix principal 22 pour les fraisd actes 615 pour la construction du mur de clôture enfin 200 deplantation soit I 049 francs au total