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MISE AU POINT / UPDATE DOSSIER Névralgie du trijumeau chez le sujet âgé Trigeminal neuralgia in elderly N. Cantagrel · S. Fowo N Gadjou · C. Lestrade · J.-A. Lotterie · F. Bonneville · J.-C. Sol Reçu le 28 novembre 2013 ; accepté le 2 décembre 2013 © Springer-Verlag France 2013 Résumé La névralgie trigéminale est une affection ancienne, entraînant une douleur invalidante de la face localisée sur une ou plusieurs branches du nerf trijumeau. Elle affecte plus souvent la femme avec une incidence qui augmente avec lâge. Son diagnostic est clinique sur sa forme typique, mais des examens complémentaires sont à envisager en fonction des présentations symptomatiques. Le traitement médical de première intention est basé sur la carbamazepine ou loxcar- bazepine. Chez les patients âgés et polymédiqués, des inter- actions médicamenteuses et le risque deffets secondaires gênants doivent être pris en compte. L option chirurgicale doit être envisagée rapidement en cas déchec médicamen- teux chez les patients résistant au traitement médical. Mots clés Névralgie du trijumeau · Sujet âgé · Traitement médical · Chirurgie Abstract The trigeminal neuralgia is an old disease, respon- sible for excruciating facial pain within the distribution of one or more branches of the trigeminal nerve. Women are more often concerned and the incidence increases with age. The clinical examination makes the diagnosis in the classical form but complementary imageries can be useful in some atypical cases. Carbamazepine or oxcarbazepine should be prescribed as first-line treatment. In elderly patients taking many medications, possible drug interactions and adverse effects must be taken into consideration. For patients with a medical-refractory form of trigeminal neuralgia, early surgi- cal option may be considered. Keywords Trigeminal neuralgia · Elderly · Medical treatments · Surgery Introduction Si des descriptions de névralgie du trijumeau apparaissent dès lAntiquité, les premières observations complètes publiées émergent dans la littérature scientifique à partir du XVII e siècle. Celle remarquée par John Fothergill en 1773 va marquer de son nom cette affection dans les pays anglosa- xons [1]. En France, la névralgie du trijumeau (NT) va être décrite pour la première fois par Trousseau au XIX e siècle. Il va employer de façon prémonitoire le terme de « névralgie épileptiforme » dans son écrit intitulé « clinique médicale de lHôtel Dieu » de 1864 [2]. L International Headache Society définit deux types de névralgie trigéminale : clas- sique ou symptomatique. En effet, la découverte à lIRM de fréquents conflits vasculonerveux rendent obsolètes les termes anciens dessentiel ou de primaire. La névralgie clas- sique du trijumeau se distingue par deux éléments fonda- mentaux : une présentation clinique caractéristique [3] et la normalité des examens cliniques ou paracliniques. Elle est due dans la majorité des cas à une compression microvascu- laire au niveau de la racine trigéminale près de sa zone de pénétration dans le tronc cérébral. Elle présente les caracté- ristiques dune douleur centrale épileptiforme, avec crises paroxystiques sensibles aux traitements antiépileptiques. Lorsque la névralgie devient résistante au traitement médi- cal, ou lorsque celui-ci est mal toléré, différentes techniques chirurgicales peuvent être proposées en deuxième intention. Épidémiologie L incidence annuelle de la NT varie selon les études entre 4,7/ 100 000 aux États-Unis [4] et de 12 à 27/100 000 en Europe [5,6]. L écart entre ces différents chiffres peut sex- pliquer par le fait que létude américaine est basée sur le registre hospitalier de la ville de Rochester alors que les deux autres études exploitent les données de registre de médecine générale donnant donc accès à une plus large population. Même si ces chiffres semblent disparates, les études saccor- dent sur plusieurs points : dune part, une prédominance N. Cantagrel (*) · S. Fowo N Gadjou · C. Lestrade · J.-A. Lotterie · F. Bonneville · J.-C. Sol CHU Rangueil, 1 avenue Jean Poulhes, F-31059 Toulouse e-mail : [email protected] Cah. Année Gérontol. DOI 10.1007/s12612-013-0368-4

Névralgie du trijumeau chez le sujet âgé; Trigeminal neuralgia in elderly;

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Page 1: Névralgie du trijumeau chez le sujet âgé; Trigeminal neuralgia in elderly;

MISE AU POINT / UPDATE DOSSIER

Névralgie du trijumeau chez le sujet âgé

Trigeminal neuralgia in elderly

N. Cantagrel · S. Fowo N Gadjou · C. Lestrade · J.-A. Lotterie · F. Bonneville · J.-C. Sol

Reçu le 28 novembre 2013 ; accepté le 2 décembre 2013© Springer-Verlag France 2013

Résumé La névralgie trigéminale est une affection ancienne,entraînant une douleur invalidante de la face localisée surune ou plusieurs branches du nerf trijumeau. Elle affecte plussouvent la femme avec une incidence qui augmente avecl’âge. Son diagnostic est clinique sur sa forme typique, maisdes examens complémentaires sont à envisager en fonctiondes présentations symptomatiques. Le traitement médical depremière intention est basé sur la carbamazepine ou l’oxcar-bazepine. Chez les patients âgés et polymédiqués, des inter-actions médicamenteuses et le risque d’effets secondairesgênants doivent être pris en compte. L’option chirurgicaledoit être envisagée rapidement en cas d’échec médicamen-teux chez les patients résistant au traitement médical.

Mots clés Névralgie du trijumeau · Sujet âgé · Traitementmédical · Chirurgie

Abstract The trigeminal neuralgia is an old disease, respon-sible for excruciating facial pain within the distribution ofone or more branches of the trigeminal nerve. Women aremore often concerned and the incidence increases with age.The clinical examination makes the diagnosis in the classicalform but complementary imageries can be useful in someatypical cases. Carbamazepine or oxcarbazepine should beprescribed as first-line treatment. In elderly patients takingmany medications, possible drug interactions and adverseeffects must be taken into consideration. For patients with amedical-refractory form of trigeminal neuralgia, early surgi-cal option may be considered.

Keywords Trigeminal neuralgia · Elderly · Medicaltreatments · Surgery

Introduction

Si des descriptions de névralgie du trijumeau apparaissentdès l’Antiquité, les premières observations complètespubliées émergent dans la littérature scientifique à partir duXVII

e siècle. Celle remarquée par John Fothergill en 1773 vamarquer de son nom cette affection dans les pays anglosa-xons [1]. En France, la névralgie du trijumeau (NT) va êtredécrite pour la première fois par Trousseau au XIX

e siècle. Ilva employer de façon prémonitoire le terme de « névralgieépileptiforme » dans son écrit intitulé « clinique médicale del’Hôtel Dieu » de 1864 [2]. L’International HeadacheSociety définit deux types de névralgie trigéminale : clas-sique ou symptomatique. En effet, la découverte à l’IRMde fréquents conflits vasculonerveux rendent obsolètes lestermes anciens d’essentiel ou de primaire. La névralgie clas-sique du trijumeau se distingue par deux éléments fonda-mentaux : une présentation clinique caractéristique [3] et lanormalité des examens cliniques ou paracliniques. Elle estdue dans la majorité des cas à une compression microvascu-laire au niveau de la racine trigéminale près de sa zone depénétration dans le tronc cérébral. Elle présente les caracté-ristiques d’une douleur centrale épileptiforme, avec crisesparoxystiques sensibles aux traitements antiépileptiques.Lorsque la névralgie devient résistante au traitement médi-cal, ou lorsque celui-ci est mal toléré, différentes techniqueschirurgicales peuvent être proposées en deuxième intention.

Épidémiologie

L’incidence annuelle de la NT varie selon les études entre4,7/ 100 000 aux États-Unis [4] et de 12 à 27/100 000 enEurope [5,6]. L’écart entre ces différents chiffres peut s’ex-pliquer par le fait que l’étude américaine est basée sur leregistre hospitalier de la ville de Rochester alors que les deuxautres études exploitent les données de registre de médecinegénérale donnant donc accès à une plus large population.Même si ces chiffres semblent disparates, les études s’accor-dent sur plusieurs points : d’une part, une prédominance

N. Cantagrel (*) · S. Fowo N Gadjou · C. Lestrade ·J.-A. Lotterie · F. Bonneville · J.-C. SolCHU Rangueil, 1 avenue Jean Poulhes,F-31059 Toulousee-mail : [email protected]

Cah. Année Gérontol.DOI 10.1007/s12612-013-0368-4

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féminine et d’autre part, l’augmentation de l’incidence avecl’âge. Le sex-ratio femme/homme varie selon les étudesentre 1,5/1 et 2/3 mais montre toujours une atteinte plus sou-vent féminine [4,5,7]. L’âge de survenu se situe majoritaire-ment après 50 ans, l’incidence augmente significativementpar tranche de dix ans, passant dans l’étude de Koopman de14,6 pour les 60-69 ans à 25,6 chez les 70-79 ans et jusqu’à30,6 après 80 ans [5]. Il semblerait que l’hypertensionmajore également la probabilité de survenue d’une NTcomme l’ont montré plusieurs études épidémiologiquesrécentes [4-8].

Aspects cliniques

La névralgie du trijumeau classique a une présentationclinique très caractéristique dans sa forme typique. Les cri-tères nécessaires pour retenir le diagnostic de névralgie clas-sique selon The International Headache Society sont [9] :

• a) présence de crises paroxystiques douloureuses durantune fraction de seconde à deux minutes, affectant une ouplusieurs divisions du nerf trijumeau et répondant aux cri-tères b) et c) ;

• b) douleur qui présente au moins une des caractéristiquessuivantes : 1) intense, aiguë, superficielle ; 2) provoquéepar l’attouchement d’une ou plusieurs zones gâchettes oupar des facteurs déclenchants ;

• c) crise stéréotypée pour chacun des patients ;

• d) absence de déficit neurologique cliniquement évident ;

• e) non attribuée à une autre affection.

Les accès douloureux paroxystiques sont décrits commede violentes décharges électriques, des éclairs douloureuxfulgurants ou parfois des sensations de broiement, d’étauou d’arrachement. Deux tiers des patients rapportent unedouleur modérée à extrêmement intense avec un retentisse-ment sur la qualité de vie, tant au niveau des activités géné-rales que de l’humeur [7]. Les accès douloureux sont brefs,durant quelques secondes et peuvent se regrouper en salvesqui durent une à deux minutes. Les conditions de déclenche-ment de la douleur sont caractéristiques et en rapport avecl’excitation directe par attouchement ou simple effleurementd’un territoire cutané ou muqueux appelé « zone gâchette ».Cette zone d’étendue limitée siège le plus souvent dans leterritoire douloureux : pli nasogénien, commissure labiale,menton, lèvre supérieure, aile du nez, gencives, rendant lesactes de la vie courante tels que le rasage, le brossage desdents, le maquillage impossibles [10]. Les accès douloureuxpeuvent également être provoqués par des stimuli indirectscomme la parole, la déglutition, le rire ou la mimique. Ladouleur est suivie par une période réfractaire pouvant durerplusieurs minutes et pendant laquelle la stimulation de cettezone n’entraîne plus de douleur. Le nombre moyen d’épiso-

des douloureux est de trois, la durée moyenne des périodesdouloureuses étant de 49 jours. Dans 95 % des cas, la dou-leur est unilatérale et touche plus fréquemment le maxillaireinférieur ou supérieur et de façon plus rare le territoire oph-talmique (moins de 5 %) [4].

L’examen clinique réalisé en dehors des crises est normal.Tout examen neurologique mettant en évidence un déficit dela sensibilité de la face, une atteinte des branches motrices,une abolition du reflexe cornéen doit faire rechercher unecause secondaire. Un examen clinique normal n’exclutcependant pas une origine tumorale compressive, il faudradonc être attentif à l’âge de début des symptômes ainsi qu’àla topographie douloureuse.

Physiopathologie

La névralgie classique du trijumeau est liée dans plus de95 % des cas à la présence d’une compression vasculaireau niveau de la racine trigéminale sensitive, entre les por-tions périphériques (schwanniennes) et centrale (oligoden-drogliale) de celle-ci près de sa zone de pénétration auniveau de la protubérance [11]. Les microtraumatismes crééspar la compression ou les pulsations vasculaires sont à l’ori-gine d’anomalies spécifiques de la racine trigéminale à typede démyélinisation/remyélinisation du nerf et création decourts circuits entre les fibres nerveuses lésées (éphapses).Ces lésions des neurones afférents entraînent une hyperexci-tabilité axonale se traduisant par des décharges paroxysti-ques qui participent à la création d’une hypersensibilisationet hyperactivité des noyaux trigéminaux au niveau du tronccérébral à l’origine de cette double composante périphériqueet centrale de la douleur. L’arrêt des crises et la périoderéfractaire résultent d’une hyperpolarisation cellulaire secon-daire à un influx de potassium rendant le nerf réfractaire àd’autres stimulations [12].

Formes cliniques

En dehors des formes classiques typiques les plus fréquen-tes, il existe des expressions symptomatiques inhabituellescompliquant le diagnostic. Devant tout élément sémiolo-gique atypique il faudra remettre en cause le diagnostic denévralgie classique et évoquer la possibilité d’une névralgiesymptomatique [13].

Formes vieillies

Au cours de son évolution, la NT classique peut perdre cer-tains de ces caractères typiques et évoluer sur un modecontinu avec un fond douloureux permanent de type brûlureou tension. Les crises paroxystiques sont alors devenues plus

2 Cah. Année Gérontol.

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rares et peuvent passer au second plan surtout si le patient estsous traitement médical, mais elles ont existé au début de lapathologie et donc doivent être recherchées attentivement àl’interrogatoire. De plus, les interventions neurochirurgica-les peuvent induire une hypoesthésie voire une anesthésiesur un territoire du trijumeau rajoutant à la symptomatologiedes douleurs neuropathiques séquellaires. Enfin la bilatérali-sation de la douleur est possible mais rare (5 %) et toujourssecondaire à une localisation initiale unilatérale.

Participation vasomotrice

Certaines crises douloureuses peuvent s’accompagner dephénomènes vasoactifs à type de rougeur de l’hémiface, delarmoiement et rhinorrhée. Ces manifestations sont plus fré-quemment observées lors de l’atteinte de la branche ophtal-mique du trijumeau. Ces formes sont de diagnostic différen-tiel difficile avec les algies vasculaires de la face, d’autantque ces dernières peuvent coexister avec d’authentiquesnévralgies trigéminales.

Formes symptomatiques

Ces formes cliniques se distinguent par une douleur souventplus continue, pouvant atteindre d’emblée plusieurs bran-ches du trijumeau et notamment la branche ophtalmique,une absence de zone gâchette déclenchant la douleur. Ledébut peut se faire à n’importe quel âge, mais d’avantageavant 50 ans. L’examen neurologique est souvent anormal,mettant en évidence un déficit sensitif cutanéomuqueux,anomalie du réflexe cornéen ou atteinte motrice masticatrice.Une atteinte bilatérale doit faire évoquer une cause secon-daire et notamment une sclérose multiloculaire. Les étiolo-gies sont nombreuses, pouvant être aussi bien tumorales,qu’infectieuses ou inflammatoires. Il faudra donc rechercherune lésion structurelle identifiable lors d’investigations cli-niques et paracliniques.

Imagerie

L’imagerie par résonnance magnétique constitue l’examenindispensable dans l’exploration des névralgies trigéminaleset doit être réalisée de façon systématique. L’examen stan-dard en coupes épaisses a pour but d’éliminer une névralgiesymptomatique en rapport avec une malformation de la basedu crâne, une sclérose en plaques, une lésion du tronc céré-bral ou processus tumoral de l’angle pontocérébelleux(Fig. 1). L’IRM conventionnelle n’est cependant pas suffi-samment performante pour identifier un conflit vasculoner-veux. Le dépistage des conflits vasculonerveux est permispar la réalisation de trois séquences particulières complé-mentaires en coupes fines 3D-T1 avec injection de gadoli-

nium, 3D-T2 haute résolution et angio-RM-TOF [14] (Fig.2). Dans une étude portant sur 579 patients explorés auniveau de l’angle pontocérébelleux pour névralgie trigémi-nale, il a été mis en évidence sur l’IRM, une compressionmicrovasculaire dans 96,7 % des cas en rapport avec l’artèrecérébelleuse supérieure chez 88 % des patients [15]. Lesconflits vasculonerveux étaient localisés au niveau juxtapon-tique près de la zone d’entrée de la racine dans le pont dansplus de 50 % des cas. De plus, les séquences complémen-taires haute résolution ont une sensibilité diagnostique éle-vée de 96 % pour la prédiction de la présence d’un conflit, de85,5 % pour la prédiction du type de vaisseau responsable(artère ou veine), avec une valeur prédictive positive de100 %. L’imagerie permet également d’apprécier le degréde compression nerveuse dans 82 % des cas, donnée indis-pensable au chirurgien car corrélée au résultat clinique à longterme des décompressions microvasculaires [15]. Ainsi, dufait des progrès de l’imagerie, si l’exploration systématiquede la fosse postérieure était prônée par certains chirurgiensdevant toute névralgie trigéminale, il semblerait actuelle-ment qu’en l’absence de conflit microvasculaire identifiable

Fig. 1 Patiente âgée de 75 ans présentant une névralgie faciale

gauche symptomatique en rapport avec une compression du nerf

trijumeau par un méningiome de la pointe du rocher (flèche). A :

image 3DT1 avec gadolinium. B : image 3DT2 visualisant très bien

la compression du nerf dans son trajet cisternal

Fig. 2 Patiente âgée de 80 ans présentant une névralgie faciale

gauche classique. A : image 3DT1 avec gadolinium visualisant

l’artère cérébelleuse supérieure en hypersignal qui comprime le nerf

trijumeau (flèche) au niveau de la zone d’entrée de racine

dans le pont. B : image 3DT2-haute résolution. On notera

le contraste entre le liquide cérébrospinal qui apparaît blanc et l’ar-

tère en hyposignal

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sur l’IRM et plus particulièrement chez les patients âgés, ilsoit licite de proposer plutôt une technique percutanée ouradiochirurgicale.

Traitement médical

Les antiépileptiques

Le traitement de référence à ce jour est la carbamazépine(CBZ) qui réduit la fréquence et l’intensité des crises dou-loureuses. Elle doit être introduite progressivement afind’éviter ou limiter les effets indésirables des premiers joursqui sont dose-dépendants : somnolence, ébriété, intolérancedigestive. Ceci est particulièrement vrai chez le sujet âgé oules risques d’ataxie et de chutes sont élevés. La posologie dedépart est de 100 mg/j deux fois par jour avec une augmen-tation de 50-100 mg tous les 3-4 jours jusqu’à la disparitiondes accès névralgiques [16]. Les doses analgésiques sontextrêmement variables d’un patient à l’autre, voire d’unepoussée à l’autre, et doivent donc être déterminées par titra-tions successives jusqu’à efficacité ou apparition d’effetsindésirables. Pour atteindre des concentrations plasmati-ques efficaces (5 à 10 mg/l), des doses de 600 à 800 mg/jen deux ou trois prises sont habituelles, exceptionnelle-ment des doses plus élevées de 1200 voire 1600 mg sontnécessaires [17].

L’efficacité du produit, démontrée dans la littérature parquatre études cliniques contrôlées contre placebo (études declasse I) totalisant 147 patients, est rapide, de l’ordre de 24 à48 heures et spécifique, constituant pour certains auteurs unvéritable test diagnostique [16-19]. L’activité analgésique estmesurée à la fois sur l’intensité et la fréquence des paroxys-mes douloureux, qu’ils soient spontanés ou en rapport avecune stimulation de la zone gâchette [16]. À court terme, dèsles huit premiers jours de traitement, 60 % des patientsvoient disparaître complètement leur douleur, 20 % sontaméliorés et 20 % sont considérés comme résistants. À longterme, les résultats sont plus décevants, nécessitant des réa-justements de posologie lors des poussées évolutives de lamaladie. Dans certains cas, il est décrit un véritable épuise-ment thérapeutique conduisant à un changement d’antiépi-leptique ou à l’adjonction d’un deuxième produit. Dans uneétude rétrospective de Taylor, 143 sujets suivis sur 5 à16 ans, seuls 22 % des patients sont soulagés à long termepar la CBZ, on observe un taux d’échec de 25 % et de rechu-tes à quatre ans de 13 % [20].

Les contraintes d’utilisations de la CBZ sont représentéespar ses interactions médicamenteuses et effets secondaire[21-22].

En moyenne, 20 % des sujets traités par la CBZ présen-tent des effets indésirables, mais le risque individuel estvariable et plus élevé chez les sujets âgés et en cas d’aug-

mentation rapide de la posologie. En moyenne, les étudescontrôlées signalent 10 % d’arrêt pour intolérance. Les pre-miers sont essentiellement des troubles de la vigilance, trou-bles digestifs et signes d’atteinte du tronc cérébral (dysar-thrie, diplopie, vertige…), ils disparaissent habituellementlorsque la posologie est réduite. Les effets indésirables gra-ves de la CBZ sont rares (5 % des cas), de type idiosyncra-siques, c’est-à-dire allergiques et indépendants de la dose. Ilsse manifestent par une anémie mégaloblastique, une agranu-locytose, des intolérances cutanées ou syndrome d’hyper-sensibilité, une cytolyse hépatique nécessitant une surveil-lance hépatique et hématologique systématique. Enfin dessignes d’intoxication chronique peuvent s’installer plus insi-dieusement, associant divers troubles des fonctions sup-érieures (apathie, troubles mnésiques, ralentissement psy-chomoteur…) ou effets endocriniens et métaboliques(diminution des hormones thyroïdiennes, hypersécrétion devasopressine avec hyponatrémie...).

L’oxcarbazépine (OXC) (Trileptal®), analogue structurelcétodérivé de la CBZ, présente une meilleure tolérance[23,24]. Pour certaines équipes, l’OXC pourrait même dece fait constituer le traitement de première intention de lanévralgie trigéminale essentielle [25]. L’OXC est débutée àune posologie de 600 mg/j en deux prises et peut être aug-mentée jusqu’à 1200 voire 2400 mg dans les névralgiesréfractaires. L’OXC nécessite une surveillance biologiquede la natrémie à l’introduction. Elle induit moins d’allergiescutanées et interactions médicamenteuses. Trois études cli-niques contrôlées portant sur 130 patients au total ont montréune activité analgésique très significative et comparableentre l’OXC et la CBZ avec une bonne tolérance chez60 % des patients [26]. Plus récemment il a été rapporté dansune étude prospective ouverte une activité analgésique del’OXC chez deux tiers des patients résistant à la CBZ. L’ef-ficacité de la molécule semble cependant également dimi-nuer au long cours, après 13 ans d’évolution sous OXC,12 patients sur 15 présentant une névralgie faciale réfractaireà la CBZ ont dû avoir recours à la chirurgie [27]. L’utilisa-tion d’OXC est contre-indiquée en cas d’allergie prouvée àla CBZ (risque d’allergie croisée évalué à 25 %) [28].

Si aucun de ces deux bloqueurs des canaux sodiques n’ar-rivent à stabiliser les crises douloureuses, l’étape suivante estla consultation neurochirurgicale.

Autres antiépileptiques

La phénytoïne (Dihydan®)

Premier traitement antiépileptique utilisé dans la névralgietrigéminale, l’efficacité de la phénytoïne rapportée dans plu-sieurs études cliniques ouvertes chez 60 % des patients àcourt terme, n’a cependant jamais été démontrée par desétudes contrôlées [29]. À plus long terme, des phénomènes

4 Cah. Année Gérontol.

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de tachyphylaxie se développent et seulement 30 % des casrestent soulagés à deux ans [22]. Ses effets secondaires sontnombreux (ataxie, nystagmus, syndrome cérébelleux, gingi-vite hypertrophique et beaucoup plus rarement thrombopé-nie ou agranulocytose) et sont décrits chez 10 % des patients[30]. Pour ces diverses raisons, la phénytoïne n’est plusconsidérée actuellement comme un traitement de premièreintention de la névralgie trigéminale essentielle.

Le valproate de sodium (Dépakine®)

Molécule agoniste GABA, l’acide valproïque est peu utilisé.Une étude ouverte a montré qu’aux doses utilisées pour laprévention des crises comitiales (600 à 1000 mg/j), l’acidevalproïque pourrait être efficace sur la névralgie trigéminaleuniquement dans 50 % des cas [31]. Les effets indésirablessont représentés par une prise de poids, des tremblements,une alopécie ou des hépatites toxiques nécessitant une sur-veillance biologique.

Lamotrigine (Lamictal®)

C’est un bloqueur des canaux sodiques et antagoniste duglutamate. Il peut être utilisé entre 200 et 600 mg dans lesnévralgies trigéminales résistantes au Tégrétol où une effica-cité initiale de 80 % a été rapportée dans une étude contrôléecontre placebo [32]. Les effets secondaires bénins les plusfréquents rapportés dans plusieurs séries de cas sont à typede céphalées, nausées, constipation, éruption cutanée[33,34]. La contrainte majeure est le risque d’allergie cuta-née grave (syndrome de Stevens-Johnson ; 1/10000) impo-sant une posologie de départ faible de 25 mg deux fois parjour avec une augmentation très progressive des doses de50 mg/semaine.

Gabapentine (Neurontin®), Prégabaline (Lyrica®)

Plusieurs études ouvertes de faible niveau de preuve etrevues de la littérature rapportent une efficacité de la gaba-pentine seule ou en association dans la névralgie trigéminalepour des posologies variant entre 900 et 2400 mg/j [20,35-37]. Cheshire et al. rapportent dans une étude rétrospectiveréalisée chez 92 patients une activité analgésique dans plusde deux tiers des cas, se maintenant jusqu’à huit mois desuivi [36]. Les effets secondaires sont modérés et souventinitiaux (somnolence, fatigue, lenteur intellectuelle). Ils peu-vent être atténués par une introduction très progressive surun mois. La prégabaline agit également sur les canaux calci-ques comme la gabapentine, avec des effets très proches àdes doses de 600 à 900 mg/j. Obermann et al. rapportentdans une étude prospective une efficacité chez 75 % despatients après huit semaines de traitement [38]. Ces résultatsanalgésiques ont été confirmés par Perez et al. dans une

étude prospective multicentrique qui rapporte 60 % depatients répondeurs ainsi qu’une diminution des coûts glo-baux de la maladie sous traitement [39].

Autre traitement

Le baclofène (Liorésal®)

Le baclofène a une structure proche de celle de l’acide γ-aminobutyrique (GABA) et se comporte comme un agonistedes récepteurs de type GABA-B. Le baclofène a d’abord étéutilisé comme un antispastique d’action centrale, son effica-cité dans la névralgie trigéminale a été rapportée pour la pre-mière fois par Fromm et al. chez des patients réfractaires ouintolérants à la CBZ [40]. Depuis ces premiers résultats, troisétudes contrôlées et randomisées sur de faibles effectifs depatients ont confirmé l’efficacité du baclofène seul ou enassociation avec la CBZ dans la névralgie trigéminale [40-43]. L’efficacité initiale du baclofène et en particulier l’iso-mère lévogyre (L-baclofène) est comparable à celle de laCBZ (70-80 % de répondeurs) mais après cinq ans, seuls30 % des patients restent soulagés [40,44]. Ceci expliqueque dans la plupart des cas le baclofène est prescrit en casd’échappement thérapeutique en association et pour poten-tialiser l’action de la CBZ [42]. On utilise des doses voisinesde celles utiles dans la spasticité (30 à 90 mg en trois prises/j). Les effets secondaires sont à type de somnolence, nau-sées, vertiges, confusion et parfois épilepsie avec 10 % d’ar-rêts initiaux pour intolérance. Le traitement ne doit jamaisêtre interrompu de façon brutale en raison d’un risque derebond des accès douloureux ou d’apparition d’un syndromede sevrage.

Traitement chirurgical

Depuis Maréchal et André qui au XVIIIe siècle ont tenté de

traiter des névralgies trigéminales en sectionnant le nerfsous-orbitaire, un nombre important d’interventions chirur-gicales ont été proposées [45]. Parmi les techniques actuel-les, proposées dans la prise en charge des névralgies classi-ques, on distingue deux grands types de méthodes. Lespremières correspondent à l’interruption des voies nocicep-tives trigéminales, elles sont dites « lésionnelles » ou « des-tructrices ». Elles sont réalisées soit par des techniques per-cutanées soit par irradiation stéréotaxique (radiochirurgie).Le second type de méthodes dites « conservatrices » est réa-lisé par abord direct intracrânien et permet par des tech-niques microchirurgicales de lever le conflit vasculonerveuxau niveau de la racine trigéminale et de la maintenir à dis-tance par un tissu synthétique protecteur.

Cah. Année Gérontol. 5

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Les techniques lésionnelles

Les méthodes percutanées

• Thermocoagulation percutanée rétrogassérienne : cettetechnique décrite par Kirchner en 1931, puis modifiée parSweet en 1969, consiste à introduire une électrode par tech-nique percutanée à travers la joue et le foramen ovale et à lapousser postérieurement jusqu’au bord supérieur du rochersous contrôle radiologique et brève anesthésie générale intra-veineuse. La vérification de la position de l’extrémité del’électrode est faite chez le patient réveillé par électrostimu-lation [46-48]. La lésion thermique de 60 à 70°C appliquéesur le nerf sensitif permet de détruire les petites fibres noci-ceptives Aδ et C. Le critère d’efficacité de la thermocoagu-lation est l’obtention au réveil du patient d’une anesthésiecutanée, centrée sur la zone gâchette et couvrant uniquementet totalement le territoire névralgique ;dans la série de Sindou et al. de 2800 cas opérés et suivisavec un recul d’1 à 26 ans, le taux de sédation complète dela douleur est de 99 % avec un taux de récidive inférieur à10 % des cas [47]. Ce taux de récidive relativement faibleétait obtenu au prix d’une hypoesthésie marquée dans leterritoire névralgique chez la plupart des patients. Cettehypoesthésie s’avérait gênante dans 5 % des cas. La mor-talité rapportée était nulle et les complications relativementfaibles : anesthésie douloureuse (1 %), anesthésie cor-néenne et kératite rebelle (1,5 %), atteinte déficitaire dunerf trochléaire (0,5 %), paralysie masticatrice, parfois per-sistante et gênante (2 %) [47]. Une revue récente réaliséepar Tatli et al. sélectionnant les principales séries de la lit-térature comportant un minimum de 30 patients avec unrecul d’au moins cinq ans confirme ces résultats avec untaux de guérison immédiate compris entre 81 % et 99 %[49]. Le taux de récidive est variable suivant les séries maisnon négligeable, Kanpolat et al. décrivent dans leur étude,portant sur 1600 patients avec un suivi de 25 ans, un tauxde guérison de 43 % [50] ;compression par ballon percutané du ganglion de Gasser :cette technique mise au point par Mullan et Lichtoren 1983 consiste à gonfler un ballon à l’intérieur du cavumde Meckel afin de comprimer les fibres nerveuses du ple-xus triangulaire rétrogassérien et l’origine de la racine pos-térieure sensitive du trijumeau au niveau de l’angle ponto-cérébelleux [51]. Il s’agit d’une intervention réalisée parvoie percutanée sous anesthésie générale de brève durée.Kéravel et al. à partir de sa série personnelle et d’une revuede la littérature sur plus de 1300 cas, rapporte une sédationcomplète des douleurs en postopératoire variant entre 80 et100 % des cas avec un taux de récidive qui s’établitapproximativement entre 8 et 45 % [52]. Les complica-tions postopératoires restent rares, à type de poussée d’her-pès péri-oral, parésie masticatrice, méningite ou hématome

facial. Toutes les séries rapportent la présence postopéra-toire de troubles sensitifs avec risques d’hypoesthésie cor-néenne et kératite mais soulignent la fréquence très faiblede ces complications qui se révèlent beaucoup plus raresqu’avec la thermocoagulation du ganglion de Gasser.Ainsi, les meilleures indications de cette technique concer-nent les patients trop âgés ou présentant une contre-indication à la chirurgie ouverte de décompression micro-vasculaire, les névralgies survenant dans le cadre des sclé-roses en plaques, ou celles incluant le territoire du nerfophtalmique (V1) ;la radiochirurgie : l’arsenal thérapeutique de la prise encharge de la névralgie essentielle du trijumeau intègre laradiothérapie externe depuis 1951 avec une utilisation quis’est développée dans les années 1990 grâce à la radiothé-rapie à dose unique avec la mise au point du Gamma knife.Cette technique de traitement nécessite une précisionbalistique élevée en raison de la dose importante à délivrer(90 Gy en une séance). Deux types de cibles différentesont été décrites dans la littérature [53]. Une cible trigémi-née située sur le nerf trijumeau au niveau de sa zoned’émergence du tronc à la protubérance (Root Entry Zone)décrite par l’équipe de Pittsburgh. Une cible rétrogassé-rienne au niveau du plexus triangularis utilisée parl’équipe marseillaise. L’efficacité thérapeutique de l’irra-diation est très probablement liée à la présence d’unedégénérescence partielle avec démyélinisation du nerf etperte axonale [54]. L’analyse de la littérature reste difficiledans les résultats car peu de séries prospectives ont étépubliées. Régis et al. dans une étude prospective réaliséesur 100 patients traités par Gamma knife, rapportent pourune dose moyenne de 85 Gy délivrée au niveau du plexustriangularis un taux de contrôle de la douleur à un an de88 % et de 58 % à deux ans [55,56]. L’équipe de De Sallesconfirme ces bons résultats en 2010 chez 60 % des patientstraités par un accélérateur linéaire de type Novalis auniveau de la REZ (absence de douleur et absence de médi-caments) [57].

La disparition de la douleur initiale est constatée chez88,9 % des patients après un délai médian de 15 jours (extrê-mes : 0-72 semaines) [55]. Ils notent une récidive des dou-leurs après soulagement initial dans 34 % des cas avec undélai médian de dix mois. Enfin, dans cette large série, leseffets secondaires sont minimes et retrouvés chez 12,9 % despatients avec un recul médian de 12 mois. Une atteinte fonc-tionnelle du nerf trijumeau à type d’hypoesthésie est retrou-vée chez 17 % des patients à cinq ans. Aucun trouble oph-talmologique à type de sécheresse oculaire ou d’altération duréflexe cornéen ou d’atrophie du masséter n’a été décelédans cette série. Il n’a pas été retrouvé par ailleurs de douleurneuropathique ni anesthésie douloureuse de la face impu-table à la radiochirurgie.

6 Cah. Année Gérontol.

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La décompression vasculaire microchirurgicale(DVMC)

L’intervention est fondée sur le fait qu’il existe dans la plu-part des névralgies trigéminales essentielles un conflit vas-culonerveux entre le entre le nerf trijumeau et un vaisseau devoisinage. La compression vasculaire entraîne une distorsioncompression du nerf, provoquant ainsi des lésions chroni-ques des fibres nerveuses en particulier au niveau de la zoned’entrée de la racine dans le tronc cérébral. Le but de laDVMC est de lever la compression vasculaire sur la racinesans porter atteinte à celle-ci, c’est-à-dire de réaliser une chi-rurgie curative et parfaitement conservatrice pour le nerf(Fig. 3). Cette intervention est réalisée sous anesthésie géné-rale à l’aide des techniques microchirurgicales. L’angle pon-tocérébelleux est abordé selon la technique décrite parJanetta par une craniotomie rétromastoïdienne, pour accéderà la racine du trijumeau et au contact vasculonerveux encause [58].

Les deux grandes séries françaises publiées font état derésultats comparables et extrêmement positifs, avec un tauxde sédation complète de la douleur sans traitement médicalsupérieur à 85 % immédiatement après la chirurgie, de 91 %à un an et supérieur à 70 % au terme du suivi (huit et dix ansen moyenne) [59]. Tatli et al. confirment ces résultats et rap-portent dans une revue récente de la littérature regroupant16 séries et 4 884 patients une sédation complète des dou-leurs, pour la période initiale de 76,4 à 98,2 % et de 62 à89 % au terme du recul moyen de 6,7 ans [60]. Sindou etal. rapportent au terme de leur suivi moyen de huit ans untaux d’échec de 15,1 % des patients, avec cependant 5 % depatients ayant un bon contrôle des douleurs mais nécessitantun traitement médicamenteux associé [59]. Les taux de mor-talité rapportés dans la littérature sont faibles et comprisentre 0 et 1,2 %. Dans la plupart des cas où la cause était

précisée, la mortalité était due à des accidents ischémiquesdu cervelet ou du tronc cérébral. Les complications les plusfréquemment rapportées dans la littérature sont : perte d’au-dition (0,8 à 4,5 %), troubles de l’équilibre (0,2 à 2,7 %),paralysie faciale (0 à 1 %), diplopie par paralysie trochléaire(0,5 à 1 %), fuites de liquide cérébrospinal (2 à 17 %). Lesperturbations sensitives postopératoires dans les territoiresdu trijumeau en rapport avec des décompressions microvas-culaires pures restent rares, avec des taux d’hypoesthésies oudysesthésies faciales inférieurs à 1 %.

Choix thérapeutique

La prise en charge de la névralgie classique du trijumeau estcomplexe et basée sur des critères d’efficacité et de tolérance[61]. En première intention, le traitement médical s’imposeet ce n’est que devant un échec de celui-ci (absence d’effi-cacité, effets secondaires) que les différentes techniques chi-rurgicales sont proposées. En deuxième intention, il estnécessaire de vérifier qu’il s’agit bien d’une névralgie clas-sique et que les autres causes de névralgies symptomatiquesont été éliminées. Dans tous les cas, un bilan d’imagerieIRM encéphalique s’impose.

Pour les patients en bon état général, et présentant unecompression microvasculaire visible sur l’examen IRMhaute résolution, la décompression microchirurgicale resteselon les recommandations et avis d’experts la premièreoption à envisager. Il s’agit de la technique la plus conserva-trice (absence de lésion du nerf) qui permet en levant leconflit vasculonerveux de traiter immédiatement et vérita-blement la cause de la douleur. Le recul est désormais suffi-sant pour juger de l’efficacité de cette technique qui amène àun pourcentage de guérison à long terme avoisinant 80 %avec de faibles risques de complications et le plus faible tauxde récidive à distance.

Si la décompression vasculaire n’est pas souhaitée par lepatient (risques chirurgicaux), chez les patients trop âgés ouen état général précaire, dans les névralgies secondaires àune maladie démyélinisante, ou lorsque l’IRM ne met enévidence aucun conflit vasculaire, les méthodes d’interrup-tion percutanée peuvent être proposées. Il s’agit de méthodeslésionnelles qui permettent d’obtenir un effet analgésiqueimmédiat au prix d’une hypoesthésie obligatoire responsabled’un inconfort ou d’une gêne fonctionnelle à distance. Lechoix entre thermorhizotomie ou compression par ballonest affaire de préférence et d’expérience de l’équipe chirur-gicale. Notre tendance est de proposer la thermorhizotomiepour les douleurs localisées dans les territoires V2 et V3 àdistance du territoire ophtalmique et plus volontiers récidi-vantes. Nous réservons la technique de microcompressionpar ballon pour traiter les névralgies en rapport avec unesclérose en plaques ou les douleurs atteignant le territoire

Fig. 3 Patiente âgée de 67 ans présentant une névralgie faciale

droite classique et hyperalgique. A : photo peropératoire

de la patiente opérée par voie supracérébelleuse. L’artère cérébel-

leuse supérieure est en contact avec la face inférieure de la racine

du nerf trijumeau (flèche) au niveau de sa zone d’entée dans le pont

et entraîne une déformation du trajet du nerf. B : photo en fin

d’intervention, l’artère a été transposée vers l’avant (flèche)

et maintenue à distance du nerf par une bandelette de Teflon. V :

nerf trijumeau. VIII : nerf cochléovestibulaire

Cah. Année Gérontol. 7

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ophtalmique, cette technique comportant moins de risqued’anesthésie et de lésion cornéenne à distance. Ces tech-niques percutanées peuvent être réitérées devant la présencede douleurs récidivantes. La place de la radiochirurgie resteencore à définir. De plus en plus d’équipes neurochirurgica-les proposent la radiochirurgie en deuxième intention eninsistant sur son efficacité et sa relative innocuité (faible tauxd’hypoesthésie). Le délai de programmation nécessaire à lamise en place de la radiothérapie et le délai d’efficacité anal-gésique moyen évalué à 15 jours limitent l’utilisation decette technique dans les états de mal névralgique pharmaco-résistant nécessitant un soulagement immédiat.

Conclusion

La névralgie classique du trijumeau est une affection quitouche essentiellement le sujet âgé avec une prédominanceféminine. Il s’agit d’une affection entraînant une souffranceextrême et un retentissement sur la qualité de vie important.Son diagnostic est clinique et répond à des critères stricts declassification. Un minimum d’investigation est à prévoiravec notamment réalisation d’une imagerie de type IRM auniveau de l’angle pontocérébelleux. Son traitement de pre-mière intention reste médical et axé sur la carbamazépine oul’oxcarbazépine qui constitue un véritable test diagnostique.L’âge du patient et son état général déterminera dans undeuxième temps en cas d’échec médicamenteux la techniqueneurochirurgicale à envisager. D’autres possibilités médica-menteuses existent mais sont actuellement situées en troi-sième intention ou en cas de contre-indication absolue àtoute intervention neurochirurgicale. La radiochirurgiesemble être une technique intéressante hors crise doulou-reuse importante et en tenant compte de son action retardéeantalgique.

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