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I La Croix I LUNDI 22 DÉCEMBRE 2008 I 5 I MONDE I Au Brésil, les Noirs revendiquent plus de droits L’inégalité entre communautés est profonde dans un pays aux fausses allures de démocratie raciale SÃO PAULO De notre correspondant L e Brésil est un des pays les plus métissés de la planète. Plus d’un citoyen sur deux y possède des origines africaines, soit environ 80 millions de per- sonnes. Pourtant, cette majorité est invisible. Chanteurs, acteurs, hommes politiques, chefs d’entre- prise, tous ceux qui font l’actualité des médias ont en commun d’être blancs. Et quand un homme de couleur s’impose à la une des journaux, il s’agit généralement d’un footballeur. « Où sont les Noirs ? », demande perfidement Claudette Alves, la première femme noire élue con- seillère municipale de São Paulo. Membre du parti présidentiel au pouvoir, le Parti des travailleurs, elle est devenue au fil des années un des porte-parole les plus virulents et écoutés de la communauté. Dans son bureau du centre de São Paulo, où tous ses conseillers personnels sont noirs, une photographie accrochée au mur la montre en compagnie du président de la Ré- publique, Luis Inacio Lula da Silva. Sur un autre mur, un tableau repré- sente une nourrice noire donnant le sein à un nouveau-né blanc. Une représentation presque naïve de la soumission des Noirs qui, selon Claudette Alves, perdure, 120 ans après l’abolition de l’esclavage. « Le Brésil est un pays extrêmement raciste où la démocratie raciale est un mythe, une vaste farce qui sert à cacher sous le tapis une discrimi- nation contre les Noirs qui n’a rien à envier à l’ancien régime d’apartheid en Afrique du Sud », assène-t-elle calmement. Au conseil municipal de São Paulo, une des villes proportion- nellement les plus noires du pays, deux élus sur cinquante sont afro- descendants. Au Congrès de Bra- silia, 6 % des sénateurs et 9 % des députés fédéraux sont noirs. Au sein de l’Assemblée législative de l’État de São Paulo, la plus puissante de la fédération brésilienne, 5 % des sièges sont occupés par des Noirs. Tous les indicateurs socio-écono- miques ayant trait à l’éducation, la pauvreté, l’emploi ou la santé s’affichent largement en défaveur des Noirs. Ils représentent 64 % des 50 millions de pauvres que compte le pays. Une récente étude de l’Institut de recherche économique appliquée (Ipea), organisme de recherche lié au gouvernement, montre que l’image du pauvre est directement associée avec celle de la négritude. « Bien que fréquemment considérée comme une discrimination de classe, la discrimination raciale est un phénomène marquant de la société brésilienne, note l’Ipea. Les mécanismes raciaux de discrimina- tion opèrent dans les espaces sociaux et économiques les plus avancés de la société. » La création, début 2008, d’un ministère de l’égalité raciale est une des initiatives gouverne- mentales pour réduire le fossé entre Blancs et Noirs. Mais il s’agit d’une goutte d’eau dans un océan de problèmes, et beaucoup militent désormais pour une plus ample re- connaissance sociale et politique de cette majorité silencieuse. La communauté s’organise, comme par exemple dans la seule université privée noire d’Améri- que du Sud. Située à Barra Funda, dans un quartier populaire de São Paulo, Unipalmares accueille 2 000 étudiants dont 90 % d’afro- descendants. « Lorsqu’une initia- tive est prise en faveur des Noirs, les critiques fusent pour dire que c’est du racisme contre les Blancs, s’emporte José Vicente, le recteur de l’université. La loi fédérale ins- tituant des quotas raciaux pour permettre aux Noirs d’accéder plus facilement à l’université attend de- puis des années d’être votée par le Congrès. Les Noirs doivent donc dès maintenant créer leurs propres outils pour augmenter leur représentativité au sein de la société. » Inaugurée il y a cinq ans par le président Lula, qui ne manque ja- mais de participer aux remises de diplômes de fin d’année, l’institu- tion attire également, par ses frais d’inscription bien moins élevés qu’ailleurs, des étudiants blancs des classes modestes. Actuellement, dans les entreprises brésiliennes, 3 % des postes de cadres sont occupés par des Noirs. Ces employés, à poste égal, gagnent en moyenne moitié moins que leurs collègues blancs. STEVE CARPENTIER Tous les indicateurs socio-économiques s’affichent largement en défaveur des Noirs. Pour son avenir, le Monténégro mise sur l’Europe Le premier ministre monténégrin, Milo Djukanovic, veut garantir la stabilité de son pays en déposant sa demande d’adhésion à l’UE PODGORICA De notre envoyée spéciale U ne vieille plaisanterie you- goslave affirme que les pre- miers mots d’un nouveau-né monténégrin sont : « Où est la route pour Belgrade ? » Mais les temps ont changé, depuis le 3 juin 2006 où le Monténégro a proclamé son indépendance. Lundi dernier, le premier ministre, Milo Djukanovic, a d’ailleurs changé la devinette en posant officiellement à Paris la can- didature à l’Union européenne de ce petit pays montagneux et médi- terranéen de 680 000 habitants. Les bébés monténégrins gazouilleront dorénavant : « Où est la route pour Bruxelles ? » Pourtant, les milieux diplomati- ques européens auraient préféré que le Monténégro réfrène son enthousiasme, jusqu’à l’entrée en vigueur espérée du traité de Lisbonne. Mais Milo Djukanovic, 47 ans, dinosaure yougoslave, au pouvoir depuis 1991, n’a eu aucune hésitation. « La stabilité est la ques- tion clé des Balkans, explique-t-il, et après un siècle de guerres, elle passe par l’intégration européenne. » Le premier ministre, 1 m 98 de courtoisie hâlée, est serein. « Il était important pour nous de montrer qu’il n’y a pas de discontinuité dans le processus d’adhésion des Balkans occidentaux. Certains pays doivent être une locomotive dans la région. Rejoindre l’UE n’est pas un rêve. » L’homme a l’habitude de convain- cre. Son surnom est « Britva », le rasoir de barbier à la lame précise, sûre et habile. Au Monténégro, on parle de « Milo » avec fierté et aga- cement tout à la fois. Le premier ministre ne manque pas de détrac- teurs. Même la candidature à l’UE devient suspecte dans ce pays à 70 % proeuropéen. « C’est une manœuvre préélectorale ! », déclare Daliborska Uljarevic, du Centre de formation civique à Podgorica. Des élections législatives anticipées sont prévues d’ici à l’automne prochain. Dans les cafés bordant la rivière Moraca, en face du bâtiment du gouvernement, on murmure sur- tout que la démarche vise à cacher la faillite de la banque Prva Banka, à cours de liquidités, et propriété en bonne partie du clan Djukanovic. L’État versera 44 millions d’euros, devise en cours au Monténégro, pour renflouer la banque. « L’État ne vient pas au secours des actionnaires mais des épargnants, comme ça se passe aussi dans l’UE », explique le premier ministre. Le microcosme monténégrin, lui, crie de façon récurrente au népotisme et à la corruption. « Ces attaques sont exagérées, modère un diplomate occidental. En revanche, on peut certainement lui reprocher de ne pas mettre un frein à l’affairisme de son entourage. » Milo Djukanovic ré- torque, imperturbable, qu’il « n’a pas l’illusion de vivre dans un État idéal » et que « la lutte contre la corruption est de longue haleine » . « On peut dire de lui ce que l’on veut mais jamais il ne manque de courage politique et de lucidité, souligne un diplomate. Notamment quand il a déclaré le Monténégro neutre au moment de la guerre du Kosovo et qu’il a accueilli réfugiés kosovars et opposants à Milosevic alors que l’armée fédérale était présente dans le pays, ou lorsqu’il a présenté ses excuses à la Croatie après le siège de Dubrovnik. » « C’est un génie politique, concède Daliborska Uljarevic. D’ailleurs l’opposition n’existe pas. Et il faut avouer que le Monténégro est l’un des rares pays stables des Balkans. » Et prospère. Dans une euphorie post-indépendance, il enregistre encore, en 2008, 8 % de croissance suite à la politique de Djukanovic de « libérer l’économie de la bureau- cratie ». Pourtant, l’exploitation d’aluminium, 40 % de l’économie de pays, rachetée par l’oligarque russe Oleg Deripaska, est frappée de plein fouet par la dégringolade du cours. Milo Djukanovic confie hésiter à se représenter aux élections législatives. L’entraînement tradi- tionnel de basket du mardi soir ne suffit plus : pas assez de temps pour vivre à force de gouverner. Et c’est là, peut-être, le dernier challenge de l’indéboulonnable premier mi- nistre même pas quinquagénaire : préparer sa succession pour assurer la continuité. GAËLLE PÉRIO Vers un partenariat stratégique entre la France et le Brésil d Pour son dernier déplacement dans le cadre de la présidence française du Conseil européen, Nicolas Sarkozy sera aujourd’hui et demain à Rio de Janeiro à l’occasion d’un sommet Union européenne-Brésil, en com- pagnie du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et du président de la Commission, José Manuel Barroso. Ce sommet sera suivi d’une visite officielle bilatérale. Le Brésil et la France signeront à cette occasion un partenariat stratégique dans le cadre duquel Paris devrait fournir quatre sous-marins conventionnels et un autre à propulsion nucléaire. V EXPLICATION Il y a trente ans, du 18 au 22 dé- cembre 1978, le plénum du Parti communiste chinois, dirigé par Deng Xiaoping, entérinait une nouvelle politique de réformes économiques qui allait sortir cet immense pays de l’isolement et du sous-dévelop- pement pour en faire, aujourd’hui, la 4 e puissance mondiale. Comment la Chine a-t-elle changé d’orientation ? En 1978, la Chine émergeait à peine du chaos de la Révolution culturelle (1966-1976), avec un produit intérieur brut de seu- lement 364 milliards de yuans (36 milliards d’euros). Trente ans plus tard, en 2007, elle déclarait une richesse 69 fois plus élevée, de 2 495 milliards d’euros, avec un taux de croissance moyen de 9,8 % par an. À l’origine de cette montée en puissance historique, un homme, Deng Xiaoping, « le petit timonier », successeur de Mao, qui commence à décollecti- viser les terres. Les paysans seront les premiers à bénéficier de cette nouvelle « révolution », mais pour peu de temps. Deng Xiaoping tord le cou à l’or- thodoxie communiste en habillant l’ouverture de zones économiques spéciales (Shenzhen, Zhuhai, Xiamen, Shantou dès 1984) des célèbres slogans « le socialisme aux caractéristiques chinoises » ou « il est glorieux de s’enrichir ». L’économie planifiée chinoise va un temps zigzaguer entre les divers mécanismes du marché et l’ouver- ture aux investisseurs étrangers, en grande majorité, au début, les Chinois d’outre-mer (Hong Kong, Taïwan et Singapour). À 88 ans, en 1992, le pragma- tique Deng Xiaoping accélère le mouvement. L’égalité dans la pauvreté a vécu, certains vont s’enrichir très vite, surtout dans les régions côtières. Les autres, à l’intérieur, devront prendre pa- tience. Le vrai virage est négocié au milieu des années 90 lorsque la Chine démantèle son secteur d’État. Des entrepreneurs font fortune, des mégapoles sortent de terre, la croissance dépasse les 10 % par an et aujourd’hui cet immense pays continent de plus de 1,3 milliard d’habitants est en passe de doubler l’Allemagne pour devenir la 3 e puissance économi- que mondiale, derrière les États- Unis et le Japon. Quels sont les défis à relever pour ce pays au XXI e siècle ? Les progrès sont indéniables et le niveau de vie de la population s’est globalement accrue. Les Chinois consomment, voyagent, s’habillent et se nourrissent mieux que par le passé. Pourtant, tout en préservant son pouvoir, le Parti communiste chinois doit faire face à une société de plus en plus inégalitaire (surtout entre les villes et les campagnes), une corruption endémique, un environnement sacrifié. De nou- velles maladies comme l’obésité, l’hypertension, le diabète ou les dépressions nerveuses ont fait leur apparition. Autant de défis auxquels viennent s’ajouter ceux d’une urbanisation gigantesque qui devrait accueillir en 2025 près de 926 millions d’habitants. Certains experts prédisent un troisième tournant majeur pour la Chine, une vague de réformes sociales : santé, retraites, éduca- tion. Des efforts plus orientés sur elle-même que sur l’extérieur. DORIAN MALOVIC La Chine célèbre ses « Trente Glorieuses »

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Tous les indicateurs socio-économiques s’affichent largement en défaveur des Noirs. L’inégalité entre communautés est profonde dans un pays aux fausses allures de démocratie raciale Le premier ministre monténégrin, Milo Djukanovic, veut garantir la stabilité de son pays en déposant sa demande d’adhésion à l’UE

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I La Croix I LUNDI 22 DÉCEMBRE 2008 I 5I MONDE IAu Brésil, les Noirs revendiquent plus de droitsL’inégalitéentre communautésest profonde dans un pays aux fausses alluresde démocratie racialeSÃO PAULODe notre correspondant

Le Brésil est un des pays les plus métissés de la planète. Plus d’un citoyen sur deux y

possède des origines africaines, soit environ 80 millions de per-sonnes. Pourtant, cette majorité est invisible. Chanteurs, acteurs, hommes politiques, chefs d’entre-prise, tous ceux qui font l’actualité des médias ont en commun d’être blancs. Et quand un homme de couleur s’impose à la une des journaux, il s’agit généralement d’un footballeur.

« Où sont les Noirs ? », demande perfidement Claudette Alves, la première femme noire élue con-seillère municipale de São Paulo. Membre du parti présidentiel au pouvoir, le Parti des travailleurs, elle est devenue au fil des années un des porte-parole les plus virulents et écoutés de la communauté. Dans

son bureau du centre de São Paulo, où tous ses conseillers personnels sont noirs, une photographie accrochée au mur la montre en compagnie du président de la Ré-publique, Luis Inacio Lula da Silva. Sur un autre mur, un tableau repré-sente une nourrice noire donnant le sein à un nouveau-né blanc. Une représentation presque naïve de la soumission des Noirs qui, selon Claudette Alves, perdure, 120 ans après l’abolition de l’esclavage.

« Le Brésil est un pays extrêmement raciste où la démocratie raciale est un mythe, une vaste farce qui sert à cacher sous le tapis une discrimi-nation contre les Noirs qui n’a rien à envier à l’ancien régime d’apartheid en Afrique du Sud », assène-t-elle calmement.

Au conseil municipal de São Paulo, une des villes proportion-nellement les plus noires du pays, deux élus sur cinquante sont afro-

descendants. Au Congrès de Bra-silia, 6 % des sénateurs et 9 % des députés fédéraux sont noirs. Au sein de l’Assemblée législative de l’État de São Paulo, la plus puissante de la fédération brésilienne, 5 % des sièges sont occupés par des Noirs. Tous les indicateurs socio-écono-miques ayant trait à l’éducation, la pauvreté, l’emploi ou la santé s’affichent largement en défaveur des Noirs. Ils représentent 64 % des 50 millions de pauvres que compte le pays.

Une récente étude de l’Institut de recherche économique appliquée (Ipea), organisme de recherche lié au gouvernement, montre que l’image du pauvre est directement associée avec celle de la négritude. « Bien que fréquemment considérée comme une discrimination de classe, la discrimination raciale est un phénomène marquant de la société brésilienne, note l’Ipea. Les mécanismes raciaux de discrimina-tion opèrent dans les espaces sociaux et économiques les plus avancés de la société. » La création, début 2008, d’un ministère de l’égalité raciale est une des initiatives gouverne-mentales pour réduire le fossé entre Blancs et Noirs. Mais il s’agit

d’une goutte d’eau dans un océan de problèmes, et beaucoup militent désormais pour une plus ample re-connaissance sociale et politique de cette majorité silencieuse.

La communauté s’organise, comme par exemple dans la seule université privée noire d’Améri-que du Sud. Située à Barra Funda, dans un quartier populaire de São Paulo, Unipalmares accueille 2 000 étudiants dont 90 % d’afro-descendants. « Lorsqu’une initia-tive est prise en faveur des Noirs, les critiques fusent pour dire que c’est du racisme contre les Blancs, s’emporte José Vicente, le recteur de l’université. La loi fédérale ins-tituant des quotas raciaux pour permettre aux Noirs d’accéder plus

facilement à l’université attend de-puis des années d’être votée par le Congrès. Les Noirs doivent donc dès maintenant créer leurs propres outils pour augmenter leur représentativité au sein de la société. »

Inaugurée il y a cinq ans par le président Lula, qui ne manque ja-mais de participer aux remises de diplômes de fin d’année, l’institu-tion attire également, par ses frais d’inscription bien moins élevés qu’ailleurs, des étudiants blancs des classes modestes. Actuellement, dans les entreprises brésiliennes, 3 % des postes de cadres sont occupés par des Noirs. Ces employés, à poste égal, gagnent en moyenne moitié moins que leurs collègues blancs.

STEVE CARPENTIER

Tous les indicateurs socio-économiques s’affichent largementen défaveur des Noirs.

Pour son avenir, le Monténégro mise sur l’EuropeLe premier ministre monténégrin,Milo Djukanovic,veut garantir la stabilité de son pays en déposantsa demande d’adhésionà l’UEPODGORICADe notre envoyée spéciale

Une vieille plaisanterie you-goslave affirme que les pre-miers mots d’un nouveau-né

monténégrin sont : « Où est la route pour Belgrade ? » Mais les temps ont changé, depuis le 3 juin 2006 où le Monténégro a proclamé son indépendance. Lundi dernier, le premier ministre, Milo Djukanovic, a d’ailleurs changé la devinette en posant officiellement à Paris la can-didature à l’Union européenne de ce petit pays montagneux et médi-terranéen de 680 000 habitants. Les

bébés monténégrins gazouilleront dorénavant : « Où est la route pour Bruxelles ? »

Pourtant, les milieux diplomati-ques européens auraient préféré que le Monténégro réfrène son enthousiasme, jusqu’à l’entrée en vigueur espérée du traité de Lisbonne. Mais Milo Djukanovic, 47 ans, dinosaure yougoslave, au pouvoir depuis 1991, n’a eu aucune hésitation. « La stabilité est la ques-tion clé des Balkans, explique-t-il, et après un siècle de guerres, elle passe par l’intégration européenne. »

Le premier ministre, 1 m 98 de courtoisie hâlée, est serein. « Il était important pour nous de montrer qu’il n’y a pas de discontinuité dans le processus d’adhésion des Balkans occidentaux. Certains pays doivent être une locomotive dans la région. Rejoindre l’UE n’est pas un rêve. » L’homme a l’habitude de convain-cre. Son surnom est « Britva », le rasoir de barbier à la lame précise,

sûre et habile. Au Monténégro, on parle de « Milo » avec fierté et aga-cement tout à la fois. Le premier ministre ne manque pas de détrac-teurs. Même la candidature à l’UE devient suspecte dans ce pays à 70 % proeuropéen. « C’est une manœuvre préélectorale ! », déclare Daliborska Uljarevic, du Centre de formation civique à Podgorica. Des élections législatives anticipées sont prévues d’ici à l’automne prochain.

Dans les cafés bordant la rivière Moraca, en face du bâtiment du gouvernement, on murmure sur-tout que la démarche vise à cacher la faillite de la banque Prva Banka, à cours de liquidités, et propriété en bonne partie du clan Djukanovic. L’État versera 44 millions d’euros, devise en cours au Monténégro, pour renflouer la banque. « L’État ne vient pas au secours des actionnaires mais des épargnants, comme ça se passe aussi dans l’UE », explique le premier ministre. Le microcosme

monténégrin, lui, crie de façon récurrente au népotisme et à la corruption. « Ces attaques sont exagérées, modère un diplomate occidental. En revanche, on peut certainement lui reprocher de ne pas mettre un frein à l’affairisme de son entourage. » Milo Djukanovic ré-torque, imperturbable, qu’il « n’a pas l’illusion de vivre dans un État idéal » et que « la lutte contre la corruption est de longue haleine ».

« On peut dire de lui ce que l’on veut mais jamais il ne manque de courage politique et de lucidité, souligne un diplomate. Notamment quand il a déclaré le Monténégro neutre au moment de la guerre du Kosovo et qu’il a accueilli réfugiés kosovars et opposants à Milosevic alors que l’armée fédérale était présente dans le pays, ou lorsqu’il a présenté ses excuses à la Croatie après le siège de Dubrovnik. »

« C’est un génie politique, concède Daliborska Uljarevic. D’ailleurs

l’opposition n’existe pas. Et il faut avouer que le Monténégro est l’un des rares pays stables des Balkans. » Et prospère. Dans une euphorie post-indépendance, il enregistre encore, en 2008, 8 % de croissance suite à la politique de Djukanovic de « libérer l’économie de la bureau-cratie ». Pourtant, l’exploitation d’aluminium, 40 % de l’économie de pays, rachetée par l’oligarque russe Oleg Deripaska, est frappée de plein fouet par la dégringolade du cours.

Milo Djukanovic confie hésiter à se représenter aux élections législatives. L’entraînement tradi-tionnel de basket du mardi soir ne suffit plus : pas assez de temps pour vivre à force de gouverner. Et c’est là, peut-être, le dernier challenge de l’indéboulonnable premier mi-nistre même pas quinquagénaire : préparer sa succession pour assurer la continuité.

GAËLLE PÉRIO

Vers un partenariat stratégiqueentre la France et le Brésil

d Pour son dernier déplacement dans le cadre de la présidence française du Conseil européen, Nicolas Sarkozy sera aujourd’hui et demain à Rio

de Janeiro à l’occasion d’un sommet Union européenne-Brésil, en com-pagnie du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et du président de la Commission, José Manuel Barroso. Ce sommet sera suivi d’une visite officielle bilatérale. Le Brésil et la France signeront à cette occasion un partenariat stratégique dans le cadre duquel Paris devrait fournir quatre sous-marins conventionnels et un autre à propulsion nucléaire.

VEXPLICATION

Il y a trente ans, du 18 au 22 dé-cembre 1978, le plénum du Parti communiste chinois, dirigé par Deng Xiaoping, entérinait une nouvelle politique de réformes économiques qui allait sortir cet immense pays de l’isolement et du sous-dévelop-pement pour en faire, aujourd’hui, la 4e puissance mondiale.

Comment la Chine a-t-elle changé d’orientation ?

En 1978, la Chine émergeait à peine du chaos de la Révolution culturelle (1966-1976), avec un produit intérieur brut de seu-lement 364 milliards de yuans (36 milliards d’euros). Trente ans

plus tard, en 2007, elle déclarait une richesse 69 fois plus élevée, de 2 495 milliards d’euros, avec un taux de croissance moyen de 9,8 % par an. À l’origine de cette montée en puissance historique, un homme, Deng Xiaoping, « le petit timonier », successeur de Mao, qui commence à décollecti-viser les terres. Les paysans seront les premiers à bénéficier de cette nouvelle « révolution », mais pour peu de temps.

Deng Xiaoping tord le cou à l’or-thodoxie communiste en habillant l’ouverture de zones économiques spéciales (Shenzhen, Zhuhai, Xiamen, Shantou dès 1984) des célèbres slogans « le socialisme aux caractéristiques chinoises »

ou « il est glorieux de s’enrichir ». L’économie planifiée chinoise va un temps zigzaguer entre les divers mécanismes du marché et l’ouver-ture aux investisseurs étrangers, en grande majorité, au début, les Chinois d’outre-mer (Hong Kong, Taïwan et Singapour).

À 88 ans, en 1992, le pragma-tique Deng Xiaoping accélère le mouvement. L’égalité dans la pauvreté a vécu, certains vont s’enrichir très vite, surtout dans les régions côtières. Les autres, à l’intérieur, devront prendre pa-tience. Le vrai virage est négocié au milieu des années 90 lorsque la Chine démantèle son secteur d’État. Des entrepreneurs font fortune, des mégapoles sortent

de terre, la croissance dépasse les 10 % par an et aujourd’hui cet immense pays continent de plus de 1,3 milliard d’habitants est en passe de doubler l’Allemagne pour devenir la 3e puissance économi-que mondiale, derrière les États-Unis et le Japon.

Quels sont les défis à relever pour ce pays au XXIe siècle ?

Les progrès sont indéniables et le niveau de vie de la population s’est globalement accrue. Les Chinois consomment, voyagent, s’habillent et se nourrissent mieux que par le passé. Pourtant, tout en préservant son pouvoir, le Parti communiste

chinois doit faire face à une société de plus en plus inégalitaire (surtout entre les villes et les campagnes), une corruption endémique, un environnement sacrifié. De nou-velles maladies comme l’obésité, l’hypertension, le diabète ou les dépressions nerveuses ont fait leur apparition. Autant de défis auxquels viennent s’ajouter ceux d’une urbanisation gigantesque qui devrait accueillir en 2025 près de 926 millions d’habitants.

Certains experts prédisent un troisième tournant majeur pour la Chine, une vague de réformes sociales : santé, retraites, éduca-tion. Des efforts plus orientés sur elle-même que sur l’extérieur.

DORIAN MALOVIC

La Chine célèbre ses « Trente Glorieuses »