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Nuit du oud Vendredi 6 avril 2018 – 20h30 SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE

Nuit du oud - philharmoniedeparis.fr · sur les chemins de l’exil. La musique, subtile et complexe, oscille entre tradi-tionnel oriental et rock électro occidental, oud, chant,

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Nuit du oudVendredi 6 avril 2018 – 20h30

salle des concerts – cItÉ de la MUsIQUe

Pour la première fois en France, la Philharmonie de Paris présente une exposition dédiée aux musiques arabes, célébrant à la fois la richesse d’un patrimoine ancien méconnu et l’intense créativité d’artistes issus des vingt-deux pays qui forment aujourd’hui le monde arabe. Un voyage du oud au jazz et aux scènes urbaines accompagne cette exposition Al Musiqa au Musée de la musique, en partenariat avec l’Institut du monde arabe.

Aux confins d’influences indo-persanes et méditerranéennes, et à travers l’expansion de l’islam au viie siècle, le oud devient la référence majeure de la musique classique arabo-andalouse. Aujourd’hui, des musiciens de culture arabe comme Driss El Maloumi ou Naseer Shamma donnent un nouvel essor musical à cet instrument historique (vendredi 6 avril).

Le quartette Bab Assalam (La Porte de la paix), qui réunit musiciens syriens et français, raconte l’envoûtant voyage de Zyriab, jeune oudiste du ixe siècle, sur les chemins de l’exil. La musique, subtile et complexe, oscille entre tradi-tionnel oriental et rock électro occidental, oud, chant, clarinette, guitare électrique, percussions (samedi 7 et dimanche 8 avril, 15h).

De Paris à Beyrouth, de la Palestine au Caire s’affirme une nouvelle musique urbaine où s’entrecroisent Orient et Occident. Inspirés des genres populaires comme le chaabi, le saidi, la grande chanson arabe des années 1960 ou la comédie musicale égyptienne, DJ et VJ, rappeurs, rockeurs et performers rivalisent d’invention (samedi 7 avril, 20h30).

Le dimanche 8 avril, de 14h30 à 17h, le Musée de la musique vous propose d’embarquer pour un voyage au rythme des percussions, chants et poèmes du monde arabe.

Enfin, en point d’orgue du week-end, Anouar Brahem invente une musique à la fois totalement ancrée dans une culture ancestrale et éminemment contemporaine. Dans les contextes les plus variés, à travers notamment sa longue expérience avec le label emblématique ECM, il lie avec habilité le savant héritage musical arabe avec le jazz (dimanche 8 avril, 16h30).

WEEK-END MUSIQUES ARABES (1)

01_WE_Musiques_arabes_1.indd 1-2 29/03/2018 12:00

Pour la première fois en France, la Philharmonie de Paris présente une exposition dédiée aux musiques arabes, célébrant à la fois la richesse d’un patrimoine ancien méconnu et l’intense créativité d’artistes issus des vingt-deux pays qui forment aujourd’hui le monde arabe. Un voyage du oud au jazz et aux scènes urbaines accompagne cette exposition Al Musiqa au Musée de la musique, en partenariat avec l’Institut du monde arabe.

Aux confins d’influences indo-persanes et méditerranéennes, et à travers l’expansion de l’islam au viie siècle, le oud devient la référence majeure de la musique classique arabo-andalouse. Aujourd’hui, des musiciens de culture arabe comme Driss El Maloumi ou Naseer Shamma donnent un nouvel essor musical à cet instrument historique (vendredi 6 avril).

Le quartette Bab Assalam (La Porte de la paix), qui réunit musiciens syriens et français, raconte l’envoûtant voyage de Zyriab, jeune oudiste du ixe siècle, sur les chemins de l’exil. La musique, subtile et complexe, oscille entre tradi-tionnel oriental et rock électro occidental, oud, chant, clarinette, guitare électrique, percussions (samedi 7 et dimanche 8 avril, 15h).

De Paris à Beyrouth, de la Palestine au Caire s’affirme une nouvelle musique urbaine où s’entrecroisent Orient et Occident. Inspirés des genres populaires comme le chaabi, le saidi, la grande chanson arabe des années 1960 ou la comédie musicale égyptienne, DJ et VJ, rappeurs, rockeurs et performers rivalisent d’invention (samedi 7 avril, 20h30).

Le dimanche 8 avril, de 14h30 à 17h, le Musée de la musique vous propose d’embarquer pour un voyage au rythme des percussions, chants et poèmes du monde arabe.

Enfin, en point d’orgue du week-end, Anouar Brahem invente une musique à la fois totalement ancrée dans une culture ancestrale et éminemment contemporaine. Dans les contextes les plus variés, à travers notamment sa longue expérience avec le label emblématique ECM, il lie avec habilité le savant héritage musical arabe avec le jazz (dimanche 8 avril, 16h30).

WEEK-END MUSIQUES ARABES (1)

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Vendredi 6 avril

20H30 CONCERT

NUIT DU OUD

PREMIÈRE PARTIE :

DRISS EL MALOUMI – MAROC

DEUXIÈME PARTIE :

NASEER SHAMMA ET SON ENSEMBLE DE OUDS

– IRAK

Samedi 7 avril Dimanche 8 avril

15H00 SPECTACLE JEUNE PUBLIC

LE VOYAGE DE ZYRIABBAB ASSALAM

KHALED ALJARAMANI, OUD, CHANT

MOHANAD ALJARAMANI, PERCUSSIONS, CHANT

PHILIPPE BARBIER , GUITARE ÉLECTRIQUE

RAPHAËL VUILLARD, CLARINETTE, ÉLECTRO

Samedi 7 avril

20H30 CONCERT

MUSIQUES URBAINESRANDA MIRZA (LA MIRZA) ET WAEL KOUDAIH

(RAYESS BEK) – ÉGYPTE, LIBAN

Love and Revenge

RAYESS BEK, MACHINES

LA MIRZA, COMPOSITION VIDÉO

MEHDI HADDAB, OUD ÉLECTRIQUE

JULIEN PERRAUDEAU, BASSE, CLAVIER

LEKHFA – ÉGYPTE, JORDANIE

MARYAM SALEH, VOIX

TAMER ABU GHAZALEH, VOIX, SYNTHÉTISEUR, OUD, BOUZOUKI

MAURICE LOUCA, GUITARE ACOUSTIQUE, CLAVIER

MAHMOUD WALY, BASSE

KHALED YASSINE, BATTERIE

GHASSAN BOUZ, PERCUSSIONS

47 SOUL – PALESTINE, JORDANIE

Z THE PEOPLE, SYNTHÉTISEUR, VOIX

EL FAR3I, DARBOUKA, MC, VOIX

WALAA SBEIT, PERCUSSIONS, MC, VOIX

EL JEHAZ, GUITARE, VOIX

Dimanche 8 avril

14H30 CONCERT-PROMENADE AU MUSÉE

NUZHA À LA CASBAHENSEMBLE AL-ADWAR

AÏCHA REDOUANE, HABIB YAMMINE,

SOFIANE NEGRA, OUD

HEND ZOUARI, QÂNUN, CHANT

16H30 CONCERT

ANOUAR BRAHEM BLUE MAQAMSANOUAR BRAHEM, OUD

DAVE HOLLAND, CONTREBASSE

JACK DEJOHNETTE, BATTERIE

DJANGO BATES, PIANO

ACTIVITÉS CE WEEK-END

SAMEDIColloque à 9h30À L’ÉCOUTE DU MONDE ARABE

Visite-atelier du Musée à 14h30INSTRUMENTS ET TRADITIONS DU MONDE

Master-classe à 15h00OUD DU MONDE ARABE

Music Session à 16h00AUTOUR D’ANOUAR BRAHEM

Avant-concert à 18h30RENCONTRE AVEC VÉRONIQUE RIEFFELanimée par Delphine Minoui

DIMANCHEProjection à 11hAZUR ET ASMAR

Café musique à 11hANOUAR BRAHEM

Conte dans l’exposition à 11hLES CONTES HIKAYAT

ET AUSSI

Enfants et famillesConcerts, ateliers, activités au Musée…

WEEK-END MUSIQUES ARABES (1)

01_WE_Musiques_arabes_1.indd 3-4 29/03/2018 12:00

Vendredi 6 avril

20H30 CONCERT

NUIT DU OUD

PREMIÈRE PARTIE :

DRISS EL MALOUMI – MAROC

DEUXIÈME PARTIE :

NASEER SHAMMA ET SON ENSEMBLE DE OUDS

– IRAK

Samedi 7 avril Dimanche 8 avril

15H00 SPECTACLE JEUNE PUBLIC

LE VOYAGE DE ZYRIABBAB ASSALAM

KHALED ALJARAMANI, OUD, CHANT

MOHANAD ALJARAMANI, PERCUSSIONS, CHANT

PHILIPPE BARBIER , GUITARE ÉLECTRIQUE

RAPHAËL VUILLARD, CLARINETTE, ÉLECTRO

Samedi 7 avril

20H30 CONCERT

MUSIQUES URBAINESRANDA MIRZA (LA MIRZA) ET WAEL KOUDAIH

(RAYESS BEK) – ÉGYPTE, LIBAN

Love and Revenge

RAYESS BEK, MACHINES

LA MIRZA, COMPOSITION VIDÉO

MEHDI HADDAB, OUD ÉLECTRIQUE

JULIEN PERRAUDEAU, BASSE, CLAVIER

LEKHFA – ÉGYPTE, JORDANIE

MARYAM SALEH, VOIX

TAMER ABU GHAZALEH, VOIX, SYNTHÉTISEUR, OUD, BOUZOUKI

MAURICE LOUCA, GUITARE ACOUSTIQUE, CLAVIER

MAHMOUD WALY, BASSE

KHALED YASSINE, BATTERIE

GHASSAN BOUZ, PERCUSSIONS

47 SOUL – PALESTINE, JORDANIE

Z THE PEOPLE, SYNTHÉTISEUR, VOIX

EL FAR3I, DARBOUKA, MC, VOIX

WALAA SBEIT, PERCUSSIONS, MC, VOIX

EL JEHAZ, GUITARE, VOIX

Dimanche 8 avril

14H30 CONCERT-PROMENADE AU MUSÉE

NUZHA À LA CASBAHENSEMBLE AL-ADWAR

AÏCHA REDOUANE, HABIB YAMMINE,

SOFIANE NEGRA, OUD

HEND ZOUARI, QÂNUN, CHANT

16H30 CONCERT

ANOUAR BRAHEM BLUE MAQAMSANOUAR BRAHEM, OUD

DAVE HOLLAND, CONTREBASSE

JACK DEJOHNETTE, BATTERIE

DJANGO BATES, PIANO

ACTIVITÉS CE WEEK-END

SAMEDIColloque à 9h30À L’ÉCOUTE DU MONDE ARABE

Visite-atelier du Musée à 14h30INSTRUMENTS ET TRADITIONS DU MONDE

Master-classe à 15h00OUD DU MONDE ARABE

Music Session à 16h00AUTOUR D’ANOUAR BRAHEM

Avant-concert à 18h30RENCONTRE AVEC VÉRONIQUE RIEFFELanimée par Delphine Minoui

DIMANCHEProjection à 11hAZUR ET ASMAR

Café musique à 11hANOUAR BRAHEM

Conte dans l’exposition à 11hLES CONTES HIKAYAT

ET AUSSI

Enfants et famillesConcerts, ateliers, activités au Musée…

WEEK-END MUSIQUES ARABES (1)

01_WE_Musiques_arabes_1.indd 3-4 29/03/2018 12:00

première partie

Driss El Maloumi (Maroc)

Driss El Maloumi, oudSaid El Maloumi, zarb, daf, cajonLahoucine Baqir, darbouka, req, daf

Durée : environ 45 minutes.

ENTRACTE

seconde partie

Naseer Shamma et son ensemble de ouds (Irak)

Naseer Shamma, oud Mohamed Abozekry, oudSomar Al-Nasser, oudNabil Hilaneh, oudAhmad Shamma, oudBacem Yousfi, oud

Durée : environ 60 minutes.

FIN DU CONCERT VERS 22H50.

proGramme

Oud Abdoh George Nahhât, Damas, 1931 (collection Musée de la musique) – © Jean-Marc Anglès.

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Le ‘ūd, petite histoire d’une longue histoire

Né il y a au moins 1500 ans, le luth a traversé les âges, subi maintes transformations et fait résonner ses cordes sur tous les continents. Dans le monde arabe, la tradition orale comme les sources écrites le considèrent comme le « sultan des instruments de musique », « le plus parfait inventé par les philosophes1 ». Nombreux sont les théoriciens et chercheurs ayant tenté de formaliser l’histoire du ‘ūd (ou oud) – non sans que surgissent contradictions et discordes. Il voyagea en tous sens, particulièrement au cours d’un Moyen Âge méditerranéen faste en échanges interculturels.

Une lutherie prodigieuse

Le ‘ūd désigne aujourd’hui le luth du monde arabe, dépourvu de frettes, ancêtre direct du luth européen. Étymologiquement, son nom renvoie à la « pièce de bois ». D’après le musicologue orientaliste H. G. Farmer (1882-1965), l’adoption de ce terme par les Arabes au vie siècle visait à le distinguer du luth perse barbāṭ, dont la table d’harmonie consistait en une peau animale.

L’imposante caisse de résonance du ‘ūd, en forme de demi-poire, emprunte le plus souvent au noyer, à l’acajou, à l’if ou aux bois fruitiers. Elle résulte d’un minutieux assemblage de côtes qui sont de très fins fuseaux de bois, conférant au ‘ūd sa légèreté et sa résonance. Les luthiers ont recours à l’usage d’un moule ; une fois les côtes jointes au terme d’un savant collage, la caisse est « démoulée », et les joints renforcés de l’intérieur. Le ventre de l’instrument ainsi mis en tension, une rigidité exceptionnelle lui est acquise. Le manche est ajouté « à vif » : seul un

Le concert

1 Cette formule figure dans le corpus encyclopédique médiéval des Rasā’il Ikhwān al-Ṣafā’ (Épîtres des Frères de la Pureté).

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long clou forgé traversant le tasseau vient renforcer sa fixation. À cette étape de l’œuvre, le luthier accorde une pleine attention à sa position par rapport à la caisse. La table d’harmonie est choisie le plus souvent dans un cèdre ou un épicéa provenant d’un terroir en altitude, aux fibres très serrées. L’ouverture du ‘ūd a en commun avec le luth du Moyen Âge occidental sa marqueterie, rosaces aux motifs délicats, et parfois même ses incrustations de nacre, d’os ou d’ivoire. Les cordes, doublées, traditionnellement en boyau, sont aujourd’hui en nylon. Leur nombre varie selon les époques et les régions ; un point essentiel marquant les différences de jeux et d’usages.

Ainsi, aux quatre cordes de l’ancien luth arabe qadim était relié un sens cosmologique : elles correspondaient aux humeurs, éléments, saisons, points cardinaux, et même au zodiaque ! L’ajout d’une cinquième corde (awsat) est attribué à Abu l-Hasan ‘Ali Ibn Nafi’ (789-857), alias Ziryāb (« le merle noir »), protagoniste essentiel et génial de l’histoire de la musique arabo-andalouse. Cet homme de lettres, astronome et géographe exilé de Bagdad serait responsable de l’introduction du ‘ūd dans la péninsule ibérique. Ce luth se serait ensuite répandu dans le reste de l’Europe, où la plume d’aigle aurait été préférée au plectre. Quoi qu’il en soit, l’échelle heptatonique (sept degrés, une octave complète) l’emporta, et le nouveau luth devint ‘ūd kāmil (« le ‘ūd parfait »), le plus apprécié des musiciens.

Un instrument nomade et mythique

Le luth peut être suivi à la trace dans les civilisations babyloniennes et hittites ainsi que dans l’Égypte et l’Asie antiques. Le musée archéolo-gique du Caire conserve par exemple un petit luth à manche long, trouvé dans une sépulture datant de 1500 avant J.-C. Le luth oriental à manche court se serait propagé depuis l’actuel Irak jusqu’en Asie autour du ive siècle. D’après des lettrés du xive siècle, l’invention du ‘ūd reviendrait au religieux perse Mani, fondateur du manichéisme au iiie siècle. Une théorie plausible car ses disciples encourageaient l’accompagnement musical de leurs offices religieux.

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Mais le centre où se développa l’instrument est sans doute à placer au sud de l’actuel Irak, ainsi que le mentionne le polymathe al-Kindī dans ses écrits. De là, le ‘ūd fut diffusé vers la péninsule arabique au viie siècle ; de façon sûre, il arriva à la Mecque entre le ixe et le xe siècle. Il prend racine à la même période dans l’al-Andalus de la dynastie des Omeyyades, et devient, sous

l’impulsion de Ziryāb, un fleuron des arts. On songe aux merveilleuses illus-trations des Cantigas de Santa María2 : trésors de la littérature ibérique du xiiie siècle, ces manuscrits racontent un âge où savants, poètes, musiciens, scribes, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs, servaient l’art dans un esprit œcuménique et universel – esprit qui habite encore le ‘ūd !

Jusqu’à ce que les rois catholiques décident de bannir l’instrument à la chute de Grenade (1492), les cours arabo-andalouses battirent sa réputa-tion à grand renfort de légendes. Mais à vrai dire, la dimension mythique de l’instrument puisait déjà dans la Bible. Deux récits orientaux du ixe siècle témoignent de son invention par Lamech, descendant direct de Caïn et père de Noé. À la mort d’un de ses fils, endeuillé, Lamech suspendit sa dépouille dans un arbre, et la forme du squelette inspira celle du ‘ūd.

Si celui-ci constitue la quintessence des premiers cordophones, c’est aussi qu’il en offre une synthèse fonctionnelle. Au xie siècle, al-Māwārdi, le juriste de Bagdad, vanta son usage dans le traitement des maladies. Un principe thérapeutique également défendu dans l’Espagne arabisée par le poète et théologien Ibn Hazm, et qui perdura jusqu’au xixe siècle3 :

2 Cette fable mystique se compose de quatre cent vingt poèmes. Écrite en galicien, langue par excellence de la poésie lyrique médiévale, elle est empreinte d’amour courtois et de satire, et loue les miracles de la Vierge. On l’attribue à Alfonso El Sabio, roi de Castille (1221-1284).3 Muhammad Shihāb al-dīn, Safīnat al-mulk, Le Caire, 1892.

Enluminure tirée d’un manuscrit des Cantigas de Santa María, al-Andalus, xiiie siècle.

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« Le ‘ūd revigore le corps. Il restaure l’équilibre du tempérament. Il calme et ravive les cœurs à la façon d’un remède. » Et ce n’est ni la théorie des nūbat4 affinée par Ziryāb ni celle des maqāmat5 qui donnerait tort à cette approche !

Recherche esthétique et écoles stylistiques

De tout temps, chez les Arabes, l’instrument fut au service de la recherche théorique. Sur les cordes du ‘ūd, plusieurs savants musiciens et philosophes éprouvèrent la pertinence des théories grecques, et les emmenèrent plus loin. À commencer par la proposition pythagoricienne de l’harmonie des sphères et la correspondance entre les nombres et l’ordre cosmologique, dont la musique est l’une des manifestations.

Al-Fārābī, dans son traité du xe siècle6, théorisa ainsi les échelles et inter-valles mélodiques (traduits par les frettes du luth occidental). Avicenne, dans ses pas, établit une liste de douze modes primaires destinés au répertoire musical selon sa conception de l’éthos. Chacun se dédiait à une heure de la journée, un mois de l’année ou était associé à un goût particulier. Aujourd’hui, de ces premières explorations découlent plus de trois cents modes ayant le pouvoir de provoquer des accès de rire, des larmes ou des états contemplatifs. C’est là l’un des sens du terme maqām, aux sources de la musique savante arabe : la définition de parcours mélodiques singuliers obéissant à des règles mathématiques autant qu’esthétiques.

4 Fruits de la musique arabo-andalouse, les nūbat (littéralement « attendre son tour » ou « se succéder ») sont des suites musicales structurées, construites selon un mode bien défini. Ce système et son corpus furent introduits en Andalousie par Ziryāb, qui les affina. On comptait vingt-quatre nūbat aux origines, correspondant aux vingt-quatre heures du jour ; douze seulement ont été préservées dans leur intégralité, notamment grâce à l’enregistrement. Leur interprétation varie selon les écoles stylistiques : al-ala (Maroc), gharnati (Algérie), malouf (Tunisie)…5 Voir paragraphe suivant.6 Kitab al-musiqi al kabir, l’un des plus imposants produits par la science arabe.

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Le chroniqueur al-Isfahānī, dans son Livre des chansons (ixe siècle), raconte que, dans tous les palais de Bagdad, on entendait le ‘ūd accompagner des poèmes chantés. De cette osmose naquirent les rythmes vertigineux de la musique arabe : l’instrument imitait au quart de soupir près la métrique des vers chantés. Au fil des âges, bien qu’il puisse être employé pour assurer la basse mélodique ou rythmique dans les ensembles instrumen-taux, le ‘ūd s’émancipa jusqu’à devenir l’instrument soliste par excellence.

Quoi que règne une extraordinaire diversité d’approches, deux princi-pales écoles se démarquent :– la première, qualifiée d’ottomane, fait porter l’effort sur l’ornementation de la note : les doigts s’exercent à de délicats glissandos et de légers vibratos. Le plectre (mezrab) procure un effet de résonance à l’intensité contrôlée. Le champ dynamique est très étendu, et l’accord rehaussé. Le jeu se fait plus « intime », ouvrant au mélomane un chemin de méditation. Initialement promue à Istanbul par Ali Rifat Çağatay (1867-1935) et ses contemporains, cette approche se diffusa jusqu’à Alep. On la retrouva à Bagdad avec Salmān Shukur (1921-2007), Jamīl Bashīr (1921-1977) et Munīr Bashīr (1930-1997) ;– la seconde école est dite égyptienne. La résonance des cordes est amplifiée par de fermes mouvements du poignet : le plectre (risha, plume ou corne de vache taillée, ou simple pièce de plastique) appelle la virtuosité. Parmi ses représentants les plus fameux, citons Ṣafar ‘Alī (1884-1962), Muhammad al-Qasabjī (1898-1966) ou Farīd al-Atrash (1915-1974).

L’apport des maîtres du xxe siècle

Après que Munīr Bashīr donna un récital solo à Genève (1971), un réper-toire propre au ‘ūd se (re)constitua. Il emprunta pour l’essentiel à la forme d’improvisation taqsīm, pratiquée aussi bien par les Turcs que les Arabes. À l’origine, le taqsīm jouait un rôle de prélude, permettant à l’instrumentiste de « s’échauffer » et de préparer l’exploration du maqām. Bashīr choisit de les broder en une suite finement agencée, devenant sa marque de fabrique. Sous son plectre, le taqsīm mua en une longue pièce alternant les passages improvisés et composés. Sans même en formuler l’intention, il incorpora ainsi à la musique arabe un système comparable aux dastgāh de la musique persane.

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Très prisé, ce taqsīm « libéré » incite le musicien à manifester la profon-deur de sa connaissance. L’audience admire avant tout son tarab7, la limpi-dité de son langage, son aptitude aux modulations. Libre évidemment aux ‘ūdistes d’aborder également d’autres compositions incluses au répertoire : pièces ottomanes du xixe et xxe siècles (semai, pechrev, saz semaini…) ou chants transposés sur l’instrument, articulés ou non à des compositions originales aux titres évocateurs. On pense par exemple aux Caprices (1923), œuvres du virtuose Muhiddin Targan emprun-tant à la musique occidentale.

Parmi les formes contemporaines de la performance, saluons l’épanouisse-ment du ‘ūd dans le jazz grâce au Libanais Rabih Abu Khalil ou au Tunisien Anouar Brahem. Mais également les formules en duo ou trio instrumen-tal, dont le projet 3MA porté par Driss El Maloumi est une illustration éloquente. On songe également au récital pour deux ‘ūd (Jadal) imaginé par les Libanais Marcel Khalifé et Charbel Rouhana. La dimension sympho-nique de cette alliance se retrouve à l’écoute de Naseer Shamma et de ses disciples. Enfin, notons le succès des concertos pour ‘ūd et orchestre dans l’Égypte des années 1980.

7 Le tarab, en arabe, désigne la communion des sens entre le spectateur et l’inter-prète, communion qui permet d’exhaler l’âme et de susciter l’ivresse musicale. Al-Ghazālī (1058-1111) en avait donné cette définition : « Certains sons (aswât) font qu’on se réjouit, d’autres qu’on s’attriste, certains font dormir, d’autres font rire, certains excitent (itrâb) et suscitent dans les membres des mouvements de la main, du pied et de la tête, accordés à la mesure ! ».

Munīr Bashīr © Habib Hassan Touma.Revue d’ethnomusicologie (voir http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/1639)

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Driss El Maloumi (Agadir, Maroc) : le ‘ūd au croisement des terroirs

La quarantaine inspirée, le maître du ‘ūd arbore un sourire débonnaire, où qu’il soit. Le monde semble être son terrain de jeu. Il initie ou accueille les collaborations artistiques avec un enthousiasme éclatant. On le retrouve à l’occasion de récitals solo le plus souvent aux côtés de son frère Said ; sur la scène, en compagnie de Jordi Savall et de l’ensemble Hespèrion XXI ; dans des festivals, auprès de complices comme Ballaké Sissoko (kora) et Rajery (valiha) ; ou encore impliqué dans des créations interdisciplinaires l’entraînant parfois loin de sa zone de confort.

Comme la plupart des voyageurs, Driss El Maloumi éprouve le désir de rentrer au port à heures régulières. Agadir, où il est né, où sa famille s’épanouit, est indéfectiblement « sa » terre. Exposée à l’Atlantique, cette cité berbérophone du Souss marocain se révèle un carrefour de rencontres. Les cultures amazighe, arabe, sub-saharienne et européenne s’y brassent, comme autant de langages et de regards sur l’autre, dans lesquels le musicien a plongé. Et il les a « incorporés ».

À 22 ans, Driss El Maloumi sort de l’Université Ibn Zohr d’Agadir un master de littérature en poche ; il s’interroge sur cette question philosophique : quelle forme pour quel discours musical ? Il est riche d’une solide formation à la croisée des musiques classiques arabe et occidentale, jalonnée de nombreuses récompenses : premier prix du ‘ūd, premier prix de perfec-tionnement et prix d’honneur à l’examen national du ‘ūd du Conservatoire national de musique de Rabat, trois années successives. Son talent se fait déjà remarquer.

Nourri à l’écoute des grands maîtres de musique arabo-andalouse, héritier d’un savoir poétique amazigh, relié au patrimoine musical soufi, Driss El Maloumi a évidemment soif d’exploration et de composition. L’une et l’autre – l’une avec l’autre – donneront naissance à une musique ambitieuse, virtuose, subtile, capable d’éveiller et de surprendre.

Bientôt, il croise la route d’artistes à la carrière internationale, à commen-cer par Jordi Savall et Montserrat Figueras, qui succombent à son jeu plein de maîtrise, transpirant mille influences. Ses notes scintillantes

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apparaissent sur une quinzaine d’enregistrements en tant que musicien de l’ensemble Hespèrion XXI. Puis, c’est au tour de Pierre Hamon (flûtes), Keyvan Chemirani (tombak), Françoise Atlan (chant), Omar Bashir (‘ūd), Carlo Rizzo (tambourin et percussions) ou bien Debashish Bhattacharya (guitare slide). Ces expérimentations fructueuses en musique ancienne, traditionnelle ou classique invitent le musicien à pousser toujours plus de nouvelles portes. Il travaille dans un registre jazz avec Paolo Fresu (trompette), Claude Tchamitchian (contrebasse), Alban Darche (saxophones) ou encore Xavi Maureta (piano). Il fréquente aussi quelques metteurs en scène et poètes, tels Abdelatif Laâbi ou Adonis.

Il y a dix ans, Driss El Maloumi s’associe à deux alter-ego instrumentistes : Ballaké Sissoko et Rajery. Avec leur projet 3MA (Maroc – Mali – Madagascar), ils conquièrent vite les mélomanes au cœur. En novembre 2017 sortait leur nouvel opus Anarouz, dans lequel on se régale de leurs voix mêlées.

À l’occasion de ce concert à la Philharmonie de Paris, l’enchanteur d’Agadir nous offrira quelques-unes des pièces phares figurant sur son disque solo Makan (2012), ainsi que de récentes compositions dont il garde le secret. À une évidente assurance technique, fruit d’une riche expérience de scène, se marient un sens du jeu et une inventivité parsemée d’improvisations fulgurantes. Un essor que ses deux plus précieux alliés, Said El Maloumi et Lahoucine Baquir, rois des percussions arabes et andalouses, rendent possible.

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Naseer Shamma (Al-Kut, Irak) ou la mondialisation du ‘ūd

Naseer Shamma, bien qu’il témoigne de notre temps, semble être fait de la même trempe que son prédécesseur Munīr Bashīr. Initié au goût de l’héritage, le luthiste irakien prit rapidement un chemin de conquête. Né à Al-Kut dans les années 1960, il rencontre le ‘ūd à un très jeune âge. Ses sens s’embrasent, et le rêve se forme. Il veut « devenir un grand musicien, à l’égal de ceux de la cour des rois babyloniens ou des califes abbassides », rapporte le percussionniste et musicologue Habib Yammine.

À 11 ans, Naseer Shamma donne son premier concert et étudie à l’Institut de musique arabe fondé à Bagdad par Al-Sharif Muhyiddin (1936). Là, enseignent les plus grands noms du luth oriental, dont les frères Jamīl et Munīr Bashīr. Tout s’enchaîne. En 1985, le ‘ūdiste joue à Paris ; il est interpellé comme « le jeune Ziryāb ». En 1987, il obtient son diplôme, mais sent qu’il doit poursuivre son apprentissage. En 1989, Saddam Hussein sanctionne sa prise de parole en Jordanie de cent soixante-dix jours d’emprisonnement.

Puis le concertiste prend le chemin de l’exil. Il enseigne et agrège l’expérience qui lui permettra de fonder la désormais célèbre Maison du ‘ūd (Bayt al-’ūd). Première école dédiée à l’instrument dans sa dimen-sion soliste, elle se décline à présent du Caire à Bagdad, Constantine, Khartoum, Abu Dhabi, Doha, Madrid… Des tractations sont en cours à Paris et Berlin. Les ‘ūdistes y suivent une formation intensive visant leur perfectionnement mais également leur ouverture à d’autres pratiques musicales. Au Caire, la Maison, située dans le quartier populaire d’El Darb El Ahmar, est pareille à un petit sanctuaire. Elle fêtera ses 18 ans cette année. Le fondateur la voulait dans une bâtisse ancienne plutôt que dans l’un de ces clinquants locaux offerts par le ministère de la Culture égyptien. Il y voit les traces d’un monde raffiné, dont il serait l’héritier visionnaire.

Ces écoles se présentent comme un outil de transmission vital pour l’histoire millénaire de la tradition irakienne, qui plus est dans un contexte de conflits et d’instabilité géopolitique. Mais plus encore, le ‘ūd aurait le pouvoir bien réel de favoriser la paix. « La culture, l’art et la musique sont les seuls moyens

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8 https://blogs.mediapart.fr/sofisafia/blog9 Propos recueillis par Jean-Pierre Perrin pour Libération, 2016.

de construire un citoyen libre, capable de choisir son propre chemin de vie8 », indique-t-il en 2010 à une jeune journaliste de passage au Caire. Il y a là comme un écho à la musique de Shamma, trait d’union entre la tradi-tion « méditative » de l’école bagdadi et des compositions personnelles s’abreuvant à d’autres sources. En février 2017, le ‘ūdiste est nommé Artiste de l’UNESCO pour la paix. Un rôle qu’il prend très à cœur, lui qui a imaginé une méthode de jeu à une main pour permettre aux victimes de la guerre de s’emparer du luth.

Derrière l’ambition culturelle et militante s’élève également une ambition artistique. En formant de jeunes musiciens arabes à son image virtuose, Naseer Shamma affine la dimension orchestrale à laquelle il aspire. La diversité de timbres et de factures qu’il nous est donnée d’observer lors de ce concert à la Philharmonie de Paris n’est pas sans rappeler la quête d’harmonie musicale de l’illustre philosophe al-Fārābī. D’ailleurs, le luthiste, dans l’esprit de ses manuscrits, a fait ajouter à son instrument un chœur de cordes aiguës pour augmenter sa tessiture et déployer son art dans un éventail de tonalités. Ses collaborations avec d’autres musiciens issus de la scène internationale s’en trouvent « facilitées ».

À 55 ans, plus assuré que jamais, l’artiste est à l’avant-poste de ce que son agent qualifie de « mondialisation du ‘ūd » (la seconde ?). En tous cas, son épopée, où la création et la paix se fondent en un seul horizon, ressemble à ces improvisations dans lesquelles il se lance à partir de quelques notes écrites : « Je vois devant moi quelque chose qui s’ouvre dans le ciel ou la terre. Alors je me précipite dans cette brèche. Il faut perdre son chemin pour en trouver un bien meilleur9. »

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Mohamed Abozekry (Le Caire / Lyon) - mohamedabozekry.comSomar Al-Nasser (Syrie – Le Caire / Grenoble) - https://soundcloud.com/somar-al-nasserNabil Hilaneh (Berlin) - https://soundcloud.com/nabil-hilanaAhmad Shamma (Bagdad / Abu Dhabi) - https://www.youtube.com/user/ahmadshammaBacem Yousfi (Tunis / Lyon)

Édith NicolRemerciements au musicien Amine Mekki-Berrada pour sa relecture.

Naseer Shamma © Samer Abbas

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