19
Olivier Lubaki Parcours d'un migrant, Depuis la région des grands lacs, Jusqu'à la France

Olivier Lubaki - La Cimade · Olivier Lubaki Parcours d'un migrant, Depuis la région des grands lacs, Jusqu'à la France. À celles et ceux qui sont morts en traversant le désert

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

  • Olivier LubakiParcours d'un migrant,

    Depuis la région des grands lacs, Jusqu'à la France

  • À celles et ceux qui sontmorts en traversant le désertou la mer Méditerranée à la

    recherche d'une vie meilleure.

  • J’avais souvent des conversations avec mon grand-pèreet mon oncle maternel qui s’intéressaient à la politique.Quand l’union pour la nation congolaise s’est créée en2010 sous la présidence de Vital KAMERHELWAKANINGINI, je me suis intéressé à ce parti quisoutenait une alternance et une refonte de l’Etat,s’opposant à la majorité présidentielle de JosephKABILA KABANGE, au pouvoir depuis 2001, régimedictatorial, qui décidait de tout.Je décide de répondre à l’appel de l’opposition pourmanifester pacifiquement, le 19 janvier 2015 dans lesartères de la ville de Kinshasa en RépubliqueDémocratique du Congo, pour dire non au projet de loivisant à réviser la loi électorale ainsi que laconstitution. La répression fut grande, plusieursmanifestants et innocents y trouvèrent la mort. Je fusarrêté sur le champ et jeté dans un pick-up avec unedizaine d’autres manifestants et nous étions conduitsvers une destination inconnue.

    1

  • Je fus détenu illégalement pendant quarante et un jourspar les agents des services secrets congolais. Les troispremiers jours j’ai été torturé, allongé sur une table, lesbras attachés. On m’arrosait avec de l’eau glacée, puis on me frappaitavec un tuyau et le quatrième jour deux codétenus ontété assassinés devant nous par ces agents afin de nousdémontrer leur détermination. On m’interrogeaitsurtout la nuit par deux gardes et le chef qui voulaitsavoir quelle était mon implication, et pourquoi jem’opposais au président KABILA dit « le ROI ».Lors de l’interrogatoire, mes bourreaux m’annonçaientqu’ils allaient m’assassiner dans les heures suivantes.J’ai pleuré dans ma langue maternelle en citant le nomde ma mère, cependant l’un d’eux m’a transféré dansune autre cellule car il avait connu mon grand-père etmon oncle militaire. Puis il a décidé de m’aidermoyennant une somme importante de sept cent dollarsaméricains. Il m‘a donné son téléphone pour appelermon père. celui-ci me croyait déjà mort car j’étais portédisparu. le chef lui avait donné rendez-vous àl’extérieur, mon père a apporté la dite somme et il avaitorganisé mon évasion.La nuit du 1 au 2 mars 2015, j’ai revêtu un uniforme del’armée, je suis monté dans une jeep noire et quatreagents de sécurité m’ont conduit à vive allure jusqu’à lacommune de Lingwala près du stade de martyre.

    2

  • Ils m’ont dit de descendre et de quitter le territoirecongolais où j’étais fiché.

    Je me suis caché pendant quelques jours à Kinshasa,puis le 13 avril 2015 mon père a organisé mon voyagevers le Caire en Egypte avec le passeport d’un étudiantcongolais. Plus tard j’ai pu travailler dans une carrièrede marbre de façon clandestine environ onze moisdans un quartier du sud de la ville du Caire.

    Le 5 mai 2016, le chauffeur qui transportait le marbrem’a conduit jusqu’au Nord de l’Egypte dans la banlieued’Alexandrie et m’a mis en relation avec les passeursqui rassemblaient d’autres clandestins dans un petitpoulailler aménagé. Dans cette cachette, il y avait lespersonnes de toutes nationalités (les Syriens,lesPalestiniens, les Egyptiens Coptes et Musulmans, lesSoudanais, les Sud Soudanais, les Somaliens, lesErythréens, les Djiboutiens, les Tchadiens, lesNigériens, les Guinéens, les Centrafricains, lesR.D.Congolais, les Camerounais …). De tout âge, detout état : les anciens, les jeunes garçons et filles, lesenfants et certaines femmes enceintes. Tous nous étionsentassés comme des marchandises apprêtées pourl’exportation, je me rappelle encore de cette femme quiétouffait légèrement la bouche de son fils de peur queses cris signalent aux voisins de notre présence sur lelieu.

    3

  • La nuit du 6 au 7 mai 2016, nous avons été transportésdans un camion couvert d’une bâche jusqu’à unvillage. Sous la bâche, nous étions alignés comme desbestiaux à destination de l’abattoir, je pouvais respirer àpeine et malheureusement un enfant s’est évanoui.Après trente-et-une minutes le camion est arrivé à sonterminus, nous sommes descendus en courant endirection de la plage derrière trois passeurs éclaireurshabillés en noir, ces derniers communiquaient en arabeégyptien avec leurs collègues à l’aide d’un téléphonesatellitaire qui à mon avis nous attendaient dans lebateau de pêcheur. Nous avons couru environ uneheure et demie, tout long du trajet les enfants pleuraientet vomissaient, certaines personnes âgéess’essoufflaient, ils ne pouvaient plus poursuivrela route à cause de la fatigue et les blessures, pour euxle voyage s’était arrêté là.

    Durant cette longue course je suis tombé deux fois dansles sables épineux de la plage et à chaque fois je mesuis relevé et efforcé de poursuivre la route jusqu’aubord de la majestueuse mer méditerranéenne. J’étais àbout de souffle, mon corps était rempli de sueur, demon nez coulait de la morve fraiche, mes yeux étaientremplis des larmes et mon coeur battait certainement àune vitesse inhabituelle.

    Je ne peux oublier cette rude étape qui nécessitait ducourage, de la détermination et de la persévérance.

    4

  • Une fois au bord de la mer méditerranée, nous avonsété scindés en deux groupes de cinquante, moi j’étaisdans le premier groupe. En suite deux passeurs nousdemandèrent de nous diriger vers le canot en bois quis’en allait à vau-l’eau, nous nous sommes précipités.Un compatriote et le marin m’ont aidé à y monter, unefois à bord, nous avons aidé quelques personnes qui s’yétaient attachées qui poussaient des cris de détressespour embarquer. Les autres personnes étaient frappéeset poussées dans la mer par les deux marin car lenombre requis était dépassé. Etant donné que nousn’étions pas loin de la terre ferme, il est fort probablequ’elles ne sont pas noyées et que les vagues de la merles a jetés vers la plage.Après cinq minutes, nous avons été conduits vers unchalutier délabré. Pendant notre transfert, deux ou troispersonnes se sont précipitées et noyées dans la mersuite à une panique créée par une forte vague. Ellesecoua le canot en bois et le déséquilibra. Pendantcette agitation, personne n’avait pris l’initiative de leurvenir en aide car chacun voulait tout d’abord sauver sapeau.

    Une fois dans le ventre du chalutier, nous avons étéconviés à entrer dans la cale où ça sentait le diesel et lepoisson, bref une odeur nauséabonde. Apres troisnavettes du canot en bois, la cale du chalutier étaitpleine à craquer.

    5

  • Trente minutes plus tard nous avons été transférés ànouveau dans un autre chalutier plus grand, pluséquilibré que le premier et dans lequel nous avonsnavigué environ dix heures. Tout au long du trajet, lecapitaine surveillait un bateau qui se dirigeait versnous, celui-ci informa ses coéquipiers que nous étionssuivis sans pour autant préciser par qui. Cesderniers nous demandèrent de rejoindre les autresclandestins dans la cale mais nous étions restés sur lepont car la cale était pleine. Ils nous demandèrent depouvoir nous défendre au cas où ce serait les gardes decôte.Furieux et inquiets, ils aiguisèrent leurs couteaux afinde les utiliser en cas de nécessité, coupèrent le moteuret se mirent à pêcher. Le bateau s’approcha de notrechalutier. Après quelques échanges de trois minutesenviron entre les deux capitaines, soudainement, lenôtre lui demanda de se nommer, quand celui-ciprononça le prénom le plus populaire de l’Egypte. Ilnous demanda de changer rapidement de bateau. Letransfert s’est déroulé sans précipitation aucunependant approximativement vingt à vingt-cinq minutes.Dans cette troisième embarcation, nous y avons trouvéune cinquantaine de personnes qui tentaient ladangereuse traversée. J’étais près du compartiment ducapitaine, nous avons eu quelques échanges, il nemanifestait aucune inquiétude, il écoutait de lamusique et de fois il communiquait avec son téléphonesatellitaire.

    6

  • Le lendemain matin vers 10 heures, nous avonsrencontré un grand bateau chalutier, une fois de plus,nous avons été transférés. Il y avait une foulede personnes qui nous attendait depuis cinq jours.Une fois à bord les membres de l’équipage nousservirent un verre d’eau douce et quelques grammes dedatte pattée.

    Deux jours plus tard, un avion de la marine Italienne aeffectué un vol de reconnaissance vers nous. Lelendemain nous étions secourus par la marineEspagnole et Italienne. Moi j’étais dans le navireEspagnol jusqu’à arriver à Palerme le 13 mai 2016. Puisles autorités Italiennes nous ont mis dans des busjusqu’à Naples. La police nous a forcés à donner nos

    empreintes pour nous enregistrer. J’ai accepté pour êtreprotégé. Mais je ne voulais pas rester en Italie car je neparlais pas la langue. Une dame m’a aidé à rejoindreLyon en voiture puis j’ai pris un bus jusqu’à Paris, puisMontpellier où je suis arrivé le 28 juin.

    Je ne peux retourner au Congo où ma vie est en danger,je suis reconnu là-bas comme un opposant au régimeactuel et fiché dans les services de sécurité. Mon proprefrère, parce qu’il me ressemble, a été plusieurs foisdétenu par ces même services.

    Je n’ai pas été renvoyé en Italie même si j’avais laissémes empreintes digitales là-bas, car le préfet de

    7

  • l’Hérault, par son pouvoir discrétionnaire a autoriséque je puisse faire ma demande d’asile en France le 04juillet 2016 et j’étais soulagé.

    Le 30 novembre 2016, j’ai passé mon entretien dans lelocal de l’Office Français Pour des Réfugiés et Apatridesà Fontenay-sous-Bois dans la région Parisienne et le 17février 2017 j’ai reçu une réponse positive à mademande d’asile par ledit office, me reconnaissant lestatut de réfugié selon la convention de Genièvre du 28juillet 1951.

    Actuellement, je suis dans une période dereconstruction de ma vie et je me bats pour faire venirmes proches qui sont restés dans la tristesse en RDC.

    8

  • Je profite de l’occasion pour remercier tous lesbénévoles de la CIMADE de Montpellier, pour l’aideapportée dans nos démarches administratives.À Sarah THIRIET, plasticienne, qui nous a permis deraconter notre récit au travers de ces éditions et sansoublier Jeanny MISLAND pour son suivi psychologiquequi m’a permis de retrouver la confiance en moi.

    9

    10

  • ACHEVÉ D'IMPRIMER DANS L'UNION EUROPÉEENNE

    POUR LE COMPTE DES ÉDITIONSLE QUAI D'ÉCUME

    EN MAI 2018

  • © Le Quai d'Écume

    Slide 1Slide 2Slide 3Slide 4Slide 5Slide 6Slide 7Slide 8Slide 9Slide 10Slide 11Slide 12Slide 13Slide 14Slide 15Slide 16Slide 17Slide 18Slide 19