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prOtO-type

présent

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Christophe Berdaguer& Marie PéjusArtistes

Elie Duringphilosophe

entretien réalisépar courrier électroniqueen janvier 2010. elie during La Traumathèque, que j’ai eu l’occasion de voir installée récemment

à l’espace Louis Vuitton, me suggère un certain nombre de pistes relatives à la projection psychique, à la construction d’un espace du trauma ou de la mémoire. En y pensant, je tombe sur un texte de Bergson consacré au rêve : c’est une des théories les plus matérialistes qui soient, une pure théorie de la projection, très cinématographique dans son genre, bien loin des perspectives « archéologiques » ouvertes par la psychanalyse. Par association d’idées je me demande quelle peut être la portée critique de la conception et de l’installation d’œuvres-projets du même genre, d’autres machines chimiques ou psychiques, d’autres architectures (Soleil noir, Morphine Landscape, etc.). J’ai l’impression que ces œuvres procèdent tantôt par prolongement ou intensification de tendances déjà massivement présentes dans la réalité (l’emprise du biopouvoir sur les corps et les esprits), tantôt en rendant sensibles d’autres possibilités de vie, des virtualités effectives mais généralement minorées ou refoulées, tantôt enfin en faisant littéralement apparaître de nouveaux possibles, qui ne sont pas nécessairement des formes inversées de l’utopie mais qu’il faut construire tout de même. Ce seraient là différentes versions du constructivisme, différentes manières aussi de se représenter sa portée critique. On pourrait d’ailleurs leur faire correspondre diverses interprétations (pas nécessairement exclusives) des puissances de la fiction et de l’art. Ce type de question nous conduirait à envisager la possibilité d’un art qui se définirait comme « science-fiction », en un sens autre que celui du rapport imaginaire qu’un artiste peut entretenir aux thèmes et aux motifs de la science-fiction comme genre littéraire ou cinématographique. Duchamp était à sa manière un artiste de science-fiction, et son goût pour la quatrième dimension était déjà, littéralement, affaire de projection… La version du constructivisme qui m’intéresse particulièrement, c’est la version « locale ». C’est une tendance qu’on n’aurait pas de mal à isoler au sein même du constructivisme historique (celui des années 1920, en Russie).

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J’ai l’impression d’en retrouver certains gestes dans votre travail. Mon idée est en gros la suivante : il s’agit de construire des situations, mais pas dans le fantasme qui consisterait à placer l’art de plain-pied avec le mouvement social et historique d’un côté (la révolution et sa part utopique), le monde de la production industrielle (machine et marchandise) de l’autre. Je ne sais pas s’il faut l’entendre à la manière de Debord : des situations « sans avenir », simples « lieux de passage ». Je dirais plutôt qu’il s’agit de rendre visibles des lignes de devenir qui sont déjà actives dans le présent, sans verser dans l’anticipation ni la futurologie. Pas de table rase, ni de vision d’apocalypse : dans les deux cas, l’artiste se pose en visionnaire, quand il ne fait pas la leçon ; il s’imagine pouvoir relayer l’imaginaire défaillant de la société en se dotant d’un espace de projection global, qui risque toujours de fonctionner

comme une espèce d’attrape-mouche géant pour les obsessions et les fantasmes qui flottent dans l’air du temps. Les tenants du « projet négatif » en architecture – je pense à Superstudio ou Archizoom – ont épuisé les ressources du genre en barrant complètement le futur, en abolissant toute profondeur pour un pur exercice de projection « plane » : présent plat, atone, où le fonctionnalisme comme tendance lourde du modernisme se renverse en fictionnalisme, comme on le voit avec la fabulation des Douze villes idéales de Superstudio. C’est Zamiatine qui écrivait, dans Nous autres 1 : « L’idéal sera atteint lorsque rien n’arrivera plus. » Le mouvement rétro-guardiste italien des années 1970 (retroguardia) part du principe qu’on y est déjà : plus besoin de projeter le futur puisqu’il est massivement là, sous la figure d’une catastrophe réalisée, ou dont l’ombre portée a déjà atteint toute espérance. On a donc, d’un côté, des perspectives grandioses ou apocalyptiques, de l’autre une mise à plat généralisée qui se donne comme une sorte d’exténuation du projet moderniste : utopie, contre-utopie et projet négatif communiquent par oscillations entre ce pôle hystérique et ce pôle dépressif. Mais je crois que la vérité, c’est qu’on travaille toujours à partir de trames multiples, dans un « Réel » qui est lui-même stratifié, multicouches, c’est-à-dire projeté et fictionné de mille façons. La tradition utopiste tout comme ses avatars négatifs n’ont cessé de produire des prototypes, des formats de représentation, des espaces de monstration spécialement montés pour donner forme à des projets, dans une relation forte aux conditions qui définissent au présent le moment historique – avec toute la signification dynamique qu’il convient d’associer à ce mot, « moment ». L’art contemporain hérite de ces expérimentations qui se donnaient d’abord en effet comme des projections – même lorsque ces projections finissaient par abolir toute profondeur de champ. Nous vivons aujourd’hui avec tout un répertoire d’images du futur, images datées qui sont comme autant de coupes de présents révolus : les artistes doivent en faire quelque chose, ne serait-ce que pour lutter contre l’amnésie d’un art sans passé, qui se rejouerait dans un présent perpétuel ou qui se contenterait de simulacres de projection recyclant sur un mode allégorique les thèmes scientifiques du moment (chaos, mécanique quantique

ou automates cellulaires…). Le constructivisme local, tel que je l’imagine, trouve son point de départ dans cette situation historique, non pour s’approprier des motifs rétro-futuristes, mais pour organiser, ranimer, reprojeter la mémoire des futurs de l’art – des futurs inventés par l’art – en travaillant directement

eugène Zamiatine, Nous Autres (1923), paris, Gallimard, 1971.

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sur des trames multiples, ou encore en y effectuant des forages, des sortes de carottages. Je vois quelque chose de ce genre dans le geste qui consiste à projeter les lignes d’erre de Deligny sur la No-Stop City d’Archizoom…

christophe Berdaguer & marie péjus Oui, les trames multiples, les strates, les contextes, les fictions génèrent une sédimentation, un humus qui permet à l’œuvre de pousser : effectivement rien de visionnaire ni d’héroïque là-dedans, c’est le travail de la terre, on sème, on greffe, on traite, on plante... Le constructivisme local se dessine nous semble-t-il à partir de cet humus. La superposition des cartes de la No-Stop City et des lignes d’erre de Deligny parle aussi de cela. Jean Oury parle d’« archéologiale » à propos de la clinique de Laborde (Deligny a été impliqué dans cette histoire) : ce concept emprunté à Foucault est intéressant si on le place dans le champ des œuvres et de la création. Une œuvre n’est pas un objet hors-sol : elle invente un territoire à partir d’un sol. Les utopies et contre-utopies, comme celles d’Archizoom, Superstudio et bien d’autres, projettent des territoires effrayants, cathartiques mais toujours construits à partir d’un terreau bien réel. Une utopie critique n’est pas la projection d’un monde différent : c’est un instrument « scientifique » de connaissance qui permet de représenter le monde « vrai », la réalité « existante ». Rendre visibles des lignes de devenir, c’est finalement tracer des lignes d’erre. Notre œuvre Ville Erre est constituée à partir, d’une part, des cartes préfigurant la No-Stop City d’Archizoom – une trame géométrique et répétitive –, et d’autre part des cartes réalisées par Fernand Deligny, cartes sur lesquelles il traçait le parcours journalier d’enfants autistes. Les origines de ces deux cartographies sont en apparence très éloignées l’une de l’autre : d’un côté, une dystopie architecturale et urbaine, et de l’autre une tentative de comprendre et de se rapprocher de l’autisme à travers ces parcours que Deligny appelait des « lignes d’erre ». Mais dans les deux cas, la carte n’a pas de place, elle n’occupe pas d’espace : elle n’est pas un objet et ne relève pas du représenté. Il s’agit d’une cartographie mentale : la cartographie d’un projet. L’autre point commun est qu’il s’agit de dysfonctionnements : dysfonctionnement du comportement, dysfonctionnement neurologique en ce qui concerne les lignes d’erre ; dysfonctionnement par une radicalisation absurde de la grille moderniste dans la No-Stop City. Ces deux « cartes », par leur rapprochement, conduisent à réinterroger la question de la norme, de la masse et de l’individu, de l’espace et des pathologies. Construire une œuvre, c’est dessiner la possibilité d’un parcours dans le temps et dans l’espace, et c’est peut-être pour cela que nous préférons penser nos travaux comme des prototypes plutôt que comme des objets finis : il y a du devenir, un potentiel dans lequel le regardeur peut se projeter et imaginer la chaîne de production (symbolique, esthétique, psychique...) qui va avec ce prototype – à chacun de se l’approprier et de l’accueillir dans sa petite entreprise.Mais c’est aussi la question de l’autorité des formes et des idées qui se joue à travers les œuvres. « Faire prototype » plutôt que « faire œuvre », c’est questionner cette autorité. Le prototype est un outil projectif. Les Psychoarchitectures sont

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des prototypes au sens « technique » puisqu’il s’agit de prototypage rapide : ces maquettes de maisons sont des retranscriptions en volume de dessins issus d’un test psychologique, à la fois projet de maison et ectoplasme, matérialisation de notre psyché. Pour reprendre le lien entre art et science-fiction que tu évoques, peut-être que l’art se situe précisément à la limite entre science et fiction, à la frontière, toujours en train de trahir l’une ou l’autre : c’est une double trahison permanente.

ed J’aime bien l’idée que l’œuvre puisse se donner comme un instrument grossissant, ou un « outil projectif ». C’est important de revendiquer cette matérialité du dispositif (cartographie, prototypage), pour éviter que le projet se dissolve complètement en une affaire mentale, un schéma théorique. Il ne s’agit pas simplement d’intensifier, d’aggraver les contradictions, mais de monter un agencement qui permette d’entretenir, comme dirait Deleuze, un nouveau rapport à l’imperceptible : un imperceptible qui n’est pas vacuité, dénuement radical, exténuation de la forme, mais ouverture à la dimension virtuelle des devenirs. J’ai le sentiment que la limite des « projets négatifs » de l’architecture critique tenait précisément au fait que le dispositif y tournait souvent à vide

pour produire une sorte de phénomène de surchauffe. Du coup le projet demeurait sous l’emprise d’une métaphore, d’une parabole dominante. Et le refus de la perspective temporelle – puisque le futur est déjà là – se payait d’une surévaluation de la part spéculative du projet par rapport aux possibilités constructives. À la limite, le projet ne faisait que tendre un miroir du présent, où se réfléchissaient nos angoisses et nos peurs. Le projet était dessiné pour n’être pas construit. On retrouve là un geste propre aux démarches conceptuelles : le projet finit par se réduire à une proposition spéculative, il se concentre dans son dessin, qui manifeste une impossibilité constructive. Or il me semble au contraire que le prototype, cette forme qui se situe entre l’objet et le projet – qui conjugue la logique de l’objet et celle du projet –, a vocation à produire une coupe dans le processus de création artistique, une coupe qui stabilise quelque chose, un premier état de réalisation, fût-ce sur le mode d’un dessin, d’un plan, d’une maquette. J’y vois un état à la fois idéal et expérimental de l’œuvre. « Idéal », parce qu’il s’agit de donner l’idée de ce que l’œuvre pourrait être (une projection locale du futur, donc, mais selon la temporalité propre de l’œuvre), « expérimental » parce que quelque

chose s’y monte et s’y construit, qu’on ne contrôle pas dans toutes ses dimensions. Pour revenir à la Traumathèque, par exemple, ce qui me paraît très intéressant, outre le fait que cette machine psychique nous renvoie l’image un peu spectrale d’un psychisme extravasé, inséparable de ses prolongements prothétiques, c’est la manière dont les gens gèrent l’« enregistrement » sur cassettes VHS de leur séance de projection traumatique : comment ils vont s’approprier le dispositif en inscrivant quelques mots sur l’étiquette de la cassette avant de la ranger sur l’étagère…

cB & mp Un mot quand même sur l’architecture critique et les projets « négatifs ». Ton analyse est juste, mais il reste que ces groupes ont redéfini la notion de projet et inventé des méthodologies qui ont ouvert des espaces pour les architectes

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et les designers, mais aussi pour des artistes comme nous. L’architecture radicale et l’art conceptuel sont des moments de crise de la modernité, de questionnement des pratiques : ces questionnements ont parfois produit des propositions « tautologiques », trop concentrés dans leur dessin comme tu le dis justement, mais ils ont généré aussi des travaux comme ceux de Sottsass ou dans un registre différent de Ricardo Dalisi, et bien d’autres qui ont repensé et nourri leurs pratiques en y intégrant des modes d’analyse issus de champs multiples.Dans notre pratique, la question de l’architecture et, au sens large, du biotope dans lequel nous vivons, a ouvert des portes et des connexions sur des champs de connaissances comme les sciences, l’urbanisme, la psychanalyse, etc. Ces connexions se sont créées à partir du moment où nous avons cessé de penser les œuvres que nous produisions comme des objets clos sur eux-mêmes, pour les considérer plutôt comme des projets, des hypothèses qui se matérialisent par des formes « ouvertes ». Par ailleurs, le fait de concevoir les travaux à deux génère naturellement dans le processus de conception la mise en place de dispositifs de dialogue et d’échange, des parties de ping-pong en quelque sorte. Les formes plastiques que l’on donne à ces échanges conservent et entretiennent (volontairement ou non) quelque chose qui est à discuter, quelque chose qui n’est pas totalement résolu, qui est en devenir. Plutôt que de faire une maison avec des fenêtres et des portes, on ne sait plus quel architecte proposait de faire une maison entièrement close : le futur habitant y aurait été invité à créer lui-même, à coups de masse, les ouvertures manquantes. À chacun d’inventer son point de vue sur le paysage… C’est une belle métaphore de ce qu’est une œuvre : un objet clos dans lequel chacun va pouvoir creuser des ouvertures pour le rendre habitable... Les prototypes inventent du temps, des temporalités, comme tu le dis toi-même : « une projection locale du futur, mais selon la temporalité propre de l’œuvre. » Les Maisons qui meurent sont un projet important dans notre travail : il s’agit en fait de huit projets de maisons qui s’autodétruisent à l’échelle de la vie d’un individu. Dans ce travail, l’architecture se « cale » sur le principe entropique qui nous consume tout au long de notre existence. C’est une architecture clepsydre. Et le projet est ambivalent, puisqu’on peut le voir comme une tombe ou un cénotaphe pour un vivant, mais aussi comme une architecture du plaisir, qui nous pousse à sortir et à nous ouvrir sur le monde. Cette question du temps est présente dans beaucoup de nos travaux, à la fois par la relecture d’utopies, de rétro-futurs, mais également à travers les dispositifs que nous produisons. Soleil noir, par exemple, est un espace que l’on peut voir uniquement à travers un hublot, un espace éclairé par des néons germicides. Cette lumière est nocive : elle émet des ultraviolets qui accélèrent le vieillissement de la matière.

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Dans ce dispositif, le visiteur perçoit l’espace à travers un sas mortifère, son regard traverse un autre espace-temps. Le projet que nous sommes en train d’imaginer pour Ce qui vient questionne lui aussi le rapport au temps et à sa perception, puisqu’il s’agira d’« utiliser » et de « détourner » l’activité de l’entreprise Biotrial (un laboratoire de tests pharmaceutiques), en proposant une combinaison de molécules dont l’addition annule leurs principes actifs. Le principe actif des deux substances ayant pour effet une altération de la perception du temps et du présent, l’addition des deux molécules générerait une perception du temps « normale », une perception en temps réel…

ed C’est une belle idée : le temps réel comme différentiel de vitesses ! Bergson disait, dans le même sens, que notre perception de l’immobilité (ou d’un présent « pur » identifié à l’espace) n’est qu’une illusion d’optique, à peu près comme lorsque deux trains marchent avec la même vitesse, dans le même sens, sur deux voies parallèles : chacun des deux trains apparaît alors immobile pour les voyageurs qui sont assis dans l’autre. On pourrait extrapoler à partir de là et chercher à penser le présent et le simultané comme une dimension fictive du temps historique, un simple point de recoupement entre des perspectives temporelles ouvertes sur le futur et le passé, avec leurs vitesses de déplacement propres. Mais revenons un peu aux prototypes…

cB & mp Pour nous, la pratique du prototype permet tout d’abord de partager une hypothèse avec l’autre. On commence par une hypothèse : il faut tracer une ligne, ses contours, ses entours, et ça met nécessairement en question l’ambiance, c’est-à-dire la qualité de rencontre, d’existence, la connivence qu’on peut définir comme complicité même si on ne se connaît pas. Il faut ensuite inventer la façon dont on va partager cette hypothèse, pour finalement laisser l’autre faire son chemin avec tout ça, et parfois, comme dans la Traumathèque, « récolter » et archiver les traces de ces parcours. Dans ce cas, l’archive ou plutôt le projet d’archive est devenu une sorte de « monument » collectif, un peu comme ces arbres à Moscou, recouverts de cadenas. C’est l’idée d’une communauté des traumas… Mais de façon générale, ce statut particulier du prototype dans le champ de l’art nous semble poser la question de l’invention, de l’artiste comme inventeur et non comme industriel. Cela renvoie aux modes de fabrication, de conception, de reproductibilité : ces questions de production et donc d’économie traversent l’art du XXe siècle à travers les process et la matérialité des œuvres. Dans notre travail, nous ne nous posons pas la question de la matérialité de l’œuvre, du moins pas au départ : c’est le projet lui-même qui va déterminer un processus, une mise en forme spécifique. Les entours dont nous parlions à l’instant vont se dessiner et faire émerger des formes, des images, des maquettes. C’est un peu comme une solution chimique : on cherche à produire une catalyse ou au contraire à conserver les choses dans un état plus indéterminé. Le prototype dans notre travail naît de cette expérience, de ce dosage : il est le fruit d’une catalyse plus ou moins aboutie.

ed Catalyse : c’est encore une question de temps, ou de rythme…