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Hyperphoto J’ai appelé ainsi ces images non pas tant pour leur gigantisme (elles atteignent maintenant les 2 milliards de pixels et pèsent jusqu’à 30 Go) que par référence à l’hyperréalisme. L’hyperréalisme a pu être vu comme une reproduction froide et mécanique du réel par des virtuoses labo- rieux, illusionnistes, qui font confondre au spectateur photographie et peinture. C’est trop réducteur : La lente et laborieuse élaboration du tableau, l’effort humain que cela représente donne un vision intensifiée et densifiée d’un sujet le plus souvent volontairement banal Il y a une folie fascinante et effrayante qui se dégage de ce travail. L’hyperréalisme a facilité une fertilisation croisée entre la photo et la peinture. Le peintre hyper- réaliste est d’abord un photographe, la photo est au cœur de son processus. Je suis un photographe mais aussi un peintre numérique, la retouche, le montage et la synthèse d’images étant au cœur de mon processus. Distortion imperceptible de la réalité Devant une œuvre hyperréaliste, nous ne sommes pas devant un trompe l’œil, on sait qu’on est devant une image, l’échelle est disproportionnée, par exemple. Dans mes hyperphotos, je distord aussi impercepti- blement la réalité; nous savons ainsi que l’on est pas devant un vrai paysage mais devant un rêve, un mirage. L’image photographique a valeur de preuve, la fiction s’appuie sur une réalité qui a toute l’apparence du vrai. La frontière entre l’illusion et la réalité est floue, j’aime m’y promener et la traverser. Les grands panoramas Nous avons tous été fascinés par le pouvoir que procure l’appareil photo : voir plus. 1. en figeant le temps. Le temps arrêté, nous avons tout le temps après coup d’examiner le cliché et découvrir une foule de détails que nous n’avions pas vu sur le coup (thème du film Blow Up ou un photographe est témoin d’un meurtre sans le savoir) 2. En voyant plus large ou plus près. d’où cette course aux objectifs grand-angle et télé- objectifs, et la fascination pour ces satellites qui carto- graphient la terre entière dans ses moindres détails. Tentative au grand-angle J’ai commencé par utiliser des objectifs ultra grand- angulaires. La déformation et l’amplification de la perspective qu’ils engendrent, typiquement photogra- phiques, souvent intéressantes ne convenaient pas à mon projet : embrasser le plus vaste espace possible pour m’y perdre, dans un champ de 180°, 270° et même 360° mais avec une déformation contrôlée, sans créer d’effet trop voyant. Je voulais restituer ce que je voyais sur place en tournant la tête sans avoir l’impression de passer par un objectif et ses limites. De plus, je ne pou- vais pas dépasser 180° avec un grand angle (fish-eye) Appareil panoramique J’ai alors essayé des appareils panoramiques :l’objec- tif monté sur une tourelle rotative actionnée par un mécanisme d’horlogerie balaye le champ en tournant et projette l’image sur le film qui est lui même bombé. Les résultats sont surprenants et magnifiques mais la technique comporte aussi ses défauts : toutes les droi- tes parallèle à l’horizon sont courbées. Cette caractéris- tique très intéressante est très typée «appareil panora- mique», trop systématique et pas forcement voulue. Exemple de courbures panoramiques Juxtaposition d’images numériques J’ai alors commencé à prendre une succession d’images de droite à gauche puis à les recoller dans photoshop afin d’obtenir un panorama.Cela ne me suffisait pas de n’obtenir que des bandes horizontales très étirées. J’ai donc décidé de les empiler aussi verticalement. Bien sur, cela m’a posé encore plus de problèmes : ceux que je vous ai montrés pour l’horizontal et ceux crées par l’empilement vertical. Il s’agit d’un problème de cartographie : projeter sur un plan (la photographie) un quart de sphère (le paysage à photographier) Sur un planisphère (la projection d’une sphère sur un plan), les poles sont très étirés pour couvrir la même longueur que l’équateur. C’est cette déformation que créé un objectif grand-angle Une autre possibilité et la projection cylindrique: c’est ce que produit l’appareil panoramique. Plutôt que d’étirer les poles, on courbe les droites parallèle à l’horizon. J’ai essayé des logiciels d’assemblage comme Stitcher de Realviz et emblend:ils génèrent ces 2 types de pro- jection avec leurs défauts. Et surtout ils ne sont pas en mesure de calculer des images de cette taille. Ciel en projection plane Ciel en projection sphérique J’ai préféré utiliser une solution beaucoup plus longue mais plus maîtrisée : assembler les images avec Pho- toshop en les déformant le moins possible; cela génère des “trous” : Voici ci-dessous une forêt prise sous un angle horizontal de 180° et vertical de 75° (Presque 1/4 de sphère). La première bande en bas est constituée de 16 images. Au sommet, pour balayer le même angle horizontal de 180°, le nombre d’images nécessaires est bien inférieur théoriquement, au sommet, c’est une image unique (qui se répète en tournant progressivement jusqu’à 180°). Pour bien comprendre, imaginez que les photos soient les pierres d’une voûte sphérique que nous voulons étaler sur un plan. Nous obtenons un triangle: 16 pierres à la base et une au sommet (la clef de voûte). Or nous voulons obtenir un rectangle. Pour cela, Il faut donc soit élargir, soit espacer les pierres (les photos) des rangées supérieures. Si je n’étire pas les images du haut comme le fait un grand-angle, je les espace et doit ensuite combler les trous : je photographie, détoure et ajuste des quantités de branches et de tronc pour recréer les pièces man- quante du puzzle. Il faut tout “redessiner”. Cependant, ce n’est pas de l’image de synthèse ; tous les éléments sont des photographies. Ebauche de «hiver à Versailles» «Hiver à Versailles» C’est une demi sphère : dans le 1/4 de sphère supé- rieur, le ciel uniformément nuageux en réalité prend cet aspect de champignon car je l’ai assemblé tel quel sans déformations (c’est notre 1/2 voûte projetée à plat sans étirer les photos ni laisser de trous). J’ai rajouté alors du ciel bleu autour pour remplir le cadre. On voit que le champ est un quart de sphère en symétrie. Les plaisirs du puzzle, la plongée dans les détails. Derrière l’écran de l’ordinateur, cloner, assembler, redessiner ces centaines de troncs, branches, feuilles,c’est une fantastique exploration dans le détail. Une plongée de l’infiniment grand dans l’infiniment petit. J’ai recomposé ces paysages en découvrant tous ces détails qui m’avaient échappés au premier abord : Une araignée sur sa toile dans les fougères du sous bois, tous ces avions invisibles à l’œil nu dans le ciel que je prenais parfois pour des poussières sur la photo, j’ob- servais les brins d’herbes un par un, les épis de céréa- les, étonné de leur diversité. J’ai photographié de nuit New York vue d’un immeuble de Central Park Avenue, d’où j’avais une vue a 180 ° de la skyline. A raison de 20 seconde de pose pour chacun des 400 clichés, j’ai beau y avoir passé de nombreuses heures, je dois avouer que je n’y voyais pas grand- chose, dans le viseur de mon téléobjectif. Juste quel- ques fenêtres et points lumineux. Au montage, magie ! Derrière les fenêtres sans volets et sans rideaux, toute Cas particulier: « Coquelicots» une vie se révélait avec impudeur : des intérieurs, des terrasses fantastiques, des gens derrière leurs fenêtres (j’en air rajouté quelques uns bien sur). Central Park n’était qu’une immense masse noire, au point que j’ai sauté certaines zones trop noires (je l’ai regretté car j’ai du les recréer par la suite). Sur mon écran les photos m’ont révélé une houle de détails, pas de crime comme dans blow up (je l’espérais secrète- ment…) mais des promeneurs, des arbres fantasmago- riques. Détails de NY Les retraits puis les ajouts Pour créer mon monde idéal, il me fallait éliminer tout ce qui me gênait : maisons, poteaux électriques, voitures, panneaux de signalisation. En général tout ce qui signe la présence humaine afin de redonner au paysage sa virginité. Paysage vierge, mais pas sauvage. Souvent cultivé. J’ais un attrait pour le blé, les céréales. Ces champs me fascinent par leur sage régularité, ils imposent au paysage un rythme solide et apaisant. Ils forment un grand jardin à la française. La nature, nourricière, est maîtrisée, domestiquée. Et donc le rêve aussi… « Vélo au couchant » «Champ du soir» «Fauteuil solitaire» Que ce soit après les semis, juste avant la moisson ou après les labour, j’aime contempler ce travail accompli, patiemment, consciencieusement… comme le puzzle… Pour ceux qui passent devant ce paysage sans s’y attarder, il n’y a que désolation. C’est le règne des objets qui se mettent en scène. Mais dans ces déserts, la vie fourmille, silencieuse. Elle est toujours présente, discrète, visible uniquement par ceux qui s’arrêtent et prennent la peine d’observer: araignées, serpent, coccinelles, oiseaux, petit rat dans le champ, cerf a la lisière de la forêt. détails de «Mémoire des Arbres» Détail de «Coquelicots Détail de «Orge» Détail de «Aller-Retour» L’homme est rarement présent : des pêcheurs dans « la conférence de Burano » et un tracteur en activité dans « travaux des champs »; mais ils semblent être la depuis toujours... Ils pratiquent leur métier séculaire et exploitent la terre ou la mer. Oiseau en cage dans «Coquelicots» Détail de «Travaux des Champs» Détail de «La Conférence de Burano» Mes racines. La famille. La mémoire. Les personnes que j’insère appartiennent à ma famille, mes racines : ils ne sont pas la par hasard. Ce sont mes témoins, ils racontent mon histoire. La petite fille au centre (que j’ai voulu la plus ressem- blante à la petite ALice de Lewis Caroll) présente au spectateur l’autoportrait de mon arrière grand père, le peintre Jules Alexis Muenier. De mes ancêtres, c’est le seul que je connais par les œuvre qu’il a laissée. Je peux les contempler tous les jours, bien après sa mort. Des autres, je n’ai que des photos anonymes que j’ai fait flotter dans le lac-fleuve Léthé au pied des raci- nes. Parmi ces photos, un exemplaire de la Vie Mode d’emploi de Georges Perec, cet auteur qui avait une telle conscience de la mémoire et surtout de l’oubli... Au dessus, à l’air libre, la vie. Dans l’arbre, j’ai inséré de nombreux oiseaux et des écureuils. Dans le parc, j’ai laissé les promeneurs et placé un ami peintre, Damien Vervust, face à son tableau «Source» : une eau qui ruisselle continuellement, symbole des sou- venirs qui s’échappent. Plage des souvenirs «Doué d’ubiquité, l’artiste crée l’image et s’y intègre. Observateur observé, il s’introduit dans un étrange jeu de miroir pour faire défiler ceux qu’il aime, qui le précè- dent et le suivent, son avant et son après … Sa famille. Un peu de chacun vibre dans l’autre. Qui n’a jamais rêvé de rassembler ceux déjà morts et ceux à naître ? L’Eden est peut-être là, dans cette vision unitaire du temps et de l’espace où une même lignée se retrouve. Fils, père, bientôt grand-père, le photographe est maillon de la chaîne déroulée le long de sa plage des souvenirs. Derrière le ballet silencieux de cette prome- nade balnéaire, le doux chuintement des vagues et du vent mêlé aux rires des enfants revient en écho loin- tain. Temps suspendu, temps de vacance … L’image est infinie, peuplée de moments intenses, comme le fil de la vie passé de génération en génération.» Marie Pierre Menahem Kemmel J’ai mêlé aux photos récentes des photos-souvenirs: ainsi au dessus de ma fille enceinte et son ami, scotchée sur la porte de la cabine, une photo de mon épouse et moi au même âge, il y a 25 ans. A coté de mes enfants adultes, une photo les fait revivre enfant jouant dans l’eau. Au dessus de la chaise vide, mon grand-père décédé depuis longtemps. Tout est recomposé, recolorisé numériquement, redéssiné comme le scotch qui tient les photos...Il y a une nette distortion de la perspec- tive: pour obtenir une image comme celle ci, il aurait fallu prendre ces cabines au télescope, à une distance de plusieurs km. Les planches au sol, comme les cabines, ont été photographiées une par une, de face, assemblées, puis remises globalement en perspective. Les assemblages Ces paysages sont souvent très recomposés. Afin d’obtenir ce que je cherchais, je me suis constitué des collections d’arbres, de cieux, de champs, de forêts que j’assemble ensuite. L’éclairage J’ai pu ainsi non seulement mettre exactement les objets que je voulais, mais aussi retrouver la maîtrise de l’éclairage que j’ai en studio: je photographie un champ sous un certain éclairage mais je lui choisis un ciel totalement différent, afin de retrouver ces atmos- phères d’orage surréalistes, très «décor de cinéma». Les répétitions Sur mes premières compositions, il n’y avait qu’un ob- jet très intégré : vélo au couchant, coquelicots. J’ai à un moment commencé à les répéter. Ils s’imposent dans le décor, donnent un rythme, une rigueur et surtout l’échelle, cette notion de profondeur qui avait tendance à disparaître dans ces paysages si dépouillés. La répétition du même objet ajoute un coté obsédant, hypnotisant et favorise le rêve Chez moi, toute la journée, mon chien, assis sur un fau- teuil, attend. Le fauteuil aussi semble t-il. J’ai toujours aimé en m’asseyant dans un fauteuil ancien, caresser l’idée que des humains innombrables, s’ y sont assis avec volupté, l’on possédé. Ils ne sont plus, lui reste… Les bras toujours ouvert pour accueillir un nouvel oc- cupant. J’attache beaucoup d’importance a ces objets : ce sont instruments d’un dialogue silencieux entre les hommes, après qu’ils aient disparus. Netteté Enfin, je voulais une netteté absolue : celle d’une carte de géographie, d’une planche de botanique ou d’entomologie, ou chaque plante, chaque animal est répertorié, a une place précise. J’avais auparavant déjà photographié des paysages avec une chambre photographique grand format mais je n’avais pas ces resultats car: - Malgré les possibilités de bascule et de décentrement qui permettent beaucoup de choses (en particulier l’amélioration de la netteté grâce à la règle de Shem- pflug), ce n’était pas possible d’obtenir une netteté to- tale aussi bien à 30 cm qu’à l’infini. - Les lointains sont en plus toujours un peu brumeux et diffus (comme l’enseignait Leonard de Vinci dans son traité sur la peinture) : je contraste et renforce ces infinis. - Aucun objectif ne peut fournir en une seule prise de vue cette netteté que j’obtiens en assemblant 1000 clichés. Le fait de photographier par bandes horizontales m’a permis en faisant à chaque fois la mise au point d’être toujours le plus net possible. Autres problèmes : - Pour chaque vue avec un premier plan très proche, je suis obligé parfois de faire au moins 2 prises, l’une avec une mise au point sur l’arrière, l’autre sur le premier plan, et détourer ce dernier pour l’incruster sur l’arrière plan net. - Lorsque la mise au point est faite sur l’arrière les objets avant, flous, sont plus gros que lorsque le point est fait sur eux. Je doit donc les effacer avant de faire l’incorporation du 1° plan - Souvent, il s’agit de feuilles ou d’herbes agitées par le vent. Je fais de nombreuses vues... Restent les nombreux autres problèmes à résoudre dus aux défauts des objectifs: vignetage, barillet…Ils sont maintenant résolu grace aux récent modules de DXO, photoshop, Nikon capture…On a l’embarras du choix, mais il y a une constante; c’est toujours long... A la recherche du jardin d’Eden Dans les images du début, les objets sont en attente (du retour de l’homme ?) Tout est immobile, figé, glacé même… parfois inquiétant, comme après une catastro- phe. Peu à peu, l’angoisse a fait place à une euphorie. Peut-être cette sensation que j’éprouvai devant cette capacité de modeler mes rêves et d’y trouver l’Eden. Au départ, je collectionnais les arbres morts et les ciels d’orage, j’ai collecté ensuite les arbres en fleurs, les ciels bleus, les soleils couchant. La pomme de la tenta- tion, le serpent, la responsabilité que nous portons sont bien sûr toujours présents. «Eden et 2 détails» «Le Péché Originel» et 2 détails Souffle de vérité Sur feuille qui flotte au dessus de la table de la cène et ses 13 chaises vides, est inscrit en hébreu le passage de l’évangile:JeanXVI.16-25. C’est l’attente et la fidélité récompensée (symbolisée par les chiens dans fleurs) . Vraisemblance Ces images sont très fabriquées, recomposées. Nous sommes loin de l’instantané mais j’ai voulu que cela reste de la photographie, que l’on y croit : j’ai donc veillé à rester dans la plus grande vraisemblance pho- tographique possible : respect des ombres, des reflets, des défauts de la réalité. Elles ne sont pas encore ache- vées et je ne sais pas quand elles le seront. A chaque fois que je regarde une image, je trouve un nouveau petit défaut, difficile à déceler. Contraintes Arrêter le temps… Dans le cas de ces prises de vue, ce n’est pas si facile. En effet, prendre 1000 vues ne se fait pas en 1/30 de seconde. Plutôt 2 ou 3heures. Les cieux tourmentés que j’aime ne m’attendent pas. Parfois la magnifique lumière d’un éclairci ne dure que quelques minutes. A peine le temps de démarrer la sé- rie de shoots. La pluie se met aussi de la partie. Et surtout même dans les meilleures conditions, les nua- ges bougent, changent, et vite… ce qu’il y a de plus fugace, c’est un coucher de soleil. Le temps de faire le tour d’horizon, et il a disparu. Je suis donc obligé de changer de méthode : je commence à prendre le ciel dans son panorama bien avant que le soleil ne soit à l’horizon. Quand ce dernier se couche, je quadrille alors le ciel tout autour, puis le réincorpore dans le pano- rama. Au début je prenais ces photos dans l’urgence, je sais maintenant qu’il faut vraiment prendre son temps. A gagner quelques minutes à la prise de vue, je risque d’avoir des variations de lumière ou des trous (clichés manquants). Les réparer va demander plusieurs jours de travail derrière l’ordinateur. Lorsque je me promène dans un lieu, je me déplace, promène mon regard, m’approche, m’éloigne, prend connaissance et possession de l’endroit, mais le temps fuit : tout m’échappe, la lumière change, les animaux se cachent, la nuit tombe. Je ne suis pas sûr de retrou- ver ce moment. Conclusion: un retour aux origines. Pour conclure, je voudrais dire que ce travail hyperréa- liste est en quelques sortes un retour aux origines. Lorsque la photographie fut découverte, ce fut surtout une curiosité. Ses inventeurs, Niepce et Talbot surpris par le résultat, n’ont pas compris tout de suite l’intérêt immédiat de ce qu’ils ont obtenus. Des peintres furent les premiers à se saisir de cette technique, non pour en faire un art mais comme ins- trument, dans la continuité de la camera obscura. Mon arrière grand père Jules Alexis Muenier peintre Franc-comtois (1863-1942) nous a laissé des centai- nes de photographies sur plaques de verre de person- nages, de paysages, de clochers, de meubles. C’est lui qui est présent dans Racines. Dans son ouvrage récent, «Beyond impressionism, the naturalist inpuls», Gabriel P. Weisberg, professeur d’histoire de l’art à l’université du Minnesota, explique que, au moyen d’une lanterne magique, il projetait ces clichés sur sa toile pour les reproduire et composer son tableau. Les peintres naturalistes de Franche Conté procédaient ainsi, en cachette bien sûr car le procé- dé était secret…Ces premiers photographes peintres avaient déjà ainsi leurs catalogues de clichés et re- composaient leur paysage en atelier. Gustave Legray (1820 - 1882) faisait déjà des pano- ramas en juxtaposant ses clichés. Lors de la récente exposition de son œuvre à la Bibliothèque Nationale, nous avons constaté qu’il recomposait ses images car on retrouvait le même ciel sur des images différentes. «The Haystack» de William Henry Fox Talbot (1800-1877): La planche X de « The Pencil of Nature » veut faire la preuve que la photographie peut repro- duire «une multitude d’infimes détails qui ajoutent à la vérité et au réalisme de la représen- tation et qu’un artiste ne pour- rait prendre la peine de copier fidèlement d’après nature ». Citons enfin le peintre David Hockney : fasciné par le Grand Canyon, il l’a beaucoup peint, et l’a reproduit par assemblages de polaroïds. Vous pourrez lire la conférence sur www.hyper-photo.com Pour d’autres informations: [email protected] EXTRAIT DE LA CONFÉRENCE DONNÉE PAR L’ARTISTE À L’ECOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES BEAUX ARTS DE PARIS EN 2005 ET AUX RENCONTRES INTERNATIONALES DE ARLES EN 2006

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Juxtaposition d’images numériques Les personnes que j’insère appartiennent à ma famille, mes racines : ils ne sont pas la par hasard. Ce sont mes témoins, ils racontent mon histoire. Mes racines. La famille. La mémoire. L’homme est rarement présent : des pêcheurs dans « la conférence de Burano » et un tracteur en activité dans « travaux des champs »; mais ils semblent être la depuis toujours... Ils pratiquent leur métier séculaire et exploitent la terre ou la mer.

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Hyperphoto

J’ai appelé ainsi ces images non pas tant pour leur gigantisme (elles atteignent maintenant les 2 milliards de pixels et pèsent jusqu’à 30 Go) que par référence à l’hyperréalisme.L’hyperréalisme a pu être vu comme une reproduction froide et mécanique du réel par des virtuoses labo-rieux, illusionnistes, qui font confondre au spectateur photographie et peinture. C’est trop réducteur : La lente et laborieuse élaboration du tableau, l’effort humain que cela représente donne un vision intensifiée et densifiée d’un sujet le plus souvent volontairement banal Il y a une folie fascinante et effrayante qui se dégage de ce travail. L’hyperréalisme a facilité une fertilisation croisée entre la photo et la peinture. Le peintre hyper-réaliste est d’abord un photographe, la photo est au cœur de son processus. Je suis un photographe mais aussi un peintre numérique, la retouche, le montage et la synthèse d’images étant au cœur de mon processus.

Distortion imperceptible de la réalité

Devant une œuvre hyperréaliste, nous ne sommes pas devant un trompe l’œil, on sait qu’on est devant une image, l’échelle est disproportionnée, par exemple. Dans mes hyperphotos, je distord aussi impercepti-blement la réalité; nous savons ainsi que l’on est pas devant un vrai paysage mais devant un rêve, un mirage. L’image photographique a valeur de preuve, la fiction s’appuie sur une réalité qui a toute l’apparence du vrai. La frontière entre l’illusion et la réalité est floue, j’aime m’y promener et la traverser.

Les grands panoramas

Nous avons tous été fascinés par le pouvoir que procure l’appareil photo : voir plus.

1. en figeant le temps. Le temps arrêté, nous avons tout le temps après coup d’examiner le cliché et découvrir une foule de détails que nous n’avions pas vu sur le coup (thème du film Blow Up ou un photographe est témoin d’un meurtre sans le savoir)

2. En voyant plus large ou plus près.d’où cette course aux objectifs grand-angle et télé- objectifs, et la fascination pour ces satellites qui carto-graphient la terre entière dans ses moindres détails.

Tentative au grand-angle

J’ai commencé par utiliser des objectifs ultra grand- angulaires. La déformation et l’amplification de la perspective qu’ils engendrent, typiquement photogra-phiques, souvent intéressantes ne convenaient pas à mon projet : embrasser le plus vaste espace possible pour m’y perdre, dans un champ de 180°, 270° et même 360° mais avec une déformation contrôlée, sans créer d’effet trop voyant. Je voulais restituer ce que je voyais sur place en tournant la tête sans avoir l’impression de passer par un objectif et ses limites. De plus, je ne pou-vais pas dépasser 180° avec un grand angle (fish-eye)

Appareil panoramique

J’ai alors essayé des appareils panoramiques :l’objec-tif monté sur une tourelle rotative actionnée par un mécanisme d’horlogerie balaye le champ en tournant et projette l’image sur le film qui est lui même bombé. Les résultats sont surprenants et magnifiques mais la technique comporte aussi ses défauts : toutes les droi-tes parallèle à l’horizon sont courbées. Cette caractéris-tique très intéressante est très typée «appareil panora-mique», trop systématique et pas forcement voulue.

Exemple de courbures panoramiques

Juxtaposition d’images numériques

J’ai alors commencé à prendre une succession d’images de droite à gauche puis à les recoller dans photoshop afin d’obtenir un panorama.Cela ne me suffisait pas de n’obtenir que des bandes horizontales très étirées. J’ai donc décidé de les empiler aussi verticalement. Bien sur, cela m’a posé encore plus de problèmes : ceux que je vous ai montrés pour l’horizontal et ceux crées par l’empilement vertical. Il s’agit d’un problème de cartographie : projeter sur un plan (la photographie) un quart de sphère (le paysage à photographier)Sur un planisphère (la projection d’une sphère sur un plan), les poles sont très étirés pour couvrir la même longueur que l’équateur. C’est cette déformation que créé un objectif grand-angleUne autre possibilité et la projection cylindrique: c’est ce que produit l’appareil panoramique. Plutôt que d’étirer les poles, on courbe les droites parallèle à l’horizon.J’ai essayé des logiciels d’assemblage comme Stitcher de Realviz et emblend:ils génèrent ces 2 types de pro-jection avec leurs défauts. Et surtout ils ne sont pas en mesure de calculer des images de cette taille.

Ciel en projection plane

Ciel en projection sphérique

J’ai préféré utiliser une solution beaucoup plus longue mais plus maîtrisée : assembler les images avec Pho-toshop en les déformant le moins possible; cela génère des “trous” :Voici ci-dessous une forêt prise sous un angle horizontal de 180° et vertical de 75° (Presque 1/4 de sphère).

La première bande en bas est constituée de 16 images. Au sommet, pour balayer le même angle horizontal de 180°, le nombre d’images nécessaires est bien inférieur théoriquement, au sommet, c’est une image unique (qui se répète en tournant progressivement jusqu’à 180°).Pour bien comprendre, imaginez que les photos soient les pierres d’une voûte sphérique que nous voulons étaler sur un plan. Nous obtenons un triangle: 16 pierres à la base et une au sommet (la clef de voûte). Or nous voulons obtenir un rectangle. Pour cela, Il faut donc soit élargir, soit espacer les pierres (les photos) des rangées supérieures.Si je n’étire pas les images du haut comme le fait un grand-angle, je les espace et doit ensuite combler les trous : je photographie, détoure et ajuste des quantités de branches et de tronc pour recréer les pièces man-quante du puzzle. Il faut tout “redessiner”. Cependant, ce n’est pas de l’image de synthèse ; tous les éléments sont des photographies.

Ebauche de «hiver à Versailles»

«Hiver à Versailles»

C’est une demi sphère : dans le 1/4 de sphère supé-rieur, le ciel uniformément nuageux en réalité prend cet aspect de champignon car je l’ai assemblé tel quel sans déformations (c’est notre 1/2 voûte projetée à plat sans étirer les photos ni laisser de trous). J’ai rajouté alors du ciel bleu autour pour remplir le cadre. On voit que le champ est un quart de sphère en symétrie.

Les plaisirs du puzzle, la plongée dans les détails.

Derrière l’écran de l’ordinateur, cloner, assembler, redessiner ces centaines de troncs, branches, feuilles,c’est une fantastique exploration dans le détail. Une plongée de l’infiniment grand dans l’infiniment petit.J’ai recomposé ces paysages en découvrant tous ces détails qui m’avaient échappés au premier abord : Une araignée sur sa toile dans les fougères du sous bois, tous ces avions invisibles à l’œil nu dans le ciel que je prenais parfois pour des poussières sur la photo, j’ob-servais les brins d’herbes un par un, les épis de céréa-les, étonné de leur diversité.J’ai photographié de nuit New York vue d’un immeuble de Central Park Avenue, d’où j’avais une vue a 180 ° de la skyline. A raison de 20 seconde de pose pour chacun des 400 clichés, j’ai beau y avoir passé de nombreuses heures, je dois avouer que je n’y voyais pas grand-chose, dans le viseur de mon téléobjectif. Juste quel-ques fenêtres et points lumineux. Au montage, magie ! Derrière les fenêtres sans volets et sans rideaux, toute

Cas particulier: « Coquelicots»

une vie se révélait avec impudeur : des intérieurs, des terrasses fantastiques, des gens derrière leurs fenêtres (j’en air rajouté quelques uns bien sur).

Central Park n’était qu’une immense masse noire, au point que j’ai sauté certaines zones trop noires (je l’ai regretté car j’ai du les recréer par la suite). Sur mon écran les photos m’ont révélé une houle de détails, pas de crime comme dans blow up (je l’espérais secrète-ment…) mais des promeneurs, des arbres fantasmago-riques.

Détails de NY

Les retraits puis les ajouts

Pour créer mon monde idéal, il me fallait éliminer tout ce qui me gênait : maisons, poteaux électriques, voitures, panneaux de signalisation. En général tout ce qui signe la présence humaine afin de redonner au paysage sa virginité. Paysage vierge, mais pas sauvage. Souvent cultivé. J’ais un attrait pour le blé, les céréales.

Ces champs me fascinent par leur sage régularité, ils imposent au paysage un rythme solide et apaisant. Ils forment un grand jardin à la française. La nature, nourricière, est maîtrisée, domestiquée. Et donc le rêve aussi…

« Vélo au couchant »

«Champ du soir»

«Fauteuil solitaire»

Que ce soit après les semis, juste avant la moisson ou après les labour, j’aime contempler ce travail accompli, patiemment, consciencieusement… comme le puzzle…Pour ceux qui passent devant ce paysage sans s’y attarder, il n’y a que désolation. C’est le règne des objets qui se mettent en scène.

Mais dans ces déserts, la vie fourmille, silencieuse. Elle est toujours présente, discrète, visible uniquement par ceux qui s’arrêtent et prennent la peine d’observer: araignées, serpent, coccinelles, oiseaux, petit rat dans le champ, cerf a la lisière de la forêt.

détails de «Mémoire des Arbres»

Détail de «Coquelicots Détail de «Orge» Détail de «Aller-Retour»

L’homme est rarement présent : des pêcheurs dans « la conférence de Burano » et un tracteur en activité dans « travaux des champs »; mais ils semblent être la depuis toujours... Ils pratiquent leur métier séculaire et exploitent la terre ou la mer.

Oiseau en cage dans «Coquelicots»

Détail de «Travaux des Champs»

Détail de «La Conférence de Burano»

Mes racines. La famille. La mémoire.

Les personnes que j’insère appartiennent à ma famille, mes racines : ils ne sont pas la par hasard. Ce sont mes témoins, ils racontent mon histoire.

La petite fille au centre (que j’ai voulu la plus ressem-blante à la petite ALice de Lewis Caroll) présente au spectateur l’autoportrait de mon arrière grand père, le peintre Jules Alexis Muenier. De mes ancêtres, c’est le seul que je connais par les œuvre qu’il a laissée. Je peux les contempler tous les jours, bien après sa mort.Des autres, je n’ai que des photos anonymes que j’ai fait flotter dans le lac-fleuve Léthé au pied des raci-nes. Parmi ces photos, un exemplaire de la Vie Mode d’emploi de Georges Perec, cet auteur qui avait une telle conscience de la mémoire et surtout de l’oubli... Au dessus, à l’air libre, la vie. Dans l’arbre, j’ai inséré de nombreux oiseaux et des écureuils. Dans le parc, j’ai laissé les promeneurs et placé un ami peintre, Damien Vervust, face à son tableau «Source» : une eau qui ruisselle continuellement, symbole des sou-venirs qui s’échappent.

Plage des souvenirs

«Doué d’ubiquité, l’artiste crée l’image et s’y intègre. Observateur observé, il s’introduit dans un étrange jeu de miroir pour faire défiler ceux qu’il aime, qui le précè-dent et le suivent, son avant et son après … Sa famille. Un peu de chacun vibre dans l’autre. Qui n’a jamais rêvé de rassembler ceux déjà morts et ceux à naître ? L’Eden est peut-être là, dans cette vision unitaire du temps et de l’espace où une même lignée se retrouve.

Fils, père, bientôt grand-père, le photographe est maillon de la chaîne déroulée le long de sa plage des souvenirs. Derrière le ballet silencieux de cette prome-nade balnéaire, le doux chuintement des vagues et du vent mêlé aux rires des enfants revient en écho loin-tain. Temps suspendu, temps de vacance … L’image est infinie, peuplée de moments intenses, comme le fil de la vie passé de génération en génération.»

Marie Pierre Menahem Kemmel

J’ai mêlé aux photos récentes des photos-souvenirs: ainsi au dessus de ma fille enceinte et son ami, scotchée sur la porte de la cabine, une photo de mon épouse et moi au même âge, il y a 25 ans. A coté de mes enfants adultes, une photo les fait revivre enfant jouant dans l’eau. Au dessus de la chaise vide, mon grand-père décédé depuis longtemps. Tout est recomposé, recolorisé numériquement, redéssiné comme le scotch qui tient les photos...Il y a une nette distortion de la perspec-tive: pour obtenir une image comme celle ci, il aurait fallu prendre ces cabines au télescope, à une distance de plusieurs km. Les planches au sol, comme les cabines, ont été photographiées une par une, de face, assemblées, puis remises globalement en perspective.

Les assemblages

Ces paysages sont souvent très recomposés.Afin d’obtenir ce que je cherchais, je me suis constitué des collections d’arbres, de cieux, de champs, de forêts que j’assemble ensuite.

L’éclairage

J’ai pu ainsi non seulement mettre exactement les objets que je voulais, mais aussi retrouver la maîtrise de l’éclairage que j’ai en studio: je photographie un champ sous un certain éclairage mais je lui choisis un ciel totalement différent, afin de retrouver ces atmos-phères d’orage surréalistes, très «décor de cinéma».

Les répétitions

Sur mes premières compositions, il n’y avait qu’un ob-jet très intégré : vélo au couchant, coquelicots. J’ai à un moment commencé à les répéter. Ils s’imposent dans le décor, donnent un rythme, une rigueur et surtout l’échelle, cette notion de profondeur qui avait tendance à disparaître dans ces paysages si dépouillés.

La répétition du même objet ajoute un coté obsédant, hypnotisant et favorise le rêve

Chez moi, toute la journée, mon chien, assis sur un fau-teuil, attend. Le fauteuil aussi semble t-il. J’ai toujours aimé en m’asseyant dans un fauteuil ancien, caresser l’idée que des humains innombrables, s’ y sont assis avec volupté, l’on possédé. Ils ne sont plus, lui reste…Les bras toujours ouvert pour accueillir un nouvel oc-cupant. J’attache beaucoup d’importance a ces objets : ce sont instruments d’un dialogue silencieux entre les hommes, après qu’ils aient disparus.

Netteté

Enfin, je voulais une netteté absolue : celle d’une carte de géographie, d’une planche de botanique ou d’entomologie, ou chaque plante, chaque animal est répertorié, a une place précise.

J’avais auparavant déjà photographié des paysages avec une chambre photographique grand format mais je n’avais pas ces resultats car: - Malgré les possibilités de bascule et de décentrement qui permettent beaucoup de choses (en particulier l’amélioration de la netteté grâce à la règle de Shem-pflug), ce n’était pas possible d’obtenir une netteté to-tale aussi bien à 30 cm qu’à l’infini. - Les lointains sont en plus toujours un peu brumeux et diffus (comme l’enseignait Leonard de Vinci dans son traité sur la peinture) : je contraste et renforce ces infinis. - Aucun objectif ne peut fournir en une seule prise de vue cette netteté que j’obtiens en assemblant 1000 clichés.

Le fait de photographier par bandes horizontales m’a permis en faisant à chaque fois la mise au point d’être toujours le plus net possible.Autres problèmes : - Pour chaque vue avec un premier plan très proche, je suis obligé parfois de faire au moins 2 prises, l’une avec une mise au point sur l’arrière, l’autre sur le premier plan, et détourer ce dernier pour l’incruster sur l’arrière plan net. - Lorsque la mise au point est faite sur l’arrière les objets avant, flous, sont plus gros que lorsque le point est fait sur eux. Je doit donc les effacer avant de faire l’incorporation du 1° plan - Souvent, il s’agit de feuilles ou d’herbes agitées par le vent. Je fais de nombreuses vues...Restent les nombreux autres problèmes à résoudre dus aux défauts des objectifs: vignetage, barillet…Ils sont maintenant résolu grace aux récent modules de DXO, photoshop, Nikon capture…On a l’embarras du choix, mais il y a une constante; c’est toujours long...

A la recherche du jardin d’Eden

Dans les images du début, les objets sont en attente (du retour de l’homme ?) Tout est immobile, figé, glacé même… parfois inquiétant, comme après une catastro-phe. Peu à peu, l’angoisse a fait place à une euphorie. Peut-être cette sensation que j’éprouvai devant cette capacité de modeler mes rêves et d’y trouver l’Eden. Au départ, je collectionnais les arbres morts et les ciels d’orage, j’ai collecté ensuite les arbres en fleurs, les ciels bleus, les soleils couchant. La pomme de la tenta-tion, le serpent, la responsabilité que nous portons sont bien sûr toujours présents.

«Eden et 2 détails»

«Le Péché Originel» et 2 détails

Souffle de vérité

Sur feuille qui flotte au dessus de la table de la cène et ses 13 chaises vides, est inscrit en hébreu le passage de l’évangile:JeanXVI.16-25. C’est l’attente et la fidélité récompensée (symbolisée par les chiens dans fleurs) .

Vraisemblance

Ces images sont très fabriquées, recomposées. Nous sommes loin de l’instantané mais j’ai voulu que cela reste de la photographie, que l’on y croit : j’ai donc veillé à rester dans la plus grande vraisemblance pho-tographique possible : respect des ombres, des reflets, des défauts de la réalité. Elles ne sont pas encore ache-vées et je ne sais pas quand elles le seront. A chaque fois que je regarde une image, je trouve un nouveau petit défaut, difficile à déceler.

Contraintes

Arrêter le temps… Dans le cas de ces prises de vue, ce n’est pas si facile. En effet, prendre 1000 vues ne se fait pas en 1/30 de seconde. Plutôt 2 ou 3heures. Les cieux tourmentés que j’aime ne m’attendent pas. Parfois la magnifique lumière d’un éclairci ne dure que quelques minutes. A peine le temps de démarrer la sé-rie de shoots. La pluie se met aussi de la partie. Et surtout même dans les meilleures conditions, les nua-ges bougent, changent, et vite… ce qu’il y a de plus fugace, c’est un coucher de soleil. Le temps de faire le tour d’horizon, et il a disparu. Je suis donc obligé de changer de méthode : je commence à prendre le ciel dans son panorama bien avant que le soleil ne soit à l’horizon. Quand ce dernier se couche, je quadrille alors le ciel tout autour, puis le réincorpore dans le pano-rama. Au début je prenais ces photos dans l’urgence, je sais maintenant qu’il faut vraiment prendre son temps. A gagner quelques minutes à la prise de vue, je risque d’avoir des variations de lumière ou des trous (clichés manquants). Les réparer va demander plusieurs jours de travail derrière l’ordinateur.

Lorsque je me promène dans un lieu, je me déplace, promène mon regard, m’approche, m’éloigne, prend connaissance et possession de l’endroit, mais le temps fuit : tout m’échappe, la lumière change, les animaux se cachent, la nuit tombe. Je ne suis pas sûr de retrou-ver ce moment. Conclusion: un retour aux origines.

Pour conclure, je voudrais dire que ce travail hyperréa-liste est en quelques sortes un retour aux origines.

Lorsque la photographie fut découverte, ce fut surtout une curiosité. Ses inventeurs, Niepce et Talbot surpris par le résultat, n’ont pas compris tout de suite l’intérêt immédiat de ce qu’ils ont obtenus.Des peintres furent les premiers à se saisir de cette technique, non pour en faire un art mais comme ins-trument, dans la continuité de la camera obscura.

Mon arrière grand père Jules Alexis Muenier peintre Franc-comtois (1863-1942) nous a laissé des centai-nes de photographies sur plaques de verre de person-nages, de paysages, de clochers, de meubles. C’est lui qui est présent dans Racines.

Dans son ouvrage récent, «Beyond impressionism, the naturalist inpuls», Gabriel P. Weisberg, professeur d’histoire de l’art à l’université du Minnesota, explique que, au moyen d’une lanterne magique, il projetait ces clichés sur sa toile pour les reproduire et composer son tableau. Les peintres naturalistes de Franche Conté procédaient ainsi, en cachette bien sûr car le procé-dé était secret…Ces premiers photographes peintres avaient déjà ainsi leurs catalogues de clichés et re-composaient leur paysage en atelier.

Gustave Legray (1820 - 1882) faisait déjà des pano-ramas en juxtaposant ses clichés. Lors de la récente exposition de son œuvre à la Bibliothèque Nationale, nous avons constaté qu’il recomposait ses images car on retrouvait le même ciel sur des images différentes.

«The Haystack» de William Henry Fox Talbot (1800-1877):La planche X de « The Pencil of Nature » veut faire la preuve que la photographie peut repro-duire «une multitude d’infimes détails qui ajoutent à la vérité et au réalisme de la représen-tation et qu’un artiste ne pour-rait prendre la peine de copier fidèlement d’après nature ».

Citons enfin le peintre David Hockney : fasciné par le Grand Canyon, il l’a beaucoup peint, et l’a reproduit par assemblages de polaroïds.

Vous pourrez lire la conférence sur www.hyper-photo.com Pour d’autres informations: [email protected]

EXTRAIT DE LA CONFÉRENCE DONNÉE PAR L’ARTISTE À L’ECOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES BEAUX ARTS DE PARIS EN 2005 ET AUX RENCONTRES INTERNATIONALES DE ARLES EN 2006