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Annales de pathologie (2011) 31, 363—368 HISTOSÉMINAIRE SFP Pathologie œsophagienne et gastrique : lésions néoplasiques précoces. Cas n o 2 et cas n o 3. Dysplasie et cancer superficiel sur œsophage de Barrett Oesophageal and gastric pathology: Early neoplastic lesions. Case 2 and case 3. Dysplasia and superficial cancer on Barrett’s oesophagus Jean-Franc ¸ois Fléjou Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie, hôpital Saint-Antoine, AP—HP, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France Accepté pour publication le 9 juin 2011 Disponible sur Internet le 15 septembre 2011 Cas n o 2 Renseignements cliniques Homme de 68 ans. Œsophage de Barrett (endobrachyœsophage) connu depuis plusieurs années, surveillance irrégulière. Endoscopie récente après un intervalle de trois ans mon- trant une muqueuse par endroit un peu épaissie, sans masse tumorale. Des biopsies sont prélevées, dont le résultat fait porter l’indication d’une œsophagectomie avec gastrecto- mie polaire supérieure. La lame soumise correspond à un prélèvement fait sur la pièce d’œsophagectomie. Diagnostic Dysplasie de haut grade dans un œsophage de Barrett (endobrachyœsophage) en métapla- sie intestinale. Noter le phénotype « fovéolaire » de la dysplasie. Adresse e-mail : jean-francois.fl[email protected] 0242-6498/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2011.07.004

Pathologie œsophagienne et gastrique : lésions néoplasiques précoces. Cas no 2 et cas no 3. Dysplasie et cancer superficiel sur œsophage de Barrett

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Annales de pathologie (2011) 31, 363—368

HISTOSÉMINAIRE SFP

Pathologie œsophagienne et gastrique : lésionsnéoplasiques précoces. Cas no 2 et cas no 3. Dysplasieet cancer superficiel sur œsophage de Barrett

Oesophageal and gastric pathology: Early neoplastic lesions. Case 2 and case 3.Dysplasia and superficial cancer on Barrett’s oesophagus

Jean-Francois Fléjou

Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie,hôpital Saint-Antoine, AP—HP, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France

Accepté pour publication le 9 juin 2011Disponible sur Internet le 15 septembre 2011

Cas no 2

Renseignements cliniques

Homme de 68 ans. Œsophage de Barrett (endobrachyœsophage) connu depuis plusieursannées, surveillance irrégulière. Endoscopie récente après un intervalle de trois ans mon-trant une muqueuse par endroit un peu épaissie, sans masse tumorale. Des biopsies sontprélevées, dont le résultat fait porter l’indication d’une œsophagectomie avec gastrecto-mie polaire supérieure.

La lame soumise correspond à un prélèvement fait sur la pièce d’œsophagectomie.

Diagnostic

Dysplasie de haut grade dans un œsophage de Barrett (endobrachyœsophage) en métapla-sie intestinale. Noter le phénotype « fovéolaire » de la dysplasie.

Adresse e-mail : [email protected]

0242-6498/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annpat.2011.07.004

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indiscutables, mais qui restaient intra-épithéliales, consti-tuant donc des lésions dysplasiques (Fig. 2). Les cellulesqui bordaient les glandes étaient cubiques ou cylindriques,claires ou éosinophiles. Elles avaient un noyau rond ou ovaleaugmenté de taille, relativement clair, nucléolé, sans aspectde stratification importante (Fig. 3). Ces anomalies étaientprésentes jusqu’au niveau de l’épithélium de surface. Il n’yavait pas d’invasion de la lamina propria, qui était modé-rément inflammatoire. Les lésions étaient d’intensité plusou moins grande sur l’ensemble de la lame, avec alternancede zones de dysplasie de haut grade et de dysplasie de basgrade.

Sur d’autres prélèvements, les lésions étaient moinssévères et on notait des territoires de métaplasie intesti-nale, de métaplasie cardiale et de métaplasie fundique.Le prélèvement fait sur la limite supérieure de résectionmontrait la persistance d’une muqueuse métaplasique, avecdysplasie de bas grade. Les polypes du fundus présentaientl’aspect typique de polypes fundiques glandulokystiques,avec en outre des modifications de la muqueuse fundique

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igure 1. Cas no 2. La muqueuse de l’œsophage est glandulaire,asophile. Noter la double musculaire muqueuse type d’un œso-hage de Barrett.ase No. 2. The oesophageal mucosa is of glandular type, baso-hilic. Note the double muscularis mucosae, typical for Barrett’sesophagus.

escription macroscopique

a pièce d’œsophagectomie avec gastrectomie polaire supé-ieure a été recue non fixée au laboratoire. La palpationouce de l’œsophage ne permettait pas détecter de masseumorale endoluminale ou pariétale. L’œsophage a étéuvert longitudinalement. Il existait une zone circonféren-ielle de muqueuse beige-rosée du bas œsophage, étendueur 7 cm (mesure faite après fixation), au niveau de laquellel n’y avait pas de plissement du type de celui observé dans leôle supérieur de l’estomac. Cette muqueuse présentait unspect discrètement velouté, sans aucune masse polypoïdeisible. En l’absence de tumeur repérable, la totalité de laaroi œsophagienne a été prélevée sur des coupes horizon-ales. La lame soumise correspond à un des prélèvementsaits sur le bas œsophage. À noter en outre la présence delusieurs petits polypes sessiles sous-cardiaux.

escription histologique

es lésions observées sur la lame proposée pour le sémi-aire étaient très représentatives de celles observées sur’ensemble de la paroi du bas œsophage. Bien que ce pré-èvement ait bien été effectué au niveau de l’œsophage,omme l’attestait la présence de plusieurs lobules delandes de type muqueux dans la sous-muqueuse, aucun épi-hélium malpighien n’était visible au niveau de la muqueuse.’analyse de la partie profonde de la paroi faisait mêmepparaître au sein de la musculeuse la présence d’uneomposante musculaire striée, ce qui montrait que cetteoupe de l’œsophage n’avait pas été faite juste au-dessuse la jonction œsogastrique mais un peu plus haut, probable-ent à jonction tiers moyen—tiers inférieur de l’œsophage.lus en surface, on pouvait noter que la musculaireuqueuse était très anormale, épaissie et fréquemmentédoublée, avec parfois un infiltrat inflammatoire lym-hoïde abondant entre les deux musculaires muqueusesFig. 1). La muqueuse était entièrement de type glandulaire.n pouvait noter au faible grossissement qu’elle comportaitouvent une partie profonde faite de glandes claires muco-écrétantes semblant de type gastrique cardial et une partieuperficielle plus basophile. Au plus fort grossissement,ette partie présentait des modifications néoplasiques

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J.-F. Fléjou

igure 2. Cas no 2. L’épithélium métaplasique présente desodifications cytologiques permettant d’affirmer l’existence d’uneysplasie, sans aspect de stratification nucléaire important.ase No. 2. The metaplastic epithelium shows cytological abnorma-ities diagnostic for dysplasia, without nuclear stratification.

voquant l’effet d’un traitement prolongé par les IPP.L’étude immunohistochimique avec un anticorps anti-

rotéine p53 montrait un marquage nucléaire intense desones dysplasiques, présent dans toutes les cellules épi-héliales, alors que les secteurs non dysplasiques et la

igure 3. Cas no 2. Les noyaux des cellules dysplasiques sont rela-ivement clairs, avec un gros nucléole.ase No. 3. Dysplastic cells have a large clear nucleus with pro-inent nucleolus.

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Figure 5. Cas no 3. Au niveau de la pièce d’œsophagectomie, unnodule polypoïde sessile est présent dans la partie supérieure del’œsophage de Barrett.Case No. 3. On the oesophagectomy surgical specimen, a polypoidsessile nodule is seen at the upper part of Barrett’s oesophagus.

Description microscopique

Le nodule polypoïde répondait à un adénocarcinometubuleux bien différencié, infiltrant le chorion muqueux,ainsi que de facon très limitée la musculaire muqueuse(Fig. 6 et 7). Cette musculaire muqueuse était double,puisqu’on observait une seconde plus profonde sousl’ensemble de la muqueuse métaplasique. Celle-ci étaittypique d’une muqueuse de Barrett en métaplasie intes-tinale, avec notamment plusieurs aspects caractéristiquesde la métaplasie d’un œsophage de Barrett : persistance de

Pathologie œsophagienne et gastrique : lésions néoplasique

Figure 4. Cas no 2. La protéine p53 est exprimée intensément partoutes les cellules épithéliales dysplasiques. Noter la faible positi-vité des glandes non dysplasiques en profondeur.Case No. 2. p53 protein is strongly expressed by all dysplastic epi-thelial cells. Notice the mild positivity of non-dysplastic glands inthe deeper part of the mucosa.

muqueuse malpighienne présentaient un marquage moinsintense de cellules assez nombreuses mais non contiguës(Fig. 4). Un résultat similaire était obtenu avec l’anticorpsKi67, qui montrait des cellules positives au niveau del’épithélium de surface.

Cas no 3

Renseignements cliniques

Homme de 65 ans. Pyrosis ancien, non exploré. Pasd’autres antécédents. À l’occasion de douleurs épigas-triques atypiques, endoscopie digestive haute, montrantun aspect évocateur d’œsophage de Barrett étendu sur5 cm, avec petite lésion polypoïde de 12 mm à la jonctiondes muqueuses malpighienne et glandulaire. Des biopsiessont prélevées, dont le résultat fait porter l’indicationd’une œsophagectomie avec gastrectomie polaire supé-

rieure.

La lame soumise correspond à un prélèvement fait sur lapièce d’œsophagectomie, au niveau du nodule et de la paroiavoisinante.

Diagnostic

Adénocarcinome intramuqueux de l’œsophage (pT1m2),développé dans un œsophage de Barrett en métapla-sie intestinale. Présence dans la muqueuse métaplasiquede lésions de dysplasie à la partie profonde descryptes.

Description macroscopique

La pièce comportait un œsophage de 7,5 cm de long(après fixation), avec un œsophage de Barrett circon-férentiel étendu sur 3 cm de haut. La limite entreles muqueuses malpighienne et glandulaire était irrégu-lière, en « languettes », et on notait des petits îlots demuqueuse malpighienne au sein de la muqueuse glandu-laire. Il existait une lésion polypoïde de 12 mm × 10 mm,située juste en dessous de la jonction entre les deuxmuqueuses, dans la partie proximale de l’œsophage de Bar-rett (Fig. 5).

glandes claires mucosécrétantes de type gastrique dans cer-tains territoires en profondeur de la muqueuse et présencede muqueuse en métaplasie intestinale sous des secteurs

Figure 6. Cas no 3. Le nodule correspond à un adenocarcinomeintramuqueux.Case No. 3. The nodule corresponds to intramucosal adenocarci-noma.

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igure 7. Cas no 3. Au fort grossissement, adénocarcinome rela-ivement bien différencié.ase No. 3. On high power, moderately well-differentiated adeno-arcinoma.

’épithélium malpighien. Cette muqueuse métaplasiquetait bien différenciée et comportait la population cellu-aire caractéristique de la métaplasie observée dans cetteituation, avec de nombreuses cellules cylindriques muco-écrétantes à pôle muqueux fermé, parfois dites cellulese phénotype « intermédiaire » et des cellules caliciformesouvent assez volumineuses. Dans certains territoires deuqueuse métaplasique, et en particulier sur la lame

oumise, on observait des anomalies cytologiques et archi-ecturales du type de celles observées dans les lésionsysplasiques. Mais il faut noter que ces lésions restaientimitées à la partie profonde des glandes, la matura-ion paraissant conservée en surface (Fig. 8). Par ailleurs,0 ganglions avaient été prélevés sur la pièce, ils ne présen-aient pas de métastase carcinomateuse.

L’étude immunohistochimique avec un anticorps anti-rotéine p53 montrait un marquage nucléaire intense dea totalité des cellules carcinomateuses et également desellules « dysplasiques » de la partie profonde des glandesétaplasiques.

igure 8. Cas no 3. À distance du nodule, présence dans lauqueuse de Barrett de lésions d’aspect dysplasique, limitées à

a partie profonde des glandes.ase No. 3. Away from the nodule, presence of dysplastic changes

n the deeper part of the glands.

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J.-F. Fléjou

ommentaires (commun aux cas no 2 et no 3)

’œsophage de Barrett est un modèle particulièrementémonstratif de lésion précancéreuse du tube digestif [1].es deux cas présentés lors de ce séminaire illustrentes aspects morphologiques des lésions néoplasiques pré-oces glandulaires de l’œsophage, développées dans lauasi-totalité des cas sur la muqueuse métaplasique d’unsophage de Barrett. Ils sont l’occasion d’illustrer trois

oints d’actualité dans cette pathologie fréquente, quieront successivement discutés dans ces commentaires :i) définition de l’œsophage de Barrett, (ii) dysplasie sursophage de Barrett, en abordant les problèmes de classi-

cation, de critères diagnostiques, les « nouvelles » formesistologiques et les marqueurs complémentaires potentiels,iii) cancer superficiel sur œsophage de Barrett [2].

éfinition et diagnostic de l’œsophage de Barrette diagnostic repose entièrement sur l’endoscopie et’étude histologique des biopsies faites en zone anormaleepérée par l’endoscopiste. En endoscopie, l’œsophagee Barrett se présente comme une zone de muqueuseose veloutée au-dessus de la jonction œsogastrique. Cetteuqueuse peut être circonférentielle et/ou disposée en lan-

uette(s), elle peut être étendue sur plus ou moins de 3 cmœsophage de Barrett long ou court).

La métaplasie intestinale est la lésion diagnostique,uand elle est localisée avec certitude dans l’œsophaget non dans le pôle supérieur de l’estomac. La définitionst donc bien endoscopique et histologique. Cette métapla-ie prend souvent un aspect un peu villeux en surface. Sonpithélium est fait de cellules caliciformes et de cellulesucosécrétantes intermédiaires, en surface et au niveaues glandes. Les cellules absorbantes et les cellules deaneth sont rares. Une particularité pratiquement cons-ante de la muqueuse de Barrett est la présence d’uneouble musculaire muqueuse, rarement visible sur les biop-ies, mais qui peut rendre difficile l’évaluation du stade’infiltration des lésions néoplasiques précoces sur pièces deucosectomie. D’autres types de muqueuse métaplasique

euvent être présents, cardial ou fundique (oxyntique). Desones de métaplasie pancréatique peuvent aussi s’observer.

La plupart des recommandations (SFED, AGA. . .) signalenta nécessité de métaplasie intestinale pour porter le diag-ostic d’œsophage de Barrett, pour éviter de diagnostiquerar excès de simples jonctions œsogastriques un peu irré-ulières. En outre, il était généralement admis que c’est laétaplasie intestinale qui expose à un risque de transforma-

ion néoplasique et qu’elle est presque toujours présentei suffisamment de biopsies sont prélevées. Cette défini-ion et ce concept ont été remis en cause récemmentar la British Society of Gastroenterology (BSG), au motifrincipal que l’échantillonnage biopsique peut ignorer lesones de métaplasie intestinale, et donc faire exclure unatient de la surveillance [3], et par des travaux japonaisui montrent que les cancers se développent fréquemmentans l’œsophage en l’absence de métaplasie intestinale [4].algré de nombreuses publications qui ont essayé de le mon-

rer, l’histochimie des mucines et l’immunohistochimie onteu d’intérêt en routine pour documenter la métaplasientestinale de Barrett.

Une difficulté pratique fréquente est la distinction d’unsophage de Barrett « ultra-court » d’un foyer de méta-

lasie intestinale du cardia, rentrant dans le cadre d’unecardite » associée à une gastrite chronique. Parmi les

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Pathologie œsophagienne et gastrique : lésions néoplasique

particularités de la métaplasie devant faire évoquer unemuqueuse de Barrett, les plus typiques sont la présence d’unépithélium pluri-stratifié (« multilayered ») de phénotypeintermédiaire entre épithélium malpighien et épithéliumglandulaire, la présence de glandes métaplasiques sousl’épithélium malpighien et la persistance dans la partie pro-fonde de la muqueuse, sous la métaplasie intestinale, deglandes cardiales [5]. Un signe très simple est en outrel’aspect des éventuelles biopsies gastriques prélevées dansle même temps. L’existence d’une gastrite chronique àHelicobacter pylori est un argument très fort pour unepathologie de la région cardiale liée à la pathologie gas-trique et contre une pathologie du reflux.

Il faut rappeler que, pour un diagnostic optimald’œsophage de Barrett, les prélèvements biopsiques doiventêtre nombreux et bien repérés. Idéalement, des biopsies enquadrant doivent être faites tous les centimètres. Il est pos-sible que les nouvelles méthodes endoscopiques permettentde mieux cibler les biopsies sur les zones de métaplasieintestinale, et donc de réduire le nombre de biopsies sys-tématiques.

Dysplasie sur œsophage de BarrettLes adénocarcinomes sur œsophage de Barrett se déve-loppent au travers d’une séquence d’altérations morpholo-giques bien documentées, qui correspondent à la successionde lésions métaplasiques, dysplasiques, puis carcinoma-teuses [6]. Les principes généraux de définition et declassification de cette lésion sont exposés dans le chapitreintroductif de ce séminaire.

Macroscopiquement, la dysplasie est souvent plane, nondétectable en endoscopie. Dans d’autres cas, elle peut seprésenter sous la forme de lésions plus ou moins surélevées,rarement franchement polypoïdes, et encore plus rarementérodées ou ulcérées. En cas de lésion polypoïde, il estrecommandé d’employer plutôt le terme de dysplasie poly-poïde que d’adénome, contrairement aux lésions gastriques,cela en raison de la grande fréquence de lésions dysplasiquesen muqueuse plane de voisinage. Cette situation rappelleles lésions polypoïdes dysplasiques qui s’observent dans le

côlon en cas de MICI (lésions appelées DALM pour dyspla-sia associated lesion or mass). Le risque de malignité estplus élevé lorsque les lésions sont visibles en endoscopieque lorsqu’elles ne sont pas visibles.

Les critères histologiques diagnostiques de la dysplasieen muqueuse de Barrett associent comme ailleurs dans letube digestif des anomalies cytologiques et architecturales.Les signes histologiques de la dysplasie « classique » sont trèssimilaires à ceux de la dysplasie adénomateuse (type I) del’estomac, et ils sont décrits en détail avec le cas no 5 decet histoséminaire. La muqueuse non dysplasique peut pré-senter des modifications inflammatoires et régénératives,en particulier au voisinage d’ulcérations. La catégorie demuqueuse « indéfinie pour la dysplasie » doit être employéelorsque les anomalies sont insuffisantes pour affirmer la dys-plasie, notamment en cas de phénomènes inflammatoiresimportants. Un signe important en faveur de la dysplasieest la transition abrupte entre les zones présentant desatypies et celles qui n’en présentent pas. Les critères dedysplasie adénomateuse de bas grade et de haut grade sontles mêmes que dans l’estomac. Il peut être très difficilede distinguer dysplasie de haut grade et adénocarcinomeintramuqueux, ce qui explique l’introduction dans la classi-fication de Vienne de la catégorie « suspicion de carcinomeintramuqueux ». Dans les cas difficiles, les signes les plus

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évocateurs sont la présence d’aspects poly-adénoïdes etd’adossements glandulaires, et de nécrose dans la lumièredes tubes glandulaires. La présence d’une réaction stromaledesmoplastique est rare en cas de lésion intramuqueuse.

Il est classique de considérer que le diagnostic de dyspla-sie sur œsophage de Barrett est difficile, et imparfaitementreproductible, et qu’il dépend de l’expertise du patholo-giste. Ces notions sont à la base des recommandations deplusieurs sociétés savantes de confirmation par un patho-logiste expert de ce diagnostic avant la prise de décisionthérapeutique. Il faut cependant noter que ces recomman-dations, difficilement applicables en France actuellementen l’absence de reconnaissance officielle de l’activité deseconde lecture expertale, reposent sur des études assezpeu nombreuses, et sans doute en partie biaisées par lasur-représentation de cas de diagnostic difficile.

Deux formes particulières de dysplasie ont été récem-ment décrites dans l’œsophage de Barrett, encore assez malconnues des pathologistes, et qui sont illustrées par les casdu séminaire : la dysplasie « non adénomateuse—fovéolaire »(cas no 2) et la dysplasie limitée à la partie profonde descryptes (cas no 3).

La dysplasie fovéolaire se distingue de la dysplasieadénomateuse (qu’il est sans doute préférable d’appelerintestinale) par son aspect architectural et surtout cyto-logique [7]. Les cellules sont cubiques ou plus rarementcylindriques, elles ont un noyau rond et un cytoplasmeclair ou éosinophile. Les glandes sont de petite taille etles cellules qui les bordent sont peu stratifiées. En immu-nohistochimie, elles expriment de facon caractéristiqueMUC 5AC, marqueur de différenciation gastrique, et pas lesmarqueurs de différenciation intestinale classiques (CDX2,villine, MUC 2). Considérée initialement comme beaucoupplus rare que la dysplasie adénomateuse, cette formesemble en fait fréquente. Les anomalies moléculaires sontsimilaires à celle de la forme intestinale. La reconnais-sance de cette forme apporte un argument supplémentaireen faveur du développement de lésions néoplasiques enœsophage de Barrett non pas à partir de la métaplasie intes-tinale, mais à partir de cellules souches, ou de zones demétaplasie gastrique. Des cas rares de dysplasie de phéno-

type festonné ont également été décrits dans la muqueusede Barrett, beaucoup moins fréquents que dans le côlon.

L’absence de maturation de l’épithélium de surface étaitclassiquement considérée comme un critère indispensableau diagnostic de dysplasie sur œsophage de Barrett, leslésions devant être présentes au niveau du revêtement desurface pour porter ce diagnostic [8]. La description récentede lésions d’apparence dysplasique mais présentes unique-ment au niveau de la partie profonde des glandes va contrece « dogme », même si la signification de ces lésions, sem-blant fréquemment associées à des lésions de dysplasie dehaut grade classique et à des cancers, n’est pas encore clai-rement établie [9].

Même si elle constitue à l’heure actuelle le meilleurmarqueur de risque de cancer, la dysplasie n’est pas unmarqueur parfait, en raison notamment de son histoire natu-relle mal connue, en particulier pour la dysplasie de basgrade et sa reproductibilité diagnostique imparfaite. Detrès nombreux marqueurs complémentaires ont été propo-sés, dont l’intérêt réel n’a en fait généralement pas étédémontré. Les seules exceptions sont l’étude la ploïdie,qui n’est pas faite en routine, et surtout les immunomar-quages Ki67 et p53. Il est en particulier bien établi qu’uneexpression anormale de la protéine p53 (marquage intensede plusieurs cellules contiguës dans plusieurs cryptes) est un

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Hum Pathol 2009;40:65—74.

POINTS IMPORTANTS À RETENIR

• La définition de l’œsophage de Barrett reste baséesur l’étude des biopsies. Le dogme du caractèreindispensable de la métaplasie intestinale est deplus en plus remis en cause.

• À côté de la forme classique « adénomateuse—intestinale » de dysplasie (néoplasie intra-épithéliale), des formes plus rares sont décrites,dont la dysplasie fovéolaire et la dysplasie limitéeà la partie profonde des cryptes.

• Parmi les nombreux marqueurs complémentairesde dysplasie qui ont été proposés dans lalittérature, les seuls utilisables en routine àl’heure actuelle sont l’étude de l’expression duKi67 et de la protéine p53.

• La prise en charge des cancers superficielssur œsophage de Barrett doit tenir compte dela présence constante d’une double musculairemuqueuse sous la muqueuse de Barrett.

on marqueur d’un risque évolutif fréquent et relativementapide vers une lésion de haut grade, dysplasique ou carci-omateuse. L’intérêt de l’expression de la racémase, trèsortement soutenu par l’équipe experte de Odze à Boston,este discuté [10].

ancer superficiel sur œsophage de Barrettes aspects macroscopiques et histologiques du canceruperficiel (ne dépassant pas la sous-muqueuse, stade pT1)ur œsophage de Barrett sont proches de ceux du canceruperficiel de l’estomac. La seule particularité importante,ui doit notamment être prise en compte pour établir letade évolutif de la maladie, en particulier sur une pièce deucosectomie, est la présence quasi constante, déjà signa-

ée dans ce texte, d’une double musculaire muqueuse dans’œsophage de Barrett. L’extension de la tumeur entre leseux musculaires muqueuses doit encore être considéréeomme signant une lésion intramuqueuse, dont le risque deétastase ganglionnaire semble cependant intermédiaire

ntre celui des lésions muqueuses plus superficielles etelui des lésions atteignant la sous-muqueuse au-delà de lausculaire muqueuse « profonde » [11].

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J.-F. Fléjou

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférences

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