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Gouvernance et Dveloppement ParticipatifRAPPORTEURSMyrime ZNIBER Mostafa KHAROUFI

RAPPORT THMATIQUE

Cinquantenaire de lIndpendance du Royaume du Maroc

Ce rapport a t labor dans le cadre des travaux du Rapport sur " 50 ans de dveloppement humain au Maroc et perspectives pour 2025 ". Il a t rdig sous la responsabilit de Mme Myrime ZNIBER, qui a anim les travaux du groupe thmatique " Gouvernance et Dveloppement Participatif ", ainsi que M. Mostafa KHAROUFI.

Le rapport sest appuy notamment sur les contributions suivantes : La lutte contre la corruption : le cas du Maroc, Abdeslam ABOUDRAR Droits de lHomme et dmocratisation au Maroc : bilan et perspectives, El Habib BELKOUCH Lvolution du processus lectoral au Maroc, Nadia BERNOUSSI La place des femmes Marocaines dans la vie publique et dans la prise de dcision, Sabah CHRAIBI Rapport sur ltat davancement de la construction dun cadre juridique du dveloppement humain et des processus de rformes lgislatives et rglementaires lis lencouragement du dveloppement gnral et humain en particulier, Farid EL BACHA Rapport sur le cadre conceptuel, lgislatif et rglementaire des processus de dcentralisation et de rgionalisation au Maroc, Mohammed EL YAAGOUBI et Abdallah HARSI Le processus de rforme et de mise niveau de la justice et les rformes ddies assurer le rgne de la loi, Ahmed GHAZALI Evolutions du partenariat et modalits de pilotage et de gestion du dveloppement humain, Abdellah HERZENNI Lvolution et les perspectives constitutionnelles au Maroc, Abdelaziz LAMGHARI MOUBARRAD Gouvernance et modernisation de l'administration, Abdelouahad OURZIK

SommaireI- De la notion au concept de gouvernance II- Approche mthodologique III- Contexte gnral de l'hritage historique1- SUR LE TERRAIN DE LVOLUTION CONSTITUTIONNELLE1-1- LA GENSE : DE 1956 L'ADOPTION DE LA CONSTITUTION DE 1962 1-2- 1962-1992: LA CONSTRUCTION CONSTITUTIONNELLE 1-3- LA CONSTITUTION DE 1992 1-4- RFORMES POST-CONSTITUTIONNELLES DEPUIS 19929 13

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2- GESTION DES TERRITOIRES ET DMOCRATIE LOCALE : DE LASCENSION DE LA BUREAUCRATIE TERRITORIALE LAMBIGUT DU DVELOPPEMENT

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IV- 1976-2005 : les enseignements de la dcentralisation - transfert des comptences, dissonances et jeux des acteurs1- ORGANISATION COMMUNALE1-1- OPPORTUNITS APPORTES PAR L'ORGANISATION COMMUNALE 1-2- DIFFICULTS RENCONTRES PAR L'ORGANISATION COMMUNALE 1-3- EVOLUTION DE L'ORGANISATION COMMUNALE

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2- RAPPORTS ENTRE GOUVERNANTS ET GOUVERNS2-1- LA RFORME DU SECTEUR PUBLIC ET DE L'ADMINISTRATION 2-2- UN PROCESSUS DE DCENTRALISATION PITINANT

3- COMMENT SORTIR DUNE GESTION PEU ENGAGEANTE ET FAIBLEMENT MOBILISATRICE ? 4- LAFFIRMATION PROGRESSIVE DE LA RGIONALISATION4-1- LE POTENTIEL DE DVELOPPEMENT DES RGIONS 4-2- LA FONCTIONNALIT DES CADRES SPATIAUX 4-3- LA VIABILIT DES PLES: CHEFS-LIEUX DE RGIONS 4-4- LE TRAITEMENT RSERV AUX MAILLONS FAIBLES DE L'ORGANISATION DE L'ESPACE 4-5- LES TENDANCES LOURDES DE L'ORGANISATION DE L'ESPACE

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V- La question du genre et ses implications sur le dveloppement VI- La question de la justice : un niveau faible du capital institutionnel VII- La lutte contre la corruption1- LA CORRUPTION DANS LA MENTALIT COLLECTIVE 2- LES CAUSES DE LA CORRUPTION 3- LES CONSQUENCES DE LA CORRUPTION 4- MESURES ADOPTES POUR LUTTER CONTRE LA CORRUPTION

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VIII- Les processus lectoraux : une moralisation qui sest longtemps fait attendre

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IX- Reconqurir la solidarit par le partenariat1- RECHERCHER UNE PLUS GRANDE PROXIMIT 2- LVOLUTION DIFFRENCIE DU CADRE NORMATIF 3- DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LA PAUVRET : UN COMBAT LIVR TARDIVEMENT ? 4- RELATIONS DE TRAVAIL : MALGR UNE VOLONT DE MODERNISATION, LE PASSIF RESTE LOURD

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X- Consolidation de ltat de droit conomique1- CODE DU COMMERCE DE 1996 : DES INNOVATIONS MAJEURES 2- DROIT BOURSIER : RFORMER POUR APPUYER LOUVERTURE DE LCONOMIE NATIONALE 3- DROITS DAUTEUR : UNE RGLEMENTATION RCENTE QUI COLLE AUX STANDARDS INTERNATIONAUX 4- AVANCES DU DROIT BANCAIRE 5- LIBERT DES PRIX ET CONCURRENCE : UNE RGULATION PLUS EFFICIENTE DES MCANISMES DU MARCH 6- CRATION DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS ET CONSOLIDATION DE LETAT DE DROIT

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XI- La question des droits de lhomme XII- Leons tirer de 50 ans dindpendance1- LA RFORME DE LADMINISTRATION 2- POUR PLUS DE TRANSPARENCE DANS LES AFFAIRES PUBLIQUES 3- LA PRISE EN COMPTE DE LA FEMME, UNE NCESSIT DU DVELOPPEMENT HUMAIN 4- LA RFORME DE LA JUSTICE POUR REHAUSSER LE NIVEAU DU CAPITAL INSTITUTIONNEL 5- UN CADRE NORMATIF SOUVENT MODERNE MAIS DIFFICILEMENT MIS EN UVRE

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XIII- Perspectives en matire de gouvernanceLISTE DES ENCADRS REPRES BIBLIOGRAPHIQUES

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I- De la notion au concept de gouvernanceMalgr le caractre polysmique de la notion de gouvernance, ses nombreuses dfinitions partent toutes des mmes proccupations : comment se doter dinstruments, de lois et de rgles admises par les pouvoirs publics et les citoyens, et qui assurent lefficacit ncessaire aux institutions et aux citoyens pour garantir un dveloppement humain durable ? La gouvernance est lobjet dun regain dintrt de par le monde. Plus que jamais, les pays ont besoin doutils et dactions participatives innovants afin de relever les dfis auxquels ils sont confronts et de rpondre aux perspectives de dveloppement conomique, social et culturel. De fait, les mthodes traditionnelles de gestion des collectivits locales cdent progressivement la place la gouvernance participative et responsable.

Encadr 1 : Concept de Gouvernance N au sein de lentreprise, le concept de gouvernance signifiait lensemble des dispositifs destins grer de la meilleure manire la coordination interne et le partenariat avec des acteurs de lenvironnement tels que les sous-traitants. Depuis les annes quatre-vingts, la gouvernance a t utilise dans les milieux daffaires, dans lapprhension des modes de gestion et dorganisation des institutions locales et dans les relations internationales, en particulier au niveau des instituions financires internationales. Lutilisation du concept de gouvernance a t tendue au champ des transformations des formes de laction publique selon des approches diffrentes mais dont les lments communs mettent laccent sur : la coordination entre acteurs multiples les diffrentes formes interactives de participation la formation de politiques gouvernementales lensemble des modes de gestion daffaires communes, de coopration et daccommodement entre des intrts divers et conflictuels Apprhendant les transformations de laction publique, la gouvernance insiste sur : La remise en cause du monopole gouvernemental dans la gestion des affaires publiques et la prconisation de nouvelles formes de rgulation, de responsabilisation et de prise de dcisions. Linterdpendance des pouvoirs associs laction collective ncessitant un processus dinteraction/ngociation de participation et de coordination pour sattaquer ensemble aux problmes et raliser des objectifs et des projets communs. En gnral, les raisons de ces proccupations trouvent leur origine dans les crises gouvernementales dues aux modes de gestion traditionnels et de pouvoirs coercitifs exercs par des institutions qui en ont le monopole, et dans les dysfonctionnements qui caractrisent laction publique. Ainsi, la notion de gouvernance offre un cadre conceptuel dapprhension des processus de gouvernement et didentification, sur une base analytique, de lorientation des changements ncessaires apporter la gestion dactions multiples et aux buts divers. Un tel cadre peut se limiter un champ o la gouvernance sidentifie une approche gestionnaire. Dans ce cas lintrt se porte sur les politiques publiques, les modes de coordination et de partenariat entre acteurs et les problmes que soulve la gestion de ces aspects, ainsi que sur les possibilits de modernisation des

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structures de gouvernement et la transformation des modes de rgulation. Pris au sens large, le cadre conceptuel de la gouvernance stend lapprhension des questions de partager des pouvoirs et des responsabilits, de processus de dcision et de rles des institutions de lorganisation sociale et politique, il intgre aussi les questions de la dmocratisation du fonctionnement tatique, de la mobilisation civique et des initiatives locales et citoyennes. La finalit de la gouvernance est danalyser toutes ces questions dans leur interdpendance et de proposer les rformes et les transformations requises pour assurer un dveloppement socio-conomique et une cohsion sociale durables.PNUD - Maroc : Rapport National sur le Dveloppement Humain 2003. Gouvernance et acclration du dveloppement humain

La gouvernance se dfinit comme lexercice de lautorit politique, administrative, sociale et conomique visant assurer un dveloppement participatif et durable sur le plan conomique, social, ducatif, culturel et environnemental, et ce afin de rpondre aux besoins des populations en services de base (emploi, logement, sant, ducation, culture,), sans distinction de genre, dorigine ou autres. Elle suggre le respect des valeurs universelles de la dmocratie qui sous entend lexistence du pluripartisme, de syndicats et dlections libres et dmocratiques permettant aux citoyens de choisir librement leurs reprsentants. La gouvernance veut aussi se rfrer une mthodologie qui permet de combattre les ngligences, de supprimer les retards et dradiquer les mauvaises pratiques. Elle stipule des exigences de qualit autant que de quantit, notamment dans la lutte contre les dysfonctionnements qui peuvent affecter la vie des citoyens et perturber lactivit des institutions publiques et administratives. Mais lintrt pour la gouvernance ne peut tre la proccupation dun seul groupe de personnes : gouvernements, partis politiques, syndicats, parlements, spcialistes de la gestion publique, ONG, Universits, secteur priv, etc. Cet intrt gagne tre partag, voire reprsenter une exigence citoyenne et suppose douvrir la voie au dialogue et la participation, et daccepter que le citoyen, agissant individuellement ou collectivement, puisse faire connatre ses critiques au sujet des actions de dveloppement. Ds lors, la gouvernance requiert la mise en place doutils et de mcanismes de coopration et de rgulation entre lEtat, les pouvoirs dcentraliss et les acteurs de la socit de faon pouvoir ngocier les changements, promouvoir le partenariat, viter les blocages et les conflits, et faciliter lapplication des dcisions. Le Maroc, qui se montre sensible aux impratifs de la gouvernance, tant convaincu que cette approche contribuera un fonctionnement plus harmonieux, cohrent et efficace de ses institutions publiques et administratives, se trouve depuis quelque temps dans une priode transitoire marque par ladoption de rformes volontaristes et la persistance dun passif qui sexprime plusieurs niveaux par des inerties. Sur la base de la thmatique de la gouvernance, le prsent rapport propose de revisiter lhistoire rcente et le prsent du Maroc, replaant lvolution des rformes tentes par ce pays dans leurs contextes et retraant leurs insuffisances et leurs limites. Les cinquante annes qui sparent le Maroc de son indpendance sont riches denseignements et demeurent galement pour beaucoup source de dception. Si ce pays na pas connu de grandes convulsions politiques menaant son unit et son systme politique, il

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nen a pas moins subi une forte pression lie plusieurs facteurs endognes se traduisant momentanment par des crises profondes touchant diffrents secteurs de la socit et de lEtat. Par rapport aux pays de la rgion MENA, si la situation du Maroc est relativement en avance, notamment en termes dengagement dans la lutte contre la pauvret, lexclusion et lanalphabtisme, elle apparat tout de mme paradoxale : un discours plaant la gouvernance au cur des proccupations publiques ; mais un immobilisme (ressenti ou de fait) au nom dun maintien des quilibres dun pays qui serait socialement fragile. Le Maroc entreprend depuis le dbut des annes 1990 des rformes politiques et institutionnelles. Revtues souvent de mtaphores comme -lajustement, la mise niveau, la rgulation-, dotes de cycles variables, obissant une logique dobjectifs, de procdures et dacteurs diffrents2, et mises en uvre parfois sur le mode des essais, elles semblent induire aujourdhui une dynamique qui place le thme de la gouvernance et de la participation de la population au cur du dbat sur la dmocratie et le dveloppement. En effet, recherchant les outils et les actions de gouvernance participative, le Maroc tente de relever les dfis auxquels il est aujourdhui confront et de rpondre aux nouvelles exigences du dveloppement conomique, social et culturel.

Encadr 2 : Amliorer la gouvernance pour accrotre la participation Pour lensemble des pays du MENA, les rformes doivent aller au-del de simples rformes de la politique commerciale et de la signature de nombreux accords commerciaux -marque des annes 1990- pour stendre des rformes plus profondes de la politique domestique. Un programme largi de rformes devra venir en complment aux rformes identifies : Amliorer la gouvernance pour accrotre la participation active des citoyens et lobligation de lEtat de rendre des comptes Intgrer les questions du genre au processus de dveloppement. Aborder les problmes du chmage et des marchs du travail et absorber une population active croissante dans un systme conomique plus dynamique.Extrait de la zone pan-arabe de libre-change : Niveau de la Gouvernance et de la croissance dans le monde arabe, document de la Banque Mondiale, 2004.

Il faut dire que les mthodes traditionnelles de gestion y ont montr leurs limites, dautant que la crise du modle de dveloppement suivi depuis quatre dcennies et les mouvements sociaux qui se sont exprims (parfois violemment) dans les villes au cours des annes 1980 et 1990, ont remis en cause non seulement lordre post-colonial, mais galement la capacit du pouvoir politique rsoudre les problmes du chmage, de la pauvret, satisfaire les demandes de la population en services sociaux et rpondre aux aspirations des jeunes gnrations.

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Il faut rappeler que par le pass ces rformes ont eu des cycles et des dures variables : 1958-1960 (gouvernement Abdallah Ibrahim) ; 1983-1993 (Politique dajustement structurel) ; 1993-2010 (mise niveau en relation avec laccord avec lUnion Europenne) ; 1998-2002 (lgislature dalternance), mise niveau comptitive sous le gouvernement actuel

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Ceci a suscit lapparition de revendications politiques et syndicales axes sur le thme de la justice sociale, des liberts publiques, des droits de lhomme et de la femme et la critique des valeurs occidentales. Sil faut enregistrer des avances sur le plan institutionnel, mme si les progrs accomplis sont souvent lents, parfois partiels, il faut aussi noter que le Maroc a galement t secou par une srie de chocs qui se sont manifests sous formes de mouvements sociaux revendicatifs dans les campagnes et dans les villes ou de tentatives de coups dEtat (soulvement dans le Rif en 1959, meutes Casablanca en mars 1965, putsch de Skhirat en juillet 1971, attaque du Boeing Royal en aot 1972, meutes touchant plusieurs villes en 1981, 1984 et 1992, grve gnrale du 14 novembre 1989, attentats terroristes le 16 mai 2002, etc.). Mais le Maroc, qui a connu une intgration progressive de ses diffrentes composantes socio-politiques, sefforce aujourdhui de construire un difice politique dot dinstitutions crdibles devant garantir une scurit et une stabilit ncessaires tout processus de dveloppement conomique durable. Pays ouvert, le Maroc vit, depuis une vingtaine dannes, une priode de mutation historique. Et on peut dire que les deux dernires dcennies restent les plus marquantes concernant les rformes : ajustement structurel, libralisation conomique et privatisation, dcentralisation interne et ouverture externe matrialises par la signature daccords de libre-change avec plusieurs pays, prmisse dun Etat de droit, rformes constitutionnelles (1992 et 1996). Larrive au gouvernement de partis politiques qui taient traditionnellement dans lopposition, reprsente un changement notable par rapport une situation caractrise par un certain statu quo qui prvalait depuis la fin des annes 1950. En effet, le pays se montre sensible, depuis le dbut des annes 1990, la ncessit de procder des rformes pour assurer sa cohsion sociale et rpondre aux impratifs dun mode de gouvernance dmocratique. Un tel intrt demeure sur le plan vnementiel corrlatif la publication, en novembre 1995, dun rapport de la Banque Mondiale mettant clairement nu les dfaillances conomiques et financires ainsi que les dficits organisationnels3. Aujourdhui, les pouvoirs publics semblent convaincus que lapproche base sur une bonne gouvernance pourrait contribuer un fonctionnement plus harmonieux et efficace des institutions administratives et politiques. Cest ainsi quun chantier de rformes a t ouvert, conduit avec des succs divers, notamment dans plusieurs domaines : lutte contre la pauvret, administration, lections, enseignement, famille, justice, etc.

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Ce rapport avait fait dailleurs lobjet dun commentaire remarqu de Feu le Roi Hassan II, lorsquil a dclar en novembre 1995 aux parlementaires : Jai lu ces rapports et trouv douloureuse leur loquence et pnibles leurs chiffres. Les comparaisons qui y figurent empcheront tout tre consciencieux de trouver le sommeil

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II- Approche mthodologiqueLe prsent rapport dcrit le processus de construction et de gestion de ldifice politique et institutionnel marocain, travers les mcanismes dcisionnels qui se sont succds depuis lindpendance, lvolution constitutionnelle, la gestion des territoires, la participation des populations dans le processus de dveloppement, les processus lectoraux, tout en accordant une attention particulire aux questions spcifiques des droits de lhomme, du genre, de la justice et de la lutte contre la corruption. Une lecture des processus de prise de dcision dans ces domaines particulirement cruciaux devrait permettre de percevoir les avances et les limites des rformes entreprises en rapport avec le systme de gouvernance, ainsi que lapport et le rle des structures se rclamant de la socit civile et des contre-pouvoirs (mdia, parlement, syndicats, ONG, associations, etc.) dans le processus global du dveloppement social et culturel du pays. Une telle approche ambitionne didentifier le nud du problme qui semble rcurrent aux yeux de plusieurs observateurs, savoir la difficult pour les institutions au Maroc de permettre lpanouissement effectif dune culture politique favorisant le dialogue, lefficacit et lefficience et garantissant lexistence de contre-pouvoirs et dune justice indpendante. Cet tat des lieux sappuie sur les lments fournis par les thmes fondamentaux traits dans les rapports labors par les diffrents contributeurs au groupe Gouvernance et dveloppement participatif (Voir liste des contributeurs au Groupe thmatique Gouvernance et Dveloppement participatif en rfrence). Un recours au comparatisme lchelon de la Rgion MENA ou avec dautres pays revenu similaire sur la base dindicateurs globaux, mettant en comptition quelques 200 pays partir de quelques dimensions en relation avec les principes dune gouvernance4 dmocratique permet de normaliser lapproche mthodologique choisie. Ces indicateurs se rsument comme suit : la stabilit politique et labsence de violence, un critre qui permet de vrifier la stabilit politique et sociale, cette dernire prenant en compte, en outre, la violence et la criminalit intrieure ; lefficacit du gouvernement, indicateur de lefficacit des administrations publiques, prenant en compte laspect qualitatif des administrations et des services publics, le niveau de comptence des fonctionnaires, ou encore lindpendance des administrations vis vis de la pression politique et la crdibilit des annonces du gouvernement ; le vote et la responsabilit : il sagit dun critre qui reflte la transparence de manire gnrale et le fonctionnement dmocratique des administrations et des institutions publiques, notamment dans la prise en considration des voix des citoyens et dans lexistence de contre-pouvoirs comme des mdias indpendants ;

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Institut de la Banque Mondiale. - Nouveaux indicateurs de gouvernance pour 209 pays (priode 1999-2004). Washington, 2004

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la qualit de normalisation : un indicateur plus focalis sur les politiques mises en uvre. Il comprend limpact de mesures peu favorables lconomie de march comme le contrle des prix ou une supervision bancaire inadquate, ainsi que la perception des obstacles dcoulant de rglementations excessives dans des domaines comme les changes internationaux, ou lenvironnement dont bnficie le secteur priv ; la rgle de droit : il sagit de la mesure du degr dapplication des textes dcids, de leur mise en uvre effective. Lindicateur prend galement en compte les aspects de respect et protection de la proprit, dindpendance de la justice, etc. ; le contrle de la corruption.

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III- Contexte gnral de lhritage historiquePeut-tre faudrait-il commencer par rappeler que le Maroc avait dj tent au cours de son histoire contemporaine de mettre en uvre une succession de rformes. Conduites dabord sous le rgne du Sultan Moulay Hassan Ier (1873-1894)5 puis pendant la priode coloniale qui a exacerb dlibrment ses contradictions, elles sont restes sans effet notable face la pression des puissances coloniales et la rsistance au changement des populations, principalement en milieu rural. Ds les premires annes de son indpendance, le Maroc est confront des esprances multiples, doubles de limpatience des populations qui sont demeures frustres et prives de leurs droits sous le protectorat. En effet, les dpossessions foncires (plus de 3 600 000 paysans sans terre), les dficits en matire dducation ( peine 15% des enfants scolarisables frquentaient lcole en 1955) annoncent de grandes difficults sociales qui vont alimenter en partie des antagonismes et des tensions et peser sur les orientations politiques prises par le pays6. Aujourdhui encore, des contraintes de taille simposent au Maroc : le poids de la dette extrieure, la faiblesse des investissements limitant la croissance, la dgradation des ressources naturelles qui ne suffisent plus satisfaire la demande grandissante dune population qui a plus que tripl depuis 50 ans. De plus, le Maroc est encore occup au Nord (Ceuta, Mellila, pisode de lle de Leila), souvent bloqu lest par la fermeture de la frontire avec lAlgrie et demeure contest au Sud dans ses provinces Sahariennes. Un tat de fait qui de toute vidence influence, voire limite les marges daction de lEtat, en matire de dveloppement conomique et social. En outre, les gouvernements actuels doivent croiser le fer avec les trois maux forms par la pauvret (plus de 13,7% de la population), lanalphabtisme (plus de 40% des habitants) et la corruption qui ont des consquences sur la formation de lesprit citoyen, sont lorigine de tant dchecs, de dsenchantements et de rendez-vous manqus et face auxquels ne peuvent faire long feu, une rforme du code lectoral ou quelques dispositions lgislatives ou constitutionnelles. Les effets dune crise conomique et sociale semblent limiter les perspectives davenir pour de nombreux jeunes qui recherchent des issues dans le dpart dfinitif de leur village ou ville, pour tenter de gagner lEurope, parfois au pril de leur vie travers le Dtroit de Gibraltar ou vers les les Canaries (plus de 400 corps de victimes repchs au large des ctes espagnoles en 2004).

En conclusion du chapitre sur les antinomies du rformisme officiel, lhistorien Abdallah Laroui crit : Nous avons essay de voir dans ce chapitre la dfense dun Makhzen oblig de se rformer Des indices nous ont permis de conclure lexistence dun petit groupe de lgistes au service exclusif des intrts de lEtat, libr de toute considration. Etait ainsi dtect un mouvement de lacisation balbutiant, sans grande capacit dpanouissement, mais indniable cependant. Ds lors, nous pouvons dfinir cette action qui, sous la pression trangre, visait renforcer le Makhzen et qui en dfinitive laffaiblit irrmdiablement : libralisme prcolonial, occult sous le protectorat dans la mesure o il spuisait dans laction coloniale directe. Sur le plan des faits, il sagissait, au moyen de rformes militaires, ducatives, fiscales - ddifier les bases de lEtat moderne, tel que le dfinit par ailleurs la sociologie et lhistoire comparative . Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain. Paris : Franois Maspro, 1980, p. 303 6 Kenbib M. D., Note sur cinquante ans dindpendance du Maroc , Contribution au Rapport HDR 505

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Malgr des avances ralises depuis les annes 1960 sur le plan institutionnel, mme si les progrs accomplis sont parfois partiels, des dficits majeurs sont toujours l, ttus et menaants : lenteur des grandes rformes touchant ladministration, la justice, tandis que la politique conomique demeure plutt soucieuse dquilibre budgtaire et frileuse en matire dinvestissements et de cration demplois. Class 129me dans le Rapport Mondial sur le Dveloppement Humain, au cours de lanne 2004, et continuant de rgresser depuis 19907, le Maroc connat une situation conomique et sociale difficile, marque par les effets dune scheresse rcurrente depuis les annes 1980, et de faibles performances de son conomie agricole qui conduisent un accroissement de lexode rural, de la pauvret et du chmage : sur une population de 29,9 millions dhabitants, on recense environ 250 000 dparts annuels des campagnes vers les villes ou leurs banlieues, 5,3 millions de pauvres, contre 4,6 millions en 1985 et plus de 10% de la population active au chmage.

1- SUR LE TERRAIN DE LVOLUTION CONSTITUTIONNELLEAu Maroc, la question de lvolution constitutionnelle occupe une place fondamentale, tandis que ce qui se rapporte la rforme de la Constitution figure parmi les dterminants du jeu de pouvoir en ce sens quil claire plusieurs aspects de la situation politique actuelle. Le cadre constitutionnel et son volution peuvent tre analyss en trois volets : la gense (1956 ladoption de la Constitution de 1962), la construction constitutionnelle (1962-1996) et les perspectives partir des potentialits ouvertes par la Constitution de 19928 .

1-1- LA GENSE : DE 1956 LADOPTION DE LA CONSTITUTION DE 1962Au lendemain de son indpendance (1956), le Maroc affichait lambition de passer dune monarchie traditionnelle une monarchie constitutionnelle, ce passage concernant galement lensemble de la socit politique. Malgr linstauration de mcanismes destins tre de futures institutions constitutionnelles (Conseil National consultatif compos des reprsentants des diffrents milieux politiques, conomiques, syndicaux et religieux -1956-, Pacte Royal -1958- et Conseil constitutionnel -1960-), des diffrences sont apparues entre une conception constitutionnelle de la Monarchie, conue et encadre directement par le Roi, et un autre processus voulu par les partis dopposition issus du mouvement national, dans lequel le centre de dcision se trouverait plutt au sein du lgislatif, quaux mains de lexcutif. Ainsi, les rclamations de llection dune assemble constituante, formules ds les premires annes de lindpendance par lUnion Nationale des Forces Populaires, le parti Communiste et lUnion Marocaine du Travail, servaient-elles dargument pour dcrier les insuffisances dune approche institutionnelle, et au del, remettre en cause un statu quo politique qui va durer quatre dcennies, rclamant une participation des partis issus du mouvement national la gestion des affaires de lEtat.7 8

En 1990, le Maroc est class 116me ; en 1996 : 123me en 2004 : 129me. Lamghari-Moubarrad Abdelaziz, Lvolution et les perspectives constitutionnelles au Maroc , Contribution au Rapport HDR 50, 2005.

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1-2- 1962-1992 : LA CONSTRUCTION CONSTITUTIONNELLELe manque de consensus entre les partis du mouvement national et le pouvoir monarchique au sujet des textes constitutionnels, longtemps considrs comme octroys par ce dernier, explique quel point labsence dun processus constituant limitait la participation de lensemble des acteurs concerns la construction dun difice politique dmocratique. Ainsi, de fait, la Constitution de 1962 na pas vcu bien longtemps, puisque le 7 juin 1965, ltat dexception tait dcrt et le Roi Feu Sa Majest Hassan II, annonait son intention dexercer personnellement les pouvoirs lgislatif et excutif. Il va dsormais concentrer entre ses mains outre les prrogatives que lui confre la Constitution, celles rserves au premier ministre. Une telle tendance va tre consacre par la Constitution de 1970 puisque celle-ci attribue au Roi de nouveaux pouvoirs quil navait pas dans le cadre de la Constitution de 1962. Cette mprise sur le sens que la Monarchie et les partis dopposition donnaient au processus de constitutionnalisation et au partage du pouvoir qui devait laccompagner explique le repli des partis dopposition dans une attitude de refus (appel au boycott du rfrendum constitutionnel de 1962), puisque durant au moins une dcennie, ces derniers affichaient leur distance lgard du palais. Trois lments sous-tendent cette volution : labsence dune relle majorit dgage par les lections organises lors du printemps de 1963 ; les meutes de mars 1965 Casablanca ; la difficult de parvenir un accord avec les partis dopposition sur le fonctionnement des institutions. Par la suite, la Constitution du 10 mars 1972 navait fait lobjet que de quelques retouches qui nont pas mis en cause les mcanismes qui commandent le droulement de la vie politique au Maroc. De mme, les deux rvisions de la Constitution adoptes par rfrendum en 1980, la premire portant sur la majorit du Roi et la seconde sur la prolongation du mandat de la chambre des reprsentants de 4 6 ans et llection du prsident de la chambre pour trois ans au lieu dun an, sinscrivent dans une logique analogue. Ds lors, les pripties de la vie politique au cours des annes 1970 et 1980 vont marquer le paysage marocain avec de fortes permanences et un paradoxe : un jeu politique pour pluraliste quil soit, offrant un multipartisme qui na jamais t effac avec des espaces de libert dexpression longtemps sous contrainte. Ce nest quau seuil des annes 1990 que ce processus quasi-conflictuel qui a longtemps inquit les partis et la socit, va connatre un dnouement facilitant le passage dun systme o les conflits sont souvent exprims ltat brut, avec un recours la coercition, vers une plus grande souplesse justifie, il faut le souligner, par une intgration progressive des forces politiques.

1-3- LA CONSTITUTION DE 1992Ainsi, avec lavnement de la Constitution de 1992, on pourrait dire que le Maroc est entr dans une re constitutionnelle encadre par des principes et des rgles pr-tablis, prtendant une permanence et qui simposent au respect de lensemble des acteurs du jeu politique. Cette Constitution marque probablement

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les limites dune concentration personnelle des pouvoirs et semble ainsi prluder, pour la premire fois dans lhistoire marocaine, un dbut de consensualisme politique, mme si son avnement continuait nourrir un certain scepticisme quant la capacit du systme rendre effectif un train de rforme large et ambitieux. Car le consensus aliment par des formes de discours et consolid par lapparition de pratiques de dialogue nintressait alors quune partie du corps politique et social (syndicats traditionnels, partis rcemment cres). De plus, si le processus entrepris durant la dcennie 1990 semble rel, sa traduction, dans la vie de tous les jours, par des comportements fonds sur lthique de la confiance et la participation reste relativement lente. Le soutien apport par lopposition au texte constitutionnel de 1992, mme si elle navait pas particip son laboration est significatif. Et limportance de lvnement rside moins dans sa porte court terme que dans sa valeur symbolique, car cest la premire fois en prs de quarante ans quun dbut daccord a vu le jour entre la Monarchie et lopposition. Si la Koutla (USFP, Istiqlal et PPS, lexception de lOADP) a accept la rforme politique propose, ce nest pas parce quil sagit de la meilleure offre faite jusqu prsent par le pouvoir, mais probablement par pragmatisme pour dbloquer une situation dualiste qui a caractris lhistoire politique du Maroc, et permettre lopposition dassumer la responsabilit de gouverner, afin dchapper lusure laquelle la soumet son maintien dans un rle dopposition. Et mme si cette entre ne bnficiait pas dun accord franc et unanime de toute la socit politique, la Constitution de 1992 accorde dsormais plus de poids lautorit du premier ministre et de nouvelles attributions au parlement pour contrler la politique du gouvernement (en optant pour la conscration de la loi donnant un dlai de 30 jours pour la promulgation de la loi aprs sa transmission au gouvernement par la Chambre des reprsentants). Cette Constitution affiche galement, pour la premire fois, lattachement du Maroc aux droits de lhomme tels quils sont universellement reconnus. Il faut dire qu partir des annes 1980 et surtout 1990, et corrlativement lapparition de mouvements sociaux (grves et meutes) et lmergence dune culture politique du compromis, de la ngociation et subsidiairement de la participation, aussi bien dans les pratiques politiques, le dbat gnral va sinscrire dans un cadre plus consensuel domin par une question fondamentale : comment gouverner ? Quel types dinstitutions promouvoir ou mettre en place pour mieux rsorber les problmes sociaux, rpondre aux attentes des citoyens, arbitrer les intrts en prsence, mettre en uvre et appliquer un cadre lgal rnov ? Lmergence dun pacte politique entre le Palais et les partis dopposition et le train de rformes constitutionnelles ngocies qui sensuit sont le rsultat dune longue maturation ayant abouti raliser trois conditions principales dun changement politique: un compromis ngoci entre la monarchie et les partis du Mouvement national (koutla), accessoirement et indirectement avec les islamistes qui sont dsormais une force organise. Par cette entente , chaque partie sengage ne pas utiliser, ou tout le moins, sous utiliser sa capacit porter atteinte lautonomie organisationnelle ou aux intrts vitaux des autres et, en dernier lieu, les acteurs politiques concerns acceptent un cheminement lent et progressif qui ne remet pas en cause la distribution actuelle du pouvoir9.9

Tozy Mohamed, Rformes politiques et transition dmocratique , in Maghreb-Machrek, n 164, avril-juin 1999, p. 73

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Laccord sur un certain nombre de principes entre le pouvoir et les partis dopposition lections rgulires, possibilits dalternances, tat de droit, etc.- avec des modalits rendant effectifs certains droits qui protgent les particuliers et les groupes sociaux contre les actes arbitraires ou illgaux commis par lEtat ou les tierces parties, est le fruit dune ngociation laborieuse, conduite en plusieurs tapes. Des termes comme consensus, dialogue, concertation, partenariat commencent devenir rcurrents, pour traduire une ambiance politique, qui apparat, aux premires annes de la dcennie 1990, plus comme une recherche dun nouvel quilibre que comme une consolidation de lapprentissage dune culture politique fonde sur le respect des droits et des principes universels de la dmocratie. Mais si la rvision de la Constitution, le 4 septembre 1992, exprime dune certaine manire, une raction aux mutations soutenues que connat la socit marocaine, elle apparat galement comme une rponse aux attentes formules explicitement par les bailleurs de fonds internationaux et les partenaires occidentaux des pouvoirs publics. Elle semble enclencher enfin une dynamique qui facilite lclosion de structures ayant pour mission dtudier et de proposer des solutions diffrents problmes sociaux et dasseoir une culture plus dmocratique, fonde sur la concertation, le partenariat, le consensus et la justice : Ministre charg des Droits de lhomme (1993), Tribunaux administratifs (10 septembre 1993), Conseil Constitutionnel, Conseil National du Dialogue Social, Conseil National de la Jeunesse et de lAvenir, Bicamralisme largissant la base socio-politique, professionnelle et territoriale de la reprsentation, constitutionnalisation du Conseil Economique et Social.

1-4- LES RFORMES POST-CONSTITUTIONNELLES DEPUIS 1992Une telle volution incite la mise en place de rformes indispensables au dveloppement de lconomie et de lentreprise pour rpondre manifestement aux appels dacteurs issus de la classe politique et de la socit civile, en faveur dune ncessaire modernisation des institutions et des processus de prise de dcision. En tmoigne la mise en uvre dun ensemble de pactes et daccords : signature du Gentelmans Agreement (en juillet 1996) entre la Confdration Gnrale des Entreprises du Maroc (CGEM) et le Ministre de lIntrieur ; paraphe des accords couronnant un dialogue social, le 1er Aot 1996 ractualis depuis en avril 2000 et le 30 avril 2002, sous lgide du Premier Ministre avec les principales centrales syndicales, la CGEM et le Ministre de lEmploi ; approbation de la Constitution en septembre 1996 par la majorit des partis politiques et du corps lectoral, arrive au pouvoir dun Gouvernement de lalternance. Lalternance politique et la dsignation, le 4 fvrier 1998, par Feu Le Roi Hassan II, de Abderrahmane Youssoufi comme premier ministre, aprs les scrutins communaux de juin 1997 et lgislatifs de dcembre 1997 (remports laborieusement par lopposition issue du mouvement national) apparat comme un aboutissement dune succession de rformes. Louverture entame depuis la fin des annes 1990 semble sancrer davantage la faveur dun renouveau du dbat sur la Constitution et la dfense de la Monarchie Constitutionnelle et vise lArticle XIX de la Constitution, une dfinition des prrogatives Royales et une recherche dun quilibre des pouvoirs en faveur du premier ministre. Ce dbat marque une volution assez nette par rapport au jeu de ngociation et de19

modration entretenu par les partis politiques lgard du pouvoir Royal, notamment depuis la seconde moiti des annes 1970. Ses acteurs ne sont plus seulement les partis historiquement issus du mouvement national qui connaissent un vieillissement de leur lite et des archasmes dans leur fonctionnement interne, mais de nouveaux partis dopposition et quelques reprsentants de la socit civile comme la Gauche Socialiste Unifie (GSU) et le Parti de la Justice et du Dveloppement (PJD), certaines composantes de la socit civile :Association Fidlit la Dmocratie, Mouvement Amazigh, Association Marocaine des Droits de lHomme (AMDH) ainsi que le Mouvement de Revendication dune Constitution Dmocratique (le Parti de lavant-garde Dmocratique et Socialiste (PADS) et le Mouvement Ennahj Dimocrati, Association Alternatives. Occupant une certaine place au niveau des mdias, notamment auprs de la presse non partisane, trouvant un relais auprs dun certain public, le dbat actuel revt une nouvelle dimension notamment face aux difficults prouves par la transition dmocratique et aux dysfonctionnements du rgime politique marocain. Il permet de faire trois remarques essentielles : labsence de discours officiel sur toute rforme constitutionnelle ; la demande nest plus lapanage des partis issus du Mouvement National, mais de composantes de la socit civile, ainsi que des formations de lextrme gauche et de lopposition extra-parlementaire ; le discours qui porte une telle demande a tendance se durcir et se radicaliser, plaidant dans certains cas pour une monarchie parlementaire, mme si la faible reprsentativit de ses auteurs rduit la porte politique de leur demande.

2- GESTION DES TERRITOIRES ET DMOCRATIE LOCALE : DE LASCENSION DE LA BUREAUCRATIE TERRITORIALE LAMBIGUT DU DVELOPPEMENTAu lendemain de son indpendance, le Maroc a entrepris ldification dun Etat dot dune administration territoriale structure. Le monde rural, par exemple, est rest soumis pendant plusieurs dcades, lordre contraignant instaur par lautorit franaise. Une multitude dagents marocains, dont les commandements sont calqus approximativement sur le systme tribal, relaie laction des officiers dAffaires indignes et des contrleurs civils10 . Ce processus explique une centralisation aux mains du Ministre de lintrieur de toutes les comptences qui touchent lamnagement du territoire et son dveloppement. Devenu une administration carrefour pour tout accs aux populations, la prpondrance administrative de ce ministre est base sur un rseau serr dagents dautorit (wali, gouverneurs, pachas, cads, chioukh, moqaddems, etc.) et sur une agrgation de structures administratives (information, urbanisme, amnagement, etc.).

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Leveau Rmy, Le fellah marocain dfenseur du trne , Paris : Cahiers de la Fondation Nationale de Sciences politiques, n 203, p. 7

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Le resserrement progressif du maillage territorial va marquer ldification dun Etat moderne par laugmentation du nombre de circonscriptions. La multiplication de celles-ci, officiellement pour rapprocher ladministration des citoyens, a consacr cette orientation durant les cinquante dernires annes. Limits 14 en 1959, pour une population de prs de 11 millions dhabitants, les provinces ont vu leur nombre grimper 53 (celui des prfectures 14) pour une population atteignant 26 millions dhabitants au recensement de 1994. En liaison avec une acclration de ce mouvement amorce en 1971, on compte, en moyenne, la cration dune nouvelle circonscription territoriale tous les 18 mois. Les consquences de ce maillage sont multiples : un cadre territorial rtrci et de moins en moins adapt un amnagement visant un dveloppement efficace et durable ; une multiplication des circonscriptions qui entrane une lourdeur des procdures et allonge les dlais dexcution des projets de dveloppement ; une rduction de la part de chacune delles en ressources ; une difficult de coordination des projets de dveloppement qui concernent plusieurs territoires ou provinces. Il en rsulte galement une armature territoriale instable (passage du nombre des rgions de 7 16), avec des implications sur lamnagement territorial, pouvant affaiblir une certaine autonomie et ralentir un processus dassociation et de solidarit des populations et des espaces face aux problmes locaux qui sont habituellement fortement mobilisateurs. De mme, la multiplication des dcoupages territoriaux et les retards enregistrs dans la viabilisation de plusieurs espaces provinciaux et prfectoraux promus au gr des conjonctures, ont fini au bout dune vingtaine dannes, par entraner un discrdit de ladministration, malgr un rituel de grandes tournes rgionales bien mdiatises, organises par le Ministre de lIntrieur, pour enregistrer dolances et demandes et donner limpression que lon apportait des rponses adquates aux multiples demandes locales. De lourds handicaps fragilisent de plus en plus des territoires dont les populations manquent pour une large part de commodits de base en terme dinfrastructures et dquipements socio-culturels. De plus, faute de rforme profonde, la gestion territoriale a rendu inoprants les efforts financiers dploys et laiss passer plusieurs chances de dveloppement. Car malgr une dcentralisation commande partir des annes 1970, le retour aux territoires est loin de renouer avec la socit travers une conscration de valeurs comme la participation, la solidarit, la libert, le civisme et lautonomie, puisque les approches officielles continuent de pcher par un excs de centralisme, et les dispositifs administratifs mis en oeuvre demeurent sous-tendus par un souci dencadrement des populations et de contrle des processus dcisionnels et des ressources matrielles.

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IV- 1976-2005 : les enseignements de la dcentralisation transfert des comptences, dissonances et jeux des acteursAu Maroc, la dcentralisation effective date de 1976 et reprsente lune des plus grandes rformes institutionnelles connues depuis lindpendance du pays. Cette exprience participe aujourdhui avec rcurrence toutes les rflexions sur le dveloppement local. Trois dcennies dexercice de la gestion publique depuis la promulgation de la premire Charte Communale par le Dahir du 30 septembre 1976, autorisent la formulation dun questionnement sur lefficacit des institutions locales, des structures reprsentatives des pouvoirs publics et sur les degrs davance de la dmocratie locale. La cheville ouvrire de cette dcentralisation dont limportance concerne aussi bien le rglement des questions locales que lexercice de la dmocratie est la rforme communale qui concerne aujourdhui 1.497 communes. Des dispositions juridiques mises en place depuis ladoption de la premire Charte communale de 1976 dcoule un partage des comptences entre lEtat et les communes. Ces dernires sont en effet considres comme des collectivits locales de droit public, dotes de la personnalit morale et de lautonomie financire, places sous la tutelle du Ministre de lIntrieur et administres par un Conseil communal lu11.

1- ORGANISATION COMMUNALE1-1- OPPORTUNITS APPORTES PAR LORGANISATION COMMUNALERappelons brivement que lorganisation communale issue de cette rforme, a confr au Conseil communal le droit de dfinir le Plan de dveloppement conomique et social de la Commune conformment aux orientations et objectifs retenus par le plan national. Initialement, elle devait tre une opportunit pour llaboration de stratgies alternatives de croissance et de dveloppement, fonde sur la mobilisation des potentialits locales, la participation des populations et la promotion de lEtat de droit. Aussi, le lgislateur trouvait-il la dcentralisation un grand intrt et de multiples vertus, notamment : la facult de permettre un partage de pouvoir, par la mise en place de niveaux signifiants pour son exercice, souple sur le plan des procdures, et proches de la population, en terme de reprsentation et de gestion de proximit ;

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Harsi Abdallah et Yaagoubi Mohammed Cadre conceptuel, lgislatif et rglementaire des processus de dcentralisation au Maroc Contribution au Rapport HDR 50, 2005

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le fait de constituer un cadre de connaissance et de collecte dinformations, ncessaires pour le planificateur et utile au secteur priv et aux investisseurs ; la capacit de susciter des dynamiques de dveloppement local travers une mobilisation consciente des populations au moyen dune gestion participative et concerte. La commune sest vue attribuer ainsi une comptence gnrale en matire de gestion des affaires locales. Outre les prrogatives conomiques qui lui sont accordes, elle est charge de lensemble des aspects ayant un rapport avec le cadre de vie des populations assurant ainsi la mise en place dquipements et dinfrastructures de base, susceptibles de promouvoir les bases du dveloppement local.

1-2- DIFFICULTS RENCONTRES PAR LORGANISATION COMMUNALEPourtant, en dpit davances notables, concernant notamment ltendue des prrogatives dvolues aux communes, lexprience a suscit des critiques, vingt ans aprs sa mise en oeuvre, notamment chez les universitaires, les responsables politiques et au sein du gouvernement lui-mme. Tout dabord sur le terrain, plusieurs difficults sont apparues justifiant de nombreux amendements, dicts parfois par la conjoncture, compltant ou modifiant le texte relatif lorganisation communale. De mme, le fonctionnement dun systme dcentralis mais sous tutelle dpend largement des relations personnelles entretenues entre le prsident de la commune et le gouverneur ou le wali, et peut-tre des rapports de forces locaux, le reprsentant de lEtat tant gnralement dominant. Mais lapproche municipale aurait d primer sur une application exclusive des normes tatiques, ce qui ne sest parfois produit que lorsque le prsident dun conseil municipal disposait dun important capital politique lchelle nationale, tout en tant solidement ancr lchelle locale. Les rivalits et les apptits suscits par lexercice du pouvoir communal et les risques que la comptition pour la magistrature communale fait encourir lintrt local, sur fond de pluralisme politique et de confrontation dintrts, sont rests au cur des difficults dapplication du droit communal. En outre, les qualits des lus et responsables locaux, en termes de formation, dexprience, de culture et dthique, dpendent dun contexte institutionnel et sociologique avec ses contraintes et ses opportunits ainsi que du cadre lgal dexercice des responsabilits locales et de la gestion des services de proximit. Faut-il rappeler galement que les conseils communaux se trouvent au centre de plusieurs avatars : rivalits et conflits politiques, tribaux ou personnels, quilibres fragiles, alliances parfois contre-nature et dissensions quotidiennes ? Peut-tre sagit-il l dune des particularits des pays en dveloppement que la pratique rcente dune dmocratie de proximit et les caractristiques sociologiques dune socit composite narrivent pas inhiber ? De plus, loin de contribuer limiter les contrastes entre les communes (urbaines et rurales), cette exprience contribue les amplifier. Les communes urbaines sont gnralement mieux loties en ressources humaines et financires, tandis que la pnurie en cadres instruits et en moyens financiers appropris entrave les lans des communes rurales.23

Cette exprience devait, en principe, renforcer la participation des populations locales et les inciter sintresser au processus de prise de dcision qui concerne leur vie quotidienne. Or la coopration entre les lus et les associations de dveloppement local, continue de relever le plus souvent de lexception ; les premiers peroivent les seconds comme des entits concurrentes dans le champ politique. Quant la participation des populations, si elle devient de plus en plus effective, elle sest longtemps rsume la prestation gratuite et plus ou moins volontaire dheures de travail dans le cadre doprations dcides dautres niveaux ou alors alimentant des pratiques clientlistes au profit de notables ou de mdiateurs monopolisant la relation entre les autorits et les populations. Mais cest dans le sens dune amlioration des performances de ladministration locale pour runir les conditions dun dveloppement intgr assurant services, quipements et participation aux populations que lexprience requiert aujourdhui un besoin de revitalisation. Il faut dire que la forte pression de l'exode rural, les besoins grandissants en logements et services de proximit, les dysfonctionnements apparus dans la gestion des biens publics ainsi que lvolution de la fonction de rgulation sociale, notamment aprs la mise en application de la politique dajustement structurel (1983-1993), interpellent srieusement les autorits locales pour rpondre aux demandes des populations en ducation, sant, eau, transport, etc. Si les illustrations des changements sociaux sont connues, notamment en termes dappauvrissement de couches sociales de plus en plus nombreuses, elles suscitent par ricochet lapparition notamment en ville de nouveaux acteurs et favorisent lclosion dun ordre sur lequel psent lourdement les consquences de la rduction drastique des budgets allous aux programmes sociaux durant les annes 1980 et 1990. Ainsi, par exemple, dans les villes, pass un certain seuil dmographique, les relations entre les populations et les autorits locales sont empreintes dexclusive, dinstrumentalisation et parfois de mfiance. Le dfaut de gouvernance rside gnralement dans des problmes non rsolus entre les lus et les autorits administratives et dans le dcalage entre le discours et laction. Ds lors, on peut prtendre que la faiblesse du consensus et de la participation explique les expressions observes sur le terrain comme la tension, linscurit, lincivilit et le repli sur soi.

1-3- EVOLUTION DE LORGANISATION COMMUNALELaccumulation de difficults incite dsormais reconsidrer les approches utilises, tandis que lamlioration technique de la gestion locale doit tre soutenue par un rel systme dcentralis et participatif, conduit par un leadership politique aux pratiques transparentes et responsables. Au moment o il est not des expressions sociales de plus en plus exigeantes envers les pouvoirs locaux, demandant une plus grande participation dans llaboration de projets de dveloppement local, se multiplient de nouvelles dynamiques corrlativement lmergence dacteurs et de groupes organiss (associations, secteur priv, organisations non gouvernementales, fondations prives, etc.).

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Les expressions des acteurs de la socit civile prennent des dimensions grandissantes tout au long des annes 1990, surtout dans les villes et arrivent convaincre de la ncessit dinscrire les projets locaux dans une logique partage et non dans une logique de rattrapage ou doprations durgence visant combler des besoins conjoncturels afin damliorer ainsi lexercice de la dmocratie locale et des liberts. Une telle dynamique aide la mise en place de rformes politiques qui pourraient participer la promotion de la dcentralisation, llargissement de la participation de la population et de la prise en compte des initiatives citoyennes, avec une plus large autonomie financire et une meilleure transparence dans la gestion des affaires locales. Une nouvelle approche commence se dessiner alors pour la gestion des espaces locaux. Elle indique une volution vers la fonction de rgulation sociale et une plus grande proximit avec les populations pauvres. Elle revt trois aspects majeurs, le premier est dordre lgal et rglementaire ; le second est oprationnel ; le troisime est relatif lintroduction dune meilleure transparence. Concernant la socit civile, malgr une avance notable sur le plan juridique, la participation et ladhsion des populations ne sont pas encore dfinitivement intgres et traduites dans les comportements. Plusieurs observateurs soulignent une relative prise de conscience de lintrt de la dcentralisation par les habitants la fois pour la vie locale et nationale. La bonne gouvernance locale nest pas un rsultat automatique de ladoption dune politique de dcentralisation et de la mise en place dun cadre lgal. Elle devrait inspirer le ramnagement de lensemble des rapports de lEtat et des citoyens travers une rorganisation des relations des populations et de ladministration sur la base de principes comme la participation, lquit, la transparence, linclusion. Si le Maroc a adopt un cadre lgislatif et rglementaire relativement avanc de la dcentralisation (Dahir relatif lorganisation des Prfectures et Provinces de 1963, Charte communale de 1976, rforme de la Rgion de 1997, rforme de la Charte provinciale et prfectorale en 2002, nouvelle Charte communale de 2002), des limites continuent de ralentir ou dentraver une ralisation optimale de telles rformes. Ces limites qui sont dune nature trs diverse et parfois difficile apprcier pourraient tre regroupes en trois catgories : institutionnelles, en relation avec les structures des finances locales et de la planification rgionale ; relationnelles, touchant aux inadquations et linefficience des relations entre administrations de lEtat et collectivits locales ; ce qui pourrait sassimiler une transition incomplte de la tutelle restrictive vers des formes progressives dappui et de supervision ; sociales et politiques lies la nature et au mode de slection du personnel politique des collectivits locales, ainsi quau rle des partis politiques12. Cependant, sensibles la mise en place laborieuse des textes et rformes adopts, les pouvoirs publics tentent dinscrire leur application au sein dune approche place sous le signe dune nouvelle conception de lautorit privilgiant lcoute et louverture. Linitiative dun dbat national sur lamnagement du territoire prise la fin de lanne 2000 consacre une telle volution. Celle-ci bnficie dune sollicitude particulire12 13

Research Triangle Institute, Appui au renforcement de la dcentralisation et de la dmocratie locale (Plan de travail) , mai 2001, p. 2 Discours Royal lors de louverture de la session parlementaire dautomne, le 13 octobre 2000.

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de Sa Majest le Roi, qui affirme vouloir substituer la gestion administrative et bureaucratique des collectivits locales un mode de gestion, responsable et incitatif de linvestissement13. Plus largement, lusage des termes de transparence, rationalit, efficacit, responsabilit, voire accountability, en relation avec la gestion des fonds publics, traduit un souci manifeste des pouvoirs publics dadopter des principes de dveloppement humain durable et de donner un cho aux travaux et recommandations des bailleurs de fonds et partenaires internationaux du Maroc.

2- RAPPORTS ENTRE GOUVERNANTS ET GOUVERNS2-1- LA RFORME DU SECTEUR PUBLIC ET DE LADMINISTRATIONMalgr les progrs accomplis par la dcentralisation, reconnus et salus par des composantes politiques marocaines, des contraintes continuent de limiter le fonctionnement de ladministration et des collectivits locales. Elles peuvent tre synthtiquement dcrites comme enfermement dans une logique bureaucratique inoprante, avec parfois un manque de dontologie et dthique14. Des reproches souvent suivis de demandes relayes par la presse, rclament une meilleure efficience du dispositif administratif, notamment pour pouvoir construire un pouvoir rgional et local fort et proche des citoyens. Les demandes rcurrentes formules au cours de ces dernires annes par les associations et les organisations non-gouvernementales, sollicitent lenclenchement dun processus efficace pour une gestion administrative transparente, palliant les dysfonctionnements de ladministration, luttant contre la prolifration des procdures notamment celles qui sont les plus utilises par les usagers et introduisant une diligence dans le traitement des requtes et dans la prise de dcision. On observe au cours des dix dernires annes lamorce des tendances suivantes : transfert progressif de certaines missions de service public au secteur priv travers la politique de concession et de dlgation, notamment dans la plupart des grandes villes (transport collectif, distribution de leau et de llectricit, production de lnergie, collecte et traitement des dchets solides etc.) cration de nouvelles agences gouvernementales de dveloppement jouissant dune grande autonomie dans les domaines rservs auparavant aux administrations centrales de lEtat. mise en place de Centres Rgionaux dInvestissement sous forme de guichets uniques dans le but de dvelopper linvestissement et de faciliter les dmarches administratives aux entreprises nationales et trangres dconcentration de linvestissement pour les projets ne ncessitant pas de convention ou contrat avec lEtat (Ciculaire du Premier Ministre n 20/2002) dcentralisation au profit des Assembles Rgionales et des collectivits locales dimportantes missions dans les secteurs conomique, culturel et social avec une large place au concept de partenariat ;

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Ourzik Abdelouahad, Gouvernance et modernisation de ladministration , Contribution au Rapport HDR 50, 2005

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rnovation des ressources humaines (adaptation du systme de recrutement et de formation, adoption dun nouveau rgime de dpart volontaire la retraite (environ 33 000 fonctionnaires sont concerns), dveloppement de ladministration lectronique (Portail National offrant une information unifie des ressources institutionnelles sur le Web ainsi quune partie consacre aux dmarches administratives, etc.) ; Encadr 3 : Responsabilisation au sein de ladministration publique Dans la majorit des pays de la rgion MENA, les mcanismes de responsabilisation interne au sein de ladministration publique sont gnralement comparables ceux des autres pays revenus similaires. Mais les contrles croiss internes entre les dpartements du gouvernement sont uniformment faibles. Pourquoi ? En raison de la concentration excessive du pouvoir dans les mains de lexcutif non seulement au sein des 7 monarchies, mais galement dans les gouvernements dits pluralistes comme lAlgrie, la Rpublique Islamique dIran et la Tunisie. Pour ce qui est de la responsabilisation externe, la contestabilit entre les fonctionnaires publics sous forme dun processus rgulier, quitable et comptitif de renouvellement de mandats, vitant de placer quiconque au dessus de la loi- a t rare dans la rgion, particulirement pour les leaders nationaux. Les gouvernements de la rgion MENA sont les plus centraliss de tous les pays en voie de dveloppement.Vers une meilleure Gouvernance au Moyen Orient et en Afrique du Nord Amliorer linclusivit et la responsabilisation . Washington : Rapport de la Banque Mondiale, 2003, p.5

Concernant le contrle et lvaluation lintrieur du paysage institutionnel, on note une diversit des instances (Inspection Gnrale des Finances, Cour des Comptes, Inspections Gnrales auprs des ministres, etc.). Si de telles instances sont prvues pour promouvoir une culture de lvaluation dans ladministration, il est frappant de voir combien labsence de coordination de leurs interventions lemporte souvent sur une recherche de complmentarit. Cependant, si les pouvoirs publics montrent une volont de faire russir les rformes prconises, celles-ci sont confrontes un risque de blocage que des administrations archaques en perte de vitesse, pourraient bien manifester.

2-2- UN PROCESSUS DE DCENTRALISATION PITINANTSi la dcentralisation a bnfici d'une attention de la part de l'Etat marocain qui a pris soin de doter le personnel communal d'un statut particulier (1977), de renforcer les finances locales (transfert de 30% de la TVA au budget des collectivits locales en 1987)15 , dadopter des mesures incitatrices (Loi sur la fiscalit des collectivits locales16), de faire adopter de nouveaux textes sur lurbanisme (Loi n 12-90 promulgue le 17 juin 1992), la dconcentration quant elle semble avoir t longtemps nglige. Celle-ci, corollaire indispensable la dcentralisation, bien quentame dans le cadre de la rationalisation des structures et des procdures, (Plan quinquennal 1973-1977 et Circulaire du Premier Ministre date du 26 mars 1993, Charte communale rforme en 2002), natteint toujours pas les objectifs escompts.

15 16

Dcret du 27 septembre 1977 portant statut du personnel communal, Bulletin Officiel n 3387 du 28 septembre 1977 Dahir du 21 novembre 1989, portant promulgation de la loi 30-89 relative la fiscalit des collectivits locales et de leurs groupements, Bulletin Officiel du 6 dcembre 1989, p. 364

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Encadr 4 : Jeunes et administration Une enqute ralise par le CNJA en 1998 (auprs de 2000 jeunes des deux sexes, gs de 20 34 ans ainsi que 68 associations travaillant dans le champ de la jeunesse), couvre des aspects relatifs la perception que se font les jeunes du degr dcoute et de prise en charge de leurs problmes par ladministration, des critres de qualit distinctifs du bon fonctionnaire ; de la perception de lvolution de ladministration et de la contribution potentielle des jeunes lamlioration du fonctionnement de ladministration, ainsi que de lidentification des domaines jugs prioritaires pour laction publique. 78,2% considrent que leurs problmes ne trouvent pas lcoute ncessaire auprs de ladministration. Cette proportion passe de 69,3% chez les ruraux 84,3% chez les citadins pour atteindre 90% chez les jeunes ayant le niveau des tudes suprieures. Les aspects retenus pour apprcier ltat dvolution de ladministration ont port sur la qualit des ressources humaines, les locaux et les procdures. Concernant les ressources humaines employes dans ladministration, elles ont progress selon 53,4% des rpondants ou nont pas volu selon 32,3% des jeunes. Par contre, pour les procdures, la stagnation lemporte selon le constat de 46% des jeunes. Le constat de progression est fait par prs de 35% et celui de rgression est fait par 12% des jeunes. Quant aux critres retenus pour qualifier un bon fonctionnaire, on peut citer par ordre de voix exprimes : la qualit de laccueil (73% des rpondants), la comptence et le professionnalisme (69,5%), lintgrit (66,8%), le respect de la loi (58,7%), la conscience professionnelle (54,6%) et lassiduit (51,1%). Ces mmes tendances ont t releves par une tude rcente17 conduite sur la base dun chantillon de 1800 chefs de mnages (1116 en milieu rural et 684 en milieu urbain) montrant que les difficults bien relles rencontres par les citoyens pour accder aux services de ladministration et aboutissant aux conclusions suivantes : laccs aux services public est litiste : seulement 3,7% des personnes interroges reconnaissent laccs facile et permanent des citoyens aux services publics ; lingalit des chances et le clientlisme sont des facteurs dinefficacit et de corruption de ces services. A ce titre, 25% des mnages interrogs noncent que les citoyens ne peuvent accder facilement aux services publics que sils appartiennent des rseaux clientlistes, contre 36,1% qui dclarent que les citoyens ont gnralement un accs facile aux services publics.CNJA, Session organise sur le thme lAdministration de demain et les aspirations des jeunes , Rabat : 21-22 mai 1998

Lintention de dconcentrer est souvent avance lors de colloques des Collectivits locales, mais dans les faits, elle est bloque par plusieurs obstacles dordre technique et juridique. Ladministration centrale reste, malgr tout, jalouse de ses prrogatives et attributions mme si elle peut trouver un intrt dcongestionner le pouvoir central en se dbarrassant de prrogatives lourdes et de valeur secondaire.

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CAFRAD/ OMAP/CEA Evaluation du systme de gouvernance au Maroc (Rapport national), 2004, p. 17

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En outre, certains fonctionnaires des services dconcentrs, manifestent peu dempressement et de zle pour exercer les responsabilits que les mesures de dconcentration leur imposent. Ainsi, au-del des textes juridiques, cest le dveloppement dune culture qui pourrait consacrer la dconcentration et la faire progresser. Sur le plan technique, lintervention de plusieurs services diffrents stades de ralisation doprations dquipement, alourdit et ralentit le processus de dcision et vide la dconcentration de sa porte. A ceci sajoutent des obstacles juridiques qui proviennent du droit de la fonction publique relatif la dconcentration de la gestion du personnel national. Ainsi, actuellement, ladministration ne dlgue pas aux walis et gouverneurs le pouvoir dorganiser des concours caractre local ou rgional susceptibles de rpondre aux besoins des Collectivits locales. Dans la pratique de la dconcentration, on remarque galement labsence dun calendrier ou programme traitant de services extrieurs bien toffs, dots de moyens humains et matriels ncessaires dans les provinces et les prfectures, pour pouvoir participer pleinement au dveloppement. Certes, la dconcentration administrative est un des axes prioritaires du Programme national de modernisation et damlioration des capacits de gestion de ladministration, lanc en juin 1996 par le Ministre de la fonction publique et de la rforme administrative en coopration avec le Programme des Nations Unies pour le Dveloppement. Mais les rsultats de ce programme indiquent, sur la base dun tat des lieux, ces insuffisances ou ces obstacles constats face au processus de dconcentration. Si des bases administratives ont bien t mises en place travers une structuration des services extrieurs, une affectation de ressources humaines parfois importantes, susceptibles de renforcer le pouvoir de coordination des gouverneurs, le systme de dlgation ne permet pas, quant lui, de raliser une dconcentration effective. En effet, la dlgation de pouvoir nest prvue que dans des cas exceptionnels et se limite en fait au sous ordonnancement, bnficiant surtout aux chefs de services extrieurs. Il faut dire que la part du budget de lEtat excute par voie de dconcentration est importante mais cette mesure reste limite tant quelle nest pas complte par une dlgation de pouvoir autre que financier. Or lattribution des comptences par voie rglementaire tarde tre effective ; tandis que dans la logique des textes en vigueur, savoir la Constitution et le Dahir fixant les attributions du gouverneur, celui-ci apparat comme le principal bnficiaire de la dconcentration. Il sagit dune conscration qui va au-del de la simple coordination des services extrieurs, puisque le gouverneur assume la gestion, soit une responsabilit qui fait de lui le dcideur local quasi unique, depuis lentre en vigueur de la nouvelle Constitution en 1996. Suite la promulgation de la Charte communale de 1976, la question de la dconcentration devenait rcurrente, car llargissement notable de la dcentralisation par la charte rendait plus aigu la ncessit dune dconcentration effective mettre au service du dveloppement rgional. Il sensuivit la promulgation du Dahir du 15 fvrier 1977, fixant les attributions du gouverneur avec certaines dispositions rserves la dconcentration.

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Ainsi, pour la premire fois impliquait-on le gouverneur dans la dconcentration du pouvoir de dcision, notamment au plan financier, en qualit de sous-ordonnateur de certaines dpenses dinvestissement et des crdits du Fonds Spcial de Dveloppement Rgional. Avec lentre en vigueur de la Charte communale de 1976, les lus locaux et les administrateurs territoriaux manifestent une grande attente. Pour les lus locaux, le renforcement de la dconcentration est envisag sur le plan des relations avec les services extrieurs, en souhaitant travailler avec des partenaires ayant des pouvoirs et des moyens pour rsoudre des problmes dadministration locale. Mme si des dpartements ministriels bien pourvus en moyens budgtaires ont ralis dimportants efforts, lvolution de la dconcentration au Maroc et les capacits de gestion de ladministration souffrent de trois limitations : la dconcentration du pouvoir na pas t conue de manire globale, ce qui explique la lenteur de sa dissmination ; la dconcentration sest cantonne dans un domaine financier et na pas concern le pouvoir juridique correspondant (oprations de sous-ordonnancement) ; la dconcentration reste envisage en fait sous forme de dlgation de signature, mme si, tout rcemment, il y a eu dlgation aux walis de pouvoirs des ministres concerns dans le cadre des attributions relatives aux Centres Rgionaux dInvestissement. Sagissant des services publics rendus aux citoyens, le manque defficacit ressort dune enqute rcente, conduite dans le cadre de la recherche sur la gouvernance au Maroc18. Ainsi, ladministration ne serait pas suffisamment attentive aux priorits sociales des populations pauvres, faute de vision et de cadre rglementaire appropris : ce titre, peine 1% des personnes consultes pensent que les services publics rpondent parfaitement aux besoins des pauvres, contre 66,7% qui voient que les services publics ne rpondent pas aux besoins des pauvres, do la ncessit de recentrer laction publique sur les priorits sociales des classes dfavorises. La faible capacit daction des administrations classiques (ministres et collectivits locales) contraste avec le dynamisme de certaines agences rcemment cres, telles que la Fondation Mohamed V pour la Solidarit et lAgence de Dveloppement Social.

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3- COMMENT SORTIR DUNE GESTION PEU ENGAGEANTE ET FAIBLEMENT MOBILISATRICE ?Durant la priode de ldification de lEtat national, ladministration marocaine a renforc des pratiques hautement centralisatrices, hrites du Protectorat franais et oblitrant par consquent le rle de participation et de mdiation jou par les structures traditionnelles, comme les jemaa qui reprsentaient des espaces de rglement de conflits et de rgulation sociale et culturelle. Par ailleurs et malgr un intrt pour lactivit associative dans un sens moderne, manifest ds 1914 au Maroc, corrlativement une premire rglementation en la matire (Dahir sur les associations) et confirm par ladoption dun texte qui consacre la libert dassociation (Dahir de 1958 relatif aux liberts publiques), la participation des citoyens la prise de dcision au niveau des structures politiques et des collectivits locales, lamlioration des prestations de services et au contrle de laction administrative est reste trs faible. Lexprience de participation largie la gestion du dveloppement, est ne il y a une vingtaine dannes dans un contexte marqu par de grandes mutations sociales : volution des structures dmographiques, glissement des conflits et des enjeux politiques vers lespace urbain, monte des notabilits urbaines et de la demande sociale des populations notamment dans les villes, avnement dune vie associative, etc. Ce contexte est galement marqu par le dveloppement de la pauvret et une rcurrence de mouvements sociaux, parfois chargs de violence (meutes urbaines en 1981, 1984, 1991). Faut-il souligner que ces mouvements ne sauraient tre lis exclusivement laugmentation du prix du pain ou la chert de la vie, car ce jour, aucune enqute na prouv que ce sont uniquement les plus pauvres qui se sont soulevs ? De mme, la violence en augmentation nest pas uniquement le fruit de la pauvret croissante dans les villes, mais pourrait bien tre un phnomne typique des priodes dincertitudes que sont les poques de transition. Sur le plan international, ce contexte correspond la fin des annes 1980 qui a connu la chute du mur de Berlin et le changement idologique annonant le dclin du monde communiste et le triomphe de la pense librale. Le nouvel ordre mondial a eu sur la politique intrieure au Maroc, comme dailleurs dans lensemble des pays du tiers monde, un impact direct. De mme, il faut relever le poids des pressions externes avec des effets dentranement, particulirement dans les domaines de la dmocratie et des droits de lhomme. Si un tel contexte requiert linstauration de nouveaux mcanismes de mdiation pour impulser une ouverture vis--vis dune socit civile en structuration, le concept de socit civile nayant vu le jour dans le discours sociologique au Maroc quau dbut des annes 1980, il a permis, grce la mise en place dinstances favorisant le dialogue avec les partenaires sociaux et conomiques (chambres professionnelles, patronat, syndicats), dinstaurer une dynamique qui a conduit les pouvoirs publics solliciter limplication et lengagement des associations et des organisations non gouvernementales dans le processus de dveloppement conomique et social.

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Lavnement de nouveaux espaces, o agissent des acteurs sociaux devenus parfois des interlocuteurs crdibles, notamment dans des domaines comme les droits de la femme et de lhomme, lidentit amazigh, la lutte contre la pauvret, la sant, etc,prfigure une triple volution : lmergence de nouveaux acteurs : jeunes duqus, urbaniss, femmes, tmoignant dune restructuration de la participation dans un pays amorant une transition vers la dmocratie ; le souci des pouvoirs publics de rationaliser les dpenses sociales, de contrer un mouvement intgriste dynamique et entreprenant et de canaliser les finances internationales et les fonds de coopration mobiliss par les partenaires internationaux, lesquels sont la recherche dacteurs non-gouvernementaux ; la volont dinstrumentaliser des acteurs pour en faire un outil de lgitimation du pouvoir linstar des associations rgionales transformes largement en moyens dascension sociale et politique. Faut-il rappeler les grandes associations localises dans les principales villes : Ribat Al Fath Rabat, Fs Sass Fs, Bou Regrag Sal, Al Muhit Asilah, Mditerrane Tanger, Al Ismalia Mekns, Agadir Souss Agadir, Grand Atlas Marrakech qui sont le plus souvent diriges par des personnalits appartenant au cercle rapproch du Roi ou par des ministres, qui se destinent frquemment la promotion socioculturelle dune rgion et dont les activits consistent organiser colloques, sminaires et manifestations sur des sujets dintrt gnral national ou rgional ? Des initiatives dappui aux associations oeuvrant proximit des populations dfavorises sont prises par les pouvoirs publics pour pallier des dficits sociaux devenus, de lavis de tous les acteurs, alarmants. Outre la recherche dun cadre lgal de partenariat avec les associations, lexemple de la Circulaire du Premier Ministre (n7/2003) et la simplification des procdures, le gouvernement a sign en 2003, par exemple, diffrentes conventions avec plus de 200 associations oeuvrant dans le champ social afin de concrtiser une politique de proximit qui vise lutter contre la pauvret et amliorer les conditions de vie des citoyens en situation de prcarit. Cet appui ouvert sur le relais associatif pour raliser de manire contractuelle des projets de dveloppement dans les milieux urbain et rural (lectrification, construction de routes, eau potable, enfance, femmes rurales, etc.) constitue non seulement une dynamique sans prcdent mais galement une volution indniable dans les mentalits des responsables de ladministration. Mais le systme administratif existant et ses dispositifs continuent parfois rserver au mouvement associatif une place garantissant faiblement une contribution franche aux actions de dveloppement. Il faut dire que le milieu rural et les espaces priurbains ptissent de la faible densit du tissu associatif. De mme, les associations qui tentent de sy activer souffrent de faibles capacits techniques, dun dficit en formation, en modes de fonctionnement, en capacits de ngociation et de gestion, ce qui ralentit le renforcement de leurs propres ressources, entrave llargissement de leur autonomie et rduit le rle de contre-pouvoir quelles pourraient jouer.

4- LAFFIRMATION PROGRESSIVE DE LA RGIONALISATIONSi le concept de Rgion en tant que nouvelle Collectivit locale est reconnu suite au Discours Royal devant les lus de Fs en 1984 et si la Rgion devient une ralit partir de 1997, lentit rgionale est fort ancienne, puisquelle correspondait jusqu'au dbut du XXme sicle, une ralit ethnico-politique dont le32

soubassement territorial tait plus ou moins bien dlimit19. Une telle ralit qui dcoulait des quilibres, entre, dune part, des groupements humains (tribus et confdrations de tribus) assez couramment en conflit pour lappropriation de lespace et, dautre part, la dynamique centralisatrice de lEtat et la tendance chronique des forces rgionales faire valoir leur autonomie daction. Depuis la fin du sicle dernier, la question rgionale se pose au Maroc en termes damnagement du territoire des fins de prvention, de correction et de rgulation des dsquilibres conomiques sociaux et spatiaux. Ces dernires actions sont ncessaires pour au moins deux raisons fondamentales : les transformations socio-dmographiques que connat le pays depuis une trentaine dannes participent de nouveaux processus de recomposition spatiale dont les traits saillants sont aisment identifiables au niveau des rgions ; le changement conomique rapide et lurbanisation soutenue qui contribuent indniablement modifier la physionomie gographique du pays et expliquent, par consquent, lutilit et lactualit dune nouvelle organisation de lespace. Faut-il rappeler que la distribution gographique des entits tribales continue de marquer certains traits de lorganisation territoriale actuelle. Car les groupements humains, malgr leur htrognit, semblent renforcer lhomognit au regard de lconomie et du mode dorganisation dominants de lespace. Il arrive parfois, comme cest le cas dans les rgions montagneuses, quun cadre gographique tout prpar par la nature ait fix la place dun groupe et dlimit son territoire. Cest ainsi que les tribus et confdrations de tribus se regroupent en ensembles spatiaux ayant des traits ethniques et socio-conomiques spcifiques. Ces derniers qui sont du reste laboutissement de transferts, de prgrinations et de brassages ethniques actifs, donnent aujourdhui la notion de tribu le sens dune organisation humaine attache un support spatial dont les limites continuent presque toujours de marquer limaginaire. Ces pays se dcoupent leur tour en une multitude de finages correspondant aux divisions ethniques des tribus en fractions, sous-fractions et douars. Partant de l, le dcoupage rgional qui est assez souvent critiqu, pourrait toujours se justifier sil ne remet pas en question lintgrit des pays sus-mentionns. Nanmoins, ce schma qui caractrise les rgions de sdentarisation ancienne, nest pas partout valable dans les zones o lconomie pastorale est reste dominante jusquau dbut du sicle. Dans les dcoupages rgionaux prcdant lan 2000, labsence de concertation et de participation des acteurs locaux ne manque pas de se faire sentir au niveau des rsultats donnant une organisation spatiale extravertie. En effet, cest sous le signe de la dispersion, que sest prsente lorientation maritime (qui domine) ; une contrainte impose laquelle lamnagement du territoire accorde depuis une place prpondrante et dont leffet cumulatif donne Casablanca un rle de commandement. Il sensuit que les

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Harsi Abdallah et Yaagoubi, Cadre conceptuel, lgislatif et rglementaire des processus de dcentralisation , Contribution au Rapport HDR 50, 2005

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barycentres urbains, se situent presque toujours louest des centres ruraux, tmoignant de cette tendance qui ramne constamment vers le littoral atlantique central le fait urbain et qui exprime galement le succs des villes ctires. Mme si les gographes de lpoque coloniale, les premiers avoir partag le Maroc en 12 rgions, sur la base de la prise en compte des conditions naturelles (relief notamment) et des genres de vie dominants, servant considrablement la colonisation, il est paradoxal de constater quils nont pas, outre mesure, pes sur le dcoupage administratif de lespace, si bien que les rgions administratives du Protectorat taient loin de concorder avec celles de la gographie rgionale du Maroc. On note que les dcoupages du territoire durant les annes 1930 reposaient exclusivement sur les caractristiques du milieu physique et proposaient des rgions qui font ressortir des contrastes naturels : Rif et voisinage Mditerranen, Bassin du Sebou, Meseta ou Maroc Central, chanes de lAtlas, Maroc Oriental et Maroc Saharien. Les gographes vont essayer d enrichir leur approche en assignant un rle plus grand aux groupes humains en mettant en avant, partir des annes 1940, outre les grands ensembles topographiques comme : le Pays Jbala, la Haute Montagne Rifaine, le Moyen Atlas, des appellations de groupements humains Zaer, Zaan, Zemmour, Chaouia, Doukkala, Rehamna, Haha, etc. Une telle conception topographique, qui oblitre manifestement le facteur humain, va conditionner quelque peu le dcoupage rgional de 1971. Cest sans doute pour cette raison que lon a reproch ce dcoupage certaines similitudes avec la carte des rgions du Protectorat. On remarque galement que la rgion au Maroc nest pas souvent lmanation dun processus de structuration autour dintrts conomiques qui peuvent donner naissance un sentiment didentification un espace, mais se rfre plutt une entit cre par le haut , pour gnrer, espre-t-on, au fil du temps, un tel phnomne. Ds lors, on pourrait comprendre les reproches faits au dcoupage rgional de 1971, de mme quil est dj prouv aujourdhui que celui de 1997 ne fait pas lunanimit. Dans ces conditions, toute valuation na de sens quen tenant compte des objectifs sous-jacents quon a bien voulu donner la politique de rgionalisation et aux critres mis contribution pour donner la division territoriale telle ou telle configuration. Cependant, lobjectif avou de toute la rgionalisation est de contribuer la mise en place dun cadre et de mcanismes aptes enclencher des processus de dveloppement dcentralis, fonds sur la mobilisation coordonne des potentialits rgionales et la participation active des populations. Lvaluation de sa pertinence devrait se faire la lumire dlments qui agissent sur les processus conomiques et lengagement des acteurs locaux, autorits locales, lus, associations. Ces lments sont identifiables plusieurs niveaux :

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4-1- LE POTENTIEL DE DVELOPPEMENT DES RGIONSle potentiel humain, exprim en effectifs de population qui constituent autant de consommateurs, un march pour les entreprises et une source de recettes fiscales. A ce niveau, il est souligner que le dcoupage rgional de 1971, aussi bien que celui de 1997, ont relativement intgr cette variable ; le potentiel conomique regroupe les activits agricoles (volume et nature des productions, rendements, etc), le tissu conomique non agricole (industrie, artisanat, tourisme, commerce et services), ainsi que les infrastructures fonction conomique disponibles dans la rgion. Cest de limportance et de la rpartition spatiale de ce potentiel que dpend lenclenchement de la dynamique rgionale de dveloppement ; les ressources mobilisables : il sagit aussi bien de celles qui sont visibles que des ressources potentielles : mines et nergie, amnagements fonciers, ressources en eau, biodiversit, potentiel gntiques animal, ressources halieutiques, etc. Or, sur ce plan, une grande ingalit caractrise toujours les units rgionales actuelles. Elle appelle, par consquent, une intervention volontariste des pouvoirs publics et des mesures exceptionnelles pour une mise niveau des marges dfavorises de lespace national (rgions de montagnes et rgions arides, plus particulirement).

4-2- LA FONCTIONNALIT DES CADRES SPATIAUXPour tre viable, un cadre rgional ne devrait pas opposer dobstacles la dynamique de dveloppement et une harmonieuse circulation des flux conomiques et humains. Cela implique dassurer un minimum de diversit des potentialits pour rendre possible une dynamique dchange lintrieur dune rgion et une prise en compte des tendances spontanes de structuration de lespace. Celles-ci sont lies aux flux dhommes et de biens. Certains de ces flux ont un caractre vicieux (migrations qui dcongestionnent des espaces haut potentiel de jeunes adultes). Le dcoupage rgional et lorganisation qui le sous-tend doivent tendre les inverser ou les corriger dans le sens souhait par la collectivit nationale ; dautres flux sont vertueux (comme les capitaux) et leffort doit consister les sauvegarder et les renforcer.

4-3- LA VIABILIT DES PLES : CHEFS-LIEUX DE RGIONSElle doit tre value la lumire de la situation gographique des capitales rgionales et de leur aptitude assurer un rle de locomotive conomique vis vis de lespace quelles sont senses dynamiser. Au plan de laccessibilit de ces ples, la situation est meilleure quelle ne ltait dans le dcoupage de 1971, la plupart de ces centres tant proches des diffrents segments de leur espace. Ceux qui continuent de pcher par excentricit sont Oujda, Fs, Mekns et Agadir. La cration dune rgion regroupant les trois provinces de Ouarzazate, Errachidia et Figuig aurait peut-tre permis de lever cette contrainte, dautant plus que des problmes de dveloppement similaires se posent dans ces espaces (aridit et conomie oasienne).

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Quant la validit conomique, nombreux sont les ples rgionaux qui ne sont pas en situation de structurer lespace, et qui requirent, de ce fait, une attention particulire pour pouvoir assurer un dcollage ; cest le cas dAl-Hoceima, Layoune, Dakhla et Smara.

4-4- LE TRAITEMENT RSERV AUX MAILLONS FAIBLES DE LORGANISATION DE LESPACELe propre de la rgionalisation et de lamnagement du territoire est de remdier aux dsquilibres entre les diffrents fragments de lespace, en mettant laccent sur les espaces dsavantags du territoire. Le dcoupage peut faciliter une telle uvre en regroupant dans le mme cadre territorial les units problmes similaires. Or, cela ne semble pas avoir partout t envisag dans le cadre du dcoupage actuel. Cest ainsi que les espaces de montagnes (Moyen-Atlas, Anti-Atlas et Rif, dans une certaine mesure) ont t clats entre plusieurs rgions o il nest pas sr que leurs problmes soient pris en compte en tant que priorit rgionale

4-5- LES TENDANCES LOURDES DE LORGANISATION DE LESPACEDepuis le dbut du sicle, le centre conomique du Maroc a bascul vers la cte atlantique moyenne. Mais du fait de lurbanisation et des actions de lEtat, de nombreux ples commencent merger dans la Pninsule Tingitane, le Nord-Est, le Souss, le Tadla, les provinces Sahariennes (Layoune), le Gharb et le Sas, le Haouz (moins la rgion dEssaouira). Ces tendances mettent en vidence les diffrentes dimensions de lespace marocain que la rgionalisation future devrait promouvoir. La dimension atlantique a t souvent privilgie ; la dimension saharienne a en partie t valorise ; la dimension mditerranenne est en voie de ltre. Il reste porter une attention accrue aux montagnes et aux rgions sahariennes du Sud-Est. Or le projet de dcoupage actuel ne sy prte que partiellement, moins que lon procde dans le mme esprit que la dmarche retenue pour les provinces du Nord en y dfinissant des programmes de dveloppement intgrs et appropris. Dans la perspective de rsorber des difficults spcifiques des territoires prouvant un besoin dintgration et pouvoir amliorer les conditions de vie des populations locales, Sa Majest Le Roi a mis en place lAgence de promotion et de dveloppement conomique et social des provinces du Nord, puis celle des provinces du Sud et tout rcemment celle de lOriental. Il sagit dinitiatives qui prludent un changement dans lapproche des problmes de dveloppement des rgions concernes ouvrant les perspectives dun recentrage de lconomie et de lorganisation de lespace rgional.

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V- La question du genre et ses implications sur le dveloppementLa dimension du genre se place au cur de la problmatique du dveloppement humain du Maroc eu gard deux lments fondamentaux :