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Les fictions en droit * Christine Biquet ** <SOMMAIRE> Ⅰ. Les fictions entendues largement Ⅱ. Les fictions juridiques 1.-Selon le Professeur et Juge Jean-Louis Baudouin : Le droit vit de fictions qui s’opposent au réel, officialise le mensonge et fabrique délibérément l’erreur . 1) Mais quelles sont ces fictions qui alimentent le droit? Que recouvre cette notion? Il est deux manières définir la fiction en droit. La première consiste à la définir à partir du sens commun du mot fiction. La seconde consiste à la définir à partir du sens que reçoit ce mot dans le vocabulaire juridique. Le sens commun du mot fiction désigne, selon le dictionnaire Larousse, une création de l’imagination ; ce qui est du domaine de l’imaginaire, de l’irréel. 2) La fiction * C’est un immense honneur d’avoir été invitée ici à la prestigieuse Université de Hanyang dans le cadre de la Chaire de droit continental. J’adresse mes plus vifs remerciements au Professeur Soo-Gon PARK (Kyung Hee University), responsable de la Chaire de droit continental, au Professeur Hyo Soon NAM (Seoul National University), Président de l’Association Henri Capitant coréenne, au Professeur Joon-Hyong LEE (Hanyang University) ainsi qu’au Professeur Sool NAMKOONG (Gyeongsang National University), chargé de la délicate tâche de la traduction. Je les remercie, ainsi que leurs collaborateurs, pour leur chaleureux accueil et le temps précieux qu’ils ont aimablement consacré à la parfaite organisation de cette conférence, placée sous l’égide de la Fondation pour le droit continental et du Centre légal de Corée. C’est également un grand défi que je relève en toute humilité tant le sujet qui m’est imparti est vaste et délicat à cerner. ** Professeur ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Liège, Belgique 1) J.-L. BAUDOUIN, Rapport général sur le thème : La vérité dans le droit des personnes-Aspects nouveaux, in La vérité et le droit, Travaux de l’Association Henri Capitant 1987, t. 38, Paris, Economica, 1989, p. 22.

LES FICTIONS EN DROIT

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  • Les fictions en droit*43)

    Christine Biquet**44)

    . Les fictions entendues largement . Les fictions juridiques

    1.-Selon le Professeur et Juge Jean-Louis Baudouin : Le droit vit de fictions qui

    sopposent au rel, officialise le mensonge et fabrique dlibrment lerreur.1)

    Mais quelles sont ces fictions qui alimentent le droit? Que recouvre cette notion?

    Il est deux manires dfinir la fiction en droit. La premire consiste la dfinir

    partir du sens commun du mot fiction. La seconde consiste la dfinir partir du sens

    que reoit ce mot dans le vocabulaire juridique.

    Le sens commun du mot fiction dsigne, selon le dictionnaire Larousse, une cration

    de limagination ; ce qui est du domaine de limaginaire, de lirrel.2) La fiction

    * Cest un immense honneur davoir t invite ici la prestigieuse Universit de Hanyang dans

    le cadre de la Chaire de droit continental. Jadresse mes plus vifs remerciements au Professeur

    Soo-Gon PARK (Kyung Hee University), responsable de la Chaire de droit continental, au

    Professeur Hyo Soon NAM (Seoul National University), Prsident de lAssociation Henri

    Capitant corenne, au Professeur Joon-Hyong LEE (Hanyang University) ainsi quau

    Professeur Sool NAMKOONG (Gyeongsang National University), charg de la dlicate tche

    de la traduction. Je les remercie, ainsi que leurs collaborateurs, pour leur chaleureux accueil et

    le temps prcieux quils ont aimablement consacr la parfaite organisation de cette

    confrence, place sous lgide de la Fondation pour le droit continental et du Centre lgal de

    Core. Cest galement un grand dfi que je relve en toute humilit tant le sujet qui mest

    imparti est vaste et dlicat cerner.

    ** Professeur ordinaire la Facult de droit de lUniversit de Lige, Belgique

    1) J.-L. BAUDOUIN, Rapport gnral sur le thme : La vrit dans le droit des

    personnes-Aspects nouveaux, in La vrit et le droit, Travaux de lAssociation Henri

    Capitant 1987, t. 38, Paris, Economica, 1989, p. 22.

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    soppose ainsi au rel. Partant de cette dfinition, on pourrait tre tent de dfinir la fiction

    en droit comme tout cart entre le droit et la ralit, entre la vrit en droit et la vrit en

    fait. Dans cette dfinition trs large, il y aurait fiction juridique chaque fois que le droit nie

    ou dforme le rel. Ainsi, si lon sen tient aux textes de notre Code civil, un enfant n

    dune relation incestueuse ne peut pas avoir de pre sur le plan juridique, alors que

    biologiquement il a un pre.

    Dans le vocabulaire juridique, la notion de fiction reoit toutefois une dfinition plus

    troite. On peut se rfrer au clbre Vocabulaire juridique publi sous la direction du

    Professeur Grard Cornu et de lAssociation Henri Capitant. La fiction y est dfinie comme

    un artifice de technique juridique (en principe rserv au lgislateur souverain),

    mensonge de la loi (et bienfait de celle-ci) consistant faire comme si, supposer un

    fait contraire la ralit, en vue de produire un effet de droit.3) Ainsi, lenfant

    simplement conu est considr comme tant dj n en vue de bnficier de certains

    droits, notamment celui dhriter. Il en rsulte que le lgislateur met sciemment le faux

    la place du vrai4) en vue de produire un effet de droit.

    Pour les besoins de lexpos, nous retiendrons ces deux dfinitions de la fiction en droit,

    lune que nous qualifierons de large induite partir du sens commun du mot fiction, lautre,

    que nous qualifierons de technique, reue dans le vocabulaire juridique.

    Dans lune comme dans lautre de ces dfinitions, la notion de fiction juridique, comme

    dailleurs lidentification des situations qui permettent de lillustrer, est source de

    discussions. Cela se comprend ds lors que la notion de fiction implique une ngation-ou,

    tout le moins dans le sens large-une dformation de la ralit par le droit. Or, il ny a

    pas concept plus difficile saisir que la ralit ou la vrit. La ralit peut tre

    plurielle selon langle sous lequel on se place. Elle peut dpendre des reprsentations que

    lon sen fait, lesquelles voluent avec le temps. Il en dcoule une relativit dans

    lapprhension de lide de fiction.

    Quant au droit lui-mme, sans entrer dans le dbat entre positivisme et jusnaturalisme, il

    ne peut tre ni quil est le rsultat dune construction, tout le moins technique, avec ses

    concepts, ses classifications et ses rgles. Or, il arrive que le droit se contredise et cre

    2) http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/fiction.

    3) G. Cornu (sous la direction de) et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 6me d.,

    Paris, Quadrige, Presses Universitaires de France, 2004, p. 402.

    4) P. Delnoy, Elments de mthodologie juridique, 3me d., Bruxelles, Larcier, 2008, p. 273, n 77.

  • Les fictions en droit 277

    des fictions en son sein mme.

    De l, il dcoule que les fictions peuvent consister tantt dans un cart entre le droit et

    la ralit extrieure quil entend rgler, tantt dans une contradiction au sein mme du

    systme juridique. Dans lun comme dans lautre cas, les fictions sont sources de

    discussions, la ralit des choses comme la ralit juridique tant souvent dlicates

    apprhender et sujettes volution.

    Notre expos se divisera en deux parties. Dans un premier temps, nous mettrons

    plusieurs considrations en lien avec le concept de fiction entendu largement. Dans un

    second temps, nous envisagerons plusieurs mcanismes juridiques parmi les plus souvent

    cits pour illustrer la notion de fiction au sens technique du terme.

    . Les fictions entendues largement

    2.-Abordons immdiatement la premire partie consacre aux fictions entendues

    largement. Nous situerons dabord le concept de fiction par rapport au concept de

    prsomption lgale (1). Nous observerons ensuite quil arrive que la fiction soit le rsultat

    dun dtour de langage (2), en particulier lorsquil sagit dexprimer lautorit du droit

    lui-mme (3). Nous illustrerons alors, au travers de la matire de la filiation, la difficult

    dapprhender la ralit souvent plurielle ainsi que la ncessit pour la loi doprer des

    choix politiques (4). Nous observerons aussi que la souverainet du lgislateur est

    aujourdhui tempre par lessor des droits fondamentaux (5).

    1. Fiction et prsomption lgale

    3.-La notion technique de fiction, telle quelle est reue dans le vocabulaire juridique, se

    distingue de la notion de prsomption lgale. Lorsquil nonce une fiction, le lgislateur met

    sciemment le faux la place du vrai tandis que lorsquil nonce une prsomption, le

    lgislateur demeure dans la ligne du vrai.5)

    Ainsi, il y a fiction lorsque le lgislateur dcide que lenfant simplement conu doit tre

    considr comme dj n lorsquil y va de son intrt (selon ladage Infans conceptus pro

    5) Voy. J. DABIN, La technique de llaboration du droit positif, Bruylant, Bruxelles, Sirey,

    Paris, 1935, p. 275.

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    nato habetur quoties de commodis ejus agitur). Il sagit de faire bnficier lenfant

    simplement conu de certains droits, notamment celui dhriter. Le lgislateur dcide ainsi

    que lenfant simplement conu doit tre considr comme dj n alors que tel nest pas le

    cas. Par l, le lgislateur feint de croire que lenfant est dj n.

    A linverse, lorsquil dicte la prsomption que le pre est le mari de la mre, le

    lgislateur se fonde sur des probabilits, sur une vraisemblance. Trs souvent, en effet,

    lorsquune femme marie met un enfant au monde, elle a conu cet enfant avec son mari et

    non avec un autre homme. Envisage au regard de la gnralit des cas, la prsomption,

    mme irrfragable, est dans la ligne de la ralit. Cest la raison pour laquelle elle se

    distingue, enseigne-t-on, de la fiction.

    Toutefois, lorsque le lgislateur ne permet pas de renverser la prsomption alors quil est

    patent que, dans un cas donn, elle nest pas conforme la ralit, la prsomption apparat

    comme une fiction. La prsomption apparatra dautant plus comme une fiction, lorsque cest

    sciemment que le lgislateur fait obstacle la preuve contraire. Aussi bien, dans une

    conception large de la notion de fiction, on peut ranger sous la notion de fiction les

    prsomptions qui sont dmenties par les faits sans que la preuve puisse en tre apporte.6)

    Il en va ainsi des prsomptions irrfragables, pour lesquelles le lgislateur nadmet jamais

    la preuve contraire, comme aussi des prsomptions rfragables pour lesquelles le lgislateur

    rduit dessein la possibilit de fournir la preuve contraire. Lorsquil nest pas permis de

    prouver contre la prsomption alors quil est patent quelle nest pas conforme la ralit,

    la prsomption est constitutive dune fiction au sens large.

    2. Fiction et dtours de langage

    4.-Il arrive que des rgles de fond soient exprimes par le dtour dune fiction ou dune

    prsomption alors quelles auraient pu tre exprimes directement comme telles.

    Tel est le cas de la clause rpute non crite alors quil aurait suffi de la dclarer

    nulle. Tel est le cas de la condition rpute accomplie alors que la sanction aurait

    pu tre exprime sous la forme dune dchance. Tel est le cas de la prsomption

    dinterposition de personne en matire de libralits alors que la rgle aurait pu tre

    exprime sous la forme dune incapacit de recevoir. Tel est le cas de la rgle que nul

    6) Voy. L. BERGEL, Le rle des fictions dans le systme juridique , Revue de droit de

    McGILL, 1988, p. 362, n 4.

  • Les fictions en droit 279

    nest cens ignorer la loi alors quil aurait suffi dnoncer que lignorance de la loi ne fait

    pas obstacle son application. Tel est encore le cas de la vrit de la chose juge

    alors quil suffit de parler en termes dautorit de chose juge.

    Lnonc de la rgle par un dtour de langage peut poursuivre diffrents objectifs. Tantt

    il sagit de faire comprendre par une mtaphore le rsultat de la rgle elle-mme. Tantt il

    sagit dexprimer la raison dtre de la rgle en mme temps que la rgle elle-mme.

    Tantt encore il sagit de fonder lautorit du droit.

    5.-Le dtour de langage peut tout dabord consister dans une mtaphore pour mieux faire

    comprendre leffet de la rgle. Il ne sagit pas dexpliquer la raison dtre de la rgle mais

    le rsultat auquel elle aboutit.

    Tel est le cas chaque fois que la loi rpute une clause non crite au sein (dun

    acte juridique unilatral ou) dun contrat. Par l, le lgislateur indique que la clause est

    nulle ou, plus simplement, pour reprendre lexpression du lgislateur europen en matire

    de clauses abusives, que la clause ne lie pas et na ds lors aucune force obligatoire.7)

    Tel est encore le cas de la condition suspensive que le Code civil rpute accomplie

    lorsque cest le dbiteur, oblig sous cette condition, qui en a empch la ralisation (art.

    1178 C. civ.). Ainsi, la condition suspensive dobtention dun crdit est gnralement prvue

    en faveur de lacheteur dans le cas de la vente dun immeuble. Si lacheteur sabstient de

    solliciter le crdit ou de communiquer les renseignements sollicits par la banque de sorte

    que le crdit lui est finalement refus, cest lui qui a empch la ralisation de la condition.

    Aussi bien, la condition sera rpute accomplie, cest--dire que la vente sera pure et

    simple comme si la condition stait ralise, en loccurrence, comme sil avait obtenu son

    crdit. La sanction est en ralit une dchance qui consiste dans la perte du bnfice de la

    condition. Le texte aurait ds lors pu tre rdig comme suit : Le dbiteur, oblig sous

    condition, est dchu du droit de se prvaloir de la dfaillance de la condition lorsquil en a

    empch laccomplissement.8) Le recours la fiction de la condition rpute accomplie

    7) Au sujet des distinctions que peuvent recouvrir ces diffrentes notions (clause nulle, clause

    qui ne lie pas, clause rpute non crite), voy. not. P. WERY, Droit des obligations, vol. 1,

    Thorie gnrales des contrats, Larcier, 2010, p. 327, n 333 et s.

    8) Comp.. ISSA-SAYEGH, Les Fictions en droit priv, Thse de doctorat soutenue en 1968

    lUniversit de Dakar, p. 90, n 207, qui propose de rcrire larticle 1178 C. civ. comme suit :

    Si le dbiteur a empch la ralisation de la condition, il sera nanmoins tenu des

    obligations auxquelles il avait consenti sous cette condition ; cet ouvrage est disponible

    sous le lien : www.sist.sn/gsdl/collect/butravau/archives/HASHb119.dir/THD-15.pdf.

  • 280 30 1

    permet simplement dillustrer par une mtaphore leffet de la sanction : le dbiteur est tenu

    comme si la condition stait ralise. La fiction a l une valeur pdagogique pour faire

    comprendre le rsultat de la rgle.

    Il arrive que la doctrine recoure elle aussi ce type de fictions vertu pdagogique.

    Ainsi, en va-t-il de lide fictive de la continuation de la personne du dfunt par ses

    hritiers qui permet dillustrer par une mtaphore la rgle selon laquelle les hritiers (

    vocation universelle) succdent en principe tout le patrimoine du dfunt en ce compris

    ses dettes (mme au-del de lactif de la succession).

    6.-Dans dautres hypothses, lnonc de la rgle par un dtour de langage permet

    dexprimer la raison dtre de la rgle. Le dtour par la prsomption irrfragable permet

    dexprimer le fondement de la rgle en mme tant que la rgle elle-mme.

    On songe la prsomption dinterposition de personne qui complte les rgles que le

    Code civil dicte en matire dincapacit de recevoir. Le mdecin est incapable de recevoir

    la donation que le patient, finalement dcd, lui a faite durant sa dernire maladie (art.

    909). Une telle donation est galement nulle si les parties ont eu recours une simulation

    par interposition de personne, en faisant intervenir un proche du mdecin la place du

    mdecin lui-mme. Lhritier qui entend faire annuler la donation faite un proche du

    mdecin doit alors prouver linterposition de personne ; il doit ainsi prouver que, dans

    lintention de toutes les parties, la donation tait en ralit destine au mdecin. Une telle

    preuve nest gure aise. Aussi bien, pour faciliter la tche de lhritier, le Code civil

    prsume quil y a interposition de personne chaque fois que le patient a fait la donation au

    conjoint du mdecin ou aux pre, mre, enfants ou autres descendants du mdecin (art.

    911). Cette prsomption a pendant longtemps t irrfragable en France;9) elle est toujours

    irrfragable en Belgique. En raison de son caractre irrfragable, il nest pas permis de

    lcarter en prouvant que le patient avait rellement lintention de gratifier le proche du

    mdecin et non le mdecin lui-mme. La rgle aurait en consquence pu tre formule

    directement, en dclarant les conjoint, pre, mre, enfants et autres descendants du mdecin

    incapables de recevoir.10)

    9) Voy. larticle 911 du Code civil franais, tel quil a t modifi par la loi n 2006-728 du 23

    juin 2006 portant rforme des successions et des libralits ; cette occasion, la prsomption

    dinterposition de personne est devenue rfragable.

    10) G. Wicker, Les fictions juridiques. Contribution lanalyse de lacte juridique, Paris, L.G.D.J.,

    1997, p. 13, n 3.2.

  • Les fictions en droit 281

    Mais, quelle que soit la forme, directe ou indirecte, sous laquelle la rgle est exprime,

    demeure la question de lopportunit du choix politique quelle renferme, savoir en

    loccurrence quil nest jamais permis aux conjoint, pre, mre, enfants et autres

    descendants du mdecin dchapper lincapacit de recevoir, mme quand il serait prouv

    quil ny a pas eu volont de gratifier le mdecin lui-mme. Aussi bien, mme lorsque la

    rgle est exprime directement, sans dtour de langage, la fiction resurgit chaque fois quil

    y a inadquation entre la raison dtre de la rgle et sa porte absolue.

    Il convient dobserver que cest prcisment en raison de pareille inadquation que le

    lgislateur franais a supprim le caractre irrfragable de la prsomption dinterposition de

    personne pour ne plus lui imprimer aujourdhui quun caractre seulement rfragable.

    3. La fiction : fondement de lautorit du droit?

    7.-Plus fondamentalement, il est recouru la fiction pour asseoir lautorit du droit en

    ses deux composantes que sont la loi et la dcision de justice. En tmoignent les maximes :

    Nul nest cens ignorer la loi et Ce qui a t jug doit tre tenu pour la vrit,

    fictions qui ont pu tre qualifies de vertigineuses.11)

    La maxime Nul nest cens ignorer la loi (Nemo censetur ignorare jus), en

    mme temps quelle prtend la justifier, nonce en ralit la rgle quil est interdit de se

    prvaloir de son ignorance de la loi pour chapper son application. Or, il ne peut pas tre

    srieusement prtendu aujourdhui que tout citoyen connaisse la loi, mme dans la sphre

    limite de ses domaines de vie et dactivits. Les lois manent de diffrents niveaux de

    pouvoir, elles se multiplient, se font et se dfont une vitesse vertigineuse, leur lisibilit et

    leur articulation sont chaque jour plus dlicates mme pour les juristes les plus avertis.

    Aussi bien, en ce quelle repose sur une fiction, la prtendue connaissance des lois est

    impuissante justifier leur application ceux qui les ignorent.

    Lapplication des lois mme ceux qui les ignorent se justifie pourtant par la ncessit

    de prserver lautorit de la loi. En effet, sil suffisait dinvoquer son ignorance pour

    chapper la loi, le fonctionnement du systme juridique serait compromis. Cela tant, le

    dsordre lgislatif qui rgne actuellement risque, si lon ny prend garde, de mener

    limplosion du systme.

    11) O. CAYLA, Le jeu de la fiction entre comme ci et comme a , La fiction,

    Droits-Revue franaise de thorie juridique, n 21, P.U.F., 1995, p. 11.

  • 282 30 1

    Une nuance a t admise en droit pnal, en ce sens que lignorance invincible de la loi

    constitue une cause de justification de nature carter la culpabilit. Le caractre invincible

    de lignorance, qui dcoule gnralement du fait davoir t induit en erreur par une

    administration publique, est strictement apprci par les tribunaux : il convient de vrifier

    si tout homme raisonnable et prudent plac dans les mmes circonstances naurait pas d

    sapercevoir de lerreur de ladministration.

    En matire contractuelle, il est par ailleurs admis que le consentement puisse tre vici

    en raison dune erreur de droit. En ce cas, il sagit uniquement dobtenir lannulation dun

    contrat ; il ne sagit pas dchapper lapplication de la loi que lon ignorait. La maxime

    Nul nest cens ignorer la loi na donc pas lieu de sappliquer.

    8.-La maxime : Ce qui a t jug doit tre tenu pour la vrit (Res judicata pro

    veritate habeteur) exprime la rgle de lautorit de la chose juge. Sous rserve des

    voies de recours, il est interdit de remettre en question devant les tribunaux ce qui a t

    prcdemment jug par eux. En classant la rgle de lautorit de la chose juge parmi les

    prsomptions (art. 1351 C. civ.), les auteurs du Code civil ont entendu la justifier par la

    prsomption irrfragable de vrit qui sattache toute dcision de justice.12)

    Il arrive toutefois que des juges napprcient pas correctement les faits qui leur sont

    soumis ; il arrive aussi que des juges se trompent sur le choix ou linterprtation de la

    rgle de droit appliquer. Lorsque tel est effectivement le cas, la prsomption de vrit qui

    sattache la dcision est une fiction, partant impuissante justifier linterdiction pour le

    justiciable dinvoquer lerreur qui entache le jugement quon lui oppose. La vrit de la

    chose juge peut tout au plus tre considre comme une mtaphore permettant de faire

    comprendre le rsultat de la rgle, savoir qu limage de la vrit si on peut la

    dcouvrir, le jugement est incontestable. Mais, en ce quelle constitue une fiction, elle ne

    permet pas de justifier la raison dtre de la rgle.

    Linterdiction de contester les dcisions de justice autrement que par les voies de recours

    se justifie pourtant par la ncessit dviter des procs rptition. Linstance tant

    puise, il convient dassurer la stabilit des rapports juridique et la paix sociale. Il y va

    dune saine administration de la justice et partant du bon fonctionnement du systme

    juridique. La conciliation de lintrt gnral ainsi dcrit et des intrts particuliers des

    12) R. PERROT et N. Fricro, Autorit de la chose juge au civil sur le civil , in

    JurisClasseur Code Civil, Art. 1349 1353, Fasc. 20, aot 2010, n 3.

  • Les fictions en droit 283

    justiciables doit tre recherche au travers dun systme quilibr de voies de recours

    comme aussi en amont par le recrutement de juges de haut niveau, appels uvrer dans

    un cadre qui assure tout la fois la rapidit de la justice et de la qualit des jugements

    rendus.

    4. Ralit en droit, ralits en fait : lexemple de la filiation

    9.-Il arrive que le droit refuse de prendre en compte la ralit ou, du moins, une ralit.

    Tel est le cas du principe du nominalisme montaire qui, tantt pour des raisons tenant

    la simplification des rapports juridiques, tantt pour des raisons de politique conomique,

    nie la ralit conomique de la dprciation montaire. Tel est galement le cas, ainsi que

    nous allons le dvelopper, de la filiation juridique lorsquelle refuse de prendre en compte la

    filiation biologique.

    Le refus du droit de prendre en compte sinon la ralit, du moins une ralit, sexplique

    par un choix politique. Il constitue une fiction au sens large du terme, mais non une fiction

    au sens technique de la notion, telle quelle est reue dans le vocabulaire juridique. Encore

    la distinction entre choix politique et choix de technique juridique nest-elle pas

    parfaitement tanche.

    Lapprhension des fictions au regard de la conformit du droit la ralit des faits est

    aussi malaise que lapprhension de la ralit elle-mme. La ralit est rarement univoque,

    elle peut tre plurielle selon langle sous lequel on se place. Aussi bien, le constat que le

    droit ne correspond pas une perception de la ralit nimplique pas ncessairement quil

    ne corresponde pas une autre perception de la mme ralit. Le concept de fiction sen

    trouve relativis. La matire de la filiation permet dillustrer ce propos.

    10.-La filiation juridique ne correspond pas ncessairement la filiation biologique. Une

    telle dichotomie entre filiation juridique et filiation biologique se rencontre en cas dadoption.

    Ladoption cre, par un mode purement volontaire (consacr dans un jugement), un lien de

    filiation entre deux personnes (en principe) biologiquement trangres lune lautre. Sil

    sagit dune adoption plnire, la plus frquente de nos jours, le lien nouveau de filiation,

    loin de sadditionner la filiation dorigine, est purement et simplement substitu celle-ci

    ; lenfant adopt cesse dtre li juridiquement sa famille dorigine pour nentretenir un

    lien de filiation quavec sa nouvelle famille.

    En cas dadoption plnire, on se trouve de prime abord en prsence dune double fiction :

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    cration dun lien de filiation avec la famille de ladoptant et effacement complet de la filiation

    dorigine.13) La premire-cration dun lien de filiation avec la famille de ladoptant-nest

    cependant pas une fiction si lon admet que la filiation nest pas que dordre biologique,

    quelle peut galement tre socio-affective. La seconde apparat en revanche comme une

    fiction, puisquil sagit de supprimer juridiquement la filiation biologique de lenfant. Il

    appartient cependant au lgislateur de choisir la ralit de la filiation, en loccurrence

    socio-affective ou biologique, quil entend consacrer juridiquement. Quelle soit qualifie ou

    non de fiction, la rgle est le rsultat dun choix politique. Mais, comme nous le verrons, les

    choix politiques du lgislateur nchappent plus aujourdhui tout contrle du juge.

    11.-La dichotomie entre filiation juridique et filiation biologique peut exister en dehors de

    ladoption. Soit un enfant n dune femme marie. Le Code civil rige en prsomption que

    lenfant dune femme marie a pour pre le mari de sa mre. Cette prsomption lgale est

    fonde sur le fait que trs souvent lenfant dune femme marie a effectivement pour pre

    le mari de sa mre. Il est cependant des hypothses o le pre de lenfant nest pas le mari

    de la mre. Tel est le cas lorsque la mre a conu lenfant avec un autre homme que son

    mari dans le cadre dune relation adultre.

    Soucieux de prserver la paix des familles, le Code civil de 1804 limitait trs strictement

    les hypothses dans lesquelles le mari, et lpoque lui seul, pouvait contester sa paternit ;

    les possibilits de contestation de la paternit du mari taient strictement limites, voire

    quasi-inexistantes. Il en rsultait des cas flagrants o la filiation juridique (le mari de la

    mre) ne concidaient pas avec la filiation biologique (lamant de la mre). La prsomption

    dbouchait alors, de prime abord, sur une fiction au sens large.

    Aujourdhui, le lgislateur, nous songeons en particulier au lgislateur belge, quant il ne

    paralyse pas purement et simplement la prsomption de paternit en cas de situations

    dmontrant une crise conjugale (sparation de fait, domiciles spars, ), ouvre beaucoup

    plus largement les possibilits de contestation de la paternit du mari ; il largit par

    ailleurs les titulaires du droit de contestation, savoir non seulement le mari lui-mme, la

    mre et lenfant mais encore, du moins en Belgique, le pre biologique.14)

    13) Voy. Cl. Neirinck, Filiation adoptive-Gnralits , in JurisClasseur Code Civil, Art. 343

    370-2, Fasc. 10, fvrier 2003, n 1. En Belgique, ladoption plnire na pas deffet rtroactif ;

    la filiation dorigine est maintenue pour le pass; voy. Y.-H. LELEU, Droit des personnes et

    des familles, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 659, n 723 ; p. 652, n 704.

    14) Y.-H. LELEU, Droit des personnes et des familles, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 583, n 610 et s.

  • Les fictions en droit 285

    Il nen demeure pas moins des situations dans lesquelles filiation juridique (le mari de la

    mre) et filiation biologique (lamant de la mre) ne concident pas. Dune part, des dlais

    sont prvus pour agir. Dautre part, la possession dtat de lenfant lgard du mari fait

    obstacle la contestation de la paternit du mari. Il faut entendre par possession dtat le

    fait que lenfant a toujours t trait par le mari de la mre comme son enfant et

    rciproquement que lenfant a toujours considr le mari de sa mre comme son pre, quil

    a toujours t considr comme tel par les proches et la socit toute entire.

    En faisant obstacle toute contestation, la possession dtat conforte la filiation juridique

    au mpris de la filiation biologique. Sagit-il pour autant dune fiction ? Oui, si lon

    considre que la filiation ne peut tre que biologique. Non, si lon admet que la filiation

    peut recouvrir autre chose que la ralit biologique, en loccurrence la ralit socio-affective

    dont tmoigne la possession dtat.15) En toute hypothse, la solution rsulte dun choix

    politique, cependant, nous le verrons, susceptible aujourdhui dun contrle marginal.16)

    12.-Pour illustrer la dualit entre la filiation juridique et la filiation biologique lgard

    du pre, on peut encore citer lexemple de la femme marie qui, dans le cadre de la

    procration mdicalement assiste, recourt une insmination artificielle avec le sperme

    dun donneur, soit avec le sperme dun autre homme que son mari. Biologiquement, lenfant

    a pour pre le donneur de sperme alors que juridiquement, le pre est le mari de la mre.

    Si le mari a donn son consentement linsmination artificielle, sa paternit ne pourra

    pas tre conteste, ni par lui-mme, ni par autrui. Sagit-il dune fiction ? Tout dpend

    encore une fois de la faon dont on apprhende la parentalit : ralit exclusivement

    biologique ou projet socio-affectif. La ralit socio-affective nest ici quen ltat de projet,

    puisque le consentement du pre au moment de la procration suffit.

    13.-A lgard de la mre, la notion de filiation est galement susceptible de recouvrir

    diverses ralits : filiation biologique au sens de gntique, filiation gestatrice tant ainsi

    pris en compte le fait davoir port lenfant, filiation socio-affective, filiation socio-affective

    15) Y.-H. LELEU, Droit des personnes et des familles, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 599, n 627.

    16) Pour une condamnation de la rgle qui fait de la possession dtat un obstacle absolu toute

    demande en contestation de paternit du mari de la mre, voy. C. Const., arrt n 20/2011, 3

    fvrier 2011, disponible sous le lien http://www.const-court.be/public/f/2011/2011-020f.pdf :

    Larticle 318, 1er, du Code civil viole larticle 22 de la Constitution, combin avec larticle 8

    de la Convention europenne des droits de lhomme, dans la mesure o la demande en

    contestation de paternit nest pas recevable si lenfant a la possession dtat lgard du

    mari de la mre.

  • 286 30 1

    en ltat de projet.17) Le Code civil belge dfinit la filiation maternelle comme une filiation

    gestatrice : la mre est celle qui a port lenfant et qui a accouch. Lorsque la mre a

    recouru, dans le cadre dune procration mdicalement assiste, un don dovocyte et

    quelle a port lenfant, elle est considre juridiquement comme tant la mre alors que

    biologiquement ou, pour le dire autrement, gntiquement, lenfant est celui de la femme qui

    a fait don de lovocyte.

    A linverse, lorsquune femme souhaitant un enfant fait appel une mre porteuse et que

    lenfant a t conu avec un ovocyte de la femme en dsir denfant, la mre qui a port

    lenfant est la mre juridique, alors pourtant que biologiquement, lenfant a pour mre la

    femme en dsir denfant qui a donn son ovocyte. Lattitude adopter face de tels cas de

    figure pose lvidence des questions thiques, que le droit se doit de trancher.

    5. La souverainet du lgislateur tempre laune des droits fondamentaux-Encore

    lexemple de la filiation

    14.-Le lgislateur, enseignait-on, est tout puissant en sorte quil peut refuser de

    consacrer juridiquement une situation quil condamne ou qui perturbe lordre quil entend

    tablir. Le Code civil de 1804 considrait linstitution du mariage comme le socle de la

    famille ; pour cette raison, il rservait un statut discriminatoire aux enfants ns dune mre

    clibataire, appels alors enfants naturels ; il refusait par ailleurs que soit tablie la filiation

    des enfants adultrins et incestueux.

    Envisageons dabord le cas des enfants dits naturels. Sous lempire des anciens textes, la

    femme clibataire qui accouchait dun enfant conu par elle ntait pas, contrairement la

    femme marie, automatiquement considre comme la mre de lenfant quelle avait mis au

    monde. Il fallait, pour que la filiation de la mre soit juridiquement tablie, quelle procde

    la reconnaissance de son enfant. Mais mme reconnu par sa mre, lenfant naturel ne

    disposait pas des mmes droits que lenfant issu du mariage de sa mre : sa parent

    naturelle avec sa mre ne lui permettait pas de voir tabli son lien de parent avec les

    autres personnes de la famille de sa mre ; en matire dhritage, ses droits taient bien

    moindres. Tel tait le choix du lgislateur franais et, sa suite, du lgislateur belge.

    17) Voy. J.-L. BAUDOUIN, Rapport gnral sur le thme : La vrit dans le droit des

    personnes-Aspects nouveaux , in La vrit et le droit, Travaux de lAssociation Henri

    Capitant 1987, t. 38, Paris, Economica, 1989, p. 26.

  • Les fictions en droit 287

    Entre-temps, cependant, lun et lautre pays ont adhr la Convention europenne des

    droits de lhomme, dont le respect est assur par la Cour europenne des droits de lhomme

    qui sige Strasbourg. La Cour europenne des droits de lhomme a condamn un tel

    systme sur le fondement des articles 8 et 14 de la Convention europenne des droits de

    lhomme.18) Elle a jug quun tel systme, qui oblige la mre clibataire reconnatre son

    enfant, qui prive lenfant naturel de parent au-del de sa mre et qui rduit les droits

    successoraux de lenfant naturel mconnat le droit au respect de la vie prive et familiale

    (article 8) et est source de discrimination injustifie fonde sur la naissance (article 14).

    LEtat belge a en consquence t condamn.

    Les Etats europens ont par la suite modifi leur lgislation sur la filiation pour se

    mettre en conformit avec la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme.

    Le concept denfant naturel a disparu des textes lgislatifs.

    15.-Envisageons maintenant le cas des enfants adultrins. On entend par enfant adultrin,

    un enfant qui est le fruit dun adultre de son pre et/ou de sa mre biologique, soit un

    enfant issu de la relation dune personne marie avec une autre personne que son conjoint.

    Sous lempire du Code civil de 1804, la filiation des enfants adultrins ne pouvait pas tre

    tablie juridiquement. Les mentalits ont, l aussi, volu si bien quil est aujourdhui

    parfaitement possible, notamment en France et en Belgique, dtablir une filiation adultrine.

    En revanche, sagissant des enfants incestueux, il demeure des discriminations dans les

    textes. Pour faire bref, on parlera denfant incestueux lorsque lenfant est issu dune relation

    entre ascendants, entre descendants ou entre frre et sur. Tel est ce que lon nomme

    linceste absolu. En ltat actuel des textes, le Code civil refuse, tant en France quen

    Belgique, la possibilit dtablir le second lien de filiation dun enfant lorsque ltablissement

    de ce second lien ferait apparatre le caractre incestueux de la relation dont il est issu.

    Le plus souvent, la filiation de lenfant est dabord tablie, ds sa naissance, lgard de

    sa mre. Aussi bien, un enfant incestueux ne peut-il pas voir sa filiation ensuite tablie

    lgard de son pre biologique. Pour des raisons touchant lordre des familles et la

    moralit publique, lenfant incestueux na pas et ne peut pas avoir juridiquement de pre. Il

    sagit dune fiction, entendue dans son sens large, visant prserver lordre public et les

    bonnes murs. A limage des discriminations qui touchaient les enfants naturels et

    adultrins, cette fiction a cependant pour effet de priver un enfant innocent de filiation

    18) Voy. C.E.D.H., Marcks c. Belgique, arrt du 13 juin 1979.

  • 288 30 1

    paternelle. En Belgique, cette discrimination qui touche les enfants incestueux a t

    condamne par la Cour constitutionnelle au nom des principes dgalit et de non

    discrimination inscrits dans la Constitution.19)

    Ds lors que les lois quil dicte sont susceptibles dun contrle laune notamment de la

    Convention europenne des droits de lhomme ou de la Constitution, le lgislateur nest plus

    tout puissant pour apprhender les ralits ou refuser de les consacrer juridiquement.

    Llaboration des lois est le rsultat dun choix politique mais ce choix politique se trouve

    encadr par des normes suprieures.

    . Les fictions juridiques

    16.-Nous en venons maintenant la seconde partie de notre expos. Il sagit denvisager,

    sans aucune prtention dexhaustivit, les mcanismes juridiques les plus souvent cits pour

    illustrer la notion de fiction envisage comme un artifice de technique juridique. Nous

    voquerons successivement la personnalit juridique des personnes morales (1), la

    reprsentation (2), le mandat apparent et lapparence (3), la rtroactivit (4), le paiement

    subrogatoire (5), la reprsentation successorale (6) et limmobilisation par destination (7).

    Pour la plupart de ces mcanismes est nanmoins discute la question sils sont ou non

    constitutifs dun tel artifice.

    1. La personnalit juridique des personnes morales

    17.-Le droit reconnat la personnalit juridique ou, pour le dire autrement, la qualit de

    sujet de droit, cest--dire laptitude tre titulaire de droits et dobligations, aux personnes

    physiques ainsi qu des groupements de personnes physiques ou autres entits, appels

    personnes morales.

    Alors quhistoriquement, le droit romain refusait la qualit de sujet de droit certaines

    personnes physiques (les esclaves), le droit dote aujourdhui toutes les personnes physiques

    de la personnalit juridique. La personnalit juridique dbute avec la naissance (si lenfant

    est n vivant et viable) et se termine avec la mort. Cest dans le contexte de la difficult

    19) C. Const., arrt n 103/2012, 9 aot 2012, disponible sous le lien : http://www.const-court.

    be/public/f/2012/2012-103f.pdf.

  • Les fictions en droit 289

    de saisir le dbut de la vie humaine quil convient de situer la fiction de ladage Infans

    conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur, savoir que lenfant

    simplement conu est considr comme tant dj n lorsquil y a va de son intrt. La

    fiction constitue une exception la rgle que la personnalit juridique dune personne

    physique dbute avec sa naissance.

    Le droit reconnat aussi la personnalit juridique des groupements de personnes

    physiques ou autres entits, appels personnes morales. Lorsquelles sont dotes de la

    personnalit juridique, les personnes morales constituent des sujets de droit. Elles sont

    directement dpositaires dun patrimoine, se trouvent titulaires de droits et dobligations,

    peuvent tre lies par des contrats et voir leur responsabilit engage. Les tiers ont

    juridiquement pour interlocuteur un sujet de droit unique, distinct de la collectivit de ses

    membres. Les relations sociales et conomiques en sont facilites.

    La controverse fut pre entre partisans de la thse de la fiction des personnes morales et

    ceux de la thse de la ralit des personnes morales. Que faut-il en penser ? Les

    personnes morales sont-elles des tres fictifs ? Les personnes morales ne constituent pas

    des tres fictifs si on prend en compte leur ralit, savoir le groupement ou lentit qui

    constitue un fait social. Les personnes morales constituent au contraire une fiction si on

    prtend que cest par une fausse assimilation aux personnes physiques que le droit leur

    octroie la personnalit juridique. Le droit peut toutefois parfaitement octroyer la personnalit

    juridique des groupements et autres entits sans les considrer comme des personnes

    physiques.20)

    L o la fiction se fait jour, cest lorsque, cdant la tentation de lanthropomorphisme,

    on se convainc que la personne morale, limage de ltre humain, est un tre dot dune

    conscience et dune volont propres, qui transcenderaient la volont, individuelle ou

    collective, des personnes physiques qui la composent.21) La personne morale nagit pas par

    elle-mme ; elle agit ncessairement par lentremise de personnes physiques. Son intrt

    nest pas totalement distinct des intrts particuliers de ses membres.

    20) Voy. L. Franois, Les syndicats et la personnalit juridique , note sous Cass., 28 avril

    1966, Rev. Crit. Jur. B., 1968, spc. pp. 39 et 40, note 1, p. 48, n 9.

    21) L. Franois, Le cap des temptes, 2e d., Paris, L.G.D.J., Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 152, n

    88, note 32, p. 240, n 141 ; V. WESTER-OUISSE, Drives anthropomorphistes de la

    personnalit morale : ascendances et influences , J.C.P., d. G., 2009, n 16, I, 137 ; R.

    Aydogdu, Conflits dintrts et socits commerciales : la dontologie dpasse la fiction ,

    in Lavocat et les conflits dintrts, Limal, Anthemis, 2011, p. 101 et s.

  • 290 30 1

    Et cest ainsi que se posent de dlicates questions touchant au rgime juridique des

    personnes morales, dont la moindre nest pas la question de leur responsabilit pnale,

    aujourdhui consacre dans plusieurs Etats. Ds lors quelle punit en dfinitive les personnes

    physiques sous-jacentes, mme celles qui sont innocentes (par exemple les actionnaires

    minoritaires), il y a assurment lieu de sinterroger sur la faon de concilier la responsabilit

    pnale des personnes morales avec le principe de la personnalit des peines.

    2. La reprsentation

    18.-Cest galement propos du mcanisme de la reprsentation que lide de la fiction a

    t avance.

    Il arrive quune personne se trouve lie par un acte juridique ou un contrat alors que

    cest une autre personne qui y a consenti en son nom et pour son compte. Tel est le

    mcanisme de la reprsentation. Si on fait abstraction de la reprsentation des personnes

    morales par leurs organes, le mcanisme de la reprsentation puise sa source tantt dans

    un contrat, le contrat de mandat, tantt dans la loi, tantt encore dans une dcision de

    justice. Ainsi, par le mcanisme de la reprsentation, le mandant, le mineur, la personne

    fragilise place sous un statut dincapacit, le failli, se trouve partie un acte juridique

    ou un contrat auquel il ou elle na pas consenti personnellement ; cest une autre

    personne, le mandataire, le tuteur, ladministrateur provisoire, le curateur, qui a consenti

    en son nom et pour son compte.

    Sagit-il l dune fiction ? Oui, si lon considre que la personne reprsente est partie

    lacte parce que la volont de son reprsentant doit tre considre comme la sienne propre.

    Lassimilation de la volont du reprsentant la volont de la personne reprsente est une

    fiction vertu pdagogique. Elle permet ltudiant ou au non-juriste de comprendre la

    porte du mcanisme et la situation qui en rsulte. Mais au-del de sa valeur dimage,

    lassimilation de la volont du reprsentant celle du reprsent ne justifie pas quune

    personne se trouve engage juridiquement par la volont dune autre personne. Certes, la

    fiction est attnue dans lhypothse du contrat de mandat puisque, dans ce cas, cest par

    la volont du mandant que le mandataire, qui dispose cependant dune marge de manuvre,

    a t investi du pouvoir dagir au nom dautrui. La fiction de lassimilation de la volont du

    reprsent celle du reprsentant demeure en revanche entire dans lhypothse o la

    reprsentation est impose par la loi ou par une dcision judiciaire.22)

  • Les fictions en droit 291

    Il est cependant possible de dpasser le stade de la fiction en mettant laccent sur le

    pouvoir de reprsentation. Si le reprsent est li par lacte, cest parce que le pouvoir

    dexercer ses prrogatives a t confi une autre personne soit volontairement, soit

    dautorit par la loi ou par une dcision de justice. Il faut alors admettre que, si la

    formation de lacte juridique requiert une volont, cette volont ne doit pas ncessairement

    tre celle du titulaire du droit subjectif la base de lacte ; elle peut galement maner

    dun tiers auquel les prrogatives se rapportant au droit subjectif exerc ont t transfres

    par application du mcanisme de la reprsentation.23)

    3. Le mandat apparent et lapparence

    19.-Il arrive quune personne se prsente comme le mandataire dune autre personne alors

    quelle ne lest pas et quelle ne dispose daucun pouvoir de la reprsenter ; aucun mandat

    ne lui a t consenti par la personne quelle prtend reprsenter, aucune disposition lgale,

    ni aucune dcision de justice ne lui confre un quelconque pouvoir de reprsentation.

    Ce prtendu mandataire conclut un contrat de vente ou de service au nom et pour le

    compte de la personne quil prtend reprsenter. Faute de pouvoir de reprsentation, ce

    contrat ne peut pas voir le jour. Une personne ne peut pas tre engage par une autre si

    cette dernire ne dispose pas du pouvoir de la reprsenter. Libre elle de ratifier par la

    suite le contrat de vente ou de service prtendument conclu en son nom. Elle demeure

    cependant libre de ratifier ou de ne pas ratifier ce qui nest quune apparence de contrat

    conclu avec elle.

    20.-Il arrive cependant que le droit ait gard cette apparence de contrat en vue de

    protger lacheteur ou le client qui a cru contracter avec le vendeur ou le prestataire au

    nom duquel le pseudo mandataire prtendait agir. La croyance lgitime du cocontractant en

    lexistence du pouvoir de reprsentation de la personne avec laquelle il a trait va lui

    permettre de considrer cette apparence de pouvoir de reprsentation comme un vritable

    pouvoir de reprsentation ; il pourra ainsi considrer lapparence de contrat conclu comme

    un contrat effectivement conclu. Il en rsulte que le vendeur ou le prestataire au nom

    22) Ou, sagissant de la reprsentation des intrts collectifs, lorsque les dcisions sont prises

    la majorit ; voy. Ch. HANNOUM, Les fictions en droit conomique , Droits-Revue

    franaise de thorie juridique, n 21, P.U.F., 1995, p. 86.

    23) Voy. G. Wicker, Les fictions juridiques. Contribution lanalyse de lacte juridique, Paris,

    L.G.D.J., 1997, spc. p. 69, n 62, p. 78, n 73.

  • 292 30 1

    duquel le soi-disant mandataire a agi va se trouver li par un contrat de vente ou de

    service auquel il aurait normalement d rester tranger. Le contrat est considr comme

    valablement conclu non point sur le fondement dun pouvoir de reprsentation en

    loccurrence absent mais sur le fondement dune apparence de pouvoir de reprsentation.24)

    Au nom de lapparence, les intrts du cocontractant abus sont prservs au mpris des

    intrts du soi-disant mandant, lui aussi abus.

    Il est dautres hypothses o le droit prend en compte lapparence au mpris des intrts

    du vritable titulaire du droit : paiement dans les mains du crancier apparent ; hritier

    apparent ; acquisition de la proprit dun bien meuble corporel par le prise de possession

    de bonne foi, cest--dire dans lignorance que le vendeur nen tait pas le propritaire ;

    acquisition de la proprit par la prescription acquisitive encore appele usucapion, ce qui

    suppose lcoulement dun dlai.

    Toutes ces hypothse o le droit prend en compte lapparence constituent-elles des

    fictions ? La prise en compte de lapparence par le droit constitue une fiction si on considre

    que la seule ralit prendre en compte est la ralit qui dcoule de lapplication des

    rgles de principe : le paiement nest valablement effectu que sil a lieu dans les mains du

    crancier et non dun tiers ; le transfert de la proprit ne peut soprer que si le vendeur

    tait lui-mme propritaire. En revanche, la conscration de lapparence par le droit nest

    pas une fiction si on admet que lapparence constitue elle aussi une ralit. La ralit, on

    la dit, peut tre plurielle, selon langle sous lequel on lapprhende. Il appartient au

    lgislateur de dpartager les uns et les autres et de consacrer, sil lestime opportun, la

    ralit dcoulant de lapparence au mpris des rgles de principe.25) Dans un systme o la

    cration des rgles relve au premier chef du pouvoir lgislatif, la prise en compte de

    lapparence par le juge en labsence de disposition lgale cet effet pose cependant

    question ; on parle alors pudiquement, comme dans lhypothse du mandat apparent, de

    luvre crative de la jurisprudence.

    24) En Belgique, la Cour de cassation requiert non seulement la croyance lgitime du

    cocontractant mais encore que lapparence de mandat soit imputable au pseudo-mandant,

    condition dimputabilit qui ne requiert cependant pas une faute dans le chef de ce

    pseudo-mandant (Cass., 20 janvier 2000, Rev. Dr. Comm. B.., 2000, p. 483, note P.A. Foriers).

    25) Voy. J. DABIN, La technique de llaboration du droit positif, Bruylant, Bruxelles, Sirey,

    Paris, 1935, p. 147.

  • Les fictions en droit 293

    4. La rtroactivit

    21.-Il y a rtroactivit chaque fois quun acte ou un fait juridique produit ses effets

    partir dune date antrieure celle laquelle il est intervenu. La situation ancienne est

    alors considre comme nayant jamais exist.26) Tel est le cas lorsquun contrat est annul

    ou rsolu.

    Prenons lexemple dun contrat de vente entre A et B. Il se peut que ce contrat soit par

    la suite annul pour un problme touchant sa conclusion ; par exemple le consentement

    du vendeur avait t vici en raison des menaces que lacheteur avait profres son

    gard. Il se peut aussi que le contrat ait t valablement conclu mais quil soit par la suite

    rsolu en raison du non paiement du prix par lacheteur. Il se peut encore que le vendeur

    ait vendu son bien sous la condition rsolutoire que lacheteur dcde avant lui ; or, il

    savre que lacheteur dcde avant le vendeur de sorte que la vente est anantie par leffet

    de la ralisation de la condition rsolutoire.

    Dans chacune de ces trois hypothses, le contrat entre A et B est ananti avec effet

    rtroactif. Lannulation du contrat, sa rsolution pour inexcution fautive ainsi que la

    survenance de la condition rsolutoire emportent lanantissement du contrat au jour de sa

    conclusion. Le contrat est juridiquement effac, en ce compris pour le pass. Il y aura, le

    cas chant, lieu restitution entre les parties.

    22.-La rtroactivit est susceptible de porter prjudice aux tiers. En prsence dun contrat

    qui, telle la vente, est translatif de proprit, lannulation ou la rsolution du contrat

    emporte anantissement avec effet rtroactif du transfert de proprit qui en avait rsult.

    Or, il se peut quavant que son titre de proprit ait disparu, lacheteur B ait revendu le

    bien un sous-acqureur C. Si, aprs cette seconde vente, la premire vente entre A et B

    est annule ou rsolue, le transfert de proprit disparat avec effet rtroactif. Lacheteur B

    sera cens navoir jamais t propritaire du bien. Nayant jamais t propritaire, B. na

    pas pu en transmettre la proprit au sous-acqureur C. Ainsi, le sous-acqureur C, qui est

    tiers la premire vente entre A et B, sera considr a posteriori comme nayant jamais

    pu acqurir la proprit du bien qui lui a t revendu. Pour le dire autrement, on feint

    lhypothse du dfaut de proprit.27)

    26) G. Wicker, Les fictions juridiques. Contribution lanalyse de lacte juridique, Paris, L.G.D.J.,

    1997, p. 245, n 255.

    27) Voy. J. DABIN, La technique de llaboration du droit positif, Bruylant, Bruxelles, Sirey,

  • 294 30 1

    Mme si les tiers ne sont pas toujours dmunis face elle, la rtroactivit efface le

    contrat, en ce compris pour le pass. Or, il est matriellement impossible de remonter le

    temps, deffacer le pass. En consquence, la rtroactivit apparat comme une fiction.

    Il y a fiction par rapport la ralit du contrat conclu ou, du moins, par rapport son

    apparence. Un contrat avait t conclu et par suite de sa conclusion, lacheteur tait devenu

    propritaire du bien acquis. La rtroactivit de lanantissement du contrat conduit nier

    cette ralit et faire comme si elle navait jamais exist. Il y a donc fiction nier un

    tat de fait qui a exist dans le pass.

    23.-Cette ide de fiction de la rtroactivit doit cependant tre relativise au regard de

    linstitution dans laquelle elle sinsre.

    Tel est le cas en cas dannulation du contrat. Lannulation sanctionne un dfaut au stade

    de la formation du contrat. Dans le cas du consentement du vendeur extorqu sous la

    menace, lannulation du contrat sanctionne un vice de consentement du vendeur ; le

    consentement du vendeur ntait pas libre puisquil avait t donn sous la menace. Il

    existait un dfaut qui affectait un lment essentiel du contrat, en loccurrence le

    consentement du vendeur. Dans les systmes franais et belge, la nullit du contrat na pas

    lieu de plein droit ; il faut quelle soit prononce par le juge. Cependant, le juge qui annule

    le contrat ne fait que constater quil prsentait un dfaut lors de sa formation, et que, en

    consquence, le contrat na pas t valablement conclu. Cest donc logiquement que les

    effets de lannulation du contrat remontent sa conclusion. Juridiquement, il ny a pas

    rtroactivit.

    Aussi bien, si lon sinterroge sur lexistence dune fiction au regard de la ralit du

    contrat conclu, il faut dcider quil ny a pas fiction : le contrat ntait pas valablement

    form puisquun de ses lments essentiels tait vici. De fiction, il est en revanche bel et

    bien question si on prend en considration lapparence de contrat valablement conclu.

    Comme on la dit, cette apparence est parfois prise en considration par le lgislateur. Il

    arrive que le lgislateur tienne compte de lapparence en vue de permettre au tiers, en

    loccurrence le sous-acqureur C, de faire chec laction en revendication que le vendeur

    initial A intenterait par suite de la disparition rtroactive de la premire vente. Il convient

    ainsi de rserver le cas o le sous-acqureur C. pourrait se prvaloir de la prescription

    acquisitive, encore appele usucapion, ce qui suppose toutefois lcoulement dun dlai (10,

    Paris, 1935, p. 335.

  • Les fictions en droit 295

    20 ou 30 ans selon les cas en Belgique). Pour les biens meubles corporels, il ny a pas de

    dlai ; si le sous-acqureur C en a pris possession de bonne foi, cest--dire dans

    lignorance que son vendeur nen tait pas le propritaire, il en devient immdiatement

    propritaire par leffet de la loi.

    24.-La fiction de la rtroactivit peut, en revanche, difficilement tre dnie en cas de

    rsolution du contrat pour inexcution fautive. Alors que lannulation sanctionne un dfaut

    dans la formation du contrat, la rsolution sanctionne un problme au stade de son

    excution. Dans lhypothse de la rsolution, aucun dfaut naffectait la formation du contrat.

    Avant sa rsolution, le contrat existait bel et bien, lacheteur B. tait effectivement

    propritaire du bien acquis ; le contrat comme le transfert de proprit qui en rsultait

    constituaient bien plus quune apparence. La partie victime de linexcution aurait dailleurs

    trs bien pu choisir de demander lexcution du contrat charge de la partie rcalcitrante

    plutt que de poursuivre sa rsolution. Certes, la sanction de la rsolution et le retour au

    pristin tat se justifient par le caractre synallagmatique du contrat, par le fait que les

    prestations rciproques se tiennent lieu mutuellement de contreparties. Certes aussi, il plane

    au dessus de tout contrat synallagmatique lventualit dune rsolution pour inexcution

    fautive. Toutefois, lexistence de cette ventualit ne nous parat pas de nature dnier le

    caractre rtroactif de la rsolution, ni partant la fiction qui en rsulte.28) En toute

    hypothse, cest au lgislateur quil appartient de trancher entre, dune part, lintrt du

    vendeur impay qui entend rcuprer son bien et, dautre part, lintrt du sous-acqureur C,

    qui ayant acquis le bien de B, est dsireux de le conserver. Leffet rtroactif de la rsolution

    permet en principe de sauvegarder les intrts du vendeur A. Nous disons en principe

    car il convient de rserver les cas o, par exception, la loi accorde quand mme, sagissant

    spcialement des biens meubles corporels, la proprit au sous-acqureur de bonne foi.

    De mme, il plane au dessus de tout contrat conclu sous une condition rsolutoire, le

    risque de la ralisation de cette condition rsolutoire et partant de lanantissement avec

    effet rtroactif. Certes, le droit de proprit acquis sous une condition rsolutoire est fragile.

    Certes aussi, le sous-acqureur qui acquiert un droit prcdemment acquis par son auteur sous

    condition rsolutoire ne saurait avoir plus de droit que son propre vendeur. Lventualit de

    28) Comp. G. Wicker, Les fictions juridiques. Contribution lanalyse de lacte juridique, Paris,

    L.G.D.J., 1997, p. 283 et s., n 301 et s., qui explique quau regard de la notion de cause qui

    se prolonge au stade de lexcution du contrat, la rtroactivit nest une fiction ni dans

    lhypothse de la rsolution, ni dans lhypothse de la ralisation de la condition rsolutoire.

  • 296 30 1

    sa ralisation ne nous parat toutefois pas de nature remettre en cause le caractre

    rtroactif de lanantissement du contrat par suite de la ralisation de la condition

    rsolutoire, ni partant la fiction qui en rsulte. Cela, moins que la fiction ne consiste,

    alors que la condition est toujours pendante, considrer comme tant pur et simple le

    droit acquis sous condition rsolutoire.

    Pour illustrer le concept de rtroactivit et la fiction qui en rsulte, on peut encore citer

    leffet dclaratif du partage. Chacun des hritiers est cens avoir recueilli seul et

    immdiatement du dfunt les biens qui lui ont t attribus par le partage (art. 883 C. civ.).

    Il en rsulte que les actes de disposition accomplis par des cohritiers pendant la dure de

    lindivision en lien avec des biens finalement attribus un autre cohritier disparaissent

    avec effet rtroactif. Lhritier reoit ces biens libres des charges qui auraient t cres

    sur sa part par un autre cohritier.

    Nous aurions pu encore citer la rtroactivit de la ralisation de la condition suspensive

    ainsi que la rtroactivit de la ratification dun acte juridique accompli sans pouvoir.

    5. Le paiement subrogatoire

    25.-Cest encore propos du paiement subrogatoire quil a t question de fiction. Avant

    denvisager le paiement subrogatoire, il nous faut dfinir la notion de subrogation personnelle.

    La subrogation personnelle est dfinie comme la : substitution dune personne une

    autre dans un rapport de droit en vue de permettre la premire dexercer tout ou partie

    des droits qui appartiennent la seconde.29) Le paiement subrogatoire est une hypothse

    de subrogation personnelle.

    Le paiement subrogatoire suppose un paiement effectu par une autre personne que le

    dbiteur. En ce cas, il arrive que le tiers qui a pay, lequel est dnomm tiers solvens, soit

    subrog lgard du dbiteur dans les droits du crancier quil a dsintress. Tout

    paiement effectu par un tiers nemporte pas subrogation. Pour que le paiement soit

    subrogatoire, il faut soit une convention, soit une disposition lgale spcifique. Parmi les

    hypothses de paiement subrogatoire en vertu de la loi, on peut citer lhypothse de la

    caution qui, par le paiement de la dette quelle garantit, est immdiatement subroge dans

    les droits du crancier contre le dbiteur garanti ; on peut citer aussi lhypothse de

    29) G. Cornu (sous la direction de) et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 6me d.,

    Paris, Quadrige, Presses Universitaires de France, 2004, p. 873.

  • Les fictions en droit 297

    lassureur qui, par le paiement de lindemnit son assur, est immdiatement subrog

    dans les droits de son assur contre le tiers responsable du sinistre. Par leffet du paiement

    subrogatoire, le tiers solvens prend la place du crancier lgard de la crance quil a

    paye ; il est admis exercer contre le dbiteur la crance mme quil a paye.

    Le paiement subrogatoire constitue une fiction si on lanalyse comme une forme

    particulire de paiement. Le paiement par sa nature a un effet extinctif. Cest donc une

    fiction de considrer que la crance paye renat immdiatement, par leffet de la

    subrogation, au profit du tiers solvens. Il y a l une rupture logique au sein du systme

    juridique lui-mme. Ou bien la crance est teinte, ou bien elle ne lest pas.

    Le paiement subrogatoire ne constitue pas, en revanche, une fiction si on lanalyse

    comme un mode particulier de transfert de crance fond sur un paiement. Telle est

    lanalyse qui domine aujourdhui. Par le transfert de la crance dcoulant du paiement, le

    crancier originaire perd sa qualit de crancier au profit du tiers solvens qui le devient

    sa place. Dans lopinion qui met en avant le caractre translatif du paiement subrogatoire, il

    ny a rien dillogique ce que le tiers solvens devienne titulaire de la crance quil a paye.30)

    6. La reprsentation successorale

    26.-Il arrive que la loi elle-mme indique quelle recourt une fiction. Tel est le cas de

    la reprsentation successorale (art. 739 C. civ.). Le but de cette fiction est de droger la

    rgle de la proximit des degrs dans la dvolution successorale. Dans le Code civil de

    1804, il sagissait, pour faire bref, de permettre aux descendants dun successible prdcd

    de se voir attribuer la part que ce successible aurait recueillie sil avait survcu au dfunt.

    En vertu de ce mcanisme, les petits-enfants peuvent recueillir dans la succession de leur

    grand-pre la part que leur pre prdcd aurait recueillie sil ntait pas dcd avant le

    grand-pre. Grce lexception qui est ainsi apporte la rgle de la priorit des degrs,

    le fait que dautres enfants, toujours en vie, du grand-pre soient appels la succession

    na pas pour effet dliminer les petits-enfants dont le pre est prdcd.

    Pour parvenir cet objectif que nul ne conteste, le Code civil recourt la fiction de la

    reprsentation successorale. Par dfinition, lhritier prdcd est mort. Il ne saurait donc

    pas tre reprsent au sens o lon entend en droit des obligations. Il nest videmment pas

    30) J. MESTRE, La subrogation personnelle, Paris, L.G.D.J., 1979, p. 698, n 639 et 640.

  • 298 30 1

    question dagir au nom et pour le compte dune personne dcde. Il sagit pour les

    descendants doccuper la place laisse vacante par lhritier prdcd dans la succession et

    partant dexercer pour eux-mmes les droits qui seraient revenus leur auteur prdcd

    sil tait toujours en vie.

    En France, le mcanisme a t tendu en faveur des descendants dun hritier vivant

    mais indigne comme aussi en faveur des descendants dun hritier vivant mais qui a

    renonc la succession. Dans ce dernier cas, il sagit de permettre la transmission de

    patrimoine trans-gnrationnelle. Mais cest par une nouvelle fiction que lon prtend que

    les descendants occupent la place et exercent les droits de lhritier indigne ou renonant.

    Comment admettre, en effet, que lenfant de lindigne ou du renonant exerce les

    droits de son auteur, alors que celui-ci en a t dchu ou les a abdiqus?.31)

    Aussi bien, sur le plan de la technique utilise, certains auteurs franais proposent

    dabandonner la fiction de la reprsentation successorale pour consacrer directement la rgle

    du partage par souche.32) Avec une telle modification, le recours la fiction de la

    reprsentation successorale deviendrait inutile.33)

    7. Limmobilisation par destination

    27.-Cest enfin le concept dimmobilisation par destination qui est souvent cit pour

    illustrer la notion de fiction juridique.

    Le Code civil distingue les biens immobiliers et les biens mobiliers (art. 516 C. civ.). Par

    l, il se rfre un critre physique : alors que les immeubles ne peuvent pas tre

    dplacs (fonds de terre, construction incorpore au sol, ), les meubles peuvent tre

    transports dun endroit un autre.

    Le Code civil opre ensuite une rupture logique avec la distinction quil a prcdemment

    nonce. Alors quils peuvent facilement tre transports, certains meubles, dits immeubles

    par destination, sont classs parmi les immeubles ct du sol et des btiments (art. 517

    31) Voy. M. Grimaldi, La reprsentation de lhritier renonant , Defrnois, 2008, art. 38698,

    p. 28, n 5.

    32) Cela, dans les cas o la fiction avait lieu de sappliquer.

    33) Voy. M. Grimaldi, op. cit. ; S. Gaudemet, La reprsentation successorale au lendemain de

    la loi du 23 juin 2006 , Defrnois 2006, art. 38447, p. 1379, n 21 et s. ; A.

    BERTRAND-MIRKOVIC, La reprsentation de lhritier renonant- propos de la loi du

    23 juin 2006 , Droit de la famille n 12, Dcembre 2006, tude 56, n 47 et s.

  • Les fictions en droit 299

    C. civ.). Ne visant ici que le seul cas des meubles immobiliss par destination conomique,34)

    nous citerons titre dexemples : le mobilier professionnel, le matriel informatique, loutillage,

    les vhicules servant la livraison des biens produits ainsi que, sil sagit dune ferme, le

    tracteur, la moissonneuse-batteuse, les vaches laitires et autres animaux dlevage. Ces

    biens meubles que le propritaire a affects lexploitation situe sur son fonds,

    spcialement amnag cet effet, sont qualifis dimmeubles par destination, en loccurrence

    dimmeubles par destination conomique.

    Il convient de souligner que les meubles ainsi cits ne deviennent immeubles par

    destination conomique que si tant ceux-ci que limmeuble qui abrite lexploitation

    appartiennent au mme propritaire. Cest ce que lon nomme la condition dunicit de

    propritaire. Dans le cas contraire, si le commerant, lartisan, lagriculteur, nest pas

    propritaire mais simplement locataire de limmeuble qui abrite son exploitation, le mobilier

    professionnel, le matriel informatique, loutillage, les vhicules servant la livraison, le

    tracteur, ne sont pas immobiliss par destination et demeurent des biens meubles. Ainsi,

    la qualification (meuble ou immeuble) de biens dquipement professionnel, pourtant

    identiques, varie selon que le professionnel qui les a affects son activit professionnelle

    est ou non propritaire de limmeuble dans lequel il exerce celle-ci.

    28.-Le fait de considrer des meubles, parfaitement transportables, comme des immeubles

    est lvidence une fiction. Le lgislateur entend par l que ces meubles soient traits, sil

    y a unicit de propritaire, comme sils taient des immeubles et partant soumis au mme

    rgime juridique que les immeubles. Il entend plus prcisment que les meubles ainsi

    affects lexploitation dans limmeuble soient soumis, en cas dunicit de propritaire, au

    mme rgime que limmeuble auquel ils se trouvent immobiliss par destination. La raison

    dtre de cette fiction repose sur lunit conomique qui existe entre limmeuble qui abrite

    lexploitation et les meubles que le propritaire a mis au service de limmeuble ainsi

    amnag.

    Il en rsulte quen cas de vente de limmeuble sans autre prcision, le vendeur soblige

    dlivrer non seulement limmeuble par nature mais aussi les meubles qui y sont immobiliss

    par destination, notamment le matriel dquipement professionnel. Limmobilisation permet

    34) A ct des meubles immobiliss par destination conomique, il existe les meubles immobiliss

    par attache perptuelle demeure. Au sujet des immeubles par destination, voy. P. LECOCQ,

    Manuel de droit des biens, t. 1, Biens et proprit, Bruxelles, Larcier, 2012, n 19 39.

  • 300 30 1

    ainsi de prciser lobjet de la vente en cas de silence des parties.

    Il en rsulte aussi que lhypothque qui grve limmeuble par nature stend aux meubles

    qui y sont ou y seront immobiliss par destination. En cas de ralisation de lhypothque,

    le crancier hypothcaire peut exercer son droit de prfrence non seulement sur le produit

    de ralisation du sol et des constructions qui y sont incorpores mais encore sur le matriel

    dquipement professionnel que le propritaire y a affect. Grce cette extension de

    lhypothque, le dbiteur obtiendra plus facilement du crdit.

    A linverse, la fiction de limmobilisation devrait aboutir lexclusion du matriel

    professionnel de lassiette des srets mobilires lorsque le professionnel est galement

    propritaire de limmeuble dans lequel il exerce son activit professionnelle. Le matriel

    professionnel tant de ce fait devenu fictivement immeuble, il ne devrait pas pouvoir tre

    grev dune sret mobilire qui, comme son nom lindique, ne peut grever que des

    meubles. Il arrive cependant que la loi ou, en cas de silence de la loi, la jurisprudence

    droge cette consquence de la fiction en permettant la constitution35) ou, moyennant

    certaines conditions, la sauvegarde36) de srets mobilires sur des meubles pourtant

    devenus, par leffet de la fiction, immeubles par destination. La ncessit de sauvegarder

    lunit conomique existant entre limmeuble par nature et les meubles qui y sont

    immobiliss trouve ainsi de nombreuses exceptions en matire de srets mobilires, tant

    entendu que, pour chacune de ces exceptions, le lgislateur doit rgler le conflit de rang

    susceptible de surgir avec lhypothque.

    29.-Il nest pas contest, en raison de lunit conomique que limmobilisation par

    destination entend prserver, que la procdure de saisie immobilire permet de saisir

    limmeuble, ensemble avec les meubles qui y sont immobiliss par destination. Cependant, la

    procdure de saisie immobilire, longue et coteuse, nest pas indique lorsque la crance

    qui doit tre recouvre par la voie de la saisie est de loin infrieure la valeur de

    35) Ainsi, en Belgique, le gage sur fonds de commerce, dont ne fait pas partie limmeuble par

    nature, englobe cependant le matriel et loutillage, mme sils sont immobiliss par

    destination conomique.

    36) Ainsi, en Belgique, le vendeur de biens mobiliers ou le crancier qui a expos des frais pour

    la conservation de biens mobiliers est dot par la loi dun privilge sur le bien quil a vendu

    ou quil a contribu conserver. Ce privilge disparat en principe en cas dimmobilisation

    chez lacheteur ou le client ; cependant, il est possible au vendeur ou au conservateur

    deffectuer une formalit pour sauvegarder son privilge en cas dimmobilisation sil porte sur

    du matriel professionnel.

  • Les fictions en droit 301

    limmeuble. Aussi bien, en pareille hypothse, sest pose la question de la possibilit pour

    le crancier de diligenter une saisie mobilire sur quelques biens dquipement professionnel,

    cest--dire de limiter lassiette de sa saisie ce qui est ncessaire lapurement de sa

    crance. Suivant en cela la tradition et la doctrine majoritaire, la Cour de cassation belge a

    refus que du matriel dquipement professionnel immobilis par destination conomique,

    par exemple un vhicule de livraison, puisse faire lobjet dune saisie mobilire. Ainsi, le

    matriel et les vhicules immobiliss ne peuvent faire lobjet que dune saisie immobilire

    ensemble avec limmeuble au service duquel ils sont affects.37)

    Il convient de sinterroger sur lopportunit de protger lunit conomique en cas de

    saisie. Sagit-il, en vue den prserver la valeur, dinterdire la ralisation spare de

    limmeuble par nature et des biens meubles qui y sont affects ? Pourtant, il arrive que la

    saisie immobilire de lensemble dbouche quand mme, en vue dobtenir un prix plus

    important, sur une vente par lots spars.38) Sagit-il de crer une insaisissabilit relative

    du matriel professionnel immobilis ? On ne comprendrait pas toutefois quune telle faveur

    soit rserve au seul dbiteur qui est propritaire de limmeuble dans lequel il exerce son

    activit, lexclusion du dbiteur, qui exerce la mme activit mais qui nest pas

    propritaire de limmeuble dans lequel il lexerce. Sagit-il de contraindre le crancier dune

    somme modeste largir sa saisie limmeuble et la totalit du matriel dquipement

    professionnel? Leffet en serait pervers puisque cela reviendrait priver le dbiteur de la

    possibilit de poursuivre son exploitation.

    Dtaches de la proprit immobilire, les notions de fonds de commerce ou dentreprise

    qui depuis lors ont fait leur apparition sont galement fondes sur une unit conomique.

    Pourtant, nul na jamais song interdire la saisie dlments isols du fonds de commerce,

    ni partant obliger le crancier qui entendrait saisir un lment du fonds de commerce

    tendre sa saisie lintgralit des lments qui le composent.

    Aussi bien, si la fiction de limmobilisation par destination conomique avait assurment

    pour but en 1804 dinterdire que des lments du matriel professionnel ( lpoque essentiellement

    agricole) soient saisis sparment de limmeuble ( lpoque essentiellement la ferme) au

    37) Cass., 15 fvrier 2007, disponible sur le site http://www.cassonline.be.

    38) Voy. M.-C. de Lambertye-Autrand, Biens-Immeubles par destination-Immeubles par lobjet

    auquel ils sappliquent , in JurisClasseur Code Civil, Art. 522 526, janvier 2012, n 132, o

    il est question de ladjudication dun lot spar de machines dans le cadre dune saisie

    immobilire dune usine.

  • 302 30 1

    service duquel ils sont affects, une telle consquence ne nous parat plus justifie

    aujourdhui. De la mme manire que les consquences de cette fiction ont t relativises

    lgard des srets mobilires, elles devraient tre relativises en matire de saisies.39)

    Sur le plan de la technique utilise, on soulignera que la fiction de limmobilisation par

    destination a un caractre transversal en ce quelle est susceptible dirradier le champ

    dapplication de toutes les dispositions, dans le Code civil mais aussi ailleurs, qui traitent

    des meubles ou des immeubles. Cependant, une poque o les lgislations se multiplient

    en tous sens et o, par la force des choses, les juristes ont une connaissance de plus en

    plus parcellaire du droit, une telle technique de lgislation ne nous parat plus indique. En

    raison tout la fois de lartifice quelle implique et de son caractre diffus, la fiction

    large spectre rend laccs au droit malais, du moins, lorsquil ny est pas fait cho dans

    les dispositions qui sy rfrent.

    * * *

    30.-Au terme de cet expos, force est de constater le caractre htrogne des fictions.

    Tantt la fiction ne constitue quune mtaphore pour exprimer leffet de la rgle sans

    cependant en expliquer le fondement : clause rpute non crite, condition dfaillie rpute

    ralise, continuation de la personne du dfunt par ses hritiers, reprsentant cens

    extrioriser la volont mme de la personne reprsente. Envisages comme de simples

    mtaphores, ces fictions ne posent pas problme si, du moins sagissant des dernires

    cites, on les considre bien pour ce quelles sont : des fictions et non la ralit : la

    personnalit juridique est intransmissible, le dfunt ne revit pas au travers de ses hritiers,

    la personne reprsente nexprime pas sa volont au travers de son reprsentant. Cela vaut

    aussi pour les reprsentations anthropomorphiques des personnes morales : les personnes

    morales, si elles correspondent bien une ralit, ne sont cependant pas des tres humains,

    dous de conscience et de volont propres.

    Tantt la fiction fonde prtendument lautorit du droit, sagissant de ladage : Nul

    nest cens ignorer la loi et de la vrit de la chose juge. On ne peut que dplorer

    de telles formules. Les rgles quelles expriment, savoir linterdiction de se prvaloir de

    39) Voy., en ce sens, G. de LEVAL, La saisie immobilire, Rpertoire notarial, Bruxelles, Larcier,

    2012, p. 107, n 66.

  • Mots-cls: la fiction, la ralit, la prsomption lgale, le dtour de langage, lautorit du droit, la souverainet du lgislateur, le mandat apparent, la rtroactivit, la reprsentation successorale, limmobilisation par destination

    Les fictions en droit 303

    son ignorance de la loi pour chapper son application et lautorit de la chose juge, ne

    sont pas fondes sur des fictions mais sur la ncessit dassurer le bon fonctionnement du

    systme juridique ; elles sont du reste quelque peu nuances.

    Tantt la fiction rsulte du refus du droit de consacrer sinon la ralit, du moins une

    ralit. Le constat de pareille fiction renvoie alors la question de lopportunit du choix

    politique la base de ce refus. Tel est le cas du principe du nominalisme montaire en

    matire de dettes de somme. Tel est galement le cas des dichotomies qui peuvent exister

    entre filiation juridique et filiation biologique. Encore, la filiation biologique nest-elle quune

    des facettes de la filiation, celle-ce pouvant galement tre socio-affective, socio-affective

    en ltat de projet ou gestatrice. Au risque dtre condamns par la Cour europenne des

    droits de lhomme ou le juge constitutionnel, les choix politiques ports par les lois doivent

    respecter les droits fondamentaux ainsi que les principes dgalit et de non-discrimination.

    Tantt les fictions, relles ou prtendues, relvent de la technique juridique. Il arrive que

    les problmes quelles suscitent soient purement techniques sans que les rsultats quelles

    consacrent ne donnent lieu discussion : enfant simplement conu considr comme dj

    n lorsquil y va de son intrt, paiement subrogatoire. Mais il arrive aussi quelles

    suscitent un questionnement qui dpasse la simple technique : rtroactivit et protection des

    tiers, immobilisation par destination conomique et possibilit de saisir isolment un meuble

    ainsi immobilis. Cest que la distinction entre choix politique et choix de technique

    juridique nest pas parfaitement tanche

    (: 2013. 2. 15 / : 2013. 3. 13 / : 2013. 3. 21)

  • 304 30 1

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  • : , , , , , , ,

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    Les fictions en droit 305

    *40)

    (dfinition)

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