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Perspectives
ontologiques Benoît Bohy-Bunel
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Sommaire
Avant-propos
I Physique et métaphysique
L'éternel retour
Synchronicité
Etre et percevoir
La partie et le tout
Tout est un
II Certaines failles de Kant
La ruse du chinois de Königsberg
Kant et Berkeley
III Le soi
La solitude ontologique
Tentative de déconstruction du dualisme âme/corps
Rêverie et discursivité
La conscience et la non-conscience
L'être temporel et l'être atemporel
La perte, l'absence
IV La question de Dieu
L'agnosticisme comme ouverture du sens
Sur quel mode dois-je affirmer la présence de Dieu ?
L’idée de Dieu en moi
Une difficulté posée par la réalité de l’éternel retour
V Pensées extatiques
La bipolarité, une maladie de notre temps
Images de pensée
Le soliloque du perroquet
Bibliographie
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Avant-propos
En octobre 2008, à Paris, en pleine phase euphorique nerveuse, j'eus une intuition étrange :
l'éternel retour du même (de même que Nietzsche devait bien être quelque peu « nerveux », à Sils-
Maria, lors de sa « découverte », en 1881). Une pensée apparemment sublime, ou affirmative, sembla
« s'offrir » à moi, après de longues nuits de réflexion, d'errance poétique, et d'écriture.
Depuis 7 ans, je réfléchis à cette énigme insondable. Et aujourd'hui, après m'être intéressé
quelque peu à la physique contemporaine, et surtout, après avoir déployé toutes les conséquences
éthiques, psychologiques et théologiques de cette « réalité », j'ai acquis une relative « certitude » :
nous pourrions bien revivre éternellement la même vie, nous pourrions bien l'avoir déjà vécue une
infinité de fois, à l'identique, nous pourrions bien la revivre une infinité de fois, à l'identique. Je
n'impose pas bien sûr cette certitude, et je l'ai gardée longtemps pour moi. Il y a là encore un fond de
« croyance » qui se manifeste (ne serait-ce que parce que cette pensée mobilise l'idée de
« métempsychose »). Néanmoins, ce que je constate au quotidien, c'est qu'une telle « découverte »,
même si elle se manifesta dans la douleur (je connus la marginalisation, et les pires dépressions), me
rend aujourd'hui très heureux, auto-suffisant, relativement sage, et prêt à accueillir tout événement,
comme il se doit.
Ce livre constitue, pour ainsi dire, un ensemble de perspectives ontologiques telles qu'elles
découlent de la « révélation » intuitive d'un éternel retour à l'identique de tout ce qui est. Ce n'est pas
là un système ; car l'éternel retour est comme la joie : il est le fait de picorer, sans jamais s'attarder,
telle ou telle vérité enivrante, sans volonté de systématiser quoi que ce soit. C'est là un ensemble
d'articles, qui ont tous un certain rapport, lointain ou proche, à la réalité de l'éternel retour.
Un seul article, au sens strict, est consacré à l'éternel retour : le premier. Mais il est suffisant
en lui-même pour suggérer la réalité de ce dont je suis, personnellement, certain (des recherches plus
approfondies, néanmoins, concernant la version « cosmologique » de l’éternel retour, recherches
menées avec un chercheur en physique, seron développées dans un autre ouvrage).
Une pensée plus globale du tout physique s'ensuit : une certaine synchronicité, une certaine
double causalité, est la possibilité du surgissement de coïncidences signifiantes qui viennent
confirmer la vérité de l'éternel retour, comme un clin d'oeil. Je tente de « rationaliser » la
synchronicité en question (car il s'agit bien de rendre exotérique l'ésotérique, et non d'édifier mon
lecteur, la faculté intellectuelle étant seule capable de s'assurer d'une réalité indubitable). Par la suite,
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je tente de résoudre philosophiquement l'énigme posée par le chat de Schrödinger (Etre et percevoir) ;
car il faut en passer par là pour décloisonner la temporalité que les physiciens ont fermée, et penser
une stricte détermination qualitative entre toutes les choses. Puis, afin d'abaisser quelque peu les
prétentions de la science, je montre que le désir d'exhaustivité qui meut le scientifique ne saurait être
satisfait (La partie et le tout). Enfin, l'éternel retour est une pensée de l'unité de tout ce qui est : unifiant
le physique, il peut unifier physique, biologique, historique et individu. Une tentative dans ce sens
sera faite, assez poétique il faut le dire, pour clore une certaine métaphysique de la physique (Tout est
un).
Une ontologie de l'éternel retour se doit d'être une phénoménologie : car c'est un vécu en
première personne qui dévoile ce fait, la révélation de l'éternel retour étant peut-être la suite
« logique » de la saisie authentique de l'angoisse telle que Heidegger l'appréhendait. Garantir la
solidité de la phénoménologie, ce serait garantir la solidité d'une philosophie de l'éternel retour. Mais
un auteur grandiose empêche aujourd'hui le passage à une phénoménologie lucide : Kant est cet
auteur. Une critique de Kant à la manière de Heidegger, ou d’une phénoménologie de la vie plutôt,
devra donc être entreprise. En outre, l'éternel retour est une pensée qui s'appréhende si et seulement
si le solipsisme, c'est-à-dire l'idéalisme radical, est entièrement réfuté : car c'est en aimant autrui, dont
on sait qu'il existe, que l'on peut accéder à la générosité qui consiste à poser l'éternel retour de sa vie.
Il y a une seule manière adéquate de réfuter l'idéalisme radical : la manière kantienne est
insatisfaisante. Or Kant est aujourd'hui une référence dans ce domaine, ce pourquoi, une fois encore,
il obstrue la voie vers quelque « libération attendue ». Sur ce point donc il s'agira à nouveau de
dépasser certains écueils du kantisme.
La question du soi est décisive pour entrer dans la pensée de l'éternel retour : c'est dans la
mesure où je suis moi-même à moi-même, c'est dans la mesure où je m'appartiens pleinement,
authentiquement, que je peux écouter cette voix qui me murmure constamment que l'éternel retour
est une réalité vraie. Ma solitude ontologique devra être affrontée. Par ailleurs, pour éviter toute sortie
hors de soi, soit tout oubli d'une parole originelle, il s'agira de déconstruire toute possibilité d'un
dualisme âme/corps, et de tenter de dépasser l'opposition rêverie/discursivité. Ensuite, la plénitude de
la conscience découle de là : de fait, il ne doit pas y avoir de non-conscience ; c'est sur cette base que
je suis assez moi-même pour écouter ce que mon « soi » a à me dire. L'être en tant qu'être, tel qu'il
dérive de ces précisions, pourra « être » interprété : il est soi multiple et dédoublé en tant que « un ».
Pour ne pas sombrer dans l'extase, et dans le narcissisme, nous rappellerons, après ces articles
consacrés à l'ipséité, un point de vue plus tragique sur la vie : malgré l'éternel retour, notre besoin de
consolation, nécessairement, est impossible à rassasier (La perte, l'absence).
Nietzsche se contente de l'éternel retour, et se passe de transcendance. C'est qu'il n'est pas allé
assez loin dans l'ordre des « révélations », et qu'il doutait peut-être encore de la réalité de l'éternel
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retour. Si l'on médite pendant plusieurs années, comme je l'ai fait moi-même, sur le caractère
miraculeux et infiniment généreux, d'une réalité de l'éternel retour, on ne peut être que convaincu
qu'une transcendance inextensive et enveloppante (« Dieu-e ») accompagne, de façon bienveillante,
notre prise de conscience au sein de cette physicalité se répétant. C'est une forme d'agnosticisme qui
prévaut d'abord. Puis la nécessité de Dieu-e, certes indémontrable, mais néanmoins certaine, apparaît.
Tout ce que l'homme souhaite dès lors pourrait bien être toujours déjà... existant (sa vie éternelle, sa
sacralité, sa joie, sa vertu).
Certains textes inspirés, écrits sur les bords de la folie, peuvent donc clore cet ouvrage.
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I Physique et métaphysique
L'éternel retour
La physique moderne ne retient pas l'hypothèse d'un éternel retour du même, en un sens
nietzschéen (ou encore : leibnizien). En effet, la version « physique » de l'éternel retour suppose deux
choses : une durée éternelle de l'univers, et une quantité de forces finie. Dans un univers éternel
possédant une quantité finie de forces, selon une loi statistique rigoureuse, très probablement les
mêmes séquences resurgissent, et ce éternellement, de la même manière qu'une machine à écrire
fonctionnant en mode aléatoire éternellement produira très certainement une infinité de séquences de
lettres totales identiques. Or, la physique contemporaine admet la finitude des quantités de forces (loi
de conservation de l’énergie), mais non complètement l'éternité de la durée : de ce fait elle invaliderait
l'idée d'éternel retour. Mais qu'est-ce à dire ? Ce « big bang », ou ce « big crunch », ou tout autre
principe de dilution de l’univers à venir, qui font que la durée de l'univers serait finie et non éternelle,
ne sont-ce pas des hypothèses ? Certes si : et donc ils pourraient bien n'être que des fictions, des
irréalités. En outre, quand bien même ils seraient « réels », rien n'indique qu'il n'y a que le néant qui
délimite leurs contours. D'ailleurs, l'idée d'une durée éternelle de l'univers est beaucoup plus intuitive
que l'idée d'une durée finie : tout temps étant empiriquement continu, ouvert, non surgissant et non
disparaissant, nous sommes portés à penser qu'il en va de même de... toute éternité (cette
« tautologie » ici dévoilée serait en fait une découverte synthétique). Ainsi donc nous nous
retrouvons, en toute vraisemblance, face à quelque révélation : quantité de force finie (admise
aujourd'hui) + durée éternelle (intuitive, et non absolument invalidée par la science) = éternel retour
du même attesté, d'un point de vue « physique ».
A vrai dire, les physiciens reculent devant le probable, l'intuitivement clair, peut-être pour une
raison morale : que l'éternel retour du même soit, que nous devions vivre éternellement la même vie,
à l'identique, demeure le « poids le plus lourd ». Aujourd'hui cela est très vrai : comment accepter que
les victimes souvent innocentes, justes, morales, du XXème siècle en particulier, et des autres siècles
en général, aient à revivre la même vie, éternellement ? Souhaite-t-on, par exemple, qu'un déporté à
Auschwitz, mort dans des conditions atroces, qu’un esclave victime de la colonisation, massacré de
façon ignoble, revivent éternellement leur vie, à l'identique ? Parce que de telles pensées sont
proprement ignobles, le physicien, imprégné malgré lui d'une morale issue de l'expérience qu'a faite
l'humanité auprès des totalitarismes immondes du siècle dernier, « bloque » sa découverte potentielle
en posant la finitude temporelle du tout (nihilisme, volonté d'en finir, désespoir).
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Si de fait l'éternel retour est, nous devons bien vivre avec, et supporter cette idée. Autrement
dit : vivre avec cette vie du déporté, du colonisé, du massacré, qui se répète, de toute éternité. Première
question : cette vie atrocement souffrante, ne vaut-elle pas la peine d'être vécue ? Aurait-il fallu qu'elle
ne soit pas, qu'elle n'ait pas eu lieu ? Dire cela, ce serait vouloir pire que les souffrances atroces de
cet individu : ce serait vouloir qu'il n'ait pas existé du tout, ce serait vouloir son néant absolu, de toute
éternité. Mais cette vie se répète éternellement, dira-t-on : c'est ignoble. Seulement déplorer ce fait,
dans le contexte où précisément cette vie a toujours déjà été et sera toujours, répétée à l'identique
pour l'éternité, cela revient à précisément vouloir le néant absolu de l'individu.
Deuxième question : si la vie inextensive et sensible, consciente, n’est jamais qu’une seule et
même vie, ne ressentons-nous pas aujourd’hui ces souffrances atroces des sacrifiés du passé ? De fait,
nous le devons. Et ainsi c’est à nous-mêmes que nous poserons cette question : notre vie répétée une
infinité de fois dans l’éternité ne vaut-elle pas d’être vécue, par-delà cette souffrance ?
La pensée de l'éternel retour, de façon plus ou moins consciente, surgit dans les moments de
grande joie (une sélection différentielle est opérée là, pour suivre l'idée de Deleuze). Même si dans
les faits l'individu revit éternellement ses tourments, selon sa conscience, plus ou moins lucide sur ce
point, il ne vit jamais la répétition éternelle de son être que lorsqu'il est dans la béatitude. La réalité
de l'éternel retour est la plus généreuse qui soit : seule la joie demeure, pour l’éternité. Selon la
conscience, c'est-à-dire en soi, un déporté, un colonisé, un massacré, moi-même qui souffre
atrocement d’être mis dans ces « camps » ou encore de mettre dans ces « camps », nous vivons
éternellement seulement ses moments de joie (« factuellement », c'est l'intégralité de notre vécu,
souvent souffrant, qui se répète à l'identique, peut-être ; mais ce « factuellement » n'est qu'un mot,
non une réalité consciente pour nous).
Une autre idée insupportable : Hitler revit éternellement. Mais pourquoi insupportable ? Est-
ce à dire que ce déchet aurait été heureux ? Sa haine, son ressentiment, son absolue bêtise, sa capacité
surhumaine à s'autodétruire, cela constitue le pire des enfers. Pour le juste, l'éternel retour est la pensée
la plus réjouissante : l'immondice n'a plus à descendre sous la terre. Son éternité terrestre est le pire
des supplices. Le juste quant à lui, même en tant qu’il souffre ou subit, même s’il se sait trop souvent
coupable ou meurtrier, puise toutefois dans sa bonté et dans sa résistance le courage d’affronter une
éternité que ne supporte pas le criminel consentant, et reçoit nécessairement la joie que procure toute
bonté, par-delà ses tourments.
Mais qu'en sera-t-il pour l'immoral parfaitement heureux ? En fait, il n'existe pas : la mauvaise
conscience, de fait est réhabilitée, par-delà toutes les attaques faites à la morale kantienne. En effet,
l'éternel retour est une vraisemblance (quasi-certaine) qui hante chaque inconscient coupable : un
immoral tend à savoir, au sein de sa joie maligne, de son sadisme jouissant, de façon latente, qu'il est
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en train de mutiler atrocement la répétition éternelle de la vie d'un autre ; cette pensée ne peut être
pour lui qu'insupportable, quoiqu'il occulte souvent cette pensée. Sans qu'il s'en rende compte, la
haine de lui-même le ronge comme un cancer : lui aussi donc sera en enfer éternellement, sur cette
terre et dans cette vie en laquelle il est si malheureux, inconsciemment, de détruire l'éternité de l'autre
qu'il espère, en vain sûrement, mortel.
Ces remarques tendent à faire accepter l'éternel retour comme réalité peut-être physique. Avec
ce genre de remarques, les physiciens peut-être ouvriront la temporalité qu'ils ont fermé par crainte,
désespoir, horreur... Mais ils manquent de philosophie, et connaissent bien mal une manière
rigoureuse de poser les termes éthiques clairement.
Appendice :
Aujourd'hui la possibilité de l'éternel retour est au moins reconnue, sous une forme fictive ou
mythologique, par l'art de masse cinématographique. Le film Mr Nobody, éminemment
philosophique, en atteste. La subtile Diane Kruger joue dans ce film le rôle que joue Clélia dans La
Chartreuse de Parme.
Clélia ou l'éternel retour. Cela sonne comme une intuition révélante. Stendhal, l'écrivain
français que Nietzsche admirait, n'a pas pu ignorer cela.
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Synchronicité
L'apophénie est d'abord la disposition du créatif, mais aussi du psychotique : ici sont saisies
des coïncidences signifiantes, quoiqu'on ne puisse apparemment pas expliquer rationnellement ce
genre de « significations ». Tentons pourtant telle « explication » (ou : élucidation).
Soit une patiente sur le divan : elle évoque un rêve. Un scarabé d'or a surgi là. Mais la fenêtre
était ouverte. Soudain surgit effectivement, dans la réalité du cabinet, un scarabé doré. Ici, même si
l'on n'est pas psychotique, ou créatif, il faut se rendre à l'évidence : il y a coïncidence signifiante.
Pourtant il y a aussi en jeu deux séries causales a priori étanches mutuellement. La série causale par
laquelle le scarabé est arrivé ici, dans cette zone précise du monde. Puis la série causale par laquelle
la patiente en est venue à rêver d'un scarabé d'or, mais surtout : en est venue à raconter ce rêve à ce
moment précis.
Mais n'y a-t-il pas une cause commune à ces deux séries apparemment indépendantes l'une de
l'autre ? N'ont-elles pas toutes deux un principe moteur commun ? Certes si : on pensera à la première
vie s'étant manifestée, qui élucide leur présence à toutes deux, ou encore, plus en amont, à toute
matière physique ayant précédé et provoqué ladite première vie.
Cela étant, en quoi le fait qu'il y ait principe moteur commun déterminerait la rencontre
nécessaire ? Certaines patientes évoquant un papillon dans un cabinet ne voient pas surgir un papillon.
En outre, cette idée du « surgir » du scarabé dans quelque « environnement » proche est toute relative,
et n'est pas fondée dans la nature des choses : c'est dans l'environnement visible pour un humain doté
de cinq sens spécifiques que surgit le scarabé « convoqué ». Pour un être plus petit, ou doté de facultés
différentes, il se pourrait que le scarabé ne « surgisse » pas. Tout cela serait éminemment contingent,
arbitraire, et ne saurait être validé par quelque approche causaliste rigoureuse.
Néanmoins, la vie est la mesure de toutes choses, du moins pour elle-même : le « surgir » dans
cette perspective est attesté. En outre, la patiente évoquant le papillon ne voit peut-être pas autour
d'elle quelque micro-organisme relevant de l'espèce, en un sens : « papillon ». En outre, peut-être que
le thérapeute a tout simplement laissé la fenêtre fermée.
A dire vrai, lorsque nous avons une pensée, celle-ci n'émane pas de quelque pure intériorité
absolument close. Une pensée, sa formulation verbale ou interne, est l'expression de ce qui est perçu
de l'extérieur. Et il y a aussi des micro-perceptions, sans aller jusqu'à parler de quelque
« pressentiment » d'ailleurs. Une pensée souvent exprime des micro-perceptions, non accompagnées
d'aperception. Parce qu'elles sont non accompagnées d'aperception, la pensée paraîtra autonome,
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close. Mais il y a néanmoins perception, soyons-en sûrs. La patiente a « aperçu », en un sens
problématique, la présence à venir du scarabé (de même que le scarabé aurait été « convoqué », en
un certain sens).
De façon plus ésotérique, une double causalité physique, telle que l'entend un Philippe
Guillemant, par exemple, éluciderait de façon plus ou moins « rationnelle » la synchronicité à la Jung,
et l'apophénie corrélative (dès lors non psychotique, ni même relevant du « créatif », mais tout
simplement : « normale »). Au sein d'une circularité non fondée, l'avenir déterminerait le présent, et
réciproquement. Le surgissement à venir du scarabé doré détermine l'évocation présente du rêve du
scarabé d'or, et réciproquement donc. Il n'y a là plus d'avenir ni même de présent à vrai dire, mais une
seule actualité insécable (ce pourquoi il serait absurde de questionner sur « ce qui a commencé » ;
c'est le « il y a » qui est ici en perspective, le fait du surgissement comme cause de lui-même, éternel
et actuel).
Si un certain « futur » a déjà été éprouvé, dans une vie identique antérieure, dans le contexte
d’un éternel retour à l’identique de toute vie, cette double causalité, définissant une subtile intrication
entre la conscience et l’univers qui la contient, reçoit une interprétation nouvelle. Mais certes, pas
moins problématique, pour l’instant.
Quoi qu’il en soit, l'apophénie comme expression de micro-perceptions sans aperception
renvoyant à l'unité des êtres, et l'apophénie dans son lien à la double causalité, sont les deux versants,
complémentaires, qui nous feront comprendre de façon quelque peu « rationnelle » le fait de la
synchronicité. Fait qui n'est pas le trésor caché des artistes ou des fous, dès lors.
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Etre et percevoir
Nous pouvons réduire l'être à l'être-perçu, dans le contexte d'un idéalisme radical : "être, c'est
être perçu". Nous pouvons réduire l'être à l'être-perçu tout simplement parce que nous nous plaçons
du point de vue d'une existence vécue en première personne. Dans cette perspective, "ce qui est en
général" est : ce qui est pour moi, pour ma conscience. Dès lors, il ne saurait y avoir d'être
indépendamment de la conscience qui la saisit et qui s'éprouve présentement. De là, un problème se
pose : y a-t-il quelque chose là où je ne suis pas, là où je ne perçois pas ? Réponse : non, car je suis
ce par quoi l'être advient ; ma perception rend les choses existantes, "étantes". Peut-on dire d'une
chose qui n'est pas dans mon esprit, ou que je ne perçois pas, qu'elle est ? Non, car cette absence en
mon esprit implique l'absence tout court, l'absence de l'être. Seules les idées les perceptions, sont ce
qu'il y a de réel, d'étant, dans le monde : telle pourrait être notre position.
Dans ce cadre philosophique, il serait légitime de se demander si les manifestations physiques
précédant toute vie humaine "sont étantes" malgré tout, c'est-à-dire : malgré le fait qu'elles ne soient
pas perçues par une conscience humaine. Dans un premier temps, je serais tenté de dire non, en vertu
des principes exposés plus haut qui sont, dans leur contexte théorique, irréfutables. En effet, au
moment où se déroulent ces manifestations, puisque nulle conscience humaine ne les perçoit, elles ne
"sont" tout simplement pas. Qui pourrait dire que l'être n'est pas ce qui arrive par le seul biais d'une
conscience humaine, de ma conscience, dirais-je même, qui le présentifie ? Certes, on pourrait être
tenté d'envisager un être-en-soi des choses, un être qui se poserait de lui-même, par lui-même, sans
qu'une affection extérieure ne l'engage. Mais cela ne tient pas, tout comme le noumène kantien ne
tient pas : car l'être est une construction, une vue de l'esprit, et cet esprit, c'est le nôtre. N'oublions pas
que l'être est aussi, et peut-être même avant tout, la copule pour les logiciens, cela qui rend homogènes
entre eux le sujet et le prédicat dans un jugement - l'être est "l'unité de l'analogie" chez Aristote - et,
en tant que tel, l'être est un outil parmi d'autres qui nous permet de rendre signifiant le monde, de
signifier sa temporalisation, pour être plus précis. Pourrait-on dire d'une utilisation qu'elle "est" en
l'absence de tout utilisateur ? Nullement. De même, on ne pourra dire de l'être qu'il "est" en l'absence
de toute activité judicatrice, ou perceptive (ce qui est la même chose, puisque toute perception est un
jugement, thématisé ou non), c'est-à-dire : en l'absence de toute conscience humaine. Autre question
plus subtile, mais se résolvant de la même manière : peut-on dire d'un outil, et non plus d'une
utilisation, qu'il est, en l'absence de tout utilisateur ? D'un certain point de vue, oui : un marteau
abandonné reste un outil. Mais d'un autre point de vue, plus pertinent, non : s'il n'y a pas d'utilisateur
au moins en puissance, l'outil ne saurait avoir été fabriqué, ne saurait être. De la même manière, on
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ne pourra dire que l'être là-devant, étant en l'absence de tout témoin conscient, est de la sorte par lui-
même, en lui-même : le fait qu'il est dépend du fait qu'il a été signifié, à un moment donné, ou qu'il
s'inscrit dans une réalité où la significativité, via l'émergence de l'aventure humaine, est advenue.
Pour résumer, dans un langage typiquement heideggerien : c'est l'entente préontologique du sens de
"être" inscrite dans le Dasein, et seulement elle, qui fonde la possibilité de "l'étantité" ; i.e. : c'est dans
la mesure où une conscience humaine, en ce qu'elle produit des jugements et perçoit des choses qu'elle
juge ainsi implicitement, en ce qu'elle utilise de ce fait constamment la copule "être" et lui confère a
fortiori un sens, même vague, même confus, c'est dans cette mesure disais-je que l'être possède une
consistance.
Mais cette première approche n'est pas tout à fait satisfaisante. Car il est vrai que nous avons
une connaissance de ces manifestations physiques passées. Connaissance certes hypothétique, mais
appuyée sur des bases empiriques solides, et quasi-certaines. Nous sommes certains, par exemple,
que le soleil se levait et se couchait pareillement avant la venue de l'homme sur terre. Cela "est",
indubitablement. Mais en quel sens ? De quelle manière ? Là est la question que je vais m'employer
à élucider. Reprenons mon exemple. La certitude du jour et de la nuit terrestres avant l'homme doit
se baser sur des manifestations que l'homme a pu constater au moment où il est, où il vit. Elle est une
interprétation de signes actuellement saisis par une conscience humaine, signes censés renvoyer à un
passé jamais éprouvé par l'homme. Mais qu'est-ce à dire ? Le fait d'interpréter ces signes, de réitérer
fictivement un passé enfoui à jamais dans les limbes du jamais-perçu, est-ce une façon de ressusciter
ledit passé pour la conscience, de le rendre désormais tangible, perceptible ? Loin de là, vous le
reconnaîtrez. Le passé pré-humain n'est pas plus "étant" sous prétexte qu'il est postulé a posteriori.
Ce qui a surgi là, dans l'interprétation d'un signe, n'est pas le passé en lui-même, mais une conscience
présente de traces actuellement visibles faisant référence à un passé enfoui, passé dont la réelle
consistance, l'être authentique, c'est-à-dire l'être en tant qu'appréhendé par une conscience
temporalisante vécue hic et nunc en première personne, est à jamais insaisissable (?).
Mais allons plus loin. N'y a-t-il pas, au fond de ma conscience, au fond de cette fameuse
propension à faire surgir l'être, une partie de moi qui contient la présence réelle, non plus hypothétique
ou fictive, de ce jour et de cette nuit pré-humains ? Certes oui, mais pas de façon thématisée, pas sous
la forme de jugements, d'intellections, de réitérations. Et c'est là que la philosophie spinozienne peut
entrer en jeu. Présentons brièvement la dimension de cette philosophie qui nous intéresse. Spinoza
affirme, dans son Ethique, que se connaître soi, ses affects, la manière dont le monde nous affecte,
renvoie à la connaissance de la totalité de ce qui est, à la connaissance de la substance une et
indivisible qui enveloppe toute réalité, dans la mesure où chaque mode particulier de cette substance,
c'est-à-dire chacune des parties dont elle est composée, renvoie à toutes les autres en vertu d'une
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causalité stricte et nécessaire. Dans ce contexte théorique, on peut dire à bon droit que, lorsque je
perçois un arbre qui est là, devant moi, lorsque je le présentifie, le fais "être", d'une certaine manière,
lui aussi me fait être, en tant que nous appartenons tous deux à une totalité dont chaque élément est
causé par et cause chacun de tous les autres. Autrement dit, l'arbre est lui aussi, du moins
partiellement, détenteur de son être : parce qu'il me fait respirer, parce qu'il est, parmi d'autres étants,
quelque chose qui rend possible ma vie, et de là ma conscience qui pose l'être, ainsi cet être que je
pose est aussi un être qu'il pose. Dès lors, dans la foulée de cette illustration, on dira à bon droit que
la nuit et le jour pré-humains, d'une certaine manière, "habitent" actuellement ma conscience : en tant
que nous appartenons à la même substance, dont les imbrications constituent un va-et-vient constant,
cela même que je perçois chaque fois devant moi, et la manière dont je le perçois, dépendent aussi du
fait qu'ils se sont manifestés à un moment donné, et ce même si une telle manifestation n'est plus
visible aujourd'hui, ou encore : n'a jamais été et ne sera jamais perçue par un homme. Ainsi donc,
c'est dans cette mesure, et dans cette seule mesure, c'est-à-dire dans la perspective où le jour et la nuit
pré-humains sont des sortes de réalités éternellement agissantes déterminant d'une manière ou d'une
autre la vie qui nous traverse, que l'on peut parler d'une expérience authentique d'un passé pré-humain,
expérience qui relève de l'invisibilité de ce qui nous détermine, qui relève de l'invisible lien qui
rattache l'être, la conscience, à ce qui n'a pas la possibilité de poser l'être.
Il est très difficile de se représenter ce qu'implique ce complément spinoziste. Pour bien le
faire comprendre, tentons une expérience de pensée. Imaginons que, par quelque miracle
inexplicable, il n'y ait jamais rien eu que la nuit avant que les hommes et leur entente préontologique
du sens de « être » n'apparaissent sur terre. Les voici maintenant, percevant le monde, le jugeant,
"l'étantifiant". Cette perception, cette activité judicatrice, cette "étantisation", est bien habitée par cette
nuit immémoriale qui les précède, en vertu des principes que nous venons de poser : elle est là, dans
la façon dont l'homme fait être le monde, et en cela réside l'authenticité de cette nuit. Pourtant, les
hommes croient, de par les signes présents qu'ils ont interprétés, que nuit et jour alternaient avant leur
venue. Ils ont toutes les raisons de le croire, les preuves empiriques sont là. Mais qu'est-ce qui est le
plus réel ? Ces preuves empiriques, ces fictions ? Ou cette nuit millénaire qu'ils ignorent, et pourtant
qu'ils n'ignorent pas, puisqu'elle est là, présente à chaque instant dans leur manière d'appréhender
chaque chose ? La réponse est dans la question. Prenons une autre expérience de pensée, plus parlante
encore peut-être. Supposons que le jour et la nuit préhumains aient réellement eu lieu, chose
invérifiable, mais passons. Ils nous affectent donc encore aujourd'hui, ils sont là, invisibles, dans notre
façon de conscientiser les choses. Mais nous supposerons aussi qu'ils sont en plus de cela réitérés,
conscientisés, via les discours scientifiques, cosmologiques (interprétations des traces). Le problème
est : laquelle de ces deux "faces" de la conscience contient de la façon la plus authentique ces jour et
nuit pré-humains ? La première, assurément. Car la réitération intellective, qui intervient a posteriori,
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ne vient alors que rendre visualisable, représentable, ce qui est en notre fond le plus intime ; et cette
visualité, contingente et secondaire, surajoutée, c'est précisément le superficiel en soi, l'inauthentique.
Cet ajout spinozien est l'occasion de penser à nouveaux frais l'énigme du chat de Schrödinger.
Tout le monde connaît cette expérience de pensée, qui fournit une base objective, physique, au
phénoménalisme relativiste : le chat est dans sa boîte et a été contaminé ou non par le poison qui s'est
répandu en fonction d'un état atomique qui sur le plan quantique reste objectivement incertain : il est
et n'est pas tel à la fois, est véritablement à la fois mort et vivant tant que le contenu de la boîte n'est
pas perçu par un témoin extérieur, et devient l'un ou l'autre de façon assurée seulement lorsqu'il est
effectivement perçu. Ceci est un problème que l'on devrait pouvoir envisager selon une perspective
philosophique éclairante. De fait, en vertu de la conception spinoziste de la substance, toute chose
dite extérieure à moi est "présente" en moi : elle me cause, cause ma manière d'être affecté par le
monde. Le chat dans sa boîte, donc, mort ou vivant, détermine ma conscience à ce titre. Or,
actuellement, au moment où je ne perçois pas encore le contenu de la boîte, et où je ne sais si le chat
est mort ou vif, je dois bien reconnaître que mon état, mon être-affecté par le monde reste, quant à
lui, évident et certain : je suis tel : heureux, réfléchi, pensif, etc., et je ne doute pas qu'un autre état
qui est le mien soit possible, puisqu'il est, précisément, le mien. Le chat donc, qui loge dans cette
boîte et que je ne vois pas encore, même s'il n'est qu'une infime partie de la multitude passée et
présente qui me conditionne, me conditionne néanmoins d'une certaine manière, et doit donc lui aussi
posséder un état unique, la cause devant être homogène au causé. Cet état unique du chat, que je ne
réitère certes pas intellectuellement, que je ne visualise pas, je le suis, d'une certaine manière : je le
"connais" ; ici, le mot connaître est peut-être peu approprié, mais cette tension éclaire le fond intime
de la question.
Pour comprendre cette suggestion, tâchons d'expliciter la manière de concevoir l'"action à
distance" qu'elle postule, et aussi, par la suite, les implications d'une telle conception. Pour ce faire,
posons les catégories de "causalité" (linéarité, succession, déploiement, temporalité) et de
"communauté" (simultanéité, réciprocité, coexistence, spatialité). Précisons maintenant ceci : dans le
concept traditionnel d'action à distance est supposée une communauté, c'est-à-dire une relation qui se
fonderait sur la séparation préalable de deux localités distinctes (exemple : le chat d'un côté, et
l'observateur de l'autre), et c'est seulement sur la base de cette communauté que l'on pourra penser
une causalité à l'oeuvre. Or, dans le contexte que je viens de proposer, il est possible d'envisager cette
action à distance de façon nouvelle : elle ne serait plus fondamentalement une relation de
communauté, mais une relation de la pure succession, de la pure linéarité, qui viendrait seulement
dans un deuxième temps, inessentiel et contingent, se poser comme distinction spatiale, simultanée.
Expliquons-nous. Evoquons pour ce faire Bergson.
Bergson développe constamment le concept d'une évolution continuée, non fragmentée, d'un
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enrichissement progressif de l'entièrement nouveau : effet "boule de neige", ou "mélodie"
complexifiée progressivement, sans rupture, dans un même déploiement fusionné. Or, en vertu de
cette idée, on doit poser ceci, axiomatiquement : de fait, pour penser le surgissement du biologique à
partir d'un donné physique, pour penser l'apparition de la vie sur terre, il est nécessaire d'envisager
une première vie, totalement close sur elle-même, ne coexistant pas avec d'autres vies qui lui seraient
extérieures : il y a pure durée, pure linéarité de cette vie, pure intensité non passive, absolument
agissante. En effet, l'idée d'un continuum, analytiquement comprise, implique ceci : le surgissement
de l'absolument nouveau ne saurait être pensé comme surgissement de deux nouveautés simultanées,
car cela supposerait une spatialisation qui viendrait ici subvertir les principes de la détermination qui
veut se poser. Par exemple, si l'on pose, contradictoirement, cette proposition : "deux vies entièrement
nouvelles surgissent simultanément sur terre", cela signifie ceci : il existe un instant t qui comprend
cette "simultanéité entièrement nouvelle" que nous postulons, instant en lequel ont donc été isolées
et juxtaposées idéalement deux intensités distinctes. Or, il apparaît très vite qu'une telle simultanéité
nous entraîne, en vertu même des principes de cette approche rationnelle, vers une absurdité : vers
une régression à l'infini. Car ces deux "premières vies" simultanées, juxtaposées, devront être définies
via l'idée d'un instant, d'un présent, qui se fragmente à l'infini, sans que cette fragmentation constante
ne puisse trouver un arrêt, une résolution finale. Au nom du principe de continuum, nous admettrons
nécessairement l'axiome suivant : "une première vie surgit sur terre". Sur cette base, prenons cette
première vie dans son écoulement. Entre le temps t = "surgissement de cette première vie", et le temps
t' = "apparition d'une autre vie qui vient coexister avec cette première vie", ainsi donc, comme cela
se comprend de soi-même, nous avons affaire à une pure succession, à une pure linéarité, à une pure
intensité non accompagnée d'une intensité analogue avec laquelle elle aurait une certaine relation.
Autrement dit, dans cet intervalle, elle est prise dans une relation avec elle seule, elle n'est pas
"affectée" de l'extérieur, mais elle s'auto-affecte, continuellement, le physique pré-donné étant pour
sa part certes conditionnant, mais à la manière d'une condition hétérogène, qui dès lors n'imprime pas
sa "marque" de façon essentielle sur cette intensité qui s'auto-affecte. Si donc l'on reprend la
distinction proposée plus haut entre la communauté et la causalité, on pourra affirmer dès lors, à bon
droit ceci : la vie qui surgit renvoie fondamentalement, originellement, en tant qu'elle est
nécessairement "une première vie", ou encore "cette seule vie", à une causalité exclusivement linéaire,
elle n'est pas dès lors, du moins pour un temps, "communauté", relation spatiale, co-existence,
"présence à". On peut d'ailleurs noter, en passant, qu'il y a ici une distinction à faire entre le "présent
" et "l'actuel", le présent devant être pensé analytiquement comme "présence à" une altérité analogue,
et l'actuel comme pure intensité auto-référentielle.
Sur ces bases théoriques, reprenons le chat et l'observateur. Pour ce faire, prenons les choses
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une à une :
1) Le chat, tel qu'il se trouve dans sa boîte close et dont le contenu n'est pas encore perçu par
l'observateur, peut vivre si et seulement si la première vie s'est posée avant lui, comme cela se
comprend de soi-même.
2) De la même manière, l'observateur, effectivement vivant, peut vivre si et seulement si la première
vie s'est posée avant lui, comme il va également de soi.
3) Or, la première vie en question, comme nous l'avons admis, est d'abord et avant tout pure intensité,
pure succession, pure auto-affection ne coexistant pas avec une autre vie analogue, la relation spatiale
avec d'autres intensités analogues étant quant à elle secondaire, surajoutée, partant inessentielle.
4) Par ailleurs, cette première vie continue à s'affirmer, à se poser, d'une certaine manière, au sein de
la vie du chat, encore incertaine pour l'observateur, et au sein de la vie de l'observateur, certaine pour
lui-même.
5) Plus précisément, ce chat et cet observateur, s'ils vivent, expriment en quelque sorte la puissance
de cette première vie, sa puissance de se poser, en ce qu'ils représentent aujourd'hui sa perpétuation,
sa continuation, son déploiement, son aptitude future à se complexifier.
6) Ainsi donc, ce chat et cet observateur, s'ils vivent, doivent trouver, d'une certaine éminente
manière, la façon véritable dont se manifeste leur vie, dans la façon dont la première vie qui les a
rendus possibles se manifeste. Autrement dit, chacun est, soi-même, pure intensité, pure linéarité,
pure succession, et ce essentiellement, originellement, et ce n'est que secondairement,
inessentiellement, qu'il est pris dans une coexistence, dans une relation spatiale à une intensité autre
analogue, dans une "présence à" au sens fort.
7) Mais nous supposons pourtant que ce chat et cet observateur sont bien distincts spatialement, et
dès lors notre proposition est contre-intuitive, car il doit bien exister une relation de communauté
entre ces deux pôles simultanés (et d'ailleurs nous avons apparemment implicitement admis cette
relation dans l'apport spinozien proposé plus haut).
8) C'est précisément dans ce paradoxe que se trouve la clef de ce que nous voulons élucider. En effet,
intrinsèquement, essentiellement, ce chat et cet observateur pris ensemble ne sont pas dans une
relation de communauté, de coexistence spatiale, mais ils constituent en fait une même réalité qui est
prise dans une relation à elle-même, dans une relation renvoyant à la seule succession, à une intensité
pure autoréférentielle, à une auto-affection sans altérité.
9) Déployons cette dernière proposition pour qu'elle soit clairement entendue :
a) Le chat étant mort (par hypothèse) et l'observateur étant vivant, ces deux pôles n'expriment pas
moins une seule intensité purement linéaire, ladite "première vie", et dès lors, on dira à bon droit
qu'ils s'expriment eux-mêmes l'un et l'autre mutuellement au sein de cette intensité linéaire.
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Autrement dit, le fait du chat mort, l'événement de son trépas, se manifeste actuellement dans le fait
que l'observateur soit vivant d'une certaine manière, et réciproquement.
b) Le chat étant vivant (par hypothèse) et l'observateur étant vivant, ces deux pôles, de même,
expriment également la pure succession de ladite "première vie", et de même s'expriment
mutuellement. Le fait que le chat soit vivant d'une certaine manière se manifeste dans le fait que
l'observateur soit vivant d'une certaine manière.
c) L'incertitude posée par Schrödinger dans le contexte de la physique quantique se dépasse donc
comme suit : l'événement du trépas du chat et le fait que le chat soit vivant d'une certaine manière
étant pris en même temps, ils doivent donc, en même temps, s'exprimer dans le fait que l'observateur
soit vivant d'une certaine manière. Or cette certaine manière dont l'observateur vit actuellement est
pour lui certaine, sur le mode intuitif entièrement, et sur le mode thématique partiellement ; i.e. : mon
état est ressenti dans sa pleine clarté, quand bien même je ne suis pas capable de mettre en mots toutes
les composantes de cet état.
d) Ainsi, sur un mode intuitif très partiellement dicible (état ressenti), il ne peut y avoir d'incertitude
concernant le fait que le chat dans la boîte soit mort ou vivant, d'une certaine manière, il est
appréhendé. Sur le plan thématique, certes, l'état de l'observateur n'est pas certain, et c'est ainsi qu'il
n'élucide pas complètement cet état sur le mode qu'il privilégie, ce pourquoi il dira que l'état en
question du chat n'est en fait pas exposable.
e) Or, nous l'avons vu plus haut, le plan thématique, ou spatialisant (c'est la même chose), postule
précisément la possibilité du surgissement de deux vies coexistantes, se trouvant ainsi en désaccord
avec sa propre logique (régression à l'infini). Par cette confusion, il occulte donc le fait que ce chat et
lui-même, en leurs états respectifs, expriment en dernière analyse, intrinsèquement, la même pure
intensité auto-affectée, qu'ils se révèlent l'un et l'autre, d'un point de vue purement déterministe. Cette
confusion-occultation qui pose l'incertitude de la mort ou de la vie du chat ne saurait donc prétendre
à la clarté, à l'adéquation, et elle doit être réinfléchie par l'approche intuitive, non-thématique, qui elle
"affirme" la certitude de l'événement du trépas du chat lorsque celui-ci advient effectivement, et la
certitude de sa vie et de la manière dont cette vie se manifeste lorsque celle-ci se déploie
effectivement.
f) Mais ce point de vue thématique et spatialisant confus et occultant, que l'on vient de séparer
abstraitement, par souci de clarté, du point de vue intuitif, ne doit pas, dans la perspective d'une
existence humaine vécue en première personne, vécue en chair et en os, être coupé radicalement de
ladite intuition. En effet, en un certain sens, lorsque je produis des jugements, lorsque je focalise, via
ces jugements, mon attention sur tel ou tel aspect de la manière dont j'éprouve des intensités actuelles,
lorsque donc j'introduis des "négatités" (Sartre), des négations au coeur de ma complexité sentie, en
ce que je ne fais pas honneur, en ce que je ne puis faire honneur à chaque élément de cette complexité
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(je les nie), je ne suis pas réellement coupé de cela qui reste dans l'ombre. Prenons un exemple. Je dis
ceci : ce chat est là, devant moi. Lorsque je "prends" donc ce chat pour le poser dans un jugement, il
semble que je ne pose pas toutes les autres intensités qui sont les miennes, celles qui renvoient à
d'autres choses (la table qui est à côté, le sol sur lequel je me trouve, etc. indéfiniment), à d'autres
personnes (mon ami Pierre qui est à côté de moi, ma mère qui est souffrante, dans son lit, mon grand-
père qui est mort l'année dernière, etc., indéfiniment), et à d'autres affections (le souvenir de mon
premier baiser, le souhait de finir le texte que je suis en train d'écrire, mon désir de ne plus avoir mal
au ventre, etc., indéfiniment). Mais en réalité, cette "prise" dans un jugement contient toutes ces
intensités, à titre latent. Car le fait-même que je choisisse de thématiser ce chat, ici et maintenant,
l'acte que constitue ce choix, en vertu d'un strict déterminisme, dépend de toutes ces intensités vécues
par le passé, vécues maintenant, ou tendues vers l'avenir, qui se manifestent dans mon intensité
actuelle. Pour le dire plus abstraitement : la focalisation judicatrice, la détermination qui nie,
l'attention qui se concentre sur un élément donné, demeurent, en dernière analyse, renvoi à une
ouverture sur une pluralité intensive indéfinie. Elles sont un point de vue, mais un point de vue
entendu au sens où tout point de vue, tout découpage, tout acte de dessiner des contours, de poser un
être ou une chose au détriment apparent des autres, en tant qu'ils constituent une « fenêtre »,
métaphoriquement parlant, sur l'intensif complexe, expriment la totalité du "mur", sur lequel cette
fenêtre s'insère. Lorsque je regarde les gens dans la rue, à travers ma fenêtre, ai-je pour autant oublié
que je me trouvais dans les murs de ma maison ? Nullement. De même, l'observateur, tandis qu'il
juge d'une incertitude "objective" face à l'invisibilité "objective" de tel chat, ne peut avoir oublié que
cette incertitude ne peut en être une. L'occultation-confusion du thématique disparaît ainsi d'elle-
même.
g) Le scientifique, donc, qui affirme l'impossibilité de "connaître" avec certitude le fait de la mort ou
de la vie du chat encore inaperçu qui est dans sa boîte, en tant que ce jugement est un choix qui dérive
de toute la complexité intensive actuelle qu'il est, complexité qui de son côté, comme on l'a vu, pose
une certitude concernant ce fait, affirme en fait le contraire de ce qui est dit dans son dire. Et ce
contraire, qui ne saurait être contradictoire, se résout de lui-même.
h) En dernière instance, donc, si le fait de la vie ou de la mort du chat n’est plus incertain, et si ce fait
traduit adéquatement la disposition d’un état quantique dont il dépend, alors cet état quantique,
théoriquement, n’est lui-même plus incertain, même si la boîte reste close.
Résumons-nous. Mettons en scène notre cheminement d'ensemble en ce qu'il relèverait d'une
prise de conscience. On supposera un locuteur imaginaire qui se parle à lui-même dans un discours
intérieur qui reviendrait sur sa démarche :
"Oui, certainement, être c'est être perçu, mais le perçu lui-même, ce qu'il s'agit d'"étantiser", en ce
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qu'il conditionne le vivant qui perçoit d'une manière ou d'une autre, pose aussi, d'une façon
déterminée, son être. Toutefois, je crains de m'être fourvoyé depuis le départ. Je me suis oublié dans
la régression ontique. Non, trois fois non, être ce n'est pas être perçu, c'est : percevoir. Certes, être
"étant", c'est être perçu, mais "être", "être tout court", c'est : percevoir. Une philosophie qui se
positionne réellement en première personne doit se garder d'être la victime de la "réverbération
ontologique" : elle ne doit pas partir du monde, dudit "perçu", pour ensuite tenter d'élucider l'être de
la conscience à partir de là. C'est de l'intensité actuelle qu'il faut partir, et non de l'être là-devant.
L'être là-devant est "étant", il n'"est" pas : il est "ce qui est" tel ou tel, il n'est pas "le fait d'être" tel
qu'il est d'une certaine "manière". Les choses qui sont perçues demeurent dans une spatialité figée,
atemporelle : elles possèdent des propriétés fixes, il suffit de faire l'inventaire de leurs prédicats
analytiques pour les recenser et les saisir dans leur vérité : vérité toute logicienne, scolaire, technique,
statique. Tel est l'étant, tel n'est pas l'être. L'être est temporalisé, il est un percevoir qui se déploie, qui
se dévoile progressivement au fil de sa progression. Mais là encore je m'égare. Car, de là, de cette
position, la conscience intensive actuelle contamine toutes choses qu'elle perçoit, qui sont à leur tour
prises dans un dévoilement progressif : elles perdent leur fixité. Mais ce passage du perçu au
percevoir, cette dénonciation de la "réverbération ontologique", c'est après tout ce que voulait
suggérer mon petit complément spinozien-bergsonien... Toute la question posée par l'arbre
heideggérien (Qu'appelle-t-on penser ?), arbre qui se présente plus qu'il n'est présenté par ou
représenté dans ma conscience, est condensée dans ce petit complément spinozien-bergsonien. En
outre, à la lumière de ce complément, je devrais ajouter ceci, comme visant Heidegger lui-même : cet
arbre qui se présente à moi, qui pose aussi son être, n'est-ce pas, en dernière analyse, moi-même tel
que je m'auto-affecte dans la durée pure dépourvue d'altérité spatialement appréhendée, dès lors ce
perçu n'est-il pas lui-même un percevoir, et moi-même ne suis-je pas perçu par un percevoir qui me
fonde ? Mais je suis confus. Car qui parle ici ? En voilà assez !"
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La partie et le tout
« Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et
toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes,
je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout non plus que de connaître le tout
sans connaître particulièrement les parties. »
Pascal, Pensées
Pour identifier la causalité d'un événement quel qu'il soit, nous aurons d'abord tendance à
prendre en compte les phénomènes qui sont à proximité de l'événement en question. Le comportement
d'un corps donné sera ainsi expliqué par l'action de certaines forces dont les manifestations sont
observables dans le cadre d'un champ spatial et temporel limité. Il serait ainsi relativement absurde
de tenter d'expliquer la chute d'un solide terrestre en prenant en considération tel atome situé à des
années-lumière de notre galaxie, ou s'étant manifesté plusieurs milliards d'années auparavant.
Pourtant, est-ce à dire que cet atome, dans l'un ou dans l'autre cas, ne détermine pas, au moins
de façon infime, la manière dont la chute dudit solide se déroule ? Loin de là. L'explication de
n'importe quel événement se produisant ou s'étant produit nécessite en droit la prise en compte de
tout ce qui existe et a existé dans l'univers avant lui, au sein d'une immensité spatiale et temporelle
illimitée. D'une façon ou d'une autre, tel atome situé sur mars cause présentement la manière dont tel
corps terrestre actuel se meut. D'une façon ou d'une autre, tel objet disparu il y a plusieurs milliards
d'années agit partiellement sur l'état d'un corps présent déterminé. Ces deux propositions découlent
du simple fait que l'espace, analytiquement compris, est un espace ouvert, et que le temps,
analytiquement compris, est un temps continu.
Ceci doit nous indiquer qu'il ne saurait y avoir jamais d'explication totale d'un phénomène
quel qu'il soit, et que toute science est de fait lacunaire et imparfaite. Pour expliquer un phénomène
déterminé, on choisira donc de sélectionner les données significatives et, surtout, disponibles. La
précision des explications ou prévisions sera fonction de cette sélection. Au plus le champ temporel
et spatial enveloppant les phénomènes déterminants s'élargira, au plus les résultats seront précis. Mais
la causalité totale nous échappera forcément, comme cela se comprend de soi-même. Nous n'aurons
jamais affaire qu'à des causalités partielles, et puisque la sélection elle-même ne sera jamais
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qu'arbitraire et contingente, limitée par une humaine condition, nous assisterons à la constitution d'une
sorte de fable, certes dissimulée par un esprit de sérieux malvenu.
Selon une conviction peu fondée en raison, c'est le visible environnant qui doit pouvoir
expliquer le visible présent là-devant. Remonter trop loin dans le temps, ou s'aventurer trop loin dans
l'espace pour rendre compte de ce qui est là-devant, ce serait ainsi se perdre dans la non-significativité,
peut-être même dans le délire. Pourtant, le délire, c'est plutôt de penser que l'action de la matière sur
elle-même serait soumise à des bornes temporelles ou spatiales faites à la mesure de la faculté
perceptive et intellectuelle de l'humain, ou de sa technologie. En droit, l'état d'un atome situé sur mars
cause d'une certaine manière l'état présent de mon système nerveux (et réciproquement, d'ailleurs).
Mais qui se soucie de cette action à distance ? Le neurologue sera bien plus soucieux des substances
environnant mon corps, éventuellement ingérées par lui. De ce fait, il produit une science, dont les
résultats sont d'ailleurs certains. Mais de toute façon, ces résultats ne peuvent qu'être certains,
puisqu'ils sont validés avec le même point de vue limité qui a permis leur élaboration.
La fermeture de la perspective que nous évoquons ici est très certainement en rapport avec
une conception simplificatrice de la causalité, qu'il faut maintenant appréhender. Il s'agit d'une
causalité qui serait essentiellement unilinéaire, distinguant un causant et un causé, sans possibilité
d'inverser les rôles. Prenons n'importe quel phénomène matériel déterminé qu'il s'agirait d'expliquer
en détail. Au premier stade de l'explication, et de façon à peine consciente, il s'agit pour l'observateur
de considérer qu'un tel phénomène est comme privé de toute sa capacité d'affecter positivement le
monde, d'imprimer une force sur quelque objet du monde. Il est uniquement déterminé, et non
déterminant. Il est causé, et non causant. Il est mû, et non mouvant. Cette passivité de principe du
phénomène observé le prive ainsi de ce que l'on pourrait appeler son "rayonnement".
Avant de poursuivre, expliquons brièvement cette idée de rayonnement. Un phénomène, quel
qu'il soit, possède un rayonnement en droit infini. Tout ce qui existe, aussi infime, aussi éphémère
soit-il, imprime une force qui se propage dans la totalité de l'univers et qui se prolonge éternellement.
Ceci aura été, pourra-t-on dire, et ainsi, le fait même que ceci ait occupé un espace, qu'il ait diffusé
une certaine quantité d'énergie pour une durée certaine, implique une configuration et une intensité
déterminées, attestant de sa présence, pour tout ce qui est, et pour chaque être contenu dans ce tout.
L'observateur qui veut expliquer un phénomène le mutile d'abord, le plus souvent : il occulte,
plus ou moins délibérément, son rayonnement. Ainsi, ce que peut un corps, sa capacité à diffuser une
énergie de façon illimitée, au sein d'un espace ouvert et au cours d'un temps continu, cela ne le
concerne pas. Ce corps doit être perçu par lui comme n'agissant point. Il est comme recroquevillé sur
lui-même, assailli de toutes parts. L'objet visé ayant donc été, pour ainsi dire, "neutralisé", il ne reste
plus qu'à identifier les forces qui agissent sur lui. Et alors elles peuvent toutes converger vers lui,
comme aimantées à un seul centre fixe et immobile. Cet objet peut agir comme point de repère à
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partir duquel un environnement significatif sera finalement défini.
Supposons qu'il ne s'agisse pas d'abord d'expliquer un phénomène, d'identifier ce qui le cause,
d'envisager sa pure passivité, mais de rendre compte de sa puissance, de sa force, de sa capacité
d'affecter ce qui est, de la façon la plus précise et la plus complète possible. Serons-nous alors tentés
à un moment donné de nous arrêter dans notre investigation, de définir des bornes spatiales ou
temporelles pour une telle appréhension ? Rien n'est moins sûr. Car nous n'avons plus affaire ici à la
tendance centripète induite par l'observation de qui veut expliquer. Nous avons affaire à une tendance
centrifuge, qui détermine un mouvement se prolongeant indéfiniment dans l'immensité spatio-
temporelle. Certes, il faudra bien s'arrêter à un moment donné au cours de cette investigation visant
la puissance de l'objet, car nos perceptions restent limitées. Mais le caractère contingent de la
limitation apparaîtra alors, et l'infinité en droit du procès également.
On pourrait dire toutefois que l'explication en elle-même n'indique en fait peut-être pas une
limitation arbitraire de principe. La tendance centripète explicative peut tout aussi bien s'ouvrir à
l'immensité spatiale et temporelle. Un phénomène passif et déterminé peut très bien être conçu comme
étant déterminé par tout ce qui est et fut dans l'univers. On ne comprendrait donc toujours guère en
quoi une conception unilinéaire de la causalité impliquerait une fermeture de la perspective. Pourtant,
le fait même de se focaliser sur l'être-déterminé d'une chose, c'est en soi fermer la perspective. L'idée
d'une détermination multiple mais à chaque fois unilinéaire implique celle d'enveloppement. Ce qui
enveloppe doit être borné, par définition, ceci possède une enveloppe, des contours déterminés. Au
sein d'un espace illimité, ce qui enveloppe discrimine donc : ce qui sera hors enveloppe est le non-
significatif. Ainsi certaines bornes contingentes, déterminées par une limitation humaine, trop
humaine, trouveront un fondement logique, quoique fragile. L'explication, la causalité unilinéaire,
ferment la perspective : par elle, ce qui est visible là-devant sera élucidé par un environnant donné
dont les contours ne sont pas fonction d'une nécessité fondée sur les choses mêmes.
Il serait intéressant de constituer une méthode dont le point de départ serait la puissance
d'affecter de la chose. De ce fait, l'ouverture de l'espace et la continuité du temps seraient posées.
L'action de la chose affirmerait son prolongement indéfini, précisément en tant qu'action. Sa passivité
à son tour, cela serait reconnu, exclurait l'idée même d'une non-significativité de tels ou tels étants
lointains, puisque cette passivité ne serait comprise que conjointement à ladite activité indéfiniment
prolongée. Cela ouvrirait, au sens strict, la perspective. Une causalité circulaire serait développée
systématiquement, élucidant les rapports de toutes les choses entre elles, des plus proches, des plus
semblables, aux plus lointaines et aux plus différentes.
Un tel programme de travail réjouirait un certain démon laplacien. Et encore, est-ce seulement
suffisant ?
23
Tout est un
Une certaine interprétation du continuum bergsonien, associée à un hégélianisme remanié,
devrait nous permettre de penser le devenir des divers secteurs de l’étant.
Le continuum bergsonien, en toute cohérence, implique l’unité de tout ce qui est. L’univers
chez Bergson, conçu comme tout, est comparable au vivant en tant qu’individu : il est évolution
créatrice, surgissement continuel de l’absolument nouveau. L’univers comme tout, donc, avec
Bergson, pourrait bien lui aussi posséder quelque durée pure qui est le propre des données immédiates
profondes de la conscience humaine. L’univers pourrait bien renvoyer à une durée non spatialisable,
non homogène, à une multiplicité qualitative comparable à une mélodie musicale, en laquelle chaque
temps pénètre tous les autres sans que l’on puisse opérer des distinctions tranchées. L’univers,
temporellement parlant, pourrait bien être inquantifiable (la physique mathématique étant dès lors
apparemment une erreur en soi, car étant incapable de penser ladite évolution créatrice physique).
Une conséquence d’un tel continuum physique qualitatif est la suivante : si l’on veut penser
quelque « surgissement » de la matière, alors nécessairement, c’est une seule première matière qui
surgira. En effet, au sein d’un continuum qualitatif, deux matières distinctes ne peuvent surgir
simultanément. Car pour penser cette simultanéité il faudrait penser ces deux matières distinctes au
sein d’un instant t qui serait une sorte d’atome temporel. Mais pour saisir le « moment » de la
simultanéité, on est entraîné vers une régression à l’infini. La simultanéité pose une durée simultanée,
c’est-à-dire un intervalle de temps en lequel deux étants se manifestent simultanément. Mais il y a là
contradiction : tout intervalle contredit l’idée de simultanéité, car il n’est pas instantané. On divisera
ainsi davantage le pseudo-atome temporel pour parvenir à ladite simultanéité. Mais encore on
tombera sur un intervalle. On cherche l'instant t, mais on ne tombe jamais que sur l'intervalle entre
quelque t et quelque t', et ce à l'infini. Une physique rigoureuse, c'est-à-dire ne sombrant pas dans
l'aberration logique de la régression à l'infini, pose une première matière surgissante. La physique
d'aujourd'hui parle d'ailleurs de singularité initiale de l'univers, conformément à ce point de vue. Là
où elle pèche, c'est dans le fait de ne pas voir que le fait de poser cette singularité initiale, ou le
continuum bergsonien étendu à la physique, implique l'invalidation de toute mathématisation, de toute
spatialisation du temps physique, de toute saisie de la durée du tout physique comme mouvement
réduit à quelques intervalles juxtaposés (ou encore : il faudrait penser, si cela est possible, une
mathématique de la physique qui serait qualitative, un nombre pensant le mouvement comme
mouvement, et non comme intervalle au sein duquel sont juxtaposées des simultanéités).
La singularité initiale de l'univers signifie que tout est un. Car c'est non seulement dans
l'évanouissement, mais aussi et surtout dans le surgissement, que l'être d'un phénomène est donné.
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Cette unité initiale du tout signifie que sa pluralisation, son effectuation, sa division, sa sortie hors de
soi, sa segmentation, son expansion, son devenir-autre-que-l'unité, est une façon de confirmer l'unité
de départ, de devenir-un-dans-le-pluriel, de devenir-soi dans le devenir-autre-à-soi, de se contracter
dans le mouvement même d'explosion surgissante.
S'il y avait deux matières initiales surgissantes, il n'y aurait pas de réunion possible du tout. Il
y aurait une division à l'infini, une pure expansion sans force de rassemblement, une explosion
indéfinie se décentrant toujours plus, asymptotiquement, une pure linéarité toujours plus complexifiée
désespérante, un progrès sans retour dans soi, sans réflexion dans soi, sans sursomption (Aufhebung).
Mais en toute logique, selon une logique qualitative, il y a une seule première matière, une singularité
initiale, et donc il y a devenir-unité indéfini, effet de spirale, progrès comprenant un retour en soi,
sursomption.
Si tout est un, alors la logique qualitative qui règle la physique est aussi la logique du vivant,
de l'histoire humaine, et de l'existence humaine individuelle. Hegel lui-même avait eu cette intuition.
Tâchons de retravailler sur cette intuition, avec donc pour fil directeur l'idée d'un continuum
bergsonien.
I Extension du continuum bergsonien au champ physique
La loi de la gravité suffit à énoncer ce qu'il s'agit d'énoncer. Une planète gravite autour du
soleil. Elle « tombe » vers le soleil, et simultanément, à l'intérieur d'un champ gravitationnel de forces,
elle « fuit » le soleil. Par une compensation des forces, il s'avère que la planète « tourne » finalement
autour du soleil. Il y a là, à la fois contraction (chute) et expansion (fuite), et, finalement : ajustement
(révolution). Au fil de son effectuation, de sa pluralisation, la planète tend à s'éloigner toujours plus
de ce autour de quoi elle gravite. Mais une force de contraction, un devenir-unité-de-soi, un repli sur
soi sursumant, tend à assurer le maintien d'une trajectoire elliptique.
A l'échelle du tout de l'univers, lequel univers est un individu singulier comparable au tout du
vivant, ou au tout d'un individu conscient, il y a bien explosion et implosion simultanées, devenir-
ajustement, devenir-un de l'unité initiale dans son mouvement même d'expansion et de
complexification (surgissement-évanouissement, en une seule fois, toujours déjà, actuellement et de
toute éternité).
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II Extension du continuum bergsonien au champ biologique.
Nécessairement il y a une première vie. La vie au fil de sa particularisation, de sa pluralisation,
de son expansion, de sa complexification, de sa spéciation, est aussi devenir-centre, concentration,
spécification, réflexion dans soi. Une bactérie donnée engendre une grande variété d'individus. Ces
individus se séparent eux-mêmes toujours davantage, au sein d'espèces différenciées. Mais chaque
espèce tend à confirmer toujours davantage son être-espèce, tend à préciser ses contours, au fil de la
sélection naturelle. Dès lors, la spécification de chaque espèce apparaît comme une manière de
confirmer la singularité initiale de la première vie, de rejoindre l'unité primordiale, et de s'identifier
au tout du vivant, par-delà les différences qui sont toujours plus, paradoxalement, précisées quoique
dissoutes par ce fait même.
III Extension du continuum bergsonien au champ historique
L'histoire commence avec l'écriture. L'esprit des peuples se saisit dans l'extériorité d'un signe
tracé, et dans cette reconnaissance d'une effectuation de soi par soi, dans cette expansion re-saisie,
dans cette aliénation sursumée, plus conséquente encore que l'aliénation liée à l'apparition du mot
parlé, lequel n'est pas encore « objet » ou « chose » visible et palpable, dans ce devenir-autre-à-soi
dépassé et conservé, donc, l'unité initiale historique comme conscience reflétante-reflétée surgit.
Cette unité dédoublée dans soi se pluralise, se déchire, durant les conflits ou guerres : ici, le signe
comme « objet » a priori re-saisi est réifié, il est aboli comme signifié, il n'est plus que pur signifiant.
La parole diplomatique est dès lors supprimée elle-même. Il y a donc bien aliénation de l'aliénation
sursumée singulière initiale, soit retour à l'unité physique ou biologique pure initiale (destruction,
déchaînement de la violence brute). L'humanité se retrouve « elle-même », avant l'humanité, dans son
identité à la matière sans conscience. Elle découvre par là sa spécificité d'humanité qui est l'être-aliéné
sursumé, qui est la matière physique ou biologique sursumée et dédoublée, précisément en niant ce
dédoublement via la violence déchaînée (lutte des classe, des « races », des religions, des peuples,
des hommes et des femmes) : c'est lorsqu'une réalité est temporairement détruite que son existence
est attestée pour soi.
Le conflit a une vertu « positive », par-delà l'horreur impardonnable, inqualifiable, du désastre
qu'il cause : l'humain se connaît lui-même, car ce qu'il est lui-même (l'écrit) a été aboli : il éprouve sa
singularité dédoublée, et sursumant le dédoublement, face à son abolition. Le devenir-unité de
l'histoire humaine se calque néanmoins sur celui du physique et du biologique : les conflits, le
devenir-autre-à-soi, sont aussi une concentration, un retour sur soi, une expérience par laquelle la
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conscience d'une unité de l'humain s'avère (ainsi, après la deuxième guerre mondiale apparaît un droit
international écrit posant la notion de crime contre l'humanité). Mais l'humain historique est unité
dédoublée, à sursumer indéfiniment, déchirure constante : le devenir-unité est, soit suicide désespéré,
évanouissement sans rassemblement, soit paix perpétuelle. Rien n'est déterminé à l'avance, par-delà
les déterminismes physiques et biologiques. C'est l'écrit comme déchirure, et sa négation, la guerre,
la déchirure déchirée, qui façonnent cette liberté terrifiante.
Aujourd'hui, au XXIème siècle, « notre héritage n'est précédé d'aucun testament » (René
Char). Les traces du passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres. Le signe n'est
plus que « communication », et non transmission d'un héritage mondain solide. Le conflit est
spectaculaire, la violence est essentiellement symbolique et psychique (chez « nous » du moins).
Dans le meilleur des cas, nous ne percevons plus que la beauté, par exemple, de la Résistance, mais
non les mots qui l'accompagnent : car ces résistants n'ont pas su les dire, ou nous n'avons pas les
oreilles pour les entendre. Cela étant, nous sommes dès lors capables de dépasser toute téléologie
hégélienne pernicieuse et potentiellement totalitaire, par le fait même de notre déroute.
Cette parabole de Kafka s'adresse à nous, et nous avons à la résoudre pour avancer et ne pas
périr sous peu : « Il y a deux antagonistes : le premier le pousse de derrière, depuis l'origine. Le second
barre la route devant lui. Il se bat avec les deux. Certes, le premier le soutient dans son combat contre
le second car il veut le pousser en avant et de même le second le pousse en arrière. Mais il n'en est
ainsi que théoriquement. Car il n'y a pas seulement les deux antagonistes en présence mais aussi,
encore lui-même, et qui connaît réellement ses intentions ? Son rêve, cependant, est qu'une fois, dans
un moment d'inadvertance - et il y faudrait assurément une nuit plus sombre qu'il n'y en eut jamais –
il quitte d'un saut la ligne de combat et soit élevé, à cause de son expérience du combat, à la position
d'arbitre sur ses antagonistes dans leur combat l'un contre l'autre » (HE).
La force qui pousse de derrière, le passé, est le principe du surgissement : le biologique comme
absolue nouveauté au sein de l'éternité physique. La force qui barre la route, le futur, est la physicalité,
dont l'éternité signifie notre finitude ; elle est le principe de l'évanouissement, la force qui « inscrit »
sur la pierre tombale du dernier homme : « rien de ce qui est humain ne m'est étranger ». Si nous
comprenons que ces deux sphères, qui sont pour l'instant deux modalités temporelles différentes pour
nous, mais non en soi, sont prises dans le même devenir-un (celui de la matière en général), alors
nous pourrons nous ménager un espace au sein de la brèche en laquelle nous tentons de lutter, plutôt
que de vouloir quitter le champ de bataille (ce fait de fuir étant idéalisme, lâcheté, nihilisme, négation
de l'existence et de l'être ; cf. Hegel, et un certain marxisme). Nous ne serons plus l'élément
perturbateur créant une scission temporelle, car les deux modalités du temps que notre existence
oppose seront réunifiées dans leur devenir-synthèse, précisément. C'est finalement la durée pure, le
continuum bergsonien, qui sera la loi de tout ce qui est (joie, non-scission). Nous aurons su « lire »
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l'héritage sans testament. Nous aurons su lire ces mots : Celui qui a épousé la Résistance a découvert
sa vérité.
Les peuples humains à travers l'histoire se pluralisent toujours davantage : mœurs de plus en
plus diverses, communautés de plus en plus nombreuses, croyances de plus en plus variées. Mais en
même temps, chaque groupe en particulier tend à confirmer ses caractères propres spécifiques, à se
centrer. Cette sur-spécification est une façon de rejoindre le tout-un de l'humain. Toute communauté
développe toujours plus à fond ses différences propres, et dès lors rend toujours plus possible la
rencontre avec d'autres communautés. Dans le réseau en question, le devenir-centre correspond à la
multiplication des embranchements reliant les points mis en réseau.
Des groupes d'hommes fanatiques ou violents n'ont pas développé à fond la spécification de
leur communauté (ainsi des fanatiques musulmans, des intégristes chrétiens, ou des « sionistes »
ultranationalistes, qui ne savent pas lire les textes sacrés). Mais ces hommes pourtant, éventuellement,
dévoilent l'humain déchiré à lui-même, et signifient une volonté de sursomption (volonté peut-être
jamais satisfaite néanmoins).
IV Le continuum bergsonien dans le cadre d'une existence individuelle
Le saut qualitatif qu'est la naissance d'un individu détermine son identité de vivant animé. La
continuité qui détermine l'acquisition du langage est une singularité initiale qui est également
conditionnante.
Mais l'essentiel reste l'amour. Le premier amour, la mère, le père, ou l'amant(e) initial(e),
conditionne une tonalité affective globale. Chaque nouvel amour est la quête de la disposition et de
l'intensité du premier. C'est à la fin de ce nouvel amour que l'on découvre ce qu'était le premier,
toujours déjà : une épiphanie. L'extase peut être forte. Une certaine déception également. Il faut savoir
épouser la grâce : la continuité du mouvement, un geste en anticipant un autre, au sein d'un espace-
temps courbe et ouvert, non fragmenté...
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II Certaines failles de Kant
La ruse du chinois de Königsberg
Serait-il possible d'appliquer certains outils du criticisme kantien mobilisés dans la dialectique
transcendantale pour critiquer alors une certaine prétention de Kant lui-même à la déduction,
prétention qui n'aurait pas été en cohésion avec l'idée même d'une philosophie transcendantale ? Cela
pourrait se faire en ayant pour horizon le rapport qu'entretiennent l'ontologie phénoménologique et
herméneutique de Heidegger et la philosophie spéculative kantienne. Rappelons que Heidegger
voyait dans la deuxième édition de la Critique de la raison pure la manifestation d'une régression par
rapport à la première édition : la première édition correspondrait à une analytique de la disposition
transcendantale du sujet tandis que la seconde s'apparenterait à une démonstration de la validité
objective de l'entendement humain (dans l'Analytique transcendantale spécifiquement). Cette simple
remarque renvoie à un vaste programme de recherche, mais j'aimerais lui associer une réflexion
personnelle, réflexion qu'une lecture d'une page de Salomon Maimon a inspirée.
Je présenterais d'abord brièvement les outils critiques élémentaires employés par Kant pour
réfuter la preuve ontologique de l'existence de Dieu (Critique de la raison pure, Dialectique
transcendantale, De l'idéal de la Raison pure, I).
Puis je tenterai de m'emparer de ces outils pour suggérer très rapidement un mouvement de
renvoi réciproque à l'oeuvre dans la tentative kantienne de fondation transcendantale (logique et
esthétique), mouvement circulaire et tautologique en lequel nulle existence, d'un point de vue modal
donc, de quelque a prioricité des dispositions subjectives du sujet connaissant ne saurait être déduite
ou démontrée, ou encore ajoutée synthétiquement via une prédication conclusive.
Cette impossibilité de la déduction n'est toutefois pas une impossibilité de la monstration.
C'est là qu'une interprétation phénoménologique des écueils du kantisme et du dépassement éventuel
de ces écueils (via le passage à une ontologie descriptive, précisément), pourra être envisagée.
Les derniers développements proposent d'autres éclairages, épars.
1) Présentation brève de la réfutation kantienne de la preuve ontologique de l'existence de Dieu
Règle fondamentale : « la nécessité inconditionnée des jugements (analytiques) n'est pas la
nécessité inconditionnée des choses et de leur existence »
Par exemple, si l'on pose la condition qu'un triangle existe, il y a aussi en lui trois angles
nécessairement. Mais l'existence réelle du triangle n'est pas pour autant posée nécessairement : on a
simplement posé une condition hypothétique : nous supposerons qu'il existe. Une supposition, une
condition posée par hypothèse, n'est pas la preuve de l'existence de la chose ainsi posée. Autrement
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dit, on ne saurait prouver une existence par le moyen d'une proposition qui présuppose cette existence
sans la prouver.
Soit le jugement analytique : « le triangle est composé de trois angles ».
Si je supprime le prédicat (trois angles) et que je conserve le sujet (triangle), il y a
contradiction : un triangle sans ses trois angles se contredit lui-même. Mais si je supprime le sujet en
même temps que le prédicat, il n'y a plus de contradiction : le jugement analytique qui définit la
propriété essentielle du triangle implique la liaison nécessaire entre une condition (triangle) et sa
conséquence (nécessaire), mais il n'implique pas le fait qu'il y aurait une contradiction à dire que la
condition elle-même ne renvoie à aucune existence réelle, d'un point de vue modal.
Pour le dire plus simplement : s'il doit y avoir un triangle, alors il devra posséder trois angles.
Mais nous ne disons rien ici en ce qui concerne l'existence réelle de tel ou tel triangle. Il ne faut pas
confondre une nécessité logique, analytique, avec une nécessité réelle des choses existantes.
On appliquera la même méthode pour invalider la preuve ontologique de l'existence de Dieu.
Cette preuve se réduit au syllogisme suivant :
La perfection implique l'existence.
Or Dieu est perfection.
Donc Dieu existe.
Cela revient à dire que Dieu est, en vertu de sa définition.
Soit le jugement analytique : « Dieu, parfait, existe nécessairement ».
Si l’on supprime le prédicat (existence nécessaire) mais que l'on conserve le sujet (Dieu
comme perfection), alors il y a contradiction : si un Dieu parfait est posé, il ne peut qu'exister
nécessairement, puisque l'existence nécessaire découle analytiquement de la perfection. Néanmoins,
si l'on supprime en même temps le sujet et le prédicat, il n'y a nulle contradiction : car Dieu, dans un
jugement analytique censé définir son être, n'est qu'une supposition, une hypothèse, au même titre
que tout concept ou que toute idée que l'on cherche simplement à appréhender d'un point de vue
logique, en saisissant ses propriétés fondamentales. Or supposer ne constitue pas une preuve de
l'existence. Donc nous pouvons très bien supprimer Dieu en même temps que son prédicat sans que
cela soit une absurdité contradictoire.
Pour simplifier à nouveau, on pourrait dire : s'il y a un Dieu, parfait, alors nécessairement il
existe. Autant dire donc : s'il y a un Dieu, alors nécessairement il y a un Dieu. Il s'agit là d'une
tautologie un peu ridicule finalement, qui ne nous fait pas progresser d'un pouce sur le chemin d'une
connaissance positive du divin. Car on peut toujours opposer ceci à cette tautologie : oui certes, mais
vous devez reconnaître que votre hypothèse de départ (poser Dieu comme sujet dans un jugement
analytique) est une hypothèse et non un savoir relatif à l'existence de la chose, et alors il sera
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également possible de dire : il se peut que Dieu n'existe pas, puisqu'il n'est qu'une condition
hypothétique, et alors dans ce cas il n'y aurait pas de Dieu parfait.
De même, on peut envisage un monde sans triangle réel ou existant. Cette inexistence du
triangle n'invalidera pas pour autant le fait que, si un triangle est donné, alors nécessairement il aura
trois angles. Un triangle est possible : son concept n'est pas contradictoire (de même, une certaine
idée de Dieu peut ne pas être contradictoire). Sa définition indique également cela. Mais cette
possibilité ne préjuge en rien de la nécessité de son existence.
2) Kant contre Kant
a) Pétition de principe dans l'Analytique transcendantale
Il y a quelque chose qui me chiffonne dans l'Analytique transcendantale de la Critique de la
raison pure, une sorte de pétition de principe assez étonnante, dans la manière dont elle est tournée
(Nietzsche s'est d'ailleurs souvent moqué de ce genre de travers kantiens) : pour résumer, si j'ai bien
compris, l'objectivité d'un jugement est fondée par le caractère a priori des catégories (elles-mêmes
soumises à l' unité synthétique de l'aperception transcendantale, du « Je pense ») ; mais celles-ci sont
a priori parce qu'on voit bien que les jugements qu'elle permet sont objectifs. Il y a là une circularité
évidente : le fondement (catégories a priori) est fondé par ce qu'il fonde (objectivité des jugements).
Il n'y a pas de base solide. Kant, tout comme Descartes lorsqu'il entend prouver l'existence de Dieu
(mais en un sens bien différent il faut l'admettre), lui aussi présuppose ce qu'il faut démontrer – l'a
priori des catégories – pour le démontrer.
Soit le jugement : « des catégories a priori (aperception transcendantale) fondent l'objectivité
d'un jugement de connaissance ».
Appliquons alors la méthode que Kant emploie pour réfuter l'argument ontologique, mais à
l'encontre de la déduction transcendantale des catégories : si l'on supprime le prédicat (objectivité du
jugement), alors le sujet (catégories a priori, aperception transcendantale) est contradictoire ; mais
on peut très bien supprimer le sujet et le prédicat en même temps, et alors il n'y a pas de contradiction.
Le fondement transcendantal des catégories doit être soumis à la même critique que l'idéal de la raison
pure (il s'effondre).
b) Va-et-vient sans fondement dans l'esthétique transcendantale
On pourra procéder de même en considérant l'esthétique transcendantale (mais alors il s'agit
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d'une exposition des formes de la sensibilité, et non de leur déduction ; le problème est différent).
Résumons l'idée de l'esthétique transcendantale : parce que des jugements synthétiques a priori sont
possibles (existence d'une géométrie apodictique) alors les formes a priori de la sensibilité qui les
rendent possibles sont attestées de ce fait ; mais ne faut-il pas supposer que sans cette facult�