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Petite anthologie des littératures occitane et catalane sous la direction de Christian Nique Recteur de l’Académie de Montpellier Chancelier des Universités

Petite anthologie des littératures occitane et catalane€¦ · Ausiàs March, Veles e vents...,Voiles et vents... 130 Joanot Martorell, Tirant lo blanc,Tirant le Blanc 132 Anonyme,

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Petite anthologie des littératures

occitane et catalane

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Cet ouvrage présente soixante-quatre textes littéraires écrits en occitan et en catalan du moyen âge à nos jours, accompagnés de leur traduction en français. Mille ans de littérature sont ainsi évoqués, à partir du socle commun des deux langues : les troubadours.

Les littératures occitane et catalane sont ensuite illustrées par quelques belles pages de grands écrivains.

Photo de couverture : Georges Souche. Un arbre de Judée dans le vignoble de Saint-Chinian.

sous la direction de

Christian NiqueRecteur de l’Académie de Montpellier

Chancelier des Universités Académiede

MontpellierCRDPIS

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Ouvrage réalisé à l’initiative et sous la direction de Christian Nique, Recteur de l’Académie de Montpellier et Chancelier des Universités.

RédactionMary Sanchiz, Inspecteur d’Académie - Inspecteur Pédagogique Régional, chargée de mission pour l’enseignement du catalan, Rectorat de Montpellier,

Claire Torreilles, Professeure agrégée, Université Paul Valéry, Montpellier III, chargée de mission pour l’enseignement de l’occitan, Rectorat de Montpellier.

Conseil scientifiqueRobert Lafont, écrivain, Professeur des Universités honoraire,Miquela Valls, Professeure agrégée, Université Via Domitia, Perpignan,Marie-Jeanne Verny, Maître de Conférences, Université Paul Valéry, Montpellier III,Jean-Claude Forêt, Professeur agrégé, Université Paul Valéry, Montpellier III,Gérard Gouiran, Professeur des Universités, Université Paul Valéry, Montpellier III.

RemerciementsJean Aubanelle, Luc Bonet, Christian Camps, Jean-Yves Casanova, André Fieu,Philippe Gardy, Bernard Goeminne, Agnès Lobier, Jean Penent, Jean Salles-Loustau.

la Bibliothèque Municipale de Perpignan,le CEDACC, Centre de documentation et d'animation de la culture catalane,le CIRDOC, Centre inter-régional de développement de l’occitan.

Suivi éditorial et fabrication : CRDP de l’académie de Montpellier. Maquette : Agathe Raciazek

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SOMMAIRE

Avant-propos du Recteur Christian Nique 7Préface de Robert Lafont 9

I - Les écrits des troubadours, XIIe-XIIIe siècles 13

Guilhèm IX, Lo joi, La joie 14Jaufré Rudel, L’amor de lonh, L’amour lointain 18Bernard de Ventadour, La lauseta, L’alouette 22Anonyme, Alba, Aube 26Comtesse de Die, Bel amic, Bel ami 28Bertrand de Born, La coindeta sazós, La gracieuse saison 30Guillem de Cabestany, Lo còr manjat, Le coeur mangé 34Guillem de Cabestany, Lo dous cossire, Le doux souci 38Anonyme, Flamenca, Flamenca 44Guilhèm de Tudèla, Besièrs 1209, Béziers 1209 48Pèire Cardenal, La ciutat dels fòls, La cité des fous 52Pons d’Ortafà, Si ai perdut mon saber, J’ai tant perdu mon savoir 56

II - La littérature occitane du XIIIe au XXIe siècles 61

Pey de Garros, Auba roja, Aube rouge 62Pèire Godolin, A l’urosa memoria…, À l’heureuse mémoire… 66Bellaud de la Bellaudière, Que non son las parets, Que ne sont les murs 68Bertrand Larade, Si jo podè, volerí ricaments…, Si je pouvais… 70Isaac Despuech, Escambarlat, À califourchon 72Jean-Baptiste Fabre, Joan-l’an-pres, Jean-l’ont-pris 76Jasmin, Legir, Lire 80Frédéric Mistral, Mirèio, Mireille 84Frédéric Mistral, Naïado antico, Naïade antique 88Théodore Aubanel, Emé lou calabrun, Avec le crépuscule 90Joseph d’Arbaud, La Bèstio, La Bête 92René Nelli, Faula, Fable 94Max Allier, Ma cara, Mon visage 96Jean Boudou, L’iscla de Robinson, L’île de Robinson 98Bernard Manciet, La fin deu món, La fin du monde 102Max Rouquette, Secret de l’èrba, Secret de l’herbe 104Max Rouquette, La pietat dau matin, La pitié du matin 106

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Robert Lafont, En Gardonenca, En Gardonnenque 108Marcelle Delpastre, Terra, Terre 112Yves Rouquette, L’escriveire public, L’écrivain public 114Serge Bec, Anna l’amor, Anne l’amour 116Roland Pecout, Lei nomadas, Les nomades 118Michel Miniussi, Lutz d’aicí, Lumière d’ici 120Philippe Gardy, La vida vertadièra, La vraie vie 122

III – La littérature catalane du XIIIe au XXIe siècles 125

Ramon Llull, Llibre d’amic e amat, Livre de l’ami et de l’aimé 126Ramon Muntaner, Lo senyor Infant, Messire l’Infant 128Ausiàs March, Veles e vents..., Voiles et vents... 130Joanot Martorell, Tirant lo blanc, Tirant le Blanc 132Anonyme, El cant dels ocells, Le chant des oiseaux 134Jacint Verdaguer, Canigó, Canigou 136Joan Maragall, Cant espiritual, Chant spirituel 140Josep Carner, El conhort, Le réconfort 142Josep-Sebastià Pons, Faula de Venus, Fable de Vénus 144Josep-Sebastià Pons, L’aire de pluja, L’air de la pluie 146Josep-Vicenç Foix, És quan dormo…, C’est quand je dors… 150Mercè Rodoreda, El gelat rosa, La glace rose 152Salvador Espriu, Assaig de cantic…, Essai de cantique… 156Joan Amade, Credo vell i sempre nou, Credo ancien et toujours nouveau 158Jordi Pere Cerdà, Entre Sallagosa i Llívia, Entre Saillagouse et Llivia 160Jordi Pere Cerdà, Camins de França, Chemins de France 164Miquel Martí i Pol, Suite de Parlavà, Suite de Parlava 168Gumersind Gomila, Davant la tomba…, Devant la tombe… 170Antoni Morell, Set lletanies de mort, Sept litanies de mort 172Àlex Susanna, Les Anelles dels anys, Les Cernes du temps 174Joan Tocabens, Solitud, Solitude 176Renada-Laura Portet, I si em regirès, Et si je me retournais ? 180Jep Gouzy, Arbre sense bosc, Arbre sans forêt 182Joan-Daniel Bezsonoff, Faula de l’antiquari…, Fable de l’antiquaire… 184Joan-Lluís Lluís, Retorn, Retour 188Colette Planas, Poèma subterrani, Poème souterrain 190Pere Verdaguer, Cullint mots, Cueillant des mots 192Jordi Carbonell, Un home qualsevol, Un homme ordinaire 194

Bibliographie 197

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Avant-propos

Pourquoi ce livre ?

Les langues de France ont toutes leur littérature. Ensemble, celles-ciforment la littérature de France, l’une des plus belles et des plus puissantesau monde.

La langue occitane et la langue catalane ont superbement contribué à lalittérature de France, et elles continuent d’y contribuer. Les élèves del’Académie de Montpellier, qui vivent sur un territoire occitan ou catalan,doivent le savoir : on n’est pas vraiment cultivé quand on ignore les éléments majeurs du patrimoine légué par ceux qui nous ont précédés, etd’une création littéraire qui continue à l’enrichir.

C’est la raison pour laquelle j’ai conçu et entrepris la réalisation de cette«petite anthologie ». Il m’a semblé utile de mettre à disposition des enseignants du premier et du second degré, qui ont mission de transmettrece patrimoine, quelques textes en occitan et en catalan, parmi les plusbeaux, les plus évocateurs ou les plus intéressants.

Pour réunir ces textes et rédiger les notices qui les situent dans les littératures occitanes catalanes, j’ai mis en place un comité scientifiquecomposé d’universitaires et de personnalités hautement qualifiées. Je leursuis reconnaissant d’avoir contribué à ce travail délicat, difficile, mais quisera si utile. J’ai chargé Claire Torreilles et Mary Sanchiz, chargées de missionpour l’enseignement de l’occitan et du catalan, de coordonner ce travail etd’en assurer la rédaction définitive. Elles l’ont fait avec compétence et passion, et je les en remercie. Ce qu’elles font pour l’occitan et le catalanest remarquable.

Choisir, dans les littératures occitane et catalane, les quelque soixantetextes qui constituent cette anthologie a été une tâche à la fois aisée et difficile. Aisée parce que ces deux littératures, développées pendant dix siècles dans des espaces étendus, sont d’une extrême richesse. Difficile

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parce que tout choix est partial et laisse de côté des œuvres d’égale ou deplus grande valeur.

Mais c’est le fait de toute anthologie. Il ne s’agissait pas de donner unevision exacte, même en raccourci, d’un corpus innombrable. Nous avonsforcément fait preuve de subjectivité dans le choix de telle page plutôt quede telle autre. Si nous nous sommes efforcés de ne pas oublier des œuvresincontournables, nous avons néanmoins privilégié les auteurs contem-porains et, parce que ce livre est notamment destiné aux enseignants et élèves de cette académie, le territoire de l’académie de Montpellier.

Ce qui nous a guidés, c’est l’agrément de la lecture plus que le souci dela démonstration. Nous avons conscience que ce qui paraîtra trop connu outrop académique aux uns sera entièrement nouveau pour d’autres. Je sou-haite que le plaisir de la découverte (ou de la redécouverte) donne au plusgrand nombre l’envie de lire, en traduction éventuellement, les écrivainsoccitans et catalans.

J’espère que les textes ainsi réunis rempliront leur objectif, qui est detoucher le cœur, l’imaginaire et la raison de leurs lecteurs. Et qu’ils démon-trent la vigueur de l’occitan et du catalan.

Christian Nique

Recteur de l’Académie de MontpellierChancelier des Universités

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PréfaceVers le Xe siècle de notre ère, la croûte du latin écrit se craquèle et laisse

passer des traces de langues nouvelles, les langues romanes.

Autour de 1100, c’est en langue d’oc que se produit une véritable explosionlittéraire que personne ne semblait attendre. D’un côté, une poésie héroïqueet guerrière naît de la vie de saints, chantée et dansée, que l’univers monastiqueavait élaborée. Ce sera la chanson de geste dont l’immense vogue recou-vrira l’Europe. Il paraît aujourd’hui prouvé que le premier état de la pluscélèbre d’entre elles, la Chanson de Roland, a été écrit en langue d’oc entreRouergue et Navarre. Cette langue va servir à l’aristocratie laïque et mêmeecclésiastique pour des actes juridiques.

D’un autre côté, la société chevaleresque emprunte au clergé la stropherimée et chantée, dite trope. En cinquante ans, une extraordinaire inventionformelle, poétique et musicale prolifère dans les cours féodales et royalesdu Poitou à la Catalogne et la Provence. Elle ne va pas cesser d’inventerjusqu’à la fin du XIIIe siècle. Les auteurs, créateurs de tropes nouveaux, sontdits troubadours. Ils seront connus et imités jusqu’en Sicile et enAllemagne. Leur langue sera tenue pour celle de l’Europe élégante.

Ces poètes opèrent dans ce moule une véritable révolution non seulement du style, mais des mœurs. Ils font de la femme noble l’équivalentd’un seigneur suzerain et lui vouent dans leurs chansons un service amoureux.Ils plongent ainsi dans l’expression nouvelle la plus raffinée du sentiment.De la femme, méprisée avant eux par la société mâle, ils font la féminitérayonnant sur toute la société. Ils finiront même par lui laisser prendre uneparole poétique.

La gerbe langue d’oc, amour courtois, invention poétique, sera recueilliepar les poésies européennes comme le signe d’un grand art et d’une hautecivilisation. Elle a donné naissance, en quelque sorte, à la sensibilitémoderne.

Cependant, au lieu même de sa floraison première, le grand trauma-tisme de la guerre albigeoise détruit la société qui l’avait conçue. La créationoccitane ne disparaît pas pourtant. Une bourgeoisie la soutient à Toulousedans l’Institution du Gai Savoir. Elle prend des formes religieuses et savantes.

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L’occitan se donne avec les Leys d’Amors le premier grand traité de poétique,rhétorique et grammaire qu’on connaisse en une langue moderne. Il pratiqueles genres conteurs, invente la prose romanesque avec les Vies qu’il imagineaux troubadours classiques, fournit un outil linguistique à la pensée béné-dictine.

La guerre albigeoise a coupé des provinces occitanes la Catalogne, oùl’on écrivait poétiquement dans la langue du trobar (le premier Catalandevenu roi d’Aragon, Alphonse II, a lui-même été troubadour). Mais de làest née, dans la langue sœur devenue celle d’un royaume méditerranéen et deses dépendances, une grande littérature nouvelle. L’écrivain Ramon Llull,formé aux troubadours, inaugure le catalan dans une immense œuvre poétique,philosophique et religieuse, célèbre dans tout le moyen âge. Une prosed’histoire se développe. Une nouvelle école poétique, encore dans le sillagedes troubadours, voit le jour dans le royaume de Valence. Le roman dechevalerie que Don Quichotte porte au plus haut, Tirant lo Blanc, est écriten catalan.

Le catalan et l’occitan sont alors de grandes langues administratives etles langues de la vie sociale. Un coup est porté plus tard indirectement à lalangue d’oc par François Ier qui impose par l’édit de Villers-Cotterêts lefrançais royal à l’administration publique. Cela ne suffit pourtant pas àempêcher un nouvel élan de création poétique. Pour la Cour de Navarreécrit le grand poète protestant et humaniste Pey de Garros. À l’école desRenaissants italiens et de la Pléiade française, une poésie modernisée buis-sonne vigoureusement dans les diverses formes parlées de la Provence à laGascogne. C’est le moment baroque de l’Occitanie. Il culmine avec le poèteGodolin, qui va rester célèbre jusqu’à l’époque moderne.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’occitan et le catalan cédent sous la pousséedes langues du pouvoir, le français et le castillan. Le recul de la langue occitanedans les couches populaires donne alors matière à des genres parodiques etburlesques d’une verve parfois remarquable et qui connaît ses succès surdiverses scènes, dont celle de Béziers, contemporaine des débuts deMolière. Il n’est pas d’ailleurs impossible que, portée par le genre rustiquede la bergerie ou pastorale, la langue d’oc atteigne de hautes couches de lasociété française. La poésie de Despourrins est chantée à la cour de LouisXV; le chef-d’œuvre célébré de la musique française dans la querelle avecles Italiens, Daphnis et Alcimadure, a un livret en occitan du NarbonnaisCassanéa de Mondonville.

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Mais le XVIIIe est aussi le moment où, sous des plumes érudites italiennes, catalanes et occitanes, le souvenir des troubadours ressort dupassé et donne l’élan, au début du XIXe, à un esprit de renaissance. Commele Gangeois Fabre d’Olivet, romantiques occitans et catalans puiseront leurinspiration dans un attachement de cœur et d’esprit à la langue elle-même,cette langue des troubadours qu’ils découvrent si proche de leur languematernelle.

Vers 1850, ce jaillissement de sève s’est renforcé. C’est alors que, sousle nom de Félibrige, une école littéraire se constitue avec les plus hautes ambitions et des talents vigoureux. Un génie reconnu la surplombe, leProvençal Frédéric Mistral qui sera loué et traduit dans le monde entier, aumoins pour sa Mireille. Il aura, en 1904, le Prix Nobel de littérature. LeFélibrige qui a essaimé dans toute l’Occitanie a connu spécialement enLanguedoc, entre Nîmes et Toulouse, une vive relance.

Au XXe siècle, émerge un nouveau mouvement de renaissance, porté pardes écrivains qui insèrent l’écriture occitane dans l’actualité, très loin durégionalisme et du provincialisme et lui assurent une incontestable moder-nité. Ils adoptent une forme d’écriture classique inspirée de la plus brillanteépoque, celle qui est aujourd’hui majoritairement enseignée.

Depuis le XIXe siècle, la Renaixença catalane inaugure une période degrande activité littéraire et artistique dont Barcelone est le foyer. Au siècle suivant, les succès publics du catalan en ont fait, au sud des Pyrénées, une langue sociale de plein emploi, aujourd’hui largement officialisée enEspagne et même dans les nouvelles structures européennes. De l’Europe,la littérature catalane est aujourd’hui l’une des plus vivantes et des plustalentueuses. Elle lui a donné de grands noms comme Jacint Verdaguer,Joan Maragall, Salvador Espriu.

Le présent recueil de textes, voulu par le Recteur de l’Académie deMontpellier, peut apprendre aux jeunes Catalans et Occitans qu’ils possèdent,sous le silence qui a été fait jusqu’ici sur leurs langues, l’un des héritagesculturels à l’origine des plus prestigieux qui soient, réanimé par sept sièclesd’une écriture jamais absente et par une vie contemporaine.

Robert LafontÉcrivain

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I

LES ÉCRITS DES TROUBADOURSXII e-XIII e siècles

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Lo jòiMolt jauzens mi prenc en amarUn jòi don plus mi vueill aizir ;E pòs en jòi vueill revertir,Ben dei, si puesc, al mèils anar,Quar mèils onra·m, estiers cujar,C’om puesca vezer ni auzir.

Eu, sò sabetz, no·m dei gabarNi de grans laus no·m sai formir ;Mas si anc negús jòi pòc florir,Aquest deu sobre totz granarE part los autres esmerar,Si cum sòl brus jorns esclarzir.

Anc mais no pòc hòm faissonarCòrs, en voler ni en dezirNi en pensar ni en consir ;Aitals jòis non pòt par trobar,E qui be·l volria lauzarD’un an no i poiri’avenir.

Totz jòis li deu humeliarE tot’autr’amors obezirMi dòns per son bèl aculhirE per son bèl douset esgar :E deu hòm mai cent ans durarQui·l jòi de s’amor pòt sazir.

Per son jòi pòt malaus sanar,E per sa ira sas morirE savis hòm enfolezir,E bèlhs hòm sa beutat mudar,E·l plus cortés vilanejar,E·l totz vilàs encortezir.

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Guilhem IX,Guillaume en français,septième comte de Poitiers et neuvième duc d’Aquitaine(1071-1126) est un grandseigneur-poète, le premiertroubadour connu. Unedizaine de chansons lui sontattribuées, dans des registrestrès différents. Cette chanson,de facture classique(huit còblas, strophes de 6 vers octosyllabiquesbâtis sur deux rimesseulement, toutesmasculines) est « un hymne à la joie », ou plutôt au joi,notion complexe de lalyrique des troubadours,dont c’est ici, dit Pierre Bec,« la première apparitionindiscutable ». Le joi est à la fois l’état d’exaltationamoureuse qui illumine le monde et le désir physiquede la Dame. Celle-ci incarnele joi et détient des pouvoirsmagiques. Elle est appelée« mi dòns » au masculin,« mon Seigneur », le serviced’amour prenant pour modèle le servicechevaleresque. Les còblasVII et VIII fixent les règlesdu comportement courtoispour l’adepte de la fin’amor,l’amour raffiné.

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Pus hòm gensor no·n pòt trobar,Ni huelhs vezer, ni boca dir,A mos òbs la vueill retenir,Per lo còr dedins refrescarE per la carn renovelar,Que no puesca envellezir.

Si·m vòl midòns s’amor donar,Près soi del penr’e del grazirE del celar e del blandirE de sos plasers dir e farE de son prètz tener en carE de son laus enavantir.

Ren per autrui non l’aus mandar,Tal paor ai c’adès s’azir ;Ni ieu mezeis, tan tem faillir,Non l’aus m’amor fòrt asemblar.Mas ela·m deu mon mèils triar,Pòs sap c’ab lieis ai a guerir.

Guilhem IX

Texte et traduction établis par Pierre Bec, Le comte de Poitiers, premier troubadour, CEO, Université Montpellier III, 2004.

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La joiePlein d’allégresse, je me prends à aimerUne joie dont je veux jouir davantage ;Et puisque je veux revenir à la joie,Je devrai, si je le puis, aller vers ce qu’il y a de mieux,Car ce mieux, sans présomption, m’honore plusQue tout ce qu’on pourrait voir ou entendre.

Moi, vous le savez, je n’ai pas coutume de me vanterNi de m’attribuer de grandes louanges ;Mais si jamais une joie put fleurir,Celle-ci doit porter graine plus que toutesEt resplendir au-dessus des autresComme quand s’éclaire un jour sombre.

Jamais personne ne put se figurerUn tel corps, ni en vouloir ni en désirNi en pensée ni par l’imagination ;Une telle joie ne peut trouver son égale,Et celui qui voudrait la louer comme il siedNe pourrait y parvenir de tout un an.

Toute joie doit s’humilier devant celle-làEt tout autre amour rendre hommageÀ ma Dame, pour son aimable accueilEt son gracieux et plaisant regard :Et il vivra encore cent ans celuiQui réussira à posséder la joie de son amour.

Grâce à la joie qui émane d’elle, le malade peut guérirEt par sa colère elle peut tuer le plus sain,Le plus sage peut devenir fou,Le plus beau perdre sa beauté,Le plus courtois devenir vilainEt le plus vilain courtois.

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&XI e -XII e sièclesTroubadours

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Puisqu’il n’en est pas de plus noble qu’on puisse trouver,Ni que les yeux puissent voir ni la bouche nommerJe veux la garder pour moi seulPour me rafraîchir le cœurEt renouveler ma chair,Si bien qu’elle ne puisse vieillir.

Si ma Dame veut bien me donner son amour,Je suis prêt à l’accepter et à lui en savoir gré,À être discret et à la servir,À parler et agir selon son plaisir,À porter haut son mériteEt chanter bien haut ses louanges.

Je n’ose lui envoyer de message par autruiTant je crains qu’elle ne s’irrite aussitôt,Ni moi-même, tant j’ai peur de faillir,Je n’ose lui déclarer ouvertement mon amour,Mais c’est elle qui doit choisir ce qu’il y a de mieux pour moiCar elle sait que près d’elle je dois guérir.

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&XI e -XII e sièclesTroubadours

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II

LA LITTÉRATURE OCCITANEdu XIII e au XXI e siècles

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Auba roja

Mauverdòt

Anga donc la patz adromidae per tostemps siá sepelida.Visca l’arreproèr qui tròta :« Diu volha manténguer riòta ».Plus non vau héner las vivèras,ni plus podar las vidauguèrasdamb nòstes aoms maridadas.Aqueras causas è leishadasper quauque mardanh o cajòc.[...]Encara mens mon còr s’aplicaa la gran penassa rustica.Mon cas es ara sens gran pena :portar la coa de padenaau lòc de l’arrolh e la pala,de l’arrastèth e la bibala.Jo som vengut deu pas au tròt,damb lo lin è cambiat lo bòt.Jo n’enduri hame ni setdevath un mandilh d’arrossethèit e tescut de peu de crabaque jo non presi pas ua raba.Ara d’esclòps desgansolatslos mens pès non van abilhats.Au lòc d’un petapruet, portilo gròs pototom quan jo sortide la barraca on è ses clauubèrt las caishas. E quan plau,

Pey de Garros(1525-1583) né à Lectoure,lie sa carrière d’avocat à laCour de Navarre. Il traduiten gascon, dans une langue et une graphie raisonnées, les Psaumes de David, dont la publication, en 1565,marque le coup d’éclat de la renaissance gasconne.En 1567, il publie lesÉglogues, sur le modèlevirgilien en vogue, faisantdialoguer bergers et paysans,sur des sujets qui touchent à lavie pastorale, à l’amour, auxmisères du temps… Maisc’est dans la campagnelectouroise qu’ils vivent etc’est leur propre langue qu’ilsparlent, un gascon rural etvigoureux dont le poète tirede savants effets de réalisme.En contrepoint de la première églogue, où lesTityre et Mélibée gascons se plaignent des exactions des pillards et des soldats - les guerres de religion fontrage depuis longtemps et lesintermèdes de paix sont tropbrefs - un personnagenommé Mauverdot fait,dans l’églogue 2, l’éloge de laguerre. Ce soldat pillard etcynique serait un portrait àcharge de Blaise de Montluc,l’ennemi intime de Garros.

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ma garramacha es bona bòta :Diu volha manténguer riòta !Bigarrat apròp las ensenhas,coma Senta-Crotz-de-Verenhas,jo camini de tau compàsque la grua mia sos pas.Au còrs la guèrra me gorgòta :Diu volha manténguer riòta.A la taula som deus darrèrsmès a combáter deus prumèrs.E que sia’tau ! Tres engreishadasgarias jo sabi ajocadas :aquí jo’m vòli apitarrar,damb aquò jo’m vòli carrar.E quan los pòts untats aurè,de patacs l’òste pagarè.[...]Per har brèu, mendic non serètant que guasanhar jo poirèdeu ben a la punta de lança.Ò! Lo bon temps qui nos avançae possa mès en un quart d’oraque tot un an d’auta tempora.Encara viet que l’auba rojanos escospe d’un pauc de ploja.Plan amonedats e vestits,non pas com davant langostitsde tot aquò non hèm qu’arríser.Qui poirè d’aquest temps maudíserqui tan plan los arlòts avita ?Non, per-hé, pas jo de ma vita.

Pey de Garros

Eglòga II (extrait), Eglògas, 1567.Texte, transcription en graphie normalisée et traduction établis par Jean Penent.

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Aube rouge

Mauverdot

Que la paix continue donc de dormiret que pour toujours elle soit ensevelie.Vive l’invocation qui court :« Dieu veuille maintenir les troubles ! »Je n’ai plus besoin d’aller fendre les vers de terre,ni de tailler les vignes grimpantesmariées avec nos ormeaux.J’aurais abandonné tout celapour n’importe quel égout ou ruisseau.[...]Je suis encore moins intéressépar les durs travaux des champs.Je me trouve maintenant dans une situation moins pénible :tenir la queue de la poêleau lieu du racloir et de la pelle,du râteau à jardiner ou à faner.J’allais au pas, j’en suis au trot.J’ai changé l’étoupe pour le lin.Je n’endure plus la faim, ni la soifsous une loque de toile grossièrefaite et tissée de poils de chèvreet qui, à mes yeux, ne vaut pas un radis.Maintenant, mes pieds ne vont pluschaussés de sabots débridés.Au lieu d’une sarbacane à prunelles, je porte un gros pétard quand je sorsde la baraque où j’ai, sans clés,ouvert les coffres. Et quand il pleut,

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&XVI e siècleLittérature occitane

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mes fortes guêtres me font d’excellentes bottes :Dieu veuille maintenir les troubles !Avec mon accoutrement bariolé, derrière les bannières,comme à la procession de la Sainte-Croix-des-Vendanges,j’adopte la démarchede la grue quand elle fait ses enjambées.La guerre bouillonne dans mon corps :Dieu veuille maintenir les troubles !A table, je suis des derniersmais à combattre des premiers.Qu’il en soit ainsi ! Je sais trois poules grassesau perchoir d’un poulailler :je ne veux pas laisser cette occasion de m’empiffrer,et en plus, je veux en prendre à mon aise !Et quand j’aurai les lèvres grasses,je paierai l’hôte avec des coups.[...]En bref, je ne serai pas mendianttant que je pourrai gagnerdu bien à la pointe de ma lance.Ôh, le bon temps qui nous fait leveret croître plus en un quart d’heurequ’en toute une année d’une autre période.Que vite encore, l’aube rougenous asperge d’un peu de pluie.Bien pourvus de monnaie et bien vêtus,non pas couverts de boue comme autrefois,nous ne faisons que rire de ces événements.Qui pourrait médire de ce tempsqui nourrit si bien les ribauds ?Non, par ma foi, pas moi, tant que je vivrai.

&XVI e siècleLittérature occitane

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III

LA LITTÉRATURE CATALANEdu XIII e au XXI e siècles

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Llibre d’amic e amat130. Ab ploma d’amor, e ab aygua de plors, e en carta de

passió, scrivia l’amich unes letres a son amat, en lesquals li dehia que devoció se tardava e amor se muria,e falliment e error multiplicaven sos enemichs.

131. Nuaven-se les amors del amich e.l amat ab mem-brança, enteniment, volentat, perço que.l amich del’amat no.s partissen; e la corda en què les dues amorsse nuaven era de pensaments, languimens, suspirs eplors.

135. Dehia l’amat que en aquells lochs on és més temutloar, lo loàs e.l escusàs. Dehia l’amich que d’amor lobastàs. Responia l’amat que per s.amor s’era encarnate penjat per murir.

136. Dehia l’amich al seu car amat que li mostràs maneracon lo pogués fer conèixer e amar e loar a les gents.Umplí l’amat son amich de devoció, paciència, caritat,tribulacions, pensaments, suspirs e plors; e en lo cordel amich fo audàcia en loar son amat, e en sa volen-tat fo menyspreament de lo blasme de les gents quejútjan falsament.

138 Demanaren al amich de què neixia amor, ni de quèvivia, ni per què muria. Respòs l’amich que amorsneixia del remembrament, e vivia de intel·ligència, emuria per ublidament.

139 Hublidà l’amich tot ço que és dejús lo sobirà cel, perço que.l enteniment pugués pus alt puyar a conèxerl’amat, lo qual la volentat desiga preycar, contemplar.

Ramon Llull

Llibre d’Evast e Aloma e Blaquerna, 1283-1286.Traduction de Patrick Gifreu.

Ramon Llull,(1232-1316), est philosophe,théologien, romancier et poète. Ce fils de«conquistador» de Majorque,renonçant aux facilités de la cour, forge dans le pluriculturalisme de sonîle les armes intellectuelles et spirituelles de son combat. Il doit convaincre juifs et musulmans de l’excellencedu christianisme, et pour ce faire, persuader les puissants d’appuyerl’entreprise, courir l’Europedes universités, oser la controverse au Maghreb.Dans le Llibre d’Evast e Aloma e Blaquerna(1283-1286), Blaquerna,reflet idéal de Ramon,gravit les degrés de l’humanité, jusqu’à la plus haute marche, celle du renoncement, celle de l’ermite. Là il n’est de dialogue qu’avec Dieu. Dans cet échange de versetspassionnés entre l’ami(l’homme) et l’aimé (Dieu),Llull retrouve l’exaltation de sa solitude mystique«entre la vinya i el fenollar», entre la vigne et le champ de fenouil.

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Livre de l’ami et de l’aimé130. Avec une plume d’amour, de l’encre de larmes et sur un

papier de passion, l’ami écrivait à son aimé des lettres danslesquelles il lui disait que la dévotion se faisait tardive, quel’amour mourait, et que la faute et l’erreur multipliaient lenombre de ses ennemis.

131. Les amours de l’aimé et de l’ami se nouaient avec lamémoire, l’entendement et la volonté afin que l’ami etl’aimé ne se séparassent pas ; et la corde avec laquelle senouaient ces deux amours était faite de pensées, de lan-guissements, de soupirs et de pleurs.

135. L’aimé disait à l’ami de le louer et de le défendre dans leslieux-mêmes où il est dangereux de le faire. L’ami dit :«Donne-moi pour cela assez d’amour.» L’aimé réponditque par son amour pour lui il s’était incarné et qu’il avaitété crucifié pour mourir.

136. L’ami disait à son cher aimé de lui apprendre la manière dele faire connaître, aimer et louer par les gens. L’aiméemplit son ami de dévotion, de patience, de charité, de tribulations, de pensées, de soupirs et de pleurs ; et le cœurde l’ami était tout audace pour glorifier son aimé, sa bouchetout louange, et sa volonté tout mépris du blâme des gensqui jugent faussement.

138. On demanda à l’ami d’où naît l’amour, de quoi il vit, pourquoi il meurt. L’ami répondit que l’amour naît du souvenir, vit d’intelligence et meurt par oubli.

139. L’ami oublia tout ce qui est sous le ciel souverain afin queson entendement pût s’élever plus haut pour connaîtrel’aimé que la volonté désire atteindre et contempler. &

XIII e-XIV e sièclesLittérature catalane

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Lo senyor infantE com fom a’s Veló, a passar l’aigua del Tec, tots loshòmens de’s Veló hi eixiren, e els mellors presaren l’anda alcoll, e passaren lo riu al senyor infant. E aquella nuit loscònsols e gran res dels prohòmens de Perpinyà, e cavallers, etots quants n’hi havia, foren ab nós; e hagren-hi molt méseixits, mas lo senyor rei de Mallorca era en França. E aixíentram per la vila de Perpinyà, ab gran honor qui ens fo feta;e anam-nos-en al castell, on era madona la reina, mare delsenyor rei de Mallorca e del senyor infant En Ferrando, emadona la reina, muller del senyor rei de Mallorca; e abdues,con veeren que nós muntàvem al castell, avallaren-se’n a lacapella del castell.E con fom a la porta del castell, jo pris en mos braços losenyor infant, e aquí ab gran alegre jo el porté estrò davant lesreines, qui seïen ensems. E Déu dón-nos a tuit tal goig conmadona la reina sa àvia hac con lo veé així graciós e bon, e abla cara rient e bella, e vestit de drap d’aur, mantell catalanesc,e pellot, e un bell batut d’aquell drap mateix al cap. E con jofui prop les reines, agenollé’m, e a cascuna jo besé les mans; efiu besar al senyor infant la mà a madona la reina àvia sua. Econ li hac besada la mà, ella lo volc prendre, ab les seuesmans, e jo dix-li:«Madona, sia de gràcia e de mercè vostra que no us sàpiagreu; que estró haja mi mateix alleujat del càrrec que tenc, vósno el tendrets.»E madona la reina ris-se’n, e dix que li plaïa.

Ramon Muntaner

Crònica (cap. CCLXIX), 1325-1328.Traduction de Miquela Valls.

RamonMuntaner(1265-1336) est historiographe des comtes de Barcelone et des roisd’Aragon. Des Quatregrans Cròniques, Quatregrandes Chroniques, qu’ils firent publier, c’est laChronique de Muntanerqui est la plus appréciée.Fier de sa réussite politique,administrative et guerrière,Muntaner prend la plumeen son nom. Il aime se trouver au centre de l’événement. C’est le casdans la mission que lui a confiée le frère du roi de Majorque : convoyer, de Sicile à Perpignan,l’héritier du trône, un bébédont la mère vient de mourir, et le confier à sa grand-mère et à satante, reine-mère et reine de Majorque. Le récit décriten détail tous les gestes du protocole mais déborded’émotion, et sous le chroniqueur perce le romancier avant la lettre.

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Messire l’infantQuand nous fûmes au Boulou, au moment de franchir le Tec,tous les hommes de la ville se présentèrent, les meilleurs se chargè-rent de la civière et firent passer la rivière à messire l’infant. Cettenuit-là, les consuls et une foule de notables de Perpignan, de chevaliers et autres gens de qualité furent à nos côtés ; et ils seraientvenus en bien plus grand nombre si messire le roi de Majorquen’était allé en France.Nous entrons bientôt dans la ville de Perpignan et y sommes reçusavec les plus grands honneurs. Nous nous dirigeons vers le châteauoù se trouvait sa majesté la reine, mère de messires le roi deMajorque et de l’infant Ferran, et sa majesté la reine, femme demessire le roi de Majorque ; quand elles virent toutes deux que nousmontions au château, elles descendirent précipitamment à la chapelle.Et moi, quand je fus à la porte du château, je pris dans mes brasmessire l’infant, et, très heureux, je le portai devant les deux reines qui étaient assises côte à côte. Dieu nous donna à tous autant de bonheur qu’en eut sa majesté lareine sa grand-mère quand elle le vit si beau et si gracieux, le visagesi rieur et si mignon, vêtu de drap d’or, avec une cape à la catalane,de la fourrure et une superbe capuche du même drap sur la tête.Quand j’arrivai auprès des reines, je m’agenouillai et je fis le baise-main à chacune, puis je fis baiser à messire l’infant la main de samajesté la reine sa grand-mère.Quand il lui eut baisé la main, elle voulut le prendre dans ses bras,mais je lui dis :«Que votre majesté dans son infinie bonté me fasse la grâce de nepas en prendre ombrage si avant d’avoir accompli la mission dont onm’a chargé je ne vous le donne pas. »La reine, amusée, dit qu’elle en était fort aise. &

XIII e-XIV e sièclesLittérature catalane

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Manuscrit du XIVe siècle en occitan, traduction d’un traité de chirurgie du médecin arabe Abu al-Qasim. Ce texte a été édité par R. Lafont et J. Grimaud : La chirurgie d’Albucassis, C.E.O., Montpellier, 1985.

Le Petit Thalamus: Jacques d’Aragon et l’Évêque de Maguelone, XIIIe siècle.La composition del rey e de l’avesque.(en rouge)Per las diversas questions nadas entre·lsavesques per temps de la gleyra de Magalona,dous l’una part, e·l noble senher en Jacme, per la gracia de Dyeu rey d’Aragon e senhor de Montpeylier, dous l’autra.

La composition du roi et de l’évêque.Pour les diverses questions soulevées entreles évêques de l’église de Maguelone d’une part, et le noble seigneur Jacques, par la grâce de Dieu roi d’Aragon et seigneur de Montpellier de l’autre.

Usages linguistiques du XIIe au XVIe siècles

Occitan

Manuscrit du Petit Thalamus de Montpellier.

Manuscrit « La chirurgie d’Albucassis ».

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Capitol .xlvi. de las formas dels sturmentz necessaris en seccio e perforacio. De aquels so las formas dels itromesas, e so de tres specias, que de aquels es alcu gran, e de lor es migier e de lor es petit.

Chapitre XIVI : Des formes des instruments nécessaires en section et perforation. Voici les formes des sondes : elles sont de trois espéces, l’une est grande, l’autre moyenne et l’autre petite…

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III

CatalanLes faits transcrits dans le Livre des Mémoires remontent au 2 mars 1373, date du grandtremblement de terre, ms 84 et 85,Bibliothèque municipale de Perpignan.

Aquest libre es de las memorias antiguesles quals an scrites los preveres de lavenerable comunitat de Sant Jaume, les quals son stades trasletades desde un psaltiri esta en lo cor per mi JohanBuadellas a 2 de gener de l’any 1541.

Voici le livre des mémoires anciens écrits par les prêtres de la vénérable communauté de Saint Jacques, lesquels ont ététranscrits d’un psautier [qui] est enla cour, par moi, Joan Buadellas, le 2 janvier de l’an 1541.

Dernières pages (colophon) en catalan d’un missel en latin, ms 119, Bibliothèque municipale de Perpignan.Lo present missall fou principiatd’escriure l’any de la nativitat del salvador nostre Senyor Deu IhesuChrist 1490, de voluntat e consentiment de tot lo consell del officide merces e pintors de la present vilade Perpinya.

Le présent missel fut commencéd’écrire l’année de la nativité du Sauveur Notre Seigneur DieuJésus-Christ 1490, par la volonté et l’assentiment de tout le conseildes métiers de merciers et peintresde la présente ville de Perpignan.

Manuscrit du Livre des Mémoires de Saint Jacques (Perpignan).

Manuscrit du Missel des merciers et des peintres de Perpignan.

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Éditions pédagogiques

Occitan

Catalan

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Petite anthologie des littératures

occitane et catalane

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Cet ouvrage présente soixante-quatre textes littéraires écrits en occitan et en catalan du moyen âge à nos jours, accompagnés de leur traduction en français. Mille ans de littérature sont ainsi évoqués, à partir du socle commun des deux langues : les troubadours.

Les littératures occitane et catalane sont ensuite illustrées par quelques belles pages de grands écrivains.

Photo de couverture : Georges Souche. Un arbre de Judée dans le vignoble de Saint-Chinian.

sous la direction de

Christian NiqueRecteur de l’Académie de Montpellier

Chancelier des Universités Académiede

MontpellierCRDPIS

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