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Annales de pathologie (2008) 28, 101—104 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com HISTOSÉMINAIRE SFP Pièges morphologiques et immunohistochimiques en pathologie ganglionnaire. Observation n o 2. Lymphadénite histiocytaire nécrosante de Kikuchi Christiane Copie-Bergman Département de pathologie, hôpital Henri-Mondor, AP—HP, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil, France Accepté pour publication le 5 avril 2008 Disponible sur Internet le 7 juillet 2008 Renseignements cliniques Il s’agit d’une femme de 43 ans hospitalisée pour polyadénopathies cervicales, occipi- tales et médiastinales associées à une altération de l’état général, une anorexie, une perte de poids de 4 kg, des douleurs diffuses et des épisodes de frissons et de sueurs avec fièvre à 39,5 C. L’échographie révèle une hépatosplénomégalie avec une rate à 16 cm, des adénopathies latéroaortiques et du pédicule hépatique. Le bilan biologique montre une leucopénie, une thrombopénie modérée et une élévation des LDH à 1500. La recherche d’autoanticorps antinucléaires (ANCA) est négative. Les sérologies EBV, CMV et Yersinia sont négatives. Une biopsie ganglionnaire est réalisée. Diagnostic proposé Lymphadénite histiocytaire nécrosante de Kikuchi (LHK). Description histologique L’examen morphologique montre au faible grossissement une architecture ganglionnaire remaniée par des plages de nécrose éosinophile confluentes de topographie paracorti- cale (Fig. 1). Ces plages de nécrose renferment de nombreux débris nucléaires associés à différents types d’histiocytes et à des lymphocytes de taille petite et moyenne et de rares immunoblastes. Certains histiocytes phagocytent des débris nucléaires, d’autres pré- sentent un cytoplasme spumeux (Fig. 2). Des lymphocytes atypiques de taille moyenne à grande sont observés au sein de la nécrose et en périphérie (Fig. 3). Ces lymphocytes pré- sentent une activité mitotique élevée. Il n’existe pas de polynucléaires neutrophiles ou éosinophiles au sein de la nécrose. Le parenchyme ganglionnaire résiduel est caractérisé par quelques follicules lymphoïdes primaires et des zones diffuses de petits lymphocytes. Adresse e-mail : [email protected]. 0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2008.05.003

Pièges morphologiques et immunohistochimiques en pathologie ganglionnaire. Observation no 2

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Annales de pathologie (2008) 28, 101—104

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

HISTOSÉMINAIRE SFP

Pièges morphologiques et immunohistochimiques enpathologie ganglionnaire. Observation no 2.Lymphadénite histiocytaire nécrosante de Kikuchi

Christiane Copie-Bergman

Département de pathologie, hôpital Henri-Mondor, AP—HP, 51, avenue duMaréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil, France

Accepté pour publication le 5 avril 2008Disponible sur Internet le 7 juillet 2008

Renseignements cliniques

Il s’agit d’une femme de 43 ans hospitalisée pour polyadénopathies cervicales, occipi-tales et médiastinales associées à une altération de l’état général, une anorexie, uneperte de poids de 4 kg, des douleurs diffuses et des épisodes de frissons et de sueurs avecfièvre à 39,5 ◦C. L’échographie révèle une hépatosplénomégalie avec une rate à 16 cm, des

adénopathies latéroaortiques et du pédicule hépatique. Le bilan biologique montre uneleucopénie, une thrombopénie modérée et une élévation des LDH à 1500. La recherched’autoanticorps antinucléaires (ANCA) est négative. Les sérologies EBV, CMV et Yersiniasont négatives.

Une biopsie ganglionnaire est réalisée.

Diagnostic proposé

Lymphadénite histiocytaire nécrosante de Kikuchi (LHK).

Description histologique

L’examen morphologique montre au faible grossissement une architecture ganglionnaireremaniée par des plages de nécrose éosinophile confluentes de topographie paracorti-cale (Fig. 1). Ces plages de nécrose renferment de nombreux débris nucléaires associésà différents types d’histiocytes et à des lymphocytes de taille petite et moyenne et derares immunoblastes. Certains histiocytes phagocytent des débris nucléaires, d’autres pré-sentent un cytoplasme spumeux (Fig. 2). Des lymphocytes atypiques de taille moyenne àgrande sont observés au sein de la nécrose et en périphérie (Fig. 3). Ces lymphocytes pré-sentent une activité mitotique élevée. Il n’existe pas de polynucléaires neutrophiles ouéosinophiles au sein de la nécrose. Le parenchyme ganglionnaire résiduel est caractérisépar quelques follicules lymphoïdes primaires et des zones diffuses de petits lymphocytes.

Adresse e-mail : [email protected].

0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annpat.2008.05.003

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102 C. Copie-Bergman

Figure 1. Maladie de Kikuchi. Nécrose extensive de topograhieparacorticale (HES × 25).Kikuchi’s disease. Extensive paracortical necrosis (HES, × 25).

Figure 2. Histiocytes phagocytant des débris nucléaires (HES× 1000).Histiocytes phagocytizing nuclear particles (HES, × 1000).

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Figure 4. Plages de petits lymphocytes B CD20+ résiduels (immu-nR

Figure 5. Les plages de nécrose renferment de nombreux histio-cytes CD68+ (immunoperoxydase, × 400).Necrotic areas contain numerous CD68+ histiocytes (immunoperoxi-dase, × 400).

igure 3. Lymphocytes atypiques présentant une activité mito-ique élevée (HES × 1000).typical lymphocytes with high mitotic activity (HES, × 1000).

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operoxydase, × 25).esidual small CD20+ B lymphocytes (immunoperoxidase, × 25).

Les colorations spéciales de Ziehl, Auramine et PAS neévèlent pas d’agents pathogènes.

L’étude immunohistochimique à l’aide l’anticorps anti-D20 montre la persistance de rares follicules lymphoïdesésiduels CD20+ au niveau du parenchyme ganglionnaire sainésiduel (Fig. 4). Les plages de nécrose renferment de nom-reux histiocytes CD68+ (Fig. 5) et sont étroitement mêlésune population lymphoïde de phénotype T cytotoxique

ctivé CD3+ (Fig. 6), CD4−, CD8+, granzyme B+ (Fig. 7 et 8).ette population T cytotoxique présente un index mitotiquelevé mis en évidence à l’aide de l’anticorps Mib1 avec prèse 60 % de cellules en cycle. La recherche d’une associationvec le virus Epstein Barr et le cytomégalovirus par immu-ohistochimie à l’aide des anticorps anti-LMP et anti-CMVst négative.

ommentaires

a lymphadénite histiocytaire nécrosante de Kikuchi est unentité mal connue, dont le diagnostic repose sur l’examenistopathologique d’une pièce d’exérèse ganglionnaire.

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Pièges morphologiques et immunohistochimiques en pathologie

Figure 6. Hyperplasie des zones T dépendantes CD3+ paracorti-cales (immunoperoxydase, × 25).Hyperplasia of CD3+ paracortical T areas (immunoperoxidase,× 25).

Figure 7. Phénotype CD8+ de la population T (immunoperoxy-dase, × 400).CD8+ phenotype of T cell population (immunoperoxidase, × 400).

Figure 8. Les lymphocytes T CD8+ expriment le Granzyme B(immunoperoxydase, × 400).CD8+ T lymphocytes express granzyme B (immunoperoxidase,× 400).

ganglionnaire. Observation no 2 103

Décrite initialement par Kikuchi et Fujimoto en 1972, lamaladie de Kikuchi est fréquente en Asie et plus rare dansles pays occidentaux [1,2]. Elle touche en général la femmejeune dont la moyenne d’âge est de moins de 30 ans. Elleest révélée par une adénopathie cervicale le plus souvent,isolée et unilatérale, mais les adénopathies peuvent êtrebilatérales et multiples. Habituellement asymptomatiques,les adénopathies peuvent être accompagnées de fièvre,sueurs, myalgies, de rash cutané et être douloureuses.Les localisations extraganglionnaires, notamment cutanées,sont exceptionnelles. L’évolution est indolente et les symp-tômes régressent spontanément en quelques semaines oumois. Quelques cas ont été rapportés associés à une hépa-tosplénomégalie. Les signes biologiques sont dominés parun syndrome inflammatoire non spécifique. Une leucopéniepeut être observée. Il existe parfois une élévation des LDH.Des lymphocytes atypiques circulants sont décrits chez 25 à30 % des patients. La biopsie ostéomédullaire est normale.

Aspects anatomopathologiques

L’architecture ganglionnaire est partiellement conservéeet des follicules lymphoïdes réactionnels, parfois à centreclair, sont observés [3]. Les régions corticales et para-corticales sont remaniées par des plages de nécrose mallimitées et confluentes. Celles-ci renferment des débrisnucléaires et sont limitées en périphérie par des plagesdiffuses d’histiocytes à cytoplasme clair. La composante his-tiocytaire peut être prédominante et les cellules nécroséesisolées et très focales. Des images de phagocytose des débrisnucléaires peuvent être observées. Les mitoses sont pré-sentes en nombre modéré. Les histiocytes sont étroitementmêlés à des lymphocytes de petite taille, des lymphocytesactivés et de rares plasmocytes. L’absence de polynucléairesneutrophiles et éosinophiles est une des figures caracté-ristiques de la maladie. En périphérie des lésions, il peutexister des plages de lymphocytes T activés, parfois degrande taille pouvant simuler un lymphome à grandes cel-lules [4—6]. Selon la composante histologique prédominanteobservée, trois variétés histopathologiques sont décrites

[7] :• la forme nécrosante, qui représente plus de 50 % des cas ;• la forme proliférative pseudotumorale, simulant un lym-

phome du fait d’une nécrose limitée ;• la forme xanthomateuse.

Selon Kuo [7], ces trois types histologiques pourraient repré-senter différents stades de la maladie ou être le reflet dedifférentes étiologies ou réponses de l’hôte.

Immunohistochimie

L’étude immunohistochimique montre une prédominance dela réaction T dans les zones paracorticales. Les lymphocytesB sont peu nombreux et se résument à quelques folliculeslymphoïdes primaires résiduels. Les lymphocytes T CD3+CD8+ prédominent par rapport aux lymphocytes T CD4+ etprésentent un phénotype cytotoxique activé avec expres-sion du Granzyme B. Cette population T activée présenteun index mitotique élevé. Les histiocytes sont de phéno-type CD68+ et expriment le lyzozyme et la myéloperoxydase(MPO).

Évolution clinique

L’évolution est spontanément favorable, en moyenne entrois mois. Les récidives sont très rares. La prise de

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orticoïdes pendant quelques jours permet de faire régres-er les signes systémiques. L’évolution vers une maladieuto-immune de type lupus systémique est possible mais trèsare [8].

Dans le cas présent, le bilan auto-immun chez cette jeuneemme était négatif, mais il existait un contexte familial deupus.

iagnostic différentiel

es principaux diagnostics différentiels sont :« l’adénite nécrosante lupique ». Les aspects morpholo-giques sont très superposables à ceux observés dans laLHK, mais certains signes histologiques peuvent orientervers une adénite lupique : la présence de corps héma-toxyphiles (débris nucléaires ayant réagi avec les ANCA)à la périphérie des zones nécrosées, des lésions de vas-cularite et de nombreux plasmocytes. Cependant, cesaspects sont parfois absents. Il est donc très difficile dedistinguer l’adénite lupique de la maladie de Kikuchi surdes arguments morphologiques ce d’autant qu’une LHKpeut précéder, être concomitante ou survenir après unlupus ;une « étiologie infectieuse spécifique ». L’absence depolynucléaires altérés et de granulomes permet d’écarterl’hypothèse d’une maladie des griffes du chat ou d’unetuberculose. Une infection herpétique peut être carac-térisée par un infiltrat histiocytaire associé à des débrisnucléaires. Néanmoins, la présence d’inclusions virales etde lésions cutanées ou muqueuses dans le territoire de

drainage permet d’évoquer le diagnostic ;dans la forme proliférative pseudotumorale, la maladiede Kikuchi peut simuler un « lymphome à grandescellules » [5]. Dans cette forme histologique, lacomposante nécrotique et histiocytaire est minime,et la composante T cytotoxique prédomine, pouvantréaliser des aspects histologiques inquiétants d’autantqu’elle présente un index mitotique élevé. Néanmoins,l’architecture ganglionnaire est partiellement conservéeet le phénotype T CD8+ GrB+ de la population lymphoïdeatypique peut être un élément indicateur, les lymphomesT CD8+ cytotoxiques étant très rares dans les paysoccidentaux.

tiologie de la maladie de Kikuchi

a pathogénie de la maladie de Kikuchi reste encore trèsontroversée. L’hypothèse d’une réaction d’hypersensibilitéetardée en réponse à un antigène a été évoquée. Dif-érents agents pathogènes ont été incriminés, d’origineirale comme les virus Epstein Barr, HHV6, HHV8, HTLV1,e Parvovirus 19 et le CMV [9] ou bactérienne à Yersinianterocolitica [10]. Certains cas ont été décrits asso-iés à des maladies systémiques comme le lupus, desonnectivites mixtes et suggèrent au contraire un processusuto-immun.

[

C. Copie-Bergman

POINTS IMPORTANTS À RETENIR

• Prédominance de la maladie en Asie, Femme jeune,adénopathies cervicales

• Possibilité de fièvre, myalgie, dysphagie• Évolution clinique bénigne• Ganglions légèrement augmentés de volume,

d’architecture partiellement conservée• Nécrose en plages confluentes paracorticales,

renfermant des débris nucléaires et des histiocytes.Présence de lymphocytes activés CD3+ CD8+, GrB+

• Absence de polynucléaires neutrophiles ouéosinophiles

• Devant un aspect morphologique de lymphadénitehistiocytaire nécrosante non suppurée, un bilaninfectieux et auto-immun (recherche d’ANCA) doitêtre réalisé. Le diagnostic de maladie de Kikuchi estdonc un diagnostic d’élimination qui ne peut êtreretenu qu’en l’absence d’étiologie infectieuse ouauto-immune retrouvée.

éférences

[1] Meyer O. La maladie de Kikuchi. Ann Med Interne (Paris)1999;150:199—204.

[2] Bosch X, Guilabert A, Miquel R, Campo E. Enigmatic Kikuchi-Fujimoto disease: a comprehensive review. Am J Clin Pathol

2004;122:141—52.

[3] Ioachim HL. Lymph node pathology. Lippincott; 1994.[4] Dorfman RF, Berry GJ. Kikuchi’s histiocytic necrotizing lympha-

denitis: an analysis of 108 cases with emphasis on differentialdiagnosis. Semin Diagn Pathol 1988;5:329—45.

[5] Chamulak GA, Brynes RK, Nathwani BN. Kikuchi-Fujimotodisease mimicking malignant lymphoma. Am J Surg Pathol1990;14:514—23.

[6] Menasce LP, Banerjee SS, Edmondson D, Harris M. Histiocyticnecrotizing lymphadenitis (Kikuchi-Fujimoto disease): conti-nuing diagnostic difficulties. Histopathology 1998;33:248—54.

[7] Kuo TT. Kikuchi’s disease (histiocytic necrotizing lymphadeni-tis). A clinicopathologic study of 79 cases with an analysis ofhistologic subtypes, immunohistology, and DNA ploidy. Am JSurg Pathol 1995;19:798—809.

[8] Hu S, Kuo TT, Hong HS. Lupus lymphadenitis simulating Kikuchi’slymphadenitis in patients with systemic lupus erythematosus:a clinicopathological analysis of six cases and review of theliterature. Pathol Int 2003;53:221—6.

[9] Yufu Y, Matsumoto M, Miyamura T, Nishimura J, NawataH, Ohshima K. Parvovirus B19-associated haemophagocy-tic syndrome with lymphadenopathy resembling histiocyticnecrotizing lymphadenitis (Kikuchi’s disease). Br J Haematol1997;96:868—71.

10] Feller AC, Lennert K, Stein H, Bruhn HD, Wuthe HH.Immunohistology and aetiology of histiocytic necrotizing lym-phadenitis. Report of three instructive cases. Histopathology1983;7:825—39.