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L’expérience du mal est source de révolte et peut nous détourner de Dieu. En même temps, c’est bien souvent au cœur de sa fragilité que l’homme découvre la présence divine et trouve la force de se relever. La souffrance est-elle nécessaire pour découvrir la transcendance ? La foi permet-elle de surmonter ses blessures ? Si « le ciel est vide », quels sont les autres chemins de la renaissance ? Mardi des Bernardins 24 mai 2011
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Mardi des Bernardins 24 mai 2011
Pourquoi croire malgré les blessures ?
L’expérience du mal est source de révolte et peut nous détourner de Dieu. En même temps, c’est bien souvent au cœur de sa fragilité que l’homme découvre la présence divine et trouve la force de se relever. La souffrance est-elle nécessaire pour découvrir la transcendance ? La foi permet-elle de surmonter ses blessures ? Si « le ciel est vide », quels sont les autres chemins de la renaissance ?
Pour cette table ronde, Christian de Cacqueray accueille trois intervenants :
• Guy Gilbert, prêtre ;
• Tim Guénard, écrivain, conférencier ;
• Pascale Senk, journaliste spécialisée dans les questions de psychologie, Le Figaro ; ancienne rédactrice en chef adjointe de Psychologies magazine.
Lectures conseillées : - Cœur de prêtre, cœur de feu et Face à la souffrance, que pouvons-nous faire ? du Père Guy Gilbert - Plus fort que la haine de Tim Guénard - Se libérer de ses dépendances de Pascale Senk et Frédérique de Gravelaine
La table ronde de ce mardi met en rapport deux cheminements : celui de Tim Guénard, père de
famille croyant, reconstruit après avoir traversé les pires souffrances dès son enfance (il fut abandonné,
battu, violé, avant de tomber lui-même un temps dans la violence), et celui du père Guy Gilbert, né dans
une famille catholique nombreuse et pétrie d’amour. Ces deux hommes, construits différemment, ont
pour point commun de consacrer leur vie à l’aide du souffrant, et notamment des jeunes en difficulté.
Leur témoignage est éclairé par Pascale Senk, journaliste spécialisée dans les questions de psychologie.
« Je témoigne qu’il n’y a pas de blessure qui ne puisse être lentement cicatrisée par l’amour »,
écrit Tim Guénard. Lui-même a peu à peu cicatrisé ses nombreuses blessures grâce à des rencontres
déterminantes : M. Léon, SDF, lui apprit à lire ; Jean-Marie, chrétien « délicat », fut capable de parler de
Dieu à ceux qui ne le connaissaient pas ; le père Thomas Philippe, prêtre patient et aimant, lui donna le
« pardon de Jésus » à plusieurs reprises et sut l’apprivoiser ; sa femme, Martine, l’accepta tel qu’il était. Si
nous rencontrons des personnes qui « chiffonnent » nos cœurs, Dieu – le « Big Boss » comme l’appelle
affectueusement Tim Guénard – met sur notre route des « repasseurs », des hommes et des femmes
imprévus qui nous apaisent, qui caressent nos blessures. Tim Guénard l’affirme : il ne sert à rien
d’entendre parler d’amour, il faut le voir. C’est à travers ces rencontres gratuites et fortuites que Dieu
vient au milieu de nous, et grâce à elles que Tim Guénard voulut ressembler aux croyants. Selon Pascale
Senk, la souffrance et le vide d’une existence peuvent parfois provoquer un réveil spirituel : le besoin de
plénitude est fréquent chez les toxicomanes ou les alcooliques, par exemple, qui ont décroché de leurs
addictions. « La spiritualité permet l’impossible : accepter le manque », écrit-elle dans Se libérer de ses
dépendances.
Mais « cicatriser une plaie » n’est pas l’oublier. « On n’est pas sur terre pour oublier. On est sur
terre pour vivre avec », affirme Tim Guénard. La cicatrice reste afin que les malheurs ne soient pas
reproduits et que l’on n’oublie pas d’où l’on vient. Il faut « rester délicat avec ses pauvretés » car la
guérison n’est jamais totale : elle est un effort de chaque jour pour ne pas retomber dans ses travers.
Pour avancer dans la vie, Tim Guénard conseille de lâcher du poids, comme dans une montgolfière, pour
se dégager peu à peu de l’emprise du passé.
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Guérir demande donc du temps. Pascale Senk explique que, si l’on parle quelquefois de déclics
ou de grâces, il faut du temps pour « réapprendre à communiquer, et surtout à se faire aider » quand on
s’est construit avec des « armures » et des « mécanismes de défense ». Il faut apprendre à faire confiance
tout en reconnaissant sa propre vulnérabilité. Car, pour Tim Guénard, celui qui souffre n’aime pas la
« nudité » : s’il se déshabille, c’est toujours délicatement et lentement. Pour cela, il doit s’appuyer sur une
présence, un regard, un amour fidèle, un être authentique et vrai, voire quelqu’un à qui il peut
s’identifier. Selon le père Guy Gilbert, « il faut de la lenteur vis-à-vis de la souffrance » car même la
gentillesse et l’amour peuvent d’abord paraître dangereux à celui qui n’en a pas l’habitude.
Le père Guy Gilbert se distingue de Tim Guénard car il a été aimé « extraordinairement » par
ses quatorze frères et sœurs : il rend l’amour qu’on lui a donné. Sa rencontre avec un jeune Marocain se
nourrissant dans la gamelle du chien, lorsqu’il est jeune prêtre, le pousse à se consacrer aux jeunes en
difficulté. « Écouter le souffrant, c’est fondamental », déclare-t-il. Depuis quarante ans, il vient en aide
aux jeunes les plus difficiles, refusés des autres centres d’accueil : « celui qui est en manque d’amour le
dira toujours violemment ». Avec eux, il construit la bergerie de Faucon, où ils vivent avec cent trente
bêtes qui leur apportent un grand équilibre. La vie y est réglée par des horaires fixes, le travail – beaucoup
sont analphabètes – et un régime alimentaire équilibré. Les jeunes sont encadrés par des éducateurs de
religions différentes, ou athées, qui font preuve d’une extraordinaire patience. Le père Guy Gilbert
s’émerveille encore de voir à quel point des hommes de toutes religions peuvent se mobiliser pour aider
des jeunes à se relever. Quant à Dieu, il n’en parle pas directement, tout en essayant d’en témoigner
autrement.
Aujourd’hui, le père Guy Gilbert dénonce la gravité de la domination adolescente : les jeunes sont
de plus en plus difficiles, de plus en plus violents. « Nous sommes dans une société malade parce que
nous n’avons pas transmis nos valeurs de droits et de devoirs », regrette-t-il : nous sommes dans une
société sans père, où se multiplient les divorces et où augmente le « mortel » chômage des jeunes. La
pauvreté est aussi très présente dans les milieux riches, où beaucoup de jeunes se suicident par manque
d’amour, de présence ou de regard de leurs parents, trop souvent absents.
L’important, pour le père Guy Gilbert, c’est d’être témoin : « il faut des cathos qui vivent ! »
s’exclame-t-il. Combien vont à la messe sans aller vers le plus souffrant ! Jean-Paul II disait aux deux
millions de jeunes des JMJ : « ce n’est pas le nombre qui compte, mais le signe que vous êtes ». Il faut
sortir des églises débordant d’amour, être signe pour le monde en allant à la rencontre du plus pauvre
comme l’a fait le Christ.
Tim Guénard et le père Guy Gilbert prônent ensemble l’espérance, en refusant l’idée de la
« fatalité du recommencement », qui fait de l’enfant battu un futur violent. Tim Guénard a entendu sur
son compte, étant enfant, qu’il était « irrécupérable », que la violence qu’il avait subie était « génétique ».
Or, il veut aujourd’hui réaffirmer que chaque être est unique et que l’espérance doit être défendue. Celui
qui ne connaît pas l’amour connaît le manque, et le manque est fait pour être rempli. Ne pas avoir été
aimé n’excuse rien pour Tim Guénard, qui témoigne aujourd’hui dans le monde entier que quelqu’un qui
a été maltraité peut découvrir l’amour. En réponse à cet appel à l’espérance, Christian de Cacqueray
choisit de conclure par la lecture du Psaume 119 : « Dans ma détresse, je me suis tourné vers le Seigneur
et il m’a répondu ».