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7/27/2019 Pragmatism Eet Empir is Me
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L’EXPÉRIENCE EN PHILOSOPHIE.PRAGMATISME ET EMPIRISME :
ENTRE JAMES ET BERGSON
par Claude-Raphaël SAMAMA
J’aurais volontiers exclu le mot réel (real),
dont l’hérédité est très chargée,
si j’avais trouvé un terme
convenable à lui substituer
E.Husserl
L’histoire de la philosophie et ses différentes doctrines ou systèmes pourraient bien s’articuler
autour d’une seule et même notion, celle d’expérience. Il faudrait bien évidemment alors, définir celle-ci et lui donner statut. Si l’expérience est ce en quoi/par quoi le réel se donne pour/à nous,
alors elle est équivalente à tout ce qui du monde est accessible, c’est-à-dire connu. Elle laisseraiten dehors d’elle, l’inconnaissable. Il resterait à voir jusqu’où et comment, et le comment, qui est
celui de nos moyens, conditionne alors le jusqu’où.
L’expérience renverrait d’abord à la possibilité d’entrer en contact avec un donné, selon
tel ou tel processus interne ou externe. La perception naturelle, extérieure ou intuitive, en est un.Tout dispositif d’expérimentation, artificiel ou médié, en est un autre. Le connaître comme
résultat vient conclure ou tirer profit de cela même. En ces trois dernières modalités se
présenterait tout système où prévaudraient le phénomène, la pensée ainsi activée et l’effet du procès intellectuel en jeu. On aura reconnu là, les deux polarités où se distribue l’ensemble des
systèmes philosophiques : empirisme et intellectualisme, intuitionnisme et logicisme, réalismeobjectif et constructivisme transcendantal. D’un côté, la primauté du donné brut venu del’externe (perception) ou de l’interne (intuition) sans médiation, de l’autre l’élaboration logique
préalable comme condition d’accès à la connaissance.
La problématique générale du pragmatisme et de ses développements s’élabore à cette
lumière et prend sens dans le cadre précédent. Sa formulation avec, à l’origine, Peirce, Jameset Dewey, en tire les conséquences ultimes pour un savoir du réel, et lie dans une approche
philosophique nouvelle, le fait et sa valeur. En mettant à son centre la question de l’expérience et
ses conséquences modales, le pragmatisme qui est d’abord, on l’aura compris, un empirisme, a permis à travers les pensées que l’on va mettre en relief, de faire se rejoindre les deux versants
subjectifs et objectifs du réel, le plus souvent séparés dans la tradition philosophique. La réalité
véritable reçoit, dans cette conception, un traitement où elle n’est plus un absolu ontologique,mais se voit conçue, relativisée et instrumentée à l’aune de sa relation à l’homme et son action en
retour. A travers elle, les deux pôles traditionnels du sujet et de l’objet, de l’expérience et du
monde, du savoir et du pouvoir, sont amenés à se rejoindre et se valider l’un par l’autre dans laconnaissance et l’usage que nous en avons, plutôt qu’à se séparer et s’éloigner au détriment de
leur nature propre, leur interaction étant fondatrice et heuristique. Il restera à voir la portée et les
conséquences d’une telle orientation.
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Les développements qui suivent, autour du pragmatisme et des philosophies empiristes,
s’attachent plus particulièrement à William James et Henri Bergson, dont on fait dans le contexte,un choix délibéré, qui sera à mesure justifié. Les styles et les élaborations philosophiques
respectifs, à partir du thème de l’expérience chez les deux penseurs, ont en effet, l’avantage de
marquer des proximités mais aussi des différences à travers deux inspirations spécifiques de
l’activité philosophique. Ils ne peuvent pas, par ailleurs, ne pas croiser, comme on vient de lesuggérer, d’autres systèmes jalonnant l’histoire de la pensée, ni l’enjeu philosophique comme
rapport au monde, où se discerneraient les voies de la philosophie anglo-saxonne et américaine,
en contrepoint de la tradition continentale.
L’expérience comme fondement philosophique
L’expérience est une des données implicites de toute philosophie. Cette assertion pourrait
pourtant constituer un paradoxe pour la plupart d’entre elles, qui partent de cette dernière sans le
reconnaître. Nous verrons dans ce qui suit que le statut et l’importance que l’on reconnaît àl’expérience, partagent les écoles, les systèmes ou les grandes pensées. La place qu’on lui
accorde pourrait même constituer un critère d’analyse permettant de classer ou ordonner cesderniers, eu égard au statut plus ou moins pertinent qu’on lui attribue. Sans revenir au paradigmeclassique des oppositions entre l’essentialisme heuristique de Platon et l’empirisme
substantialiste d’Aristote, elle se retrouverait comme ligne de partage entre l’idéalisme
scolastique puis cartésien et le criticisme, selon la ligne allant de Locke à Kant, en passant par
Hume qui en fit la clef de toute connaissance par nature.Descartes lui-même pourrait bien s’inscrire dans cette filiation d’un recours obligé à elle.
Au cœur de l’édifice des Méditations ne trouve-t-on pas en effet des expériences intérieures. Le
Cogito comme résultat du doute hyperbolique n’est-il-pas la déduction irréfutable de l’expériencedu doute et l’intuition, qui lui sert de guide, le vade me cum qui conduit à installer tout l’édifice
de la véracité et de ses fondements ? L’expérience reste ici intériorisée et en quelque sorte
formelle, puisque sa validation, outre son centrage sur l’ego – fût-il transcendant à sa manière – fait ensuite intervenir Dieu comme garant du véritable, mais en convergence avec la part
rationnelle éprouvée de la connaissance.
Il faudra attendre Locke1 pour entrer dans une systématisation de la fonction d’expérience
et d’analyses qui mettent au jour les mécanismes intellectuels et langagiers sous-tendant nosrapports au réel. La distinction des qualités premières et des qualités secondes étayera les
processus d’entendement et la nature véritable de la réalité. La mise en avant du rapport au
langage clarifiera son expression issue des expériences que nous en faisons.Hume2, qui réveilla Kant, comme chacun sait, de son sommeil dogmatique, mit
l’expérience au cœur d’une pensée qui, peut-être la première, prit le réel comme « nature » en
tant qu’enjeu crucial de toute connaissance à vérifier. Il déplacera la question, de l’intérieur de la
pensée à son extérieur, qu’elle veut ou croit penser. Si elle n’est pas lui et s’en démarque, alors ilfaut en examiner les liens, sans a priori ou réquisit préalable. L’expérience ne livre rien d’autre
pour lui, que l’habitude et des séries liées de phénomènes dans quoi tout se résout. Il n’y a pasd’autre possibilité de concordance que celle que la nature offre et à quoi doit se plier
l’entendement, sans que la réciproque puisse valoir, dans tous les cas pour une théorie de la
connaissance pure de tout a priori.
On comprend que Kant ait été, plus que d’autres, sensible à de tels arguments quil’inclinèrent à favoriser l’expérience du monde au détriment de sa pensée. Il se crut pourtant
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obligé d’en établir les conditions et de construire un système transcendantal comme condition du
connaissable. Le phénomène, comme objectivité externe, fournit seul la matière d’une expérienceen contrepoint du noumène inaccessible, car justement, il n’est pas d’expérience de ce dernier.
Dans son système, la construction transcendantale vient opposer son lourd appareil et fait perdre
la spontanéité de l’expérience, la grevant des multiples médiations « logiques » auxquelles serait
soumis le connaître, à travers concepts, catégories de l’entendement, raison régulatrice, logique,dialectique, etc.
Transcendantal et empirique
Les rappels précédents font bien apparaître à quel point la place de l’expérience est
cruciale dans toute théorie de la connaissance, si même son statut reste minoré ou dépendant deconditions a priori qui la valident ou la permettent en tant que pour nous.
Au moins jusqu’à la période moderne, le statut de l’expérience reste en effet descriptif,
tautologique, informel ; il renvoie à une définition faible du réel. Ce dernier est en rapport avecune connaissance harmonieuse préétablie (Descartes), produite sous conditions (Kant) ou
rationnel par équivalence à élaborer (Hegel). L’observation ne sert ici qu’à la démonstration ouen vue d’une construction théorique qui se doit de venir étayer un résultat intellectuel, induit ou
déduit.Si Descartes retrouve ainsi la pertinence innée de la mathesis et en fait le modèle de toute
vérité claire et distincte, Kant puise dans l’arcane du processus de connaissance par entendement
les modalités d’accès à un réel qui fait boucle avec lui 3. Hegel pose, lui, l’homologie entre réel etrationnel et avance à sa façon dans son propre modèle où la dialectique enrichit certes le
processus descriptif du réel, mais pour mieux le rapatrier si on peut dire dans une sphère
décrochée, reconstruite par rapport à de ce dont il est question. Marx apercevra bien l’abstractionde l’opération, eu égard à un pan plus concret du réel, celui de la matière et de l’histoire, si même
dans la Logique ou L’Encyclopédie des sciences philosophiques, Hegel aura tenté de faire tenir la
connaissance scientifique (de son temps) dans un processus formel à effet pro domo, en une sortede discours méta qui laisse en dehors de lui le réel vérifié expérimentalement dans le résultatscientifique.
La question de l’analyse ante ou post rem – de l’expérience de nos data –, suivie de la
tentative d’établissement d’un plan transcendantal, au sens de condition nécessaire pour valider toute expérience et de tentative formelle pour décrire l’acte du connaître, est donc au centre de la
philosophie classique et ce jusqu’à même Husserl. Ce dernier tentera de rapporter cet
établissement à une méthode aboutissant à l’ultime des essences ( Ideen), en court-circuitant enquelque sorte toute autre médiation intellectuelle préalable qui pourrait venir parasiter l’accès
direct à la « chose même », l’essence visée d’un objet, d’une notion, d’une valeur, etc. C’est là le
mouvement même de l’épochè, réductrice et purifiante, en vue d’aboutir à un absolu de
connaissance au-delà duquel on ne pourrait plus remonter et qui signerait en effet une sorted’absoluité des vérités dont l’esprit dispose. On voit bien encore ici que l’expérience du Réel a
fait l’objet d’une opération en quelque sorte de transfert, consistant à le réduire ou l’identifier à
son versant d’une intellection indépassable et à ce titre, vraie, sinon universelle – autre préoccupation de Husserl. La phénoménologie husserlienne aura peut-être eu le mérite d’ouvrir
néanmoins à une certaine forme d’expérience, par une méthode appropriée, toute une zone
idéelle, idéale, du rapport de l’esprit au monde et à lui-même (en tant que lui). Les essences à
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viser, puis atteindre, seraient la limite au-delà de laquelle, il n’est plus rien, comme absolus
ontologisés et non plus ontiques4.Une partie de la philosophie contemporaine, avec Cassirer par exemple, mais surtout
Heidegger, s’emparera implicitement d’une telle position pour accéder, à partir d’une visée
empirique d’enjeux semblables, aux versants existentiels et subjectifs ou éthiques de notre
rapport à l’être comme monde. Celui-ci s’offrirait sous les aspects de la vie ( Leben), des effetssur/pour nous du monde (Welt ), du temps ( Zeit ), de l’être (Sein), comme conscience ( Pour-soi
sartrien), condition humaine ( Da-sein), culturelle (s ymbolisch Formen de E.Cassirer) ou éthique
(l’ Autre, le Visage, la Responsabilité, chez Levinas ou le dernier Derrida).On voit ainsi, à travers ces exemples, comment l’expérience peut constituer la matière
même d’un philosopher élargi aux dimensions du monde ou à des formes humaines, reliées à lui
comme des données pures ou à retrouver dans l’être. Transcendantal et empirique verraient ainsileurs différences comme résorbées ou plutôt leurs frontières, réduites.
L’expérience est cette opération spontanée ou à saisir qui fournit la matière d’un donné
pour le penser ou l’agir. De fait, de l’idéalisme à l’empirisme, une expérience vient toujours
tenter de faire accéder à la vérité, c’est-à-dire au rapport authentique que l’homme entretient avecle réel. Seule la source en varie : celle du sujet qui informe une matière ou celle de l’objet à
connaître qui se donne, les deux conjugués, imposant les modalités de leur conjonction, au-delà
de tout autre référent. Il s’agit toujours, en quelque sorte, d’empiries premières tournées vers lesobjets du monde qui dans l’expérience que nous en faisons, réfléchissent leurs formes et rien
qu’elles, sans médiations préétablies.
L’empirisme est cette position philosophique qui privilégie une seule source, celle de laconjonction du sujet et du monde en ses objets, comme seul critérium du réel et du vrai. Il peut
être logique, substantialiste, rationnel ou même idéaliste, avec un Berkeley par exemple, selon sa
visée donc, mais jamais ne se départit d’un rapport fondateur à une saisie objective, confiante ensa visée, reproductible et partagée du donné naturel dont elle s’assure ou parle.
William James voudra l’empirisme, radical et « pur » de tout préalable ou système
antérieur à son affirmation probative et dés lors générale. Bergson, sans en faire une doctrine
systématique, s’emploiera à en montrer l’efficace et à légitimer par lui toute avancée de ses propres constructions, ne quittant jamais le terrain du réel ou tâchant de revenir à lui, comme
« donnée immédiate » ou matrice de savoir.
Expérience et pragmatisme
Le pragmatisme, de même inspiration expériencielle que l’empirisme, voudra, au-delà
des processus de saisie du réel et de connaissance, en tirer des conséquences élargies en vue d’un
rapport plus proche du monde et de ce qui en découle dès lors pour l’action. Ce sera la positiond’un Peirce quant à l’ordonnancement des signes de la réalité et leur enchaînement, de James au
niveau des modes perceptifs et de l’action humaine libérée, d’un Dewey liant la vérité à son
efficacité sociale, mais tout autant celle d’un Whitehead vis-à-vis de la « nature » comme seullieu où s’inscrit et d’où découle notre connaissance à tous les plans, du physique immédiat au
cosmologique !
« Ce que nous demandons, nous, à la philosophie de la science c’est de rendre compte dela cohérence des choses perceptivement connues. Ce qui signifie que nous refusons de donner
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notre appui à toute théorie des additions psychiques à l’objet connu dans la perception »5. A
propos de son concept de « bifurcation » où Whitehead dénonce toute tentative d’attribuer àl’esprit seul le processus causal de la connaissance, le séparant ainsi de l’objet connu, il
déclare encore : « Quand il s’agit de la connaissance nous devrions liquider toutes ces métaphores
spatiales, comme dans l’esprit et hors de l’esprit. La connaissance est quelque chose d’ultime. »
(op.cit ., p.69). La notion d’expérience empirique n’est pas ainsi réduite à la seule perception des phénomènes physiques du monde, ce qu’elle était chez Locke, Hume ou Berkeley. Elle peut aussi
être élargie à son versant intérieur et subjectif, ce que nous éprouvons ou comment se reflète en
nous la chose, l’évènement, le phénomène même, mais dans leur pureté réfléchie, tels qu’eneux-mêmes, sans réserve ou reste qui lui échappe.
Peirce et James ont ouvert la voie au processus de description directe et de vérification de
nos assertions quant au réel, ce qui a pour enjeu une définition moins formelle, plus large et plusvivante de la vérité. En ce sens ils ont ajouté à la conception empiriste, la perspective où la vérité
résulte d’un accord nécessaire avec le réel physique et sa structure reprise en/par nous, autant que
le mode des rapports à établir alors avec lui. Perspective neuve, que la philosophie continentale
n’intégra pas de façon aussi systématique comme préoccupation philosophique, à savoir celled’une valorisation de l’être comme lieu, non pas seulement d’un penser, mais d’un vivre selon
son évaluation, son intérêt et sa valence humaine, devenus des absolus remplaçant toute entité
« extatique » pour reprendre un terme heideggerien.Avant eux, et comme un précurseur, Emerson, sur le registre d’un subjectivisme
pragmaticiste avant la lettre, auteur d’un ouvrage important, intitulé justement Experience,
pourrait conforter les analyses précédentes, en les ouvrant à un autre mode d’appréhension dumonde et d’autrui. Son transcendantalisme met au premier plan l’expérience, non du seul
connaître pur et de la perspective épistémologique, mais celle de la vie sociale et des enjeux de
l’intériorité individuelle. Les catégories qui gouvernent l’homme et le socius où il baigne seront plutôt celles de l’exister, du subjectif, et d’un penser qui porte à privilégier les formes multiples
de l’expérience individuelle comme soi, puis celles plus collectives de l’appartenance, du vivre
ensemble. Dès lors, les valeurs à promouvoir en commun ouvriront à la question du politique et
de ses prolongements dans la forme démocratique de l’organisation politico-sociale, sesmodalités optimales et ses enjeux.
Dewey théorisera plus avant cette problématique où, plus que la connaissance pure et
désintéressée, seront privilégiées la forme et les effets du savoir, sa transmission, ses bénéfices,ses modes collectifs dans l’éducation et la répartition démocratique du pouvoir. L’ « enquête »,
processus d’exploration, de construction, puis de validation selon le résultat obtenu des effets
souhaitables ou projetés selon des finalités utiles, en sera la méthode privilégiée.Le néo-pragmatisme contemporain restera fidèle à ce critère. Il n’y a pas d’absolu de la
nature, de la raison ou de la science, a fortiori de la signification ou de la raison. La réalité sera
relative à son contexte, à l’interprétation de celui-ci, fonction d’un but opératoire, d’un résultat à
atteindre, d’un moment, d’un bénéfice espéré. De H.Putnam à R.Rorty ou Cavell, le réel seradéfini par ses « fonctionnalités », selon la visée épistémologique, philosophique, politique ou
morale, retenue. On reviendra plus loin sur les conséquences idéologiques de ces choix et du
statut dés lors de toute « tradition », sinon de l’histoire même et bien sûr celle de la philosophie.La démarche de Bergson, quant à elle, envisagée plus loin, tout en restant toujours le plus
proche de l’expérience, sera celle d’un empirisme différent, tentant de rejoindre à travers elle, les
modalités d’existence ou de saisie, d’un être plus substantiel, incluant l’homme ou l’excédant,l’invitant à une ontologie non séparative, liant l’existant à une source régulatrice ou l’englobant
(la Vie, la durée, l’énergie spirituelle…).
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Le passage à la limite du langage
Privilégier l’empirisme radical et la perspective pragmatique de la vérité, ne pouvait pas
ne pas entraîner, et cela survint surtout dans la sphère philosophique anglo-saxonne, un courant
épistémologique qui porterait la question sur le terrain de la logique, comme lieu encore de
l’expérience intellectuelle (ou mentale) où elle se produit et qui nous la fait rencontrer. Aucarrefour aussi du réel et de la vérité, en son immédiate médiation !
La question de la traduction que constitue toujours le langage entre le réel et nous, entre
l’expérience que nous en faisons – fût-elle « pure », spontanée – et ce qui la restitue ànous-mêmes ou à d’autres, pouvait obliger à une autre étape. Un prolongement nécessaire devait
entraîner l’empirisme appliqué à cette sphère, vers l’analyse du langage comme épreuve du réel
et donc lieu de la vérité, ou non, des assertions que nous portons sur lui. Car c’est bien dans uneexpérience, naturelle et universelle, que le langage se donne comme multiplicité aspirant à
transposer et fonder la vérité du réel perçu ou pensé. Serait-ce alors dans une nouvelle matière,
objective et neutre, un élément paradoxalement peu exploré, régi par des lois propres et crucialesà tous égards, car le réel signifié n’en est pas séparable ?
C’est dans cette voie que s’engagera ce qu’on appelle la « philosophie analytique » ouencore l’empirisme logique, de B. Russell à Wittgenstein. Le réel n’est que ce qu’on dit, ce qu’on
en dit et la question de la vérité passe alors par sa dicibilité d’abord. Où il faut entendre unedouble cohérence, celle d’un accord du langage avec le réel et celle d’un accord du langage avec
lui-même comme reflet, mouvant et incertain du réel ! Le langage sera soumis à l’analyse, à la
vérification des propositions qu’il avance, et à la limite, leur « calcul » de vérité. Le donné n’est plus ici celui de l’observation, du phénomène perçu ou pensé, mais sa traduction en propositions
dont seul le critère logique de cohérence attestera d’une pertinence.
L’expérience, sans être rejetée comme source, prendra d’abord la forme équivalented’une formulation, de sa reprise ensuite dans l’analyse où sera vérifiée sa véracité ou son possible
logique qui permettra une assertion. Le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein définit
ainsi le projet de l’ouvrage : « On pourrait résumer tout le projet de ce livre en ces mots : Tout cequi peut être dit peut être dit clairement ; et ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »6 Dans cette
approche, une expérience est re-établie, à travers une médiation, mais dont le statut reste
équivoque. Ce qui aujourd’hui n’est pas forcément aperçu. En effet, si le langage est cette
incontournable médiation d’expérience entre le réel et nous, entre nous et nous – du signifiant ausignifié, en toutes ses valeurs –, entre les choses et nous, entre les choses elles-mêmes telles que
nous les voyons, les lions ou voulons les décrire, les utiliser, etc, il resterait à le penser ,
dédoublant ainsi un procès qui se voudrait, unifié. A l’infini ?Sans entrer dans la question des langues naturelles et de leur structure à la fois universelle
et différentielle, dont l’empirisme logique veut ignorer souvent qu’à ce titre elles sont déjà le
dépôt en double du réel, la condition et comme la possibilité universelle de la signification et son
outil, ce qui est autre chose que l’acte langagier qui l’effectue et serait à évaluer – en dédoublantd’ailleurs ainsi lui-même son processus ! –, on peut au moins la signaler comme un des nœuds de
toute approche du problème de la signifiance inter-compréhensive. Wittgenstein lui-même y
reviendra comme à une des clefs du sens, dans ses Recherches logiques.Outre qu’il est « structure » par et dans la langue où il se formule, le langage est organe,
et fonction. C’est une « compétence » à ma/notre disposition, permettant des « performances »
langagières, pour reprendre le vocabulaire chomskien7. On peut alors s’interroger sur sa nature,mais aussi sur la place qu’il tient et sa fonction dans le processus d’expérience où il n’est pas
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premier, mais second, par rapport à des « percepts »8 (le corps percevant ou sentant), des
concepts (la pensée activée vers un objet ou un sens pressenti) ou, dans un autre langage,l’intuition (celle bergsonienne de la durée qui justement ne dépend pas du langage, l’excède ou le
déborde dans une saisie intérieure, pas forcément énoncée en mots…).
Une telle façon de voir est au cœur de la position jamesienne où le langage n’est pas
premier vis-à-vis du réel, donné d’abord comme flux perceptif et effet congruent en nous ducontact avec les choses ou nos états intérieurs. « La vie intellectuelle de l’homme consiste
presque entièrement dans la substitution d’un ordre conceptuel à l’ordre perceptuel dans lequel
son expérience prend naissance »9. Quel est le contenu et la fonction des concepts ? Pour lesignifiant « homme » ou celui de « triangle », vient certes le « mot » qui se mêle à une image plus
ou moins précise ou exacte, mais on est d’abord renvoyé à une perception ou une visée de la
chose, « éprouvée » postérieurement comme concept de compréhension ou d’action.En d’autres passages, James insiste sur l’impuissance des seuls concepts ou leur
limitation par rapport à l’antériorité du réel ou sa prééminence comme réalité expérimentable ou
expérimentée. « Le concept chien ne mord pas et le concept coq ne chante pas. » (op. cit., p 81).
James est le plus éloigné possible d’un quelconque nominalisme qui pour lui, est la marquemême de l’intellectualisme. Ses attaques ironiques ou argumentées contre la manière dont se
dernier s’enracine dans la présupposition conceptuelle, quelle qu’en soit la forme, sont
récurrentes à la manière d’un leitmotiv. Il n’est que de lire, par exemple, l’échange decorrespondance qu’il eut avec son collègue américain J.E. Russell sur l’opposition entre
intellectualisme et pragmatisme, à propos de la découverte de la planète Neptune, suite aux
observations de Le Verrier 10. Il ne s’agit pas là de n’importe quel exemple, on en conviendra. SiJames tient pour un accord entre expérience et réel, fût-ce par des étapes qui conduisent à la
confirmation d’une découverte prévue dans la réalité naturelle, Russell soutient que ce qui est
déterminant, c’est le travail intellectuel préalable de la pensée et son antériorité à la vérificationempirique. L’échange se conclut ainsi : « Selon moi, “signifier”, un certain objet et “s’accorder”
avec lui sont des idées abstraites dont on peut fournir une analyse concrète et déterminée. »
( Essais d’empirisme radical , op.cit ., p.212). Whitehead, philosophe, mathématicien et
cosmologue, suivra cette voie de l’unité de la connaissance, comme « non-bifurcation » entre lanature et ce que produit sa rencontre par un sujet connaissant et sans prévention.
Il serait intéressant de creuser la question du statut du langage dans l’histoire etl’évolution de la philosophie dans le dernier siècle. Les critiques qui en sont faites, ou les
constructions à partir de lui, orchestrent la plus grande partie des travaux de logique,
d’épistémologie ou de logique. Si l’on met de côté les philosophies existentielles (de Kierkegaardà Levinas, en passant par Heidegger ou Sartre), cette question oriente la majeure partie des
travaux de philosophie analytique, de Russel, Carnap ou Wittgenstein d’abord, de Mac Taggart,
Kripke, Quine, Lewis ou Goodman et tant d’autres par la suite. L’expérience ici est rapportée à
l’analyse sémantique comme exercice de validation du réel, à travers ses énoncés qui reflètenttelle ou telle cohérence ou se proposent simplement d’en parler. La logique langagière est posée
comme exhaustive quant à la réalité et la vérité du monde.
Cette formulation linguistico-logique, majoritairement anglo-saxonne, qui semble avoir depuis effacé toute autre approche, fut pourtant l’objet d’un traitement assez différent dans les
grandes philosophies de Bergson, de Husserl11 ou encore de Heidegger 12. Bergson, de son côté,
voyait plutôt dans le langage un obstacle à la saisie intuitive de la réalité intérieure et un écran àune perception naturelle du monde et de ses objets. Le langage est seulement utilitaire, spatial et
donc discontinu. Il découpe le réel selon les articulations où veut le faire entrer l’intelligence,
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selon sa nature géométrisante discontinue et ses finalités sociales utiles ou agissantes.
Pragmatiques ? Il laisse en deçà la continuité de la durée et le rapport direct qui est établi en permanence avec notre intériorité sensible ou affective, hors de sa médiation. Il est le lieu de la
généralité abstraite, calculante, jamais de la singularité concrète et personnelle, que seul l’art, à la
rigueur, peut restituer, s’il en peut, l’usage désintéressé. « Mais de même qu’on pourra intercaler
indéfiniment des points entre deux positions d’un mobile sans jamais combler l’espace parcouru,ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux
autres, et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire
entièrement ce que notre âme ressent : La pensée demeure incommensurable avec le langage. »( Données immédiates, p109).
Quant à James, il tient sur les mêmes positions et considère aussi bien que le langage
interpose entre la réalité et nous un écran ou plutôt un stade ultérieur à la connaissance « pure », pour restituer une expérience première ou engager à agir après elle. Un Austin portera cette
manière de voir jusqu’à ces conséquences ultimes, faisant du langage une modalité même de
l’action, comme geste ou injonction13. La conception du « langage » des empiristes logiques,
comme lieu de toute vérité, même si, pour partie détachée de la problématique de la languecomme structure naturelle et organe identifiant des êtres parlants, n’était pas dans sa philosophie
comme intention, en dépit de filiations parfois revendiquées. « Si le but de la philosophie était de
prendre pleinement possession par l’esprit de toute la réalité rien de moins que l’entièreté del’expérience perceptuelle immédiate pourrait devenir son objet, car c’est dans cette expérience
seule que la réalité peut être trouvée intimement et concrètement. » ( Introduction à la
philosophie, op.cit ., p90). Bergson, auteur cité par James quelques lignes avant cette citation,comme tenant d’une analyse proche, semble exprimer encore plus fortement cette position
critique vis-à-vis de « l’abus des concepts» 14.
Le pragmatisme « logique », toujours langagier , a finalement abouti à fourvoyer laréflexion philosophique dans la voie d’une abstraction appauvrissante, qu’un Wittgenstein
lui-même a pu dénoncer dans sa deuxième philosophie, et à sa suite le « néo-pragmatisme », par
une autre voie. Il serait tout aussi intéressant de creuser le paradoxe d’une orientation prise dans
la deuxième partie du XXe siècle par des penseurs s’en réclamant, finalement contraire à celle prônée par James au départ.
L’empirisme : D’une factorielle des sciences à l’ontologie
La pensée philosophique semble être dépendante de celle de la science – des avancées deses domaines – en un rapport peu aperçu. Il est constaté que philosophie et science se séparent,
dans leur méthode et leur finalité, à la fin du XVIII e siècle. Le raisonnement expérimental et le
langage mathématique de la seconde, puis les résultats obtenus en termes de connaissances
objectives ou d’applications techniques, feront la différence. Il est moins apparent que la première indexe alors sa recherche, ses questions ou la vision du monde qui en résulte, sur l’état
du développement de la première. Chaque nouveau progrès des sciences, chaque nouveau
domaine conquis par elles, pourraient être mis en relation avec une philosophie qui s’en empareou à tout le moins en est influencée15.
Cette grille d’analyse garde toute sa pertinence pour ce qui est de la problématique
générale du pragmatisme et des systèmes empiristes, qui vont nous occuper maintenant, deBergson et de James.
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La science biologique et l’évolutionnisme ne sont pas séparables de la philosophie
bergsonienne16, qu’il s’agisse des facultés psychiques : intuition de la durée, mémoire, langage,intelligence ; de comportements observables : instinct, intelligence, action ; d’ontogenèse ou de
phylogenèse : évolution des espèces, organisation socio-biologique, progrès ou régression des
sociétés humaines. Toute l’œuvre s’inscrit dans ce champ épistémologique dominant, mais sans
pour autant s’y confondre, offrant au contraire le cadre à une pensée d’intégration et la synthèsearticulée de connaissances éparses et non liées. Les facteurs incontournables d’une description
prégnante du réel y sont bien présents : le temps rapporté à la durée, l’espace pensable comme
articulation de l’intelligence à la matière, la vie affirmée dans sa présence animale commeinstinct, humaine dans celle de l’intelligence fabricante de l’homo faber . La mémoire, faculté
majeure, se donne quant à elle selon des degrés. Elle se manifeste en des états plus ou moins
détendus de la matière où l’élan vital originaire a ici perdu toute force où là fait trace, résiste à saretombée et perdure dans la conscience et le sentiment de la durée. Le langage, lui, indispensable
à l’action, infiltre le vécu de concepts et par l’intelligence rationnelle, substitue au monde un
univers spatial, utile, efficient, performant. L’action intelligente et différée pour cause d’efficace
ne serait pas sans lui, même si sa convention fait perdre la spontanéité de la durée immédiate etd’autres formes de conscience, plus proches de l’essence d’une réalité préservée.
A une telle vision du monde, ses modes d’apparaître, les résistances qu’oppose la matière
à l’action, et les facilités dont l’homme et l’animal disposent pour l’affronter et s’y adapter, lesystème bergsonien ne pouvait pas ne pas aboutir à une représentation de l’être en cohérence
avec elle. Son ontologie, énergétique si l’on peut dire, résultera d’une dialectique entre la matière
et le vivant, issue d’un pragmatisme d’observation qui ne sera spéculatif qu’à la suite dedescriptions précises issues de données scientifiques (anatomie, physiologie, psychologie,
psychophysique, éthologie…) et d’expériences accordées au réel, par cohérence d’hypothèses.
C’est le sens qu’il faut donner, entre autre, à sa cosmologie dans L’évolution créatrice, où sispéculation philosophique il y a, celle-ci ne quitte jamais le terrain de l’expérience ou, dans tous
les cas, n’est pas contredite par elle. Elle se soumettrait à l’épreuve expérimentale d’une vérité
différente, si la science venait à infirmer la première ou récuser telle assertion. Ce fut le cas dans
le dialogue de Bergson avec Einstein, à propos de la question du temps, dans Durée et simultanéité (1922), œuvre dont Bergson abandonna les thèses quant à un temps absolu non
soumis aux lois de la relativité. Ce qui ne remettait d’ailleurs pas en cause sa conception du
temps vécu humain et ses implications.
James sera autant marqué par un état du savoir de son temps. L’accession de la
psychologie au statut de science, les travaux multiples autour d’elles, expérimentaux outhéoriques, marqueront tout un pan de sa carrière et ne laisseront pas d’influencer ses
conceptions. Les progrès contemporains de la psychologie, de la physique théorique autant que
ceux de la logique mathématique et bien sûr de la biologie, marqués tous par des révolutions – ou
des changements de paradigme17 – forment un arrière plan incontestable de sa philosophie. Outrel’influence incontestable de l’école française sur sa pensée18, il ne cessera de ferrailler contre les
physiciens et tous ceux qui veulent introduire des médiations entre le réel et sa perception. Qu’il
s’agisse de Fechner et de ses travaux sur la mesure de la sensation19 ou des approches psycho-physiologiques des facultés ou potentialités mentales, de Russell et de sa philosophie
discontinue des mathématiques, de Royce et de sa théorie de la croyance tirant vers le monisme
ou des associationnistes tels que Stuart Mill, James défend contre eux les droits inaliénables de lacontinuité et du pluralisme, sinon de l’indétermination du réel, avant sa saisie qui en nous le
prolonge. L’enjeu est bien sûr, celui de la nouveauté à préserver, à partir de la liberté qu’ouvre
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notre contact avec le réel du monde, comme actions efficaces qui en découlent ou que ce dernier
peut induire.On a pu taxer la philosophie de James de psychologisme et il est vrai que ses Principes
de psychologie (1890) tentent de poser, à travers le jeu des facultés immédiatement opératoires,
les bases d’une conception de l’homme et de ses modes de connaissance, sans passer par une
analyse préalable de leur condition de fonctionnement. En cela, il suivait la tendance d’un tempsqui découvrait ou voulait fonder une nouvelle science, humaine celle-là, et sans a priori,
prévention ou tradition paralysante de la pensée. On notera aussi, sans qu’il y ait là paradoxe, sa
tendance à considérer objectivement le réel et à pratiquer s’il le faut l’observation etl’expérimentation, quand il invite par exemple, dans ses Principes (ch.7, p. 139 et sq.), tout un
chacun à disséquer un cerveau de mouton, acheté à la boucherie du coin, pour en voir la structure
et savoir un peu de quoi l’on parle, en termes de centres nerveux !Le pragmatisme de ce premier James psychologue dépassera vite l’approche d’une
« théorie des facultés » constatables, pour faire place à une philosophie plus générale. Ce sera
celle de l’empirisme radical et, suivant en cela Peirce, d’une certaine forme d’indétermination
ontologique – ou plutôt d’un transfert de celle-ci à la situation de l’homme comme ayant part àelle – ouvrant ainsi au progrès, à l’évolution, à l’action adaptative ou transformatrice du réel.
La perspective darwinienne est évidemment ici toute proche sinon prolongée dans une
philosophie de la conscience « humaniste », comme reconnaissant, acceptant ou proposant lechangement, le mouvement et l’action, en place de la régression ou du choix statique des formes
intellectuelles, sociales, pédagogiques ou politiques – voie suivie par Dewey. Le contexte
américain, en particulier universitaire, moins lié à la tradition philosophique classiqueeuropéenne, ouvrait aussi des voies plus libres et moins empruntées, où la recherche de James et
son exploration pluraliste des thèmes du savoir excellèrent, sans jamais aller au système clos.
Bergson, quant à lui, tenta de produire une représentation du réel ancrée dans uneexpérience que la science (comme savoir du connaissable et non technique conquérante) ne
dément pas, sans chercher à produire une doctrine systématique de l’action. Sa conception de la
vérité est aussi différente, plus ancrée dans un empirisme intuitif généralisable par l’expérience
commune qu’ordonnateur de principes. Dans le domaine de l’action, il tira seulement desconclusions à partir de l’évolution de l’état du monde. Les deux sources de la morale et de la
religion sont en cohérence avec une philosophie de la conscience et du temps humain porteur de
progrès ou régressif s’il ne s’attache qu’à la seule matière.
Intuition et expérienciabilité
On a jusqu’à présent balisé le champ de l’empirisme dont la doctrine pragmatique est
issue. Les deux philosophes importants retenus qui en relèvent, dans le même temps, tracent des
orientations ou proposent des styles de pensées spécifiques qui semblent, par ailleurs, distinguer deux continents philosophiques.
Le parallèle est d’autant plus pertinent qu’au centre des deux pensées, l’expérience sert
d’éclairage et de partage; ici pour une méthode (James), là pour un accès substantiel (Bergson) àla donnée de l’être. Pour le premier, elle sert de clef d’accès direct au réel en général ; pour le
second, elle permet une description des phénomènes en termes discriminants de ce qui est donné
et de ce qui est construit. De Peirce à James, il s’agira bien d’un déchiffrage du réel sous leseffets de sa perception externe ou d’ailleurs interne20 « pure », entre sémiotique perceptive et
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« empirisme radical » ; Dewey, quant à lui, veut y assujettir toute règle d’action. Avec Bergson,
l’expérience philosophique s’emparera du réel par une de ses « données » modales, essentielle, la« durée » vécue et son intuition, mode ontologique (en un sens spinoziste) discriminant en effet
de niveaux dans l’être et de modalités spécifiques entre les existants. C’est cette dernière qui
conditionne et permet l’élaboration d’abord, d’une psychologie, puis d’une épistémologie21, et
enfin d’une ontologie
22
résultante. La morale qui en résultera s’inscrira sur un fondévolutionniste, biologique, social et cosmologique, en tant que ces aspects du réel sont
conditionnés par sa saisie d’abord, puis les inductions qu’autorisent sa nature et ses formes quant
à l’expérience de l’être, et au-delà, sa structure.Pour James, dont la psychologie forme un volet à part de la pensée, qui ne conditionne
pas l’élaboration ultérieure de sa pensée, c’est l’expérience « pure », donnée dans la perception
externe directe du réel, qui va servir de modèle à une théorie de la connaissance, puis de l’action.Les Principes de psychologie, avec leur théorie des émotions, déclinent dans un premier temps
une conception non associationniste, corporéiste et vitaliste du vécu subjectif ou mental, issue de
l’observation des faits et de la critique parallèle des théories intellectualistes de son temps.
La psychologie est pour Bergson une sorte de paradigme de départ, en tant qu’elle donneun accès immédiat à une modalité non médiée de l’existant. L’ Essai sur les données immédiates
de la conscience (1889), Matière et mémoire (1896), œuvres majeures s’il en est, introduisent à
une philosophie de la durée comme substance qui orientera tout le système ultérieur. Privilégiantle temps sur l’espace, Bergson tirera toutes les conséquences de cette expérience d’un vécu où le
« réel » pourrait bien exprimer son essence même. A condition toutefois qu’on l’oppose à ce que
fournit en contrepoint la matière inerte, non soumise au même type de changement ni au mêmerapport offert à l’homme. Ainsi de la mémoire, sans laquelle il ne serait ni durée, ni esprit, ni
savoir, etc.
La théorie de la connaissance qui s’ensuit et sa perspective se constituent chez Bergsonautour d’une critique de l’intellectualisme, qu’il s’agisse de l’associationnisme ou de toute théorie
qui ne partirait pas de cette expérience ou voudrait faire entrer celle-ci dans des cadres abstraits a
priori, ce que fait en permanence la métaphysique. Philosopher est une des voies expérimentales
de penser du réel, contrairement à toute construction qui voudrait le précéder. Toutes les œuvresde Bergson tentent d’élaborer une expérience et d’en tirer des conclusions réalistes. Il en va ainsi
pour l’intuition de la durée ( Données Immédiates), de la mémoire ( Matière et mémoire) ; pour les
formes de la vie ( Evolution créatrice), du temps pensé ou vécu ( L’énergie spirituelle, La penséeet le mouvant ). Il en ressort moins un système fermé ou dogmatique qu’une vision cohérente,
descriptive de différents niveaux du réel et congruente avec toute une série de phénomènes reliés
par l’expérience que nous en avons, preuve s’il en est de leur objectivité et de leur réalité. Qu’onaille ainsi réfuter les notions bergsoniennes d’intuition de la durée, de mémoire virtuelle ou
présente, de matière plus ou moins inerte, d’intelligence ou d’instinct, de continuum psychique
ou de mécanique, opposé au vivant (cf. Le rire)! On ne le pourrait pas, parce qu’elles sont toutes
des vérités d’expériences effectives et même si la science éclairait plus leur substrat phénoménal, par un langage mathématique ou physico-chimique, elle ne changerait rien à l’élaboration
philosophique du bergsonisme et sa cohérence empirique, expériençiable. C’est ce qu’un Deleuze
a bien aperçu23.On trouve chez James, sur un mode un peu différent, une semblable visée, aux finalités
différentes. Sa description des phénomènes religieux, psychologiques, perceptifs et intellectuels
part de l’observation sans a priori et se tient aussi aux strictes données de l’expérience que nousen avons. Il en tire la conséquence d’une méthode pour la connaissance, se résumant à ne rien
affirmer qui ne provienne de l’empirie d’une chose donnée ou d’un état produit, quels qu’ils
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soient, et au-delà, d’une philosophie de l’action se réglant sur le résultat obtenu ou à obtenir
d’une telle attitude vis-à-vis de tel ou tel objet ou domaine du monde. La science, ou tout autresavoir à suivre, se feront ainsi les servants d’un critère où le résultat obtenu arbitre de la vérité et
où l’utile deviendra de plus en plus une valeur importante ou dans tous les cas à ne pas négliger.
On voit ainsi le glissement opéré d’une théorie à une pratique qui la légitime en retour etla justifie. Bergson ne l’effectue pas, ayant déjà distingué ces registres dans une véritable
anthropologie découlant de sa propre phénoménologie. Seule la description objective qu’il donne
du réel dans son ensemble naturel ou civilisationnel, orientera une conception générale del’intérêt humain issu des modalités de son déploiement dans l’histoire. A cet égard, l’ouvrage des
Deux sources de la morale et de la religion distinguera les « sociétés closes » et les « sociétés
ouvertes » à partir d’un modèle biologique et son possible dépassement.La philosophie de l’action des pragmatistes américains se passe de cette considération
universelle ou générique. La question des valeurs, en particulier, reste ici suspendue à une
probation relative, au nom d’une vérité définie par sa viabilité épistémologique (Peirce),
expérimentale et méthodologique (James), méthodologique et socio-politique (Dewey), culturelle(Rorty, Putnam, Cavell…). Le monde, dans la totalité de ses registres, se voit ouvert, offert,
considéré comme le champ indéterminé d’une expérimentation à universaliser, sans limites, ni a
priori. C’est là une des voies, implicite ou inconsciente, de l’idéologie occidentale dudéveloppement et de la croissance sans limites de l’action humaine sur la matière, l’humanité
sociale et économique mais aussi l’individu. L’horizon même d’une ontologie comme horizon
objectivement restreignant ou origine et son contrepoint de finitude se voit ainsi perdu ou, danstous les cas, brouillé. Il est vrai que le déploiement de la technique mondialisée et la voie de
l’ « arraisonnement » du monde, pour reprendre le terme de Heidegger, comme nature, ne
pouvaient être aperçus d’un Peirce ou d’un James. Dewey, qui écrit après Hiroshima, a pu prendre conscience du risque, si même dans le contexte d’un affrontement des blocs, après la
Seconde Guerre mondiale, où il a raison de mettre en avant les meilleurs modes de défense de la
démocratie, par considération de ce qu’il appelle le « public », c’est-à-dire les citoyens.
En d’autres termes, la vocation pragmatiste qui n’aurait comme seul critère que l’actionhumaine et ses résultats, sans prise en compte des limites, des conséquences imprévisibles et
donc des dangers qu’ouvre la seule expérience illimitée, pas seulement comme processus
d’intériorisation (intuition) mais comme pratique, par exemple dans la Technique généralisée, sevoit renvoyée au cadre ontologique où elle opère et aux finalités axiologiques de son expansion.
Menant une réflexion semblable, avant la Seconde Guerre mondiale et la bombe
nucléaire, Bergson, dans les Deux sources, aperçoit le processus de la « loi de double frénésie » 24
poussant l’homme aux extrêmes des courants vitaux qui peut-être inconsciemment le portent,
dans la guerre, la technique et l’âge industriel mécaniste ou d’autres idéaux potentiels où aurait
part le spirituel, dans sa version généreuse et humaniste.
C’est comme si l’empirisme de deux philosophies, s’était tourné vers les deux pôles possibles d’accès à l’être, les deux modalités de son exposition pour nous, les deux voies de ses
effets pour la connaissance et les types de conséquences à en tirer. L’intuition bergsonienne fait
ici pendant à l’empirisme radical de James et au pragmatisme systématique de Dewey,l’expérience pure du perceptible ne rejoint pas toujours les données immédiates et plus profondes
de la conscience, le statut de l’être qui en résulte dans les deux cas ne donne ni les mêmes
prolongements ni les mêmes règles vis-à-vis du monde et de l’action tournée vers lui. Le constat philosophique doit-il toujours être porteur d’une stratégie ? La sagesse doit-elle se transformer en
recette non point pour s’accroître, mais se risquer à se défaire de ce dont elle tient ? Et son
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amour , s’abstraire de ce qui est, pour faire advenir la contingence de ce qui n’est pas encore ou
pourrait être à la seule aune d’un Bien seulement utile ou contingent. Le devenir civilisateur etses différentes idéologies ont déjà commencé à trancher de la question.
Pragmatisme américain et philosophie continentaleLes développements qui précèdent ont permis de caractériser ou décrire succinctement
divers courants ou systèmes des philosophies européennes et américaines. Si l’on met à partl’empirisme anglais du XVIIIe, de Locke à Berkeley, en passant par Hume, qui trouve par ailleurs
des échos chez les matérialistes français de la même période – Condillac, La Mettrie, par exemple
–, le pragmatisme, courant philosophique transcontinental, qui a avec lui quelques liens par la place faite à l’expérience empirique du monde, se démarque fortement de la vocation européenne
de la philosophie et en constitue peut-être, sinon une antithèse, du moins un contrepoint, pas
forcément consonant.L’empirisme fonde toute vérité et toute croyance dans une perception donnée par contact
de l’esprit avec un objet externe, dans cette expérience même d’une rencontre et de ses effets. Ilinstaure ainsi une modalité phénoménale stricte et exclusive – ce que Kant formalise dans la
frontière qu’il établit entre connaissable et non connaissable, si même la constructiontranscendantale lui est nécessaire. La connaissance, la vérité et la science elle-même (voir un
Whitehead) s’obligent à se rapporter à cette seule modalité d’une saisie homologique, équivalente
du réel perçu, connu en lui-même, c’est-à-dire équivalant à cette perception exclusive, excluanttout autre résultat que ne validerait point son processus.
L’empirisme pourrait ainsi avoir sa version matérialiste (Locke, Hume), idéaliste
(Berkeley) ou logico-positiviste25 (Russell, Wittgenstein). Il reste dans les limites d’uneexpérimentation, d’une expérimentabilité, ne serait-ce que dans/sur des formes idéales (logiques,
mathématiques, formelles, syntaxiques etc…), de toutes les façons sur des matériaux donnés dans
un réel . Tout le positivisme logique relève, dans ce sens, d’une forme d’empirisme quand il sedonne l’objet externe du langage, dans ses règles(Goodman), dans l’expérience de tel ou tel usagecontextuel (Putnam), l’objectivation de telle réalisation (Austin) ou performance (Chomsky)...
L’empirisme est ainsi esprit et méthode, attitude et modalités, postulat aussi de validité des
sources de la connaissance dans la seule modalité d’un expériençable où sujet affecté et objetdonné s’équivalent dans l’ordre d’un discours. Ce qui signifie aussi qu’une vérification de telle
ou telle assertion est toujours possible et que la même soit comprise d’un autre esprit.
Le pragmatisme emboîte le pas d’un tel rapport au réel, lie bien la connaissance à cedernier, et va même au-delà en définissant la vérité exclusivement par l’expérience dans laquelle
se donne ou se construit l’objet. Au centre de sa doctrine est affirmé un mode de la connaissance
pure, non médiée, immédiate et non analytique a priori. Objet connu et sujet connaissant sont
donnés dans un même procès qui les identifie. Ainsi sont sauvegardées l’identité de l’objet àlui-même (réalisme) et la vérité de sa connaissance, sans recours à autre chose qu’à l’acte même
où il est su, représenté ou référé à une action en rapport à lui. Ainsi sont en accord, conciliés (et
non séparés, ou différents en nature – ce qu’est la position transcendantale) le sujet (l’esprit, la pensée), l’objet (le monde, la nature, les choses) et la connaissance (comme résultat et
harmonique). L’adéquation entre eux – croix de toute philosophie –, la vérité, n’a pas ainsi à être
fondée (Descartes), construite (Kant) ou vérifiée (tout le positivisme logique de Russell, Carnap
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ou Wittgenstein). On peut en décrire le procès, mais le procès seul, comme continuité
progressive, ce que fait Peirce.Forme active et comme systématisée de l’empirisme, le pragmatisme a voulu encore aller
au-delà de l’Expérience et de ses descriptions contextuelles. Sa logique l’amènera non pas
seulement à comprendre à sa façon le réel, mais à se proposer de le régir, le faire servir, le
rapporter au résultat sans lequel il perdrait sens, le référer au cadre d’une efficace à partir d’un jugement de valeur, d’une position prise ou à prendre, concernant les effets du réel sur nous et
dès lors l’action en retour que, sur lui, nous pouvons exercer 26. Il y a là une incontestable
nouveauté dans l’esprit philosophique et une nouvelle vocation, au sens du Beruf wébérien27,appelant à conjoindre pensée et action, en justifiant leur liaison structurelle, épistémologique,
culturelle – sinon « culturale »28 et anthropologique.
C’est peut-être John Dewey qui a poussé le plus loin les conséquences pratiques de laconception pragmatique. Outre ses critiques de la philosophie traditionnelle européenne, venue
d’un autre temps, issue de la logique catégorielle, ontologique ou liée à un état historique de la
science, Dewey définit un autre champ et un autre temps de la vérité. « Les théories de la
connaissance qui ont été élaborées avant l’existence de l’enquête scientifique ne fournissentaucun schéma, aucun modèle pour la théorie de la connaissance fondée sur l’enquête telle qu’elle
se pratique aujourd’hui. De la même façon, les systèmes d’hier reflètent la vision pré-scientifique
du monde naturel, l’état pré-technologique de l’industrie, de l’état pré-démocratique de l’époqueet des doctrines ont pris forme»29. L’absolu n’existe ni en soi, ni pour nous. Il n’y a que de la
relativité temporelle, situationnelle et axiologique. L’expérience elle-même change et induit ses
propres conséquences. Penser autant qu’agir renvoient à la justification de leur prégnance, lavalidité de leurs enseignements. La seule réalité à considérer est l’expérience de l’expérience que
fournira l’ « enquête », substitut opératoire de l’analyse. « Si une autre conception de
l’expérience est désormais possible, c’est précisément parce que la qualité de l’expérience tellequ’elle peut désormais être vécue a subi une profonde mutation sociale et intellectuelle par
rapport à l’expérience telle qu’elle était précisément envisagée. » ( Reconstruction en philosophie,
op.cit , p. 88)
Les métaphysiciens du siècle de L’Age classique ou des Lumières ne visaient que dusavoir pur. Ici, on veut le faire agir, l’élargir à l’action, le faire exister par la réussite ou l’utilité
rétroactive de l’action humaine qui peut en découler. C’est tout le sens de la pensée de Dewey et
de sa philosophie de « l’Enquête »30, comme intervention, interaction, construction vis-à-vis duréel scientifique, social, économique, politique, etc. A cette aune, le pragmatisme est non plus
seulement un processus d’évaluation des perceptions, mais une élaboration active, finalisée, par
exemple pour une politique démocratique des idées qui la soutiennent, des vérités établies alorsou à établir comme résultats probants et actions efficaces à venir. La vérité devient ainsi une
« propriété » des objets, des événements, des idées31. W.James, quant à lui, ne cessait de se battre
dans cette arène où il veut réfuter tout monisme, idéalisme, transcendantalisme et toute
métaphysique résultante, pour le seul triomphe de l’expérience pure comme un nouveauradicalisme, hors de tout présupposé, physique, intellectuel, moral.
Quelles conséquences pour la philosophie ? Si on rejette tout a priori, toute pensée des
essences, de principes préétablis (ce que sont l’idéalisme platonicien ou, à sa façon latranscendantalité kantienne et les diverses formes de l’intellectualisme), alors le pragmatisme
instaure d’autres règles, celle de la vérification dans le réel des conséquences de sa vision
opératoire, celle du choix d’un « empirisme radical » hors de tout a priori, celle du succès obtenucomme seule probation du savoir et de l’action. La vérité de l’idée est dans sa mise à l’épreuve.
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C’est là que sa doctrine déborde le cadre strict d’une théorie de la connaissance et engage
un autre procès du réel – celui de sa restitution pratique ou de sa mise en œuvre. Sa captationempirique ne renvoyant qu’à elle-même, l’oblige à prouver sa réalité, à conforter sa vérité –
particulièrement dans les domaines qui relèvent de l’arbitrage de l’action et des valeurs 32 qui la
sous-tendent –, à exciper de critères qui en fondent l’efficace. Ce critère, en retour, oblige à des
choix supposant un système sous-jacent de valeurs, qui renvoie à une idéologie dont l’économiene peut être faite et le plus souvent aux intérêts qui y ont présidé. Comment alors garantir qu’ils
ont été les bons ?
Rorty, chef de file des néo-pragmatistes, est celui qui après Dewey, voudra tirer lesconséquences d’une telle méthode et position philosophique. La philosophie ne devra plus viser
une ontologie idéelle, essentielle abstraite au-delà ou en deçà de l’être, mais une pratique
philosophique qui tenterait l’accord de l’homme et du monde sous les modalités de l’action, du politique, du social, de l’historique…Ce qu’il appelle « l’homme spéculaire » est cet homme
occidental, européen dépassé qui cherche la vérité dans le miroir de l’être, de soi, d’un monde
figé par sa tradition. Il s’agit de ne plus penser la philosophie comme systématique ou déjà
pensée, mais dans le sillage d’un Derrida ou avec lui, de la déconstruire pour ouvrir les voies àune pensée « édifiante». La philosophie post-analytique pourrait bien être un résultat d’une
pragmatisation de la philosophie « analytique » après celle du pragmatisme originaire et
précurseur, et de l’abandon de la philosophie dite « spéculaire », c’est à dire au miroir, de l’êtresubstantifié. Elle aurait pour visée une pragmatique sans illusion de la pensée sans horizon, une
ontologie sans Etre ou réduite à sa seule lecture « métaphysique », au sens heideggerien de la
perte de la vérité et de l’horizon de l’être en tant qu’être, une déconstruction de l’ « image de lanature »... Ce qui est donner un blanc-seing à une nouvelle occultation qui ne dirait pas son nom !
La lecture de l’histoire de la philosophie par Rorty, à la suite d’un Dewey, plus tourné
vers une politique ou l’émergence d’un esprit public33, distingue les « systématiques », les« édifiants », les « marginaux ». Sans s’attarder sur ce raccourci péremptoire et les courts-circuits
qu’il entraîne dans le déploiement de la pensée occidentale, faisons simplement remarquer
l’obscurité ou les contresens d’une telle assertion : « Les trois penseurs marginaux et édifiants de
notre temps sont Dewey, Wittgenstein et Heidegger. »34 ! Il serait facile de montrer, passeulement le contresens herméneutique et ontologique de cette sentence, mais la généralisation
implicite de la « perte » ou de « l’oubli » ontologique comme vérité de l’être qu’elle comporte,
incluant sa substitution subreptice par celle d’un culte au « monde devenu ». En faveur d’uneredéfinition borgne ou aveugle de la vérité, rapportée à l’action conditionnelle, biaisée, relative et
soumise à toutes les déviations, par exemple de l’idéologie (chez un Dewey), du repli prudent et
contradictoirement paradoxal, du silence mystique (pour Wittgenstein), de l’adaptation del’humanité à un destin normé par l’idéologie dominante35, d’un obscurcissement de l’horizon a
minima de l’être derrière l’écran de la technique mondialisée et d’un Dasein livré à l’intempestif
optimisme d’une condition humaine ayant pour seul but de « participer à une conversation »
(idem, op.cit , p.409) – un dialogue, une politique, un nouveau penser ? –, acmé de la « nouvellesagesse».
La dissolution de la philosophie dans la culture (dominante ?) n’est pas loin. Le
pragmatisme, appliqué à la philosophie, en serait sa critique, sa mutation à des finssocio-historiques36. Il s’agirait de ne plus faire des concepts de nature, d’esprit, de substance, de
connaissance, etc. la clef du penser philosophique. L’avantage en serait de dépasser ou relativiser
à leur temps caduc, les philosophies classiques et leurs problématiques qui fermeraient l’horizonde la pensée. Les nombreux échanges entre Rorty et Derrida et tout le courant de la
déconstruction, en seraient un des résultats. Quel serait alors le programme de cet accaparement
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critique de la philosophie traditionnelle par le néo-pragmatisme américain ? Laissons Rorty
lui-même y répondre : « Le seul point sur lequel j’insisterai est que l’enjeu moral des philosophesdevrait être de poursuivre la conversation occidentale et non de vouloir à tout prix ménager une
place aux problèmes traditionnels de la philosophie moderne au sein de cette conversation. » (in
L’homme spéculaire, p.432). Ou encore : « James et Dewey ont voulu modifier les fins de
l’activité philosophique, en transformant la connaissance en espoir. A leurs yeux un telchangement reviendrait à américaniser la philosophie. » (in L’espoir au lieu de savoir , p.32) On
laissera ouverte la discussion d’un tel projet.
Pointons seulement, comme le soulignait G.Deledalle, outre l’incompréhension françaisesinon européenne, vis-à-vis de la philosophie analytique, le peu de pénétration de la méthode et
de l’esprit pragmatiques dans l’aire philosophique continentale. L’Italie (voir l’étude ci-avant de
P.Bianchi) fait un peu exception. Une différence par nature est peut-être aussi à l’œuvre.La mise en avant, à dessein, dans cet article, de la pensée tout aussi empiriste de Bergson,
donne un contrepoint assez démonstratif de deux styles de philosophie. Partant aussi de
l’expérience au sens plein du terme, en tant que celle-ci renvoie, cette fois, à un universel dont
chacun peut faire l’épreuve et éclairer le réel comme totalité sans faire l’économie d’une « penséede l’être », Bergson livre un système empiriste, descriptif et probant, le plus proche des « données
immédiates de la conscience » et des différents aspects de la biogenèse. Il inclura la modalité du
temps comme durée et mémoire, éclairera notre rapport à la matière dans l’intelligencespatialisante, offrira la méthode de l’intuition comme vade me cum en regard du réel agi ou
pensé. Le monde animal n’est pas oublié, comme caractérisé par l’instinct. La Vie, elle, porte
l’Evolution et cette dernière la conduit. L’action ou la morale, puisant aux deux sources du« clos » ou de l’ « ouvert » ne viennent que comme résultante d’une ontologie qui les oriente et
trace les voies pour une humanité s’emparant d’elle-même et d’un meilleur fondé en raison de ce
qui a pu, par une autre forme d’enquête, être établi. La multiplicité du monde, sa mouvance, laliberté fondée dans le possible et l’indétermination du réel à cause d’un certain accès au
« spirituel » opposé à l’inertie de la matière, offrent un autre horizon à une empirie paradoxale, à
la fois déterminée et repérable mais tout autant non forclose et ouverte au possible. On comprend
mieux ainsi des affinités avec le pragmatisme, bien aperçues par James, mais aussi desdifférences profondes, où la recherche et l’élaboration philosophique n’outrepassent pas les
limites de ce que l’expérience peut enseigner, c’est-à-dire sans la faire servir à des fins qui en
changeraient la vocation, la nature et l’esprit, par exemple, si elle tranchait, au nom d’unemaîtrise du devenir, qui autrement se dessine ou doit se destiner et où son savoir se tient à
distance du pouvoir, dont les enjeux sont autres.
Conclusion
« Comme le disait mon maître Jules Lequier, le dernier mot de la philosophie n’est pas :
devenir mais Faire et en faisant se faire. De notre raison, de l’emploi raisonnable de notre liberté,
il dépend en partie que nous soyons les ouvriers de nous-mêmes. Et c’est là le personnalisme. »37
Cette citation pourrait montrer que la philosophie continentale n’est pas en reste sur ses capacités
à se tourner vers l’accomplissement de la personne humaine et l’orientation de son action. Les
liens ou influences réciproques qui ont pu s’établir entre le courant pragmatiste américain et des penseurs européens sont beaucoup plus riches qu’on ne le croie habituellement. S’il a pu jouer
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dans le sens d’une influence directe sur des penseurs italiens comme Vailati ou Calderoni, y
cherchant les voies d’un des modes du politique, on oublie le plus souvent les effets de la penséeeuropéenne sur le même courant via Spencer ou Stuart Mill, bien sûr, mais tout autant, dans un
autre esprit, Renouvier, Taine ou Blondel – et bien sûr Bergson – en particulier sur la pensée de
James. Le personnalisme de Renouvier, rappelé, n’est pas loin de l’humanisme de James, ni sa
philosophie de l’action.Il reste que deux styles de pensée sont ici en jeu, différant par une position à l’être, que
dès l’origine la philosophie occidentale a mis au centre de son déploiement, des penseurs
pré-socratiques à son âge classique, de l’idéalisme platonicien à des métaphysiques substantielles(Schopenhauer), historiques (Hegel), critiques (Nietzsche) ou existentielles (Kierkegaard,
Heidegger). Bergson, retenu ci-avant, ou avant lui, Spinoza, éclairent les voies d’une génialité
philosophique qui éclaire le chemin des énigmes de l’Etre, fût-ce par hypothèse ou systèmeconstruit, livré à l’expérience de la pensée. Ce que la philosophie est seule en mesure de faire.
Les développements qui précèdent ont tenté d’éclairer ce débat dont les éléments doivent
être déployés, en vue non pas seulement de l’histoire de la raison occidentale, mais des formes
symboliques que l’invention d’une sagesse a pu guider. Ces dernières se tenaient à distance desécarts possibles à une essence de l’être à penser, où un Heidegger est revenu plus récemment et
d’où ne peut échapper une raison qui se voudrait seulement opératoire.
L’expérience de l’être en sa propre mesure, a fait place aujourd’hui, à sonexpérimentation sans limite dans les pouvoirs techniques et démesurés de l’homme. On peut
interroger la légitimité de cette mutation et sa finalité pas toujours raisonnable. Le pragmatisme
intégral rencontrerait ici la nécessité d’une axiologie qui doit le sous-tendre ou le limiter, à moinsque celui déjà en œuvre, dans une certaine sphère occidentale, ne doive s’interroger. La voie du
pragmatisme seule ne résout en rien la destination du monde et son questionnement à l’infini, où
une philosophie pérenne aura toujours du sens.
Claude-Raphaël Samama
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1NOTESJ.Locke, Essai concernant l’entendement humain, 5ème édition, Paris, Vrin, 2000.
2 D.Hume, Enquête sur l’entendement humain, Paris, Garnier-Flamarion, 2006.3 Les mathématiques lui fournissent aussi le modèle, cette fois substantiel, des modalités de la connaissance à travers les
jugements synthétiques a priori et la mise à jour des cadres de la sensibilité que sont l’espace et le temps. Théorie
transcendantale des éléments. Première partie. Esthétique transcendantale. In E.Kant, Critique de la Raison pure, PUF.4 Sur Husserl et son projet de phénoménologie, dont on peut aussi discuter de la dominante transcendantale ou empirique
de son établissement comme science – où nous penchons dans notre lecture, vers l’empirie comme source (…) – on peut
consulter Idées directrices pour une phénoménologie, traduction P.Ricoeur, Paris, Coll..Tel, Gallimard, 1985.5 A.N.Whitehead, Le concept de nature, traduit par J.Douchement, Paris, Vrin, 2006.6 L.Wittgenstein, Tractatus-philosophicus, Paris, Collection Idées, Gallimard, Préface. La suite est aussi tranchée : « Lelivre en conséquence, tracera les limites à la pensée, ou plutôt – non à la pensée, mais à l’expression des pensées, car, pour
tracer une limite à la pensée, nous devrions être capables de penser des deux côtés de cette limite, nous devrions être
capables de penser ce qui ne peut être pensé. La limite ne peut par conséquent être tracée dans le langage, et ce qui se trouve
de l’autre côté de la limite sera simplement du non-sens. » On ne saurait mieux dire et rapporter alors toute expérience à sa
traduction langagière, si même cette dernière accueillera le monde et ses événements (ses « tableaux ») en cette expérience
qui la restitue, mais passée au crible de sa logicité propositionnelle.7 N.Chomsky, Structures syntaxiques, Paris, Seuil, 1969.8 Les termes de percept et concept sont ceux mêmes de W. James où ils fonctionnent comme opposés ou complémentaires
selon l’approche descriptive qui est retenue. Cf. W.James. Introduction à la philosophie, ch.4, « L’importance des
concepts », p. 51 et ch.5, « L’abus des concepts », p.73.
9 In W.James , Introduction à la philosophie, Paris, Les Empêcheurs de tourner en rond–Seuil, 2006 (« Percepts etconcepts », « L’importance des concepts », p. 60 et sq.).10 W.James, Essais d’empirisme radical , traduction de G. Garreta et M.Girel, Agone, 2005, Appendice, « Controverse sur la
vérité », pp. 101 à 113.11
Ce dernier, en particulier, l’occulta derrière son projet de phénoménologie qui ne pouvait retenir le conditionnement qu’elle aurait
constitué pour une pensée des essences pures.12 La question du langage chez Heidegger constituerait une autre voie de l’empirie, dans notre sens. Entre le plus clair dans la
langue et son renvoi à la lumière de l’être où le poétique qui tente de l’énoncer, vient d’un ailleurs. Le vrai est ici expérience
du dévoilement (alethéïa) d’un sens ouvert alors que la logique analytique ne conduit qu’à du sens fermé. Par ailleurs, le
vrai logique est-il le seul ?13 Cf. J.L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970.14 « C’est là essentiellement la perspective de Bergson en cette matière et j’estime qu’avec elle, nous pouvons nous reposer
satisfaits. » Cf. Introduction à la philosophie, op.cit ., p. 90.15
La science galiléenne influencera le criticisme kantien, la mécanique céleste le positivisme comtien, le darwinisme et la biologie, les philosophies d’un Spencer et de Bergson. De la même façon, la philosophie antique est marquée par l’état de la
connaissance de la nature à son moment. Les présocratiques saisissent le monde sous l’aspect d’une force ou d’un élément
dominant dans la nature, eau chez Thalès, feu chez Héraclite, atome chez Démocrite et Epicure. Platon tient pour un
paradigme mathématique, déjà avancé de son temps et Aristote, pour l’observation des phénomènes. Toute grande
philosophie semble ainsi devoir, non faire allégeance, mais prendre en compte ou se situer par rapport à un état donné de la
connaissance scientifique de son temps.16 Cf. H.Bergson,Œuvres, Edition du centenaire, Paris, PUF, 1963.17 Les axiomatiques de Hilbert et Peano datent des années 1890, la théorie de la relativité restreinte de 1905, Les Principesdes mathématiques de B.Russell ou ceux de Poincaré ou de Couturat sur l’infini mathématique du début du siècle, la
Traumdeutung de Freud de 1900 ! James y puise sa vision pluraliste du monde et d’un univers non clos. Le mode de
philosopher bergsonien est dans le même esprit, de ne pas contrer la science et plutôt de la rejoindre sur le versant de son
enrichissement du réel.18
Outre sa dédicace à Renouvier, qualifié de « grand », dans son Introduction à la philosophie, James ne cesse de louer Bergson et de se reconnaître avec lui une forte proximité, à partir de leur conception pluraliste du réel et de la continuité que
tous les deux constatent et identifient dans l’être. Au point que l’on peut penser qu’il s’en inspire tant, qu’il ne semble pas
vouloir donner ses sources, en particulier, Les données immédiates de la conscience parues en 1889 où Bergson développe
sa célèbre théorie de la durée substantielle de la conscience. A l’occasion de sa critique de Bradley et de sa thèse de
l’infériorité de la sensation vis-à-vis de l’intellect rationalisant qui unifie sa pluralité dans l’idée, James rend hommage àBergson de préserver et d’articuler les deux niveaux, seule position à même de rendre compte du processus réel de la
connaissance. « C’est là, essentiellement la perspective de Bergson en cette matière et j’estime qu’avec elle, nous pouvons
nous reposer satisfaits.» ( Introduction à la philosophie, ch.5, « L’abus des concepts », op.cit, p. 90).19 Cf. W.James, Précis de psychologie, Bibliothèque de l’homme, Paris, 1999, en particulier le ch.2, « La sensation en
général ». De la même façon, dans Les Données immédiates de la conscience, Bergson pourfendra la psychologie de
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laboratoire, dite « psychophysique », en remettant en question toute mesure de la sensation, comme le voudrait la loi de
Fechner, qui reste toujours liée à un état de conscience et à une intensité non divisibles, par delà ses manifestations
extérieures ou physiologiques, qui pour réelles qu’elles sont, n’épuisent pas sa qualité. « Nous érigeons les changements dequalité en variations de grandeur. » ( op.cit , p.41)20 Cf. W.James, Essais d’empirisme radical , op.cit , Essai 8, « La notion de conscience », p.162 et sq.21 G.Deleuze, dans son ouvrage, Le bergsonisme (Paris, PUF,1966), parle de l’intuition comme « méthode » pour une
problématisation éclairante du réel ou à sa simplification eu égard aux faux problèmes que peut susciter l’illusion
métaphysique et certaines abstractions qui dénaturent la réalité. C’est celle de l’expérience première de la « durée » comme
substance, différenciante et heuristique.22 Cf. pour l’ontologie bergsonienne, Matière et mémoire et L’évolution créatrice, pour la morale, Les deux sources de la
morale et de la religion, in Œuvres, op. cit .23 G.Deleuze, Le bergsonisme, Paris, PUF, 5ème édition, 1994.24 .Cf.Bergson, op.cit ., p.1227.25 Car en effet la considération ou l’analyse des propositions, ou des relations ou des croyances ou même du langage,
renvoient toutes à des expériences de la pensée qui opère sur un donné concret, même si mental, dans un matériau ou une
forme se « donnant », expériencées. Un processus comme celui-là même de la réduction éidétique chez Husserl reste une
expérience.26 « Quand une dispute s’élève, la méthode consiste à envisager quelles conséquences pratiques seraient différentes si une
position plutôt que l’autre était vraie » ( Essais d’empirisme radical , op.cit ., Essai 2, « Un monde d’expérience pure », p.75).27 Cf. M.Weber, Essais sur la théorie de la science (Paris, Plon, 1965), Le savant et le politique (Paris, Bourgois 10/18).
Toute la sociologie wébérienne et la pratique qui en découle mettent en question la « neutralité axiologique » qui reste un
impossible. La « conviction » balance toujours avec la « responsabilité » et c’est la situation qui arbitre ou le degréd’engagement. Dans cette voie, il serait intéressant de creuser la proximité d’une telle position « éthique » avec celle de
J.Dewey et de son pragmatisme social ou politique indispensable pour tout engagement d’un projet vis-à-vis d’un
changement à obtenir ou d’un projet à envisager. Cf. Logique. La théorie de l’enquête (traduction de G.Deledalle, PUF,
1993) ou encore Le public et ses problèmes, Publications de l’Université de Pau, Farago - L.Scheer, 2003. Weber montre en
permanence comment la modernité, sociale, politique, scientifique, ne peut échapper à la nécessité d’un choix de valeurs qui
n’est indiqué nulle part et que toute action dans le monde nous renvoie à cet arbitraire. Dewey ne conçoit pas d’autre vérité
à établir qu’à travers « l’enquête » comme redéfinition située, pratique, intentionnelle du réel à cerner, en vue d’une véritésans caractère d’absolu.28 Cf. C.R. Samama, Développement mondial et culturalités. Essai d’archéologie et de prospective éco- culturales, où est
élaboré le concept de culturalité, comme synthèse spécifique civilisationnelle, de symbolisme, de valeurs, d’histoire, de
représentations issues des corpus textuels originaires et fondateurs ou d’idéologies construites.29 J.Dewey, Reconstruction en philosophie, Préface de R.Rorty, Publication de l’université de Pau, Farrago, L.Scheer, 2003.30
Cf. J.Dewey, Logique. Théorie de l’enquête, op.cit .31 Cf. La signification des idées. Une suite au pragmatisme, Lausanne, éd. Antipodes, 1998, p.22.32 La question des valeurs est une question qui mérite un large débat au sein du pragmatisme. Voir ci-avant note 19.33 Cf. J.Dewey, Le public et ses problèmes, traduit de J.Zask, publication de l’université de Pau, Farago-L.Scheer, 2003.34 R. Rorty, L’homme spéculaire, traduction française de T.Marchaisse, Paris, Seuil, 1990.35 On peut ici penser aux fortes critiques adressées tout au long de sa carrière par J.Lacan aux courants réformateurs de la
psychanalyse américaine, surgeon de la mouvance européenne et « diasporique » de la discipline repliée aux Etats-Unis ou
sa descendance, et dont l’orientation autour de l’autonomie du moi ou de son adaptation nécessaire (…), – de O.Fenichel à
N.Hartmann en passant par E.Fromm ou E.Berne – ont dévoyé une « science » et sa pratique, devenue seulement
« pragmatiste » et adaptatrice, au détriment de la vérité de l’inconscient et du réel de son expérience. Voir, par exemple,
J.Lacan, Ecrits I , « Fonction et champs de la parole », p.120, ou Ecrits II , « Situation de la psychanalyse en 1956 », Paris,
Points Seuil, p.38. Le développement de ce point étayerait encore la thèse de « vocations » divergentes des deux
« sous-culturalités » occidentales que sont l’Europe et les Etats Unis d’Amérique.36 Cf.R.Rorty. Conséquences du pragmatisme, Paris, Seuil, p.13.37 Ch.Renouvier (1815-1903), Les derniers entretiens, recueillis par Louis Prat, Paris, Vrin, 1930.