33
PRISCUS RELATION DE L'AMBASSADE DE MAXIMIN Priscus, issu de Panium en Thrace, est un sophiste grec et historien du Ve siècle. Il a accompagné Maximin, l'ambassadeur de Théodose II, à la cour d'Attila en 448. Pendant le règne de Marcien (450-457) il a également participé aux missions en Arabie et en Égypte. Priscus était l'auteur d'un ouvrage d'histoire en huit livres (l'Histoire byzantine), probablement de l'accession d'Attila à celui de Zénon (433-474). Seule des fragments nous en sont parvenus, en grande partie préservé dans le Getica de Jordanès. La description d'Attila, de sa cour et de la réception des ambassadeurs romains est pour nous renseigner sur l'histoire contemporaine de l'époque. Le style de Priscus est simple. Son impartialité et sa fidélité l'ont placé parmi les auteurs honorables de son temps. Maximin et Priscus arrivent à la cour d’Attila à la fin de l’été 449. Leur relation de voyage situe l’ordu d’Attila à l’est de la Tisza, au nord du Temes et au sud du Körös, sans que l’on puisse en préciser le lieu exact. Ils découvrent une ville de tentes autour d’un promontoire où se dresse le palais royal construit en bois, entouré d’une haute palissade garnie de tours. Ils rencontrent Attila à plusieurs reprises, notamment au cours d’un banquet, qui révèle l’étiquette sévère de la cour, apprise par les Huns en Asie centrale ou au contact des Perses, mais d’une simplicité calculée. Priscus décrit Attila comme un homme sobre dans ses vêtements et son alimentation, sombre et superstitieux, mais fin diplomate et capable de jouer la comédie. Priscus admire les palais en bois des Huns. Il note que le plancher du palais de l’épouse principale d’Attila, Arykan,

Priscus

Embed Size (px)

DESCRIPTION

PRISCUS RELATION DE L'AMBASSADE DE MAXIMIN Priscus, issu de Panium en Thrace, est un sophiste grec et historien du Ve siècle.Il a accompagné Maximin, l'ambassadeur de Théodose II, à la cour d'Attila en 448. Pendant le règne de Marcien (450-457) il a également participé aux missions en Arabie et en Égypte. Priscus était l'auteur d'un ouvrage d'histoire en huit livres (l'Histoire byzantine), probablement de l'accession d'Attila à celui de Zénon (433-474). Seule des fragments nous en sont parvenus, en grande partie préservé dans le Getica de Jordanès. La description d'Attila, de sa cour et de la réception des ambassadeurs romains est pour nous renseigner sur l'histoire contemporaine de l'époque. Le style de Priscus est simple. Son impartialité et sa fidélité l'ont placé parmi les auteurs honorables de son temps.Maximin et Priscus arrivent à la cour d’Attila à la fin de l’été 449. Leur relation de voyage situe l’ordu d’Attila à l’est de la Tisza, au nord du Temes et au sud du Körös, sans que l’on puisse en préciser le lieu exact. Ils découvrent une ville de tentes autour d’un promontoire où se dresse le palais royal construit en bois, entouré d’une haute palissade garnie de tours. Ils rencontrent Attila à plusieurs reprises, notamment au cours d’un banquet, qui révèle l’étiquette sévère de la cour, apprise par les Huns en Asie centrale ou au contact des Perses, mais d’une simplicité calculée. Priscus décrit Attila comme un homme sobre dans ses vêtements et son alimentation, sombre et superstitieux, mais fin diplomate et capable de jouer la comédie.

Citation preview

PRISCUS

PRISCUS

RELATION DE L'AMBASSADE DE MAXIMIN

Priscus, issu de Panium en Thrace, est un sophiste grec et historien du Ve sicle.

Il a accompagn Maximin, l'ambassadeur de Thodose II, la cour d'Attila en 448. Pendant le rgne de Marcien (450-457) il a galement particip aux missions en Arabie et en gypte. Priscus tait l'auteur d'un ouvrage d'histoire en huit livres (l'Histoire byzantine), probablement de l'accession d'Attila celui de Znon (433-474). Seule des fragments nous en sont parvenus, en grande partie prserv dans le Getica de Jordans. La description d'Attila, de sa cour et de la rception des ambassadeurs romains est pour nous renseigner sur l'histoire contemporaine de l'poque. Le style de Priscus est simple. Son impartialit et sa fidlit l'ont plac parmi les auteurs honorables de son temps.

Maximin et Priscus arrivent la cour dAttila la fin de lt 449. Leur relation de voyage situe lordu dAttila lest de la Tisza, au nord du Temes et au sud du Krs, sans que lon puisse en prciser le lieu exact. Ils dcouvrent une ville de tentes autour dun promontoire o se dresse le palais royal construit en bois, entour dune haute palissade garnie de tours. Ils rencontrent Attila plusieurs reprises, notamment au cours dun banquet, qui rvle ltiquette svre de la cour, apprise par les Huns en Asie centrale ou au contact des Perses, mais dune simplicit calcule. Priscus dcrit Attila comme un homme sobre dans ses vtements et son alimentation, sombre et superstitieux, mais fin diplomate et capable de jouer la comdie.

Priscus admire les palais en bois des Huns. Il note que le plancher du palais de lpouse principale dAttila, Arykan, est couvert de tapis sur lesquels on pouvait marcher . Arykan offre du vin ses invits.

Priscus rencontre un marchand originaire de Viminacium, en Msie, qui vit la mode scythe. Cet ancien captif dOngse lui dclare prfrer vivre en libert parmi les Barbares que sous le joug de lEmpire.

On peut retrouver lextrait qui suit dans les Fragmenta Historicum Graecorum, vol. 4, 1851, fragment 8, dit par Karl Otfried Mller en grec, langue de lauteur, ou en latin.

TEXTE

Pendant ce temps-l l'Eunuque Crysaphius voulut engager Edcon faire prir Attila. L'Empereur Thodose en confra avec Martial; on rsolut d'envoyer Maximin en qualit d'ambassadeur, et Bigilas, comme son interprte qui devait agir d'aprs les ordres d'Edcon Maximin qui ne savait rien de tout ce qui s'tait pass chez l'Empereur, tait charg de la lettre pour Attila. L'Empereur dans cette lettre disait, que Bigilas n'tait qu'un interprte, mais que Maximin tait un homme d'une grande naissance, et qui avait rendu des services, l'Etat. Il ajoutait qu'il ne convenait point Attila de rompre les traits, qu'il lui renvoyait encore dix-sept transfuges et, qu'il n'y en avait pas un de plus. Tel tait le contenu de la lettre. Ensuite Maximin tait charg de dire de bouche Attila, qu' l'avenir il ne devait plus exiger qu'on lui envoyt des hommes consulaires, car autrefois les Empereurs envoyaient en Scythie un soldat, ou le premier homme que l'on trouvait sous la main. Secondement qu'Onigise serait un, homme propre lever toutes les difficults. Troisimement, qu'il serait convenable qu'Attila vit l'homme consulaire Sardique, ville dtruite. Telle tait la commission de Maximin. Celui ci se dfendit longtemps de l'accepter ; enfin il se laissa vaincre par les prires qu'on lui en fit, et il m'engagea l'accompagner dans ce voyage.

Nous nous mmes en chemin avec les Barbares, et, au bout de treize jours, nous arrivmes Sardique. Les habitants nous apportrent des bufs et des moutons; nous les fmes tuer et nous ordonnmes un festin, auquel nous invitmes Edcon et les autres Barbares.

Pendant le festin les Barbares commencrent vanter Attila, et nous Thodose. Bigilas prit la parole et dit: que l'on ne pouvait pas comparer un homme un Dieu, qu'Attila tait un homme et Thodose un Dieu. Ce propos dplut aux Barbares, qui commencrent se fcher; nous changemes de conversation et cherchmes les adoucir.

Lorsque nous fmes levs de table, Maximin, qui voulait gagner Edcon et Oreste, leur fit un prsent en habits de soie, et en pierreries des Indes. Oreste attendit qu'Edcon se fut retir, puis il s'approcha de Maximin, et lui dit, qu'il regardait comme un homme honnte et prudent celui qui ne se mlait pas de choses qui pussent offenser les Rois, et que de certaines gens avaient mpris Oreste, et n'invitaient chez eux qu'Edcon pour lui faire des prsents Comme nous n'tions informs de rien, nous ne comprenions pas ce discours, et nous demandmes, qui avait mpris Oreste et honor Edcon; mais Oreste en alla sans nous rpondre.

Le lendemain, chemin faisant, nous nous adressmes Bigilas, et nous lui reportmes ce qu'avait dit Oreste. Bigilas nous rpondit qu'Oreste ne pourrait en aucune manire prtendre aux mmes honneurs qu'Edcon, qu'il n'tait qu'un valet, ou un scribe d'Attila ; au lieu qu'Edcon tait noble, et illustre par ses exploits la guerre; puis il s'adressa Edcon dans sa langue et lui rendit nos discours; et Edcon se mit dans une si grande colre que nous emes beaucoup de peine l'apaiser.

Nous arrivmes ainsi Nassus et nous trouvmes cette ville entirement dtruite et dserte, sans autres habitants que quelques malades qui se tranaient dans les ruines des glises. Nous fmes mme obligs de faire un dtour et de nous loigner du fleuve parce que le rivage tait encore tout couvert des corps de ceux qui avaient pri dans le dernier combat.

Le lendemain nous arrivmes chez Aginthe, Capitaine dans l'Illyrie. Les ordres de l'Empereur portaient, que nous recevrions de lui cinq transfuges qui devaient complter le nombre de dix-sept mentionns dans notre lettre. Ces cinq hommes se louvaient effectivement chez Aginthe; il les consola comme il put et puis nous les remit.

Le lendemain, nous nous mmes en route avant le jour; et comme nous arrivmes de certains dfils le soleil se leva devant nous. Aussitt nous nous crimes que nous allions mal et que notre route devait tre vers l'occident; mais cela venait de ce que le chemin faisait en cet endroit divers dtours, cependant il est certain que cette apparition du soleil ft un prsage de toutes les difficults que nous emes surmonter dans la suite.

Ensuite nous entrmes dans une plaine humide et marcageuse o les Barbares nous amenrent des barques faites chacune d'un seul arbre. Il y avait l une foule de ces barques, qui n'taient pas pour nous, mais pour passer les gens, qu'Attila voulait envoyer faire la chasse aux Romains, dans le cas o on ne lui et pas rendu les transfuges qu'il demandait, car c'tait l sa manire d'agir en pareille occasion.

Ayant fait quinze Stades au del de lIster nous fumes obligs de nous arrter en rase compagne, tandis qu'Edcon allait annoncer notre arrive Attila. Pendant que nous soupions, nous entendmes un trs grand bruit de chevaux. C'taient des Scythes qui nous ordonnrent de les suivre chez Attila. Nous les primes de commencer par souper avec nous ce qu'ils firent et le lendemain nous partmes tous ensemble, ils allaient devant et nous montraient le chemin.

Il tait environ la huitime heure, lorsque nous arrivmes au camp d'Attila. Car il y avait aussi d'autres camps; alors nous voulmes tendre nos tentes sur une certaine colline, mais les Barbares nous en empchrent parce que la tente d'Attila tait dans une valle ; et nous tendmes nos tentes dans le lieu que nous indiqurent ces Barbares.

Bientt aprs arrivrent Edcon, Oreste, Skotta, et d'autres seigneurs Scythes, et ils nous demandrent sur quels objets roulait notre ambassade. A cette ridicule question nous ne fmes que nous regarder les uns les autres; mais ils s'obstinrent tirer de nous une rponse. Alors nous rpondmes que nous ne dirions qu' Attila les choses dont nous tions chargs. Skotta se trouva offens de notre rponse, et nous dit : Nous sommes ici par ordre d'Attila qui connat votre astuce dans le maniement des affaires. Nous continumes assurer que jamais les Ambassadeurs ne parlaient des affaires dont ils taient chargs, si ce n'est en prsence de ceux vers qui on les envoyait, et que les Scythes devaient bien le savoir puisqu'ils envoyaient si souvent des ambassades Constantinople.

Ils nous quittrent tous pour se rendre chez Attila; peu aprs ils revinrent sans Edcon et nous dirent tout haut les choses dont nous tions chargs, ajoutant que, si nous n'avions pas d'autres ordres, nous pouvions nous en aller. Nous fmes trs tonns, et ne pouvions pas comprendre, comment ils avaient pntr dans les conseils de l'Empereur o les Dieux mmes ne pntreraient pas. Nous nous concertmes sur ce qu'il y avait faire et puis nous rpondmes en ces termes: soit que nos ordres ne soient que ce que vous venez de dire. Soit qu'il y ait encore d'autres choses, nous ne pouvons en parler qu'avec votre Roi et avec personne d'autre. Alors les Scythes continurent nous ordonner de partir.

Tandis que nous tions occups des prparatifs de notre dpart, Bigilas nous fit de vifs reproches sur la rponse que nous avions faire aux Scythes: disant qu'il valait mieux tre pris en mensonge que de retourner Constantinople sans avoir rien fait. Et il ajouta : Si je pouvais parler Attila, je le dtournerais srement de l'invasion qu'il mdite; car il me connait et je lui ai t utile lors de l'ambassade d'Anatolius. Certainement Edcon sera du mme sentiment Bigilas, en parlant ainsi, songeait gagner du tems. Pour excuter ses desseins contre Attila; mais il ne savait pas qu'il tait lui-mme trahi. Soit qu'Edcon n'et pas t de bonne foi avec l'Eunuque, soit que les propos d'Oreste aprs le souper de Sardique lui eussent fait craindre qu'il ne l'accust d'avoir eu des entretiens secrets avec l'Empereur et l'Eunuque. Toujours est-il sr qu'il informa Attila de la conjuration, et de la quantit d'or que l'on devait envoyer.

Comme nos chevaux taient prts et nos btes de somme charges, des Barbares vinrent nous dire qu'Attila nous ordonnait de passer la nuit en ce lieu, et d'autres nous amenrent un buf, et nous apportrent des poissons de rivire tout cela de la part d'Attila, si bien que nous soupmes et nous allmes coucher.

Le lendemain nous nous levmes avec l'espoir qu'Attila se serait adouci notre gard; mais bientt aprs il nous fit dire de partir, si nous n'avions rien lui dire que ce que les Scythe avaient dit tout haut chez nous. Nous ne rpondmes rien et nous nous apprtmes partir, quoique Bigilas fit tous ses efforts pour nous faire dire; que nous tions chargs de commissions trs importantes, et qui intressaient infiniment Attila.

Moi alors, voyant que Maximin tait accabl de tristesse, je pris avec moi Rusticius qui savait la langue Scythe, et j'allai chez Skotta, car Onigise tait absent. Ce Rusticius tait venu avec nous pour ses propres affaires et pour voir Constance, qui tait secrtaire d'Attila recommand ce prince par Aece[1] gnral des Romains occidentaux.

Je parlai Skotta par le moyen de Rusticius qui me servait d'interprte, et je lui dis que Maximin lui ferait de trs beaux prsents, s'il lui procurait une audience d'Attila, que l'Ambassade roulait sur des objets trs avantageux pour les Huns en gnral, et pour Onigise en particulier, parce que l'Empereur demandait qu'Onigise fut envoy Constantinople pour finir tous les diffrends, et qu'il n'en reviendront que combl de prsents; ainsi (ajoutai-je) il faut dans l'absence de votre frre, que vous travailliez pour lui. On m'a dit, que vous aviez autant de pouvoir que lui sur l'esprit d'Attila; mais il est vrai que ce sont des discours du vulgaire auxquels on ne peut pas trop se fier. N'ayez aucun doute sur mon crdit (me rpondait Skotta) j'en ai autant que mon frre. Et aussitt il monta cheval et se rendit chez Attila. Moi, je retournai auprs de Maximin, que je trouvai couch sur l'herbe avec Bigilas, se dsolant et ne sachant quel parti prendre. J'encourageai Maximin en lui contant les particularits de mon entrevue avec Skotta, et je l'engageai prparer quelques prsents pour lui. Il se leva et, contremanda les hommes qu'il avait envoys pour faire seller les chevaux; puis il confra avec Bigilas sur ce qu'il dirait Attila et sur les prsents qu'il lui ferait.

Tandis que nous tions occups de pareils objets, Skotta vint nous dire, qu'Attila nous faisait appeler. Aussitt nous prmes le chemin de sa tente que nous trouvmes environne, d'une foule de Barbares, rangs en cercle autour d'elle. Nous entrmes dans la tente et nous trouvmes Attila, assis dans: un fauteuil de bois. Nous restmes un peu en arrire ; Maximin, s'approcha seul, et lui remettant la lettre, il lui dit: que les Empereurs faisaient des vux pour sa sant. Attila rpondit : Je le crois, et je souhaite aux Romains tout le bien qu'ils me veulent. Puis se tournant vers Bigilas, il lui dit: Bte impudente! pourquoi es-tu venue ici, toi qui dois savoir ce que nous pensons sur la paix, Anatolius et moi. Et de plus aucun ambassadeur ne devait se prsenter chez moi avant que l'on et rendu tous les transfuges. Bigilas rpondit qu'il n'y avait plus un seul transfuge Scythe dans tout l'Empire Romain. Alors Attila se mit fort en colre, et dit les plus grosses injures Bigilas, les accompagnant de cris pouvantables. Il jura mme que, sans le respect qu'il portait l'ambassade, il le ferait mettre en croix et le ferait manger aux vautours. Aprs cela il ordonna aux scribes de lire haute voix les noms des transfuges qui n'avaient pas encore t rendus. Lorsque cela fut fait, Attila ordonna Esla d'aller Constantinople avec Bigilas, et de redemander tous les transfuges depuis Carpillon le fils, qui avait t en otage chez lui. Ajoutant que nulle ville du monde ne pouvait exister, lorsqu'il avait rsolu de la dtruire et que les Romains auraient d y songer avant que de s'opposer ses volonts.

Un peu auparavant, Attila avait ordonn Maximin d'attendre jusques ce que ses lettres fussent prtes ; mais alors il demanda les prsents. Nous les donnmes, et puis nous nous retirmes dans notre tente o nous parlmes dans notre propre langue de tout ce qui s'tait pass. Bigilas s'tonnait de ce qu'Attila, qui l'avait trait avec beaucoup de douceur dans les anciennes ambassades, laccablait d'injures cette fois-ci. Moi, je dis que peut-tre quelque Barbare avait rapport les propos qu'il avait tenus Sardique, appelant Attila un homme et Thodose un Dieu. Maximin se rangea cet avis, par ce qu'il ne savait rien de la conjuration trame contre Attila. Pour ce qui est de Bigilas, il nous a avou depuis, qu'il n'imaginait pas que l'on et rapport ce qu'il avait dit Sardique, parce qu'aucun de ceux, qui se trouvaient ce festin, n'taient assez familiers avec Attila pour entrer en conversation avec lui, l'exception d'Edcon. Il ne croyait point non plus qu'Edcon l'et trahi tant cause du serment qu'il avait prt que parce que l'affaire tait grave en elle-mme; et qu'il pouvait tre mis mort seulement pour avoir assist des conseils pernicieux Attila; mais il ne savait que penser des injures que le Prince lui avait dites.

Tandis que nous tions occups de nos incertitudes, Edcon survint et prit part Bigilas, pour lui dire o il devait porter l'or dont on tait convenu, feignant de s'occuper srieusement du dessein projette. Lorsque Edcon fut parti, je demandai Bigilas de quoi il avait t question entre eux. Bigilas, qui voulait me tromper et qui tait lui-mme tromp, me rpondit quil avait t question des transfuges et de la volont dAttila, qui prtendait qu'on ne lui envoyt pour ambassadeurs que des personnages illustres.

Tandis qui! parlait encore, on vint de la part d'Attila pour dfendre Bigilas et nous d'acheter aucun esclave barbare ni captif Romain, ni quoique ce fut au monde, jusqu ce que tout fut applani entre les Romains et les Huns. Quant nous, il nous ordonnaient d'attendre le retour de ceux qui devrait porter sa rponse l'Empereur avec les prsents quil lui destinait. Cette dfense d'acheter tait imagine exprs par Attila, pour mieux convaincre Bigilas, et lui ter tout prtexte au sujet de lor quil devait apporter.

Onigise alors avait t envoy chez les Acatzires avec le fils an d'Attila. Les Acatzires sont un peuple Scythique gouvern par plusieurs familles. Lempereur Thodose les avait accordes entre elles, et en mme temps les avait loignes dAttila ; mais l'homme, charg des prsents de Thodose ne les avait point distribus selon le rang dun chacun, par exemple, Curidach le principal et le plus ancien des Rois n'avait eu que le second prsent. Aussi il en appela au jugement d'Attila, celui-ci envoya aussitt une puissante arme contre les Acatzires, et fora, tous leurs Rois la soumission. Ainsi tout le pays des Catisses tomba au pouvoir d'Attila l'exception du petit pays de Curidach qui resta Roi chez lui. Attila voulut donner le royaume conquis son fils an et voila pourquoi il y avait envoy Onigise.

Nous emes donc ordre de rester, et Esla fut envoy avec Bigilas sous le prtexte de redemander les transfuges ; mais dans la vrit pour ter Bigilas une occasion d'apporter l'or que l'on avait promis Edcon.

Depuis le dpart de Bigilas nous ne restmes plus qu'un jour dans ce lieu l; parce que le lendemain, Attila prit sa route vers le nord. Nous le suivmes quelque peu, et puis nos guides nous forcrent prendre une autre route. Pendant ce tems l Attila s'arrta dans un certain Bourg, pour pouser la fille d'Esca, quoiqu'il et dj beaucoup d'autres femmes, mais tel est leur usage.

Ensuite nous voyagemes dans une belle plaine et nous traversmes beaucoup de fleuves desquels les plus grands, aprs Pister, sont le Dricon le Tigas, et le Tiphisas. Nous traversmes les plus grands, sur de longues barques faites chacune d'un seul arbre, et nous traversmes les plus petits, sur des petites barques, que les Barbares mettent sur des chariots et mnent partout avec eux. Quand nous arrivions quelque part, les villages voisins nous apportaient au lieu de froment de l'orge et au lieu de vin du Medum.[2] C'est ainsi que les habitants l'appellent ; et ceux qui nous accompagnaient faisaient avec de l'orge une boisson appele par les Barbares Kamos.

Ayant fait beaucoup de chemin, comme la nuit approchait, nous campmes prs d'un marais dont l'eau tait bonne boire, et on venait la chercher des villages voisins. Voila que pendant la nuit, il survient un orage pouvantable, qui renverse notre tente et jette tout ce que nous avions dans le marais voisin. La frayeur nous faisait courir sans savoir o, et nous entrmes chacun de notre ct dans quelque maison du village. Les Scythes se rveillrent nos cris, allumrent des roseaux, comme c'est leur usage, et demandrent ce que nous voulions ; les hommes qui nous accompagnaient rpondirent que c'tait l'orage qui nous troublait ainsi. Alors ceux du village nous offrirent l'hospitalit, firent du feu avec des roseaux et nous traitrent de leur mieux. La matresse de ce village tait une des femmes de file-da, elle nous envoya des viandes et des belles femmes pour faire l'amour avec elles; car tel est l'usage des Scythes, lorsqu'ils veulent honorer quelqu'un. Nous prmes les viandes ; nous renvoymes les femmes, et puis nous allmes nous coucher.

Le lendemain, nous nous levmes de grand matin, pour aller chercher nos petits meubles disperss par la tempte. Nous en trouvmes une partie sur la rive du marais, une autre partie dans le lieu o avait t notre tente, et le reste dans le marais lui-mme. La tempte avait cess, le soleil se faisait voir et nous en profitmes pour scher nos effets; puis nous prmes soin de nos chevaux et de nos autres btes de somme, enfin nous allmes saluer la reine, nous la remercimes de ses bonts, et nous lui offrmes un prsent qui consistait en patres d'argent, toisons rouges, poivre des Indes, dates, et autres fruits secs. Nous ne restmes pas longtemps chez la Reine, et nous primes cong d'elle, en faisant des vux pour son bonheur.

Aprs cela nous marchmes six jours, et nos guides nous ordonnrent de rester dans un certain Bourg, et d'y attendre' Attila pour continuer notre route avec lui Ce fut l que nous rencontrmes les Ambassadeurs des Romains occidentaux. Les principaux de l'ambassade taient le Comte Romulus, Prf-Riutus Prfet de la Norique, et Romain gnral d'arme: Avec eux se trouvait Constance qu'Aece avait envoye Attila pour lui servir de Secrtaire et Tatulkts pre d'Oreste, qui tait avec Edcon. Constance et Tatullus n'y taient point d'office, le premier y tait pour le plaisir de se retrouver avec des Italiens, et le second cause de sa parent avec Romulus; car son fils Oreste avait pous une fille de Romulus native de Petouron ville de la Norique.

Ces ambassadeurs, ou dputs venaient pour implorer la clmence d'Attila, qui demandait qu'on lui livrt un certain Sylvanus, prfet de la table d'Armius Rome, qui avait reu des vases d'or d'un certain Constance. Ce Constance, tait un Gaulois d'occident, et on l'avait envoy Attila, et Bleda pour Secrtaire, avant ce Constance dont j'ai parl plus haut. Le premier Constance se trouvant chez les Scythes comme ils assigeaient Syrmium, ville de Ponie, l'Evque de cette ville lui avait fait parvenir des vases d'or, qui devaient servir sa ranon au cas que la ville ft prise, et qu'il y survct ou racheter d'autres captifs, dans le cas o l'Evque prirait dans le sige. La ville fut prise, mais Constance, s'embarrassant fort peu de l'Evque, alla Rome et mit les vases en gage chez Sylvanus, avec la condition que les vases lui appartiendraient au bout d'un certain tems, s'il ne venait rapporter le capital avec les intrts. Constance son retour fut suspect de trahison contre Attila et Bleda, on le mit en croix et c'est ainsi qu'on et l'indice de ces vases. Attila, s'tant inform de cette affaire, demanda qu'on lui livrt Sylvanus comme un voleorv Or donc ces ambassadeurs venaient de la part dAece et de l'Empereur d'Occident dire, que Sylvanus avait avanc de l'argent et ces vases ; mais qu'il ne les avait pas vols, qu'au contraire il les avait cds pour de l'argent des prtres. Par la raison qu'il n'tait pas permis de convertir son propre usage de vases consacrs Dieu. Qu'enfin si Attila l'exigeait absolument on lui rendrait la valeur des vases. Mais qu'il tait impossible de lui livrer un homme innocent. Telle tait l'occasion de cette ambassade, et ils suivaient le Barbare pour qu'il leur rpondit et les congdia.

Nous traversmes plusieurs fleuves, et puis nous arrivmes dans un Bourg o tait la demeure d'Attila, et mme la plu belle de toutes celles qu'il avait en divers lieux. La maison tait de bois, et de planches parfaitement polies, environne d'un mur de mme matire construit pour l'ornement plutt que pour la sret. Prs de la maison d'Attila tait celle d'Onigise, aussi environne d'un mur de bois; mais qui n'avait pas comme l'autre, des tours leves. A une certaine distance en dehors de cette enceinte, tait un bah qu'Onigise avait fait construire en pierres, amenes exprs de Ponie; car Onigise tait le premier aprs Attila, tant pour les richesses, que pour l'autorit : et il faut savoir aussi que dans toute cette partie de la Scythie il n'y a ni pierres ni arbres. L'Architecte de ce bain tait un captif fait Syrmium qui esprait par l obtenir sa libert ; mais Onigise le fit son baigneur, et lui ordonna d'tre M, lorsqu'il se baignerait avec sa famille.

Comme Attila avanait vers le Bourg. Les jeunes filles allrent sa rencontre elles marchaient sous des longues toffes blanches d'une finesse extraordinaire, qui taient tenu leve par les femmes, et les jeunes mies marchaient dessous. Et six d'entre elles, o mme davantage, chantaient des odes et de chansons en langue Scythique.

Lorsqu'Attila passa devant la maison d'Onigse, la femme de celui-ci, accompagne de beaucoup d'autres femmes, accourut pour Saluer Attila et lui prsenter des viandes et du vin. Attila pour lui marquer sa considration en voulut manger, cependant il ne descendit point de cheval ; mais on leva jusques lui la table qui tait d'argent. Lorsqu'Attila et assez mang, il but et se retira dans son palais qui tait dans un lieu lev.

Quant- nous, d'aprs les ordres d'Attila, nous restmes dans la maison d'Onigise qui tait de retour avec le fils d'Attila La femme d'Onigise nous donna souper avec les personnes les plus illustres de sa famille. Onigise lui mme ne pt nous tenir compagnie, car il fut tout de suite oblig de se rendre chez Attila, pour lui rendre compte de ce qu'il avait fait, ainsi que de l'accident arriv son fils, qui s'tait cass le bras drait.

Aprs le souper nous allmes faire tendre nos tentes et nous les plames prs du palais d'Attila, parce-que Maximin voulait trouver des occasions de lui parler et c'est ainsi que nous passmes la nuit.

Le lendemain matin Maximin, m'envoya chez Onigise pour lui porter des prsents tant de sa part lui, que de la part de l'Empereur, et pour lui demander en mme tems d'entrer en confrence. J'y allai avec les valets qui portaient les prsents ; nais nous trouvmes les portes encore fermes. Comme je tournois autour de la maison, je vois un homme babill la mode de Scythie, et qui me salue en grec, en me disant Chaire cela m'tonna beaucoup, car non seulement les Huns et les Goths ne parlent point le grec; mais mme les Italiens. Ca ne pouvait pas tre non plus un captif de Thrace ou des villes maritimes de l'Illyrie, car ceux-l sont mal-peigns et couverts de haillons, celui-ci au contraire semblait un riche Scythe; il tait bien mis, et sa tte tait rase en rond. Je lui rendis son salut, et je lui demandai qui il tait, et pourquoi il avait adopt les murs de la Scythie Il me rpondit : Je suis Grec, j'ai longtemps fait le commerce Viminacium, Ville de Mysie situe sur l'Ister; j'y ai aussi pous une femme riche; mais la ville ayant t prise, je suis tomb au pouvoir d'Onigise avec tout mon bien, parce que l'usage des seigneurs de la cour d'Attila, est de faire mettre de ct les plus riches captifs, et puis de se les partager entre eux. Ensuite j'ai fait la guerre aux Romains. J'ai aid mon matre soumettre la nation des Acatzires, et j'ai si bien fait qu'on m'a rendu ma libert et mon bien, condition que j'embrasserais le genre de vie des Scythes. J'ai pous une femme Scythe et j'en ai des enfants. Enfin je mange tous les jours chez Onigise, et ce genre de vie me plat infiniment; car la guerre une fois finie chacun jouit- ici tranquillement de ce qu'il a, et personne ne songe en molester un autre. Au contraire les sujets Romains courent tous les jours le risque d'tre pris, leurs tyrans ne leur permettent point de porter des armes, et ila sont trop lches pour les dfendre. Les tributs n'y sont point galement rpartis et la justice y est mal exerce. Cet homme dit beaucoup de choses sur le mme ton, aprs quoi, je pris la parole, et je dfendis de mon mieux les lois et les usages de l'Empire. Comme nous en tions disserter sur ce sujet, les portes d'Onigise s'ouvrirent. J'allai aussitt l'homme qui avait ouvert, et je lui dis, que je voulais parler Onigise de la part de Maximin ambassadeur des Romains, on me rpondit que je devais attendre et qu'Onigise allait lui mme sortir. Un moment aprs, Onigise sortit effectivement, je le saluai et lui dis : L'Ambassadeur des Romains vous salue, et vous envoie des prsents de sa port et de l'or de la part de l'Empereur, et il vous demande o, et quand il pourra vous parler. Onigise ordonna ses serviteurs de porter chez lui l'or et les prsents et me dit: qu'il allait tout de suite se rendre chez Maximin.

J'allai chez Maximin, et je lui annonai l'arrive d'Onigiso qui me suivit de prs. Il dit Maximin qu'il le remercier, lui et l'Empereur, et il lui demande pourquoi il l'avait fait appeler et ce qu'il avait lui dire. Maximin lui rpondit, que le moment tait arriv pour lui d'acqurir une gloire trs grande, et cela en se rendant chez l'Empereur pour finir tous les diffrends -qu'il y avait entre les Scythes et les Romains, et que pour cela il pourrait tre combl de biens infinis, ; qui l'attacheraient pour jamais l'Empire Onigise demanda quel diffrend il-y-avait arranger, et quel service il pouvait rendre l'Empereur j Maximin rpondit que c'tait en entrant dans toutes les causes de dissension, et les accommodant selon sa prudence. Alors Onigise dit : J'ai dj averti l'Empereur des vritables sentiments d'Attila. Les Romains ne doivent point s'imaginer que je trahirai Attila qui m'a lev, j'aime mieux le ; servir que de possder ailleurs les plus grandes richesses i enfin, si j'e reste ici, je pourrai plutt tre utile l'Empereur et aux Romains, en cherchant adoucir Attila leur gard, au lieu que si j'y vais moi-mme, je m'exposerai toutes sortes d'accusations. Enfin il ajouta, que Maximin, tant un homme lev en dignit, ne devait pas le voir trop souvent, et qu'il suffisait de m'envoyer; aprs quoi il s'en alla.

Le lendemain j'allai dans l'intrieur de la maison d'Attila pour porter des prsents une de 5es femmes, que lon appelait Cerca, il avait d'elle trois fils dont l'an tait Roi des Acatzires et des autres nations de cette partie de la Scythie qui est sur le pont.

Dans cette enceinte intrieure on voyait beaucoup de pavillons faits en planches lgamment sculptes et jointes ; d'autres taient simplement construits en poutres, bien rabotes et polies, et dans leurs interstices taient des bois travaills au tour. Les ceintres commenaient de la terre mme, et avaient une bonne proportion.

Je trouvai Cerca sur un lit fort tendre, et le parquet de la chambre tait couvert de tapis sur lesquels nous marchions ; les valets taient en cercl autour d'elle, et les servantes taient assises terre, et brodaient en diverses couleurs les habits de ces Barbares. Je saluai Gera, et je lui offris mes prsents, aprs quoi je sortis. Onigise tait dans le palais du Roi, et je voulais attendre qu'il sortit; en attendant j'allai voir d'autres pavillons qu'occupait Attila, et les gardes, qui me connaissaient, me laissaient entrer partout. Tout d'un coup je vis paraitre une grande troupe de monde; c'tait Attila qui sortait de sa demeure avec Onigise. Le visage d'Attila tait grave et Svre, et tous les yeux taient tourns sur lui. Attila s'assit devant la porte de sa maison, et jugea plusieurs procs; aprs quoi il rentra dans la maison, et fit entrer les ambassadeurs des peuples Barbares.

Tandis que j'attendais toujours Onigise, je fus accost par les Ambassadeurs venus d'Italie au sujet des vases d'or; ils taient avec Rusticius Constance et Constanciole natif de Ponie, pays soumis Attila; ils me demandrent si j'tais expdi, je leur rpondis, que c'tait pour cela mme que j'attendais Onigise ; ensuite je leur demandai mon tour, s'ils avaient eu une rponse favorable, aucune, me dirent-ils. Attila, menace toujours de la guerre, et vent qu'on lui livre Sylvanus ou qu'on lui rende les vases Rusticius dit, qu'Attila avait la tte tourne par ses succs, qu'il ne faisait nul cas de la justice et rpondait d'aprs le caprice du moment; Personne, ajouta-t-il, n'avait fait encore d'aussi grandes choses en aussi peu de tems; car il a soumis toute la Scythie jusques aux les de l'Ocan, les ; Romains lui payent tribut, et non content de cela, il veut aller faire la guerre aux Persans. Quelqu'un de nous, demanda, quel chemin conduisait de Scythie en Perse ; alors Sylvanus dit : un assez court intervalle spare les Mdes d'avec les Scythes, et les Huns connaissent ce chemin. Autrefois ils ont pntr jusques fiazic, et Cursic qui sont des villes appartenant tes aux Mdes. Ensuite des Princes, issus de ceux qui avaient fait cette expdition sont venus Rome pour faire alliance avec nous, et ils nous ont cont les particularits de cette expdition. Ils avaient d'abord pass un grand dsert et ensuite un vaste marais, et je pense que c'est le palus Motide; puis ils avaient t quinze jours traverser de certaines montagnes, et enfin ils taient descendus dans la Mdie; l ils faisaient un butin immense, lorsque tout--coup ils virent paraitre l'arme des Perses qui remplit l'air de ses flches. Alors ils furent obligs de s'en retourner par les montagnes et ils ne purent emporter qu'une trs petite partie de leur butin ; car les Mdes leur arrachrent le reste ; ils furent mme obligs de s'en retourner par un autre chemin, et ils passrent en des lieux o la flamme sort des rivages de la mer. Je ne sais au juste, combien de jours ils ont mis revenir; mais toujours est-il sr, qu'ils ont pu voir que la Mdie n'est pas fort loigne de la Scythie. Ainsi il sera fort facile Attila, s'il attaque les Mdes, les Perses et les Parthes la fois, de les contraindre lui payer tribut, car il des forces auxquelles aucune nation ne peut s'opposer avec avantage. Quant - nous, nous devons dsirer qu'il fasse la guerre aux Persans, pour que nous restions tranquilles Il est craindre, dit Constantiole, que s'il soumet ' les Mdes, les Parthes et les Persans, il ne nous parle plus en ami, mais en matre. A prsent nous le payons, sous le prtexte d'une dignit, dont nous l'avons noua-mme revtu; mais s'il revient victorieux, il nous traitera en esclave, et nous exprimera ses volonts d'une manire intolrable. Cette dignit dont parlait Constantiole, tait celle de Gnral des armes Romaines; mais Attila s'en moquait dj alors, et disait: que ses serviteurs taient les gaux des Gnraux Romains. Il faut convenir qu'il avait acquis beaucoup d'autorit en trouvant l'pe de Mars, laquelle les Scythes avaient autrefois rendu des honneurs divins. On ne l'avait point vu depuis bien des sicles et ce fut un buf qui la trouva.

Tandis que nous raisonnions ainsi, Onigise sortit du Palais, et nous allmes l'aborder, d'abord il expdia quelques Barbares, ensuite il se tourna vers moi et m'ordonna d'aller demander Maximin quels hommes consulaires les Romains prtendaient envoyer Attila. Je m'acquittai de ma commission, et puis je retournai dire Onigise, que les Romains dsiraient, que lui Onigise fut charg de toute cette affaire, mais que, si cela ne se pouvait pas, ils enverraient les personnes qu'Attila demanderait lui-mme. Alors Onigise me dit d'aller chercher Maximin, et lorsqu'il fut venu, il le conduisit chez Attila.

Maximin revenu de l'audience me conta que Attila voulait qu'on lui envoyt Nomius Anatolius ou Senator, et qu'il n'en recevait aucun autre. Maximin lui objecta, qu'en nommant les ambassadeurs, il les rendait suspects l'Empereur. Alors Attila avait rpondu que si cela ne convenait pas aux Romains il fallait en venir aux armes pour mieux terminer le diffrend. Nous retournmes dans notre tente, et bientt aprs, nous vmes entrer le Pre d'Oreste qui nous invita tous les deux souper chez Attila pour neuf heures.

L'heure prescrite tant venue, nous nous rendmes chez Attila avec les Ambassadeurs des Romains occidentaux. D'abord nous nous arrtmes la porte vis--vis d'Attila; l les Echansons nous apportrent des gobelets, nous bmes et nous frnes des vux pour Attila, comme c'est l'usage de Scythie o on les fait avant de se mettre table. Tout autour de la salle taient des siges contre la muraille, et nous allmes y prendre les places qui nous taient destines. Attila tait dans la milieu sur un lit, et prs de lui tait un autre lit orn de linges fins, de tapis, et tout semblables ceux que les Romains font polir les jeunes maris. Le premier rang des convives se mit la droite d'Attila et le second la gauche. Nous tions dans celui-ci au dessous de Berich, homme illustre entre les Scythes.

Onigise tait dans un fauteuil la droite du lit d'Attila. Et lu mme ct taient deux fils d'Attila ; le plus g tait sur le mme lit que son pre; mais loin de lui et beaucoup plus bas, et cause de la prsence de son pre, il avait les yeux toujours attachs la terre.

Lorsque tout le monde fut assis, le premier chanson entra, et prsenta Attila, une coupe pleine de vin. Attila la reut et salua le premier en rang, celui-ci honor se leva, et ne se rassit plus qu'aprs avoir bu et rendu la coupe l'Echanson. Attila restait toujours assis, mais tous les autres se levaient pour boire, le saluaient et puis se rasseyaient. Ensuite lchanson en sortant donna chaque convive un garon pour lui verser boire. Lorsque cela fut fait, Attila nous invita combattre la manire des Thraces, c'est dire gobelets gaux. Alors nous bmes tous la fois pour saluer Attila et puis les chansons se retirrent.

Note du traducteur.

Je nai pas besoin de faire observer mes compatriotes, que nous buvons encore debout la premire sant Gospodartkie Zirowie ou la sant de l'hte. Il me semble probable, qu'Attila avait pris cette coutume chez les Slaves comme il avait pris d'eux le mot Strava , repas, et Mdune hydromel.

Suite du texte.

ct de la table d'Attila taient d'autres tables, qui pouvaient servir trois ou quatre convives et mme d'avantage, et o chacun, sans se lever de sa chaise, pouvait avec son couteau prendre ce qu'il voulait dans les plats.

D'abord vint un officier d'Attila qui apporta un plat de viandes, d'autres, qui le suivaient, garnirent la table de pain et de divers hauts gots. Les autres Barbares et nous, nous tions servis dans des plats d'Argent, mais Attila l'tait dans des quarrs de bois, et ne mangeait que de la viande. Les autres convives buvaient dans des gobelets d'or ou d'argent, et Attila dans un gobelet de bois. On ne pouvait pas non plus reconnatre Attila ses habits, seulement ils taient propres et tout de la mme toffe. Son pe n'avait aussi rien de remarquable, non plus que les ligatures de ses chaussures la Barbare; et les harnais et les mors de ses chevaux, n'taient pas non plus enrichis d'or et de pierres prcieuses comme chez les autres Barbares.

Lorsque les premiers plats furent mangs, nous nous levmes, et personne ne se rassit, qu'aprs avoir vid une patre de vin, en faisant des vux pour la sant d'Attila. Ensuite on apporta d'autres plats ; chacun en mangea volont et puis nous nous levmes encore pour boire la sant d'Attila.

Comme la nuit approchait dj, on ta les tables; deux Scythes se prsentrent Attila et rcitrent des vers qu'ils avaient fait pour clbrer ses victoires. Tous les convives tournrent les yeux sur eux. Quelques-uns gotaient leur posie, d'autres se plaisaient au souvenir des anciennes guerres. Les vieillards que l'ge empchait de combattre, versaient des larmes.

Aprs que lon et rcit des vers, je ne sais quel fou de Scythe se mit conter des choses absurdes et prodigieuses qui firent rire tout le monde.

Note du traducteur.

Ce fou de Scythe tait sans doute un de ces bouffons que l'on appelle en Russie Durk et en Pologne Blazen, quant la langue dans laquelle il faisait ses contes, elle n'est pas facile dterminer non plus que celle des Posies dont il est question un peu plus haut. Les Huns avaient srement adopt en partie la langue des Slaves; mis il n'est pas probable qu'ils eussent oubli la leur. Lorsque les auteurs disent la langue Scythe, ils ne s'expriment point d'une manire prcise, mais un peu plus bas, l'on voit que Zerchon mlait l'Italien, le gothique et la hunnique, ce qui semble plus dcisif.

Suite du texte.

Ensuite entra le maure Zerchon qui redemandait sa femme, et Edcon lui avait persuad de s'adresser Attila lui-mme. Bleda aimait cette femme, c'est pourquoi, Attila fit prsent du mari Aetius, et prsent il venait redemander sa femme. Sa figure tait trange aussi bien que ses habits; et il mlait en parlant l'Italien, le hunnique et le gothique, si bien qu'il excita un rire universel et inextinguible; mais Attila le congdia, sans sourire le moins du monde, et lui dit de s'en aller sans s'embarrasser de sa femme

Pendant tout ce festin, je n'ai pas remarqu qu'Attila changet l'expression de ses traits, ni leur donnt jamais le moindre air de douceur et de gat, si ce n'est lorsque son fils Irnach entra, il le regarda d'un air satisfait et lui caressa les joues. Comme je marquois ma surprise de cette prfrence, un Barbare, qui tait ct de moi et qui savait le latin, me dit qu'il me le dirait condition que je ne le trahirais pas. Je lui promis le secret; et alors il m'apprit que des Devins avaient prsag Attila que sa race serait prte s'teindre, et qu'elle ne serait releve que par Irnach. Comme le festin se prolongeait dan la nuit, nous nous retirmes.

Le jour tant venu, nous allmes chez Onigse pour lui dire qu'il fallait nous expdier, et qu'il tait inutile de nous faire perdre davantage de tems. Onigise nous rpondit, que c'tait aussi l l'intention d'Attila; aussitt il assembla quelques personnes du Conseil, et fit faire la lettre pour l'Empereur. Cette lettre fut faite par Rusticius, homme de la Mysie suprieure qui, tait tomb dans l'Esclavage, servait les Barbares dans ces occasions l.

Lorsqu'Onigise eut renvoy les personnes du Conseil, non le primes de rendre l libert la femme et aux enfants de Sylla, qui avaient t pris Ratiaria. Onigise n'tait pas loign de leur rendre la libert; mais il en demandait une somme exorbitante. Nous le conjurmes de faire attention leur infortune prsente, enfin il alla en parler Attila, et en revenant il nous dit qu'il donnait la femme pour cinquante pices d'or et qu'il faisait prsent des enfants l'Empereur

Ce jour l Recca voulut nous donner souper. Cette Recca est celle des femmes d'Attila qui gouverne sa maison. Nous trouvmes chez elle les seigneurs les plus distingus de la cour, et elle nous entretint de la manire la plus douce et la plus affable. Les principaux d'entre les convives nous prsentrent la coupe, et lorsque nous l'avions vide, ils la recevaient de nous et nous embrassaient avec une extrme cordialit tout le souper tait magnifique.

Le lendemain nous soupmes de nouveau chez Attila, et avec les mmes crmonies que la premire fois. Seulement le fils aine d'Attila n'tait pas assis sur le lit de son pre ; mais Oebarsius oncle d'Attila et qu'il regardait comme son pre.

Pendant tout le souper Attila nous parla avec beaucoup de bont. Il ordonna Maximin de dire l'Empereur, qu'il donna son Secrtaire Constance la femme qu'il lui avait promise.

Voici qu'elle tait cette affaire. Constance avait t Constantinople avec des Ambassadeurs d'Attila, et il avait dit qu'il travaillerait une paix stable entre les Romains et les Huns, pourvu qu'on lui fit pouser une demoiselle riche. L'Empereur Thodose y avait consenti, et lui avait promis la fille de Saturnilius. Dans ce tems-l Athenas que l'on appelait aussi Eudonie fit prir Saturnilius. Zenon qui tait la tte des Isauriens, enleva la jeune fille et la donna en mariage un des siens appelle Rufo; et Constance demandait sans cesse qu'on l lui rendt, o bien qu'on lui en donnt une autre, dont la dote ft galement bonne; et il avait promis Attila de lui donner une partie de la dote, s'il faisait russir cette affaire, et c'est pour cela qu'Attila nous la recommandait avec tant d'empressement Trois jours aprs, l'on nous fit des prsents et l'on nous congdia; Attila envoya avec nous ce mme Berich qui avait t assis table au dessus de nous. Il avait dj t plusieurs fois en Ambassade chez les Romains et il avait de grands biens en Scythie.

Comme nous passions par un certain Bourg, l'on prit un Scythe qui faisait l'espion pour les Romains et on le mit en croix par l'ordre d'Attila.

Le lendemain nous rencontrmes deux captifs qui avaient tu leurs matres. On les trainait les mains lies derrire le dos et la tte passe dans des comes de bois. Ils furent aussi mis en croix.

Berich allait toujours avec nous, et nous traitait avec amiti mais lorsque nous passmes l'Ister, nos valets eurent ensemble quelques lgers diffrends, et il les prit si fort cur qu'il devint notre ennemi. Il commena par reprendre le cheval qu'il avait donn Maximin ; car Attila avait ordonn tous les seigneurs de sa cour, de faire des prsents Maximin, et chacun avait donn un cheval; mais Maximin n'en n'a vait except que quelques-uns, et avait rendu les autres. Berich reprit donc son cheval et voulut aussi aller de son ct, sans avoir plut aucun commerce avec nous.

Nous passmes par Philippopolis et nous arrivmes Andrinople, l nous fmes les premiers pas pour ramener Berich ; nous lui demandmes pourquoi il ne nous parlait pas et nous rassurmes, que nous n'avions pas voulu l'offenser, enfin nous l'apaismes, et il soupa avec nous.

Etant parti d'Andrinople nous rencontrmes Bigilas, qui retournait en Scythie; nous l'informmes de ce qui s'tait pass notre gard, et puis nous Continumes notre route.

Etant arrivs Constantinople, Berich, que nous croyons rconcili, recommena nous donner des marques de malveillance; il rpandit que nous avions parl avec mpris d'Aspar et Ardabure, et que nous- avions dit que l'Empereur, ayant reconnu en eux le caractre lger des Barbares, n'en faisait plut aucun cas,

Lorsque Bigilas ft arriv en Scythie oh l'arrta, on lui prit son or, et on le conduisit Attila. Attila lui demanda pourquoi il avait apport autant d'or. Bigilas rpondit: Je l'ai apport pour pourvoir mes besoins et aux besoins de ceux qui sont avec moi, pour acheter des chevaux et autres btes de somme, et pour racheter divers captifs dont on m'a pay la ranon d'avance Bte infme (dit alors Attila) tes mensonges ne te feront point chapper au supplice. Cette somme est beaucoup trop forte pour acheter des chevaux, et pour ce qui est des captifs, je vous en ai dfendu le commerce, dj du temps que Maximin tait ici. . Alors Attila fit amener le fils de Bigilas qui avait suivi son pre dans ce voyage, et il ordonna qu'on lui passt une pe au travers du corps, si Bigilas n'avouait la vrit, Bigilas ne pt rsister ce spectacle, et raconta tout ce qui s'tait pass entre l'Empereur, l'Eunuque, et lui, il confessa qu'il mritait la mort ; mais il supplia que l'on pargnt son fils. Attila, voyant qu'Edcon lui avait dit la verit, fit mettre Bigilas aux fers, et ordonna que son fils irait chercher cent autres livres d'or pour leur ranon tous les deux; Attila envoya aussi Constantinople Oreste et Eslas.

Chrysaphius, accus en mme temps par Attila et par Znon, fit envoyer vers Attila, Anatolius et Nomius, qui furent chargs de l'apaiser, et de lui dire que l'on donnerait Constance une fille aussi riche que celle de Saturninus mais que pour celle-l, elle en avait dj pous un autre; et en mme tems l'Eunuque envoya beaucoup d'or.

Anatolius et Nomius passrent l'Ister et arrivrent au fleuve qu'on appelle Drenkon. Attila, qui les respectait beaucoup, ne voulut pas qu'Us allassent plus loin et leur parla en cet endroit. D'abord il leur tint des discours assez insolents; mais ensuite la beaut des prsents qu'ils apportaient et la douceur de leur loquence, l'apaisrent peu--peu, et il jura de vivre en paix avec les Romains. Il renona aussi toutes prtentions sur les pays situs au-del de lIster, et promit de ne plus redemander de transfuges, pourvu que les Romains n'en reussent plus l'avenir. Le fils de Bigilas avait apport cent livres d'or pour la dlivrance de son pre, qui fut aussi mis en libert. Enfin Attila donna Anatolius et Nomius d'autres captifs sans ranon, des chevaux et des peaux de btes ; et il ordonna que Constance irait Constantinople avec les Ambassadeurs, pour qu'on lui donnt la fille qu'on lui avait promise.

Lorsque les Ambassadeurs furent de retour Constantinople. On fit pouser Constance la fille de Plinthas veuve d'Armatius, qui avait t consul et Gnral en Lybie, o il tait mort de maladie.

Bientt aprs Thodose et lieu de craindre que Znon ne voult le dtrner; Attila demandait qu'on lui envoyt le tribut dont on tait convenu. Thodose y envoya Apollonius frre de celui qui avait pous la fille de Saturalius aprs la mort de Rufo. Apollonius passa l'Ister, mais il ne pt obtenir d'audience d'Attila, qui tait trs en colre de ce qu'on ne payait pas le tribut. Mais quoique Attila ne voult point accorder d'audience il voulut cependant avoir les prsents que portait Apollonius. On assure qu'Alors Apollonius, dit avec beaucoup de courage que si l'audience n'tait point accorde, ce qu'il portait et qu'on lui terait, ne serait plus des dons mais des dpouilles enleves un voyageur.

[1] Atius.

[2] Les habitants taient des Slaves aussi ; Mdum chez nous veut dire de l'hydromel, et Attila tait un tartare. Aussi, Kamisch est encore le nom sue les tartares donnent a la boisson qu'ils font avec de la farine aigrie. Les Huns parlaient certainement une langue hunnique, mais ils avaient adopt en grande partie celle des slaves.

FRAGMENTS

FRAGMENTS INDITS

DE L'HISTORIEN GREC PRISCUS

RELATIFS

AU SIGE DE NOVIODUNUM ET A LA PRISE DE NASSOS

RECUEILLIS ET PUBLIS PAR C. WESCHER

Au nombre des documents historiques runis dans la seconde moiti du volume de la Poliorctique des Grecs, figurent deux extraits indits de l'historien Priscus, qui, par leur importance comme par leur nouveaut, mritent d'tre signals et tudis part. Depuis l'poque o notre volume a paru, l'minent auteur de l'Histoire romaine, M. Thodore Mommsen, nous a envoy de Berlin, au sujet de ces deux textes, quelques remarques savantes qu'il nous autorise publier. Nous profilons de celte occasion pour offrir nos lecteurs les textes eux-mmes, prcds de quelques observations nouvelles, et suivis d'un essai d'analyse et de traduction franaise.

Nous donnerons successivement :

- La description du manuscrit avec une courte notice sur l'auteur;

- La note de M. Th. Mommsen;

- Un essai d'analyse et de traduction.

DESCRIPTION DU MANUSCRIT.

Les deux extraits de Priscus que renferme le manuscrit de la Poliorctique, s'y trouvent placs entre les fragments de Dexippe et ceux d'Arrien. Ils se succdent l'un l'autre sans solution de continuit, et chacun d'eux doit tre considr comme formant un tout complet. Transcrits au Xe sicle d'aprs un texte oncial dont maint signe rvlateur trahit la prsence, ils paraissent disposs selon l'ordre qu'ils occuprent dans l'uvre originale de Priscus, et tout nous autorise penser que celui des deux fragments qui est plac le premier relate des faits chronologiquement antrieurs ceux qui sont rapports dans le second. Chacun.des deux fragments est prcd d'une inscription en criture onciale indiquant, avec le nom de l'auteur, le sujet de l'extrait. En tte du premier fragment, on lit :

,

En tte du second fragment sont inscrits ces mots :

.

L'une et l'autre inscription omettent de dsigner le chiffre du livre dont les fragments sont dtachs. L'habitude du manuscrit cet gard n'est pas constante. C'est ainsi que, des deux extraits de Polybe, qu'il renferme, l'un, relatif au sige d'Ambracie, est rapport formellement au vingt-et-unime livre de cet historien, tandis que l'autre, relatif au sige de Syracuse, est prcd simplement du nom de l'auteur cl de l'indication du sujet sans la dsignation du livre.

Ces ingalits dans la prcision des renseignements tiennent sans doute la ngligence des Epitomatores qui, chargs de choisir et de classer les extraits, se croyaient d'autant moins tenus une parfaite exactitude dans les renvois, que les textes leur taient eux-mmes plus familiers.

Priscus, l'auteur de ces fragments, est un crivain connu. Originaire de Panium en Thrace, et appel, cause de cette origine, tantt , tantt , il est dsign par Suidas et par Evagrius sous les noms de rhteur et de sophiste, sans doute par allusion l'tat qu'il exerait. Il florissait au ve sicle de notre re, et Suidas le cite comme ayant vcu sous le rgne de Thodose le Jeune. On croit qu'il tait paen. Son histoire, dont les dbris figurent dans la collection des historiens byzantins sous le double titre d'Histoire byzantine et d'Histoire gothique, parat avoir embrass les vnements compris entre l'anne 433, qui fut marque par le dbut du rgne d'Attila, et l'anne 474, qui est la dix-septime anne du rgne de Lon et qui servit de point de dpart au continuateur de Priscus, l'historien Malchus de Philadelphie. L'histoire de Priscus se composait de huit livres. Elle ne fut pas son seul ouvrage : il laissa, en outre, des lettres () et des compositions oratoires () aujourd'hui perdues. Les fragments historiques de Priscus connus jusqu' ce jour, soit par des citations d'auteurs, soit par des extraits textuels, ont t runis en dernier lieu au nombre de quarante-trois par M. Charles Mller, et disposs par lui dans l'ordre chronologique.[1] Un seul de ces fragments est antrieur l'an 442 : c'est celui qui ouvre la srie. Les deux fragments nouveaux que nous publions aujourd'hui paraissent antrieurs cette mme date. Ces trois morceaux, voisins l'un de l'autre, faisaient sans doute partie du premier livre de l'Histoire de Priscus. Nous retrouvons ainsi quelques-unes des principales assises de ce monument littraire, admir par les contemporains de l'auteur et malheureusement dtruit par les sicles.

NOTE DE M. MOMMSEN

M. Thodore Mommsen a bien voulu nous envoyer de Berlin, au sujet des questions que soulvent ces deux fragments, quelques observations dont il nous autorise faire usage. L'opinion du savant auteur de l'Histoire romaine est d'un tel poids dans cette matire, que nous croyons devoir placer le texte intgral de sa note sous les yeux de nos lecteurs.

Il n'est pas douteux, nous crit M. Th. Mommsen, que le sige de Nassus, dont Priscus parle dans le second fragment, ne soit celui de l'an 441, appartenant l'invasion d'Attila et se terminant par la destruction entire de la ville. Cf. Marcellinus ad a. 441 (p. 286 Roncall.) : Hunnorum reges numerosis suorum cum milibus in Illyricum irruerunt, Naisum Singidunum aliasque civitates oppidaque Illyrici plurima exciderunt. Priscus (fr. 7, p. 76 Millier) : , (Attila) ' . Il vit lui-mme lemplacement dsert de la ville jadis florissante, en 448 (fr. 8, p. 78 Mll.). Il est plus difficile de trouver la place du premier fragment. La ville est certainement Noviodunum de la Msie mentionne par Ammien (27, 1), Ptolme (3, 10, 11) et d'autres; la premire lettre s'est perdue parce que le mot qui prcde se termine aussi par un N, et l'inscription du fragment a t faite sur la leon dj corrompue et par consquent non comprise. Le sige de Noviodunum prcdera l'an 441, parce que les fragments se placent dans lordre chronologique, mais pas de beaucoup, parce que l'histoire de Priscus commence environ en 433. Les Rubi seront probablement les Rugi, que nous trouvons parmi les peuplades sous la conduite d'Attila (Sidon. Apoll. 7, 321) : pugnacem Rugum comitante Gelono), mais on n'en sait pas autre chose cette poque, et le Valips qui les avait excits autrefois la guerre contre les Romains, parat tre absolument inconnu. Probablement il s'agit ici de quelque expdition entreprise par eux seuls contre les Romains en Msie, et prparatoire en quelque sorte la grande invasion dont Attila fut le chef.

ANALYSE ET TRADUCTION.

Le premier de nos extraits a trait au sige d'une ville qui, appele Obidunum ou Ovidunum clans le manuscrit, est identifie par M. Thodore Mommsen avec Noviodunum en Msie. Cette identification se justifie palographiquement. La lettre initiale N a t confondue, dans le texte oncial avec la lettre finale du mot prcdent , et par suite elle a disparu. La confusion possible des voyelles et , dans la finale , a fait supposer un nominatif pluriel fminin en , d'o la forme altre fournie par le titre du document. Le nom de cette ville est crit dans le beau manuscrit de Ptolme que possde la Bibliothque impriale de Paris, mais cette orthographe est quivalente : on sait que, dans la prononciation hellnique, le son du B rpond celui du V dans notre alphabet. Il est plus difficile d'expliquer comment la syllabe accentue O a pu disparatre au milieu du mot, et ce fait semble impliquer l coexistence des deux formes Noviodunum et Novidunum.

Ajoutons que la ville mentionne par Priscus tait situe, selon l'historien lui-mme, sut les bords du Danube, ce qui s'accorde avec ce que nous savons du site de Noviodunum, place sur la rive mridionale du fleuve, non loin de son embouchure. L'historien raconte, au sujet de cette ville, le fait qui suit :

Valips, qui jadis a soulev les Rubi (ou les Rugi) contre les Romains d'Orient., s'tant empar de la cit d'Ovidunum (Novidunum = Noviodunum) situe au bord du fleuve, mit mort plusieurs citoyens, et, aprs avoir runi tout l'argent de la ville, il se disposait parcourir la rgion ds Thraces et des Illyriens avec les partisans de sa rvolte. L'empereur ayant envoy une arme pour le combattre [et l'action] s'tant engage, il repoussa les assigeants de l'enceinte, aussi longtemps qu'il fut possible lui-mme et ses compagnons de tenir. Quand, succombant la fatigue d'une lutte incessante, ils ne suffisaient plus combattre la multitude des Romains, alors ils plaaient sur les remparts les enfants qui taient au nombre des prisonniers, et arrtaient ainsi l'essor des projectiles ennemis. Les soldais, amis de ces jeunes Romains, ne lanaient plus ni pierres ni traits contre ceux qui taient sur le mur. Ainsi le sige trana en longueur, et finit par une capitulation.

Le second extrait, plus tendu que le prcdent, se rapporte au sige de Naissos, la cit de Constantin le Grand. Le nom de cette ville est crit , avec un seul S, dans le Synecdemos d'Hirocls, mais on le trouve crit , avec le S redoubl, sur la carte des rgions danubiennes dans le grand manuscrit de Ptolme conserv la Bibliothque impriale, d'accord sur ce point avec le manuscrit de la Poliorctique. Voici le rcit de Priscus, d'aprs notre fragment indit :

Les Scythes (c'est--dire les Huns) assigeaient Nassos : c'est une ville des Illyriens, situe sur le Danube. Constantin, dit-on, en fut le fondateur, le mme qui btit la ville de son nom sur l'emplacement de Byzance. Les barbares, pour prendre cette ville peuple et d'ailleurs trs forte, tentrent tous les moyens. Les habitants n'osant sortir pour combattre, les barbares, pour faciliter le passage des troupes, tablirent un pont sur le fleuve du ct mridional par o le Danube baigne la cit. Ils firent aussi approcher des machines de l'enceinte, et premirement de longues poutres montes sur des roues pour faciliter les approches : debout sur ces poutres, des archers tiraient sur les dfenseurs des remparts, tandis que des hommes posts chaque extrmit poussaient avec leurs pieds les roues et conduisaient les machines dans la direction voulue, pour qu'il ft possible de tirer coup sr par les meurtrires pratiques dans les parois. Car, pour soustraire au danger de la lutte les hommes placs sur la poutre, on les garantissait l'aide de treillis couverts de peaux et de cuirs, qui arrtaient tous les traits et principalement les brandons enflamms[2] ! Beaucoup de machines de ce genre ayant t dresses contre la ville, et la multitude des traits lancs ayant contraint les dfenseurs des remparts cder et se retirer, on fit approcher aussi ce qu'on appelle les bliers.[3] Cette machine est trs grande : elle consiste en une poutre suspendue par des chitines peu serres des pieux inclins l'un vers l'autre, termine par une pointe de fer et munie de dfenses dans le genre de celles qui viennent d'tre dcrites, pour la sret des hommes qui manuvrent l'instrument. Ceux-ci, l'aide de cibles, tiraient fortement la poutre par l'extrmit postrieure, dans un sens oppos au but : ils la lchaient ensuite, de manire faire tomber et disparatre sous le choc toute la portion du mur qui tait frappe. Les dfenseurs placs sur les remparts, au moment o les machines approchaient de l'enceinte, lanaient sur elles des pierres normes[4] prpares d'avance pour cet usage, et ils crasrent ainsi plus d'une machine avec ses hommes. Mais ils ne purent suffire repousser la multitude de ces engins. Les assigeants appliqurent aussi des chelles.[5] Ainsi, d'une part le mur tant dmoli par les bliers, d'autre part les dfenseurs des remparts tant rduits l'impuissance par la multitude des machines, la ville fut prise, et les barbares firent irruption par la brche ouverte dans la muraille coups de blier. Ce rsultat fut complt par les chelles, appliques la portion du mur non encore croule.

Le sige dont parle ici Priscus est donc bien rellement celui de l'an 441, puisqu'il se termina par la prise de la ville assige. Attila, matre de Nassos, dtruisit compltement cette malheureuse cit. Le souvenir de cette catastrophe nous a t transmis par Priscus lui-mme, dans le long fragment qui fait partie de la Collection byzantine et qui est relatif l'ambassade dpute par Thodose le Jeune vers le chef des Huns. Priscus fit personnellement partie de cette ambassade avec son ami et son protecteur Maximin. C'est donc en tmoin oculaire que l'historien parle cette fois. Arrivs Nassos, dit-il, nous trouvmes la ville vide d'habitants, car elle avait t ruine de fond en comble par les ennemis : seulement, dans les asiles religieux, gisaient encore quelques malades.

Tel fut le dnouement tragique de ce sige de Nassos, dont les fragments indits du manuscrit de la Poliorctique nous rvlent aujourd'hui les pripties premires. Cet pisode de l'histoire du vc sicle nous montre, au temps mme o l'empire romain d'Occident tomba sous les coups des barbares, l'empire d'Orient luttant courageusement contre eux. Cette lutte hroque devait durer mille ans encore, jusqu' la chute dfinitive de Constantinople conquise par les Turcs. La manire dont le rhteur Priscus raconte les commencements de cette longue agonie justifie le jugement port sur lui par l'illustre Niebuhr, qui l'appelle le meilleur des historiens de la dcadence; comparable pour le gnie, la vracit, le discernement, aux historiens des plus grands sicles; crivain lgant, correct; qui, aprs avoir mrit l'estime de ses contemporains et celle de la postrit, a encore eu la gloire d'tre lou par des critiques tels que Valois et Gibbon. Nous n'ajouterons rien cet loge, qui suffit la gloire de Priscus.

C. Wescher.

1] C. Muller, Fragm. Hist. Gr., IV, p. 69-110

2] Comparez notre Fragment historique indit en dialecte ionien (Revue archologique, juin 1868, p. 406, note 1)

[3] Voir, dans notre Poliorctique des Grecs, les trois ligures du blier construit par Hgtor de Byzance : 1 la figure antique Fournie par les manuscrits de Minas et de Vienne (fig. IV, p. 25); 2 la figure byzantine des manuscrits du xie sicle, seule connue de Thvenot (fig. V, p. 26); 3 la figure restitue du manuscrit de Bologne, qui sert expliquer les deux autres fig. XCI, p. 231). C'est en groupant ainsi les figures de la Poliorctique par triades, qu'on peut les interprter.

[4] Voir ce sujet le savant mmoire de M. Henri Martin sur Hron d'Alexandrie, dans le tome IV des Mmoires prsents par divers savants l'Acadmie des inscriptions et belles-lettres.

[5] Voir, dans notre Poliorctique des Grecs, la description dtaille de ces chelles faite par Apollodore (p. 175), et par l'Anonyme indit de Bologne (p. 258).