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L’évolution psychiatrique 78 (2013) 185–188 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com À propos de. . . Prix Spécial de L’Évolution psychiatrique 2012. À propos de. . . « Les violences sexuelles à l’adolescence » de Pascal Roman Charles De Brito Psychiatre des hôpitaux, chef de service, Etampes, 191, rue d’Alésia, 75014 Paris, France Depuis l’ouverture de son ouvrage, Pascal Roman donne le ton. Il affirme que le regard social se trouve pris d’une forme de perte des repères quant à l’émergence du sexuel et quant à la place qu’occupe la sexualité dans le développement de la personnalité et dans le déploiement des liens. L’environnement social se trouve, donc, saturé par un contexte d’excitation. Nous sommes pris entre une idéologie de la jouissance à tout prix et le retour d’une morale qui justifie l’établissement de normes qui impliquent une répression. La disponibilité des images actuelles, en particulier celles qui correspondent à la sexualité et à son exercice, pousse les adolescents à les mettre en œuvre, reproduisant les techniques ainsi apprises. Et, finalement, quand on s’arrête sur les cam- pagnes de prévention des agressions sexuelles, on peut observer qu’elles comportent une certaine forme de séduction. De manière paradoxale, les visées protectrices contiennent l’envers du mes- sage souhaité. Et les exemples sont multiples et variés : les termes utilisés par certaines associations de victimes qui poussent au dévoilement, les campagnes de prévention des violences sexuelles à l’égard des enfants interrogent les cliniciens par leur valeur symbolique de l’interdit d’inceste ou de meurtre et un certain climat sécuritaire les hommes, en particulier, sont potentiellement dangereux. Un haut niveau d’excitation est ainsi annoncé et nourri régulièrement. L’adolescent devient de cette manière auteur des crimes commis, auteur d’agressions sexuelles/de transgressions sexuelles, auteur d’infractions à caractère sexuel, auteur d’abus sexuels, auteur de violences sexuelles, dans un champ qui, selon Pascal Roman, croise le médico- légal et le judiciaire, d’une part, et le social, d’autre part. La préoccupation de l’auteur concerne fondamentalement le désir de placer l’adolescent dans la position de sujet, en se référant à la psychopathologie et ses implications dans le soin et, si Roman P. Les violences sexuelles à l’adolescence. Issy-Les-Moulineaux: Elsevier-Masson, coll. « Psychologie »; 2012. VII-197 p. Cet ouvrage a obtenu le prix spécial de l’évolution psychiatrique 2012. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] 0014-3855/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.01.009

Prix Spécial de L’Évolution psychiatrique 2012. À propos de… « Les violences sexuelles à l’adolescence » de Pascal Roman

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L’évolution psychiatrique 78 (2013) 185–188

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

À propos de. . .

Prix Spécial de L’Évolution psychiatrique 2012.À propos de. . . « Les violences sexuelles à

l’adolescence » de Pascal Roman�

Charles De Brito ∗Psychiatre des hôpitaux, chef de service, Etampes, 191, rue d’Alésia, 75014 Paris, France

Depuis l’ouverture de son ouvrage, Pascal Roman donne le ton. Il affirme que le regard socialse trouve pris d’une forme de perte des repères quant à l’émergence du sexuel et quant à la placequ’occupe la sexualité dans le développement de la personnalité et dans le déploiement des liens.

L’environnement social se trouve, donc, saturé par un contexte d’excitation. Nous sommes prisentre une idéologie de la jouissance à tout prix et le retour d’une morale qui justifie l’établissementde normes qui impliquent une répression. La disponibilité des images actuelles, en particuliercelles qui correspondent à la sexualité et à son exercice, pousse les adolescents à les mettre enœuvre, reproduisant les techniques ainsi apprises. Et, finalement, quand on s’arrête sur les cam-pagnes de prévention des agressions sexuelles, on peut observer qu’elles comportent une certaineforme de séduction. De manière paradoxale, les visées protectrices contiennent l’envers du mes-sage souhaité. Et les exemples sont multiples et variés : les termes utilisés par certaines associationsde victimes qui poussent au dévoilement, les campagnes de prévention des violences sexuellesà l’égard des enfants interrogent les cliniciens par leur valeur symbolique de l’interdit d’incesteou de meurtre et un certain climat sécuritaire où les hommes, en particulier, sont potentiellementdangereux. Un haut niveau d’excitation est ainsi annoncé et nourri régulièrement.

L’adolescent devient de cette manière auteur des crimes commis, auteur d’agressionssexuelles/de transgressions sexuelles, auteur d’infractions à caractère sexuel, auteur d’abussexuels, auteur de violences sexuelles, dans un champ qui, selon Pascal Roman, croise le médico-légal et le judiciaire, d’une part, et le social, d’autre part.

La préoccupation de l’auteur concerne fondamentalement le désir de placer l’adolescent dansla position de sujet, en se référant à la psychopathologie et ses implications dans le soin et, si

� Roman P. Les violences sexuelles à l’adolescence. Issy-Les-Moulineaux: Elsevier-Masson, coll. « Psychologie »;2012. VII-197 p. Cet ouvrage a obtenu le prix spécial de l’évolution psychiatrique 2012.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

0014-3855/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.01.009

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possible, dans la prévention. Un ouvrage ancré dans la pratique, comme il l’affirme, en tant queprofessionnel, psychologue, expert judiciaire et chercheur universitaire. Un cas clinique illustrede facon assez claire les propos de l’auteur.

Le travail de Pascal Roman se présente en trois parties de manière à mieux identifier ladimension du projet annoncé.

Nous pouvons considérer que la première partie mérite une attention particulière du cliniciencar l’approche psychodynamique des enjeux des violences sexuelles à l’adolescence est traitéeavec profondeur. Les transformations physiologiques sont accompagnées par un travail psychique,une renégociation du sexuel infantile. L’accès à la maturité sexuelle réactive, au point de vuepsychique, les fantasmes incestueux et parricides, en sachant que ce travail peut devenir difficilechez les sujets présentant des failles narcissiques.

Les réaménagements pulsionnels liés à la puberté font que le temps de l’adolescence constitueun temps privilégié pour la mise en jeu du corps. Plusieurs références théoriques sont appeléesà l’aide pour mieux clarifier un sujet aussi complexe, de F. Marty, S. Lemitre et R. Coutenceau,C. Balier, S. Couraud, P. Jeammet et plus ancien J. Bergeret. La violence peut être considéréerequise comme mesure de sauvegarde. L’adolescent se trouve poussé à un nouveau besoin, à uneissue adulte de son temps, son temps adolescent.

L’auteur, avec N. Dumet, considère ainsi le temps de l’adolescence comme un temps privilégiédes « corps en acte ». Il nous propose de réfléchir sur l’invitation de P. Jeammet et P. Gutton àpenser le temps de l’adolescence comme un temps de renégociation, au lieu du corps, des enga-gements subjectifs, sur fonds de réactualisation des fantasmes incestueux et meurtriers. Plusieursconfigurations des cliniques de l’agir, clinique de la violence adressée, de la violence destruc-trice et de la violence sexuelle, violence retournée sur le corps en forme de restriction ou abusalimentaire, d’automutilation et/ou de mouvement suicidaire peuvent être prises en compte. Etcette réflexion ne pouvait se passer d’un détour par le travail de D.W. Winnicott.

Le temps de l’adolescence est marqué par la place qui occupe les agirs pour l’individu oupour le groupe. Mais, dans le temps de la petite enfance, on connaît l’importance du rôle de lamotricité dans la relation d’objet ; et nous revenons à Winnicott pour qui jouer c’est faire. Il nousfaut souligner l’intérêt des deux enjeux majeurs de cette réflexion sur l’agir, d’une part, la miseen jeu d’une nouvelle consistance identitaire et, d’autre part, le traitement de la réémergence desfantasmes meurtriers et incestueux.

Finalement, l’auteur nous indique qu’il n’y a pas de possible inscription dans l’avenir qu’àcondition du dégagement, d’une part, de la destructivité et de l’attaque des idéaux familiaux et,d’autre part, du réengagement à une place suffisamment disponible et accueillante dans son grouped’origine, la famille en général.

L’auteur nous propose une notion de deuil de l’infans, c’est-à-dire, le deuil du point de vue desparents, une notion qui nous conduit à l’abordage de la complexe position dépressive familiale.Une notion qui fait référence à M. Klein, considérant la position dépressive infantile commeprolongement de celle-ci. La position dépressive familiale peut ainsi être proposée comme lamétaphore familiale de position dépressive infantile de M. Klein. Et la clinique est confrontée àune notion de voie structurante et une autre qu’on peut considérer comme voie défensive.

À travers plusieurs cas cliniques, l’auteur étudie et illustre la phénoménologie de l’agir sexuelviolent. Agir sexuel violent et processus adolescent, agir sexuel violent et dynamique familiale etagir sexuel violent et accueil des professionnels représentent une problématique avec différentsniveaux de tension.

Le travail de Pascal Roman est toujours illustré par des exemples cliniques. Les figures dela violence sexuelle à l’adolescence sont évaluées à travers une réflexion clinique orientée par

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la psychopathologie et la confrontation avec le contexte social. Cette réflexion permet de mieuxsaisir la complexité du fonctionnement psychique des adolescents, auteurs d’agression sexuelleet auteurs de viol.

La dynamique activité–agressivité dans les agirs sexuels violents à l’adolescence comporteune réflexion sur le travail du féminin à l’adolescence et le destin de la pulsion du voir dans l’agirsexuel violent ; voir et être vu.

Une deuxième partie de l’ouvrage de Pascal Roman prend en compte l’environnement danslequel l’adolescent est inscrit.

Dans la clinique de l’adolescent, la référence théorique à Winnicott donne une continuité à laprise en compte de l’environnement, en particulier l’environnement familial, dans le développe-ment psychoaffectif. Ses considérations sur l’évolution du bébé sont aussi valables pour l’individuen formation, l’adolescent.

Pascal Roman considère, donc, que la problématique des adolescents engagés dans des agirssexuels violents doit passer par, d’une part, l’étude du contexte de la résolution œdipienne dansle temps de l’enfance et, d’autre part, des conditions dans lesquelles s’opère la réactualisation dutemps de l’adolescence.

Du point de vue des professionnels, il faut souligner la particularité des familles des adolescentsrencontrés, en sachant que les scènes des origines interrogent les histoires de toutes les personnesengagées. Et, d’une part, il faut une reconnaissance de l’interdit de la transgression sexuelle parles parents, des dérapages liés au temps de l’adolescence. Et, d’autre part, un soutien familialest nécessaire pour pouvoir guider l’adolescent en difficulté. À ce titre, l’auteur souligne que lacapacité à discerner le consentement se trouve au premier plan des agirs sexuels violents.

Il n’y a pas, de toute facon, des familles qui puissent être considérées comme références oucomme modèles particuliers au départ. Il faut, simplement, prendre en compte les ruptures au seindu groupe familial et les éventuelles recompositions parentales. L’agir sexuel violent peut aussiouvrir la porte à une réflexion autour de la fonction de relance de l’activité représentative. Lemode d’investissement de la sexualité des parents peut conduire l’adolescent à la confrontation àune forme d’excitation des liens. En sachant que le refus de parler de la sexualité en famille peutconduire à une puissante attraction fantasmatique.

Un pourcentage important – 43 %, selon B. Kail et L. Le Caine – des violences sexuelles com-mises par des adolescents se passent au sein de la famille, frères, demi-frères, cousins, cousines,nièces, neveux. Les professionnels, éducateurs, soignants, doivent porter une attention spécialeaux victimes qui se retrouvent dans une position de lien fraternel. Des liens qui sont brutalementmis à l’épreuve. Dans toutes les expertises judiciaires, il faut connaître, évidemment, le point devue des auteurs, mais, aussi, le point de vue familial. L’expression de l’acte de violence sexuelledans la fratrie s’inscrit, selon l’auteur, sur le fond d’une continuité narcissique entre sujet et objet.

Le lien de l’auteur à la victime pose toujours la question du choix de la victime, même sion reconnaît qu’il répond à des motifs inconscients qui échappent à une lecture objective deleur rencontre. On note que l’espace et le temps dominent les récits, mais dans une difficultéévidente à bien raconter ce qui s’est réellement passé. La difficulté de subjectivation s’exprimeégalement, selon l’expert, au travers de la désorganisation de la syntaxe des récits. On peut êtreconfronté, dans l’approche de la dynamique du fonctionnement psychique des adolescents auteursde violences sexuelles et des adolescents victimes, à une certaine forme de proximité entre chacundes différents groupes d’individus étudiés.

Dans la troisième partie de son texte, Pascal Roman nous fait connaître les difficultés rencon-trées par les professionnels et leurs pratiques dans la prise en charge des adolescents engagés dansdes agirs sexuels.

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Ainsi, l’auteur nous présente en premier lieu l’accueil réservé à ces adolescents. Il doit prendreune double dimension, celle de la reconnaissance de l’implication dans les faits qui lui sontreprochés et celle de l’expression des affects et des émotions liés à ces agirs. Un certain nombrede travaux cités indiquent le chemin de l’évaluation de l’agir violent et de la subjectivation quecela doit impliquer. Il y a un défaut de reconnaissance de l’autre, une fragilité dans l’évaluationet composition des affects, en tant qu’auteur au regard de la victime et une distorsion dansl’évaluation du consentement de la victime. On ne parle pas de l’acte, selon les professionnels encharge des cas médico-légaux. L’auteur propose, donc, un Questionnaire d’Investigation Cliniquede Personnalité d’Auteurs d’Agressions Sexuelles [QICPAAS] pour mieux saisir le problème.

Par la suite, l’accompagnement des adolescents engagés dans des agirs sexuels violents estdécrit dans ses grandes lignes depuis l’agitation des professionnels en général jusqu’aux réponseséducatives et judiciaires et le danger d’une certaine confusion. La notion de soigner ou, mieux, deprendre soin, revient encore une fois pour l’auteur à une référence aux travaux de Winnicott. Lanotion de prendre soin rejoint sa notion de soin maternel, au sens de la disponibilité psychique,qui contient en même temps attention, préoccupation mais aussi limitation de toute puissance.L’intérêt d’une organisation de groupes soignants est clair, il permet le soutien du narcissisme etle déploiement des identifications.

Pascal Roman donne, dans un autre chapitre, quelques repères judiciaires assez utiles, enpratique, dans la confrontation aux agirs sexuels violents, évaluation de la violence et perversionsur la scène judiciaire. Et, finalement, il aborde la problématique complexe qui comprend laprévention des violences sexuelles à l’adolescence. Les questions, un soin sans soin, la prévention,et comment avoir une posture d’accueil, accueillir et séduire, à travers les dispositifs de préventionprimaire, sont reprises par l’auteur.

L’intérêt que les membres du Jury ont pu avoir pour le travail de Pascal Roman, accompagneses propres conclusions. Les agirs sexuels violents à l’adolescence prennent des formes diverses,ils renvoient au plan phénoménologique à une large palette de manifestations, ils présentent uneforme singulière dans le choix de la victime et on peut mesurer le spectre particulièrement ouvertdu registre de l’engagement psychique. Du point de vue psychopathologique, les agirs sexuels del’adolescent offrent une grande diversité, ce qui impose toute appréciation a priori.

Les dispositifs de prévention, de la prévention primaire à la prévention tertiaire, permettent deplacer au centre des préoccupations les conditions de l’environnement de l’adolescent et de sonenvironnement précoce en particulier.

Et nous pouvons conclure avec l’auteur, complices de sa position humaniste, que, au-delà dunécessaire accueil de la victime et du traumatisme lié aux violences dont elle a été l’objet, il fautconsidérer l’adolescent engagé dans des agirs sexuels violents du point de vue de sa position desujet.

Déclaration d’intérêts

L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.