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L’évolution psychiatrique 79 (2014) 176–179 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect À propos de. . . Prix spécial du jury de l’Évolution psychiatrique 2013. Les grands articles des Annales Médico-Psychologiques. À propos des « 24 textes fondateurs de la psychiatrie, introduits et commentés par la Société Médico-Psychologique » sous la direction de Marc Masson Yves Thoret (Docteur Yves Thoret, secrétaire général adjoint de l’Évolution psychiatrique, neuropsychiatre, docteur d’État ès-lettres et sciences humaines, ancien Maître de conférences de psychopathologie à l’Université de Paris-ouest, Nanterre, La Défense) 53, avenue Anatole-France, 78300 Poissy, France Dans un volume de parution récente, nos collègues de la Société Médico-Psychologique pré- sentent une série de grands textes parus dans la revue Les Annales Médico-Psychologiques qui est le bulletin officiel de cette Société Savante. Son secrétaire général, Marc Masson, aidé par la présidente de la Société, madame Evelyne Pewzner-Apeloig et le rédacteur en chef de la revue, Jean-Franc ¸ois Allilaire, a choisi les articles principaux et les plus influents publiés depuis la création de la revue en 1843. 1. Hommage au père fondateur, Jules Baillarger L’ouvrage ([1], p. 21–34) présente d’abord un hommage au docteur Jules Baillarger, fon- dateur de la revue, puis, grâce aux ouvertures des journées de 1848, fondateur de la Société en 1852. German E. Berrios, professeur à l’université de Cambridge, historien réputé, montre comment Baillarger (1809–1891) représentait le prestige de l’École de Paris rassemblant toutes Annales Médico-Psychologiques, Masson M, editors. 24 textes fondateurs de la psychiatrie : introduits et commentés par la Société Médico-Psychologique. [Préf. J-.F Allilaire] Paris : Armand Colin ; 2013. 380 pages. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] 0014-3855/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.12.003

Prix spécial du jury de l’Évolution psychiatrique 2013. Les grands articles des Annales Médico-Psychologiques. À propos des « 24 textes fondateurs de la psychiatrie, introduits

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L’évolution psychiatrique 79 (2014) 176–179

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

À propos de. . .

Prix spécial du jury de l’Évolution psychiatrique2013. Les grands articles des Annales

Médico-Psychologiques. À propos des « 24 textesfondateurs de la psychiatrie, introduits et commentés

par la Société Médico-Psychologique » sous ladirection de Marc Masson�

Yves Thoret (Docteur Yves Thoret, secrétaire général adjoint del’Évolution psychiatrique, neuropsychiatre, docteur d’État ès-lettres et

sciences humaines, ancien Maître de conférences de psychopathologie àl’Université de Paris-ouest, Nanterre, La Défense) ∗

53, avenue Anatole-France, 78300 Poissy, France

Dans un volume de parution récente, nos collègues de la Société Médico-Psychologique pré-sentent une série de grands textes parus dans la revue Les Annales Médico-Psychologiques quiest le bulletin officiel de cette Société Savante.

Son secrétaire général, Marc Masson, aidé par la présidente de la Société, madame EvelynePewzner-Apeloig et le rédacteur en chef de la revue, Jean-Francois Allilaire, a choisi les articlesprincipaux et les plus influents publiés depuis la création de la revue en 1843.

1. Hommage au père fondateur, Jules Baillarger

L’ouvrage ([1], p. 21–34) présente d’abord un hommage au docteur Jules Baillarger, fon-dateur de la revue, puis, grâce aux ouvertures des journées de 1848, fondateur de la Sociétéen 1852. German E. Berrios, professeur à l’université de Cambridge, historien réputé, montrecomment Baillarger (1809–1891) représentait le prestige de l’École de Paris rassemblant toutes

� Annales Médico-Psychologiques, Masson M, editors. 24 textes fondateurs de la psychiatrie : introduits et commentéspar la Société Médico-Psychologique. [Préf. J-.F Allilaire] Paris : Armand Colin ; 2013. 380 pages.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

0014-3855/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.12.003

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les branches de la médecine, dont les aliénistes, héritiers de Pinel et Esquirol. En Angleterre, c’estdès 1808 que la loi institue un asile par comté. Les sœurs Chandler créent au Queen Square deLondres une institution pour femmes souffrant de paralysie qui devient un hôpital dont la nouvellespécialité s’appelle pour la première fois « neurologie ». Il y avait toutefois des institutions pouraliénés depuis le seizième siècle, dont le fameux hôpital de Bedlam (issu de Béthléem) dont parleShakespeare dans le Roi Lear.

En France, Napoléon Bonaparte avait créé l’internat en 1801 et l’Académie Royale de médecinefut instituée en 1820. Ces créations sont les témoins du prestige de la médecine francaise au milieudu XIXe siècle. Le terme de psychiatrie n’apparaîtra dans le dictionnaire de Bescherelle qu’en1846.

Le docteur Théophile Alajouanine, dont l’auteur du présent article se souvient de sa présenceattentive aux présentations de neurologie du professeur Castaigne à la Salpêtrière, rappelle queBaillarger était en contact régulier avec ses collègues britanniques, dont JH. Jackson, sur l’étudemystérieuse des troubles du langage. À l’époque, un cas clinique devenait la référence généraledes chercheurs cliniciens. Ainsi, un officier d’artillerie avait présenté, au décours d’une paralysie,une impossibilité à émettre un langage volontaire alors que l’incitation motrice spontanée de typeautomatique, avec des mots incohérents, persistait. Baillarger et Jackson attribuaient la descriptionde cette observation à l’Anglais Winslow, mais German Berrios, tel un nouveau Sherlock Holmes,a découvert qu’elle avait été présentée par un médecin philosophe allemand, Marcus Hez, dans unarticle de 1791. Une telle coopération dans la recherche clinique en Europe, par-delà les frontièreset les nationalismes, a de quoi nous faire rêver.

Il est établi que Baillarger fut très admiré par ses collègues anglais pour ses travaux fondateurssur « l’histologie cérébrale, les hallucinations, la mélancolie stuporeuse, les classifications et lalégislation » ([1], p. 31) ce qui amène Berrios à conclure : « sans l’œuvre de Baillarger, nousn’aurions pas la psychiatrie que nous connaissons aujourd’hui ».

2. Présentation, texte original et commentaire des articles fondateurs de la cliniquepsychiatrique

Cet ouvrage nous donne à lire un choix d’articles de cette revue de 1843 à nos jours, en lesencadrant par une introduction qui les replace dans le contexte de l’époque et par un commentairequi montre en quoi ils restent une référence dans notre actualité.

L’introduction pourra montrer par exemple qu’un article de Baillarger dans le premier numérode la revue en 1843, évoque la notion de « stupidité » qui doit être comprise dans son sens del’époque, « stupeur ou ralentissement psychomoteur ».

Le commentaire étudie le développement de chaque article depuis sa publication, en citantdes travaux modernes qui peuvent en vérifier la pertinence. Ainsi, l’article dans lequel JulesCotard décrit la forme d’hypocondrie délirante qui portera son nom voit ses thèses confirméespar des travaux récents aussi divers que l’analyse factorielle d’une série d’observations cliniqueset l’approche lacanienne des troubles du langage ([1], p. 73–85).

Ces présentations commentées de textes renvoient à d’autres publications ayant la mêmerigueur et le souci de montrer à nos jeunes collègues la continuité entre les travaux classiqueset la clinique contemporaine. Sont souvent cités des ouvrages tels que la Nouvelle histoire de lapsychiatrie de Jacques Postel et Claude Quétel [2], ou de Pierre Pichot, Un siècle de psychiatrie[3], sans oublier Georges Lantéri-Laura [4,5], auxquels il convient de rajouter le numéro spécialde l’Encéphale, L’Encéphale à travers le temps [6].

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On peut rappeler que le mot « annales » renvoie à deux significations complémentaires :« année » et « anneaux », et que le présent ouvrage témoigne à la fois de sa valeur historiqueet de son objectif de transmission. Ainsi Massillon écrivait : « son nom sera écrit dans les annalesde la postérité parmi les conquérants » [7].

Dans son introduction, Marc Masson se montre modeste face à l’érosion qu’exerce le tempssur certains travaux de recherche clinique : « La fécondité de ces écrits majeurs n’appartient pasuniquement au passé. Au-delà d’un intérêt purement archéologique, à l’aube de cette quatrièmerévolution que connaît la psychiatrie aujourd’hui [celle des explorations paracliniques modernes],la lecture de ces textes fondateurs, sélectionnés par l’écume du temps, permettra sans doute deporter un regard plus modeste et plus ajusté sur les avancées récentes de notre passionnantespécialité médicale » ([1], p. 19).

Dans la même perspective, Jean-Francois Allilaire souligne comment ce regard vers le passédoit nous orienter vers l’avenir : cet ouvrage « montre à quel point la revue et sa société fille actuelleont été et souhaitent rester un bouillon de culture et un laboratoire d’idées et d’expériences pourl’avenir de notre discipline » ([1], p. 15).

L’article qui m’a le plus impressionné est celui de Baillarger en 1846, « Des hallucinationspsychosensorielles » ([1], pp. 89–103). Thierry Hautsgen explique que l’auteur s’écarte de laconception centrale des hallucinations et distingue, en se référant aux thèses d’Aristote, les hallu-cinations psychosensorielles des hallucinations psychiques, « les voix secrètes, intérieures » ayanttrait presque toujours au langage chez ces patients qui disent « entendre la pensée ». Baillargerconfesse avoir lui-même ressenti de telles expériences. F. Vinckier et R. Gaillard confrontent cesthèses issues de l’observation clinique aux recherches récentes ayant recours au scanner et à l’IRMmorphométrique. Elles ont permis de guider les thérapeutiques par stimulation magnétique trans-crânienne vers la jonction temporo-pariétale gauche, comme l’ont découvert des auteurs francaisen 2011 [8].

Certains articles annoncent des entités cliniques qui ne deviendront classiques qu’aprèsplusieurs décennies : la folie à double forme décrite par Baillarger, annonce la psychose maniaco-dépressive ; l’article de L.V. Marcé sur « une forme de délire hypocondriaque consécutive auxdyspepsies et caractérisée principalement par le refus d’aliments » (1860), annonce l’anorexiementale mais ce travail sera cruellement « oublié » par les auteurs tels que Lasègue (1873), Gull(1874), Huchard (1883) et enfin Paul Sollier (1895) qui revendiqueront la découverte de l’anorexiementale ([1], p.265–280). Marcé affirmait pourtant clairement : « ces malades arrivent à cetteconviction délirante qu’elles ne doivent pas manger, qu’elles ne peuvent pas manger ».

Jean Garrabé rappelle que Alfred Maury présenta en 1882 un rapprochement entre le rêve etl’aliénation mentale qui sera repris avec admiration par Freud dans la Traumdeutung. Il souligneson fameux rêve de la guillotine et le texte intégral de l’article nous livre les détails les plusimpressionnants de cette expérience onirique : « le couperet tombe, je sens ma tête se séparer demon tronc ; je m’éveille en proie à la plus vive angoisse, je me trouve sur le col la flèche de monlit qui s’était détachée. . . » ([1], p.115).

Michaël Brun commente cette « chute » du rêve en analyste : « il avait approché la science desrêves en soulignant ses principales composantes (similitude avec les symptômes, restes diurnes,rôle de la mémoire, réalisation de désir) mais on doit à Freud le mérite de les avoir unifiées » ([1],p. 121).

3. Annonce prospective de moyens thérapeutiques

L’ouvrage cite enfin six articles qui étudient des thérapeutiques importantes en psychiatrie.

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Sur la sismothérapie, l’article d’Henri Ey et J. Barguet (1952), amène le commentateurP. Fossati à reconnaître la faiblesse de l’étude statistique présentée par ces auteurs éminents.

La découverte des neuroleptiques en France est proclamée avec les articles de J. Hamon,J. Paraire et J.Velluz (1952) et l’article mondialement célèbre de Jean Delay, Pierre Deniker,JM. Harl et A. Grasset « Traitements d’états confusionnels par le Chlorhydrate de diéthyl-amino-propyl-N-chlorophénothiazine (4560 RP) ». Ces articles sont magistralement commentés par J-.P. Olié, H. Lôo, D. Gourion et R. Gaillard qui exposent les nouvelles perspectives qui s’ouvrentactuellement pour avancer plus encore dans la recherche en psychopharmacologie. De précieuxsouvenirs de cette découverte initiale sont conservés dans le musée de la psychiatrie qui se trouvesous les combles de l’hôpital Sainte-Anne.

L’effet d’un anti-épileptique, la valpromide, comme régulateur de l’humeur et d’efficacitésupérieure à celle des neuroleptiques sur les états maniaques, est exposé dans l’article de PA.Lambert et al. en 1966, il souligne l’impact de cette nouvelle classe de psychotropes.

Enfin, pour terminer, citons les articles de J. Carrère et Mlle Pochard, ainsi que celui deP. Sivadon et P. Chanoit (1955) sur l’usage des sels de lithium ; ils sont commentés avec briopar Jean Garrabé, Marc Masson et Christian Gay. Ce thème exemplaire a fait l’objet d’une remar-quable journée d’études à l’Académie nationale de médecine le 17 octobre 2013, avec un grandsuccès, qui est venu couronner tous ces efforts.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références

[1] Annales Médico-Psychologiques, Masson M, editors. 24 textes fondateurs de la psychiatrie : introduits et commentéspar la Société Médico-psychologique [Préf. J-.F Allilaire]. Paris: Armand Colin; 2013.

[2] Postel J, Quétel C. Nouvelle histoire de la psychiatrie. Paris: Dunod; 2002.[3] Pichot P. Un siècle de psychiatrie. Paris: Éd. Roger Dacosta; 1983.[4] Lantéri-Laura G. Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne. Paris: Éditions du temps; 1998.[5] Lantéri-Laura G. Modes et vogues en psychiatrie. Evol psychiatr 1987;52(1):79–94.[6] Lôo H, Olié JP. L’Encéphale à travers le temps. Encephale 2002;28 [HS].[7] Littré E. Dictionnaire de la langue francaise, vol. 1. Paris: JJ. Pauvert; 1956. p. 435.[8] Plaze M, Paillière–Martinot ML, Penttilä D, De Beaurepaire R, et al. «Where do auditory hallucinations come

from? » A brain morphometry study of shizophrenia patients with inner or outer space hallucinations. SchizophrBull 2011;37:212–21.