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PROGRAMME EN EPS ET IDENTITE D'UNE DISCIPLINE SCOLAIRE PAR D. PASCO L es années 1990 compteront dans l'histoire de l'éduca- tion physique et sportive. En effet, si le décret du 3 février 1869 signifiait l'obligation d'assurer des leçons de gymnastique indépendamment des temps de récréation dans toutes les écoles normales d'instituteurs, les lycées et les collèges, la mise en oeuvre d'un programme à la rentrée 1996 marque un siècle d'histoire pour une discipline d'enseignement en quête de reconnaissances sociale et scolaire. Pour certains, l'identité de l'EPS ne souffre plus d'aucuns avatars. Il suffirait pour s'en convaincre d'évoquer la quatrième heure d'EPS en classe de sixième, d'attester de sa vocation interdisciplinaire par l'éducation civique, de disserter sur sa place première et originale dans la lutte contre l'échec scolaire ou de lire ses programmes aux côtés du fran- çais, des mathématiques, de l'histoire-géogra- phie ou de la physique-chimie. Cependant, ces avancées suffisent-elles à solder la question de la quête d'identité qui semble occuper une place majeure dans l'histoire de l'EPS ? Histoire et identité : un point de vue domi- nant Parmi l'ensemble des axes de réflexion pos- sibles, celui de I "identité de l'EP scolaire fran- çaise a été retenu pour renouveler le pro- gramme de la première épreuve écrite du CAPEPS. La préoccupation identitaire consti- tue, il est vrai, une permanence institutionnelle de la discipline au cours du XX siècle, ainsi J.-P. Clément introduit l'ouvrage collectif qu'il co-dirige avec M. Herr ( 1 ). En ce domaine pourtant, P. Arnaud semble occuper une place dominante. Son analyse dégage trois critères jugés indispensables à la constitution d'une discipline d'enseignement : - la représentativité culturelle ; - l'utilité des savoirs dispensés ; - l'intégration dans les programmes scolaires. Si l'intégration des pratiques sportives dans la leçon d'EPS au cours des années 1960 peut constituer une certaine représentativité cultu- relle, si la réintégration de la discipline au sein du ministère de l'Education nationale en 1981 atteste d'une certaine utilité des savoirs dis- pensés, l'intégration dans les programmes scolaires attendra deux décennies et quelques rebondissements avant d'aboutir à la rédac- tion officielle d'un programme en EPS. Pourtant, enseigner l'EPS au quotidien nous conduit à mesurer l'importance d'une certaine hiérarchie des disciplines scolaires pour les représentations des acteurs de l'école. En ce sens, la place et le rôle de l'EPS dans le système éducatif, c'est-à-dire ce qui fonde son identité scolaire, nous semblent loin d'être tranchés. UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA NOTION D'IDENTITÉ Une large confusion semble l'emporter sur la question de l'identité. Unité, spécificité, conformité, intégration, légitimité, cohérence, permanence, originalité... sont autant de termes avancés pour faire référence à l'identité de l'EPS tendant à confirmer que : plus on écrit sur ce thème et plus les mots s'érigent en limite autour d'une réalité aussi insondable que partout envahissante (2). La nécessité d'organiser devient impérieuse. Si les travaux les plus récents en ce domaine distinguent l'identité de l'individu, du groupe et d'une société, il se dégage une certaine unité de point de vue pour insister sur le fait que l'un de ses éléments constitutifs majeurs repose sur la représentation plus ou moins structurée, plus ou moins stable que j'ai de moi-même et que les autres se font de moi (3). En effet, que l'on évoque l'identité pour soi et l'identité pour les autres, que l'on insiste sur son caractère intrin- sèque et extrinsèque ou que l'on introduise des actes d'appartenance et des actes d'attribu- tions, l'identité croise deux regards, celui des siens et celui des autres. En ce sens, nous nous proposons d'identifier en EPS une identité visée et une identité attribuée. Loin de constituer un modèle en la matière, elle ouvre une première étape dans l'organisation d'un processus identitaire qui reste largement à caractériser pour cette discipline. L'identité visée Une perspective historique nous invite à carac- tériser cette dimension en EPS autour de trois notions : l'unité, la cohérence et la stabilité. La stabilité fait référence à l'ancrage institu- tionnel ; nous renvoyons aux différentes tutelles ministérielles de l'EPS et aux finali- tés, objectifs et enjeux qui les sous-tendent au cours de son histoire. Nous illustrerons les deux autres notions en référence aux instructions officielles de 1967. Affirmer une unité, dégager une cohérence La circulaire du 19 octobre 1967 s'ouvre sur les problèmes pédagogiques liés à l'insertion du sport, phénomène social et culturel. Il apparaît indispensable au législateur de défi- nir le domaine de l'EP et. d'introduire, entre les activités physiques et sportives qui en constituent la matière, une cohérence qui est le préalable indispensable <i l'élaboration d'un programme. La perspective du législa- teur s'inscrit alors dans une démarche globale dont la finalité est la rédaction d'un pro- gramme pour la discipline. R. Delaubert explicite les raisons ayant inspiré leur rédaction. Deux d'entre elles nous sem- blent remarquables (4) : unifier, autant que cela est possible et souhaitable, le programme des activités physiques éducatives, afin d'évi- ter l'incohérence de l'enseignement et, définir, en vue unitaire les objectifs et les moyens d'une discipline qui doit trouver une place radicalement nouvelle dans l'éducation totale des jeunes de notre temps. Si l'unité est à conjuguer au pluriel, elle apparaît ici explici- tement comme unité de moyens. Les pratiques sportives et leur idéologie font une entrée EPS H' 283 - MAI-JUIN 2000 67 Revue EP.S n°283 Mai-Juin 2000 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

PROGRAMME ENEP S ET IDENTITE D'UNE DISCIPLINE SCOLAIR PAR E

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PROGRAMME EN EPS ET IDENTITE D'UNE DISCIPLINE SCOLAIRE PAR

D. PASCO

Les années 1990 compteront dans l'histoire de l'éduca­tion physique et sportive.

En effet, si le décret du 3 février 1869 signifiait l'obligation d'assurer des leçons de gymnastique indépendamment des temps de récréation dans toutes les écoles normales d'instituteurs, les lycées et les collèges, la mise en œuvre d'un programme à la rentrée 1996 marque un siècle d'histoire pour une discipline d'enseignement en quête de reconnaissances sociale et scolaire.

Pour certains, l'identité de l 'EPS ne souffre plus d'aucuns avatars. Il suffirait pour s'en convaincre d 'évoquer la quatr ième heure d'EPS en classe de sixième, d'attester de sa vocation interdisciplinaire par l 'éducation civique, de disserter sur sa place première et originale dans la lutte contre l'échec scolaire ou de lire ses programmes aux côtés du fran­çais, des mathématiques, de l'histoire-géogra-phie ou de la physique-chimie. Cependant, ces avancées suffisent-elles à solder la question de la quête d'identité qui semble occuper une place majeure dans l'histoire de l'EPS ?

Histoire et identité : un point de vue domi­nant

Parmi l'ensemble des axes de réflexion pos­sibles, celui de I "identité de l'EP scolaire fran­çaise a été retenu pour renouveler le pro­gramme de la première épreuve écrite du CAPEPS. La préoccupation identitaire consti­tue, il est vrai, une permanence institutionnelle de la discipline au cours du XX siècle, ainsi J.-P. Clément introduit l'ouvrage collectif qu'il co-dirige avec M. Herr ( 1 ). En ce domaine pourtant, P. Arnaud semble occuper une place dominante. Son analyse dégage trois critères jugés indispensables à la constitution d'une discipline d'enseignement : - la représentativité culturelle ; - l'utilité des savoirs dispensés ; - l'intégration dans les programmes scolaires. Si l'intégration des pratiques sportives dans la leçon d'EPS au cours des années 1960 peut constituer une certaine représentativité cultu­relle, si la réintégration de la discipline au sein du ministère de l'Education nationale en 1981 atteste d'une certaine utilité des savoirs dis­pensés, l ' intégration dans les programmes scolaires attendra deux décennies et quelques

rebondissements avant d'aboutir à la rédac­tion officielle d'un programme en EPS. Pourtant, enseigner l'EPS au quotidien nous conduit à mesurer l'importance d'une certaine hiérarchie des disciplines scolaires pour les représentations des acteurs de l'école. En ce sens, la place et le rôle de l'EPS dans le système éducatif, c'est-à-dire ce qui fonde son identité scolaire, nous semblent loin d'être tranchés.

UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA NOTION D'IDENTITÉ

Une large confusion semble l'emporter sur la quest ion de l ' ident i té . Unité , spécificité, conformité, intégration, légitimité, cohérence, permanence , or ig ina l i té . . . sont autant de termes avancés pour faire référence à l'identité de l 'EPS tendant à confirmer que : plus on écrit sur ce thème et plus les mots s'érigent en limite autour d'une réalité aussi insondable que partout envahissante (2). La nécessité d'organiser devient impérieuse. Si les travaux les plus récents en ce domaine distinguent l 'identité de l'individu, du groupe et d 'une société, il se dégage une certaine unité de point de vue pour insister sur le fait que l'un de ses éléments constitutifs majeurs repose sur la représentation plus ou moins structurée, plus ou moins stable que j'ai de moi-même et que les autres se font de moi (3). En effet, que l'on évoque l'identité pour soi et l'identité pour les autres, que l'on insiste sur son caractère intrin­sèque et extrinsèque ou que l'on introduise des actes d'appartenance et des actes d'attribu­tions, l'identité croise deux regards, celui des siens et celui des autres. En ce sens, nous nous proposons d'identifier en EPS une identité visée et une identité attribuée. Loin de constituer un modèle en la matière, elle ouvre une première étape dans l'organisation

d'un processus identitaire qui reste largement à caractériser pour cette discipline.

L'identité visée

Une perspective historique nous invite à carac­tériser cette dimension en EPS autour de trois notions : l'unité, la cohérence et la stabilité. La stabilité fait référence à l'ancrage institu­t ionnel ; nous renvoyons aux différentes tutelles ministérielles de l'EPS et aux finali­tés, objectifs et enjeux qui les sous-tendent au cours de son histoire. Nous illustrerons les deux autres notions en référence aux instructions officielles de 1967.

Affirmer une unité, dégager une cohérence La circulaire du 19 octobre 1967 s'ouvre sur les problèmes pédagogiques liés à l'insertion du sport, phénomène social et culturel. Il apparaît indispensable au législateur de défi­nir le domaine de l'EP et. d'introduire, entre les activités physiques et sportives qui en constituent la matière, une cohérence qui est le préalable indispensable <i l'élaboration d'un programme. La perspective du législa­teur s'inscrit alors dans une démarche globale dont la finalité est la rédaction d 'un pro­gramme pour la discipline. R. Delaubert explicite les raisons ayant inspiré leur rédaction. Deux d'entre elles nous sem­blent remarquables (4) : unifier, autant que cela est possible et souhaitable, le programme des activités physiques éducatives, afin d'évi­ter l'incohérence de l'enseignement et, définir, en vue unitaire les objectifs et les moyens d'une discipline qui doit trouver une place radicalement nouvelle dans l'éducation totale des jeunes de notre temps. Si l 'unité est à conjuguer au pluriel, elle apparaît ici explici­tement comme unité de moyens. Les pratiques sportives et leur idéologie font une entrée

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massive dans les leçons d'EP et l'articulation des objectifs et des moyens constitue la pierre angulaire d ' une recherche de cohérence . Ainsi, la première phase à la programmation des activités physiques et sportives dans les établissements scolaires du second degré pré­senté dans le texte, concerne la combinaison des objectifs et des moyens. Si pour M. Herr, les textes officiels, loin de créer l'histoire, suivent-ils des impulsions et s'adaptent-ils aux conditions particulières du moment ? (5), il reste que le texte de 1967 nous semble introduire une cohérence dans une pratique pédagogique en proie au risque d'enseigner des techniques sportives juxtapo­sées. Les précisions du texte sont d'ailleurs très claires à ce sujet : l'éducation physique ne doit plus être confondue avec certains des moyens qu'elle utilise ; lorsqu'elle se consti­tue en matière d'enseignement, il y a lieu de parler, pour désigner l'ensemble de ces moyens, « d'activités physiques et sportives ». En définitive et au-delà des illustrations pré­sentées, si la recherche d'unité, de cohérence et de stabilité s'exprime à différents moments au cours de l'histoire de i'EPS, la dimension d'identité pour soi qu'elles recouvrent reste déterminante pour le regard que les autres peuvent y porter.

L'identité attribuée

Elle pourrait être décrite autour de quatre dimensions : la spécificité, le rapport à la diversité des pratiques physiques et sportives dans la société, la légit imité de l 'EPS au regard des différents acteurs de l'école et la conformité de l'EPS.

La spécificité L'arrêté ministériel du 7 août 1969 prévoit qu'un quart du temps d'enseignement dans les classes primaires soit réservé à l'EPS. Ce que l'on appellera rapidement le tiers temps péda­gogique va se révéler pour l'EPS un véritable enjeu. En effet, à mesure que l'EPS adopte les pratiques sportives comme support et moyen de son enseignement, la frontière entre entraî­neur et enseignant apparaît de plus en plus floue, motivant des choix politiques largement contestés par la profession (voir à ce propos le plan So i s son ) . Une vér i t ab le pr ise de conscience collective conduit l'ensemble de la profession à revendiquer une spécificité repo­sant sur la définition d'un sport pour l'enfant et la particularité du sport pour tous. Parmi les contributions, la fédération sportive et gym­nique du travail (FSGT). qui se veut représen­tative d'un lieu d'échanges et de débats sur l'enseignement de l'EPS, s'attache à apporter la preuve du caractère spécifique d'une acti­vité sportive de l'enfant (6). Il n'est pas un a th lè te en deven i r mais déve loppe des conduites motrices qui lui sont spécifiques. Ce faisant, seul des enseignants formés et quali­fiés semblent indiqués pour encadrer l'activité sportive des plus jeunes. Nul doute que la représentation collective de l'enfant « berceau de l'humanité » a joué en faveur du corps des enseignants au moment même où les principes éducatifs se veulent plus libertaires. De plus, affirmer sa spécificité conduit l'EPS à réinvestir la pluralité de la pratique corpo­relle. Certaines enquêtes dégagent une pra­

tique hygiénique et de loisir (7). La démocra­tisation des activités sportives en est l'essence et l'on n'hésite plus à titrer : « la plongée sub­aquatique : une pratique de masse » ou « le ski nautique : sport pour tous ». Nous connaissons mieux aujourd'hui l'écho d'une telle problématique et les questions qu'elle pose à la profession ( 8 ) . Ces épisodes mar­quent l 'un des nombreux rendez-vous de l'EPS avec l'affirmation de sa spécificité, par­tie intégrante de son identité. Le rapport de l'EPS à la diversité Les pratiques sportives furent marquées à plu­sieurs reprises dans l'histoire de la discipline. Ainsi, c'est le nombre important d'activités physiques ne pouvant être toutes proposées qui rend caduque la programmation de l'EPS publiée en annexe des instructions officielles de 1967. Cette diversité en vient à interroger la discipline jusque dans ses contenus. O. Bessy questionne : nouvelles pratiques : sports de base ? A. Hébrard et Cl. Pineau en font un enjeu pour la discipline : L'idée d'un pro­gramme en EPS, déjà ancienne, s'est imposée lorsque les transformations de cette disci­pline, répondant à une demande sociale de plus en plus exprimée, l'ont confrontée à un

grand nombre de pratiques physiques et spor­tives aux caractéristiques variées, dont la somme, cependant, ne constituait ni un tout, ni une méthode (9). La tentative de regrouper les activités phy­siques et sportives (APS) par domaines d'ac­tion engagée sous l'impulsion de P. Parlebas répondait au souci d'organiser cette diversité. Si la démarche n'a pas perdurée, elle s'inscri­vait dans un cadre de rénovation de l'EPS pas­sant par la définition d'objectifs généraux assurant ainsi une légitimité à l 'EPS. De ce point de vue, les huit groupements d'ac­tivités retenus par les programmes sont parti­culièrement explicites.

Affirmer une légitimité, viser une conformité Les instructions officielles de 1985 s'inscri­vent dans un processus de continuité/rupture. En effet, elles apparaissent de prime abord comme une mise à jour du texte de 1967 : les instructions officielles pour les collèges constituent une mise à jour des instructions antérieures et apportent des précisions

importantes concernant l'organisation de l'EPS dans les collèges (10). Cette situation résulte des missions attribuées aux commis­sions verticales : n 'ayant pas pour mission de mettre en place des expérimentations, nous nous sommes limités à faire des propositions visant l'amélioration de ce qui se faisait plu­tôt que de tenter d'élaborer trop rapidement ce qui pouvait être (11). Cependant, ces ins­tructions font avant tout suite au retour de l 'EPS au ministère de l'Éducation nationale dont A. Savary dégage les objectifs généraux : lutte contre l'échec scolaire, les inégalités et le chômage des jeunes.

La mise en forme des contributions de l'EPS est explicite dans les commentaires proposés par le g roupe de rédac t ion du texte à la réflexion des enseignants : plus qu 'une actua­lisation, ces « nouvelles instructions » mar­quent une étape pédagogique importante pour l'éducation physique et sportive car elle prend en compte l'indispensable effort à réaliser en faveur d'une meilleure adaptation de l'École à l'évolution de l'environnement social (lutte pour la réussite scolaire). Cette orientation se manifeste dans un déca­lage par rapport au texte de 1967. Les modali­

tés de pratique ne sont plus uniques, voire uni­formément sportives au sens compétitif du terme. Elles empruntent à des secteurs diversi­fiés : sports, compétition, détente, expression, entretien... Elle marque avant tout 1 adapta­tion d'une discipline scolaire à l'hétérogénéité des élèves. En ce sens, la discipline affirme une certaine recherche de conformité aux orientations de l'institution scolaire. D'autre part, la légitimité d 'une discipline scolaire, c'est-à-dire l'importance qui peut lui être attribuée par les différents acteurs de l'école, est intimement liée à sa place aux exa­mens. Le décret du 4 mai 1983 en faisant pas­ser l'épreuve d'EPS du groupe II où elle n'in­tervenait que pour les candidats subissant les épreuves de contrôle, au groupe I, où elle s 'ajoute obl igatoirement , dans toutes les séries, aux épreuves écrites et orales, contri­bue ainsi à affirmer l'identité de la discipline passant ici par l'expression de sa légitimité. De plus, l'évaluation déterminant la note attri­buée aux candidats s'effectuera désormais par le contrôle en cours de formation invitant ainsi

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la discipline à affirmer son caractère éducatif et à s'orienter vers la dimension la plus spéci­fique de l 'école, les apprentissages. Néan­moins, le législateur juge nécessaire de rappe­ler la mise en garde de 1967 : l'éducation physique et sportive ne se confond pas avec les activités physiques qu'elle propose et organise. La légitimité apparaît ici subordon­née à la capac i té de l ' E P S d 'a f f i rmer sa dimension scolaire. Cependant, le problème de la légitimité partiellement dépassé, subsiste toujours celui de la place de l'EPS dans la hié­rarchie des disciplines scolaires. L'école reste marquée par le sceau de l'apprentissage intel­lectuel. P. Arnaud dégage les traits d'une EPS en proie à l 'orthodoxie scolaire. Cl. Pineau fustige une évaluation orale ou écrite des connaissances en EPS et J. Marsenach s'inter­roge : le modèle de didactique dans les disci­plines scolaires, construit essentiellement pour l'enseignement scientifique, est-il perti­nent pour l'EPS ? Tous relèvent la dérive intellectualiste de la discipline. Pour tant , cet te recherche de conformi té oriente très largement le débat sur la place qui doit être accordée aux apprentissages en EPS et à leurs évaluations. En ce sens, elle invite particulièrement la discipline à s'interroger sur les conditions à mettre en œuvre pour développer les acquis i t ions pour tous les élèves. Les différents concours en EPS posent cette démarche au cœur de leurs exigences. En définitive, affirmer l'identité d'une disci­pline scolaire recouvre nombre de dimensions qu'il semble nécessaire d'inventorier pour évi­ter la confusion. Chacune d'entre elles contri­bue à affirmer l'identité de la discipline mais certaines sont dominantes en fonction des conjonctures historiques. Il reste que l'identité n'est jamais donnée, elle est toujours construite et à (reconstruire dans une incertitude plus ou moins grande et plus ou moins durable.

UNE VOIE NOUVELLE DE L'IDENTITÉ : LA PLACE DE L'ACTEUR

Dans les années 1960, M. Crozier. directeur de r eche rches au C N R S , déve loppe une démarche sociologique basée sur l'étude des organisations le conduisant à définir l'analyse stratégique. Cette perspective pose le rôle pre­mier de l'acteur dans l'organisation en le pla­çant à la base d 'une source d ' incert i tudes majeures et inéluctables : ce sont les acteurs à part entière qui, à l'intérieur des contraintes souvent très lourdes que leur impose le sys­tème, disposent d'une marge de liberté qu'ils utilisent de façon stratégique dans leurs inter­actions avec les autres (12). Ces travaux participent d'une démarche plus vaste posant l'existence d'une sociologie du sujet face à une sociologie classique en voie d'éclatement. Le système ne commande plus l'acteur, mais les stratégies des acteurs fus­sent-elles limitées, construisent le système. Elle trouve une traduction psychologique avec les travaux de C. Argyris diagnostiquant chez l ' individu une série de besoins psycholo­giques hiérarchisés que celui-ci cherche à satisfaire par sa participation à l'organisation. Pour M. Rocard, son expression politique conduit à la décentralisation.

Qu'il s'agisse de la définition des objectifs généraux, du rapport aux pratiques sportives ou de l'élaboration du programme, force est de constater que les enseignants en EPS des établissements scolaires perçoivent peu leur implication dans ces évolutions. Le paradoxe est alors saisissant. Il se dégage un certain confort de constater une représentation natio­nale posit ive de l 'EPS via les différentes réformes engagées assurant ainsi une véritable identité à la discipline, associée à une relative frustration de ne pas en constater les effets à l'échelon local (13). En définitive, tout ce qui constitue l'identité de l'EPS apparaît discuté et construit à un autre niveau que celui du ter­rain pédagogique. Pourtant, on ne décrète pas l'identité d'une discipline tout comme on ne change pas une société par décret (14), mais chacun con t r ibue à la définir , fut-el le à l'échelle d'un établissement scolaire. Ce postulat conduit à réhabiliter les notions d'investissement et de rayonnement. Œuvrer au développement des apprentissages pour tous les élèves, représenter la discipline dans les structures décisionnelles des communautés éducatives, trouver une place à part entière dans le processus d'orientation des élèves,

défendre les projets avec énergie, affirmer la spécificité des apprentissages moteurs, s'atta­cher à sa différence dans la relation aux élèves, incarner la profession à travers son image conduit à faire vivre l'identité de l'EPS plutôt que d'en parler. Elle est le gage d'une repré­sentation de l'EPS à l'échelle des générations.

Il faudra du temps pour que l'obligation de la gymnastique en 1869 soit respectée. Une cir­culaire du 11 février 1893 rappelle l'existence du programme de gymnastique et impose aux chefs d'établissement de prévoir son ensei­gnement dans l'emploi du temps. J.-M. Gay-Lescot (15) va plus loin et. prenant comme seul repère la place occupée par l'EPS dans les différents examens scolaires, convient qu'elle demeure symbolique en 1936. lorsqu 'e l le existe. Affirmer l ' identité d 'une discipline scolaire par la place que chacun de ses acteurs entend lui faire occuper ne relève plus d'un enjeu, mais d'une consécration.

Denis Pasco Professeur EPS,

UFR-STAPS Rennes.

Notes bibliographiques

(1) Clement (J.-P.), « L'enjeu identitaire », in L'identité de l'EP scolaire ou XXe siècle : entre l'école et le sport, Éd. AFRAPS. Clermont-Ferrand, 1993.

(2) Erikson (Eh). Adolescence et crise. La quête de l'iden­tité, Paris. Éd. Flammarion, traduction 1972.

(3) Tap (P.), La socialisation de l'enfance à l'adolescence. Éd. PUF, 1991.

(4) Delaubert (R.). « Opportunité d'une réforme », Revue EP.S n° 90, 1968. (5) Herr (M.), « Les textes officiels et l'histoire : analyse de trois textes relatifs à l'éducation physique ». in Éducation physique et sport en France : 1920-1980, Éd. AFRAPS (revue STAPS), 1989. (6) Marsenach (J.), « L'enfant et le sport ». Revue EPS n° 121 et n° 123, 1973. (7) Crespin (M.). « Les attitudes des Français à l'égard du sport », Revue EP.S n° 124, 1973. (8) Pasco (D.), « Existe-t-il un contenu spécifique à l'élève en EPS ? ». Revue EPS, n° 267, 1997. (9) Hébrard (A.), Pineau (Cl.), « Schéma directeur du pro­gramme d'éducation physique et sportive ». Revue EP.S n° 247, 1994. (10) Pineau (Cl.). « Les instructions officielles pour les col­lèges », Revue EPS n° 197, 1986. (11) Hébrard (A.) , L'éducation physique et sportive :

réflexions et perspectives, coédition Revue STAPS-Revue EP.S. 1991. (12) Crozier (M.), Friedberg (E.), L'acteur et le système. Éd. Seuil. Paris. 1977. (13) Académie de Caen. Dépouillement académique des questionnaires enseignants en EPS. 1997. (14) Crozier (M.). On ne change pas une société par décret. Éd. Grasset. Paris. 1979. (15) Gay-Lescot (J.-M.), « De ГЕР républicaine à l'EGS nationale (1936-1942). six années fondamentales ». in Édu­cation physique et sport en France : 1920-1980, op. cit.

Bibliographie complémentaire Arnaud (P.), Le corps en mouvement, Éd. Privat. Paris. 1981. Argvris ( C ) , Participation et Organisation. Éd. Dunod, Paris. 1970. Bubar ( C ) , La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles. Éd. Armand Colin, Coll. « U », 1991. Marsenach (J.) et al. Éducation physique et sportive : quel enseignement ? Éd. 1NRP, Paris, 1991. Pineau (Cl.), Introduction à une didactique de l'EP, Dossier EP.S n° 8. Éd. Revue EPS. Paris, 1991 et tous ses articles parus dans la Revue EP.S entre 1986 et 1994. Ruano-Borbalan (J.-C.) (Coord.) « L'identité : l'individu, le groupe, la société ». Éd. Sciences humaines. 1998.

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