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PC 175 PCTR 15 F rév. 1 Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION POLITIQUE INSTABILITE DANS LES PAYS DU LEVANT : DEFIS A LA SECURITE DE L’OTAN RAPPORT Boris BLAZEKOVIC (Croatie) Rapporteur, Sous-commission sur les relations transatlantiques

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PC175 PCTR 15 F rév. 1Original : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION POLITIQUE

INSTABILITE DANS LES PAYS DU LEVANT :

DEFIS A LA SECURITE DE L’OTAN

RAPPORT

Boris BLAZEKOVIC (Croatie)Rapporteur,

Sous-commission sur les relations transatlantiques

www.nato-pa.int 10 octobre 2015

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TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION......................................................................................................................1

II. QUATRE ANNEES DE GUERRE CIVILE EN SYRIE...............................................................1A. LE ROLE DES GROUPES ARMES NON ETATIQUES DANS LE CONFLIT.................3B. LES ACTEURS REGIONAUX ET INTERNATIONAUX...................................................4C. LA REPONSE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE...........................................5

III. LE POINT SUR LA SITUATION EN IRAQ................................................................................6A. LE ROLE DES MILICES..................................................................................................7B. LE GOUVERNEMENT AL-ABADI...................................................................................7

IV. CONSEQUENCES DES AGISSEMENTS DE DAECH POUR LA REGION MOAN................9A. LA DEUXIEME GUERRE CIVILE LIBYENNE...............................................................10B. INTERVENTIONS REGIONALES ET INTERNATIONALES EN LIBYE........................11C. YEMEN..........................................................................................................................12D. LA COALITION CONDUITE PAR LES ETATS-UNIS...................................................13

V. LES DEFIS..............................................................................................................................14

VI. CONCLUSIONS......................................................................................................................16

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I. INTRODUCTION

1. La guerre civile en Syrie et la menace que fait peser Daech1 dans ce pays comme dans l’Iraq voisin ont entraîné une détérioration de la sécurité dans toute la région. Aux retombées de la situation sur les Etats limitrophes, il faut ajouter le fait que les conflits en Syrie et en Iraq attirent des combattants étrangers venus du monde entier. De plus, Daech se montre actif dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MOAN) et, singulièrement, en Libye. Le présent rapport fait brièvement le point sur les événements en Syrie et en Iraq. Il prolonge le rapport général de la Commission politique de 2014 Les conséquences de l’évolution constante de la sécurité à la frontière Sud-Est de l’OTAN sur la coopération transatlantique [201 PC 14 F év.1 fin] et a été mis à jour pour la session annuelle de l’AP-OTAN à Stavanger.

II. QUATRE ANNEES DE GUERRE CIVILE EN SYRIE

2. Le 11 mars 2015, la guerre civile syrienne est entrée dans sa cinquième année et aucune solution susceptible d’y mettre fin n’est en vue. D’intenses combats ont dévasté l’économie et les infrastructures et aucun aspect de la société n’a été épargné. Toute la région reste soumise à dure épreuve : les pays voisins accueillent un nombre toujours croissant de réfugiés et sont parfois le théâtre de violences ponctuelles dans les régions frontalières. La crise humanitaire engendrée par la guerre passe pour la plus grave de ces 100 dernières années et, au début du mois de janvier 2015, les Nations unies ont indiqué que le peuple syrien était celui qui comptait le plus de réfugiés au monde après le peuple palestinien. Près de la moitié des demandeurs d’asile auprès des Etats membres de l’Union européenne sont des Syriens.

3. Selon des estimations prudentes, le conflit aurait fait jusqu’ici près de 250 000 morts et serait à l’origine du déplacement intérieur de huit millions d’habitants ; plus de quatre autres millions auraient fui le pays. La majeure partie de ces réfugiés sont accueillis dans les pays voisins ; à elle seule, la Turquie en a accueilli près de deux millions; devenant ainsi le premier pays d’accueil au monde comme la Sous-commission l’a appris lors de sa visite à Ankara en mars 2015. Par ailleurs, à la mi-2015, le Liban dénombrait sur son territoire environ 1,2 million de réfugiés enregistrés ou en attente d’enregistrement. La Jordanie, l’Iraq et l’Egypte accueillent respectivement 650 000, 250 000 et 140 000 réfugiés. La somme de tous ces chiffres correspond à une large majorité des réfugiés syriens.

1 Le présent rapport emploie le terme « Daech » pour désigner le groupe armé qui se donne le nom d’« al-Dawla al-Islamiya » (Etat islamique). L’EI a également été connu sous les noms d’Etat islamique en Iraq et en Syrie (EIIS), d’Etat islamique en Iraq et au Levant (EIIL), d’Etat islamique en Iraq (EII) et d’al-Qaïda en Iraq.

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4. On estime que 12,2 millions des 22 millions d’habitants que comptait le pays avant la guerre ont besoin d’une assistance humanitaire. En raison des combats, des obstacles bureaucratiques et d’une méfiance omniprésente quant aux motivations des organisations humanitaires, il est fréquent que l’aide n’arrive pas à destination. Intervenant devant le Conseil de sécurité des Nations unies le 25 novembre 2014, Valerie Amos, alors secrétaire générale adjointe pour les affaires humanitaires et coordonnatrice des secours d’urgence, a déclaré que les efforts visant à répondre aux besoins humanitaires de la population syrienne « rest[ai]ent insuffisants ». De surcroît, seule une fraction des fonds promis par les donateurs internationaux a été versée. En décembre 2014, il a fallu, faute d’argent, suspendre l’aide alimentaire vitale que le Programme alimentaire mondial des Nations unies fournissait à près de deux millions de Syriens, ce qui a encore aggravé la situation dans laquelle se débattaient ces derniers. De même, la résurgence de la typhoïde, de la rougeole et de la poliomyélite dans le pays est un phénomène inquiétant. Selon un rapport cosigné par 21 organisations non gouvernementales, le nombre de personnes vivant dans des zones difficiles d’accès ou inaccessibles aux agences humanitaires a presque doublé, passant de 2,5 millions (2013) à 4,8 millions (début 2015). Pour répondre de façon adéquate à la catastrophe humanitaire syrienne, la communauté internationale devrait verser 8,4 milliards de dollars.

5. La situation militaire en Syrie reste complexe et fluctuante. En 2015, le régime a perdu le contrôle de plusieurs régions clés, dont Idlab, Isr al-Choghour et Palmyre. Il est aujourd’hui plus faible que jamais et, fin juillet 2015, Bachir el-Assad a reconnu que l’armée s’était retirée de certains endroits pour en défendre d’autres d’une très grande importance. Il semblerait que le régime regroupe ses forces à l’ouest, là où il conserve le soutien de la population et la supériorité militaire. Il doit aussi faire face à un manque d’effectifs, car des dizaines de milliers de jeunes hommes désertent. Toutefois, si la détérioration des forces syriennes se poursuit, aucun des innombrables groupes d’opposition armés ne paraît capable de renverser le régime. Aidées par le Hezbollah, le corps des Gardiens de la révolution iraniens et les milices chiites soutenues par l’Iran, les forces du régime combattront farouchement pour conserver le contrôle des principaux centres urbains, tels Hama, Homs, Damas et Lattaquié. Aucun des belligérants n’est assez fort pour remporter une victoire militaire. Toutefois, chaque partie pense qu’une prolongation du conflit peut lui conférer plus d’influence dans le façonnement de l’avenir du pays que ne le ferait un engagement dans la diplomatie.

(Source : L’Express)

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6. Le régime de Bachar el-Assad est le principal responsable de la destruction du pays et de la montée en puissance de Daech. Pour commencer, les atrocités dont il s’est rendu coupable constituent l’une des principales raisons de la facilité avec laquelle ce mouvement recrute des partisans. De plus, lors d’une visite en Turquie en mars 2015, les membres de la Sous-commission sur les relations transatlantiques ont appris d’Ufuk Ulutas, directeur des études de politique étrangère de la Fondation SETA d’Ankara, que le régime entretenait une forme de coopération avec Daech et notamment, que ce dernier vendait du pétrole au régime. Bien décidé à éliminer ses opposants, le régime de Bachar al-Assad continue à utiliser des bombes-barils ou du gaz de chlore et à recourir aux châtiments collectifs en interdisant aux civils piégés dans les zones occupées par les rebelles tout accès aux denrées alimentaires et aux soins, en dépit des condamnations par la communauté internationale. En outre, la fracture entre sunnites et chiites est désormais bien tangible en Syrie, alors qu’elle était inexistante durant les deux premières années du conflit. Les autorités ont très habilement transformé ce qui avait commencé comme une révolte populaire contre un régime autoritaire en un conflit confessionnel aux graves conséquences pour le peuple syrien. Bachar al-Assad ne prendra part à de véritables négociations que si des pressions suffisamment fortes sont exercées sur lui.

A. LE ROLE DES GROUPES ARMES NON ETATIQUES DANS LE CONFLIT

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7. Plus de 1 200 groupes armés aux objectifs et aux motivations très différents sont impliqués dans le conflit syrien. On peut distinguer grosso modo quatre catégories d’opposants : l’Armée syrienne libre (ASL), les groupes islamistes endogènes, les rebelles salafistes régionaux se revendiquant d’al-Qaïda et les forces kurdes. Deux groupes en particulier se sont signalés à l’attention de la communauté internationale par le caractère extrémiste de leur idéologie et par leur aptitude au combat : Daech, qui rassemble de 30 000 à 70 000 hommes, et Jabhat al-Nosra, qui en rassemble 6 000. Daech est particulièrement connu pour la rapidité avec laquelle il s’est imposé et étendu, et aussi pour la brutalité de ses méthodes. Afin d’affaiblir et, au bout du compte, détruire Daech grâce à une stratégie antiterroriste globale et durable, une coalition internationale conduite par les Etats-Unis a lancé une campagne aérienne en Iraq et en Syrie.

8. Daech doit essentiellement son essor sans entrave au régime de Bachar al-Assad. Même lorsque Daech a commencé à s’étendre rapidement en Syrie, el-Assad pensait encore pouvoir en venir à bout. Il a laissé le mouvement prendre de l’expansion parce qu’il voyait là un moyen commode d’éradiquer l’opposition modérée. De plus, la brutalité de Daech a contribué à détourner l’attention internationale du système el-Assad. Le schéma de ses conquêtes militaires est inchangé : infiltration, intimidation, assassinats, attaques. En Syrie comme en Iraq, les troupes gouvernementales doivent faire face à ses raids-éclair. Malgré sa réputation, il ne se compose pas exclusivement de soldats aguerris. Certains de ses combattants sont des membres de milices tribales qui l’ont rejoint temporairement et beaucoup d’autres ont indubitablement été recrutés contre leur gré, soit par la force, soit par l’intimidation. Cela n’empêche qu’il peut effectivement compter sur un grand nombre de combattants expérimentés, un facteur qui, combiné à l’absence d’une véritable résistance, lui a permis de gagner et de conserver du terrain assez aisément.

9. Cependant, comme souligné dans un article de The Economist2, Daech affiche une résistance remarquable qui créée un mythe d’invincibilité conférée par Dieu, qui lui-même radicalise ses admirateurs dans le monde entier, attire des recrues et donne naissance à des groupes qui l’imitent. Il se sert des médias comme d’un multiplicateur de forces et parvient à projeter via les réseaux sociaux une présence bien plus menaçante qu’elle ne l’est en réalité. Il orchestre une stratégie médiatique quasi professionnelle, diffusant en haute définition des images et des vidéos emplies de brutalité et créant une marque de fabrique bien à elle qui attire des partisans dans le monde entier. La diffusion se fait à l’échelle internationale grâce à des réseaux sociaux comme Twitter, Facebook, Tumblr, YouTube, Instagram, etc. Lorsque ses comptes sont fermés, ils réapparaissent sous de nouveaux noms. Son message est destiné à attirer de nouveaux partisans, intimider ses ennemis, polariser l’attention de l’opinion publique internationale, promouvoir sa pertinence à l’échelle planétaire et donner à ses recruteurs des « preuves » censées convaincre les militants potentiels de devenir membres actifs. A ce jour, les gouvernements occidentaux et moyen-orientaux ne sont pas parvenus à trouver une parade efficace à cette propagande.

10. Daech se sert aussi du vandalisme comme d’une arme, ajoutant à la longue liste de ses atrocités la destruction ou le pillage de nombreux sites archéologiques à mesure qu’il progresse en Iraq et en Syrie. L’héritage culturel de ces deux pays a ainsi subi d’énormes dégâts. Par exemple, les extrémistes ont fait sauter systématiquement les sites datant de l’Antiquité de Mossoul et des environs et miné les ruines romaines de Palmyre. 11. Juste derrière Daech vient le Jabhat al-Nosra, l’un des groupes rebelles les mieux équipés en Syrie. Parmi les groupes rebelles participant à la guerre civile syrienne, il attire le plus grand nombre de combattants étrangers. Ces derniers viennent principalement du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, mais aussi de Tchétchénie et de pays européens. Certes, l’un comme l’autre groupe veut renverser le régime, mais des combats ont éclaté entre eux lorsque le chef de Daech a annoncé unilatéralement leur fusion.

2 The Economist, « Erdogan’s Dangerous Gambit », 1er août 2015, http://www.economist.com/news/leaders/21660123-bombing-kurds-well-islamic-state-turkey-adding-chaos-middle

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12. Autre fait important : l’intervention active du Hezbollah dans le conflit. On estime qu’au moins 5 000 combattants de ce parti, qui est soutenu par l’Iran, sont présents en permanence en Syrie. Le Hezbollah joue un rôle clé en permettant au régime de reprendre le contrôle de zones détenues par les rebelles dans le centre du pays. Son apparition dans le conflit a beaucoup contribué à la survie du régime d’al-Assad. Il a joué un rôle en permettant à l’Iran d’exercer une influence accrue en Syrie. Les autorités de Téhéran ont pris la tête de la lutte pour le maintien au pouvoir du régime syrien en mettant sur pied, ces derniers mois, de nombreuses milices semblables à celles du Hezbollah et déployé des soldats du Corps des gardiens de la révolution iraniens (CGRI) en tant que conseillers et des miliciens chiites venus d’Iraq, d’Afghanistan et du Pakistan.

13. Bien que la majeure partie de l’Armée syrienne libre (ASL) ait été démantelée, quelques groupes modérés occupent encore du terrain. Les principaux sont le 5e Corps, basé dans le nord du pays, l’armée révolutionnaire syrienne (Jaysh al-Thuwar), dont l’effectif n’est pas connu avec précision mais qui semble compter plusieurs milliers d’hommes et qui opère dans les provinces d’Alep, de Homs, d’Idleb, de Hama, de Lattaquié et dans de petites zones à l’intérieur de la province de Racca, et les Turkmènes syriens, qui regroupent en un ensemble peu structuré plus de dix mille rebelles turkmènes qui opèrent essentiellement dans les provinces de Lattaquié et d’Alep, mais qui sont également présents le long de la frontière avec la Turquie, dans les provinces de Homs, d’Idleb et de Hama. L’opposition modérée syrienne a désespérément besoin de munitions et d’armes, et notamment d’armes antiaériennes, car le régime poursuit ses bombardements aériens de la population civile. Elle manque aussi de produits alimentaires et de fournitures médicales. Lors d’une réunion avec des membres de la Sous-commission, le ministre de la Défense du gouvernement provisoire syrien, Selim Idriss, a souligné que les efforts du gouvernement provisoire syrien étaient entravés par le fait que les pays qui soutiennent l’opposition fournissent du matériel militaire directement aux troupes sur le terrain.

B. LES ACTEURS REGIONAUX ET INTERNATIONAUX

14. L’intervention d’acteurs régionaux et internationaux est une composante importante de la dynamique du conflit. L’Iran, l’Arabie saoudite, le Qatar et, dans une moindre mesure, les Emirats arabes unis ont joué un rôle capital dans chaque aspect du conflit. Des rivaux régionaux comme l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie continuent à financer et armer les groupes d’opposition avec l’Arabie saoudite comme commanditaire principal. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, le Qatar est le principal fournisseur d’armes à l’opposition syrienne, tandis que la Turquie a autorisé des forces de ladite opposition à opérer à partir de son territoire3.

15. Cependant, Daech a rapidement étendu sa mainmise sur le territoire syrien, dont il contrôle maintenant 45 % environ, et le régime en place s’est rendu compte qu’il ne pourrait pas s’en débarrasser à lui tout seul. Par conséquent, sa survie dépend désormais davantage de ses partisans sur la scène internationale, à commencer par l’Iran, le Hezbollah et la Russie. Son unique allié dans la région, l’Iran, le soutient énergiquement et lui aurait apporté une aide financière, technique et militaire (détachement d’unités de combat et entraînement de forces pro-gouvernementales) équivalant à 9 milliards de dollars4. La Russie, elle aussi, se comporte en solide allié du régime depuis le début du conflit et lui apporte une assistance politique, mais aussi militaire, sous la forme de livraisons d’armes. Loin d’y mettre un terme, le soutien actif des acteurs régionaux aux factions belligérantes prolonge la guerre.

C. LA REPONSE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE

3 Roula Khalaf et Abigail Fielding Smith : “Qatar bankrolls Syrian revolt with cash and arms” , Financial Times, 16 mai 2013.

4 The Economist « Syria's crisis: The long road to Damascus: There are signs that the Syrian regime may become still more violent », 11 février 2012.

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16. La communauté internationale n’a pas su mettre fin à la guerre civile ou évincer le régime el-Assad. Une initiative russe consistant à organiser à Moscou, en janvier 2015, des négociations entre représentants du gouvernement syrien et les principaux groupes d’opposition n’a donné aucun résultat. Elle faisait suite à deux cycles de négociations menées sous l’égide des Nations unies, Genève I et Genève II, qui n’avaient pu déboucher sur une solution politique. Malgré la désignation de trois envoyés successifs et la tenue de deux cycles de pourparlers de paix, aucune avancée n’a été enregistrée sur la voie d’un règlement politique. Le pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies ne parviennent pas à se mettre d’accord sur une stratégie face au conflit syrien. La Russie continue à soutenir le régime en place et compte tenu de ses relations avec les membres permanents occidentaux au sujet de la crise ukrainienne, il semble peu probable que le Conseil de sécurité puisse sortir de l’impasse.

17. L’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, a adopté une méthode progressive visant à redynamiser le processus de paix par une série de trêves négociées localement. La première priorité est l’aménagement d’une « zone de gel des combats » pour la ville d’Alep sous la supervision des Nations unies, pour permettre une désescalade de la violence et l’acheminement de l’aide humanitaire. Le gouvernement syrien fait valoir que la zone de gel doit être limitée à Alep, que les services publics doivent être rétablis dans les régions tenues par les rebelles et que le processus devrait avoir pour objectif de « débarrasser la zone de la présence des groupes armés ». De son côté, l’opposition exige que la zone soit étendue à la frontière turque. De plus, ils insistent sur une autonomie des régions qu’ils contrôlent et exigent que tout gel soit lié à un processus politique conforme au Communiqué de Genève. Par ailleurs, ils constatent avec inquiétude que les précédents cessez-le-feu ont aidé le gouvernement de Damas à renforcer sa position et qu’il pourrait mettre à profit le gel proposé pour remporter des victoires militaires ailleurs.

18. Tout accord sur le fond devra prendre en considération plusieurs grandes questions : le sort de Bachar el-Assad, la formation d’un gouvernement provisoire et la révision de l’ordre constitutionnel et du système juridique. De précédentes tentatives de règlement politique ont échoué parce que les deux camps ne pouvaient se mettre d’accord sur l’avenir d’el-Assad. Différents acteurs internationaux ont aussi fait entendre clairement leur point de vue à cet égard : les Etats-Unis, la Turquie et les Etats du Golfe veulent son départ, tandis que l’Iran et la Russie insistent pour qu’il reste au pouvoir.

19. Le régime reste confiant et ne se sent guère contraint à accepter un compromis, tandis que les modérés de l’Armée syrienne libre sont en perte de vitesse, face à l’amenuisement de l’aide étrangère et des assauts qu’ils subissent de la part des forces du régime et des groupes extrémistes tels Daech et Jabhat al-Nosra.

20. Pour soutenir un régime syrien en perte de vitesse, la Russie a commencé à renforcer sa présence militaire au début du mois de septembre 2015, avant de procéder à des opérations aériennes de grande envergure à la fin de ce mois. Certes, cette escalade entraînera une intensification des combats et des changements de cap géopolitiques significatifs autour de la table de négociation, mais il est trop tôt pour dire quelles en seront les incidences sur l’évolution de la guerre. Cela dit, il est probable que le soutien militaire et l’intervention de Moscou en faveur de Damas durciront encore le conflit et compliqueront la recherche d’une solution. Au moment de la rédaction de ces lignes, il semble que les attaques russes aient essentiellement pris pour cibles des éléments de l’opposition déployés le long d’une ligne entre Hama et Homs. De surcroît, la Russie a violé à de multiples reprises l’espace aérien turc et ne coordonne pas son action avec celles de la coalition internationale anti-Daech. Pour l’instant, son intervention renforce le groupe terroriste plutôt qu’elle ne l’affaiblit et risque également d’alimenter des conflits d’ordre confessionnel au-delà de la Syrie.

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III. LE POINT SUR LA SITUATION EN IRAQ

21. En 2014, l’Iraq a assisté à l’apparition soudaine de Daech, lequel n’a pas tardé à occuper diverses portions du territoire dans un contexte de tensions confessionnelles accrues et au moment où un nouveau Premier ministre, Haïder al-Abadi, prenait ses fonctions. Le bilan des pertes civiles pour cette année-là – 12 282 morts et 23 126 blessés – est le plus lourd qu’ait connu l’Iraq depuis 2008, selon la Mission d’assistance des Nations Unies en Iraq. Rien que pour le mois de janvier 2015, 790 civils ont été tués dans l’ensemble du pays. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a indiqué qu’on estimait à deux millions le nombre des Iraquiens déplacés en 2014, dont environ 946 000 personnes qui se sont réfugiées dans la région autonome kurde. Les violations des droits humains sont très fréquentes et la situation dans les zones contrôlées par Daech – désormais connu pour son extrême brutalité – va en se détériorant. Dans ces zones-là, Daech a institué des « tribunaux extra-judiciaires » qui appliquent la charia et infligent des « châtiments cruels et inhumains » à des civils, selon Human Rights Watch. Cette organisation a appelé Daech à mettre immédiatement un terme à sa campagne d’enlèvements, de meurtres et de confiscation ou de destruction des biens des minorités religieuses. Le mouvement vise plus spécialement les minorités ethniques et religieuses, dont les chrétiens, les chabaks, les turcomans d’Iraq et les yézidis. Ses membres sont soupçonnés d’exécutions en masse, de conversions forcées, d’esclavage et de violences sexuelles.

22. Il est extrêmement difficile de dresser la carte des opérations militaires en cours en Iraq : des changements surviennent chaque jour dans l’occupation du territoire par les parties en présence. Dans une bonne partie du nord et du centre du pays, les lignes de front de Daech ont été repoussées sur une distance considérable depuis août 2014. Le groupe terroriste a subi plusieurs revers et a perdu, entre autres, la ville de Tikrit. Cependant, la chute de la capitale de la province

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d’al-Anbar, Ramadi, aux mains de Daech le 15 mai 2015 a porté un coup sévère aux forces armées iraquiennes. En contrôlant Ramadi, le groupe consolide son emprise sur une grande partie du territoire environnant et préserve l’accès à une voie d’approvisionnement vitale en direction de la Syrie. Les combats se poursuivent dans les provinces d’al-Anbar, de Salah ad-Din et de Diyala et les FSI ont eu du mal à mettre un terme à un récent déchaînement de violence entre tribus dans le sud, ce qui a eu pour effet de mettre en lumière leurs limites. Dans la province de Diyala, dans le centre-est du pays, la sécurité s’est gravement détériorée au cours des derniers mois.

A. LE ROLE DES MILICES

23. Une coalition de milices chiites et de combattants alliés, connue sous le nom de « forces de mobilisation populaire », s’est formée après la déclaration d’un « djihad juste » par le chef suprême des chiites, Ali al-Sistani en juin 2014, et joue un rôle clé dans la lutte contre Daech. Ces milices chiites se montrent efficaces contre les combattants de Daech, qu’elles parviennent à repousser ; il arrive même qu’elles gagnent du terrain là où l’armée iraquienne a échoué. Toutefois, l’offensive destinée à reprendre Ramadi a été entravée par leur refus de coordonner leurs mouvements avec les forces de sécurité iraquiennes et les tribus alliées. De plus, les milices « parrainées » par l’Iran jouent certes un rôle constructif dans la phase actuelle du combat international mené contre Daech, mais le risque existe que leur influence accrue ne vienne alimenter le sectarisme ou un désir de revanche contre les populations sunnites. Ces forces sont soupçonnées, entre autres, de déplacements forcés, de massacres et d’exécutions sommaires. Ainsi, des miliciens chiites sont accusés d’avoir exécuté 72 personnes appartenant à la majorité sunnite du village de Barwanah. Si les milices chiites devaient se livrer à des actes de représailles, elles obéreraient ainsi les chances de reprendre Mossoul en portant atteinte à la coopération opérationnelle entre chiites et sunnites.

B. LE GOUVERNEMENT AL-ABADI

24. La nomination, en septembre 2014, de M. al-Abadi au poste de Premier ministre et la promesse faite par cet homme politique de confession chiite de gouverner sans exclusive ont été bien accueillies dans toute la région comme dans la communauté internationale. A tous points de vue, le nouveau gouvernement est plus ouvert que le précédent, tant dans son discours que dans sa composition. Il est toutefois confronté à une tâche redoutable. Outre qu’il doit répondre aux griefs de la minorité sunnite et ménager les intérêts du gouvernement régional du Kurdistan (GRK), il doit s’attaquer à une corruption généralisée et à la mauvaise gestion publique. Par ailleurs, il doit s’occuper de plusieurs millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays en raison de la poursuite des conflits, et l’on estime que plus d’un cinquième de la population vit sous le seuil de pauvreté. A l’été 2015, des coupures de courant ont suscité des protestations massives contre les autorités.

25. M. al-Abadi a formé un gouvernement de large rassemblement et prend des mesures pour régler des litiges intérieurs et régionaux en souffrance depuis longtemps. Il est parvenu à conclure avec le GRK un projet d’accord sur la redistribution de la rente pétrolière et il a offert de l’aide aux Peshmergas du GRK. En échange, les dirigeants kurdes ont accepté de surseoir au référendum qu’ils envisagent d’organiser sur la question de l’indépendance. Cependant, des divergences fondamentales opposent les deux camps autour du contrôle du pétrole, des revenus et des ressources, et conforteront bon nombre d’observateurs iraquiens dans l’idée qu’un jour, le Kurdistan cherchera à obtenir de Bagdad une autonomie accrue, voire l’indépendance. M. al-Abadi a également lancé diverses procédures législatives censées atténuer le ressentiment des sunnites à l’encontre du gouvernement. Notamment, la loi 21 de 2008 a été promulguée ; elle vise à jeter les fondements d’un modèle de gouvernement fédéral et décentralisé. Le 3 août 2015, le Conseil des représentants a approuvé les recommandations issues d’une réunion spéciale présidée par le Premier ministre et portant sur le transfert, dans un délai de trois mois, des compétences de huit ministères du niveau central au niveau provincial. M. al-Abadi a aussi annoncé la création d’une « garde nationale » chargée de protéger les provinces sunnites de Daech. Cette garde nationale

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se composerait de combattants recrutés localement qui dépendraient des gouverneurs provinciaux. Le même régime s’appliquerait aux milices chiites dans leurs provinces respectives. De surcroît, le nouveau gouvernement a cherché à amender les lois sur la « débaasification » pour réintégrer dans le processus politique d’anciens membres du parti Baas de Saddam Hussein. Cependant, ces deux dernières démarches ont été enrayées par le Conseil des représentants. En outre, bravant le risque de s’aliéner ses partisans, le Premier ministre prend des mesures pour lutter contre la corruption et remplacer les officiers généraux incompétents par des personnes issues de milieux ethniques et politiques différents5.

26. M. al-Abadi travaille avec les Etats-Unis et d’autres pays alliés à la réforme et à la refonte de l’armée iraquienne. Il s’efforce aussi d’améliorer les relations du pays avec les Etats arabes sunnites. Ces derniers mois, de hauts responsables iraquiens se sont rendus au Bahreïn, au Koweït, en Arabie saoudite et dans les Emirats Arabes Unis. Ryad a annoncé qu’il comptait rouvrir son ambassade à Bagdad, fermée depuis 25 ans.

27. Le gouvernement iraquien reste toutefois en butte à une multitude de problèmes, dont la chute des prix de l’énergie, qui soumet le budget de l’Etat à de très fortes contraintes. Financièrement parlant, l’Iraq traverse une mauvaise passe et les dépenses de défense devraient absorber à elles seules 20% du budget de 2015. Reste à voir l’attitude qu’adoptera M. al-Abadi face aux conséquences de l’effondrement des tarifs pétroliers sur les capacités à lutter contre Daech. De plus, les autres défis qu’il reste à relever sont : la montée en puissance des milices chiites et la question de l’avenir des relations entre le gouvernement fédéral et le GRK. Au moment de la rédaction du présent rapport, l’accord pétrolier entre les deux parties était sur le point de voler en éclats, Bagdad étant en cessation de paiement. La loi de programmation budgétaire de 2015 précise que si le GRK ou le gouvernement fédéral venait à ne pas honorer ses engagements « pétroliers ou financiers » légaux, l’autre partie ne serait plus tenue de le faire. Les autorités iraquiennes et kurdes continuent à se rejeter mutuellement la responsabilité. Alors que le GRK accroît son influence grâce à l’occupation par les Peshmergas de la ville pétrolière de Kirkouk et de certaines parties de la province de Ninive, Bagdad a besoin d’une base géographique et financière solide.

28. Du côté positif, la menace que fait peser Daech peut avoir incité les différents protagonistes iraquiens à serrer les rangs. Cela étant, et malgré les progrès enregistrés sur la voie d’une plus grande ouverture du gouvernement central, les relations entre ces protagonistes demeurent conflictuelles. La communauté internationale doit donc faire montre de prudence et suivre de près l’évolution de la situation intérieure iraquienne. Le gouvernement fédéral doit prendre de nouvelles mesures d’ouverture concrètes ; pour sa part, la communauté internationale doit se tenir prête à fournir des conseils en ce sens.

IV. CONSEQUENCES DES AGISSEMENTS DE DAECH POUR LA REGION MOAN

29. La montée en puissance de Daech en Syrie et en Iraq a de vastes répercussions ; elle nuit à la stabilité de la région MOAN en général et à celle de la Libye en particulier. Daech a commencé à s’étendre dans d’autres zones de la région MOAN en partie parce que le groupe terroriste reste sur la défensive en Iraq et en Syrie. Il prend maintenant de l’importance dans une douzaine de pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie.

30. D’aucuns redoutent que Daech tente d’établir son emprise sur la Libye après la projection d’une vidéo montrant la décapitation de 21 chrétiens égyptiens sur une plage de l’est du pays et l’attentat à la bombe de l’hôtel Corinthia, le 27 janvier 2015. Les combattants islamistes locaux l’ont chassé de Derna, dans l’est du pays mais, début août 2015, il s’est emparé d’une ville clé, Syrte. Lors d’une réunion de la Ligue arabe au Caire, le 18 août, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement libyen internationalement reconnu, Mohamed el-Dayri, a demandé à

5 http://www.foreignaffairs.com/articles/142780/muhamed-h-almaliky/mending-iraq

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la Ligue arabe d’intervenir militairement contre Daech. Si la progression de celui-ci en Libye ne peut être comparée aux succès remportés en Iraq et en Syrie, il n’en a pas moins étendu régulièrement le champ de ses opérations dans le pays. On estime qu’au fil de cette expansion le nombre des combattants qui lui sont loyaux est passé à quelque trois mille, dont beaucoup aurait une très grande expérience du front. La présence de Daech se caractérise principalement par des camps d’entraînement éparpillés dans le désert ; le groupe terroriste a également revendiqué la création de provinces à Tripoli, dans la région de Fezzan au sud-ouest, et dans la région de Barqa qui englobe la ville de Benghazi. Cependant, de nombreux observateurs pensent que la puissance de Daech est peut-être surestimée. Thomas Joscelyn, rédacteur en chef du Long War Journal, a souligné que « l’aménagement de ces zones relevait davantage du vœu pieux que de la réalité » et que Daech cherchait simplement à donner l’impression que l’édification du califat progressait.

31. Par contraste avec la situation en Iraq et en Syrie, où Daech a utilisé les clivages entre sunnites et chiites pour aboutir à ses fins en ralliant à sa cause des sunnites des couches défavorisées, la population sunnite de Libye est largement homogène. Aussi Daech utilise-t-il une méthode différente et, jusqu’ici, apparemment efficace : il attire sous sa bannière les groupes locaux, plutôt que de rivaliser avec eux. Il a donc pris la peine de cultiver des alliances avec les groupes locaux liés à al-Qaïda ainsi qu’avec des organisations criminelles à but lucratif.

A. LA DEUXIEME GUERRE CIVILE LIBYENNE

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Source : http://rpdefense.over-blog.com/2015/02/en-libye-face-aux-djihadistes-de-benghazi.html

32. Bien que sa progression en Libye ait été jusqu’ici modérée, Daech profite des troubles auxquels le pays est en proie. Plus de 1 700 clans, bandes criminelles, factions tribales et milices islamistes régionales se disputent le contrôle de ce qui subsiste de l’Etat libyen. L’économie du pays s’est effondrée, le produit intérieur brut (PIB) a connu une forte chute en 2014 (-10 %) ; les exportations énergétiques, principale source de recettes, ont diminué de façon spectaculaire. La Libye est actuellement divisée en plusieurs régions quasi autonomes ; bon nombre de municipalités s’administrent elles-mêmes et ne font guère de cas des deux « gouvernements légitimes » autoproclamés qui occupent le devant de la scène dans la guerre civile. La Chambre des représentants élue le 25 juin 2014, alors que les hostilités prenaient de l’ampleur, se compose de fédéralistes et de nationalistes qui ont pour seul point commun leur forte opposition aux groupes islamistes. La coalition au pouvoir, conduite par le Premier ministre, Abdallah al-Thani, rassemble beaucoup de personnalités de l’ère Kadhafi et s’aligne sur la campagne militaire (opération Dignité) menée par le général Khalifa Haftar contre les milices islamistes à Benghazi. La Chambre des représentants a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême le 6 novembre 2014 ; elle tire sa légitimité principalement d’acteurs internationaux qui, pour la plupart, ne tiennent pas compte de cet arrêt et qui soutiennent implicitement la Chambre.

33. Le principal rival de la Chambre des représentants est le nouveau Congrès général national (CGN), connu comme le « bloc islamiste ». Il est dirigé par un groupe de coordination, l’Aube de la Libye, qui consiste en une coalition informelle de milices de Misrata et de milices islamistes et berbères. L’appellation « islamiste » peut être trompeuse, car les membres du bloc ne partagent pas une vision unique du rôle de l’islam dans la gouvernance mais forment plutôt une alliance de convenance dont le but principal est de renverser le régime en place. Le CGN contrôle un territoire bien plus vaste que son rival, pourtant reconnu par la communauté internationale, et dispose de beaucoup plus d’argent et d’armes que lui ; il cherche à transformer ces avantages en pouvoir politique et en légitimité.

34. Bien que le nom des blocs laisse supposer l’existence d’un conflit confessionnel, décideurs

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et spécialistes tendent à penser que les troubles actuels ne sont pas dus à des différends religieux fondamentaux ; les parties en présence se disputent le pouvoir politique, le contrôle militaire et le pétrole, clés de leur survie. Des rivalités ethniques et tribales et des tensions culturelles entre bédouins de l’intérieur et populations côtières, plus urbaines et cosmopolites, viennent compliquer la situation politique.

35. Le 11 juillet 2015, les factions rivales libyennes – à l’exception du CGN – sont parvenues à un accord politique préliminaire grâce au Dialogue politique libyen de l’ONU. Cet accord prévoit la création d’un gouvernement d’unité nationale fondé sur le consensus et sis à Tripoli, gouvernement qui exercerait le pouvoir dans les domaines de la politique étrangère et de la sécurité et qui superviserait les finances et les institutions de l’Etat. De plus, il prolonge d’au moins une année le mandat de la Chambre des représentants et crée un « Conseil d’Etat » qui comprendra des représentants du CGN. Cet accord est un pas dans la bonne direction, mais reste à voir s’il sera appliqué. Dans tous les cas, la situation sur le plan de la sécurité est bien pire qu’en 2013. Selon le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays a doublé entre septembre 2014 et juin 2015 et s’élève maintenant à plus de 434 000 personnes. Ainsi que Florence Gaub, de l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne l’a indiqué à la Commission politique lors de la session du printemps 2015 de Budapest, trois facteurs expliquent le désordre qui règne actuellement en Libye : premièrement, le pays a hérité du régime précédent des institutions et structures décisionnelles inefficaces ; deuxièmement, il traverse une période de transition qui donne lieu à des bouleversements considérables ; troisièmement, plusieurs décisions prises après la chute de Mouammar Kadhafi ont non seulement aggravé le vide sécuritaire existant mais également débilité le processus politique. Jusqu’ici, la production pétrolière a maintenu la Libye à flot mais, en raison de la poursuite des violences, elle ne représente plus qu’environ un quart de ce qu’elle était avant la chute de Kadhafi. En outre, la quasi-totalité des produits alimentaires sont importés et il est peu probable que le gouvernement puisse continuer à faire face à cette dépense. Il est donc possible que le pays connaisse une crise humanitaire dans les six mois à venir, selon Mme Gaub.

B. INTERVENTIONS REGIONALES ET INTERNATIONALES EN LIBYE

36. Depuis la campagne aérienne Unified Protector , menée par l’OTAN en application des résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies pour protéger la population civile contre une attaque ou la menace d’une attaque, la communauté internationale n’est guère intervenue et est restée en retrait pendant que le pays sombrait dans l’anarchie et le chaos. La détérioration de la situation en Libye, devenue un Etat de non-droit, a favorisé la multiplication d’activités criminelles de toutes sortes aux répercussions régionales et internationales : trafic de stupéfiants et d’armes, traite d’êtres humains, enlèvements contre rançon, pillage, extorsion de fonds et marché noir. La Libye est devenue l’une des premières sources d’approvisionnement en armes illicites, armes dont la combinaison avec le terrorisme a un effet déstabilisant sur la région MOAN. Un récent rapport des Nations unies indiquait que des armes provenant de Libye étaient parvenues en Tunisie, en Algérie, au Mali, au Niger, au Tchad, au Nigéria, en République centrafricaine, en Somalie, en Egypte et dans la Bande de Gaza. Des groupes tels qu’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou la milice libyenne Ansar al-Charia, entre autres, ont profité du trafic d’armes en provenance de Libye. En même temps, les revenus que procure ce trafic sont d’une importance vitale pour la milice libyenne en question, soupçonnée d’avoir participé à l’attentat de 2012 contre le consulat des Etats-Unis à Benghazi. La Libye, la région du Sahel et le Yémen figurent actuellement en tête de la liste des endroits les plus dangereux au monde pour ce qui est des enlèvements, lesquels visent essentiellement les ressortissants étrangers. La sécurité de ces derniers et de leurs gouvernements respectifs est menacée, tandis que les rançons versées servent à financer le terrorisme.

37. Alors que le conflit prend une dimension régionale de plus en plus marquée, les voisins de la Libye sont une nouvelle fois enclins à jouer un rôle plus actif dans ce pays. Cependant, l’aide fournie par les acteurs régionaux aux factions belligérantes n’est pas forcément de nature à

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stabiliser le pays. Qui plus est, si les actions militaires des pays de la région MOAN peuvent gêner celles des milices opérant en Libye, elles ne sont pas capables de venir à bout de celles-ci. Il faut dépasser cette image simpliste d’une lutte entre islamistes et non-islamistes et traiter le conflit comme le phénomène complexe et multidimensionnel qu’il est réellement. Il est donc préférable d’aborder le problème en organisant des pourparlers susceptibles de déboucher sur la formation d’un gouvernement sans exclusive. Toutefois, les milices ont jusqu’ici refusé de prendre part à de telles discussions ; compte tenu de leurs impressionnants arsenaux, les pays voisins risqueraient, en intervenant, de saper les efforts diplomatiques déployés pour réconcilier les factions en présence.

C. YEMEN

38. S’il n’a pas mené d’opération au Yémen, Daech a cependant annoncé il y a peu qu’il était bien présent dans ce pays, où le conflit entre le gouvernement d’Abd Rabo Mansour Hadi et les Houthis, appuyés par les forces loyales à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, a dégénéré en guerre civile. Un groupe basé au Yémen et se réclamant de Daech a revendiqué les attentats-suicides commis à Saana contre deux mosquées zaïdites le 20 mars 2015, attentats qui ont fait au moins 137 morts. La petite branche yéménite de Daech opère dans l’ouest et le nord-ouest du pays, et notamment à Saana. Elle n’en est qu’à ses débuts et ne compte que sur un soutien limité, mais elle semble se frayer un chemin à l’intérieur du croissant tribal, autrefois considéré comme le pré carré du mouvement extrémiste prédominant dans le pays, à savoir al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA). Le Yémen s’est transformé en un véritable sanctuaire pour les organisations terroristes, conséquence de nombreuses années de gouvernance dysfonctionnelle et de violences internes.

39. Aux malheurs politiques du pays vient s’ajouter le fait que l’effondrement de son économie semble n’être plus qu’une question de temps. Comme beaucoup d’autres pays de la région, le Yémen connaît une explosion démographique de la jeunesse : les deux tiers des Yéménites ont moins de 24 ans. Le taux de chômage atteint 35 % et près de la moitié de la population ne sait ni lire ni écrire et vit en deça du seuil de pauvreté (2 dollars par jour). Le pays manque désespérément d’eau, situation qui s’explique en grande partie par le fait que près d’un tiers des ressources hydriques est consacré à la culture du qat. Conséquence de la récente aggravation du conflit, 80 % de la population ont besoin d’une assistance humanitaire. Dix des vingt provinces du pays ne sont qu’au stade immédiatement supérieur à celui de la famine, selon le système de classification du HCR.

40. La sécurité a connu une détérioration spectaculaire depuis la fin de 2014. L’ONU estime que, le bilan s’élève à près de 3 800 morts et 18 000 blessés, à quoi il faut ajouter environ 1,3 million de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Toujours selon l’ONU, douze millions de personnes, soit la moitié de la population, sont directement touchées par les combats. Les responsables du Programme alimentaire mondial (PAM) signalent que le manque de moyens financiers et l’impossibilité d’accéder immédiatement et sans encombre aux habitants qui ont besoin d’urgence d’une assistance alimentaire risquent de déclencher une famine qui toucherait des millions de Yéménites. Fin août 2015, seuls 18 % du montant demandé au titre du plan d’urgence humanitaire pour le Yémen (1,6 milliard de dollars) avaient été récoltés. Pour chasser les Houthis et rétablir le président en exile, Abd Rabo Mansour Hadi, l’Arabie saoudite, qui considère les Houthis chiites zaïdites comme des exécutants à la solde de l’Iran, a formé une coalition de dix pays et a procédé à des frappes aériennes contre les rebelles le 26 mars 2015. La présence de quelque 3 000 soldats des Emirats Arabes Unis et d’Arabie saoudite a empêché les forces de l’alliance entre Houthis et partisans de Saleh de s’emparer d’Aden. Début août, l’offensive de la coalition a pris de l’ampleur lorsque les Emirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite ont déployé des forces terrestres au Yémen, ce qui risque de plonger ce dernier dans une guerre par procuration entre les Etats membres du Conseil de coopération du Golfe et l’Iran. En effet, le Yémen est sur la ligne de front d’une lutte ayant pour enjeu la prédominance régionale et qui met notamment aux prises l’Iran et l’Arabie saoudite. Les conséquences de cette féroce concurrence risquent de déstabiliser

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la région et peuvent influer considérablement sur la lutte contre Daech en Iraq et en Syrie.

D. LA COALITION CONDUITE PAR LES ETATS-UNIS

41. En août 2014, la détérioration de la situation en Iraq et le sort de la minorité yézidie dans le nord du pays ont été les catalyseurs de l’opération Inherent Resolve, une campagne aérienne menée par une coalition sous commandement américain qui s’inscrivait dans une stratégie destinée à affaiblir puis à éliminer Daech. Les cinq axes stratégiques énoncés par le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, John Kerry, et son collègue de la Défense, Chuck Hagel, lors d’une rencontre avec leurs homologues des autres pays alliés, début septembre 2014, sont les suivants : 1) prodiguer une aide militaire aux partenaires, 2) bloquer l’afflux de combattants étrangers, 3) stopper le financement et les crédits de Daech, 4) remédier aux crises humanitaires dans la région et 5) montrer la vraie nature de Daech. A la date du 15 septembre 2015, les Etats-Unis avaient affecté 4 milliards de dollars à Inherent Resolve et déployé sur le terrain jusqu’à 3 550 hommes chargés d’entraîner les forces armées, d’aider les forces de l’ordre et de conseiller le gouvernement. En outre, des unités des forces spéciales opèrent dans le pays.

42. A la date du 6 octobre 2015, le nombre de frappes aériennes effectuées par les Etats-Unis et la coalition en Iraq et en Syrie s’élevait à 7 323 (4 701 en Iraq et 2 622 en Syrie) ; ces frappes ont endommagé les moyens militaires de Daech et interrompu le fonctionnement des infrastructures pétrolières. Rares sont ceux qui contestent leur efficacité tactique au vu des pertes qu’elles ont infligées au personnel de première importance, des destructions matérielles qu’elles ont causées et de leur contribution essentielle à l’endiguement de l’expansion territoriale de Daech. Mais si elles peuvent perturber temporairement ses opérations, ce dernier a cependant démontré son aptitude à s’adapter. Il a su se doter de nouvelles sources de revenus et remplacer ses dirigeants lorsque cela a été nécessaire. Certes, il ne s’est pas considérablement étendu, mais il a consolidé les zones qu’il occupe, progressant fortement au cœur du territoire sunnite. Le sentiment prévaut que les frappes aériennes ne suffiront pas à le mettre en déroute ; toutefois, un désaccord existe quant à la composition d’une force au sol et à l’identité des pays qui voudraient ou devraient y affecter des troupes. Entretemps, la coalition est tributaire des forces iraquiennes sur le terrain.

43. Les Etats-Unis ont conçu un programme axé sur la formation d’officiers supérieurs et d’officiers généraux pour dynamiser les capacités des forces iraquiennes. La mise en chantier de ce programme est toutefois entravée par un manque de volontaires et par une pénurie d’armes et de munitions. A ce jour, le nombre de candidats retenus par les responsables du programme ne permet la formation que d’environ 7 000 hommes, à quoi viennent s’ajouter 2 000 hommes se destinant aux unités antiterroristes ; on est loin des 24 000 membres des forces de sécurité iraquiennes que les Etats-Unis prévoyaient de former pour le mois de septembre 2015. Qui plus est, les FSI resteront faibles si des changements structurels ne sont pas apportés, s’agissant notamment du recrutement de davantage de sunnites. Reste à voir si ces forces nouvellement entraînées pourront jouer un rôle décisif dans la lutte contre Daech. De ce point de vue, les Peshmergas et les milices chiites se sont jusqu’ici montrés les plus efficaces. Complétant les efforts de la coalition conduite par les Etats-Unis, le Conseil de l’Atlantique Nord a marqué son accord, le 31 juillet 2015, sur un paquet pour le renforcement des capacités de défense de l’Iraq, paquet qui comprend des mesures de soutien dans sept domaines prioritaires : avis sur la réforme du secteur de la sécurité, lutte contre les engins explosifs improvisés, neutralisation des explosifs et munitions et déminage, planification civile et militaire, cyberdéfense, médecine militaire et aide médicale, formation militaire et plans civils d'urgence.

44. La coalition que mènent les Américains se compose de troupes provenant de plus de 60 pays ; cependant, la participation, voire l’engagement de ces pays varient considérablement. En réalité, seul un petit nombre d’entre eux prennent part à l’offensive militaire tandis que la contribution des autres prend des formes diverses : armement, équipement, entraînement ou conseils. Ces dernières semaines, plusieurs des « coalisés » ont apporté un soutien accru aux opérations : c’est notamment le cas du Japon et de la Jordanie, dont des ressortissants ont été

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cruellement et publiquement exécutés par Daech. Bien que la Chine ne soit pas membre de la coalition, elle a offert d’apporter son aide en matière de partage de données du renseignement et de formation du personnel. Par ailleurs, les efforts déployés pour stabiliser les zones reprises à Daech s’intensifient.

45. Après l’attentat-suicide commis dans la ville turque de Suruç, à la frontière syrienne, et à la suite d’un entretien téléphonique entre Barack Obama et le président de la Turquie, Recep Erdoǧan, la Turquie s’est engagée plus résolument dans la lutte contre Daech. Elle a autorisé les appareils de la coalition à utiliser les bases aériennes d’İncirlik et de Diyarbakır pour frapper les positions du groupe terroriste, de même que les bases de Batman et de Malatya pour les situations d’urgence. L’ouverture de ces installations réduit considérablement la durée de vol des appareils de la coalition qui vont frapper les positions de Daech en Syrie, ce qui accélère grandement le rythme opérationnel de la campagne aérienne. Cependant, quelques experts indépendants se sont dits préoccupés par le fait que les opérations militaires turques contre Daech coïncidaient avec des attaques dirigées contre des camps du Parti des travailleurs du Kurdistan, dans le nord de l’Iraq ; ces attaques ont rompu le cessez-le-feu précaire en vigueur entre le gouvernement turc et le PKK depuis 2013.

46. Il n’est pas vraiment sûr que la coalition ait une quelconque stratégie ; il faudrait plutôt parler de différents objectifs poursuivis par différents pays coalisés. Certains Etats arabes d’obédience sunnite, comme l’Arabie saoudite, se préoccupent au moins autant de Daech que de l’Iran. Des tensions sont donc apparues occasionnellement, comme l’atteste la récente décision des Emirats Arabes Unis de suspendre temporairement leur participation aux missions de combat. Il existe aussi des différences sur le plan tactique : les pays du Golfe mènent des attaques sur le sol syrien, tandis que les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Canada et l’Australie, entre autres, se tiennent de l’autre côté des frontières. Cette répartition s’explique par deux facteurs. Premièrement, les partenaires occidentaux préfèrent agir de la sorte parce qu’ils estiment que la campagne aérienne en Iraq s’appuie sur des fondements juridiques mieux établis, puisqu’ils sont là à l’invitation de Bagdad. Deuxièmement, il y a lieu de prendre en considération les difficultés opérationnelles. Les Etats-Unis et ses alliés mieux équipés et dotés de matériel plus moderne sont mieux préparés pour attaquer Daech, qui s’installe toujours plus près ou à l’intérieur d’installations civiles. Par ailleurs, plusieurs pays du Golfe d’obédience sunnite ont exprimé leur opposition à l’intervention grandissante de Téhéran. Ils craignent que les succès des milices chiites appuyées par les autorités iraniennes ne permettent à ces dernières d’accroître leur influence en Iraq.

V. LES DEFIS

47. La situation qui règne en Syrie, en Iraq et, plus généralement, dans la région MOAN pose plusieurs défis aux pays membres de l’OTAN.

48. Premièrement, la guerre civile en Syrie a déclenché une crise humanitaire dévastatrice dont le bilan s’élève, pour la seule Syrie, à plus de 210 000 morts et neuf millions de réfugiés. L’afflux de ces réfugiés dans les pays voisins (Iraq, Jordanie, Liban et Turquie) dépasse les capacités d’accueil de ceux-ci. Au Liban et en Jordanie, ces capacités ont atteint leurs toutes dernières limites ; l’arrivée des réfugiés a entraîné une surpopulation, une hausse vertigineuse des prix, des pénuries d’eau, une montée des tensions entre communautés et des difficultés économiques croissantes. En outre, les répercussions des conflits en Syrie et en Iraq et l’instabilité générale de la région MOAN se font maintenant ressentir aux frontières de l’Europe. Rien qu’en 2014, plus de 60 000 Syriens ont traversé la Méditerranée. La même année, l’Italie a dépensé 150 millions de dollars pour l’opération Mare Nostrum, qui consistait à organiser des patrouilles en Méditerranée et qui a sauvé des milliers de vies humaines.

(Pays dont des ressortissants ou des résidents seraient partis pour aller combattre en Syrie)

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Notes : les chiffres pour l’Europe occidentale correspondent à la fourchette haute des estimations de l’International Center for the Study of Radicalisation and Political Violence (ISCR) ; tous les autres chiffres proviennent du Soufan Group. Les estimations par pays correspondent à une période allant de décembre 2013 à octobre 2014. On rapporte également la présence de petits groupes de combattants originaires du Bangladesh, du Chili, de la Côte d’Ivoire, du Japon, de Malaisie, des Maldives, de la Nouvelle-Zélande, des Philippines, du Sénégal, de Singapour et de Trinité-et-Tobago. Ces pays n’apparaissent pas car ils se situent en dehors des limites de la carte affichée.

Source : ISCR, Soufan Group, CIA, Gene Thorp, Julie Tate et Swati Sharma. Date de publication : 11 octobre 2014

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49. Deuxièmement, la menace représentée par le nombre sans précédent de ressortissants de pays occidentaux qui se rendent dans la région pour y combattre est devenue un problème de sécurité majeur à l’échelle internationale. Selon le chef du Centre national de contre-terrorisme des Etats-Unis, Nick Rasmussen, qui témoignait le 11 février 2015 devant la Commission de la sécurité intérieure de la Chambre des représentants du Congrès, 20 000 combattants étrangers originaires de 90 pays – dont 3 400 ressortissants de pays occidentaux – ont rejoint Daech ou d’autres groupes extrémistes opérant en Syrie ou en Iraq. Ce chiffre est supérieur à celui des étrangers qui ont pris part au djihad en Afghanistan, au Pakistan, en Iraq, au Yémen ou en Somalie au cours des 20 dernières années. Le nombre de combattants qui rentrent ensuite au pays pose un grave problème à d’autres Etats de la région MOAN, dont la Tunisie, l’Algérie et la Libye, qui comptent un nombre disproportionné de combattants partis pour rejoindre Daech. Il est donc probable que ces pays connaîtront une multiplication sensible des actes de terrorisme.

50. Toutefois, le retour des combattants étrangers pose également un grave problème aux membres de l’OTAN. On redoute qu’une partie d’entre eux ne revienne sans être remarquée et n’organise des attentats dans leur pays d’origine. Au moins l’un des auteurs de l’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo avait fréquenté des extrémistes islamistes au Yémen. Le retour des combattants étrangers constitue un formidable défi pour les services de sécurité. A mesure que leur nombre augmente, les ressources requises pour leur surveillance sont sollicitées jusqu’au point de rupture.

51. Troisièmement, et contrairement à ce qui se passait auparavant, les guerres civiles de la région MOAN ne peuvent plus être circonscrites à cette partie du monde. Déjà, les conflits syrien et iraquien ont débordé dans les pays voisins, et il pourrait en aller de même pour les guerres civiles en Libye et au Yémen. Compte tenu de son degré d’instabilité, la Libye est devenue un Etat failli et offre un terrain éminemment favorable au terrorisme. Elle fait peser sur ses voisins – la Tunisie, l’Egypte, le Niger, l’Algérie et le Mali – une menace à court comme à long terme. Elle connaît une escalade de la violence qui a conduit la plupart des Alliés à évacuer leurs ambassades et leur personnel.

VI. CONCLUSIONS

52. La guerre civile syrienne, qui a commencé il y a bientôt cinq ans, par une succession de manifestations anti-gouvernementales, a plongé cette partie du monde dans une spirale de violence et d’instabilité qui a pris une dimension régionale et internationale. Des acteurs régionaux comme l’Iran chiite ou les Etats du Golfe sunnites se sont servis de la Syrie pour se livrer une guerre par procuration en vue d’y asseoir leur prépondérance, ce qui a ajouté un aspect confessionnel à la guerre. La communauté internationale est divisée sur la façon de traiter le conflit, comme l’illustre la paralysie dont le Conseil de sécurité continue à souffrir. Bien que de récentes initiatives diplomatiques faisant intervenir la Russie et quelques-uns des acteurs régionaux et l’accord entre le P5 +1 et l’Iran aient laissé espérer l’engagement d’une action concertée contre Daech, les chances de mettre un terme à la guerre civile en Syrie restent minces. Aussi longtemps que l’opposition et le régime en place auront la certitude de pouvoir l’emporter, il sera difficile d’aboutir à une solution politique, car aucun des deux camps ne voudra négocier sérieusement.

53. La situation en Syrie demande des actions supplémentaires. La communauté internationale doit, de préférence par l’intermédiaire de l’ONU, poursuivre ses efforts pour parvenir à un règlement négocié, mais il serait illusoire de penser que la solution ne peut être que diplomatique. Daech n’est pas une entité encline à la négociation et continue à commettre d’atroces violations des droits humains, tandis que le régime el-Assad terrorise la population et joue la montre. Des pressions accrues, y compris militaires, doivent donc être exercées sur les autorités syriennes pour obliger ces dernières à cesser de prendre la population civile pour cible et de soutenir Daech. L’OTAN n’a cependant d’autre rôle en la matière que d’aider les Alliés à échanger des données du

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renseignement et à protéger la Turquie limitrophe, qui est l’un d’entre eux, au cas où elle serait prise à partie par ses voisins. Alors que, sur le terrain, la situation de la population civile ne cesse de se détériorer, la communauté internationale doit intensifier son assistance humanitaire, y compris aux réfugiés et aux pays qui les accueillent.

54. De même, en Iraq, il est nécessaire de recourir à la force armée pour porter des coups à Daech et en venir à bout. Le groupe terroriste affiche une résistance considérable et, aussi longtemps que les FSI peinent à lui faire face par leurs propres moyens, l’aide militaire fournie par la coalition que conduisent les Etats-Unis restera cruciale. En outre, il y a lieu d’étoffer les mesures prises pour aider le gouvernement iraquien à renforcer les FSI. A cet égard, le paquet de l’OTAN pour le renforcement des capacités de défense du pays peut être utile, mais il ne suffira pas. L’OTAN en tant que telle et ses membres doivent réfléchir à la manière dont ils peuvent accroître leur soutien à l’Iraq. De plus, les Alliés ont besoin de suivre de près l’évolution de la situation intérieure et d’exercer une pression diplomatique si nécessaire, afin de s’assurer que le gouvernement continue à mener une politique d’ouverture bénéficiant à l’ensemble de la population.

55. La communauté internationale doit accorder un degré de priorité plus élevé à la Libye. Une réconciliation entre les deux gouvernements rivaux semble peu probable à court terme, d’autant que le mandat de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL) doit normalement expirer le 15 septembre 2015. Daech et les groupes de la mouvance d’al-Qaïda continueront à tirer parti de la crise de gouvernance et pourront ainsi recruter et entraîner des combattants extrémistes. Outre qu’il influe sur la sécurité des pays voisins, tels que l’Algérie, l’Egypte et la Tunisie, l’effondrement de l’Etat libyen vient aggraver la crise des réfugiés à laquelle est déjà confrontée l’Europe. Le pays s’est transformé en point de départ des bateaux qui acheminent migrants et réfugiés vers les côtes européennes. En l’absence d’un gouvernement unifié et d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, une intervention militaire des Alliés est peu vraisemblable. Cependant, l’OTAN et ses membres pourraient envisager d’instaurer des relations avec la Ligue arabe, laquelle a décidé de constituer des forces de défense qui seraient déployées à la demande de tout pays arabe dont la sécurité nationale serait menacée. Dès 2014, l’OTAN avait indiqué qu’elle était prête à conseiller les autorités libyennes dans l’élaboration d’une stratégie de sécurité nationale et dans le renforcement de leurs institutions de défense.

56. La coalition internationale conduite par les Etats-Unis a porté un coup d’arrêt à l’expansion de Daech. Toutefois, si des progrès ont été accomplis dans l’affaiblissement du groupe terroriste, il est beaucoup plus compliqué de le vaincre. Il n’y a pas de solution facile ni rapide. L’aide militaire fournie à l’Iraq par la coalition que conduisent les Etats-Unis et par les Alliés conserve son importance, mais elle finira par ne plus être qu’un simple adjuvant dans la défaite de Daech. Ce dernier continuera à poser un défi militaire, politique et idéologique tant qu’il n’y aura pas de gouvernement crédible et sans exclusive à Bagdad et à Damas. Pourtant, même s’il est probable qu’ils n’exerceront qu’une influence restreinte en raison de moyens limités, de la complexité de la situation sur le terrain et de la prédilection pour les jeux à somme nulle qu’affichent des acteurs régionaux, plus soucieux de préserver leur propre influence que de combattre Daech, les Alliés et la communauté internationale doivent encourager et faciliter la mise en route d’un processus politique susceptible d’améliorer la gouvernance, la sécurité et le développement, parallèlement à une aide militaire. Cela est d’autant plus important que la Syrie et l’Iraq seront confrontés à d’énormes problèmes humanitaires lorsque les combats s’achèveront enfin. La reconstruction économique de pays ravagés par la guerre sera un véritable défi et requerra une assistance économique et financière extérieure considérable. En outre, la réconciliation nationale ne se fera pas sans peine et l’on peut penser que les acteurs régionaux poursuivront des objectifs nationaux différents et partiellement antagoniques. Les tensions régionales persisteront donc et compromettront sans doute la stabilité du Moyen-Orient pour de longues années encore.

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