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© Masson, Paris. CAS Ann. Fr. Anesth. Reanim., 5: 318-319, 1986. CLINIQUE Pseudohypoxemie et syndrome myeloproliferatif Pseudohypoxaemia and myeloproliferation J.M. DURAND, T. BRUE, P. PAK-LEUNG, J.M. CHAMOUILLI, J.R. HARLE Clinique M#dicale B, Groupe Hospitalier de la Timone, F 13385 Marseille Cedex 5 R~SUM¢: : La pression partielle en oxyg6ne diminue entre le moment du pr616vement art6riel et l'analyse des gaz du sang. Cette baisse est d6pendante de la temp6rature, du taux initial de la pression partielle en oxyg6ne, du nombre de globules blancs et de plaquettes_ Au cours des syndromes my61oprolif6ratifs, l'6tude des gaz du sang doit ~tre effectu6e sans d61ai ou apr6s conservation du pr61~vement dans la glace afin de reconnaitre une pseudohy- pox6mie. ABSTRACT : In the interval between the sampling of blood and analysis of the blood gas composition, the partial pressure of oxygen falls. The rate of fall depends on the temperature, initial level of partial pressure of oxygen in arterial blood, white cell and platelet count. Pseudohypoxaemia secondary to leukaemia and thrombocytosis can be recognized if the arterial blood sample is kept in ice until analysis can be carried out. Au cours des syndromes my61oprolif6ratifs, la Pao2 varie selon les conditions de pr616vement. Deux cas de pseudohypox6mie sont rapport6s ici. OBSERVATIONS M ~ ..., 70 ans, suivie pour un syndrome my61oprolif6ratif, se plaint d'une dyspn6e progressive avec f6bricule. I1 n'y a pas de cyanose, mais il existe une hypox6mie s6v6re : Pao2 41 mmHg, Paco2 32 mmHg, pH 7,43, Sao2 79 %; la radiographie thoracique et l'61ectrocardiogramme sont normaux. La Pao2, tr~s discordante par rapport h la clinique, est considdrde comme fausse. La malade est hospitalis6e quelques jours plus tard devant l'accentuation de la dyspn6e. Le clich6 thoracique montre une pneumopathie intersti- ~elle; la gazom6trie donne les r6sultats suivants : Pao2 72,3 mmHg, Paco2 36,5 mmHg, pH 7,42, Sao2 94 %. L'h6mo- gramme est inchang6 : h6moglobine 104 g • 1 -l, h6maties 3,3 • 1012 • 1 -l, r6ticulocytes 80 - 103 " 1-1 , plaquettes 3027 • 109 - 1 -l, leucocytes 15,8 10 9 - l I dont my61oblastes 1%, neutrophiles 80 %, lymphocytes 6 %, 6osinophiles 3 %, basophiles 15 %. M. X .... 74 ans, est hospitalis6 pour bilan d'une hyperleuco- cytose avec h6patospl6nomfgalie et dyspn6e d'effort. La radio- graphie thoracique ne montre pas de signes de leucostase, mais on note une hypox6mie franche : Pao2 47 mmHg, Paco2 33,7 mmHg, pH 7,33, Sao2 83 %. L'h6mogramme est 6vocateur de leuc6mie my61oide chronique : h6moglobine 76 g • 1 -l, h6maties 2,8 • 10 '2 l -l, r6ticulocytes 50 - 10 3 " 1-1, plaquettes 49 10 9 1 -l, leucocytes 139 10 9 - 1 i avec my616mie (m6tamyflocytes 8 %, my61oeytes 20 %, promy61ocytes 1%, my61oblastes 1%, 6rythro- blastes 1%, neutrophiles 58 %), 6osinophiles 1%, basophiles 3 %, lymphocytes 4 %, monocytes 3 %. Le chromosome de Philadelphie est pr6sent. COMMENTAIRES Malgr6 l'existence de signes respiratoires chez les deux malades, l'importance de l'hypox6mie (41 et 47 mmHg) nous a fait rechercher un artdfact lid l'hyperplaquettose ou a l'hyperleucocytose. En effet, la Pao2 et le pH diminuent, alors que la Paco2 augmente dans l'intervalle entre le pr616vement et l'analyse des gaz du sang; ceci est d6pendant de la temp6rature, du taux initial de la Pao2 et du nombre de globules blancs ou de plaquettes [1]. Deux pr616vements art6riels ont 6t6 effectu6s et adress6s imm6diatement au laboratoire, une seringue 6rant plac6e h temp6rature ambiante, l'autre dans la glace; Pao2, Paco2 et pH sont mesur6s apr~s 3, 15, 30 et 60 rain (tableau I). I1 n'y a pas de modification notable de la Paco2 ou du pH; en revanche, les variations observ6es pour la Pao2 sont significatives dbs la 15 ~ rain_ Apr6s 30 min ti 24 °C, la chute de la Pao2 est respectivement de 11,5 et de 10,5 mmHg, alors qu'h 0 °C la Pao2 reste stable darts les deux cas pendant toute la dur6e de la manipulation. Ces modifications ne Re~u le 26 septembre 1985; accept6 sous forme r6vis6e le 5 f6vrier Tires ~ part : J. M. Durand_ 1986.

Pseudohypoxémie et syndrome myéloprolifératif

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© Masson, Paris. CAS Ann. Fr. Anesth. Reanim., 5: 318-319, 1986. CLINIQUE

Pseudohypoxemie et syndrome myeloproliferatif

Pseudohypoxaemia and myeloproliferation

J.M. DURAND, T. BRUE, P. PAK-LEUNG, J.M. CHAMOUILLI, J.R. HARLE

Clinique M#dicale B, Groupe Hospitalier de la Timone, F 13385 Marseille Cedex 5

R~SUM¢: : La pression partielle en oxyg6ne diminue entre le moment du pr616vement art6riel et l'analyse des gaz du sang. Cette baisse est d6pendante de la temp6rature, du taux initial de la pression partielle en oxyg6ne, du nombre de globules blancs et de plaquettes_ Au cours des syndromes my61oprolif6ratifs, l'6tude des gaz du sang doit ~tre effectu6e sans d61ai ou apr6s conservation du pr61~vement dans la glace afin de reconnaitre une pseudohy- pox6mie.

ABSTRACT : In the interval between the sampling of blood and analysis of the blood gas composition, the partial pressure of oxygen falls. The rate of fall depends on the temperature, initial level of partial pressure of oxygen in arterial blood, white cell and platelet count. Pseudohypoxaemia secondary to leukaemia and thrombocytosis can be recognized if the arterial blood sample is kept in ice until analysis can be carried out.

Au cours des syndromes my61oprolif6ratifs, la Pao2 var ie selon les condi t ions de pr616vement. Deux cas de pseudohypox6mie sont rapport6s ici.

OBSERVATIONS

M ~ ..., 70 ans, suivie pour un syndrome my61oprolif6ratif, se plaint d'une dyspn6e progressive avec f6bricule. I1 n'y a pas de cyanose, mais il existe une hypox6mie s6v6re : Pao2 41 mmHg, Paco2 32 mmHg, pH 7,43, Sao2 79 %; la radiographie thoracique et l'61ectrocardiogramme sont normaux. La Pao2, tr~s discordante par rapport h la clinique, est considdrde comme fausse. La malade est hospitalis6e quelques jours plus tard devant l'accentuation de la dyspn6e. Le clich6 thoracique montre une pneumopathie intersti- ~elle; la gazom6trie donne les r6sultats suivants : Pao2 72,3 mmHg, Paco2 36,5 mmHg, pH 7,42, Sao2 94 %. L'h6mo- gramme est inchang6 : h6moglobine 104 g • 1 - l , h6maties 3,3 • 1012 • 1 - l , r6ticulocytes 80 - 103 " 1-1 , plaquettes 3027 • 109 - 1 - l , leucocytes 15,8 • 1 0 9 - l I dont my61oblastes 1%, neutrophiles 80 %, lymphocytes 6 %, 6osinophiles 3 %, basophiles 15 %.

M. X .... 74 ans, est hospitalis6 pour bilan d'une hyperleuco- cytose avec h6patospl6nomfgalie et dyspn6e d'effort. La radio- graphie thoracique ne montre pas de signes de leucostase, mais on note une hypox6mie franche : Pao2 47 mmHg, Paco2 33,7 mmHg, pH 7,33, Sao2 83 %. L'h6mogramme est 6vocateur de leuc6mie my61oide chronique : h6moglobine 76 g • 1 - l , h6maties 2,8 • 10 '2 • l - l , r6ticulocytes 50 - 1 0 3 " 1 - 1 , plaquettes 49 • 1 0 9 • 1 - l ,

leucocytes 139 • 1 0 9 - 1 i avec my616mie (m6tamyflocytes 8 %, my61oeytes 20 %, promy61ocytes 1%, my61oblastes 1%, 6rythro-

blastes 1%, neutrophiles 58 %), 6osinophiles 1%, basophiles 3 %, lymphocytes 4 %, monocytes 3 %. Le chromosome de Philadelphie est pr6sent.

COMMENTAIRES

Malgr6 l ' ex i s tence de signes respiratoires chez les deux malades , l ' impor tance de l ' h y p o x 6 m i e (41 et 47 m m H g ) nous a fait rechercher un artdfact lid l 'hyperp laquet tose ou a l ' hyper leucocy tose . En effet , la Pao2 et le pH diminuent , alors que la Paco2 augmente dans l ' in te rva l le entre le pr616vement et l ' ana lyse des gaz du sang; ceci est d6pendant de la temp6rature, du taux initial de la Pao2 et du nombre de globules blancs ou de plaquettes [1].

Deux pr616vements art6riels ont 6t6 effectu6s et adress6s imm6dia tement au laboratoire, une ser ingue 6rant plac6e h temp6rature ambiante , l ' au t re dans la glace; Pao2, Paco2 et pH sont mesur6s apr~s 3, 15, 30 et 60 rain (tableau I). I1 n ' y a pas de modif ica t ion notable de la Paco2 ou du pH; en revanche, les variat ions observ6es pour la Pao2 sont s ignif icat ives dbs la 15 ~ rain_ Apr6s 30 min ti 24 °C, la chute de la Pao2 est respec t ivement de 11,5 et de 10,5 m m H g , alors qu 'h 0 °C la Pao2 reste stable darts les deux cas pendant toute la dur6e de la manipulat ion. Ces modif ica t ions ne

Re~u le 26 septembre 1985; accept6 sous forme r6vis6e le 5 f6vrier Tires ~ part : J. M. Durand_ 1986.

PSEUDOHYPOXEMIE ET SYNDROME MYC:LOPROLIFI~RATIF

Tableau I. - - Variations de la Pao2 (mmHg), de la Paco2 (mmHg) et du pH en fonction de la temp6rature de stockage

319

24 °C 0 °C 3 25 30 60 min 3 15 30 60 min

M ~ X. Pao2 72,3 64 60,8 64,0 73,0 72 70,3 73,2 Paco2 36,5 37 38,6 37,6 36,5 36 35,7 37,3

pH 7,42 7,41 7,40 7,40 7,42 7,41 7,41 7,41

M. X_ Pao2 47,0 42 36,5 34,5 54,5 52,8 53,2 52,6 Paco2 33,4 34,6 36,6 37,5 33,4 33,3 33,7 32,4

pH 7,28 7,28 7,28 7,28 7,29 7,29 7,29 7,28

dependent pas de la temperature, car chez quatre sujets tEmoins insuffisants respiratoires la Pao2 diminue de moins de 3 mmHg au bout de 60 rain.

Chez le sujet normal, plaquettes et leucocytes inter- viennent de faqon Egale dans la consommation d'oxyg6ne du sang total, les leucocytes ayant une activitE mEtabolique 45 fois plus importante que les plaquettes mais 6tant 50 fois moins nombreux [1]. La consommation depend du type cellulaire et de la diffErenciation: elle est plus importante pour les monocytes que pour les granuleux ou les lymphocytes; elle augmente, avec la diffErenciation, pour les monocytes [2] alors qu'elle diminue pour les granuleux et les lymphocytes [1]. Les globules rouges matures ne consomment pratiquement pas d'oxygane contrairement aux rEticulocytes. I1 n'est pas certain que la consomma- tion d'oxygene soit diffErente pour les leucocytes normaux ou leucEmiques [3].

Au cours des syndromes myEloprolifEratifs, la Pao2 chute dans les minutes qui suivent le prE16vement lorsque celui-ci reste h temperature ambiante, pouvant conduire hun faux diagnostic d'hypoxEmie. I1 est donc important d'effectuer, chez ces malades, un contr61e des gaz du sang immEdiatement aprEs le prE16vement ou aprEs conservation dans la glace jusqu'~t son analyse.

BIBLIOGRAPHIE

1. CLINE M.J. The with cell. Harvard University Press, Cam- bridge, Mass., 1975.

2. Conrq Z.A. The structure and function of monocytes and macrophages_ Adv. Immunol., 9: 163-214, 1968.

3. HESS C.E., NICHOLS A.B., HUNT W.B., SURATT P.M. Pseudohypoxemia secondary to leukemia and thrombocytosis. N. Engl. J. Med., 301: 361-363, 1979.