Pureté Chez Les Grecs

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  • 8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs

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    Jean Trouillard

    La Pureté chez les GrecsIn: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°2, juin 1954. pp. 37-45.

    Citer ce document / Cite this document :

    Trouillard Jean. La Pureté chez les Grecs. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°2, juin 1954. pp. 37-45.

    doi : 10.3406/bude.1954.4604

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bude_0004-5527_1954_num_1_2_4604

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_bude_541http://dx.doi.org/10.3406/bude.1954.4604http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bude_0004-5527_1954_num_1_2_4604http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bude_0004-5527_1954_num_1_2_4604http://dx.doi.org/10.3406/bude.1954.4604http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_bude_541

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    La

    pureté

    chez les Grecs

    II y a chez Platon des pages séduisantes

    sur la

    pureté

    et la

    de l âme. Le

    pouvoir

    singulier

    que

    ces textes ont

    sur

    nous

    vient

    peut-être

    de

    ce

    qu ils sont à

    la fois

    religieux

    et

    Nulle

    part,

    en effet,

    Platon

    ne

    se sent

    plus divinement

    inspiré

    et

    ne se

    montre

    plus impatient d assimilation divine. Et

    c est par

    la

    réflexion,

    la

    sagesse, l ascèse noétique, qu il veut

    libérer l âme

    et faire

    régner

    la

    pureté, même

    en ce qui semble

    le

    plus

    étranger

    à

    la

    clarté

    et

    à

    la

    proportion.

    Le

    même

    mouvement se

    retrouve

    dans les Ennéades, d après

    lesquelles

    l accueil

    de l illumination divine

    est

    le grand

    moyen

    de

    purification. Mais,

    prolongeant

    la

    dernière doctrine

    de Platon qui

    découvrait

    à

    l intérieur des idées

    négativité

    et complexité,

    Plotin

    discerne

    une nouvelle sorte d impureté dans l intelligible lui-

    même et nous invite

    à le surmonter

    pour

    une

    mystique

    Or

    ni Platon ni son disciple ne

    croient innover.

    Ils se flattent au

    contraire

    de dévoiler le sens caché de

    très

    anciennes traditions :

    ^Tcep toxXoci. èv tco Xoytp XeysTat.

    (Phédon, 67

    c) — aocpàc, 8k

    Upstiç

    atvtyjjLa

    ctimsIç

    (Ennéades, VI,

    9.11.28).

    Ils

    dégagent

    la

    vérité des figures, mais

    une

    vérité

    qui reste, pour

    eux, un mystère

    de

    salut.

    On ne peut donc comprendre pleinement platonisme

    ni

    néoplatonisme si l on ne cherche pas à

    restituer

    les données de

    « l énigme » qu ils s efforçaient d élucider, si

    l on ne

    tente

    pas

    de

    savoir ce que les Grecs mettaient sous les nombreux mots qui

    signifiaient chez

    eux

    «

    pur

    »

    et

    « impur », d Homère à Platon.

    Telle est

    la

    tâche que s est

    assignée

    M. Louis Moulinier

    x.

    Après

    E. Rohde,

    Franz Cumont,

    E.

    R. Dodds, le

    P.

    Festugière, Pierre

    Boyancé, Mlle Jeanne

    Croissant,

    Pierre-Maxime

    Schuhl

    et

    quelques

    autres,

    M. M.

    a

    interrogé

    méthodiquement

    les

    que nous

    possédons sur ces

    croyances

    obscures,

    complexes

    mais vives. Loin de se limiter aux déclarations explicites des

    poètes, dramaturges, historiens, il

    a

    voulu restituer

    les affirmations

    dont usages et lois sont invisiblement chargés.

    A vrai dire,

    ce

    qui dut être

    pour l auteur

    travail de longue

    patience

    devient

    pour nous périple

    plein de charmes. Nous

    sommes conduits dans

    les sanctuaires

    et

    les

    cités

    les

    plus

    de

    la Grèce antique.

    Nous faisons halte

    dans quelques sites

    . Le

    pur

    et

    l impur dans la

    pensée des Grecs

    d Homère

    à Aristote,

    in-8°,

    449

    pages.

    Paris, Klincksieck, 1952.

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    prestigieux. Nous

    assistons

    aux gestes

    officiels

    de

    la vie publique

    mais aussi

    aux

    démarches de la vie quotidienne.

    Nous visitons

    avec M. M.

    les fouilles de Crète,

    en

    particulier

    celles

    de

    Knossos

    et

    de

    Phaïstos. Devant

    les

    salles

    basses

    de ces

    palais qui ressemblent beaucoup à des

    temples, nous nous

    si elles n abritaient pas des bains ou des ablutions de

    sacré

    (p. 22-24) •

    Dans le cadre sauvage de

    Mycènes, nous

    évoquons

    la

    cascade

    d impuretés qui

    déferle sur la

    lignée des Atrides. L immolation

    d Iphigénie

    entraîne

    celle d Agamemnon qui, elle-même, aboutit

    à

    la mort violente de

    Clytemnestre

    et d Égisthe. Mais des trois

    meurtriers

    la

    culpabilité

    est

    inégale, puisqu Oreste a

    été

    inspiré

    par Apollon qui

    finit

    par arracher le jeune homme

    auxÉrynies, en

    le purifiant ou

    en

    faisant reconnaître sa pureté

    (p.

    193-194).

    Dans

    la

    pure

    lumière de

    l Egée, à Délos,

    c est

    encore

    au

    nom

    de la pureté due à Apollon que Pisistrate fait retirer les restes

    mortuaires inhumés en

    vue

    du sanctuaire. Sans

    doute

    les raisons

    politiques n étaient pas étrangères à cette exigence. Mais le fait

    que

    le

    chef athénien

    ait

    pu la présenter comme une

    prescription

    rituelle montre

    qu il

    existait sur ce point une loi ou une coutume

    (p.

    49). Dans

    l hiver 426-425

    il fut

    également interdit aux femmes

    de

    mettre

    leurs enfants au

    monde

    dans l île sainte (p.

    68).

    Sur

    les escarpements

    de Delphes,

    on

    honore

    également

    Apollon. Ce dieu indique justement par son oracle ce qu il faut

    faire pour se purifier. On va le

    consulter

    dans les cas les plus

    (p. 310-318).

    Ses

    réponses

    ne

    sont

    pas

    toujours

    claires.

    Cependant il guérit

    ;

    il

    punit

    aussi, et

    de façon

    cuisante. Il est

    invoqué

    comme

    à7UOTp6Tcouoç

    contre

    les malheurs. Il

    ordonne

    des

    rites

    cathartiques.

    On

    purifie

    d ailleurs

    chaque jour

    son

    temple par

    le laurier

    et

    l eau de

    la fontaine

    Castalie

    (p. 104-105). On ne

    peut

    user sans

    souillure

    de

    ce qui

    appartient au dieu

    et

    à ses ministres.

    C est le cas de

    la plaine

    sacrée par laquelle l étroite vallée de

    Delphes

    s ouvre sur

    un repli du golfe de Corinthe. Cette plaine

    avait

    été conquise sur

    les Cyrrhéens

    et il

    était interdit désormais

    de la cultiver (p.

    47). Mais

    la

    pureté exigée n est

    pas seulement

    rituelle

    ou juridique comme le prouve le

    yvcoOi aauxov. L idée

    d une

    pureté

    du cœur

    et

    de

    l esprit n est

    pas

    inconnue

    des

    Grecs

    anciens. Hésiode

    recommandait déjà

    de « tenir

    son

    cœur » à l écart

    des fautes

    (p.

    36

    et 316),

    tandis qu à

    Épidaure,

    dans l admirable

    site où Asclépios multipliait ses

    bienfaits,

    il était

    recommandé

    de

    9povetv ocnoc (p. 102).

    De Delphes à Athènes,

    la

    route passe par

    la

    riche. Thèbes de

    Béotie. Recueillons donc

    au passage

    la

    leçon de cette

    cité

    qui

    devait

    être

    heureuse et qui

    accumula

    les malheurs.

    Elle

    fut en effet

    souillée

    par les fautes de ses

    chefs (Œdipe,

    Étéocle,

    Polynice,

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    Créon),

    comme l Argolide par la vengeance

    de

    Clytemnestre

    (p.

    216).

    En

    nous

    rapprochant

    d Athènes

    nous

    rencontrons

    le

    grand

    centre d initiations d Eleusis. Nous trouvons

    encore des rites

    cathartiques qui ne sont pas toujours accomplis

    sur

    place, mais

    appartiennent

    aux mystères

    éleusiniens

    abstinences, processions,

    bain

    à

    Phalère accompli en

    portant

    avec

    soi un

    petit

    porc

    qui sera

    ensuite

    sacrifié.

    Un bain dans l IIissos paraît improbable,

    à

    moins

    que

    Déméter n envoie

    quelque grande pluie (p. 124). Ces rites,

    eux

    aussi, ne visent pas une pureté seulement externe. Le

    visuel

    des initiations (les épopties) montre que

    ce

    qui

    est

    cherché c est

    un

    renouvellement

    de l esprit

    :

    Platon

    ne

    voit

    pas

    la

    valeur morale

    des

    purifications

    d Eleusis

    dans

    un accroissement de vertu

    qu elles

    produiraient, mais

    dans leur

    ressemblance

    avec l effort de

    l esprit

    qui se débarrasse de la matière

    pour s élever à

    la

    contemplatiën de l Idée (p. 125).

    Quand l Assemblée du

    peuple

    se réunissait sur la Pnyx

    d Athènes, elle était également

    purifiée

    par le sacrifice

    d un

    Le sacrificateur aspergeait les sièges avec le sang de

    la

    victime.

    D autres lieux

    de réunion,

    par exemple

    les sanctuaires

    et les

    théâtres,

    étaient lavés

    de leurs

    souillures par

    le même

    procédé et par des aspersions d eau lustrale (p. 99-101).

    Ces exemples, glanés parmi tant d autres, suffisent

    à

    nous

    convaincre

    que

    les

    faits

    résisteront

    à

    une

    théorie

    trop

    simple

    de

    purification.

    On est impur pour bien des

    raisons.

    On

    l est

    d abord

    quand

    on est sale

    de

    corps et

    de

    vêtements. Encore

    aujourd hui

    en Grèce,

    xaGapoç

    signifie

    « propre

    ». Il en

    était

    déjà

    ainsi chez

    Homère et

    chez

    Hésiode.

    Mais

    l hygiène dans ce

    pays n a

    pas une

    exclusivement utilitaire

    :

    Je crains

    que nous ne puissions jamais

    comprendre

    ce qu était la

    pureté

    pour

    un Grec

    si nous

    n admettons

    pas, fût-ce un

    moment,

    que

    la

    propreté physique

    a,

    par elle-même, une valeur

    morale

    et

    (p.

    33).

    Les

    héros

    d Homère

    se

    baignent

    beaucoup,

    par exemple avant

    le repas ou avant

    d accomplir un

    acte cultuel.

    On

    peut être impur parce

    qu on

    a

    touché

    un

    cadavre

    ou un

    tombeau, parce

    qu on

    a négligé de rendre à un mort les honneurs

    auxquels il

    a

    droit. Les rites

    funéraires sont

    des

    purifications,

    depuis

    les

    libations

    jusqu aux

    jeux (p. 205-212). On est impur

    quand on appartient

    à

    une

    famille,

    à une maison,

    à

    une

    cité

    en

    lesquelles

    il

    y

    a un

    mort. A Sparte,

    la

    mort d un

    roi

    rend

    impures

    deux

    personnes

    par demeure (p. 76-80).

    Les relations sexuelles, normales ou

    anormales, n apportent

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    pas

    de

    souillures par elles-mêmes, sauf l adultère, le viol, la

    prostitution, l acte

    accompli

    dans

    un

    lieu

    ou

    dans

    un

    temps

    prohibé. Ce

    qui est

    impur,

    c est

    le trouble des

    sens, la

    déraison,

    que le désordre sexuel provoque

    dans

    l homme.

    La

    valeur

    interne

    de

    la

    chasteté

    apparaît

    ici,

    mais

    nous

    ne

    voyons point

    que

    les

    Grecs aient conseillé

    la

    virginité absolue

    (p. 189-205, p.

    64-65).

    L accouchement

    provoque également une

    impureté pendant

    dix

    jours, surtout

    la fausse-couche,

    non

    seulement chez la femme,

    mais aussi chez

    tous

    ceux qui assistent à

    la

    naissance. C est

    pourquoi

    il est

    interdit aux femmes de

    mettre

    au monde des

    enfants dans les sanctuaires,

    sur

    l Acropole, dans les lieux sacrés

    (p.

    66-71).

    Plus

    impur est

    le meurtrier.

    L intention

    de

    tuer

    ici

    ne

    suffit

    pas, ni la blessure. Il faut

    que

    mort s ensuive. Inversement la

    mort

    donnée

    sans

    intention

    mauvaise,

    sans

    faute

    de négligence

    ou d imprudence,

    ne

    paraît pas souiller

    son

    auteur. Le

    soldat

    au

    combat n est pas impur.

    Il

    y a des cas-limites comme celui

    d Œdipe ou comme celui d Oreste. Apollon

    sur

    ce dernier point

    n est pas d accord avec les Érynies. Dans les cas douteux, lois

    et

    tribunaux

    s efforcent

    de trancher (p. 176-198). Le meurtre

    contamine

    son

    auteur, mais

    aussi l entourage du

    coupable, sa

    famille,

    ceux

    qui

    habitent

    avec lui,

    sa

    cité, son

    pays. Si

    la

    victime

    est

    un

    parent du meurtrier,

    si elle

    est

    un hôte de sa maison, le

    clan

    est

    particulièrement souillé (p. 232-233). Un crime collectif

    contamine encore plus gravement tout un peuple (p.

    94).

    Les plus

    proches

    parents

    de

    la

    victime sont

    obligés

    de

    poursuivre

    l assassin

    sous peine

    de

    contracter une impureté. L État ne fait que garantir

    et

    modérer

    ce droit (p. 231).

    La cité

    est d ailleurs impure si elle

    ne prend pas une sanction contre le coupable. Des fléaux

    la

    menacent. Elle

    jugera donc

    le

    meurtrier, en plein air (on ne peut

    plus vivre sous

    le même

    toit

    que

    lui),

    elle le

    condamnera au

    moins à l exil (p. 81). Il pourra

    être

    reçu dans

    un autre pays

    moyennant certaines précautions,

    car

    l impureté

    est locale.

    La

    vie d un

    groupe

    implique une communion, une solidarité

    que

    que

    le

    coupable par son

    geste a

    brutalement rompue. Achille qui

    a

    tué

    Thersite

    va se purifier

    à

    Lesbos où il

    offre un

    sacrifice (p. 42).

    Pour la

    même

    raison,

    on

    ne

    condamnera pas

    le

    meurtrier

    qui a

    reçu le pardon

    de

    sa victime mourante (p.

    84).

    Mais une faute,

    ni pardonnée, ni

    réparée,

    appellerait d autres

    fautes

    et une chaîne

    de

    malheurs. Rien

    ne nous dit d ailleurs

    que

    la souillure

    se

    transmette par génération. Les dieux restent longtemps

    et

    sans doute

    l équilibre psychologique

    une fois

    perdu

    est-il

    difficile

    à

    rétablir (p. 237). Il y

    a

    une

    logique

    de la

    démesure.

    En

    tout

    cas

    il

    n est pas de

    race

    humaine

    ni

    d espèce

    animale qui

    soit

    en

    elle-même impure

    (p. 228).

  • 8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs

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    Tels sont

    les

    principaux

    cas de souillure. Mais

    évidemment

    sont

    impurs

    tous les actes que les dieux et les lois proclament tels,

    et

    il

    en

    est

    beaucoup.

    Les procédés

    cathartiques sont

    eux-mêmes très

    divers.

    Le plms

    spuvent on recourt aux bains et ablutions. De ce point de vue, on

    reconnaît au bain de mer une valeur particulière.

    Tous

    les ans

    on purifiait ainsi à

    Phalère la

    statue

    d Athéna (p.

    105).

    Les

    les centres de pèlerinage

    ont

    des

    sources,

    des

    piscines,

    des

    bassins. On ne

    puise

    pas à

    n importe

    quelle source l eau lustrale

    qui est utilisée dans

    la

    partie

    préparatoire des

    sacrifices

    (p. 71).

    Les

    sacrifices

    sont, eux

    aussi, des moyens privilégiés de

    Ils

    sont

    utilisés,

    par

    exemple,

    pour

    la

    réconciliation

    du

    meurtrier. On immole

    ordinairement

    des animaux

    jeunes, de

    prix peu élevé. Le sang

    de

    la

    victime

    doit

    couler

    sur

    le coupable,

    en particulier

    sur ses

    mains. Le sang du sacrifice

    lave le

    sang du

    crime. C est le

    criminel qui

    devrait être immolé.

    On lui substitue

    un animal qui

    est

    chargé de

    son

    impureté. Cette victime

    ne

    sera

    pas

    mangée, mais détruite ou rejetée. Le sacrifice

    est

    offert tantôt

    à un

    mort, tantôt

    à un dieu

    (p.

    90-92).

    La

    femme est aussi purifiée après

    l accouchement

    par

    un

    Les

    cités immolaient des animaux lorsque quelque crime

    collectif ou quelque fléau

    mettait

    le pays en danger. Les Béotiens

    coupaient

    en

    deux

    des

    petits

    chiens

    et

    passaient

    entre

    les

    morceaux.

    A certaines dates fixes, ou pour

    conjurer

    une

    calamité

    publique,

    on expulsait violemment de

    la

    cité des hommes, les

  • 8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs

    7/10

    42

    Les

    pythagoriciens purifiaient

    par des

    abstinences (au

    moins

    de fèves, à

    l époque classique),

    mais surtout par

    la musique et

    les

    spéculations sur

    les nombres, auxquels

    ils accordaient des

    significations religieuses (p. 1

    18-120).

    Bien

    entendu, les

    Orphiques

    foisonnent.

    Mais

    ce

    nom couvre

    une multiplicité de pratiques. « L orphisme est l ensemble des

    mystères grecs »

    (p.

    140). Beaucoup

    de

    charlatans se

    réclament

    de

    ce

    titre.

    On

    ordonne

    des

    invocations,

    des incantations, on

    fait

    cracher,

    mâcher

    du

    laurier...

    On

    attache une importance

    à

    la

    matérialité minutieuse des rites

    (p.

    141). L Orient

    déverse

    sur

    les quais

    du

    Pirée des

    pratiques bizarres et

    suspectes.

    M. M. ne

    croit

    pas impossible de dégager de

    ce

    tour d horizon

    quelques conclusions

    sur la

    nature de

    la souillure

    au moment où

    paraît

    Platon.

    L impureté n appartient

    certainement

    pas au corps seul, nous

    l avons

    dit. Elle

    n affecte

    pas

    davantage

    l âme

    seule.

    Cette

    est

    trop abstraite. Mais

    il

    y a une pureté

    et

    une impureté de

    l intention concrète.

    Il

    y a une

    souillure

    secrète ou interne, qui

    est la non-conformité

    de

    la conduite

    à

    la volonté des dieux,

    à

    la

    loi écrite, à

    d autres

    lois non-écrites qui s imposent peut-être

    aux dieux comme aux mortels.

    Le terme xocOapoç

    a aussi un

    sens

    intellectuel : celui de

    netteté, de sincérité, de

    vérité

    (p.

    169).

    Déjà chez Empédocle,

    sous l influence peut-être des pythagoriciens, nous trouvons cette

    idée

    que

    l exercice

    de

    la connaissance

    est

    la

    meilleure

    xàBapciç.

    C est la puissance

    de l esprit

    qui est

    symbolisée par les cultes

    mystérieux.

    Le sage est pur

    parce

    qu il s efforce

    de comprendre

    la nature du

    monde, celle de

    la haine et

    de l amitié,

    principe des

    choses

    et

    secret de nos destinées (p. 175).

    Pur

    et

    impur connotent des relations différentes aux dieux, des

    valeurs antinomiques du sacré. Y a-t-il des esprits maléfiques,

    des

    génies

    cruels

    et

    vengeurs

    ? M. M. ne

    croit

    pas qu à

    l époque

    classique

    les dcAàaTopsç appartiennent

    au monde

    divin

    (p.

    259-

    270).

    Il

    ne pense pas

    davantage

    que l idée d une faute originelle

    héritée des Titans et transmise par

    génération à

    l espèce

    humaine

    entière

    ait

    été

    alors

    acceptée.

    La

    pureté rapproche des dieux, les dieux purifient,

    surtout

    Apollon.

    Mais

    ils ne sont pas nécessairement exempts de

    souillure.

    Ils ont parfois des

    exigences

    qui

    entraînent

    des

    impuretés

    chez

    les mortels. Ils ne sont pas toujours

    d accord

    entre eux,

    ils

    changent

    quelquefois d avis.

    Devant cette incohérence

    et

    peut-

    être

    ces

    contradictions, le Grec soucieux

    de plaire

    aux dieux,

    devait

    souvent

    être perplexe.

    Même muni des

    réponses de

    l oracle

    ou des

    solutions

    des exégètes, il risquait

    de se perdre

    dans

  • 8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs

    8/10

    43

    l enchevêtrement des prescriptions

    et

    des rites. Platon

    va

    apporter

    dans cette confusion clarté

    et

    rigueur.

    Platon

    est

    sévère pour

    les

    fables

    qui

    attribuent

    aux dieux les

    passions

    des hommes. Pour

    lui, les

    dieux

    sont

    purs. Tout ce qui

    se

    réfère à

    eux, comme

    les

    rites, doit

    être

    pur. Tout ce qu ils

    inspirent et

    tout

    ce qui leur plaît est pur. Car ce qui leur plaît

    avant tout, c est une

    âme

    lucide et fidèle aux exigences

    de

    la

    justice (Eutyphrori).

    Les

    normes idéales sont

    supérieures

    aux

    dieux ; c est

    la contemplation

    des formes pures qui fait

    que

    les

    dieux sont dieux 1.

    L âme est donc pure dans la mesure où elle participe

    à

    l idée.

    Elle

    le fait par

    la

    pensée. La vertu

    est

    un effort vers

    la sagesse.

    Elle exige que la pensée

    se

    désolidarise

    de

    ce qui sans

    cesse

    ici-

    bas la

    corrompt,

    le corps

    (Phédon).

    Non que

    la

    matière

    soit

    en elle-même. Cette assertion n aurait probablement pas

    de

    sens, la matière ne pouvant être saisie à part et se réduisant à une

    limite.

    L impureté

    est dans la collusion

    de

    la pensée et

    de l anima-

    malité. «

    Le

    mal

    moral est

    un caractère matériel

    que

    l âme

    acquiert trop

    aisément

    »

    (p. 354). Le jugement est troublé et

    perverti. Telle est l origine

    de

    l illusion matérialiste, résumé

    de

    toute illusion, principe des attachements restrictifs et asser-

    vissants.

    La

    pureté est la libération du jugement et de la

    croyance,

    puisque l âme

    n est pas différente

    de

    la

    pensée.

    République

    et

    Philèbe ne

    sont

    pas

    en

    désaccord

    avec

    le

    Phédon.

    Le mal est la contamination

    de l esprit

    par les partialités

    de

    la

    vie

    organique.

    Mais cette dernière peut

    être

    sauvée par l idée. Il y a

    dans

    le corps,

    la

    sensation, le

    plaisir,

    l amour,

    un

    ordre positif à

    reconnaître,

    à

    promouvoir,

    à rectifier. La

    sensibilité

    sera purifiée

    par la musique. Les

    sciences empiriques

    seront

    transposées

    par

    les mathématiques.

    La

    pensée réglera désirs et

    plaisirs

    par la

    puissance soumise de

    l énergie

    vitale. Dans

    la

    cité lés sages

    régiront

    les

    travailleurs

    en

    s appuyant sur les guerriers.

    Les

    infra-rationnelles

    incapables de raisonner vivront le peu

    de

    raison

    dont

    elles

    sont capables

    en recevant la régulation

    de

    la

    pensée.

    La

    justice

    est

    l harmonie idéale

    qui

    descend

    de

    la

    sagesse

    vers

    la foule

    anarchique des désirs.

    Il

    faut donc que l esprit lui-

    même

    soit nourri

    et

    mesuré par

    la contemplation du

    Bien,

    foyer

    des

    proportions, inconditionné

    des

    valeurs. Les

    structures bien

    ajustées

    ne sont pas composées du

    dehors

    comme des

    choses

    inconscientes

    de leurs raisons, elles

    sont les expressions d une

    pensée

    qui

    de

    l intérieur se rattache

    à

    l Un,

    le vise,

    s expose

    à son

    efficacité

    normative.

    La conversion de l Un

    comporte une critique et

    un exercice

    dialectique rigoureux. C est

    ce

    que

    nous fournit

    le Parménide,

    en

    1. Phèdre,

    247

    d,

    249

    c.

  • 8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs

    9/10

    44

    lequel Platon épure sa théorie des formes

    et

    sa

    visée

    de

    l Un.

    Si

    c est

    un

    jeu, c est

    un «

    jeu sérieux

    », où

    ajuste titre

    « les

    verront toute une

    révélation »

    (p. 384). L Un échappe

    à

    toute qualification, à toute relation, à

    toute

    position

    ontologique.

    Les

    dialogues

    de

    vieillesse,

    surtout

    Sophiste

    et

    Philèbe

    et

    même

    à

    sa façon

    Tintée,

    poursuivent une

    critique

    de

    l intelligible

    que

    Plotin prolongera

    et

    qui manifeste

    dans

    les idées non-être, alté-

    rité,

    relation.

    Dans

    le

    Sophiste, la cathartique est une méthode

    de

    réfutation qui

    purge l âme de sa

    science supposée, rend

    l esprit à

    lui-même et lui dévoile une plénitude

    que

    seul

    le

    non-savoir

    peut délivrer.

    La pensée

    de

    Platon est une :

    tout

    ordre dépend

    de

    l esprit

    s exposant à

    l illumination

    de

    l Un-mesure. M. M. voit dans

    le

    Phédon un « excès

    d intellectualisme

    » (p. 420).

    Cet

    excès, s il

    existe,

    est celui

    de

    l œuvre entière

    de Platon,

    l auteur

    le reconnaît

    (ibid.). Certes

    jl

    est

    loisible

    à

    M. M.

    de

    préférer

    une

    philosophie

    plus « éthiciste

    ».

    Mais

    Platon ne

    serait

    pas Platon s il

    n avait

    professé

    jusqu au bout le

    xaxoç

    sxoov oùSeiç

    et l assimilation

    à

    Dieu par la pensée. Tout

    e

    platonisme est une

    intégration de

    ce

    qu il y

    avait de meilleur

    dans la

    religion

    alors vivante 2. Mais ce

    n est pas la

    religion

    qui est ramenée à

    un

    rationalisme, c est la

    réflexion qui est

    élevée

    à

    la

    hauteur d une religion. On ne va

    à

    Dieu

    que « par

    la voie

    étroite des formes

    pures

    »

    (p. 379).

    M. M. termine par quelques

    pages sur le

    problème

    si discuté

    de

    la

    xàôapcriç aristotélicienne. Aristote,

    dit-il,

    n est

    pas

    original

    sur

    ce point (p. 422). Sous l influence platonicienne et

    peut-être

    pythagoricienne, Aristote

    pense

    qu il

    y

    a

    analogie

    entre

    les

    médicales

    d une part, qui, infusant quelque nouvelle

    substance dans le corps, provoquent une

    réaction

    chassant les

    matières nocives et

    rétablissent

    ainsi l harmonie, et les

    chants

    sacrés d autre part qui allègent les hommes des passions. Une

    autre

    analogie existe

    entre ces chants

    sacrés et

    les

    œuvres

    d art

    cathartiques. Aristote ne guérit pas

    la

    passion par

    la

    passion,

    mais

    par la transposition ordonnée ou

    rythmée de

    la passion : une

    tempête

    ou une

    colère

    au

    théâtre

    sont œuvre

    de

    raison :

    Si

    le

    traitement

    des

    passions proposé

    par

    Aristote

    est,

    en

    un

    sens,

    homéopathique,

    il

    est, en

    un

    autre,

    allopathique,

    puisque

    c est le

    rythme qui guérit une matière

    déréglée

    (p. 419).

    Nous n avons

    pu

    donner une

    idée complète

    de

    la

    richesse,

    parfois touffue, de cet ouvrage. En particulier,

    il est

    impossible

    1. Tintée, 86

    d ;

    Lois, V, 731 c.

    2.

    M. M.

    note

    d ailleurs que Platon

    n a pu

    assimiler

    toute la cathartique légale

    et

    rituelle

    qu il

    maintient dans les Lois

    sans

    la justifier (p. 409-410).

  • 8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs

    10/10

    45

    de résumer les

    études philologiques

    qu il contient. Les traditions

    que l auteur a voulu saisir

    ne

    se laissent pas aisément

    systématiser.

    Dans

    la

    mesure

    elle

    était

    possible,

    la synthèse

    a

    été

    faite

    par

    Platon lui-même qui transpose sur un plan supérieur les rites

    et

    les aspirations de l âme grecque. La grandeur dePlaton

    est

    d avoir

    su

    comprendre

    et

    épurer l espérance éleusinienne, l harmonie

    apollinienne

    et

    même

    l exaltation

    dionysiaque.

    Jean

    Trouillard.