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8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs
1/10
Jean Trouillard
La Pureté chez les GrecsIn: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°2, juin 1954. pp. 37-45.
Citer ce document / Cite this document :
Trouillard Jean. La Pureté chez les Grecs. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°2, juin 1954. pp. 37-45.
doi : 10.3406/bude.1954.4604
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bude_0004-5527_1954_num_1_2_4604
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_bude_541http://dx.doi.org/10.3406/bude.1954.4604http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bude_0004-5527_1954_num_1_2_4604http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bude_0004-5527_1954_num_1_2_4604http://dx.doi.org/10.3406/bude.1954.4604http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_bude_541
8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs
2/10
La
pureté
chez les Grecs
II y a chez Platon des pages séduisantes
sur la
pureté
et la
de l âme. Le
pouvoir
singulier
que
ces textes ont
sur
nous
vient
peut-être
de
ce
qu ils sont à
la fois
religieux
et
Nulle
part,
en effet,
Platon
ne
se sent
plus divinement
inspiré
et
ne se
montre
plus impatient d assimilation divine. Et
c est par
la
réflexion,
la
sagesse, l ascèse noétique, qu il veut
libérer l âme
et faire
régner
la
pureté, même
en ce qui semble
le
plus
étranger
à
la
clarté
et
à
la
proportion.
Le
même
mouvement se
retrouve
dans les Ennéades, d après
lesquelles
l accueil
de l illumination divine
est
le grand
moyen
de
purification. Mais,
prolongeant
la
dernière doctrine
de Platon qui
découvrait
à
l intérieur des idées
négativité
et complexité,
Plotin
discerne
une nouvelle sorte d impureté dans l intelligible lui-
même et nous invite
à le surmonter
pour
une
mystique
Or
ni Platon ni son disciple ne
croient innover.
Ils se flattent au
contraire
de dévoiler le sens caché de
très
anciennes traditions :
^Tcep toxXoci. èv tco Xoytp XeysTat.
(Phédon, 67
c) — aocpàc, 8k
Upstiç
tô
atvtyjjLa
ctimsIç
(Ennéades, VI,
9.11.28).
Ils
dégagent
la
vérité des figures, mais
une
vérité
qui reste, pour
eux, un mystère
de
salut.
On ne peut donc comprendre pleinement platonisme
ni
néoplatonisme si l on ne cherche pas à
restituer
les données de
« l énigme » qu ils s efforçaient d élucider, si
l on ne
tente
pas
de
savoir ce que les Grecs mettaient sous les nombreux mots qui
signifiaient chez
eux
«
pur
»
et
« impur », d Homère à Platon.
Telle est
la
tâche que s est
assignée
M. Louis Moulinier
x.
Après
E. Rohde,
Franz Cumont,
E.
R. Dodds, le
P.
Festugière, Pierre
Boyancé, Mlle Jeanne
Croissant,
Pierre-Maxime
Schuhl
et
quelques
autres,
M. M.
a
interrogé
méthodiquement
les
que nous
possédons sur ces
croyances
obscures,
complexes
mais vives. Loin de se limiter aux déclarations explicites des
poètes, dramaturges, historiens, il
a
voulu restituer
les affirmations
dont usages et lois sont invisiblement chargés.
A vrai dire,
ce
qui dut être
pour l auteur
travail de longue
patience
devient
pour nous périple
plein de charmes. Nous
sommes conduits dans
les sanctuaires
et
les
cités
les
plus
de
la Grèce antique.
Nous faisons halte
dans quelques sites
. Le
pur
et
l impur dans la
pensée des Grecs
d Homère
à Aristote,
in-8°,
449
pages.
Paris, Klincksieck, 1952.
8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs
3/10
38
prestigieux. Nous
assistons
aux gestes
officiels
de
la vie publique
mais aussi
aux
démarches de la vie quotidienne.
Nous visitons
avec M. M.
les fouilles de Crète,
en
particulier
celles
de
Knossos
et
de
Phaïstos. Devant
les
salles
basses
de ces
palais qui ressemblent beaucoup à des
temples, nous nous
si elles n abritaient pas des bains ou des ablutions de
sacré
(p. 22-24) •
Dans le cadre sauvage de
Mycènes, nous
évoquons
la
cascade
d impuretés qui
déferle sur la
lignée des Atrides. L immolation
d Iphigénie
entraîne
celle d Agamemnon qui, elle-même, aboutit
à
la mort violente de
Clytemnestre
et d Égisthe. Mais des trois
meurtriers
la
culpabilité
est
inégale, puisqu Oreste a
été
inspiré
par Apollon qui
finit
par arracher le jeune homme
auxÉrynies, en
le purifiant ou
en
faisant reconnaître sa pureté
(p.
193-194).
Dans
la
pure
lumière de
l Egée, à Délos,
c est
encore
au
nom
de la pureté due à Apollon que Pisistrate fait retirer les restes
mortuaires inhumés en
vue
du sanctuaire. Sans
doute
les raisons
politiques n étaient pas étrangères à cette exigence. Mais le fait
que
le
chef athénien
ait
pu la présenter comme une
prescription
rituelle montre
qu il
existait sur ce point une loi ou une coutume
(p.
49). Dans
l hiver 426-425
il fut
également interdit aux femmes
de
mettre
leurs enfants au
monde
dans l île sainte (p.
68).
Sur
les escarpements
de Delphes,
on
honore
également
Apollon. Ce dieu indique justement par son oracle ce qu il faut
faire pour se purifier. On va le
consulter
dans les cas les plus
(p. 310-318).
Ses
réponses
ne
sont
pas
toujours
claires.
Cependant il guérit
;
il
punit
aussi, et
de façon
cuisante. Il est
invoqué
comme
à7UOTp6Tcouoç
contre
les malheurs. Il
ordonne
des
rites
cathartiques.
On
purifie
d ailleurs
chaque jour
son
temple par
le laurier
et
l eau de
la fontaine
Castalie
(p. 104-105). On ne
peut
user sans
souillure
de
ce qui
appartient au dieu
et
à ses ministres.
C est le cas de
la plaine
sacrée par laquelle l étroite vallée de
Delphes
s ouvre sur
un repli du golfe de Corinthe. Cette plaine
avait
été conquise sur
les Cyrrhéens
et il
était interdit désormais
de la cultiver (p.
47). Mais
la
pureté exigée n est
pas seulement
rituelle
ou juridique comme le prouve le
yvcoOi aauxov. L idée
d une
pureté
du cœur
et
de
l esprit n est
pas
inconnue
des
Grecs
anciens. Hésiode
recommandait déjà
de « tenir
son
cœur » à l écart
des fautes
(p.
36
et 316),
tandis qu à
Épidaure,
dans l admirable
site où Asclépios multipliait ses
bienfaits,
il était
recommandé
de
9povetv ocnoc (p. 102).
De Delphes à Athènes,
la
route passe par
la
riche. Thèbes de
Béotie. Recueillons donc
au passage
la
leçon de cette
cité
qui
devait
être
heureuse et qui
accumula
les malheurs.
Elle
fut en effet
souillée
par les fautes de ses
chefs (Œdipe,
Étéocle,
Polynice,
8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs
4/10
—
39
—
Créon),
comme l Argolide par la vengeance
de
Clytemnestre
(p.
216).
En
nous
rapprochant
d Athènes
nous
rencontrons
le
grand
centre d initiations d Eleusis. Nous trouvons
là
encore des rites
cathartiques qui ne sont pas toujours accomplis
sur
place, mais
appartiennent
aux mystères
éleusiniens
abstinences, processions,
bain
à
Phalère accompli en
portant
avec
soi un
petit
porc
qui sera
ensuite
sacrifié.
Un bain dans l IIissos paraît improbable,
à
moins
que
Déméter n envoie
quelque grande pluie (p. 124). Ces rites,
eux
aussi, ne visent pas une pureté seulement externe. Le
visuel
des initiations (les épopties) montre que
ce
qui
est
cherché c est
un
renouvellement
de l esprit
:
Platon
ne
voit
pas
la
valeur morale
des
purifications
d Eleusis
dans
un accroissement de vertu
qu elles
produiraient, mais
dans leur
ressemblance
avec l effort de
l esprit
qui se débarrasse de la matière
pour s élever à
la
contemplatiën de l Idée (p. 125).
Quand l Assemblée du
peuple
se réunissait sur la Pnyx
d Athènes, elle était également
purifiée
par le sacrifice
d un
Le sacrificateur aspergeait les sièges avec le sang de
la
victime.
D autres lieux
de réunion,
par exemple
les sanctuaires
et les
théâtres,
étaient lavés
de leurs
souillures par
le même
procédé et par des aspersions d eau lustrale (p. 99-101).
Ces exemples, glanés parmi tant d autres, suffisent
à
nous
convaincre
que
les
faits
résisteront
à
une
théorie
trop
simple
de
là
purification.
On est impur pour bien des
raisons.
On
l est
d abord
quand
on est sale
de
corps et
de
vêtements. Encore
aujourd hui
en Grèce,
xaGapoç
signifie
« propre
». Il en
était
déjà
ainsi chez
Homère et
chez
Hésiode.
Mais
l hygiène dans ce
pays n a
pas une
exclusivement utilitaire
:
Je crains
que nous ne puissions jamais
comprendre
ce qu était la
pureté
pour
un Grec
si nous
n admettons
pas, fût-ce un
moment,
que
la
propreté physique
a,
par elle-même, une valeur
morale
et
(p.
33).
Les
héros
d Homère
se
baignent
beaucoup,
par exemple avant
le repas ou avant
d accomplir un
acte cultuel.
On
peut être impur parce
qu on
a
touché
un
cadavre
ou un
tombeau, parce
qu on
a négligé de rendre à un mort les honneurs
auxquels il
a
droit. Les rites
funéraires sont
des
purifications,
depuis
les
libations
jusqu aux
jeux (p. 205-212). On est impur
quand on appartient
à
une
famille,
à une maison,
à
une
cité
en
lesquelles
il
y
a un
mort. A Sparte,
la
mort d un
roi
rend
impures
deux
personnes
par demeure (p. 76-80).
Les relations sexuelles, normales ou
anormales, n apportent
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5/10
—
4°
—
pas
de
souillures par elles-mêmes, sauf l adultère, le viol, la
prostitution, l acte
accompli
dans
un
lieu
ou
dans
un
temps
prohibé. Ce
qui est
impur,
c est
le trouble des
sens, la
déraison,
que le désordre sexuel provoque
dans
l homme.
La
valeur
interne
de
la
chasteté
apparaît
ici,
mais
nous
ne
voyons point
que
les
Grecs aient conseillé
la
virginité absolue
(p. 189-205, p.
64-65).
L accouchement
provoque également une
impureté pendant
dix
jours, surtout
la fausse-couche,
non
seulement chez la femme,
mais aussi chez
tous
ceux qui assistent à
la
naissance. C est
pourquoi
il est
interdit aux femmes de
mettre
au monde des
enfants dans les sanctuaires,
sur
l Acropole, dans les lieux sacrés
(p.
66-71).
Plus
impur est
le meurtrier.
L intention
de
tuer
ici
ne
suffit
pas, ni la blessure. Il faut
que
mort s ensuive. Inversement la
mort
donnée
sans
intention
mauvaise,
sans
faute
de négligence
ou d imprudence,
ne
paraît pas souiller
son
auteur. Le
soldat
au
combat n est pas impur.
Il
y a des cas-limites comme celui
d Œdipe ou comme celui d Oreste. Apollon
sur
ce dernier point
n est pas d accord avec les Érynies. Dans les cas douteux, lois
et
tribunaux
s efforcent
de trancher (p. 176-198). Le meurtre
contamine
son
auteur, mais
aussi l entourage du
coupable, sa
famille,
ceux
qui
habitent
avec lui,
sa
cité, son
pays. Si
la
victime
est
un
parent du meurtrier,
si elle
est
un hôte de sa maison, le
clan
est
particulièrement souillé (p. 232-233). Un crime collectif
contamine encore plus gravement tout un peuple (p.
94).
Les plus
proches
parents
de
la
victime sont
obligés
de
poursuivre
l assassin
sous peine
de
contracter une impureté. L État ne fait que garantir
et
modérer
ce droit (p. 231).
La cité
est d ailleurs impure si elle
ne prend pas une sanction contre le coupable. Des fléaux
la
menacent. Elle
jugera donc
le
meurtrier, en plein air (on ne peut
plus vivre sous
le même
toit
que
lui),
elle le
condamnera au
moins à l exil (p. 81). Il pourra
être
reçu dans
un autre pays
moyennant certaines précautions,
car
l impureté
est locale.
La
vie d un
groupe
implique une communion, une solidarité
que
que
le
coupable par son
geste a
brutalement rompue. Achille qui
a
tué
Thersite
va se purifier
à
Lesbos où il
offre un
sacrifice (p. 42).
Pour la
même
raison,
on
ne
condamnera pas
le
meurtrier
qui a
reçu le pardon
de
sa victime mourante (p.
84).
Mais une faute,
ni pardonnée, ni
réparée,
appellerait d autres
fautes
et une chaîne
de
malheurs. Rien
ne nous dit d ailleurs
que
la souillure
se
transmette par génération. Les dieux restent longtemps
et
sans doute
l équilibre psychologique
une fois
perdu
est-il
difficile
à
rétablir (p. 237). Il y
a
une
logique
de la
démesure.
En
tout
cas
il
n est pas de
race
humaine
ni
d espèce
animale qui
soit
en
elle-même impure
(p. 228).
8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs
6/10
Tels sont
les
principaux
cas de souillure. Mais
évidemment
sont
impurs
tous les actes que les dieux et les lois proclament tels,
et
il
en
est
beaucoup.
Les procédés
cathartiques sont
eux-mêmes très
divers.
Le plms
spuvent on recourt aux bains et ablutions. De ce point de vue, on
reconnaît au bain de mer une valeur particulière.
Tous
les ans
on purifiait ainsi à
Phalère la
statue
d Athéna (p.
105).
Les
les centres de pèlerinage
ont
des
sources,
des
piscines,
des
bassins. On ne
puise
pas à
n importe
quelle source l eau lustrale
qui est utilisée dans
la
partie
préparatoire des
sacrifices
(p. 71).
Les
sacrifices
sont, eux
aussi, des moyens privilégiés de
Ils
sont
utilisés,
par
exemple,
pour
la
réconciliation
du
meurtrier. On immole
ordinairement
des animaux
jeunes, de
prix peu élevé. Le sang
de
la
victime
doit
couler
sur
le coupable,
en particulier
sur ses
mains. Le sang du sacrifice
lave le
sang du
crime. C est le
criminel qui
devrait être immolé.
On lui substitue
un animal qui
est
chargé de
son
impureté. Cette victime
ne
sera
pas
mangée, mais détruite ou rejetée. Le sacrifice
est
offert tantôt
à un
mort, tantôt
à un dieu
(p.
90-92).
La
femme est aussi purifiée après
l accouchement
par
un
Les
cités immolaient des animaux lorsque quelque crime
collectif ou quelque fléau
mettait
le pays en danger. Les Béotiens
coupaient
en
deux
des
petits
chiens
et
passaient
entre
les
morceaux.
A certaines dates fixes, ou pour
conjurer
une
calamité
publique,
on expulsait violemment de
la
cité des hommes, les
8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs
7/10
—
42
—
Les
pythagoriciens purifiaient
par des
abstinences (au
moins
de fèves, à
l époque classique),
mais surtout par
la musique et
les
spéculations sur
les nombres, auxquels
ils accordaient des
significations religieuses (p. 1
18-120).
Bien
entendu, les
Orphiques
foisonnent.
Mais
ce
nom couvre
une multiplicité de pratiques. « L orphisme est l ensemble des
mystères grecs »
(p.
140). Beaucoup
de
charlatans se
réclament
de
ce
titre.
On
ordonne
des
invocations,
des incantations, on
fait
cracher,
mâcher
du
laurier...
On
attache une importance
à
la
matérialité minutieuse des rites
(p.
141). L Orient
déverse
sur
les quais
du
Pirée des
pratiques bizarres et
suspectes.
M. M. ne
croit
pas impossible de dégager de
ce
tour d horizon
quelques conclusions
sur la
nature de
la souillure
au moment où
paraît
Platon.
L impureté n appartient
certainement
pas au corps seul, nous
l avons
dit. Elle
n affecte
pas
davantage
l âme
seule.
Cette
est
trop abstraite. Mais
il
y a une pureté
et
une impureté de
l intention concrète.
Il
y a une
souillure
secrète ou interne, qui
est la non-conformité
de
la conduite
à
la volonté des dieux,
à
la
loi écrite, à
d autres
lois non-écrites qui s imposent peut-être
aux dieux comme aux mortels.
Le terme xocOapoç
a aussi un
sens
intellectuel : celui de
netteté, de sincérité, de
vérité
(p.
169).
Déjà chez Empédocle,
sous l influence peut-être des pythagoriciens, nous trouvons cette
idée
que
l exercice
de
la connaissance
est
la
meilleure
xàBapciç.
C est la puissance
de l esprit
qui est
symbolisée par les cultes
mystérieux.
Le sage est pur
parce
qu il s efforce
de comprendre
la nature du
monde, celle de
la haine et
de l amitié,
principe des
choses
et
secret de nos destinées (p. 175).
Pur
et
impur connotent des relations différentes aux dieux, des
valeurs antinomiques du sacré. Y a-t-il des esprits maléfiques,
des
génies
cruels
et
vengeurs
? M. M. ne
croit
pas qu à
l époque
classique
les dcAàaTopsç appartiennent
au monde
divin
(p.
259-
270).
Il
ne pense pas
davantage
que l idée d une faute originelle
héritée des Titans et transmise par
génération à
l espèce
humaine
entière
ait
été
alors
acceptée.
La
pureté rapproche des dieux, les dieux purifient,
surtout
Apollon.
Mais
ils ne sont pas nécessairement exempts de
souillure.
Ils ont parfois des
exigences
qui
entraînent
des
impuretés
chez
les mortels. Ils ne sont pas toujours
d accord
entre eux,
ils
changent
quelquefois d avis.
Devant cette incohérence
et
peut-
être
ces
contradictions, le Grec soucieux
de plaire
aux dieux,
devait
souvent
être perplexe.
Même muni des
réponses de
l oracle
ou des
solutions
des exégètes, il risquait
de se perdre
dans
8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs
8/10
—
43
—
l enchevêtrement des prescriptions
et
des rites. Platon
va
apporter
dans cette confusion clarté
et
rigueur.
Platon
est
sévère pour
les
fables
qui
attribuent
aux dieux les
passions
des hommes. Pour
lui, les
dieux
sont
purs. Tout ce qui
se
réfère à
eux, comme
les
rites, doit
être
pur. Tout ce qu ils
inspirent et
tout
ce qui leur plaît est pur. Car ce qui leur plaît
avant tout, c est une
âme
lucide et fidèle aux exigences
de
la
justice (Eutyphrori).
Les
normes idéales sont
supérieures
aux
dieux ; c est
la contemplation
des formes pures qui fait
que
les
dieux sont dieux 1.
L âme est donc pure dans la mesure où elle participe
à
l idée.
Elle
le fait par
la
pensée. La vertu
est
un effort vers
la sagesse.
Elle exige que la pensée
se
désolidarise
de
ce qui sans
cesse
ici-
bas la
corrompt,
le corps
(Phédon).
Non que
la
matière
soit
en elle-même. Cette assertion n aurait probablement pas
de
sens, la matière ne pouvant être saisie à part et se réduisant à une
limite.
L impureté
est dans la collusion
de
la pensée et
de l anima-
malité. «
Le
mal
moral est
un caractère matériel
que
l âme
acquiert trop
aisément
»
(p. 354). Le jugement est troublé et
perverti. Telle est l origine
de
l illusion matérialiste, résumé
de
toute illusion, principe des attachements restrictifs et asser-
vissants.
La
pureté est la libération du jugement et de la
croyance,
puisque l âme
n est pas différente
de
la
pensée.
République
et
Philèbe ne
sont
pas
en
désaccord
avec
le
Phédon.
Le mal est la contamination
de l esprit
par les partialités
de
la
vie
organique.
Mais cette dernière peut
être
sauvée par l idée. Il y a
dans
le corps,
la
sensation, le
plaisir,
l amour,
un
ordre positif à
reconnaître,
à
promouvoir,
à rectifier. La
sensibilité
sera purifiée
par la musique. Les
sciences empiriques
seront
transposées
par
les mathématiques.
La
pensée réglera désirs et
plaisirs
par la
puissance soumise de
l énergie
vitale. Dans
la
cité lés sages
régiront
les
travailleurs
en
s appuyant sur les guerriers.
Les
infra-rationnelles
incapables de raisonner vivront le peu
de
raison
dont
elles
sont capables
en recevant la régulation
de
la
pensée.
La
justice
est
l harmonie idéale
qui
descend
de
la
sagesse
vers
la foule
anarchique des désirs.
Il
faut donc que l esprit lui-
même
soit nourri
et
mesuré par
la contemplation du
Bien,
foyer
des
proportions, inconditionné
des
valeurs. Les
structures bien
ajustées
ne sont pas composées du
dehors
comme des
choses
inconscientes
de leurs raisons, elles
sont les expressions d une
pensée
qui
de
l intérieur se rattache
à
l Un,
le vise,
s expose
à son
efficacité
normative.
La conversion de l Un
comporte une critique et
un exercice
dialectique rigoureux. C est
ce
que
nous fournit
le Parménide,
en
1. Phèdre,
247
d,
249
c.
8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs
9/10
—
44
—
lequel Platon épure sa théorie des formes
et
sa
visée
de
l Un.
Si
c est
un
jeu, c est
un «
jeu sérieux
», où
ajuste titre
« les
verront toute une
révélation »
(p. 384). L Un échappe
à
toute qualification, à toute relation, à
toute
position
ontologique.
Les
dialogues
de
vieillesse,
surtout
Sophiste
et
Philèbe
et
même
à
sa façon
Tintée,
poursuivent une
critique
de
l intelligible
que
Plotin prolongera
et
qui manifeste
dans
les idées non-être, alté-
rité,
relation.
Dans
le
Sophiste, la cathartique est une méthode
de
réfutation qui
purge l âme de sa
science supposée, rend
l esprit à
lui-même et lui dévoile une plénitude
que
seul
le
non-savoir
peut délivrer.
La pensée
de
Platon est une :
tout
ordre dépend
de
l esprit
s exposant à
l illumination
de
l Un-mesure. M. M. voit dans
le
Phédon un « excès
d intellectualisme
» (p. 420).
Cet
excès, s il
existe,
est celui
de
l œuvre entière
de Platon,
l auteur
le reconnaît
(ibid.). Certes
jl
est
loisible
à
M. M.
de
préférer
une
philosophie
plus « éthiciste
».
Mais
Platon ne
serait
pas Platon s il
n avait
professé
jusqu au bout le
xaxoç
sxoov oùSeiç
et l assimilation
à
Dieu par la pensée. Tout
e
platonisme est une
intégration de
ce
qu il y
avait de meilleur
dans la
religion
alors vivante 2. Mais ce
n est pas la
religion
qui est ramenée à
un
rationalisme, c est la
réflexion qui est
élevée
à
la
hauteur d une religion. On ne va
à
Dieu
que « par
la voie
étroite des formes
pures
»
(p. 379).
M. M. termine par quelques
pages sur le
problème
si discuté
de
la
xàôapcriç aristotélicienne. Aristote,
dit-il,
n est
pas
original
sur
ce point (p. 422). Sous l influence platonicienne et
peut-être
pythagoricienne, Aristote
pense
qu il
y
a
analogie
entre
les
médicales
d une part, qui, infusant quelque nouvelle
substance dans le corps, provoquent une
réaction
chassant les
matières nocives et
rétablissent
ainsi l harmonie, et les
chants
sacrés d autre part qui allègent les hommes des passions. Une
autre
analogie existe
entre ces chants
sacrés et
les
œuvres
d art
cathartiques. Aristote ne guérit pas
la
passion par
la
passion,
mais
par la transposition ordonnée ou
rythmée de
la passion : une
tempête
ou une
colère
au
théâtre
sont œuvre
de
raison :
Si
le
traitement
des
passions proposé
par
Aristote
est,
en
un
sens,
homéopathique,
il
est, en
un
autre,
allopathique,
puisque
c est le
rythme qui guérit une matière
déréglée
(p. 419).
Nous n avons
pu
donner une
idée complète
de
la
richesse,
parfois touffue, de cet ouvrage. En particulier,
il est
impossible
1. Tintée, 86
d ;
Lois, V, 731 c.
2.
M. M.
note
d ailleurs que Platon
n a pu
assimiler
toute la cathartique légale
et
rituelle
qu il
maintient dans les Lois
sans
la justifier (p. 409-410).
8/19/2019 Pureté Chez Les Grecs
10/10
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45
—
de résumer les
études philologiques
qu il contient. Les traditions
que l auteur a voulu saisir
ne
se laissent pas aisément
systématiser.
Dans
la
mesure
où
elle
était
possible,
la synthèse
a
été
faite
par
Platon lui-même qui transpose sur un plan supérieur les rites
et
les aspirations de l âme grecque. La grandeur dePlaton
est
d avoir
su
comprendre
et
épurer l espérance éleusinienne, l harmonie
apollinienne
et
même
l exaltation
dionysiaque.
Jean
Trouillard.