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Éditorial Quand la professionnalisation ne se joue (pas) que dans les amphis Jean-Frédéric Vergnies Rédacteur en chef Avec les directives européennes et les récentes lois ministérielles, la professionnalisation est affirmée comme une mission importante de l’enseignement supérieur. Derrière une apparente évidence, la professionnalisation recèle de multiples formes. Qu’en est-il du rôle de l’injonction européenne à la professionnalisation ? Les comparai- sons entre la France et la République tchèque et, d’autre part, la France et l’Italie, menées respectivement par Josef Kavka et Ruggero Iori, révèlent de fortes disparités en la matière. Elles montrent l’importance des orientations différenciées des logiques institutionnelles et du corps enseignant. Au niveau individuel, Catherine Béduwé et Virginie Mora montrent la diversité des pro- fils de professionnalité des étudiants. Au-delà du diplôme de fin d’études, cette diversité résulte de l’accumulation différenciée des compétences et des signaux. Poursuivre un même diplôme, en formation classique ou en alternance, modifie par- fois, mais pas toujours, la professionnalité des étudiants, d’après Nathalie Beaupère, Xavier Collet et Sabina Issehnane. Selon les spécialités, le segment du marché de l’emploi visé, et aussi les modes de sélection à l’entrée, le passage par l’alternance améliore souvent les chances d’accéder à un emploi à durée indéterminée, mais en même temps, il peut diminuer la probabilité d’accéder à un emploi de cadre. Approfondissant la dynamique d’offre des formations en alternance, Arnaud Pierrel sou- ligne que le développement des formations en apprentissage dépend largement du fonc- tionnement, très divers, des établissements et de leur contexte concurrentiel local. De manière similaire, s’agissant de la place limitée de la formation continue à l’université, Isabelle Borras et Nathalie Bosse montrent le rôle prépondérant des logiques internes au système éducatif. En comparant la France et le Québec, Pierre Doray et Christelle Manifet 433170010_INT_fomation emploi.pdf - Juin 30, 2017 - 16:35:00 - 1 sur 230 - 175 x 250 mm - BAT DILA

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Éditorial

Quand la professionnalisation ne se joue (pas) que dans les amphis

Jean-Frédéric VergniesRédacteur en chef

Avec les directives européennes et les récentes lois ministérielles, la professionnalisation est a�rmée comme une mission importante de l’enseignement supérieur. Derrière une apparente évidence, la professionnalisation recèle de multiples formes.

Qu’en est-il du rôle de l’injonction européenne à la professionnalisation ? Les comparai-sons entre la France et la République tchèque et, d’autre part, la France et l’Italie, menées respectivement par Josef Kavka et Ruggero Iori, révèlent de fortes disparités en la matière. Elles montrent l’importance des orientations di�érenciées des logiques institutionnelles et du corps enseignant.

Au niveau individuel, Catherine Béduwé et Virginie Mora montrent la diversité des pro-�ls de professionnalité des étudiants. Au-delà du diplôme de �n d’études, cette diversité résulte de l’accumulation di�érenciée des compétences et des signaux.

Poursuivre un même diplôme, en formation classique ou en alternance, modi�e par-fois, mais pas toujours, la professionnalité des étudiants, d’après Nathalie  Beaupère, Xavier Collet et Sabina Issehnane. Selon les spécialités, le segment du marché de l’emploi visé, et aussi les modes de sélection à l’entrée, le passage par l’alternance améliore souvent les chances d’accéder à un emploi à durée indéterminée, mais en même temps, il peut diminuer la probabilité d’accéder à un emploi de cadre.

Approfondissant la dynamique d’o�re des formations en alternance, Arnaud Pierrel sou-ligne que le développement des formations en apprentissage dépend largement du fonc-tionnement, très divers, des établissements et de leur contexte concurrentiel local.

De manière similaire, s’agissant de la place limitée de la formation continue à l’université, Isabelle Borras et Nathalie Bosse montrent le rôle prépondérant des logiques internes au système éducatif. En comparant la France et le Québec, Pierre Doray et Christelle Manifet

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précisent ces logiques et leurs mécanismes, en soulignant l’importance des dynamiques sociétales. S’intéressant, in �ne, aux pratiques des enseignants, ici dans le cas embléma-tique du tutorat des étudiants en IUT 1, Stéphanie Tralongo rappelle que la professionna-lisation constitue un dé� pour nombre d’enseignants.

En postface, Vincent Carpentier, mobilisant à la fois une approche économique, histo-rique et comparative, souligne la forte in�uence des structures de �nancement sur la mis-sion de professionnalisation de l’enseignement supérieur.

Ainsi, à nouveau 2, ce dossier rappelle la nécessité, dans l’analyse, de l’hybridation des logiques et des niveaux. Les formes de la professionnalisation relèvent, en partie, des ins-titutions européennes, nationales, et des établissements avec leurs acteurs, mais aussi des contextes locaux éducatifs ou économiques, ou encore des dynamiques individuelles et des processus de socialisation.

Bonne lecture.

1 Instituts universitaires de technologie.2 Voir Formation Emploi, n° 117, « Enseignement supérieur : les dé�s de la professionnalisation », jan-vier-mars 2012 et n° 132, « Enseignement supérieur et mondes économiques : de nouveaux éclairages », octobre-décembre 2015.

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Sommaire

DOSSIER« La professionnalisation dans l’enseignement supérieur : formes et effets variés »

p. 7

p. 19

p. 39

p. 59

p. 79

Introduction - Professionnalisation dans l’enseignement supérieur : des attendus institutionnels à leur mise en œuvrec. crespy, ph. lemistre

Comment la professionnalisation à l’université s’articule aux initiatives européennes et internationales. Une comparaison France/ République tchèqueJ.  kavka

Entre universitarisation et « professionnalisation » : la formation des assistant-e-s de service social, en France et en Italier. iori

De la professionnalité des étudiants à leur employabilité, n’y a-t-il qu’un pas ?c. béduwé, v. mora

L’alternance à l’université, quel effet propre sur l’insertion ?n. beaupère, x. collet, s. issehnane

La mosaïque de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur : structuration et croissance de l’offre de placesarnaud pierrel

Les universités françaises à l’heure de la formation tout au long de la vie : une ultime chance d’ouverture aux adultes ?i. borras, n. bosse

La professionnalisation des universités par la formation continue des adultes : une comparaison Québec-Francep. doray, c. manifet

p. 99

p. 139

p. 117

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p. 165

p. 185

Les numéros de Formation Emploi depuis 2013 sont disponibles en format électronique en accès payant sur le portail Cairn : http://www.cairn.info/revue-formation-emploi.htm

Pour les années 2006-2012, les numéros sont en libre accès sur le portail Revues.org : http://formationemploi.revues.org/

Les numéros avant 2006 sont en libre accès sur le site du Céreq : http://www.cereq.fr/index.php/Pages_doc/Actualites-de-la-Doc/Formation-emploi-archives

Pour s’abonner ou acheter un numéro papier de Formation Emploi à la Documentation française : http://www.ladocumentationfrancaise.fr ou s’adresser à la librairie 29-31, quai Voltaire - 75344 Paris Cedex 07 Tél. 01 40 15 71 10.

N.B. : Les articles n’engagent que leurs auteurs et non le Céreq.

Fabriquer / devenir un enseignant du supérieur professionnalisant. Le tutorat en IUTs. tralongo

Postface - Logiques d’expansion de l’enseignement supérieur, modèle de financement et professionnalisation : une approche historiquev. carpentier

Bibliographie

Note de lecturePrésentation de l’ouvrage de J. Thiévenaz, De l’étonnement à l’apprentissage, enquêter pour mieux comprendrej. rose

Résumés en allemand

Résumés en espagnol

Bon de commandeLectures

La rubrique « Lectures » est désormais consultable au format électronique, sur http://www.cairn.info/revue-formation-emploi.htm

Note de la rédaction Les auteurs d’anciens numéros (ou leurs ayants droits) sont invités à contacter Formation Emploi afin d’autoriser la revue à divulguer

p. 215

p. 203

p. 221

p. 225

p. 229

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Introduction

Professionnalisation dans l’enseignement supérieur : des attendus institutionnels à leur mise en œuvre

CÉCILE CRESPY Professeure de science politique, Sciences Po Toulouse, LaSSP (Laboratoire des sciences sociales

du politique), université de Toulouse

PHILIPPE LEMISTRESociologue-économiste, ingénieur de recherche HDR Céreq, au Certop (Centre d’étude et de

recherche Travail, Organisation, Pouvoir - UMR CNRS et université Jean-Jaurès) - Centre associé Céreq de Toulouse

La professionnalisation constitue l’un des marqueurs des réformes entreprises ces dernières années à l’université et dans les établissements d’enseignement supérieur (Stavrou, 2011), soit pour en regretter la faiblesse, soit pour en constater la trop grande importance.

Une abondante littérature tente précisément d’en rendre compte (Agulhon et al., 2012 ; Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 2011 ; Quenson et Coursaget, 2012 ; Soulié, 2015). La professionnalisation n’est pas en soi nouvelle. Par exemple, en France, dès la �n du XIXème siècle, des instituts techniques voient le jour dans les facultés de sciences et forment techniciens et ingénieurs dans un cadre universitaire. Certaines facultés sont orientées vers la formation de futurs praticiens, comme en droit et méde-cine (Charle, Verger, 2012 ; Grossetti, 1995).

La question de la professionnalisation connaît néanmoins un élargissement qui accom-pagne une évolution des publics, sans commune mesure avec la situation du XIXème siècle. Professionnalisation et explosion scolaire vont de pair, dès les années 1960, (Agulhon, 2012), avec la création des �lières comme les Instituts universitaires de technologie (IUT) ou les sections de techniciens supérieurs (STS). La question s’est diversi�ée, ce dont rend compte notamment l’évolution des discours et des politiques ministérielles du XIXème siècle à aujourd’hui. La professionnalisation ne concerne pas seulement quelques �lières, mais embrasse désormais l’ensemble des formations.

La professionnalisation s’est récemment développée dans un contexte où l’analyse de la perte de compétitivité de l’Europe s’articule à un discours sur l’e�cacité des formations supérieures à développer l’employabilité des étudiants. La question de la profession-nalisation dans l’enseignement supérieur tend alors vers une conception plus large qui englobe les notions d’employabilité et de compétences tant professionnelles que sociales (Gayraud, Simon-Zarca, 2011). Du côté du système éducatif, que ce soit au niveau européen ou à un niveau plus national, avec l’adoption de la loi relative aux libertés et

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DOSSIER

responsabilités des universités en 2007 (LRU)1, les réformes sont convergentes et quasi-concomitantes, du moins pour l’harmonisation des diplômes. Le processus de Bologne implique en e�et une telle harmonisation et induit de penser les diplômes en termes de dé�nition des compétences. Ainsi, la convergence se traduit par la réalisation, tou-jours en cours, du cadre européen des certi�cations : Européen Quali�cations Framework (EQF). Ce dernier vise à classer toutes les formations des pays membres en sept niveaux répartis sur trois catégories : « Knowledge, skills, competences ». La prise en compte expli-cite des compétences inscrit l’EQF dans le cadre plus large de la sécurisation des par-cours reposant sur la logique « compétences ».

En France, cette démarche est en cours avec l’inscription désormais obligatoire de tous les diplômes au Répertoire national des certi�cations professionnelles (RNCP), dans lequel les connaissances sont traduites en compétences. La relation entre formation et emploi serait alors clari�ée par la mise en correspondance des compétences acquises inventoriées et requises dans les emplois. Cette démarche s’inscrit dans un long pro-cessus institutionnel d’appropriation par le système éducatif français de la logique « compétences » (Ropé et Tanguy, 1994). La logique s’étend au-delà des seuls contenus de formation et entend prendre en compte les compétences accumulées tout au long du parcours éducatif comme professionnel.

L’opérationnalisation de cette mise en relation passe par les dispositifs d’orientation, de préparation au projet professionnel ou destinés à développer et faire mieux connaître à l’employeur potentiel les compétences individuelles. On peut citer plusieurs initiatives françaises dans ce domaine, adossées à des dispositifs européens : la création de services dédiés – Bureau d’aide à l’insertion professionnelle (BAIP), le supplément au diplôme associé à Europass2, les démarches eportfolio, comme le Portefeuille d’expérience et de compétences (PEC), directement portées par la logique européenne de sécurisation des parcours individuels dans le cadre de la �exicurité.

La formation initiale constitue alors une étape de la sécurisation des parcours indivi-duels tout au long de la vie. Ainsi, la Commission européenne plébiscite la formation tout au long de la vie et invite les di�érents acteurs du système éducatif à prendre part à la formation post-scolaire, y compris en adaptant des �lières de formation ini-tiale. Dans ce domaine, l’activité des universités en matière de formation continue est loin des objectifs, puisque l’o�re globale permet seulement d’assurer l’accueil d’environ 2 % des participants à l’ensemble des actions de formation organisées sur le territoire (Szymankiewicz, 2016).

1. Loi n°2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, JO du 11 août 2007, p. 13468.2. Source site Europass : https://europass.cedefop.europa.eu/fr/about. Les trois autres sont Europass mobi-lité, le passeport de langues et le supplément descriptif de certi�cats professionnels.

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Toutefois, qu’il s’agisse de la formation continue et/ou des dispositifs dans les univer-sités, les « retards » ou apparentes di�cultés de mise en œuvre ne procèdent pas seu-lement de di�cultés pratiques, mais aussi de critiques tant de la professionnalisation que de son corollaire, la logique « compétences ». Les évolutions s’inscriraient dans un ensemble de dispositifs et de discours empreints de new public management, révélant les pressions à la diversi�cation des parties prenantes et à l’économicisation du système éducatif, une perspective loin d’être partagée par nombre d’acteurs, notamment uni-versitaires (Beaupère, Bosse et Lemistre, 2014). Dans ce contexte, la logique «  com-pétences » appliquée aux formations universitaires à travers la professionnalisation est critiquée, d’une part, s’agissant de ce qu’elle valorise dans les contenus de formation. D’autre part, les dispositifs destinés à mettre en avant ces compétences ne font pas l’unanimité, notamment car la référence constante à l’autonomie des individus peut contribuer à renforcer les inégalités, alors même que le rôle du diplôme et des certi-�cations post-scolaires est de plus en plus prégnant (Lemistre, 2015). Au-delà de ces critiques qui ont une portée internationale, d’autres s’adressent directement aux choix français en termes de professionnalisation des �lières de formation. Ainsi, la profession-nalisation s’accompagne, en France, d’une expansion scolaire où domine la création de diplômes professionnels, voire de nouvelles �lières, telles que les licences profession-nelles en 1999, licences en nette expansion depuis. Là encore, la création de �lières et de spécialités peut générer de nouvelles inégalités dans le cadre d’une sélectivité accrue. En e�et, la multiplication des titres brouillerait les cartes sans jamais être amenée à les redis-tribuer, et participerait à la reproduction sociale en  « jouant des erreurs de perception que favorise la �oraison anarchique des �lières et des titres à la fois relativement insubstituables et subtilement hiérarchisés » (Bourdieu, 1979, p. 174). C’est la démocratisation ségrégative (Merle, 2012). Cette notion met en évidence ce que peut masquer la démocratisation quantitative, supposée uniforme, au sens d’une augmentation généralisée des niveaux d’éducation et qui masque en réalité des logiques internes à chaque niveau. Elle peut en outre socialiser des coûts de recrutement sans réelle plus-value, en e�ectuant un tri dans le système éducatif pour le marché du travail, comme cela est susceptible d’être le cas pour les licences professionnelles (Kergoat et Lemistre, 2014). Ces interrogations sont légitimes, puisque d’autres pays européens ont fait des choix tout à fait di�érents, voire opposés (Calmand, Giret et Guégnard, 2014).

1I Professionnalisation dans l’enseignement supérieur : une notion polysémique

En tout état de cause, la professionnalisation recouvre plusieurs acceptions. Pour cla-ri�er l’exposé et les enjeux, les études consacrées à la professionnalisation peuvent être rangées en trois catégories liées, selon qu’elles traitent de la professionnalisation des contenus, des parcours et des publics.

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DOSSIER

La professionnalisation emprunte en e�et deux voies indissociables pour la formation initiale, celles des contenus et des parcours. Concernant les contenus, la professionna-lisation passe par la création de �lières professionnelles, comme les licences profession-nelles ou encore la création de modules. À la frontière de la professionnalisation des contenus et des parcours, on trouve les dispositifs les plus prisés qui concernent la mise en situation sur le marché du travail, via les stages ou l’apprentissage. Ces modalités ne sont pas nécessairement très innovantes, mais béné�cient, en France notamment, d’un développement marqué pour les premiers et d’un plébiscite pour le second. L’innovation s’inscrit davantage dans la logique qui fonde ces évolutions : la logique « compétences » de sécurisation des parcours. Il s’agit alors d’améliorer l’adéquation entre compétences requises et acquises, d’une part en permettant au jeune de choisir sa voie en fonction de ses appétences et aptitudes et, d’autre part, en l’aidant à valoriser l’ensemble des expé-riences de son parcours (composantes de l’itinéraire scolaire, activités hors établissement de formation, travail en cours d’études). Les dispositifs d’orientation ou de préparation au projet professionnel entrent dans ce cadre, ainsi que nombre de dispositifs évoqués précédemment, destinés à développer et à faire mieux connaître à l’employeur potentiel les compétences individuelles.

La professionnalisation instituée des contenus et des parcours intervient sur des popu-lations hétérogènes en termes de parcours et d’âge, notamment. Les possibilités ins-titutionnelles sont en e�et de plus en plus nombreuses et inscrites dans une logique de sécurisation des parcours et de formation tout au long de la vie. Deux individus peuvent alors traverser plusieurs dispositifs institutionnels à di�érents moments de leur vie avec des parcours très di�érenciés. Les publics de la formation professionnalisée et les logiques de professionnalisation peuvent alors être abordés selon le statut et le type de lien à l’entreprise : étudiants salariés, non-salariés, apprentissage, contrat de profes-sionnalisation, reprises d’études, par exemple. C’est la professionnalisation de l’étudiant (jeune ou pas) et non la professionnalisation de chaque �lière qui est visée. Si un lien est à établir avec les logiques institutionnelles (professionnalisation des contenus et des parcours), c’est l’hétérogénéité des publics qui interpelle  davantage ici. Par exemple, la frontière institutionnelle, forte en France, entre formation continue et reprise d’études est, dans les faits, de plus en plus �oue. Observer les publics d’autres pays où ce distinguo est moins prégnant (avec par exemple une forte proportion de reprises d’études en cours de carrière) peut permettre de mieux comprendre les évolutions, en France et ailleurs, ainsi que les éventuelles convergences ou divergences entre les modèles nationaux.

En�n, la professionnalisation des publics, c’est aussi celle des personnels universitaires, qui intervient autant dans leur propre formation, que dans celle que certains d’entre eux sont susceptibles de dispenser aux étudiants ou aux intervenants de la profession-nalisation. Il s’agit, par exemple, de la formation à la mise en œuvre des dispositifs par certains personnels universitaires pour d’autres (service d’orientation, d’insertion, etc.), ou de la formation de formateurs, lorsqu’il s’agit, par exemple, de préparer dans l’ensei-

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gnement supérieur les futurs enseignants des �lières professionnalisées ou non du secon-daire (ESPE en France) et du supérieur. Les modalités di�érenciées de formation d’un pays à un autre, d’un établissement à un autre, d’une �lière à une autre, le statut des intervenants, sont autant d’éléments dont l’analyse permettra de clari�er les modèles de professionnalisation qu’ils sous-tendent.

2I Les di�érentes voies de la professionnalisation, en France et dans une perspective comparée

Dans le prolongement du précédent numéro de Formation Emploi sur ce thème (Épiphane et Giret, 2012)3, le présent dossier vise principalement à faire le point sur les voies empruntées pour la mise en œuvre et les e�ets produits dans la période la plus récente de la professionnalisation, en France, en proposant également des analyses com-paratives avec d’autres pays4.

Les contributions réunies ici permettent de préciser le sens, les logiques, les e�ets de discours et de pratiques s’inscrivant dans le sillage de la professionnalisation. Les textes s’appuient sur des enquêtes empiriques qui permettent de saisir les di�érentes voies empruntées par la professionnalisation et sa signi�cation, selon qu’il s’agit de �lières professionnalisantes, de la formation continue, de l’alternance ou des disciplines.

Nous avons organisé les contributions en progressant de la professionnalisation des contenus, puis des parcours vers celle des publics. Les catégories ne sont néanmoins pas aussi exclusives que cet ordonnancement peut le laisser penser.

L’objet des contributions portant sur la professionnalisation des contenus et des par-cours est avant tout d’interroger son e�cacité et sa légitimité en regard de ses e�ets éva-lués dans di�érents contextes locaux et nationaux. L’objectif des contributions portant sur les publics de la professionnalisation est davantage de tracer des frontières entre des catégories souvent brouillées ou mal connues, que ce soit du côté des acteurs de la mise en œuvre de la professionnalisation ou de la réalité des publics en formation profession-nalisée au regard des catégories institutionnelles.

3. Le précèdent opus portait surtout sur les e�ets de la professionnalisation des �lières universitaires sur l’insertion professionnelle, compte tenu des spéci�cités des publics de chaque �lière.4. Les textes réunis dans ce dossier sont issus d’une journée d’étude organisée conjointement par le GTES Céreq et le RESUP, le 22 juin 2016 à Toulouse. Nous remercions le Céreq, le RESUP (Réseau d’études sur l’enseignement supérieur), l’UT2J (Université Toulouse Jean-Jaurès), l’IEP (Institut d’études politiques) de Toulouse, le labex Structuration des Mondes Sociaux – SMS – (ANR-11-LABX-0066), le CERTOP (Centre d’étude et de recherche Travail, Organisation, Pouvoir) et le LaSSP (Laboratoire des sciences sociales du politique) pour leur soutien apporté à l’organisation de cette journée.

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DOSSIER

Le premier texte, de Joseph Kavka, constitue une entrée en matière qui résume assez bien la distance qui s’établit entre les traductions nationales des injonctions européennes à la professionnalisation des contenus, des parcours, et les �nalités premières de celles-ci. La comparaison entre la France et la République tchèque permet en outre de rappeler que la professionnalisation est avant tout un objectif politique européen qui prend sens dans des politiques nationales, susceptibles de l’éloigner des attendus des institutions européennes. Ceci semble, pour l’auteur, être davantage le cas pour la France que pour la République tchèque, où respecter les normes européennes est un objectif en soi. La perméabilité aux injonctions européennes, et plus généralement internationales, est donc beaucoup plus prégnante en République tchèque, tandis qu’en France, les pra-tiques choisies par les réformateurs puisent dans une diversité d’injonctions et de pra-tiques européennes et internationales à l’occasion des réformes universitaires.

Les traductions nationales des injonctions européennes sont également au cœur du texte de Ruggero Iori pour la formation des assistant-e-s de service social, en France et en Italie, en croisant travail quantitatif et travail qualitatif. Les di�érences d’appropriation procèdent directement des conséquences de l’uniformisation des cursus de formation, soit la professionnalisation des contenus et plus précisément des �lières de formation. Les spéci�cités des systèmes d’enseignement nationaux conduisent à des évolutions très di�érenciées des parcours de formation pour les inscrire ou non, ou plutôt à la marge, dans un cursus de licence, dans le cadre de la mise en œuvre du LMD (Licence-master-doctorat). L’adaptation de l’université au secteur professionnel est un des arguments de cette di�érenciation, tout comme les choix historiques des institutions qui portent le service social, dans les deux pays, sur le plan territorial et statutaire. Selon l’auteur, le point commun entre la France et l’Italie, à des degrés di�érents certes, est de transformer la logique même des métiers d’une relation de service associée à une identité profession-nelle forte, en une dépendance au marché de l’emploi où cette identité se dissipe. En creux, le texte pose la question des « modèles » académiques qui circulent dans l’espace européen et contribuent à la recon�guration des systèmes d’enseignement supérieur.

Les deux textes précédents situent leur analyse sur des contenus pour des moments donnés du parcours et dans le cadre de la structuration institutionnelle de l’o�re de formation. Catherine Béduwé et Virginie Mora se penchent, quant à elles, sur ce que signi�e aujourd’hui le fait de dire qu’un étudiant est professionnalisé au regard de son parcours d’études et de l’ensemble des contenus de formation de ce parcours. De fait, les parcours étudiants sont désormais émaillés, dans et hors des établissements d’ensei-gnement supérieur, d’une série d’épisodes potentiellement professionnalisants (stages, expériences à l’étranger, diplômes en alternance, emplois en cours d’études), selon un processus d’accumulation plus ou moins singulier. Ces expériences professionnalisantes nourrissent, chacune à leur façon, des compétences disciplinaires, des compétences d’adaptation au marché du travail et/ou des compétences qui peuvent être quali�ées de distinctives. Ces compétences fondent la notion de «  professionnalité  », notion

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proposée par les auteures, qui reste distincte de celle d’employabilité  ; cette dernière n’étant jamais que l’un des objectifs de la première, objectif dont la réalisation reste dépendante des circonstances rencontrées sur le marché du travail. En s’appuyant sur l’enquête « Génération 2010 » du Céreq, menée en 2013, les auteures identi�ent, pour les étudiants du supérieur long, une douzaine de pro�ls de professionnalité. Ceux-ci se révèlent variables à diplôme et spécialité de �n d’études donnés : l’attention accordée aux éléments de professionnalisation du dernier diplôme préparé ne doit donc pas faire oublier l’hétérogénéité des pro�ls de professionnalité construits tout au long des par-cours étudiants dans l’enseignement supérieur. Surtout, ces pro�ls de professionnalité apparaissent bien liés, toutes choses égales par ailleurs, aux conditions ultérieures d’in-sertion des étudiants du supérieur long.

Les quatre contributions suivantes se situent au cœur des dispositifs support de la profes-sionnalisation : l’alternance et la formation continue. Nathalie Beaupère, Xavier Collet et Sabina Issehnane traitent d’une �lière-clé, ou du moins supposée telle, celle de l’ap-prentissage. Cette première contribution repose sur un matériau très original, quan-titatif et qualitatif, puisqu’il s’agit de sept masters de l’université de Rennes 1, avec la particularité pour chacun de proposer une o�re en alternance à côté de la voie classique. Les données quantitatives recueillies concernent l’insertion comparée de l’ensemble des publics. Elles sont complétées par des entretiens auprès des acteurs de la �lière par alter-nance et des alternants. Avec cette rare comparabilité �ne entre les �lières, les auteurs participent de travaux encore rares cités plus haut, travaux qui relativisent les vertus, en matière d’insertion, de la professionnalisation des parcours par l’apprentissage et soulignent la représentation «  idéalisée » de l’alternance. En e�et, la plus-value brute de l’apprentissage à l’insertion, plutôt qu’un e�et propre du contenu et du parcours de formation, s’avère davantage liée à une sélectivité de publics aux parcours spéci�ques en amont, pour une a�ectation en aval vers des segments également spéci�ques du marché du travail, selon la �lière et la spécialité de formation. L’apprentissage est même, dans certains cas, quali�é de « période d’essai ».

Arnaud Pierrel propose une vision plus globale des �lières apprentis du supérieur. Il met en évidence une autre forme de segmentation des publics et des parcours au sein même de la �lière apprenti. Il rappelle l’expansion de l’apprentissage par le haut, mais déconstruit l’apparente homogénéité des �lières apprentis par niveau de formation. Il met en évidence l’hétérogénéité des Centres de formation des apprentis (CFA) et donc de leurs publics, grâce à un examen in �ne des logiques de création/destruction des CFA du supérieur liées à des contraintes institutionnelles elles-mêmes fortement marquées par des rapports de pouvoir. L’article illustre cette hétérogénéité à partir de l’analyse �ne de trois exemples  : un CFA inter-universitaire d’une ville moyenne de province, un Institut des techniques d’ingénieur et de l’industrie (ITII) et un CFA d’une école de commerce « bien classée ». La professionnalisation s’e�ectue ici dans un cadre segmenté porteur d’inégalités d’accès pour les publics du supérieur et renvoyant à la place des

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établissements dans la hiérarchie de l’espace de l’enseignement supérieur. Surtout, la professionnalisation s’inscrit dans une dialectique complexe entre « demandes écono-miques » et « demandes sociales ».

Même si le �ou de la frontière apparaît déjà dans l’article portant sur les masters, où l’alternance concerne des apprentis et des contrats de professionnalisation, la distinction entre formation initiale et continue à l’université n’est pas interrogée dans les textes précédents. La faible place de l’université, pour la seconde, est en e�et soulignée plus haut dans le cadre institutionnel de la distinction qui résiste mal à l’épreuve des faits, et surtout aux comparaisons internationales. Dans un contexte où la formation continue doit se muer en formation tout au long de la vie, le brouillage des frontières entre for-mations initiale et continue est interrogé par Nathalie Bosse et Isabelle Borras qui ont enquêté dans huit universités et une école d’ingénieurs de Rhône-Alpes. Replaçant leurs observations dans les travaux internationaux existant sur ce point, elles sondent la façon dont les textes o�ciels et les statistiques ministérielles d’une part, les di�érents acteurs d’autre part, segmentent les publics entre formation continue – lucrative, générant des ressources propres, et formation initiale – �nancée par dotation. Du point de vue des acteurs, le repérage et le classement des adultes apparaissent relever de critères hétéro-gènes selon les universités et leurs composantes,  en fonction de choix politiques et de contraintes �nancières ou de ressources humaines. Les services de formation continue peineraient à réaliser l’harmonisation attendue des pratiques, plaçant la France dans une situation de «  retard » en la matière. De plus, les ambitions de professionnalisa-tion reposent également, en France, sur les contrats de professionnalisation. Or, ils sont très largement accaparés par les jeunes. Les adultes seraient-ils les grands perdants des pressions �nancières  qui s’exercent sur les universités, à l’instar de ce qui se déroule dans d’autres pays ? Le �ou des catégories o�re en dé�nitive une marge d’action aux établissements.

Parmi ces autres pays, on peut di�cilement compter le Canada, et plus particulièrement sa province québécoise, où les adultes à l’université représentent plus de 40 % des e�ec-tifs. Pierre Doray et Christelle Manifet proposent une analyse des fortes dissemblances entre les universités françaises et québécoises, en regard de la professionnalisation des adultes. Leur approche très documentée de la construction des o�res de formation se situe dans le cadre de l’analyse sociétale. Au Québec, la professionnalisation de l’uni-versité est quali�ée d’endogène par les auteurs, car la formation des adultes est partie intégrante de la politique éducative et de l’activité des universités dès les années 1960. A contrario, en France, la formation des adultes relève de la formation professionnelle continue (FPC), construite largement en dehors de l’université. Retrouvant une place, néanmoins toujours marginale, à l’université au �l du temps, la formation des adultes identi�ée institutionnellement relève des services dédiés de la FPC. Selon les auteurs, la FPC traduit une professionnalisation de l’université à caractère exogène, en France, car la formation des adultes relève du champ de l’emploi et du travail. Ils concluent en

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outre que les deux modèles sont certes très di�érents, mais n’en sont pas moins soumis à un contexte dont les exigences conduisent à mener actuellement des politiques qui cherchent, par exemple, à autonomiser les services dédiés aux adultes, au Québec, pour optimiser la « marchandisation de l’o�re » vers un modèle FPC à la française peut-être. Un tel type de rapprochement est néanmoins fortement critiqué par les auteurs qui concluent en rappelant la dimension éminemment politique de la professionnalisation dans les universités.

La dernière contribution s’intéresse également aux adultes, parmi les publics de la pro-fessionnalisation, mais cette fois du côté des formateurs en IUT. L’exemple retenu par Stéphanie Tralongo est celui du tutorat. Le cadre est particulier au sens où les IUT sont la �lière universitaire où la professionnalisation est bien antérieure aux évolutions évo-quées plus haut, particulièrement celles concernant le tutorat des alternants. L’approche sociologique s’intéresse au rôle de la socialisation antérieure des 26 encadrants sur leur lien à la professionnalisation, notamment s’agissant des relations avec les entreprises. Il ressort de l’étude que l’acculturation à la professionnalisation de ceux qui sont pourtant censés la mettre en œuvre ne va pas de soi. Et ce alors qu’il s’agit d’enseignants déjà acculturés aux milieux professionnels par leur formation pour la plupart. Il y a une diversité des pratiques des tuteurs qui s’accompagne d’ajustements, de désajustements et de réajustements à l’injonction de l’institution. On comprend alors mieux la distance plus importante encore, voire la réticence des enseignants-chercheurs universitaires à s’impliquer dans les dispositifs de la professionnalisation (Beaupère et al., 2014).

Du côté des étudiants, l’acculturation à la logique « compétences » ou aux dispositifs de la professionnalisation ne va pas non plus de soi, pas plus que les attendus des poli-tiques de professionnalisation (Lemistre, Mora, 2016). Dans ce domaine, la profession-nalisation des contenus qui, en France, s’appuie sur le renforcement des compétences spéci�ques, ne répond pas nécessairement aux compétences réellement perçues comme utiles par les étudiants, qui s’avèrent plutôt transversales (Calmand, Giret, Lemistre, Ménard, 2015). Quant aux dispositifs de professionnalisation à l’université, le caractère inégalitaire de leur di�usion reste à interroger (Lemistre et Ménard, 2016). Ce dossier n’aborde pas spéci�quement ces aspects et ne prétend pas à l’exhaustivité en matière de professionnalisation de l’enseignement supérieur. Les études sont en e�et encore très rares sur l’essentiel : la professionnalisation, qui est l’émanation d’une vision euro-péenne performative, a-t-elle réellement un impact positif sur l’insertion des jeunes et le marché du travail ? Quelles en sont les conséquences pour le système d’enseignement supérieur, tant du point de vue des logiques que des pratiques qu’elle sous-tend ?

En�n, dans une postface à ce numéro, Vincent Carpentier reprend un des �ls conduc-teurs de ce dossier, la comparaison internationale. Il insiste également sur le temps long et montre l’intérêt d’historiciser la question de la professionnalisation. Il souligne les articulations et les tensions entre les logiques économique, politique, sociale et cultu-relle qui se rencontrent à la fois dans la place et dans la manière dont la profession-

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nalisation est appréhendée depuis l’après Seconde Guerre mondiale, en France et au Royaume-Uni.

L’ensemble du numéro contribue ainsi à souligner les formes et les e�ets de la pro-fessionnalisation. Il o�re un état des lieux de la professionnalisation telle que mise en œuvre, en France, dans di�érents registres  : �lières professionnalisantes, formation continue, alternance ou diversité des disciplines. À partir des constats e�ectués et de comparaisons avec les pratiques d’autres pays, il interroge également les choix politiques e�ectués jusqu’alors.

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Comment la professionnalisation à l’université s’articule aux initiatives

européennes et internationales.

Une comparaison France/République tchèque

JOSEF KAVKA En quatrième année de doctorat en science politique à l’université de Strasbourg (laboratoire

SAGE - Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe, UMR 7363), l’auteur prépare sa thèse sur l’exigence de professionnalisation à l’université en Europe, en France et en République

tchèque (sous la direction de Jay Rowell). La présente communication relève de ses travaux de thèse.

Résumé

n Comment la professionnalisation à l’université s’articule aux initiatives européennes et internationales. Une comparaison France/République tchèque

Cet article interroge les origines de l’essor de la professionnalisation, en France et en République tchèque, au cours des deux dernières décennies. La professionnalisation est comprise comme un volet de la politique universitaire dont l’objectif est d’adapter les formations universitaires à la demande du marché du travail. En distinguant trois dimensions à l’intérieur de cette politique (prescriptif, compétitif, discursif ), l’article montre comment les spéci�cités des deux systèmes d’enseignement supérieur s’arti-culent avec les initiatives européennes et les tendances globales. Si la professionnalisa-tion progresse dans les deux pays, elle relève de mécanismes et de principes di�érenciés.

Mots clés : Enseignement supérieur, université, professionnalisation de l’enseignement, politique de l’éducation, France, République tchèque, comparaison internationale, processus de Bologne

Abstract

n Relevance of the University Education for the Labour Market: National, European and International policy, comparison France and the Czech Republic

�e article analyses the higher education public policy that seeks to increase relevance of the university education for the labour market. It tries to explain the rise of this policy in France and in the Czech Republic during the last 20 years. It distinguishes its three dimensions (prescriptive, competitive, discursive) in order to explore the links between the speci�cities of two national higher education systems, the European uni-versity policies and more general global trends. If the relevance policy has progressed

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in both countries, it has been based on di�erent principles and triggered by divergent mechanisms in France and in the Czech Republic.

Keywords: Higher education, university, professionalisation of teaching, education policy, France, Czech Republic, international comparison, Bologna process

Journal of Economic Literature : I 23 I 28Traduction : Auteur.

La professionnalisation – comprise comme un volet de la politique universitaire dont l’objectif est d’adapter les formations universitaires à la demande du marché du tra-vail – a connu un essor particulier depuis quinze ans en Europe (Boden et Neva, 2010 ; Bacevic, 2014 ; Sin et Neave, 2014)1. Cet article interroge la façon dont le dévelop-pement de la professionnalisation dans les années 2000 en France et en République tchèque, est lié à celui, concomitant, des initiatives européennes en matière d’ensei-gnement supérieur (ES) – notamment par le biais du processus de Bologne (PB). À l’origine de cette question, on trouve un désaccord concernant les racines européennes (Agulhon et Convert, 2011) ou spéci�quement nationales (Charles, 2013) de la pro-fessionnalisation en France. Pour éviter cette opposition duale, la méthode de com-paraison transnationale (Hassenteufel, 2005  ; Hassenteufel et Maillard, 2013) sera mobilisée.

La comparaison entre la France et la République tchèque (RT) permet de dépasser d’emblée les explications fonctionnalistes qui interprètent la professionnalisation comme une réponse naturelle à la mauvaise insertion professionnelle des diplômés. Or, la professionnalisation progresse en RT alors même que les diplômés y sont en plein-emploi.

Sans discuter des aspects normatifs de la professionnalisation (i.e. ses e�ets plus ou moins positifs sur l’insertion ou sur l’engagement des étudiants dans leurs études), cet article montre en quoi elle relève des enjeux politiques liés aux héritages institution-nels et idéels, ainsi qu’aux rapports de force entre les di�érents groupes d’acteurs de la politique universitaire. La comparaison de ces deux pays européens permet d’observer, d’une part, la diversité des logiques à l’œuvre dans l’essor de la professionnalisation et d’autre part, d’analyser les façons dont les initiatives européennes et les tendances

1. La « professionnalisation » est une notion polysémique (Demazière, Roquet, Wittorski, 2012) dont l’équi-valent n’existe pas en République thèque. Ce terme d’usage en France est utilisé ici à défaut d’équivalent plus adapté pour parler d’un ensemble de mesures politiques dont l’objectif commun est d’adapter l’univer-sité au marché de l’emploi et qui sont énumérées dans la suite de l’article (i.e. intégration des stages et des unités d’enseignement de projet professionnel dans les formations, participation des « professionnels » aux formations, description des formations en termes de débouchés, évaluation, classement et �nancement des établissements en fonction de l’insertion de leurs diplômés,…).

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globales sont traduites dans les contextes nationaux idéels et institutionnels, par qui et comment elles ont été importées, et comment elles ont fait l’objet de réappropriations.

Après avoir précisé certains points méthodologiques (1), l’article présente les systèmes d’enseignement supérieur des deux pays en se focalisant sur les spéci�cités qui sont à l’origine des di�érences dans les politiques de professionnalisation, en France et en République tchèque (2). Pour systématiser ces di�érences, trois types de profession-nalisation sont introduits et analysés successivement : prescriptif (3), compétitif (4), discursif (5). Ils correspondent à des modes di�érenciés d’introduction de la profes-sionnalisation dans les deux pays. Tout en s’inscrivant dans des contextes nationaux particuliers, ces trois types relèvent, à des degrés divers, des in�uences européennes et/ou internationales.

Encadré 1 : Sources et enquêtes

L’enquête de terrain qui a précédé la rédaction de ce texte fait partie d’un travail de thèse en cours sur la professionnalisation de l’université en Europe (au sens de l’Espace européen de l’enseignement supérieur), en France et en République tchèque. Les sources primaires citées ultérieurement regroupent des entretiens semi-directifs et des documents d’archives (fonds d’archives du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche; archives sur les mouve-ments étudiants, publiées partiellement en ligne par le Groupe d’études et de recherche sur le mouvement étudiant). Les entretiens avec les acteurs de la politique universitaire des années 1990-2012 ont été menés de janvier 2014 à mai 2016 avec dix-neuf personnalités en France, neuf en République tchèque et six au niveau des instances européennes. Les entretiens ont porté, notamment, sur leurs parcours professionnels, leurs rôles dans la politique universitaire et leurs visions de di�érentes mesures de professionnalisation.

En parallèle, une enquête a été menée sur la professionnalisation au sein de deux établissements de l’enseignement supérieur dans les deux pays (entretiens semi-directifs avec 80 étudiants et 36 universitaires et responsables administratifs, observation semi-participante). Les conclu-sions de ces recherches au sein des universités ne �gurent pas dans le présent texte, mais elles méritent d’être mentionnées puisqu’elles ont en partie orienté la direction de l’enquête menée au niveau national et européen.

Les deux pays ont été comparés a�n d’explorer une certaine diversité des mécanismes à l’œuvre dans le domaine de la professionnalisation à l’université en Europe : un pays fondateur et central dans l’intégration européenne vs. un nouvel entrant semi-périphérique. Un autre critère était celui des connaissances linguistiques de l’auteur (français, anglais, tchèque, slovaque, polonais), nécessaires pour conduire une enquête approfondie dans les deux contextes nationaux. Parmi l’éventail des pays envisageables, le choix de la France et de la RT semblait le plus judicieux étant donné les di�érences détaillées précédemment (liées à la sociohistoire de l’ES et à la situation des diplômés sur le marché du travail) et l’état de la littérature (saturation des recherches sur les pays anglo-saxonnes et relativement peu d’enquêtes sur l’Europe centrale et orientale).

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1I Comparer pour envisager la diversité des initiatives européennes dans l’enseignement supérieur

L’idée selon laquelle le processus de Bologne a contribué à l’essor de la profession-nalisation, en France, a été présentée dans certains travaux critiques qui considèrent que les initiatives européennes dans le domaine de l’ES soutiennent la marchandisa-tion, et par conséquent également la professionnalisation (Garcia, 2007, p. 91 ; Bruno, Clément, Laval, 2011). Dans le même sens, des travaux analysant plus spéci�quement la professionnalisation, en France, mentionnent l’adoption de la loi dite LMD (licence-master-doctorat) – inspirée du processus de Bologne – comme l’un des vecteurs de la pro-fessionnalisation (voir le dossier dirigé par Aguilhon et Convert, 2011 ; Caillaud, 2012).

Une position inverse est défendue par Nicolas Charles (2013), pour qui le débat sur la professionnalisation de l’université, en France, fait écho à la tradition adéquation-niste. Selon l’auteur, l’intensi�cation de la professionnalisation en France n’a été qu’un re�et de l’essor de la politique néo-libérale, encouragée notamment par le processus de Bologne. Pour Charles, la professionnalisation à la française se distingue de la politique néo-libérale. Tandis que la première cherche une adéquation étroite entre la formation et le futur emploi, la deuxième promeut le concept d’employabilité qui a pour idéal un diplômé �exible et adaptable, muni certes du savoir dans sa discipline, mais surtout des compétences transversales qui lui ouvrent les portes de divers domaines d’emploi quali�é (Charles, 2013, p. 173).

En République tchèque, le débat à propos de l’européanisation de l’enseignement supé-rieur tchèque oscille également entre ces deux pôles (Pabian, 2009  ; Dobbins et Knill, 2009), même si la question spéci�que de la professionnalisation y reste périphérique.

Ni Nicolas Charles, ni les auteurs qui rattachent l’essor de la professionnalisation au pro-cessus de Bologne ne prennent en compte la grande diversité des normes et recomman-dations véhiculées dans le cadre de ce processus (Gornitzka et Chou, 2014). Sin et Neave (2014) ont montré que les principaux acteurs du processus de Bologne avaient des visions di�érentes et partiellement antagonistes de ce que devrait être le lien entre l’université et l’emploi. En d’autres mots, la Commission européenne, le Conseil de l’Europe, di�é-rentes représentations nationales et les représentants des universités, des étudiants et des employeurs n’aboutissent pas au consensus dans le domaine de la professionnalisation. Leurs avis divergent concernant le type de coopération qui devrait se développer entre les acteurs du monde académique (responsables politico-administratifs, universitaires et étudiants) et du monde de travail (représentants des employeurs et des salariés).

Faute de pouvoir dé�nir ce que sont les standards, les normes ou les recommandations européennes relevant de la politique de professionnalisation, on ne peut pas analyser leur impact sur les normes et les pratiques nationales (ou l’écart entre les normes européennes et nationales). Il faut procéder dans l’autre sens et distinguer d’abord les principaux

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projets nationaux de professionnalisation en analysant ensuite d’éventuelles in�uences européennes.

L’enquête menée en France et en République tchèque permet de saisir ces in�uences de deux manières. Premièrement, en montrant comment les principaux promoteurs natio-naux de la professionnalisation participent aux initiatives et aux instances européennes de l’ES. Deuxièmement, en repérant les références explicites à des normes européennes dans les entretiens (avec les principaux promoteurs de la professionnalisation) et dans les documents o�ciels liés aux projets de la professionnalisation.

2I La professionnalisation comme mesure politique dans les contextes nationaux particuliers

Dans les deux pays, la politique de la professionnalisation commence à se développer dès les années 1960 et elle s’est intensi�ée au cours des vingt dernières années. Mais elle relève de mesures di�érentes d’un pays à l’autre. La particularité française tient dans la générali-sation des outils spéci�ques de la professionnalisation à l’ensemble des formations de l’ES au cours des années 2000. De telles mesures n’étaient ni envisagées ni envisageables en République tchèque où la politique de la professionnalisation dépend des systèmes d’inci-tations et/ou de sanctions qui interviennent de manière moins directe dans les sphères gérées et dominées par les élites universitaires.

En France, la politique de professionnalisation de l’université se développe dès les années 1960 (Fridenson, 2010, p. 61). Elle a consisté en la création de nouvelles �lières profes-sionnelles. Cependant, elle n’a pas aspiré à modi�er « la voie royale, seule vraiment consi-dérée en France, de ceux qui vont le plus loin possible dans leurs études par goût des matières enseignées et ne se soucient qu’après de la façon de les valoriser sur le marché du travail » (Laurent, 1995, p. 30). Depuis les années 2000, divers textes législatifs, rapports et dis-cours mettent en avant le « caractère professionnel de l’ensemble des diplômes universitaires » (Caillaud, 2012, p. 41). D’après le « rapport Hetzel »2 de 2006, « [i]l est nécessaire de pro-fessionnaliser toutes les �lières car elles ont toutes vocation à conduire à l’emploi, qu’elles soient générales ou professionnelles. […] La professionnalisation des parcours universitaires s’impose à toutes les universités. Elles doivent e�ectuer plus d’e�orts pour adapter leur o�re de formation et proposer des cursus plus directement valorisables dans le monde du travail » (Hetzel, 2006, p. 45). Cette direction des réformes a été réa�rmée par la ministre Valérie Pécresse lors des débats sur la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) à l’Assemblée nationale. « Notre souhait est de rendre toutes les formations quali�antes. […] Ne nous rési-gnons pas à ce que les diplômes de sciences humaines destinent uniquement à l’enseignement. Ces �lières doivent rendre les étudiants employables. » (Débat parlementaire, 25.7.2007). À

2. Le rapport issu de la commission Université-Emploi présidé par P. Hetzel.

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travers cette déclaration, la ministre tranche avec l’approche du gouvernement de 1976 ou du rapport Laurent de 1995, qui excluaient de la professionnalisation les �lières ayant « pour objet l’étude désintéressée ».

L’essor de la professionnalisation généralisée, en France, est lié à deux traits structuraux du système d’enseignement supérieur français. Le premier tient au fait que les �lières sélectives, majoritairement non-universitaires, sont à la fois les �lières d’élites et les �lières réputées professionnalisantes. Comme on peut le percevoir dans les propos de P. Hetzel et de V. Pécresse, une opposition duale s’est progressivement répandue entre, d’une part, les �lières universitaires/ouvertes à tous/générales/avec une insertion médiocre de diplômés et, d’autre part, les �lières sélectives/professionnalisantes/avec une bonne insertion.3 Le deuxième trait structural tient à la force contestataire des syndicats étudiants qui sont attachés à la fois aux principes de l’ouverture de l’ES à tous les bacheliers et à l’égalité entre l’ensemble des étudiants et des formations (incarnée par le cadre national des diplômes). Le projet de professionnalisation des �lières généralistes a rencontré un large consensus parce que, sans introduire l’idée de sélection, il rendait plus semblables et plus égales les formations généralistes (réputées sans débouchés professionnels) et les formations sélec-tives (réputées garantir une excellente insertion à leurs diplômés).

Après sa fermeture pendant la Seconde Guerre mondiale, l’enseignement supérieur tché-coslovaque a été subordonné à la nomenklatura du Parti communiste et à l’élite bureau-cratique de la Tchécoslovaquie socialiste. L’adaptation de l’enseignement supérieur à l’économie plani�ée a été l’une des priorités durables de la politique universitaire jusqu’à la �n du régime, en 1989. Les besoins en main-d’œuvre, estimés par la bureaucratie de l’Etat pour chaque secteur d’économie, déterminaient les e�ectifs de chaque �lière. Cette poli-tique adéquationniste a été abandonnée dès la �n du régime socialiste, en 1989. Tout en étant �nancées par l’Etat, les élites universitaires ont gagné un degré d’autonomie excep-tionnel en comparaison avec d’autres pays occidentaux de cette période. Elles gardent le pouvoir au sein des établissements d’enseignement supérieur et in�uent sur la politique universitaire nationale, que ce soit par leur in�uence directe au sein du ministère, par le Conseil d’accréditation ou par les organes nationaux représentatifs (Conseil des établisse-ments d’enseignement supérieur ou Conférence des recteurs).

Sous le régime socialiste, les dirigeants n’ont pas ouvert les universités à davantage de jeunes, malgré une forte demande (Urbasek, 2008  ; Pulec et Urbasek, 2012). La part d’une classe d’âge dans l’enseignement n’a jamais dépassé 15 % jusqu’en 1991. Mais les e�ectifs étudiants ont été multipliés par trois entre 1991 et 2007 (Pabian, Prudky Sima, 2010, p. 27) et se sont stabilisés en 2009, quand la part d’une classe d’âge dans l’ensei-

3. Cette opposition duale est au fondement du raisonnement qui justi�e la professionnalisation de l’univer-sité, en France, dans les années 2000. Elle est visible aussi dans L’in�ation scolaire (2006, p. 86, pp. 94-97) dont l’auteure, M. Duru-Bellat, a participé à la commission Hetzel. La pertinence de cette opposition a été discutée entre autres par Bodin et Orange (2012, pp. 76-78).

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gnement supérieur dépassait 55 % (Koucky, 2013). Si le chômage des diplômés est resté en-dessous de 5 %, même pendant la crise économique de 2010-2013, un discours fus-tigeant la sur-éducation des jeunes ainsi que le manque d’apprentis, de techniciens et d’ingénieurs est répandu. Il est entretenu par les représentants des employeurs (Chambre de commerce, Union de l’industrie et du transport) et de nombreux hommes politiques (Stech 2016, p. 4 ; Pabian, Sima, Kynclova, 2011). L’actuel président, Milos Zeman, a par exemple déclaré, à l’occasion d’un forum des employeurs, que la RT était « le pays avec le plus d’anthropologues culturels par million d’habitants mais, malheureusement, la plupart du temps, une fois diplômé, l’anthropologue �nit au bureau d’emploi alors qu’il y a des écoles dont les taux d’emploi des diplômés avoisinent 90 % et même 95 % ».4

Les principaux acteurs qui in�uencent la politique universitaire contestent ce discours et toutes les mesures qui relèveraient d’une professionnalisation généralisée ou prescrip-tive de l’enseignement supérieur. Les élites académiques se mé�ent de la subordination de l’université à la sphère politico-économique. Les « réformistes » de droite aspiraient à l’instauration d’un système quasi-marchand qui aurait incité les universités à se gérer elles-mêmes. S’ils n’étaient pas contre le rapprochement entre le monde universitaire et entrepreneurial, ils ne voulaient pas imposer les modalités d’un tel rapprochement d’une manière strictement homogène pour l’ensemble des établissements. Ainsi, la profession-nalisation a avancé en République tchèque seulement en parallèle de l’introduction des instruments européens (l’objectif du « retour en Europe » étant largement consensuel) ; ou de l’avancée de la politique libérale, régulant les universités à distance et ayant pour objectif la diversi�cation plutôt que l’égalisation du système.

En s’inspirant des travaux qui analysent les instruments de l’action publique (Lascoumes et Le Galès, 2004 ; De Boer et al.. 2007), les paragraphes qui suivent distinguent trois voies de professionnalisation (cf. tableau 1). Celles-ci s’articulent avec les di�érences entre les con�gurations universitaires tchèque et française présentées ici. La professionnalisation compétitive se conjugue avec le système tchèque, dominé par les élites universitaires, alors que la professionnalisation prescriptive correspond davantage aux préférences égalitaires des puissants syndicats étudiants, en France.

3I Professionnalisation prescriptive : garantie de l’égalité et intrusion politico-économique

Le premier type de professionnalisation prescriptive relève des mesures concrètes que les pouvoirs publics imposent directement aux établissements. C’est le cas de la participa-tion des employeurs à la gouvernance des universités, de la création des bureaux d’aide à l’orientation ou des observatoires d’insertion. Certaines mesures de ce type concernent le

4. Discours du président Milos Zeman à Zo�nske forum, le 20 mai 2013. Traduction de l’auteur.

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contenu même des enseignements, comme les projets personnels professionnels, les inter-ventions de personnalités extérieures, ou la généralisation des créneaux pour les stages. Elles ont été fortement développées, en France, à partir des années 2000, mais ont été plus rares en République tchèque.

Jusqu’en 2001, les diplômes les plus largement répandus dans l’enseignement supérieur tchèque s’obtenaient en cinq ans. En 2001, un amendement ayant introduit la struc-ture d’études de Bologne a prévu d’introduire et de presque entièrement généraliser un nouveau diplôme d’une durée de trois ans après le bac (la licence), qui serait suivi par le master de seulement deux ans. L’adoption du processus de Bologne a donc signi�é, en République tchèque, le passage d’une structure de diplôme de type 5 + 3 (5 ans pour le master et 3 ans pour le doctorat) au type 3 +2 + 3 (3 ans pour la licence, 2 ans pour le master, 3 ans pour le doctorat). L’amendement stipule que chaque licence doit ouvrir la voie à la fois au marché du travail et à la poursuite d’études en master, ce qui correspond peu ou prou à la Déclaration de Bologne selon laquelle « les diplômes délivrés au terme du premier cursus correspondront à un niveau de quali�cation approprié pour l’insertion sur le marché du travail européen. »

Les e�ets de cette réforme sur la professionnalisation ont toutefois été limités. Quinze ans après l’amendement, plus de 80 % des licenciés poursuivaient leurs études en master plutôt que d’entrer sur le marché du travail. La réforme a été contestée par les universi-taires qui étaient nombreux à y voir une intrusion politique qui faisait baisser la qualité de la formation en la rendant plus courte et plus fragmentée. La professionnalisation dès la licence a également été réfutée par certains responsables administratifs et politiques proches de la droite réformiste qui, tout en se référant à l’imprévisibilité des besoins du marché de travail, ne pensaient pas qu’il était opportun d’accroître la correspondance entre les formations initiales et les métiers concrets. Selon un ancien responsable de l’enseigne-ment supérieur au ministère de l’Éducation, qui a participé au processus de réforme libé-rale, présenté dans les prochains paragraphes, « la licence devrait donner une base générale pour qu’il [le diplômé] puisse tout faire ensuite. […] Chez nous, les gens ne prennent pas assez en compte la vitesse avec laquelle change la structure [économique]. Ce qui est dans toutes ces lois, que l’école vous prépare au futur métier, c’est en fait une sottise […] ou plutôt elle vous prépare à un métier, mais vous ne pouvez pas savoir lequel. »5

En 2006, un processus de réforme radicale de l’enseignement supérieur tchèque (frais d’ins-cription, réforme du statut des professeurs et de la gouvernance interne des établissements) a été lancé suite à un rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développe-ment économiques). Il a été abandonné six ans plus tard après d’importantes manifesta-tions organisées par les représentants des universitaires et des étudiants. Concernant la

5. Traduction de l’auteur. Entretien avec un ancien responsable d’enseignement supérieur au ministère de l’Education. Prague.

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professionnalisation, les réformateurs voulaient augmenter la part des employeurs dans le conseil d’administration et renforcer les pouvoirs de cet organe. Contrairement aux mesures introduites en France, cette proposition relevait d’un changement processuel qui n’interviendrait pas directement dans les formations (cf. unité d’enseignement projet pro-fessionnel, intervention des « professionnels », stages) ou dans les structures des établisse-ments (BAIP – Bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants).

La controverse autour du projet de réforme a polarisé les acteurs de l’enseignement supé-rieur entre ses partisans et ses détracteurs. Les partisans mettaient en avant la fonction économique des universités. Les opposants ont élaboré des projets de réforme alternatifs qui soulignaient les fonctions culturelle, humaniste et sociale de l’enseignement supé-rieur ainsi que la responsabilité publique de son développement (Česká konference rektorů, 2010  ; Univerzita Karlova, 2009). Les leaders des deux camps étaient intégrés dans les réseaux internationaux et européens d’experts et/ou de représentants de l’ES. Les deux camps opposés ont mobilisé de manière similaire les références à des normes et à des recommandations européennes et internationales (Kavka, 2015). Cela prouve que dans l’enseignement supérieur tchèque, les normes qui ne béné�cieraient pas d’un étalon occi-dental manqueraient d’emblée de �abilité.

En France, la professionnalisation prescriptive a progressé au nom d’une valorisation des formations et des étudiants les plus dominés dans l’espace français de l’ES. Prétendant assurer l’égalité entre les formations, ces mesures prescriptives ont été introduites dans la période 2007-2011. La loi (LRU) de 2007 qui a lancé cette vague de professionnalisation a ses origines dans les projets préparés par les proches du président N. Sarkozy, dont la priorité était de rendre les universités plus indépendantes de l’Etat en faisant jouer davan-tage les mécanismes régulateurs du marché ou d’un quasi-marché universitaire.

La professionnalisation prescriptive s’est imposée à l’agenda politique suite aux mobi-lisations étudiantes (mouvement contre le Contrat première embauche, CPE). La Confédération étudiante (Cé) a été à l’origine de la « nouvelle » mission de « l’orientation et l’insertion professionnelle  » dans le premier article de la loi LRU. La création d’un « bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants [BAIP,…] dans chaque université » a été une initiative de la FAGE (Fédération des associations générales étudiantes), soutenue par un groupe de sénateurs. Les négociations autour de la loi se focalisaient d’abord sur la possibilité d’introduire une sélection, ensuite sur les modalités de « l’autonomie » et sur la gouvernance interne. Les mesures relevant de la professionnalisation ont été interprétées à la fois par les réformateurs et par les syndicats étudiants, soit comme sans importance, soit comme des garanties du service public pour l’ensemble des étudiants. Suite à la loi, le Plan réussite en licence devait assurer notamment les syndicats étudiants que l’Etat ne se désengagerait pas des universités. Le plan prévoit que tout étudiant en deuxième année « découvre le monde professionnel (sous forme de séminaires, de forums, de tutorat d’entre-prise...) » et construise son projet personnel professionnel (MESR, 2007). Dans la même

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logique de valorisation des �lières généralistes, certaines caractéristiques auparavant réser-vées aux licences professionnelles sont intégrées dans le cursus de la licence.6

L’idée de professionnaliser les formations universitaires n’est pas apparue sur l’agenda poli-tique pour la première fois en 2006-2007. Or, les projets de professionnalisation des années 1970 et 1990 ont été abandonnés suite à des mouvements de contestation organisés par l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). Celle-ci n’a pas critiqué ces projets parce qu’ils rapprochaient certaines formations des milieux économiques, mais parce qu’ils en écartaient d’autres  : ses dirigeants contestaient l’éventualité de voir les �lières sélec-tives coopérer avec les employeurs, alors que les �lières fondamentales, ouvertes à tous les bacheliers, resteraient à l’écart des milieux économiques et se transformeraient en « voies de garage », dont les diplômés peineraient à trouver un emploi. Par ailleurs, un certain type de professionnalisation prescriptive, égalitaire et généralisée à toutes les �lières et à tous les étudiants faisait partie du discours de l’UNEF bien avant la loi LRU (Fischer, 2000, p. 133 ; UNEF, 1963 ; UNEF, 2003).

Quel rôle a joué le processus de Bologne dans l’essor de la professionnalisation prescrip-tive en France  ? La réforme LMD a été mise en œuvre au sein des établissements par des groupes d’universitaires se focalisant davantage sur leurs spécialités académiques que sur leurs liens avec les milieux économiques (Mignot-Gérard et Musselin, 2005). Pour Garcia (2006) ou Charlier et Croché (2013), l’action européenne en matière d’évaluation et d’assurance qualité était un puissant vecteur d’in�uence. La première version de l’Euro-pean Standards and Guidelines (ESG) de 2005 a été traduite, en France, par le Comité national d’évaluation7, le prédécesseur de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’en-seignement supérieur (AERES). On y trouve deux standards peu précis mentionnant les employeurs en tant que « partenaires » et « parties prenantes » de l’enseignement supérieur. « L’employabilité des diplômés » �gure dans le document comme une catégorie sur laquelle les établissements de l’enseignement supérieur devraient se tenir informés (Standards and Guidelines…, 2005).

À partir de 2006, l’AERES a constitué un vecteur de professionnalisation des formations. Ses �ches d’évaluation reprochaient aux nombreuses formations le manque de débouchés professionnels et de suivi du devenir professionnel des diplômés et leur absence de proxi-

6. Le décret sur la Nouvelle licence (JORF n°0185 du 11 août 2011 ; texte n° 39. Accès via www.legifrance.gouv.fr) dispose que « l’université met en place des actions concourant à l’insertion professionnelle des étudiants. À cet e�et, la formation comprend des éléments de préprofessionnalisation et de professionnalisation. » Sans di�é-rences de �lières, « (d)es représentants du monde socioprofessionnel sont associés à la conception des formations et participent aux enseignements. » Pour chaque �lière, les « référentiels des compétences » établissent les « objectifs nationaux » et déclinent « les compétences disciplinaires, linguistiques, transversales et préprofessionnelles. » La demande d’habilitation de chaque licence « comprend la �che d’enregistrement du diplôme au répertoire natio-nal des certi�cations professionnelles. »7. « Références et lignes directrices pour le management de la qualité dans l’espace européen de l’enseignement supérieur », CNE, 2006.

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mité avec les milieux socio-économiques. L’agence appartenait au registre européen des agences d’assurance qualité (EQAR) et elle s’engageait à respecter les ESG. Mais en cela, l’AERES ne se di�érenciait pas de son équivalent tchèque, la Commission d’accréditation. Egalement membre d’EQAR et déclarant respecter les ESG, la Commission d’accrédita-tion se focalisait sur les critères académiques classiques et a freiné la professionnalisation des formations (Dvorackova et al., 2014). Les di�érences de pratiques entre l’AERES et la Commission d’accréditation sont donc dues davantage à leurs composition et à leurs fonctionnements respectifs8 qu’à l’in�uence des standards européens.

4I Professionnalisation compétitive : outil de diversi�cation et menace pour l’homogénéité du service public

La professionnalisation de type compétitif comprend des outils qui évaluent, classent ou �nancent les établissements en fonction des résultats d’insertion de leurs diplômés. Elle met ainsi les établissements en compétition en leur laissant apparemment beaucoup de marge de manœuvre en ce qui concerne les actions concrètes. Dans les deux pays, les mesures relevant de cette catégorie de professionnalisation correspondaient à certaines tendances internationales, mais elles ne provenaient pas de normes, de recommandations ou d’instances européennes spéci�ques. Elle ont été davantage développées en République tchèque qu’en France.

Depuis 1992 et jusqu’en 2008, la majorité du budget des établissements de l’enseigne-ment tchèque provenait des fonds distribués par le ministère de l’Education en fonction du nombre des étudiants et des diplômés. À partir de 2009, ces deux critères de base ont été complétés par une dizaine d’indicateurs « de performance et de qualité » (IPQ) à l’aune desquels le ministère allait progressivement distribuer 22,5 % de ce budget. Parmi ces indicateurs �gure celui de l’insertion professionnelle des diplômés9 (Koucky, 2013, pp. 9-10 ; MSMT, 2013). Initialement contesté par la représentation universitaire, il a été accepté comme faisant parti d’un ensemble de mesures (en l’occurrence le nouveau

8. Les évaluateurs de la Commission d’accréditation consacrent la grande majorité de leur temps à l’activité d’enseignement et de recherche. Ils se rencontrent plusieurs fois par an – lors d’un week-end  – pour évaluer des dizaines de dossiers d’accréditation (Dvorackova et al., 2014). Les principaux responsables d’évaluation à l’AERES se sont éloignés, par leur activité, de la recherche et de l’enseignement ; leurs pro�ls ressemblent davantage à ceux des responsables politiques et administratifs (Laillier et Topalov, 2014). On peut supposer que lors de l’évaluation, ils délaissent les critères académiques classiques plus facilement que les universitaires tchèques.9. «  Le taux de chômage standardisé  » est établi pour les diplômés de chaque faculté par le Centre de la politique éducative (Stredisko vysokoskolske politiky, dirigé par Jan Koucky). Le Centre récupère les taux de diplômés de di�érentes facultés, inscrits aux bureaux d’emploi en RT, en corrigeant par les modèles statistiques l’e�et des di�érences régionales relatives à l’état du marché du travail (i.e. plein emploi à Prague, mais une insertion plus compliquée dans les régions nord-est de la RT).

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système de �nancement) qui allait permettre de contenir l’expansion des e�ectifs dans l’enseignement supérieur, phénomène déploré notamment par les élites académiques.

Le principal concepteur et promoteur des IPQ, et notamment de l’indicateur sur l’inser-tion professionnelle, a été Jan  Koucky, expert de l’enseignement supérieur, haut-fonc-tionnaire, universitaire et ancien homme politique. Par les IPQ, Koucky n’avait pas pour objectif d’inciter tous les établissements à se rapprocher des milieux économiques. Ce rapprochement ne devait concerner que les établissements périphériques dont les résultats d’insertion étaient relativement moins bons. Ceux-là devaient limiter les e�ectifs de leurs étudiants et adapter leurs formations aux besoins des employeurs locaux. Les meilleurs établissements resteraient à l’écart de ces mesures car leurs diplômés béné�cieraient tou-jours d’une meilleure insertion que celle des autres10. Le �nancement selon l’insertion des diplômés a donc été introduit a�n de diversi�er plutôt que de professionnaliser les établissements d’ES.

Pendant le quinquennat de N. Sarkozy, les mesures relevant de la professionnalisation compétitive ont �guré sur l’agenda politique du gouvernement français. Le projet du �nancement des universités en fonction de l’insertion de leurs diplômés a été abandonné ; la di�culté, pour les établissements, d’évaluer cette donnée par la statistique en a été la cause principale. Ce projet a été contesté par les syndicats étudiants mais également par certains experts et présidents d’université. Comme l’illustre le court extrait d’entretien avec un membre de l’IGAENR (Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, 19/02/2015, Paris), les e�ets inégalitaires de ces mesures suscitaient une mé�ance que je n’ai pas constatée en République tchèque :

« Q : Il y avait un projet de �nancement des universités selon l’insertion professionnelle…

R : Mais on ferait quoi avec les universités qui ont de mauvais résultats ? On leur donnerait moins ou plus [de moyens] ? »11

Les résultats d’insertion de diplômés ont toutefois servi au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour produire un classement des universités publié, depuis 2010, sur le site du MESR, contre l’avis notamment du Réseau des observatoires de l’ES et des deux plus grands syndicats étudiants, l’UNEF et la FAGE. Quel lien entre ces projets et les initiatives européennes ? Les standards européens d’assurance qualité appellent au suivi de l’insertion des diplômés, pas aux classements. En revanche, les projets de classe-ment et de �nancement compétitif font partie des tendances répandues dans de nombreux pays, sans qu’il existe un centre précis qui les di�userait (Shattock, 2014).

De la même façon, dans le domaine de la professionnalisation compétitive en RT, les in�uences ont été indirectes et plutôt internationales que spéci�quement européennes.

10. Entretien avec un ancien haut fonctionnaire et expert de l’ES du 10/09/2014. Prague. 11. Entretien avec un membre de IGAENR, 19/02./2015, Paris.

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En développant les IPQ, Jan Koucky ne s’appuyait pas sur des normes européennes spé-ci�ques, mais c’est un expert de l’ES reconnu dans les réseaux internationaux. Depuis les années 1980, il suit de près la littérature académique et le milieu de l’expertise internatio-nale sur l’ES, notamment de l’OCDE.12

5I Professionnalisation discursive : conséquence de Bologne ou des logiques nationales et des inspirations états-uniennes

La professionnalisation du type discursif prétend accroître la transparence des formations et expliciter leur utilité dans le monde professionnel. C’est ce que font le système de crédits ECTS et les annexes descriptives des diplômes13, les cadres de certi�cations profes-sionnelles, les �ches RNCP (Répertoire national des certi�cations professionnelles) ou les rubriques décrivant les débouchés professionnels d’une formation. Ces outils sont censés être appliqués par tous les établissements et �lières.

Mais contrairement à la professionnalisation prescriptive, les mesures discursives n’apportent pas de changement immédiat dans les formations (cf. participation des employeurs) ou dans la structure universitaire (cf. BAIP). S’appuyant sur des notions clefs comme celles de « compétences » (Rope et Tanguy, 1993)  ou d’acquis d’apprentissage, la professionnalisation discursive pénètre dans l’ES des deux pays au début des années 2000. Elle véhicule une conception de l’éducation qui met l’accent sur l’utilité du savoir dans le monde professionnel.

Le processus de Bologne a contribué à l’essor de ce discours en République tchèque. Le système de crédits ECTS y a été introduit en 2001, par le même amendement que la structure d’études en trois cycles. À partir de la �n des années 2000, le ministère récom-pense �nancièrement les établissements ayant reçu le  Label ECTS-DS, décerné par la Commission européenne. Le Cadre européen des certi�cations (EQF) a été transposé en République tchèque vers la �n des années 2000. Financés par des fonds structurels européens, les travaux visant à sa transposition ont été commandés par le ministère auprès des équipes d’experts d’ES (Q-RAM, IPN KVALITA). Les résultats de ces travaux sont promus par le ministère, mais leur application n’est pas exigée par la Commission d’accréditation.

12. Directeur du principal centre sur la recherche dans l’enseignement supérieur en République tchèque, il est intégré dans les réseaux d’expertise (i.e. enquêtes REFLEX) et de recherche et tient un blog sur l’actualité internationale de l’enseignement supérieur (https://vsmonitor.wordpress.com).13. Les Etats signataires de la Déclaration de Bologne (1999) se sont engagés à assurer, au sein de leurs établissements d’enseignement supérieur, la mise en œuvre de l’annexe descriptive au diplôme (diploma sup-plement) et d’un système de crédits, « comme celui du système ECTS. » Ces outils de Bologne devaient faciliter la lisibilité et la reconnaissance des diplômes et « favoriser l’employabilité des citoyens européens » en décrivant de manière explicite ce que les diplômés savent faire et dans quels emplois ils peuvent l’appliquer.

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DOSSIER

Contrairement à la République tchèque, la professionnalisation discursive, en France, relève moins du processus de Bologne que des in�uences extra-européennes et de logiques nationales propres. Les outils spéci�ques de Bologne comme les crédits ECTS ou les EQF ont un impact limité. Les pouvoirs publics n’ont pas lancé d’initiatives par-ticulières pour faire connaître la méthodologie du système de crédits ECTS, à part les actions dispersées des experts de Bologne14. Le cadre européen des certi�cations (EQF) a été repris par le Répertoire national des certi�cations professionnelles (RNCP) où sont déjà inscrits, depuis 2002, tous les diplômes de l’enseignement supérieur.

Tout comme les mesures introduites avec la loi LRU, l’essor de la professionnalisa-tion discursive tenait à la volonté de valoriser les formations généralistes, apparemment éloignées de l’emploi. Ainsi, un ancien haut-fonctionnaire du ministère de l’Educa-tion nationale nous a �èrement expliqué qu’il avait réussi à convaincre ses collègues du ministère de l’Emploi et de la Solidarité d’introduire, dans le RNCP, les diplômes généralistes, et non plus seulement les diplômes professionnels. Il voyait cela comme un moyen d’a�rmer que l’emploi était la �nalité de l’ensemble des formations univer-sitaires et qu’elles donnaient toute lieu à une insertion professionnelle de qualité15. Les acteurs qui ont participé à la mise en œuvre des réformes liées à la professionnalisation, en France, pendant la période 2000-2012, ne se référaient que rarement et de manière peu précise à des initiatives, des normes, des standards et des outils européens concrets. Les références à l’enseignement supérieur états-unien revenaient plus souvent, comme l’illustre cet extrait de l’entretien avec un ancien haut responsable de l’AERES16 :

« Q : Cette approche des compétences me semble proche de ce qui a été développé au niveau européen…

R : Mondial  ! En�n, oui, européen, mais pas seulement, parce que moi je sais, c’est anec-dotique mais […] je suis allé dans les collèges américains. J’avais l’habitude d’aller dans les labos, mais là je suis allé volontairement en mission voir comment on enseignait dans les collèges, en plus dans les collèges […] qui étaient éloignés de l’université. »

14. Entretien avec un ancien membre de l’Association européenne des universités (EUA)., 13/06/2015, Paris15. Entretien avec un ancien sous-directeur de la Direction générale de l’enseignement supérieur (DGES) du ministère de l’Education nationale, 5/03/2015, Paris.16. Entretien avec un ancien haut responsable de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), 9/04/2015, Paris.

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Tableau 1 : Résumé de mesures relevant des trois voies de professionnalisation à l’université, en France et en République tchèque, 2000-2012

Prescriptive Compétitive Discursive

2001 - République tchèque (RT), amendement introduisant la structure de diplômes en trois cycles

prévoit la généralisation des diplômes de licence qui doivent permettre l’insertion sur le marché

du travail

2007 - RT, récompenses �nancières (par le ministère de l’Education) aux établisse-ments qui reçoivent les labels ECTS/DS de

la Commission européenne

2001 - RT, crédits ECTS et annexes descriptives au diplôme : description des

formations et des unités d’enseignement en termes de compétences et d’utilité pour le

monde professionnel

2006 - France, l’AERES demande à ce que les responsables des formations décrivent et suivent

les débouchés professionnels des diplômes et développent les liens avec les milieux

socio-économiques

2008-2010 - France, projet avorté du �nancement des établissements en

fonction de l’insertion professionnelle de leurs diplômés

2002 - France, tous les diplômes du supérieur dans le Répertoire national des certi�cations professionnelles (RNCP) où sera intégré aussi le Cadre européen des

certi�cations

2007-2012 - RT, projet avorté visant à renforcer les employeurs en tant que parties prenantes dans la

gestion interne des universités

2009 - RT, une partie du �nancement public est distribuée aux établissement

d’ES en fonction des taux de chômage de leurs diplômés

2009- RT, projets �nancés par le ministère et fonds européens pour transposer le Cadre

européen des certi�cations en RT

2007 - France, généralisation des bureaux d’aide à l’insertion professionnelle (BAIP) et des observa-

toires d’insertion professionnelle

2010 - France, classements des formations en fonction de l’insertion des diplômés,

publiés par le ministère de l’ESR 

2007 - France, Plan Réussite en licence prévoit la généralisation des unités d’enseignement projet

personnel professionnel  

2011 - France, le décret sur la nouvelle licence généralise certains aspects des licences profession-

nelles à l’ensemble des formations    

Sigles  : AERES – Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur  ; PB – Processus de Bologne ; DS – Diploma Supplement  ; ECTS – European Credit Transfer System ; RNCP – Répertoire national des certi�cations professionnelles ; RT – République tchèque.Source : Auteur.

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DOSSIER

ConclusionAussi bien en France qu’en République tchèque, la professionnalisation ne �gurait initiale-ment pas en tête des agendas des réformes universitaires. Suivant leur référentiel libéral, les principaux groupes de réformateurs souhaitaient renforcer les organes centraux des établis-sements d’enseignement et les mécanismes (quasi)-marchands de régulation des systèmes d’enseignement supérieur respectifs. Dans l’esprit des réformateurs proches de N. Sarkozy en France, ou de l’équipe de P. Mateju, en République tchèque, il revenait à chaque établis-sement de décider de son orientation plus ou moins académique ou professionnelle. En France, notamment suite au mouvement contre le projet du contrat premier embauche (CPE), le problème de l’insertion professionnelle des diplômés s’est imposé dans l’espace public. Pour le résoudre, un ensemble des mesures, plutôt consensuelles, a été introduit dans la période 2007-2012. La majorité de ces mesures (bureaux d’aide à l’orientation et insertion professionnelle, observatoires de l’insertion des diplômés, unités de projet profes-sionnel, interventions des représentants des milieux socio-économiques,…) relevait de la professionnalisation prescriptive : elles étaient imposées par le ministère à tous les établis-sements pour que tous les étudiants puissent en béné�cier. Notamment grâce à ce principe égalitaire, la professionnalisation prescriptive n’a pas été décriée par les syndicats étudiants contestataires comme cela avait été le cas dans les années 1970 et 1990. Par ailleurs, elle semblait rapprocher les �lières universitaires, généralistes, des �lières sélectives, réputées professionnalisantes, et ce, sans introduire de sélection à l’entrée à l’université. La situation tchèque a été radicalement di�érente en termes de rapports de force entre les principaux acteurs et de l’héritage institutionnel et idéel. Après quarante ans de régime socialiste, le système d’enseignement supérieur tchèque s’est reconstruit en prenant pour référence une université libre de toute exigence politico-écono-mique. En se réclamant du modèle humboldtien (Ash, 2008) de l’université libérale sup-posément présente en Tchécoslovaquie d’avant-guerre, les élites académiques ont gagné un pouvoir considérable dans ce système d’ES qui continuait à être �nancé par l’Etat (Pabian et Sima, 2013). Dans ce contexte, la professionnalisation prescriptive ne s’est pas développée en l’absence de capacité des pouvoirs publics à imposer aux universitaires un ensemble de mesures concrètes dont l’objectif annoncé était d’adapter les formations aux exigences éco-nomiques. La professionnalisation ne s’est développée que comme un résultat collatéral de l’adoption des mesures européennes et des réformes discrètes qui diversi�aient le système de l’enseignement supérieur. La professionnalisation discursive relevait avant tout des outils de Bologne (i.e. crédits ECTS, cadre national de certi�cation, architecture d’études en trois cycles) qui visaient à accroître la transparence et la lisibilité des diplômes sur le marché du travail. La professionnalisation compétitive englobait di�érentes mesures incitatives (i.e. nouveau système de �nancement public en fonction des indicateurs de performance17) qui

17. Jusqu’en 2009, le ministère de l’Education a distribué la majorité des ressources aux établissements d’enseignement supérieur tchèques selon le nombre d’étudiants. Depuis 2009, une partie de ces ressources est allouée en fonction des résultats des établissements à l’aune de plusieurs indicateurs de « performance et

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avaient pour objectif d’encourager certains établissements (surtout périphériques) à adapter davantage leur formation à la demande du marché du travail, sans que les autorités natio-nales de tutelle précisent de quelle manière le faire. L’in�uence des initiatives et des organisations internationales (OCDE) et européennes (processus de Bologne, outils promus par la Commission européenne) est plus tangible dans l’enseignement supérieur tchèque. On peut l’expliquer par un contexte institutionnel moins stable, et donc plus in�uençable, ainsi que par l’ambition du « retour en Europe » et l’ouverture aux organisations internationales occidentales après la dissolution du bloc de l’Est. Les principaux acteurs de la politique universitaire tchèque suivent de près l’évolu-tion et l’expertise internationales. Ne pas s’écarter de la norme européenne fait partie des objectifs politiques en soi, comme l’illustre l’exclamation d’un des anciens responsables du ministère qui regrettait qu’en République tchèque, on ne puisse pas réformer le système d’accréditation de la même manière qu’en Croatie : « aucun débat sur les forces et faiblesses, on le fait partout en Europe, on le fera aussi  »18. En France, les in�uences internationales sont moins liées à des recommandations promues par les organisations européennes. Elles relèvent davantage de l’importation de pratiques choisies par les décideurs « à la carte », de l’éventail des exemples internationaux parmi lesquels prime celui des Etats-Unis.

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Entre universitarisation et « professionnalisation » : la formation des

assistant-e-s de service social, en France et en Italie

RUGGERO IORIDoctorant en sociologie et ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, membre du laboratoire PRINTEMPS

(Professions, institutions, temporalités) UMR 8085 CNRS/UVSQ1.

Résumé

n Entre universitarisation et « professionnalisation » : la formation des assistant-e-s de service social, en France et en Italie

Cet article interroge les transformations de l’enseignement supérieur sous l’e�et des récentes réformes européennes, à la faveur notamment de l’introduction de la formation professionnelle dans l’espace universitaire. Partant du cas de la formation d’assistant-e de service social, il s’agit, d’une part, de questionner son rapport à l’université (en tant qu’es-pace et dispositif de formation spéci�que) dans une perspective comparative historique et géographique (la France et l’Italie) et, d’autre part, de mettre en perspective les débats dans l’espace de l’enseignement supérieur des deux pays.

Mots clés  : Assistant social, enseignement supérieur, professionnalisation de l’enseigne-ment, politique de l’éducation, université, création-rénovation de diplôme, Union euro-péenne, France, Italie, comparaison internationale

Abstract

n Between academization and “professionalization”: the vocational training of social worker in France and Italy

�is article explores how European policies introducing higher vocational studies have transformed university systems in Italy and France. Our empirical analysis o�ers an over-time, cross-national comparison of professional training for social workers, investigating its role within the university as a speci�c (educational) �eld and as a training device. Our results thus o�er crucial insights on competing understandings of higher education in the two countries.

1. Je tiens à remercier Aurélie Gonnet et Julie Minoc pour leurs relectures et conseils, ainsi que les rappor-teurs de la revue et les coordinateurs du numéro pour leurs remarques.

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N° 13840

DOSSIER

keywords: Social worker, higher education, professionalisation of teaching, education policy, university, diploma creation - diploma updating, European Union, France, Italy, international comparison

Journal of Economic Literature: I 23 I 28

Traduction : Auteur.

La réforme dite « LMD » (licence-master-doctorat) en France, ou « 3 + 2 », en Italie, a été introduite au début des années 2000 dans la plupart des pays européens, suite à la déclaration de Bologne. Elle a inscrit formellement la formation professionnelle au sein de l’enseignement supérieur et a conduit, dans le même temps, à une standardisation des cursus, à l’image de la « formation permanente ». Au principe de cette réforme se trouve une conception renouvelée de l’individu comme acteur rationnel qui construit son parcours professionnel individualisé en choisissant des « modules » (Tanguy, 2005). L’idée de «  formation tout au long de la vie  », introduite par les traités européens (protocole de Lisbonne), témoigne aussi de ce mouvement d’ensemble. Au sein des formations de « travail social »2, espace à la frontière entre enseignement supérieur et formation professionnelle pour adultes, entre formation initiale et continue, donnant accès à des titres « protégés », le processus de Bologne a été accueilli avec enthousiasme. Cette réforme répond tant à une volonté de revalorisation de ces formations, via l’uni-versitarisation, qu’à une logique de « professionnalisation » propre à ce secteur.

Pour autant, au-delà du modèle théorique, l’homogénéisation européenne en la matière est encore loin d’être aboutie. Les contours des �lières du travail social connaissent d’importantes disparités en Europe, selon les spéci�cités des systèmes d’enseignement nationaux. Certaines sont pleinement inscrites dans le système universitaire, d’autres en sont autonomes ; certaines s’établissent dans des hautes écoles professionnelles ou encore sont reconnues selon leur niveau de quali�cation professionnelle. En France, bien qu’une reconnaissance de 180 ECTS (crédits européens, de niveau Bac + 3) ait été introduite, ces formations restent aujourd’hui au niveau III de quali�cation pro-fessionnelle (Bac + 2), alors que des discussions sur l’entrée à l’université, l’autonomie dans des Hautes Écoles Spécialisées, ou encore la mise en place d’un tronc commun entre plusieurs métiers, font l’actualité du champ depuis plusieurs années (Jaeger, 2012 ; Molina, 2014). Depuis les années 1960, se pose la question du rattachement universitaire de ces formations, mais la plupart des acteurs du champ revendiquent leur éloignement du système académique et la spéci�cité de savoirs « professionnels »

2. L’espace du « travail social » regroupe, dans le sens commun, des activités et des formations diverses, loin d’être clairement dé�nies. Pour des raisons de lisibilité, tout au long du texte, nous utiliserons ce terme sans les guillemets.

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(Rullac, 2014)3 face aux disciplines universitaires. En Italie, au contraire, à l’instar d’autres formations professionnelles de l’éducation et de la santé, l’adoption des direc-tives européennes a conduit à l’entrée de la �lière de « service social » dans l’institution universitaire. Or, comment expliquer qu’une même réforme ait pu se matérialiser si di�éremment ? En quoi les spéci�cités des systèmes d’enseignement nationaux jouent-ils dans les politiques à l’œuvre dans cet espace  ? La comparaison de ces deux cas de �gure vise à mettre en perspective les débats en cours dans l’espace français pour comprendre les recon�gurations à l’œuvre dans ce champ. En resituant le contexte des changements socio-historiques concomitants aux réformes législatives, les stratégies opérées dans chacun des pays interrogent la distinction formation/enseignement dans le cadre des politiques de « professionnalisation  » de l’enseignement supérieur, plus spéci�quement dans une �lière féminine et  « moyenne », comme celle qui mène au titre d’assistant-e de service social.

Dans la première partie, nous montrerons, à partir du cas italien, comment l’universi-tarisation du cursus en service social participe conjointement à une progressive profes-sionnalisation du corps enseignant et à l’introduction de logiques professionnelles dans la sphère universitaire. Dans une seconde partie, nous partirons de l’exemple français pour illustrer comment la tentative de rapprochement vis-à-vis du modèle académique ne conduit pas ici à l’entrée de cet espace de formation dans l’université, les statuts des enseignants demeurant plus hétérogènes et le lien avec le marché de l’emploi plus fort.

Encadré 1 : Méthodologie

Cet article s’appuie sur une recherche doctorale en cours traitant de la formation en service social, en Italie et en France. Il repose principalement sur une analyse socio-historique de cet espace, réalisée sur la base d’un traitement primaire et secondaire de di�érentes sources écrites : archives des formations, publications dans des revues et articles de presse spécialisée, lois, arrêts et rapports de l’administration de l’action sociale dans les deux pays, entretiens.

En complément, nous avons mobilisé ici des données issues d’une enquête de terrain à la fois qualitative et quantitative, menée entre 2012 et 2016, dans quatre instituts de formation dans les deux pays, deux en région parisienne et deux dans une ville du nord de l’Italie.

L’articulation de plusieurs critères a présidé à ce choix : les conditions d’accès au terrain dans les deux pays, la place de ces instituts dans l’histoire institutionnelle du champ, le nombre d’étu-diants inscrits (pour permettre la comparaison quantitative) et la nature de leur tutelle (privée ou publique).

3. En dehors, entre autres, du groupe RIFF (Réseau interuniversitaire de formation des formateurs) au-jourd’hui RUFS (Réseau universitaire des formations sociales).

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Outre une enquête longitudinale par suivi de cohorte (533 étudiants dont 280 suivis quantita-tivement, 25 qualitativement ; enquête FRITA 2013-2016), nous avons mené des observations tout au long des trois ans du cursus, lors de di�érents moments de la formation : entretiens de sélection, réunions de pré-rentrées, cours et séminaires, réunions pédagogiques, etc. Ces observations ont été complétées par des entretiens formels et informels avec di�érents acteurs de la formation : du formateur responsable pédagogique aux enseignants, des vacataires aux « personnalités » historiques du champ. Vingt-neuf entretiens ont été conduits et enregistrés dans ce cadre (16 en Italie, 13 en France) autour de l’histoire de la formation, des pratiques péda-gogiques et professionnelles, des rapports avec l’Université, ou encore des trajectoires indivi-duelles de ces personnes. Les extraits mobilisés dans l’article font partie de ce corpus et ont été traduits par l’auteur.

En�n, parallèlement à cette enquête de terrain dans les quatre instituts, des observations ont également été e�ectuées sur la même période à l’occasion d’événements importants, à l’échelle nationale et internationale, autour de la «  recherche en travail social  »  : des séminaires de recherche, des journées d’études, des colloques internationaux. À cet égard, notons que cet espace de formation a été abondamment étudié et a donné lieu à une littérature foisonnante aussi bien dans des revues scienti�ques, que dans des revues professionnelles ou des ouvrages spécialisés. Cela a constitué un matériau à part entière, en particulier les articles et les ouvrages portant plus spéci�quement sur la formation en tant que telle et les rapports avec les pouvoirs publics. Une attention particulière a été accordée au statut du rédacteur. L’étude scrupuleuse des revues spécialisées (Vie Sociale, Revue Française de Service Social, Rivista di servizio sociale, Rassegna di Servizio Sociale) et des publications liées aux Associations nationales des assistants sociaux – ANAS –, spéci�ques à chacun des deux pays a notamment permis de repérer et mettre en perspective les di�érentes prises de position au �l des années, ainsi que d’identi�er l’organi-sation du champ.

Il pourrait sembler paradoxal qu’un pays comme l’Italie, où s’observent de nombreuses inégalités, à la fois territoriales depuis son uni�cation, socio-économiques ou en termes d’emploi eu égard au poids notamment de l’économie informelle, ait tardé à institution-naliser le travail social. Ce n’est en e�et qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’une forme d’État social italien se structure conjointement à la constitution de la République, sur les cendres de l’ancien Royaume d’Italie et après vingt ans de régime fasciste. Sous l’impulsion du patronat, des élites intellectuelles et politiques et des �nancements étran-gers (notamment américains via le Plan Marshall) prolifèrent, jusqu’aux années 1970, des dizaines d’écoles « sociales », inégalement distribuées sur l’espace national. Ces écoles, for-mant principalement au métier d’assistant-e social-e, suivent des approches idéologiques diverses (confessionnelles ou laïques, avant tout d’inspiration catholique et libéral-socia-liste) et tentent, à plusieurs reprises (1953, 1958, 1961, 1963, 1975, 1977, 1979, 1981) d’obtenir une reconnaissance légale de la part des pouvoirs publics, sans succès.

À la di�érence de l’Italie, l’État social français se structure tout au long du XIXe siècle, et notamment lors de la Troisième République. Formations originellement profession-nelles, les premières écoles de travail social naissent au début du XXe siècle, au croisement du sanitaire et du social (Rater-Garcette, 1996). Le métier d’assistant-e de service social

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s’institutionnalise dès la �n des années 19304, pour prendre sa forme actuelle après la Libération. Tout au long des années 1960 et 1970, d’autres métiers se développent, le bassin de recrutement s’élargit, d’autres formations apparaissent (notamment celle d’édu-cateur), et une partie de la formation professionnelle est prise en charge par l’université (suite à la création des IUT – Institut universitaire de technologie – et à la participation des universités à la formation professionnelle continue5) qui commence à concurrencer ces �lières. La formation aux métiers du social reste néanmoins privée, sous tutelle du ministère de la Santé et des A�aires sociales, à la di�érence de la grande majorité des formations chapeautées elles par l’Éducation nationale ou le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR). Si ces �lières ne sont pas les seules à être séparées de l’institution universitaire, comme par exemple les STS (sections de techniciens supérieurs) ou les classes préparatoires, les liens avec celle-ci demeurent con�ictuels, critiquée qu’elle est pour son académisme et son éloignement du « terrain ».

C’est au cours des années 1980 que la formation au « social » change de forme dans les deux pays. La création des régions administratives, à la �n des années 1970, et le processus de décentralisation produisent un transfert des compétences, tant du côté de la formation professionnelle que de celui des politiques sociales transversales, qui contribue à réorga-niser ces cursus. Les contacts entre les acteurs de la formation en service social et le champ universitaire se font alors de plus en plus concrets, bien qu’ils prennent forme dans deux con�gurations de formation distinctes dans chacun des deux espaces nationaux.

1I De la « formation » à l’ « enseignement »

Au début des années 1980, le territoire national italien compte 109 écoles qui o�rent une formation d’assistant-e social-e, en plus de sept écoles de statut universitaire agréées. Ces écoles proposent un cursus en trois ans, alternant cours et stages, les premiers étant dis-pensés par des enseignants du secondaire, des enseignants universitaires ou des assistantes sociales. Plusieurs tentatives de réformes ont été amorcées pour leur reconnaissance, sans succès, notamment à cause de la fermeture et l’intermittence du système politique partisan de l’époque, qui compliquait les discussions parlementaires sur le long terme. La mé�ance de cet espace professionnel envers le secteur public, considéré comme incapable de trans-mettre les « valeurs » spéci�ques du service social, demeure forte, tout comme le désir d’autonomie sur la formation pour en garder le caractère « expérimental ». La volonté

4. Si les premières écoles françaises sont fondées dès le début du XXe siècle, le premier diplôme d’État com-mun aux in�rmières date de 1938.5. Circulaire du 26 avril 1972.

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d’une reconnaissance légitime est patente et transparaît dans les échanges internes à cet espace qui se tiennent à l’époque (Bernocchi et alii, 1984, p. 310).

Pourtant, les débats de ces années oscillent entre l’intégration au système de formation professionnelle des régions et la reconnaissance universitaire. Certaines écoles avaient déjà commencé à organiser la formation dans le cadre des centres universitaires agréés (Scuola diretta a �ni speciali, trad. litt. École dirigée à des �ns spéciales6), sorte de structure inter-médiaire encadrant plusieurs diplômes technico-professionnels, alors que d’autres écoles avaient été incorporées à l’organisation des collectivités locales (notamment commu-nales7). En 1982,8 le législateur réorganise ces écoles « spéciales » en intégrant progressi-vement la formation initiale professionnelle au système universitaire. En 1985 et 19879, deux décrets fondateurs inscrivent plus spéci�quement la formation au service social au sein de l’université, avec un programme pédagogique dé�ni par décret ministériel. Tel un « champ organisationnel », des processus d’ « isomorphisme »10 (Di Maggio et Powell, 1983) contribuent à homogénéiser progressivement cet espace. Dès lors, des écoles ferment ou fusionnent, créant des centres universitaires agréés ou rejoignant des universités existantes. Cela contribue en partie à déposséder les responsables de formation de l’époque de leur marge de manœuvre sur les cursus de formation11. Le programme des études n’est plus organisé singulièrement par les écoles, mais commence à être géré par les universités selon les plans ministériels. Il en va de même pour la sélection du personnel enseignant, parmi lesquels se trouvent les professeurs « en poste » qui encadrent de droit les formations.

Les années 1990 se caractérisent par une période de recon�guration de la gestion de l’ensei-gnement supérieur et du social, dépendant en grande partie d’une recomposition des rap-

6. Ces écoles, rattachées à l’Université et instituées par une loi de 1933, étaient à l’époque au nombre de huit (par ordre de création) : Sienne, Rome, Florence, Parme, Pise, Pérouse, Rome-Magistère de Maria Santissima Assunta (aujourd’hui LUMSA), et Cagliari.7. Pour prendre le cas d’une ville du Nord de l’Italie, cette école fusionne les traditions des deux écoles exis-tant auparavant (qui renvoyaient à la tradition catholique et laïque) dans une école communale centrale. Les formateurs salariés de cette école sont alors intégrés à la fonction publique territoriale et les diplômés à la sortie peuvent être embauchés dans les services publics locaux. Ce rattachement a cours de 1978 aux années 1990, quand l’école est transformée progressivement en centre universitaire agréé et prendra part à la création de la nouvelle université publique de la ville à la �n des années 1990.8. Décret présidentiel n° 162 du 10/03/1982.9. Décret ministériel n° 35 du 30/04/1985 et Décret présidentiel n. 14 du 15/01/1987.10. Dans leur analyse du champ organisationnel et des phénomènes de bureaucratisation, Di Maggio et Powell utilisent le concept d’isomorphisme pour indiquer les processus qui amènent les organisations à homogénéiser leurs normes. Cet «  isomorphisme instutionnel  » peut prendre trois formes : mimétique, normatif ou coercitif.11. Comme nous le révèle un ancien formateur à propos de l’école évoquée supra : « et ensuite est arrivée l’université… Il y a eu toute une phase de cogestion – on peut l’appeler comme ça, et c’est là que les anciennes assistantes sociales historiques se sont rendues compte, selon moi, qu’elles perdaient quelque chose… qu’elles se sont fait vraiment piquer le pognon… ». Entretien avec Franco, 70 ans, pendant longtemps formateur pour l’école communale et ensuite collaborateur indépendant pour diverses formations du social jusqu’aux années 2000.

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ports de force au sein de l’univers politique partisan (Mastropaolo, 2000). La réforme dite « Ruberti », en 1990,12 initie le mouvement d’autonomisation des universités et intègre les prémices du �nancement privé (Pitzalis, 2007). L’Université s’autonomise progressive-ment, pédagogiquement et �nancièrement. Le fonctionnement universitaire commence alors à se généraliser pour les cursus de service social, la création du diplôme universitaire (DU, cycle court professionnel) de service social, en 1993, participe de l’institutionnalisa-tion de ce cursus. Sous le modèle des professions libérales, l’obtention du DU, le passage par un concours national (it. Esame di Stato) et l’inscription à un ordre professionnel créé dans la même année13, permettent l’entrée « o�cielle » dans le métier.

Les évolutions de cette formation doivent se lire alors à l’aune des changements qui tra-versent l’institution universitaire. La signature de la déclaration de Bologne, en 1999, amène à l’introduction soudaine de principes européens au sein de l’institution universi-taire. Les cycles universitaires « classiques » de la Laurea (correspondant au niveau « maî-trise », de 4 à 6 ans) voient leur durée réduite à 3 ans et sont uniformisés avec les DU professionnels au niveau licence. Cette réforme est alors promue comme une manière de lutter contre les très faibles taux de réussite à l’université (40 %) et la durée longue des études, cette dernière engendrant une sortie tardive du système de formation (60 % termi-naient leurs études à 26,7 ans) (Woolf, 2003). De la même manière, la « modernisation » de l’institution universitaire permet d’attirer de nouvelles masses d’étudiants, la « massi�-cation » du public universitaire n’ayant pas eu vraiment lieu par rapport à d’autres pays14.

Le service social est alors o�ciellement intégré dans des départements universitaires et, selon les contextes locaux, au sein des �lières de sociologie, science politique, droit ou encore dans des cursus interdisciplinaires de diverses universités. Le mécanisme de légiti-mation qui se dessine ici passe alors par un processus de « poussée académique » observé aussi dans d’autres systèmes d’enseignement européens (« academic drift » ; Neave, 1979), les écoles professionnelles adoptant progressivement le modèle universitaire. Non seu-lement la formation est désormais « créditée » de 180 ECTS, mais le passage du DU à la licence est presque immédiat. En 2015-2016, on compte 40 licences en « sciences du service social  »15 et 38 masters, ainsi qu’une dizaine de parcours doctoraux spéci�ques. Les maquettes et les cursus sont directement gérés par le ministère de l’Université, mais l’o�re de formation permet à chaque structure d’y apporter ses spéci�cités, nourrissant la concurrence entre universités et la sélection des étudiants. La validation des trois ans permet d’obtenir une licence, suite à laquelle chaque étudiant peut librement choisir de

12. Loi n° 341 du 19/10/1990, par le nom du professeur Antonio Ruberti, ministre de l’Université et de la Recherche sous le gouvernement démocrate-chrétien, ancien doyen de l’université de Rome.13. Décret ministériel n° 180 du 23/07/1993, et loi n° 84 du 23/03/1993, création du DUSS (diplôme universitaire supérieur spécialisé) et de l’ordre professionnel.14. Selon les données de l’ISTAT, Institut national italien de statistique, en 2013, en Italie, 23 % des 30-34 ans suivent un cursus post-bac, contre 44,1 % des français pour la même classe d’âge.15. Le label « science » s’impose dans la plupart des �lières du supérieur.

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rentrer dans le métier en s’inscrivant au concours, organisé conjointement par l’université et l’ordre professionnel régional, poursuivre en master, ou suivre ces deux voies en paral-lèle. Cette formation, largement féminisée, permet alors de rénover l’« image » de certaines �lières en crise de recrutement, notamment la sociologie, attirant de « nouveaux » étu-diants – ou plutôt de nouvelles étudiantes – et de nouvelles ressources dans une institution autonome �nancièrement16. De plus l’intégration dans l’espace universitaire contribue à asseoir la légitimité du groupe professionnel.

Cette progressive universitarisation entraîne tout d’abord la professionnalisation de son corps enseignant : désormais, comme toute autre discipline universitaire, des étudiants assistant-e-s de service social peuvent continuer leurs études en poursuivant dans la carrière académique. Dans l’une des deux universités observées (�lière privée à orien-tation catholique), le cursus de service social est intégré au sein du département de sciences politiques et sociales, mais est organisé de manière autonome par un groupe d’enseignant-e-s chercheurs-ses qui ont développé leur propre orientation théorique, les approches scienti�ques étant loin de faire consensus dans la communauté acadé-mique. Plus qu’un « academic drift », ce cas traduit un véritable « research drift ».

Toutefois, en dépit de l’inscription universitaire, l’enseignement n’est pas assuré uni-quement par des enseignants-chercheurs en service social. En réalité, les titulaires de cette discipline sont encore peu nombreux et dans la plupart des cas, ce sont des ensei-gnants-chercheurs en sociologie, psychologie, droit ou science politique qui assurent les enseignements dans ces cursus. La pénurie des postes à l’université ne permet pas d’embaucher autant d’enseignants et cet espace est loin de représenter un «  monde paci�é  » de l’enseignement supérieur et de la recherche. Des enseignants vacataires, parfois doctorant-e-s en service social, ayant un titre d’assistant-e-s de service social, dispensent les modules plus « professionnels », sur une thématique particulière. Pour ceux-ci, l’enseignement universitaire ne fait pas forcément consensus, et certains regrettent l’espace régional des écoles où la « vocation » des étudiants était selon eux plus prégnante et leur marge de manœuvre plus grande.

Comme nous le con�e une enseignante vacataire d’une des deux �lières (université publique), dans laquelle elle développe un cours original sur la «  narration d’expé-riences du social » :

« … pour être synthétique et brutale : le cursus d’avant était une formation, celui-ci c’est de l’enseignement… Cela change tout, absolument tout, la formation est un processus qui accompagne, stimule et implique, interroge et bouge, dérange les personnes, et les aide à construire dans le temps une identité corrélée à cette spéci�cité professionnelle… et je ne m’exprime pas au hasard sur ces termes, parce que cette question vaut pour l’assistante

16. En guise d’exemple, selon les données de 2013 de l’OCDE (Organisation de coopération et dévelop-pement économiques), les frais d’inscription représentent 20 % du budget des universités italiennes, contre 64 % aux États-Unis, 28 % au Royaume-Uni, et 13 % en France.

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sociale comme pour d’autres �gures professionnelles. L’enseignement, c’est tout autre chose… (…). C’est pour cela que je parle de formation et d’enseignement. Le cours est absolument nécessaire, de psychologie générale, du développement, de sociologie de la déviance… et c’est autre chose que d’être face à des situations concrètes sur lesquelles on tombe dans la profes-sion… et surtout être pris dedans… c’est pour cela que je trouve particulièrement critique le passage de la formation d’antan à celle universitaire… » 17 

Si l’entrée dans l’université demeure contestée par certains, les professionnels « du ter-rain » ne sont pas pour autant exclus de ces formations. L’introduction de ces �lières professionnelles au sein de l’université a rendu de plus en plus étroit le rapport entre enseignement universitaire et marché de l’emploi. L’organisation pédagogique du ser-vice social (stages et alternance, modules spécialisés, interdisciplinarité) fait écho aux principes de la réforme de Bologne, qui met l’accent sur l’individualisation du parcours et sur le lien entre marché du travail et cursus universitaires.

Dans l’une des deux formations observées (université publique), la �lière de service social est intégrée au département de sociologie, qui propose quatre cursus en licence (sociologie, service social, sciences du tourisme, et sciences de l’organisation). Le cursus de service social est, selon les mots de la responsable de la �lière18, celui qui « fait du chi�re » et « n’a pas de competitors (concurrents) ». En matière d’’insertion profession-nelle, ce cursus obtient ainsi les meilleurs résultats selon les évaluations du ministère et de la présidence de l’université, ce qui est vecteur de meilleures ressources �nancières pour le département. Le lien et la connaissance du marché de l’emploi sont alors fon-damentaux pour cette professeure qui met l’accent sur les « séminaires » (laboratori) dispensés. Dans ce cadre, des vacataires extérieurs, souvent responsables de structures sur le territoire, interviennent tout au long des trois ans. Elle-même, lors de son cours de « politique sociale » en deuxième année, décide d’inviter, à plusieurs reprises, des cadres du secteur associatif, pour qu’ils témoignent de la « réalité » du métier.

Un autre élément joue en faveur d’une transformation de la formation en service social sous l’e�et du marché de l’emploi. En e�et, d’après les chi�res nationaux des diplômés, la réduction des embauches dans le public amène une partie des assistants sociaux à se tourner vers le tiers secteur, à accepter des contrats à durée déterminée ou précaires, voire à quitter l’espace professionnel19 (May et Cacioppo, 2015, pp.  53-78). Pour

17. Entretien avec Laura, quinquagénaire, assistante sociale diplômée, exerçant en profession libérale tout en étant formatrice pour adultes dans des cursus socio-sanitaires (formation initiale et continue).18. Discussion informelle avec Ada, sexagénaire, professeure associée (maître de conférences habilitée aux fonctions de professeur d’université) en sociologie, responsable de la �lière. Elle a commencé sa scolarité dans une école de service social où elle a ensuite donné des cours en tant que formatrice. Après un diplôme en sciences politiques, elle a poursuivi sa carrière à l’université où elle est entrée en tant que maître-assistante de l’ancien doyen de la faculté de sociologie.19. Dans une recherche collective menée sur les assistants sociaux en Italie, les chercheurs attestent que seu-lement 14 % des nouvelles embauches sont en CDI (contrat à durée indéterminée), 27 % en CDD (contrat

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contrer la réduction des emplois dans le public et l’a�aiblissement des garanties profes-sionnelles, les universités de la région, conscientes en partie du problème, tentent d’y remédier en développant un ensemble de dispositifs de formation qui entraînent une modi�cation progressive du rôle de l’assistant-e social-e à la faveur d’une plus grande �exibilité et adaptabilité20.

Désormais, sous l’e�et conjugué de l’injonction à se professionnaliser dès le secondaire et le changement des modalités de sélection des candidats (autrefois déléguées aux écoles), c’est le public même de ces cursus qui change. Plusieurs étudiants s’orien-tent directement vers ces formations en sortant de la maturità, le baccalauréat italien (16 % seulement des inscrits au niveau national ont plus de 23 ans, 8 % dans notre échantillon, selon les données du ministère de l’Université italienne en 2016 et notre enquête FRITA). C’est donc à la frontière entre « professionnalisation » de l’université et universitarisation du service social que ce processus peut être saisi.

Le temps universitaire n’est donc plus un temps à part échappant aux impératifs sociaux, politiques ou économiques, mais un temps ancré dans le marché du travail. Alors que le rattachement universitaire pouvait laisser croire à un virage plus « académique » de ces cursus, c’est l’académie même qui change dans sa substance. Dans un mouvement de « rattrapage » des compétences à acquérir, l’accent est mis, d’un côté, sur la « profes-sionnalisation », de l’autre, sur l’orientation vers des emplois disponibles, qui ne cor-respondent que partiellement aux canons du métier. Les connaissances dispensées sont rarement remises en cause par les étudiants ou dans les échanges avec l’enseignante, et se concentrent pour souligner l’« e�cience » du service social. Les cours deviennent alors une manière de parfaire le lien entre université et travail, constitué par une mis-sion « publique » exercée de plus en plus avec les moyens du « privé », de s’adapter au réel d’un marché de l’emploi davantage précarisé.

à durée déterminée), 38,8 % avec des collaborations et 20 % sous contrats à projet ou atypiques. De même, seulement un tiers des diplômés interrogés exerce e�ectivement un travail d’assistant-e social-e (Tognetti, 2015).20. Des passerelles entre le service civique ou le bénévolat et les études universitaires sont envisagées pour permettre un meilleur ancrage des diplômés à la sortie de la formation. Dans les cours en université, l’accent sur la polyvalence amène, par exemple, à un détournement de la signi�cation du dispositif, allant souligner une polyvalence professionnelle qui s’apparente à une plus forte précarité de l’emploi, ce qui contribue à faire évoluer la licence en service social au-delà d’une formation à un « métier » spéci�que et avec un caractère professionnel plus « généraliste ».

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2I Revendiquer l’écart pédagogique

et institutionnel ?

En France, comme en Italie, les années 1980 sont un moment de basculement entre ce qui va devenir la formation et le métier d’assistant-e social-e.

Tout d’abord, la réforme de 198021 poursuit le rapprochement avec le modèle univer-sitaire initié dès les années 196022 (Morand-Durocher, 1992). Elle est l’aboutissement d’une série de négociations entre acteurs du travail social et pouvoirs publics, amorcées suite à un projet du ministère visant à abaisser les titres nécessaires à l’entrée dans ces formations ; en témoigne une ancienne directrice d’un centre de formation23 :

« … alors évidemment tout ça [le projet du ministère, nda] a mis beaucoup en émoi tous les responsables de centres de formations, les formateurs, les étudiants, tout le monde n’était pas content… Et donc y a eu un groupe de travail de négociation avec les syndicats, les repré-sentants des associations, des employeurs, les professionnels... et y a eu une négociation très di�cile (…) on a été obligé de tout réexpliquer depuis le commencement jusqu’à ce qu’était devenue la formation professionnelle maintenant. D’autant plus qu’on a créé le DSTS24 avec le même directeur de l’action sociale, Guy Ra�, qui est devenu après administrateur de Montrouge [aujourd’hui institut régional de travail social de Montrouge]... bon. Alors, cela a été très houleux, très compliqué, mais on a quand même réussi à faire une réforme qui a été plutôt une bonne reforme d’après ce qu’on nous a toujours dit... ».

La réforme de 1980 aboutit à la reconnaissance o�cielle de ces formations comme cursus post-bac, et conduit à intégrer des « théories du service social » pour un tiers du programme et à augmenter les heures des disciplines enseignées (sociologie, psycho-logie, droit), transformées en « unités de formation ». Un « mémoire de recherche » de �n d’études vient en�n consacrer la formation. Le stage représente un volume impor-tant sur les trois ans (quatorze mois) et le stage en polyvalence de secteur (cinq mois) est rendu obligatoire. Le poids de la conception « publique » du métier est patent  ; pourtant, cette tentative de recon�guration n’aboutit pas à une universitarisation de ce cursus. Ce qui demeure aussi particulier au cas français, c’est que ce travail social, censé exercer une mission d’intérêt général et d’utilité publique, n’est pas un « service public » en tant que tel. Si l’État délègue ces missions aux centres de formations et aux associations, les écoles continuent à former leurs étudiants selon diverses méthodes et

21. Décret n° 80-334 du 6/05/1980 relatif à la formation des assistants de service social22. Réforme de 1961 et arrêté du 2/04/1970.23. Entretien avec Monique, sexagénaire, diplômée assistante sociale dans les années 50, elle poursuit des formations aux méthodes anglo-saxons et elle devient formatrice puis directrice d’école, avril 2013.24. Le Diplôme Supérieur de Travail Social (DSTS, aujourd’hui Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale, DEIS) est créé par arrêt du 14/10/1978 du ministère de la Santé et de la Famille. Il vise à tisser un premier lien avec l’université pour permettre aux travailleurs sociaux d’obtenir des maîtrises et des diplômes de l’enseignement supérieur.

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approches idéologiques. Ainsi, n’émerge aucune théorie originale du service social, ni des méthodes partagées ; les liens entre di�érentes spécialités du travail social restent sporadiques et les savoirs inégalement transmis d’une école à l’autre (Viguier, 2010, p. 323).

Cette réforme s’inscrit de plus dans une mouvance particulière de la Direction de l’ac-tion sociale. Celle-ci se fonde sur la volonté, tant de la part des cadres du service social, formés dans l’après-guerre aux formations et aux méthodes anglo-saxonnes25, que de ceux de l’action sociale, d’améliorer la cohérence entre les formations et de conserver l’indépendance pédagogique et professionnelle des écoles face à l’Éducation nationale. Ces années se caractérisent par une génération particulière de hauts fonctionnaires, à la frontière entre monde politico-administratif et monde social, liés socialement aux cadres des écoles de l’époque. Guy Ra�, sous-directeur des professions sociales entre 1975 et 1983, s’inscrit dans ce « microcosme » qu’est la Direction de l’action sociale des années 1980 (Genieys, 1999), dans le sillage du « lénoirisme »26 et de cette vision technocratique de l’action sociale d’origine catholique27.

Avec le « tournant de la rigueur » des années 1980 (Bezes, 200928), ces hauts fonction-naires s’éloignent progressivement de l’idée – qui suivait le compromis keynésien de la «  troisième voie  » avec la Libération – d’un service public d’action sociale. Ils se réorientent vers le secteur associatif, proche socialement (notamment grâce aux socia-lisations catholiques et aux trajectoires sociales similaires) et intéressant �nancière-ment (moins coûteux eu égard à la réduction budgétaire des subventions sociales) (Viguier, 2010). Une des conséquences de cette réorientation avait été notamment la démission, en 1982, de la ministre de la Solidarité nationale (ensuite A�aires sociales), Nicole Questiaux, proche de cette mouvance29. Dans une circulaire de la même année30

25. La pratique anglo-saxonne de travail social se structure principalement sur trois méthodes : le case work (individuel), le group work (collectif ) et le community work (communautaire), importées en France initiale-ment dans l’entre-deux guerres et ensuite à la Libération dans le cadre de moments spéci�ques de formation.26. Par René Lenoir, auteur de l’ouvrage, largement relayé à l’époque, « Les exclus ». Cet énarque, directeur général au ministère des A�aires sociales sous la présidence de Giscard d’Estaing (1974-1978), sera ensuite dans la Commission des a�aires sociales du VIe Plan, directeur de l’ENA (Ecole nationale d’administration), et président de UNIOPSS (Union nationale interfédérale des organismes privés, sanitaires et sociaux à but non lucratif ).27. Pour une analyse plus détaillée de ce champ, voir l’important travail de thèse de Frédéric Viguier, en particulier la deuxième partie (Viguier, 2010).28. P. Bezes met en valeur comment ce « tournant néo-managérial » marque la victoire des agents de l’État aux compétences transversales (notamment l’importance accrue du ministère des Finances) sur les agents sec-toriels, avant que les nouvelles règles internationales et européennes rentrent au sein de l’État (Bezes, 2009).29. Elle était notamment proche de Pierre Laroque, désigné comme le « père » de la sécurité sociale. Pour prendre connaissance du pro�l de cet énarque, voir Viguier, 2010, pp. 289-294.30. Ministre réputée dans le milieu du travail social, dont la circulaire est régulièrement citée comme un temps fort dans la construction de cet espace. À ce propos, un dossier spécial « 30 ans après » lui est dédié, en 2012, par Vie Sociale, revue du CEDIAS – Musée social, n° 3. Le dossier voit également les interventions

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elle invitait le secteur social à développer la pluridisciplinarité, à conventionner les centres de formation avec l’université (notamment via les licences en sciences de l’édu-cation et AES – Administration économique et sociale), dans un « esprit de décloisonne-ment »31. Le positionnement de cette ministre reste important pour l’époque également en raison de l’accent mis sur la « contractualisation » et l’élargissement du public de l’action sociale. Désormais, le travail social, entendu au sens de « moyen de contrôle et de transformation », doit ouvrir ses compétences pour que tout public (et non seu-lement les « exclus ») devienne un citoyen à part entière, sans perdre son pluralisme entre privé et public.

Dans le sillage des lois sur la décentralisation32, la création des IRTS (Instituts régio-naux de travail social) en 198633, centres de formation «  multi-�lière  », initie un mouvement censé développer la recherche et l’interdisciplinarité. Elle contribue au maintien de la formation sous une autorité « partagée », privée et publique (via les col-lectivités locales). Pourtant, alors que les IUT commencent à développer les diplômes qui deviendront les DUT « carrières sociales », les rapports avec l’espace universitaire ne s’éclaircissent pas. Les formations professionnelles sont remises en cause, l’accent est mis sur la « mise au travail », comme en atteste l’arrêté ministériel pris en juillet 198934. Cet arrêté aligne le diplôme d’assistant-e social-e sur le Répertoire national des certi�cations professionnelles (RNCP) en lui reconnaissant un niveau III de qua-li�cation, équivalent au bac + 2. Dix ans après, ce sera la loi-cadre contre l’exclusion35 qui mettra l’accent sur le renforcement du lien de la formation des travailleurs sociaux avec les politiques sociales adoptées. Si la reconnaissance au niveau licence est revendi-quée par la plupart des acteurs de cet espace, la volonté de rester hors de l’institution universitaire demeure forte, par crainte de dissoudre l’ensemble du travail social (en privilégiant un métier sur les autres) et par volonté de mettre en avant les «  savoirs professionnels » et les « savoir-faire » acquis dans la pratique du métier.

Tout au long des années 1990, plusieurs rapports sont présentées (Molina, 2014, p. 135) en concertation entre les pouvoirs publics, les acteurs de la formation et des organismes privés associatifs, proposant di�érentes options, sans succès, alors même

d’autres acteurs de l’époque, comme Guy Ra�.31. L’un des nouveaux leitmotiv des politiques publiques, notamment dans l’enseignement supérieur. Cf. « Le décloisonnement comme outil de changement », Loi Fioraso 2013.32. Loi du 22/07/1983, 83-663, et circulaire des 21/10/1983 et 4/11/1983, décret et circulaires du 19/10/1984 sur le transfert des services d’action sociale et santé aux conseils généraux, qui deviennent les principaux employeurs des ASS.33. D’après l’idée développée par Bernard Lory (directeur général de l’Action sociale, de 1959 à 1966). Le premier institut naît bien avant, en 1975, sous le nom d’Institut régional de formation et de recherche en travail social, IRFRTS. René Lenoir en sera nommé premier directeur (Jaeger, 2012).34. Arrêté du 26/07/1989.35. Loi n° 98-657 du 29/071998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions.

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que ces formations restent éclatées et que le nombre de travailleurs sociaux s’accroît36. Simultanément, le développement de toute formation professionnelle dans l’univer-sité est établi en tant que priorité nationale37. Il aboutira à la création des licences professionnelles en 1999, puis à l’acceptation des priorités de Lisbonne en 2000. C’est notamment dans ce double processus – de « modernisation » de l’université et de mise à l’écart des formations professionnelles « traditionnelles » – que se situe la prolifération de formations universitaires d’« intervention sociale » (44 en 2008-2009, selon l’étude de Marc Fourdrignier, 2009).

Le contexte des années 2000 amène à une ultime recon�guration de cet espace38. Les lois sur la décentralisation39 incluent cette formation dans les compétences transférées aux régions ; ces dernières assurent le �nancement des écoles en fonction du nombre de places « agréées » dont elles ont besoin au niveau local40, et représentent souvent les premiers employeurs des diplômés. L’arrêt du 29 juin 2004 se focalise sur ce diplôme et introduit des « référentiels » (professionnels, de compétence, de formation) qui atté-nuent les spéci�cités du métier. Modi�é à nouveau par arrêt en 2011, cette réforme introduit le diplôme d’assistant-e social-e dans l’espace européen de l’enseignement supérieur  : désormais, la formation est reconnue par 180 ECTS et se structure en « modules ». Alors que la période de stage diminue progressivement au �l des années (12 mois au lieu de 14 mois depuis 1980), les centres de formation augmentent leur marge de manœuvre dans l’o�re de formation (1 740 contre 1 400 heures). Le poids des SHS (sciences humaines et sociales) diminue face à d’autres unités de formation, comme le droit ou la législation de politiques sociales. En�n, des «  disciplines  » et « quali�cations », on passe aux « compétences » à valider au �l des trois ans.

On observe plus particulièrement ce processus de déspécialisation de la formation dans la réforme des épreuves du Diplôme d’État (DEASS) à valider au bout des trois ans de formation et qui marque l’entrée « o�cielle » dans le métier. Le mémoire « d’ini-tiation à la recherche », introduit lors de la réforme de 1980, et construit à l’image d’un mémoire universitaire inspiré des sciences humaines et sociales, est conservé. Une nouvelle épreuve voit également le jour : le « dossier de pratique professionnelle », dont la préparation commence dès la première année et qui certi�e le premier « domaine de

36. Même la formation d’assistant social qui avait enregistré une baisse de recrutement, pendant les années 1980, accroît ses e�ectifs tout au long des années 1990 (Woitrain, 2000).37. Notamment lors des Assises nationales de l’Enseignement supérieur de 1991.38. La réforme de la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) de 2002 in�uence elle aussi tout particuliè-rement les formations en travail social, espace particulièrement investi par des personnes voulant reconvertir des expériences professionnelles dans le secteur social.39. Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, et loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.40. Dans le cas de l’Ile-de-France, les données de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’éva-luation et des statistiques) a�chent 548 étudiants en 2013.

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compétence » d’un assistant-e social-e. Ce dossier est composé d’une explicitation du positionnement professionnel de l’étudiant, qui doit analyser deux cas pratiques (l’un individuel et l’autre collectif ) et produire une auto-évaluation de son parcours de for-mation, en parallèle d’un document d’évaluation produit par l’école. Ainsi, bien que la formation s’approche progressivement d’une uniformisation par rapport au modèle universitaire – les mois de stage diminuent, les heures théoriques augmentent, les cré-dits européens uniformisent – l’aspect professionnel, « pratique  », reste très présent dans son orientation.

Le cas du « mémoire » atteste de cette ambivalence. Dans l’une des écoles observées, c’est une formatrice psychologue qui s’occupe de l’organisation des mémoires, quand l’aspect pédagogique est délégué à des vacataires extérieurs. Le cas d’Océane41, étu-diante en 3e année, est éclairant pour comprendre l’ambiguïté entre aspect théorique et professionnel. Sa tutrice est docteure en sociologie et collabore depuis peu avec son centre de formation. Présentant un mémoire sur l’application des contrats d’engage-ment réciproque dans le cadre du revenu de solidarité active, elle est confrontée à une remise en cause du projet porté dans son travail :

« Dans mon mémoire, j’écrivais que les ASS réclamaient la sanction et on [les formateurs, nda] m’a dit de nuancer parce ce n’est pas dans les valeurs de l’intervention sociale de sanctionner (…). Ma tutrice était une sociologue, pas une assistante sociale, elle m’a dit de rester sur la sanction ; or, les formateurs m’ont dit de prendre de la distance par rapport à la « sanction » (…) Les formatrices me disaient : ‘bah non, l’ASS n’est pas là pour sanctionner, elle est là pour appliquer un cadre règlementaire, elle a aucun pouvoir de sanctionner, donc il faut prendre de la distance par rapport à ce mot, ce qui n’est pas forcément un concept du travail social’. (…) Le jury blanc que j’avais eu trois semaines avant de rendre le mémoire était totalement fermé à la discussion, ils disaient que c’est pas intéressant d’aller, de tra-vailler sur cet aspect, ils me disaient de défendre l’obligation de contractualisation, c’était pas dans la culture des ASS de sanctionner… »

Q : Et tu en as parlé avec ta tutrice de mémoire ?

« Je lui ai dit que dans mon mémoire, ils étaient contre cette notion, pour elle, ça ne posait pas problème, elle a demandé à d’autres sociologues qui lui disaient pas de problèmes, mais elle m’a dit de demander quand même aux formateurs, et après c’est moi qui ai fait le choix… C’était super di�cile… Une fois au DE, on ne sera pas forcément face à un uni-versitaire, mais à un praticien… » 

Loin d’être un cas isolé, cet extrait témoigne de la dissonance, voire du con�it entre les aspects universitaire et professionnel. Même si le mémoire suit les méthodes des sciences sociales et une construction à vocation universitaire, il demeure un exercice

41. Discussion informelle avec Océane, 30 ans, père maçon, mère restauratrice, divorcés. Journal de terrain, avril 2016.

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évalué principalement par des professionnels, futurs pairs, lors du jury du diplôme d’État42. Ce sont donc les « codes professionnels », la logique de « service » aux indi-vidus, qui priment sur le « désintéressement » et l’  « objectivation » de la recherche scienti�que.

Contrairement au cas italien, qui suit un schéma plus « classique » de professionnalisa-tion d’un groupe professionnel, le corps enseignant en travail social français contribue à se maintenir dans le �ou. Le service est assuré par des formateurs aux pro�ls divers dans chaque école, un diplôme du travail social et quelques années d’expérience dans les services ou – de plus en plus – des masters universitaires dans des disciplines de SHS, étant souvent su�sants à l’embauche. Parallèlement, les écoles s’appuient aussi sur des interve?nants extérieurs à l’école pour des cours tout au long du cycle d’étude : des professionnels ou des cadres des services, des doctorants ou docteurs sans poste s’ajoutent à quelques formateurs « titulaires » des écoles, eux-mêmes recrutés au sein de chaque école en fonction des pro�ls et idéologies « spéci�ques » (Verron, 2013). Pour ces vacataires aux pro�ls forts hétérogènes, il n’y a pas consensus autour de l’identité ou du pro�l d’un « travailleur social », ou encore d’un-e assistant-e social-e.

La formation en service social garde encore son ancrage régional et prend plusieurs formes : mono/multi-�lières, généraliste ou spécialisée (hôpital, allocations familiales, collectivités territoriales, etc.), regroupant di�érents métiers du social (ASS, éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants), avec un statut privé, public, universitaire (DUT), associatif, ou proposant un double cursus avec l’université (en sciences de l’éducation ou AES), ce qui peut entraîner les stratégies di�érenciés des étudiants qui s’orientent vers cet espace (Molina, 2015). Or, le récent développement de l’applica-tion « Admission Post-Bac » (APB) à la sortie du secondaire exclut les centres de for-mation régionaux, alors que la di�usion de « prépas aux concours sanitaires et sociaux » ancre ces �lières dans des logiques de premier cycle de l’enseignement supérieur.

En dehors de la certi�cation de quali�cations professionnelles, le métier d’assistant-e social-e ne parvient pas à dé�nir une « autonomie » propre et voit son « expertise » concurrencée tant par une université en recon�guration, que par l’essor du travail associatif. Cette reproduction du corps professionnel, axée sur les praticiens du ter-rain, ne permet pas à cette �lière de garder une « spéci�cité » face aux autres secteurs du travail social, et aux concurrences issues des nouvelles �lières universitaires. Les discussions autour d’un « travailleur social unique » ou sur le rôle de « technicien du social » ou encore d’un « socle commun de compétences », introduites dans les derniers rapports43, ainsi que les di�cultés grandissantes de plusieurs centres de formation dans

42. La commission est composée désormais de professionnels, de formateurs et de responsables des centres de formation, alors qu’il y a quelques années, des universitaires pouvaient y siéger.43. Rapport « Reconnaître et valoriser le travail social » de Brigitte Bourguignon, députée PS, paru en sep-tembre 2015, et rapport de la Commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention

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la recherche de stages pour leurs étudiants, attestent alors d’une recon�guration du métier d’assistant-e social-e, en direction d’un risque de « déprofessionnalisation » de ce cursus. Pourtant, les nouvelles recompositions à l’œuvre dans l’université (pôles de recherche et d’enseignement supérieur – PRES, communautés d’universités et établis-sements – ComUE) qui voient déjà l’entrée des �lières non-universitaires dans celle-ci, laissent présager des évolutions dans le rapport entre champ académique et espace du travail social.

Conclusion : entre formation professionnelle et enseignement professionnalisé

Les politiques de « modernisation » de l’enseignement supérieur, développées en Europe depuis vingt ans (Charle et Soulié, 2007), ont produit des situations di�érentes, dépen-dant souvent des spéci�cités des traditions nationales (Bourdieu, 2007, pp. 35-42). Elles ont rapproché l’université européenne d’inspiration humboldtienne44 de celle plus libérale d’inspiration anglo-saxonne. Il est intéressant d’observer alors que dans les revendications d’universitarisation du travail social, au �l du temps, c’est surtout l’inspiration anglo-saxonne qui primait.

Dans le cas italien, cette progressive universitarisation du service social s’opère au moment où la logique professionnelle s’introduit au sein de l’espace universitaire, où l’université «  pénètre  » dans le marché du travail (et vice-versa). Nous ne saurions réduire ces changements à une adaptation de ces écoles professionnelles au modèle académique (academic drift ou research drift), c’est l’institution universitaire même qui change ses perspectives. La stratégie poursuivie par les acteurs de ce champ organi-sationnel (Di Maggio et Powell, 1983) est celle, classique, des professions libérales. La question de la reproduction du corps professionnel se pose avec l’émergence d’un corps académique de « service social ». Simultanément, cela amène au développement progressif des �lières professionnelles et à l’entrée de nouvelles étudiantes, auparavant exclues du jeu universitaire, dans un contexte de dévalorisation des titres universitaires et de diminution des e�ectifs étudiants.

Le cas français atteste davantage de ces ambivalences dans un pays où l’espace de l’en-seignement supérieur est plus hétérogène. Ici, pour l’instant, un positionnement à l’écart du monde universitaire a été privilégié pour maintenir l’hétérogénéité profes-sionnelle (le « travail social » au lieu de service social, éducation spécialisée…), alors que l’institution universitaire elle-même a progressivement changé de forme. L’espace

sociale (CPC) sur les formations sociales, à la Secrétaire d’État Ségolène Neuville, paru en octobre 2016.44. Le modèle humboldtien (par le nom du ministre prussien de l’Education Von Humboldt) renvoie à la conception de l’université comme lieu de connaissance, qui réunit simultanément la fonction d’enseigne-ment et la fonction de recherche (Charle et Soulié, 2007).

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pédagogique est occupé par des acteurs plus hétérogènes. Pour les écoles de travail social françaises, le rapprochement avec l’aspect académique recèle le risque de « tout perdre », de ne plus avoir la main sur la maîtrise de la formation, ni sur les di�érents métiers qui s’entremêlent. La revendication de l’argument « à l’international » (l’exis-tence de communautés académiques établies, de cursus en social work) est souvent portée comme la raison même de la création d’une discipline, d’un cursus ou d’un doctorat autonome  ; néanmoins, nous avons vu comment chaque système national dépend aussi de logiques intrinsèques aux di�érents espaces de formation et combien il serait di�cile de dé�nir une formation homogène à un travail social « universel ».

Pourtant, que cela soit dans le cadre d’un schéma libéral protégé ou sous le contrôle de l’État, notre enquête atteste d’une distanciation progressive vis-à-vis du modèle d’assis-tant-e social-e estampillé «  fonction publique  » et caractérisé par l’attribution d’un service particulier. C’est alors un modèle de métier di�érent qui s’esquisse. Les chan-gements des années 1990 (titre universitaire et ordre professionnel) et les évolutions récentes de la formation, en Italie, ou la concurrence des autres formations et métiers, en France, ampli�ent la dépendance du métier au marché de l’emploi et �outent les contours d’une identité professionnelle. L’espace du travail social composé par l’image classique de l’assistant-e social-e fonctionnaire se restructure, le travail social comme « service public » est remis en cause, qu’on y accède après une formation universitaire ou privée régionale. Le travail social développe des savoirs basés sur la centralité de la « pratique », sur l’individualisation du parcours tant de l’étudiant que du service à l’ « usager », sur une culture du « projet professionnel ». Il demeure important de se demander aussi en quoi ces savoirs s’harmonisent avec le tournant actuel des politiques de l’enseignement supérieur à l’échelle européenne.

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De la professionnalité des étudiants à leur employabilité, n’y a-t-il qu’un pas ?

CATHERINE BÉDUWÉIngénieure de recherche, socio-économiste (CRM, Centre de recherche en management,

Université Toulouse Capitole)

VIRGINIE MORAChargée d’études, sociologue (Céreq / DEEVA – Département entrées et évolutions dans la vie

active)

Résumé

n De la professionnalité des étudiants à leur employabilité, n’y a-t-il qu’un pas ?

Les parcours de formation dans l’enseignement supérieur sont émaillés d’épisodes profes-sionnalisants qui s’enchaînent ou se superposent dans des combinaisons variées. La pro-fessionnalité d’un étudiant résulte alors d’un processus d’accumulation  – plus ou moins singulier et riche – de compétences et de signaux qui, au-delà de son diplôme terminal, in�uencent son insertion professionnelle à venir. L’enquête « Génération 2010 » permet de montrer qu’il existe une diversité de pro�ls de professionnalité chez les étudiants, quel que soit leur niveau de formation. Et chacun de ces pro�ls révèle une variété de stratégies individuelles d’insertion, mais aussi d’attentes professionnelles qui nuancent l’idée que la professionnalisation su�rait à la réussite professionnelle. Mots clés : enseignement supérieur, étudiant, professionnalisation de l’enseignement, professionnalisation, employabilité, insertion professionnelle, cheminement scolaire

Abstract

n From the professionalism of students to their employability, is there only one step?

Courses in higher education are enameled by professionalizing episodes which are connected or superimposed in various combinations. �e professionality of a student is then the result of a process of accumulation - more or less singular and rich - of skills and signals that, beyond his terminal degree, may be of interest for future professional integration. �e “Generation 2010” survey allows us to show that there is a diversity of professionality pro-�les among students, whatever their level of training. And each of these pro�les reveals a variety of individual employment strategies but also professional expectations that nuance the idea that professionalization would be a su�cient condition for professional success.Keywords: higher education, student, professionalisation of teaching, professionalisation, employability, transition from school to work, school pathsJournal of Economic Literature: J 24

Traduction : Auteures.

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La professionnalisation des études supérieures visant à ancrer les savoirs dans la réalité du monde du travail n’est pas nouvelle. La pression d’un chômage des jeunes toujours plus élevé a cependant conduit les pouvoirs publics à engager une véritable « course à la profes-sionnalisation » des diplômes universitaires a�n de développer l’employabilité de tous les étudiants (Caillaud, 2012). En 2002, avec la réforme du LMD (licence-master-doctorat), les universités ont ainsi progressivement mis en place, à chacun des trois grands niveaux de diplôme, une voie dite professionnelle à côté de la voie générale. En 2007, la loi LRU a franchi un pas supplémentaire en faisant de l’objectif d’insertion professionnelle une mission à part entière des Universités, les rendant ainsi responsables et même comptables de l’employabilité de leurs étudiants.

Au-delà de la construction d’une o�re de formation professionnelle, c’est-à-dire d’une o�re « à même de répondre à des besoins en compétences dans des domaines d’activité et des espaces professionnels relativement spécialisés et circonscrits », les universités ont alors mis en place des dispositifs d’accompagnement à la professionnalisation des étudiants, notamment ceux issus des �lières généralistes, a�n de les « doter de compétences connexes, transversales, à même de les aider à s’insérer plus e�cacement sur le marché du travail » (Gayraud, Simon-Zarca, Soldano, 2011). Pour ces auteures, et sous l’in�uence des politiques européennes, la notion d’employabilité s’est progressivement substituée à celle de professionnalisation, dans une perspective d’amélioration des performances d’insertion professionnelle des étudiants.

La notion d’employabilité repose largement sur une logique de compétences qui s’oppose  – ou complète – la logique de quali�cation représentée par le diplôme (Monchatre, 2010). Les savoirs ou connaissances délivrés par un processus d’apprentissage, souvent long et validé par un diplôme, sont élargis à tout ce qui atteste que l’étudiant est également capable de s’adapter, d’évoluer, de mobiliser e�cacement les ressources adéquates pour faire face aux problèmes que pose l’évolution rapide du travail et des emplois. Cette logique, fondée sur l’individu, est « aussi une manière de mettre la personne au service d’objectifs d’e�cacité économique et de performance » (Lemistre, 2016, p. 97). Bien que fortement contraints par la structure et la sélectivité de l’o�re de formation, les étudiants sont ainsi incités à devenir acteurs de leur parcours de formation (Brucy, 2012) et deviennent en partie responsables du succès ou de l’échec de leur insertion professionnelle.

Ces évolutions conduisent à déplacer la focale depuis la question de la professionnalisation des formations et des diplômes vers celle de la professionnalité de l’étudiant. La profession-nalité de l’étudiant peut être vue comme le résultat d’un processus qui s’étend sur tout son parcours d’études et de vie sociale, à la fois dans et hors de l’établissement de formation, et qui lui permet de se doter  – de manière plus ou moins volontaire  – de compétences utiles pour sa vie professionnelle à venir.

La professionnalité ne se réduit pas aux enseignements formels, et encore moins au diplôme terminal. Elle rend compte de tous les épisodes professionnalisants, ou supposés tels, qui s’enchaînent ou se superposent dans des combinaisons variées au �l du parcours. Ainsi, les diverses expériences d’emploi en cours d’études, intégrées ou non au cursus de forma-

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tion (stages, alternance, emplois en cours d’études et jobs étudiants), mais aussi les séjours d’études à l’étranger, la participation à des dispositifs de préparation à la vie professionnelle, ou encore l’engagement associatif, dès lors qu’ils sont susceptibles de favoriser l’insertion professionnelle ultérieure, contribuent à façonner la professionnalité d’un étudiant. Celle-ci apparaît alors comme une combinaison singulière, plus ou moins riche et complexe, de compétences et de signaux accumulés tout au long de la trajectoire étudiante et valorisables sur le marché du travail.

Ainsi dé�nie, la professionnalité peut sembler synonyme de la notion d’employabilité, qui constitue l’objectif annoncé des politiques européennes de professionnalisation. Wittorski (2011, p. 7) explicite ainsi : « l’intention de professionnalisation accrue des individus par la formation, dans une conception moins ‘adéquationniste’ que ‘transversaliste’ des rapports forma-tion-emploi, vise à développer et à assurer leur ‘employabilité permanente’ (notion européenne de ‘professionnalisation durable’), source de mobilité constitutive de parcours professionnels variés, de manière à répondre à des impératifs de �exibilité plus grande de l’activité et donc du marché du travail et des emplois. » Cette vision de la professionnalisation suscite le rejet de ceux qui y voient une soumission du système de formation, et donc des formés, aux seuls impératifs économiques. Elle est au contraire défendue par ceux qui l’envisagent comme le moyen de mieux armer les étudiants au moment de la recherche d’un premier emploi, mais également vis-à-vis des transformations à venir du travail et des organisations professionnelles. Cette vision est cependant invisibilisée, en France notamment, car l’usage du terme « employa-bilité » entretient l’idée de relation de performance entre le système de formation et l’em-ploi (Gazier, 2006) : ce serait à travers le degré d’employabilité de l’étudiant, c’est-à-dire au vu de sa probabilité d’accéder à l’emploi et quelle que soit la qualité de celui-ci, que l’on pourrait juger de la performance de sa formation, et donc du système de formation.

Le terme d’employabilité paraît surtout mal adapté au cas français. De fait, en se basant sur une recherche comparative à propos de la professionnalisation dans trois pays euro-péens, Charles (2014) montre qu’en France la plupart des formations dites professionnelles « assurent une pré-professionnalisation, c’est-à-dire un processus de quali�cation professionnelle institutionnalisé dans la formation initiale » (notamment via les stages prolongés ou – encore mieux  – via l’alternance), processus destiné à « préparer à l’exercice d’un métier par l’acquisi-tion de savoir-faire et savoir-être spéci�ques ». La professionnalisation y reste ainsi profondé-ment marquée par la pensée adéquationniste qui veut que le métier s’apprenne à l’école et qui entend livrer aux employeurs les « produits �nis » qu’ils attendraient. L’insertion pro-fessionnelle est vue comme la prolongation de cette pré-professionnalisation, une phase de transition nécessaire, plus ou moins longue, qui mène l’étudiant formé de manière souvent très spécialisée jusqu’à l’emploi « adéquat ».

À l’opposé, les systèmes anglais et suédois cherchent à doter leurs étudiants de savoirs théoriques et de compétences générales dans plusieurs domaines professionnels, a�n de leur assurer un niveau global de formation qui garantisse leur employabilité, c’est-à-dire leur capacité à trouver du travail (sous-entendu qui leur convient). Aux débutants et aux

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employeurs de transformer – en entreprise dans le cas anglais, ou pendant les études lors d’années de césure ou d’emplois à temps partiel dans le cas suédois – ces compétences en quali�cations.

Il nous semble donc important de séparer professionnalité et employabilité. La profes-sionnalité est le résultat d’un processus largement individuel d’acquisition de compétences supposées attendues par le marché du travail ; mais la professionnalité n’est pas garante de leur reconnaissance e�ective par les employeurs et donc de l’employabilité e�ective de l’étu-diant. Tout au plus peut-elle y contribuer, et c’est son objectif, mais ce lien reste, comme le montrent de nombreuses recherches, aussi complexe à mesurer qu’à évaluer (par exemple, Giret, Lopez, Rose, 2005 ; Béduwé, 2015).

Notre travail a un double objectif. Le premier est de montrer comment les parcours des étudiants contribuent à façonner, au-delà du seul diplôme terminal, di�érents pro�ls de professionnalité. Le second est d’évaluer le lien que ces pro�ls de professionnalité entre-tiennent avec l’insertion professionnelle ultérieure des étudiants. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les données de l’enquête « Génération 2010 » du Céreq, qui contient à la fois des éléments descriptifs des parcours étudiants et des informations variées sur les conditions de leur insertion professionnelle.

1I Comment les étudiants construisent-ils leur professionnalité ?

La professionnalisation des formations, et plus largement celle des étudiants, vise à améliorer leur insertion professionnelle. Toutes les « compétences », à la fois théoriques et pratiques, délivrées par l’institution de formation ou acquises à l’initiative de l’étudiant lui-même et spéci�ques à un domaine professionnel plus ou moins circonscrit, peuvent y contribuer. Elles doivent en revanche être reconnues comme telles. En e�et, dès 1992, Vincens et Chirache montraient que la qualité professionnelle d’une formation ne se décrète pas, mais qu’elle doit, au contraire, être reconnue a priori par tous les acteurs concernés, Universités, étudiants et employeurs. Pour cela, trois critères seraient à respecter : « clarté » quant à la nature des compétences délivrées, « consensus » quant à la pertinence des compétences à acquérir et en�n « con�ance » dans le fait que les compétences sont e�ectivement détenues. Ainsi, et au-delà de la formation elle-même, tous les éléments d’un parcours étudiant sus-ceptibles d’apporter des compétences relevant de ces trois critères sont à prendre en consi-dération dans la construction d’une professionnalité étudiante.

Ces éléments de professionnalisation vont à la fois augmenter et diversi�er le capital humain de l’étudiant dans un domaine professionnel donné, mais également créer des di�érences de signalement de ce capital humain entre candidats. Les théories du capital humain et de la �le d’attente peuvent être invoquées pour justi�er l’e�cacité de la professionnalisation dans une perspective d’insertion professionnelle : Pour la première, la professionnalisation,

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en augmentant la spéci�cité de la formation en fonction des besoins de l’économie, va contribuer à assurer la rentabilité de l’investissement éducatif consenti par l’étudiant. Pour la seconde, la professionnalisation des diplômes et des parcours de formation, reposant souvent sur une sélection des publics, sont des signaux dont la valeur sur le marché du travail di�érencient les étudiants entre eux d’une manière susceptible d’intéresser les futurs employeurs (Lemistre, op cit.).

Notre travail empirique repose sur l’enquête que le Céreq a menée, en 2013, auprès des sortants de l’enseignement supérieur en 2010. Nous avons restreint le champ aux sortants – diplômés ou non – de second cycle universitaire et d’école d’ingénieurs et de commerce. Après avoir recensé les éléments de parcours qui, dans cette enquête, relèvent du processus de professionnalisation de l’étudiant (1.1), nous montrerons qu’on peut établir di�érents pro�ls de professionnalité étudiante (1.2).

1.1 Les éléments de parcours qui participent de la professionnalisation

La professionnalisation des étudiants relève d’abord du contenu plus ou moins profes-sionnel des enseignements formels qui leur sont dispensés. L’enquête ne contient cependant pas d’information sur cet aspect. En revanche, elle permet de connaître le point d’entrée dans l’enseignement supérieur, ainsi que les di�érents diplômes obtenus par les étudiants jusqu’au moment de leur sortie de l’université.

Parmi tous les facteurs susceptibles d’améliorer l’insertion professionnelle, le plus haut niveau de diplôme obtenu est celui dont l’impact est à la fois le plus net et le plus récurrent, même s’il existe de fortes disparités selon la �lière, générale ou professionnelle (Calmand, Giret & Guégnard, 2014), et les spécialités de formation (Calmand, Ménard, Mora, 2015). C’est un signal fort d’adaptabilité et de capacité d’apprentissage. Cependant, les performances des diplômés peuvent également dépendre de leur parcours antérieur, et notamment du passage ou d’une entrée dans le supérieur via une �lière sélective (Béduwé, Fourcade & Giret, 2009). De fait, les étudiants, soucieux de leur avenir professionnel, sont attirés par les �lières qui leur promettent un accès rapide à l’emploi sans pour autant leur interdire une poursuite d’études (Kergoat & Lemistre, 2014). Les �lières professionnelles les plus prisées sont ainsi de plus en plus sélectives, ce qui incite les étudiants à mettre en place de véritables « stratégies de parcours » (Giret, 2003) dans le but d’optimiser leurs chances d’insertion ultérieures.

Ainsi, le niveau du diplôme terminal de l’étudiant (Bac + 3, Bac + 4 ou Bac + 5), sa réus-site à l’examen �nal, le caractère professionnel des diplômes successifs qu’il a pu engranger (Diplôme universitaire de technologie (DUT), Brevet de technicien supérieur (BTS), licence pro, master2, Ecoles), le moment où ils ont été acquis (en cours de parcours et/ou à la �n de celui-ci), ainsi que le type de point d’entrée dans le supérieur (Institut universitaire de technologie (IUT), Section de technicien supérieur (STS), école d’ingénieurs recrutant au niveau Bac, Classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), première année de méde-

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cine ou fac) ont été retenus comme éléments de la professionnalisation. Ils le sont à la fois au titre de la nature des compétences acquises, de la capacité à les acquérir et de la garantie qu’o�rent le diplôme et le passage par une �lière sélective quant à la détention e�ective de ces compétences. La mention au bac a également été retenue pour le pouvoir de signale-ment de « bon élève » qu’elle procure. Les stages en entreprise, l’apprentissage et les contrats de professionnalisation sont des élé-ments phares de la professionnalisation à la française, en ce sens qu’ils doivent à la fois permettre la mise en application des connaissances théoriques, la transformation de com-pétences en quali�cation, l’acculturation au monde du travail et la constitution d’un réseau de contacts professionnels. Ils constituent souvent une période de test avant une embauche dé�nitive (Arrighi & Mora, 2010). Les entreprises, les organismes de formation et les sta-giaires paraissent tous avoir intérêt à ce qu’ils se développent  – bien que leur essor specta-culaire ne remplisse pas toujours les objectifs de qualité qui leur sont assignés (Glaymann, 2015). Ainsi, tous les séjours en entreprise ne se valent pas en termes de compétences professionnelles engrangées et tous les stages n’o�rent pas les mêmes perspectives profes-sionnelles (Giret & Issehnane, 2012). Pour en tenir compte, divers marqueurs de qualité présents dans l’enquête, ont été retenus : fréquence, durée, plus ou moins grande mise en application des connaissances théoriques, appréciation du stagiaire sur son rôle et utilité de son activité en tant que stagiaire1.

À l’heure de l’université de masse, les activités rémunérées menées parallèlement aux études se sont développées, essentiellement pour des raisons �nancières. Toutefois, leur apport en termes de professionnalisation, sous certaines conditions, semble de plus en plus reconnu à la fois par les étudiants (Belgith, 2015 ; Béduwé & alii 2016) et par le marché du travail (Béduwé, Giret, 2004  ; Dmitrijeva et alii, 2015). Tous ces travaux montrent l’extrême diversité des situations de travail étudiant et des opportunités professionnelles qu’elles pro-curent et tous s’accordent sur les critères déterminants que constituent le nombre d’heures travaillées et le lien entre emploi et études au moment de valoriser cette expérience. Ainsi, les activités régulières ont été di�érenciées selon qu’elles sont directement liées ou proches du domaine d’études ou au contraire sans lien avec elles, et on a tenu compte de la fré-quence des petits boulots ou des jobs de vacances. La création d’un espace européen de l’enseignement supérieur a favorisé le développement des expériences d’études à l’étranger permettant aux étudiants d’acquérir de nouvelles com-pétences ou même de se constituer des réseaux internationaux (Brézault, 2016) et d’avoir, à ce titre, un lien avec l’insertion (Calmand, 2014). Ces expériences ont également des valeurs professionnelles di�érentes selon les opportunités d’emploi qu’elles suscitent ou

1. Les situations de formation en contrat de professionnalisation et/ou par apprentissage sont mentionnées dans l’enquête, mais ne font pas l’objet d’une description détaillée comparable aux stages. Elles ont été assimilées à des stages longs, avec une mise en application totale des connaissances et l’exercice d’un travail analogue à celui des autres salariés.

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qu’elles permettent. On a ainsi distingué les séjours à l’étranger essentiellement culturels de ceux dont l’objectif était directement professionnel, stage et/ou expérience d’emploi dans le cadre des études. Les dispositifs d’aide aux étudiants qui se sont progressivement mis en place dans les éta-blissements d’enseignement supérieur visent à améliorer leur connaissance du monde du travail, mais également à mettre en valeur leurs compétences (Rose, 2014). Ils entendent ainsi doter les étudiants d’une capacité de ré�exivité sur leurs savoirs et d’adaptation face aux di�cultés qu’ils pourraient rencontrer dans leur cheminement professionnel. Ces dis-positifs favorisent l’acquisition de compétences « transversales » aux secteurs d’activité et la mise en place de réseaux (anciens employeurs, travail associatif...) autant que la capacité à les mobiliser dans le cadre d’une recherche d’emploi. Très divers dans leur conception et diversement utilisés par les étudiants, certains semblent avoir des e�ets positifs sur l’inser-tion professionnelle (Lemistre, Ménard, 2016). L’enquête repère plusieurs de ces « modules de professionnalisation  », tels que l’aide à réaliser un CV, à contacter des entreprises, à construire un projet professionnel, à trouver un stage, faire un bilan de leurs compétences, s’informer sur les débouchés ou encore envisager une création d’entreprise. Les étudiants étant diversement exposés à ces dispositifs, nous avons retenu comme élément de profes-sionnalisation le nombre de modules dont ils ont béné�cié.

1.2 La diversité des pro�ls de professionnalité étudiante, au-delà du diplôme �nal

L’e�et professionnalisant de chacun des éléments décrits précédemment a – le plus sou-vent – été étudié isolément dans la littérature. Or, les étudiants sont susceptibles d’accu-muler plusieurs de ces éléments au cours de leur parcours et c’est leur combinaison ou leur complémentarité qui va, progressivement, les professionnaliser.La professionnalité qui résulte de ce processus largement individuel et multifactoriel a toutes les chances d’être singulière. Cependant, à l’aide d’une Analyse des Correspondances Multiples, suivie d’une Classi�cation Ascendante Hiérarchique de ces éléments de profes-sionnalisation, nous avons tenté de regrouper les étudiants selon des pro�ls à la fois aussi homogènes que possible et aussi di�érents les uns des autres que possible2. Nous avons retenu les 163 000 étudiants (7 681 individus) sortis au niveau du second cycle de l’ensei-gnement supérieur (L3 générales et professionnelles, M1, M2, écoles d’ingénieurs ou de commerce).

2. L’ACM des 31 éléments de professionnalisation retenus permet de conserver 23 axes qui rendent compte de 87 % de l’inertie de notre population de 7 681 individus. On considère que le reste de l’inertie constitue essentiellement du bruit statistique. La CAH nous conduit à garder 12 classes qui partagent l’inertie en 40 % d’inertie inter pour 60 % d’inertie intra.

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N° 13866

DOSSIER

Tableau 1 - Douze pro�ls de professionnalité étudiante

  %Description du pro�l de professionnalité : variables actives dans la classi�cation (cf.

tableau en annexe électronique)

Niveau de diplôme atteint, origine sociale et raisons données à l’abandon des études : variables

supplémentaires (1)

classe 1 5,9 Entrées écoles post bac (100%), très bons stages, sortis à bac + 5

Ecoles d’ingénieurs (31%) ou de commerce (15%) ; 10% d’ap-prentis (diplômés) ; 2/3 de parents diplômés du supérieur

classe 2 12,8Aucun stage (100%) et peu d’éléments

de professionnalisation par ailleurs au �l de leurs parcours

Licence générale (39%), diplômés de 1cycle (17%), domaine des SHS (44%) (mais pas de surcroît dans les spécialités scienti-�ques) ; 38 % issus des CSP Ouv & Emp ; taux de boursiers max

(49 %) et abandons pour lassitude (34 %)

classe 3 24,6Etudiants ayant quasiment tous

accumulé beaucoup d’éléments de professionnalisation et de qualité

Ecoles d’ing. (23%) ou de commerce (10%) ; mais aussi M2 domaine SHS (45%) ; 10% d’apprentis (diplômés) ; 60% parents

diplômés du supérieur ;

classe 4 12,1 Entrées via IUT (90%), bons stages et diplômes professionnels par la suite

Licence pro domaine Maths et sciences (23 %) mais aussi LSH & commerce (11%) ; 40 % d’apprentis (diplômés)

classe 5 9,9 Entrées via STS (93%), bons stages, et diplômes professionnels par la suite

Licence pro Sciences (36%) et SHS (18 %) ; 30% d’apprentis (dip.) et/ou 1 % de contrat pro après la formation «initiale» ; très peu

de parents diplômés du supérieur (35%) ; 39% issus des CSP Ouv & Emp ; abandons pour lassitude (39%)

classe 6 6,9 Doubles-diplômes (100%) en �n de parcours, dont au moins un diplôme professionnel

M2 SHS (56 %) et sciences (19%) ; abandons pour cause d’emploi trouvé (55%) et/ou lassitude (36%)

classe 7 2,8Entrées dans le sup via médecine

(100%), pas d’expériences à l’étranger, rareté des recours aux modules

Sur représentation de M2 (28%) et de docteurs revenus passer un M2 (17 %), plutôt scienti�ques mais pas que ; 10 % d’apprentis (diplômés) ; 61 % parents diplômés du supérieur, 56% d’enfants

de cadre avec, par ailleurs, surcroît de boursiers (45 %)

classe 8 6,1

Aucun diplôme professionnel (100%), stages ou expériences d’emploi de qualité moyenne, mais pas à l’étranger et peu de recours aux

modules, sorties sur échec

Surcroît Licence générale (34 %) et M1 (22 %) et dip 1er cycle (21%) ; SHS (39 %) ou Sciences (18 %) ; faible taux de parents

dip sup ; maximum d’abandons pour raisons �nancières (29 %)

classe 9 6,4Entrés dans le sup via voies pro et

voies générales ensuite (100%), avec succès mitigé, stages courts et de qualité moyenne

Taux max de dip1er cycle (45%), M1 (22%) avec par ailleurs BTS (53%) ou DUT (30%) ; 20% d’apprentis (diplômés); 39% issus des

CSP Ouv&Emp ; taux d’abandons pour lassitude max (42%)

classe 10 4,3 Etudiants déçus de leur(s) stage(s) (100%), avec peu de modules mobilisés

RAS, valeurs moyennes partout

classe 11 3,7 Activités salariées régulières, dans le domaine d’études (100 %)

Taux max et très surreprésenté d’abandons pour cause d’emploi trouvé (63%)

classe 12 4,4Activités salariées régulières, proches du domaine d’études

(100 %) Taux de boursiers élevé (46 %)

Lecture : la classe 1 rassemble 5.9 % de l’échantillon. Le point commun de tous ces jeunes est qu’ils sont entrés dans le supérieur via une école post bac. Ils partagent ensuite des éléments de professionnalisation dans des proportions remarquablement élevées ou au contraire faibles par rapport à la moyenne de l’échantillon (cf. tableau en annexe électronique pour plus de détails). Par ailleurs, et sans que cela interfère sur la construction des classes, on observe que 31 % de ces jeunes sont sortis d’écoles d’ingénieurs et 15 % d’écoles de commerce, que les 2/3 ont des parents diplômés du supérieur et que 10 % ont été apprentis. Source : enquête Génération 2010 à 3 ans, Céreq.

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Les douze pro�ls retenus sont – à deux exceptions près – construits autour d’un élément de professionnalisation principal que partagent tous les étudiants de la classe et qui peut utilement servir à « résumer » le pro�l (élément souligné dans le tableau 1, voir liste com-plète des éléments dans le tableau en annexe de la version électronique de l’article). Ce résumé ne doit cependant pas masquer que chacun de ces douze pro�ls de professionnalité résulte d’une combinaison particulière de plusieurs éléments de professionnalisation qui ne sauraient être isolés.

Le pro�l 3 rassemble près d’un quart de l’e�ectif (25 %). Il réunit des jeunes, presque tous sortis diplômés au niveau Bac + 5 avec un diplôme considéré comme professionnel et ayant tous accumulé nombre d’éléments témoignant d’une professionnalisation poussée et de bonne qualité : stages avec réelle mise en application des connaissances et rôle du stagiaire jugé comparable à celui d’un salarié, souvent nombreux, présence d’expériences d’emploi et/ou culturelles à l’étranger, importante mobilisation des modules. Les entrées dans l’enseignement supérieur se sont faites, après mention au Bac, via une CPGE pour 40 % des étudiants et via la fac sinon. Le pro�l 1 (6 %) est très proche en termes de cumul d’éléments de professionnalisation, avec un nombre encore accru d’expériences à l’étranger et un peu plus de diplômes professionnels intermédiaires, mais les entrées dans le supérieur se sont toutes faites via des écoles recrutant au niveau du Bac.

À l’opposé de ces deux pro�ls, que l’on peut juger comme très professionnalisés, le pro�l 2 (13 %) apparaît comme le moins professionnalisé. Il réunit des jeunes n’ayant e�ectué aucun stage, sans recours aux modules pour autant et sans expérience à l’étranger. Ils ont souvent quitté l’enseignement supérieur sur un échec aux niveaux Bac + 3 ou Bac + 4 et s’ils ont pu travailler pendant leurs études, c’était sans lien avec celles-ci.

Entre ces pôles très antinomiques, les autres pro�ls (56 %) se distinguent par des cumuls variés et hétérogènes d’éléments de professionnalisation, ce qui empêche tout classement quant à leur « degré de professionnalité »3. On retrouve ici, transposée aux étudiants, l’idée émise par Rose (op. cit.) qu’il existe bien plusieurs formes et degrés de professionnalisation des formations.

Les pro�ls 11 et 12 (environ 4 % chacun) ne comportent que des étudiants ayant travaillé régulièrement pendant leurs études, en lien direct avec celles-ci pour les premiers, dans un domaine proche pour les seconds. Dans les deux cas, l’investissement dans les stages est moindre que celui observé en moyenne pour les sortants du supérieur – sans doute du fait de ces activités salariées.

Les pro�ls 4 et 5 réunissent des jeunes entrés dans le sup via un IUT (12 %) ou via une STS (6 %), mais ayant tous e�ectué des stages de bonne, voire très bonne qualité et quasi tous sortis avec un diplôme professionnel de l’enseignement supérieur, plutôt M2 pour le pro�l IUT et L3 pour le pro�l STS, après l’obtention de leur diplôme professionnel inter-

3. Une tentative de classement a été faite dans un travail précédent (Béduwé, Mora, 2016).

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DOSSIER

médiaire (DUT resp. BTS). Une forte mobilisation des modules de professionnalisation mis en place par les Universités s’observe dans les deux cas.

Le pro�l  7 (3  %) rassemble les étudiants arrivés dans le supérieur via la faculté de médecine et qui, quelles que soient leurs études ensuite, ont eu une expérience salariée dans leur domaine d’études. On y trouve également quelques docteurs revenus passer un M2 à l’université après leurs études de médecine (17 %).

Le pro�l  6 (7  %) rassemble les étudiants sortis avec un double-diplôme de niveau Bac + 5, professionnel, mais aux parcours hétérogènes par ailleurs. Un quart d’entre eux sont également détenteurs d’un diplôme intermédiaire, professionnel aussi. Et un tiers d’entre eux sont entrés dans le supérieur via une CPGE. Leurs stages sont de qua-lité relativement satisfaisante, fréquents plutôt que longs, ce qui implique une certaine hétérogénéité quant à leur qualité. On note de nombreux jobs de vacances.

Les pro�ls 8, 9 et 10 rassemblent des jeunes avec, comparativement aux pro�ls précé-dents, peu d’éléments de professionnalisation à leur actif. Le pro�l 8 (6 %) est celui d’étudiants qui n’ont obtenu aucun diplôme dit professionnel, sans avoir pour autant mobilisé les modules de professionnalisation. Souvent sortis sur un échec, très peu partis à l’étranger, sans mention au Bac, ils ont, en revanche, et cela les distingue du pro�l  2, fait l’expérience de stages de qualité moyenne à bonne, ou bien ont exercé un emploi régulier sans lien avec leurs études. Le pro�l 9 (6 %) en est proche, mais il s’agit de parcours ayant intégré l’enseignement supérieur via des STS, ou des IUT, quand les précédents étaient très majoritairement entrés via la faculté. En�n, le pro�l  10 (4 %) réunit des jeunes qui, bien que pouvant avoir suivi beaucoup de stages et, pour certains, de longs stages, ont en commun d’être très critiques quant au(x) stage(s) décrit(s) : peu ou pas d’application des connaissances, sentiment de ne pas avoir servi à grand-chose ; en sus, ils se caractérisent par une faible mobilisation des modules de professionnalisation.

Les douze pro�ls repérés dépendent bien évidemment des éléments accessibles dans l’enquête « Génération 2010 » et on se doute que d’autres données, sur le contenu des enseignements, les notes obtenues ou encore les expériences associatives, par exemple, auraient produit d’autres résultats et conduit à un autre regard sur les pro�ls de pro-fessionnalité existants. Mais ces douze pro�ls témoignent bien de l’imbrication et du cumul des éléments de professionnalisation dans un parcours, sans qu’il soit évident de déterminer – a priori – lequel de ces éléments aura le plus d’in�uence au moment de l’insertion professionnelle.

Il est intéressant de noter par ailleurs (voir tableau 1) que ces pro�ls sont très hétéro-gènes en termes de plus haut niveau de diplôme atteint au moment de la sortie, ainsi qu’en termes de spécialités et de �lières de formation. Et que, réciproquement, des jeunes dotés d’un même diplôme peuvent relever de di�érents pro�ls de professionna-lité. On observe, par exemple, que les jeunes sortis d’écoles d’ingénieur ont en majorité

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des pro�ls faisant appel à des formes très poussées de professionnalisation (pro�ls 1 et 3) ; mais 30 % d’entre eux viennent d’IUT ou de STS (pro�ls 4, 5), ou possèdent un Master en plus de leur diplôme d’ingénieur (pro�l  6) et 10 % relèvent de pro�ls plus inattendus  – parce que déçus de leurs stages, n’ayant pas eu de stages ou ayant travaillé pendant leurs études. Ainsi, l’objectif premier de ce travail, qui était de mon-trer la diversité des professionnalités étudiantes au sein d’un même diplôme terminal, nous semble atteint.

La sélectivité à l’entrée des �lières professionnelles du supérieur conduit à « une ségré-gation entre les parcours des étudiants, toujours marqués en termes de recrutement social et scolaire » (Erlich & Verley, 2010). On s’attend donc à ce que les pro�ls de profession-nalité tels que nous les avons repérés soient marqués par l’origine sociale des étudiants. E�ectivement, les pro�ls peu professionnalisés (2, 9, 8) sont ceux où la part d’étudiants d’origine modeste est la plus élevée (cf. tableau 1). À l’inverse, les pro�ls cumulant les éléments de professionnalisation (1 et 3) regroupent des parts importantes (mais des parts seulement) d’étudiants de milieux favorisés. Mais les autres pro�ls, notamment ceux qui regroupent les anciens d’IUT ou de STS ou encore les double-diplômés sont nettement plus hétérogènes en termes d’origine sociale. Ces liens complexes entre pro-fessionnalité et sélection sociale et/ou scolaire mériteraient d’être explorés plus avant, d’autant qu’ils jouent aussi au moment de l’insertion professionnelle. Origine sociale et diplôme �nal (qui, rappelons-le, ne participent pas à la construction des pro�ls) seront donc introduits dans les analyses d’insertion professionnelle qui suivent a�n de contrôler a minima leurs e�ets propres.

2I  Explorer les liens entre professionnalité et modalités d’inser-tion professionnelle ?

Nous avons dé�ni la professionnalité comme le résultat d’un processus dont l’objectif principal est l’amélioration des performances d’insertion professionnelle.

Cette professionnalité a au moins deux composantes, di�cilement séparables : l’une faite de connaissances, théoriques et pratiques, mais disciplinaires (ou spéci�ques à un domaine professionnel plus ou moins circonscrit), et l’autre composée de connais-sances plus générales sur le monde du travail, plus transversales aux di�érents secteurs et qui renforcent les capacités d’adaptation des étudiants aux opportunités profession-nelles qui se présentent. Elles sont toutes deux renforcées par des éléments de signa-lement qui assurent à l’employeur que ces compétences sont e�ectivement acquises.

Tous ces éléments étant supposés appréciés des employeurs, on s’attend à ce que, à diplôme donné, ces pro�ls de professionnalité étudiante modi�ent les conditions d’accès à l’emploi. Plus précisément, ces combinaisons de compétences et de signaux

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DOSSIER

sont susceptibles d’améliorer la place des étudiants dans la �le d’attente pour l’emploi et donc renforcent leur employabilité au sens large.

On peut également faire l’hypothèse que les pro�ls « bien » professionnalisés (stages longs et de qualité notamment) réussiront plus facilement à trouver un emploi de qualité, c’est-à-dire conforme à leurs attentes professionnelles et où leurs compétences seront reconnues. Cet objectif de qualité, plus ambitieux que celui d’employabilité, est cohérent avec la logique de pré-professionnalisation du système français.

Nous avons choisi de tester ces hypothèses à l’aide de six indicateurs d’insertion : trois portent sur l’accès à l’emploi de l’ensemble des jeunes (être en emploi trois ans après la �n des études, avoir connu une trajectoire pendant ces trois années marquée par un accès rapide et durable à l’emploi, avoir eu une trajectoire marquée par un chômage récurrent) et trois sur la qualité de l’emploi occupé trois ans après les études (niveau de salaire obtenu, sentiment de se réaliser professionnellement dans son travail, sentiment d’être utilisé à son niveau de compétences dans l’emploi occupé).

Sur chacun de ces indicateurs, l’impact des di�érents pro�ls de professionnalité a été testé à l’aide de modèles contrôlant les caractéristiques personnelles de l’ex-étu-diant (genre, niveau et spécialité du diplôme terminal, origine sociale), ainsi que des caractéristiques professionnelles (ancienneté dans l’emploi, quota de temps de travail, catégorie professionnelle, secteur d’activité...) pour les jeunes en emploi à la mi-2013 (tableau 2). Le pro�l 3, le plus nombreux et correspondant à des étudiants à forte professionnalité, a été choisi comme pro�l de référence.

Toutes ces caractéristiques étant contrôlées, le pro�l de professionnalité de l’étudiant a bien un e�et sur chacun des six indicateurs retenus. Ce premier résultat con�rme et prolonge ce que d’autres recherches ont montré quant à l’impact de certains éléments de forme ou de contenu des parcours d’études sur les conditions d’insertion profession-nelle. En e�et, la valeur professionnelle des parcours n’est pas réductible à tel ou tel élé-ment de professionnalisation, mais bien à leur accumulation plus ou moins singulière. C’est cette complexité qui di�érencie les étudiants entre eux et permet aux employeurs d’anticiper leur capacité productive. Ce qui souligne en retour la di�culté d’appré-hender ce qui « fait » parcours et participe à la construction de cette professionnalité.

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Tableau 2 : Pro�ls de professionnalité et indicateurs d’insertion professionnelle

  Employabilité Qualité de l’emploi

  Description de la classe (résumé) En emploi Accès

rapide Chômage Salaire Se réalise Utilisé

   au bout de

trois ans et durable durable   prof. à son

      à l’emploi ou récurrent     niveau de

              Comp.

cl1 Entrées écoles post bac, très bons stages, sortis à bac + 5

0.8 1.1 1.4 -0,03* 1.1 0.9

cl2Aucun stage et peu d’éléments de professionnalisation par ailleurs au �l de leurs parcours

0.6 0.4 2.1 -0,05 1.1 0.8

cl3Etudiants ayant accumulé beaucoup d’éléments de professionnalisation de qualité

ref. ref. ref. ref. ref. ref.

cl4Entrées via IUT, bons stages et diplômes professionnels par la suite

1.2 1.1 0.7 -0,03 ns ns

cl5Entrées via STS, bons stages, et diplômes professionnels par la suite

1.4 1.1 0.8 -0,1 1.1 0.8

cl6Doubles-diplômes en �n de parcours, dont au moins un diplôme professionnel

1.1 0.9 ns ns 0.8 ns

cl7

Entrées dans le sup via médecine, pas d’expériences à l’étranger, rareté des recours aux modules

ns 0.6 0.4 0,1 1.7 1.1

cl8Aucun diplôme professionnel, stages ou expériences d’emploi qualité moyenne

0.8 0.8 1.5 ns 1.2 0.7

cl9Entrés dans le sup via voies pro, voies générales ensuite avec succès mitigé

ns 0.9 2.3 -0,1 1.5 ns

cl10Etudiants déçus de leur(s) stage(s), avec peu de modules mobilisés

0.4 0.8 2.1 -0,04* 0.9 0.5

cl11 Activités salariées régulières dans le domaine d’études

2.0 0.4 0.6 0,03* 1.1 1.1*

cl12 Activités salariées régulières proches du domaine d’études

ns 0.6 ns ns 1.1 0.8

E�ectif concerné 7681 7681 7681 5923 5923 5923

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DOSSIER

Tous les coe�cients sont signi�catifs avec une probabilité de se tromper <0.01, sauf * où elle est <0.05 .Lecture : la classe 2 présente un risque relatif d’être en emploi à la date d’enquête de 0.6, signi�cativement inférieur à 1, indiquant un risque plus faible de ne pas être en emploi en 2013 que la classe 3 de référence. En revanche, elle présente un risque relatif d’avoir connu auparavant des épisodes de chômage durable récurrents de 2.1, signi�cativement supérieur à 1, indiquant un risque plus élevé d’avoir connu une trajectoire marquée par le chômage, toutes choses égales par ailleurs. Note : Régressions logistiques pour tous les indicateurs sauf le salaire (régression linéaire du log du salaire mensuel). Les variables communes à tous les modèles (non représentées) sont : genre, origine sociale, raisons d’abandon des études, plus haut niveau de diplôme obtenu en 9 postes et spécialité et, pour les modèles portant sur les jeunes en emploi à la date de l’enquête, temps d’accès au 1er emploi, ancienneté dans l’emploi, secteur et taille d’entreprise, temps plein ou partiel, type de contrat de travail, CSP de l’emploi occupé, fonction d’encadrement. Source : enquête Génération 2010 à 3 ans, Céreq.

On constate ensuite (cf.  tableau  2) que les étudiants n’ayant béné�cié d’aucun stage (pro�l 2) ont une probabilité nettement plus faible que les autres d’être en emploi trois ans après la �n de leurs études, comme d’avoir connu un accès rapide et durable à l’emploi et qu’ils ont, au contraire, plus souvent sou�ert d’épisodes de chômage prolongés ou récur-rents. Ils ne sont cependant pas les seuls à présenter ainsi une employabilité plus faible que les autres dans les premières années qui suivent leur formation initiale : c’est également le cas des jeunes issus de voies générales tout en ayant béné�cié de stages de qualité (pro�l 8) et des jeunes déçus de leurs stages (pro�l 10), pro�ls pourtant mieux professionnalisés que les précédents, et même des jeunes entrés dans le supérieur par la voie professionnelle (pro�l 9) et qui ont plus souvent que les autres connu du chômage récurrent. Le chômage récurrent semble avoir également perturbé l’insertion des jeunes entrés dans le supérieur par une école post bac (pro�l 1) et qui, pourtant, ont accumulé beaucoup d’éléments de professionnalisation. Cela suggère que pour ces jeunes ayant beaucoup investi dans un champ d’études précis, la recherche d’un emploi satisfaisant a pu être longue.

À l’opposé, les pro�ls de jeunes issus d’IUT ou de STS et ayant accumulé de (bons) élé-ments de professionnalisation tout au long de leurs parcours universitaire (pro�ls 4 et 5) ont les meilleurs résultats d’employabilité, en tous cas supérieurs à ceux du pro�l de réfé-rence pourtant très professionnalisé. L’accumulation d’éléments de professionnalisation, à la fois en termes de connaissances spéci�ques, d’aptitudes transversales (forte participa-tion aux modules) et de signal (diplômes intermédiaires et �lière sélective) s’avère donc, pour ces pro�ls, e�cace au moment de l’insertion professionnelle. Mais l’accumulation ne su�t pas toujours à garantir une insertion sans di�cultés. En e�et, les étudiants salariés (pro�ls 11 et 12), ceux rentrés après une préparation aux concours de médecine (pro�l 7) ou encore les étudiants sortis avec un double diplôme (pro�l 6) qui ont tous, par ailleurs, accumulé (beaucoup) d’éléments de professionnalisation, ont eu un accès à l’emploi stable souvent plus tardif, sans toutefois de risque accru de chômage long ou récurrent.

S’il existe bien une relation globalement positive entre professionnalité et employabilité, chaque pro�l de professionnalité paraît cependant révéler des stratégies – ou aboutir à des modalités – d’accès et de stabilisation dans l’emploi di�érentes. Ces di�érences sont su�-samment importantes pour nuancer l’idée d’une relation univoque entre professionnalité et performance d’insertion professionnelle.

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Concernant la qualité de l’emploi ensuite, on note que le salaire des étudiants aux pro�ls faiblement ou moyennement professionnalisés (pro�ls  2, 9 et 10) est, en moyenne et toutes choses égales par ailleurs, plus faible que le salaire de référence des étudiants très professionnalisés (pro�l 3). Mais il existe des salaires relativement faibles aussi chez des étudiants pourtant bien, voire très bien professionnalisés (notamment chez les anciens des IUT ou STS des pro�ls 4 et 5 ou encore les étudiants entrés par les écoles du pro�l 1). Les salaires relatifs les plus élevés se situent parmi deux pro�ls de professionnalité très particu-liers et très di�érents, les étudiants issus de médecine (pro�l 7) et les étudiants ayant eu des activités salariées régulières en lien avec leurs études (pro�l 11). Ces écarts restent à expli-quer (au-delà des caractéristiques contrôlées par l’analyse). Ils témoignent d’une certaine incertitude quant au lien entre l’acquisition de professionnalité et sa rentabilité ultérieure.

La même conclusion peut être faite concernant le sentiment d’être utilisé à son niveau de compétences pour les jeunes en emploi mi-2013. Ce taux varie de 51  % chez les jeunes qui avaient été déçus de leur(s) stage(s) d’étudiants à 76 % chez ceux qui avaient commencé leurs études par un échec en médecine. Cette opposition se con�rme toutes choses égales par ailleurs  : les ex-étudiants de médecine ont manifestement bien réussi leur insertion professionnelle et les jeunes déçus par leurs stages ont, au contraire, accu-mulé les déconvenues, ce qui peut, a posteriori, expliquer leur jugement très négatif sur leur parcours. D’une manière plus générale, les ex-étudiants qui déclarent leurs compé-tences bien utilisées dans leur emploi sont ceux ayant accumulé de nombreux éléments de professionnalisation (pro�ls 3, 4, 6 et 11). Mais nombre d’ex-étudiants pourtant bien professionnalisés (issus des pro�ls 1, 5 et 12) considèrent néanmoins leurs compétences comme sous utilisées dans leur emploi quelques années après les études. L’accumulation de connaissances et/ou de bons signaux ne garantit donc pas toujours l’accès à un emploi de qualité. Sans doute rend-elle les étudiants plus exigeants – ou mieux informés  – quant au rendement de l’investissement éducatif consenti.

L’indicateur de réalisation professionnelle réserve quelques surprises : les jeunes les moins professionnalisés (pro�ls 2, 8 ou 9) déclarent plus souvent se réaliser pleinement profes-sionnellement que les étudiants les plus professionnalisés (pro�l 3 de référence) ou les anciens des IUT (pro�l 4) et les double-diplômés (pro�l 6). Malgré leurs plus grandes di�cultés d’accès à l’emploi et la plus faible reconnaissance de leurs compétences, ces jeunes peu professionnalisés à l’issue de leurs études disent avoir trouvé un intérêt dans leur travail. On peut se demander s’il ne s’agit pas d’une rationalisation ex post de la part de ceux qui ont, malgré tout, trouvé un travail. Il peut aussi s’agir d’étudiants qui, bien que d’un niveau de formation comparable aux autres, ont eu moins de mal à s’adapter au travail trouvé, du fait même de leurs moindres compétences spéci�ques. Quant à la relati-vement faible satisfaction professionnelle des trois pro�ls pourtant bien professionnalisés, elle souligne que si ces jeunes n’ont pas eu de di�cultés à trouver un emploi, ils atten-daient peut-être davantage de leur investissement éducatif en termes d’intérêt au travail.

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DOSSIER

Conclusion

Nous dé�nissons la professionnalité d’un étudiant comme le produit d’un processus de professionnalisation complexe, individuel et multiforme. Construite tout au long de la trajectoire étudiante, dans et hors de l’Université, elle correspond à cet « éclatement des formes de l’expérience étudiante » pointé de longue date par Dubet (1994).

La diversité des formes de professionnalité que les données de l’enquête « Génération 2010 » ont permis de mettre en évidence reste, certes, tributaire des informations dis-ponibles. Celles-ci conduisent cependant à repérer des pro�ls de professionnalité variés selon la fréquence, la qualité professionnelle et l’enchaînement des di�érents épisodes professionnalisants survenus au �l des parcours (stages, travail salarié, séjours à l’étranger, participation à des modules de professionnalisation au sein des établissements, double diplômes, etc.). Et c’est bien la combinaison particulière de ces épisodes, imprévisible puisque largement dépendante des stratégies et opportunités individuelles, qui va jouer un rôle au moment de l’insertion professionnelle.

Ces épisodes permettent d’acquérir, en sus de la formation proprement dite (des ensei-gnements), tout aussi bien des compétences relatives à un domaine professionnel plus ou moins précis, que des compétences plus générales d’acculturation au marché du travail. Elles sont alors mises en valeur par les étudiants à travers leurs diplômes et la sélectivité des �lières suivies, mais aussi à travers les signaux témoignant que ces compétences sont acquises. Les pro�ls de professionnalité repérés montrent que certains étudiants ont su accumuler des compétences dans chacun de ces trois registres quand d’autres témoignent de professionnalités variées et di�cilement comparables, même à diplôme terminal identique.

Toutes choses égales par ailleurs, et notamment à diplôme donné, les pro�ls de profes-sionnalité ont un lien avec l’employabilité et/ou la qualité de l’emploi obtenu. Mais les résultats montrent que ces liens, positifs pour certains pro�ls très professionnalisés, sont souvent plus distendus, voire inattendus pour d’autres. Ainsi, les étudiants dont le par-cours révèle une faible professionnalité ont une employabilité relativement plus faible tout en étant nombreux à déclarer se réaliser professionnellement. Il existe donc, derrière chacun de ces pro�ls, une variété de stratégies individuelles ou de ressentis qui ne per-mettent pas d’a�rmer que la professionnalisation, quelle que soit la forme qu’elle prend ou justement parce qu’elle prend des formes diversi�ées, est toujours e�cace.

Cette professionnalité est d’autant plus complexe à mesurer et évaluer qu’elle se construit aussi à partir de postures à l’égard du marché du travail et de la formation qui sont elles-mêmes les fruits de socialisations diverses susceptibles d’in�uencer l’insertion profession-nelle. Bien que les pro�ls ne soient pas clairement typés en termes de diplôme atteint, de genre ou d’origine sociale, ces éléments ont probablement une in�uence sous-jacente – complexe à démêler – qui invite à poursuivre l’analyse.

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Ces premiers résultats contrastés incitent déjà à une certaine prudence en matière d’ana-lyse et d’évaluation de la professionnalisation de l’enseignement supérieur à l’aune de l’insertion professionnelle. Ils plaident – nous semble-t-il – pour que soit pris en compte, au moment d’évaluer la professionnalisation d’un étudiant, l’ensemble des di�érents élé-ments qui y contribuent, et la manière dont ils s’assemblent, plutôt que chacun de ces éléments pris séparément. Car c’est bien dans cette complexité que se révèle la valeur des processus de professionnalisation et – in �ne – la professionnalité puis l’employabilité d’un étudiant.

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DOSSIER

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C. BÉDUWÉ, V. MORA, pp. 59-77

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ARTICLES

Safety and Multi-employer Worksites in High-risk Industries: An Overview

MAGNUS NYGREN, MATS JAKOBSSON, EIRA ANDERSSON AND BO JOHANSSON

Gouvernance des régimes complémentaires de retraite, relations du travail et conflits

de rôle : une enquête québécoise

DANIEL COULOMBE, ESTHER DÉOM, FRÉDÉRIC HANIN ET ANNETTE HAYDEN

The Predictors of Unmet Demand for Unions in Non-Union Workplaces :

Lessons from Australia

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« Leur façon de punir, c’est avec l’horaire ! » : Pratiques informelles de conciliation travail-famille au sein de commerces

d’alimentation au Québec

MÉLANIE LEFRANÇOIS, JOHANNE SAINT-CHARLES, SYLVIE FORTIN ET CATHERINE DES RIVIÈRES-PIGEON

Individuals’ Assessment of Corporate Social Performance, Person-Organization

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SARAH HUDSON, DOUGLAS BRYSON AND MARCO MICHELOTTI

Assurer son employabilité militante par la mobilisation du capital social : le cas

des ex-permanents syndicaux lors d’une econversion en dehors de la sphère du syndicat

PAULINE DE BECDELIÈVRE ET FRANÇOIS GRIMA

“You’ve Just Cursed Us”: Precarity, Austerity and Worker Participation

in the Non-profit Social Services

Revue trimestrielle bilingue publiée depuis 1945 par le Département des

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L’alternance à l’université, quel e�et propre sur l’insertion ?

NATHALIE BEAUPÈREChargée d’études (sociologie) au centre associé au Céreq de Rennes, CREM (Centre de recherche

en économie et management), université de Rennes 1

XAVIER COLLETStatisticien, OSIPE (Observatoire du suivi, de l’insertion professionnelle et de l’évaluation),

université de Rennes 1

SABINA ISSEHNANEEconomiste, université Rennes 2, LiRIS (Laboratoire interdisciplinaire de recherche en

innovations sociétales), Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET)

Résumé 

n L’alternance à l’université, quel e�et propre sur l’insertion ?

Alors que l’alternance à l’université poursuit son essor, de nombreux travaux s’attardent sur les particularités de ses formations et de ses publics. À partir d’une étude exploratoire, cet article propose de mettre en regard le devenir de diplômés de master inscrits en forma-tion classique et en alternance a�n d’identi�er un e�et propre de l’alternance sur l’inser-tion professionnelle. Une enquête ad hoc, réalisée dans une université, met en évidence que les écarts observés relèvent des usages de l’alternance qui di�èrent selon les spécialités de diplômes, mais aussi des e�ets de segmentation du marché du travail liés à la spécialité de formation suivie.

Mots clés : enseignement supérieur, université, formation en alternance, insertion professionnelle, master, enquête d’insertion, socialisation professionnelle, représentation de la formation, professionnalisation de l’enseignement

Abstract

n The sandwich courses in University, what e�ect on occupational integration?

While the sandwich course in University continues its development, numerous researches focus on the features of these trainings and its audiences. From an exploratory study, this article proposes to compare the future of master’s graduates enrolled in formal studies and sandwich training in order to identify a speci�c e�ect of the sandwich course on the occupational integration. An ad hoc survey carried out in a university reveals that the dif-ferences observed are due to the uses of sandwich courses, which di�er according to the

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DOSSIER

specialties of the diploma but also the e�ects of labor market segmentation related to the specialty of training followed.

Keywords: higher education, university, sandwich training, transition from school to work, masters, school-to-work transition survey, professional socialisation, perception of training, professionalisation of teaching

Journal of Economic Literature: I 23, J 24, M 53

Traduction : Auteur-e-s.

L’augmentation du nombre de formations en alternance dans le supérieur, et plus particulièrement celles en apprentissage, a motivé de nombreux travaux de recherche ces dernières années.

Ils interrogent, notamment, les e�ets de cette modalité de formation sur l’insertion professionnelle, mais aussi sur l’accès aux diplômes. Autrement dit, l’apprentissage permet-il une « meilleure » insertion et une démocratisation de l’accès aux diplômes du supérieur ? (Kergoat, 2010 ; Issehnane, 2011, Kergoat et Lemistre, 2014 ; Cart et al., 2016).

Leurs résultats mettent aussi en évidence que les pro�ls des étudiants apprentis et les critères de sélection à l’entrée des formations sont à prendre en considération pour appréhender ces questionnements (Sarfati, 2014 ; Mignot-Gérard et al., 2015). Cependant, ces travaux ne mettent pas en parallèle la situation d’emploi des diplômés de voie classique et celle des diplômés alternants issus d’une même formation ou d’un même établissement. Or, les modalités d’insertion professionnelle peuvent varier sui-vant la spécialité du diplôme, mais également en fonction de l’o�re locale de forma-tion et des opportunités d’emploi. En e�et, la segmentation du marché du travail peut in�uer sur l’accès à l’emploi et sur les caractéristiques de l’emploi occupé, mais aussi en amont à l’entrée en alternance, du fait de la spécialité du master suivie. À partir de l’enquête Génération du Céreq, des travaux montrent que les apprentis du supérieur n’ont pas plus de chances d’accéder rapidement à un emploi que ceux ayant emprunté la voie classique, une fois prises en compte leurs caractéristiques particulières (Issehnane, op. cit.).

L’étude présentée ici vise à montrer, d’une part, que les modalités de l’alternance recou-vrent des réalités diverses et d’autre part, que cette diversité in�uence l’usage et les e�ets de l’alternance sur les conditions d’insertion des diplômés. Centrée sur le niveau master, elle s’attarde sur les conditions d’insertion professionnelle de diplômés issus d’un même diplôme, obtenu pour les uns par la voie classique et pour les autres par l’alternance. Autrement dit, ce sont deux promotions d’un même diplôme qui sont observées.

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N. BEAUPÈRE, X. COLLET, S. ISSEHNANE, pp. 79-97

Les données mobilisées sont issues d’une enquête d’insertion proposée à tous les diplômés de master. L’enquête par questionnaire était complétée par un module de questions spéci�ques pour les alternants, également invités, par une question ouverte, à exprimer leur point de vue sur ce qu’apportent, selon eux, les formations en alter-nance. Nous avons aussi réalisé des entretiens avec des alternants et des responsables de master. Les données recueillies éclairent les spéci�cités des masters retenus et les motivations des étudiants à accéder à l’alternance. Croiser ces approches a permis d’ap-préhender, sous di�érents regards (Gramain et Weber, 2001), la place de l’alternance à l’Université. Quelles sont les spéci�cités de ces formations et quelles sont les caracté-ristiques des étudiants qui s’y inscrivent ? Qui sont les candidats à ces formations, qui sont les inscrits et les diplômés ? Les conditions d’insertion des diplômés d’un master en alternance, au-delà de l’accès à l’emploi, sont-elles «  meilleures  » que celles des diplômés de formation classique ?

Dans un premier temps, sont exposés les discours sur l’alternance et les représentations associées. Ils montrent que la modalité de formation et le pro�l des étudiants alter-nants expliquent, pour partie, les conditions d’insertion professionnelle a priori plus favorables de ces diplômés. Suite à ces premiers enseignements, les données issues de l’enquête par questionnaire sont présentées en distinguant les pro�ls des diplômés en alternance de ceux des diplômés de la voie classique. Alors que la plupart des travaux récents sont principalement centrés sur l’accès à l’emploi et le salaire, ici ce sont la qua-lité et les caractéristiques de l’emploi qui sont appréhendées, à travers la question : l’al-ternance permet-elle d’accéder à des emplois de « meilleure qualité » ? Deux mesures de l’insertion professionnelle sont présentées, l’une à partir de critères quantitatifs (taux d’emploi à durée indéterminée, accès à un poste de cadre, localisation de l’emploi, salaires), l’autre davantage subjective (taux de satisfaction dans l’emploi, adéquation formation et quali�cation). En�n, l’e�et de l’alternance sur la probabilité d’accéder à un emploi à durée indéterminée, puis à un emploi de cadre, est mesuré grâce à des régressions logistiques qui permettent de tenir compte des e�ets de structure.

1I L’alternance, un atout pour faciliter l’insertion professionnelle ?

La première étape de cette étude a consisté à appréhender ce que représente l’alternance pour les enseignants responsables de master, mais aussi pour les étudiants. En e�et, les discours valorisants tenus sur l’alternance, s’ils sont souvent factuels, sont empreints de représentations, voire performatifs. Ils re�ètent le constat posé par Kergoat et Lemistre (op. cit.) qui soulignent que, « la professionnalisation de l’enseignement supérieur [qui] permettrait de favoriser l’insertion professionnelle, la promotion sociale, tout en constituant une seconde chance pour les jeunes en di�culté scolaire » relève d’une « croyance partagée »,

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DOSSIER

qu’il convient de relativiser. Mettre en regard des discours et des données descriptives sur l’insertion des alternants et des non-alternants invite à «  relativiser  » l’e�et de l’alternance sur l’insertion, ou pour le moins à le contextualiser.

Encadré 1 - Les données mobilisées

L’enquête de terrain

Des entretiens semi-directifs ont été réalisés avec cinq responsables de master (informatique, banque �nance, administration des entreprises, ressources humaines, comptabilité contrôle de gestion) d’une part, et avec cinq alternants diplômés, d’autre part, pour compléter les données issues de l’enquête par questionnaire (Marie, master systèmes d’information et contrôle de gestion ; Charlotte, master comptabilité contrôle audit ; Juliette, master comptabilité contrôle audit  ; Eric, master banque �nance  ; Théo, master marketing). Cette enquête a un caractère exploratoire et vise à compléter, par une approche monographique, le dispositif national d’en-quête sur lequel nous nous sommes principalement appuyés.

L’enquête nationale sur l’insertion professionnelle des diplômés 2013 de master

Les données mobilisées ici sont issues de l’enquête réalisée dans le cadre du dispositif national de collecte de données sur l’insertion professionnelle, qui interroge les diplômés sur leur devenir 30 mois après l’obtention de leur diplôme. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), du 10 août 2007, a rendu obligatoire la publication d’indicateurs d’inser-tion professionnelle des étudiants. En 2009, sous l’impulsion du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les dispositifs d’enquêtes d’insertion professionnelle des diplômés des universités ont été harmonisés. La collecte des données est réalisée au sein des universités dans le cadre d’une charte (*) visant à garantir la production de données de qualité, �ables, et comparables entre les universités.

Dans cet article, nous nous appuyons sur cette enquête réalisée auprès des diplômés de sept masters accessibles en formation classique ou en alternance à l’université de Rennes  1. Un module de questions spéci�ques sur l’alternance, dont une question ouverte, a été soumis aux diplômés alternants. Ce module concernait les raisons du choix de l’alternance, les missions et l’encadrement pendant la formation, les apports de l’alternance. Il est disponible sur simple demande auprès des auteurs.

(*)  : http://cisad.pleiade.education.fr/univ-insertion-pro/images/insertion/pdf/charte_inser-tion_2015.pdf

Alors que les enseignants décrivent la singularité de leur master, les ajustements aux besoins et attentes des employeurs comme aux enjeux du secteur d’activités, les étudiants insistent sur les e�ets positifs de l’alternance sur leur rapport aux études et sur leur inser-tion professionnelle.

1.1 Alternance et stage long : le point de vue des responsables de master

Pour les enseignants rencontrés, l’alternance est un choix de formation ré�échi et les jeunes n’y viennent pas par défaut. Partagé entre un emploi du temps d’étudiant et un emploi du temps de salarié, leur rythme de travail est particulièrement soutenu et le

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pro�l des étudiants alternants est donc singulier. Ce premier constat mis en exergue dans des travaux récents (Sarfati, op. cit. ; Cart et al., 2014 et 2016 ; Lopez et Sulzer, 2016) est un élément à considérer dans l’étude de leurs conditions d’insertion professionnelle.

Outre les pro�ls des candidats, la �nalité même de l’alternance di�ère selon les spé-cialités, ce qui invite à relativiser l’e�et de cette modalité de formation. Pour certaines formations, le contrat en alternance est un pré-recrutement et il fait o�ce de « période d’essai » ; pour d’autres formations, les alternants ne sont généralement pas recrutés à l’issue de leur formation, notamment quand la mission con�ée s’apparente à une mis-sion de stage. Lors des entretiens, l’alternance est souvent comparée au stage et selon les enseignants, le statut des étudiants ne leur confère pas le même rôle : les alternants sont souvent mieux intégrés et mieux rémunérés, les étudiants en stage n’accèderaient pas aux mêmes responsabilités.

Selon les responsables de master, l’accueil d’un étudiant en alternance au sein d’une entreprise relève soit d’un «  investissement  » de moyen terme, soit de la possibilité de con�er – déléguer – des missions dites secondaires, mais surtout ponctuelles. Les attentes des employeurs di�èrent également en fonction du secteur d’activité. Dans la �nance et la banque, le turn-over des salariés est souligné et l’alternance est une modalité de recrutement de futurs collaborateurs rapidement opérationnels. Ainsi, une respon-sable d’un master tertiaire explique :

« Pendant 2 ans, ils peuvent tester l’étudiant quelque part, ils le testent, ils voient comment il se comporte, ils le forment, ils le formatent à leur culture d’entreprise, à leurs techniques, donc, c’est vrai que les employeurs ont envie de les garder, après, ils restent ou pas les jeunes, c’est un autre problème, mais les employeurs, oui, sont très demandeurs. […] Voilà, c’est un vivier pour eux de formation de leurs collaborateurs, ils le voient comme ça. »

L’alternance telle qu’elle est présentée par les responsables de master est un dispositif quali�é de « gagnant-gagnant » qui rassure les employeurs sur la formation et les compé-tences professionnelles des jeunes diplômés. Elle rassure également les étudiants sur leur insertion professionnelle à court ou moyen terme, notamment par la sélection parfois sévère à l’entrée, perçue comme un signal d’accès réservé. Le responsable d’un master de gestion souligne que l’image de l’apprenti qui était en situation d’échec dans une formation classique est inversée : « Chez nous, les formations élitistes, c’est les formations en alternance. » Il explique également que les étudiants « savent très bien que c’est plus exigeant, qu’ils n’auront pas la vie associative, qu’ils n’auront pas la vie festive, qu’ils sont obligés tout de suite de rentrer dans la vie du travail et certains préfèrent se donner un peu plus de temps. »

La procédure de sélection des étudiants, souvent identique d’une formation à l’autre, comporte l’examen du dossier scolaire, puis une audition si le dossier est retenu. C’est lors de l’audition que sont appréciées la motivation et la capacité à intégrer la formation, mais surtout l’entreprise. D’ailleurs, lors des entretiens avec les enseignants, la dimen-

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sion professionnelle de l’audition a été la plus commentée. Les critères d’appréciation du parcours scolaire semblent aller de soi, les étudiants qui n’ont pas de bons dossiers ne sont pas retenus, même si, selon les enseignants, de « bons étudiants » ne font pas forcément de « bons alternants ». Finalement, l’admission à une formation en alter-nance s’apparente à un recrutement professionnel, ce que souligne également Sarfati (2015) à partir de ses observations.

Dans le cas des masters étudiés, les auditions des étudiants sont réalisées, soit par les enseignants, soit par un tandem enseignant-professionnel. Dans tous les cas, le fait d’avoir un projet professionnel dé�ni est une condition d’admission. Lors de l’audi-tion, les enseignants vont apprécier les capacités de l’étudiant à se présenter et s’assurer qu’il a une perception réaliste de la formation et des possibilités de carrière  ; il ne doit plus être dans « la représentation », et connaître le secteur d’activité, les métiers accessibles.

Les enseignants expliquent que parmi les étudiants, certains ont déjà réalisé une partie de leur cursus en alternance, d’autres souhaitent « être sur le terrain », se donner plus de chances pour trouver un emploi, ou encore pouvoir être un peu plus autonomes �nancièrement. Parallèlement, les employeurs les perçoivent souvent comme de futurs salariés et leurs critères de sélection dépendent de cette perspective. Les alternants anticipent « l’après diplôme », ce qui in�ue sans doute sur leurs conditions d’insertion professionnelle, ainsi que sur les e�ets de spécialité constatés. À l’instar de Sarfati (op. cit.), qui évoque la sur-sélectivité des candidats, Kergoat et Lemistre (op. cit.) notent que : « Les qualités recherchées par les responsables de formation entretiennent nombre de caractéristiques communes avec celles évaluées dans le cadre des recrutements opérés par de grandes entreprises. » (p. 143)

Selon les responsables de master, tous les jeunes ne peuvent trouver leur place dans une formation en alternance, les « qualités » des alternants di�èrent des « qualités  du bon étudiant ». Les discours des enseignants et des étudiants rejoignent ceux généralement tenus à l’égard de l’alternance et qui tendent à valoriser cette modalité de formation, souvent perçue comme une première étape d’insertion professionnelle.

Les discours révèlent aussi combien les formations se di�érencient les unes des autres en dépit de leur dénominateur commun qu’est l’alternance. Ses modalités de mise en œuvre impactent en e�et la formation des étudiants et leur entrée sur le marché du travail. Des formations privilégient un rythme hebdomadaire qui contribue à l’appré-hension de la saisonnalité des activités, d’autres proposent des périodes d’alternance longue, qui permettent une plus grande mobilité et implication des étudiants.

Ceux-ci se distinguent selon la spécialité qu’ils ont choisie et l’usage qu’ils font de l’alternance. Pour certains, le statut d’alternant était la condition de leur poursuite d’études, pour d’autres, c’est avant tout une façon d’entrer sur le marché du travail.

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Les enseignants soulignent également que l’alternance contribue à la socialisation pro-fessionnelle des étudiants. Ils apprennent les codes de l’entreprise et au �l de l’année, ils adoptent une posture plus professionnelle. Une responsable de master dresse le constat suivant :

« Ils sont à mi-chemin entre la formation initiale et la formation continue, on le sent d’ail-leurs au fur et à mesure des mois qui passent, leur maturité s’a�rme, au bout d’un an, ils ont passé le cap. Même les cabinets ne les présentent jamais comme apprentis, ils les présen-tent comme collaborateurs. Les entreprises qu’ils ont en face, parce qu’ils vont en clientèle, ne savent pas que ce sont des apprentis. »

La sélection des alternants lors des inscriptions tient compte de ce contexte de pré-recrutement. Une enseignante déclare :

« On a l’impression, quand ils recrutent un alternant, qu’ils recrutent un collaborateur, ils n’envisagent pas à la �n de … en�n, à ce stade de master, ils n’envisagent pas, même si ça peut arriver, de ne pas le recruter. Oui, ils font des recrutements RH réels. »

1.2 Insertion et socialisation professionnelles, les motivations des étudiants alternants

Les enseignements issus des entretiens avec les responsables de master font écho aux motivations des étudiants interrogés. Dans l’enquête, ils déclarent en e�et s’être ins-crits en alternance pour « faciliter leur insertion professionnelle » (1), pour « béné�cier d’un revenu pendant la formation » (2), pour « pouvoir découvrir le contexte professionnel de votre métier » (3). Ces motivations sont confortées par leurs réponses à la question « Au �nal, que vous a apporté votre master en alternance ? », puisque 78 % des répon-dants déclarent « une insertion professionnelle rapide », 77 % « une expérience signi�cative dans mon métier » et 62 % «  la connaissance du contexte professionnel de mon métier » (�gures  1 et 2). Interrogés 30 mois après l’obtention de leur diplôme, ces anciens alternants soulignent donc l’apport de cette modalité de formation pour leur accès à l’emploi, alors que la modalité « une plus grande autonomie �nancière » arrive en qua-trième position, avec 45 % des réponses citées.

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Figure 1. Principales raisons du choix de suivre le master en alternance (deux réponses possibles)

Champ : Ensemble des répondants ayant suivi le master en alternance (n = 104).Lecture : 71,2 % déclarent avoir choisi de suivre le master en alternance pour faciliter leur insertion professionnelle.Source : Enquête sur le devenir d’un master obtenu à l’université de Rennes 1 – OSIPE.

Figure 2. « Au �nal, que vous a apporté votre master en alternance ? » (plusieurs réponses possibles)

Champ : Ensemble des répondants ayant suivi le master en alternance (n = 104).Lecture : 77,9 % déclarent que le master en alternance a contribué à leur insertion professionnelle rapide.Source : Enquête sur le devenir d’un master obtenu à l’université de Rennes 1 – OSIPE.

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À la question ouverte sur les apports de l’alternance, ils répondent aussi majoritaire-ment que l’alternance leur a permis d’acquérir une expérience professionnelle signi�-cative, « reconnue », « valorisable » sur le marché du travail. Parmi les soixante-treize réponses écrites des répondants, deux registres de réponses se distinguent, ceux qui ont trait à la formation et à la plus-value de l’alternance, qui favorise la « mise en applica-tion de la théorie » et ceux qui ont trait à l’insertion professionnelle. Ces deux registres révèlent la dimension de socialisation professionnelle de leur mission en entreprise. Dans leurs propos écrits, les répondants évoquent la légitimité et l’autonomie acquises, la meilleure connaissance de l’entreprise et le fait d’y être intégré. Les entretiens réalisés avec les étudiants confortent ces résultats, comme l’illustre l’extrait d’entretien qui suit.

Encadré 2 - L’alternance a posteriori, ce qu’en dit une diplômée

« C’était vraiment pour moi une vraie belle expérience, moi ça m’a permis d’économiser beaucoup de temps de recherche d’emploi, de mise en situation professionnelle, de mise à niveau on va dire. Ce que ça m’a apporté, oui, c’est d’être plus autonome, beaucoup plus rapidement, d’avoir beaucoup plus d’assurance. C’est plutôt là-dessus je dirais, j’ai eu l’impression d’avoir une formation vraiment de bon niveau grâce à ça et puis ça m’a apporté aussi de la motivation tout simplement, parce que j’étais un peu démotivée de faire trop d’études et puis là, ça m’a vraiment motivée à �nir ce master.  […] sur mon CV, je marque cette année d’alternance comme une année d’expérience en plus, donc en tant que consultante, ça joue beaucoup pour passer de consultant junior à senior. Pour moi, c’est quand même une année d’expérience supplémentaire par rapport aux autres et dans laquelle je me suis sentie directement bien intégrée et de plus en plus professionnelle. » (Extrait d’entretien Marie, consultante décisionnelle à Paris - diplômée master Système information et contrôle de gestion).

Plus de neuf alternants sur dix estiment avoir été su�samment encadrés durant leur alternance et déclarent majoritairement avoir eu des missions qui correspondaient à leur niveau de master ; 78 % estiment que leurs missions étaient en adéquation avec leur niveau de formation alors que 9 % estiment que leurs missions étaient au-dessus et 14 % au-dessous de leur niveau de formation. Lors des entretiens, les cinq étudiants soulignent que leurs missions ont évolué et qu’au �l de l’année des responsabilités plus grandes leur ont été con�ées. Ils ont progressé dans leur emploi tout en poursuivant leur formation.Finalement, enseignants et étudiants s’accordent sur le fait que l’alternance favorise(rait) une connaissance plus �ne de l’entreprise ainsi que des projets et missions souvent mieux dé�nis. Mais au-delà de ces discours relativement consensuels, les conditions d’insertion des alternants et des non-alternants au niveau bac + 5 sont-elles distinctes ? Autrement dit, est-ce que les résultats des enquêtes con�rment les discours en faveur de l’alternance, à niveau et spécialité de diplôme équivalents  ? Les données issues de l’enquête auprès des diplômés présentées dans la partie suivante apportent des éléments de réponse à ces questions.

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2I L’insertion professionnelle des alternants et non alternants diplômés d’un même master

Cette deuxième partie présente la méthodologie d’enquête (1) et la population enquêtée (2). Une approche descriptive des résultats est privilégiée et met l’accent sur les caractéris-tiques des répondants.

2.1 Les caractéristiques des diplômés de master

Nous mobilisons ici les données de l’enquête réalisée auprès des diplômés de 2013 (voir encadré 1). Ne sont retenus ici que les diplômés de nationalité française (ou étrangers ayant obtenu le baccalauréat en France) inscrits en formation initiale. Sont sortis du champ les étudiants en formation continue et les diplômés de nationalité étrangère. Cette enquête a concerné 1 567 diplômés de master, dont 1 248 ont répondu au questionnaire, soit un taux de réponse de 80 %.

Parmi les 28 mentions de master proposées par l’université de Rennes 1, sept proposent à la fois des parcours en alternance (contrats d’apprentissage et de professionnalisation) et des parcours « classiques ». Au �nal, la population de l’étude est composée de 464 diplômés, dont 123 alternants en majorité apprentis, 367 ont répondu1 à l’enquête, soit un taux de réponse de 79,1 % (tableau 1). À la lecture du tableau 2, on constate des di�érences en termes d’origine sociale selon la mention du master e�ectuée, même si ces di�érences paraissent non signi�catives.

Tableau 1. Population répondante selon la mention de master (en %)

Mention de masterClassique Alternance Total

Dip. Rep. Dip. Rep. Dip. Rep.

Administration des entreprises 82 62 8 8 90 70

Banque-Finance 30 24 15 12 45 36

Electronique et télécommunications 11 8 4 (4) 2 15 10

Finance, comptabilité et contrôle de gestion 82 60 53 (13) 47 135 107

Informatique 62 54 10 9 72 63

Management et ressources humaines 19 17 18 15 37 32

Marketing 55 38 15 11 70 49

Total : 341 263 123 104 464 367

Champ : Ensemble des diplômés de master 2013 (n = 464).Note  : Entre parenthèses, on trouve le nombre de contrat de professionnalisation  parmi les alternants ; à défaut, tous les alternants sont en contrat d’apprentissage.Lecture : Parmi les 464 diplômés entrant dans le champ d’enquête, 367 ont répondu au questionnaire, soit un taux de réponses de 79,1 %.Source : Enquête sur le devenir d’un master obtenu à l’université de Rennes 1 – OSIPE.

1. La population répondante est comparable à celle de la population mère.

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Tableau 2. PCS (profession et catégorie sociale) des parents selon la mention de master

Mention de Master Classe pop. Classe moy. Classe sup. TestAdministration des entreprises 17 19 64

ns

Banque-Finance 25 28 47

Electronique et télécommunications 10 30 60

Finance, comptabilité et contrôle de gestion 33 25 42

Informatique 21 13 66

Management et ressources humaines 16 26 58

Marketing 25 25 50

Champ : Ensemble des diplômés de master 2013 (n = 464).

Lecture : Parmi les diplômés de master administration des entreprises, 64 % ont une origine sociale très favorisée (classes supérieures). Source : Enquête sur le devenir d’un master obtenu à l’université de Rennes 1 – OSIPE.

Le tableau 3 présente les caractéristiques individuelles des étudiants ayant obtenu leur master en alternance comparativement à ceux de la voie classique. Certaines variables comme le genre, le type de baccalauréat et l’origine géographique distinguent les alternants. Ce sont plus souvent des femmes (59 % contre 45 %), qui ont plus sou-vent obtenu un baccalauréat technologique (19 % contre 7 %). Ces alternants sont aussi plus nombreux à être originaires de Bretagne ou des régions limitrophes (86 % contre 73 %).

Tableau 3. Les caractéristiques de la population selon le type de formation

Variable Modalités Alternance Classique Test

Genre Femmes 59% 45% **

Baccalauréat

Général 81% 92%

***Technologique 19% 7%

Autre - 1%

Age au baccalauréat

En avance 7% 8%

nsA l’heure 78% 73%

En retard 15% 19%

Originaire de Bretagne ou régions limitrophes Oui 86% 73% **

PCS (profession et catégorie sociale) max des parents)

Classe pop 25% 23% nsnsns

Classe moy 22% 22%

Classe sup 53% 55%

Niveau de signi�cativité : * p < 0,05, ** p< 0,01, *** p< 0,001 (test khi²).Champ : Ensemble des diplômés de master 2013 (n = 464).Lecture : 81 % des étudiants ayant obtenu leur master en alternance étaient titulaires d’un baccalauréat général.Source : Enquête sur le devenir d’un master obtenu à l’université de Rennes 1 – OSIPE.

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L’analyse descriptive montre logiquement que les étudiants ayant obtenu leur master en alternance poursuivent nettement moins souvent des études que ceux de la voie classique (2 % contre 11 %) (cf. tableau 4). Cette voie de formation étant d’abord destinée à l’insertion professionnelle.

2.2 Les anciens alternants diplômés s’insèrent plus vite, mais sur un statut moins favorable

Nonobstant la di�cile mesure de l’insertion professionnelle (Cordazzo, 2013), les conditions d’insertion professionnelle sont décrites à travers une mesure dite « objec-tivée » (type de contrat de travail, statut professionnel, salaire, etc.) et une mesure dite « subjective » (adéquation formation/emploi et satisfaction de l’emploi selon di�érents critères).

2.2.1 Une mesure dite « objectivée » de l’insertion professionnelle

Plus de neuf diplômés sur dix n’ont pas poursuivi d’études après le master. Parmi eux, 96 % sont en emploi et 4 % sont sans emploi. Le taux d’emploi s’élève à 98 % pour l’alternance contre 96  % pour la voie classique. Le temps moyen de recherche du premier emploi2 est de 1,3 mois. Le processus d’insertion semble un peu plus rapide pour les étudiants issus de l’alternance comparativement à ceux passés par la voir clas-sique (respectivement 0,6 mois contre 1,6 mois). Si les alternants ne sont pas forcé-ment recrutés dans l’entreprise formatrice, comme le montrent également Cart et Léné (2014), ils sont néanmoins nombreux à voir leur contrat en alternance se transformer en une embauche. Ainsi, 54  % des alternants ont vu leur contrat (d’apprentissage ou de professionnalisation) évoluer vers une embauche, contre 46 % des stages des diplômés issus de la voie classique (cette di�érence n’étant pas statistiquement signi�-cative sur l’échantillon).

L’enquête montre également des di�érences en termes de caractéristiques d’emploi. Les diplômés de master issus de la voie classique sont davantage recrutés sur un statut de cadre (73 % contre 55 % pour les alternants).

2. Interrogés sur leur temps de recherche d’emploi.

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Tableau 4. Les caractéristiques de l’emploi selon le type de formation

Indicateurs Alternance Classique TestTaux de poursuites d’études 2% 11% **

Transformation du stage ou contrat d’alternance en embauche 54% 46% ns

Taux d’emploi à durée indéterminée 93% 87% ns

Taux d’emploi cadre 55% 74% **

Taux d’emploi en Bretagne 57,5% 42,5% *

Taux d’emploi en Ile-de-France 12% 27,5% **

Salaire net moyen mensuel (hors prime et 13ème mois)* 1 909 € 1 902 € ns

Salaire net médian mensuel (hors prime et 13ème mois) 1 828 € 1 900 € ns

Satisfaction de l’emploi selon les responsabilités con�ées 92% 90% ns

Satisfaction de l’emploi selon la position occupée dans la hiérarchie 89,5% 85,5% ns

Satisfaction de la localisation de l’emploi 86,5% 83,5% ns

Satisfaction de l’emploi selon la rémunération 72,5% 69% ns

Satisfaction de l’emploi selon les perspectives de carrières 83,5% 73% *

Adéquation à l’emploi selon le niveau et la spécialité du master 84,5% 70% *

* Travaillant à temps plein et en France.Niveau de signi�cativité : * p < 0,05, ** p< 0,01, *** p< 0,001 (test khi²).Champ pour l’indicateur taux de poursuites d’études : Ensemble des répondants (n = 367).Champ : Ensemble des répondants en emploi et n’ayant pas poursuivi des études (n = 321).Lecture : 93 % des diplômés en emploi issus de l’alternance ont un emploi à durée indéterminée (CDI, fonctionnaire, profession libérale).Source : Enquête sur le devenir d’un master obtenu à l’université de Rennes 1 – OSIPE.

Pour la localisation de leur emploi, les diplômés de la voie classique semblent plus mobiles, près de six sur dix exercent leur emploi en dehors de la Bretagne, contre un peu plus de quatre alternants sur dix. Mais cette mobilité géographique est à relativiser selon la région d’origine des diplômés : sur l’ensemble des diplômés, 63 % des Bretons restent travailler dans la région contre seulement 28 % des diplômés non originaires de Bretagne, qui sont d’ailleurs plus nombreux dans la �lière classique (cf. tableau 3). La mobilité s’e�ectue principalement au pro�t de la région parisienne pour les diplômés de la voie classique (27 % contre 12 % pour les alternants). Assez logiquement, les diplômés de la voie classique (plus souvent cadres, plus souvent en Ile-de-France) béné-�cient d’un salaire net mensuel médian un peu plus élevé que les alternants (1 900 € contre 1 828 €). Cet écart – faible au demeurant – peut s’expliquer par les conditions d’insertion des diplômés.

2.2.2 Une mesure dite « subjective » de l’insertion professionnelle

Concernant les conditions de travail, les écarts entre les taux de satisfaction des alter-nants et des non-alternants sont peu signi�catifs. Toutefois, sur leurs « perspectives de carrière », les alternants semblent plus optimistes que les non-alternants (respective-ment 84 % d’entre eux en sont satisfaits contre 73 %).

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Des hypothèses peuvent être proposées pour expliquer ces écarts  : leur connaissance de l’entreprise, de ses métiers et de ses usages en matière d’évolution professionnelle, ou le fait d’avoir intégré le marché du travail avec plus d’expériences et d’assurance (selon leurs dires) qui les inciteraient à être plus con�ants. La dynamique des secteurs d’activité est également à prendre en considération dans la compréhension de cet écart, d’autant que ces résultats sensibles à la conjoncture étaient inverses lors de la précé-dente enquête.

A�n de mesurer l’adéquation formation-emploi, Cordazzo (2013) propose un indi-cateur qui combine à la fois l’adéquation entre, d’une part, le secteur disciplinaire de la formation et, d’autre part, l’emploi, et le niveau de quali�cation et l’emploi. Dans notre enquête, les alternants déclarent plus souvent exercer une activité professionnelle en adéquation avec la formation reçue en master (84 % contre 70 %)3. Ces résultats s’expliquent sans doute par leur connaissance plus précise des postes qu’ils peuvent occuper en début de carrière. Les enseignants rencontrés soulignent d’ailleurs que lors du processus de sélection, les employeurs peuvent présenter aux étudiants les débuts de carrière et les évolutions possibles.

Ces résultats descriptifs montrent des di�érences entre l’insertion des alternants et celle des diplômés par voie classique, mais sont-elles essentiellement liées à l’e�et de l’alternance ou peuvent-elles s’expliquer par d’autres facteurs ? Pour tenter de répondre à ces interrogations, nous avons considéré deux caractéristiques de l’emploi, dont l’une a un e�et plus favorable pour les alternants – l’accès à un emploi à durée indéterminée – et l’autre un e�et moins favorable – l’accès à un statut de cadre. Cette question fait l’objet de la partie suivante.

3I Mesurer l’e�et de l’alternance sur les caractéristiques de l’emploi a posteriori

Tandis que la littérature sur l’alternance s’est davantage centrée sur l’accès à l’emploi et le salaire, nous nous intéressons ici davantage à la qualité de l’emploi (la nature du contrat de travail et la quali�cation). Nous cherchons à mettre en évidence si, en tenant compte des e�ets de structure, les résultats de la partie 2 en termes de qualité d’emploi se maintiennent. Autrement dit, les alternants accèderaient-ils davantage à un emploi stable, tandis qu’ils accèderaient moins à un niveau cadre pour leur premier emploi à la sortie du master ?

3. L’écart de 20 points avec le statut cadre (expliqué plus haut) correspond plutôt au fait que les diplômés de formation classique ont des propositions de postes plus diversi�ées que les alternants et qu’ils ont une plus grande mobilité (Paris notamment) ; par exemple, dans les métiers de la banque, les alternants commencent avec la gestion de petits portefeuilles pour monter en grade progressivement, les diplômés de formation classique peuvent se voir con�er plus vite la gestion de portefeuilles importants.

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Encadré 3 - Méthodologie

L’estimation vise à évaluer si les résultats descriptifs se maintiennent en tenant compte des caractéristiques sociodémographiques (sexe, catégorie socioprofessionnelle des parents, parents au chômage, mobilité), ainsi que du parcours scolaire (formation en alternance ou par voie classique, spécialités du master, type de bac, retard au bac) des anciens étudiants de master. Nous cherchons à mettre en évidence un possible e�et de l’alternance sur deux variables d’intérêt : obtenir un emploi à durée indéterminée à temps plein et accéder à un emploi de cadre. Pour chaque variable d’intérêt, nous menons deux estimations, le modèle (a) sans prise en compte de la spécialité du master et le modèle (b) en prenant en compte cette variable de contrôle. Notre objectif est d’estimer si la qualité de l’insertion professionnelle des étudiants de master est davantage liée au type de formation (alternance ou classique) et/ou à la spécialité de formation suivie. Nous voulons ainsi mettre en évidence un possible e�et de la spécialité du master e�ectué, a�n d’estimer si, au-delà des autres variables de contrôle, cet e�et ne joue pas davantage sur les caractéristiques de l’emploi que l’alternance elle-même.

Dans un premier temps, les estimations de la probabilité d’accéder à un emploi à durée indéterminée (M1a et b) montrent qu’avoir réalisé son master en alternance augmente les chances d’accéder à un emploi à durée indéterminée 30 mois après être sorti de formation. Le modèle 1b souligne des e�ets signi�catifs de certaines spécialités de formation – notamment « Banque-�nance » et « Finance, comptabilité et contrôle de gestion » – sur l’accès à un emploi à durée indéterminée. La prise en compte de la spécialité du diplôme diminue ainsi l’e�et de l’alternance sur les chances d’accéder à un emploi à durée indéterminée.

Dans un second temps, nous avons voulu estimer la probabilité d’accéder à un emploi de cadre pour les étudiants des masters concernés (M2a et b). Nous montrons qu’il existe un e�et négatif signi�catif de l’alternance sur l’accès à un emploi de cadre a pos-teriori, lorsque l’ensemble des variables de contrôle sont prises en compte. Néanmoins, lorsque les spécialités de formation sont prises en compte, l’e�et une nouvelle fois se réduit. Ce modèle souligne que l’accès à un emploi de cadre peut être également lié à la spécialité de formation. Les sortants d’un master en informatique ont ainsi plus de chances d’accéder à ce type de quali�cation. Les résultats con�rment également que les femmes ont moins de chances d’accéder à ce type d’emploi, ainsi que les jeunes issus de classe sociales moins favorisées.

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DOSSIER

Tableau 5. Les caractéristiques de l’emploi selon le type de formation

Emploi à durée indéterminée

M1a

Emploi à durée indéterminée

M1b

Emploi de CadreM2a

Emploi de CadreM2b

Constante 1,439*** 0,996*** 2,496*** 2,229***

Alternance (réf. classique) 1,084*** 0,963** -0,936*** -0,692**

Spécialités (réf. administration des entreprises)

Banque-Finance 1,249* -0,832

Electronique et télécommunications -0,195 0,775

Finance, compatibilité et contrôle de gestion

1,731*** -0,256

Informatique 0,817 2,852***

Management des RH -0,301 -0,955*

Marketing 0,958* -0,528

Type de bac (réf. bac S)

Bac technologique 1,301* 1, 346* 0,011 0,126

Bac ES/L -0,457 -0,610 -0,703** -0,191

Retard au Bac (réf. à l’heure ou en avance)

-0,303 -0,341 0,010 -0,071

Sexe (réf. homme)Femme 0,296 0,503 -1,012*** -0,679**

PCS max des parents (réf. classe supérieure)

Classe populaire 0,014 -0,411 -0,825** -0,801**

Classe moyenne -0,257 -0,115 -0,892*** -0,716**

Mère au chômage -0,035 -0,064 0,138 -0,081

Père au chômage 0,203 0,022 0,597 0,492

Région Bretagne (ref. autres) -0,165 -0,387 -0,402 -0,573**

Sigles : RH : ressources humaines. Bac S : bac scienti�que ; ES : Economique et social ; L : Littéraire.Champ : Ensemble des répondants en emploi au 1er décembre 2015.Niveau de signi�cativité : * p < 0,05, ** p< 0,01, *** p< 0,001.Note : la PCS (profession et catégorie sociale) max des parents renvoie à la PCS du parent qui a la situation la plus favorisée.Lecture : Être diplômé d’un master en alternance a un e�et négatif sur la probabilité d’occuper un emploi de cadre lorsque l’on contrôle des caractéristiques individuelles, dont la spécialité du master. Source : Enquête sur le devenir d’un master obtenu à l’université de Rennes 1 – OSIPE.

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Les résultats de l’enquête d’insertion rendent compte des bonnes conditions d’insertion de l’ensemble des diplômés concernés par l’étude. Finalement, pour ces diplômes, l’alter-nance vient renforcer un e�et de spécialité qui prend appui sur les réseaux des enseignants et leurs relations avec les professionnels, ainsi que sur la dynamique des secteurs d’activité où l’alternance répond à des enjeux identi�és (former et recruter des jeunes rapidement opérationnels).

Les spécialités concernées par l’alternance se distinguent par leur réseau professionnel, tissé de longue date, et par l’image dont béné�cie le diplôme. Ces spécialités de diplômes signalent un degré de professionnalisation élevé (Giret et Moullet, 2008), selon les ensei-gnants. Ces résultats montrent que face à un discours quasi-unanime, tant à l’extérieur de l’institution scolaire qu’à l’intérieur, partagé par ses acteurs eux-mêmes (étudiants alter-nants et responsables de master en alternance), sur la plus-value de l’alternance en termes d’insertion professionnelle, il est important de questionner ces représentations en mon-trant que d’autres facteurs interviennent, comme la spécialité de la formation suivie ou la mobilité vers un bassin d’emploi où se concentrent davantage d’emplois quali�és.

Conclusion : Des réalités et des usages contrastés de l’alternance

Les limites de la comparaison entre diplômes de formation « classique » et de formation en alternance sont souvent soulignées. Lopez et Sulzer (op. cit.) rappellent que : « les com-paraisons entre les populations d’apprentis et de scolaires sont à interpréter avec précaution. En e�et, sur de nombreux critères, ces deux populations di�èrent nettement. Ainsi, une partie des écarts observés renvoie à des di�érences dans les spécialités �nes (aux débouchés di�érents), dans les caractéristiques sociales (origines socioculturelles variées) ou dans les inscriptions terri-toriales (quartiers plus ou moins défavorisés, tissus économiques plus ou moins favorables). Ces di�érences sont générées par des processus d’orientation ou de sélection à l’entrée des voies de formation » (p. 4).

Cet article tente de s’appuyer sur un matériau diversi�é – entretiens semi-directifs, ques-tionnaires auprès des alternants, et étude quantitative auprès de l’ensemble des diplômés de master – a�n de confronter les représentations des acteurs avec la « réalité » de l’inser-tion professionnelle des diplômés de master en alternance.

Alternants et responsables de master mettent en avant la plus-value d’une formation menée dans le cadre d’un contrat en alternance, les responsables de master insistant sur la singularité des formations qu’ils encadrent. Pour chacun, l’investissement des étudiants, en termes de charge de travail notamment, se traduira par une insertion professionnelle facilitée.

Si les études précédentes sur le sujet ont montré qu’il était important de prendre en compte la spéci�cité du public passé par l’alternance, nous mettons en évidence ici qu’en termes de qualité de l’emploi, les e�ets sont loin d’être homogènes. Si le passage par l’alternance

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DOSSIER

semble améliorer les chances d’accéder à un emploi à durée indéterminée, cela semble au contraire diminuer la probabilité d’accéder à un emploi de cadre.

Cependant, d’autres variables doivent être prises en compte a�n d’expliquer les écarts observés entre les conditions d’insertion des alternants et des diplômés classiques. C’est notamment le cas des e�ets de spécialité de master. Ainsi, est-ce l’alternance qui in�ue sur leur début de vie active ou les e�ets de segmentation du marché du travail liés à la spécia-lité de formation suivie ?

Ces constats questionnent la représentation « idéalisée » de l’alternance partagée par les étudiants et les enseignants, en termes d’insertion professionnelle, comparée à la voie clas-sique. Cette étude permet de comparer le devenir d’anciens étudiants issus d’un même niveau de formation, d’un même établissement et de mêmes spécialités de master. Elle o�re un meilleur outil de comparaison entre alternants et ceux qui e�ectuent un stage classique. Cependant, cette étude ne concerne qu’un faible nombre d’inscrits et constitue une recherche exploratoire qu’il s’agit de prolonger.

Cet article met en évidence que l’alternance est loin d’être une pratique homogène selon les spécialités de formation. Dans les masters de gestion ou les métiers de la banque, elle est une modalité de formation éprouvée, mais elle peut être plus récente dans d’autres for-mations. Ainsi, quand certains étudiants peuvent se distinguer sur le marché du travail par l’obtention d’un master en alternance, pour d’autres, cette modalité d’accès au diplôme est moins distinctive. La visibilité et « la valeur » du diplôme sur le marché du travail sont fonction de toutes ces données de contexte, de l’histoire de la création du diplôme à l’im-plication des professionnels. Si la modalité de formation n’est qu’un élément de contexte parmi d’autres pesant sur les conditions d’études et d’insertion, les caractéristiques indi-viduelles des alternants sont aussi des critères importants dans le processus d’entrée dans la vie active.

Ainsi, bien que l’alternance constitue une première expérience signi�cative d’emploi, cette étude conforte le fait que toutes les situations d’alternance sont di�érentes, ce qui a�ecte l’usage qu’en font les étudiants et les employeurs.

n Bibliographie

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Lopez A. & Sulzer E. (2016), « Insertion des apprentis : un avantage à interroger », Céreq-Bref n° 346.

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La mosaïque de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur : structuration et

croissance de l’o�re de placesARNAUD PIERREL

Doctorant en sociologie au Groupe de recherches sociologiques sur les sociétés contemporaines (Gresco)

Résumé 

n La mosaïque de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur : structuration et croissance de l’o�re de places

Cet article revient sur le développement des formations en apprentissage dans l’enseigne-ment supérieur français, en articulant plusieurs monographies. Cela permet d’appréhender l’hétérogénéité constitutive de ce développement, tant entre les Centres de Formation des Apprentis qu’en leur sein. Nous montrons ce que les dynamiques di�érenciées à l’œuvre doivent à la position des établissements au sein de l’enseignement supérieur et aux contextes locaux concurrentiels dans lesquels ils s’insèrent. Méthodologiquement, l’article plaide pour une approche localisée et statistiquement désagrégée de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur.

Mots-clés: enseignement supérieur, apprentissage, CFA - Centre de formation d’apprentis, projet d’établissement, e�ectif

Abstract

n The patchwork of apprenticeship training in the French higher education system: structuring and growth of place o�er

Based on several studies, the following paper deals with the development of apprenticeship training in French higher education. It focuses on the inherent heterogeneity of its devel-opment, both between and within apprenticeship training centres (CFA). It shows that speci�c dynamics at work are related to positions of these centres in the higher education system as well as local contexts in which they operate. From a methodological point of view, this paper argues for a localised and statistically disaggregated approach of appren-ticeship training in higher education.

Keywords: higher education, apprenticeship, CFA - apprentice training centre, school work plan, numbers

Journal of Economic Literature : I 23, M 53

Traduction : Auteur.

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DOSSIER

« 500 000 apprentis » : le mot d’ordre est repris, en France, par les gouvernements suc-cessifs. Il pare cette modalité particulière de formation qu’est l’apprentissage de maintes vertus, au premier rang desquelles son e�cacité supposée pour enrayer le chômage des jeunes.

Si les e�ectifs apprentis ont cru depuis une vingtaine d’années, tous les niveaux de for-mation n’y ont pas également contribué. En e�et, le nombre d’apprentis préparant un diplôme de niveau V régresse entre 1995 et 2014 (- 57 500), tandis qu’augmentent les e�ectifs de niveau IV (+ 70 350) et, plus encore, de l’enseignement supérieur (+ 118 000). Sur cette période de vingt ans, plus on s’élève dans la hiérarchie des niveaux de formation, plus le taux de croissance annuel moyen des e�ectifs apprentis est fort, passant de - 1,5 % au niveau V à + 17,4 % au niveau I1. L’enseignement supérieur constitue ainsi, sur les vingt dernières années, le principal pourvoyeur de la croissance des e�ectifs apprentis.

Ce constat de « l’aspiration vers le haut » de l’apprentissage a déjà été souligné par d’autres publications (Arrighi, Brochier, 2005  ; Demongeot, 2013), mais sans toujours éclairer les mécanismes sous-jacents de cette croissance, faute d’appréhender le phénomène à une échelle plus �ne que celle des statistiques nationales agrégées2.

De même, certaines catégories visant à rendre compte des formes institutionnelles que revêt l’apprentissage dans l’enseignement supérieur – Centres de Formation des Apprentis (CFA) dits « hors murs »3 et prévalence de « l’apprentissage concerté » (Combes, 1984)4 – subsument in �ne une grande diversité de con�gurations concrètes. Trois raisons peuvent être avancées pour rendre compte de l’usage souvent non questionné de ces catégories. Il tient, d’une part, au manque de travaux de recherche sur le sujet, l’enseignement tech-nique et professionnel en général – et l’apprentissage en particulier – étant les parents pauvres de la sociologie de l’éducation, comme cela a été pointé de longue date (Grignon, 1971, p. 8 ; Briand, Chapoulie, 1993, p. 38 ; Moreau, 2003, p. 9). D’autre part, la lecture « verticaliste » qui est le plus souvent faite de l’apprentissage, par le prisme des niveaux de formation, postule alors implicitement une similarité des formes institutionnelles dès lors qu’elles concernent un même niveau de diplôme. À l’instar de la sociographie des publics apprentis, il convient au contraire de prendre acte des « diversités [“horizontales”, ie. entre formations relevant d’un même niveau de diplôme] dans la diversité [“verticale”] » existantes

1. La nomenclature des niveaux de formation, issue des travaux, dans les années 1960, du Commissariat général au Plan (Tanguy, 2002) hiérarchise les diplômes et titres certi�és – ou plus précisément les sorties du système scolaire – du niveau VI (sorties sans diplôme) au niveau I (sorties avec diplôme ou titre de niveau Bac + 5). Les niveaux III, II et I regroupent les sorties avec diplôme ou titre de l’enseignement supérieur.2. Constat également fait par Tanguy, 2016, p. 102.3. C’est-à-dire n’organisant pas dans son enceinte la formation des apprentis, cette dernière étant déléguée à un autre établissement.4. « Forme d’apprentissage » que l’auteure oppose à « l’apprentissage individuel », notamment selon les pra-tiques de placement en entreprise des apprentis, à l’initiative du CFA dans le premier cas, à celle de l’apprenti dans le second.

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au sein de la « mosaïque » des formations (Moreau, 2003, pp. 119-125), par-delà le constat quantitatif, agrégé et nominaliste qui est fait du développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. En�n, l’expression des besoins de quali�cation des entreprises recourt également à de telles catégories agrégées et quantitatives (« un besoin de tant d’ingé-nieurs5 formés en apprentissage, tant de techniciens supérieurs »). A contrario, est ici privilé-giée l’observation de la structuration de l’o�re de formation, plus à même de rompre avec l’illusion de l’homogénéité des dynamiques de développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur.

Cette rupture implique de tenir ensemble deux types de di�érenciation à l’œuvre, entre les CFA, d’une part, et au sein des CFA, d’autre part, ces derniers abritant une grande variété de formations dès lors qu’ils se structurent à une échelle interdépartementale, voire régio-nale. Ces deux logiques de di�érenciation complémentaires constituent successivement les deux temps de l’analyse.

Encadré 1 - Sources et enquête

Cinq entretiens approfondis (de deux à trois heures) ont été menés auprès de responsables de CFA (Centre de formation d’apprentis) (n  =  3) et de leurs composantes (n  =  2), appelées des Unités de formation en apprentissage (UFA). Les entretiens ont donné lieu à la transmission de documents internes systématiquement dépouillés (organigrammes, comptes rendus d’assem-blées générales de l’organisme gestionnaire et des conseils de perfectionnement, bilans moraux et �nanciers annuels, budgets de fonctionnement, bases de données d’e�ectifs apprentis). En outre, des archives publiques émanant de la Commission des Titres d’Ingénieurs (CTI), du Haut Comité Education-Economie (HCEE) et de la Direction générale de l’Enseignement supérieur et de l’Insertion professionnelle (DGESIP) ont été consultées pour retracer les premières créations de CFA consécutives à la loi du 23 juillet 1987 permettant la préparation de diplômes ou titres homologués du supérieur par la voie de l’apprentissage.

1I Genèses plurielles de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur

Analyser les di�érenciations entre les CFA suppose de revenir sur leur genèse, moment pri-vilégié d’analyse donnant à voir, dans une sorte de « clarté des commencements » (Bourdieu, 2012, p. 97), les débats et luttes fonctionnant ensuite uniquement à l’état implicite. Les réponses pratiques apportées à ces enjeux initiaux dépendent étroitement de la position des établissements dans le champ de l’enseignement supérieur – en tant qu’elle dé�nit son degré d’autonomie relative, ie. son « pouvoir de réfraction »6 des contraintes extérieures – et

5. Pour une mise en perspective historique critique de ce « besoin », voir Grelon, 1987.6. Nous transposons ce que Bourdieu envisage pour une champ au niveau des positions au sein du champ :

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DOSSIER

des contextes locaux concurrentiels en matière d’o�re de formation (Suteau, 1999), dans lesquels les CFA s’insèrent. Ces réponses pratiques sont alors constitutives de l’hé-térogénéité des formes institutionnelles que les CFA revêtent. Cette dernière vient alors remettre en question l’usage des notions de « CFA hors murs » et d’ « apprentissage concerté » qui, du fait de leur généralité, fonctionnent comme des catégories-écrans, c’est-à-dire fermant l’analyse là où elle devrait au contraire s’ouvrir.

Trois exemples de création de CFA sont analysés successivement. Ils sont choisis très dissemblables les uns des autres pour mettre en évidence ce que la forme institution-nelle retenue doit aux marges de manœuvre respectives des établissements, liées à leur position dans le champ de l’enseignement supérieur et aux contextes locaux dans les-quels ces CFA s’insèrent.

1.1 Les Instituts des techniques d’ingénieurs et de l’industrie, une position à établir

Chronologiquement pionniers, les premiers Instituts d’ingénieurs et de l’industrie (ITII) sont créés, à l’initiative de l’Union des Industries Métallurgiques et Minières (UIMM), suite au rapport Decomps (HCEE, 1990) visant à mettre en place des Nouvelles Formations d’Ingénieurs (NFI) (Grandgérard, 1996). Structures sans exis-tence préalable comme formation sous statut scolaire, la position des ITII au sein de l’enseignement supérieur est entièrement à établir. La source utilisée pour restituer la création des ITII atteste cette position en devenir, puisqu’il s’agit des dossiers de demandes d’habilitation du titre délivré auprès de la CTI7. Le réseau initial des ITII se constitue au cours des années 1990-1991. Fin 1991, on dénombre sept instituts (neuf en incluant ceux qui n’ont pas de �lière en apprentissage, mais uniquement en forma-tion continue) et 125 apprentis ingénieurs.

Déclinaisons régionales au sein d’un même réseau national, les di�érents ITII pré-sentent de nombreux points communs. Il s’agit de structures associatives loi 1901 qui béné�cient d’un fort soutien des branches professionnelles régionales du secteur métallurgique. Ces dernières réalisent en amont des enquêtes auprès des entreprises quant à leurs futurs « besoins » en ingénieurs, a�n d’étayer la pertinence de la demande d’habilitation auprès de la CTI. En outre, celle-ci considérant comme une condition nécessaire pour l’habilitation qu’une formation déjà habilitée fasse partie du projet, les ITII sont amenés à proposer des conventions de partenariat avec les universités et écoles d’ingénieurs préexistantes de leur région respective.

« Plus un champ est autonome, plus son pouvoir de réfraction sera puissant, plus les contraintes externes seront trans�gurées (...). Inversement, l’hétéronomie d’un champ se manifeste essentiellement dans le fait que les pro-blèmes extérieurs (...) s’y expriment directement. » (Bourdieu, 1997, pp. 15-16)7. Archives nationales de Pierre�tte n° 19960451/5, 19960451/37 et 20020354/7.

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L’organisation de la formation présente peu de di�érences d’un ITII à l’autre. Les volumes horaires de formations oscillent entre 1 600 et 1 850 heures réparties sur trois ans, auxquelles s’adjoint, en alternance, un temps en entreprise d’environ 2 700 heures. Les contenus enseignés sont eux aussi similaires. à titre d’exemple, la formation aca-démique de l’ITII de Lyon comprend des enseignements de « Sciences et techniques » (850 h.), « Formation à l’encadrement » (380 h), « Méthodes de l’ingénieur » (350 h), « Lanues » (100 h) et « Développement cognitif » (120 h) et celle de l’ITII d’Alsace se décline entre « Sciences et techniques  » (912 h), « Méthodes – Méthodologie de l’ingénieur » (208 h), « Management » (96 h), « Anglais » (144 h) et « Projets » (256 h).

Ces similitudes de forme institutionnelle au sein du réseau initial des ITII doivent beaucoup au fait que leur statut dépend étroitement des conditions �xées par la CTI pour l’habilitation de leur titre. Ceci se constate parfaitement a contrario lorsque les premières moutures d’un projet de création se voient retoquées par la CTI, à l’instar de la demande de l’ITII de Haute-Normandie, dont le dossier initial apparaît comme très insatisfaisant aux yeux des membres de la CTI.

L’un d’entre eux écrit, par exemple, à l’un de ses collègues dans une lettre du 9 décembre 1990 : « Ce dossier du Havre m’a profondément déçu, à croire que nos interlocuteurs n’ont rien compris. Il manque dans ce dossier beaucoup de choses. […] La copie est à refaire. » Les raisons de cette déception concernent l’imprécision quant aux conditions de recru-tement, l’absence de convention de partenariat avec l’université locale et le �ou de la dénomination du titre délivré8. Ces éléments sont en revanche présents dans la seconde mouture du projet transmise à la CTI trois mois plus tard, laquelle donne alors son feu vert pour l’habilitation de l’ITII à délivrer un titre d’ingénieur. Cet exemple atteste que les prérogatives de la CTI en matière d’habilitation des formations d’ingénieur lui confèrent un pouvoir d’homogénéisation des formes institutionnelles prises par les projets de création d’établissements soumis à son évaluation. Ce pouvoir opère ici avec une force particulière, notamment en raison du « vide textuel » existant à l’époque sur les NFI qui implique que « la CTI se détermine seule et acquiert un rôle prédominant9 », comme le con�e un responsable de l’Éducation nationale à la lettre de l’Étudiant en octobre 1990.

8. Plusieurs documents d’élaboration de doctrine de la CTI font état des ré�exions menées sur ce point. L’intitulé �nalement adopté veille à distinguer l’établissement (l’ITII) duquel l’apprenti est diplômé, de l’établissement, préalablement habilité par la CTI, délivrant le diplôme (l’université ou l’école incluse dans la convention de partenariat). Des enjeux similaires de dénomination des titres - et donc de leur reconnaissance symbolique - se retrouvent dès la création de la CTI, en 1934, à propos des « techniciens autodidactes » du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Voir sur ce point, Grignon, 1976, p. 46, note n° 27.9. Archives nationales de Pierre�tte n° 19960451/5.

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1.2 « Un CFA pas comme les autres » : position dominante et création autonome

La création du CFA d’une école supérieure de commerce (ESC) s’avère aux antipodes de la structuration du réseau des ITII en termes d’autonomie de décision, alors qu’elles sont quasi contemporaines. La citation mise en exergue de cette section est extraite de l’entre-tien réalisé avec le responsable du CFA – depuis sa création et durant plus d’une dizaine d’années – de cette ESC. Cette a�rmation d’un statut distinctif (« pas comme les autres ») n’est pas dénué de tout fondement, tant l’ESC est parvenue à faire valoir la forme institu-tionnelle qu’elle souhaitait voir mise en place.

Positionnée en haut du classement de la hiérarchie des ESC, l’école n’est en outre pas juridiquement rattachée à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) locale et en est relativement indépendante �nancièrement. Les liens tissés de longue date avec un large spectre d’entreprises et le capital social antérieurement constitué du directeur de l’ESC auprès de certaines organisations professionnelles et de la Direction des enseignements supérieurs au ministère de l’Éducation nationale participent également de la construction d’une position dominante. Ces quatre coordonnées constituent les conditions de félicité de l’autonomie décisionnelle quant à la forme institutionnelle à adopter.

Un extrait d’entretien avec un responsable du CFA permet de saisir la teneur des rapports de force, vis-à-vis de l’UIMM, à propos du nombre d’années du cursus concernées par l’apprentissage et de l’implication des entreprises dans le coût de formation des apprentis :

« [Le directeur de l’école] a très bien joué, il n’a jamais voulu tomber dans les mains de l’IUMM. En se mé�ant, en disant “il faut qu’on garde quand même notre autonomie”. […] Par exemple, il y a une mesure qui est totalement stupide [il souligne], je me suis toujours battu contre, c’était le fait de dire “on rentre dans l’école en tant qu’apprenti, on fait toute sa scolarité en appren-tissage.” Parce qu’il faut au contraire qu’il y ait un sas, une découverte du système pour qu’il [ie. l’étudiant] puisse dire “j’opte ou je n’opte pas [pour l’apprentissage]”. […] Mais l’UIMM n’était pas d’accord avec ça, en disant “nous, on veut bien aider les écoles à faire l’apprentissage, mais c’est… il y aura une section [il souligne] d’apprentis.” Nous, on n’a jamais eu de section d’apprentis à l’école, parce qu’on ne sait pas ce que c’est. […] Et moi, je me suis beaucoup battu avec [le représentant de l’IUMM] et avec les autres. […] Alors, ils ont envoyé même des cour-riers aux entreprises, en leur disant “refusez l’apprentissage [de cette école]”. En disant, “oui, faites attention, est-ce que c’est vraiment de l’apprentissage ?”. Autrement dit, on contrevenait à certaines de leurs valeurs, on était en train de remettre en cause le fonctionnement de l’appren-tissage classique [il souligne], traditionnel. Mais je crois qu’on a fait évoluer très positivement le dispositif, à terme.

Q- Par rapport à l’UIMM, il y avait des questions plus concrètes, parce qu’eux ont aussi une tradition d’avoir leurs propres CFA ?

- Exactement, c’est pour ça qu’ils voulaient avoir un CFA à [l’école], en�n de l’intégrer dans notre centre. C’est en ce sens que je parlais de l’autonomie, [le directeur de l’école] a toujours dit

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“non, non, pas question. Une école ne peut pas être un centre de formation de l’UIMM, une grande école.” […] Alors, il y avait ça, il y avait aussi autre chose. C’est que nous on a mis tout de suite en place une formule, en disant “nous, on travaille sur une logique de partenariat, avec les entreprises”. Autrement dit, il faut que les entreprises assument le coût de la formation des élèves et qu’elles signent une convention de partenariat [avec l’école], dans laquelle elle s’engage. Et ça, on nous a dit “ah non, non, vous n’avez pas le droit de le faire. Vous recevez de la taxe d’apprentissage, vous pouvez l’a�ecter, mais vous n’avez pas le droit de racketter les entreprises”, entre guillemets, ils estimaient que c’était un racket. »

Si l’assurance dans la manière de relater rétrospectivement ces rapports de force initiaux con�ne au récit héroïque et doit au fait d’avoir eu, en dé�nitive, gain de cause, elle est aussi l’e�et de la position dominante de l’école (« une école ne peut pas être un centre de for-mation de l’UIMM, une grande école »). Ce thème se retrouve en �ligrane à bien d’autres moments de l’entretien, qu’il s’agisse des marges de manœuvre négociées avec la région relativement aux places en apprentissage conventionnées10, des rapports avec les services académiques de l’inspection de l’apprentissage ou des modalités de transferts budgétaires entre le CFA et l’ESC en matière de taxe d’apprentissage perçue.

Cette position dominante et l’autonomie relative qui lui est attachée permettent alors de se distinguer des pratiques usuelles sans tenir compte des récriminations induites («  ce n’est pas comme ça qu’il faut faire de l’apprentissage », « vous n’avez pas le droit de le faire »). Cette distinction s’illustre également par le peu de cas fait des catégories qui régissent l’organisation de l’apprentissage (« une section d’apprentis, […] on ne sait pas ce que c’est »), tout en alléguant les répercussions positives sur l’ensemble du dispositif (« on a fait évo-luer très positivement le dispositif ») que les largesses prises par rapport à « l’apprentissage traditionnel » auraient engendrées. Corrélativement, ce sont les pratiques déjà en vigueur dans l’ESC pour la formation sous statut scolaire qui servent de modèle, si bien que le responsable du CFA indique, dans la suite de l’entretien : « nous n’avons pas changé une seule virgule de notre règlement des études pour intégrer l’apprentissage. »

1.3 De l’éclatement à la centralisation : la structuration progressive d’un CFA interuniversitaire

Ce troisième exemple de création de CFA, dans une ville moyenne de province, donne à voir une genèse institutionnelle en plusieurs étapes, des premières ouvertures éparses au regroupement des formations au sein d’un CFA régional interuniversitaire. Le matériau d’archives transmis par le directeur du CFA et les entretiens réalisés avec lui permettent alors de retracer comment certains aspects de la forme institutionnelle du CFA sont (ou non) remis en jeu au gré des étapes de sa structuration.

10. Les Conseils régionaux �xent, pour chaque formation, un plafond de places dites conventionnées pour lesquelles ils abondent les budgets des CFA.

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Trois moments, de durées inégales, sont discernables. Le premier correspond à l’ouverture, à partir du milieu des années 1990, de sections d’apprentissage (SA) au sein de l’Ins-titut Universitaire de Technologie (IUT) et de l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE)11. Il s’agit d’initiatives locales, à la faveur d’un partenariat avec une grande entreprise du bassin d’emploi ou sous l’impulsion d’un syndicat de communes. Ces ouvertures en ordre dispersé ne donnent pas lieu à une mutualisation des modalités de gestion péda-gogique ou budgétaire, ni même à une uniformisation des pratiques. L’IAE intègre, par exemple, la comptabilité de ses SA à celle des formations sous statut scolaire, tandis que l’IUT les distingue.

La deuxième étape est le regroupement, en 2009, de ces SA au sein d’un CFA interne à l’université, qui intervient à la demande du Conseil régional, conformément aux préco-nisations du rapport de la Commission Hetzel de 200612. Les archives du CFA montrent tout le travail de collecte d’information sur les formes institutionnelles de l’apprentissage réalisé par les porteurs du projet. Au cours des réunions préparatoires, sont invités d’autres directeurs de CFA pour y présenter leurs statuts juridiques et organigrammes, leurs orga-nisations pédagogiques ainsi que leurs modalités de répartition de la taxe d’apprentissage entre les di�érentes composantes. Ces auditions donnent ainsi à voir concrètement com-ment le nouveau CFA prend comme exemple et imite la forme institutionnelle de ceux déjà structurés. Si la question du périmètre des parties prenantes ne fait à ce stade pas débat puisqu’il s’agit uniquement de regrouper les SA existantes (qui prennent alors le statut d’UFA), celle des modalités de collecte et de répartition de la taxe d’apprentissage se pose avec acuité, comme le relate le directeur du CFA :

« Les quatre sections que l’on regroupe à l’époque collectent elles le quota et le hors-quota13. Moi, quand je dis “le quota va remonter sur le CFA, parce que c’est dédié à l’apprentissage” – parce que c’est écrit comme ça dans le Code du travail  –, il n’y a pas d’ambiguïtés, tout le monde est ok. Quand on commence à dire “peut-être que le hors quota, qu’on arrive à identi�er �éché comme étant à destination des apprentis – parce que ça peut arriver dans tout ce qu’on voit arrive – remonte au CFA”, là ça a été blocus immédiat. Les composantes n’ont pas voulu lâcher cette part là de la taxe. En disant “si l’on nous prend ça en plus, nous on ne va plus rien avoir en termes de marges de liberté sur de la collecte hors-quota”. Donc vous voyez, en 2009, quand

11. Au contraire des UFA (Unités de formation par apprentissage), les SA peuvent être créées par une simple convention avec le Conseil régional, sans adossement spéci�que à un CFA (articles L6232-6 et L6232-7 du Code du travail). À ce titre, les SA sont censées répondre « ponctuellement » à un besoin « conjoncturel » de formation, alors que les UFA constitueraient des réponses « durables » à des besoins « stables ».12. Les rapporteurs préconisent d’ « encourager et d’assister les universités qui le souhaitent à se doter de CFA », précisément pour enrayer « la diversité des organisations fonctionnelles d’un pôle universitaire à l’autre » (Hetzel, 2006, p. 59).13. La taxe d’apprentissage due par les entreprises se divise entre ces deux catégories, le quota devant être a�ecté à un CFA, le hors-quota aux formations technologiques et professionnelles hors-apprentissage. Le hors-quota peut toutefois être a�ecté à un CFA si le quota dû ne su�t pas à couvrir le coût de formation des apprentis accueillis dans l’entreprise.

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on crée le CFA de l’université, déjà il y a la scission entre "le CFA collecte le quota" et "les com-posantes collectent le hors-quota". »

Cette « scission » est reconduite lors de la troisième étape de structuration (la création du CFA interuniversitaire, en 2012), dans une sorte de « dépendance au sentier » institu-tionnel, sans qu’elle ne soit remise en question.

L’enjeu de ce troisième moment concerne le périmètre des parties prenantes et la personna-lité juridique du CFA. Initié à nouveau par le Conseil régional, le regroupement s’e�ectue autour du CFA universitaire antérieur (son directeur est reconduit dans ses fonctions au sein du nouveau CFA) et intègre les anciennes SA de l’autre université de la région, ainsi qu’une formation d’une école d’ingénieur ouverte par la voie de l’apprentissage quelques années auparavant, en partenariat avec le CNAM. Les branches et organisations profes-sionnelles ne sont pas intégrées comme partenaires du CFA, ce qui accroît les relations concurrentielles à l’échelle locale, comme le souligne le directeur du CFA :

« Je me souviens d’une réaction d’un responsable de branche qui dit “de toute façon, entre guil-lemets, on vous coincera sur la taxe”. Parce que les branches pilotent quand même en grande partie la collecte de la taxe, ils pensaient qu’à travers ça, ils allaient pouvoir verrouiller les �nancements du CFA. Bon, ça ne s’est pas du tout véri�é parce qu’il n’y a pas moyen je pense. [se reprend] En�n, il n’y a pas moyen, il y a certainement moyen, mais qui sont pour nous tel-lement opaques qu’on ne voit pas. »

Corrélativement, le CFA interuniversitaire se constitue alors, à l’initiative des deux pré-sidents d’universités et des élus régionaux, comme une structure de droit public (sous la forme d’un Groupement d’Intérêt Public (GIP), plutôt que sous statut associatif. Cette prise de décision résulte de tâtonnements successifs, et non d’une évidence indiscutée, les di�érentes parties prenantes étant inégalement au fait des alternatives possibles et de ce qu’elles impliquent respectivement. À cet égard, le directeur du CFA regrette a poste-riori de n’avoir pas plus fait jouer ces asymétries informationnelles à son avantage pour convaincre les acteurs impliqués des atouts d’une structuration associative. Ce regret porte entre autres sur les modalités de recrutement du personnel, comme en témoigne un compte-rendu d’une assemblée générale du GIP (précédant de peu les entretiens réa-lisés où ce regret est évoqué) : « La pérennisation des emplois sur un GIP reste complexe à mettre en œuvre. Les emplois sont plutôt dédiés aux titulaires et ne peuvent être attribués à des contractuels en CDI qu’à des conditions précises […]. [Or] l’apport des deux développeurs14 est incontestable, on peut considérer que le besoin est permanent. Leur pro�l “commercial” n’existe pas dans les emplois de fonctionnaire, on peut considérer qu’il sera di�cile de recruter un titu-laire sur ces postes. »

14. En charge des relations avec les entreprises, leur rôle est notamment de faire connaître les formations existantes a�n d’accroître le périmètre de collecte de taxe d’apprentissage.

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La mise en perspective de ces trois brèves monographies souligne ainsi l’hétérogénéité entre les CFA du supérieur quant aux formes institutionnelles qu’ils revêtent. À ce titre, les catégories de « CFA hors murs » et d’ « apprentissage concerté », sous lesquelles pourraient être subsumés indistinctement les exemples retenus, s’avèrent trop générales et laissent dans l’ombre la majeure partie du fonctionnement concret des CFA et les rapports de force qui ont présidé à leur création. Si la genèse de l’o�re de formation fait ainsi apparaître une forte hétérogénéité entre les CFA, la structuration progressive de l’o�re de places des CFA s’avère, quant à elle, génératrice d’hétérogénéité au sein même de ceux-ci.

2I La structuration de l’o�re de places : un catalyseur de l’hété-rogénéité au sein des CFA

À l’échelle nationale, la croissance des e�ectifs apprentis de l’enseignement supérieur, depuis une vingtaine d’années, s’est accompagnée d’une augmentation parallèle du nombre de diplômes ouverts à l’apprentissage. Sur la période 1995-2012, les données du Système d’Information sur la Formation des Apprentis (SIFA) - qui présentent le double avantage de l’exhaustivité et du recensement des e�ectifs de manière désagrégée par spécia-lité de diplôme - révèlent que les e�ectifs apprentis de niveaux I et II sont passés de 4 777 à 55 693 et le nombre de diplômes ouverts, de 73 à 1551. Le constat est identique en restreignant l’analyse aux apprentis ingénieurs, passant de 1 783 pour 24 diplômes ouverts en 1995, à 14 083 pour 162 diplômes en 201215.

Ce parallélisme de la croissance des e�ectifs apprentis et du nombre de diplômes ouverts incite alors à faire porter le regard sur la structuration, à l’échelle des établissements, de « l’o�re de places » (Briand, Chapoulie, 1993)16 en apprentissage dans l’enseignement supé-rieur. L’exemple d’un CFA interdépartemental, créé il y a vingt ans17, et regroupant des formations universitaires ainsi que celles de l’ESC et de l’Institut d’Études Politiques (IEP) locaux (dans une grande ville de province) montre, d’une part, que le constat établi ci-dessus se retrouve au sein même du CFA et rend compte, d’autre part, de l’hétérogénéité de l’o�re de places au sein des CFA à partir des marges de manœuvre dont disposent leur responsable et des rapports de force existant entre les UFA.

15. Le périmètre de la notion de spécialité de diplôme est variable dans les données SIFA, de sorte que les chi�res avancés valent surtout tendanciellement. C’est pour les diplômes d’ingénieur que le périmètre de la notion est le plus �n, les diplômes étant rigoureusement distingués par établissement. C’est pourquoi nous prenons soin de corroborer la tendance observée à l’ensemble des niveaux I et II par les données relatives aux formations d’ingénieur. 16. Cette notion constitue la pierre angulaire du retournement que les auteurs opèrent dans l’analyse de la scolarisation, considérant celle-ci non pas comme « un fait de population », mais « un fait institutionnel ». Autrement dit, en matière de dynamiques de scolarisation, l’o�re (institutionnelle) précède – à la fois logi-quement et chronologiquement – la demande (des élèves et leur famille).17. Le CFA pris en exemple à la partie 1.3., créé en 2009, ne permet pas le même recul historique.

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2.1 La croissance extensive de l’o�re de places

Le recensement de tous les diplômes ouverts et des e�ectifs a�érents, à partir des rapports moraux et �nanciers annuels, permet de cerner le lien existant entre la croissance des e�ectifs apprentis au sein du CFA et l’hétérogénéité de son o�re de places. La base de données ainsi constituée présente l’avantage, relativement aux données SIFA, d’envisager les e�ectifs au niveau le plus désagrégé possible et surtout de suivre dans le temps les ouvertures, fermetures, regroupements ou changement de dénomination des diplômes. Le parallélisme entre les croissances respectives du nombre d’apprentis et de celui de diplômes préparés par l’apprentissage se retrouve au sein du CFA étudié, comme l’atteste le graphique 1.

Graphique 1. Croissances comparées des e�ectifs apprentis et du nombre de diplômes préparés

Lecture : En 1996, sept diplômes sont ouverts à l’apprentissage pour un total de 177 apprentis.Source : Rapports moraux et �nanciers, 1996-2013.

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Mais cette mise en regard des diplômes et des e�ectifs n’o�re qu’une mesure imparfaite des logiques de croissance à l’œuvre. En e�et, un nombre identique de diplômes d’une année à l’autre ne signi�e pas forcément qu’il s’agisse des mêmes diplômes, compte tenu du jeu des ouvertures et fermetures successives18.

Pour rendre compte de ces recompositions, il convient alors de dissocier les parts expli-quées de l’évolution des e�ectifs respectivement par la croissance intensive (ie. croissance des e�ectifs entre les années N - 1 et N dans les formations déjà existantes en N-1 / crois-sance des e�ectifs entre N - 1 et N) et la croissance extensive (ie. e�ectifs des nouvelles formations ouvertes l’année N / croissance des e�ectifs entre N - 1 et N). La part expliquée par la croissance intensive n’est supérieure à celle expliquée par la croissance extensive que pour les deux premières années de fonctionnement du CFA. Plus encore, à huit reprises (soit presque une fois sur deux) sur l’ensemble de la période, la hausse des e�ectifs n’est due qu’à la croissance extensive, celle-ci surcompensant la baisse des e�ectifs dans les formations précédemment ouvertes. De sorte que le lien entre la hausse des e�ectifs et l’accroissement du nombre de diplômes ouverts, mis en exergue dans le graphique 1, n’est pas seulement une corrélation, mais aussi un rapport de causalité : l’hétérogénéité croissante de l’o�re de places constitue le moteur de la hausse des e�ectifs.

2.2 L’hétérogénéité de l’o�re de places dans les pratiques

Donner du sens à ce constat établi statistiquement implique alors de le référer à la structu-ration concrète de l’o�re de places, à partir des pratiques mises en œuvre par les CFA. Ces pratiques – à l’instar des moments d’élaboration d’une forme institutionnelle – donnent à voir les rapports de force locaux et l’autonomie relative, les marges de manœuvre, des CFA relativement à certaines règles régissant l’apprentissage.

Les rapports de force jouent à la fois, au sein des CFA, entre les di�érentes UFA et d’un CFA à l’autre. À son ouverture, chaque formation se voit attribuer, par les instances régio-nales, un plafond d’o�re de places, les �ux conventionnés. La mise en regard des e�ectifs réels à ces �ux conventionnés permet alors de déterminer le taux de remplissage du CFA et de chaque formation.

Dans l’exemple considéré ci-dessus, le taux de remplissage global – indicateur surveillé de près par les conseils régionaux – demeure stable (aux alentours de 85 à 95 %), mais recouvre d’importantes disparités entre les formations. En 2013, 16 diplômes sur 46 pré-sentent un taux de remplissage inférieur à 75 %, 14 entre 75 et 90 % et 16 diplômes ont un taux de remplissage supérieur à 90 %. En particulier, l’ESC locale est l’UFA dont le taux de remplissage est systématiquement le plus élevé, atteignant très fréquemment les 100 %19.

18. Les fermetures ne sont pas négligeables. On en dénombre 26 sur l’ensemble de la période étudiée.19. Ce qui signi�e par ailleurs un nombre conséquent de candidats à l’apprentissage �nalement recalés,

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L’attractivité de l’apprentissage en ESC a partie liée à l’exemption des frais de scolarité dont béné�cient les apprentis, ces frais n’ayant cessé de croître lors de la dernière décennie (Blanchard, 2015, p. 309) et constituent aujourd’hui une véritable barrière à l’entrée pour les étudiants d’origines populaires (Pierrel, 2015). Mais l’ESC n’est pas pour autant une source de croissance intensive au sein du CFA, car ses �ux conventionnés ne sont pas revus à la hausse. Cette stagnation s’explique par les rapports de force au sein du CFA, d’une part, car l’ESC présente le coût de formation par apprenti le plus onéreux de tout le CFA (11 430 euros contre une moyenne de 6 778) et d’autre part, car elle fait �gure d’exception au sein du CFA en tant qu’établissement consulaire et non universitaire. Ce statut consulaire est d’ailleurs au cœur des rapports de force internes à plus d’un titre. Initialement, l’ESC privilégiait un rattachement de sa �lière en apprentissage à un CFA de sa CCI locale de tutelle, ce qui a été refusé par les instances régionales. Depuis lors, la politique d’attribution des fonds libres de la taxe d’apprentissage que la CCI perçoit est critiquée par la responsable du CFA interdépartemental, au motif que ces fonds ne seraient destinés qu’aux établissements consulaires (dont l’ESC en question) que la CCI chapeaute. Ces rapports de force entre l’ESC et les formations universitaires permettent ainsi d’expliquer pourquoi l’ESC n’est pas une source de croissance intensive malgré le vivier qu’elle représente20, et donc a contrario la prédominance de la croissance extensive induisant une hétérogénéité de l’o�re de places au sein du CFA.

Le rôle des rapports de force d’un CFA à l’autre dans l’hétérogénéité de l’o�re de places est perceptible à propos du contexte particulier de la réforme de fusion des régions de janvier 2015, ou plus précisément son anticipation par les instances régionales en place.

Le responsable du CFA décrit en partie 1.3. relate ainsi en entretien que le nombre d’ou-vertures acceptées de nouvelles formations augmente soudainement en 2014, passant d’une moyenne antérieure de deux à trois formations par an à huit ouvertures en 2015, puis sept prévues en 2016 ; cela attestant, selon lui, la volonté de la Région de « montrer que le CFA du sup est important », c’est-à-dire relativement à son homologue de la région voisine avec laquelle la fusion territoriale doit s’opérer.

Cette hétérogénéité s’explique également par certaines marges de manœuvre dont dis-posent les CFA. Premièrement, si le plafond d’o�re de places est �xé par les instances régionales via les �ux conventionnés, une plus grande latitude est laissée aux respon-sables de CFA pour déterminer un �ux minimum qui peut alors être volontairement très bas (voire purement symbolique, �xé à un apprenti par formation, dès lors que celle-ci accueille d’autres types de publics, contrats de professionnalisation ou sous statut scolaire).

posant alors la question, ici comme ailleurs, de la sélection sociale et sexuée à l’entrée de l’apprentissage (Kergoat, 2010 ; Sarfati, 2014). 20. En 2013/2014, la promotion d’alternants de cette ESC regroupe 112 apprentis et 109 étudiants sous contrat de professionnalisation (99) ou ayant signé une convention de stage (8). Il est probable qu’une part importante de ces 109 étudiants ait initialement cherché une place d’apprenti, les contrats de profession-nalisation servant, dans cette ESC, de « volet d’ajustement », selon la responsable de l’alternance de l’ESC.

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DOSSIER

Il s’agit en e�et de pérenniser l’ouverture d’une formation quand bien même elle peine-rait à attirer des candidats. De fait, dans les deux CFA interdépartementaux étudiés, on trouve respectivement, pour l’un,14 formations sur 36 ayant des e�ectifs inférieurs à huit apprentis, et 8 sur 46 pour l’autre.

Deuxièmement, ces seuils minimaux peuvent être contournés par le biais des pratiques de « globalisation » partielle du nombre de places conventionnées, à l’échelle par exemple de deux formations conçues dans une logique de �lière (l’une étant dé�nie comme une pour-suite d’études légitime pour l’autre). Cette pratique permet alors d’ouvrir une nouvelle formation en réduisant l’incertitude quant à son attractivité e�ective (le nombre d’ap-prentis recrutés n’apparaissant pas comme tel, mais agrégé à celui de l’autre formation).

Troisièmement, l’hétérogénéité de l’o�re de places est favorisée par la pratique des « ouver-tures blanches » de formation, c’est-à-dire en réallouant vers de nouvelles formations les places non occupées dans les formations préexistantes, dont les �ux conventionnés dimi-nuent alors d’autant, sans augmentation du �ux conventionné global. Cette pratique – qui alimente, par construction, la croissance extensive  – constitue alors un véritable coup double pour le CFA qui, d’une part, augmente son taux de remplissage global du fait de la réallocation des �ux conventionnés et, d’autre part, voit s’élargir son o�re de formation.

Quatrièmement, la croissance extensive est incitée �nancièrement, du fait de la structure des subventions régionales aux CFA. En e�et, aux côtés des subventions de fonction-nement que les CFA perçoivent au prorata des coûts de formation déclarés, les Régions octroient un ensemble de subventions incitatives relatives à la hausse des e�ectifs, aux investissements ou à l’augmentation de la taxe d’apprentissage perçue. Ces subventions incitatives promeuvent de fait la croissance extensive, la hausse des e�ectifs étant plus probable par ce biais, de nouvelles ouvertures amenant à la réalisation d’investissements et le montant potentiel de taxe d’apprentissage collecté dépendant de la diversi�cation sectorielle des entreprises qui embauchent des apprentis. Le montant de ces subventions incitatives est loin d’être négligeable pour la trésorerie des CFA. Elles représentent ainsi, par exemple, de 20 à 30 % du total des subventions régionales perçues pour le CFA inte-runiversitaire présenté dans la partie 1.3, d’après ses budgets annuels détaillés.

La mise en parallèle des croissances des e�ectifs apprentis du supérieur et du nombre de diplômes ouverts indique une corrélation que le recours à la distinction méthodologique entre croissances intensive et extensive permet, à l’échelle d’un CFA, de spéci�er comme un rapport de causalité  : la prédominance de cette dernière, qui traduit une hétérogé-néité graduelle de l’o�re de places au sein des CFA, est le principal moteur de la hausse des e�ectifs. La structuration concrète de cette o�re de places explique alors en pratique cette hétérogénéité, en mettant en jeu les rapports de force qui existent entre les parties prenantes (entre UFA et entre CFA) et les marges de manœuvre dont disposent les CFA à l’égard des outils régionaux de pilotage de l’apprentissage.

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Conclusion

Les dynamiques di�érenciées de développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur se constatent ainsi aussi bien entre les CFA, au moment de leur création à propos des formes institutionnelles qu’ils revêtent, qu’au sein de ceux-ci, puisque l’aug-mentation de leurs e�ectifs s’avère avant tout extensive par le biais d’une hétérogénéité croissante des diplômes qu’ils ouvrent à l’apprentissage.

Ces deux processus de di�érenciation peuvent alors être éclairés à l’aune des mêmes élé-ments structuraux que sont l’état des rapports de force dans des contextes locaux concur-rentiels et les marges de manœuvre dont disposent les CFA en raison de leur autonomie relative, elle-même tributaire de la position des établissements dans l’espace très strati�é des formations de l’enseignement supérieur (Convert, 2010).

Bien entendu, les di�érents cas présentés ici n’ont pas prétention à l’exhaustivité, ni même à établir une typologie, mais valent avant tout heuristiquement. En e�et, l’hétérogénéité des formes institutionnelles des CFA enjoint à a�ner les catégories d’analyse utilisées, celles de « CFA hors murs » et d’ « apprentissage concerté » n’étant pas à même de rendre compte de cette diversité. L’hétérogénéité au sein des CFA en matière d’o�re de places requiert, quant à elle, de se départir d’une analyse statistique centrée uniquement sur les niveaux de diplômes à une échelle agrégée, ne pouvant ni rendre compte des logiques de croissance à l’œuvre ni référer celles-ci aux pratiques des CFA.

En�n, la «  demande sociale  » d’apprentissage qui s’exprimerait au travers des besoins de quali�cation des entreprises constitue certes un facteur explicatif nécessaire du déve-loppement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, notamment car son carac-tère limité est l’un des principaux ressorts de la mise en concurrence des formations. Cependant, la mise en évidence des marges de manœuvre des CFA, ainsi que leurs enjeux propres (notamment en matière de captation de la taxe d’apprentissage) montrent que cette approche par la demande n’épuise pas l’analyse.

Les e�ets d’o�re importent également et il y aurait lieu, à ce titre, de poursuivre l’analyse proposée ici, en conservant l’acquis ainsi démontré de l’hétérogénéité du développement, mais en la réarticulant plus avant avec la demande des entreprises21. Dans cette pers-pective, l’apprentissage dans l’enseignement supérieur pourrait être constitué comme un espace social, voire un champ à part entière dont l’un des enjeux serait précisément l’auto-nomie relative à l’égard des « demandes » du monde économique.

21. Le croisement des approches, nourri d’enquêtes empiriques, constitue une voie privilégiée pour penser « la multiplicité des interdépendances » entre l’enseignement supérieur et le monde économique (Chambard, Le Cozanet, 2015).

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Les universités françaises à l’heure de la formation tout au long de la vie : une

ultime chance d’ouverture aux adultes ?ISABELLE BORRAS

Ingénieure de recherche (sociologie/économie), directrice du centre associé Céreq de Grenoble, CREG (Centre de recherche en économie de Grenoble), université Grenoble Alpes

NATHALIE BOSSEChargée d’études (sciences de l’éducation), centre associé Céreq de Grenoble, CREG (Centre de

recherche en économie de Grenoble), université Grenoble Alpes

Résumé

n Les universités françaises à l’heure de la formation tout au long de la vie : une ultime chance d’ouverture aux adultes ?

La formation continue fait partie des missions des universités françaises depuis 1968. Mais la plupart s’y sont peu engagées et l’accès des adultes à l’enseignement supérieur est peu développé. Les politiques de formation tout au long de la vie (FTLV), impulsées par les instances internationales depuis les années 2000, peuvent-elles changer la donne ? En transformant les modes d’accès et les contenus de formations pour établir un continuum entre formation initiale et formation continue, permettent-elles d’ouvrir les universités françaises aux adultes ? Pour répondre à ces interrogations, nous questionnons l’évolution des frontières entre formation initiale et formation continue à l’université, en France, au regard d’éclairages internationaux.

Mots clés : formation tout au long de la vie, formation initiale, enseignement supérieur, université, formation des adultes, accès a la FPC, �nancement de l’enseignement supérieur, politique de la formation professionnelle

Abstract

n French universities and Lifelong Learning: an opportunity for adult learners ?

Continuing training is one of the tasks of the french universities since 1968. But most of them have weakly developed adult participation to higher education (HE). Can lifelong learning (LLL) policies driven by international bodies since the early 2000’s make the di�erence? Changing access and contents of training in order to establish a continuity between initial and continuing education, do LLL policies o�er opportunities to open universities to adult learners? How are evolving the boundaries between initial education and continuing training in France compared with other countries? By addressing this

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DOSSIER

issue, our ambition is to understand if adult participation to HE is currently developing in France.

Keywords: lifelong learning, initial training, higher education, university, adult training, access to CVT, higher education funding, CVT policy

Journal of Economic Literature: I 22, I 23, I 28

Traduction : Auteures.

Depuis plusieurs décennies, la formation continue et l’éducation des adultes font partie des missions de l’enseignement supérieur français. Depuis 1968, cette mission est réaf-�rmée au �l des lois d’orientation sur l’enseignement supérieur. Elle est encadrée par le code de l’éducation et le code du travail, à cheval entre service public d’éducation et o�re sur le marché concurrentiel (Denantes, 2006). Les fortes attentes en matière de justice sociale et de compétitivité économique adressées à la formation continue en général, et à la formation continue supérieure en particulier, expliquent la constance du législateur. Avec plus des deux tiers d’une classe d’âge entrant aujourd’hui dans la vie active avec au moins un baccalauréat, les reprises d’études devraient de plus en plus se situer à ce niveau d’éducation.

Pourtant, malgré l’attrait que représente l’apport de ressources propres issues de la forma-tion continue dans un contexte de restrictions budgétaires, les universités1 sont engagées de manière limitée dans cette activité. Selon l’IGAENR (2014), « En 2013, l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur publics (universités, écoles et CNAM) ont réalisé un chi�re d’a�aires de 427 millions d’euros au titre de la formation continue pour un public de 477 000 stagiaires et des durées moyennes de formation en centre (hors stage) de 116 heures. » Les universités représentent à elles seules 64 % de ce chi�re d’a�aires, 76 % des stagiaires et des durées moyennes de formation de 101 heures (hors stage) (Grille, 2015). Leur poids est négligeable : elles ne « représentent que 1,55 % des stagiaires de la formation continue, 1,96 % du chi�re d’a�aires et 4,21 % des heures stagiaires en France », avec une progression terne sur dix ans (IGAENR, op. cit.).

L’activité de formation continue est donc extrêmement réduite dans les universités fran-çaises, dont le cœur de métier reste la formation initiale pour des étudiants traditionnels. Les freins sont nombreux  : di�culté à mobiliser des compétences pointues (commer-

1. Dans la suite de ce texte, le terme universités englobe les universités et leurs composantes, de type IUT (Institut universitaire de technologie), UT (Université de technologie), Polytech, IAE (Institut d’administra-tion des entreprises), ainsi que les écoles d’ingénieur universitaires de type INP (Institut national polytech-nique). Trois segments constituent la formation continue dans l’enseignement supérieur : les universités et leurs composantes, les écoles d’ingénieurs et les grands établissements, le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) et ses centres associés régionaux (cf. encadré 1). L’article est centré sur les universités et leurs composantes.

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I. BORRAS, N. BOSSE, pp. 117-138

ciales,  pédagogiques, d’ingénierie), vivier insu�sant d’enseignants, obstacles culturels, portage politique timide.

Les rapports gouvernementaux formulant des propositions pour promouvoir et accroître l’implication des universités dans la FTLV se succèdent (IGAENR op. cit. ; Germinet, 2015). Le dernier en date formule trois préconisations aux établissements  : valoriser l’implication des enseignants-chercheurs ; clari�er des modèles économiques trop hété-rogènes2 ; adapter les modèles pédagogiques en développant les approches compétences, la formation à distance, l’adaptation des formations aux rythmes des adultes, le temps partiel, des itinéraires d’apprentissage �exibles.

Prise en charge le plus souvent par des personnels contractuels, par des ingénieurs et non par des enseignants, par des services de formation continue séparés de la formation initiale, la formation des adultes est marginalisée et se situe en périphérie de l’institution (Manifet, 2015). Pour autant, Gehin et Auras (2011), dans une recherche conduite sur la VAE (validation des acquis de l’expérience), notent le « rapprochement progressif entre les deux cultures, celle de la formation des adultes et celle de la communauté universitaire chargée de la formation des étudiants ».

Les réformes récentes des politiques de formation continue sont-elles susceptibles de créer des conditions plus propices à son développement dans l’enseignement supérieur uni-versitaire français ? Depuis le début des années 2000, les instances internationales font la promotion de la FTLV (Vinokur, 2003). En France, cela désigne « la possibilité reconnue à tout individu, tout au long de son existence, d’acquérir des connaissances, des quali�cations et des compétences et de faire reconnaître la valeur de son expérience, dans une perspective per-sonnelle, citoyenne, sociale et professionnelle ou liée à l’emploi. Elle doit s’incarner sur un droit universel à la formation tout au long de la vie en prenant appui sur un ensemble de dispositifs de formations destinés à di�érents publics » (Le Douaron, 2002, p. 577). De nouvelles arti-culations entre éducation, travail et formation sont recherchées. Les parcours formation-emploi deviennent moins linéaires et les pro�ls des publics et leurs attentes se diversi�ent (Doray, 2000 ; Merle, 2004).

Ces changements ouvrent la perspective d’un continuum entre FI et FC. En France, ils impliquent de profondes transformations des systèmes de formation car l’articulation entre ces deux segments est particulièrement faible. Suite à la loi de 1971, «  la quasi-hégémonie de la FPC �nancée par l’employeur consistant en stages courts n’a pas favorisé le rapprochement de la formation initiale avec la formation continue » (Dubar, 2008), mais au contraire a structuré une o�re de formation continue séparée, pourvue par des orga-

2. L’IGEANR (2014) évoque deux logiques opposées. La logique de service public est illustrée par une université dont le budget formation est couvert à 60 % par des subventions publiques (Conseil régionaux, Pôle Emploi). La logique marchande est illustrée par une université dont le budget formation est couvert à 90 % par des �nancements d’entreprises ou d’OPCA (Organisme paritaire collecteur agréé). Entre ces deux exrêmes, tout le spectre des modes de �nancement est possible.

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DOSSIER

nismes de formation privés (Bouillaguet, 2002)3. L’usage du congé individuel de forma-tion pour des formations longues diplômantes, élaborées sur un modèle scolaire, a limité son développement.

«  Un changement majeur de paradigme en matière de formation continue  » semble pos-sible, encouragé par la professionnalisation et les rapprochements université-entreprise. Des expérimentations de FC diplômantes, s’écartant du modèle scolaire, sont observées, comme par exemple au CNAM, qui prennent en considération la diversité « des apprentis-sages et des rapports aux savoirs » (Dubar, op .cit. p. 178).

L’e�acement des frontières entre FI et FC contenu dans la notion même de FTLV fait-il sens dans les représentations et les pratiques des acteurs de l’enseignement supérieur uni-versitaire français ? Est-il vecteur d’une ouverture accrue aux adultes et d’une adaptation de l’o�re de formation universitaire aux besoins de ces publics ?

Dans une première partie, ces questions sont traitées au plan international. À partir d’une revue de la littérature, les orientations de la formation des adultes et la délimitation entre formation initiale et formation continue dans l’enseignement supérieur sont comparées dans plusieurs pays? a�n de fournir des points de repères pour l’étude du cas français. Celle-ci est menée en deux temps.

Dans une deuxième partie, la ré�exion est conduite au niveau national, à partir d’une analyse du cadre institutionnel qui gouverne la formation continue supérieure et des caté-gories statistiques o�cielles.

Dans une troisième partie, l’analyse est menée au niveau local, à partir des résultats d’une enquête auprès des acteurs qui mettent en œuvre la formation continue dans les établisse-ments universitaires de la région Rhône-Alpes (Borras, Bosse, 2016).

1I Un brouillage des frontières questionné dans les comparaisons internationales

Les ré�exions développées ici proviennent principalement de deux ouvrages (Slowey & Schuetze, 2012 ; Teichler & Hanft, 2009) et d’un article (Teichler, 1999) en langue anglaise4. À notre connaissance, il n’existe pas de références équivalentes, en France, croi-sant les thèmes de l’enseignement supérieur et de la FTLV, proposant des approches sys-témiques sur la place des adultes dans l’enseignement supérieur et sur le rôle joué par les

3. Bouillaguet montre la forte expansion des organismes privés à but lucratif et les di�cultés des organismes de formation publics, l’AFPA (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes), les GRE-TA (groupements d’établissements), les CCI (Chambres de commerce et d’industrie) et les universités sur le marché de la formation continue. 4. Les citations qui en sont extraites sont traduites par nous en français dans le texte.

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institutions d’enseignement supérieur dans l’éducation des adultes. Cette littérature o�re donc des points de comparaison avec le cas français et permet également de constater que la problématique des limites entre FI et FC est présente dans de nombreux pays.

Cette littérature internationale insiste sur un point. Il n’existe pas de dé�nition claire et partagée de la FTLV dans l’enseignement supérieur. En e�et, la terminologie est impré-cise. « Les termes d’apprentissage tout au long de la vie, « éducation des adultes », « éducation continue » « éducation supérieure continue », « éducation universitaire continue », « dévelop-pement professionnel continu » sont utilisés indi�éremment dans la littérature anglo-saxonne et lorsque les di�érences sont précisées, les frontières sont �oues » (Bourgeois & al., 1999 p. 64, cité par Hanft & Knust, 2009, p. 24). Par ailleurs « la FTLV est ouverte à di�érentes inter-prétations, les études de cas nationales, montrent que les apprenants sont des groupes très hétéro-gènes allant des professionnels très quali�és et bien payés inscrits dans des programmes avancés à des personnes sans quali�cation antérieure entrant pour la première fois dans l’enseignement supérieur pour des raisons diverses » (Slowey, Schuetze, op. cit., p. 14).

En préalable à toute comparaison, les travaux sur les systèmes nationaux de formation continue dans l’enseignement supérieur sont donc amenés à lister et discuter les critères permettant de distinguer un adulte d’un étudiant régulier et de séparer la FI et la FC. Les deux critères spontanés, l’âge et la durée d’interruption des études, sont d’emblée jugés insu�sants, l’âge étant sujet à interprétation. Comment quali�er les étudiants de plus de 25 ans : éternels étudiants ou étudiants « matures », jeunes ou vrais adultes ? Il en va de même pour la durée d’interruption d’études, car dans certains pays, les études disconti-nues et à temps partiel sont encouragées et font partie d’un modèle de maturation de la jeunesse et de passage à l’âge adulte (Van De Velde, 2007). De ce fait, d’autres critères entrent en jeu, comme les buts et les conditions de la reprise d’étude (Teichler, op. cit.) ou encore les quali�cations à l’entrée, les voies d’accès et les motivations (Slowey & Schuteze, op. cit). Il est d’usage de distinguer les adultes selon leurs conditions d’études spéci�ques : temps partiel et horaires adaptés (cours du soir, du week-end...), discontinuités de par-cours, formations courtes, sur-mesure ou séminaires, formations non diplômantes, ensei-gnement à distance, cours en ligne, programmes non traditionnels pour le développement professionnel des diplômés... Ces conditions sont dé�nies en opposition à une norme  – implicite et théorique  – sur les conditions d’études des étudiants traditionnels : études à temps plein, parcours continus, formations longues et diplômantes, pédagogie classique en face-à-face, acquisition de compétences de début de carrière.

Les travaux de comparaison internationale s’attachent aussi à classi�er les adultes dans l’enseignement supérieur. Par exemple, Teichler (op. cit.) identi�e trois pro�ls en fonc-tion des buts poursuivis et des caractéristiques individuelles. Le « développement profes-sionnel continu » s’adresse à des personnes déjà diplômées du supérieur, titulaires a minima d’un diplôme de premier cycle avec deux variantes, selon que l’objectif est d’actualiser les connaissances « refreshers ») ou d’évoluer professionnellement et de se reconvertir (« recy-clers »). Les « reprises d’études di�érées » concernent des personnes ayant le niveau d’études

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requis pour suivre des études supérieures, mais les ayant di�érées dans le temps. Les « reprises d’études de type seconde chance » concernent des personnes n’ayant pas ce niveau, mais souhaitant accéder à l’enseignement supérieur après une expérience professionnelle. Cette classi�cation évoque les deux �nalités classiques des politiques d’éducation des adultes, la compétitivité économique et/ou la justice sociale (Doray, op. cit., Dubar, op. cit.).

Alors que les études di�érées et de seconde chance impliquent nécessairement des pro-grammes réguliers diplômants au sein d’institutions traditionnelles, le développement professionnel continu ne se limite pas à des formations longues et diplômantes. Il peut ainsi être délivré par des organismes privés ou par les institutions d’enseignement supérieur, sur des programmes réguliers de facultés ou sur des programmes sur-mesure élaborés par des services FC relativement indépendants, parfois à la périphérie des insti-tutions. Deux types d’organisation de la formation supérieure des adultes sont présents : des formations «  segmentées  », uniquement dédiées à des adultes, et des formations « mixtes » (« co-study ») accueillant jeunes et adultes.

Cet aperçu de la diversité et de l’hétérogénéité des pro�ls, des programmes et des orga-nisations révèle combien la classi�cation des adultes dans l’enseignement supérieur est une a�aire complexe. Selon les contextes, chercheurs, acteurs et experts privilégient des critères qui leurs sont propres. Cependant, dans les comparaisons internationales, deux visions opposées du périmètre de la FC émergent, une vision étroite et une vision large. Elles n’accordent pas la même attention à la question de la démarcation entre FI et FC.

L’Allemagne illustre la vision étroite. Jusqu’à récemment, le développement profes-sionnel continu de titulaires d’un diplôme de premier cycle a été le cœur de la formation continue supérieure. Cette orientation a conduit les établissements à proposer une o�re marchande de séminaires et de formations courtes, �nancée sur ressources propres5.

Les cours de préparation aux études supérieures, les cours de premier cycle pour étu-diants non traditionnels sont absents. La formation des enseignants et les quali�cations adossées à des cursus académiques complets (droit, médecine...) ne font pas partie de la FC. Celle-ci se distingue de la FI par son �nancement, ses programmes et ses publics, con�rmant « l’idée bien établie que le système allemand d’éducation continue est totalement séparé du système d’éducation primaire, secondaire et supérieur ».

La réalité serait plus nuancée. Le système traditionnel a toujours accueilli des étudiants matures : un étudiant allemand sur dix entame des études après 25 ans, deux tiers des étudiants ont déjà une expérience professionnelle ou sont salariés, un quart sont à temps partiel. L’ouverture reste sur le modèle scolaire : « les adultes pouvaient pro�ter des avan-

5. Malgré une loi des années 1970 insistant sur l’importance de la formation continue supérieure, l’activité est restée périphérique.

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tages du système tant qu’ils se satisfaisaient des structures existantes et n’attendaient pas des cours sur mesure adaptés à leurs besoins. » (Teichler & Hanft, op. cit, pp. 2-3).

Mais une vision large des �nalités de la FC est promue dans de nombreux autres pays «  l’éducation supérieure continue est bien plus que le simple développement professionnel continu, c’est aussi une éducation seconde chance, une éducation loisir, du transfert de tech-nologie, du temps partiel, de la formation à distance, en situation de travail ... » (Osborne, 2004, cité par Hanft & Knust, p .25). Cette vision est illustrée par le Royaume-Uni, où l’éducation supérieure continue concerne toute la palette possible de programmes et de publics : formations courtes ou longues, préparations à l’enseignement supérieur, programmes diplômants de tous niveaux, étudiants sans quali�cation supérieure et diplômés revenant aux études... Une telle vision extensive résulte d’un certain pragma-tisme. Les modes de �nancement ne sont pas clivants, jeunes et adultes s’acquittant des mêmes frais d’inscription élevés. Les cours mélangent les âges avec la moitié des 18-30 ans en études supérieures. La distinction la plus répandue n’oppose donc pas la FI à la FC, mais les études à temps partiel aux études à temps plein.

Cette distinction prévaut également au Québec, où l’on constate que les études à temps partiel s’adressant au départ à des adultes salariés a�n qu’ils puissent combiner études et emploi, attirent de plus en plus d’étudiants salariés (Doray et Manifet, 2015). De manière parallèle, au Royaume-Uni, l’université ouverte (« Open University »), univer-sité à distance créée pour des adultes et pionnière dans la mise en place de programmes modulaires, s’ouvre de plus en plus aux jeunes6. Par ailleurs, dans les universités tra-ditionnelles, la responsabilité de la FC est de moins en moins con�ée à des services spécialisés. Dans ce système dérégulé et décentralisé, dans lequel les �nancements publics dépendent des accréditations, la formation continue supérieure devient aussi un marché sur lequel les universités doivent élargir leur participation. Avec des for-mations de plus en plus ouvertes à tous les âges, l’éducation supérieure basique et la formation continue ne sont pas considérées comme des activités séparées.

Dans cette vision large des �nalités de la FC, «  il ne serait plus possible d’isoler les jeunes et les adultes, ni d’établir une classi�cation précise des di�érents types d’étudiants adultes ; ce qui serait en revanche nécessaire, c’est que les institutions d’enseignement supé-rieur acceptent le challenge de servir des groupes d’étudiants de plus en plus hétérogénes » (Abrahamson, 1986, p. 71, cité par Teichler, 1999, p. 179). Mais pour Teichler, cette évolution marque aussi un a�aiblissement, voire signe la �n des politiques d’éducation des adultes dans l’enseignement supérieur.

6. Cette université mixe des publics de tous âges, sans prérequis : seul un tiers de ses étudiants possèdent un diplôme avant d’y entrer.

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2I En France, une démarcation o�cielle adossée aux modes de �nancement

La question des frontières entre FI et FC à l’université est donc plus ou moins présente selon les pays et dépend des orientations données à la formation continue dans l’enseigne-ment supérieur. Les orientations de la formation continue supérieure, en France, sont tout d’abord dé�nies par la loi. Dès 1968, la loi Faure crée des « universités autonomes devant s’ouvrir à la formation des adultes » (Denantes, op. cit.). En 1984, la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur proclame l’existence d’un service public avec comme mission la formation initiale et continue. En 1985, un décret d’application « a pour objet de permettre aux établissements d’assurer les missions de FPC et d’éducation permanente dé�nies au livre IX du code du travail »7. Depuis 1984, les formulations du Code de l’éducation sont demeurées inchangées : « la formation continue s’adresse à toutes les personnes engagées ou non dans la vie active. Organisée pour répondre à des besoins individuels ou collectifs, elle inclut l’ouverture aux adultes des cycles d’études de formation initiale, ainsi que l’organisation de formations profession-nelles ou à caractère culturel particulières » 8.

Entre code de l’éducation et code du travail, les orientations de la formation continue supérieure présentent une dualité originale et des tensions entre régulations publique et marchande (Manifet, 2012 ; 2015). C’est pour partie un service public �nancé par l’Etat, avec l’obligation faite aux établissements et inscrite dans le code de l’éducation, d’ouvrir aux adultes les cycles de formation initiale, sans indication précise sur les modalités de cette ouverture. C’est aussi une o�re sur le marché lucratif de la FPC encadrée par le code du travail. La possibilité est ici donnée aux établissements de développer une o�re marchande �nancée par les employeurs ou des fonds publics, clairement distincte de la formation ini-tiale. Cette o�re de FPC sera structurée par les dispositifs issus de la loi de 1971 et ses réformes successives : le plan de formation à l’initiative de l’employeur destiné à l’adap-tation des compétences des salariés  et le congé individuel de formation à l’initiative de l’individu à visée de promotion sociale ; le contrat de professionnalisation pour les jeunes et pour les demandeurs d’emplois de plus de 26 ans9, les stages pour les demandeurs d’emplois développés à partir des années 1980 en tant qu’instruments de lutte contre le chômage.

En cohérence avec ce cadre législatif, les publications statistiques ministérielles (Grille, op.  cit.) fournissent une vision o�cielle de la formation continue dans l’enseignement supérieur.

7. Décret n° 85-1118 du 18 octobre relatif aux activités de formation continue dans les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministre de l’Education nationale.8. Extrait Art. 5. Loi n°84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur. 9. À partir des années 1980, la formation professionnelle continue devient un outil de lutte contre le chô-mage, et d’insertion des jeunes. Les premiers contrats en alternance sont instaurés avec l’accord national interprofessionnel du 5 avril 1983, qui crée les contrats de quali�cation et d’orientation. Ils sont remplacés par le contrat de professionnalisation, avec la loi de 2004 qui ouvre le dispositif aux adultes peu quali�és.

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Il s’agit d’une vision large, car à l’instar du Royaume-Uni, l’o�re répertorie des formations aux �nalités variées, cours de préparations aux études supérieures, formations courtes, pro-grammes diplômants... Parmi les « types de formations continues » suivies, il y a les forma-tions diplômantes, débouchant sur un diplôme national ou un diplôme d’université (DU), les formations courtes qui « attestent d’une quali�cation professionnelle acquise, bien qu’elle ne débouche pas sur un titre », les conférences inter-âges et en�n les prestations d’accompagne-ment (VAE, bilans, autres).

En 2013, un tiers des inscrits en FC suivent une formation préparant à un diplôme national ou à un titre inscrit au RNCP (Répertoire national des certi�cations professionnelles), 19 % préparent un DU, principalement de discipline médicale, un quart participent à des formations courtes et 19  % suivent des conférences culturelle inter-âges. Le «  type de diplôme délivré » est également connu.

Environ 83 000 diplômes ont été délivrés en FC, dont deux tiers de diplômes nationaux10. Sur les 56 200 diplômes nationaux délivrés, on compte 37 % de licences, 30 % de masters, 12 % de diplômes de niveau IV (principalement des DAEU, diplôme d’accès aux études universitaires, équivalent du baccalauréat). La double orientation de la formation continue supérieure diplômante est con�rmée. Coexistent des études di�érées en licence ou de type seconde chance, comme le DAEU, avec le développement professionnel continu de diplômés de premier cycle venant suivre un master.

Il s’agit aussi d’une vision cloisonnée, à l’instar de l’Allemagne, car les établissements fran-çais doivent faire remonter à leur ministère de tutelle une enquête spéci�que sur leur acti-vité de FC11 qui vient alimenter les publications sur ce champ, distinctes de celles sur la FI et l’apprentissage. Les établissements doivent adopter des systèmes de comptabilité dis-tincts des inscriptions sous les régimes de la FI et de la FC, des systèmes de gestion séparés des �ux �nanciers, la FC étant �nancée sur ressources propres et la FI sur la dotation de l’Etat. Les publics en formation continue sont également classés dans ces publications selon « l’origine des ressources » : la moitié provient des entreprises ou organismes collecteurs, 22 % des particuliers et stagiaires, 20 % de fonds publics et 7 % d’autres �nanceurs, avec ces dernières années une réduction des �nancements publics et un accroissement des �nance-ments d’entreprises (Grille, op. cit.).

In �ne, seuls des critères administratifs et �nanciers sont disponibles pour classi�er les adultes dans l’enseignement supérieur. Aucun de ces critères ne permet de dresser les por-traits de ces publics : ni l’âge, ni le niveau d’éducation initiale, ni la durée d’interruption d’études, ni les buts, ni les conditions de la reprise d’études  – à l’exception de parcours de VAE  – ne sont renseignés. D’ailleurs, les publications n’évoquent pas des adultes, mais des

10. Les diplômes nationaux délivrés en FC représentent 11 % de l’ensemble des diplômes nationaux délivrés tous types de formation confondus, FI ou FC (Grille, 2015). 11. Enquête n° 6 auprès des établissements d’enseignement supérieur publics sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et qui réalisent de la formation continue.

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« stagiaires » de la FPC lucrative. Seul un critère, « la situation vis-à-vis de l’emploi », rend compte du statut des personnes avant ou pendant la formation, ce qui focalise l’attention sur le mode de �nancement de la reprise d’étude (cf. tableau 1).

En 2013, 36 % des stagiaires étaient des salariés �nancés (27 % sur le plan, 2 % en congés et 7 % en contrat de professionnalisation, avec pour cette seule catégorie une indication d’âge, plus ou moins de 26 ans), 12 % des demandeurs d’emplois béné�ciant le plus sou-vent d’un �nancement, 33 % des particuliers inscrits à leur initiative (hors inter-âges, 15 %) et 7 % des actifs non-salariés. Ce sont donc essentiellement des considérations �nancières qui fondent la démarcation o�cielle entre formation initiale et formation continue pour le ministère.

Tableau 1 : Stagiaires et heures stagiaires en formation, selon la situation face à l’emploi en 2013 et évolution depuis 2003 (universités, universités de technologie, INP, IUT,

CNAM et centre régionaux du CNAM, écoles d’ingénieurs et grands établissements)

Sigles : INP : institut national polytechnique ; IUT : institut universitaire technologique ; CNAM : conservatoire national des arts et métiers.Source : Tableau élaboré à partir de la base de données du système éducatif français : http://www.education.gouv.fr/bcp.

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3I Une démarcation interrogée par les acteurs et les usages

S’en tenir à l’échelle d’analyse précédente masque une réalité bien plus complexe. L’enquête réalisée en Rhône-Alpes au niveau des universités montre que la démarcation o�cielle résiste mal à une confrontation à la réalité des parcours (cf. encadré 1).

Au départ, l’enquête visait à caractériser l’o�re de formation continue universitaire et les pro�ls des stagiaires à partir des représentations et des pratiques des acteurs qui la mettent en oeuvre dans les établissements. Dès les premiers entretiens, la question des frontières entre FI et FC s’est imposée, la plupart des interviewés insistant spontané-ment sur les di�cultés de repérage de certains publics en FC et sur les proximités entre FI et FC, notamment dans les formations en alternance.

3.1. Les di�cultés du repérage des adultes en reprises d’études non �nancées 

Les particuliers représenteraient bien plus que les 33 % des stagiaires de la FC « ins-crits à leur initiative  » comptabilisés o�ciellement. En e�et, une partie d’entre eux échappent aux statistiques et demeurent invisibles, car inscrits sous le régime de la for-mation initiale, comme les étudiants classiques. Cette pratique des universités, qui a toujours existé, est quanti�ée par Béduwé et Espinasse dès 1995.12 Dans leur enquête menée en 1992 auprès des étudiants de dix universités volontaires, seulement 68 % des étudiants répondent à la dé�nition d’un étudiant en situation de formation initiale classique : aucune interruption d’études, moins de 27 ans permettant l’accès au statut étudiant, inactif et disponible pour des études à temps plein.

Les acteurs interrogés dans notre enquête plus de vingt ans plus tard évoquent tou-jours cette situation d’adultes « noyés en FI », « il y en a partout, c’est la loi ». Le nombre grandissant de jeunes sortis sans diplômes de l’enseignement supérieur et revenant aux études après un bref passage sur le marché du travail (Mora, 2014, Charles, 2016) réac-tive aujourd’hui cette problématique. Mais si cette présence d’adultes « non repérés » et inscrits sous le régime de la FI semble encore courante, les acteurs interviewés sou-lignent l’importance actuelle du repérage et de la classi�cation des individus. Au-delà des raisons administratives – faire remonter des statistiques au ministère – l’identi�-cation des adultes en reprise d’études est reliée à des enjeux �nanciers, à la fois pour l’université et pour l’individu.

12. Pour ces auteurs, «  la contribution de l’université à la formation permanente est beaucoup plus vaste que ne l’indique le décompte des étudiants relevant d’un dispositif "o�ciel" de formation continue dont la dé�nition renvoie à une notion strictement administrative (l’existence d’un �nancement spéci�que) ».

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Encadré 1 : L’enquête sur l’o�re de formation continue universitaire en Rhône-Alpes et ses publics

Cette enquête a été menée en 2014 dans le cadre d’un projet d’animation scienti�que soutenu par le Conseil Régional de Rhône-Alpes. Elle concerne tous les établissements universitaires de la région, huit universités et une école d’ingénieur de type INP(*). Toutes les disciplines universi-taires, tous les domaines de formation et tous les types de composantes (UFR et IUT, IAE (**) ou Polytech) sont présents dans l’échantillon (cf. annexe 1 sur la version électronique de l’article).

Rhône-Alpes représente 11  % du chi�re d’a�aires et 12  % des stagiaires en FC dans l’ensei-gnement supérieur en France (***). Le poids des universités est particulièrement important avec 85 % du chi�re d’a�aires et 90 % des stagiaires en région. Celui du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) est réduit (8 % du chi�re d’a�aires et 4 % des stagiaires), de même que celui des écoles d’ingénieurs et grands établissements (6 % du chi�re d’a�aires et 6 % des stagiaires). Au niveau national, le CNAM occupe une place plus signi�cative avec 29 % du chi�re d’a�aires et 17 % des stagiaires, au détriment des universités (65 % du chi�re d’a�aires et 79 % des stagiaires). L’enquête en région ne porte que sur les universités et leurs composantes.

Pour identi�er les personnes à interviewer, nous avons tout d’abord fait un repérage des orga-nigrammes et de l’o�re de formation sur les sites des universités. Notre point d’entrée a été la direction du service FC qui nous a donné des contacts supplémentaires, soit dans son service, soit au niveau politique, soit dans les composantes selon le niveau de décentralisation et la taille des services (entre 3 et 40 personnes). Fréquemment, l’activité de FC est prise en charge par un service aux missions plus larges incluant l’alternance, parfois l’apprentissage ou les relations entreprises. Dans un cas, elle était regroupée avec la FI dans un service dédié à la formation tout au long de la vie (FTLV). Le terme le plus fréquemment employé est celui de « formation continue », mais ici ou là sont évoquées « l’éducation permanente » ou la « FTLV ». Dans les orga-nisations les plus décentralisées, des entretiens ont également été conduits à un niveau infra-établissement : dans un IUT de « Sciences » et un IUT en « Carrières juridiques et sociales, droit, économie, gestion, information et communication », dans deux IAE, dans une composante de « Droit » et dans une composante d’ « Anthropologie, Sociologie et Sciences du Langage ». Des services de FC sont parfois constitués dans les composantes, notamment dans les IUT et les IAE ayant une forte tradition d’autonomie.

Nous avons interrogé vingt-huit personnes, dix directeurs (le plus souvent des enseignants) et cinq responsables administratifs de services de FC, quatre vice-présidents ayant la FC dans leur portefeuille, huit personnels administratifs (conseillers, ingénieurs, chargés de mission FC) et un enseignant-chercheur référent FC dans sa composante. Tous ont été interrogés à partir d’une même grille d’entretien semi-directive (cf. Annexe 2 de la version électronique de l’article). Les principaux thèmes abordés étaient : l’o�re de FC et sa mise en œuvre (formations mixtes FI/FC ou dédiées FC, existence ou non d’aménagements spéci�ques FC) ; les publics en FC, pro�ls et attentes, politique tarifaire ; la politique FC de l’établissement et la construction de l’o�re de FC. Tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits. Les propos des interviewés sont cités en italique dans le texte.

(*) : Institut national polytechnique.

(**) : UFR : unité de formation et de recherche ; IUT : institut universitaire de technologie ; IAE : institut d’administration des entreprises.

(***)  : Source  : http://www.education.gouv.fr/bcp/. Cela recouvre les universités (y compris IUT, UT (Université Technologique) et INP, du CNAM et des écoles d’ingénieurs et grands établissements.

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Du repérage va dépendre le montant des ressources propres issues de la formation continue. Si un adulte n’est pas repéré, il va s’acquitter des droits d’inscription de la FI. S’il est iden-ti�é, l’université va pouvoir lui facturer des frais de formation : « Pour l’établissement (…) le bon repérage du public va nous aider à voir si c’est un public qui va devoir payer ou non des frais de formation » (Responsable administratif service FC, université).

Les universités prévoient généralement un tarif spéci�que pour les reprises d’études non �nancées, bien moins élevé que celui de la formation continue �nancée, dont la référence théorique est le coût complet :

« Si les gens n’ont pas de �nancement, c’est divisé selon les cursus par deux, par trois ou par quatre. C’est complètement harmonisé. Et les tarifs, il n’y a rien de négocié, il n’y a aucune condition d’exonération... La licence générale, la moulinette donne 4 000 euros en tarif plein, et la décision du conseil d’administration, c’est qu’une personne non �nancée, c’est divisé par quatre, donc c’est 1 000 » (Directeur service FC, université).

Ces universités ne pratiquent donc aucune exonération et le tarif individuel demeure assez élevé. À l’opposé, d’autres permettent aux particuliers de béné�cier de réductions sur ces tarifs spéci�ques, en mettant en place des commissions d’exonération qui examinent les dossiers des candidats et prennent en compte leur situation personnelle. Certains établis-sements systématisent ces commissions et pratiquent des tarifs très bas pour des motifs quali�és « d’éthiques », ouvrir la formation à tous :

« Pour le public qui pourrait être en reprise d’études ou relever de la FC ,mais sans �nancement, on applique automatiquement une exonération de 90 %, donc le public paie 10 % du coût de cette formation-là. Par exemple, un master évalué à 7000 € passe à 700 €. Mais sur les 10 %, nous tenons une commission d’exonération pour l’exonération de ce 10 % dans certains cas » (Vice-président CFVU13, université).

Par ailleurs, les acteurs soulignent que le repérage va également permettre aux adultes d’être pris en charge par les services FC. Ces derniers vont alors pouvoir étudier leur dos-sier, leur droit à �nancement, leur proposer éventuellement des prestations particulières, etc., autant d’interventions destinées à améliorer les conditions de reprise d’études :

« Quand on parle des enjeux qui touchent aux personnes elles-mêmes, derrière le repérage d’une personne, il peut y avoir le fait que la personne pourra ou non continuer à béné�cier par exemple d’une indemnisation par Pôle Emploi. Si la personne est mal repérée, mal identi�ée et donc mal codi�ée dans notre système d’information, elle peut perdre ses indemnisations au chômage. Il peut y avoir un enjeu de �nancement, c’est-à-dire qu’une personne peut venir à l’université en pensant qu’elle n’a aucun droit à �nancement, ne pas être bien informée » (Responsable administratif service FC, université).

13. Commission formation et vie universitaire.

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A�n de repérer ces adultes qui ne béné�cient d’aucun �nancement, les universités utilisent des critères individuels, qui n’apparaissent pas dans les catégories retenues par le ministère. L’âge (plus de 28 ans) et la durée d’interruption des études (au moins deux années) sont les critères �xés pour distinguer un individu relevant de la FC d’un individu relevant de la FI, même s’ils ne sont pas toujours pris en compte de la même manière selon les universités et les composantes :

« Nous, on a réglé le problème de repérage des statuts d’une façon assez drastique. Au-delà de 28 ans, on est en formation continue, point à la ligne. Par contre, avant 28 ans, quand on a la fameuse deux années d’interruption, c’est au choix... » (Directeur service FC, université) 

« Ce qui dé�nit un public de formation continue c’est, pour moi, le fait que c’est quelqu’un qui est entré à un moment donné dans la vie active, au sens large (…) si quelqu’un s’est arrêté avec un bac + 1 et a travaillé deux ans et revient suivre une formation à l’université, il a travaillé, il a ouvert des droits sociaux, ça sera un public de formation continue » (Vice-président FTLV, université).

Malgré l’existence de ces critères, de nombreux adultes demeurent inscrits sous le régime de la FI. Pour les acteurs interrogés, cette situation résulte le plus souvent de di�cultés de repérage sur les chaînes d’inscription. Des solutions sont alors recher-chées, comme la formation des personnels administratifs à l’identi�cation et à l’accueil de ces publics. Mais parfois aussi, certaines UFR ne cherchent pas à repérer les adultes. Le manque de moyens est alors évoqué, mais l’absence de volonté de créer des disposi-tifs d’accueil pour ces publics est quelquefois sous-jacente :

« C’est vrai qu’on a un vrai problème de repérage qui est d’abord, je pense, lié (…) d’une part, à un public de masse qui arrive (…) le deuxième, aussi, c’est le manque de moyens humains. On a pendant longtemps eu tout juste une personne à mi-temps sur cette question-là. La formation continue a longtemps été un parent pauvre chez nous... » (Référente FC, composante université).

Par ailleurs, l’inscription d’adultes sous le régime de la FI peut également permettre à certaines composantes, qui connaissent une baisse de leurs e�ectifs, de remplir leurs formations et de maintenir le niveau de la dotation ministérielle.

Face à cette hétérogénéité, les services de FC a�chent une volonté d’harmoniser les pratiques, parfois freinée par des intérêts divergents au sein des composantes :

« Je ne vous cacherai pas que pour en tout cas une université… qui est en Arts, Lettres et Langues, donc sur des domaines qui en général, y compris en FI, à la rentrée de licence ne sont pas toujours porteurs (…) nous avons des problématiques de recrutement (…) Donc, aujourd’hui, le ministère (…) nous demande d’assurer des missions de formation continue sans que nous ayons les moyens qui vont avec. Et en nous mettant dans le dilemme qui d’ail-leurs parfois se retrouve dans les discussions entre services de formation continue et services

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de scolarité dans les établissements sur la problématique du repérage des adultes, où �nale-ment chacun va tirer la couverture de son côté entre les services de formation continue qui vont dire "il faut que tous nos publics soient repérés" et les autres qui disent, "si ça se joue nous à 140 étudiants"… 140 étudiants ça compte »(Vice-président CFVU, université).

Les entretiens soulignent ainsi la préoccupation des acteurs de la formation continue universitaire de repérer les adultes en reprises d’études a�n de les inscrire en FC. En l’absence de �nancement, seuls des critères individuels permettent aux universités de les di�érencier du public de formation initiale. Or, au moment de l’enquête réalisée en 2014, une note de la DGESIP (2013), publiée suite à un contentieux, rappelle que ni l’âge limite de 28 ans, ni la durée d’interruption d’au moins deux ans ne sont des critères réglementaires pour l’inscription en FC. Pour la DGESIP, l’inscription en FC dépend uniquement de l’existence d’une convention ou d’un contrat de formation incluant une ingénierie ou des prestations spéci�ques. Seulement cela détermine le statut de «  stagiaire de la formation continue » et autorise une tari�cation plus élevée que les droits d’inscription en FI.14 Les personnes sans �nancement par un tiers et sans contrat de formation et prestations spéci�ques relèvent, pour la DGESIP, du « régime de la reprise d’études non �nancée  » (cf. p.  5 de la note). Ils doivent s’acquitter des mêmes frais d’inscription que les étudiants en FI. Ce régime doit permettre à la fois de recenser les publics adultes et de continuer à béné�cier de l’allocation de moyens égale à celle perçue pour les étudiants en FI.

La note de la DGESIP rappelle ainsi l’importance de l’identi�cation des di�érents publics de l’université : « Il en va d’une plus juste répartition des moyens et d’une meilleure évaluation de l’engagement des établissements en faveur de la formation tout au long de la vie » (cf. p. 5 de la note). Sa mise en œuvre nécessiterait cependant des moyens sup-plémentaires dans les universités pour améliorer le repérage des publics. Ce rappel de la DGESIP vient surtout remettre en cause les pratiques de tari�cation observées dans les universités et interroge sur les conséquences qui peuvent en résulter. L’application de ces règles pourrait entraîner une diminution des ressources propres issues de la FC. En e�et, dans les établissements enquêtés, la mise en œuvre d’une ingénierie et de prestations spéci�ques pour les adultes, permettant de justi�er des droits d’inscription plus élevés qu’en FI, est loin d’être systématisée. Les formations diplômantes ouvertes uniquement en formation continue pour des actifs expérimentés sont minoritaires. Si toutes les formations initiales sont en théorie ouvertes aux adultes, la grande majorité n’est pas aménagée, sauf exception et au cas par cas, pour des étudiants non tradition-nels et souvent non disponibles pour des études à temps plein.

14. Les conventions s’adressent aux personnes béné�ciant d’une prise en charge par un tiers �nanceur, public ou privé. Les contrats s’adressent aux personnes ne béné�ciant pas d’une telle prise en charge, mais qui sou-haitent qu’une ingénierie particulière soit apportée à la formation demandée.

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DOSSIER

3.2 De jeunes alternants en formation continue

Si de nombreux adultes en reprise d’études sont inscrits sous le régime de la FI, para-doxalement, de plus en plus de jeunes n’ayant jamais quitté le système éducatif relèvent aujourd’hui de la FC. Ce constat ne suscite aucune discussion de fond pour les acteurs interrogés.

La présence de jeunes inscrits sous le régime de la FC s’explique par la forte poussée de l’alternance dans les formations, qui mobilise un dispositif de la formation profession-nelle continue, le contrat de professionnalisation. Ce dernier entre dans le périmètre des activités des services de formation continue, souvent avec un autre dispositif rele-vant, pour sa part, de la formation initiale, le contrat d’apprentissage.

Ainsi, dans cinq des neuf établissements enquêtés et deux IUT, un service commun couvre la formation continue, l’alternance et/ou l’apprentissage. Avec le développement de l’alternance, un décloisonnement entre FI et FC apparaît dans les organigrammes.

Dans les discours, le terme alternance est donc souvent utilisé indi�éremment pour le contrat de professionnalisation et le contrat d’apprentissage. Leur proximité est en e�et souvent soulignée, notamment en termes d’aménagement de la formation et de pédagogie.

Les modes de �nancement sont en revanche di�érents, ainsi que les conditions d’âge pour béné�cier de ces dispositifs. Seul le contrat de professionnalisation est possible au-delà de 26 ans, pour les demandeurs d’emploi :

« Il se trouve que [pour l’apprentissage], ce sont des places ouvertes à des jeunes gens qui ne sont pas en emploi, donc, évidemment, ça a basculé du côté de la FI. Mais dans la pra-tique […] ce sont les mêmes formations qui accueillent le public. Je dirais que l’o�re de formation, elle est vraiment façonnée par des années et des années d’ouverture d’unités de formation par apprentissage » (Vice-président CFVU, université)

« L’apprentissage c’est une modalité de la FI, il ne faut pas l’oublier, mais qui a des simili-tudes très fortes, c’est pour ça aussi que c’est dans mon périmètre, avec ce qu’on fait en termes de contrat de professionnalisation. Parce que sur la modalité pédagogique, il n’y a pas de di�érence, sur le contrat et le �nancement, il y a des grosses di�érences » (Directeur service FC, université).

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Le contrat de professionnalisation devient donc une voie majeure du développement de la FC à l’université, mobilisant les moyens des services FC, parfois au détriment des autres publics :

« [Sur 370 personnes en FC], à la louche, on a 300 contrats pro, 60 contrats d’apprentissage, et le reste  : CIF15, DIF16, demandeurs d’emploi…  » (Chargé de mission FC, IUT). Les entretiens réalisés soulignent en e�et la volonté des établissements de développer l’alter-nance. Cet engouement touche toutes les strates de l’université, des services de formation continue qui l’impulsent et incitent les UFR à la développer, jusqu’aux responsables de formation dans les composantes :

« On avait un noyau fort sur l’IUT, sur l’IAE, et on a des composantes chez qui l’essaimage s’est bien produit... Et on travaille sur la faculté de droit où maintenant ils sont conquis et ça avance, alors qu’avant ils ne l’étaient pas » (Vice-président FTLV, université)

« Un des objectifs de notre université, c’est de passer 100 % de ces licences pro en alternance et 50 % des Masters pro. Cette année, on passe au 100 % en licence pro, donc c’est vraiment contacter les enseignants et les aider dans le montage des dossiers. Et surtout, les outiller aussi, que ce soit avec des livrets, avec les bons plannings, les aider au niveau pédagogie à coordonner les choses, à voir comment ils peuvent moduler un peu leur diplôme pour passer de la formation initiale à de la formation en alternance, sans non plus tout modi�er » (Directeur service FC, université).

Les statistiques con�rment que le nombre de stagiaires en contrat de professionnalisation a fortement augmenté : ils représentent 7 % des stagiaires en 2013, soit une croissance de 343 % depuis 2003, alors que l’augmentation moyenne globale des inscrits n’est que de 15 % (cf. tableau 1).

Mais dans les faits, les contrats de professionnalisation ne sont que très rarement pourvus par des adultes : dans près de neuf cas sur dix, leurs béné�ciaires ont moins de 26 ans (cf. tableau 1). Ce contrat revient en e�et moins cher aux employeurs pour cette caté-gorie d’âge. Il concerne donc essentiellement des jeunes en poursuite d’études et apparaît proche, dans ses usages, de la formation initiale :

« L’alternance, on est quand même sur du jeune qui peu ou prou poursuit des études sous une voie di�érente. Si on regarde ce qu’on peut faire en termes de contrat de professionnalisation adulte, c’est-à-dire au-delà de 26 ans, en général c’est mineur tout simplement parce que ça coûte plus cher à l’entreprise. Donc quand une entreprise a le choix entre un jeune qui ne coûte rien et un vieux qui coûte cher, je fais un peu caricatural volontairement, en général, elle se dirige vers le jeune qui coûte moins cher et je ne lui en veux pas » (Directeur service FC, université).

15. Congé individuel de formation.16. Droit individuel à la formation.

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DOSSIER

Ainsi, pour les acteurs interrogés, le choix de l’alternance est avant tout une réponse aux enjeux de professionnalisation. En e�et, le mouvement de professionnalisation s’est accé-léré suite à la LRU (2007) qui con�e aux universités la mission d’insertion profession-nelle aux côtés des missions traditionnelles de recherche et de formation (Quenson & Coursaget, 2012 ; Rose, 2014).

En outre, toute formation doit désormais a�cher une �nalité professionnelle en vue de son habilitation par la tutelle :

« C’est vrai que notre souci, et c’est en lien avec la professionnalisation et l’insertion profession-nelle, c’est quand même d’ouvrir des formations en alternance » (Responsable administratif service FC, IUT).

Par ailleurs, pour les établissements, les contrats en alternance représentent une rentrée �nancière non négligeable dans un contexte de contraintes budgétaires :

« C’est vrai quand même que la source principale de �nancement pour l’IUT, c’est toutes les formations ouvertes en alternance. Globalement, il faut savoir que ça représente presque deux tiers de nos recettes » (Responsable administratif service FC, IUT)

« Parce que la plupart des composantes de l’université, elles vivent en ce moment... elles vivent grâce à cet argent. La dotation de l’État, si vous voulez, est devenue un détail par rapport à l’argent de la formation continue, d’alternance et d’apprentissage... Oui, si on ne faisait plus de formation continue, d’alternance et d’apprentissage, il n’y aurait plus de formation dans notre université. Il ne faut peut-être pas trop le dire comme ça, mais c’est le cas... » (Directeur service FC, université).

Si le contrat de professionnalisation entraîne bien une augmentation des e�ectifs inscrits en FC, il se focalise sur une catégorie de public, des jeunes, qui, au cours de leur cursus universitaire, vont passer un diplôme en alternance. Il est ainsi essentiellement utilisé pour professionnaliser les parcours de formation des jeunes en vue d’une primo insertion, occultant d’autres voies de développement possible de la FC à l’université, comme la mise en place de formations spéci�quement pensées pour les adultes. Ainsi, les moyens dédiés à la formation continue universitaire, déjà jugés nettement insu�sants pour lui permettre de se développer (IGEANR, op.cit.), tendent, qui plus est, à être concentrés sur un seul type de dispositif.

Conclusion : Déplacer le débat sur les conditions d’études des étudiants non traditionnels

Ré�échir sur la manière dont les acteurs établissent une frontière entre la formation initiale et la formation continue dans l’enseignement supérieur est riche d’enseignements sur les dynamiques actuelles de l’o�re de formation continue universitaire.

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Dans la littérature internationale consacrée à la formation continue supérieure, les critères permettant de dé�nir un adulte dans l’enseignement supérieur ont été discutés durant les années 1990, mais rapidement le débat s’est déplacé sur les conditions d’études des étu-diants non traditionnels. Face à l’hétérogénéité croissante des publics, salariés étudiants, étudiants salariés, demandeurs d’emplois, non diplômés reprenant des études, diplômés en développement professionnel, divers pays ont introduit une plus grande �exibilité dans leurs systèmes d’enseignement supérieur, dans les voies d’accès, les contenus et les parcours  : études à temps partiel, parcours discontinus, formations courtes et non diplô-mantes, enseignement à distance, formation en situation de travail, acquisition de com-pétences en cours de carrière. Y compris dans ces pays, de grandes marges de progression existent encore pour améliorer la participation des adultes à l’enseignement supérieur, d’autant plus que de nombreuses pressions fragilisent ces avancées : réductions budgétaires, survalorisation de l’activité de recherche dans les classements internationaux, importance accordée aux taux de réussite (Slowey, Schuetze, op. cit. p. 282).

De nombreux pays font cependant beaucoup mieux que la France en matière d’inscription d’étudiants adultes dans l’enseignement supérieur (IGEANR, op. cit. p. 51). La part des étudiants adultes de plus de 30 ans inscrits dans l’enseignement supérieur, en France, en 2008-2009, est de 8,8 %, pour une médiane de 16 % dans les pays de l’Union européenne. La France présente un des taux les plus faibles, les pays nordiques et le Royaume-Uni les taux les plus élevés (entre 29 % et 40 %). Pourtant, y compris dans ces pays ayant ouvert très largement les bancs de l’université aux adultes, c’est moins une « approche politique consistante du rôle que l’enseignement supérieur pourrait jouer dans le cadre du Long Life Learning » que le fait que « l’éducation professionnelle continue est devenue une source lucra-tive de revenu », qui a rendu les institutions plus réactives (Teichler, 1999, p .183).

En plus de pointer le retard des universités françaises en matière d’intégration des adultes, la comparaison internationale montre le décalage dans les débats qui occupent les acteurs de la formation continue. En France, l’attention est focalisée sur la démarcation entre formation initiale et formation continue, en cohérence avec le cadre institutionnel et le cloisonnement historique des �nancements.

Pourtant, cette démarcation o�cielle devient di�cilement tenable face à la diversi�cation croissante des parcours constitués d’allers-retours entre études, formations et emplois et au brouillage des catégories. Ce brouillage est illustré par les di�cultés à repérer et classer les très nombreux individus qui reviennent aux études sans �nancement, mais également par le rapprochement entre formation initiale et formation continue dans les formations en alternance.

Par ailleurs, la question vive du repérage des adultes contraste avec l’atonie des ré�exions sur les conditions d’études des étudiants non réguliers. Si les conditions d’études évo-luent aujourd’hui dans l’enseignement supérieur, en France, c’est prioritairement pour les besoins de l’alternance. Certes, les formations alternées sont ouvertes aux salariés, aux demandeurs d’emplois, aux actifs expérimentés. Ils peuvent tirer avantage du système,

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DOSSIER

bien plus que des formations académiques, tant qu’ils se satisfont d’emplois du temps et de contenus de formation élaborés pour pré-professionnaliser des jeunes et tant qu’ils n’attendent pas des cours ou des emplois du temps sur-mesure et adaptés à leurs besoins.

A�n que l’o�re de formation continue universitaire puisse s’adapter à la réalité des besoins actuels des adultes, il y aurait urgence à toiletter le cadre institutionnel et des catégories devenues obsolètes après plus de trente années d’existence. Ceci nécessiterait notamment de développer « une sociologie des publics non traditionnels » a�n de sortir les adultes de l’invisibilité dans laquelle les maintient l’institution (Charles, op. cit). Reste à savoir si les acteurs de la formation continue universitaire seraient favorables à de telles évolutions. En e�et, le �ou qui entoure actuellement les catégories leur o�re quelques marges de manœuvre locales appréciées, entre remplissage des formations et rentrées de ressources propres.

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La professionnalisation des universités par la formation continue des adultes : une

comparaison Québec-FrancePIERRE DORAY

Professeur de sociologie, CIRST (Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie), université de Québec à Montréal (UQAM)

CHRISTELLE MANIFETMaître de conférences en sociologie, CERTOP (Centre d’Étude et de Recherche Travail,

Organisation, Pouvoir, UMR CNRS 5044), université Toulouse 2 Jean Jaurès (UT2J)

Résumé

n La professionnalisation des universités par la formation continue des adultes : une comparaison Québec-France

Cet article interroge la professionnalisation des universités sur la base de leurs activités d’en-seignement pour adultes. Il le fait de manière comparative, entre le Québec et la France, deux situations apparemment contrastées. Suivant l’analyse sociétale et les méthodes de la sociologie des catégories de l’intervention publique, l’analyse dégage deux trajectoires singulières de développement d’une o�re universitaire à destination des adultes. En plus de révéler les catégories sociétales de la formation continue, cette méthode permet d’être attentif à ce qui les lie autant qu’à ce qui les éloigne. L’article montre que la profession-nalisation des universités engage un système de conventions et de distribution des cartes entre Université, État, acteurs du travail et de l’emploi et individus en retour aux études et/ou au travail.

Mots-clés  : enseignement supérieur, accès à l’enseignement supérieur, politique de la formation professionnelle, université, professionnalisation de l’enseignement, formation des adultes, France, Québec, comparaison internationale

Abstract

n The professionalization of the universities through their lifelong learning for adults: a comparison Quebec-France

�is article examines the professionalization process of universities through their adult education practices. It does so in a comparative way, between Quebec and France, two apparently contrasted situations. Following the societal analysis and the methods of the sociology of public policy categories, the analysis distinguishes two speci�c development paths for the university education supply addressing adult demand. While revealing the

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DOSSIER

societal categories of lifelong learning, this method allows us to be attentive to what connects them as much as what depart from them. �e article demonstrates that the professionalization of the universities engages a system of conventions, speci�c in each society by a local and historical con�guration of action, between the University, the State, Socioeconomics partners and Individuals going back to study and/or at work.

Keywords: higher education, access to higher education, CVT policy, university, professionalisation of teaching, adult training, France, Quebec, international comparison

Journal of Economic Literature: I 23

Traduction : Auteur-e-s.

La professionnalisation des universités est explorée sous di�érentes voies. Une première voie est celle de l’introduction de pro�ls, pratiques et discours managériaux dans la gestion des établissements (Kolsaker, 2014). Une seconde voie examine l’orientation croissante des étudiants vers les formations professionnelles (Crespo, 2013  ; Landrier et Nakhili, 2012). Une troisième, à l’intérieur des universités, examine la construction d’une o�re de formation associée à des emplois (Doray, Tremblay et Groleau, 2015 ; Wittorski, 2012). Est aussi examinée l’incorporation, dans les programmes universitaires, d’activité de pré-paration à l’emploi comme les stages (Beaupère, Bosse, et Lemistre 2014), a�n de favoriser l’insertion professionnelle des personnes diplômées.

Il existe une autre voie de professionnalisation, la formation des adultes, identi�ée sous di�érentes appellations : formation continue, éducation permanente, perfectionnement professionnel, etc.1 L’articulation entre formation, travail et emploi semble ici une évi-dence du fait que les expériences sont synchrones (formation et emploi) ou prennent la forme d’un retour aux études (emploi vers formation). La présence d’adultes en forma-tion à l’université, le plus souvent en lien à l’emploi, n’est-elle pas un signe immédiat du caractère professionnel des universités ? Il convient d’aller plus loin en s’intéressant, d’une part, à la manière dont les universités répondent aux besoins du marché de l’emploi ainsi qu’aux besoins d’un public adulte et d’autre part, en regardant d’un peu plus près les types de contenu de formation ainsi que les aménagements réalisés pour accueillir ces adultes.

Les adultes en formation rassemblent quelques caractéristiques qui spéci�ent leur rapport aux études, en particulier, leur âge. Ils sont entrés dans des cycles de vie où les di�érentes sphères se déploient (entrée dans la vie active, installation en couple, naissance des enfants, etc.). Des aménagements du « contenu » des formations comme des « parcours » d’études (Lemistre, 2016) s’imposent pour tenir compte de la conciliation avec d’autres activités

1. L’ appellation « adulte » relève d’un choix scienti�que. Elle n’est, la plupart du temps, pas utilisée par les acteurs. Les catégories « gestionnaires » (Demazière, 2002) identi�ent les adultes sous d’autres dénominations, par public (étudiant, stagiaire, auditeur...) et/ou par type de formation (formation continue, éducation per-manente...).

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de la vie d’adulte (assurer sa subsistance, avoir des responsabilités professionnelles et fami-liales). Les aménagements de contenu s’étendent de la formation sur mesure non cré-ditée et construite conventionnellement avec des employeurs ou des ordres professionnels jusqu’à l’o�re diplômante classique ouverte à la formation continue, en passant par les dispositifs de validation de l’expérience pour l’accès ou le retour aux études supérieures ou pour l’obtention de diplômes. Les aménagements de parcours concernent les calendriers et les parcours d’études avec l’organisation en trimestres, les études à temps partiel et les cours du soir ou les congés pour formation et les formations courtes.

Pour ré�échir à cette voie singulière de professionnalisation et à ses formes concrètes, on s’appuie sur la comparaison internationale. Les diagnostics exploitant la comparaison comme outil de décision, établis par l’Union européenne, l’UNESCO (Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture) ou l’OCDE (Organisation de coo-pération de développement économiques), décrivent des engagements variables des sys-tèmes éducatifs et des universités en matière de formation pour adultes. Ainsi, en France, cet engagement serait plus restreint tant du point de vue des compétences et de l’accès des adultes à la formation que du rôle joué par le système scolaire et universitaire, en com-paraison avec d’autres pays, comme le Canada et en son sein la province de Québec, qui connaissent une participation des adultes nettement plus élevée à l’enseignement universi-taire2. La recherche part de cette représentation impressionniste de départ : la présence des adultes aux études universitaires serait nettement plus faible en France qu’au Québec3. La comparaison pourrait consister à mesurer des degrés di�érenciés de professionnalisation à partir d’un petit nombre d’indicateurs. Elle négligerait cependant des e�ets de systèmes et créerait une illusion d’égalité. Il convient donc d’introduire une ré�exion sur la compa-rabilité des données (Von Rosenbladt, 2010), ce à quoi l’analyse comparée qui suit tente de s’atteler.

Cette comparaison s’inspire du principe de l’approche sociétale (Maurice, 1989) selon lequel la constitution d’un objet social se réalise dans l’interdépendance entre les com-posantes structurelles d’une société et le travail social des acteurs. Cette interdépendance génère des cohérences ou des con�gurations spéci�ques (Maurice, Sellier et Silvestre, 1982) et donne corps à des catégorisations particulières (Dubar et al., 2003). Récemment, Éric Verdier a proposé le concept de régime national d’éducation et de formation pour embrasser des « con�gurations d’acteurs (…) articulées à des organisations et des institutions »

2. Par exemple, en matière de compétences acquises par les adultes (15-65 ans) tant en littératie qu’en numé-ratie, la France obtient des scores inférieurs à la moyenne des pays de l’OCDE, tandis que le Canada se situe plutôt dans la moyenne (OCDE, 2013).3. La réalisation de l’étude n’aurait pas été possible sans le soutien de di�érents organismes : le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CCRSHC), le Fonds Recherches Québec-société et culture (FRQCS), le Conseil international d’études canadiennes et le Gouvernement du Canada, le Laboratoire d’excellence Structuration des mondes sociaux (Labex SMS) de Toulouse et le gouvernement français. Nous désirons également remercier la rédaction de Formation Emploi ainsi que les di�érents évaluateurs sollicités pour leurs précieuses remarques.

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(Verdier, 2008, p. 203), ainsi que des conventions de formation (méritocratique, profes-sionnelle ou marchande). Pour saisir ces con�gurations et ces catégorisations nationales, ont été exploitées les méthodes de la sociologie des catégories de l’intervention publique (Dubois, 2003 et 2012) : la réalité des usages sociaux de l’université n’est pas indépendante des catégorisations que des espaces sociaux divers, à l’intérieur de sociétés particulières et notamment les espaces politiques institués, entretiennent à leur égard. L’histoire croisée a aussi permis de ne pas sur-interpréter les dissemblances entre les cas et d’être attentif aux similitudes (Gally, 2012).

Le matériau relève de di�érentes sources. La première est composée des sources indirectes issues de la littérature scienti�que spécialisée sur la formation des adultes à l’université, dont des enquêtes réalisées dans les années 1970 et 1980, a�n de dégager une profondeur historique. Diverses archives institutionnelles ont ensuite été dépouillées pour éclairer les contextes politiques et sociaux d’énonciation et de réception de décisions ayant trait à la formation des adultes à l’université, tant à l’échelle des ministères et des gouverne-ments (lois, discours programmatiques, témoignages écrits d’élites politiques et adminis-tratives…) qu’à l’échelle des établissements (comptes-rendus et procès-verbaux d’instances décisionnelles de deux universités ayant fait l’objet d’études de cas approfondies). Des études de cas sur la situation de l’éducation des adultes ont en�n été menées dans dif-férentes universités françaises et québécoises. Elles ont permis de mieux comprendre les modalités d’insertion des adultes dans les universités, l’ancrage réglementaire et organi-sationnel de l’activité de formation pour adultes et les pratiques des professionnels de l’université. Par ailleurs, les données administratives sur les inscriptions des étudiants ont été exploitées.

L’argument suit deux objectifs. Le premier pointe les éléments structurants de la forma-tion universitaire des adultes dans les sociétés québécoise, puis française, à l’appui de deux questions simples, l’une sur les structures cognitives, normatives et institutionnelles de l’engagement des universités dans cette activité, l’autre sur les caractéristiques du service rendu aux adultes dans les établissements (I et II). Le second objectif est de tirer de ces con�gurations sectorielles et sociétales des éléments d’interprétation plus généraux sur les voies de professionnalisation de l’université et ses conditions (III).

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Encadré 1 : Les études de cas réalisées

2007 : La formation continue dans les universités françaises, cinq établissements d’enseignement supérieur (sites web, documentation institutionnelle, entretiens).

2011 : La formation tout au long de la vie, enjeu de société, réponses universitaires et recompo-sition du service public d’enseignement supérieur : trois universités du Québec organisant de manière variée leur activité de formation continue (sites web, documentation institutionnelle, entretiens, observations).

2015-2016 : L’adéquation entre la formation et l’emploi : le cas de la formation sur-mesure dans l’enseignement supérieur du Québec (collèges d’enseignement général et professionnel –CEGEP – et universités).

2015-2017  : L’université et ses publics. Les adultes. Monographie d’une université régionale en France (traitement des archives de l’université, observations de chaînes d’inscription, entretiens auprès des services, entretiens individuels et collectifs avec des inscrits adultes).

1I Au Québec, une professionnalisation endogène

Au Québec, la professionnalisation de l’université répond à une dynamique qui sera quali�ée d’endogène car la formation des adultes y est considérée comme un segment de la politique éducative et de l’activité des universités (1.1.) ; l’articulation au monde du travail et de l’emploi prend d’abord e�et par l’intégration des publics adultes aux programmes crédités (1.2.) et se poursuit, depuis les années 1990, par l’essor des forma-tions non créditées (1.3.).

1.1. L’ambition de l’éducation permanente

En 1960, est lancée la Révolution tranquille, période de profonde modernisation de la société québécoise et de l’action gouvernementale, avec la mise en place d’un État-providence4. Le secteur public de l’éducation acquiert de la consistance avec la création du ministère de l’Éducation et du Conseil supérieur de l’Éducation et avec le déve-loppement du réseau des universités, passant de 8 à 18 établissements. Deux autres organismes consultatifs verront ensuite le jour, le Conseil des collèges et le Conseil des universités.

La démocratisation de l’accès à l’enseignement est le maître-mot de la réforme. Trois textes d’orientation de l’action éducative sont publiés rapidement : sur la formation pro-

4. Le gouvernement pose trois orientations fondamentales. Il se veut davantage interventionniste avec, par exemple, la nationalisation des entreprises d’électricité. Il se veut davantage pilote avec la création de divers organismes de plani�cation, et davantage protecteur avec l’instauration de mesures de protection contre les aléas de la vie collective (régie des rentes du Québec, assurance maladie, etc.).

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fessionnelle et technique (Tremblay, 1962), sur l’éducation des adultes (Ryan, 1964), sur l’éducation dans la province de Québec (Parent, 1964). Il s’agit de démocratiser l’éducation et d’en faire un outil de mobilité sociale a�n de permettre le rattrapage des francophones, mais aussi des milieux populaires, des femmes, des adultes. Augmenter la part de la population qui poursuivra des études supérieures est perçue comme la condi-tion du développement social et économique de la société québécoise. Est aussi créé un système de prêts et de bourses et est envisagée la gratuité scolaire a�n de faciliter l’accès aux universités5.

L’éducation des adultes est au cœur de ce projet éducatif. Le rapport Parent cherche à fédérer l’ensemble des segments de la formation des adultes, de l’éducation popu-laire aux cours crédités dans les établissements d’enseignement, en s’appuyant sur le concept de l’éducation permanente. Cette idée est très présente au Québec, alors que la 2e conférence internationale de l’UNESCO sur l’éducation des adultes s’est tenue à Montréal en 1960 et que l’Institut canadien de l’éducation des adultes en fait son cheval de bataille. L’éducation permanente devient le principe structurant du rapport que les individus doivent établir avec le monde de l’éducation. Dans cette perspective, l’université a une mission spéci�que, car « dans une économie et une technologie en rapide transformation, l’université doit assumer une part de responsabilité dans l’éducation des adultes devenue toujours plus nécessaire. Il ne faut cependant pas lui demander de donner aux adultes un enseignement qu’elle ne donne pas à ses étudiants réguliers : cours secondaire ou pré-universitaire. Mais elle doit pouvoir étendre aux adultes, en cours du soir ou en cours d’été, son enseignement spécialisé » (Parent, 1964, p. 233). Ces deux orientations vont être au cœur de la mission de l’Université du Québec (UQ), créée en 1968,,qui comportera à terme dix constituantes autonomes pour « assurer une réelle démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur et une coïncidence plus grande entre monde universitaire et société » (Ferretti, 1994, p. 39). La mission d’éducation permanente côtoie celles de l’enseigne-ment et de la recherche.

1.2. Dans les universités, un principe d’intégration des publics adultes

Cette ligne directrice va se di�user dans les universités du Québec pour deux raisons principales. D’une part, les universités plus anciennes ont transformé leur service d’ex-tension de l’enseignement en service d’éducation des adultes. D’autre part, le réseau UQ va aussi s’engager dans la formation des adultes au nom de l’accessibilité aux études, de la recherche et du développement régional. Toutes les universités québécoises ont consi-déré les adultes comme un public-cible.

5. La commission se prononce en faveur de la gratuité scolaire à l’université, mais pour des raisons pratiques (pression sur les dépenses publiques), elle convient de retarder son application. Ces frais seront gelés pendant plus de 20 ans.

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Avant la réforme, les universités classiques avaient déjà un pied dans la formation des adultes. Pour McLean (2008 et 2010), dans les universités canadiennes, l’extension de l’enseignement a permis à des adultes l’accès aux études et le rattrapage scolaire. Cela a permis d’incarner l’idée de la deuxième chance, ainsi que la formation continue en lien à la demande des ordres professionnels et des employeurs publics et privés, en appui des études à temps partiel. Le Québec ne se démarque pas de cette situation, si ce n’est que ses universités ajoutent une originalité institutionnelle : le certi�cat, un diplôme univer-sitaire de premier cycle équivalent à une année académique à temps plein et valant 30 crédits universitaires (60 ECTS).

Entre 1925 et 1960, toutes les universités québécoises ont créé des services dits d’exten-sion de l’enseignement qui proposaient des cours permettant à des adultes d’obtenir le diplôme d’accès aux études universitaires. Dans les années 1960, les universités sont invitées à réaliser des activités de formation de niveau universitaire pour les étudiants et non des activités de préparation aux études universitaires ; ce rôle est désormais dévolu aux Cégeps6 nouvellement créés. Dès lors, les services d’extension ont progressivement disparu ou se sont convertis en services d’éducation des adultes, ciblant les adultes et élargissant leur o�re. L’Université de Montréal (UDEM) créé ainsi une faculté d’éduca-tion permanente. Alors que les autres facultés se centrent sur les programmes de cours en journée, cette faculté construit des programmes crédités qui peuvent se rapprocher de ceux o�erts en journée, mais qui sont proposés le soir ou en �n de semaine.

Un doyen de l’éducation des adultes de l’Université de Montréal (2011) relate ainsi :

« Nous n’avons pas de corps professoral associé à notre faculté, on travaille avec le corps pro-fessoral des autres facultés selon une méthodologie orientée "marché", c’est-à-dire une analyse des besoins du marché du travail, des sociétés, et sur cette base on développe des �lières de formation dans lesquelles on a pu identi�er un intérêt. Ces pratiques qui existent depuis quarante ans nous permettent de développer des programmes ciblés sur des besoins. On va chercher des expertises en interne ou à l’extérieur et on travaille sur l’interdisciplinarité, à la marge des disciplines. »

Les constituantes de l’UQ ont mis en œuvre une institutionnalisation dite intégrée de l’éducation des adultes dans tous les programmes d’études, la responsabilité de l’éduca-tion des adultes relevant des programmes et des départements.

Un chef de service de l’UQAM (2011) déclare ainsi :

«  "Adulte"… On n’a pas choisi ce vocabulaire. On a même choisi de ne pas considérer les candidats adultes autrement que nos candidats réguliers. Quand ils font leur demande d’admission à l’université, ils n’ont pas à se quali�er d’adulte ou pas. Sauf qu’il y a des critères sur lesquels on les admet, ce que l’on appelle les "bases d’admission", les études collégiales évi-

6. Collèges d’enseignement général et professionnel.

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demment, la base des crédits universitaires et en�n la base de l’expérience (…) C’est sûr que c’est pour des gens aux pro�ls moins traditionnels que l’on a créé la base expérience qui s’adresse aux plus de 21 ans. Ce que l’on voulait, c’était leur faire une place ,mais ils ont le même choix de cours et de programmes et sur les mêmes créneaux horaires. Les gens sont mixés dans les classes. »

Au total, les universités ont toutes développé des dispositifs favorables à l’accessibilité aux études créditées (études à temps partiel, diplômes courts, admission sur l’expérience, calendrier des enseignements en trimestre…), dans une logique d’accessibilité de tous les publics, sans distinction.

Les programmes pensés pour les adultes sont des certi�cats. Le cumul de trois certi�-cats permet l’obtention du baccalauréat (équivalent de la licence française). À l’entrée dans le XXIe siècle, en parallèle de l’élévation du niveau de formation de la population québécoise, les universités ont multiplié les programmes courts de second cycle (DESS  – diplôme d’études supérieures spécialisées, programmes courts ou microprogrammes). Même à l’UDEM, où les facultés avaient pu laisser la responsabilité de l’accessibilité aux adultes à la Faculté d’éducation permanente, toutes les composantes se sont mises à déve-lopper une o�re de second cycle en format court et enseigné le soir.

Un directeur de Bureau de recherche institutionnelle, UQAM (2011), déclare :

« Maintenant, les gens qui entrent sur le marché du travail, ils ont déjà un baccalauréat. Donc, si on veut les amener à une formation continue, ils n’ont pas envie de s’inscrire en premier cycle. Alors, on crée des programmes de second cycle qui sont un peu plus valorisants pour eux, qui amènent des améliorations salariales, et ne soyons pas dupes, qui amènent des revenus pour les universités. Car on reçoit [du ministère] plus d’argent pour un étudiant de second cycle qu’un étudiant de premier cycle. C’est plus payant de créer un programme de deuxième cycle. »

En outre, la création des certi�cats, et aujourd’hui celle des programmes courts de second cycle ont été l’occasion, pour les universités, d’innover, de diversi�er et de professionna-liser l’ensemble de leurs programmes. Un autre mécanisme associé aux certi�cats a rapi-dement contribué à élargir le bassin de recrutement des étudiants adultes  : les centres d’études universitaires et les sites hors campus qui ont dispensé des cours ailleurs que sur les campus principaux des universités (Corbo, 1994).

Ces délocalisations se sont accélérées depuis les années 2000 alors que les règles de �nan-cement des universités accentuaient l’importance du �nancement selon le nombre d’étu-diants. La conséquence a été un accroissement de la concurrence interuniversitaire dans la quête aux étudiants. Ainsi, la grande région de Montréal accueille une majorité de ces centres d’études et pour plusieurs, le campus principal se situe dans d’autres régions du Québec.

Un permanent du Conseil supérieur de l’éducation, Québec (2011) déclare ainsi :

« Chez nous, c’est le terrain de la compétition : "envahissons le marché". Historiquement, on a eu les constituantes de l’Université du Québec dont on a dit, à tort, qu’elles avaient une vocation

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régionale. Ces universités sont aussi des pôles de développement national, voire international. L’université d’Ottawa a des panneaux pour recruter à la sortie du métro de l’UQAM et l’uni-versité de Sherbrooke est logée à l’autre bord du �euve, à Longueuil [banlieue de Montréal]. »

En parallèle à cette o�re de programmes et de modalités favorables à la présence des adultes dans le secteur des cours crédités, une autre innovation institutionnelle est apparue : les services à la collectivité. Des structures relativement petites au sein des universités ont pour mandat de réaliser des formations non-créditées et des activités de recherche en par-tenariat avec des groupes dont l’accès aux ressources universitaires est en théorie faible : centrales syndicales, groupes de femmes, groupes communautaires et groupes de citoyens.

1.3 Une professionnalisation endogène et ses marges

L’éducation des adultes a été un facteur de démocratisation de l’accès aux études post-secondaires. En e�et, l’ouverture des universités à des étudiants plus âgés (�gure 1), en situation de retour aux études, inscrits le plus souvent à temps partiel, s’est largement réalisée en accord avec des motivations liées à l’emploi et dans l’espoir d’une mobi-lité professionnelle. Certains programmes ont aussi été fréquentés par des groupes professionnels en processus «  d’universitarisation  » (Fourdrignier, 2009), comme les in�rmières et les enseignants dans les années 1970.

Source : données issues du système de Gestion des données sur les e�ectifs universitaires (GDEU) du gouvernement du Québec.

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�errien (1997) rappelle que plusieurs programmes du soir, pensés pour les adultes, n’avaient pas de correspondance directe en formation de jour (ex. toxicomanie), pour des formations à des carrières en émergence (ex. les relations publiques), pour le per-fectionnement de certaines catégories professionnelles en lien avec l’élévation des exigences scolaires de ces professions ou bien en raison de l’évolution rapide des tech-nologies et des savoirs (administration, santé, éducation, etc.).

Sur la base de sondages auprès des étudiants de plus de 25 ans inscrits à l’Université de Montréal, en 1976, puis en 1979, il ressort que pour 71 % d’entre eux, l’insertion scolaire est associée à leur activité de travail. Leur répartition par domaine d’études souligne l’attractivité des domaines professionnels. Les programmes en administration recueillent le plus de su�rages (43 % en 1979), suivent les sciences humaines (19 %), les sciences de l’éducation (18 %) et la santé (9 %) (Granger, 1980 ; �errien, Doray et Paquet, 1980). Des informations plus récentes tirées des données administratives (2000 et 2016) montrent que l’administration obtient toujours le plus de su�rages des plus de 25 ans (30 %), viennent ensuite les sciences humaines (15 %) et les sciences appliquées (12 à 13 %). Pour les moins de 25 ans, on observe une distribution plus étendue (aucun domaine n’obtient plus de 20 % des su�rages) et un certain alignement avec les options prises par les plus âgés.

La professionnalisation a pris un autre visage à la �n de la décennie 1980 et au début des années 1990, avec la mise en œuvre d’une politique de soutien à la formation parrainée ou sur-mesure. Ces activités sont en grande partie non créditées, plani�ées et organisées à la suite de demandes d’entreprises, d’ordres professionnels ou d’autres organisations et elles sont destinées à leurs salariés ou à leurs membres. Cette politique tient en partie à une volonté du gouvernement fédéral de modi�er le �nancement de la formation de la main-d’œuvre en soutenant directement les employeurs plutôt que les institutions d’enseignement. L’objectif est d’orienter les ressources éducatives vers les besoins des entreprises en vue du retour à une croissance économique continue. Le gouvernement québécois s’opposant à ce changement, un compromis a été trouvé en développant dans les di�érents ordres d’enseignement, dont les universités, des services de formation sur-mesure à destination des entreprises, des administrations et des orga-nisations professionnelles.

Cette politique a connu une institutionnalisation plus forte lors de l’adoption, en 1995, d’une loi favorisant le développement des compétences et la formation de la main-d’œuvre. Les entreprises dont la masse salariale atteint un certain seuil doivent dépenser (ou investir) au moins 1 % de la valeur de leur masse salariale pour la forma-tion de leurs employés. Ces deux décisions gouvernementales ont conduit à créer un marché de la formation continue. Les étudiants inscrits à ces formations ne font pas partie de l’e�ectif étudiant comptabilisé à des �ns de �nancement public. Les instances qui organisent ces formations, relevant de facultés ou de vice-rectorats, sont tenues à

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l’auto�nancement. Les pressions pour accumuler des surplus �nanciers sont fortes, surtout en période de coupes budgétaires.

Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE, 2010) ainsi qu’une recherche récente (Doray et al., 2017) soulignent la variété des pratiques mises en œuvre dans ce cadre, ainsi que les dé�s d’articulation des demandes avec l’expertise interne des universités. Cette o�re parrainée – dont on va voir qu’elle constitue l’idéal-type du système français – est méconnue statistiquement. La comptabilisation des participants à ces activités de formation non-créditée est très di�cile à réaliser en raison de l’inexistence de données centralisées à l’échelle provinciale et de leur dispersion à l’intérieur des universités entre di�érents services. En outre, les acteurs des universités rechignent à divulguer des informations sur ces activités en raison de la forte concurrence qui structure le marché. Dès les années 2000, ce volet de la formation des adultes est devenu une priorité pour les acteurs institutionnels des établissements.

En somme, la professionnalisation des universités québécoises par la formation des adultes a d’abord pris le visage d’une formation créditée associée à des préoccupa-tions professionnelles. Son institutionnalisation, dans les années 1960, s’appuie sur une tradition d’ouverture des universités aux adultes, c’est-à-dire d’étudiants en retour aux études. L’o�re et la demande de formation se rejoignent pour façonner des pro-grammes à caractère professionnel dont la teneur a changé au cours des années. La �n des années 1980 marque le début de l’institutionnalisation d’un circuit éducatif parallèle, la formation sur-mesure pour les entreprises et les organisations profession-nelles, mise en œuvre dans des instances spéci�ques et en fonction de régulations fort di�érentes de celles qui prévalent dans la formation créditée. Le caractère endogène de la professionnalisation est alors atténué par le poids des organisations économiques dans la plani�cation des activités de formation, fondée sur une régulation conjointe.

2I En France, une professionnalisation exogène

En France, il convient d’être à la fois en dedans et en dehors du secteur universitaire pour appréhender les matrices cognitives et matérielles de la formation des adultes à l’université, rassemblées sous le syntagme formation professionnelle continue (FPC) (2.1.). La FPC établit les conditions d’une professionnalisation de l’université à carac-tère exogène, car la formation des adultes relève d’abord du champ de l’emploi et du travail (2.2.). Finalement, le service de formation des adultes à l’université se construit sur la base de tensions exogène/endogène ainsi que marché/secteur public (2.3.).

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2.1. L’ambition de la formation professionnelle continue (1950-1971)

L’activité de formation des adultes se structure selon des modalités exogènes à l’univer-sité, en raison de trois événements historiques, survenus entre 1950 et 1975. D’abord, l’engouement, pendant l’entre-deux guerres et après la Seconde Guerre mondiale, pour l’éducation des adultes et l’éducation permanente, ne s’est pas traduit par un appel aux universités (Manifet, 2015). Les mouvements d’éducation populaire comme ceux en faveur de la formation dans les milieux de travail suspectent le secteur public de ne pas pouvoir répondre aux besoins de formation des adultes.

Ensuite, dans les années 1950, les facultés et les écoles d’ingénieurs participent, à des degrés divers, au mouvement en faveur des adultes par des cours du soir, par une o�re de diplômes d’établissements de durée courte (certi�cats) et par diverses autres initiatives (Laot, 1999 et 2009). Des dispositifs contribuent à sensibiliser l’ensemble du secteur aux besoins des adultes, comme la reconnaissance du titre d’ingénieur sur la base d’acquis professionnels ou l’Examen spécial d’entrée à l’université (ESEU) qui ouvre l’université aux non-bacheliers et deviendra, en 1996, le Diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU), un équivalent au baccalauréat. À l’époque, il existe à l’université deux statuts, celui d’étudiant, celui d’auditeur libre. Mais, à l’intérieur du statut d’étudiant et sur présentations de pièces justi�catives, des aménagements sont possibles pour les étudiants-salariés (mi-temps, téléenseignement, examen �nal plutôt que contrôle continu) ainsi que pour ceux qui, pour di�érentes raisons familiales, pro-fessionnelles ou de résidence à l’étranger, ne peuvent pas être assidus.

Émanent aussi des facultés, les Instituts de la promotion supérieure du travail qui poursuivent di�érents objectifs et s’intéressent à di�érents publics  : rapprocher les chercheurs des acteurs économiques, faire de la recherche pédagogique, former les for-mateurs, former les jeunes peu diplômés et les travailleurs dans un but de rattrapage et de promotion individuelle, former les syndicalistes ou les cadres de l’éducation popu-laire dans un but de promotion collective7.

On observe néanmoins que, progressivement et à partir des années 1960, les acti-vités des universités se concentrent sur la formation initiale et le développement de la recherche. Les politiques successives de démocratisation scolaire visent à élever le niveau d’études des jeunes générations ; ce principe se répercute de l’école à l’univer-sité. En matière de formation, les universités concentrent leurs e�orts sur la gestion de la croissance continue du public en formation initiale. La situation est critique à la �n des années 1960. Elle le redeviendra entre la �n des années 1980 et le milieu des années 1990 (�gure 2). Au milieu des années 1990, la France est un des pays de l’OCDE qui maintient le plus grand nombre de jeunes dans le système de formation initiale entre

7. Le CUCES (Centre universitaire de coopération économique et sociale), créé à Nancy en 1954, est le plus connu.

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20 et 24 ans et les jeunes français valorisent encore largement les études pour elles-mêmes (Galland, 2000). La diversi�cation et la professionnalisation des contenus de formation sont des moyens de la scolarisation de masse avant de devenir des priorités au moins équivalentes à partir de la décennie 1990. Les dispositifs mis en place dans les années 1950, et favorables à l’éducation permanente, ne sont pas supprimés, mais ils sont peu valorisés et ne sont pas développés.

Source  : données créées à partir du Système d’information et de suivi des Étudiants (SISE) du ministère de l’Enseignement supérieur français pour les années postérieures à 2005 et à partir d’autres publications ministérielles pour les années antérieures, « Informations statistiques » et « Tableaux statistiques » notamment.

Finalement, l’intégration de la formation pour adultes dans les politiques publiques accentue la mise à distance des universités de la gestion des besoins de formation des adultes. Alors que dans les années 1950, des lois instituent la promotion sociale des salariés, valorisent la formation dans un sens large et reconnaissent divers types de for-mation (Dubar et Gadéa, 1999), en 1971, la loi sur la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente, conçue comme un volet d’une politique globale, va devenir prépondérante et orienter les actions vers les milieux de travail. Basée sur un accord impliquant patronat et syndicats, cette loi marque un tournant en instituant un droit à la formation des salariés et un devoir de �nancement des employeurs, selon deux modalités : l’accès au congé-formation et le plan de formation de l’entreprise, le premier ayant connu des di�cultés d’institutionnalisation, en particulier pour accéder à la formation universitaire.

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Cette politique vise à apaiser les relations au travail et la formation continue devient un instrument de gestion du rapport salarial. Qui plus est, elle exprime une volonté de changer l’État, sous couvert du slogan de « société nouvelle », en passant d’une concep-tion volontariste de son action à une conception partenariale, quali�ée de «  sociale-démocrate » (Dubar, 2004, p. 18). Sous cet angle, cette loi marque aussi un tournant dans le champ de l’éducation.  Elle donne corps à une nouvelle politique éducative, externalisée par rapport au champ éducatif, car co-pilotée par le ministère du Travail et les partenaires sociaux que sont les syndicats d’employeurs et de salariés, puis les Conseils régionaux, depuis les années 1980. Elle institue un quasi-marché de la for-mation. Les fournisseurs de formation, privés et publics, dont les missions principales sont la formation ou non, sont tenus de respecter les règles édictées, sans distinction de statuts et de missions, et pour l’intérêt des besoins en compétences des employeurs et des travailleurs.

2.2. Dans les universités, un service à part de formation continue

La mise en œuvre de la FPC a généré l’espoir d’une professionnalisation généralisée de l’o�re universitaire par l’implantation de règles de production, de sources d’inspiration et de revenus externes, issus de l’univers de l’emploi (Feutrie, 2002). Or, les e�ets de cette politique ont plutôt été de complexi�er le service public universitaire par la seg-mentation des publics et la cohabitation de règles de droit di�érenciées. La formation continue et les adultes ont été marginalisés dans les universités.

Un premier décret (1984) porte sur la reconnaissance des acquis de l’expérience pro-fessionnelle pour accéder à tous les niveaux de l’enseignement supérieur. Les décennies suivantes, la politique de validation des acquis s’est éto�ée et élargie vers une logique de validation de niveaux de diplômes. Un second décret (1985) légifère sur des modes spéci�ques de �nancement et de gestion de la formation continue universitaire, tels que l’obligation d’auto�nancement et l’établissement d’une comptabilité séparée. Dans ce nouveau cadre, l’appellation adulte n’est pas d’usage. Les personnes qui ont interrompu leurs études et qui sont actifs, en emploi ou en recherche d’emploi et qui s’inscrivent à l’université prennent en e�et le statut de stagiaire. Leur formation est payante et les tarifs doivent s’aligner sur les coûts réels. Les stagiaires signent une convention avec l’université et �nancent leurs études grâce aux cotisations des employeurs et/ou sur leurs fonds propres.

L’adjonction de ce monde, nouveau et à part, de la formation continue au sein des établissements, ouvre de nouvelles discussions, comme par exemple à Toulouse, sur les aménagements des études et des examens pour les étudiants salariés ou placés dans d’autres situations les empêchant d’être assidus. Or, ces ré�exions ne sont pas intégrées ou même simplement reliées au nouvel enjeu posé par la loi de juillet 1971 sur la for-mation professionnelle continue, dont la mise en œuvre s’avère par ailleurs hésitante.

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Extrait de l’exposé du président, PV du conseil de l’université du 12 décembre 1972, université de Lettres et Sciences humaines de Toulouse :

« Le président a tenu à insister sur la mission fondamentale de l’université en matière de formation continue, même si elle n’en a pas le monopole. Si l’université refusait de participer à cet e�ort indispensable de remise à jour des connaissances que la nation attend d’elle, elle se priverait d’une occasion unique de renouvellement. La crainte d’une dévaluation des forma-tions universitaires ne paraît pas fondée, surtout si l’on considère que les universités ne sont pas obligées de faire de la formation continue à n’importe quel niveau puisqu’elles n’en ont pas le monopole. De plus, il faut éviter que les universitaires soient contraints d’aller ailleurs pour faire de la formation continue, car l’université se doit d’assurer directement sa double fonction dans ce domaine, à la fois culturelle et de recyclage proprement dit (amélioration de la quali�cation). »

Des services communs de formation continue sont le plus souvent créés dans les établis-sements qui prennent en charge cette mission, en appui des entités pédagogiques dans le meilleur des cas, ou en parallèle et en réponse au faible investissement des personnels enseignants le plus souvent. Leur rôle est délicat. Ils ne sont en e�et pas censés produire de façon autonome une o�re de formation, mais « valoriser » les ressources disponibles dans les universités tout en ayant une approche marché (Manifet, 2012) – par exemple, leurs formateurs doivent se répartir de manière équitable entre enseignants de l’univer-sité et intervenants externes reconnus pour leurs compétences dans le domaine profes-sionnel considéré.

Un directeur de service commun, université pluridisciplinaire, France (2007) déclare ainsi :

« Je crois que la ligne directrice de notre service (…) on essaie de faire que toute notre orga-nisation soit bâtie de telle façon qu’elle réponde à la demande qui émerge. Le problème, c’est de cerner la demande et de ne pas partir de notre o�re. Ceci étant dit, il arrive que des pans entiers de notre o�re soient en rapport avec cette demande, mais que cette o�re ne soit pas assez connue. C’est donc aussi cette o�re qu’il faut savoir promouvoir, pour la faire connaître. »

Dans tous les cas, le développement de cette activité de formation continue, selon les termes de la loi de 1971, dépend largement des dispositifs et des moyens alloués tirés du champ du travail et de l’emploi. Pour obtenir le statut de stagiaire à l’université, le candidat, salarié, indépendant, chef d’entreprise ou demandeur d’emploi doit d’abord répondre aux conditions statutaires d’éligibilité établies par la politique de FPC et ses principaux acteurs  (les employeurs pour le plan de formation, les commissions pari-taires et les Organismes paritaires collecteurs agrées – OPCA – pour le congé individuel de formation – CIF –, les Régions et Pôle Emploi pour les demandeurs d’emploi) 8. Le

8. Les CIF constituent la formule la plus adaptée pour l’université : ils ouvrent la possibilité de formation sur

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développement de la formation continue universitaire dépend ensuite des dispositifs émanant du champ universitaire (procédures de validation ou de dispense de titre, o�re adaptée et aménagée, information et communication, conseil et orientation).

2.3. Une professionnalisation exogène sous tension

La professionnalisation de l’université par la politique de formation continue prend �nalement deux formes polarisées, marchandisation de l’o�re à destination des adultes et/ou scolarisation d’une partie du public adulte. La formation continue inscrit d’abord les universités sur le marché de la FPC, répondant aux demandes émanant des milieux de travail et des acteurs publics. Elle contribue ainsi, par son caractère marginal9 et/ou « marchandisé  » (Agulhon, 2004  ; Caillaud, 2007) aux «  glissements  » de toute la politique de FPC (Dubar, 2004) par rapport à ses objectifs initiaux : la prépondérance des logiques économiques et la minorisation des logiques de promotion sociale  ; une politique des prescripteurs publics (service public de l’emploi et régions) sous contrainte d’une situation de crise, focalisée sur l’emploi, la lutte contre le chômage, le placement ou le maintien dans l’emploi ; la marchandisation des opérateurs placés en concurrence et construisant leur o�re en fonction des critères et des fonds de la FPC.

Bien que la formation continue soit parmi les trois missions universitaires fondamen-tales et que les évaluations successives enjoignent les établissements à vraiment investir cette mission, les universités n’ont jamais été considérées ni positionnées comme des acteurs privilégiés de la FPC. Le dernier rapport de l’Inspection générale de l’admi-nistration de l’Education nationale et de la Recherche (IGAENR) le souligne, tout en promouvant « une plus grande prise en compte des universités dans la gouvernance régio-nale » (2014, pp. 88-93). Le dialogue entre les partenaires sociaux se fait sans elles et leur est défavorable. Les publics-cibles de la politique de FPC sont ceux pour lesquels l’o�re universitaire est moins attractive ou désignée inadéquate (salariés du secteur privé plutôt que du secteur public, formations courtes et ciblées, jeunes et adultes aux faibles quali�cations). En�n, les conditions de mise en œuvre de l’o�re de formation tendent à assimiler les fournisseurs de formation à des opérateurs de formation au service de

une o�re plus large, sur un temps plus long et sur le temps de travail. Mais il n’y a pas l’assurance que ce droit s’accompagne d’un maintien de la rémunération. C’est l’OPCA auquel cotise l’entreprise au titre du CIF qui décide. Jusqu’en 2014, le droit individuel à la formation octroyait 20 h de formation/an avec possibilité de cumul sur six ans et plafond à 120 heures, le plus souvent hors du temps de travail, le soir ou le week-end, en lien étroit avec l’emploi occupé et �nancées par l’entreprise. Depuis 2015, il a été remplacé par le compte personnel de formation qui peut rouvrir les possibilités de formation à l’université.9. Les établissements d’enseignement supérieur dans leur ensemble (universités, CNAM – Conservatoire national des arts et métier –, écoles) représentent près de 3 % du chi�re d’a�aires des opérateurs de FPC (Grille, 2014). Ce pourcentage représente 448 000 stagiaires qui se répartissent entre des programmes prépa-rant aux diplômes nationaux et ouverts à la formation continue (30 % des stagiaires), des diplômes d’univer-sités adaptés à la formation continue (22 %), des stages courts (23 %) et des conférences à caractère culturel (21 %).

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l’adaptabilité et de l’employabilité des individus. La tendance actuelle n’est pas à une mise en question du compromis fonctionnel, mais plutôt à son élargissement, puisque désormais les règles de la FPC s’étendent au public de la formation initiale (formation par alternance ou par apprentissage).

L’engagement variable des universités et l’attrait que peut receler le marché de la FPC pour leur �nancement conduit à des disparités fortes entre établissements. Aujourd’hui, dix-neuf universités sur près de 80 accueillent 50  % des stagiaires de la formation continue universitaire et réalisent 52 % du chi�re d’a�aire du secteur (IGAENR 2014, p. 25). Ces « conquérants » (Manifet, 2012) développent di�érentes stratégies de déve-loppement de leur o�re de formation continue  : une o�re courte non diplômante à destination des salariés en plan de formation et �nancée par les entreprises ; une o�re plutôt institutionnelle et sociale, �nancée par les prescripteurs publics et à destination des publics salariés aidés ou en recherche d’emploi ; une o�re fortement orientée vers la demande individuelle, ciblée sur l’o�re diplômante et à caractère culturel, �nancée plutôt par les particuliers.

Cependant, la marchandisation évacue un pan de la demande individuelle des adultes à laquelle les universités répondent par des pratiques inclusives non prévues ou écartées par la politique de FPC. Le ministère de l’Enseignement supérieur lui-même a créé, dans les années 2000, un nouveau statut d’inscription à l’université  : celui de reprise d’études sans �nancement, pour tenter de rendre visible cette demande adulte dissimulée sous le statut « étudiant » et admettre à demi-mot une prise en charge sur son budget. Du côté des établissements, ces pratiques inclusives peuvent exprimer une revendica-tion de savoir et de pouvoir répondre de façon endogène aux besoins de formation des adultes et des employeurs. C’est ainsi que la majorité des universités françaises vantent aux candidats stagiaires le fait que toute leur o�re de formation initiale est ouverte à la formation continue. Elles valorisent les formations d’un an et plus ainsi que les forma-tions diplômantes, dont les calendriers et les horaires exigent une disponibilité pendant les jours et les heures normalement travaillées dans l’entreprise.

3I Quelles sont les dimensions de la professionnalisation de l’université ?

Le travail de reconstitution comparé des ancrages intellectuels, institutionnels et orga-nisationnels de la formation des adultes à l’université, en France et au Québec, permet de comprendre des trajectoires singulières de professionnalisation, tout en révélant des catégories transversales aux deux sociétés : les singularités o�rent la possibilité de rap-prochements analytiques et la montée en généralité (Figure 3).

Au Québec, l’idéal de l’éducation permanente a été repris par les acteurs éducatifs de tous les ordres d’enseignement. Le mode de professionnalisation est endogène parce que

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les réformes inscrivent le développement de l’éducation permanente dans les institu-tions scolaires, dont les universités. La professionnalisation y est présente par la gamme de programmes destinés à un public adulte, dont la participation est fortement orientée par l’emploi. Les adultes sont intégrés aux programmes crédités, souvent pensés pour eux. La formation des adultes a joué un rôle dans la diversi�cation et la professionnali-sation des programmes universitaires dans leur ensemble.

En France, au contraire, la professionnalisation des formations universitaires (Gayraud, Simon-Zarca et Soldano, 2011) n’est pas dépendante des stratégies en faveur des adultes, bien qu’il faille tenir compte du fait que, désormais, le modèle de la FPC régule aussi le processus de professionnalisation de la formation initiale. Ce modèle a, à l’origine, construit une professionnalisation à part, ciblée sur les adultes, et quali�ée d’exogène. Il s’agit de produire une o�re de formation conçue de façon convention-nelle entre employeurs, prescripteurs, stagiaires et universités. De ce point de vue, la con�guration française fonctionne sur une division polaire, comme l’a déjà montré Éric Verdier en quali�ant le régime français d’  « académique  »  :  «  tout se passe avant 25 ans puis l’entreprise adapte les compétences des individus à ses besoins avec le soutien actif des pouvoirs publics » (2008, p. 216). Cette dualité formation initiale/formation continue n’a pas facilité les négociations de normes de la formation pour adultes et des programmes universitaires traditionnels. Elle a en outre alimenté la focalisation des instances régulières des universités sur leur public traditionnel, jeune et en continuité de formation.

Avant tout, la formation des adultes se pose comme un enjeu sociétal de part et d’autre de l’Atlantique et de ce point de vue, il y a convergence. Les objectifs associés sont similaires ainsi que variés, révélant un système complexe d’intérêts. L’importance des études est reconnue pour l’intérêt personnel des adultes, l’avancement de carrière et la mobilité sociale, mais aussi pour la croissance des entreprises, le développement social et économique et la cohésion des nations. Le débat sur l’éducation des adultes fût rela-tivement concomitant au Canada et en France, au cours des années 1950-60, en lien avec la prise en charge de ces questions par l’UNESCO. On note alors que, dans les deux cas, l’articulation formation-emploi ne constitue pas à elle seule un enjeu assez englobant pour mettre l’ensemble de la société en mouvement. C’est l’idéal de l’édu-cation permanente qui tient ce rôle, intégrant l’articulation formation-emploi dans un schème plus large associant l’éducation et les autres univers sociaux, économiques et politiques, ainsi que les enjeux de promotion individuelle, de développement écono-mique et de cohésion sociétale.

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Figure 3 : Trajectoires et catégories de la professionnalisation des universités : la formation pour adultes

Échelles de structuration de la professionnalisation

Les catégories de la professionnalisation

QuébecProfessionnalisation

endogène

FranceProfessionnalisation

exogène

Échelle sociétale La projection sur laquelle se construit le consensus sociétal

Éducation permanente puis Formation tout au long de la vie

Éducation permanente puis Formation tout au long de la vie

Échelle étatique (ou système politique)

La gouvernance : la place, le rôle de l’État

« Révolution tranquille » « Société nouvelle »

Échelle intersectorielle L’articulation Formation & Emploi  Convention libérale « Éducation des adultes »

Convention Fonctionnelle« Formation professionnelle

continue »

Échelle sectorielle La fonction, la place et le rôle des universités

Institution ouverte Institution sanctuaire

Échelle des universités (Institution, Organisation, Établissement)

Construction institutionnelle des besoins et des attentes de l’adulte :

quelle conception de l’individu et de sa place dans le système de formation

et de production ?

Finalité de l’adulte = professionperspective, individuelle (service à la clientèle) et intégrative (non

segmentation des publics)

Finalité de l’adulte = l’emploiperspective structurelle (réponse aux employeurs et prescripteurs)

et di�érenciée (création d’un segment « stagiaire »)

Dispositifs d’aménagement des contenus et des parcours d’études :

quelle conception des savoirs à transmettre ?

Plutôt parcours aménagé Temps partiel, certi�cats, calendrier trimestriel, cours du soir et de �n de semaine, valorisation de l’expérience

pour l’accès aux études

Plutôt contenu aménagé Service commun de formation continue comme sas d’entrée

et premier accueil, stages courts, diplômes d’université,

masters professionnels ouverts à la FC, validation des acquis de

l’expérience

Source : Tableau synthétique créé par les auteurs.

En continuité, l’enjeu de l’éducation permanente se traduit, dans les deux sociétés, par une ré�exion sur le rôle et la place de l’État et s’oriente vers une voie alternative de gou-vernance étatique associée à des projets de société ambitieux – révolution tranquille au Québec, société nouvelle en France  – quali�és tous deux de sociaux-démocrates. Il se trouve que ces idées similaires s’inscrivent dans des trajectoires  sociétales. Au Québec, il s’agit de renforcer l’État dans son rôle d’encadrement de la société et du système édu-catif et en France, de décentraliser sa place dans la société et le système éducatif.

Ensuite, les liens entre éducation, emploi et travail sont problématiques à construire dans tous les cas, mais donnent lieu à des arbitrages qui di�èrent. La hiérarchie des valeurs associées à l’éducation permanente est par exemple divergente et valorise �nalement deux conceptions de la professionnalisation. La gestion du rapport politique entre éducation, travail et emploi est plutôt « libérale » au Québec (Schuller et al., 2002), fondée sur une convention selon laquelle l’école est garante d’une protection face à la demande d’emploi

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tout en étant un outil de mobilité sociale, alors qu’elle est plutôt «  fonctionnelle  » en France parce qu’on accorde une priorité à la préparation à l’emploi10.

En�n, une autre convention d’ordre sociétal et étatique, imbriquée aux précédentes, concerne la fonction, la place et le rôle des universités dans la société, ainsi que leur rap-port à l’État. D’un côté, le gouvernement et la société font con�ance aux universités pour répondre à cet enjeu, de l’autre moins. C’est sans doute que, d’un côté, l’Université béné-�cie d’une image d’institution ouverte. Les universités québécoises, à l’instar des univer-sités nord-américaines, fonctionnent sur un principe d’autonomie vis-à-vis du politique. Elles ont investi l’éducation des adultes de longue date, non pas à la suite d’une injonction politique, mais parce qu’il s’agit d’un espace d’opportunité de développement, conver-gent avec l’enjeu politique de la démocratisation des études universitaires. En France, au contraire, du fait d’une intégration plus étroite à l’appareil d’État, on reproche aux acteurs du secteur de fonctionner sur une logique d’institution-sanctuaire. De plus, les priorités de la politique nationale de démocratisation scolaire conduisent les universités à concentrer leurs e�orts sur les publics jeunes dans un objectif d’accessibilité. Dans ce contexte, l’autre demande politique de s’engager dans la formation professionnelle continue, selon une articulation fonctionnelle apparaît secondaire et impose un grand écart par rapport aux principes et aux normes dominantes des activités universitaires. L’institution Université résonne donc di�éremment dans les deux sociétés en fonction des modalités du rapport société/université et du rôle d’intermédiation assuré par le système politique.

À l’échelle des universités, les besoins et les attentes du public adulte comme les savoirs à transmettre ne sont pas rationalisés de la même manière. Ainsi, le développement d’une culture de la demande adulte a pris deux orientations distinctes : celle d’une culture du public adulte (Québec), celle d’une culture de la demande du monde du travail (France). Dans un cas, on se préoccupe particulièrement de l’aménagement des parcours, dans l’autre, de celui des contenus. Ces deux orientations, l’une orientée vers les personnes, l’autre plutôt organisationnelle, ne sont pas sans lien avec des dé�nitions distinctes de ce qu’est le travail (Dubar et Tripier, 2005). La perspective québécoise s’approche plutôt du sens anglo-saxon de la profession, c’est-à-dire un ensemble de personnes exerçant un même métier pour lequel la professionnalisation consiste en la construction d’une quali�cation par un diplôme universitaire. La vision française assimilerait la profession à l’emploi que l’on occupe et à la fonction que l’on exerce dans une organisation (Fourdrignier, 2009).

Conclusion

L’approche sociétale de la comparaison internationale a permis d’appréhender comment un enjeu commun, la professionnalisation des universités, se décline en des composi-tions complexes de valeurs, d’intérêts, d’acteurs et de dispositifs à di�érentes échelles de

10. Une autre possibilité serait l’autonomisme radical (Radical separatists) qui ne fait aucun lien entre édu-cation, emploi et travail.

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régulation à partir desquelles il a été possible de dégager des cohérences sociétales. La comparaison intervient alors comme une étape nécessaire à la théorisation, permettant l’émergence de catégories générales concernant la professionnalisation des universités et à partir desquelles les singularités prennent tout leur sens.

Les con�gurations sociétales sont loin d’être �gées et leurs singularités ne sont ni exem-plaires, ni l’expression d’une essence culturelle, ni déterminées par les moments fondateurs (Révolution tranquille ou Société nouvelle). Mais elles se construisent historiquement à partir de décisions collectives et de processus de rationalisation, d’institutionnalisation et de normalisation des pratiques (Powell et Maggio 1997).

À cet égard, les deux sociétés observées o�rent la possibilité, après les rapprochements analytiques, d’opérer des rapprochements empiriques. Après les accords fondateurs des années 1960 et 1970, est-on arrivé à un tournant dans les modalités du rapprochement formation-emploi à l’Université et dans les deux sociétés étudiées  ? L’environnement politique, économique et social des universités fait pression sur celles-ci pour qu’elles changent, qu’elles se repositionnent et assument des fonctions nouvelles en matière de formation tout au long de la vie (Nesbit, Dunlop & Gibson, 2007).

On observe une certaine convergence en faveur de conventions de type fonctionnel. Au Québec, ce type de convention est devenu une norme équivalente à la convention libé-rale, avec la formation sur-mesure. Cette orientation s’explique en grande partie par les changements des politiques publiques des pays occidentaux qui ont visé le retour à une croissance économique continue tout en s’adossant à des �gures « d’Etat-marché » (Muller 2004), prégnantes en matière éducative.

Ces orientations en faveur de l’o�re parrainée sont désormais communes aux deux sociétés, pour des raisons également �nancières et pour faire face à l’austérité budgé-taire dans les secteurs publics. Il se trouve que les catégories nationales de la formation continue universitaire sont perméables aux transferts issus d’autres situations nationales ou de modèles internationaux. Or, l’UNESCO n’est plus le seul référent international des pratiques nationales en matière de formation pour adultes, au pro�t de l’entrée en scène de l’OCDE et de la Commission européenne, dont les systèmes d’information ont récemment intégré des indicateurs ayant trait à la formation des adultes (Eurostudent Eurostat, 2009 ; OCDE, 2013). En parallèle, le concept de formation tout au long de la vie remplace celui de l’éducation permanente et se décline socialement par une attention plus grande (Québec) ou accentuée (France) accordée à la pertinence des formations par rapport au marché de l’emploi.

Il n’est pas dit qu’une telle orientation soit tenable et e�cace. La professionnalisation des universités est une question éminemment politique (Verdier, 2008, p. 203) qui suppose des arbitrages sur des questions majeures, d’abord sur les projets de société à partir des-quels peut se justi�er la conduite d’un rapprochement entre formation et emploi. Quand bien même ce rapprochement est quasi-naturalisé dans les sociétés contemporaines mar-

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quées par le poids symbolique et matériel de l’économie (en référence à Karl Polanyi) (Chambard et Cozanet, 2016), il fait toujours l’objet de débats, de confrontations et/ou de négociations et les compromis institués ne sont ni stéréotypés, ni unilatéraux, mais relèvent d’équilibres tenables entre di�érents espaces sociaux, activités, intérêts, valeurs et normes. La professionnalisation des universités (Lessard et Bourdoncle, 2002) engage des arbitrages sur les responsabilités partagées de l’État, du système économique et du système d’enseignement, sur la place et le rôle d’intermédiation des systèmes politiques, sur la fonction, la place et le rôle des universités dans la société et leur dépendance/autonomie à l’égard des systèmes politique et économique, sur la fonction, la place et le rôle du travail et de l’emploi, et en�n sur la place accordée aux individus dans les systèmes de formation et de production.

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Fabriquer / devenir un enseignant du supérieur professionnalisant.

Le tutorat en IUTSTÉPHANIE TRALONGO

Maîtresse de conférences en sociologie. Equipe MEPS (Modes Espaces et Processus de Socialisation) du Centre Max Weber, UMR 5283

Résumé

n Fabriquer / devenir un enseignant du supérieur professionnalisant. Une enquête en IUT sur le tutorat

Comment les enseignants et enseignants-chercheurs en Instituts universitaires de techno-logie (IUT) apprennent-ils à participer à des activités de professionnalisation des étudiants ? L’exemple choisi est un dispositif de tutorat, qui signi�e un suivi régulier et répété d’étu-diants en entreprise par les personnels d’enseignement et de recherche. L’enquête monogra-phique met en évidence un processus de socialisation s’appuyant sur des dispositions plus ou moins préalablement constituées dans di�érents contextes (familiaux, d’études, profes-sionnels), qui contribue à façonner une hétérogénéité dans les pratiques professionnelles et des relations resserrées avec le monde économique.Mots clés : tutorat, enseignement supérieur, IUT - Institut universitaire de technologie, enseignant, socialisation professionnelle, activité professionnelle, représentation du travail

Abstract

n How higher education teachers learn how to follow students performances in companies during internships? A study of the tutoring organization and its socializations’e�ects

�e article focuses on the ways in which teachers in higher education learn how to par-ticipate in the professional training of students. It is based on a sociology of socialization theoretical approach. �e issue deals with the question of the organization of relationships between a University Institute of Technology (IUT) and the workplace. �e example deve-loped by a monographic method is tutoring : on our �eld of study it means teachers sup-porting students on the workplace during internships. �e article studies the institutional organization of tutoring and its appropriation by teachers.Keywords: tutoring, higher education, university institute of technology, teacher, professional socialisation, vocational activity, perception of workJournal of Economic Literature: I 23, M 54

Traduction : Auteure.

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La professionnalisation des étudiants, des formations, des savoirs, de l’université étant polymorphe, polysémique1, ses modalités de mises en œuvre et ses e�ets posent d’au-tant plus question. On se propose de s’intéresser à ceux par lesquels elle est censée passer – autrement dit les enseignants et enseignants-chercheurs – en se demandant de quelles manières ils sont amenés à participer à cette professionnalisation. La recherche est restreinte au terrain des Instituts universitaires de technologie (IUT).

Créés au milieu des années soixante, les IUT concentrent, au sein des universités, des pratiques de professionnalisation des étudiants qui restent largement à mettre au jour et à interroger. Cent-treize IUT sont ainsi répartis sur tout le territoire français. Ils déli-vrent principalement deux types de diplômes : l’un en propre, le Diplôme universitaire de technologie (DUT) et un autre, partagé avec d’autres composantes universitaires, la licence professionnelle (Maillard et Veneau, 2006), comptabilisant entre 4 et 5 % des e�ectifs étudiants2. En termes d’e�ectifs enseignant, pour l’année 2014-2015, les IUT comptaient 9  384 titulaires d’enseignement et de recherche, se répartissant comme suit : 56 % d’enseignants-chercheurs (professeurs et maîtres de conférences) et 47 % d’enseignants du second degré détachés dans le supérieur (Certi�cat d’aptitude au pro-fessorat de l’enseignement et agrégation)3.

Au regard des types de diplômes de ces titulaires, l’hypothèse est celle une double cou-pure a priori : d’une part, on ne peut présupposer qu’ils ont été massivement familia-risés aux formations en IUT pendant leur propre parcours d’étudiant et, d’autre part, dans leur pratique professionnelle, ils auront à former majoritairement des étudiants pour des métiers ou univers professionnels di�érents des leurs.

Dès lors, quels sont les attendus institutionnels concernant les activités de profession-nalisation des étudiants auxquels les enseignants doivent prendre part ? Comment en prennent-ils connaissance et que font-ils ? S’agit-il pour les enseignants de transformer leurs pratiques professionnelles ? Si c’est le cas, comment la transformation s’organise-t-elle ? Comment est-elle prise en charge institutionnellement et avec quels e�ets ?

La problématique générale de la recherche s’inscrit ainsi dans une sociologie de la socialisation et, dans ce cas, de la socialisation professionnelle (Hugues, 1996 ; Dubar, 1991) exercée au cours de l’activité. La piste suivie ici est celle des e�ets de l’orga-nisation institutionnelle des relations aux entreprises pour les enseignants titulaires. L’entrée s’opère à partir d’une activité particulière, le « suivi4 » d’étudiants en entre-

1. Voir, par exemple, Quenson et Coursaget, 2012 ; Demazière, 2009 ; Maillard, 2012 ; Maillard & Veneau, 2006 ; Stavrou, 2011. 2. Source : MESR-DEGESIP/DGRI-SIES, note d’information 14.01 (2014).3.Source : RERS 2015 (Repères et Références Statistiques, ministère de l’Education nationale, (www.education.gouv.fr/cid57096/reperes-et-references-statistiques.html).4. Il s’agit du terme indigène. Une présentation plus précise du tutorat est e�ectuée en début de troisième partie. Il est à noter qu’il s’agit d’une autre forme d’organisation et d’autres acteurs que ceux étudiés sur divers

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prise, intitulé tutorat. Sur le terrain d’un IUT étudié de façon monographique (voir l’encadré méthodologique 1, en �n d’introduction), il consiste à a�ecter à chaque alternant5 un référent travaillant dans l’IUT, chargé de «  suivre » son immersion en entreprise (au moyen de rencontres ponctuelles e�ectuées en entreprise).

L’intérêt pour cette activité vient de son importance pour l’institution6  : elle doit concerner tous les personnels titulaires d’enseignement et de recherche dans cet IUT et, au-delà, certains personnels administratifs et vacataires. Le but explicite est une acculturation au monde de l’entreprise ; cela se matérialise par un e�ectif conséquent de tuteurs. Sur l’année de l’enquête (2012 -2013), six-cents alternants ont occupé un poste en entreprise, pour environ cent-quarante tuteurs (un tuteur pouvant « suivre » plusieurs alternants). Parmi cet e�ectif, peu �uctuant chaque année, on note la pré-sence de novices diversement familiarisés aux pratiques de cet IUT.

Les questions que se pose l’institution portent alors à la fois sur la transmission (fabri-cation de nouveaux tuteurs) et sur l’harmonisation des pratiques (entre les anciens et nouveaux tuteurs, entre les tuteurs, entre les diplômes).

L’importance institutionnelle du tutorat a pour conséquence une production abon-dante d’écrits, de formations, de pratiques, d’instruments et d’outils qui ont ainsi été élaborés au �l des ans pour l’organiser, o�rant la possibilité d’étudier le travail de cadrage produit par l’IUT sur cette activité.

Le terrain, ainsi que les éléments théoriques mobilisés pour évoquer la question de socialisation, dans ce contexte, sont présentés dans la première partie de l’article.

Il est à souligner que ce terrain possède plusieurs spéci�cités par rapport aux autres IUT. Elles concernent, d’une part, la conception centrale de l’objectif de profession-nalisation des étudiants qui est étendue à tous les diplômes et, d’autre part, le travail de mise en cohérence entre cette vision politique et les dispositifs, instruments, outils pédagogiques et managériaux développés pour l’opérationnaliser. Cela invite à consi-dérer ce terrain non comme représentatif des pratiques professionnalistes en IUT, mais

terrains, tels Bourdon & ali. (2014) ou Allouch et Van Zanten, mais dont le point commun réside dans le fait qu’on observe « une remise en cause à la fois de la distance professorale et de la centration des enseignants sur les seuls apprentissages de type intellectuel » (Allouch & Van Zanten, 2008).5. Le terme d’alternant, générique, est utilisé ici parce que les statuts juridiques de ceux qui forment les pro-motions dans l’IUT étudié sont di�érents (étudiant, apprenti, stagiaire de la formation continue).6. Précisons que le choix de focale sur une activité de professionnalisation constitue une coupure arti�cielle dans un ensemble de pratiques qui s’avèrent, sur le terrain, particulièrement nombreuses et diversi�ées, et dont le nombre a un e�et cumulatif contribuant à produire un cadre socialisateur pour les enquêtés. Les propos des enquêtés permettent d’observer un enchevêtrement et une articulation des e�ets des dispositifs, qui sont mobilisés dans l’analyse.

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DOSSIER

plutôt comme l’illustration d’une représentation (particulièrement organisée et à visée homogénéisante) de la professionnalisation des étudiants.

La seconde partie est consacrée à l’analyse du tutorat et des di�érentes manières dont les enquêtés ont débuté et cheminé dans cette activité.

Encadré 1 : Méthodologie

La méthodologie de production des données relève ici d’une variété de techniques, organisée à partir d’une ethnographie. Celle-ci a été menée dans di�érents contextes liés aux IUT (Institut universitaire de technologie), approchés par l’occupation de plusieurs fonctions pendant une douzaine d’année de direction (en tant que chef de département, responsable de licences professionnelles, et directrice adjointe d’un IUT). À partir de 2012, un travail d’observation et de « participation observante » (Alam & al. (2012) a été réalisé sur des situations et dispositifs de professionnalisation des étudiants et les dispositifs de management des personnels d’un IUT.

Un corpus de documents qualitatifs (tels que notes internes, dossiers d’évaluation des diplômes, dispositifs managériaux, matériel pédagogique…) et quantitatifs (issus du service de statis-tique décisionnelle) a été constitué. En�n, un à deux entretiens auprès de vingt-six titulaires enseignants et enseignants-chercheurs (sur trente-deux), de deux heures en moyenne, se sont déroulés à partir de 2013, après la cessation de toute responsabilité administrative.

Les thèmes d’entretien concernaient : 1) les choix d’orientation au moment du baccalauréat et dans les études supérieures, les parcours et établissement de formation ; les modalités péda-gogiques vécues en tant qu’étudiant  ; 2) les premières expériences et le passé professionnel de l’enquêté ; 3) les manières d’avoir pris connaissance de l’existence des IUT, et l’histoire du recrutement ; 4) les variations dans la carrière au sein de l’IUT étudié (dont les prises de respon-sabilités administratives), la liste des cours administrés et la variation dans les appétences envers ceux-ci au cours du temps ; 5) les origines sociales, niveaux d’études, professions et rapport au monde professionnel de la parentèle ; 6) les perspectives professionnelles à moyen terme.

Le tableau 1 récapitule di�érentes informations pour les vingt-six enquêtés : les pôles discipli-naires, corps d’Etat, sexe, parcours de formation, origines sociales à partir de la profession du père et ancienneté (tenant compte des éventuelles périodes de vacation).

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Tableau 1 : Présentation des enquêtés selon les pôles disciplinaires, corps d’Etat, sexe, cursus et PCS du père

Pôles disciplinaires 5 en lettres, langues, sciences humaines et sociales12 en mathématiques, statistique, biologie, informatique, sciences de l’ingénieur 9 en économie, comptabilité, gestion, droit

Corps d’Etat 6 certi�és 5 agrégés 14 maîtres de conférences1 professeur des universités

Sexe 13 hommes13 femmes

Cursus 2 parcours CPGE + ENS (+ doctorat pour un enquêté)16 parcours universitaires purs dont 2 DUT en début1 parcours BTS + diplômes professionnels5 parcours CPGE + Ecole d’ingénieur + Doctorat pour 4 enquêtés1 parcours CPGE + université (maitrise)1 parcours DEUG + Ecole d’ingénieur + maitrise + doctorat

PCS du père 2 Agriculteurs exploitants8 Artisans, Commerçants et Chefs d’entreprise 10 Cadres et Professions Intellectuelles Supérieures3 Professions Intermédiaires 3 Ouvriers

Ancienneté à l’IUT en 2013 5 inférieure ou égale à 3 ans10 entre 4 et 10 ans 11 entre 11 et 20 ans

E�ectif total 26

Sigles  : BTS  (Brevet de technicien supérieur)  ; CPGE  (Classe préparatoire aux grandes écoles)  ; DEUG  (Diplôme d’études universitaires générales)  ; DUT (diplôme universitaire de technologie) ; ENS (Ecole normale supérieure) ; PCS (Professions et Catégories socioprofessionnelles selon l’INSEE, source https://www.insee.fr/).Source : Enquête ethnographique au sein de l’IUT étudié, année 2012 - 2013.

1I Le potentiel socialisateur des IUT

Si l’histoire des IUT reste à ce jour largement à écrire, on peut préciser rapidement que leur création, au milieu des années soixante, s’appuie sur une « doctrine  de l’enseigne-ment supérieur technique »  (Bernard, 1970, p.  15  ; Dormoy-Rajraman, 2015). Cette doctrine se matérialise, entre autres, par une série d’injonctions à organiser des relations entre l’enseignement supérieur (via les IUT) et le monde économique (Chambart et Le Cozanet, 2015). Il s’agit ici de présenter, dans un premier temps, la vision et l’organisa-tion de ces relations sur le terrain étudié. Dans un deuxième temps, nous évoquons les éléments théoriques permettant d’analyser la socialisation à l’œuvre. Dans un troisième temps, l’attention est portée sur les éléments du cadrage institutionnel du tutorat en s’intéressant aux devoirs du tuteurs.

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DOSSIER

1.1 Un IUT « hyperprofessionnaliste »

Dans le cas de l’IUT étudié, la socialisation aux activités de professionnalisation des étudiants constitue un ensemble justi�é par un « projet d’établissement » fort, entendu comme une « colonne vertébrale », un élément « structurant »,7 qu’il s’agit de présenter rapidement.

Créé en 1992 et situé à proximité d’une grande ville de province, cet IUT s’inscrit dans l’objectif de revalorisation de l’apprentissage, et y souscrit largement, suite aux lois de 1987 et 1992 (Moreau, 2003, chapitre 1 ; Kergoat et Capdevielle-Mougnibas, 2013), en s’appuyant sur un contexte de normalisation de « la » relation « formation-emploi » (Tanguy, 2002), de dégradation des conditions d’entrée dans la vie active des jeunes et des conditions de travail, d’arrivée dans l’enseignement supérieur de cohortes issues de la seconde explosion scolaire.

L’institut va alors décliner, dans son organisation, une vision de l’apprentissage comme outil de démocratisation des études supérieures  : il doit permettre à des jeunes qui n’auraient pu l’obtenir autrement, l’accès à un diplôme de l’enseignement supérieur et à l’emploi. Le schème de perception de « l’entreprise formatrice » (Moreau, 2003, p. 36) est très présent sur ce terrain. D’une manière générale, l’entreprise, le privé, sont parés de valeurs positives qu’étudiants comme futurs enseignants doivent savoir énoncer au moment de leur propre recrutement (Tralongo, 2015a).

L’ensemble s’organise autour d’une pédagogie de l’alternance qui a été maintenue par les trois équipes de direction successives. L’alternance (majoritairement par contrat d’apprentissage) est alors la seule modalité de formation proposée aux six-cents alter-nants, inscrits en 2012-2013, dans l’un des cinq DUT ou les sept licences profession-nelles8 que compte cet IUT. On peut ainsi quali�er d’intensive la relation des étudiants à l’entreprise au cours de leur formation dans cet IUT.

Pour l’IUT étudié, la �nalité est ainsi d’amener des étudiants (plutôt scolairement très moyens) à être « employables » dès l’issue du DUT, ou après une année d’études supplé-mentaire, dans un domaine professionnel en lien avec les diplômes obtenus. Et pour cela, titulaires, vacataires, personnels administratifs, d’enseignement et de recherche, ont un rôle à jouer que l’IUT va s’e�orcer d’encadrer.

7. Les trois expressions relèvent du vocabulaire indigène.8. Les domaines professionnels des diplômes préparés au sein de cet IUT concernent : la gestion des entre-prises et des administrations (DUT GEA) ; le transport et la logistique (DUT GLT) ; la qualité, logistique industrielle et l’organisation (DUT QLIO) ; la statistique et l’informatique décisionnelle (DUT STID) ; la sécurité, l’hygiène et l’environnement (DUT HSE). Les licences professionnelles sont rattachées à ces di�érents domaines.

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1. 2 L’activité tutorale : entre injonctions institutionnelles et appropriations

L’objet de cette recherche est de saisir « comment les individus sont socialisés concrètement dans le cadre de l’exercice professionnel lui-même, tout au long de la carrière » (Zolesio, 2012, p. 378). Cette socialisation est ainsi envisagée comme un « processus dynamique » réalisé au cours de l’activité professionnelle (Alain & Pruvost, 2011, p. 269). Résultant de confrontations, frottements et ajustements entre institutions et individus, la socia-lisation est « la façon dont la société forme et transforme les individus ».9 

L’ensemble s’appuie sur une approche « dispositionnaliste-contextualiste » (Lahire, 2012, pp.  21-22). Les acteurs sont vus comme dotés de propriétés sociales incorporées. Lorsqu’ils commencent à travailler en IUT, tout un ensemble d’institutions (la famille, l’école, les institutions de formation et de socialisation professionnelle, les pairs, …) a déjà produit certaines dispositions (constituées de goûts, cultures, pratiques, savoirs, rapport au pouvoir, au langage, au travail, etc.) rendant possible le fait qu’ils soient tout d’abord autorisés à être recrutés dans ce type d’institution, puis qu’ils y travaillent en mobilisant certaines manières de faire plutôt que d’autres. Il s’agit à la fois d’en rendre compte, et de questionner ce qui a pu être mobilisé en tant que ressource ou non pour devenir diversement partie prenante de la professionnalisation des étudiants en IUT.

Par ailleurs, l’IUT au sein duquel les acteurs vont travailler est à envisager aussi dans une perspective socio-historique (Noiriel, 2008), dans son emboîtement avec d’autres institutions (les IUT en France, l’Université, l’enseignement supérieur français et euro-péen), dans son organisation (Musselin, 2008). Il développe des dispositifs, des instru-ments, des outils, des valeurs, des normes qui sont à mettre au jour, l’ensemble étant susceptible d’avoir une force de cadrage sur les acteurs.

Des travaux en sociologie du management (Courpasson, 2000), de l’administration publique (Lascoumes et Le Galès, 2005 ; Buisson-Fenet & Le Naour, 2008), de l’édu-cation (Bonnéry, 2014) soulignent en e�et l’intérêt d’étudier �nement les outils, dis-positifs et matériels pédagogiques, considérés comme relayant et matérialisant des injonctions pouvant occasionner des appropriations diversi�ées par des acteurs.

Pour rendre compte de ces appropriations, il faut s’intéresser au travail de confronta-tion mené dans le contexte sur et par l’acteur. L’approche ethnographique a permis de suivre des titulaires à di�érents moments de leur carrière et à s’intéresser aux façons dont ils apprennent les gestes, techniques, etc., attendus lors des activités dites de « professionnalisation » des étudiants.

9. Darmon, 2006, p. 6.

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DOSSIER

La notion d’appropriation (de Certeau, 1990 ; Chartier, 1992), en postulant une varia-tion entre les injonctions et ce qu’en feront des individus socialement situés, permet d’analyser les pratiques comme des résultats de confrontations : « La notion d’appro-priation permet ainsi d’appréhender à la fois la diversité des pratiques et des usages sociaux et la complexité de situations sociales dans lesquelles les individus ou les groupes sociaux ne sont pas seulement condamnés à se soumettre aux normes ou aux logiques qui président à ces situations mais peuvent se saisir de celles-ci à partir de leurs propres logiques. » (�in, 2010, p. 75)

1.3 Du côté du cadrage : les devoirs du tuteur

D’un point de vue juridique, tout apprenti doit être encadré par un maître d’appren-tissage dont les missions sont dé�nies par la loi (Article L6223-5 du Code du travail). Celui-ci est le référent direct de l’apprenti dans l’entreprise. Le Centre de formation d’apprentis (CFA) dont dépendent les Unités de formation par apprentissage regrou-pées dans l’IUT étudié, prévoit un référent également du côté de la formation, aux appellations diverses, telles que « tuteur pédagogique », « tuteur UFA », etc. (Dubrion, 2006). Il s’agit, dans cet IUT, du « tuteur IUT».

Ce que doit faire le « tuteur IUT » relève tout d’abord de rencontres entre stagiaire/alter-nant, maître de stage/d’apprentissage, tuteur IUT. Ces rencontres doivent se dérouler en entreprise, en présence des trois protagonistes ; comporter une partie de présenta-tion par l’alternant de son travail, une partie d’évaluation de son travail ; se tenir à des périodes �xées par l’IUT ; aboutir au remplissage d’une grille évaluation dans le cadre produit par l’IUT, avec des items à remplir et barèmes de notations. Ainsi, le tuteur a pour mission de se déplacer pour la période d’apprentissage (qui dure une année), cinq fois en entreprise pour le DUT, quatre fois pour la licence professionnelle.

Ensuite, le travail concerne l’encadrement du mémoire de l’alternant, mais ce point, qui renvoie à des activités plus traditionnelles d’un enseignant-chercheur10, n’est pas traité dans l’article. En�n, le tuteur doit participer, à ce titre, aux jurys de diplôme.

Le « tuteur IUT » prend connaissance de ses devoirs via di�érentes sources : les membres des « partenariats entreprise »11, en a�ectant tel tuteur à tel alternant, jouent un rôle pour transmettre les attendus institutionnels. La transmission passe par un ensemble de formations collectives (généralement une journée à l’IUT, regroupant également

10. Il s’agit pour le tuteur d’aider l’alternant dans la réalisation de son mémoire (aide à la dé�nition de la problématique, des hypothèses, de la bibliographie, de l’élaboration d’un plan, …).11. Implantés au sein de chaque département, les services « Partenariat-entreprise » comptabilisent un ou plusieurs «  membres  » (administratifs ou enseignants, ayant généralement exercé une activité salariée de longue durée dans le privé), dont l’une des missions concerne l’a�ectation, la formation des tuteurs ainsi que le suivi du travail de tutorat.

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des maîtres d’apprentissage, conjointement organisée par le CFA et l’IUT), indivi-duelles (en face-à-face avec un membre du « partenariat-entreprise »). Un voir-faire est également proposé : concrètement, le novice accompagne un tuteur expérimenté lors de visites en entreprises en tant qu’observateur, puis il réalise lui-même en solo des tutorats. Un apprentissage par le faire parachève la prise en main de la mission tutorale.

Des instruments et outils sont également mobilisés. Un document papier, le « Livret de suivi de l’alternant », se compose d’une soixantaine de pages mêlant informations, indi-cations et rubriques à remplir. À la date de l’enquête, ce livret était commun aux DUT et spéci�que à chaque licence professionnelle pour une partie de son contenu. Il s’agit d’un document produit pour di�érents récepteurs et distribué à l’alternant, le tuteur et le maître d’apprentissage. L’intention institutionnelle est que toutes les parties pre-nantes aient le même discours, mêlant des éléments de présentation et d’information sur l’IUT, sa «  philosophie de l’alternance  », portant sur les «  rôles  » des tuteurs, les moments et les lieux d’évaluation. Il est ainsi stipulé que « le rôle du tuteur est d’animer les di�érentes rencontres en entreprise, et d’apporter un avis sur la qualité des situations de travail proposées dans une perspective de formation de l’alternant et sur leur cohérence avec les objectifs du diplôme. » 12

Les discours sur la professionnalisation, les livrets et les formations correspondent à un ensemble de dispositifs, instruments et outils (Bonnéry, 2014 ; Tralongo, 2015b) visant la fabrication d’un cadre homogénéisant la perception et les pratiques tutorales. Cette fonction semble converger avec celle mise en évidence par le « Portefeuille d’Expé-rience et de Compétences » (Beaupère & ali., 2014). Reste à voir ce que cela produit chez les enquêtés.

2I Devenir tuteur : entre l’expert et le déclencheur d’échanges

L’activité tutorale concerne de fait tous les enquêtés. Ils semblent en cela s’appro-prier de façon orthodoxe une injonction o�cielle de participation aux activités de professionnalisation des étudiants. Dans cet Institut, une spéci�cité consiste à ne pas cloisonner les interventions tutorales par diplôme  : concrètement, les titulaires sont invités à encadrer des alternants dans les di�érents diplômes proposés par cet Institut, qu’ils y enseignent ou non. Dès lors, pour la suite, nous nous intéressons aux pratiques tutorales e�ectuées au sein des douze diplômes que compte cet IUT.

Une partie des entretiens était consacrée à faire relater la façon dont a débuté cette activité, les choix réalisés au cours de la carrière (concernant les types de diplômes, les

12. IUT, Livret de suivi et d’évaluation, année 2012-2013, p. 6.

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DOSSIER

entreprises, etc.), les anecdotes frappantes, ainsi que les perceptions pour cette activité, les projections pour la suite.

Chaque enquêté évoque entre deux et huit suivis d’étudiants par an, ce qui signi�e des déplacements en entreprise, de dix à quarante fois par an. Pour tous les enquêtés, on compte au moins deux diplômes d’intervention sur une même année, et quatre à six au cours de leur carrière (combinant des DUT et des licences professionnelles) sur les douze proposés dans cet Institut.

Il est à noter que cette activité est comptabilisée dans leur « service » d’enseignement13. Cette précision est importante car elle indique que l’activité tutorale est visible, locale-ment légitimée, et ne consiste pas en un surcroît de travail au regard de l’enseignement, contrairement à ce qui a pu s’observer en d’autres lieux (Losego, 2004). Cette activité n’est néanmoins pas assimilée à de l’enseignement, car aucun enquêté n’emploie ce terme pour la quali�er. Cela montre une première appropriation de la vision insti-tutionnelle du tutorat et justi�e la question sur la familiarisation à une activité posi-tionnée comme en décalage par rapport à l’enseignement et la recherche.

Les réponses permettent de di�érencier les manières d’avoir commencé le tutorat, que nous avons scindées d’abord en deux groupes : les débuts déclarés « faciles » ou « impres-sionnants », qui sont analysés en termes de proximité et distance, autrement dit de plus ou moins grande distance d’expérience sociale entre les univers académique et écono-mique. Dans un second temps, nous distinguons deux rôles joués par les tuteurs : le déclencheur d’échanges ou l’expert.

13. La prise en compte dans le service est la suivante : un suivi d’étudiant en stage correspond à cinq heures d’enseignement en travaux dirigés, tandis qu’un suivi d’un alternant sur une année en apprentissage cor-respond à douze heures. Les volumes horaires importants nécessaires à cette politique étaient �nancés par l’alternance.

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Tableau 2 : Répartition des enquêtés selon les discours sur les débuts dans le tutorat

Tutorat Débuts « faciles », « évidents », « naturels »

Groupe A – 20 enquêtés Disciplines : Sciences de gestion, sciences économiques, informatique/sciences de l’ingénieur ; sciences de l’éducation ; statistiques ; langues Corps d’Etat : 6 certi�és ; 4 agrégés ; 10 MCF ; 1 PUSexe : 12 H ; 8 FParcours de formation : 12 parcours universitaires « purs »5 parcours Ecole d’ingénieur + Doctorat pour 4 enquêtés1 parcours BTS + diplômes professionnels1 parcours CPGE + université (maîtrise)1 parcours DEUG + Ecole d’ingénieur + maîtrise + doctoratPCS : 2 Agriculteurs exploitants8 Artisans, Commerçants et Chefs d’entreprise 8 Cadres et Professions Intellectuelles Supérieures2 Ouvriers

Débuts « pas évidents » et/ou qui « interpellent », « questionnent »

Groupe B – 6 enquêtés Disciplines : Biologie, sociologie, statistique ; mathématique ; expression communicationCorps d’Etat : 4 MCF ; 2 PRAGSexe : 1 H  ; 5 FParcours de formation : 2 parcours CPGE + ENS (+ doctorat pour un enquêté)4 parcours universitaires « purs »PCS : 2 Cadres et Professions Intellectuelles Supérieures3 Professions Intermédiaires1 Ouvriers

Sigles  : BTS  (Brevet de technicien supérieur)  ; CPGE  (Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles)  ; DEUG  (Diplôme d’études universitaires générales)  ; DUT  (Diplôme universitaire de technologie)  ; ENS  (Ecole Normale Supérieure)  ; MCF (Maître de Ccnférences)  ; PCS  (Professions et Catégories socioprofessionnelles, selon l’INSEE, source https://www.insee.fr/) ; PRAG (Professeur Agrégé) ; PU (Professeur des Universités).Source : Enquête ethnographique au sein de l’IUT étudié, année 2012 - 2013.

2.1 Des débuts « faciles »

Les débuts dans le tutorat sont relatés comme �uides pour les vingt enquêtés du groupe A. Les propos évoquent plusieurs raisons, qu’on envisage comme autant d’éléments ayant joué en tant que ressources dans cette situation. Ces ressources concernent les expériences professionnelles antérieures des enquêtés (dans le privé, dans des lycées en tant qu’ensei-gnant en Section de techniciens supérieurs) ainsi qu’une socialisation au monde profes-sionnel privé par le biais de la parentèle.

Avant leur recrutement à l’IUT, il est tout d’abord à noter que ces enquêtés ont une expé-rience du travail dans le privé par l’occupation de postes, soit en tant qu’étudiant sous des statuts plutôt protégés (stagiaire d’école d’ingénieurs, de DESS14/Master professionnel), soit en tant que salarié de longue durée dans le privé. La familiarisation au monde du privé

14. Diplôme d’études supérieures spécialisées.

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a donc déjà eu lieu et elle fournit aux titulaires un ensemble de ressources mobilisables dans le contexte du tutorat. Celles-ci sont constituées de dispositions, de savoirs sur les contenus de postes et de missions, de savoir-faire pour discuter (négocier) avec leurs inter-locuteurs. En mobilisant des connaissances techniques, épistémiques, le tuteur dialogue avec les alternants et maîtres d’apprentissage sur le contenu opérationnel des missions, encadre l’alternant sur cet aspect de son travail. Ces enquêtés se positionnent en experts, autrement dit en pourvoyeurs de solutions pour les entreprises, qu’il s’agit de satisfaire.

Ainsi un enquêté explique :

« Bon déjà, le monde de l’entreprise, je connaissais, donc je n’avais pas de peur particulière à ce sujet. L’essentiel de ma tâche de tuteur, c’est de s’assurer que l’étudiant arrive à amener, d’un point de vue opérationnel, un résultat qui atteint la satisfaction de l’entreprise. Et qui tienne compte des objectifs de la formation. »

Pour cela, cet enquêté préfère choisir d’encadrer des missions pour lesquelles il peut avoir « un certain recul technique. » (enseignant-chercheur en informatique, 8 ans d’ancienneté, formation en école d’ingénieur, père cadre dans le privé)

Une autre expérience concerne les enquêtés de ce groupe, qui sont issus du second degré : ceux qui ont enseigné en BTS avant d’être en poste dans cet IUT relatent avoir déjà eu ce type d’activité et de relations aux entreprises lorsqu’ils étaient en lycée. Ainsi, cet enquêté qui explique :

« Quand j’étais en BTS, il y avait des stages. Il y avait un rapport de stage à faire à la �n. Il y avait des visites, mais c’était moins cadré qu’ici. » (enseignant certi�é en comptabilité-ges-tion, 6 ans d’ancienneté, père ouvrier)

Un autre type d’expérience est à évoquer, qui n’est pas exclusive des précédentes : il s’agit d’une socialisation au privé par le biais du travail de la parentèle des enquêtés (huit enquêtés). Ces enquêtés relatent, entre autres, l’acquisition d’une sensibilité pour la « rela-tion client » apprise au sein de l’entreprise familiale (un garage, une épicerie-restaurant, di�érents petits commerces, une entreprise de transport). De plus, certaines des activités, étudiées et pratiquées par leurs étudiants, telles que la comptabilité, la gestion, etc., sont connues par les enquêtés car ils les ont eux-mêmes réalisées ou ont vu leurs parents, leur conjoint, les mener. Elles sont donc loin d’être uniquement scolaires ou académiques pour eux.

D’une façon synthétique, les enquêtés de ce groupe considèrent que cette activité de tutorat est « essentielle » et « complémentaire » non seulement à l’enseignement, mais égale-ment à leur activité de recherche. Cela leur permet de voir « où on en est dans l’entreprise » par rapport à telle ou telle notion théorique, problématique, méthodologie, ou encore technique. Pour cette enquêtée, le tutorat est «  énormément apprécié. Je me suis tout de suite sentie à l’aise. C’est par ce biais que je sonde le mieux ce qui se passe dans l’environne-ment professionnel. » (enseignante-chercheuse, sciences économiques, parcours universi-

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taire, plusieurs contrats à durée indéterminée dans le privé, 13 ans d’ancienneté, parents artisans-commerçants)

On retrouve dans ce groupe toutes les disciplines pour lesquelles les entreprises, les mis-sions des alternants peuvent constituer des « terrains » de recherche, d’élaboration de cas pratiques et d’exemples ou appuis pour les cours : sciences de gestion ; sciences de l’ingé-nieur ; didactique professionnelle, productique, informatique, statistique, langues.

Néanmoins, il faut souligner que connaître le monde de l’entreprise ne su�t pas pour savoir comment être un tuteur dans le sens conféré par cet IUT. Sur ce point, les enquêtés des deux groupes relatent un apprentissage réalisé à partir de di�érents dispositifs, instru-ments et outils institutionnels, dont le « livret » (développé plus bas).

2.2 Un apprentissage progressif multidimensionnel

Les démarrages pour le groupe B (six enquêtés) relèvent, à l’inverse, d’un ensemble de sentiments de décalages et d’étrangetés au niveau : des codes de conduites (relationnel, vestimentaire) à avoir en entreprise ; du rôle à tenir, de la posture attendue ; des techno-logies et savoirs professionnels dans l’entreprise ; du discours de présentation de l’IUT.

Ce ne sont pas des « di�cultés insurmontables », ainsi que le déclare une enquêtée, mais des questions qui se posent, des gênes qui peuvent conduire à des souvenirs su�samment forts pour être rapportés précisément lors de l’entretien. L’acculturation consiste en un saut à réaliser, plus grand que dans le cas des enquêtés du groupe A.

Ceux qui relatent une certaine étrangeté dans les débuts du tutorat ont une ou plusieurs des caractéristiques suivantes : leur formation est purement universitaire (pas d’incursion du côté des grandes écoles)  ; ils n’ont eu que marginalement l’occasion d’entrer dans l’entreprise au cours de leur formation ; lorsqu’ils sont enseignants-chercheurs, leurs sujets de thèse n’était pas en lien avec des thématiques de l’entreprise  ; ils ont une parentèle majoritairement issue de la fonction publique ; les « jobs » alimentaires et étudiants ont été réalisés dans des structures publiques.

Ce qui se matérialise ici, c’est une certaine distance en termes d’expériences, de disposi-tions et de familiarité avec le monde du privé, avec les technologies mobilisées en entre-prise, et le contenu des activités demandées aux alternants.

Ainsi, une enquêtée raconte :

« Au premier rendez-vous, j’étais impressionnée, j’avais du mal à trouver ma place en entre-prise. J’avais un dé�cit, j’avais pas l’impression d’être dans mon élément. J’avais l’impression d’être dans un �lm américain, on m’attendait à l’accueil, il avait un grand ascenseur… ». (enseignante-chercheuse, sciences sociales, quelques mois d’ancienneté au moment de l’entretien, parcours universitaire, parents de profession intermédiaire dans le public). Elle relate avoir ré�échi à sa manière de s’habiller : « oui, je me suis posé beaucoup de questions,

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DOSSIER

je ne voulais pas en faire trop ». Après quelques mois de tutorat, elle dit qu’elle continue à se poser des questions, sur le rôle et la fonction du tuteur :

«  Je viens pour valider, mais qu’est-ce que j’apporte  ?  Je n’ai pas l’impression de servir à grand-chose. »

Pour ces enquêtés, leur manière de démarrer dans la fonction tutorale consiste à jouer le rôle (attendu institutionnellement) d’un déclencheur d’échanges  : lorsqu’ils se rendent en entreprise pour l’évaluation de l’alternant, ils coordonnent, animent des discussions et évaluations entre le maître d’apprentissage et l’alternant, sans toutefois mobiliser le rôle d’expert précédemment évoqué. Il est intéressant de constater qu’au �l des ans, un bascu-lement dans le rôle d’expert peut être relaté par ces enquêtés, qui vont se « spécialiser » dans certains domaines de métiers.

Cette spécialisation est observée lorsque les enquêtés prennent des responsabilités admi-nistratives dans certains diplômes. La socialisation aux fonctions tutorales devient alors aussi une familiarisation à certaines problématiques, connaissances et technologies en vigueur dans les domaines professionnels visés par les diplômes.

À l’inverse, on constate également que lorsque les enquêtés du groupe A font du tutorat pour des diplômes éloignés de leur domaine disciplinaire de compétence, ils déclarent ne pas pouvoir mobiliser un rôle d’expert et en rester à un rôle de déclencheur d’échanges. Pour certains, ce rôle est considéré comme inconfortable et non satisfaisant. Ainsi, une enquêtée (dira à propos d’un tutorat dans le milieu bancaire :

« Intérieurement, j’étais frustrée, je n’apportais pas grand-chose aux entreprises, j’étais juste la tutrice qui vient évaluer. » (enseignante-chercheuse, informatique, treize ans d’ancienneté, formation d’ingénieur, père industriel)

2.3 Un tuteur tutoré

Le « livret de suivi de l’apprenti » va être cité par tous les enquêtés (groupe A et B) comme un point d’appui solide et incontournable. Celui-ci va être « parcouru », « lu », ou « étudié » diversement, mais il est toujours évoqué comme ayant joué un rôle structurant.

À côté du livret, un étayage a été également souvent organisé et les enquêtés relatent comment ils ont commencé par accompagner des tuteurs plus expérimentés, avant de se « lancer » dans leur premier rendez-vous en entreprise. L’étayage a généralement été pro-duit par des membres des « partenariats entreprises ». La situation vécue par une enquêtée, qui appartient au groupe des débuts di�ciles, est ainsi assez typiquement relatée : « Avant mon premier tutorat, je suivais P. [un PAST15], qui était tuteur. Il m’avait impressionnée, il était comme un poisson dans l’eau, je l’ai suivi à chaque fois. Je le regardais faire, j’écoutais et après je pouvais reproduire seule en entreprise. Je l’ai suivi sur les cinq rendez-vous. » (ense-

15. Professeur associé à statut temporaire.

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gnante-chercheuse en informatique, 16 ans d’ancienneté à l’IUT, parcours universitaire, parents enseignants)

À cet étayage s’ajoutent des formations informelles (en face-à-face), des «  discussions  » avec des membres des services «  Partenariat-Entreprise », et plus rarement des formations formelles.

En�n, soulignons le rôle de certains maîtres d’apprentissages, qui apprennent au tuteur à l’être. Ainsi cette enquêtée qui déclare :

« Elle [un membre du service Partenariat Entreprise] m’avait donné du tutorat. Alors j’avais dit, le tutorat, c’est quoi ? Et elle m’avait dit “t’inquiète pas, je vais te donner du tutorat chez X., dans le domaine du transport, ce sont des habitués. Ils ont des apprentis chaque année, les missions sont bien balisées, elles ne changent pas trop, les maîtres d’apprentissage aussi ont l’habitude, ce n’est pas la première fois qu’ils font du tutorat”. Et puis j’ai été bien guidée malgré tout par le petit livret. Et après, j’ai fait du tutorat hors de cette entreprise. » (enseignante-chercheuse en sciences économiques, formation universitaire, 8 ans d’ancienneté, parents commerçants)

Ainsi, pour saisir le travail d’appropriation, nous avons utilisé comme indice de position-nement de départ un couple d’opposition entre proximité et distance envers le monde économique dans les situations vécues. On peut, d’une part, noter que ces quali�catifs de familiarisation ne sont pas mécaniquement déductibles d’une seule variable (le type d’études, la discipline, l’origine sociale, etc.). L’analyse doit en e�et passer par la recons-truction de con�gurations individuelles et l’observation de données �nes (par exemple, la discipline étudiée ne su�t pas, il faut aussi s’intéresser au sujet de thèse, au terrain, aux lieux de formation, etc.). Soulignons, d’autre part, que la distance n’est pas une donnée �gée : les entretiens relatent des apprentissages réalisés au cours des pratiques profession-nelles, dans un cadre ici institutionnellement organisé pour qu’ils aient lieu. Au cours de la pratique, l’activité tutorale est appropriée au moyen de di�érents outils et instruments, dans des contextes variés (à l’IUT, dans des entreprises) et au contact d’acteurs extérieurs au monde académique (des membres de service « partenariat entreprise », des maîtres d’ap-prentissage, des PAST).

Le tutorat est alors perçu comme « intéressant », car il permet « de se rendre compte de la diversité des missions, des situations de travail » des apprenants. Au cours des années, l’acti-vité « plaît » et elle est conservée. Son évocation mobilise le champ lexical de l’intérêt, des émotions agréables et positives, et cette remarque vaut pour les enquêtés des deux groupes. Ainsi, peu à peu, leurs propos se rejoignent et, surtout, rejoignent le discours o�ciel : les ajustements du départ ont été réalisés, et en produisant des discours plutôt convergents, ils emblent attester d’un cadrage institutionnel assez fort.

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DOSSIER

Conclusion

Si la professionnalisation a pu être considérée comme une des injonctions marquantes dans le déploiement du processus de Bologne (Agulhon & ali., 2012), ses modalités de mise en œuvre sur des terrains diversi�ées, tout autant que ses e�ets sur les acteurs de l’enseignement supérieur restent largement à étudier. L’ambition de cet article était de poser la question des e�ets socialisateurs de la professionnalisation sur les enseignants et enseignants-chercheurs. L’entrée choisie était l’activité tutorale qui consiste, au sein d’un IUT étudié de façon monographique, en un suivi d’alternants en entreprise par des enseignants.

L’analyse permet de montrer que cette socialisation est cadrée par tout un appareillage (discours, dispositifs, instruments, outils, étayages) visant à articuler un discours profes-sionnaliste avec des pratiques pédagogiques organisées à partir de situations d’alternance. Cet ensemble semble tirer son e�cacité (du point de vue indigène) en agissant sur et avec des titulaires qui possèdent déjà certaines dispositions, des savoirs et connaissances sur les métiers pour lesquels se forment les alternants.

Deux groupes d’enquêtés ont été repérés à partir des récits de débuts dans le tutorat (signi-�ant sur ce terrain un suivi d’alternant en entreprise). Que le groupe des enquêtés évoquant des débuts « faciles » dans le tutorat soit plus nombreux que celui évoquant des démarrages « impressionnants » n’est pas un hasard et renvoie à des stratégies précises de recrutement (Tralongo, 2015b) : l’enjeu pour cet IUT n’est pas d’avoir à produire, chez les titulaires une socialisation de conversion (Darmon, 2006), mais plutôt des rééquilibrages, des ajus-tements, fondés sur un existant plutôt convergent avec les attentes institutionnelles.

De sorte que la double coupure énoncée comme hypothèse en introduction (une absence de familiarisation aux formations en IUT et de liens entre les métiers de l’enseignement et de la recherche et ceux préparés par les étudiants) est à nuancer. Si e�ectivement les diplômes et leur fonctionnement en IUT sont découverts lors de l’insertion dans la vie professionnelle des enquêtés (et non en tant qu’étudiants), bien des éléments dans leur propre parcours de formation et de premières expériences professionnelles relativisent l’idée d’une expérience tutorale comme radicale étrangeté. Les formations en école d’ingé-nieurs, l’inscription des parcours professionnels des enquêtés et de la parentèle dans le privé, dans l’artisanat et le commerce, les proximités dans les cultures, les technologies disciplinaires tendent à produire les ingrédients d’une familiarisation préalable. Lorsque cette familiarisation est construite pendant les premières années de travail au sein de cet IUT, on constate que les discours se font écho pour redoubler le discours institutionnel et produire une perception positive concernant cette activité. Les enquêtés semblent ainsi plutôt bien ajustés.

Pour conclure, soulignons que la distance initiale forte de certains enquêtés avec le privé n’est pas synonyme de vide, car elle signi�e des expériences dans des univers moins directe-ment reliés au monde économique. C’est la confrontation à une situation particulière, qui

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fait surgir un sentiment de familiarité ou d’étrangeté et qui en outillant certains enquêtés à aller « facilement » en entreprise, dote ainsi certaines expériences antérieures d’une valeur positive et les transforme en ressources. Le risque serait d’en rester à un regard privatif, qui rend invisible et nul ce qui n’apparaît pas comme mobilisable dans le contexte attendu. Et de ne pas voir combien cette socialisation est un travail, coûteux, tant institutionnelle-ment, individuellement, que �nancièrement (ici les dispositifs et postes d’administratifs sont largement �nancés via les ressources de l’alternance), y compris lorsque toutes les conditions semblent favorables.

Il y a pourtant des enjeux à garder cette remarque à l’esprit. Les récents prolongements de la loi sur l’enseignement supérieur (2013) mettent en avant une volonté de développer les stages à l’université et de renforcer leur « dimension pédagogique » : « La loi prévoit que le stage soit pensé en amont et évalué en aval en fonction d’objectifs pédagogiques clairement dé�nis. Il doit également béné�cier obligatoirement d’un double suivi, par un enseignant et par un tuteur au sein de l’organisme d’accueil, a�n d’accompagner l’acquisition de véritables compétences.16 » Dans cette perspective, et au regard de l’énergie et du coût déployés par l’IUT étudié pour faire vivre un dispositif de rapprochement entre les mondes académique et économique, cela invite à se poser la question des conditions institutionnelles (aussi bien matérielles, �nancières, organisationnelles, identitaires, ...) ainsi que des e�ets sur les acteurs d’un tel rapprochement, dans des composantes universitaires dotées d’autres cultures, histoires et pratiques d’enseignement et de recherche (Faure & al., 2006).

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Postface

Logiques d’expansion de l’enseignement supérieur, modèle de �nancement et professionnalisation : une

approche historique

VINCENT CARPENTIER Reader en histoire de l’éducation, Centre for Global Higher Education, University College London

Institute of Education, London

Ce numéro spécial de la revue Formation Emploi apporte un éclairage important et opportun sur les débats concernant la professionnalisation de l’enseignement supérieur. Les articles contribuent, à partir de di�érentes approches, à enrichir notre compréhension de la conceptualisation de la mission de professionnalisation et des politiques et pratiques qui la mettent en œuvre. Le caractère interdisciplinaire des articles permet de ré�échir aux multiples facettes de la professionnalisation et à ses conséquences pour les institutions, les enseignants et étudiants. La combinaison d’approches quantitatives et qualitatives permet également de ré�échir non seulement aux formes et tendances de la professionnalisation, mais aussi à leurs perceptions par les acteurs. En�n, la dimension internationale qui anime ce numéro permet de comparer et contraster des expériences nationales variées et de s’inter-roger sur la circulation des idées, des politiques et des pratiques. Cette circulation est �ne-ment examinée par Joseph Kavka dans un article comparant les in�uences européennes et internationales sur les trajectoires de la professionnalisation, en France et en République tchèque.

Cécile Crespy et Philippe Lemistre, les coordinateurs de ce numéro, résument fort bien les enjeux en indiquant que « la professionnalisation est une notion disputée et polysémique ». Ces indéterminations concernant la compréhension théorique de la professionnalisation de l’enseignement supérieur expliquent en grande partie le caractère contesté des politiques et pratiques qui lui sont associées.

Je propose ici de rattacher certaines questions posées dans ce numéro concernant le pré-sent et futur de la mission de professionnalisation à une dynamique historique interprétée comme le produit de changements et continuités (Aldrich, 2003). À partir des cas britan-nique et français, mon objectif est de relier la question de la professionnalisation aux articu-lations et tensions historiques entre les logiques économique, sociale, politique et culturelle qui in�uencent le développement des systèmes d’enseignement supérieur. Ces logiques a�ectent et sont a�ectées par les politiques de �nancement et expliquent, au moins partiel-lement, les connexions et tensions entre les processus d’expansion, de démocratisation et de di�érenciation institutionnelle qui caractérisent l’évolution, sur le long terme, des systèmes d’enseignement supérieur (Carpentier, 2017).

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DOSSIER

La première partie explore l’évolution de la mission de professionnalisation à partir de l’émergence des logiques économique, politique, culturelle et sociale de l’enseignement supérieur du moyen âge au début du 20ème siècle. La deuxième partie suggère un aligne-ment de ces logiques au sortir de la Seconde Guerre mondiale, qui va animer la mission de professionnalisation sous impulsion publique durant la première phase de massi�ca-tion. La troisième partie s’intéresse aux tensions grandissantes entre ces logiques après la crise économique des années 1970, et leur impact sur les transformations des politiques de �nancement qui vont modi�er la mission de professionnalisation lors de la seconde phase de massi�cation des années 1990. La quatrième partie identi�e la crise de 2008 comme un tournant et propose de ré�échir aux tendances actuelles à partir de données collectées dans le cadre d’un projet de recherche au Centre for Global Higher Education (Carpentier, op. cit.).

1I Le très long terme : Émergence des logiques de l’enseigne-ment supérieur et mission de professionnalisation

L’expansion universitaire de la période du moyen âge à la Première Guerre mondiale est tra-versée par l’émergence de logiques variées qui vont in�uencer les missions des universités, dont celle de la professionnalisation.

1.1 Moyen âge : l’Université et ses professions

La création spontanée des universités médiévales au 12ème siècle est fortement liée à la formation des professions. Dès le début, les connaissances et savoirs que les universités produisent et transmettent dans leur cursus classique (musique, géométrie, arithmétique et astronomie) et les domaines de l’enseignement technique supérieur (théologie, droit et médecine) sont non seulement considérés comme une source de prestige pour les diri-geants, mais également comme un moyen de formation de la main-d’œuvre de l’Église, de l’État et des professions clés (Verger, 1992, p. 35).

Après le 14ème siècle, l’université est de plus en plus au centre d’une logique politique et son expansion devient davantage contrôlée et stratégique en raison des luttes de pouvoir au cœur de l’ordre féodal (Perkin 2006, p. 159). On observe alors un maintien de la logique de la professionnalisation, mais également sa transformation vers la formation des cadres des administrations publiques.

1.2 Époque moderne : premier dé�s pour la professionnalisation

Frijho� associe les changements du système universitaire du début de la période moderne à trois tendances : l’expansion, la di�érenciation et la professionnalisation (1996, p. 79). Cependant, la professionnalisation viendra tardivement. En e�et, Perkin montre que du

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milieu du 16ème jusqu’au milieu du 17ème siècle, l’augmentation substantielle du nombre d’universités est motivée par un processus de « nationalisation » et de concurrence reli-gieuse et par l’émergence d’une nouvelle fonction sociale : l’éducation générale des élites (2006, p. 171). Cette transition vers une logique sociale produit des institutions plus aris-tocratiques (Di Simone, 1996, p. 312), ce qui va de pair avec un recul de la mission de professionnalisation.

Après le milieu du 17ème siècle, le ralentissement de l’expansion de l’université et l’essor de nouvelles formes d’enseignement supérieur sont associés à l’essou�ement des concur-rences nationales et religieuses et à l’émergence de nouvelles demandes d’éducation non confessionnelle, plus professionnelle et scienti�que, associées à l’esprit des Lumières. La professionnalisation semble relancée, mais elle tend à s’opérer en dehors des universités. Par exemple, la révolution scienti�que est animée par la (ré)émergence d’institutions du savoir (les sociétés savantes, clubs et académies).

1.3 Révolutions, professionnalisation et strati�cation

Les révolutions et les crises qui ont ponctué la �n du 18ème et le début du 19ème siècles sont à la fois porteuses de menaces et d’opportunités pour les universités. Ces turbulences vont notamment pousser à une transformation de leur mission de professionnalisation en raison du renforcement des logiques économiques et politiques.

Par exemple, l’idéal révolutionnaire a conduit à la diversi�cation, la centralisation et la professionnalisation de l’enseignement supérieur (De Ridder-Symoens 2010, p. 376). La suppression des corporations universitaires (1791), remplacées par l’Université impériale (1806) et les facultés régionales (Musselin, 2017) ainsi que le développement des Grandes Écoles conduisent au premier système national d’enseignement supérieur, centralisé et uti-litariste (pourvoyant emplois militaires et civils).

Un autre exemple est la deuxième révolution industrielle de la �n du 19ème siècle qui, à la di�érence de la première, place l’enseignement supérieur au centre d’une concurrence internationale basée sur l’innovation dans des secteurs plus pointus (Sanderson, 1972). Ceci conduira à une professionnalisation basée sur la strati�cation des systèmes di�éren-ciant les institutions classiques et techniques. C’est à ce moment que se développent le mouvement et les universités de recherche allemandes et américaines, plus tournées vers la professionnalisation, mais on assiste également à la réémergence d’une logique sociale avec les universités civiques et universités populaires pour la bourgeoise et la classe ouvrière.

Ce bref aperçu historique suggère que la mission de professionnalisation a toujours été pré-sente, plus au moins marquée selon les époques et l’évolution de la hiérarchie des logiques d’expansion de l’enseignement supérieur. L’approche de long terme montre que les forces poussant ou contraignant la mission de professionnalisation se trouvent à l’intersection des connexions et tensions entre l’expansion, la démocratisation et la di�érenciation institu-tionnelle qui animent la construction historique des systèmes d’enseignement supérieur.

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DOSSIER

2I 1914-1970 : Alignement des logiques et structuration de la professionnalisation comme bien public

Le 20ème siècle va encore complexi�er l’écologie de l’enseignement supérieur et son in�uence sur la mission de professionnalisation. Les forces en présence sont bien illustrées par Doray et Manifet qui concluent leur article portant sur une comparaison France-Québec en indi-quant que «  la professionnalisation des universités engage tout à la fois des arbitrages sur les responsabilités en partage de l’Etat, du système économique et du système d’enseignement, sur la place et le rôle d’intermédiation des Etats ou des systèmes politiques, sur la fonction, la place et le rôle des universités dans la société et leur dépendance, l’autonomie à l’égard des systèmes politique et économique, sur la fonction, la place et le rôle du travail et de l’emploi » .

2.1 L’entre-deux-guerres et la montée concomitante des logiques

Les deux guerres mondiales et la Grande Dépression vont renforcer simultanément les logiques économique, politique et sociale de l’enseignement supérieur. Plus important encore, pour la première fois, ces logiques vont être reliées et produire un changement de paradigme préparant le processus de massi�cation post-1945. Les destructions sociales, économiques et culturelles renforcent la justi�cation sociale de l’expansion de l’enseigne-ment supérieur. Elles réa�rment les logiques économique et politique des universités enga-gées sur les fronts technologiques et idéologiques (Gosden, 1976, p. 155). La recherche et l’innovation, de même que la formation de la main-d’œuvre sont renforcées pendant les deux con�its et vont relancer la mission de professionnalisation.

Un autre e�et crucial des guerres et de la dépression est de rendre le �nancement public des systèmes sociaux plus acceptable. En e�et, elles conduisent, comme le suggère Piketty (2014), à une attitude bienveillante envers la �scalité et la nécessité de remédier aux iné-galités croissantes. L’éducation et l’enseignement supérieur seront au cœur de cette dyna-mique, comme l’illustre la création de l’University Grants Committee, chargée de distribuer les fonds publics pour les universités (Shattock, 2012).

2.2 Le modèle fordiste, l’alignement des logiques et la première phase de massi�cation (1945-1973)

L’ère de l’après-guerre se caractérise par un alignement des logiques sociale, économique, politique et géopolitique (guerre froide) de l’enseignement supérieur, considéré de plus en plus comme un bien public justi�ant une intervention de l’État. En un sens, la montée en puissance de l’État-providence et la reconnaissance de la contribution de l’éducation au développement économique coïncident.

Le graphique 1 illustre l’e�et de ces changements sur la structure des revenus universi-taires, marquée par le poids croissant du �nancement public dans les deux pays, jusqu’au début des années 1970. L’enseignement supérieur socialisé est devenu un élément structu-

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rant de ce que la théorie de la régulation dé�nit comme le modèle fordiste d’après-guerre (Boyer 2015 ; Lemistre, 2015). Ce modèle est caractérisé par un cercle vertueux où les gains de productivité sont redistribués par le biais de politiques salariales progressives, soutenant la demande, et de dépenses publiques en direction de la sphère sociale du déve-loppement, ouvrant en retour de nouvelles sources de gains de productivité (Fontvieille et Michel, 2002).

Graphique 1 : Structure des revenus dans l’enseignement supérieur 1921-2011, en France et au Royaume-Uni

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Source : Carpentier, 2012 (mis à jour).

La mission de professionnalisation participe de la structuration de l’enseignement supérieur comme bien public. Elle devient un élément clé de l’alignement des logiques (contribuant à la connaissance, la croissance et une relative mobilité sociale) au cœur de la première phase de massi�cation des systèmes d’enseignement supérieur. En France, ceci se concrétise par une préprofessionnalisation basée sur le diplôme qui joue un rôle de signal dans un marché du travail segmenté où les diplômés sont formés en interne (Lemistre, op. cit.). La professionnalisation s’est également développée en lien avec une strati�cation des systèmes, avec la création de nouvelles �lières comme les IUT et STS (respectivement Institut universitaire de technologie et Section de technicien supérieur) en France. Comme le montre l’article de Stéphanie Tralongo, leur raison d’être est d’opérer un rapprochement entre les mondes académique et économique. Au Royaume-Uni, la recommandation du rapport Robbins de 1963 d’augmenter les e�ec-tifs se traduira non seulement par une augmentation des e�ectifs universitaires, mais également par la création d’un système binaire séparant un secteur universitaire tradi-tionnel d’un secteur public de l’enseignement supérieur plus professionnel et �nancé par les collectivités locales (Polytechnics) (Scott, 2014).

Il est important de s’interroger sur le rôle tenu par la professionnalisation concernant les articulations, mais également les tensions entre expansion, démocratisation et stra-

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ti�cation. De fait, la mission de professionnalisation d’après-guerre s’opère dans un contexte marqué par une massi�cation qui reste limitée par rapport à aujourd’hui et un faible chômage dû à la stabilité du régime fordiste. En outre, on peut penser que l’expansion des années 1960 s’est appuyée sur une diversi�cation institutionnelle re�é-tant non seulement les missions des institutions (dont celle de la professionnalisation), mais également une reproduction des inégalités sociales. Des di�érenciations au sein des �lières professionnalisées sont également à l’œuvre, comme le suggère l’analyse comparée de plusieurs Centres de formation des apprentis, développée dans ce numéro par Arnaud Pierrel. Pinto distingue une professionnalisation par le bas et par le haut qui renforce les processus inégalitaires (2008). La professionnalisation est donc au centre de tensions potentielles entre les logiques sociale et économique de l’enseigne-ment supérieur qui rejoignent les débats concernant les relations entre démocratisation et di�érenciation.

3I Le tournant de la crise des années 1970 : les tensions entre les logiques et les transformations de la professionnalisation

La crise économique des années 1970, marquée par la stag�ation, conduit à la remise en cause du compromis Fordiste. Un changement de politique s’opère, au sein duquel le ralentissement de la productivité et la croissance du chômage sont combattus par une réduction des dé�cits publics et la « réforme » de certains secteurs sociaux. Ces politiques vont avoir un e�et déterminant sur le niveau et la structure de �nancement de l’enseigne-ment supérieur et transformer sa mission de professionnalisation.

3.1 Changement des structures de �nancement et professionnalisation : la poussée de l’employabilité – 1970-2008

La crise a transformé la logique économique de l’enseignement supérieur en accordant autant, voire davantage d’importance, aux considérations �scales qu’au traditionnel agenda de l’augmentation de la productivité. Ce changement d’orientation conduit non seulement à négliger les logiques non-économiques de l’enseignement supérieur, mais également à surestimer ses rendements privés et à sous-estimer ses rendements sociaux.

Cette dynamique aura un impact non négligeable sur la structure des revenus univer-sitaires. Le graphique 1 illustre un déclin, depuis le début des années 1970, de la part des �nancements publics, au pro�t des revenus privés et notamment des frais d’inscrip-tion (surtout au Royaume-Uni). Ce mouvement va géné,rer d’importantes tensions entre �nancement et accès, au cours de la seconde phase de massi�cation des années 1990 (Charle et Verger, 2012) qui, dans un contexte de chômage croissant, vont transformer la dynamique de professionnalisation (Leroux, 2014). Ces changements des modalités

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de �nancement autour des années 1970 illustrent ce que Lemistre dé�nit, pour le cas français, comme une transition du « régime fordiste de préprofessionnalisation via la forma-tion initiale au régime �nanciarisé où la professionnalisation des diplômes du supérieur doit garantir l’employabilité des individus » (op. cit., p. 61).

Ce passage s’est opéré di�éremment selon les pays, mais des points communs sont notables concernant l’impact des nouvelles politiques �scales plus austères et du chô-mage sur les changements de dynamique de la professionnalisation. En France, où le modèle adéquationniste perdure (Charles, 2014), le processus de Bologne et les réformes nationales des universités concernant les programmes (LMD – licence-master-doctorat, 2002) et leur administration (LRU – Loi relative aux libertés et responsabi-lités des universités, 2007) vont fortement renforcer la mission de professionnalisation. L’article de Ruggero Iori, dans ce numéro, montre, pour l’Italie et la France, comment les réformes nationales inspirées par le processus de Bologne ont transformé la profes-sionnalisation du secteur des travailleurs sociaux et ampli�é « la dépendance du métier au marché de l’emploi ». Selon Agulhon, « ces procédures ne répondent pas à des besoins du monde économique, impossibles à déterminer, mais à un renouvellement du modèle universitaire, préconisé par le politique qui valorise la responsabilité et l’autonomie des acteurs (aussi bien les présidents d’université que les enseignants) et masque ses �nalités, l’hybridation du service public » (2007, p. 26).

Cette hybridation est bien plus avancée au Royaume-Uni, où la dynamique de la pro-fessionnalisation est tournée vers une montée en puissance de l’employabilité générée par la combinaison des contraintes budgétaires et de la poussée des frais d’inscrip-tion. Barnett note que la professionnalisation des programmes est un phénomène ancien (1990) qui peut être relié à la pression budgétaire. Les con�its budgétaires vont également engendrer des changements dans les formes de la professionnalisation en provoquant la �n du système binaire qui di�érenciait les institutions académiques et professionnalisantes. La loi de 1992 qui transforme les Polytechnics et Colleges of Higher Education en universités peut être interprétée comme un moyen de réduire les dépenses publiques de ces institutions gérées par les collectivités locales.

Le graphique 1 montre la chute de la part des revenus publics juste après leur intégra-tion. L’abolition du système binaire a un important impact sur la professionnalisation dans le sens où il séparait le secteur public, plus professionnel, du secteur universitaire, plus académique et tourné vers l’enseignement et la recherche. Notons que cette divi-sion commençait à s’estomper alors que les Polytechnics avaient eu très tôt tendance à imiter les universités (malgré leurs ressources moindres) et à s’éloigner de leur mission de professionnalisation. Notons également que l’usage courant des expressions « uni-versités pre-1992 » et « universités post-1992 » montre que la distinction est toujours informellement présente et que les questions de réputation et leurs e�ets sur les pers-pectives d’insertion sur le marché du travail demeurent.

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L’e�et crucial des transformations du mode de �nancement sur la professionnalisation, au Royaume-Uni, est lié à la politique de partage des coûts. Le poids croissant des frais d’inscription et ses e�ets sur la dette étudiante vont générer une montée en puissance de l’agenda de l’employabilité. En 1997, le rapport Dearing recommande la relance de la dépense par étudiant, par une contribution étudiante. Cette recommandation sera suivie, dès 1998, avec l’introduction de frais d’inscription de £ 1000 par an payables d’avance. La dynamique de partage des coûts s’accélère (et se transforme), en 2006, avec l’introduction de frais d’inscription di�érés et variables pouvant atteindre £ 3000, accompagnés de bourses (pour les étudiants britanniques et européens à plein temps issus de foyers gagnant moins de £ 25000 par an) et de prêts garantis par le gouverne-ment, remboursables par le diplômé béné�ciant d’un emploi et d’un salaire supérieur à £ 21000 (avec une prescription de trente ans).

Le lien entre frais d’inscription et emploi est encore renforcé, en 2012, par une nou-velle hausse des frais d’inscription jusqu’à £ 9000. La réforme supprime les bourses et, en conséquence, le �nancement des frais d’inscription (des étudiants britanniques et européens) repose donc exclusivement sur des prêts étudiants garantis par le gou-vernement. Ces changements font de l’employabilité une question centralepour les étudiants et les institutions cherchant à les recruter. Dans ce contexte, les frais d’ins-cription sont présentés comme un moyen de responsabilisation des étudiants et des institutions : l’employabilité devient �nancièrement critique pour l’étudiant dans l’op-tique de rentabiliser son investissement et la professionnalisation devient cruciale pour les institutions souhaitant attirer les étudiants.

Ces tendances sont re�étées par la place importante accordée à l’employabilité au sein des classements des institutions, des enquêtes étudiantes (National Student Survey) et du mécanisme d’« estimation » de la qualité de l’enseignement récemment introduit par le gouvernement (Teaching Excellence Framework). Le lien entre frais d’inscription et employabilité devient également crucial pour le gouvernement. En e�et, les prêts sont garantis par ce dernier et leur non-remboursement pour cause de chômage ou d’accès à un emploi insu�samment rémunéré se traduirait par une dépense publique di�érée (Carpentier, op. cit.).

Nous verrons ci-dessous que les liens entre les changements de structure des �nan-cements individuels et sociaux et les attentes en termes de rendements individuels et collectifs vont être malmenés par la crise de 2008.

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4I L’après 2008 : le dé� de la Grande Récession ou le clash entre coûts et rendements privés et collectifs

La crise de 2008 peut être analysée comme une crise des systèmes productif et �nan-cier, alimentée par des inégalités structurelles illustrées par l’explosion de la dette privée qui a provoqué une crise de la dette publique (Piketty, op. cit. ; Plihon, 2013 ; Stiglitz, 2012). Des parallèles intéressants ont été établis entre ses mécanismes et les problèmes auxquels sont confrontés les systèmes d’enseignement supérieur au Royaume-Uni et aux États-Unis, marquant la suprématie de la logique économique (Geiger, 2010  ; Unterhalter et Carpentier, 2010). Ces parallèles portent sur les tensions entre �nan-cement et équité (Brown, 2010 ; Carpentier, op. cit.), la faiblesse de l’investissement public, la montée de l’endettement étudiant (Casta, 2010) et son e�et dissuasif selon les classes sociales (Callender et Mason, 2017).

Les écarts entre le �nancement de l’enseignement supérieur et le marché de l’emploi ont même conduit certains à évoquer la possibilité de l’explosion d’une bulle liée à un marché subprime dans l’enseignement supérieur (Altbach, 2008), résultant d’un di�é-rentiel trop important entre l’investissement réalisé et ses rendements.

4.1 Les e�ets de la crise de 2008 : du partage des coûts à la substitution

Le premier e�et de la crise de 2008 sur le système d’enseignement supérieur britan-nique a été un glissement du partage des coûts vers la substitution public/privé des res-sources. Cette substitution est le produit conjugué du ralentissement de l’e�ort public, après 2008, et de l’explosion de l’e�ort privé avec la réforme de 2006. Autrement dit, l’augmentation des frais d’inscription n’est plus additionnelle, mais substitutive du �nancement public (Carpentier, op. cit.). L’idée de substitution est importante car l’accélération des frais d’inscription coïncide avec une raréfaction des bourses en raison du retrait de l’e�ort public. Par conséquent, les prêts deviennent l’ultime recours néces-sitant des rendements individuels importants et tendent à progressivement transformer l’enseignement supérieur en un bien privé.

Or, dans le même temps, le deuxième e�et de la crise de 2008 a été d’altérer les ren-dements privés dans deux directions. Tout d’abord, on observe une stagnation (une baisse au États-Unis) de la prime salariale associée à l’enseignement supérieur (l’écart de salaire entre diplômés et non diplômés). Plus important encore, on observe une forte disparité de cette prime en fonction des �lières, institutions, disciplines et du capital social des diplômés (Crawford et al., 2016). Or, la hausse de cette prime (agrégée) est la principale justi�cation, en termes d’équité, des augmentations des frais d’inscription des réformes précédentes (notons que malgré la dispersion des primes salariales, les universités ont toutes opté pour le niveau maximum permis s’agissant des frais d’ins-

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cription). Un autre impact de la crise sur les rendements individuels est la hausse rela-tive du chômage des diplômés du supérieur, ainsi qu’un problème de surquali�cation. Ces tendances sont importantes dans le sens où l’employabilité est devenue centrale pour la viabilité du système, car les étudiants ne trouvant pas d’emploi ou un emploi faiblement rémunéré ne remboursent pas leurs prêts (une proportion estimée par le gouvernement lui-même à 40 %). Le non-remboursement de ces prêts garantis par l’État transforme ces derniers en dépenses publiques – un résultat paradoxal dans la mesure où la réduction des dépenses publiques était l’un des objectifs clés des réformes de partage des coûts.

Des déséquilibres entre les �nancements publics et privés et les rendements indivi-duels et sociaux ont fait de l’employabilité une nécessité absolue. Or, ce système ne prend pas en compte les processus inégalitaires liés à l’insertion sur le marché du tra-vail et les variations salariales qui ne dépendent pas seulement des e�orts en termes de professionnalisation, mais également d’e�ets de réputation et de capital social des diplômés. Les rendements privés des diplômés ne rendent pas compte de ces problèmes d’inégalités. Il est en outre problématique que les décisions concernant les niveaux des frais d’inscription et les systèmes de prêts s’appuient sur une prime salariale de l’ensei-gnement supérieur, agrégée, qui surestime les salaires entre diplômés et non diplômés parce qu’elle sous-estime les di�érences de salaire entre les diplômés eux-mêmes.

4.2 Les tendances actuelles

Les tensions entre les �nancements de la formation et le marché de l’emploi, depuis 2008, ont conduit à une vague d’initiatives émanant du gouvernement britannique et portant, notamment, sur une poursuite des réformes en cours, mais également sur une diversi�cation des formes de la professionnalisation. La dernière réforme (Higher Education and Research Act, 2017), votée en avril 2017, permettra aux institutions obtenant un bon résultat au Teaching Excellence Framework (qui inclut, parmi ses indi-cateurs, une mesure d’employabilité) d’augmenter les frais d’inscription par rapport à l’in�ation. La réforme, qui permettra également une plus grande ouverture vis-à-vis des institutions privées, a ravivé les débats concernant le �nancement et les missions de l’enseignement supérieur, et notamment la mission de professionnalisation.

Les études à temps partiel sont un vecteur historique clé de la professionnalisation, par la formation continue, des universités britanniques. Cette situation contraste, comme le montre bien l’article d’Isabelle Borras et Nathalie Bosse, avec les « universités fran-çaises dont le cœur de métier reste la formation initiale pour des étudiants traditionnels ».

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Graphique 2 - Proportion des étudiants à temps partiel par type d’institution au Royaume-Uni - 1959-2015

Sources : Carpentier, 2017.

Or, depuis 2008, les réformes liées au �nancement ont posé d’énormes problèmes aux étudiants à temps partiel (disparition de programmes locaux, di�culté dans l’obtention de prêts pour une personne déjà diplômée), symbolisés par la chute de leur e�ectif, de 42 % à 28 %, entre 2002 et 2014. Leur nombre s’est réduit de plus de la moitié depuis 2010. Le graphique 2 montre également qu’au-delà de l’e�et des frais d’inscription, la dynamique du temps partiel était liée aux nouvelles « universités post 92 », plus professionnalisées.

Le gouvernement britannique semble explorer d’autres voies pour développer la pro-fessionnalisation. Parmi elles, on observe un regain d’intérêt pour la formation en alternance et l’apprentissage. Premièrement, le graphique  3 montre une croissance « relative » de la proportion des e�ectifs totaux inscrits dans les formations en alter-nances (Sandwich Courses), de 6 à 9 %. En France, des formations équivalentes telles que les �lières professionnalisées sont en très forte croissance, leur part dans les e�ectifs totaux augmentant de 10 % à 30 % entre 2003 et 2013.

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Graphique 3 - Formations en alternance : Sandwich Courses et Licences professionnelles, au Royaume-Uni

Source : Carpentier, 2017.

Le deuxième changement est un retour de l’apprentissage, qui est déjà bien développé en France. Le graphique 4 montre que la part des e�ectifs de l’enseignement supérieur en apprentissage est passée de 1 % des e�ectifs totaux, en 1995, à près de 6 % en 2017.

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Graphique 4 - Les étudiants en apprentissage en France

Source : Carpentier, 2017.

Au Royaume-Uni, il n’y a actuellement que 4 300 étudiants inscrits dans des Degree Apprenticeships. L’apprenti est salarié et travaille 30 heures par semaine. Il suit un pro-gramme �exible construit par l’employeur et l’Université. Le gouvernement a instauré une taxe d’apprentissage, en avril 2017, qui �nance un fonds de formation (taxe de 0.5 % de la masse salariale des employeurs dont les coûts salariaux dépassent £3 mil-lions par an). L’avenir dira si l’apprentissage relève d’une extension du partage des coûts vers les employeurs ou d’une poursuite de la substitution public/privé des ressources. Dans ce numéro, l’article de Nathalie  Beaupère, Xavier  Collet et Sabina  Issehnane montre que les résultats en matière d’insertion sur le marché du travail des masters en apprentissage ne sont pas supérieurs à ceux des �lières classiques si les caractéristiques de l’institution et le capital social des diplômés sont pris en compte. Une question-clé est de savoir si ces nouvelles �lières ou institutions participent de la mission de profes-sionnalisation ou de di�érenciation sociale.

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Conclusion

L’approche historique met en évidence une relation dynamique entre la hiérarchie des logiques d’expansion du système d’enseignement supérieur et les structures de son �nan-cement qui ont une forte in�uence sur la mission de professionnalisation. Depuis les années 1970, la pression �nancière associée, dans un premier temps, au sous-�nancement public, puis à l’augmentation des frais d’inscription, tend à déplacer la nature de la profes-sionnalisation vers un objectif d’employabilité.

Pourtant, dans le même temps, l’employabilité peut être contrainte par des facteurs externes – comme les inégalités entre institutions et les di�érences de capital social des diplômés – qui, pour certains d’entre eux, échappent partiellement ou totalement aux e�orts de professionnalisation deployés par les institutions d’enseignement supérieur. La crise de 2008 a révélé l’impact potentiel de ces inégalités sur la soutenabilité �nancière du système.

La professionnalisation est une mission clé de l’enseignement supérieur qui doit être asso-ciée à un réalignement de ses logiques et à une relance de l’e�ort public pour éviter que le partage des coûts ne se transforme en une substitution public/privé. D’une certaine manière, ceci revient à opérer un rééquilibrage entre les dimensions privée et collective de l’enseignement supérieur (Marginson, 2016) et à rapprocher la professionnalisation d’un service public contribuant à l’employabilité des étudiants sans lui être assujetti. Le développement de nouveaux concepts tels que les capabilités professionnelles pro-bien public (Walker, 2012) ou d’employabilité civique (Simons et Masschelein, 2009) est par-ticulièrement intéressant. Dans leur article, Catherine Béduwé et Virginie Mora évoquent un déplacement de la question de la professionnalisation des formations et diplômes vers celle de la professionnalité de l’étudiant (incluant tous les épisodes professionnalisants dans la vie d’un étudiant). Ces concepts ouvrent également sur la possibilité de réaligner les justi�cations économique, mais aussi sociale, culturelle et politique de la mission de professionnalisation de l’Université. McCowan suggère une possibilité de transition de l’employabilité vers l’idée de compétences génériques issues de l’expérience d’une per-sonne diplômée de l’enseignement supérieur ; parmi ces compétences, l’obtention d’un emploi s’avère important, sans pour autant dominer les autres attributs tel que la citoyen-neté (McCowan 2015, p. 282).

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DOSSIER

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Bibliographie

Sélection bibliographique d’ouvrages sur la thématique de la « professionnalisation de l’enseignement supérieur ». Cette sélection a été élaborée à partir de la base de données

bibliographiques « Formation-Emploi » du Céreq

Bibliographie réalisée par Magali �evenot

Que faire pour l’université ?

Dossier in Mouvements n° 55-56 (septembre-décembre 2008). - pp. 7-121

Comment œuvrer à la transformation de l’Université ? Une réforme radicale du système d’enseignement supérieur est possible. En penser les contours suppose toutefois de ne pas éluder les questions di�ciles, ni de se replier sur une défense de l’existant. Comment réa�rmer la légitime gratuité de l’accès à l’enseignement et véritablement la garantir ? Quels rapports entre formation générale et critique et formation professionnelle ? Quels savoirs transmettre ? Au pro�t de qui ? Quelle est la contribution de l’université à la recherche  ? Penser la formation comme un droit et un processus au cours de la vie incite à ré�échir à une université populaire ouverte sur la société tout en maintenant les conditions d’autonomie nécessaire à la recherche et à la transmission des savoirs. Les réformes en cours vont à rebours des enjeux de la démocratisation de l’Université, ce n’est cependant pas une raison pour revenir à une formule qui accompagne la massi�-cation à moyens constants et sans perspectives nouvelles pour les étudiants. Il nous faut d’urgence penser la transformation de l’Université, avant que les forces du marché ne l’aient dé�nitivement formatée.

Universitas calamitatum : le livre noir des réformes universitaires

Abelar D ; Del Buono Luigi ; Gaubert Christophe ; Lebaron Frédéric ; Neyrat Frédéric ; Pavis Fabienne ; Ramambason Maryse ; Soulie Charles ; Tissot SylvieBellecombe-en-Bauges : Editions du Croquant, 2004. - 220 p. - (Savoir/Agir)

Les auteurs, membres de la coordination nationale Recherche et enseignement supé-rieur (RES) dénoncent la réforme de l’enseignement supérieur présentée en mai 2003 par le ministre de l’Education nationale. La critique porte notamment sur la rhétorique de la professionnalisation et sur la justi�cation au nom de l’ouverture internationale. (Electre)

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DOSSIER

La professionnalisation : Pour une université « utile » ?

Agulhon Catherine ; Convert Bernard ; Gugenheim Francis ; Jakubowski SébastienParis : L’Harmattan, 2012. - 264 p. - (Savoir et Formation)

Longtemps circonscrite à certaines �lières, la « professionnalisation » des enseignements universitaires se di�use dans l’ensemble de l’Université. Sur cette «  professionnalisa-tion », la communauté dis universitaires est partagée. Les uns n’ont pas attendu qu’on leur assigne cette mission pour l’accomplir, d’autres, plus récemment convertis, s’y engagent avec zèle, d’autres encore résistent, dénonçant une mise en péril des missions traditionnelles des universités et de l’identité professionnelle des universitaires. Nous nous proposons dans cet ouvrage de parcourir les di�érents aspects de cette « profes-sionnalisation » sur la base d’études de terrain portant sur deux académies aux contextes contrastés : l’une, l’Académie de Lille, où l’environnement industriel ancien a marqué depuis longtemps les liens entre le monde socio-économique et l’Université, notam-ment dans les domaines scienti�ques et techniques ; l’autre, l’Académie de Bretagne, où la « professionnalisation » de l’Université est plus récente. Nous verrons que si la « professionnalisation » n’est pas sans e�ets pervers, donnant souvent naissance à des formations trop étroitement adaptées à des besoins professionnels à court terme, elle peut, quand elle est bien menée, redonner à l’Université l’initiative dans la dé�nition même des besoins professionnels, l’Université retrouvant ainsi certaines de ses missions traditionnelles : s’emparer sans cesse de domaines professionnels pour en faire l’objet d’une connaissance rationnelle, inventer constamment de nouveaux domaines de l’acti-vité humaine. (4ème de couv.)

La professionnalisation de l’université : levier pour un changement de modèle universitaire ? Rapport �nal du projet ANR « PROFSUP »

Agulhon Catherine, éd. ; Convert Bernard ; Gayraud LaureParis : Agence nationale de la recherche (ANR), 2010. - 26 p.

Notre recherche visait à comprendre la construction et la mise en œuvre de l’o�re de formation professionnalisée dans l’enseignement supérieur et en particulier dans l’uni-versité, et à situer ce mouvement de « professionnalisation » dans le changement de paradigme que connaît l’université française aujourd’hui. Outre un travail spéci�que sur ce changement de paradigme, nous avons fait porté l’analyse sur les logiques d’ac-tion des di�érents acteurs qui concourent à la création et la transformation de l’o�re de formation universitaire professionnalisée : les enseignants responsables de ces for-mations, le milieu professionnel associé, l’institution universitaire, le ministère, aux-quels peuvent s’ajouter, le cas échéant, les collectivités locales en particulier régionales et les associations disciplinaires. Nous avons essayé de reconstituer les attributions et les logiques d’actions de chacun d’entre eux, et les modalités de leur coordination. En termes de méthodes et de terrains, plusieurs approches ont été mises en œuvre par les

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trois équipes, complémentaires les unes les autres ou spéci�ques : enquêtes par entretiens auprès de responsables universitaires (Présidents, Vice-Présidents, etc.), enquêtes par entretiens auprès de responsables de formations universitaires professionnelles (échan-tillons de licences professionnelles et masters professionnels), enquêtes par entretiens auprès de responsables régionaux. Ces travaux ont porté sur cinq Académies : Bretagne, Nord-Pas de Calais, Aquitaine, Midi-Pyrénées, PACA... D’autres travaux d’appoint ont été menés : une cartographie nationale des formations professionnalisées, le dépouille-ment des principaux rapports nationaux et européens sur l’évolution de l’enseignement supérieur, une analyse des intitulés des licences professionnelles, une analyse du public des licences professionnelles, une analyse historique sur une académie. Nos résultats portent d’abord sur la question de la régulation de cette o�re de formation profession-nalisée. Nous montrons qu’elle est encore largement opérée au niveau national, dans le cadre de la contractualisation, et selon les modalités actuelles de la gestion des politiques publiques où l’Etat n’impose plus des normes fortes associées à des moyens mais laisse à une pluralité d’acteurs des espaces de négociation, et opère une évaluation des projets et des réalisations, évaluation dont les normes de qualité sont incertaines et dont les cri-tères de mesure sont variables. Nous montrons également que des régulations se mettent en place aux niveaux intermédiaires, mais de façon pas du tout systématique. Dans certaines régions, les conseils régionaux, qui n’ont pas l’enseignement supérieur parmi leurs compétences, tentent néanmoins de peser sur cette o�re et sa territorialisation en l’inscrivant dans leur Plan Régional de Formation. Certaines associations d’enseignants d’une même discipline jouent également un rôle en harmonisant les diplômes. Mais, pour l’essentiel, la régulation continue de s’opérer de façon bilatérale et segmentée au niveau ministériel. Nous montrons également, sur la base de nombreuses monogra-phies de formations professionnelles universitaires (licences et masters) comment les logiques d’acteurs et leur coordination se diversi�ent selon la nature de la formation et de l’organisme qui en est porteur, la discipline dont elle émane, les caractéristiques des entreprises ou des administrations concernées par les quali�cations des diplômés. Nous montrons comment elles 3 varient également d’un territoire à l’autre, en fonction des acteurs en présence et de la teneur de leurs relations.

La professionnalisation : l’un des vecteurs du processus de Bologne ?

Agulhon Catherine, dir. ; Convert, Bernard, dir.in Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs Hors-série n° 3 (juin 2011). - pp. 5-193

Ce numéro hors série1 tente de rendre compte à la fois des représentations que les acteurs se font du rapprochement des systèmes d’enseignement supérieur (ES) européen voulu par le processus de Bologne et de la place de la professionnalisation des cursus mis en œuvre dans le cadre de ce processus. Il est apparu que cette dernière thématique ne fédérait pas la recherche européenne sur l’ES. La professionnalisation s’est peu à

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DOSSIER

peu placée au cœur de la réforme en France, elle n’a pas toujours cette centralité dans d’autres pays européens.

Les stratégies et les pratiques des certi�cateurs

Amat Françoise ; Berho Françoise ; Blachere Michel ; Charraud Anne-Marie; Hotyat Jean-Michel ; Labruyère Chantal ; Mamessier Alain ; Ravary Yvelinin Les blocs de compétences dans le système français de certi�cation professionnelleMarseille : Céreq, 2017. - pp. 31-64. - (Céreq Echanges  ; 4).

Professionnalisation de l’enseignement supérieur et territoire. Rapport �nal juillet 2005

Bel Maïten ; Gayraud Laure ; Simon-Zarca GeorgieFrance. Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale. - Marseille : Céreq, 2005. - 75 p.

Une histoire des Instituts Universitaires de Technologie (IUT)

Benoist PierreParis : Classiques Garnier, 2016. - 208 p. - (Histoire des techniques ; 6)

Les instituts universitaires de technologie sont des principales innovations qu’ont connues les enseignements supérieurs en France depuis la libération. Ils ont montrés que les enseignements supérieurs sont capables d’innover en se dotant d’une fonction nou-velle de formation de techniciens, s’adressant à des étudiants ne répondant pas nécessai-rement au pro�l traditionnel attendu dans l’enseignement supérieur , en inventant pour eux une pédagogie appropriée qui a fait ses preuves, et en renforçant les coopérations avec le monde de l’économie. Ils constituent un exemple de professionnalisation des enseignements supérieurs et de diversi�cation des formations. (4ème de couv.)

Les portefeuilles d’expériences et de compétences : Approche pluridisciplinaire

Biarnès Jean, dir. ; Rose José, dir. Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2016. - 253 p. - (Métier et pratiques de formation)

Cet ouvrage collectif et pluridisciplinaire analyse les articulations entre expériences et compétences en prenant appui sur des recherches conduites dans l’enseignement supé-rieur. Il propose des ré�exions théoriques et pratiques sur un sujet d’actualité. Son intérêt scienti�que réside dans la clari�cation des concepts (compétences, expériences, projet, orientation, insertion) et la présentation de résultats ouvrant de nouvelles pistes d’interprétation du rôle des acteurs concernés : étudiants, enseignants, responsables uni-versitaires, employeurs. Il réunit treize textes d’auteurs appartenant à des disciplines variées (sciences de l’éducation, sociologie, psychologie) et issus des principaux labo-ratoires spécialisés sur ces questions. Quatre thèmes structurent l’ouvrage : dé�nitions

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des concepts d’expériences et de compétences, nouvelles approches de la formation et de la professionnalisation, concepts de projet et d’orientation, approche nouvelle de l’insertion. Cet ouvrage a été conçu et rédigé en direction de tous les chercheurs qui travaillent sur ces sujets et des acteurs de plus en plus nombreux à intervenir dans ce domaine. (4ème de couv.)

L’université française et la fabrique de professionnels : Essai de typologie des formations universitaires : Thèse de sociologie pour l'obtention du grade de Docteur d'Aix ‐ Marseille Université

Gauthier JulieAix-Marseille : Université d'Aix-Marseille, 2012. - 420 p.

Cette thèse a pour objectif d'enrichir la notion de professionnalisation. S'articulant autour des notions de régulation de l'entrée dans un corps professionnel et de fabrique de professionnels, elle propose une conception originale du processus de profession-nalisation des formations universitaires. Elle tente principalement de construire une typologie des formations à partir de l'analyse synchronique et diachronique de leurs contenus et de leurs méthodes d'apprentissage. Ce travail mobilise un ensemble hétéro-clite de travaux de sciences sociales allant de l'histoire des universités et de la sociologie des professions à la philosophie aristotélicienne. À partir de la question de recherche " Quels types de professionnels les formations universitaires sont-elles en mesure de fabri-quer ? ", il part du postulat que la nature des savoirs transmis �xe les modalités de cette fabrication. Il montre que ces savoirs participent de trois types de discipline (discipline pratique, discipline scienti�que et discipline poïétique) auxquels sont rattachés quatre types de formation : la formation professionnelle généraliste, la formation profession-nelle spécialiste, la formation professionnelle scienti�que et la formation professionnelle poïétique. (Hal)

Université : les dé�s de la professionnalisation

Gayraud Laure ; Simon-Zarca Georgie ; Soldano CatherineMarseille : Céreq, 2011. - 31 p. - (NEF - Notes emploi formation ; 46)

La professionnalisation à l'université recouvre aujourd'hui deux dimensions : l'acqui-sition de compétences professionnelles reconnues, mais aussi l'accompagnement des étudiants dans leur parcours d'études en vue de leur future insertion sur le marché du travail. Ces nouvelles missions ont obligé les universités à repenser une approche de la professionnalisation à la fois dans la construction de leur o�re de formation et dans sa mise en œuvre par des structures ad hoc. Comment la professionnalisation se pense et se construit à l'université ? La note aborde cette question d'un triple point de vue. La première partie donne une image globale de la professionnalisation dans l'enseignement supérieur et de ses évolutions. Des DUT aux licences et masters pro, l'o�re s'est en

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DOSSIER

e�et fortement diversi�ée. En 2008, 42 % des étudiants sont engagés dans une forma-tion professionnelle au sein du système universitaire, formations qui ne présentent pas toutes le même degré de professionnalisation. La combinaison de di�érents registres (engagement des milieux professionnels, positionnement du diplôme dans un cursus, mode d'entrée sur le marché du travail) permet d'en dresser une typologie. Le pas-sage au LMD conforte le caractère inéluctable du mouvement de professionnalisation à l'université. Dans la lignée des directives européennes, et notamment de la Stratégie de Lisbonne, l'insertion professionnelle des étudiants, leur « employabilité » deviennent des enjeux stratégiques forts. Cette seconde partie met l'accent sur le recadrage politique des missions des universités qui doivent désormais se préoccuper de l'orientation et de l'insertion professionnelle de leurs étudiants. La troisième partie examine plus �nement la mise en œuvre du Plan pour la réussite en licence de 2007 dans une dizaine d'uni-versités. Elle analyse la manière dont se déclinent l'intégration de modules de profes-sionnalisation dans les licences générales, la place du stage et la préparation du projet professionnel. Elle aborde en�n la question des dispositifs adoptés au service de la mis-sion d'insertion. Le déplacement qui s'est opéré ces dernières années de la profession-nalisation des formations vers celle des missions des universités modi�e en profondeur le système universitaire.

La mise à l'épreuve de l'apprentissage. Les jeunes générations face à l'impératif de professionnalisation

Gilson AdelineParis : Confédération française de l'encadrement-CGC (CFE-CGC)  ; Noisy-le-Grand : IRES, 2013. - 96 p.

Recherche e�ectuée dans le cadre d'une convention entre l'IRES et la CFE-CGC.

De l'université à l'emploi

Hetzel Patrick, Présentateur; ministère de l'Education nationale de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ; Baret Laurence ; Bevalot Françoise ; Baussart Hervé; Duru-Bellat Marie; Fresso Françoise ; Holder Françoise ; Keiger John; Laurent Daniel; Lecoq Sylvain; Mahrer Philippe ; Masingue Bernard ; Saint-Etienne Christian ; Schmidt Géraldine ; Bouygard Françoise, Secrétaire ; Monts de savasse Hervé de, SecrétaireParis : La Documentation française, 2006. - 108 p.

Après le rapport d'étape remis �n juin 2006 au ministre de l'Education nationale et au ministre délégué à l'Enseignement supérieur et à la recherche, la commission du débat national université-emploi présente son rapport �nal, rapport dé�nissant six grandes orientations de nature à mieux relier l'université à l'emploi : lutter contre l'échec à l'université ; repenser l'information et l'orientation ; améliorer la professionnalisation ; rapprocher durablement l'université du monde du travail ; créer un partenariat univer-sités/employeurs pour la croissance ; faire évoluer l'ensemble du système universitaire. (source : La Documentation française)

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Étudier le devenir professionnel des docteurs : Groupe de travail sur l'enseignement supérieur

Jaoul-Grammare Magali, dir. ; Macaire Simon, dir.Marseille : Céreq, 2016. - 91 p. - (Céreq Echanges ; 2)

La professionnalisation s'est développée récemment dans un contexte où la recherche de compétitivité en Europe s'articule à un discours sur l'e�cacité des formations supé-rieures à développer l'employabilité des étudiants. Dans ce contexte, cet ouvrage vise à faire le point sur la professionnalisation des �lières et des parcours à l'université et les e�ets qu'elle produit.

Recherche sur les processus de professionnalisation d'étudiants. Dossier

Jorro Anne éd.in Travail et apprentissages - Revue de didactique professionnelle n° 3 (mai 2009). - pp 9-91

Ce dossier aborde les questions relatives aux processus de professionnalisation chez des étudiants engagés dans des formations professionnalisantes.

Professionnalisation des publics et des parcours à l’université. : Groupe de travail sur l’enseignement supérieur

Lemistre Philippe, dir. ; Mora Virginie, dir.Marseille : Céreq, 2016. - 165 p. - (Céreq Echanges  ; 3)

La professionnalisation s’est développée récemment dans un contexte où la recherche de compétitivité en Europe s’articule à un discours sur l’e�cacité des formations supé-rieures à développer l’employabilité des étudiants. Dans ce contexte, cet ouvrage vise à faire le point sur la professionnalisation des �lières et des parcours à l’université et les e�ets qu’elle produit.

Schéma national de l’orientation et de l’insertion professionnelle. Pour un nouveau pacte avec la jeunesse

Lunel PierreDélégation interministérielle à l’orientation - Paris : ministère de l’Emploi de la Cohésion sociale et du Logement / ministère de l’Education nationale de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2007. - 19 p. + 94 p.

Remis au Premier ministre par le délégué interministériel à l’orientation, Pierre Lunel, le schéma national de l’orientation et de l’insertion professionnelle poursuit les objectifs suivants : la réduction du nombre de jeunes sortant du système scolaire sans quali-�cation ; la réduction du nombre de jeunes sortant sans diplôme de l’enseignement supérieur ; la réduction du délai d’accès à l’emploi des jeunes ; une plus grande diversité sociale dans tous les parcours. Pour atteindre ces résultats, le schéma national retient 28

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DOSSIER

mesures et quatre axes de travail : quali�er tous les jeunes ; orienter activement vers l’enseignement supérieur pour l’emploi ; coordonner, évaluer, informer ; mobiliser et professionnaliser tous les acteurs. (source : La Documentation française)

Les licences professionnelles : quelle acception de la « professionnalisation » à l’université ?

Maillard Dominique ; Veneau Patrick ; Grandgérard ColetteMarseille : Céreq, 2004. - 82 p. - (Relief. Rapports du Céreq ; 5)

Le développement des formations professionnelles apparaît comme un des éléments centraux des politiques visant à améliorer voire à transformer le fonctionnement universitaire. Plusieurs objectifs sont poursuivis à travers ce développement : moder-niser l’o�re, envisager de nouveaux débouchés pour les diplômés et améliorer les conditions d’insertion.

La professionnalisation des diplômes universitaires : La gouvernance des formations en question. Thèse en vue de l’obtention du doctorat en sociologie

Marcyan YannickNancy : Université de Nancy II, 2010. - 492 p.

Cette thèse se propose d’étudier, sous un regard singulier, la construction, les enjeux et les e�ets révélés de la professionnalisation des diplômes à l’Université. L’originalité du travail tient en la tentative de mettre en lien deux éléments forts des récentes réformes menées en direction du système universitaire français : d’une part, la pro-fessionnalisation des diplômes, et d’autre part, l’émergence progressive de débats et de mesures concrètes liés à la gouvernance, dans les domaines de la construction et de la gestion de l’o�re de formation universitaire. Il s’agit d’interroger le mouve-ment de généralisation de la professionnalisation des formations universitaires en tant que vecteur favorisant la mise en place d’un nouveau mode de   gouvernance des formations ». Celle-ci concerne l’ensemble des modalités d’ordre institutionnel, organisationnel et opérationnel par lesquelles s’élaborent, se mettent en œuvre, se gèrent et se �nancent les formations universitaires, dans le cadre de processus de concertation, ou partenariats, entre les di�érentes parties prenantes. Elle renvoie à l’idée selon laquelle la construction et la régulation de l’o�re de diplômes relèvent de processus de concertation multipartites (l’Etat, l’établissement et ses compo-santes, les acteurs professionnels, les collectivités territoriales, etc.) et multi-niveaux (européen, national et local). Dans cette perspective, plusieurs thématiques seront abordées : la construction politique de la gouvernance et de la professionnalisation des formations universitaires (aux niveaux national et européen), les facteurs divers ayant in�ué sur les conceptions et les formes concrètes de la professionnalisation des

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formations, l’édi�cation et l’évolution de l’ordonnancement institutionnel et organisa-tionnel dans lequel s’inscrit le mouvement de professionnalisation des études, et en�n, les processus concrets de construction des diplômes universitaires professionnalisés. Ce dernier domaine d’investigation portera une attention toute particulière aux multiples formes de partenariats à l’œuvre, ainsi qu’aux représentations, aux pratiques, et au rôle tenu par les di�érentes catégories d’acteurs impliquées dans le processus d’élaboration et d’habilitation des diplômes. Le cadre théorique et disciplinaire de cette thèse est prin-cipalement celui de la sociologie de l’éducation, mais empruntera tout naturellement à celui de la sociologie générale, de la sociologie des organisations, de la sociologie du travail et de l’emploi, comme à celui des sciences de l’éducation.

La société des diplômes

Millet Mathias, dir. ; Moreau Gilles, dir.Paris : La Dispute, 2011. - 280 p. - (L’état des lieux)

Aujourd’hui, plus de deux millions de diplômes sont attribués chaque année. Dans tous les champs de la société, le diplôme s’est imposé comme allant de soi. L’essor de la scolarisation est en e�et allé de pair avec celui du diplôme, qui est devenu peu à peu une injonction et une norme sociale. Celles et ceux qui en sont aujourd’hui dépourvus, les « sans diplômes » sont stigmatisés, voués à une obligation de formation et fragilisés sur le marché du travail. Il est urgent, dès lors, de penser les diplômes autrement que comme des parchemins administratifs : ils ont des histoires et des usages sociaux variés, sont des enjeux de luttes, vivent, meurent et informent sur l’état de notre société et ses visions du monde. A quoi servent-ils ? Comment sont-ils créés ? Quels en sont les enjeux sociaux, politiques ou économiques ? Quelles sont leurs « valeurs » sur le marché du travail ? Y a-t-il trop de diplômes, ou trop de diplômés ? A l’heure de la commémo-ration pour certains diplômes (le baccalauréat a eu deux cents ans en 2008, le CAP en aura cent cette année), cet ouvrage collectif est une invitation à ré�échir à la manière dont les diplômes et leurs évolutions transforment notre rapport à la société, aux hiérar-chies sociales et au marché du travail. (4ème de couv.)

Les entreprises et l’école : dossier

Quenet Paul, dir. ; Rouanet Jean-Claude, dir.in Administration et éducation n° 141 (mars 2014/1). - pp. 5-128

La professionnalisation de l’enseignement supérieur : de la volonté politique aux formes concrètes

Quenson Emmanuel, dir. ; Coursaget Solène, dir.Toulouse : Octarès, 2012. - 207 p. - (Le travail en débats. Série Colloques & Congrès)

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DOSSIER

Depuis une trentaine d’années, l’enseignement supérieur est le théâtre d’une succes-sion de réformes dont le point commun est la professionnalisation. Dans un contexte marqué par l’arrivée des étudiants issus de la démocratisation scolaire et l’élévation du niveau de formation, des relations - de natures diverses - ont été établies avec le monde du travail. Elles ont conduit à redé�nir les articulations entre transmission des savoirs académiques et système de référence des entreprises. L’objectif de cet ouvrage est de s’interroger sur la signi�cation et les e�ets tangibles de ces transformations en rappelant d’abord leurs conditions d’émergence et les croyances sur lesquelles elles s’appuient. Dans quel mouvement social s’inscrivent les politiques mises en œuvre  ? La professionnalisation ne contredit elle pas le cadre juridique national des diplômes ? L’injonction à un rapprochement avec les entreprises ne comporte-t-elle pas une part de leurre, dans la mesure où la reconnaissance du marché du travail dépend essentielle-ment d’un rapport social pour partie indéterminé ? Les investigations portent ensuite sur les formes concrètes les plus signi�catives de la professionnalisation. Quelles sont les conséquences de la rénovation des diplômes par la prise en compte des savoirs opérationnels dictés par le monde économique  ? A quelles conditions les stages faci-litent-ils l’insertion dans l’emploi ? Quelle est la portée de la validation des acquis de l’expérience pour renouveler les conditions d’apprentissage ? Comment les étudiants considèrent-ils les formations professionnalisées ? Que penser des dispositifs institués (projet professionnel, logique compétence, aide à l’orientation et à l’insertion pro-fessionnelle, etc.) ? En�n, toutes ces mutations ne risquent-elles pas d’aboutir à une division des universités entre celles qui s’orienteront vers la recherche et celles qui prô-neront la professionnalisation de leur o�re de formation ? (4ème de couv.)

Mission insertion : un dé� pour les universités

Rose JoséRennes : Presses Universitaires de Rennes, 2014. - 237 p. - (Des Sociétés)

Depuis la loi LRU de 2007, les universités ont en charge une nouvelle mission d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants qui vient s’ajouter à celles de formation et de recherche. Ceci répond à une attente des étudiants et constitue un enjeu majeur pour les universités comme pour la société. La question est en e�et de savoir comment répondre à cela tout en conservant les missions traditionnelles de l’université. L’objet de ce livre, écrit par un chercheur directement impliqué dans ce processus, est de fournir des arguments pour s’engager dans cette mission mais aussi de doter chacun des ressources permettant de la mettre en œuvre. Le livre précise d’abord le sens de cette mission et récapitule les connaissances disponibles sur les conditions d’accès à l’emploi des étudiants. Il présente ensuite les diverses ressources susceptibles d’aider ceux-ci à préparer leur transition professionnelle : connaissances universitaires, compétences acquises en situation de travail, maîtrise des méthodes de recherche d’emploi. Il met en�n en évidence les grandes questions posées par cette mission : transformation des

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cursus de formation et des modalités d’orientation, poursuite du processus de profes-sionnalisation, modalités de pilotage. Tout ceci vise à faciliter le travail de ceux qui sont ou seront engagés dans ce mouvement, qu’ils soient professionnels de l’insertion et de l’orientation, enseignants-chercheurs, partenaires de l’université ou étudiants. (4ème de couv.)

Professionnalisation et formation des adultes : une perspective universitaire France-Québec

Solar Claudie, éd. ; Hébrard Pierre, éd. ; Wittorski Richard ; Ardouin Thierry ; Presse Marie-Christine ; Kaddouri MokhtarParis : L’Harmattan, 2008. - 259 p. - (Action & savoir)

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les adultes sont de plus en plus présents dans l’enseignement supérieur et la «formation tout au long de la vie» contribue à renforcer la professionnalisation des universités. Cette professionnalisation modi�e le paysage universitaire, se heurte à des résistances et provoque des innovations, mais pas de la même façon dans toutes les institutions. Le présent ouvrage s’attache à décrire et à analyser ces changements, leurs enjeux et leurs conséquences sur le fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur en France et au Québec. (4ème de couv.)

Les innovateurs silencieux : Histoire des pratiques d’enseignement à l’université, des années 1950 à 2010

Viaud Marie-LaureGrenoble : Presses Universitaires de Grenoble, 2015. - 304 p. - (Regards sur l’éducation)

En 1955, en France, 150 000 étudiants fréquentaient l’université. En 2015, ils sont 1 370 000. Face à un public toujours plus nombreux et dont le comportement et le rapport au savoir apparaissent peu conformes à la tradition universitaire, les ensei-gnants-chercheurs se sont parfois sentis démunis. Comment le corps enseignant a-t-il innové face à cette in�ation d’étudiants, aux pro�ls toujours plus diversi�és ? Quelles stratégies d’enseignement novatrices ont été mises en place pour continuer à assumer la mission de l’université ? À travers cet ouvrage, Marie-Laure Viaud analyse plus de 50 années d’évolution des pratiques d’enseignement, en se focalisant sur les principales innovations en matière de pédagogie. (4eme de couv.)

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DOSSIER

La professionnalisation en formation : textes fondamentaux

Wittorski Richard, dir.Mont-Saint-Aignan : Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2016. - 306 p. - (La professionnalisation, entre travail et formation)

D’évidence les travaux sur la professionnalisation en formation sont assez éclatés, à la fois à cause de leur ancrage disciplinaire (sociologie, éducation et formation, ana-lyse du travail, etc.) et de leur origine géographique (États-Unis, Angleterre, Suisse, Belgique, France, Australie, etc.) L’ambition de cet ouvrage est précisément de réunir pour la première fois une sélection des textes les plus importants et les plus signi�catifs, qu’ils soient français ou étrangers, l’étude de la professionnalisation en formation ne pouvant se passer ni de la connaissance des enjeux liés aux évolutions du travail, ni de celle d’environnements plus large. Ce recueil se veut utile, à la fois scienti�quement (il permet de disposer, dans un même volume, de repères théoriques pour comprendre la recherche actuelle) et socialement (il donne des éléments pour penser les pratiques pro-fessionnelles). (4ème de couv.)

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Note de lecturePrésentation de l’ouvrage de J. Thiévenaz,

« De l’étonnement à l’apprentissage, enquêter pour mieux comprendre »

par José RoseProfesseur émérite de sociologie

Aix-Marseille Université, LEST-CNRS, Aix-en-Provence, France

« Moi j’ai dit bizarre, comme c’est étrange ! Pourquoi aurais-je dit bizarre, bizarre ? » (Louis Jouvet dans Drôle de drame, de Marcel Carné)

On connait les livres à suspens qui étonnent par leur dénouement, les livres inattendus par leur propos décapant, les livres d’enfants couverts d’interjections, les livres fantastiques qui nous remplissent d’e�roi, les livres d’aventures qui enchainent les épisodes les plus improbables, les poèmes étonnants, les essais détonants, les aphorismes saisissants. On connaît aussi les livres de sagesse et d’apprentissage. Mais un livre qui va de l’étonnement à l’apprentissage, on n’en connait qu’un, et c’est celui de Joris �iévenaz.

Telle est sa première vertu : nous installer durablement dans une ré�exion sur une notion au cœur de la recherche – Aristote ne dit-il

pas que « la science consiste à passer d’un étonnement à un autre » ? – mais aussi de la vie. Qui n’a pas vibré au regard d’étonnement des enfants saisis par leurs « premières fois » ?

La deuxième vertu est l’ambition du projet. Car il s’agit, dans « cet ouvrage de travail », rien moins que de clari�er cette notion d’étonnement utilisée de très longue date dans plusieurs champs disciplinaires et, surtout, de repérer les potentialités qu’elle o�re pour l’action, tout en répertoriant ses multiples usages en situation de travail, de formation et de recherche.

La troisième vertu est la clarté de la position défendue par l’auteur qui multiplie les conclu-sions d’étape. Comme il le formule d’emblée, « il s’agit non pas d’approcher l’étonnement du point de vue de son "essence" et de son "état" mais au regard de sa fonction e�ective dans l’apprentissage » car « l’étonnement se situe au cœur du processus de construction de l’expérience et de formation du sujet tout au long de sa vie ». Une des originalités de l’ouvrage réside en e�et dans l’intention de transférer cette approche par l’étonnement, souvent utilisée pour expliciter les conditions des premiers apprentissages, à la formation des adultes et aussi de

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conjuguer, dans une approche pragmatique, ré�exions théoriques, études empiriques et propositions pour l’action.

Ce projet se développe en trois temps. « Il part des usages classiques de la notion d’étonnement essentiellement dans le champ de l’enseignement, pour étudier ensuite son rôle dans la construc-tion de l’expérience tout au long de la vie et envisager en�n les formes d’opérationnalisation de ce principe dans les dispositifs de formation et d’accompagnement à destination des adultes ».

La première partie examine la notion d’étonnement et dessine progressivement une image précise de cette notion grâce aux multiples ouvrages mobilisés. Partant de l’étymologie du terme, associé initialement à la stupeur, mais aussi de l’évolution de sa signi�cation, l’au-teur souligne d’abord le fait que, par opposition à la surprise, plus soudaine et extérieure, l’étonnement suppose « l’engagement dans une expérience prolongée de l’inattendu » (p. 59). Il examine ensuite l’usage de cette notion dans le champ de la philosophie, laquelle consi-dère l’étonnement comme une forme de « défamiliarisation de la pensée » (p. 20) et de « prise de distance avec les allant-de-soi et d’ouverture vers de nouveaux paradigmes de pensée » (p. 59). En�n, il note, au vu des travaux des spécialistes de l’éducation, que l’étonnement est aussi un « levier pédagogique permettant de susciter le désir d’apprendre » (p. 60) et un «  moteur de la ré�exivité et de l’expérimentation » (p. 20), pour reprendre l’expression de Dewey 1.

La deuxième partie examine «  le rôle de l’étonnement dans l’apprentissage ». Considérant en préalable que l’e�et premier du processus d’étonnement est de générer « l’impulsion de l’activité ré�exive du sujet » (p. 145), l’auteur examine d’abord « le rôle du processus d’éton-nement dans l’ouverture de la démarche de ré�exivité et d’apprentissage en situation d’action » (p. 62), l’étonnement constituant « un déclencheur de la dynamique d’apprentissage dans et par l’action » (p. 145). Puis il analyse ce rôle « dans les apprentissages du quotidien » (p. 62), le travail étant « le lieu par excellence où surgissent toujours l’inattendu, la confusion et l’indé-termination, source d’étonnement et d’enquête » (p. 146).

La troisième partie dégage des « perspectives pour les pratiques de recherche et de formation ». Elle amorce une analyse des « moyens permettant de repérer l’étonnement dans le �ux de l’activité » (p. 148) en se fondant sur des exemples pris dans le monde du soin. L’auteur précise également « les facteurs susceptibles de favoriser ou au contraire d’inhiber la démarche d’étonnement-enquête » (p. 148) tels que le désintérêt, le manque de temps, l’impossibilité de mettre en débat la prescription, l’absence d’un environnement facilitant, la focalisation sur les buts à atteindre et les résultats de l’action ou encore le « présumer trop », cet excès de savoir acquis qui empêche l’étonnement d’advenir. Est en�n proposée une présentation des « enjeux pédagogiques et didactiques qui découlent d’une ré�exion sur le rôle de l’étonne-ment dans l’apprentissage » (p. 148).

1 Dewey J. (1916, Edition 2001), Démocratie et éducation, Paris, Armand Colin.

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La conclusion générale élargit encore le propos puisqu’elle se propose d’ouvrir « un chantier de recherche centré sur les déclencheurs de l’activité ré�exive en situation d’activité » (p. 273).

On le voit, cet ouvrage devrait intéresser nombre de lecteurs de Formation Emploi car il traite de sujets régulièrement abordés dans cette revue, qu’il s’agisse de la formation initiale ou continue ou du travail et de l’activité en situation d’emploi. Qui plus est, il propose une approche originale et particulièrement stimulante. Souvent, à la lecture, on se sur-prend ainsi à prolonger, par ses propres connaissances et expériences, le propos de l’auteur. Et l’on a envie d’en parler à son entourage, comme si l’on voulait, en les étonnant, leur donner l’occasion d’élargir leur champ de ré�exion.

Pour notre part, nous retiendrons deux sujets sur lesquels la proposition analytique de Joris �iévenaz nous a incité à poursuivre la ré�exion.

Le premier est inspiré par la lecture du chapitre 6 qui traite de « plusieurs études de cas issus du monde du travail » et plus précisément des métiers de la santé et des relations entre médecin et patient. Si l’on voulait consolider cette approche du processus d’éton-nement, ne serait-il pas intéressant d’examiner d’autres situations de travail, plus collec-tives et plus variées ? Les rapports de travail et d’emploi, quels qu’ils soient, sont en e�et marqués par l’inattendu, la confusion et l’indétermination, autant d’éléments générateurs d’étonnement. En examinant des situations autres que des professions libérales réalisées en face-à-face, on pourrait alors voir comment émergent des situations d’étonnement dans des rapports sociaux tout à la fois de types hiérarchiques, concurrentiels et coopératifs. Dans ces cas, l’étonnement porte sans doute plus sur la manière dont fonctionnent les organisations et se manifestent les rapports de pouvoir que sur les réactions des personnes ou les événements vécus individuellement. Et la dynamique qu’il suscite prend sans doute des formes moins interpersonnelles que collectives, y compris dans le travail de ré�exivité et d’enquête qu’il peut générer, par exemple en favorisant la mise en place de groupes de ré�exion, de communautés de savoirs ou d’ateliers d’échanges de pratiques. Quant au travail d’apprentissage généré par l’étonnement, il prend une dimension beaucoup plus directement sociale dans la mesure où il s’e�ectue dans des rapports sociaux aux tonalités très variées et non exemptes de tensions, mais aussi de résolution de celles-ci. Emergeraient alors d’autres dimensions de ce processus d’étonnement.

Ceci permettrait sans doute aussi d’explorer plus avant la question des objets de l’étonne-ment, �nalement assez peu abordée en tant que telle dans l’ouvrage. Or, les formes mêmes de l’étonnement et les processus de ré�exivité et d’apprentissage qu’il suscite varient selon que ces objets sont des discours, des comportements ou des événements, des situations décalées par rapport à un travail de diagnostic ou relationnel, des incidents dans un travail matériel ou des découvertes dans des activités plus intellectuelles. Ainsi, l’étonnement suscitera assez directement de nouvelles recherches lorsqu’il est provoqué par des décou-vertes inattendues. Il générera sans doute aussi assez rapidement des changements tech-niques lorsqu’il aura été provoqué par des incidents de production. En revanche, lorsque l’étonnement sera suscité par des discours ou des comportements inattendus, il suscitera

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sans doute d’abord une ré�exion personnelle puis collective, avant de se transformer en analyses et en mesures concrètes. On peut ainsi penser que l’étonnement sera plus soudain dans le cas d’incidents de production, ce qui supposera une grande rapidité de ré�exion et d’intervention, tandis d’un dysfonctionnement organisationnel sera perçu de façon plus lente et exigera un travail plus approfondi d’investigation avant de déboucher sur des actions concrètes de transformation. Le processus décrit par l’auteur pourrait alors se décliner en quelques formes typiques et distinguées selon son rythme et son ampleur.

On pourrait également prolonger les remarques faites à propos des vertus de l’étonnement qui, selon les cas, suscite plutôt une ouverture, une prise de recul ou un pas de côté. De même, la vertu de déstabilisation face à des énigmes pourra conduire, selon les situations concrètes de travail, à une remise en cause de routines, d’allant de soi, de conduites répé-titives ou de certitudes pouvant générer soit des réorganisations soit des innovations. On pourrait alors dialoguer avec des chercheurs, gestionnaires ou sociologues du travail, ayant mis au centre de leur ré�exion la notion d’événement 2.

On en vient ainsi à une seconde question ayant trait aux liens entre étonnement, appren-tissage et expérience. Car l’un des intérêts de l’ouvrage est de montrer en quoi l’éton-nement, par «  l’étrangéi�cation du réel » et «  l’expérience prolongée de l’inattendu  » qu’il manifeste, est « impulsion de l’activité ré�exive », « déclencheur d’une dynamique d’appren-tissage» , « initiation de la pensée », « fécondation du nouveau », « matière à penser et à agir ».

Autant d’éléments que l’on pourrait décliner à propos de la notion d’expérience en ouvrir ainsi un nouvel espace d’échange avec les chercheurs des disciplines ayant analysé cette notion. L’expérience se construit en e�et par la confrontation à des événements variés, et donc porteurs d’inattendu, mais à condition qu’un travail ré�exif soit engagé par la personne pour resituer cela au regard des ressources dont elle dispose, de ses acquis de connaissances, mais aussi de sa capacité à « tirer parti de l’expérience » et de rendre ainsi possible, en retour, un exercice plus riche de son activité. Ceci pourrait sans doute aussi se décliner dans une approche moins purement individuelle de l’expérience, chaque collectif de travail ayant, selon la façon dont il fonctionne, des occasions plus ou moins nom-breuses de faire face à des événements générateurs d’expériences et des capacités plus ou moins grandes à en tirer parti par la ré�exion collective.

Bref, les lecteurs de la revue, habitués aux interrogations sur l’emploi et la formation, mais aussi prêts à découvrir de nouvelles orientations de recherche, pourront pleinement entre-tenir leur capacité d’étonnement en lisant ce livre.

Un mot encore pour insister sur la richesse potentielle d’une notion qui concerne �nale-ment toutes les dimensions de notre vie, la personne en formation comme celle au travail, mais aussi la personne qui doit, tout au long de sa vie courante, faire face à l’inattendu,

2 Zari�an Ph. (1995), Le travail et l’événement : essaie sociologique sur le travail industriel à l’époque actuelle, Paris, L’Harmattan.

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tirer parti des événements et innover. On notera, à ce propos, que dominent, dans cet ouvrage, mais doit-on s’en étonner, le regard et l’écoute comme les deux sens vecteurs du processus d’étonnement. Les autres sens, certes moins sollicités en général dans les situations de travail et de formation, sont pourtant eux aussi des détecteurs d’inattendu et des producteurs de nouveautés. Etonnement par rapport à des goûts indé�nissables, à des odeurs inattendues, à des textures inhabituelles : c’est tout le corps qui vibre quand le cerveau s’étonne. Et inversement.

n Référence de l’ouvrage

�iévenaz Joris (2017), De l’étonnement à l’apprentissage, enquêter pour mieux comprendre, De Boeck.

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Zusammenfassungen

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Wie sich die Professionalisierung an der Universität mit den europäischen und internationalen Initiativen verknüpft. Ein Vergleich zwischen Frankreich und der Tschechischen Republik

josef kavka

In diesem Artikel wird der Ursprung der wachsenden Professionalisierung in Frankreich und der Tschechischen Republik in den letzten zwei Jahrzehnten untersucht. Die Professionalisierung wird als ein Teil der Universitätspolitik verstanden, bei der es darum geht, die Universitätsausbildung an die Arbeitsmarktnachfrage anzupassen. Indem innerhalb dieser Politik zwischen drei Dimensionen unterschieden wird (präs-kriptiv, wettbewerbsfähig, diskursiv), zeigt der Artikel, wie sich die Besonderheiten der beiden Höheren Bildungssysteme mit den europäischen Initiativen und globalen Trends verknüpfen. Die Professionalisierung schreitet in den beiden Ländern fort, stützt sich aber auf unterschiedliche Mechanismen und Prinzipien.

Stichwörter: Hochschulwesen, Universität, Professionalisierung der Bildung, Bildungspolitik, Frankreich, Tschechische Republik, Internationaler Vergleich, Bologna-Prozess

Journal of Economic Literature: I 23 I 28

Zwischen ‚Universitarisierung‘ und Professionalisierung: die Ausbildung von Sozialarbeitern in Frankreich und Italien

ruggero iori

In diesem Artikel werden die Veränderungen des Höheren Bildungswesens durch die jüngsten europäischen Reformen untersucht, mit denen insbesondere beru�iche Ausbildungen in die Universität eingeführt werden. Ausgehend von der Ausbildung von Sozialarbeitern ging es einerseits darum, deren Beziehung zur Universität (als Raum und spezi�sche Bildungseinrichtung) aus vergleichender historischer und geogra�s-cher Sicht zu untersuchen (Frankreich und Italien) und andererseits die Debatten im höheren Bildungswesen beider Länder in Perspektive zu setzen.

Stichwörter: Sozialhelfer, Hochschulwesen, Professionalisierung der Bildung, Bildungspolitik, Universität, Scha�ung und Überarbeitung von Berufsabschlüssen, Europäische Union, Frankreich, Italien, Internationaler Vergleich

Journal of Economic Literature: I 23 I 28

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59 Von der Professionalität der Studierenden zur Beschäftigungsfähigkeit – nur ein Schritt?

catherine Béduwé, virginie Mora

Zum Ausbildungsgang im Höheren Bildungswesen gehören Professionalisierungsphasen, die in vielfältigen Kombinationen aufeinanderfolgen oder sich überlagern. Die Professionalisierung eines Studierenden entsteht also aus einer - mehr oder weniger indi-viduellen und reichhaltigen – Akkumulierung von Kompetenzen und Signalen, die über sein Abschlusszeugnis hinaus seine zukünftige beru�iche Eingliederung beein�ussen. Die Untersuchung „Generation 2010“ zeigt, dass es bei den Studierenden unabhängig von ihrem Ausbildungsniveau eine Vielfalt von Professionalitätspro�len gibt. Und jedes dieser Pro�le zeigt eine Vielfalt von individuellen Eingliederungsstrategien, aber auch von beru�ichen Erwartungen, die die Vorstellung nuancieren, eine Professionalisierung würde für den beru�ichen Erfolg ausreichen.

Stichwörter: Hochschulwesen, Student, Professionalisierung der Bildung, Professionalisierung, Einstellbarkeit, Beru�iche Integration, Schulische Laufbahn

Journal of Economic Literature : J 24

Das duale System an der Universität und seine Auswirkungen auf die beru�iche Eingliederung

nathalie beaupère, xavier collet, sabina issehnane

Das duale System entwickelt sich an der Universität weiter fort, viele Arbeiten beschäf-tigen sich mit der Besonderheit dieser Ausbildung und den betro�enen Studierenden. Ausgehend von einer Forschungsarbeit soll hier der Werdegang von Studierenden mit Masterabschluss in der herkömmlichen Ausbildung und der dualen Ausbildung ver-glichen werden, um festzustellen, ob sich die duale Ausbildung in spezieller Weise auf die beru�iche Eingliederung auswirkt. Eine Ad hoc-Untersuchung an einer Universität zeigt, dass die festgestellten Diskrepanzen von den in den Fachrichtungen unterschiedlichen dualen Gep�ogenheiten, aber auch von den Auswirkungen der Arbeitsmarktsegmentierung herrühren, die mit der speziellen Ausbildung zusammenhängen.

Stichwörter: Hochschulwesen, Universität, Duale Ausbildung, Beru�iche Integration, Master, Untersuchung über den Ubergang zwischen Schule und Beruf, Beru�iche Sozialisation, Ausbildungsziel, Professionalisierung der Bildung

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Mosaik der Lehrausbildung im Höheren Bildungswesen: Strukturierung und Wachstum des Ausbildungsplatzangebots

arnaud pierrel

Dieser Artikel befasst sich mit der Entwicklung von Lehrausbildungen im franzö-sischen Höheren Bildungswesen anhand mehrerer Monogra�en. Dadurch wird die Heterogenität dieser Entwicklung in den Lehrausbildungsstätten wie auch in ihrem eigenen Bereich deutlich. Wir zeigen, wie die wirkenden di�erenzierten Dynamiken mit der Position der Höheren Bildungseinrichtungen und den konkurrierenden lokalen Kontexten, in denen sie eingebunden sind, zusammenhängen. Methodologisch setzt ich der Artikel für einen lokalen und statistisch von der Lehrausbildung im Höheren Bildungswesen losgelösten Ansatz ein.

Stichwörter: Hochschulwesen, Lehrausbildung, Lehrausbildungszentrum, Betriebsprojekt, Personalbestand

Journal of Economic Literature : I 23 M 53

Die französischen Universitäten im Kontext des lebenslangen Lernens: eine letzte Chance der Ö�nung für Erwachsene?

isabelle borras, nathalie bosse

Weiterbildung gehört seit 1968 zu den Aufgaben der französischen Universitäten. Die meisten haben sich aber wenig engagiert, für Erwachsene ist der Zugang zum höheren Bildungswesen kaum entwickelt. Kann eine Politik des Lebenslangen Lernens (LLL), die seit den 2000er Jahren von internationalen Instanzen angeregt wurde, neue Voraussetzungen scha�en? Kann sie durch eine Änderung des Zugangs zur Ausbildung und der Inhalte und durch die Bildung eines Kontinuums von Grund- und Fortbildung die französischen Universitäten für Erwachsene ö�nen? Um Antworten auf diese Fragen zu �nden, untersuchen wir die Weiterentwicklung der Grenzen zwischen Grund- und Weiterbildung an Universitäten in Frankreich vor einem internationalen Hintergrund.

Stichwörter: Lebenslanges Lernen, Erstausbildung, Hochschulwesen, Universität, Erwachsenenbildung, Zugang zur Weiterbildung, Finanzierung der Hochschulausbildung, Beru�iche Fortbildungspolitik

Journal of Economic Literature: I 22 I 23 I 28

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Die Professionalisierung der Universitäten durch Erwachsenenfortbildung: ein Vergleich zwischen Quebec und Frankreich

pierre doray, christelle manifet

In diesem Artikel wird die Professionalisierung der Universitäten auf der Grundlage ihrer Tätigkeiten in der Erwachsenenbildung hinterfragt. Die geschieht im Vergleich zwischen Quebec und Frankreich, zwei augenscheinlich kontrastreichen Situationen. Gemäß der Gesellschaftsanalyse und der Methoden der Kategorien der staatlichen Interventionen zeigt die Analyse zwei besondere Wege zur Entwicklung eines Universitätsangebots für Erwachsene auf. Die Methode weist nicht nur auf die Gesellschaftskategorien in der Fortbildung hin, sondern auch auf das, was sie gemeinsam haben und was sie trennt. Im Artikel wird gezeigt, dass die Professionalisierung der Universitäten ein System von Konventionen und Neuverteilung der Karten zwischen Universität, Staat, Akteuren von Arbeit und Beschäftigung und Einzelpersonen for-dert, die wieder an den Studien und/oder Arbeitsplatz zurückkehren.

Stichwörter: Hochschulwesen, Zugang zur Höheren Bildung, Beru�iche Fortbildungspolitik, Universität, Professionalisierung der Bildung, Erwachsenenbildung, Frankreich, Quebec, Internationaler Vergleich

Journal of Economic Literature: I 23

Wie Fabriziert / wird man Lehrer im professionalisierenden Höheren Bildungswesen? Tutorium im IUT

stéphanie tralongo

Wie lernen Lehrer und Forscher an den Instituts Universitaires de Technologie (IUT) (in etwa: Technische Hochschulen), an Professionalisierungsaktivitäten der Studierenden teilzunehmen? Das herausgegri�ene Beispiel ist ein Tutorium, das eine regelmäßige und wiederholte Betreuung von Studierenden im Betrieb durch Lehr- und Forschungspersonal bedeutet. Die monogra�sche Untersuchung zeigt einen Sozialisierungsprozess, der sich auf mehr oder weniger im Voraus in verschiedenen Kontexten gescha�enen Dispositionen (Familie, Studium, Beruf ) stützt und in der Berufspraxis und in den enger gewordenen Beziehungen mit der Wirtschaft dazu beiträgt, Heterogenität zu scha�en.

Stichwörter: Tutorat, Hochschulwesen, Fachorientierte Hochschule, Lehrkraft, Beru�iche Sozialisation, Berufstätigkeit, Beschäftigungsziel

Journal of Economic Literature: I 23 M 54

Traduction : TSF

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Resumenes

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Cómo la profesionalización en la universidad se articula con las iniciativas europeas e internacionales. Una comparación Francia/República Checa

josef  kavka

Este artículo interroga los orígenes del auge de la profesionalización en Francia y en República Checa en las dos últimas décadas. La profesionalización se entiende como un aspecto de la política universitaria, cuyo objetivo es adaptar las formaciones universitarias a la demanda del mercado de trabajo. Distinguiendo tres dimensiones dentro de esta política (prescriptiva, competitiva, discursiva), el artículo muestra cómo las especi�cidades de los dos sistemas de enseñanza superior se articulan con las iniciativas europeas y las tendencias globales. Si bien la profesionalización progresa en los dos países, corresponde a mecanismos y principios diferenciados.

Palabras claves  : enseñanza superior, universidad, profesionalización de la enseñanza, política de la educación, Francia, República Checa, comparación internacional, proceso de Bolonia

Journal of Economic Literature: I 23, I 28

Entre universitarización y “profesionalización”: la formación de los/las asistentes sociales en Francia e Italia

ruggero iori

Este artículo interroga las transformaciones de la enseñanza superior bajo el efecto de las recientes reformas europeas, especialmente en referencia a la introducción de la formación profesional en el espacio universitario. Partiendo del caso de la formación de asistente social, se trata por una parte de interrogar su relación con la universidad (en tanto espacio y dispositivo de formación especí�ca) en una perspectiva comparativa histórica y geográ-�ca (Francia e Italia) y por otra, de poner en perspectiva los debates en el espacio de la enseñanza superior de ambos países.

Palabras claves : asistente social, enseñanza superior, profesionalización de la enseñanza, política de la educación, universidad, creación-renovación de diploma, Unión Europea, Francia, Italia, comparación internacional

Journal of Economic Literature: I 23, I 28

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De la profesionalidad de los estudiantes a su empleabilidad ¿hay sólo un paso?

catherine béduwé, virginie mora

Los itinerarios de formación en la enseñanza superior están plagados de episodios profe-sionalizantes que se encadenan o se superponen en combinaciones variadas. La profesio-nalidad de un estudiante resulta entonces de un proceso de acumulación –más o menos singlar y rico- de competencias y señales que, más allá de su diploma �nal, in�uyen en su inserción profesional por venir. La encuesta “Generación 2010” permite mostrar que existe una diversidad de per�les de profesionalidad entre los estudiantes, cualquiera sea su nivel de formación. Y cada per�l revela una variedad de estrategias individuales de inser-ción y también de expectativas profesionales, que matizan la idea de que la profesionaliza-ción es su�ciente para el éxito profesional.

Palabras claves  : enseñanza superior, estudiante, profesionalización de la enseñanza, profesionalización, empleabilidad, inserción profesional, recorrido escolar

Journal of Economic Literature : J 24

La alternancia en la universidad: ¿cuál es su efecto sobre la inserción?

nathalie beaupère, xavier collet, sabina issehnane

Mientras continua el auge de la alternancia en la universidad, muchos trabajos se detienen en las particularidades de sus formaciones y sus públicos. A partir de un estudio exploratorio, este artículo propone observar el devenir de los titulares de una maestría inscriptos en formación clásica y en alternancia para identi�car el efecto propio de la alternancia sobre la inserción profesional. Una encuesta ad hoc, realizada en una uni-versidad, evidencia que las brechas observadas corresponden a usos de la alternancia que di�eren según las especialidades de los diplomas, y también según los efectos de segmen-tación del mercado de trabajo vinculados con la especialidad de formación cursada.

Palabras claves  : enseñanza superior, universidad, formación en alternancia, inserción profesional, máster, encuesta sobre la insercion profesional, socialización profesional, representación de la formación, profesionalización de la enseñanza

Journal of Economic Literature : I 23, J 24, M 53

El mosaico del aprendizaje en la enseñanza superior: estructuración y crecimiento de la oferta de lugares

Arnaud Pierrel

Este artículo vuelve sobre el desarrollo de las formaciones en aprendizaje en la enseñanza superior francés articulando varias monografías. Esto permite aprehender la heterogeneidad constitutiva de este desarrollo, tanto entre los Centros de Formación de Aprendices como

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en su interior. Mostramos lo que las dinámicas diferenciadas en funcionamiento deben a la posición de los establecimientos dentro de la enseñanza superior y a los contextos locales competitivos en los que se insertan. Metodológicamente, el artículo aboga por un enfoque localizado y estadísticamente desagregado del aprendizaje en la enseñanza superior.

Palabras claves  : enseñanza superior, aprendizaje, CFA - centro de formación de aprendices, proyecto de establecimiento, efectivo

Journal of Economic Literature : I 23, M 53

Las universidades francesas a la hora de la Formación a lo largo de la vida: ¿una última oportunidad de apertura a los adultos?

isabelle borras, nathalie bosse

La formación continua forma parte de las misiones de las universidades francesas desde 1968. Pero la mayoría no la ha trabajado mucho y el acceso de los adultos a la enseñanza superior está poco desarrollado. Las políticas de Formación a lo largo de la vida (Formation Tout au Long de la Vie FTLV), impulsadas por las instancias internacionales desde los años 2000 ¿pueden cambiar la situación? Al transformar los modos de acceso y los conte-nidos de las formaciones para establecer un continuum entre formación inicial y forma-ción continua ¿permiten abrir las universidades francesas a los adultos? Para responder a estas preguntas, interrogamos la evolución de las fronteras entre formación inicial y forma-ción continua en la universidad en Francia desde una perspectiva internacional.

Palabras claves  : formación a lo largo de toda la vida, formación inicial, enseñanza superior, universidad, formación de adultos, acceso a la FPC, �nanciamiento de la enseñanza superior, politica de la formacion profesional continua

Journal of Economic Literature : I 22, I 23, I 28

La profesionalización de las universidades por la formación continua de los adultos: una comparación Québec-Francia

iierre doray, christelle manifet

Este artículo interroga la profesionalización de las universidades sobre la base de sus activi-dades de enseñanza para adultos. Lo hace de manera comparativa, entre Québec y Francia, dos situaciones aparentemente muy diferentes. Según el análisis societal y los métodos de la sociología de las categorías de la intervención pública, el análisis desprende dos trayec-torias singulares de desarrollo de una oferta universitaria destinada a los adultos. Además de revelar categorías societales de la formación continua, este método permite estar atento a lo que las vincula tanto como a lo que las aleja. El artículo muestra que la profesionaliza-ción de las universidades hace funcionar un sistema de convenciones y de distribución de

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cartas entre Universidad, Estado, actores del Trabajo y del Empleo e Individuos de vuelta a los estudios y/o al trabajo.

Palabras claves : enseñanza superior, acceso a la enseñanza superior, politica de la formacion profesional continua, universidad, profesionalización de la enseñanza, formación de adultos, Francia, Quebec, comparación internacional

Journal of Economic Literature: I 23

Fabricar / volverse docente de nivel superior profesionalizante. Los tutores en IUT

stéphanie tralongo

¿Cómo los docentes y los docentes-investigadores en Institutos Universitarios de Tecnología (Instituts Universitaires de Technologie IUT) aprenden a participar en activi-dades de profesionalización de los estudiantes? El ejemplo elegido es el de un dispositivo de tutoría, que signi�ca un seguimiento regular y repetido de los estudiantes en empresa por parte del personal docente y de investigación. La investigación monográ�ca pone en evidencia un proceso de socialización basado en disposiciones más o menos previamente constituidas en diferentes contextos (familiares, de estudios, profesionales), que contri-buye a moldear una heterogeneidad en las prácticas profesionales y relaciones estrechas con el mundo económico.

Palabras claves: tutorado, enseñanza superior, IUT - instituto universitario de tecnología, personal docente, socialización profesional, actividad profesional, representación laboral

Journal of Economic Literature: I 23, M 54

Traduction : Irène Brousse

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Imprimerie de la Direction de l’information légale et administrativeNo 433170010-000717 – Dépôt légal : juillet 2017

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Prinect PDF Report 16.00.032 - 1 - 30.06.2017 16:21:05

Synthèse documentNom du fichier : PdfBAT138.pdfEmplacement : C:\Users\cd0912za\Desktop\Titre : -Créé avec : Adobe InDesign CS5 (7.0)Application : Adobe PDF Library 9.9Auteur : -Créé le : 27.06.2017 14:25:42Modifié le : 30.06.2017 11:59:22Taille de fichier : 5.7 MByte / 5834.8 KByteGrossi-maigri : NonMode de conversion : -PDF/X Version : -Version PDF : 1.7Nombre de pages : 230Zone de support : 200.82 x 274.82 mmZone de rognage : 176.00 x 250.00 mm

Résumé Erreur AvertissementRéparé Info

Document - - - -PDF/X - - - 1Pages - - - -Couleurs - 2 - 22Polices - - - -Images - 14 - -Contenu - - - 228

PDF/XPDF/X Output Intent manquant

CouleursCouleur repère « All » dans la zone de rognage #2 (82)Couverture d’encrage maximale 341% supérieure à la limite 340% #1 (215)Couverture d’encrage maximale 349% supérieure à la limite 340% #15 (66,71)Couverture d’encrage maximale 350% supérieure à la limite 340% #5 (98,116,164,190,229)Le nombre de tons directs 1 est de supérieur à 0

ImagesRésolution des images couleur 160 dpi inférieure à 300 dpi #1 (86)Résolution des images couleur 167 dpi inférieure à 300 dpi #1 (215)Résolution des images couleur 171 dpi inférieure à 300 dpi #1 (98)Résolution des images couleur 206 dpi inférieure à 300 dpi #1 (109)Résolution des images couleur 210 dpi inférieure à 300 dpi #3 (126,190,197)Résolution des images couleur 214 dpi inférieure à 300 dpi #5 (86,147,151,189,198)Résolution des images couleur 247 dpi inférieure à 300 dpi #1 (196)Résolution des images couleur 266 dpi inférieure à 300 dpi #1 (164)

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Prinect PDF Report 16.00.032 - 2 - 30.06.2017 16:21:05

ContenuPrésence de transparence #228 (4-5,7-17,19-97,99-115,117-163,165-183,185-219,221-228)