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nismes de blocage, voire de dé- corporation (lire p. 47) (1). Cela permettrait la réduction de la dose efficace subie par l’organisme et limiterait les effets déterministe et stochastique. Les questions qui se posent por- tent avant tout sur les modes d’interaction entre les actinides les plus critiques – uranium, neptu- nium, plutonium pour ne citer que les principaux – et les cycles bio- chimiques. Les vecteurs favorisant l’incorporation humaine directe – contamination accidentelle ou chronique – ou indirecte – par les échanges avec l’environnement et la chaîne alimentaire – peuvent être multiples et la complexité de la chimie mise en œuvre dans de tels processus est accentuée par la complexité même de la chimie des actinides. Notons que ces ques- tionnements ne se bornent pas à l’impact des actinides mais peu- vent également s’appliquer à tous les radionucléides susceptibles d’être rejetés, parmi lesquels nom- bre de métaux de transition. Ces processus font appel à des méca- nismes chimiques relativement L e rôle et l’impact des radio- éléments, en particulier des actinides, sur l’environne- ment et sur l’homme est un enjeu majeur du monde moderne nu- cléarisé et ce, quelles que soient les stratégies politiques nationales et internationales. Dans ce contexte, les interactions de radioéléments d’origine anthropogénique (essais nucléaires atmosphériques, acci- dents nucléaires civils, défense, non prolifération et terrorisme) ou naturelle (régions uranifères, ex- ploitation minière) avec l’environ- nement, le biotope et l’homme sont à prendre en compte. Les consé- quences d’une telle contamination sont fonction du radionucléide incorporé et de sa période* 1 , mais aussi de sa répartition et de sa rapidité de fixation dans les diffé- rents organes et tissus. Ces pro- cessus doivent être non seule- ment contrôlés, afin d’en limiter l’impact, mais également mieux compris, afin d’élaborer des méca- peu connus alors que les études antérieures basées quasi-exclusi- vement sur des suivis de biociné- tique ont montré que les organes cibles privilégiés sont le foie, le squelette et les reins (lire p. 27). Ces mêmes études indiquent une modulation des organes cibles en fonction non seulement de l’élément actinide impliqué, mais également de son degré d’oxy- dation : le squelette et le foie pour le plutonium(IV) (Pu(IV))et l’américium(III) (Am(III)), essen- tiellement le squelette pour le neptunium(V) (Np(V)), le squelette et les reins pour l’uranium(VI) (U(VI)). Notons également que l’U(VI) est l’actinide le mieux excrété par les voies naturelles, via les urines notamment, à hau- teur d’environ 60 % (1). Les effets de contamination à l’échelle physiologique sont donc relativement bien décrits mais la biochimie des actinides est renseignée de façon totalement lacunaire et, plus généralement, l’homéostasie des actinides est mal connue (2). L’approche dévelop- pée à l’Institut de Chimie de Nice, Dans un contexte d’études toxicologiques sur l’impact des radioéléments, les mécanismes chimiques qui le sous-tendent sont étonnamment méconnus. Leur description nécessite des outils de caractérisation des interactions moléculaires relevant de la physico-chimie des radioéléments. AVRIL 2014 BIOFUTUR 353 < 43 Quand la vie s’adapte à la chimie des actinides © BIOPHOTO ASSOCIATES/BSIP les auteurs Gaëlle Creff*, Samir Safi**, Pier Lorenzo Solari*** et Christophe Den Auwer* * Université de Nice Sophia Antipolis, Institut de chimie de Nice, UMR CNRS 7272, Nice ** Institut de physique nucléaire d’Orsay, IN2P3, Orsay *** Synchrotron SOLEIL, Ligne MARS, Gif-sur-Yvette * 1 Temps caractéristique de la désintégration d’un élément radioactif

Quand la vie s’adapte à la chimie des actinides · via les urines notamment, à hau-teur d’environ 60 % (1). Les effets de contamination à l’échelle physiologique sont donc

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nismes de blocage, voire de dé-corporation (lire p. 47) (1). Celapermettrait la réduction de la doseefficace subie par l’organisme et limiterait les effets déterministeet stochastique.

Les questions qui se posent por-tent avant tout sur les modesd’interaction entre les actinides lesplus critiques – uranium, neptu-nium, plutonium pour ne citer queles principaux – et les cycles bio-chimiques. Les vecteurs favorisantl’incorporation humaine directe –contamination accidentelle ouchronique – ou indirecte – par leséchanges avec l’environnement etla chaîne alimentaire – peuventêtre multiples et la complexité dela chimie mise en œuvre dans detels processus est accentuée par lacomplexité même de la chimie desactinides. Notons que ces ques-tionnements ne se bornent pas àl’impact des actinides mais peu-vent également s’appliquer à tousles radionucléides susceptiblesd’être rejetés, parmi lesquels nom-bre de métaux de transition. Cesprocessus font appel à des méca-nismes chimiques relativement

L e rôle et l’impact des radio-éléments, en particulier desactinides, sur l’environne-

ment et sur l’homme est un enjeumajeur du monde moderne nu-cléarisé et ce, quelles que soient lesstratégies politiques nationales etinternationales. Dans ce contexte,les interactions de radioélémentsd’origine anthropogénique (essaisnucléaires atmosphériques, acci-dents nucléaires civils, défense,non prolifération et terrorisme) ounaturelle (régions uranifères, ex-ploitation minière) avec l’environ-nement, le biotope et l’homme sontà prendre en compte. Les consé-quences d’une telle contaminationsont fonction du radionucléideincorporé et de sa période*1, maisaussi de sa répartition et de sarapidité de fixation dans les diffé-rents organes et tissus. Ces pro-cessus doivent être non seule-ment contrôlés, afin d’en limiterl’impact, mais également mieuxcompris, afin d’élaborer des méca-

peu connus alors que les étudesantérieures basées quasi-exclusi-vement sur des suivis de biociné-tique ont montré que les organescibles privilégiés sont le foie, lesquelette et les reins (lire p. 27).Ces mêmes études indiquent unemodulation des organes cibles en fonction non seulement del’élément actinide impliqué, maiségalement de son degré d’oxy-dation : le squelette et le foie pour le plutonium(IV) (Pu(IV))etl’américium(III) (Am(III)), essen-tiellement le squelette pour leneptunium(V) (Np(V)), le squeletteet les reins pour l’uranium(VI)(U(VI)). Notons également quel’U(VI) est l’actinide le mieuxexcrété par les voies naturelles,via les urines notamment, à hau-teur d’environ 60 % (1).

Les effets de contamination à l’échelle physiologique sontdonc relativement bien décritsmais la biochimie des actinides est renseignée de façon totalementlacunaire et, plus généralement,l’homéostasie des actinides est malconnue (2). L’approche dévelop-pée à l’Institut de Chimie de Nice,

Dans un contexte d’études toxicologiques sur l’impact des radioéléments, les mécanismeschimiques qui le sous-tendent sont étonnamment méconnus. Leur description nécessitedes outils de caractérisation des interactions moléculaires relevant de la physico-chimiedes radioéléments.

AVRIL 2014 • BIOFUTUR 353 < 43

Quand la vie s’adapte à la chimiedes actinides

© BIOPHOTO ASSOCIATES/BSIP

les auteursGaëlle Creff*, Samir Safi**, Pier Lorenzo Solari*** etChristophe Den Auwer** Université de Nice Sophia Antipolis,

Institut de chimie de Nice,UMR CNRS 7272,Nice

** Institut de physique nucléaire d’Orsay,IN2P3,Orsay

*** Synchrotron SOLEIL,Ligne MARS,Gif-sur-Yvette

*1 Temps caractéristique de la désintégration

d’un élément radioactif

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Page 2: Quand la vie s’adapte à la chimie des actinides · via les urines notamment, à hau-teur d’environ 60 % (1). Les effets de contamination à l’échelle physiologique sont donc

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puis d’incorporation des actinidesdans les organes cibles. In fine, ces études doivent servir à l’éla-boration d’une pharmacopée de la décorporation spécifique desactinides ou de leur blocage, encas de contamination chroniqueou accidentelle.

À L’INTERFACEDES CHIMIES

La chimie bioactinidique com-bine les méthodes de la biochimiestructurale, de la chimie bio-inorganique et de la physico-

en collaboration avec l’Institut dephysique nucléaire d’Orsay et leSynchrotron SOLEIL, porte surl’étude de la réactivité chimique de ces éléments vis-à-vis de leurscibles potentielles, comme cer-taines métalloprotéines (transfer-rine, calmoduline, ostéopontine,albumine…) (3), des métabolitesessentiels ou des enzymes. Cettedémarche repose sur une approchetransverse de la toxicologie nu-cléaire impliquant la biologie, la chimie des radioéléments et laspectroscopie. Elle doit permettred’identifier des formes de transport

chimie. Parmi les questions fon-damentales que pose la vectori-sation des actinides vers lesorganes cibles, la forme chimique(spéciation) des édifices molécu-laires mis en jeux est essentielle.Plus précisément, l’environne-ment du cation actinide au seinde l’édifice moléculaire est uneinformation cruciale pour com-prendre sa réactivité mais aussi et surtout son influence sur lafonction de la cible identifiée. Àl’échelle moléculaire, il a ainsi été démontré que plus de 80 % du Pu(IV) est associé à des pro-téines plasmiques, principale-ment des globulines comme latransferrine ou l’albumine (4). Lapremière, responsable du trans-port du fer, a été identifiée nonseulement comme chélate duPu(IV) mais également commeaccepteur d’autres cations parsubstitution du fer. De plus, lecomplexe mixte Fe,Pu-transferrinepeut être internalisé dans les cel-lules par endocytose alors que le complexe Pu,Pu-transferrine ne l’est pas (5). Un exemple quimontre à quel point la chimie decoordination du cation anthro-pogénique influence la structure,donc les propriétés, de l’édificeainsi créé.

Parmi les sondes structuralespouvant renseigner sur la struc-ture des sites de coordination desactinides, la spectroscopie tientune place prépondérante car ellepermet de sélectionner les atomes.Deux techniques sont principa-lement utilisées : la spectroscopieinfrarouge et la spectroscopied’absorption des rayons X (SAX)(encadré ci-contre). Bien que met-tant en jeu des processus phy-siques différents, ces deux tech-niques sont sensibles à la naturedes liaisons chimiques (atomesimpliqués, force des liaisons…) etpermettent de mieux comprendreles modes de coordination spéci-fiques aux actinides.

Au nombre de quinze, les mem-bres de la famille des actinides sonttous radioactifs (radioéléments).Non essentiels à la vie, ils sont – sauf les trois premiers – artifi-ciels et ont la particularité de pré-senter une double toxicité : radio-logique, par le rayonnement qu’ilsémettent, et chimique, car ce sontdes atomes lourds. Contrairementà leurs « frères » lanthanides de la ligne située au-dessus dans letableau périodique des éléments,

Pour sonder la structurespatiale et électronique dela matière, le rayonnementlumineux qui s’étend del’infrarouge aux rayons Xest un outil spectroscopiqueunique permettant d’accéderà des phénomènes physiquestrès variés : vibration desmolécules, effet photo-électrique, transitionélectronique, fluorescence…Pour réaliser ces mesures, le rayonnement doit êtrebien souvent intense etpolychromatique. Une tellesource n’est disponible quesur des anneaux synchro-trons, accélérateurs quipermettent de produire des faisceaux de rayons Xintenses, brillants et faible-ment divergents. En France,deux anneaux sont à la dis-position de la communautéscientifique : l’EuropeanSynchrotron ResearchFacility, à Grenoble, etSOLEIL, à Gif-sur-Yvette.L’énergie du rayonnement Xutilisé comme sonde déter-mine les niveaux des transi-tions électroniques explo-rées, conduisant à desdonnées soit structurales(sphère de coordination,symétrie) soit électroniques(degré d’oxydation, cova-lence…). Dans le domainedes photons de haute énergie,la spectroscopie d’absorptiondes rayons X (SAX) met enjeu des transitions électro-

niques impliquant des élec-trons de cœur de l’atome.L’information contenuedans ce processus de photo-émission est centrée sur unatome dit « absorbeur ».On parle alors de spectro-scopie locale par opposi-tion à la diffraction desrayons X qui sonde l’espaceentier. Dans le cas demétalloprotéines, en l’ab-sence de structurecristallographique, cettetechnique permet de centrerl’information sur le site defixation du métal sans tenircompte des autres atomesde la protéine (lire p. 32).Deux domaines d’énergiesont couramment distin-gués : l’EXAFS, qui décritstructuralement la sphèrede coordination de l’atomeabsorbeur – souvent le cation métallique –, et leXANES (X-ray AbsorptionNear Edge Structure), quisonde les états électroni-ques de valence de l’atomeabsorbeur. Ces deux domaines

correspondent à des pro-cessus physiques différentset apportent des infor-mations complémentaires.Par ailleurs, l’utilisation defaisceaux hautement foca-lisés, irradiant des zonessouvent inférieures au µm2,permet d’ajouter à cestechniques une hauterésolution spatiale. L’analyse complète duspectre de fluorescenceémis par la zone excitéepermet d’accéder à la spé-ciation spatiale. C’est latechnique de microfluores-cence à rayons X (µ-XRF),très utilisée pour une analysemultiéléments dans deséchantillons biologiques ouenvironnementaux (sols,sédiments, plantes…).

Damien Bourgeois* etChristophe Den Auwer**

SAX, un outil indispensable

*2 Ou

co

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R

* Institut de chimie séparative de Marcoule,Laboratoire de chimie et physico-chimie

des actinides, Bagnols-sur-Cèze

** Université de Nice Sophia Antipolis,Institut de chimie de Nice,

UMR CNRS 7272,Nice

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Radionucléidesco

ntam

inat

ion

Fonctions chimiques typeset briques élémentaires

Système simplifiémétabolite

Peptide biomimétique

1

Protéines typestransférinecalmoduline

albuminemétabolites

Vecteurs biologiques modèles

2

Organes ciblesCellules, microorganismes

Modèle biologiques - clinique

3fon-ori-les

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INTERACTION AVECL’OSTÉOPONTINE…

Dans une première approche, etde façon extrêmement schéma-tique, les métallo-biomoléculespeuvent être considérées commedes complexes moléculaires éla-borés avec de sites actifs métal-liques spécifiquement définis. Uneétape de ce travail a été de consi-dérer l’étude de la coordinationdes actinides par des ligands sim-plifiés mais contenant des groupesfonctionnels typiques des sites dechélation des protéines. Inver-sement, ce motif extrêmementsimple ne permet pas – ou peu –de rendre compte de l’altérationfonctionnelle de la métallopro-téine, en particulier parce que lesstructures tertiaires ne sont pascomparables. Il s’agit donc d’uneapproche simplificatrice destinéeà mieux appréhender la chimiedes actinides vis-à-vis des enchaî-nements d’acides aminés les plusreprésentatifs.

Prenons comme premier exem-ple les études médicales relativesà la toxicité de l’uranium. Ellesont montré que la plupart despatients exposés à cet élément ontdéveloppé une insuffisance rénaleou une pathologie osseuse. Dansce dernier cas, l’hypothèse estqu’au niveau moléculaire, l’os-téopontine (OPN) – une protéinecible humaine nouvellement iden-tifiée – pourrait jouer un rôleimportant dans l’accumulation invivo de l’uranium dans les régionsde croissance osseuse (lire pp. 32et 43). Une séquence particu-lièrement représentative du site

les actinides possèdent une réac-tivité chimique extrêmementcomplexe avec de multiples degrésd’oxydation. À ce titre, il est communémentadmis que cette famille est formel-lement partagée en deux grandesparties : la première moitié, jusqu’àaméricium, possède des degrésd’oxydation allant de +III à +VII, la seconde, qui s’apparente à lachimie des lanthanides, avec undegré d’oxydation quasi-unique de+III. Dans la première moitié, quiregroupe l’uranium (U), le neptu-nium (Np), le plutonium (Pu) etl’américium (Am), l’aptitude à for-mer des oxocations de type trans estune propriété presque unique quimodifie radicalement leur chimiemoléculaire du fait d’une contraintestérique imposée. La forme la pluscommune en milieu aérobie del’uranium est ainsi l’uranyle (UO2

2+),un oxocation*2 hexavalent.

Les propriétés chimiques des acti-nides rendent leur chimie en milieuvivant complexe et difficile à pré-dire. À quoi s’ajoute, pour certainsd’entre eux, une analogie plus oumoins marquée avec des élémentsdu groupe des métaux de transi-tion, entre le Fe(III) et le Pu(IV) parexemple ou, plus difficilement,entre l’uranyle et le Ca(II) (7). Cesapproches par analogie sont fortutiles en première approximationmais ne doivent cependant pasocculter les différences fonda-mentales de réactivité chimiqueentre ces éléments.

d’inhibition de croissance calciquede l’OPN a donc été définie. Cethexapeptide pSDEpSDE*3 estun objet facilement manipulable qui a servi de base à une étudestructurale de complexation del’uranyle par une combinaison de techniques expérimentales etthéoriques (8). La structure théo-rique établie a été affinée par desmesures en SAX au synchrotronSOLEIL du CEA, à Saclay (9). Laprocédure d’ajustement EXAFS*4

des mesures a permis de détermi-ner que, structuralement, l’ura-nium est lié au peptide via ungroupe fonctionnel phosphoryleet à un groupe fonctionnel car-boxyle, avec une distance moyennede 2,90 Å entre l’atome d’uraniumet celui de carbone, et de 3,73 Åentre l’atome d’uranium et celuide phosphore. Ces distances sontcaractéristiques d’un complexe desphère interne avec un atomed’oxygène partagé par l’uraniumet le groupe phosphoryle, et deuxatomes d’oxygène provenant d’ununique groupe carboxyle. La per-tinence de cette approche a aussiété confirmée par les mesuresEXAFS effectuées sur la protéineentière : l’environnement de coor-dination observé avec le site actifde l’hexa peptide est étonnam-ment semblable à celui qui seforme avec la protéine entièredans des conditions exactementidentiques.

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Méthodologie en chimiebioactinidique

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R

*2 Ou oxycation, cation polyatomique

contenant de l’oxygène

*3 SDE : Ser-Asp-Glu

*4 Extended X-Ray Absorption Fine Structure

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(1) Gorden AE et al. (2003) Chem Rev 103, 4207-82

(2) Gorman-Lewis D et al. (2011)

Inorg Chem 50, 7591-7

(3) Jeanson A et al. (2010) Chemistry 16, 1378-87

(4) Taylor DM (1998) J Alloy Compd 271-3, 6-10

(5) Kosman DJ (2011) Nat Chem Biol 7, 498-9

(6) Den Auwer C et al. (2009)

L’actualité chimique 330, 34-9

(7) Ansoborlo E et al. (2006)

Biochimie 88, 1605-18

(8) Safi S et al. (2013) Chemistry 19, 11261-9

(9) Sitaud B et al. (2012) J Nucl Mater 425, 238-43

(10) Mostapha S et al. (2014)

Anal Bioanal Chem 406, 1049-61

(11) Raymond KN (2010) CR Chimie 13, 849-52

(12) Mostapha S et al. (2014)

Int J Rad Biol, accepté

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le dernier des lanthanides. Mis àpart leur rayon ionique*5, les deuxcations ont une chimie similaire.Pour le Lu(III), son interactionavec l’ATP engendre deux typesde complexes, l’un mononucléairesoluble dans l’eau, l’autre trèsprobablement polynucléaire(oligomérique) insoluble. L’analyse des spectres EXAFS a permisd’établir une forme structuralepossible du complexe ainsi queles distances des liaisons entre le lutétium et le phosphore (10).Le spectre obtenu est une « em-preinte digitale » de l’environ-nement chimique du lutétiumdans l’édifice moléculaire.

Il faut deux molécules d’ATPpour complexer le lutétium. Dansle cas du complexe Lu:1ATP (stœ-chiométrie 1:1), on obtient unestructure oligomérique tridimen-sionnelle dans laquelle chaquemolécule d’ATP est un pont entreles cations de lutétium. En pré-sence d’un excès d’ATP, un com-plexe soluble de type Lu:2ATP se forme, pour lequel l’ATP estpolydendate via les fonctionsphosphate. Le lutétium est consi-déré ici comme un analoguechimique de l’américium, lequelest beaucoup plus difficilementmanipulable étant donné sonactivité spécifique relativementélevée (1,3 1011 Bq.g-1). Dans cesconditions, les mesures spectro-scopiques sont plus difficile-ment réalisables, du fait de cescontraintes radiologiques. Lacomparaison des spectres infra-rouges pour les complexesLu:1ATP et Am:1ATP révèlecependant une remarquable simi-larité entre les deux composés.Ces données montrent à quelpoint la nature des fonctionschimiques est essentielle dans la construction des édifices moléculaires entre le cation et leligand. Lorsque les effets stériqueset géométriques sont négligeables,comme dans un complexe nonprotéique notamment, la stabilitédes complexes formés dépendlargement du potentiel ioniquedu cation, c’est-à-dire de sa duretési l’on se réfère au modèle deréactivité énoncé par le physicienaméricain Ralph Pearson (lirep. 39). En revanche, lorsque leseffets stériques sont importants,ce qui est le cas de nombreuxligands polydentés, la structuredu ligand peut jouer un rôleimportant dans la stabilité de

… ET LES NUCLÉOTIDESL’enchaînement de deux phos-

phosérines suivies par un aspartatedans la chaîne peptidique joue unrôle prépondérant dans la com-plexation de l’uranyle. Les actinidesdans leur ensemble sont d’ailleursconnus pour leur affinité chimiquetrès forte pour les groupementsphosphates, qu’ils soient d’origineorganique ou minérale. Il est clairque les dérivés organophospho-rés jouent un rôle très importantpuisqu’ils sont présents dans tousles organismes vivants. Les orga-nophosphates, par exemple, sontimpliqués dans les nucléotides,lesquels sont retrouvés dans tous lessystèmes biologiques où ils jouentun rôle important dans les proces-sus métaboliques. Même de faiblesdoses de contamination par desradionucléides peuvent causerl’altération des acides nucléiques.D’autre part, l’ATP a un rôle essen-tiel dans le transfert d’énergiebiochimique, qui a pour origine des réactions enzymatiques im-pliquant des ions métalliques.Plusieurs enzymes exigent ainsi la présence d’un voire de plusieursions métalliques comme cofacteurspour la catalyse des esters phos-phates et la trans-estérification, lorsde l’épissage des ARN messagersnotamment. Les nucléotides, enparticulier l’adénine, étant des sub-strats pour un large nombre d’enzy-mes, ils participent à de nombreusesréactions biologiques, comme letransfert des groupes nucléotidylesou phosphoryles lors de l’hydrolysede l’ATP par exemple, qui a lieu enprésence d’un ion métallique.

En considérant toutes ces don-nées, il n’est donc pas surprenantque l’étude des interactions acti-nide-nucléotides soit un pointcrucial de l’étude de la toxicologienucléaire à l’échelle moléculaire.Pour obtenir des renseignementsstructuraux sur les complexes queforment potentiellement les acti-nides avec les nucléotides, uneapproche spectroscopique combi-nant RMN du phosphore, imagerieinfrarouge et EXAFS a été entre-prise. En parallèle, une étudecomparait l’Am(III) et le luté-tium(III) (Lu(III)), deux cationstrivalents, le premier étant con-sidéré comme le plus léger desactinides lourds, le second étant

l’édifice et induire, par exemple,une sélectivité dépendante de lataille du cation. Dans le cas desactinides, en effet, il a été observéque la stabilité relative augmentesuivant le numéro atomique (11).

Ce phénomène existe en chimiede coordination mais cette sélec-tion par la taille de l’ion est trèsutilisée dans les systèmes bio-logiques par les métalloprotéinesou les enzymes. Dans le cadre dela sélectivité biologique, on peutdonc présumer que c’est à la bio-molécule de s’adapter à la géo-métrie du cation qu’elle désirechélater. Les cations actinidesétant des ions non essentiels à lavie, de nouvelles formes structu-rales doivent être mises en œuvre.

DONNÉESSTRUCTURALES ETMÉCANISMESD’INTERNALISATION

La structure d’une protéine estdirectement liée à sa fonction etcertaines fonctions biologiquesnécessitent un réarrangementpossible de cette structure. Dansle cas de l’ostéopontine, sa na-ture déstructurée lui confère unegrande flexibilité, donc unegrande adaptabilité. Son taux dephosphorylation lui assure uncaractère donneur dur d’électronqui convient parfaitement à lachélation des actinides, puisquece sont majoritairement descations durs. D’où une possibleimplication de la protéine dans les mécanismes de dépôt de ceséléments au niveau de la matriceosseuse.A contrario, l’ATP est un nucléo-

tide relativement rigide au niveaude son site de chélation. Bidendateou tridendate, il peut, dans cer-tains cas, former des complexesoligomériques de haut poids molé-culaire et insolubles. C’est le casavec les deux cations étudiés,Lu(III) et Am(III), mais égalementavec le thorium(IV) (12). On peutdonc raisonnablement se deman-der quel est l’impact de ce type dechélates*6 qui peuvent affecter desstructures complexes comme lesacides nucléiques ou entrer eninteraction avec les cycles éner-gétiques de régulation de l’ATP etforcer, comme tout cation conta-minant au demeurant, le vivant à se modifier pour s’adapter. �*5 Distance entres cations et anions d’un cristal

ionique, caractérisant le volume occupé par

les électrons *6 Complexe formé à partir d’un ion métallique

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